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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le 31 janvier 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui suivent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ici même, dans la salle, ou sur le Web.

Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles des peuples algonquins. Je m’appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan. J’ai le privilège de présider le Comité permanent des peuples autochtones.

J’aimerais souligner qu’en raison de la motion qui a été adoptée par le Sénat en décembre, nous accueillons plusieurs nouveaux membres du comité ce matin. J’invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter. C’est le vice-président, à ma droite, qui commence.

Le sénateur Patterson: Dennis Patterson, du Nunavut. Bonjour.

La sénatrice Raine: Bonjour. Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Enverga: Tobias Enverga, de l’Ontario.

La sénatrice Beyak: Sénatrice Lynn Beyak, de l’Ontario. Bienvenue.

Le sénateur Oh: Sénateur Victor, de l’Ontario.

Le sénateur Tannas: Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Boniface: Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice Pate: Kim Pate, de l’Ontario.

Le sénateur Watt: Charlie Watt, du Nunavik.

La sénatrice Mégie: Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La présidente: J’aimerais souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres du comité, qui sont des sénateurs indépendants: les sénatrices Mégie, Boniface et Pate. La sénatrice McPhedran se joindra à nous dans quelques minutes.

Nous commençons aujourd’hui notre nouvelle étude passionnante sur ce à quoi pourraient ressembler de nouvelles relations entre le gouvernement et les Premières Nations, les Inuits et les Métis au Canada. Nous commencerons notre étude en examinant, au cours des réunions initiales, les études qui ont été réalisées et les discussions qui ont eu lieu sur le sujet.

J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Jim Miller, professeur émérite d’histoire à l’Université de la Saskatchewan, qui est un spécialiste bien connu de nombreux aspects de l’histoire des Autochtones au Canada. Monsieur Miller, vous pouvez maintenant faire votre déclaration préliminaire. Les sénateurs vous poseront des questions par la suite. Allez-y, monsieur.

J.R. (Jim) Miller, professeur émérite d’histoire, Université de la Saskatchewan, à titre personnel: Je vous remercie, sénatrice Dyck. Mesdames et messieurs, bonjour. Je vous remercie de m’avoir invité à discuter d’un volet important de l’histoire de notre pays.

L’importance de l’histoire est l’un des principaux thèmes qui ont été abordés dans le cadre des travaux de la Commission de vérité et de réconciliation. Le « manque de connaissances historiques » des Canadiens a de lourdes conséquences pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis ainsi que pour l’ensemble du pays. La commission a indiqué que « [l]’histoire joue également un rôle important dans la réconciliation et [que] pour pouvoir préparer l’avenir, les Canadiens doivent examiner le passé et en tirer des leçons ».

En fait, l’idée selon laquelle une bonne connaissance de l’histoire est essentielle pour résoudre les problèmes du présent et construire un avenir meilleur occupe une grande place dans les trois rapports que la commission a produits entre 2012 et 2015.

Bon nombre de Canadiens croient que comme chez leurs voisins américains, l’histoire de leur pays correspond à une suite ininterrompue de conflits depuis les premiers contacts, mais en examinant l’histoire des relations entre les Autochtones et les peuples immigrants, que découvrent-ils? L’histoire des relations entre les Autochtones et les nouveaux arrivants au Canada est bien différente de celle aux États-Unis. Cette différence, en fait, offre des indications sur la façon dont nous pouvons travailler ensemble de façon productive dans l’avenir. Dans toutes les régions du Canada — et je vais parler surtout de l’Est du Canada puisque notre temps est limité —, les premiers contacts entre les peuples autochtones et les nouveaux arrivants européens étaient harmonieux et fructueux.

Si les relations étaient positives, ce n’est pas parce que les gens qui ont colonisé le Canada avaient une supériorité morale inhérente comparativement à ceux qui ont fondé les États-Unis. Les raisons qui expliquent les bonnes relations du départ sont plutôt d’ordre économique. À la différence de la situation des Treize colonies dans le sud, où l’agriculture était une partie importante de l’économie, tôt à l’époque de la Nouvelle-France, l’économie locale a reposé sur le commerce et les fourrures. En effet, cela correspondait à la réalité économique de chaque région du Canada après les premières rencontres entre les Européens et les Autochtones.

L’aspect distinctif des relations entretenues dans le commerce des fourrures, c’est que les facteurs économiques ont poussé les différents peuples à coopérer. La raison est fort simple. Les peuples autochtones avaient les capacités — par exemple, la connaissance des terres, des voies de transport, des ressources alimentaires et des animaux— dont les Européens avaient besoin pour réaliser les échanges.

L’exemple qui illustre peut-être le plus clairement ce que je veux dire, c’est celui du commerce de la fourrure de castor, qui était dominant au cours du XVIIsiècle. On appelait les peaux de castors de première qualité le « castor gras d’hiver ». Ce que cela désignait, c’est le fait que la fourrure de première qualité était une peau de castor qui avait été portée directement sur le corps comme partie d’un vêtement pendant l’hiver, durant lequel l’abrasion, la fumée et les huiles du corps avaient pour effet de faire tomber les jarres, si bien qu’il ne restait que les poils fins et soyeux que voulaient avoir les fourreurs. C’est un bon exemple qui montre que les Premières Nations avaient un rôle absolument essentiel, non seulement pour trouver et chasser les animaux, mais pour traiter la fourrure pour son commerce avec les Européens.

Les peuples autochtones étaient des fournisseurs et des transformateurs de fourrures plus efficaces que n’auraient pu jamais espérer l’être les nouveaux arrivants. Pour leur part, les Européens étaient peu nombreux, ne savaient généralement pas comment survivre dans l’étendue sauvage de l’Amérique du Nord, et ne savaient pas comment capturer les castors et d’autres animaux ou comment en retirer la peau. La prédominance du commerce — qui a duré presque deux siècles dans l’Est du Canada — a fait en sorte que la petite population européenne avait besoin de la collaboration de la majorité autochtone.

Fait tout aussi important, les nouveaux arrivants ne jugeaient pas utile de modifier le mode de vie des Autochtones. Mis à part les missionnaires chrétiens qui essayaient de convertir les Premières Nations au christianisme, les Européens qui participaient aux relations commerciales ont adopté une approche axée sur le « vivre et laisser vivre ».

L’autre activité très importante qui est apparue, surtout dans les années 1700, ce sont les relations militaires entre les Européens et les Premières Nations au moment où la France et la Grande-Bretagne luttaient l’une contre l’autre pour avoir le contrôle de l’Amérique du Nord. Dans ce cas également, les chefs militaires européens ne voyaient aucune raison de changer la façon de faire de leurs alliés des Premières Nations. Les capacités des Autochtones concernant la vie en forêt, les déplacements dans le réseau hydrographique, la diplomatie et les guerres en Amérique du Nord correspondaient exactement à ce que voulaient les stratèges français et, plus tard, britanniques. Leur besoin d’avoir des alliés autochtones se reflétait dans la création des traités de paix et d’amitié au début du XVIIIe siècle, de même que dans l’utilisation de ceintures wampum des Premières Nations, une enfilade de coquillages, pour enregistrer des négociations durant cette période du XVIIIe siècle.

Il est important des souligner qu’à cette époque, la plupart des Premières Nations dans l’Est du pays préféraient de loin faire alliance avec les marchands de fourrures européens, qui se trouvaient principalement au nord du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs, que de se ranger du côté des agriculteurs des Treize colonies et, plus tard, des États-Unis. De la guerre de Sept Ans, jusqu’à la guerre de 1812, en passant par la Révolution américaine, les Premières Nations ont appuyé les commerçants du Nord plutôt que les agriculteurs plus au sud.

Bien entendu, tout n’était pas positif dans cette coopération et ces relations fructueuses des débuts. Sans le vouloir, les Européens ont apporté des pathogènes contre lesquels les Autochtones nord-américains étaient peu ou n’étaient pas du tout en mesure de se battre. Par conséquent, même dans cette période positive, de nombreux Autochtones ont perdu la vie des suites de maladies. De plus, il y a eu, à l’occasion, des conflits armés, comme les conflits intermittents entre la Nouvelle-France et la Ligue des Cinq-Nations, la Confédération des Six Nations ou les Iroquois au XVIIe siècle. Or, dans l’ensemble, contrairement aux États-Unis, le Canada n’a jamais adopté de politique d’anéantissement des peuples autochtones.

Toutefois, les relations entre les Premières Nations et les colonies de l’Amérique du Nord britannique se sont transformées au début des années 1800, lorsqu’une économie agricole florissante a remplacé le commerce comme base économique des colonies. L’incitation à la colonisation, la création de centres urbains, la diminution du nombre de bisons dans l’Ouest et la réduction de la demande de fourrures ont fait en sorte que les colons n’avaient plus besoin des Premières Nations sur le plan économique. En effet, elles représentaient dès lors un obstacle aux objectifs des colonisateurs. Les changements économiques représentaient une menace pour les peuples autochtones. Tandis que le commerce avait favorisé la coopération, l’agriculture détruisait les forêts dans lesquelles ils vivaient et séparait les gens. Les colons et les chasseurs-cueilleurs autochtones rivalisaient dorénavant pour obtenir des ressources plutôt que de collaborer.

D’autres changements ont découlé des relations économiques transformées. Parce que les colons agriculteurs trouvaient les Autochtones chasseurs-cueilleurs dérangeants, les colons ont exhorté leur gouvernement à exercer un contrôle sur les Autochtones. Pour leur part, les autorités britanniques, qui ne croyaient plus avoir besoin de l’aide diplomatique et militaire des Premières Nations, souhaitaient vivement réduire les coûts liés au fait de traiter avec les peuples autochtones.

Ce changement d’attitude s’est traduit par l’élaboration d’une politique radicalement différente à l’égard des peuples autochtones. Alors que les nouveaux arrivants avaient autrefois cherché la coopération économique et militaire de partenaires et d’alliés, ils voulaient dorénavant les isoler et les changer. Ce changement de direction a mené à l’adoption d’une série de politiques visant à tenter de contrôler et de redéfinir le comportement et les valeurs des peuples autochtones — modifier les choses sur les plans économique, politique, social et culturel. Autrement dit, cela s’est traduit par la prise de mesures énergiques pour leur assimilation. Les mesures qui ont causé tant de torts, comme celles concernant les pensionnats indiens, sont toutes des aspects du mouvement visant à assimiler les peuples autochtones qui a surgi dans les années 1830 dans le Haut-Canada et qui a été reporté par le Dominion du Canada après la Confédération. L’adoption de la Loi sur les Indiens en 1876 a consolidé la politique d’assimilation.

Les mesures visant à obliger les Premières Nations à exploiter les terres; à régir leurs activités avec des institutions électives; à abandonner des pratiques culturelles, comme le potlatch et la danse du soleil; à adopter le christianisme et à changer leur conception du monde — toutes ces choses ont causé des bouleversements et de la misère dont le Canada essaie maintenant de se sortir.

Les politiques d’assimilation ont nui au développement des collectivités et aux relations au sein des familles et ont perturbé les jeunes qui essayaient de se comprendre eux-mêmes, de comprendre leur collectivité et leur place dans le monde. Des dispositions discriminatoires ont nui aux relations entre les hommes et les femmes également. Bien que l’assimilation ne soit plus une politique officielle depuis des décennies, ses conséquences, comme les pensionnats, se font toujours sentir.

Une bonne compréhension de cette histoire peut nous aider à « préparer l’avenir ». Si nous tirons des leçons du passé, comme l’a indiqué la commission — nous entretenions de bonnes relations lorsque nous collaborions à des projets mutuellement avantageux, et nous entretenions de terribles relations lorsque nos objectifs sont devenus incompatibles —, cet avenir meilleur nécessitera la redécouverte des choses qui favorisent la coopération économique.

Cependant, un premier pas vers la réconciliation consiste à réparer les effets néfastes d’un siècle et demi de politiques d’assimilation. Le règlement des revendications territoriales, l’amélioration de l’éducation des Autochtones, la reconstruction de collectivités sûres et en santé et le respect de la volonté des gens de tracer leur propre voie sont de premières étapes essentielles. La réparation devrait précéder la réconciliation, pour ensuite l’accompagner, et alors, tant les Autochtones que les nouveaux arrivants canadiens pourront établir les moyens bénéfiques de travailler ensemble.

Le développement des ressources et la réhabilitation de l’environnement sont deux terrains évidents pour une telle coopération, des domaines au sujet desquels les peuples autochtones ont des droits antérieurs et des connaissances essentielles.

Les Canadiens ont déjà travaillé ensemble. S’ils comprennent les raisons de ce départ fructueux et pourquoi cette coopération a cessé plus tard, ils pourront construire ensemble un avenir meilleur. Merci.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Miller. Les sénateurs poseront maintenant des questions.

Le sénateur Patterson: Vous avez dressé un tableau général très utile de la situation d’aujourd’hui; nous voulons aider notre nouveau gouvernement à établir de nouvelles relations avec les peuples autochtones.

Monsieur, je trouve intéressant que vous ayez décrit les contrastes entre le Canada et les États-Unis, concernant l’époque des premiers contacts, qui existaient en raison de différences sur le plan économique. Or, vous avez dit qu’après les années 1800, lorsque la terre est devenue un enjeu au Canada en raison de la chute du commerce de la fourrure, nous avons commencé à adopter des politiques de conflit et d’assimilation comme aux États-Unis, nos voisins du Sud. Le gouvernement canadien a-t-il suivi le modèle de dépossession des terres et de création de réserves adopté par les États-Unis?

M. Miller: Il s’agissait davantage de suivre ce que prévoyait la Proclamation royale de 1763. Je vous remercie de la question, car il s’agit d’un sujet dont je n’ai pas eu le temps de parler, c’est-à-dire la conclusion de traités territoriaux à la fin des XVIIIe et XIXe siècles.

Dans la foulée de la Proclamation royale, la Couronne a commencé à négocier pour l’accès à des terres autochtones, ce qui a mené à un processus de dépossession et de création de réserves, comme vous l’avez dit. Cela ressemblait à des choses qui se sont produites aux États-Unis, mais c’était inspiré d’impératifs canado-britanniques.

Le sénateur Patterson: Vous dites que nous devrions chercher à réaliser le partenariat qui a marqué le début des contacts, à l’époque où les colons avaient besoin des peuples autochtones pour gérer les terres et exploiter ses ressources et s’occuper des terres, mais vous avez dit que la réparation devrait précéder les efforts de réconciliation. Vous avez parlé de règlement des revendications territoriales, d’amélioration de l’éducation des Autochtones, de reconstruction de collectivités sûres et saines et de respect de la volonté des peuples autochtones de tracer leur propre voie.

Notre comité a réfléchi à bon nombre de ces questions. Nous avons mené une importante étude sur l’éducation. Au fil des ans, nous avons examiné des questions comme le logement, l’eau potable et l’établissement de traités. Je vous dirais franchement que nous avons constaté que c’est un exercice très frustrant. Nous avons formulé des recommandations qui n’ont pas été mises en œuvre, et nous constatons que les progrès sont lents. Le gouvernement a consacré beaucoup d’efforts à ces questions, et les progrès sont minimes. Même l’un des accords de revendication territoriale majeur en Amérique du Nord qui a été conclu avec les Inuits de mon territoire a entraîné des contestations judiciaires très importantes, car on n’avait pas mis en œuvre ce que la plupart des gens avaient considéré comme un traité remarquablement novateur.

Vous dites que nous devrions réparer ces torts avant de parler de réconciliation. Eh bien, nous essayons de le faire. C’est ce que le Canada et notre comité essaient de faire. Je crois que dans le cadre de notre étude, nous espérons trouver une nouvelle voie plutôt que de continuer à nous frapper la tête contre le mur concernant ces questions très importantes. Je ne diminue pas leur importance. Or, vous dites que nous devrions continuer à travailler à ces questions et que cela pourrait ensuite mener à la réconciliation. J’espère qu’il existe un autre moyen, un nouveau moyen qui serait préférable à la réalisation de lents progrès concernant ces problèmes majeurs et en apparence insolubles. Voudriez-vous dire quelque chose au sujet de la frustration que les membres de notre comité ressentent?

M. Miller: Oui. L’idéal serait que les processus de réparation et de réconciliation soient simultanés. Je ne voulais pas laisser entendre qu’il faut attendre qu’un programme exhaustif de réparation ait été lancé et terminé avant de passer à la réconciliation. Idéalement, les deux processus devraient être menés en parallèle. Le danger, c’est que si nous ne faisons pas les deux, les Autochtones diront, à juste titre: « Ce sont de beaux discours, mais qu’en est-il de la justice? Qu’en est-il de la résolution des problèmes accumulés qui découlent de 150 ans de politiques? » Je pense donc, pour vous donner une réponse courte, que les deux processus devraient aller de pair.

Le sénateur Patterson: Merci.

La présidente: Permettez-moi d’intervenir, monsieur Miller, car votre dernier commentaire m’a frappé. Vous avez dit: « Ce sont de beaux discours, mais qu’en est-il de la justice? » Pourriez-vous nous en parler davantage? Je tente d’en arriver à une définition de la réparation. Pouvez-vous nous donner des exemples de ce que pourrait être la réparation, selon vous?

M. Miller: Je pourrais peut-être vous raconter une anecdote tirée de l’expérience sud-africaine. Pendant les travaux de la Commission de vérité et de réconciliation de l’Afrique du Sud, il y avait une histoire qui circulait au sujet de deux hommes, M. Talbot et M. Smith. M. Smith, un membre très puissant de la minorité blanche, avait réussi à voler ou à conserver une vache appartenant à M. Talbot. Au début du processus de vérité et de réconciliation, M. Smith — frappé de remords — a communiqué avec l’Africain indigène afin de tenir une rencontre et de discuter. Ils ont pris le thé ensemble dans une atmosphère joyeuse et festive. Tout juste avant de partir, M. Talbot a dit: « Qu’en est-il de la vache, monsieur Smith? » M. Smith a alors répondu: « Nous avons eu une rencontre formidable, nous avons discuté, nous avons pris le thé, nous progressons vers la réconciliation, et voilà que vous gâchez tout avec cette question. » Eh bien, les peuples autochtones du Canada veulent savoir ce qu’il en est de la vache. Qu’en est-il de la résolution de ces enjeux?

L’une des choses qu’il conviendrait de faire serait de consacrer des efforts plus sentis au règlement des quelque 1 000 revendications accumulées. Il faudrait en outre donner suite aux instructions de la Commission canadienne des droits de la personne quant à l’allocation de fonds visant à appuyer les jeunes Autochtones. Diverses choses pourraient être faites.

Je crois, à l’instar du sénateur Patterson, que s’attaquer à tous ces problèmes simultanément et chercher à les résoudre rapidement serait une tâche colossale, voire impossible. Cela dit, des progrès significatifs auraient un effet salutaire et faciliteraient la réconciliation.

Le sénateur Enverga: Merci d’être ici aujourd’hui. Je pense que nous arrivons dans l’ère nouvelle que nous avons tant espérée.

Vous avez fait allusion à une bonne compréhension de l’histoire. A-t-on intégré vos observations et une comparaison entre les États-Unis et le Canada dans les programmes scolaires canadiens?

M. Miller: On commence à intégrer ces notions dans les programmes scolaires, mais ce n’est pas encore terminé. Cette interprétation de l’histoire canadienne et de l’histoire des relations entre les Autochtones et les nouveaux arrivants a commencé à circuler dans le milieu universitaire il y a environ 35 ans et fait maintenant consensus. L’intégration des notions dans nos systèmes d’éducation fonctionne de haut en bas, ce qui signifie que les interprétations et l’innovation commencent au niveau postsecondaire avant d’être intégrées aux niveaux secondaire et primaire. Ce processus est maintenant enclenché.

Dans ma province, la Saskatchewan, ce travail est déjà bien amorcé. Depuis maintenant près d’une décennie, la province a mis en place dans les écoles un programme intitulé « Teaching Treaties in the Classroom », un programme qui vise à sensibiliser l’ensemble de la population sur l’importance des traités comme élément fondateur de la société saskatchewanaise et qui connaît beaucoup de succès. D’ailleurs, c’est M. David Arnot, le commissaire aux traités de la Saskatchewan, qui a prononcé pour la première fois une phrase maintenant célèbre: « Nous sommes tous visés par les traités. »

Il s’agit là d’un exemple précis du fonctionnement du processus; cela explique peut-être pourquoi il est commencé, mais n’est pas terminé. En réponse à la Commission de vérité de réconciliation, plusieurs provinces et territoires — les Territoires du Nord-Ouest, l’Ontario et d’autres — ont annoncé une refonte de leurs programmes scolaires afin qu’ils favorisent davantage la réconciliation.

Le sénateur Enverga: J’espère que ce programme scolaire sera mis en place partout le plus tôt possible. Il est important que les Canadiens connaissent l’histoire du pays. Je ne sais pas si cela fait partie de vos suggestions, mais il conviendrait peut-être de donner des cours d’histoire obligatoires à tous les néo-Canadiens, les nouveaux immigrants au Canada, dans le but d’accroître et peut-être de renforcer la compréhension de notre relation avec la communauté autochtone. Cela pourrait-il être une de vos recommandations?

M. Miller: Le guide d’études Découvrez le Canada fourni aux nouveaux Canadiens pour leur préparation à l’obtention de la citoyenneté comporte un important volet sur l’histoire. De temps à autre, dans mes activités bénévoles, j’assure la présidence de cérémonies de citoyenneté. J’ai donc l’occasion de discuter avec de nouveaux citoyens canadiens, des gens qui sont en plein apprentissage. Je conviens avec vous qu’il serait préférable d’en faire plus, mais cela dit, offrir plus de cours d’histoire à l’ensemble de la population canadienne serait une bonne chose.

La sénatrice Beyak: Je vous remercie de votre excellent exposé. Il a été très instructif. Comme tout le monde, sans doute, je voyage beaucoup aux États-Unis, et j’ai eu l’occasion de visiter des musées de l’histoire des Autochtones. Ils semblent vivre en harmonie là-bas. Pourriez-vous me dire si cette relation entre le gouvernement américain et les Premières Nations fonctionne ou s’il existe, ailleurs dans le monde, un autre modèle dont nous pourrions nous inspirer au lieu de réinventer ou d’essayer de réinventer la roue?

M. Miller: Je pense que les États-Unis connaissent de graves difficultés, notamment la situation entourant la construction du pipeline de Dakota Access, qui est un exemple probant. Ce pays a de longs antécédents de violence à l’égard des Autochtones, qu’ils appellent les Native Americans.

À l’échelle mondiale, l’exemple le plus utile qui me vient à l’esprit, même s’il ne correspond pas parfaitement à la situation au Canada, est celui de la Nouvelle-Zélande. La comparaison n’est pas parfaite, car les Maoris représentent environ 15 à 16 p. 100 de la population néo-zélandaise, tandis que la proportion d’Autochtones au Canada est d’environ 4 à 4,5 p. 100. Fait intéressant, toutefois, les Autochtones forment environ 15 à 16 p. 100 de la population de la Saskatchewan.

En Nouvelle-Zélande, les Maoris ont leurs propres représentants au Parlement du pays, et ce, depuis la fondation du pays. Les programmes d’enseignement du pays sont très efficaces; les programmes de langue autochtone, entre autres, jouissent d’un appui important.

Les Néo-Zélandais ont un mécanisme très efficace, mais coûteux, pour la résolution des revendications: le tribunal Waitangi. Il est chargé de l’interprétation du traité de Waitangi — qui remonte aux années 1840 — et de la résolution des problèmes qui en découlent. C’est l’exemple qui se rapproche le plus de notre situation, sénatrice, mais la concordance n’est absolument pas parfaite.

La sénatrice Beyak: Merci beaucoup.

La sénatrice Raine: Merci beaucoup d’être ici. J’avais une question, mais je vais y revenir plus tard, car j’aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Beyak.

Je connais aussi le tribunal Waitangi de la Nouvelle-Zélande. Lorsque je pense à la multitude de traités au Canada, que nous ne réglons pas vraiment, j’en arrive à me demander s’il n’y aurait pas une meilleure façon de résoudre la question des traités. Je conviens que des traités ont été rompus et que de nombreux Canadiens ne comprennent pas pourquoi nous sommes tous visés par les traités. Le gouvernement canadien a signé ces traités en notre nom, même si nous n’étions pas là à l’époque, évidemment.

Y a-t-il eu dans le milieu universitaire des travaux sur l’établissement, au Canada, d’un tribunal semblable au tribunal Waitangi? Pourriez-vous nous parler davantage du fonctionnement du tribunal de la Nouvelle-Zélande?

M. Miller: Essentiellement, aucune étude n’a été menée au Canada concernant le tribunal Waitangi. Toutefois, beaucoup d’études ont été faites sur la situation en Nouvelle-Zélande. Cela découle évidemment du fait que le traité de Waitangi s’applique à l’ensemble du pays, ce qui n’est pas le cas du Canada, qui compte des dizaines voire des centaines de traités territoriaux.

Nous avons essayé deux approches pour la résolution des enjeux liés aux traités. La première est la voie judiciaire qui, comme vous le savez tous très bien, pose de nombreux problèmes. C’est un processus long et coûteux dont l’issue est aléatoire. En général, on gagne ou on perd sur toute la ligne.

L’autre approche revient essentiellement à tenir des discussions pour résoudre les différends liés à une interprétation. Il y a déjà eu, en Saskatchewan et au Manitoba, des commissions des relations découlant des traités ou des commissions des traités. Il convient toutefois de dire qu’elles n’ont pas eu un énorme succès et que la commission manitobaine a cessé ses activités. Dans son rapport sur l’enquête sur Ipperwash, le juge Linden a recommandé l’établissement d’une commission des traités en Ontario, mais il semble que cette recommandation restera lettre morte.

La création d’une commission des traités efficaces serait à mon avis une excellente solution de rechange aux procédures judiciaires. Toutefois, nous n’avons pas encore trouvé un mécanisme permettant d’assurer l’efficacité de telles commissions.

La sénatrice Raine: J’ai une observation complémentaire. Je suis consciente que les Autochtones qui vivaient en Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens avaient une organisation sociale bien différente de ce que nous appelons les Premières Nations. Il s’agit pour nous d’un autre terme pour désigner les bandes indiennes, des entités créées artificiellement par la Loi sur les Indiens ou par le gouvernement.

Dans quelle mesure est-il important de revenir en arrière et d’examiner l’organisation sociale des Autochtones — soit en groupe, soit en nations — avant l’arrivée des Européens? J’ai le sentiment que les Cris ou les gens d’ascendance crie et les membres de la nation Secwépemc de ma région, la Colombie-Britannique, ont des perceptions du monde, des cultures et des mentalités totalement différentes. Les différences sont aussi importantes que celles qui existent entre les Portugais et les Allemands, qui ont une histoire et un mode de vie complètement différents.

Conviendrait-il de trouver des façons de revenir à l’organisation sociale initiale des Premières Nations — que l’on pourrait appeler les nations autochtones d’origine — de façon à ce que les divisions artificielles qui subsistent actuellement ne freinent pas les progrès?

M. Miller: Nous ne pouvons rétablir la situation qui existait à l’arrivée des Européens, évidemment, mais comme vous l’avez proposé, nous pourrions essayer de mieux comprendre l’organisation, le fonctionnement et la dynamique des sociétés autochtones.

Je vais vous donner un exemple précis pour illustrer mon propos: je pense qu’il serait très utile que les Canadiens non autochtones comprennent que l’organisation de la plupart des sociétés autochtones est fondée sur la notion de parenté; c’est un concept essentiel de la société, des institutions et des pratiques. Habituellement, le rapport avec les étrangers, lorsqu’on souhaite collaborer avec eux, est établi par l’intermédiaire d’un processus que les anthropologues appellent les liens de parenté fictifs ou attribués, et ces liens sont établis par la participation commune à certaines cérémonies: cérémonies d’accueil officielles, partage d’un repas, échanges de cadeaux et fumer la pipe.

En quoi est-il important de comprendre cet aspect plutôt que de l’ignorer? À mon avis, cela aiderait les Canadiens non autochtones à comprendre ce que les Premières Nations veulent dire lorsqu’elles parlent de l’esprit des traités et qu’elles font valoir que le Canada a violé l’esprit et l’intention des traités. Cela renvoie au fait que les traités ont été conclus dans le contexte que j’ai décrit. Prenons par exemple les traités des Prairies. Des cérémonies d’établissement de liens de parenté ont eu lieu au début des négociations dans tous les cas, à l’exception du Traité no 4.

Si les Canadiens non autochtones avaient de meilleures connaissances sur les Autochtones, je pense qu’ils les comprendraient mieux. Une des façons d’y arriver serait de comprendre leur fonctionnement.

Le sénateur Tannas: Merci, monsieur Miller. La discussion est excellente; j’ai une multitude de questions en tête, mais je vais me limiter à une pour le moment.

J’aime le commentaire que vous avez fait: « Qu’en est-il de la vache? » C’est une question qu’il faut régler, selon moi. Pensez-vous qu’il sera possible, un jour, de réparer les torts qui ont été causés, afin de ne plus jamais avoir à en discuter et ainsi avoir la possibilité d’aller de l’avant? Pensez-vous qu’il sera possible, dans un monde idéal, d’en arriver à une situation où tous les Canadiens s’entendront pour régler le problème, veiller à l’égalité des chances, respecter la culture, faire absolument tout ce qui est nécessaire et verser un dédommagement pour les torts causés? Pensez-vous qu’il est possible d’y parvenir en une génération?

M. Miller: Non.

Le sénateur Tannas: Combien de temps faudra-t-il pour y arriver, à votre avis?

M. Miller: Les problèmes auxquels nous sommes confrontés découlent de 150 ans d’histoire. Si on veut rester optimiste, je pense qu’il faudra peut-être 100 ans pour les régler. Il convient toutefois de ne pas se laisser décourager. Regardons les progrès que nous avons réalisés.

Le sénateur Tannas: Et si nous n’avions pas 100 ans devant nous? Qu’en est-il des immigrants, des gens qui ont fui des situations catastrophiques, bien pires que celles vécues par les Premières Nations au Canada, que vous avez décrites? Les colons ne se sont pas livrés à des massacres, et cetera. Des générations d’immigrants arriveront par vagues d’endroits où règne l’horreur. Ces gens auront bien moins d’intérêt et bien moins d’empathie et, en tant que contribuables, ils seront appelés à assumer le coût des torts causés à une époque où ils n’étaient pas au pays.

Je crains que nous n’ayons pas 100 ans pour régler ce problème. Nous devons trouver une façon d’aller de l’avant. J’hésite à poser la question, mais pouvez-vous nous dire s’il existe, dans ce que vous avez vu ailleurs, un raccourci quelconque qui pourrait nous aider dans notre cheminement? J’ai peut-être manqué de respect — ce qui n’était aucunement mon intention —, mais je considère, comme beaucoup de mes collègues, que ce dossier est prioritaire. Voilà pourquoi nous sommes ici. Voilà pourquoi nous avons appuyé le gouvernement: nous considérons qu’il faut agir de toute urgence. Notre premier ministre estime que cet enjeu est extrêmement urgent, comme en témoignent ses actions et la position adoptée par le gouvernement. Avez-vous des observations à cet égard?

M. Miller: Je commencerais par une observation sur les immigrants et leurs attitudes. J’entends souvent dire que les immigrants ne comprendront pas et qu’ils n’appuieront pas les tentatives de réconciliation, mais selon mon expérience auprès des nouveaux citoyens canadiens, ces gens souhaitent ardemment parfaire leurs connaissances de l’histoire et de la culture du pays. Si nous parvenons à les informer adéquatement, je pense qu’ils feront preuve d’empathie.

Vous avez mis le doigt sur un enjeu très réel, toutefois. La question est de savoir comment conserver l’appui des électeurs canadiens à l’égard d’une campagne dynamique et coûteuse visant à favoriser la réparation et la réconciliation. Vous ne serez probablement pas surpris de m’entendre répondre: l’éducation.

La sénatrice Beyak: Ma question ne vise aucunement à susciter la controverse. C’est simplement une question de curiosité, étant donné votre expertise. Il y a de nombreuses années, j’ai voté pour Pierre Elliott Trudeau parce qu’il avait présenté son Livre blanc sur la politique indienne, que je trouvais parfait. J’avais à l’époque un intérêt personnel pour ces enjeux — intérêt que j’ai toujours et qui est lié à des membres de ma famille.

Vous pourrez m’en dire plus sur le volet historique, mais on proposait quelque chose comme l’échange de votre carte de statut contre la citoyenneté canadienne — un paiement unique d’environ 500 000 $ par Autochtone à l’époque — et vous deveniez Canadien tout en gardant votre culture et vos intérêts, votre broderie perlée, votre langue, tout cela à votre façon, et nous sommes tous devenus Canadiens ensemble. Les peuples des Premières Nations ont adoré cela. Toutefois, ce qu’on appelle « l’industrie autochtone » — les chefs, les conseils de bande, les personnes responsables — n’a pas aimé.

Après six mois, Trudeau a reculé, mais il semble que Justin… Nous avons reçu une femme, Pam Palmater, qui nous a parlé de la façon dont on tente d’assimiler les Autochtones en ne les inscrivant pas correctement en vertu des paragraphes 6(1) ou 6(2).

M. Miller: Le projet de loi C-31.

La sénatrice Beyak: Oui. Je me demandais si vous aviez des commentaires à faire à ce sujet. Cela semblait être une bonne idée à l’époque: soyons tous Canadiens. La Commission de vérité et de réconciliation a été mise sur pied avec les meilleures intentions. On ne voulait pas blesser qui que ce soit. À ce jour, les pères, les fils et les membres de la famille des religieuses et des prêtres doivent assumer cette réputation également, et personne n’a jamais voulu blesser qui que ce soit. Les petits sourires émanant de la Commission de vérité et de réconciliation sont réels, les vêtements étaient propres et les repas étaient bons. De nombreuses personnes sont sorties des pensionnats avec une bonne formation et de bonnes compétences linguistiques; bien sûr, on y a aussi commis des atrocités.

Croyez-vous qu’une telle mesure puisse fonctionner aujourd’hui? Croyez-vous que Justin Trudeau souhaite emprunter cette voie et est-il possible de payer les Autochtones — ce serait aujourd’hui des millions de dollars par Autochtone — pour que nous devenions tous ensemble des Canadiens, pour régler tous les droits issus des traités?

M. Miller: Le principal défaut du livre blanc de 1969 auquel vous faites référence, c’est le processus qui est derrière. On a tenu une série de soi-disant consultations entre les Premières Nations, d’autres dirigeants autochtones et les responsables du gouvernement, pendant plusieurs années jusqu’à 1969. L’énoncé de politique paru en juin 1969 ne reflétait aucunement ces consultations. Il était plutôt le reflet de la philosophie et de l’approche du premier ministre, d’une idéologie hautement individualiste et anti-nationaliste. Il n’y avait rien de mal là-dedans.

J’étais un jeune homme à l’époque. J’étais d’accord non pas avec le livre blanc en soi, mais avec l’approche générale de Trudeau. Or, le problème, c’est que le livre blanc était très irrespectueux à l’égard des Autochtones. Ils ont réagi et leurs dirigeants ont réagi également; la réaction a été la même dans tout le pays: on s’opposait au livre blanc. Ainsi, Trudeau et Chrétien — qui était alors ministre — n’ont eu d’autre choix que suspendre le livre blanc.

Je ne crois pas qu’un processus d’une telle ampleur ou d’une telle substance soit dans les plans pour l’avenir immédiat… du moins je l’espère.

La sénatrice Beyak: Eh bien, les Autochtones m’en parlent encore; les gens ordinaires sur le terrain, qui veulent simplement aller au centre d’achats, se faire faire les ongles, se faire coiffer, vivre en paix et dans la prospérité. Ils sont tannés des querelles. Ils sont tannés que tout le monde parle à leur place. Ils veulent un référendum national, entre Autochtones; qu’on leur demande où ils veulent vivre, ce qu’ils veulent faire et comment ils entrevoient l’avenir, au lieu de voir ces groupes qui sont censés parler en leur nom, mais qui ne le font pas. J’aimerais beaucoup parler aux Autochtones du pays et voir comment ils se sentent vraiment.

M. Miller: Je comprends que vous allez voyager partout au pays. Je présume que vous aurez l’occasion de parler aux Autochtones et d’entendre ce qu’ils ont à dire.

La sénatrice Beyak: Merci beaucoup.

Le sénateur Sinclair: Je suis désolé d’avoir manqué le début de la réunion, monsieur Miller. Je participais à une autre réunion et j’ai manqué la première partie de votre exposé. Si je vous pose une question à laquelle vous avez déjà répondu, vous n’avez qu’à me le dire et je lirai la transcription.

En ce qui a trait à la définition de la relation, dans ses publications, John Borrows parle souvent du Traité de Niagara de 1764 et de la référence, dans le processus de négociations connexe, aux promesses de la Proclamation royale de 1763, à ce qu’il appelle parfois — pas toujours — le fondement d’une nouvelle relation, selon laquelle la Couronne accepte de revenir à sa position de la Proclamation royale au sujet de la souveraineté interne des Premières Nations. J’aimerais connaître votre opinion au sujet de la Proclamation royale de 1763, du processus du Traité de Niagara et du travail de M. Borrows à ce sujet.

M. Miller: C’est dommage que vous n’ayez pas pu entendre le début de mon exposé, monsieur le sénateur, parce que j’ai passé beaucoup de temps à faire l’éloge de la Commission de vérité et de réconciliation.

Le sénateur Sinclair: Alors je lirai sans faute la transcription.

M. Miller: J’admire beaucoup le travail de John Borrows en général, et surtout son travail sur la Proclamation et le Traité de Niagara. Pour le bien de tous les sénateurs, je vais dire ceci: M. Borrows fait valoir que la Proclamation royale, un document unilatéral de la Couronne, a été convertie en traité parce que Sir William Johnson, le premier chef du ministère des Indiens de l’histoire, avait distribué la proclamation partout dans le centre et dans l’est de l’Amérique du Nord, avait organisé une énorme conférence des dirigeants des Premières Nations à Niagara au cours du printemps et de l’été suivant en 1764, et avait obtenu leur accord sur les modalités de la Proclamation royale à la suite d’une longue conférence, pour laquelle on avait créé un wampum.

M. Borrows fait valoir que ces actions ont transformé un document unilatéral de la Couronne en un traité. L’important, c’est que s’il s’agit d’un traité, il est notamment protégé en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est un bon argument, à mon avis. On ne peut pas relier tous les éléments pour en venir à cette conclusion, mais je crois qu’il y a suffisamment de preuves pour tirer les mêmes conclusions que John Borrows.

Le sénateur Sinclair: Merci.

La sénatrice Boniface: Je voulais simplement faire suite à vos commentaires sur les commissions des traités. Quels sont les éléments de la commission que les universitaires et vous jugez une réussite? Est-ce que certains volets sont plus réussis que d’autres?

M. Miller: Les commissaires aux traités ont été très efficaces en matière d’éducation, tant l’éducation du public que l’éducation dans les écoles. J’espère que vous me pardonnerez ma vantardise, mais la commission de la Saskatchewan a été de loin la mieux réussie des deux que nous ayons tenues jusqu’à maintenant. Comme je l’ai dit brièvement tout à l’heure, elle a permis la création d’un nouveau programme sur les traités à titre de fondement de la société saskatchewanaise pour les écoles. Le gouvernement actuel de la Saskatchewan a rendu le programme obligatoire dans toutes les écoles en 2008.

La commission des traités de David Arnot a aussi permis d’offrir un programme d’éducation du public ambitieux par l’entremise d’un bureau de conférenciers et d’une campagne publicitaire commanditée en grande partie par le réseau CTV. Les publicités ont été diffusées sur les chaînes de télévision de la Saskatchewan. Le thème des publicités était « Les traités nous touchent tous », et c’est le message qu’on voulait transmettre.

La commission des traités de la Saskatchewan a facilité de nombreuses conversations utiles entre les dirigeants des Premières Nations et la Couronne fédérale; le gouvernement provincial n’était là qu’à titre d’observateur. Toutefois, la commission n’a donné lieu à aucun changement fondamental.

La sénatrice Boniface: Merci.

La sénatrice Raine: Vous avez parlé des commissions des traités de la Saskatchewan et du Manitoba, mais il y en a une en Colombie-Britannique aussi, et je voulais savoir si vous l’aviez examinée. Je sais que vous avez dit que votre travail se centrait surtout sur l’Est canadien, mais est-ce que cette commission se fonde sur le même modèle que celles de la Saskatchewan et du Manitoba?

M. Miller: Non, la commission des traités de la Colombie-Britannique est très différente des deux autres. Elle a été créée en vertu d’un accord entre les deux Couronnes et certains dirigeants des Premières Nations de la Colombie-Britannique en vue d’aborder la question du titre ancestral de façon spécifique. Bien sûr, la majeure partie de la Colombie-Britannique a toujours des titres ancestraux non cédés et on tente depuis 1992 de créer des traités. La province a créé quelques traités en 25 ans, mais c’est tout.

Les autres commissions visaient plutôt à interpréter, à moderniser et à mettre en œuvre les traités existants. Ils sont assez différents, mais je vous remercie d’en avoir parlé. C’est un exemple important de commission des traités.

La sénatrice Raine: Merci.

Le sénateur Patterson: Monsieur, dans vos commentaires ce matin, lorsque vous avez abordé le sujet de la réparation et de la réconciliation, vous avez parlé d’un domaine de collaboration évident, le développement des ressources, qui est lié à l’environnement. Le sénateur Tannas a dit qu’il y avait des enjeux urgents. Je crois que la plupart des Canadiens sont d’avis que les enjeux en matière de développement des ressources sont des questions pressantes qui sont à la base des confrontations et des frustrations de nombre des parties. La dépossession des terres et les préoccupations relatives à la bonne intendance des terres sont à l’origine des problèmes associés au développement des ressources.

Je dirais que dans les revendications territoriales globales, dans le Nord en particulier, le gouvernement fédéral a adopté une autre approche en matière de gestion des terres. On a d’abord donné aux Premières Nations — aux nations autochtones — de grandes parcelles de terre. Les Inuits du Nunavut possèdent près de 20 p. 100 des terres du territoire, qui est le plus grand territoire souterrain et de surface du Canada. On leur a aussi accordé des droits relatifs à la gestion des terres, au processus réglementaire, par l’entremise des mécanismes de cogestion. Enfin, on leur a garanti une part des revenus générés par les terres. J’ai toujours cru que c’était un modèle de réconciliation possible pour le reste du pays.

Nous avons beaucoup de terres. Aujourd’hui, nombre de ces terres appartiennent à des tiers dans le Sud du Canada, mais il y a encore beaucoup de terres de la Couronne. Le Canada et les provinces ne doivent pas être les seuls à profiter des recettes du développement des ressources. Dans certaines régions, on croit que notre système n’est pas crédible et doit être réformé. Je ne sais pas si je suis d’accord avec cela, mais que dites-vous de ces principes de cogestion, de partage des recettes de l’exploitation des ressources, et de réaffectation généreuse des terres de la Couronne à titre de fondement de la réparation dans cette question épineuse des terres et des ressources?

M. Miller: Tout d’abord, monsieur le sénateur, je suis d’accord avec vous: la question du développement des ressources peut être une source de frustration. Elle est parfois aussi une source de coopération. Dans ma province, la Première Nation de Muskowekwan a conclu une entente avec une société d’exploitation de la potasse pour développer une mine de 3 milliards de dollars et elle travaille de façon harmonieuse avec l’entreprise. Dans nombre d’autres provinces — et la Colombie-Britannique en est un bon exemple —, les Premières Nations ont conclu des accords bilatéraux avec des entreprises forestières ou d’exaction des ressources. Le ton n’est pas toujours à la frustration. Il y a aussi de la collaboration et on tend parfois à se centrer sur les éléments, pour des raisons que l’on peut comprendre.

Pour en venir à votre question principale, oui, je crois que l’accord du Nunavut peut servir de modèle, s’il y a suffisamment de terres de la Couronne disponibles. Toutefois, sauf votre respect, monsieur le sénateur, je ne suis pas d’accord avec certains termes que vous avez utilisés. Je ne crois pas que le Canada ait donné quoi que ce soit aux Premières Nations. Je crois qu’il a tout simplement laissé les Premières Nations garder leurs terres. Mis à part cela, je crois être d’accord avec vous.

Le sénateur Patterson: Merci. J’admets mon erreur.

Dans les cas où la réconciliation a fonctionné — vous avez parlé du projet de potasse en Saskatchewan, que je connais un peu, qui a donné lieu à des accords bilatéraux — qu’est-ce qui fait qu’on réussisse à établir des partenariats et à éviter les confrontations que l’on connaît ailleurs? Comment a-t-on réussi? Est-ce que c’est parce que les sociétés sont bien informées? Est-ce que c’est grâce aux politiques gouvernementales? Quels sont les ingrédients nécessaires pour créer une situation où toutes les parties sortent gagnantes?

M. Miller: Je ne prétends pas du tout connaître la mécanique de tous les accords, mais je crois que dans l’ensemble, il faut que les entreprises traitent les Premières Nations — ou les Inuits, dans certains cas — avec respect et qu’elles négocient les accords selon cet angle. S’il n’y a pas de respect et que les sociétés d’exploitation des ressources et les gouvernements tentent de faire le développement sans consulter les Premières Nations, alors ce sera un échec.

Le sénateur Patterson: J’aimerais faire une courte remarque: je crois que les entreprises approchent les Autochtones avec respect au Nunavut parce qu’elles sont tenues de négocier les ententes sur les répercussions et les avantages avant d’obtenir un permis de développement. Les entreprises savent qu’elles doivent établir un partenariat avec les Autochtones pour exploiter les ressources dans le Nord en vertu de l’accord sur les revendications territoriales, qui est protégé par la Constitution.

M. Miller: Maintenant que la Cour suprême a promulgué l’obligation de consulter, cela s’applique peut-être partout.

Le sénateur Oh: Monsieur, je suis d’accord avec vous au sujet de l’importance de l’éducation. En tant que Canadien d’origine chinoise, je me suis beaucoup intéressé aux lois discriminatoires imposées à ma communauté. Je comprends maintenant mieux notre passé et notre situation actuelle. Croyez-vous que les enfants autochtones profiteraient de l’accès à un programme qui leur permettrait de comprendre leur contexte actuel? Est-ce que cela les aiderait à se mobiliser ou à défendre leurs propres intérêts? Y a-t-il au Canada des programmes qui transmettent ces renseignements aux enfants autochtones ou est-ce qu’ils sont uniquement transmis au sein des collectivités?

M. Miller: Au cours de ma carrière, j’ai étudié l’histoire des pensionnats. J’ai publié un livre sur le sujet en 1996. Ma recherche m’a notamment permis de constater que les Autochtones s’étaient toujours montrés intéressés et ouverts à apprendre des Européens. Ils n’ont jamais été fermés en ce qui a trait à leurs connaissances, à leurs techniques ou à leur religion, même. Je crois que les Autochtones de partout au pays ont toujours été ouverts.

Nous avons toutes les raisons de croire que les systèmes d’éducation gérés par les Autochtones permettront de transmettre aux jeunes les renseignements et connaissances auxquels vous faites référence parce qu’ils les considèrent comme étant nécessaires sur le plan stratégique et essentiels à la réussite des jeunes et des collectivités. Je suis très optimiste quant à l’approche des Autochtones à cet égard.

Le sénateur Enverga: Monsieur Miller, vous avez dit que l’assimilation est une des causes des difficultés actuelles. Contrairement aux États-Unis, le Canada n’est pas un creuset. Nous avons le multiculturalisme en vertu duquel nous respectons les différences, et nous utilisons ces différences pour bâtir un pays plus fort. C’est utile dans une culture de compréhension, de tolérance et d’acceptation. Est-ce que cela fonctionne pour les groupes autochtones, ou crée-t-on ainsi un milieu de travail ou une culture plus complexe pour eux? Est-ce même utile sur le plan culturel?

M. Miller: J’hésite à parler en leur nom. Il ne m’appartient pas de le faire. Cependant, je pense que les Autochtones opposent une résistance pour éviter de devenir un autre carré dans la mosaïque multiculturelle. Permettez-moi d’être un peu désinvolte en citant des propos prononcés aux États-Unis, où un membre d’une communauté ethnique a dit: « Les groupes ethniques gèrent des restaurants. Nous sommes une nation. » C’est la réponse qui a été donnée.

Je pense que les Autochtones se perçoivent comme un peuple distinct, comme des nations, pas tout simplement comme un autre groupe ethnique au sein d’une société multiculturelle. Ils ne s’y opposent pas, mais, en gros, leur statut et leur place au sein du pays diffèrent selon eux du statut et de la place des nouveaux arrivants.

Le sénateur Enverga: Le multiculturalisme pourrait-il être la cause d’un malentendu entre les différents groupes culturels et nos peuples autochtones? Est-ce possible qu’il crée plus de problèmes?

M. Miller: Je pense que le processus que le Canada utilise pour éduquer et acculturer les nouveaux Canadiens avant qu’ils obtiennent leur citoyenneté prévient ce danger potentiel. Comme je l’ai mentionné, j’interagis avec un bon nombre de nouveaux citoyens étant donné que je préside parfois des cérémonies de citoyenneté. Ils semblent bien informés et plutôt à l’aise avec le statut particulier des peuples autochtones au pays. Ils veulent en apprendre davantage à ce sujet. Voilà ce que mon expérience m’a appris.

La sénatrice Raine: J’ai une question complémentaire. Ces jours-ci, les réfugiés et l’immigration sont d’actualité. Je trouve très malheureux et un peu désolant d’entendre dans les médias des commentaires comme: « nous sommes tous des immigrants. » C’est comme s’il n’y avait eu personne quand nous sommes arrivés ici. Nous ratons actuellement une excellente occasion d’insister non seulement sur le fait que les Premières Nations étaient ici, mais aussi sur le fait que nous avons quelque chose à apprendre de leurs valeurs et de leur culture. Avez-vous une observation à faire sur le rôle des médias en vue d’informer les Canadiens?

Pouvez-vous revenir à ce que vous avez dit au sujet de la Saskatchewan, où le gouvernement a commandité des publicités qui disent que nous sommes tous signataires de traités, et nous dire si elles ont fonctionné? Ces publicités ont-elles aidé à changer l’attitude de l’ensemble des Canadiens? Je sais que ce n’est pas une réponse commune, mais j’ai entendu des gens dire: « Je suis arrivé ici sans rien et j’ai travaillé fort, et voyez à quel point j’ai réussi. » « Qu’est-ce qu’ils attendent pour se secouer et se mettre au travail? » C’est vraiment regrettable. Pourriez-vous tout simplement en dire un peu plus long à ce sujet?

M. Miller: Je pense que les médias nous exaspèrent tous de temps à autre. Cela dit, il est également important d’essayer de comprendre ce qu’ils ont traversé. Les changements technologiques draconiens qui s’opèrent depuis environ un quart de siècle leur ont vraiment mené la vie dure sur le plan financier. Je pense que nous devrions faire preuve d’un peu d’indulgence envers les journalistes, car ils ne sont pas très nombreux, ils n’ont pas beaucoup de temps pour faire de la recherche et se préparer, et leurs éditeurs, dont le nombre est restreint, ne peuvent également pas faire grand-chose pour les aider. J’exprime parfois ma frustration au sujet des médias, mais j’essaie également de les comprendre.

À propos de l’enseignement des traités dans les écoles de la Saskatchewan, les programmes ont été mis au point par une équipe de professionnels de l’éducation parrainée et encouragée par le commissaire aux traités de la Saskatchewan. Le gouvernement provincial a ensuite ordonné — c’est-à-dire demandé, par l’entremise du ministère de l’Éducation — que toutes les écoles adoptent et utilisent ces programmes, des premières années de l’école primaire à la douzième année. Si vous êtes intéressés, vous pouvez consulter tous ces programmes sur le site web du commissaire aux traités, au www.otc.ca. Je pense que l’initiative est couronnée de succès. Nous en saurons davantage dans 10 ans, mais je pense que c’est un modèle très utile que d’autres provinces pourraient suivre.

La sénatrice Beyak: Je ne pense pas avoir déjà posé trois questions depuis que je siège au comité, mais il est très agréable d’accueillir un historien ici. Merci.

J’ai trouvé intéressant ce que vous avez dit à propos des pensionnats et du livre que vous avez écrit. Une fois de plus, j’ai entendu le témoignage de nombreuses personnes. Je vis dans une circonscription qui compte 52 Premières Nations, parmi lesquelles j’ai beaucoup d’amis qui m’ont fait part de nombreuses bonnes expériences. Le meilleur exemple est celui du dramaturge Tomson Highway, qui attribue son succès au pensionnat qu’il a fréquenté. Il reconnaît les atrocités, mais il parle également de bonnes personnes qui faisaient de bonnes choses, qui lui ont appris une langue et le piano. Je me demande si vous pouvez me parler un peu plus de cet aspect de la question.

J’ai été déçue de constater que le rapport de la Commission de vérité et réconciliation ne met pas l’accent sur les bonnes choses. Les gens à qui je parle sont chrétiens. Ils font partie de Spirit Alive, un groupe en Saskatchewan, et de Tribal Trails. Ils regardent devant plutôt que derrière. Ils veulent aller de l’avant dans la positivité et le bonheur plutôt que de mettre l’accent sur le passé. Entendez-vous des choses semblables, ou avez-vous fait ce genre de recherche pour votre livre?

M. Miller: Vous me mettez dans une position très délicate par rapport au sénateur Sinclair, qui est assis ici.

La sénatrice Beyak: Je sais, mais il est également très ouvert d’esprit.

M. Miller: Je pense que le rapport de la Commission de vérité et réconciliation parle du personnel des pensionnats et mentionne certaines bonnes choses à leur sujet. J’ai essayé de signaler qu’il y a eu des résultats positifs pour certaines personnes. Ma recherche m’a mené à la même conclusion, à savoir qu’une très petite minorité a connu une bonne expérience.

J’ai toutefois constaté que l’expérience vécue par la très grande majorité des gens est beaucoup plus ambivalente. Il y a eu des aspects positifs, comme la pratique de sports — et le rapport de la Commission l’indique très clairement — et toutes sortes d’autres choses semblables, mais beaucoup plus d’aspects difficiles, comme la carence affective; les mauvais soins; une instruction inadéquate; le surmenage; un prosélytisme abusif et hostile de la part des missionnaires; et ainsi de suite. C’est ce que j’ai constaté. J’espère que vous ne m’en voudrez pas si je m’en tire ainsi et que je n’en dis pas davantage.

La sénatrice Beyak: Merci beaucoup.

Le sénateur Sinclair: Dans une lettre d’opinion écrite au printemps 2016, l’ancien commissaire aux traités du Manitoba, Jamie Wilson, parle de l’expérience qu’il a vécue en parlant aux élèves quelque part dans la province. Dans sa lettre, il dit que lorsqu’on regarde l’incidence de la Loi sur les Indiens sur les Premières Nations du Canada, force est d’admettre qu’elle a eu des conséquences négatives. Il dit néanmoins qu’il y a de bons exemples de personnes qui ont réussi à avoir du succès dans des domaines où ils ont les mêmes droits, à savoir le droit d’éduquer leurs enfants sans ingérence extérieure, le droit à leur propre culture et le droit de la protéger contre l’ingérence extérieure, le droit de pratiquer leur religion sans ingérence extérieure, le droit d’être libre d’avoir différentes formes d’autonomie gouvernementale sans subir une ingérence extérieure et le droit de gérer leurs propres économies. Le commissaire mentionne expressément les colonies huttérites et dit qu’elles sont un exemple de ce que les réserves indiennes auraient pu être si le gouvernement n’avait pas adopté la Loi sur les Indiens. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Miller: Oui, j’ai beaucoup à dire, mais je tâcherai d’être bref.

Je pense que c’est une des tragédies de l’histoire du Canada qu’au moment même où le Canada concluait des traités à la suite de cérémonies autochtones — comme le Traité n6, le traité du fort Pitt et celui du fort Carlton —, le pays adoptait en 1876 la Loi sur les Indiens. C’est tragique parce que les traités — du moins selon la façon qu’ils étaient préparés, voire la façon dont ils étaient mis en œuvre — incarnaient l’idée des liens de parenté que j’ai essayé de décrire très brièvement. En revanche, la Loi sur les Indiens a évidemment établi une relation complètement différente entre le gouvernement et les Premières Nations, une relation qui ne reposait pas sur des membres d’une famille qui s’aident et se soutiennent entre eux, mais plutôt sur un parent, ou un curateur, et un enfant, ou un pupille — c’est une relation totalement différente. Cette approche a anéanti ce qui aurait pu être, je crois, une relation beaucoup plus positive. Si nous nous en étions tenus à l’approche négociée dans les traités numérotés, notamment les traités numérotés du Sud, je pense que notre pays serait bien différent aujourd’hui, mais ce n’est pas ce que nous avons fait.

Le sénateur Sinclair: C’est la grande question: pour aller de l’avant, quels aspects fondamentaux d’une nouvelle relation le comité devrait-il prendre en considération selon vous? Quels sont les éléments clés que le comité devrait étudier pour déterminer comment sortir de la situation actuelle et parvenir à la situation promise par le premier ministre dans ses différents discours?

M. Miller: Je pense que je vais citer encore une fois le rapport final de la commission et parler du besoin de rétablir une relation axée sur le respect et le soutien mutuels. Je crois que c’est le fondement nécessaire pour ajouter les autres instruments, comme l’éducation, tant les programmes scolaires que publics; pour corriger la situation en réglant l’accumulation de problèmes du mieux que nous le pouvons, et le plus rapidement possible; et pour promouvoir la réconciliation et de meilleures relations.

Le sénateur Patterson: Je sais que vous n’aviez que peu de temps pour faire votre déclaration, mais j’ai été étonné de ne pas vous entendre parler de la Commission royale sur les peuples autochtones. Je sais qu’elle a été créée à une autre époque, après la crise d’Oka, et que la tension montait à cause de certains dossiers très difficiles des années 1990, mais la CRPA était une tentative de restructuration des relations entre les peuples autochtones et non autochtones au Canada. C’était sa principale mission, et son rapport final proposait une feuille de route pour apporter des changements fondamentaux au cours des 20 années suivantes. Il comportait environ 450 recommandations. Selon l’APN, 20 ans plus tard, il n’y a peut-être qu’une seule recommandation à laquelle on a donné suite.

Pouvez-vous juste revenir sur l’expérience de la CRPA? Je sais que c’est une excellente source de données sur l’histoire, d’information et de résultats de recherche, mais ce rapport ne semblait pas recommander de changements, et la CRPA étudiait la même question à laquelle nous nous attaquons maintenant de front, à savoir la restructuration de la relation. Pouvez-vous parler de l’expérience de la CRPA et peut-être nous dire pourquoi elle n’a pas aidé à promouvoir le changement?

M. Miller: J’ai consacré un chapitre à la CRPA dans un livre sur la réconciliation qui sera publié en septembre. C’est donc une question à laquelle j’ai pas mal réfléchi.

Je suis d’accord avec vous: la CRPA a fourni beaucoup de données très utiles, et les audiences communautaires se sont révélées très utiles pour sensibiliser le public. Cependant, le problème du rapport, c’est qu’il était inapproprié pour l’époque et irréaliste. Comme l’a dit le sous-ministre des Affaires indiennes, Harry Swain, la CRPA était morte à l’arrivée. Ce qu’il entend et ce que j’entends par là, c’est qu’elle demandait des choses comme la création de taille d’un nouveau système de gouvernance, une troisième chambre au Parlement, au moment même où la plupart des démocraties occidentales étaient résolument engagées dans la direction opposée et essayaient de réduire le rôle du gouvernement où elles le pouvaient. Je parle du milieu des années 1990, par exemple.

De façon similaire, les recommandations de la CRPA, même si elles étaient intéressantes, préconisaient une augmentation énorme et immédiate des dépenses, encore une fois à un moment où le pays admettait enfin qu’il avait un déficit insoutenable et une dette qui augmentait rapidement. Vous vous rappelez peut-être que c’est peu de temps après que le gouvernement Chrétien, alors que Paul Martin était ministre des Finances, s’est attaqué au problème en déposant un budget très rigoureux en 1996-1997.

Il y avait donc beaucoup de bons côtés à la CRPA, mais je pense que l’essentiel de ses recommandations ne convenait pas à l’époque ni aux circonstances et qu’il était donc improbable ou impossible qu’on y donne suite.

Le sénateur Patterson: Merci.

La présidente: Le sénateur Watt sera le dernier intervenant, mais avant d’entendre sa question, j’ai une brève question complémentaire à propos de la CRPA. C’était en 1996, la même année où le gouvernement a instauré le plafonnement à 2 p. 100, qui, selon le comité et moi, a eu de graves répercussions sur le bien-être financier des différentes Premières Nations du Canada. Lorsque le gouvernement a levé le plafond, les provinces ont reçu un supplément, mais jamais les Premières Nations. À votre avis, pensez-vous que cela a contribué à certaines des difficultés financières auxquelles font face les différentes bandes des Premières Nations?

M. Miller: Oui, cela a été une importante circonstance aggravante pour les Premières Nations. Si je peux me permettre une proposition, si le comité le souhaite, vous pourriez tirer parti de la comparution de Scott Serson, qui était sous-ministre à l’époque. Je l’ai interviewé pour mon projet. Il croyait que, dans le cas de son ministère, le plafond allait durer deux ans et être levé ensuite, mais ses collègues l’ont trahi.

La présidente: Merci. Nous avons entendu M. Serson il y a quelques années, et je crois qu’il a beaucoup apporté au comité. Merci.

M. Miller: La combinaison du plafond et de la croissance rapide du taux de natalité parmi les Autochtones fait en sorte que l’écart entre les ressources et les programmes s’accentue énormément.

Le sénateur Watt: Merci de votre présentation. Je suppose qu’une des questions que j’aimerais aborder renvoie en partie à ma propre expérience auprès du gouvernement dans le cadre de négociations, notamment la négociation des droits constitutionnels des Autochtones.

Il m’arrive parfois de me dire que nous devons nous rendre compte qu’il existe au sein du système une sorte d’obstacle que nous rencontrons de temps à autre. J’ignore si je m’exprime clairement en parlant d’« obstacles ». Je parle d’obstacles dans les négociations proprement dites et après les négociations, au moment de mettre en œuvre ce qu’on pense avoir conclu dans le cadre d’une entente, d’un traité.

J’aimerais vous poser des questions qui portent davantage sur des aspects administratifs, qui peuvent néanmoins influencer les politiciens, les ministres et ceux qui siègent à la Chambre des communes et qui doivent voter de temps à autre. À vrai dire, je parle de deux ministères au sein du système: le ministère des Affaires indiennes et le ministère de la Justice. Leurs pouvoirs sont très bien enracinés. Ils savent ce qu’ils font. Ils savent ce qu’ils suivent, à savoir la politique fixée et adoptée par le système pour donner la marche à suivre, une politique qui doit être suivie que les gens le veuillent ou non.

Que peut-on faire avec un ministère, par exemple les Affaires indiennes, qui a tendance à l’occasion d’influencer les politiciens et de les faire revenir sur des décisions qu’ils ont déjà approuvées? Que peut-on faire? J’aimerais que vous me répondiez en disant ce qui peut être fait. Que pouvons-nous faire pour éliminer cet obstacle, non seulement au ministère des Affaires indiennes, comme je l’ai mentionné, mais aussi au ministère de la Justice? Je vais m’en tenir à cela pour l’instant. J’aurai peut-être l’occasion de poser une question complémentaire par la suite.

M. Miller: Je discutais avec un homme sage des suites des excuses présentées par le premier ministre en 2008 et des raisons pour lesquelles les choses avaient quand même déraillé, et il m’a dit que le message ne s’était pas rendu jusqu’à la bureaucratie. C’était l’explication. Je pense que c’est en effet le problème avec ces excuses.

Je crois que nous pouvons tirer de cela la conclusion que pour changer la bureaucratie — et vous avez très bien expliqué la résistance causée par les intérêts qui se sont accumulés —, il faut que la personne au sommet insiste beaucoup sur la nécessité de le faire et qu’elle le répète. Je crois que c’est la seule manière — que le message passe du premier ministre au groupe de sous-ministres, puis à leurs divers employés. Je crois que c’est la seule manière de faire passer le message du sommet jusqu’aux membres de la fonction publique.

Le sénateur Watt: Estimez-vous que les leaders des peuples autochtones, comme l’Assemblée des Premières Nations et l’Inuit Tapirisat du Canada, devraient convenir d’une entente, d’une structure, avant que les négociations aient effectivement lieu, si la réconciliation doit se faire en parallèle avec l’établissement d’une nouvelle entente? Je parle d’entente, pour le moment, parce que nous n’en sommes pas encore là dans nos relations.

Pour que le premier ministre et l’exécutif soient tenus de respecter l’entente — qu’ils soient obligés d’agir en conséquence —, devons-nous amener les citoyens canadiens en général à comprendre que nous, en tant qu’Autochtones dans ce pays, éprouvons de grandes difficultés et avons besoin de l’attention du grand public canadien?

Comment devons-nous faire? Comment pouvons-nous faire monter la pression sur le premier ministre, avec l’exécutif, afin de faire tomber les obstacles, comme Affaires autochtones et du Nord et Justice, et d’aller de l’avant? Serait-il préférable de demander un référendum national bien organisé et d’établir une cible pour que le grand public canadien puisse suivre et exercer des pressions de temps en temps au besoin? Pouvez-vous répondre à cela?

M. Miller: Je crois que nous revenons à l’éducation. Je suis tout à fait d’accord avec vous; pour obtenir que le politique agisse et que la bureaucratie suive, il faut le soutien du grand public. Pour obtenir ce soutien, il faut éduquer le public sur la situation réelle, en gros. Je ne vois vraiment pas d’autre façon d’y arriver.

J’hésiterais à essayer de dire aux dirigeants des Premières Nations, des Inuits et des Métis comment mener leurs activités. Ils me semblent plutôt efficaces sans aide.

Le sénateur Watt: Pour que notre comité réussisse à préciser ce qui doit être réglé, la route sera longue et nous devrons agir très différemment de notre façon de faire à ce jour. Si nous ne saisissons pas l’occasion qui s’offre à nous aujourd’hui, je me demande quand une telle occasion se présentera à nouveau. Il y a des problèmes. Nous nous plaignons de l’immobilisme et de la lenteur du premier ministre. J’ai entendu des gens de l’extérieur dire, à l’occasion, qu’il est peut-être trop jeune, qu’il ne comprend peut-être pas complètement ce qui doit se produire et qu’il s’occupe plutôt du glaçage sur le gâteau que du gâteau lui-même.

J’ai personnellement été nommé par son père, et je l’ai toujours soutenu. J’appuie le premier ministre, et je veux m’assurer qu’il a la possibilité de faire progresser les choses. Si nous ne contribuons pas à faire avancer les choses dans la bonne direction, je pense que nous allons encore une fois rater le bateau. Je m’inquiète du temps. Je sais que cela ne relève pas vraiment de vos compétences, mais je souligne quand même que des obstacles se dressent.

Je veux revenir à la question du ministère des Affaires autochtones et du Nord. Vous avez dit que la réponse se trouve dans l’éducation. Est-ce que cela signifie que le ministère des Affaires autochtones et du Nord, qui applique la Loi sur les Indiens, devrait continuer? Faudrait-il plutôt le suspendre et le mettre de côté pendant le déroulement des négociations de sorte qu’il n’intervienne pas? Serait-ce une solution?

M. Miller: Le dernier premier ministre qui a voulu abolir le ministère des Affaires autochtones et du Nord a dû reculer en moins d’un an. Vous vous souviendrez peut-être du Livre blanc.

Le sénateur Watt: Serait-il préférable que le comité envisage son élimination dès maintenant? C’est tout ce que les Premières Nations ont, même si nous n’approuvons pas cela. Le comité pourrait suggérer sa suspension pendant un certain temps, avec peut-être un échéancier, pour entamer les négociations et les conclure? Si nous n’allons pas dans cette direction, nous allons continuer comme maintenant. Il faut que l’approche que nous adoptons comporte un genre de disposition de temporisation. Sinon, cela pourrait continuer sans fin.

M. Miller: J’encouragerais respectueusement le comité à discuter de ce genre de mesures avec les dirigeants politiques des Premières Nations et à en venir à une entente.

Le sénateur Watt: Merci.

La sénatrice Raine: Cette séance aura été très intéressante. Nous avons abordé beaucoup de choses, mais vous avez mentionné dans votre déclaration qu’à la suite de l’adoption de la Loi sur les Indiens, les efforts déployés ont poussé les Premières Nations à se gouverner elles-mêmes au moyen d’institutions électives.

La question de la gouvernance au sein des Premières Nations a plusieurs fois été soulevée devant le comité. Nous savons que la gouvernance est très importante, mais que de nombreuses Premières Nations ont des façons traditionnelles de se gouverner. Nous sommes nombreux, au comité, à penser que la nécessité de contrôler leur façon de se gouverner devrait être laissée aux Premières Nations individuelles et qu’il devrait exister un mécanisme leur permettant d’opter pour l’autonomie gouvernementale et de se soustraire à la Loi sur les Indiens.

L’ancien sénateur Len Marchand m’a un peu servi de mentor et m’a appris un peu l’histoire des Premières Nations. Il disait que la Loi sur les Indiens était à la fois une forteresse et une prison. Si vous êtes prêts à en sortir et à vous débrouiller, c’est une prison. Vous ne pouvez pas en sortir. D’un autre côté, pour de nombreuses Premières Nations qui ne sont pas prêtes, la loi vous protège et vous offre de la sécurité.

Nous ne pouvons pas changer du jour au lendemain. Dans le cadre de vos études, vous êtes-vous penché sur la capacité des Premières Nations de se soustraire à la Loi sur les Indiens et de choisir l’autonomie gouvernementale? Un de nos anciens collègues, le sénateur St. Germain, a déposé le projet de loi S-212 juste avant de prendre sa retraite. Malheureusement, cela n’a pas beaucoup retenu l’attention. Je me demande si vous avez eu l’occasion de regarder cela ou si vous avez des idées sur les façons de faire tomber les murs de la prison qu’est la Loi sur les Indiens.

M. Miller: Je ne connais pas ce projet de loi en particulier, madame, mais j’ai fait un peu de travail sur la question de la gouvernance pour un autre livre que j’ai publié et qui s’intitule Lethal Legacy. J’y ai inclus un chapitre portant spécialement sur la gouvernance. Pour ce projet, j’ai interrogé les dirigeants de la Première Nation de Sechelt, en Colombie-Britannique. Bien sûr, ils étaient uniques en ce sens qu’ils avaient négocié leur propre entente visant leur autonomie gouvernementale, et ce, en 1986 si je ne me trompe pas. Ils ont négocié leur sortie de la Loi sur les Indiens. Il y a aussi l’Accord-cadre définitif entre le Yukon et les Premières Nations, car il comporte des dispositions visant l’autonomie gouvernementale. Le Nunavut, bien sûr, représente un cas spécial, tout comme la nation Nisga'a.

Depuis 1995, il y a au fédéral une politique et un programme d’autonomie gouvernementale. Il existe déjà divers mécanismes, et je pense que si les Premières Nations veulent se prévaloir de certains de ces mécanismes, c’est possible.

Est-ce qu’ils pourraient être mieux? Je suis sûr que oui. Je n’ai cependant pas les compétences nécessaires pour vous suggérer des façons de les améliorer. Je crois que les personnes avec lesquelles vous allez parler pendant vos délibérations vont probablement vous donner des idées à ce sujet.

La sénatrice Raine: Merci.

La sénatrice Beyak: La question du sénateur Watt en a suscité une autre, pour moi. Il a mentionné que le gouvernement essaie de faire d’importants changements, et vous avez dit que la seule fois où le gouvernement a essayé, c’est à l’époque du Livre blanc — et voyez ce que cela a donné. Vous avez mentionné qu’à l’échelle du Canada, on a unanimement rejeté le Livre blanc; cependant, aucun des Autochtones de la base avec lesquels je travaille et vis n’a eu quelque écho que ce soit de cela. Ils estimaient que leurs chefs de bande, leurs conseils ou les groupes qui étaient censés les représenter ne leur avaient rien dit des détails de cela.

Je me demande ce que vous pensez de la tenue de discussions individuelles à l’échelle du Canada. Comment pouvons-nous joindre les Autochtones de la base sans devoir parler aux groupes qui sont censés les représenter? Parce qu’ils n’estiment pas que ces groupes les représentent.

M. Miller: Je n’ai jamais pensé à cela, sénatrice. Je suppose que vous pouvez faire des annonces, pas simplement dans des publications, mais peut-être dans les médias électroniques des Premières Nations et des autres peuples autochtones. Dites aux gens que vous êtes là pour discuter avec eux s’ils le souhaitent.

Dans mon travail, je me suis toujours concentré sur les leaders, car il y a là des institutions que vous pouvez analyser et qui produisent du matériel que vous pouvez également analyser. Je ne suis pas vraiment un spécialiste de l’aspect particulier dont vous parlez.

La sénatrice Beyak: Merci.

La présidente: J’ai une question complémentaire à cela. Je ne crois pas que nous ayons encore parlé, ce matin, de faire participer les jeunes leaders. Bien entendu, comme vous le savez probablement, monsieur Miller, en Saskatchewan, le mouvement Idle No More a été lancé par quatre femmes originaires de la Saskatchewan, ou travaillant en Saskatchewan, et je crois que cela représente un profond changement dans la façon dont les groupes communautaires des Premières Nations interviennent, et c’est principalement dans une certaine mesure par l’éducation.

Nous constatons maintenant ce que j’appelais le baby-boom brun. Nous voyons maintenant un groupe éduqué de jeunes qui comprennent ce que signifie être un citoyen des Premières Nations, mais qui ont aussi les outils pour s’éduquer dans les systèmes d’enseignement courants, et Idle No More semble avoir de solides racines dans les collectivités. Considérez-vous que ce groupe est un élément important et fondamental dont il faut tenir compte dans notre nouvelle étude afin de déterminer de quoi la nouvelle relation devrait avoir l’air?

M. Miller: Oui, je pense que le mouvement Idle No More a changé les règles du jeu — il se situait hors de la sphère politique, pour revenir à ce que la sénatrice Beyak disait —, avec quatre femmes remarquables de Saskatoon, dont une était doctorante à l’Université de la Saskatchewan, par exemple.

L’autre chose, concernant Idle No More — et le comité devrait peut-être lui-même utiliser cela —, c’est bien entendu la façon dont le mouvement a utilisé les nouveaux médias sociaux pour communiquer, s’organiser et réunir des groupes chargés de faire certaines choses.

À cela s’ajoute un autre élément qu’on ne mentionne pas souvent, mais qui est, d’après moi, aussi important, et c’est que malgré leur tact à ce sujet, l’existence même du mouvement et, souvent, ses actions, représentaient une critique implicite du leadership politique des organisations des Premières Nations.

La présidente: Merci.

Le sénateur Sinclair: Nous avons beaucoup parlé des Premières Nations, monsieur. Pourriez-vous dire au comité les aspects uniques de la relation que le gouvernement du Canada entretient avec les Métis, et avec les Inuits, dont il faut tenir compte quand nous parlons d’une nouvelle relation avec les peuples autochtones qui sont peut-être différents des Premières Nations et avec lesquels la relation serait différente de celle que le gouvernement entretient avec les Premières Nations?

M. Miller: Avec les Métis, sénateur, la chose la plus importante est l’absence de territoire, et c’est un problème que vivent les Métis depuis près de 150 ans maintenant. Je pense que c’est leur plus gros problème, et il va falloir que le Canada s’occupe de cela un jour ou l’autre.

Je ne suis pas aussi à l’aise de parler des Inuits, mais je ferais une observation, et c’est que les Inuits se sont toujours comportés politiquement — et ils le disaient eux-mêmes dans les années 1980 — comme s’ils voulaient faire partie du Canada. Ils ont toujours souligné l’aspect le plus positif de cela. C’est une chose sur laquelle les gouvernements peuvent miser pour traiter de manière productive avec les Inuits et leurs dirigeants.

Le sénateur Sinclair: Merci.

La sénatrice Pate: J’ai trouvé votre commentaire au sujet de la Commission royale sur les peuples autochtones — la CRPA — intéressant, et j’aimerais revenir un peu là-dessus — en décidant de ne pas mettre en œuvre de très nombreuses recommandations et d’utiliser l’argument économique, on a vraiment négligé les répercussions de ne pas s’attaquer à ces problèmes qui font, encore, l’objet d’autres rapports de justice, et en particulier de la Commission de vérité et de réconciliation.

Dans votre étude de cela, avez-vous regardé les coûts accessoires et la façon dont il ne semble pas y avoir eu d’évaluation comparable des coûts associés, par exemple, à la criminalisation et à l’incarcération disproportionnées des Autochtones dans ce pays? En particulier, avez-vous étudié le fait que les femmes composent la population carcérale qui croît le plus rapidement, ce qui n’est pas un indicateur de leur criminalité en soi, mais plutôt de leur marginalisation?

Un grand nombre des recommandations qui ont initialement émergé de la CRPA et qui ont été répétées dans le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation ont en réalité des incidences financières énormes qui semblent se perdre dans les discussions et ne pas être abordées en priorité. Le directeur parlementaire du budget a évalué à 7 millions de dollars le coût de la sentence d’une femme accusée initialement d’une infraction très mineure, mais pour laquelle les choses ont dégénéré dans le milieu carcéral. Si nous investissions non seulement dans sa collectivité, pour l’aider, elle, mais aussi bien d’autres, les résultats seraient très différents. Je ne sais pas si on a réalisé cette analyse concernant la CRPA en particulier.

M. Miller: Je ne le sais pas non plus. Je pense que c’est une question très intéressante, mais ce n’est pas un domaine pour lequel j’ai de l’expertise.

Cependant, je ferais preuve d’un peu de prudence avant de présumer que la mise en œuvre des recommandations de la CRPA aurait suscité d’énormes changements ou la résolution de tous les problèmes. Je pense à la recommandation sur les pensionnats, par exemple. Ils ont recommandé une commission d’enquête, en gros — pas la conclusion la plus inspirante. J’ai pensé cela en 1996, et j’ai eu cette pensée souvent depuis.

La sénatrice Raine: J’aime vraiment profiter des témoins quand ils sont ici. Nous étudions en ce moment le projet de loi S-3 sur l’égalité entre les sexes dans les Premières Nations. D’un point de vue historique, pouvez-vous nous faire bénéficier de votre expérience concernant la façon dont les iniquités fondées sur le sexe auraient pu émerger dans le sillage de la Loi sur les Indiens, et nous dire si c’était intentionnel et si des efforts ont été déployés pour redresser la situation?

Bien entendu, vous savez peut-être que la Cour du Québec a donné au gouvernement une période supplémentaire de cinq mois, je pense, pour présenter une meilleure loi.

J’aimerais vos commentaires, si vous le voulez bien.

M. Miller: J’ai intérêt à bien répondre à cette question, car ma femme est une spécialiste des études des femmes et des sexes.

Les iniquités fondées sur le sexe ont en fait été incluses dans les lois avant la Loi sur les Indiens, qui remonte à 1876. La discrimination fondée sur le sexe découlant de l’exclusion par mariage — c’est l’expression — a été établie par une loi adoptée en 1869, l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages. C’était la première fois qu’une loi précisait que si un « Sauvage » épousait une non-Indienne — c’est ainsi dans la loi —, cette femme devenait une « Sauvage ». À l’inverse, si une « Sauvage » se mariait à un non-Indien, elle perdait son statut pour toujours, de même que leurs descendants.

On a cherché à réformer cela, avec le projet de loi C-31, et les choses ont été partiellement corrigées. Un bon nombre de personnes ont ainsi pu recouvrer leur statut. Cependant, il y a maintenant des conséquences imprévues à certains des détails du projet de loi C-31, et c’est la règle « mère grand-mère », selon laquelle il fallait que les générations successives se marient à des Indiens inscrits, sans quoi le statut allait être perdu. J’ai vu des projections démographiques qui donnent des frissons: d’ici 2070, les Indiens inscrits auront disparu, à la manière dont les choses vont. C’est donc de là que c’est venu, c’est là où nous en sommes, et c’est la vision cauchemardesque de l’avenir possible.

La sénatrice Raine: Merci.

La présidente: Merci, monsieur Miller. Je pense que notre temps est écoulé. Je vous remercie au nom des membres du comité pour votre exposé de ce matin. C’était un excellent aperçu, et vous avez répondu à toutes les questions, de A à Z, concernant l’histoire des Autochtones au Canada. À la fin de la séance, nous devrions vous décerner un doctorat en lettres pour votre travail de témoin devant notre comité. Merci beaucoup. C’est la fin de la séance.

M. Miller: Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de parler avec vous. Je vous souhaite la meilleure des chances pour ce sujet des plus importants. Nous avons tous besoin que vous réussissiez haut la main.

La présidente: Merci.

Je rappelle aux membres du comité qu’il n’y aura pas de réunion demain soir.

(La séance est levée.)

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