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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 19 mars 2019

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous poursuivons aujourd’hui l’étude du projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, ou la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers.

Avant de poursuivre, comme nos travaux sont diffusés sur Internet et sont filmés, j’invite les sénateurs à se présenter, puis je vais présenter les témoins.

La sénatrice Jaffer : Je m’appelle Mobina Jaffer. Je suis de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je m’appelle Julie Miville-Dechêne, du Québec.

La sénatrice Gagné : Bonjour. Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bonjour, René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Bonjour. Je m’appelle Paula Simons, et je suis du territoire du Traité no 6, en Alberta.

La sénatrice Dasko : Je m’appelle Donna Dasko, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je m’appelle David Tkachuck, et je suis de la Saskatchewan. Je signale aux témoins que nous avons tous des petits cartons avec nos noms. Vous n’avez donc pas besoin de tous les retenir.

Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes ravis d’accueillir au comité Jason Aslop, président du Council of the Haida Nation, et Marilyn Slett, chef Káwázil du Heiltsuk Tribal Council. Merci de participer à nos travaux. Nous entendrons dans l’ordre l’exposé de M. Aslop, puis celui de Mme Slett.

Jason Alsop, président, Council of the Haida Nation : Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis heureux d’être là aujourd’hui. Je m’appelle Gaagwiis, Jason Alsop. Je suis président et porte-parole officiel de la nation haïda et je siège également au conseil d’administration des Premières Nations de la côte.

Les Premières Nations de la côte sont une alliance de nations qui incluent les Wuikinuxv, les Heiltsuk, les Kitasool/Xaixais, les Nuxalk, les Gitga’at, la bande de Metlakatla, la bande de Old Massett, la bande de Skidegate et le Council of the Haida Nation, soit environ 10 000 membres, ce qui représente la moitié de la population de la côte centrale et de la côte nord, et Haida Gwaii.

Depuis au moins 14 000 ans, les trésors écologiques de la forêt pluviale Great Bear et de Haida Gwaii ont permis de subvenir aux besoins de cultures florissantes. Ensemble, les chefs héréditaires et les dirigeants politiques des Premières Nations de la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique appuient la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers. L’un de nos chefs héréditaires est ici aujourd’hui avec nous dans l’édifice.

Nos territoires collectifs se situent sur la côte du Pacifique du Canada et ils représentent le quart des forêts pluviales tempérées côtières qui restent dans le monde et 40 p. 100 des eaux côtières du Pacifique du Canada.

Bon nombre des espèces marines qui vivent sur le territoire ou qui y transitent sont considérées comme des espèces menacées ou en voie de disparition en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada, et il y a aussi plusieurs autres espèces dont l’inscription à la liste est proposée. Ces espèces en péril incluent les sept espèces de saumons, la baleine bleue, l’épaulard résident du nord, des oiseaux de mer, comme le guillemot à cou blanc, de nombreuses espèces de scorpènes et l’ormeau nordique. Seulement à Haida Gwaii, il y a 1 068 populations de saumons génétiquement distinctes et environ 50 espèces d’oiseaux de mer associés à Haida Gwaii. Chaque année, plus d’un million d’oiseaux de mer se rassemblent à Haida Gwaii pour s’accoupler, tandis que d’autres visitent l’archipel qui est considéré comme une halte importante et une aire d’alimentation.

Pour contribuer à protéger ces espèces et nos territoires, nous avons négocié des ententes de collaboration intergouvernementales avec les gouvernements fédéral et provincial pour élaborer et mettre en œuvre plusieurs plans d’utilisation des zones marines. Le respect de ces ententes donne au gouvernement fédéral une occasion unique et exceptionnelle de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

La nation haïda et les Premières Nations de la côte conviennent que le Canada a fait un pas important dans la bonne direction pour la réconciliation avec les Premières Nations en proposant cette mesure législative. Des menaces sans précédent guettent les océans du monde entier : l’acidification des océans en raison des changements climatiques, le plastique dans la mer, les déchets et la détérioration de l’état des coraux et des récifs. Néanmoins, nous demeurons optimistes. La Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers permettra d’aider le Canada à respecter son engagement de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de protéger davantage les zones marines.

Selon nous, une économie durable permet un équilibre entre la conservation de la culture, le développement économique et la protection de l’environnement, tout en reconnaissant les liens entre le territoire, la mer et les peuples. Notre objectif est de créer des occasions à long terme pour les membres de nos communautés et les générations futures pour qu’ils puissent gagner leur vie de façon respectueuse du territoire et des êtres vivants avec lesquels nous le partageons. Un déversement d’hydrocarbures nuirait à ces efforts, et cela mettrait en péril le gagne-pain de nos membres.

Nous estimons que le rétablissement de pêches durables permettra de créer 1 000 nouveaux emplois, de générer des profits de 12 millions de dollars par année et de procurer des revenus de 30 millions de dollars à nos nations et à nos partenaires.

Nous appuyons fortement le projet de loi C-48. Nous savons pour l’avoir vécu que le caractère éloigné de la région, les systèmes météorologiques imprévisibles et les dangers pour la navigation signifient que le risque que représente un déversement catastrophique d’hydrocarbures est tout simplement trop grand.

Au sein de la nation haïda, nous respectons la constitution de notre nation qui établit les rôles des élus qui siègent au Council of the Haida Nation, dont je suis président, aux conseils de bande et au conseil des chefs héréditaires. À titre de nation, nous décidons de notre orientation politique par consensus lors d’une assemblée annuelle, et nous devons agir conformément à notre constitution et à l’accord haïda et rendre des comptes. Collectivement, la nation haïda détient le titre haïda et des titres et des droits ancestraux sur notre territoire qui comprend l’ensemble de l’espace aérien au-dessus de l’archipel de Haida Gwaii et les eaux environnantes, y compris l’entrée Dixon, la moitié du détroit d’Hécate et le bassin de la Reine-Charlotte jusqu’à mi-chemin en direction de l’île de Vancouver et au-delà de la limite de 200 milles nautiques à l’ouest.

Haida Gwaii mesure 250 kilomètres de long et 90 kilomètres de large au nord, et sa largeur diminue pour former une pointe au sud. Si vous preniez tout le littoral de ces îles et de ces baies et que vous les mettiez bout à bout, cela formerait une ligne droite de 4 700 kilomètres. C’est plus que la distance qui sépare Haida Gwaii sur la côte ouest de l’Île-du-Prince-Édouard que sur la côte est. Pouvez-vous vous imaginer devoir nettoyer un déversement d’hydrocarbures sur une telle distance?

Depuis quelques années, l’augmentation des températures de l’eau de surface a entraîné un nombre plus élevé de vents de la force d’un ouragan qui peuvent provoquer des vagues de 60 à 100 pieds de hauteur. Si nous ajoutons à cela les marées de 24 pieds que nous connaissons, les chenaux étroits, la taille des grands transporteurs de brut, les défis pour la navigation et l’erreur humaine, c’est la catastrophe assurée. Les très grands transporteurs de brut ont besoin de 80 à 100 pieds d’eau pour naviguer. Lorsqu’ils doivent composer avec des vents de la force d’un ouragan, les grands pétroliers deviennent comme des voiles, et les navires ont donc de la difficulté à maintenir leur cap dans les chenaux étroits et ils risquent de se fracasser sur les rochers.

Nous exhortons le comité à adopter le projet de loi. Il s’agirait là d’un pas vers la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et d’une façon de respecter le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause de la nation haïda concernant la navigation dans ses eaux.

Autrement, cela mettrait en péril la nation haïda et notre identité à titre de nation distincte sur le plan culturel, c’est-à-dire une nation qui est née de l’océan et qui compte sur l’océan pour la nourriture, le transport et la spiritualité depuis son arrivée à Haida Gwaii. Ces liens avec le territoire ont contribué à l’élaboration de technologies de pointe pour la construction de maisons et de canots et de technologies maritimes ainsi qu’à l’essor de l’une des formes d’art les plus complexes et les plus largement reconnues dans le monde. L’art haïda est une expression de notre histoire et de nos liens avec Haida Gwaii, et cet art est venu à être reconnu à l’échelle internationale comme un symbole du Canada.

La nation haïda appuie fermement l’officialisation du moratoire relatif aux pétroliers transportant du brut dans la région par l’entremise du projet de loi C-48. Pour la nation haïda, la priorité est la prévention. Au cours des dernières années, plusieurs grands cargos sont passés dangereusement près de s’échouer et de provoquer un important déversement dans les eaux territoriales de la nation haïda, notamment le Simushir en 2014, le MV North Star en 2015 et le MOL Prestige en 2018. Ces incidents et de récentes études montrent que des navires circulent trop près de Haida Gwaii et que les remorqueurs de sauvetage se trouvent trop loin pour intervenir efficacement en cas d’urgence maritime.

De récents incidents, par exemple, avec le Solomon Trader dans la baie de Kangava, qui est un site du patrimoine mondial de l’UNESCO, et le déversement d’hydrocarbures de la plateforme SeaRose de Husky Energy nous ont montré que les avancées technologiques demeurent insuffisantes pour prévenir le déversement d’hydrocarbures. Nous savons que les plans d’intervention actuels permettent seulement de récupérer une fraction des hydrocarbures déversés dans les milieux côtiers et une quantité infime en haute mer.

Si nous examinons l’enquête de 1978 sur la création d’un port pétrolier sur la côte Ouest et les audiences de la commission d’examen conjoint du projet Enbridge Northern Gateway et que nous ajoutons à cela les gens qui se manifestent aujourd’hui, le message est très clair; c’est que les peuples autochtones et les Canadiens qui habitent sur la côte nord et la côte centrale et à Haida Gwaii en Colombie-Britannique s’opposent à la construction de pipelines et à la circulation de pétroliers le long de nos côtes et de nos territoires, indépendamment des personnes qui en tirent profit.

Pour les habitants de la région, c’est une question de vie ou de mort. Nous ne sommes pas des extrémistes. Nous sommes plutôt des opposants déterminés de tous les milieux qui sont contre la circulation de pétroliers. La région se prête mal à la circulation de superpétroliers, et le risque d’un déversement d’hydrocarbures qui mettrait en péril notre culture et notre mode de vie est trop grand.

Nous exhortons le Sénat à faire ce qui s’impose et à adopter le projet de loi C-48 pour poser un véritable geste de réconciliation qui permettra de protéger à long terme la côte du Pacifique du Canada pour le plus grand bien des peuples autochtones et de tous les Canadiens.

Merci. Haawa.

Marilyn Slett, chef Káwázil, Heiltsuk Tribal Council : Je m’appelle Káwázil Marilyn Slett. J’ai été élue conseillère en chef du Conseil tribal des Heiltsuk. Je parle ici au nom des dirigeants de la nation des Heiltsuk, ce qui comprend le Conseil tribal des Heiltsuk et les chefs héréditaires, soit les Hemas. Le Conseil tribal des Heiltsuk et les Hemas collaborent pour diriger la nation. Je suis également présidente des Premières Nations de la côte et je parlerai de la viabilité économique et des valeurs culturelles des Premières Nations de la côte centrale.

Les communautés membres des Premières Nations de la côte sont déterminées à participer à la recherche de solutions pour s’attaquer à certains problèmes mondiaux et à la création d’une économie côtière durable. Nous ne participerons pas à la destruction d’écosystèmes fragiles. Nous participerons plutôt à un mouvement qui favorise la durabilité culturelle, environnementale et économique.

Depuis des années, les communautés des Premières Nations le long de la côte nord-ouest du Pacifique restaurent et revitalisent les économies locales. Aujourd’hui, les nations côtières collaborent avec les gouvernements et l’industrie pour créer une économie axée sur la conservation, ce qui inclut les énergies renouvelables, l’écotourisme et une pêche responsable.

En janvier 2012, les nations côtières ont commandé une étude et un examen concernant l’exploitation du pétrole et du gaz extracôtiers en Colombie-Britannique. C’est l’une des études les plus exhaustives sur l’exploitation pétrolière et gazière. Selon cette étude, 44 p. 100 de la côte est composée de zones d’intérêt écologique et biologique. Les cours d’eau et les rivières abritent 20 p. 100 de la population de saumons sauvages dans le monde. Plus de 400 espèces de poissons vivent au large de la Colombie-Britannique. Nous y trouvons trois des cinq plus grandes populations de harengs de la Colombie-Britannique et 88 p. 100 des cours d’eau de frai de l’eulakane, et des centaines de bassins versants dans la région offrent un habitat de frai essentiel à environ 58 p. 100 de toutes les populations de saumons anadromes. Ce territoire abrite plus de 25 espèces de dauphins, de marsouins, de pinnipèdes et de baleines et plus de 100 espèces d’oiseaux marins. C’est le seul endroit connu au monde où il y a un vieux récif d’éponges de 9 000 ans.

Sur le plan commercial, le territoire soutient une économie diversifiée qui repose sur la pêche commerciale, l’aquaculture, l’écotourisme et le transport maritime. L’économie côtière possède un immense potentiel de croissance. D’après notre étude, les activités de notre économie de marché qui dépend de l’océan ont permis de générer des revenus de 386,5 millions de dollars par année et de procurer 7 620 emplois. Nous estimons que les avantages annuels globaux que procurent les activités qui dépendent de l’océan sur nos territoires traditionnels et qui pourraient être touchées par un déversement d’hydrocarbures peuvent atteindre jusqu’à près de 30 milliards de dollars en dollars canadiens de 2010.

À titre de Heiltsuk, nous sommes intrinsèquement liés à nos terres et à nos eaux. Nous avons survécu à une tentative d’assimilation et à une tentative de génocide culturel. Notre environnement nous procure ce dont nous avons besoin pour nourrir notre tête, notre corps et notre esprit. Notre culture et nos enseignements trouvent leur source dans notre relation avec le monde naturel et les cycles de récolte. Ces deux aspects sont indissociables. Nous dépendons de l’océan et du territoire pour les aliments que nous mangeons et les médicaments que nous utilisons pour soigner notre corps.

Les nations continuent de s’échanger des produits de la mer entre elles et d’organiser des potlatchs pour raconter nos récits de création et échanger les connaissances ayant trait à notre territoire qui nous ont été transmises par nos aînés. Notre communauté se trouve au cœur de ce qui a été appelé la forêt pluviale Great Bear. Nous sommes une île loin de toute ville. Nous dépendons des ressources marines pour nous nourrir, croître et nous garder en santé. L’océan est plus grand qu’un être humain. Lorsque nous causons du tort à l’océan, cela nous cause aussi du tort. Tout ce qui vit dans l’océan a sa raison d’être. Nous devons donc défendre les intérêts de l’océan et de tout ce qui y vit. Il en va de notre responsabilité.

Pour les Heiltsuk, un déversement d’hydrocarbures en mer n’est pas un exercice théorique et hypothétique. Les Heiltsuk ont personnellement vécu les conséquences traumatiques d’un déversement d’hydrocarbures en mer. En octobre 2016, le Nathan E. Stewart et sa barge se sont échoués et ont coulé dans le territoire des Heiltsuk. Plus de 110 000 litres de polluants ont été déversés dans l’océan. Ce déversement s’est produit près de Gale Pass, qui est une importante zone d’exploitation des Heiltsuk. Parmi les conséquences dévastatrices de ce déversement, il y a eu des effets sur l’exploitation traditionnelle des ressources, l’exploitation commerciale des coquillages des Heiltsuk et la culture des Heiltsuk, sans oublier les effets des mesures d’intervention et la communauté qui a été mise à rude épreuve. Nous avons été obligés d’enclencher des procédures judiciaires pour obtenir des dommages-intérêts et obtenir une solide évaluation des répercussions sur l’environnement.

Malgré les conséquences dévastatrices qu’a eues ce déversement pour nous, il s’agit d’un déversement relativement petit lorsque nous le comparons à la quantité que transportent les superpétroliers le long de notre côte. Pour mettre le tout en contexte, le projet de moratoire relatif aux pétroliers vise des navires ayant une capacité de 12 500 tonnes métriques, ce qui est 128 fois ce qui a été déversé par le Nathan E. Stewart; ce serait un déversement inconcevable. Si un tel déversement survenait, la nation heiltsuk serait complètement vulnérable, parce qu’aucune amélioration importante n’a été apportée au régime d’intervention en cas de déversement.

Il n’y aura aucune amélioration des délais de réponse en cas de déversement tant que nous n’aurons pas une station d’intervention située sur la côte centrale, un système de commandement des interventions logique et opérationnel afin d’assurer des protocoles de réponse réalistes pour les premiers répondants, la capacité de récupérer le pétrole, notamment le diésel, et des évaluations environnementales et des travaux d’assainissement efficaces. Le Canada et la Colombie-Britannique n’ont pas fourni de soutien véritable à la création d’un centre d’intervention autochtone marin. Un tel centre permettrait d’améliorer le temps de réponse en cas de déversement sur la côte centrale de la Colombie-Britannique et tiendrait compte des connaissances autochtones des eaux, des conditions météorologiques et des dangers qui sont propres à la région.

En tant que communautés côtières, nous entretenons un climat de respect mutuel avec l’océan. Nos aînés, qui ont également témoigné à l’enquête sur le transport pétrolier au large de la côte Ouest en 1977, ont indiqué qu’un déversement de pétrole serait l’équivalent d’un arrêt de mort.

Nous n’avons aucune intention de quitter nos terres à la recherche d’autres occasions si notre territoire était détruit par un déversement de pétrole, ce qui est fort probable si le projet de loi n’est pas adopté. Il reste encore beaucoup de pain sur la planche, et le moratoire sur les pétroliers est une excellente mesure pour améliorer le régime d’intervention en cas de déversement de pétrole dans le milieu marin.

Le moratoire sur les pétroliers constitue une politique publique bien pensée et nécessaire qui protégera les Premières Nations et les communautés et cultures côtières. Nous demandons aux sénateurs du Canada d’adopter le projet de loi C-48.

Avant de terminer, j’aimerais vous dire que la personne à côté de moi est Yáláki des Heiltsuk. C’est une chef élue et elle représente son père.

Le président : Nous aimerions voir la personne que vous nous présentez. Je vous prie de rester debout jusqu’à ce qu’elle ait terminé.

Mme Slett : Voici Yáláki.

Le président : Merci, madame Slett. Continuez.

Mme Slett : Elle représente son père qui est l’un de nos chefs héréditaires, Gaahlaay Qatuwas, et c’est également une chef élue. Merci, Meghan.

Gaagwiis fait partie de notre communauté. C’est notre stratégiste en matière de communications communautaires, et son père est lui aussi chef héréditaire. Christopher Lechkobit Carpenter est un savant autochtone en herbe et il adore interpréter les politiques pour nous. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma première question s’adresse à Mme Slett. Le 7 novembre 2017, devant le comité de la Chambre des communes, en réponse à une question d’un député sur la réglementation connexe au projet de loi, vous avez affirmé ceci :

Nous avons pris conscience de la liste des hydrocarbures persistants figurant à l’annexe, et nous croyons qu’il devrait y avoir une certaine flexibilité dans la réglementation et en ce qui concerne les consultations. Nous voulons pouvoir utiliser le processus de consultation pour approfondir ce qu’il y a dans la réglementation.

Pourriez-vous, madame Slett, nous expliquer de quelle façon vous souhaitez être consultés relativement à la liste en annexe du projet de loi, et seriez-vous ouverts à une révision ponctuelle du contenu de cette liste de substances interdites?

[Traduction]

Mme Slett : Je n’ai entendu que les quelques dernières secondes de ce que vous avez dit, mais je vais tenter de répondre à la question. Comment aimerions-nous être consultés et sur quoi devrait porter les examens périodiques de la loi?

Le sénateur Cormier : Oui.

Mme Slett : Nous serions bien sûr ouverts à participer à des processus collaboratifs continus dans lesquels nous pourrions travailler avec le gouvernement sur la mise en œuvre de la loi et contribuer à l’élaboration de la réglementation sur le transport maritime. Nous serions heureux de pouvoir nous engager en vue d’une telle collaboration, notamment pour ce qui est du règlement qui doit être pris en vertu de la loi, si le projet de loi est adopté.

Nous aimerions notamment voir des examens de certaines choses dont nous avons déjà parlé, tels que la Loi sur le pilotage, et le renforcement des rôles de l’Administration de pilotage du Pacifique. Il existe des sociétés de navigation autochtones qui pourraient prêter main-forte.

La Loi sur les pêches néglige d’accorder aux Autochtones l’autorité nécessaire en matière de prise de décision.

Quant à la Loi sur la marine marchande du Canada, nous voulons vraiment examiner certaines régions qui pourraient être désignées sensibles, comme une zone de récolte ou encore un endroit sacré pour notre nation dont l’entrée serait interdite. L’emplacement du naufrage du Nathan E. Stewart était l’un de nos principaux sites de récolte, et le naufrage a eu une incidence profonde et négative sur notre communauté. Il y a d’autres régions, d’autres zones qui sont importantes aux yeux de notre nation. Il est donc important d’examiner les corridors empruntés par les navires. Il faudrait également tenir compte de la jauge des navires et de la présence d’hydrocarbures persistants à bord.

Nous avions certaines préoccupations concernant l’évaluation environnementale parce que dans le cas de la marée noire causée par le Nathan E. Stewart, ce n’est que trois ans après le naufrage que l’on a pu s’entendre avec les parties concernées sur le cadre de l’évaluation environnementale. C’est un long laps de temps, car l’évaluation doit être effectuée immédiatement après l’impact.

Le sénateur Cormier : Dans votre mémoire, vous dites également que le gouvernement du Canada et celui de la Colombie-Britannique...

[Français]

— n’a pas appuyé la création d’un centre autochtone d’intervention maritime, pourriez-vous nous expliquer en quoi consisterait un centre autochtone d’intervention maritime, quels seraient leurs responsabilités et leur mandat, et de quelle façon s’opérerait la collaboration et la coopération avec les différents ordres d’intervenants existants?

[Traduction]

Mme Slett : Le centre d’intervention maritime autochtone a vu le jour après le naufrage du Nathan E. Stewart et est le fruit de la collaboration entre les communautés côtières. Nous sommes les premiers répondants. Ces incidents se produisent dans nos territoires traditionnels. Nous connaissons la région, les eaux, les endroits à risque et les particularités climatologiques ainsi que les marées, et nos gens sont là pour aider.

Le centre d’intervention maritime autochtone aiderait à l’établissement d’une plateforme de protection marine, et nous le faisons parce qu’il y a actuellement un besoin. Ce besoin est attribuable au fait qu’il n’y a aucune protection offerte par un centre d’intervention maritime sur la côte centrale. Ce n’est pas quelque chose que nous avons fait pour permettre la présence de plus de pétroliers; nous venons combler un besoin qui existe actuellement.

Le Nathan E. Stewart, par exemple, a échoué à 1 heure du matin. Il a commencé à sombrer à 9 h 30. Le premier vaisseau d’intervention est arrivé sur les lieux 18 heures plus tard. C’est un laps de temps beaucoup trop long, et le secours est arrivé beaucoup trop tard.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci tout d’abord pour votre témoignage, qui est très intéressant. Nous avons beaucoup lu sur la question.

J’aimerais premièrement vous demander de nous en dire davantage sur les trois quasi-accidents qui se sont produits au large des territoires haïda. Pouvez-vous nous envoyer de la documentation sur ces accidents évités de justesse? Je n’en ai jamais entendu parler. Voilà l’information qu’il me faut.

Je vais vous poser une question difficile dont nous sommes saisis, du moins, je la trouve difficile, c’est-à-dire la division entre les tribus autochtones.

Il me semble que la majorité des peuples autochtones le long de la côte sont pour le moratoire. Il y a deux tribus qui sont contre, ainsi que de nombreuses tribus de l’intérieur de la Colombie-Britannique et en Alberta, qui veulent se soustraire à la pauvreté. La réconciliation veut également dire qu’il faut s’entendre avec les tribus différentes et non seulement avec certaines. Voilà les arguments qui me préoccupent. J’aimerais avoir votre avis là-dessus.

M. Alsop : Haawa pour votre question. Nous sommes venus aujourd’hui à titre de représentants des Premières Nations côtières. J’ai indiqué que bon nombre d’entre nous collaborent déjà. La majorité des dirigeants de la côte s’entendent sur leur soutien à l’égard du moratoire. Nous avons tous nos structures de gouvernance uniques. J’ai dit que la Nation haïda travaille ensemble, que le conseil de la Nation haïda, que les chefs héréditaires et nos représentants des conseils de bande collaborent.

Une bonne partie de la confusion découle des systèmes de gouvernance différents dans chaque région. Bien franchement, une bonne partie est attribuable aux politiques d’assimilation qui ont fait leur effet au fil des ans et qui ont enlevé à notre peuple nos systèmes de gouvernance traditionnels en arrachant les gens de leur communauté et des systèmes qui étaient en place et qui permettaient la gouvernance traditionnelle. Chaque nation et groupe en est à un stade différent de sa guérison du génocide culturel et la reconstitution de nos systèmes de gouvernance. Actuellement, les nations différentes en sont à des stades différents.

Pour ce qui est de l’aspect réconciliation, à nos yeux, une grande partie consiste à redresser les torts du passé. Le respect et la reconnaissance de notre qualité de détenteurs de droits territoriaux sont très importants dans le cadre de ce processus. Nous, la Nation haïda, ne consentons pas au trafic des pétroliers qui découlerait de ces projets.

Au fur et à mesure que nous grandissons en tant que nations, nous devons trouver des façons de collaborer et de communiquer sur ces dossiers. Les nations des Haïdas et des Heiltsuks ont conclu un traité de paix et nous nous sommes réunis pour honorer les traités historiques et collaborer dans le cadre des activités qui touchent nos deux territoires.

La majorité des nations côtières sont du même avis, et je crois qu’il y a une rupture dans certains cas entre le système de conseils de bande et le système héréditaire et le peuple. Vous entendez beaucoup d’échos des dirigeants des conseils de bande, il me semble. Cela ne veut pas forcément dire que le peuple est d’accord.

La situation peut sembler compliquée, lorsqu’on arrive de l’extérieur, mais la réalité est qu’au chapitre de la réconciliation, il n’est pas toujours question de projets économiques; l’enjeu, ce sont les droits territoriaux. Si nous avons la capacité de collaborer entre gouvernements, ce qui comprend les Premières Nations, ainsi que le gouvernement fédéral et les provinces, si nous sommes en mesure de gérer nos territoires et de collaborer, nous pouvons créer des économies durables qui seront viables à long terme. Nos peuples ont surtout connu des économies cycliques, et beaucoup de dirigeants recherchent le prochain boom. Bien franchement, par rapport à ma génération, je constate que de nombreux jeunes gens aujourd’hui tentent de créer des économies durables et de mettre fin aux cycles, afin que nous puissions continuer à guérir, à grandir et à reconstruire notre gouvernance traditionnelle et à la moderniser de façon à pouvoir entretenir des liens entre gouvernements.

Mme Slett : Nous savons qu’il y a d’autres Premières Nations qui sont contre le projet de loi, mais nous sommes des Premières Nations des zones maritimes et nous vivons de l’océan. Nous sommes venus aujourd’hui vous expliquer notre perspective quant aux risques créés par les superpétroliers et les déversements de pétrole dans nos territoires traditionnels. Je sais que Jason en a parlé, mais notre bien-être est intimement lié à l’environnement. Voilà ce qui explique notre présence ici aujourd’hui.

Quant aux autres communautés qui sont contre le projet de loi, je n’oserais parler en leur nom, mais nous pouvons dire ce qui serait l’incidence sur nous d’autres projets, que ce soit des projets d’une autre communauté ou d’une industrie. Les menaces créées par les superpétroliers et les marées noires pour notre communauté sont très réelles. Voilà ce qui nous amène ici aujourd’hui.

Si le projet de loi est adopté, je pense qu’il y aurait des occasions de communiquer et de collaborer davantage au fur et à mesure que le projet de loi est mis en œuvre. Je devine que d’autres, voire toutes, les communautés seraient en mesure d’y participer.

Le président : Monsieur Alsop, vous avez dit la majorité des nations côtières. Quel en serait le pourcentage, 50 ou 60 p. 100?

M. Alsop : Je parlais au nom des Premières Nations côtières que nous représentons ici, c’est-à-dire les nations des Wuikinuxv, des Heiltsuks, des Kitasoo/Xaixais, des Nuxalk, des Gitga’at, et des Metlakatla, et celles de Old Massett et de Skidegate. Nous parlons en leur nom aujourd’hui.

Le président : Et ils sont tous pour?

M. Alsop : Nous sommes tous pour.

Le président : Donc lorsque vous dites « la majorité des nations côtières », à qui faites-vous référence?

M. Alsop : Les Premières Nations côtières, c’est-à-dire les communautés et nations dont je vous parle, représentent la majorité le long de la côte du nord et du centre. Nous parlons en leur nom aujourd’hui.

Le président : D’accord, donc ce serait 60 p. 100 des Premières Nations côtières au total, ou 70 p. 100? Lequel? Quel est le pourcentage des Premières Nations côtières que votre organisation représente?

M. Alsop : Je n’ai pas de chiffres précis. Je dirais que cela tournerait autour de 70 p. 100.

Mme Slett : Nos communautés qui sont situées sur la côte centrale et septentrionale, ainsi que dans Haida Gwaii sont les communautés principales qui occupent ce qui est appelé la forêt pluviale de Great Bear, la côte de la Colombie-Britannique dont nous parlons aujourd’hui. Nous y vivons depuis des milliers et des milliers d’années. Nous avons dit que les acteurs industriels viennent et repartent. Il existe plusieurs villes industrielles qui ont été plus ou moins abandonnées après que l’industrie a cessé ses activités et est partie. Dans le territoire des Heiltsuk, il y a Namu, Ocean Falls et d’autres villes proches de Haida Gwaii et le long de la côte du Nord. Nous sommes la population principale qui représente et défend les nations côtières de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Gagné : Merci pour vos exposés.

Monsieur Alsop, vous avez dit dans votre exposé que vous aviez négocié des plans d’aménagement du milieu marin. Vous avez dit qu’un plan en particulier avait été négocié avec le gouvernement et d’autres intervenants. Pouvez-vous nous donner une idée des modalités du plan d’aménagement du milieu marin?

M. Alsop : Bien sûr. Merci pour la question. Dans Haida Gwaii, nous travaillons de façon collaborative à titre de gouvernement avec un autre gouvernement depuis les dernières 35 années. Cela a commencé au milieu des années 80. Je suis sûr que vous avez tous entendu parler de l’île Lyell ou d’Athlii Gwaii, qui a mené à la conservation et la création de Gwaii Haanas. Gwaii Haanas est la partie sud de Haida Gwaii, qui est reconnue actuellement comme étant un site du patrimoine haïda dont nous avons la gouvernance et la compétence. En 1993, nous avons signé l’Entente sur Gwaii Haanas en vue de travailler de façon collaborative afin d’assurer la cogestion de la zone terrestre. Forts de cette entente originale, nous avons prévu des plans pour travailler ensemble sur la partie qui concerne les zones marines.

En 2010, le Canada et les Haïdas ont signé l’Entente sur l’aire marine Gwaii Haanas, qui prévoyait une aire marine nationale de conservation dans les eaux canadiennes, afin de protéger non seulement la partie terrestre, mais également l’océan jusqu’à 10 kilomètres du littoral. C’est l’un des seuls endroits dont j’ai connaissance qui est géré depuis la cime des montagnes jusqu’aux bas-fonds de l’océan et qui prévoit la protection des eaux également.

Nous avons récemment terminé un plan de gestion, qui vise la terre, l’océan et les gens, qui a ajouté comme mesure de protection l’interdiction des activités commerciales et de pêche dans 40 p. 100 de la zone, ce qui veut dire que 40 p. 100 de l’aire de conservation dans Gwaii Haanas est maintenant inadmissible à la pêche commerciale et aux activités commerciales. C’est une grande étape. Le reste de la zone sera géré en fonction de l’écosystème. Voilà les attentes à l’égard de Haida Gwaii, nos terres et nos eaux, que nous les gérions conformément à des normes plus élevées. Voilà ce qui est prévu pour Gwaii Haanas.

En travaillant avec la province, et en suivant le Protocole de réconciliation Kunst’aa Guu-Kunst’aayah, nous avons aussi protégé bon nombre des zones côtières le long de Haida Gwaii. Somme toute, plus de 50 p. 100 des côtes sont désormais protégées. Cela comprend également les zones intertidales, et nous travaillons sur des plans de gestion qui tiendront compte des zones terrestres et intertidales.

Nous avons aussi conclu un protocole d’entente avec le ministère des Pêches et des Océans du Canada à l’égard du mont sous-marin SGaan Kinghlas-Bowie qui se trouve à environ 120 kilomètres au large de la côte nord-ouest de Haida Gwaii. Ce mont sous-marin est un milieu riche sur le plan biologique et nutritif. C’est une autre aire marine de conservation pour laquelle nous sommes en train de finaliser un plan de gestion de pair avec le gouvernement fédéral.

Nous travaillons avec les deux ordres de gouvernement, le gouvernement fédéral et la province, afin de continuer à améliorer la gestion de nos terres et d’instaurer des normes plus élevées.

La sénatrice Gagné : Comment gérez-vous le transport maritime en ce qui concerne l’approvisionnement de vos communautés et du secteur industriel de la région?

M. Alsop : C’est l’un des domaines dans lesquels nous avons réalisé des progrès au cours des dernières années. J’ai mentionné plus tôt l’incident du Simushir, survenu en 2014, qui souligne bien les menaces et les dangers. Depuis, nous collaborons avec le gouvernement fédéral sur des dossiers comme la planification de l’intervention régionale.

Les lieux de refuge constituent un autre dossier. À une époque, le dossier était géré par le gouvernement fédéral sans collaboration ou consultation. À la lumière des conclusions du forum sur le Simushir que nous avons organisé après l’incident, nous avons établi comme priorité les lieux de refuge qui seraient utilisés si des navires avaient des difficultés. Les navires seraient alors tirés vers ces lieux afin de ne pas mettre en péril les zones plus sensibles proches de nos communautés.

Voilà certaines des mesures sur lesquelles nous travaillons pour améliorer la situation. Nous collaborons également dans le cadre d’un nouveau projet. C’est le système de connaissance de la situation maritime, le SCSM. Nous allons ouvrir un bureau à partir duquel nous pourrons commencer à surveiller tout le trafic en temps réel, c’est-à-dire tous les vaisseaux qui naviguent autour de Haida Gwaii. Nous consacrons beaucoup d’efforts pour améliorer la situation.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup d’être venus nous parler aujourd’hui. Je ne pense pas être le seul membre du comité qui se retrouve avec un dilemme qui concerne deux questions de politique publique légitimes et réelles. D’une part, protéger les écosystèmes dont vous avez parlé avec tant d’éloquence et reconnaître vos droits de gouvernance dans votre territoire; d’autre part, la nécessité économique de permettre aux Premières Nations de l’intérieur ainsi qu’à ma province, l’Alberta, d’acheminer leurs biens au marché.

Voyez-vous la possibilité d’un compromis sur le port de Prince Rupert, où l’on créerait un corridor qui serait le seul utilisé? Pensez-vous que l’on pourrait assurer le trafic des pétroliers tout en protégeant la vaste majorité de l’écosystème dont nous parlons?

Mme Slett : Nos deux communautés ont vécu des quasi-accidents, et nous avons frôlé le désastre. Le Simushir dont Jason a parlé plus tôt se retrouvait carrément devant Haida Gwaii et aurait anéanti la communauté haïda.

La sénatrice Simons : Mais ce n’était pas un pétrolier.

Mme Slett : Oui, mais nous parlons de la navigation et d’un compromis, pour reprendre votre terme. Nous ne sommes pas anti-développement. Nous ne nous y opposerons pas, mais nous avons de graves réservations quant à l’impact du trafic des superpétroliers sur nos communautés. Nous vivons dans la région depuis 14 000 ans, nous assurons notre survie, et nous ne pouvons pas courir des risques qui mettront en péril nos communautés afin de protéger les intérêts des autres qui ne dépendent pas de l’océan comme nous.

La sénatrice Simons : Y a-t-il le risque, selon vous, que si nous mettons l’accent sur le moratoire sur les pétroliers, nous négligions les vrais problèmes que vous éprouvez actuellement? Je suis sidérée d’apprendre qu’il n’y a aucune équipe d’intervention marine dans votre région. La sénatrice McCoy a évoqué sa préoccupation, qui est également la mienne, selon laquelle nous nous concentrons sur ces grands pétroliers, à double-coque, le fleuron de l’industrie, et nous ne prêtons pas suffisamment d’attention aux dangers réels actuels, c’est-à-dire les navires qui sont peut-être moins bien construits et qui ont à bord de grandes quantités de polluants. Craignez-vous que le gouvernement puisse imposer un moratoire sur les pétroliers et ensuite ne pas régler les autres problèmes qui menacent déjà vos territoires?

Mme Slett : C’est sans aucun doute l’une des choses que les Premières Nations côtières et, indépendamment, les communautés, réclament, à savoir des capacités accrues d’intervention maritime dans nos collectivités. Il y a une lacune. J’ai mentionné qu’il faut attendre 18 heures avant qu’un navire soit là pour le nettoyage — c’est 18 heures de trop en ce qui nous concerne.

Dans le développement de la région, nous croyons qu’il faut trouver un équilibre entre les besoins des communautés qui seront le plus touchées par quelque chose qui pourrait mal tourner, et d’après notre expérience, quelque chose finit par mal tourner. Le Queen of the North a coulé au large du territoire haisla, et le Nathan E. Stewart. D’autres navires se sont aventurés dans des zones dangereuses de notre territoire, et nos gens sont les premiers intervenants.

Pour nous, y a-t-il des compromis, et pas un qui nuirait au gagne-pain et à la durabilité de nos communautés, qui vivent là depuis des milliers d’années?

M. Alsop : Merci de poser la question. Pour la nation haïda, je ne pense pas qu’il y ait de scénario dans lequel on peut trouver un compromis pour créer un corridor, puisque les projets conçus à l’intérieur des terres ou le long de la côte se traduiront par le passage de pétroliers à travers notre territoire, ce qui mettra en péril notre culture, notre mode de vie et notre histoire, comme l’a expliqué Marilyn.

Je crois qu’il est très important d’adopter ce projet de loi. Ce qu’il fera — pour répondre à votre deuxième question —, c’est enfin dissiper cette menace pour nous et nous permettre de vraiment mettre les mains à la pâte et de nous concentrer sur ce travail. Vous pouvez imaginer le nombre de choses avec lesquelles nous devons composer en tant que gouvernement. Je peux donc comprendre que le gouvernement à beaucoup de chats à fouetter, mais nous avons des personnes déterminées et dévouées qui déploient des efforts pour continuer d’améliorer la vie de nos gens et de nos communautés. Si vous pouvez faire adopter ce projet de loi, vous serez en mesure d’apaiser les gens de la côte septentrionale, de la côte centrale et de Haida Gwaii. Le projet de loi nous permettrait aussi, comme vous l’avez mentionné, de continuer de mettre l’accent sur l’amélioration de l’intervention pour le trafic de conteneurs déjà plutôt dense au port de Prince Rupert. Des projets du secteur du gaz naturel liquéfié pourraient également accroître le nombre de navires-citernes.

Il y a encore beaucoup de travail à faire pour gérer les voies navigables. Il en reste encore beaucoup à faire pour examiner la façon dont les projets sont approuvés. Je pense qu’il se fait de bonnes choses, quand on regarde le processus de contournement, qui comporte actuellement des lacunes du point de vue des Haïdas, car on examine les projets du départ à la ligne d’arrivée, mais cela ne comprend pas vraiment les répercussions du trafic de conteneurs entre les deux. Je crois qu’on revoit cela en ce moment, et il y a des possibilités de collaboration entre les gouvernements pour améliorer la façon dont nous gérons le transport maritime sur nos territoires. Je pense que c’est une partie importante du Plan de protection des océans et un élément de l’entente-cadre de réconciliation sur lequel se penchent de nombreuses nations côtières pour gérer le trafic actuel.

Je ne vois donc pas de véritable compromis pour la nation haïda en ce qui a trait au corridor.

Le sénateur Plett : Merci aux deux témoins d’être ici.

Monsieur Alsop, je veux aborder la question que la sénatrice Miville-Dechêne a soulevée plus tôt et votre réponse, et loin de moi l’idée de tenir un débat avec des témoins. Ce n’est pas ce que je veux. Sa question portait sur les consultations, je crois, avec d’autres Premières Nations, au-delà de celles que vous avez mentionnées.

Vous savez, monsieur, que nous avons eu des élections fédérales il y a trois ans et demi. Je n’appuyais pas et je n’appuie toujours pas le gouvernement qui a été formé, et je passe encore pratiquement tous mes moments éveillés à tenter de redresser un tort causé il y a trois ans et demi, et c’est ce que je continuerai de faire. Cependant, il y a trois ans et demi, Justin Trudeau a obtenu un mandat majoritaire, et il parle au nom du Canada.

Je ne sais pas combien de personnes vous représentez tous les deux aujourd’hui, mais je suppose qu’il y en a des milliers. Vous avez été élus ou nommés pour représenter ces personnes. Et pourtant, vous avez dit à la sénatrice Miville-Dechêne que les dirigeants du conseil de bande des autres Premières Nations parlaient en leur propre nom, pas au nom de leurs gens. Je ne comprends pas comment ils ne parlent pas au nom de leurs gens alors que c’est ce que vous faites. Cela dit, si j’ai mal interprété votre réponse, je m’en excuse. Je veux que vous soyez en mesure de la corriger. Mais je crois que vous parlez ici au nom de certaines personnes. Je parle moi-même au nom de certaines personnes. Et les dirigeants des conseils de bande, dans toutes les autres Premières Nations que vous avez consultées ou que d’autres ont consultées, possèdent aussi un droit mandaté pour parler au nom de leurs gens.

M. Alsop : Merci de votre question. Je suppose que je parle en mon propre nom, au sein de la nation haïda. Nous sommes assujettis à notre propre constitution et dirigés par nos propres chefs héréditaires qui travaillent ensemble avec le conseil de bande. Nous sommes donc tous délibérément unis. En tant que président élu, je peux parler au nom de toutes les personnes sur le grand territoire, qui comprend la partie terrestre et la partie marine, ainsi que l’espace aérien dans notre cas. Je parlais donc généralement des conseils de bande qui sont une création du gouvernement fédéral aux termes de la Loi sur les Indiens. Ils n’ont pas été initialement conçus pour servir nos gens en créant vraiment des liens avec nos systèmes de gouvernance traditionnels. Les conseils rendent donc des comptes au gouvernement fédéral aux termes de la Loi sur les Indiens, et pas nécessaire au peuple sur le plan juridique.

Même si certains conseils de bande peuvent fonctionner et travailler au-delà des limites des réserves, les conseils de bande sont techniquement formés pour gérer les réserves. Quand le gouvernement fédéral a créé le système de réserves pour nous cantonner dans nos territoires et nous séparer, vous savez, il est arrivé qu’on n’ait même pas le droit de sortir de la réserve sans la permission d’un agent des Indiens. Ces agents ont ensuite été remplacés par les conseils de bande pour appliquer la politique fédérale. Certaines communautés ont réussi à croître et à aller plus loin, mais d’un véritable point de vue juridique et pratique, le champ de compétence et le pouvoir se rapportent au seul territoire des réserves, pas au plus grand territoire de nos nations, dont elles ont été exclues.

Le sénateur Plett : Je ne sais pas si vous avez répondu à ma question, mais nous allons peut-être nous entendre pour... tout à fait, madame Slett, si vous le voulez, vous pouvez y répondre, bien sûr.

Mme Slett : J’aimerais ajouter quelque chose aux observations de Jason. Les communautés autochtones ont différentes structures de gouvernance. Le conseil Heiltsuk est très fier d’avoir une relation harmonieuse avec ses chefs héréditaires, et nous collaborons. Le Heiltsuk Tribal Council — Meghan et moi en représentons les dirigeants politiques — représente le leadership politique, et nos Hemas représentent le leadership traditionnel, à savoir celui qui a soutenu notre communauté pendant des milliers d’années, en donnant, entre autres, des conseils sur le titre et les droits des Heiltsuks. Nous donnons suite à ces conseils. Nous sommes donc très fiers de cette relation harmonieuse au sein du conseil Heiltsuk. Notre communauté en est plus forte. Cela dit, il ne fait aucun doute que le système de gouvernance des bandes de la Loi sur les Indiens est un système colonial imposé aux communautés autochtones.

Le sénateur Plett : Merci de ces réponses.

Je viens tout juste de lire qu’il y a apparemment quatre grands navires-citernes par semaine qui partent de Valdez, en Alaska, ce qui est juste un peu plus que pour l’interdiction proposée. Il y a donc des navires-citernes qui circulent extrêmement près. Est-ce que cela vous préoccupe? Craignez-vous que ce trafic de navires-citernes limite l’efficacité du projet de loi C-48?

M. Alsop : Oui, bien sûr, cela nous préoccupe, comme tout le trafic en général et plus particulièrement les navires-citernes. Le déversement de l’Exxon Valdez est bien connu partout dans le monde. C’est encore un événement dont on parle beaucoup dans ce contexte. C’était l’exemple, le véritable signal d’alarme, pour ce qui est des menaces qui sont partout autour de nous, et la communauté touchée en subit encore les répercussions, dans sa convalescence. Nous sommes sans aucun doute très préoccupés par le trafic actuel, mais je ne pense pas que cette mesure législative y change quelque chose. Elle sera plutôt utile pour éliminer la menace que représente un trafic encore plus dense à proximité de nos territoires, qui augmente le risque.

Je ne sais pas comment décrire ce que cela signifie pour nous. Je suppose que pour comprendre notre point de vue, il faut comprendre la signification de ce génocide culturel, alors qu’une population a été d’abord décimée par l’introduction de maladies comme la variole, jusqu’à ce qu’elle soit réduite à quelques centaines de personnes. C’est un triomphe pour nos nations et notre peuple d’avoir réussi à rebâtir, à maintenir leur culture et à persévérer, malgré les politiques fédérales.

En tant que nations, cela signifie que les nouvelles générations ne font que commencer à émerger relativement indemnes de ces périodes très difficiles où les politiques fédérales et l’industrie ont profondément et concrètement piétiné nos territoires et endommagé nos patries.

Lorsque notre territoire fait l’objet d’une intense exploitation forestière au profit d’autres personnes, que nos ressources halieutiques sont saisies et que cette industrie déplace nos gens, et que nous continuons à être confrontés à des navires-citernes de gaz naturel liquéfié et à des pétroliers, il est vraiment difficile pour nous d’avoir la tranquillité d’esprit nécessaire pour commencer à aller de l’avant et participer à cette reprise de nos économies.

Je ne sais pas si vous pouvez apprécier ce que cela signifierait pour nous si la menace immédiate d’un nouveau trafic était éliminée afin que nous puissions continuer à construire des économies durables sur la côte, y compris en nous tournant vers l’énergie renouvelable comme une partie de la solution.

Le sénateur Plett : Je pense que nous comprenons tous ce que vous dites, et nous nous rendons tous compte des difficultés vécues. Certains d’entre nous croient que cela décimerait l’économie de l’Alberta ou d’une bonne partie du Canada à cause du risque d’incident — pas parce que cela se produira, mais parce que c’est possible. La vie est remplie de risques. La sénatrice Simons a mentionné que les navires-citernes sont maintenant beaucoup mieux construits qu’avant. C’est vrai. Ils sont plus grands et les déversements sont donc plus dévastateurs, et j’en suis conscient, mais le risque de déversement est nettement moindre que ce qu’il était il y a 50 ans. Quoi qu’il en soit, c’est une observation, et vous n’avez pas à répondre si vous ne le voulez pas. Merci.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Je comprends parfaitement bien l’émotion dans votre discours et votre message, car je viens du Pérou. Quand vous parlez de colonialisme, d’invasion, de génocide, de la varicelle et ainsi de suite, je peux imaginer. J’en suis capable. C’est l’aspect émotionnel du problème.

Mais j’ai un sens pratique, et ma profession m’a amenée à étudier les déversements de pétrole. Je souscris totalement à ce que la chef Slett a dit dans sa déclaration liminaire, à savoir que les déversements de pétrole ne sont ni théoriques ni hypothétiques. Il y en a déjà eu — vous avez parlé de l’Exxon Valdez —, y compris très récemment à la plateforme Deepwater Horizon, où les ingénieurs ont dit que cela ne se produirait jamais. C’est pourtant arrivé à la plus grande pétrolière au monde, BP, qui avait tous les moyens disponibles pour intervenir.

Vous semblez avoir fait un travail important en étudiant les déversements de pétrole, et j’ai donc deux questions. Avez-vous trouvé un déversement de pétrole, petit, moyen ou grand, où le pétrole a été récupéré sans la moindre incidence sur l’environnement et les activités humaines? Mon collègue a parlé du risque, et je pense que vous avez tous les facteurs pour l’accroître : le chargement, le type de pétrole, les marées, la météo et la présence d’archipels. Tous les facteurs sont combinés. À mon avis, le risque de déversement est élevé. Par conséquent, s’il y en a un, de quelle façon vos communautés côtières seront-elles touchées? Aussi, quelle sera l’incidence sur les communautés avec lesquelles des gens disent que vous n’êtes pas d’accord en ce qui a trait aux pipelines et à l’exportation de pétrole? Comment seront-elles également touchées en cas de déversement de pétrole? Je crois qu’elles en subiront aussi les conséquences.

Le président : Y a-t-il deux questions?

La sénatrice Galvez : Oui.

Mme Slett : Connaissez-vous des déversements de pétrole qu’on a nettoyé et qui n’ont eu aucune conséquence, à la suite desquels tout était bien? Non, je n’ai jamais vu quelque chose du genre, et pas dans le cas du Nathan E. Stewart.

De quelle façon un déversement de pétrole touche-t-il les autres communautés qui pourraient s’opposer à ce projet de loi? Elles ne seraient pas touchées, car c’est nous qui sommes sur la côte. Nous sommes les communautés côtières. Les navires-citernes circulent sur nos territoires traditionnels respectifs.

M. Alsop : Merci de poser la question. Je vais ajouter que nous n’avons jamais trouvé de cas sans répercussions, où tout a bien été. Même les plus petits déversements ont une énorme incidence sur la communauté et les gens, surtout ceux qui dépendent de la région pour se nourrir.

Pour nous, le saumon est probablement un des aliments les plus importants, et je l’ai mentionné dans mon discours. L’une des choses emballantes est d’ailleurs le réinvestissement dans le saumon. Dans la B.C. Wild Salmon Policy, je crois qu’il y a eu un investissement de plus de 140 millions de dollars pour rétablir et soutenir la population de saumon en Colombie-Britannique, et ce genre de mesures pourraient en souffrir.

Vous entendez toutes sortes de personnes et de techniciens. L’une des choses à prendre en considération, c’est qu’il y aura des répercussions quoi qu’il arrive. Par exemple, vous allez entendre les administrations de pilotage et d’autres groupes, et cela crée une situation intéressante. Je l’ai lu dans l’enquête de 1978. Essentiellement, quand on parle à certaines administrations, elles diront que le risque est faible ou nul et que la navigation est possible dans la région. Nous sommes toutefois collectivement le groupe qui connaît le mieux la région. Nos cultures et nos traditions orales sont transmises et parlent de l’histoire de nos eaux et de notre relation avec nos eaux. Quand vous demandez à un pilote s’il peut naviguer en sécurité ou avec confiance dans ces eaux, vous le mettez dans une position délicate en remettant en question son professionnalisme. De toute évidence, il dira que c’est possible. Cela reviendrait autrement à avouer son incompétence. Il est important de le reconnaître. Je joue au basketball. Si vous me demandez si je vais réussir un panier gagnant à trois points, je vais toujours vous dire oui parce que j’ai confiance en moi, mais dans les faits, je peux aussi rater mon coup.

La sénatrice Dasko : Merci beaucoup de comparaître aujourd’hui. J’ai beaucoup appris en écoutant vos déclarations et vos réponses.

Ma question porte sur la pêche et son potentiel. Vous avez tous les deux dit qu’il faut restaurer la pêche, qu’il y a un potentiel et que nous devons y donner suite, le développer. Je veux me faire une idée de la situation actuelle. À quoi ressemble la pêche autochtone à l’heure actuelle? De plus, à quel endroit les Autochtones travaillent-ils dans ce secteur? Où en est-on actuellement, et quelle est votre vision pour l’avenir de la pêche en ce qui concerne vos gens? S’agit-il de pêche commerciale? Est-ce ce que vous souhaitez, ce à quoi vous vous attendez ou ce que vous préparez? Est-ce davantage à l’échelle locale? Quelle est votre vision quant à la suite des choses à cet égard?

Mme Slett : Dans l’état actuel des choses, les stocks de poissons sont en déclin constant, mais nous travaillons avec les deux gouvernements, la Colombie-Britannique et le Canada, ainsi qu’avec l’industrie, à la restauration et à la remise en état de nos cours d’eau et bassins hydrographiques. Jason vient de parler il y a quelques instants de la récente annonce d’investissement dans le saumon sauvage en Colombie-Britannique. Voilà le genre de mesures qui aideront nos communautés grâce aux possibilités de mise en valeur que nous cherchons à créer.

Notre vision est d’être en mesure d’offrir des emplois durables et à long terme aux membres de nos communautés dans le secteur maritime. Après tout, en tant qu’habitants de la côte, nous sommes des gens de la mer. Nos pères, grands-pères et arrière-grands-pères étaient tous des pêcheurs. Par la même occasion, nous mettons également en pratique nos valeurs traditionnelles, qui reposent sur le principe qu’il faut en prendre un peu et en laisser beaucoup. Si votre famille a un droit d’accès à un cours d’eau, elle a aussi le droit et la responsabilité de le protéger. À l’avenir, nous poursuivrons les efforts d’intendance et de mise en valeur, en plus d’assurer le potentiel de croissance et les débouchés économiques pour amener les gens à s’adonner de nouveau à la pêche et à en tirer un revenu stable leur permettant de subvenir aux besoins de leur famille.

La sénatrice Dasko : Monsieur Alsop, vouliez-vous répondre à cette question?

M. Alsop : Dans le même ordre d’idées, on veut accroître la participation à la pêche commerciale. Les eaux de Haida Gwaii contribuent à environ 30 p. 100 des pêches côtières, mais nos membres représentent seulement un faible pourcentage des pêcheurs actifs. Beaucoup de raisons expliquent pourquoi la situation a pris une telle tournure au fil du temps.

À l’origine, nos peuples étaient les pionniers et les chefs de file de l’industrie de la pêche commerciale. En fait, dans la région de Haida Gwaii, avec le temps, nous sommes passés de la construction de canots et des techniques connexes à la construction de senneurs et de bateaux de pêche à filets maillants. Nous construisions nos propres bateaux au sein même de nos communautés. Nous étions indépendants. Les gens pouvaient embaucher leurs proches, nourrir leur famille, subvenir à leurs propres besoins et s’entraider de cette façon.

Ce n’est pas tout : nous participions également à la création de nouvelles possibilités de pêche, comme la récolte d’œufs de hareng sur algues ou sur varech, qui ont essentiellement été commercialisés par nos peuples, ouvrant ainsi de nouveaux marchés au Japon et partout dans le monde. Cela a créé de nouveaux débouchés.

Nous avons toujours été à l’avant-garde de cette industrie, mais des enjeux en matière de politiques, entre autres, ont entraîné la modification des quotas et des systèmes de gestion. Peu à peu, nous avons été évincés de l’industrie. Il existe toujours une industrie de la pêche florissante; le hic, c’est que nous n’en faisons plus partie.

Une partie du travail de collaboration avec le gouvernement consiste à examiner comment nous pouvons participer plus activement à l’industrie, tout en assurant un peu plus de sécurité. Il s’agit aussi de prendre part aux activités liées à la chaîne de valeur à la transformation et à la mise en marché pour permettre aux gens de savoir qui a pêché leur poisson, d’apprendre à connaître les pêcheurs et de rétablir un lien avec le lieu de provenance. De nos jours, il est vraiment important que les gens sachent d’où provient leur nourriture et qu’ils comprennent comment elle arrive jusqu’à leur assiette afin de l’apprécier vraiment. C’est un élément important de ce que nous visons, en plus de restaurer les habitats et de permettre aux gens de continuer à tirer leur subsistance des ressources. Bon nombre de ces discussions portent sur les emplois et l’argent, l’objectif étant, au bout du compte, aux dires de tout le monde, de mettre de la nourriture sur la table. Dans notre cas, la nourriture est déjà là, et nous voulons simplement continuer à protéger et à préserver les ressources. Bon nombre de nos membres se nourrissent des aliments qui se trouvent sur nos territoires.

Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins d’être parmi nous ce matin.

J’ai une observation à faire et une question à poser. Vous avez soulevé des préoccupations légitimes au sujet des risques. C’est toujours une source d’inquiétude. J’ai pris l’avion pour venir à Ottawa cette semaine, tout comme vous deux, je suppose. Il y a eu dernièrement quelques écrasements d’avion importants. Nous prenons donc des risques. Il y a toujours des risques. L’essentiel, c’est de savoir les gérer.

Sur la côte Est du Canada, nous gérons chaque année 288 tonnes métriques de pétrole en mer. La Colombie-Britannique en gère 6 millions; on est loin du compte. Vous parlez de zones de pêche. Les Grands Bancs de Terre-Neuve constituent la zone de pêche la plus productive dans le monde entier : nous extrayons 500 millions de barils de pétrole par jour depuis 25 ans et nous gérons les risques. Par conséquent, nous devons toujours être conscients des risques, mais c’est quelque chose qui peut être géré.

Vous avez dit tout à l’heure que certaines Premières Nations sont assujetties à des structures de gouvernance désuètes. C’est peut-être pourquoi elles s’opposent au projet de loi C-48. À ma connaissance, le gouvernement Nisga’a Lisims représente la nation signataire du traité le plus moderne en Colombie-Britannique, lequel a été signé en 2000. N’est-il pas vrai que cette nation a un gouvernement démocratiquement élu qui s’oppose au projet de loi C-48, ou est-ce que je me trompe? Ai-je raison de croire que les Nisga’as s’opposent au projet de loi C-48?

Mme Slett : La question est-elle de savoir s’ils s’y opposent?

Le sénateur MacDonald : Vous avez fait valoir que l’une des provinces fonctionne selon une structure de gouvernance désuète, mais cette nation signataire d’un traité moderne s’oppose tout de même au projet de loi C-48. N’est-ce pas exact? Pourquoi s’y oppose-t-elle?

Mme Slett : J’ai effectivement entendu dire qu’elle s’oppose au projet de loi C-48. Je ne connais pas les détails sur les raisons de son opposition, mais nous sommes ici pour expliquer pourquoi nous appuyons le projet de loi C-48.

Vous avez parlé des risques, en disant que personne n’y échappe; en effet, nous prenons des risques dans notre vie de tous les jours. Or, dans notre cas, le risque est trop grand. C’est trop grand non seulement pour moi en tant qu’individu, mais aussi pour ma communauté qui vit le long de la côte depuis plus de 14 000 ans, ainsi que pour nos générations futures. Ce risque, qui touche tout le monde, est beaucoup trop lourd.

Le sénateur MacDonald : Pourquoi le risque sur la côte Ouest serait-il différent de celui sur la côte Est?

Mme Slett : Nous dépendons d’un écosystème en santé.

Le sénateur MacDonald : Nous pratiquons la pêche depuis des centaines d’années sur la côte Est. Je ne saurais vous dire combien de membres de ma famille se sont noyés en pêchant au cours des 300 dernières années. Beaucoup de gens s’adonnent à la pêche. Cette activité comporte son lot de risques. Je parle des particularités sur la côte Est — il n’y a guère de différence dans les conditions de vie sur les deux côtes. Nous gérons les risques sur la côte Est. Pourquoi n’est-il pas possible de le faire sur la côte Ouest?

Mme Slett : Nous avons dit que certaines des zones marines écologiques les plus diversifiées de la planète se trouvent dans la région dont nous parlons. Nous avons expliqué que le bien-être de nombreuses communautés autochtones dans cette région est intimement lié à la santé du milieu marin. Nous avons dit que l’exploitation traditionnelle des ressources est le cœur de nos sociétés traditionnelles — c’est un élément essentiel qui définit l’identité des Heiltsuk et qui est tributaire de la santé de l’océan. Nous dépendons des ressources naturelles pour notre alimentation, notre santé, notre culture et notre économie.

Nous avons également un droit reconnu par la cour, appelé le droit Gladstone. Jason a parlé tout à l’heure des œufs de hareng sur varech. En ce moment, des gens dans notre communauté sont en train de les récolter. C’est le début de notre nouvelle année de pêche, marquée par ce droit ancestral de pêche à des fins commerciales.

Notre subsistance repose là-dessus, mais ce n’est pas sans risque. Nous serions également favorables aux mesures d’amélioration prises ailleurs pour protéger le milieu marin contre les déversements d’hydrocarbures. Cela vaut pour la côte Est, dont vous avez parlé, le but étant d’améliorer les types de mesures dont nous discutons ici.

Le sénateur MacDonald : Qu’arriverait-il si nous avions un meilleur mécanisme d’intervention sur la côte Ouest — disons dans les eaux septentrionales près de la région de Prince Rupert et de Port Simpson? Vous avez dit qu’un délai de 18 heures n’est pas assez rapide. Comme pour n’importe quoi, qu’il s’agisse d’un accident sur l’autoroute ou ailleurs, nous voulons une intervention rapide. Quel délai d’intervention serait assez rapide, et les autorités pourraient-elles mettre en place un mécanisme d’intervention qui aiderait à atténuer les risques et à dissiper vos préoccupations?

Mme Slett : Une des solutions que nous avons proposées aux autorités, ce n’est pas tant de mettre en place un mécanisme d’intervention maritime, mais de collaborer avec les communautés autochtones qui vivent sur la côte et qui connaissent la région. Dans notre cas à nous, les Heiltsuk, nous avons proposé la création d’un centre d’intervention maritime autochtone. Comme je l’ai dit clairement, il ne s’agit pas d’accroître le trafic, mais d’assurer la présence d’une équipe d’intervention maritime sur la côte centrale. Dans l’état actuel des choses, il n’y a rien de tel, et nous demeurons vulnérables à ce qui peut se produire là-bas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je tiens à remercier nos deux témoins. Je vous ai écouté avec la plus grande ouverture d’esprit possible et je respecte énormément votre culture. Quelle quantité de ressources naturelles liées au pétrole vos communautés consomment-elles annuellement?

[Traduction]

M. Alsop : Je n’ai pas le chiffre exact devant moi en ce moment. Je dirai qu’à Haida Gwaii, nous dépendons encore du diesel pour alimenter notre réseau électrique et pour répondre à la plupart de nos besoins en énergie. Le ravitaillement se fait au moyen de petits navires, mais c’est quelque chose que nous — pas seulement notre peuple, mais tous les peuples de Haida Gwaii — voulons changer. Une de nos priorités pour l’avenir, c’est d’abandonner le diesel et de mettre en œuvre des projets d’énergie renouvelable pour Haida Gwaii. C’est un défi auquel nous faisons face, mais nous sommes disposés à le relever pour faire la transition.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Tous les biens que vous consommez dans vos communautés, que ce soit la nourriture, les vêtements ou les services médicaux, nécessitent également une consommation très élevée de produits pétroliers pour les acheminer à vos communautés, n’est-ce pas?

[Traduction]

M. Alsop : C’est bel et bien le cas. Nous comptons sur...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question est celle-ci : en étant en faveur de ce projet de loi, vous semblez vous opposer à toute exportation de pétrole du Centre du Canada vers la côte Ouest. Ce qu’on dit dans le Centre du Canada, et en Alberta en particulier, c’est qu’ils exploitent des ressources naturelles et prennent tous les risques de l’exploitation, alors que vous, sur la côte, vous ne voulez prendre aucun risque, mais vous en consommez quand même.

Comment, en tant que Canadiens ou communautés autochtones, ces risques encourus par les consommateur et les producteur peuvent-ils être assumés de façon équilibrée? Dans le fond, votre position est carrément fermée par rapport à toute exportation de pétrole du centre vers les côtes. Je n’ai pas senti de compromis possible chez vous. J’ai visité beaucoup de villages dans le Nord du Canada et on y consomme beaucoup de mazout pour le chauffage et l’électricité, entre autres. Comment faire un compromis entre les producteurs et les consommateurs, pour faire en sorte que tout le monde en tire profit et qu’on gère ce risque-là ensemble?

[Traduction]

M. Alsop : Merci. Il est important de reconnaître, une fois de plus, le contexte général des facteurs qui ont placé nos communautés dans la situation actuelle. Ce n’est pas nécessairement nous qui avons choisi ou décidé de créer les systèmes en place; on nous les a imposés en grande partie au profit d’autres personnes, et ce, sans nous consulter ou sans collaborer avec nous. Par conséquent, nous comptons sur un gouvernement... puis-je répondre?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends, mais si votre communauté se réveille demain matin sans mazout ni énergie, cela va créer des problèmes de santé et d’autres problèmes importants pour vos communautés. Si, demain, il n’y a plus de pétrole qui arrive dans vos communautés, plus de transport pour acheminer les biens de consommation et plus de mazout pour les moteurs des bateaux de pêche, vous éprouverez des problèmes plus importants en matière de qualité de vie et d’appauvrissement. Comment trouver un équilibre entre vos communautés, qui consomment ces produits et vont les consommer encore plusieurs années et les producteurs du Centre du Canada, qui veulent faire profiter l’économie pour l’ensemble des Canadiens?

[Traduction]

M. Alsop : Merci. J’essayais d’expliquer un peu le contexte avant d’en arriver à ma réponse. Tous ces systèmes qui déterminent comment nous nous ravitaillons en carburant et comment les choses fonctionnent n’étaient pas le fruit de notre volonté; ils nous ont été imposés. La voie à suivre pour trouver un équilibre consiste donc à élaborer un plan de transition vers des sources d’énergie renouvelable.

Pour ce qui est du partage des risques, il est important de reconnaître le contexte général dont je parlais et le rôle de pourvoyeurs de ressources que nous jouons depuis de très nombreuses années pour le Canada, la Colombie-Britannique et le monde entier; il s’agit de ressources qui proviennent de nos territoires, surtout de Haida Gwaii. En effet, c’est de là que viennent bon nombre des ressources forestières et halieutiques dont d’autres profitent. Nous avions même des stations baleinières — les sources originales de carburant —, également à Haida Gwaii. Parlant d’équilibre, nous ne cessons de mettre à profit nos ressources pour le bien du Canada et d’autres pays. Toute cette richesse a quitté nos communautés et nos îles pour se retrouver dans les comptes bancaires d’individus au Canada et ailleurs dans le monde. Nous essayons d’établir un équilibre et nous refusons qu’une autre industrie nous soit imposée parce que nous ne voulons pas nous exposer à ce genre de risques et nous enfoncer davantage dans cette voie, c’est-à-dire l’utilisation des combustibles fossiles comme seule option.

Si le gouvernement peut appuyer le projet de loi, cela enverra un message très positif aux Canadiens, à la communauté internationale et aux peuples autochtones, en plus de favoriser nos rapports. Cela montrera que nous nous lançons dans un processus de changement, de collaboration et de développement tourné vers l’avenir, au lieu de demeurer coincés dans cette relation séculaire. Nous devons pouvoir indiquer que nous faisons un grand pas en avant. Selon nous, l’approbation du projet de loi témoignerait de cet engagement et de cette transition pour essayer d’établir un équilibre. Nos communautés et nos territoires ont beaucoup donné au Canada et à l’économie canadienne pendant si longtemps, sans bénéficier d’aucun équilibre ou d’aucune réciprocité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai un dernier commentaire : pourquoi ne pas en profiter pour prendre du pouvoir sur ces ressources afin d’enrichir vos communautés? Nous avons encore du pétrole pour une trentaine ou une quarantaine d’années, selon nos experts. Pourquoi ne pas en profiter pour enrichir vos communautés en exigeant de tirer des profits de cette exploitation autant que les exploiteurs?

[Traduction]

Le président : Vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire que la raison pour laquelle vous vous opposez au projet de loi, c’est pour protéger les zones marines et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Comment réduiriez-vous les émissions de gaz à effet de serre? Vous avez dit que ce sont là les deux principaux arguments.

M. Alsop : Je crois avoir plutôt dit que cette mesure législative permettra d’aider le Canada à respecter ses engagements de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de protéger davantage les zones marines.

Le président : En quoi cela réduira-t-il les gaz à effet de serre?

M. Alsop : À court ou à moyen terme, je crois que le projet de loi pourrait donner le coup d’envoi à la transition vers les ressources renouvelables, et ce, plus vite qu’on le pense. C’est ce que nous souhaitons, non seulement pour notre territoire, mais aussi pour le pays, afin d’amorcer un virage vers les énergies renouvelables et les ressources renouvelables. Par exemple, l’énergie éolienne et l’énergie marémotrice offrent beaucoup de possibilités.

Le président : En quoi l’interdiction visant les pipelines contribuerait-elle à l’atteinte de ces objectifs? En quoi le moratoire relatif aux pétroliers permettrait-il d’y arriver?

M. Alsop : Cela force le changement, à mon avis. Cela envoie un signal aux nouvelles générations et aux nouveaux universitaires pour qu’ils commencent à chercher des solutions, et cela leur indique que nous adoptons une nouvelle façon de penser, en tenant compte des ressources renouvelables et des possibilités offertes par l’énergie marémotrice, l’énergie éolienne, l’énergie solaire et les biocarburants.

Le président : Pourquoi ne dites-vous pas ce que vous pensez réellement? Vous voulez ce moratoire pour que le secteur des sables bitumineux et l’industrie pétrolière cessent leur production. Pourquoi ne pas l’avouer tout simplement?

La sénatrice Galvez : J’invoque le Règlement.

Le président : Je ne fais que poser la question.

La sénatrice Galvez : Vous mettez des mots dans...

Le président : Non, ce n’est pas ce que je fais.

La sénatrice Galvez : Oui. Vous dites...

Le président : Je lui demande de préciser ce qu’il entend par « gaz à effet de serre ».

La sénatrice Galvez : C’est impoli, monsieur le président. C’est très impoli.

Le président : J’essaie d’être poli, sénatrice Galvez. Je ne fais que lui demander ce qu’il entend par... il a donné deux raisons principales pour ce moratoire: protéger davantage les zones marines et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Je lui demande ce qu’il entend par là. C’est 50 p. 100 de... en tout cas, j’ignore si c’est 50 ou 40, mais ce sont deux des raisons qu’il a données. Je demande simplement ce qu’il veut dire.

M. Alsop : Je pense avoir répondu à votre question : cela envoie le message que nous effectuons un virage vers les énergies renouvelables et que nous mobilisons tous nos efforts collectifs au Canada pour atteindre cet objectif et amorcer cette transition. Beaucoup de brillants esprits travaillent dans le secteur de l’énergie au pays, et il y a d’excellentes possibilités de croissance.

Le président : Merci.

La sénatrice McCoy : Comment résumer le tout? Premièrement, je suis étonnée de vos préoccupations, mais je pense qu’elles sont tout à fait légitimes. Je pense que vous avez des préoccupations tout à fait légitimes au sujet de ce qui se passe aujourd’hui dans les eaux avoisinant vos communautés. Je pense que les Canadiens devraient chercher une façon d’éviter de vous causer du tort dans les conditions actuelles, et je pense que nous ne l’avons pas fait. Votre témoignage aujourd’hui est donc très utile.

J’aimerais simplement savoir — et vous pourriez vouloir nous revenir par la suite, même si vous nous en avez donné une bonne idée, en particulier la chef Slett dans son témoignage — ce que nous pourrions faire pour vous aider dans vos discussions avec le gouvernement fédéral et autre pour mettre en place un régime digne des Canadiens. Nous pouvons faire mieux.

Mme Slett : Je vous remercie de vos propos et de votre question. Nous avons préparé une proposition, un cadre conceptuel pour un centre d’intervention maritime autochtone. Nous pouvons vous le faire parvenir. On y analyse les statistiques de l’Administration de pilotage du Pacifique et de la Garde côtière, et on y examine également les risques dont nous avons discuté ici aujourd’hui. Je peux vous fournir l’information.

Nous sommes un regroupement de Premières Nations bien organisées, très compétentes et tournées vers l’avenir qui travaillent ensemble, et les Premières Nations côtières en font partie. Nous avons mis beaucoup d’énergie et avons beaucoup réfléchi pour savoir à quoi devrait ressembler la protection maritime, et nous serions heureux de poursuivre la conversation avec le Canada pour instaurer concrètement les possibilités envisagées dans nos communautés.

Le président : Si c’est possible, madame Slett, pourriez-vous faire parvenir à notre greffière l’information que vous avez, et nous la remettrons aux membres du comité.

La sénatrice McCoy : Je viens d’une province enclavée, mais j’aimerais participer également aux consultations, car il me semble que les Canadiens s’aident les uns les autres. Merci.

La sénatrice Jaffer : Certains veulent connaître le pourcentage de gens qui appuient cela. Je sais que les Premières Nations côtières n’ont pas l’information en main, mais si vous pouviez nous la faire parvenir.

J’ai une petite question pour vous. Lors de la dernière séance du comité, nous avons reçu des témoins de la Western Canada Marine Response, l’organisme qui s’occupe des déversements sur la côte Ouest du Canada. Ils ont préconisé la mise en place d’un plan d’intervention solide. J’allais vous citer un long passage de ce qu’ils ont dit, mais essentiellement, ils ont mentionné pouvoir élaborer un plan global pour s’occuper des déversements. Que pensez-vous de l’objectif de la Western Canada Marine Response de créer un plan d’intervention global pour s’occuper des déversements sur la côte Ouest? Ils ont dit qu’ils porteraient une attention particulière à la faune et la flore et élaboreraient des projets potentiels. Ces gens disent aussi pouvoir intervenir rapidement. Donc, quel est le problème? Pourquoi êtes-vous encore inquiets?

M. Alsop : La chef Slett a mentionné beaucoup d’éléments qui sont importants en faveur d’une capacité d’intervention autochtone. Comme nous sommes les premiers sur les lieux, nous serons les plus près de la plupart des incidents. Il est donc important que nous ayons notre propre capacité d’intervention rapide et que ce soit une intervention concertée, et non pas que la responsabilité échoie à un seul organisme. Vous savez, le fait d’avoir...

La sénatrice Jaffer : Je suis désolée; je ne veux pas être impolie, mais la question que je vous pose est de savoir pourquoi vouloir ce moratoire, si l’intervention a lieu plus rapidement et que vous êtes protégés?

M. Alsop : Pour ce qui est du temps d’intervention, je pense que les dommages auront déjà été faits. Si du pétrole pénètre dans l’écosystème, il est peu probable qu’on puisse le récupérer dans la région côtière, et les chances sont à peu près nulles en haute mer, car on parle des eaux parmi les plus houleuses de la planète. Le détroit d’Hécate, si je ne m’abuse, se classe au quatrième rang des plans d’eau les plus dangereux et les plus houleux dans le monde — l’eau est peu profonde et la mer très houleuse. Les chances de récupérer quoi que ce soit en haute mer sont essentiellement nulles, et il faudra que le produit se disperse dans l’environnement. Le long des côtes, on trouve des zones rocheuses qui sont difficiles à nettoyer. On ne parle pas de plages de sable. On parle de zones côtières accidentées et de récifs rocheux qui sont difficiles à nettoyer. Même les petits déversements ont des répercussions énormes sur les oiseaux et les espèces marines, et sur les terres également, et sur les gens.

Le président : Merci beaucoup à tous nos témoins. Nous avons eu une discussion dynamique et intéressante. Merci de vous être déplacés jusqu’à Ottawa pour venir nous parler. Nous vous en sommes très reconnaissants. Merci également aux invités qui vous accompagnent.

Nous passons à notre deuxième groupe de témoins, et nous sommes heureux d’accueillir M. Kevin Cash, directeur général, Sciences et technologie, Eau, et M. Carl Brown, gestionnaire, Science et technologie, Eau, d’Environnement et Changement climatique Canada; Mme Julie Gascon, directrice générale des opérations, Garde côtière canadienne, M. Brian Wootton, directeur régional, Garde côtière canadienne, Région du Pacifique, et Mme Carmel Lowe, directrice régionale, Région du Pacifique, de Pêches et Océans Canada; et Mme Heather Dettman, chercheuse scientifique, de Ressources naturelles Canada, par vidéoconférence. Bienvenue à tous. Merci d’être avec nous. Nous allons commencer par Mme Dettman qui témoigne par vidéoconférence, et elle sera suivie de M. Brown et Mme Gascon.

Heather D. Dettman, chercheuse scientifique, Ressources naturelles Canada : Merci beaucoup. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un plaisir pour moi de vous présenter mon exposé. Pendant les cinq minutes qui me sont allouées, je vais m’efforcer de vous donner un aperçu de la chimie du pétrole, alors ce sera un aperçu très général. Vous devriez avoir devant vous une présentation de cinq diapositives qui vous donne les grandes lignes de mon exposé et qui vous montre divers aspects des programmes de recherche non seulement de Ressources naturelles Canada, mais aussi d’Environnement et Changement climatique Canada et de Pêches et Océans Canada.

Le président : Nous avons bien la présentation.

Mme Dettman : En regardant la deuxième diapositive, vous comprendrez qu’un déversement de pétrole, la présence de pétrole dans l’eau, est une situation très complexe. Le pétrole n’est pas statique. Peu importe ses caractéristiques, une fois qu’il tombe dans l’eau, qu’il se mêle à l’eau, une foule de mécanismes se passent alors en même temps. Ses composés peuvent s’évaporer dans l’air, ils peuvent se mélanger à l’eau, ils peuvent interagir avec les sédiments et ils peuvent ensuite se retrouver dans le fond. Essentiellement, donc, le pétrole peut se retrouver dans l’air, à la surface, dans la colonne d’eau et au fond.

Passons maintenant à la diapositive suivante, sur laquelle nous allons nous arrêter un peu. La notion de persistance est liée aux différentes tailles de molécules qui sont présentes dans le pétrole. Pour dire les choses simplement, en utilisant des mots que les gens vont comprendre, disons que tout pétrole brut est un mélange de molécules qui vont de très petites, l’essence, à un peu plus grosses, le diesel, à très grosses, le mazout soute C. Tous les pétroles bruts contiennent essentiellement ces différents types de molécules. Selon le type de pétrole brut, on aura plus d’essence et de diesel s’il s’agit de brut conventionnel, ou plus de mazout soute C s’il s’agit de pétrole lourd. Le mazout soute C peut en fait se diviser également en deux éléments, le mazout soute B et l’asphalte. On voit donc ici toutes les différentes tailles de molécules qu’il peut y avoir.

Au sujet de la persistance, les grosses molécules sont celles qui se dégradent le plus lentement dans l’environnement et qui contribuent à la persistance du pétrole. Les petites, quant à elles, sont souvent les composés les plus toxiques, car elles sont les plus biodisponibles, mais elles se biodégradent souvent très vite. La toxicité est donc élevée, mais elle disparaîtra relativement rapidement.

Sur la diapositive suivante, et comme je l’ai mentionné au sujet de la première, des mécanismes complexes entrent en action au cours desquels le pétrole s’évapore dans l’air, se déplace dans l’eau, interagit avec les sédiments, se biodégrade, et le rythme de tout cela dépend de divers facteurs. Cela dépend du type de pétrole et de sa capacité à se transformer avec le temps. Cela dépend du type d’eau, eau salée, eau saumâtre ou eau douce, de sa dureté, de son pH, soit les différentes propriétés chimiques de l’eau. Si on est en présence de sédiments, leur abondance aura de l’importance, leur type, s’il s’agit de sable, s’il s’agit de boue. Tout cela aura un effet. Puis il y a l’énergie de l’eau, la force du courant, s’il y a des vagues ou si l’eau est calme. Puis, bien sûr, il y a aussi la température de l’eau. Si on est en hiver et qu’il gèle, les choses évoluent différemment que pendant l’été, à plus de 27 degrés, par exemple.

Les recherches que nous effectuons au sein de nos trois ministères visent donc à connaître et à comprendre les mécanismes du comportement des pétroles afin d’améliorer leur modélisation dans la planification des interventions.

La diapositive suivante donne un petit aperçu des installations dont nous disposons au Canada pour effectuer nos recherches. Nous disposons tous de différentes formes de laboratoire. On voit les contenants rotatifs à gauche de la diapositive. Il s’agit d’un système fermé dans lequel on simule les interactions entre le pétrole et l’eau pour déceler les tendances. Puis nous avons quelques types de réservoirs, et sur la petite photo dans le coin supérieur droit, on voit nos installations, ici, en Alberta, qui sont relativement petites mais ouvertes. Il y a des vagues. Nous pouvons simuler la plupart des mécanismes qui se produisent, car nous pouvons contrôler tant la température de l’air que de l’eau.

Sur la photo du bas, vous voyez les installations de 32 mètres à l’Institut océanographique de Bedford à Dartmouth, soit les installations du Centre de recherche environnementale sur le pétrole et le gaz extracôtiers de Pêches et Océans Canada, et il s’agit vraiment d’un réservoir à houle où on effectue de la recherche sur la dispersion.

Grâce à tout cela et aux connaissances que nous avons à l’heure actuelle sur le bitume dilué et la place qu’il occupe dans la gamme des produits pétroliers qui sont transportés et utilisés au Canada, nous savons qu’il s’inscrit dans le continuum des mélanges de pétrole. Il peut réagir de la même façon que les autres produits pétroliers, à savoir rester à la surface, se retrouver dans la colonne d’eau, sur le littoral, dans le fond ou s’évaporer dans l’atmosphère. Il agit comme du pétrole, ce qu’il est en fait.

Les mesures d’intervention existantes sont efficaces pour le bitume dilué dans la même mesure qu’elles le seraient pour les autres produits pétroliers. Certaines situations sont plus complexes que d’autres, mais il présente le même potentiel de récupération et, bien sûr, en faisant des recherches, on peut toujours améliorer les choses, et cela peut se faire de deux façons. En travaillant avec ce produit, nous pouvons comprendre les limites d’utilisation des divers outils d’intervention et donc fournir des renseignements précis sur leur application à différents types de pétrole. Puis, naturellement, si on découvre de nouveaux outils d’intervention, on pourra également améliorer les choses.

M. Carl Brown, gestionnaire, Science et technologie, Eau, Environnement et Changement climatique Canada : Merci à vous, monsieur le président, ainsi qu’aux vice-présidents et aux membres du comité. En tant que gestionnaire de la section des urgences, Science et technologie, à Environnement et Changement climatique Canada, je supervise une équipe de scientifiques qui mènent un programme de recherche pour étudier les incidences des produits chimiques déversés dans l’environnement, et le nettoyage en cas de déversement. Aujourd’hui, je vais également parler au nom de mes collègues agents de la faune du ministère.

Environnement et Changement climatique Canada possède plus de 40 années d’expérience en ce qui a trait à la compréhension et à l’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures. La grande partie de nos recherches sur les pétroles bruts lourds et les carburants classiques existent depuis longtemps. Toutefois, depuis les dernières années, les défis émergents comprennent les produits pétroliers lourds non conventionnels, comme le bitume dilué. Cette recherche se poursuit selon le Plan de protection des océans.

L’aspect le plus fondamental de la recherche porte sur la compréhension du comportement physique et de la nature chimique du pétrole. Environnement et Changement climatique Canada a évalué des centaines d’hydrocarbures nationaux et internationaux au fil des ans et a rendu ses résultats publics sur le portail des données ouvertes. Le catalogue des hydrocarbures est la base de données la plus importante rendue publique sur les déversements d’hydrocarbures dans le monde, et la grande majorité des données concernent les hydrocarbures persistants.

Environnement et Changement climatique Canada étudie aussi les divers moyens utilisés pour nettoyer les déversements d’hydrocarbures, en se concentrant sur les techniques d’intervention classiques et les nouvelles techniques plus modernes, en laboratoire et dans des expériences à grande échelle.

Environnement et Changement climatique Canada accorde beaucoup d’importance à l’évaluation de l’efficacité et de la toxicité des agents de traitement en cas de déversement, y compris les agents dispersants chimiques et les agents de nettoyage de surface. La majorité de ce travail contribue à l’élaboration de normes internationales visant à codifier les pratiques exemplaires dans le domaine.

Nous avons aussi dirigé la conception d’appareils de télédétection de déversements d’hydrocarbures et l’évaluation de la contamination par les hydrocarbures sur les littoraux en nous servant de la technique d’évaluation et de restauration des rives. Afin de donner un exemple de notre travail, j’aimerais souligner les récentes études ayant permis d’effectuer des relevés des côtes de la Colombie-Britannique et de les caractériser.

Premièrement, nous avons effectué des relevés le long des rives du Nord, du Centre et du Sud de la Colombie-Britannique pour comprendre la géologie et la biologie et mesurer les niveaux naturels actuels des métaux, des pesticides et des produits chimiques relatifs au pétrole. Les relevés des rives que nous avons réalisés par hélicoptère et navire dans le cadre des initiatives du système de sécurité de classe mondiale pour les navires-citernes et du Plan de protection des océans nous permettent de caractériser les rives et nous aident à déterminer des mesures d’intervention appropriées en cas de déversement. Cela est essentiel à la planification en cas de déversement potentiel et à notre compréhension des paramètres cibles pour les besoins liés au nettoyage qui s’ensuit.

Nous avons également entrepris de cartographier la caractérisation des rives du Centre et du Nord de la Colombie-Britannique à l’aide d’une combinaison de méthodes, soit le tournage de vidéos par hélicoptère volant à basse altitude et l’interprétation manuelle. Cette cartographie permettra d’obtenir une base de données géolocalisées contenant des renseignements homogènes sur le type et la géomorphologie des rives qui serviront en cas de déversement d’hydrocarbures. Des renseignements détaillés décrivant les zones intertidales supérieures et inférieures, supratidales et d’arrière-plage sont extraits des vidéos et des photos, dont le type de littoral, selon la classification de la technique d’évaluation et de restauration des rives, sa forme, et le type de substrat et de végétation qu’on y trouve.

La connaissance des types de rives est essentielle aux efforts de nettoyage et d’intervention. Le recensement proactif des côtes qui sont vulnérables sur le plan environnemental permet une intervention rapide et efficace grâce à la priorisation des zones, qui est effectuée en fonction des repères environnementaux établis. On peut ensuite mener les travaux de nettoyage et d’élimination des substances de manière efficace en ayant rapidement accès aux techniques et outils de nettoyage appropriés.

Au sujet de la pénétration et de la rétention des hydrocarbures par le littoral, nous avons mené des expériences à moyenne échelle qui montrent comment le bitume dilué et le mazout lourd pénètrent dans divers types de sédiments de rives et comment ces hydrocarbures sont retenus lorsqu’ils sont frais et lorsqu’ils ont été altérés. Les résultats de ces expériences ont permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur le devenir et le comportement des produits de bitume dilué sur les littéraux marins et ils contribueront à éclairer les discussions opérationnelles liées aux interventions en cas de déversement.

Nous avons également entrepris des travaux sur les niveaux actuels de contaminants le long du littoral. Pendant les relevés des rives par navire, une équipe de recherche multi-organisationnelle a recueilli des échantillons de substrats et de sédiments à 27 endroits dans la région du chenal Douglas et de l’archipel Haida Gwaii. Ces échantillons ont été analysés pour estimer le niveau actuel de contamination à divers endroits le long de la côte du Nord de la Colombie-Britannique. Les pesticides, les métaux et les hydrocarbures pétroliers font partie des éléments analysés. Les observations sur le terrain de l’équipe de recherche et les renseignements provenant ensuite des analyses en laboratoire ont montré que les conditions environnementales naturelles étaient près de l’état de référence ou quasi inaltérées dans la presque totalité de la zone d’étude.

Je vais vous parler un peu maintenant des travaux de nos collègues agents de la faune. La côte du Centre et du Nord de la Colombie-Britannique comprend plus de 15 000 kilomètres de côtes éloignées et abrite plus de 60 espèces d’oiseaux marins, y compris des oiseaux de mer, des sauvagines et des oiseaux de rivage. Quinze de ces espèces se reproduisent dans des colonies insulaires s’étendant sur un grand territoire, et plusieurs oiseaux marins figurent à l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril.

La région comprend des colonies de nidification ainsi que des écosystèmes côtiers vulnérables qui constituent des habitats importants pour les oiseaux marins et les poissons. La côte nord compte plusieurs estuaires d’importance mondiale, dont ceux de la Nass et de la Skeena, ainsi que de nombreux marais salés, peuplements d’algues brunes et zostères marines. Elle fait partie de la voie migratoire du Pacifique et constitue un corridor important pour des millions d’oiseaux migrateurs qui se déplacent entre les aires de reproduction de l’Arctique et les zones d’hivernage d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale ou d’Amérique du Sud.

Dans le cadre du Plan de protection des océans, ECCC recueille des renseignements de base sur les oiseaux marins en mer afin de mieux comprendre les menaces auxquelles ils font face et d’orienter la planification des mesures à prendre en cas d’urgence. Depuis 2012, ECCC a réalisé des relevés en mer sur plus de 4 000 kilomètres carrés, et ce, même si les lacunes spatiales et temporelles continuent d’être un problème. En plus des relevés, nous surveillons des espèces clés comme le guillemot à cou blanc, le macareux rhinocéros et l’océanide minute à l’aide de dispositifs de suivi afin d’évaluer les tendances spatiales et temporelles relatives à l’utilisation de l’habitat marin. ECCC étudie également la toxicité du bitume pour les oiseaux de mer en ayant recours à l’expression génétique comme mesure biologique des effets induits par les contaminants, ce qui améliorera nos capacités de biosurveillance.

ECCC réalise des recherches sur les oiseaux de mer, effectue des suivis et procède à la cartographie des littoraux en collaboration avec les Premières Nations côtières afin d’améliorer les interventions d’urgence, d’accroître la capacité de conserver les oiseaux marins et de favoriser la réconciliation. ECCC a travaillé avec 14 collectivités des Premières Nations côtières à la cartographie de la côte centrale. Au cours de l’été 2018, cette collaboration a permis de cartographier environ 7 000 kilomètres de côte au cours de l’été 2018, et nous prévoyons en cartographier 9 000 autres en 2019.

À ce jour, l’analyse finale des données a été réalisée pour les régions de Haida Gwaii et du chenal Douglas, sur la Kitimat. J’ai fourni un lien pour que vous puissiez voir ce qu’il en est.

Les données recueillies par ECCC pour la biorégion du plateau Nord dans le cadre du Plan de protection des océans comprennent des renseignements sur les types de rives et la présence, l’abondance et la distribution saisonnière des oiseaux marins. Les agents des urgences environnementales d’ECCC utilisent ces données pour améliorer leur façon de déterminer et de prioriser les zones fragiles sur le plan environnemental lors des premières étapes d’intervention en cas d’incident maritime. Elles appuient également différents aspects de la planification d’interventions en cas de déversement, comme les exigences relatives aux dépôts d’outillage, la formation adressée aux collectivités locales et les stratégies d’intervention géographique localisées.

En résumé, Environnement et Changement climatique Canada continue de collaborer avec les gouvernements, les Premières Nations, le milieu universitaire, l’industrie des hydrocarbures, les intervenants en cas de déversement, les organisations non gouvernementales et le public afin de cerner les besoins en matière de recherche sur l’environnement et les déversements d’hydrocarbures, et d’établir les priorités des prochaines activités. Des intervenants ont mis en évidence la nécessité d’améliorer notre compréhension du comportement et du devenir des hydrocarbures persistants lors d’un déversement. Les récentes activités de recherche entreprises par Environnement et Changement climatique Canada et d’autres ministères fédéraux ont permis de mieux comprendre l’environnement de la côte du centre et du nord de la Colombie-Britannique ainsi que le comportement et le devenir possible des hydrocarbures persistants. Cela dit, nous sommes conscients qu’il nous faudra combler certaines lacunes spatiales et temporelles si nous voulons comprendre mieux l’environnement côtier et les populations d’oiseaux marins du nord de la Colombie-Britannique.

Distingués membres du comité, je vous remercie de votre écoute et vous informe que je serai heureux de répondre à toutes vos questions.

[Français]

Julie Gascon, directrice générale des opérations, Garde côtière canadienne, Pêches et Océans Canada : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. C’est avec plaisir que je m’adresse à vous ce matin. Je m’appelle Julie Gascon. Je suis directrice générale des opérations de la Garde côtière canadienne.

Aujourd’hui, je suis accompagnée de deux de mes collègues : Brian Wootton, directeur régional des programmes, Région du Pacifique, de la Garde côtière canadienne, et Carmel Lowe, directeur régional des sciences, Région du Pacifique, de Pêches et Océans Canada.

Notre ministère est le responsable fédéral de la protection de nos eaux et de la gestion des pêches, des océans et des ressources en eau douce du Canada. Notre ministère a la responsabilité de soutenir un environnement sain et des écosystèmes aquatiques durables par la protection de l’habitat, la gestion des océans et la recherche sur les écosystèmes.

[Traduction]

Le mois de novembre 2018 marquait le deuxième anniversaire du Plan de protection des océans. Au cœur de ce plan, on trouve un large éventail d’initiatives visant à améliorer la protection des océans, des voies navigables et des écosystèmes marins du Canada. Plus précisément, le Plan de protection des océans nous a permis d’améliorer notre réseau radar et de renforcer les systèmes que nous utilisons pour communiquer avec les navires afin d’avoir une image et une connaissance exactes du trafic maritime dans nos eaux; d’accroître la capacité de remorquage d’urgence sur la côte Ouest pour intervenir et remorquer en toute sécurité les gros navires désemparés; d’investir dans du nouvel équipement d’intervention environnementale et d’offrir une formation idoine aux membres de la Garde côtière qui participent aux interventions en cas de déversement d’hydrocarbures; de fournir les meilleurs renseignements disponibles sur l’environnement et la navigation pour la planification des interventions sur la côte nord de la Colombie-Britannique en cas de déversement d’hydrocarbures; d’établir un programme de données de base environnementales cotières de référence; d’approfondir notre compréhension du comportement du pétrole dans l’eau et, enfin, d’encadrer l’atténuation des risques que la navigation maritime fait peser sur l’environnement en établissant des mesures concernant la qualité du milieu marin.

En plus des initiatives que je viens de mentionner, le Plan de protection des océans souligne l’importance de créer des occasions de collaborer davantage avec les peuples autochtones et les collectivités côtières. Dans ce contexte, nous travaillons avec de nombreuses organisations et collectivités autochtones pour dispenser de la formation, faire des exercices d’entraînement et favoriser l’achat de nouvel équipement pour les opérations de recherche et sauvetage ainsi que pour les interventions en cas d’incident environnemental.

En bref, ces investissements augmentent la capacité collective du Canada à réagir rapidement, efficacement et avec efficience aux incidents maritimes.

C’est à nous qu’il incombe de réagir aux incidents polluants causés par les navires et à la pollution d’origine inconnue dans les eaux canadiennes. Entre autres, nous surveillons les tendances du trafic maritime et nous évaluons les risques sur une base régulière. Nous utilisons cette information pour répartir les ressources le long de nos côtes, qui, rappelons-le, sont les plus longues du monde.

[Français]

Dans tous les cas, si les tendances du trafic et les risques associés changent, la Garde côtière canadienne travaillera avec ses partenaires pour comprendre comment les risques environnementaux évoluent pour être en mesure de s’adapter et assurer une protection continue de l’environnement marin.

Par contre, peu importe l’endroit où un incident a lieu, nous avons établi un protocole d’intervention. Lorsqu’un incident de pollution est rapporté, les agents d’intervention à la pollution établissent un poste de commandement pour une analyse, enquêtent et travaillent avec nos partenaires pour assurer une réponse efficace et efficiente.

La Garde côtière canadienne intervient chaque jour dans plusieurs incidents de pollution. La plupart des incidents sont de petite envergure, mais ils sont un rappel constant de l’importance du travail que nous faisons au nom des Canadiens et des Canadiennes.

Le secteur de la planification de l’intervention régionale met à l’essai une approche holistique axée sur les risques pour la planification de l’intervention environnementale dans la biorégion du plateau nord de la Colombie-Britannique. Cette approche tient compte de facteurs régionaux, écologiques, géologiques et socioéconomiques uniques, et elle contribuera au renforcement du système de sécurité maritime grâce à une coordination améliorée et à une intervention plus efficace en cas d’incidents et de pollution marine. Nous avons hâte d’appliquer cette approche à la planification des interventions sur toutes nos côtes.

Le comportement d’un déversement particulier d’hydrocarbures dans l’environnement dépend en grande partie du type d’hydrocarbures et des conditions du moment, comme Mme Dettman l’a déjà décrit dans ses observations.

[Traduction]

Lorsqu’un incident se produit, nous travaillons en collaboration avec Ressources naturelles Canada et Environnement et Changement climatique Canada afin de fournir des conseils sur la façon dont le produit pétrolier déversé est susceptible de se comporter. Par exemple, notre expertise océanographique nous permet de prédire les courants et les marées au lieu de déversement, et ces prévisions, alliées aux prévisions d’Environnement et Changement climatique Canada sur les vents et les vagues, nous permettent de prédire la vitesse et la direction du déplacement des produits déversés et d’orienter les tactiques d’intervention.

Forts de cette collaboration, nos services essentiels gardent nos voies navigables ouvertes toute l’année et permettent aux navires de différentes tailles d’y naviguer en toute sécurité. Ils assurent en cela le maintien des échanges commerciaux de plus de 200 milliards de dollars qui transitent chaque année dans nos ports tout en réduisant les risques d’incident maritime majeur.

Nous maintenons une capacité d’intervention en cas d’incident de pollution 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, toute l’année. Pour y parvenir efficacement, nos employés participent régulièrement à des formations et à des exercices avec nos partenaires. C’est pourquoi nous avons confiance en notre état de préparation, en notre force d’intervention et en notre capacité de travailler efficacement avec les principales parties intéressées.

En terminant, permettez-moi de souligner que les lois et règlements que le Canada s’est donnés pour protéger nos eaux contre la pollution causée par les navires sont parmi les mesures les plus rigoureuses au monde. Notre réseau d’intervention est plus fort que jamais et il continue de croître.

Monsieur le président, distingués membres du comité, merci. Mes collègues et moi serons heureux de répondre à toutes vos questions.

Le président : Mesdames et messieurs, il reste environ 22 minutes avant la fin de la séance. Je vous demanderais donc de vous en tenir à une seule question. Je n’en ai que cinq sur la liste. Si nous finissons, je ferai un autre tour de table. Si d’autres sénateurs veulent poser des questions, il n’y a rien que je peux faire. Nous pourrions peut-être faire revenir ces témoins une autre fois. À tout le moins, nous essaierons de voir si cela est possible.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Cash et à M. Brown, du ministère de l’Environnement. J’ai bien suivi votre présentation, mais j’aimerais que vous vulgarisiez davantage les informations sur lesquelles vous vous appuyez. Deux nations autochtones nous ont dit à quel point elles craignent l’effet des marées noires sur les oiseaux et les poissons. Vous avez mené plusieurs études et vous avez notamment mesuré les impacts du pétrole sur les oiseaux, mais quels sont les résultats de ces études? Qu’avez-vous appris et que devrait-on savoir? Quels sont les dangers d’une marée noire pour l’environnement?

[Traduction]

M. Brown : Merci de votre question. Pour ce qui est de ce que nous avons fait avec les relevés pour les côtes du nord et du centre, nous avons examiné toutes les côtes et considéré des choses comme leur pente ou à quel type d’environnement elles appartenaient. S’agissait-il de plages de sable, de plages de galets, de vasières? Ces informations nous ont permis de déterminer les techniques d’intervention appropriées selon les endroits. De plus, avec nos collègues de Pêches et Océans Canada, nous avons identifié les espèces qui vivent dans ces milieux. Tout cela nous aide à comprendre quelles sont les conditions actuelles. Il faut connaître les conditions d’origine afin de pouvoir y revenir — à force de nettoyage — en cas de déversement. Nous avons beaucoup appris au sujet des ressources disponibles. C’est aux intervenants en cas de déversement de travailler avec les collectivités locales et d’établir les priorités.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Pouvez-vous nous donner une évaluation qualitative de la fragilité de ces côtes et de cette faune, plutôt que de dire que vous avez fait ceci ou cela et que vous êtes capable de répondre? Est-ce qu’on parle d’un environnement particulièrement fragile? Est-ce différent de la côte Est? Nous avons beaucoup parlé des différences entre les côtes Est et Ouest. Je voudrais avoir une évaluation qualitative de cet environnement.

[Traduction]

M. Brown : Je vais céder la parole à M. Kevin Cash.

Kevin J. Cash, directeur général, Sciences et technologie, Eau, Environnement et Changement climatique Canada : Je vous remercie beaucoup de votre question. C’est une question très compliquée. Chaque écosystème est, par définition, unique et vulnérable. La science n’est pas en mesure de classer la côte Est comme étant de moindre ou de plus grande importance que la côte Ouest. Les véritables vulnérabilités sont ce que nous essayions d’évaluer au moyen de choses comme la vidéographie et d’autres tests que nous avons effectués.

Même au sein d’un écosystème donné, les choses varient terriblement. Par exemple, s’il y avait un déversement d’hydrocarbures qui risquait de heurter une falaise ou un rivage très rocheux, l’impact à cet endroit dans l’espace — que ce soit sur la côte Est ou sur la côte Ouest — serait très différent de l’impact d’un déversement équivalent dans une zone humide ou un marais, car il serait alors beaucoup plus difficile à nettoyer.

Je m’excuse, mais d’un point de vue scientifique, il est très difficile de généraliser au point de pouvoir répondre à votre question. Ce que nous pouvons faire, et ce que nous avons fait, c’est essayer de mieux comprendre les vulnérabilités le long de cette côte, afin d’être mieux préparés à réagir rapidement et de façon appropriée advenant l’éventualité navrante d’un déversement.

Il y a toujours un risque. Il y a toujours une absence de certitude. Toutefois, dans le contexte canadien, tous les écosystèmes marins — qu’ils soient de la côte Ouest, de l’Arctique ou de la côte Est — sont assurément vulnérables à cet égard, et il est de notre devoir de fournir les connaissances scientifiques nécessaires pour, premièrement, réduire autant que faire se peut la probabilité d’un tel déversement et, deuxièmement, réagir de la façon la plus efficace qui soit.

La sénatrice Galvez : J’ai une question en deux parties. La première partie s’adresse à Mme Dettman.

Vous avez parlé des propriétés mécaniques du pétrole, mais vous n’avez pas parlé de sa chimie. L’huile contient-elle des substances dangereuses? Quelle est la toxicologie de ces substances? Comment ces produits attaquent-ils les poissons, les mammifères et les oiseaux? Quelle est la létalité de ces substances?

Dans le même ordre d’idées...

Le président : Une seule question, s’il vous plaît. Êtes-vous en train de poser deux questions, madame Galvez?

La sénatrice Galvez : Non, c’est la même question.

Le président : Non, ce n’est pas la même. Allez-y. C’est vous qui commandez. Faites ce que vous voulez.

La sénatrice Galvez : Je vous remercie. D’après votre expérience des déversements d’hydrocarbures, avez-vous récupéré plus de 50 p. 100 des hydrocarbures? Avez-vous été en mesure de récupérer 80 p. 100 de l’écosystème après une marée noire?

Mme Dettman : Dois-je répondre en premier?

La sénatrice Galvez : Oui, s’il vous plaît. Je vous remercie.

Mme Dettman : La troisième diapositive que j’ai présentée répond de façon très générale à votre question.

Disons que la toxicité vient des molécules plus petites qui se trouvent dans l’essence, le diésel et le mazout soute B. C’est là que se trouvent les composés toxiques qui sont caractérisés. L’essence est la partie qui contient le benzène, le toluène, les xylènes et l’éthylbenzène. C’est donc la partie BTEX. C’est cette partie qui cause la toxicité aiguë, c’est-à-dire la toxicité immédiate. Si elle se mélange à l’eau, les poissons qui se trouvent là peuvent être touchés. L’effet immédiat vient de cette partie de l’essence.

Le diésel et le mazout soute B sont les éléments qui contiennent ce qu’on appelle les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Ce sont ceux qui peuvent avoir des effets plus chroniques. Comme les hydrocarbures polyaromatiques du diésel sont des composés plus petits, ils ont tendance à être plus toxiques que ceux du mazout soute B, qui sont plus gros.

D’après ce que nous avons compris, il s’agit de mesurer la présence de ces composés avec exactitude. Nous avons effectué plusieurs essais en bassin dans nos installations. Nous déversons l’huile sur l’eau et, durant une période de cinq semaines, nous observons ce qui se passe. Nous surveillons ce qui se déplace dans l’eau, nous prélevons des échantillons et nous mesurons la toxicité. En fait, nous modifions la toxicité avec le temps et nous observons les effets sur les embryons de tête-de-boule. C’est notre collaborateur toxicologue qui s’occupe de cela.

Cela nous a permis de constater que la phase aiguë se termine relativement rapidement, et je crois que c’est ce qui se passe dans les vrais déversements. En une semaine ou deux, la phase aiguë est terminée. Ensuite, en ce qui concerne les hydrocarbures aromatiques polycycliques, la préoccupation a toujours été la suivante : combien de temps peuvent-ils rester là, et quels types d’effets peuvent-ils avoir? Des recherches sont en cours dans ce domaine pour déterminer exactement ce qu’il en est. Notre système est idéal pour prendre la mesure de la transformation du pH avec le temps. Nous avons constaté des résultats intéressants. Par exemple, le pétrole brut classique qui contient des hydrocarbures qui n’ont jamais été biodégradés présente beaucoup plus d’activité que le bitume dilué, c’est-à-dire lorsqu’il a été biodégradé. Il est lourd parce qu’il a été biodégradé, et les effets constatés sont moindres.

Le travail se poursuit, bien sûr.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame Dettman. Vous avez bien mis la table pour ma question. Je voulais savoir...

La sénatrice Galvez : J’ai une autre question.

Le président : S’il nous reste du temps, il pourra y répondre à ce moment-là.

La sénatrice Simons : Je voulais savoir si le bitume dilué est plus facile ou plus difficile à nettoyer. Monsieur Brown, vous avez dit dans votre rapport que vous avez étudié le comportement des produits bitumineux dilués sur les rivages marins, mais cela ne nous dit pas ce qu’il en est. Madame Dettman et monsieur Brown, le bitume dilué est-il plus facile ou plus difficile à nettoyer, et serait-il possible d’en modifier la composition chimique au moyen d’éléments diluants afin de le rendre moins dangereux à transporter?

Mme Dettman : Tous les déversements sont différents. En ce qui concerne la récupération — et je dis cela pour tous ceux qui veulent comprendre la récupération —, il faut d’entrée de jeu savoir qu’une récupération intégrale est impossible étant donné que la partie essence de l’huile s’évapore. Une fois que cette composante est dans l’air, elle est partie à tout jamais. Si, en volume, votre huile contenait 50 % d’essence, il ne vous en restera que 50 %. Donc, lorsqu’il est question d’une récupération à 100 %, cela signifie en fait que vous n’allez récupérer que 50 % du produit initial, parce que n’allez pas récupérer l’essence. C’est une chose qu’il faut comprendre.

Ensuite, pour ce qui reste, il y a différents aspects à considérer. Les hydrocarbures plus lourds sont visibles. Ils sont là, ils sont collants, ils sont salissants, mais ils flottent et ils couvrent le rivage. Le nettoyage vous permettra d’en récupérer davantage. Les huiles conventionnelles qui ont une viscosité plus faible peuvent se mélanger à l’eau et disparaître. On ne les voit plus, mais elles sont encore quelque part. Elles ont tout simplement disparu.

En eau libre, il est très difficile de savoir où elles sont passées, puisqu’elles ont pu se mélanger à l’eau. Ensuite, c’est la dilution infinie quelque part dans l’océan. À ce stade, il n’y a pas d’effet, ce qui est une bonne chose. Le corollaire de la dispersion c’est qu’elle n’a pas d’incidence sur les rivages, qui ont tendance à être les milieux les plus vulnérables. Lorsque cela se produit dans les eaux intérieures, la dispersion n’est pas vraiment envisageable. Vraiment, tout dépend de la situation.

Si on pense à ce qui s’est produit à Kalamazoo, les gens se sont concentrés sur la quantité de dragage et de travail qui a été nécessaire pour récupérer la partie immergée du pétrole, mais si on prend le total de ce qui a été récupéré, 74 p. 100 du pétrole a été récupéré de la surface et du rivage, et 26 p. 100, à partir de sédiments. Même avec tout ce pétrole, les poissons n’ont pas été touchés. Cela fait cinq ou six ans, la rivière est maintenant ouverte, et on n’a observé aucun problème avec les poissons qui s’y trouvent.

La sénatrice Simons : En conséquence, on est en droit de croire que le transport du bitume dilué pourrait, hypothétiquement, être plus sécuritaire que celui du pétrole brut conventionnel?

Désolée, j’ai probablement pris tout le temps que j’avais.

Le président : Votre temps est écoulé.

Mme Dettman : Devrais-je répondre en premier?

Le président : Nous y reviendrons.

Le sénateur MacDonald : La sénatrice Simons a abordé le sujet dont je voulais parler. Notre comité a reçu des renseignements concernant le bitume dilué il y a quelques années et, à l’époque, on semblait ne pas savoir s’il était plus facile à nettoyer ou, du moins, pas plus difficile.

La gestion du risque est toujours importante. Elle compte beaucoup, quelle que soit la côte, et nous devons en être conscients. On s’inquiète de la gestion des risques sur les rives au nord de la Colombie-Britannique plutôt que dans les basses-terres continentales. Avons-nous suffisamment d’infrastructures en place pour composer adéquatement avec tout risque potentiel? Je l’ai dit et je le répète : nous composons avec 288 millions de tonnes métriques de pétrole sur la côte Est du Canada, contre seulement 6 millions sur la côte Ouest, et pourtant, on est très préoccupé. Je comprends, mais nous en gérons beaucoup, et ce, régulièrement et de façon sécuritaire. Avons-nous besoin de plus d’infrastructures sur la côte Nord de la Colombie-Britannique pour gérer tout déversement potentiel?

Mme Gascon : Merci, sénateur MacDonald. Je peux vous parler de la façon dont nous déterminons notre état d’alerte. Dans le cas de la Garde côtière canadienne, il est question du nombre de membres, de l’équipement et des interventions prévues des organismes. La préparation est vraiment fondée sur les risques. Vous pouvez vous imaginer que c’est dans une situation où il y a beaucoup de circulation maritime et d’utilisateurs des voies navigables que les risques sont les plus élevés. Il en va de même si vous vous trouvez sur une grande route comparativement à une route rurale dans l’arrière-pays. Lorsqu’il y a des risques, nous devons nous assurer d’être suffisamment préparés pour y réagir. Il faut être préparé, être présent, disposer de l’équipement, avoir formé des partenariats, avoir reçu la formation nécessaire et avoir la capacité de répondre efficacement.

Sur la côte Nord, il n’y a pas beaucoup de circulation. Notre état d’alerte est très bien établi. Nous avons des remorqueurs d’urgence, de l’équipement et des caches, mais les risques sont moins nombreux, si bien que notre état d’alerte correspond aux risques existants. Voilà comment nous avons renforcé notre capacité de répondre et comment nous nous sommes assurés d’avoir le personnel approprié. Nous avons le personnel et l’équipement qui nous conviennent dans les basses-terres continentales ainsi que sur la côte Nord, car ils correspondent aux risques qui existent.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Brown, j’ai lu votre mémoire avec attention. Vous me direz si j’ai tort. Votre mémoire nous parle plutôt de la méthodologie en termes de recherche, n’est-ce pas?

[Traduction]

M. Brown : C’est exact.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, on parle de méthodologie et vous affirmez que l’état de référence, ou du moins le milieu environnemental, est quasi inaltéré. Cela veut dire que ce projet de loi est un projet de loi préventif, et non correctif?

[Traduction]

M. Brown : Oui.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Cela veut dire que, en ce moment, c’est un projet au cas où?

[Traduction]

M. Brown : Je vais parler de l’aspect scientifique. Lorsque nous avons analysé les échantillons sur les côtes du nord et du centre de la Colombie-Britannique, nous avons constaté qu’il n’y a pas grand signes de contamination aux hydrocarbures et d’autres types de contamination là-bas; en conséquence, les données de référence actuelles paraissent vraiment bien. Je ne peux pas en dire plus concernant les raisons qui ont motivé ce projet de loi.

La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à Mme Gascon et à M. Brown. Nous avons entendu parler de vos recherches, de vos protocoles et de vos processus. J’ai confiance en votre opinion. Avons-nous vraiment besoin du projet de loi C-48? Vous semblez avoir les compétences et les capacités voulues pour composer avec tout risque éventuel. Avons-nous besoin du projet de loi? J’ai horreur de vous mettre dans l’embarras, mais c’est ma question.

Mme Gascon : M. Brown a répondu. Je ne peux pas me prononcer sur le projet de loi. Je peux parler de notre capacité d’intervention et de nos compétences mais, malheureusement, je ne peux pas formuler de commentaires sur le projet de loi.

M. Brown : Je ne peux pas non plus formuler de commentaires à cet égard. Il revient aux collectivités, au Parlement, de décider et de mettre en balance les preuves de risque et les probabilités avec les conséquences.

La sénatrice Dasko : Ai-je tort de conclure que vous avez la capacité de nettoyer à peu près toute catastrophe qui pourrait survenir?

M. Brown : Je peux dire qu’il est clair que nous comprenons beaucoup mieux qu’il y a cinq ans comment ces produits agissent et finissent. Cela nous aidera sûrement à éclairer...

La sénatrice Dasko : Et vous avez mis en place des protocoles et des processus.

Le président : S’il y avait un pipeline vers la côte Ouest — imaginons que le projet Northern Gateway était rétabli — combien de pétroliers viendraient sur cette côte? Nous avons entendu dire qu’il y en aurait quatre de Valdez quotidiennement. Il en viendrait combien? Quatre par jour? Vous ne le savez pas? D’accord.

La sénatrice Jaffer : Vous avez dit que vous étiez paré à toute éventualité, mais des témoins nous ont confié plus tôt qu’il avait fallu 18 heures pour obtenir de l’aide avec le nettoyage. Cela me préoccupe parce que semblez si assuré, et les personnes sur le terrain ont dit qu’il vous avait fallu 18 heures pour y arriver. À quelle vitesse pensez-vous pouvoir arriver là-bas, surtout dans des eaux rapides? Dès que le déversement se produit, c’est trop tard. Dans quel délai pouvez-vous arriver sur les lieux?

Mme Gascon : Parlez-vous d’un incident précis?

La sénatrice Jaffer : Oui.

Mme Gascon : Merci beaucoup. Je vais prendre la première partie de cette question et laisser à mon collègue, M. Brian Wootton, le soin d’y répondre.

Dans le cas de l’incident impliquant le Nathan E. Stewart, l’intervention a été rapide et efficace. Nous avions mis en place un protocole et nous avons réagi rapidement au déversement. Nous avons retiré le navire de l’eau et avons géré le déversement de pétrole.

Lorsque j’essaie d’expliquer une intervention de la Garde côtière en cas de déversement de pétrole aux personnes qui ne travaillent pas dans le domaine, je dis que c’est comme regarder sécher de la peinture. Tout bouge très lentement. Vous devez positionner vos navires, placer votre équipement, le déployer dans l’eau, composer avec diverses conditions météorologiques et bien évaluer la sécurité de votre personnel. Regarder une intervention pendant qu’elle se déroule est un processus très très lent, mais cela n’en diminue en rien l’efficacité et la rapidité. Dans le cas du déversement du Nathan E. Stewart, la Garde côtière canadienne a fait une intervention fantastique.

Brian Wootton, directeur régional des programmes, Garde côtière canadienne, région du Pacifique, Pêches et Océans Canada : Merci d’avoir posé la question. J’étais le commandant d’intervention fédéral dans le contexte du déversement de pétrole du Nathan E. Stewart, et j’occupe actuellement le poste de directeur des opérations de recherche et de sauvetage et de l’intervention environnementale. Je pense que ce groupe s’en soucierait parce que la Garde côtière canadienne s’intéressait au spectre complet de la gestion des pertes. Lorsque la chef Slett nous a parlé des 18 heures qu’il avait fallu avant l’intervention, c’est absolument du point de vue du propriétaire du navire, du pollueur, qui a passé un marché avec des navires d’intervention pour qu’ils viennent s’occuper de l’épave et du produit qui a été déversé. Pour la Garde côtière, l’intervention s’est faite dans les 30 minutes grâce à nos ressources de recherche et de sauvetage. Nous avons chargé le navire-baliseur jusqu’aux petites heures du matin. La chef Slett nous a parlé de l’appel de détresse lancé à 1 h 30 du matin. Le navire-baliseur s’est retrouvé sur les lieux aux premières lueurs du jour, et nous nous sommes attachés à sauver des vies pendant les six à huit premières heures. Nous avons fini par trouver un membre de l’équipage du Nathan E. Stewart dans l’eau. Nous l’avons sauvé. Nous avons détourné un navire scientifique pour qu’il vienne à Bella Bella où nous avions placé de l’équipement au préalable pour appuyer l’intervention.

Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que pratiquement 100 000 litres de produit ont été déversés d’un seul coup lorsque l’incident est survenu. Nous nous sommes attachés à assurer la sécurité des intervenants pendant sept semaines et à empêcher les 125 000 litres de produit qui se trouvaient toujours sur le remorqueur d’être déversés dans l’environnement, ce que nous avons réussi à faire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Alors vous ne vous occupiez pas du nettoyage; êtes-vous en train de nous dire que ce n’est pas votre travail?

M. Wootton : Non, pas du tout, dans la mesure où nous pouvons le faire, le premier principe est d’assurer la sécurité des intervenants, ensuite de contenir le produit avant d’agir pour protéger les ressources essentielles. À titre d’exemple, lorsque Gale Creek a été touchée — et la chef Slett nous a parlé des répercussions sur la pêche des palourdes là-bas — les deux premiers cycles de marée contenant le diesel qui y a été déversé ont joué sur la capacité de la Garde côtière de s’y rendre, et le nettoyage du parc à palourde était absolument contre-indiqué. La stratégie consistait à laisser Dame nature s’occuper de ce type de produit du diesel. M. Dettman a parlé des taux d’évaporation, par exemple.

La question dans les semaines qui ont suivi a été la façon de protéger les zones périphériques et d’empêcher le produit qui se trouvait à bord du navire de pénétrer dans l’environnement. La Garde côtière canadienne est une couverture de sécurité. Nous sommes beaucoup intervenus pendant la première période opérationnelle. Nous avons été en mesure de commander, de coordonner et de déterminer si le propriétaire du navire passait des marchés aux fins voulues et faisait un travail efficace; c’est-à-dire s’il faisait venir les intervenants de Vancouver et de Prince Rupert, ce qu’il a fait dans ce cas.

Le Canada est un grand pays et la Colombie-Britannique a un littoral important. La chef Slett a tout à fait raison de dire qu’il a fallu 18 heures pour faire venir les ressources lourdes là-bas afin de sécuriser le navire et d’amorcer le processus pour le sortir de l’eau. Ces ressources devaient commencer là où les risques étaient les plus élevés, soit dans le corridor de Juan de Fuca et de Vancouver, là où les intervenants comptent la majorité de leurs ressources pour effectuer ce type de travail.

Le président : Merci beaucoup. Ce fut un plaisir de vous accueillir tous. Il se pourrait que nous souhaitions vous rappeler, et j’espère que vous répondrez à l’appel. Ce fut fantastique d’entendre des éléments de preuves pratiques et scientifiques concernant ce projet de loi.

Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, pour les excellentes questions que vous avez posées aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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