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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


REGINA, le mercredi 1er mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications auquel a été renvoyé le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, se réunit aujourd’hui, à 13 h 15, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Aujourd’hui, nous poursuivons nos réunions sur le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, La Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers proposée.

Je suis ravi d’être ici à Regina, et je vais demander à tous les sénateurs de se présenter aux fins du compte rendu, en commençant à ma gauche.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour. Sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Busson : Bonjour. Je suis Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le président : Je suis Dave Tkachuk, de Saskatoon, en Saskatchewan.

Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes ravis d’accueillir, de la Skeena Fisheries Commission, Davide Latremouille, biologiste de l’habitat du poisson et, Des Nedhe Developments, Sean Willy, président et chef de la direction. Merci d’être des nôtres aujourd’hui.

Monsieur Latremouille?

Davide Latremouille, biologiste de l’habitat du poisson, Skeena Fisheries : Bonjour, tout le monde. Je suis Davide Latremouille et je suis un biologiste de l’habitat du poisson à la Skeena Fisheries Commission dans le Nord de la Colombie-Britannique.

Avant que je commence à expliquer pourquoi les Premières Nations qui forment la Skeena Fisheries Commission exhortent vivement le Comité sénatorial permanent des transports et des communications à adopter le projet de loi C-48, je crois qu’un bref aperçu de mes antécédents professionnels et personnels vous aidera à mettre les choses en contexte.

Depuis les 13 dernières années, je travaille avec des programmes de pêche des Premières Nations, en Ontario et en Colombie-Britannique, et je travaille à la Skeena Fisheries Commission depuis les neuf dernières années. La Skeena Fisheries Commission est une organisation de pêche autochtone qui protège les intérêts et les ressources dans le secteur des pêches autochtones, et plus particulièrement pour la conservation dans le bassin versant de la rivière Skeena.

Les nations membres actuelles de la Skeena Fisheries Commission incluent la Première Nation Gitxsan, la Première Nation de Gitanyow et la Première Nation des Wet’suwet’en, dont les terres traditionnelles et les pêches sont toutes situées dans la région du bassin versant de la rivière Skeena.

Même si les Premières Nations Gitxsan, de Gitanyow et des Wet’suwet’en sont toutes situées en amont de la rivière, les populations de saumon dont elles dépendent pour assurer leur subsistance physique et sociale sont des espèces anadromes, ce qui signifie qu’elles passent une partie de leur cycle de vie dans le milieu marin au large de la côte nord de la Colombie-Britannique. Les répercussions d’un déversement d’hydrocarbures par un pétrolier seraient catastrophiques dans ce secteur.

Un déversement de pétrole aurait également des conséquences catastrophiques pour le saumon, ce qui serait préjudiable aux cultures, aux économies et au mode de vie des Premières Nations Gitxsan, de Gitanyow et des Wet’suwet’en.

Je suis originaire de Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, et comme de nombreux habitants des Maritimes, j’ai été obligé de quitter la région pour trouver un emploi valorisant bien rémunéré ailleurs, en raison d’un manque de développement économique important dans ma province natale. Je reconnais que les industries pétrolières et gazières sont actuellement des piliers pour l’économie de la province et l’ensemble de l’économie canadienne. Toutefois, je pense que tous les ordres de gouvernement au Canada auraient intérêt à tirer des leçons d’autres pays, tels que la Norvège, qui a administré ses industries pétrolières et gazières d’une manière beaucoup plus productive dans l’intérêt de tous ses citoyens.

L’une des principales responsabilités que j’assume à la Skeena Fisheries Commission consiste à fournir des conseils techniques et à assurer une supervision concernant les questions relatives aux pêches et à l’environnement qui peuvent avoir une incidence sur les ressources halieutiques et aquatiques des nations membres, et plus particulièrement sur les évaluations environnementales pour des projets industriels d’envergure tels que des oléoducs.

Dans le cadre de bon nombre des évaluations environnementales de projets industriels auxquelles j’ai participé dans le Nord de la Colombie-Britannique, et plus particulièrement sur la côte, les projets étaient malavisés quant à leurs soi-disant avantages économiques et leurs répercussions environnementales éventuelles.

L’adoption du projet de loi C-48 est une occasion en or de protéger les écosystèmes côtiers et riverains contre les dommages environnementaux irréparables que causerait un déversement d’hydrocarbures d’un grand pétrolier. Pour toutes les nations membres de la Skeena Fisheries Commission, les ressources halieutiques et aquatiques, et plus particulièrement le saumon, sont absolument indispensables à leur mode de vie. Je ne saurais trop insister sur ce point, car le saumon est absolument essentiel aux Premières Nations, notamment pour assurer leur subsistance durant l’hiver et leur fournir une protéine relativement peu coûteuse, sans compter l’importance du saumon dans le renforcement des collectivités.

Par exemple, tous les étés dans de nombreuses collectivités des Premières Nations en Colombie-Britannique durant les périodes d’ouverture de la pêche de subsistance, tous les membres de la famille élargie pêchent le saumon et se rassemblent pour le mettre en conserve, le fumer et le congeler. Tout le monde participe, tant les aînés que les enfants.

Même sans le risque d’un déversement de pétrole, bon nombre des populations de saumon dont dépendent les nations membres de la Skeena Fisheries Commission pour leur subsistance font face à une situation critique. Les changements climatiques, parmi de nombreux autres facteurs, ont décimé les nombres de salmonidés du Pacifique adultes qui survivent au cycle de vie marin pour retourner avec succès à leurs rivières natales et à leurs cours d’eau nataux pour frayer, réduisant ou éliminant ainsi les générations futures de salmonidés.

Par l’adoption du projet de loi C-48, un facteur potentiellement catastrophique, à savoir les déversements de pétrole, pour la viabilité et la survie des populations de salmonidés, peut être pratiquement éliminé pour le Nord de la Colombie-Britannique.

Toutes les nations membres de la Skeena Fisheries Commission utilisent des systèmes héréditaires de gouvernance autochtone, dont l’un des principes clés consiste à assumer la responsabilité de prendre des décisions liées à la gestion des ressources naturelles qui ne priveront pas les générations futures de leurs droits à des terres et à des environnements sains et à des économies durables.

Donc, en conclusion, les Premières Nations de la Skeena Fisheries Commission exhortent fortement le Comité sénatorial permanent des transports et des communications à adopter le projet de loi C-48.

Merci de m’avoir donné, au nom de la Skeena Fisheries Commission, l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui sur le projet de loi C-48.

Le président : Je vous en prie.

Monsieur Willy?

Sean Willy, président et chef de la direction, Des Nedhe Developments : Bonjour. Je suis ravi d’être sur les terres visées par le Traité no 4, où vivent les Métis à Regina à l’heure actuelle. C’est un plaisir d’être des vôtres aujourd’hui pour faire part au comité de mon opinion sur le projet de loi C-48. Je tiens à souligner les mesures pouvant être prises pour assurer le développement économique des Autochtones et à expliquer les raisons pour lesquelles ces projets de loi, et des projets de loi comme celui-ci, éliminent rapidement des possibilités qui appuient l’autodétermination des peuples autochtones.

Comme on l’a mentionné, je suis Sean Willy, président et chef de la direction de Des Nedhe, la Corporation de développement économique de la Première Nation d’English River.

À titre d’information, j’ai rencontré certains d’entre vous dans le passé, mais je veux que les autres sachent qui je suis. Je suis né et j’ai grandi dans le Nord du Canada. Je suis né à Inuvik, j’ai vécu à Fort MacPherson, à Rankin Inlet, au Nunavut et à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, et je suis membre de l’Alliance métis de North Slave. Je continue d’être très près de mes origines métisses et dénésulines. J’ai été élevé par une mère dénée et un père qui était cadre dans une société minière.

La Première Nation d’English River travaille depuis longtemps avec l’industrie des ressources. Comme dans n’importe quelle relation, c’est un partenariat permanent, mais ce qu’English River a vu, c’est une occasion. Les dirigeants des collectivités ont remarqué que les gens voulaient les gisements d’uranium de classe mondiale qui se trouvaient sur leur territoire traditionnel et qu’ils en avaient besoin. Ils savaient qu’ils pourraient soutenir ce développement s’ils participaient à tous les aspects du processus de surveillance environnementale, et qu’ils pourraient améliorer leur collectivité en créant des entreprises axées sur l’exploitation des ressources.

Les dirigeants des collectivités ont toujours été d’avis que l’on ne peut pas atteindre l’autodétermination uniquement avec le financement du gouvernement. On doit créer sa propre richesse, mais pas au détriment de l’environnement.

Au cours des 27 dernières années, cette organisation est devenue Des Nedhe Developments, l’une des entités de premier rang détenues et dirigées par des Autochtones les plus progressistes au Canada. Notre mandat repose sur trois grands piliers : exploiter une entreprise exempte de toute influence politique; verser à la collectivité des dividendes qui appuient les infrastructures et les activités communautaires; et maximiser l’emploi des membres de notre bande et d’autres Autochtones.

L’organisation Des Nedhe est constituée d’un groupe diversifié d’entreprises, au cœur duquel se trouve une division industrielle qui inclut TRON Construction, la seule entreprise appartenant à 100 p. 100 à une Première Nation qui se concentre sur la construction de tuyaux mécaniques et d’instruments électriques. L’entreprise TRON a été créée par l’entremise de partenariats progressistes avec l’industrie des ressources, mais elle s’est diversifiée pour attirer de nouveaux clients, y compris des sociétés d’État de la Saskatchewan, des alliés nationaux en construction, des partenaires des secteurs pétrolier et gazier et des compagnies nucléaires. En moyenne, TRON emploie 60 p. 100 d’Autochtones.

Des Nedhe a délaissé le secteur des ressources et a investi dans des projets d’énergie renouvelable, des occasions d’exploitation souterraine, la fabrication de produits en acier de grande taille, les communications et le marketing, des cabinets spécialisés dans les relations avec le gouvernement, des points de vente au détail de cannabis, des services de traiteur et d’entretien ménager. Nous sommes actuellement en train de planifier d’exploiter notre réserve urbaine située tout juste à l’extérieur de Saskatoon, où nous exploitons de grandes stations-service et 63 000 pieds carrés de locaux commerciaux à louer.

Nous estimons que c’est la voie vers la réconciliation économique. Nous avons atteint cet objectif par l’entremise de partenariats progressistes pour la mise en valeur des ressources avec de multiples entités. English River a toujours utilisé les ressources du territoire de façon judicieuse, comme toutes les Premières Nations et tous les groupes métis et inuits au pays. À ce jour, des membres de la bande chassent, piègent et pêchent pour assurer leur subsistance. En fait, nous avons encore des activités de pêche commerciale qui soutiennent l’Office de commercialisation du poisson d’eau douce.

English River administre et protège toujours ses terres avec le plus haut degré de durabilité. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est une stratégie globale inclusive qui découle de la mentalité des Premières Nations.

Ma principale frustration, que partagent d’autres chefs d’entreprise autochtones, est le manque d’un réel dialogue et d’une véritable collaboration avec les collectivités autochtones avant la présentation de ces projets loi, dont bon nombre plaisent à quelques groupes environnementaux colonialistes. Ces projets de loi éliminent les occasions qui peuvent appuyer le droit des peuples autochtones à la réconciliation économique et à l’autodétermination. Pour appuyer les droits des Autochtones, nous avons besoin d’une économie autochtone qui offre de la formation, des emplois et des sources de revenus au moyen d’activités commerciales. Nous estimons que ce projet de loi ajoute un obstacle aux projets menés dans le Nord et nuit aux projets de moyenne envergure qui pourraient apporter une contribution utile à tous les Canadiens autochtones.

Je peux imaginer ce qui se passerait si l’on ouvrait les gisements d’uranium dans le Nord de la Saskatchewan dans le contexte politique actuel. Je suis convaincu qu’en raison de l’incompréhension entourant ce produit et le pouvoir des mensonges dans le mouvement environnemental, la Première Nation d’English River et Des Nedhe ne seraient pas là où elles en sont à l’heure actuelle.

Des Nedhe croit fermement que la voie vers la réconciliation passe d’abord par le développement économique et une forte participation dans le processus environnemental. Au cours des 30 dernières années, la Première Nation d’English River et Des Nedhe ont démontré comment cet objectif a été atteint par l’entremise de relations progressistes et de l’exploitation des ressources.

Je vais vous laisser sur cette pensée : aucune culture n’a réussi à réaliser des progrès sur le plan économique et à atteindre l’autodétermination uniquement avec du financement gouvernemental ou philanthropique. À un certain moment, vous devez recourir à vos propres ressources et passer aux prochaines étapes pour vous-mêmes.

Nous estimons que le projet de loi C-48 dans sa forme actuelle et d’autres projets de loi comme celui-ci priveront tous les peuples autochtones de possibilités.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Willy.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup, messieurs. Vous nous avez fait part de deux points de vue très différents concernant le développement. Pour cette raison, c’est vraiment une bonne chose que vous comparaissez ensemble.

Monsieur Latremouille, depuis que vous travaillez avec les tribus autochtones dans le dossier du saumon, que pensez-vous des positions d’autres tribus autochtones qui veulent des emplois et l’industrie du pétrole et qui disent que le risque de déversement de pétrole est minime?

Deuxièmement, vous avez cité la Norvège comme exemple. Comment est-elle un bon exemple en ce qui concerne le projet de loi C-48?

M. Latremouille : Je tiens à préciser que les Premières Nations qui forment la Skeena Fisheries Commission ne sont pas totalement contre le développement, mais l’idée de permettre le transport de pétrole au large de la côte nord est malavisée, d’après nous.

La Skeena Fisheries Commission et ses nations membres ne veulent pas que d’autres nations souffrent dans leur cheminement vers le développement économique et la prospérité, mais le pétrole n’est pas le seul moyen d’y parvenir.

La Norvège a créé un fonds à partir des redevances tirées de l’industrie pétrolière à hauteur de 1 million de dollars par citoyen. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pourrions pas faire quelque chose de similaire au Canada.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comment le pays a-t-il pu établir un juste équilibre entre la protection des pêches, ce que vous essayez de faire sur la côte nord, et l’exploitation pétrolière?

M. Latremouille : Tout dépend de la façon dont on examine la situation. Je sais que la Norvège utilise beaucoup plus l’aquaculture, de façon générale, que nous le faisons au Canada pour créer ce que nous appelons une pêche de production. Le sujet de l’aquaculture ouvre une autre boîte de Pandore.

J’ai travaillé aux États-Unis également, où j’ai acquis bon nombre de mes connaissances sur les pêches, et les États-Unis utilisent, par exemple, beaucoup plus l’aquaculture que nous pour créer des possibilités de pêche. Du point de vue de la conservation, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. À mon sens, c’est comme si quelqu’un attachait un panache à une vache Jersey et prétendait être un chasseur. Vous ajoutez une étape essentiellement.

Je ne suis pas en train de dire que la Norvège est nécessairement le modèle parfait, mais le Canada pourrait déployer plus d’efforts pour tirer des leçons d’autres pays dans le monde afin de découvrir ce qui a fonctionné ailleurs.

Le sénateur Neufeld : Merci à tous les deux d’être ici aujourd’hui. Je vous en suis reconnaissant.

Monsieur Latremouille, je vais lire quelque chose. Vous avez dit ceci : « Dans le cadre de bon nombre des évaluations environnementales de projets industriels auxquelles j’ai participé dans le Nord de la Colombie-Britannique, et plus particulièrement sur la côte, les projets étaient malavisés quant à leurs soi-disant avantages économiques et leurs répercussions environnementales éventuelles. » Pourriez-vous me fournir quelques exemples?

M. Latremouille : Voulez-vous une liste assez exhaustive?

Le sénateur Neufeld : Nommez-en quelques-uns seulement.

M. Latremouille : Le projet de GNL de Pacific Northwest, également connu sous le nom de PETRONAS, est un exemple. J’ai participé à l’évaluation environnementale de ce projet, depuis sa création jusqu’à la décision de ne plus aller de l’avant avec le projet, car on jugeait qu’il n’était pas économiquement viable.

Sur le plan économique, on a commencé par dire que le projet créerait de nombreux emplois. Prince Rupert, par exemple, une collectivité située très près de l’endroit où ce projet aurait été mené, éprouve des difficultés économiques depuis maintenant plusieurs décennies. On a promis que des milliers d’emplois canadiens seraient créés dans le cadre de ce projet et, à l’époque, le gouvernement de Christy Clark était au pouvoir.

À un moment donné, c’était pour le site C, mais le gouvernement provincial en Colombie-Britannique examinait la réglementation pour les travailleurs étrangers temporaires, et les promoteurs de PETRONAS se sont énervés et ont dit : « Eh bien, si vous modifiez cette réglementation, alors nous ne pouvons pas mettre en œuvre notre projet. » D’emblée, je me suis demandé comment ce sont des emplois canadiens si nous faisons venir des travailleurs étrangers temporaires, et comment ce projet aide-t-il le Canada et son économie?

Sur le plan environnemental, l’endroit où PETRONAS voulait mener ce projet est une région du nom de l’île Lelu, qui est juste à côté de la berge Flora, qui a été reconnue comme étant l’habitat le plus important pour les salmonidés juvéniles de l’ensemble du réseau hydrographique de la rivière Skeena. Le projet a fait l’objet de plusieurs itérations de conception différentes, mais la première visait essentiellement à puiser dans les réserves du centre de la berge Flora. Les promoteurs disaient qu’ils pourraient réduire les répercussions et qu’il n’y aurait aucune perte d’habitat et de production de poissons, mais ils ne disposaient d’aucune statistique pour étayer leurs affirmations.

Le projet a fait l’objet de nombreuses itérations avant que les promoteurs décident d’aller de l’avant. D’après moi, la raison pour laquelle ils ont décidé que le projet n’était pas viable sur le plan économique était en partie que bon nombre des mesures d’atténuation environnementale promises étaient très peu probables d’être efficaces, d’une part, et étaient extrêmement onéreuses financièrement, d’autre part. C’est un exemple.

Il y a de multiples mines en amont du bassin hydrographique, et la proposition, si elle était mise à exécution, détruirait des populations entières de poissons. En ce qui concerne les salmonidés du Pacifique, il ne s’agit pas de créer une écloserie et de réintégrer du saumon rouge. Ces projets ne fonctionnent pas habituellement.

Le sénateur Neufeld : Merci. Je vois ce que vous voulez dire. J’y ai participé dans les deux cas. Je suis au courant de ce qui s’est passé.

Lorsque vous parlez de déversements, il convient de garder à l’esprit que ce sont des pétroliers à double coque compartimentée, ce qui signifie qu’en cas d’accident, la totalité de la cargaison ne sera pas déversée. Cela n’a rien à voir avec l’Exxon Valdez. De nos jours, les navires qui partent de Valdez à destination des 48 États continentaux se déplacent à environ 50 à 80 milles des côtes. Si l’un de ces navires avait un accident catastrophique en mer, cela aurait-il des répercussions sur les poissons, sur le saumon, dont vous avez parlé?

M. Latremouille : C’est fort probable.

Le sénateur Neufeld : Ces pétroliers sillonnent la côte depuis longtemps et, à ma connaissance — corrigez-moi si je me trompe —, il n’y a eu aucune catastrophe ayant un effet considérable sur le saumon au large de la côte Nord de la Colombie-Britannique.

M. Latremouille : Eh bien, il y a eu le déversement relativement petit du Nathan E. Stewart dans le territoire des Heiltsuks.

Le sénateur Neufeld : Je vois.

M. Latremouille : L’intervention lors du déversement a été totalement inadéquate. Les répercussions et les dommages sont toujours bien présents. Je ne dis pas que l’industrie pétrolière américaine est parfaite, loin de là, mais au Canada, il nous reste beaucoup de progrès à faire, en particulier sur la côte Nord. En outre, le Nathan E. Stewart transportait beaucoup moins de pétrole qu’un gros pétrolier.

Le sénateur Neufeld : C’était une barge qui était près du rivage.

M. Latremouille : Certes, mais il n’est pas rassurant de constater qu’on a pu intervenir adéquatement. Qu’en serait-il pour un déversement important?

Le sénateur Neufeld : Je comprends, et ce que vous dites est vrai. Sur la côte Nord, nous n’avons pas les installations de nettoyage modernes dont nous avons besoin.

Monsieur Willy, votre dernière phrase se lit comme suit : « Nous estimons que le projet de loi C-48 dans sa forme actuelle [...] priveront tous les peuples autochtones de possibilités. » J’insiste ici sur le mot « tous ». Pouvez-vous expliquer cela un peu plus en détail?

M. Willy : Dans le secteur des affaires, c’est chez les Autochtones qu’on observe la plus forte croissance au cours des 30 dernières années. Nous avons besoin d’un accès aux ports, où qu’ils soient, afin de créer des occasions d’affaires pour tous les peuples autochtones à l’intérieur des terres.

Il est faux de dire que les peuples autochtones ne faisaient pas de commerce avant l’arrivée des Européens. Nous commercions les uns avec les autres; nous avions des liens naturels, partout au pays. Nous avions une chaîne d’approvisionnement. À titre d’exemple, nous sommes très actifs dans les secteurs de la construction des services pour l’industrie pétrolière et gazière. Cela ne fait que ralentir l’industrie et la priver d’une partie de ses revenus. Toutefois, les revenus ou les profits ne vont pas aux intervenants ou aux actionnaires des multinationales; ils vont aux Canadiens les plus pauvres. Ensuite, ces gens utilisent cet argent pour progresser sur le plan socioéconomique, n’est-ce pas? Ils achètent des aliments, participent à la société et font la promotion de l’éducation pour les jeunes.

Bloquer l’expédition de pétrole aura des répercussions sur tous les acteurs de l’industrie dans les provinces productrices de pétrole. Cela ne concerne pas que ces provinces, car les Premières Nations sont désormais présentes dans le secteur des technologies. Donc, nous avons tout un rôle à jouer et nous sommes tous liés, partout au pays.

La sénatrice Busson : Ma question s’adresse surtout à M. Latremouille.

Nous avons entendu des témoins du Nord de la Colombie-Britannique. Je pense en particulier au maire de Lax Kw’alaams en raison de sa présentation passionnée. Selon lui, fermer la porte à l’établissement d’un port dans sa région freinerait et empêcherait tout progrès économique pour sa communauté et ses enfants pour plusieurs générations. Pouvez-vous me dire où en sont les nations Gitxsan, Wet’suwet’en et Gitanyow par rapport à la nation Metlakatla et les Premières Nations qui sont clairement favorables à l’établissement d’une voie d’accès à Prince Rupert ou Port Simpson, par exemple, pour favoriser la prospérité?

M. Latremouille : Il me sera plus facile de répondre avec une mise en contexte.

La communauté de Lax Kw’alaams avait certains liens avec l’organisme pour lequel je travaille, la Skeena Fisheries Commission, mais elle a les deux modes de gouvernement autochtone : le système fondé sur l’hérédité et les bandes. Le maire de la nation Lax Kw’alaams, M. John Helin, et le conseil de bande fonctionnent selon le système de bandes. Ce système ne permet pas une représentation complète du point de vue de la communauté Tsimshian.

Sur le plan géographique, les communautés des Metlakatlas et des Lax Kw’alaams sont situées dans la région côtière, près de Prince Rupert et de Port Edward. Les nations Wet’suwet’en, Gitanyow et Gitxsan sont établies plus en amont. Mon bureau se trouve à Kispiox, en Colombie-Britannique, au cœur du territoire traditionnel des Gitxsans. La nation Gitanyow est établie plus loin, à l’ouest de nous, près de Kitwanga, sur les rives de la rivière Kitwanga. En fait, une partie de son territoire est dans le bassin hydrographique de la Nass.

Le territoire de la nation Wet’suwet’en chevauche la rivière Skeena, la rivière Bulkley, la rivière Morice et le lac Morice. Ils sont établis à Smithers. C’est là que j’habite. Donc, ils sont établis plus loin en amont, mais les populations de saumon qu’on y pêche passent une partie de leur vie dans l’océan.

La sénatrice Busson : Pour que ce soit clair pour tout le monde, puisque cela peut susciter de la confusion pour certains, vous ne représentez pas nécessairement l’ensemble des populations qui vivent dans le bassin de la Skeena, n’est-ce pas?

M. Latremouille : Vous parlez de l’ensemble des Premières Nations du bassin de la Skeena?

La sénatrice Busson : Oui.

M. Latremouille : Non, pas en ce moment, mais je suis sûr que vous savez qu’il peut y avoir beaucoup de conflits internes et de jeux politiques chez les Premières Nations. C’est peut-être une parenthèse, mais dans mon travail à la Skeena Fisheries Commission, je suis navré de voir les gens se battre les uns contre les autres, au détriment du bien commun, parce qu’ils sont incapables de surmonter leur aversion pour certaines personnes ou certaines situations.

Cela dit, la Skeena Fisheries Commission s’occupe des enjeux liés aux pêches dans l’ensemble du bassin de la Skeena.

La sénatrice Busson : Avez-vous des liens avec les chefs héréditaires?

M. Latremouille : Oui.

Le sénateur Smith : Vous ne vous en souvenez peut-être pas, mais je vous ai rencontré au souper commémoratif de la guerre, où vous avez donné une présentation formidable, comme aujourd’hui

Dans notre voyage de quelques semaines en Colombie-Britannique, en Alberta et à Regina, les dirigeants autochtones favorables au développement ont tous indiqué avoir le même objectif : sortir leur peuple de la pauvreté. Les partisans du projet de loi C-48 disent que nous devons sauver le poisson. Lorsqu’on demande à ces gens de parler de leur stratégie économique, ils ont un étrange regard — je ne sais pas s’ils le font consciemment ou non — et je ne suis pas vraiment certain de leur réponse à cette question.

Lorsque je discute avec les Autochtones ici et en Alberta, il me semble que l’un des objectifs, que vous faites déjà, j’en suis certain, consiste à trouver des façons d’amener tout le monde, pour et contre, à collaborer à la planification, si cela doit se concrétiser. Il semble y avoir une ouverture, mais cela ne pourra évoluer que si on parvient à amener les gens à travailler ensemble. Quant au point que vous avez soulevé, je suis conscient des enjeux liés à la concurrence entre les peuples autochtones, mais cela vaut pour toute société.

Monsieur Willy, j’aimerais avoir votre opinion sur la promotion d’une approche économique équilibrée et raisonnable, parce que la formule du « pas dans ma cour » ne fonctionne pas et est plutôt insensée, à mon avis.

M. Willy : C’est un plaisir de vous revoir, sénateur Smith.

C’est une approche toute canadienne qui n’a rien de nouveau. Ce qu’on propose dans le Nord de la Colombie-Britannique n’est pas nouveau. Prenez l’exemple du Nord de la Saskatchewan : beaucoup de gens y gagnent bien leur vie, paient des impôts, ce qui est bon pour l’économie, tout en maintenant un mode de vie durable sur la terre.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, certains participent à la mise en valeur des diamants sur leur territoire traditionnel. Ils gagnent bien leur vie et vivent toujours de la terre. Ces enjeux — ceux liés au caribou, au saumon, au bison, au bœuf musqué ou à l’ours polaire — ont tous été soulevés ces 40 dernières années. Nous avions une approche toute canadienne, soit que les peuples autochtones participent aux projets dès le début, et souvent à l’étape de la conception, comme cela s’est fait dans le Nord de la Saskatchewan. Les gens du Nord de la province ont tendance à être humbles. Nous n’attirons pas assez l’attention sur nos réalisations. Les populations locales participent à la conception, à la surveillance continue et aux tests de palatabilité du poisson qui sont effectués dans le Nord de la Saskatchewan et dans les Territoires du Nord-Ouest. Ces tests, qui sont liés aux mines, visent à démontrer aux peuples autochtones que le poisson n’est pas altéré.

Il s’agit d’intégrer les connaissances traditionnelles tout au long de ces processus et de veiller à ce que les communautés autochtones participent à la fermeture des installations et à la remise en état de tous les sites.

Le modèle existe. Il y a un dialogue continu de nation à nation avec ces communautés.

Je voyage partout au pays. La semaine dernière, j’étais à Kitigan Zibi, au nord d’Ottawa, pour parler de la façon de créer des débouchés de développement économique. Nous le faisons parce que nous y voyons la voie à suivre, parce que nous respectons la terre, l’environnement dans lequel nous avons tous grandi, mais nous voulons aller de l’avant et offrir des perspectives d’avenir à nos enfants dans le monde d’aujourd’hui.

Le sénateur Smith : Il semble y avoir un problème sur le plan de la consultation. Les promoteurs semblent capables de consulter les dirigeants autochtones. La lacune ne serait-elle pas l’incapacité du gouvernement de faire son travail pour compléter le trio?

Comment pouvez-vous créer un modèle de gestion approprié et efficace sans véritables consultations? Ces dernières semaines, j’ai seulement entendu parler de consultations. Consultations par-ci, consultations par-là, encore et encore. Parle-t-on de consultations entre dirigeants autochtones, entre les promoteurs et les dirigeants autochtones ou entre les ordres de gouvernement? Je suis sûr que vous vous souvenez de la jeune femme qui a donné une excellente présentation sur un projet de gaz naturel.

M. Willy : Oui.

Le sénateur Smith : Elle a dit que rien n’a été fait jusqu’à ce que le promoteur ait bien compris exactement nos besoins et nos exigences.

M. Willy : Cette relation est nécessaire. Il faut une relation honnête où les deux parties font mutuellement preuve de franchise. Beaucoup d’entreprises progressistes du secteur des ressources naturelles sont rendues là. Les collectivités et les promoteurs ont adopté cette approche.

Les promoteurs considèrent cela comme un critère juridique à satisfaire, mais au fil du temps et des discussions avec les communautés autochtones, ils comprennent que c’est la chose à faire. Lorsqu’on commence, la relation évolue et devient essentielle. Cela a une valeur pour les promoteurs et pour la collectivité, cela devient une proposition valable tout au long du cycle de vie du projet.

Le sénateur Smith : Comment peut-on maintenir le gouvernement dans le trio?

M. Willy : Je n’ai pas encore la réponse à cette question en raison des changements de gouvernement, car à chaque changement, les propositions sont légèrement modifiées. Il faut regarder les modèles qui ont été créés ailleurs. Les modèles existent, comme le projet de développement de Voisey’s Bay, au Labrador, et les projets de développement au Nunavut. Il y a des exemples partout au Canada. À mon avis, on ne fait pas assez d’examens rétroactifs des projets pour connaître les facteurs de succès, dans ces cas précis.

La sénatrice Gagné : Ma question était dans la même veine que celle du sénateur Smith. Je vais donc simplement demander à M. Latremouille de répondre à la question qui a été posée et de nous parler du modèle de développement sur la côte de la Colombie-Britannique.

M. Latremouille : Votre question porte donc sur les consultations dans le cadre d’un projet précis. Je comprends votre frustration. Je peux vous dire que, d’après mon expérience de l’évaluation environnementale en Colombie-Britannique, il est souvent arrivé que les gouvernements — en particulier le gouvernement provincial et, dans une moindre mesure, le gouvernement fédéral — participent aux évaluations environnementales et tentent de transférer au promoteur une bonne partie de leurs obligations en matière de consultation. Pour moi, il est fondamentalement vicié de procéder ainsi.

Je n’ai aucun reproche à l’égard de ceux qui travaillent pour une société pipelinière ou une société de gaz naturel et qui veulent promouvoir un projet et le voir aller de l’avant. On peut dire qu’il est difficile de travailler pour une organisation lorsqu’on est en désaccord avec ses activités. Il faut aborder cela d’un autre angle : le promoteur du projet est censé tenir des consultations, il veut que son projet aille de l’avant et il arrive qu’on l’incite presque à perdre toute objectivité sur certains aspects.

J’en ai fait l’expérience dans le cas de l’évaluation environnementale du projet de PETRONAS. J’ai eu de nombreuses discussions animées avec leurs experts-conseils en environnement au sujet de certaines notions scientifiques assez fondamentales. J’étais vraiment stupéfait. Je me disais que c’est de la science fondamentale, donc quelque chose qui ne devrait pas vraiment susciter de débats. Dans ce cas-ci, les organismes de réglementation — fédéral et provincial — ne se sont pas manifestés pour indiquer qu’il y avait un problème. Ils n’ont pas joué leur rôle d’arbitre.

Je pense que les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux doivent recommencer à jouer leur rôle. PETRONAS a fait de folles promesses concernant la prospérité économique. Je pense qu’il faut laisser de côté les lunettes roses et examiner sérieusement les avantages potentiels et les effets, positifs et négatifs.

Le sénateur MacDonald : Merci à tous les deux. C’est un plaisir de vous revoir, monsieur Willy. Il semble que nous rencontrons assez souvent.

Monsieur Latremouille, nous sommes tous deux des Néo-Écossais. Vous êtes biologiste des pêches. Quelques-uns de mes amis sont aussi biologistes et je respecte leur travail. Vous parlez d’un effet dissuasif quant à l’examen de certains aspects. Évidemment, cela s’appliquerait aussi à vous, puisque vous êtes un employé de la Skeena Fisheries Commission. Vous avez l’obligation de promouvoir ses intérêts supérieurs, et c’est ce que vous ferez, comme il se doit.

En ce qui concerne l’interdiction complète, que vous semblez appuyer — et vous avez déjà mentionné le Nathan E. Stewart —, l’interdiction n’empêche pas vraiment qu’il y ait un déversement de pétrole; elle empêche simplement que le pétrole soit acheminé vers les ports de la côte Ouest pour y être chargé dans des pétroliers.

M. Latremouille : Abstraction faite des manœuvres politiques de TransCanada, j’ai remarqué qu’on laisse entendre que l’adoption du projet de loi C-48 empêcherait toute expédition de pétrole au large de la côte Ouest, ce qui est faux.

Le sénateur MacDonald : Non, mais il y a 238 millions de tonnes métriques sur la côte Est, et 6 millions sur la côte Ouest. Ce n’est pas comme si vous portiez la plus grande part de la charge, loin de là. Le risque de déversement de pétrole sera toujours plus grand avec un navire à coque simple qu’avec un navire à coque double. C’est une simple question de mathématiques, de statistiques.

L’interdiction totale n’élimine tout de même pas le risque de déversement. Des traversiers, des bateaux de pêche et des navires de toutes sortes circulent le long de la côte. À mon avis, c’est là que l’argument s’effrite.

M. Latremouille : La question devient alors l’ampleur du déversement. De toute évidence, ce sera plus catastrophique, que le pétrolier soit muni d’une coque double ou non.

Le sénateur MacDonald : Encore une fois...

M. Latremouille : ... avec un grand pétrolier qu’avec un traversier.

Le président : Laissez-le finir, sénateur MacDonald.

M. Latremouille : Désolé.

Le président : Finissez ce que vous vouliez dire. Cela ira mieux si vous ne vous interrompez pas l’un l’autre.

Le sénateur MacDonald : Il y a une chose sur laquelle je suis d’accord avec vous, et je me demande si vous êtes ouvert à l’idée que je vais proposer. Nous avons de très bonnes unités d’intervention en cas de déversement sur la côte Est, dans la baie de Fundy, à Point Tupper et dans le golfe du Saint-Laurent. Or, le gouvernement du Canada n’a pas senti le besoin de mettre sur pied une bonne unité d’intervention en cas de déversement dans la région visée, probablement en raison du moratoire. Je pense que le naufrage du Nathan E. Stewart a montré que le besoin était réel.

Seriez-vous plus ouvert à la création d’un corridor menant vers la côte Ouest s’il y avait des installations adéquates d’intervention en cas de déversement dans la partie nord de la côte de la Colombie-Britannique?

M. Latremouille : Il y a certainement beaucoup de détails à régler. Cela dit, j’ai travaillé pour la Garde côtière sur la côte Est. Ce qui m’a frappé, c’est qu’à l’intérieur même du Canada... À l’époque où je travaillais pour la Garde côtière, le programme d’embarcations de sauvetage côtier était complètement différent sur la côte Ouest que sur la côte Est. On pourrait sans aucun doute améliorer la communication à l’échelle nationale sur des questions comme la préparation et l’intervention en cas de déversement de pétrole.

Je pense que si l’on pouvait réduire la probabilité d’un incident à 5 p. 100, disons, je serais prêt à envisager cette possibilité. Actuellement, il nous manque trop de renseignements. Ce serait différent s’il n’y avait pas d’autres façons d’expédier le pétrole hors de la côte Ouest, mais il y en a. À mes yeux, prendre des risques inutiles dans une zone pratiquement vierge n’en vaut pas la peine.

Le sénateur MacDonald : Je vois qu’il y a de l’espoir, et c’est très bien. Comme vous, j’ai grandi dans un milieu faisant partie de l’économie maritime. Ne serait-il pas plus logique de faire transiter le pétrole lourd par les ports de la côte Ouest les mieux adaptés au traitement du pétrole lourd, comme ceux de Prince Rupert et de Port Simpson, que par celui de Burnaby, qui, selon les études du gouvernement, est l’un des pires ports de la côte Ouest pour le traitement du pétrole?

M. Latremouille : Voulez-vous dire le pétrole en général ou le pétrole lourd?

Le sénateur MacDonald : Tous les types de pétrole. Les ministères de l’Environnement et des Pêches ont établi il y a longtemps que les ports de Prince Rupert et de la région de Port Simpson sont les mieux outillés pour gérer l’exportation du pétrole. Il faut donc le transporter jusque-là pour que ces ports puissent en gérer l’exportation. Comment suggérez-vous que nous y arrivions?

M. Latremouille : Que nous transportions le pétrole jusqu’aux ports?

Le sénateur MacDonald : Oui, il faut le transporter jusqu’à ces ports puisque ce sont les ports les mieux adaptés.

M. Latremouille : Je me demande quelles études ont été utilisées parce qu’une étude approfondie des pêches a été effectuée à la fin des années 1970 et au début des années 1990...

Le sénateur MacDonald : C’est celle-là.

M. Latremouille : Cette étude recommandait fortement de ne pas réaliser de projets industriels de grande envergure dans les ports de Prince Rupert et de Port Edward. PETRONAS a fait tout son possible pour ignorer ces études. Il a fallu déployer de grands efforts pour lui faire reconnaître la valeur élevée du saumon dans la région.

Le président : Monsieur Willy, pouvez-vous me dire combien d’employés vous avez?

M. Willy : En ce moment, nous comptons environ 250 employés, dont 60 p. 100 sont autochtones. Ce nombre augmente durant la saison estivale. Cet été, nous compterons probablement entre 600 et 700 employés.

Le président : D’après vous, quel effet les projets de loi C-48 et C-69 auront-ils sur votre entreprise? Combien de personnes risquent de perdre leur emploi?

M. Willy : Nous n’engagerons pas autant d’employés pour certains projets. Ce qui m’inquiète personnellement, ce sont les 634 communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Comme je l’ai dit au sénateur Smith, à notre avis, la réconciliation économique peut mener à l’autodétermination pour tous les peuples autochtones. C’est pour cette raison que j’ai mentionné que si nous commencions à exploiter les ressources dans le Nord de la Saskatchewan aujourd’hui, des idées fausses nous ralentiraient, comme celle selon laquelle notre culture ne peut pas survivre si nous participons à l’exploitation des ressources. Nous avons montré que c’était faux et nous connaissons des centaines de communautés qui ont progressé et qui ont amélioré leur situation tout en équilibrant l’environnement et l’économie.

Le président : Monsieur Latremouille, vous avez mentionné qu’il y avait d’autres façons d’acheminer le pétrole de l’Ouest canadien vers la côte Ouest. Quelles sont ces autres façons?

M. Latremouille : Eh bien, il y aura TransCanada, si l’on arrive à régler les questions de politique qui l’entourent.

Le président : Vous parlez du pipeline de Kinder Morgan?

M. Latremouille : Oui.

Le président : Il n’est pas encore construit.

M. Latremouille : Des propositions ont été faites. Si je comprends bien, il s’agit de doubler la capacité d’un pipeline existant.

Le président : Je comprends, mais votre organisation et les bandes des Premières Nations feraient-elles pression sur le gouvernement néo-démocrate pour qu’il arrête d’entraver la construction de ce pipeline afin que le pétrole puisse être transporté jusqu’à la côte de Vancouver?

M. Latremouille : Nous ne faisons pression ni pour ni contre ce projet de pipeline.

Le président : C’est intéressant parce que vous ne voulez pas du pétrole sur votre côte, mais vous ne vous efforcez pas de faire en sorte qu’il passe par la côte sud. Dans ce cas, comment pouvons-nous transporter le pétrole hors du pays?

Vous dites qu’il est possible de faire sortir le pétrole du pays sans passer par la côte Nord de la Colombie-Britannique. Ce serait en passant par Vancouver.

M. Latremouille : Oui, ou pourquoi ne pas l’envoyer vers l’est?

Le président : Nous avons un problème de ce côté-là puisque le gouvernement tente d’empêcher la construction du pipeline. Ce que je vous demande, c’est si, à votre avis, les bandes autochtones pourraient aider à convaincre le gouvernement de la Colombie-Britannique de construire le pipeline.

M. Latremouille : Je tiens à préciser que les Premières Nations avec lesquelles je travaille ne sont pas des bandes; elles utilisent des systèmes héréditaires. Ce n’est pas vraiment à moi de donner leur avis à ce sujet. Je ne sais pas si elles pourraient aider à faire pression sur le gouvernement de la Colombie-Britannique ou si cela donnerait quelque chose.

Nous avons gardé notre indépendance par rapport à ce dossier, mais ce n’est pas le seul endroit d’où le pétrole peut être expédié. Pourquoi ne pas l’envoyer vers l’est? Ou encore, ce n’est peut-être pas le sujet de la discussion, mais pourquoi ne pas faire plus de raffinage au Canada?

Le président : Nous devrions donc envoyer tout le pétrole vers l’est et rien vers l’ouest? C’est ce que vous proposez?

C’est vous, le scientifique. J’essaie d’avoir une réponse. Où irait le pétrole?

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est un scientifique, pas un lobbyiste. Peut-être que nous devrions le laisser...

Le président : Et puis? Ne me contredisez pas.

M. Latremouille : Quelle est la question?

Le président : La question, c’est comment allons-nous faire pour acheminer le pétrole de l’Ouest canadien vers la côte Ouest si nous ne pouvons passer ni par le Nord ni par le Sud de la Colombie-Britannique. Actuellement, le gouvernement néo-démocrate s’oppose au projet de pipeline Kinder Morgan, alors comment allons-nous transporter le pétrole?

M. Latremouille : Et si nous collaborions avec les États-Unis?

Le président : Voilà. D’accord, je vous remercie.

Y a-t-il d’autres questions? Non. Dans ce cas, je remercie les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui.

Nous passons au deuxième groupe de témoins de la journée. Je suis heureux d’accueillir M. Mark Prystupa, directeur, Relations gouvernementales, autochtones et communautaires, de Suncor Énergie; M. Blair Stewart, ancien chef de la direction et fondateur de Stewart Southern Railway, à titre personnel; M. Dale Mainil, vice-président, Acquisitions, de Jerry Mainil Limited; et M. Jim Wilson, président de Wil-Tech Industries Ltd.

La parole est à vous, monsieur Prystupa.

Mark Prystupa, directeur, Relations gouvernementales, autochtones et communautaires, Suncor Énergie : Bonjour. Je tiens à commencer en reconnaissant que la ville de Regina se trouve sur le territoire visé par le Traité no 4, soit sur les terres ancestrales des Cris, des Ojibwés, des Saulteaux, des Dakotas, des Nakotas et des Lakotas, et sur les terres traditionnelles de la nation métisse.

Je vous remercie de me donner l’occasion de participer à cette importante discussion.

Je m’appelle Mark Prystupa. Je possède 25 ans d’expérience en milieu universitaire, gouvernemental et, aujourd’hui, industriel. Presque toute mon expérience est liée aux peuples autochtones et à l’exploitation des ressources.

Chez Suncor, nous valorisons la performance financière, sociale et environnementale. Nous n’avons pas le choix si nous voulons réussir à long terme. Nous contribuons grandement à la prospérité sociale et économique du Canada, tant par l’entremise de notre travail avec les Autochtones et autres parties intéressées que par les impôts et les redevances que nous versons aux gouvernements, ainsi que les plus de 12 000 travailleurs que nous employons. Nos investissements annuels de 350 millions de dollars dans la technologie et l’innovation nous permettent de produire du pétrole en réduisant progressivement les émissions de GES.

Vous avez presque terminé vos audiences. J’ai suivi votre travail. Je vous en félicite et je vous remercie de vous être déplacés jusqu’en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan.

Des préoccupations ont été soulevées au sujet des déversements et de leurs conséquences potentiellement dévastatrices sur les côtes vierges du Nord de la Colombie-Britannique, y compris des endroits où les Premières Nations côtières récoltent traditionnellement de la nourriture, et du risque pour l’aquaculture et le tourisme. Certains vous ont dit que le projet de loi nuit aux investissements au Canada, qu’il empêche les Canadiens d’obtenir la juste valeur marchande pour leurs ressources pétrolières et qu’il élimine des occasions pour les communautés autochtones appauvries. Suncor croit que tous ces points de vue sont légitimes et qu’ils doivent être pris en considération.

Suncor ne croit pas toutefois que la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers répond adéquatement à ces préoccupations, et c’est pourquoi elle est si controversée.

Nous sommes d’avis que le moratoire relatif aux pétroliers comporte des lacunes pour deux raisons. D’abord, le moratoire a été présenté comme un fait accompli dans la lettre de mandat du ministre des Transports. Il n’a jamais été question de consulter les collectivités et les parties intéressées, mais plutôt de les convaincre. Le ministre Garneau l’a même dit à votre comité le 20 mars dernier en déclarant que le projet de loi C-48 est « essentiellement binaire ». C’est également ainsi que se sont déroulées les séances de consultation ayant trait au projet de loi. Nous sommes plus intelligents que cela.

Le gouvernement fédéral s’est engagé à en faire plus dans ses 10 principes régissant les relations avec les Autochtones. Il a parlé de mettre en place des processus qui réunissent les gens, qui favorisent une réelle collaboration et qui permettent de comprendre les intérêts de tous.

Il n’aurait pas fallu demander qui appuie le moratoire, mais plutôt quelle est la meilleure façon de protéger l’environnement marin et d’appuyer les économies locales et nationale.

Il y a aussi un manque de données probantes. Le gouvernement du Canada s’est engagé à prendre des décisions fondées sur des données probantes, mais cela ne semble pas être le cas ici. Vous avez entendu parler des incidents impliquant la barge de réapprovisionnement Nathan E. Stewart et le vraquier Simushir, deux incidents n’ayant pas de rapport avec le moratoire. Vous avez aussi entendu parler des importantes améliorations apportées à la sécurité des pétroliers. La compréhension des risques associés au trafic de pétroliers devrait sous-tendre ce projet de loi, et pourtant, à notre connaissance, aucune évaluation des risques n’a été effectuée.

Le projet de loi axé sur l’interdiction du pétrole brut et des hydrocarbures persistants constitue une simplification exagérée et ne correspond pas aux données scientifiques. Je sais que Mme Dettman, de RNCan, a témoigné devant votre comité. Elle a constaté que le comportement du bitume dilué n’est ni inattendu ni totalement différent de celui d’autres produits pétroliers. Nous ne savons pas vraiment pourquoi certains produits se trouvent sur la liste alors que d’autres en sont exclus. D’autres variables influant sur la prévention, ainsi que sur le devenir et le comportement du pétrole dans l’eau n’ont pas été prises en compte.

Le moratoire controversé et brusque relatif aux pétroliers ne devrait pas être adopté. Le gouvernement fédéral devrait plutôt lancer une initiative ayant recours aux meilleures données scientifiques disponibles et au savoir autochtone. On devrait réunir les gens dans le but de protéger la côte nord de la Colombie-Britannique et de faire progresser les intérêts économiques locaux et nationaux au lieu d’adopter une loi qui divise les Canadiens.

Suncor croit fermement qu’un tel processus permettrait d’obtenir de meilleurs résultats pour tous. Vous savez sûrement que la participation des citoyens a mené au système de calibre mondial institué à Valdez. Pourquoi ne pas faire de même au Canada?

Si le projet de loi est adopté, Suncor suggère un amendement visant à exclure une partie des terres de la zone géographique décrite. On pourrait alors créer un corridor maritime qui comprendrait des investissements considérables dans la prévention des déversements de pétrole et les interventions d’urgence, et qui permettrait en même temps d’éviter les eaux les plus fragiles et dangereuses. Ce faisant, on rendrait probablement l’ensemble du transport dans la région plus sécuritaire.

Tout projet pétrolier ferait l’objet d’une évaluation complète sur plusieurs années exigeant l’approbation du gouvernement et comprendrait des investissements de taille dans la prévention des déversements et les interventions d’urgence. Des partenariats avec les Autochtones seraient essentiels.

Je suis sûr que l’économie, les collectivités, ainsi que la sécurité et la protection de la côte nord de la Colombie-Britannique y gagneraient à long terme, et qu’il serait préférable de travailler ensemble plutôt que d’adopter ce projet de loi. Lançons la discussion.

Je vous remercie. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : La parole est à vous, monsieur Stewart.

Blair Stewart, ancien chef de la direction et fondateur de Stewart Southern Railway, à titre personnel : Merci. Je tiens d’abord à dire que je ne suis pas un conférencier professionnel. Je vous prie de m’excuser.

Le président : Dans ce cas, nous aurons une conversation, monsieur Stewart.

M. Stewart : Je vous remercie.

Bonjour, mesdames et messieurs. Merci de prendre le temps de m’écouter. La première fois que j’ai entendu parler du projet de loi, les médias et le gouvernement fédéral le présentaient comme une mesure interdisant la circulation de pétroliers transportant des hydrocarbures et des matières dangereuses. La question à laquelle le comité doit répondre, c’est si cette description est vraie ou fausse. D’après moi, elle est fausse, car le projet de loi C-48 n’interdit que certains produits.

Les produits interdits sont le diesel marine, le pétrole brut synthétique, les huiles de graissage, le dilbit et le bitume. Pourquoi la liste ne comprend-elle pas le gaz naturel liquéfié? Peut-être parce que le projet de pipeline Coastal GasLink, qui a été approuvé en octobre 2018, reliera Dawson Creek à Kitimat, en Colombie-Britannique, et je pense que nous savons ce qui sera acheminé vers Kitimat. En vertu du projet de loi, des navires-citernes pourront transporter du gaz naturel liquéfié sur des eaux interdites d’accès aux pétroliers transportant certains types d’hydrocarbures liés au projet de pipeline Northern Gateway.

Cette politique — qui, de surcroît, n’est pas fondée sur des données scientifiques — empêche trois provinces des Prairies n’ayant pas accès à la mer d’exploiter leurs propres ressources naturelles. Ces provinces sont donc prises avec des réserves de pétrole à valeur considérablement réduite. De plus, ce projet de loi très clivant va à l’encontre des intérêts supérieurs de nombreuses Premières Nations et autres collectivités touchées.

Ce projet de loi est également une énorme source de discorde entre les provinces de l’Ouest et les provinces de l’Est. Qu’est-ce que les gens du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique pensent de ce projet de loi, d’après vous, quand ils voient tous les pétroliers remonter le fleuve Saint-Laurent et se décharger à la raffinerie Irving, du côté de l’océan Atlantique? C’est du pétrole qui vient de l’Arabie saoudite — d’une valeur de 10 millions de dollars par jour —, de l’Irak, de l’Afrique du Nord et de la Norvège, des endroits dont les règles n’entraînent pas autant la division que les projets de loi C-48 et C-69. Ces pétroliers sont-ils des navires à double coque comme ce qui est exigé sur la côte Ouest? Pourquoi n’y a-t-il pas de tollé sur la côte Est comme sur la côte Ouest concernant la protection du littoral et des voies navigables?

Je crois que les environnementalistes et le gouvernement se cachent derrière la protection des eaux côtières de la côte Ouest, mais semblent ignorer la côte Est.

Je crois vraiment que le gouvernement fédéral choisit les gagnants et les perdants. Il choisit les endroits où les pétroliers peuvent circuler, les océans où ils peuvent aller, les voies navigables où ils peuvent aller. Il y a 1 500 navires américains qui descendent chaque semaine de l’Alaska et qui déchargent du pétrole à Washington, en Oregon et en Californie. Ce sont des pétroliers pleins que le projet de loi C-48 interdit, en plus de bateaux de croisière et de navires de charge, et je dirais que ces derniers, surtout les navires de charge, ont probablement causé plus de dommages sur les côtes que les pétroliers.

Je vous le demande. Est-ce que ce projet de loi est juste envers tous les Canadiens? Est-ce que le gouvernement fédéral croit vraiment que les Canadiens de l’Ouest ne savent pas ce qui se passe dans le monde? Est-ce qu’il croit vraiment que nous ne comprenons pas ce que les projets de loi C-48 et C-69 font à l’Ouest canadien? Si c’est ce qu’il croit, je suis ici pour lui dire qu’il se trompe.

Les gens de l’Ouest canadien sont des gens très éduqués, des travailleurs acharnés, des gens vraiment très généreux, à l’esprit d’entreprise très poussé. N’allez jamais sous-estimer notre détermination. En tant que Saskatchewanais et Canadien propriétaire d’une entreprise depuis plus de 45 ans, je n’ai jamais vu de toute ma vie un gouvernement qui faisait preuve à ce point de mauvaise volonté envers une moitié du pays.

Est-ce que nous vivons dans une nation où il y a une norme pour l’Est, et une norme pour l’Ouest? Sénateurs, j’espère que vous allez réfléchir à cela.

Pour terminer, à votre retour, j’aimerais que vous posiez trois questions au gouvernement fédéral pour moi. Premièrement. Pourquoi avons-nous entendu parler, au cours des quatre derniers mois, de la perte possible de 7 000 emplois au Québec et en Ontario? Je comprends que personne ne veuille perdre son emploi, mais je n’ai jamais entendu personne prendre la parole pour souligner que 100 000 emplois ont été perdus dans l’Ouest. Pas une seule fois je n’ai entendu le premier ministre en parler.

Deuxièmement, pourquoi le premier ministre n’a-t-il rien dit au sujet de la perte d’investissements de 100 milliards de dollars — oui, 100 milliards — dans le secteur de l’énergie de l’Ouest, au cours des deux dernières années? C’est beaucoup d’argent, 100 milliards de dollars.

Troisièmement, pourquoi le premier ministre et le gouvernement essaient-ils d’adopter les projets de loi C-48 et C-69, pour aller ensuite acheter un pipeline?

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Monsieur Mainil, nous vous écoutons.

Dale Mainil, vice-président, Acquisitions, Jerry Mainil Limited : Bonjour. Mon nom est Dale Mainil. Je suis de Weyburn, en Saskatchewan. Mon frère, mon beau-frère et moi possédons et exploitons une société de construction d’infrastructures pétrolières, Jerry Mainil Limited. Mon père a créé cette entreprise il y a 58 ans.

Il y a eu beaucoup de hauts et de bas pendant mes 35 années dans l’industrie, mais jamais rien d’aussi mauvais que les quatre dernières années. Les prix du pétrole sont un facteur majeur, ainsi que les politiques de réglementation du présent gouvernement fédéral. Tout cela a fait fuir les investisseurs de l’Ouest canadien. Vous n’avez qu’à faire 100 milles de route vers le sud et traverser la frontière américaine pour constater que c’est le jour et la nuit par rapport à l’activité pétrolière du sud-est de la Saskatchewan. Je crois que c’est la différence entre nous réglementer à mort et déréglementer de manière responsable notre bon pétrole éthique.

Nous pratiquons une excellente gérance des terres de l’Ouest canadien et produisons du bon pétrole éthique. Nous sommes des chefs de file mondiaux en matière d’extraction, de production et d’expédition. Nous avons déjà certaines des politiques environnementales les plus restrictives du monde, et le projet de loi C-48 n’est rien d’autre qu’un clou de plus dans notre cercueil.

Nos politiques gouvernementales actuelles font fuir les investissements de notre pays, car nous laissons les groupes d’intérêts minoritaires diffuser de fausses informations voulant que notre pétrole soit sale. L’Ouest canadien est une région riche en pétrole propre. Il n’y a nulle part au monde une technologie aussi sûre, que ce soit pour le transport du pétrole par voie terrestre ou maritime, mais le gouvernement veut continuer de nous étouffer avec des textes législatifs comme le projet de loi C-48 et le projet de loi C-69.

Le projet de loi C-48 cible l’industrie pétrolière de l’Ouest canadien. Il restreint le passage de pétroliers sur la côte Ouest, d’après ce que je comprends, mais il permet à l’Est canadien un trafic pétrolier illimité le long du fleuve Saint-Laurent et de la côte atlantique. Ce gouvernement n’a aucun problème à faire venir du pétrole de pays moyen-orientaux comme l’Arabie saoudite, mais il limite le trafic pétrolier sur la côte Ouest, ce qui tuera les marchés pour le pétrole brut de l’Ouest canadien. En plus de cela, le gouvernement actuel a tué le projet d’oléoduc Énergie Est. Comment sommes-nous censés trouver de nouveaux marchés alors que nous sommes enclavés dans l’Ouest canadien?

D’après moi, il y a du favoritisme dans ce pays, car il y a des mesures législatives pour l’Est du Canada, et des mesures législatives différentes pour l’Ouest du Canada.

Au Canada, plus d’un demi-million d’emplois sont directement liés à l’industrie pétrolière. Cela n’inclut pas les milliers d’emplois indirects que l’industrie pétrolière soutient. Quand les sociétés pétrolières transportent leur capital au sud de la frontière et n’investissent pas dans le forage dans l’Ouest canadien, nos employés et mes pairs de l’industrie n’ont pas de travail.

Je conclurai en disant qu’il nous faut un gouvernement qui va travailler pour l’industrie, et non un gouvernement qui va chasser l’industrie de notre pays à force de la réglementer. C’est exactement le message que ce projet de loi envoie au reste du monde.

Je vous remercie.

Le président : Merci.

Monsieur Wilson, nous vous écoutons.

Jim Wilson, président, Wil-Tech Industries Ltd. : Bonjour. Je m’appelle Jim Wilson et je suis le président de Wil-Tech Industries. Je vous remercie de m’avoir invité, et j’espère pouvoir vous donner des précisions et répondre à toutes vos questions.

Je suis ici aujourd’hui pour représenter ma famille, mon entreprise, ma collectivité, ma province et mon pays. Nous avons tous un intérêt dans l’industrie pétrolière et gazière de l’Ouest canadien et dans ce qu’il adviendra du projet de loi C-48.

J’ai dit que je suis ici pour représenter ma famille. Ce sont les gens avec lesquels je travaille et avec lesquels je vis à Estevan, là où se trouve notre entreprise familiale. Ma femme Crystal et moi avons trois enfants et six merveilleux petits-enfants. Notre famille, c’est toute notre vie.

L’entreprise que je représente est Wil-Tech Industries et les 35 employés qui y travaillent très fort. Ma femme Crystal et moi avons fondé notre entreprise en 1992. Nous avons des succursales à Estevan, à Regina et, maintenant, à Saskatoon. Notre entreprise est spécialisée en équipement hydraulique, et nous offrons une gamme complète de produits et de services. Nous contribuons à maintenir en état de marche l’équipement de l’industrie pétrolière et gazière, de l’industrie minière et de l’industrie agricole. Nos clients sont les installations de forage, les plates-formes de maintenance, les entreprises de fracturation et les entreprises de services généraux pour les champs de pétrole. Nous réparons l’équipement hydraulique de l’industrie des champs pétroliers et de l’industrie minière.

La collectivité que je représente est Estevan, la ville de l’énergie. On peut dire qu’Estevan connaît en ce moment une conjoncture difficile, l’industrie pétrolière et gazière étant un secteur important de l’économie de la collectivité. Estevan a également deux centrales alimentées au charbon, dont l’une est le plus important projet dans le monde de charbon propre et de captage et stockage de CO2. L’incertitude a atteint un sommet. Il y a cinq ans, nous avions une collectivité dynamique en pleine croissance, mais nous nous battons maintenant pour notre survie. Le gouvernement fédéral actuel nous a réglementé au point où nous vivons maintenant une incertitude extrême.

La province que je représente est la Saskatchewan. Normalement, nous ne sommes pas appelés à discuter de questions liées à l’océan, mais dans ce cas, en tant que l’un des fournisseurs les plus importants et les plus divers de produits de base destinés à la chaîne d’approvisionnement mondiale, il faut que nous soyions consultés. La Saskatchewan est en mesure d’être un chef de file mondial à long terme pour l’extraction de la potasse et de l’uranium et pour l’offre de produits agricoles variés. Nous vendons ce dont le monde a besoin et nous avons besoin d’avoir accès aux marchés mondiaux grâce à nos voies ferrées et à nos ports.

L’industrie pétrolière et gazière de la Saskatchewan a également besoin de l’accès aux marchés, et cet accès nous est maintenant refusé. En ce moment, nous avons perdu la confiance des investisseurs faute de pouvoir acheminer le pétrole à des marchés autres que celui des États-Unis. Ce qu’il nous faut, ce sont des oléoducs et des routes maritimes menant aux marchés mondiaux, et non des promesses d’oléoducs et des obstacles au transport maritime international.

Le pays que je représente aujourd’hui est un pays dont je suis très fier. En tant que Canadien, je veux un pays propre et sûr. Je ne suis pas ici pour remettre en question l’importance et la réglementation de nos océans et de nos cours d’eau. Nous savons tous qu’il est important de réglementer convenablement notre environnement. Le Canada est un pays d’une beauté incroyable, et nous voyons tous l’importance de le protéger. Nous devons protéger tous nos océans et nos cours d’eau. Nous ne pouvons pas faciliter l’entrée au pays de pétrole brut dans l’Est, et rendre plus difficile l’exportation du pétrole brut dans l’Ouest.

Il nous faut un projet de loi qui protège de la même manière tous nos cours d’eau. Le projet de loi C-48 n’est pas là pour protéger notre environnement. Il est là pour faire obstacle au commerce de l’industrie pétrolière et gazière de l’Ouest canadien.

Ce qui est le plus précieux de notre industrie pétrolière et gazière dans l’Ouest canadien, ce n’est pas la présence de barils de pétrole dans le sol; c’est la technologie et l’innovation de notre secteur des services pétroliers. Les entreprises de services pétroliers du Canada sont des chefs de file dans l’industrie et sont reconnues mondialement pour leur innovation. Nous sommes parmi les explorateurs, promoteurs et producteurs de pétrole et de gaz les plus responsables, dans un climat et un environnement parmi les plus difficiles dans le monde. Nous devrions être fiers de ce secteur, plutôt que d’en avoir honte.

Prenons les obstacles comme la construction d’oléoducs et maîtrisons-les; maîtrisons la technologie relative à la construction navale. Nous avons la troisième réserve pétrolière dans le monde, et seuls l’Arabie saoudite et le Venezuela nous précèdent. Je vois comme étant parfaitement viable notre capacité d’être un chef de file mondial dans l’exploration, le développement, la production et le transport sûrs et efficaces de pétrole et de gaz.

Il est possible de réaliser cela en créant des possibilités au sein du secteur et en suscitant la confiance dans le secteur; de là, le secteur privé relèvera le défi. Il y aura développement de technologies quand l’industrie saura que le gouvernement canadien souhaite le développement au sein de l’industrie, du réservoir aux pétroliers, puis à l’utilisation finale.

Les solutions environnementales novatrices de notre industrie pétrolière et gazière deviendront commercialisables à l’échelle mondiale. Nous ne deviendrons pas des chefs de file mondiaux par accident, mais grâce à des initiatives de croissance stratégique et à un contexte commercial sûr, cela se produira naturellement.

Au lieu de faire obstacle aux possibilités, il faut en créer. Les Canadiens vont se montrer à la hauteur des défis à relever. Donnez aux services pétroliers canadiens l’occasion de mener le monde.

En conclusion, nous avons besoin de voir le comité faire preuve de bon sens et nous manifester du soutien. Je comprends qu’on s’attend à ce que vous votiez selon la ligne de parti et que ces réunions sont vues comme une perte de temps. J’espère, en fait, que c’est faux, que vous allez envisager une solution censée et que vous allez retourner ce projet de loi là d’où il vient.

L’industrie pétrolière et gazière de l’Ouest canadien a besoin d’appui. Si vous créez des occasions, l’industrie va répondre aux attentes. Si nous continuons de rendre difficile l’acheminement des produits vers les marchés, notre industrie va continuer d’éprouver des difficultés. Nous avons besoin d’un objectif commun, et cet objectif est d’être les explorateurs, promoteurs, producteurs et transporteurs de pétrole et de gaz les plus sûrs et les plus efficaces dans le monde.

Les Canadiens réagissent beaucoup mieux aux occasions et aux défis qu’aux obstacles et à l’incertitude.

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Merci, monsieur Wilson.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à vous tous de vos témoignages.

Monsieur Mark Prystura, j’aimerais premièrement vous remercier de votre exposé et souligner que tous les points de vue sont valables. Nous voyageons de la Colombie-Britannique, à l’Alberta et à la Saskatchewan, et nous entendons toutes sortes de façons de penser différentes qui ont toutes une part de vérité, de toute évidence.

Quand vous dîtes qu’aucune évaluation des risques n’a été réalisée, de quel type d’évaluation des risques parlez-vous? Nous savons que les pétroliers à double coque sont nettement plus sûrs que les navires monocoques. Nous savons également qu’il y a eu des accidents, des déversements d’hydrocarbures, un par année environ, sur une période de 10 ans. Il y a des incidents, même s’ils ne sont pas fréquents. Qu’est-ce qui manque exactement?

M. Prystupa : Il y a deux choses. L’une est liée à l’évaluation des risques relatifs au transport, et l’autre est liée au type de pétrole et au sort et au comportement du pétrole dans l’eau.

En ce qui concerne les risques relatifs au transport, il serait bon de comprendre les risques liés au transport qui existent actuellement, qu’il soit question de bateaux de croisière, de barges ou d’autres bâtiments. Quand on regarde le trafic de pétroliers et qu’on tient compte de tous les facteurs possibles, toutes les mesures d’atténuation et les mesures de prévention qui seraient mises en place sur la côte Nord, nous ne savons pas de quel type d’analyse il s’agit. Je ne crois pas qu’il soit suffisant ou convenable de fonder cela uniquement sur la situation à l’échelle mondiale. Il faudrait plutôt se fonder sur la situation compte tenu d’un système de classe mondiale comme celui que nous espérerions développer pour la côte nord de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il n’y a pas de pétroliers en ce moment dans cette zone. Les pétroliers contournent la zone interdite.

M. Prystupa : Oui. Il y a une zone d’exclusion volontaire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce serait donc une évaluation des risques à venir; ce serait une évaluation des risques théorique.

M. Prystupa : Oui. Vous pouvez avoir des modèles théoriques pour Northern Gateway ou Trans Mountain. Ils ont fait des modèles concernant les risques et le type de mesures d’atténuation qui peuvent être prises. Nous croyons que les risques sont très faibles, en particulier si vous adoptez toutes les mesures d’atténuation.

J’ai inclus un document d’information concernant ce qui s’est passé à Valdez. C’est un exemple lié à certaines choses que vous avez mentionnées entre autres.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il me semble qu’il y a eu une évaluation des risques du projet Northern Gateway et qu’elle est toujours valable, n’est-ce pas?

M. Prystupa : Je ne pense pas que cela tienne compte du transport maritime actuel. L’une des observations que je ferais, c’est que n’importe quel nouveau projet s’accompagnerait de centaines de millions de dollars en nouveaux biens pour la région. Vous avez entendu parler du Simushir et de l’absence de remorqueur. Il y avait par hasard un remorqueur de l’État de Washington qui se trouvait à proximité.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

M. Prystupa : Vous avez entendu parler du Nathan E. Stewart.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

M. Prystupa : Si vous tenez compte du transport maritime qui se fait déjà, qu’est-ce qui arriverait si vous ajoutiez tous ces biens additionnels? Si vous aviez un remorqueur à Haida Gwaii, des récupérateurs sur place, des navires de passage, avec les membres des Premières Nations de la côte qui pêchent et qui peuvent ajouter à leurs revenus en étant des premiers intervenants et des surveillants? Si vous tenez compte de toutes sortes de situations, vous pourriez avoir un transport plus sûr en général pour la côte nord dans son ensemble.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de ces éclaircissements.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie, messieurs, d’être venus comparaître. Je dois dire que je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit, et que je peux ressentir la douleur que vous cause tout ce qui se passe.

Si un pétrolier venant de Valdez et circulant en pleine mer à l’extérieur de la zone interdite, à quelque 60 milles environ, avait un accident catastrophique — je rappelle qu’il n’y a eu qu’un seul accident impliquant un navire venant de Valdez, et c’était je crois lié à un capitaine en état d’ébriété et à quelques autres facteurs —, le pétrole atteindrait la côte. Est-ce que cela n’aurait pas un effet dévastateur sur l’industrie de la pêche au saumon et sur toutes les choses que les gens essaient de protéger sur la côte nord?

M. Prystupa : D’après ce que j’ai compris des études de dérive, c’est que si un pétrolier qui descend de Valdez éprouve des difficultés, il se dirigera vers Haida Gwaii.

Je sais qu’on a fait des études scientifiques pour déterminer l’emplacement de cette zone d’exclusion volontaire et pour savoir si elle était assez loin de la côte pour diminuer le risque. Cependant, comme je l’ai dit en répondant à la sénatrice Miville-Dechêne, si vous aviez d’autres ressources dans la région, vous seriez également mieux protégés contre les navires qui arrivent actuellement d’Alaska.

Le sénateur Neufeld : Je reviens un peu en arrière parce que nous avons essayé d’autoriser le forage en mer au large de la côte Nord, mais sans succès. David Anderson était le ministre fédéral de l’Environnement et il vit à Victoria. Je lui ai demandé ce qui se produirait sur la côte Est. Il a dit que s’il y avait un accident au large de cette côte, le déversement ne l’atteindrait pas. Une autre côte ailleurs serait touchée. Je me suis dit que c’était une façon très nonchalante de répondre à une question, et je vous suis donc reconnaissant de vos propos.

Monsieur Wilson, vous avez entre autres dit : « Au lieu de faire obstacle aux possibilités, il faut en créer. Les Canadiens vont se montrer à la hauteur des défis à relever. » Je crois fermement en ce que vous dites. Pouvez-vous nous dire à quelles difficultés vous pensez?

M. Wilson : La plus grande difficulté est l’incertitude. Nous essayons d’exploiter des entreprises — et j’ai la mienne depuis 27 ans — dans des cycles politiques de quatre ans. Il faut savoir quand et comment investir. À l’heure actuelle, on ne veut pas investir dans l’industrie pétrolière, car il n’y a pas d’accès au marché, et donc aucun investissement à faire.

Nous ne voyons actuellement pas d’entreprises privées investir dans le pétrole de l’Ouest canadien, car il n’y a pas de solution en place. D’ici à ce qu’il y en ait une, l’incertitude demeure pour ce qui est du pétrole. Par exemple, si la politique changeait dans quatre ans et que nous ne pouvions soudainement pas acheminer du pétrole vers l’Ouest, le problème serait toujours là. À mon avis, les gens ne croient pas que le gouvernement soutient le secteur pétrolier et gazier en ce moment.

Le président : Quelqu’un d’autre veut-il répondre à la question, qui est un peu universelle?

Monsieur Mainil?

M. Mainil : À propos des investissements, la situation est exactement comme M. Wilson l’a décrite. Notre secteur est instable, caractérisé par des hauts et des bas. Nous en sommes conscients à l’intérieur des terres. Nous nous fions, en agriculture, à nos ports à l’ouest. Il faut un accès pour nos produits pétroliers.

Nous sommes un pays exportateur, notamment en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba, et lorsque nous ne voyons pas de partenariat avec nos gouvernements, il n’y a pas d’investissements et nous ne travaillons pas. Au bout du compte, il est question des familles, comme l’a dit M. Wilson, des familles de la région.

Le sénateur Neufeld : Le gouvernement actuel a toujours dit qu’il serait transparent et qu’il consulterait les gens avant de prendre des décisions. C’est ce qu’il a dit à maintes reprises aux Canadiens. Dans le cas de cette interdiction des pétroliers, les Premières Nations le long de la côte se sont fait dire ce qui allait se produire, et on ne les a pas consultées de manière approfondie.

Le gouvernement a-t-il consulté d’une façon ou d’une autre la société Suncor et lui a-t-il demandé si cette mesure aurait une incidence sur la capacité de votre entreprise à produire du pétrole et à pénétrer de nouveaux marchés, avant de décider de rédiger un projet de loi draconien au point d’interdire tous les pétroliers au large de la côte Nord de la Colombie-Britannique? Un membre du gouvernement a-t-il dit qu’on allait fermer la zone même si 100 000 emplois pourraient être perdus? Le gouvernement s’est-il au moins entretenu avec vous?

M. Prystupa : De toute évidence, Suncor participe beaucoup à l’élaboration des politiques, et celle-ci compte parmi celles dont la structure provient d’une lettre de mandat. Nous avons eu l’occasion de soumettre un mémoire, et c’est ce que nous avons fait. L’un des principaux arguments que j’ai tenté de faire valoir dans le mémoire est que nous n’avons pas eu la chance de réunir des scientifiques, des Premières Nations de la côte et de l’intérieur des terres ainsi que les représentants du secteur énergétique pour examiner toutes ces préoccupations légitimes, et je crois qu’il y a eu des occasions de le faire.

Vous avez entendu parler de beaucoup de choses, notamment des zones maritimes particulièrement vulnérables. Des barges comme le Nathan E. Stewart ne devraient peut-être pas circuler à proximité des bancs de palourdes qui constituent un aliment traditionnel de la nation Heiltsuks. On aurait peut-être pu en discuter. On aurait pu discuter d’un éventuel corridor qui aurait fait l’objet d’une évaluation des risques. On aurait pu avoir les dernières données scientifiques sur le comportement du bitume dilué, le produit pétrolier qui est le plus susceptible d’être transporté. Nous n’estimons pas avoir eu l’occasion d’avoir ces discussions concernant ce projet de loi.

Le sénateur Neufeld : J’en conclus que le gouvernement a mal consulté les gens. Il a également dit que ses décisions reposeraient sur des données scientifiques. D’après votre réponse, cela n’a certainement pas été le cas. Ce n’était qu’une décision politique pour nuire au principal secteur économique de l’Ouest, le secteur pétrolier et gazier. Êtes-vous d’accord avec moi?

M. Prystupa : Je vais dire que nous n’avons pas vu les données scientifiques de l’évaluation des risques. Nous n’avons également pas vu les données scientifiques relativement à la liste des produits pétroliers interdits et permis.

Nous estimons que le pétrole s’inscrit dans une sorte de continuum, qu’il y a des avantages et des inconvénients aux deux types d’hydrocarbures. Ce projet de loi semble un peu affirmer que les hydrocarbures persistants et bruts sont mauvais et que les hydrocarbures non persistants sont acceptables. Cela dit, nous pensons que beaucoup d’autres facteurs entrent en ligne de compte. Il faut tenir compte des vagues, du lieu d’un déversement, de la proximité d’une plage et du type de capacité d’intervention, mais nous n’avons vu aucune donnée probante à ce sujet dans le projet de loi.

À titre d’exemple, le diesel est hautement toxique lorsqu’il est déversé, plus toxique que le bitume dilué. Le lieu du déversement peut avoir une incidence sur les répercussions environnementales. Si le déversement de diesel se produit près d’un banc de palourdes, les conséquences pourraient être pires qu’à un autre endroit. Certaines données scientifiques sur le bitume dilué laissent entendre qu’il flotte et qu’il flottera pendant un bon moment. Si le déversement a lieu loin d’une plage — c’est une chose dont vous pourriez tenir compte pour déterminer les zones et les trajets de navigation —, le produit pourrait être plus facile à récupérer puisqu’il flottera. Cela revêt une plus grande importance lorsqu’on a l’équipement d’intervention pour se rendre sur place très rapidement.

La sénatrice Gagné : Je reviens au projet de loi proprement dit pour tenter de trouver un équilibre entre ce qui est maintenant un oui ou un non.

Monsieur Prystupa, vous avez dit qu’un corridor devrait être envisagé. Vous avez également dit que la liste pose problème. Auriez-vous d’autres amendements au projet de loi à proposer?

M. Wilson : Il devrait s’appliquer à toutes nos côtes. Prenons, par exemple, la baie d’Hudson et la société de transport Richardson qui a envisagé récemment des activités sur la côte Est. Nous ne devrions pas avoir trois ensembles de règles. Nous devrions en avoir un qui ne crée pas de moyens faciles pour entrer et sortir du pays. C’est mon opinion.

M. Mainil : Je suis du même avis. Comme je l’ai mentionné dans mon introduction, cela divise le pays. Je sais que la côte Ouest n’est pas comme la côte Est, mais un déversement est un déversement, l’éventuel nettoyage est le même et il y a des ravages quoi qu’il en soit, et nous n’en voulons pas. J’ai confiance dans notre secteur, la technologie et les doubles coques. Dans l’Ouest canadien, notre secteur est un chef de file mondial. Nous avons la technologie la plus sécuritaire qui soit, mais nous n’en tenons pas compte. Il y a toujours un risque, mais il ne doit pas freiner un pan aussi dynamique de l’économie du pays, qui paye pour les hôpitaux, pour de nombreuses infrastructures que nous rendons possibles tant à l’est qu’à l’ouest du pays. C’est ma réponse.

M. Stewart : Je pense que ces deux messieurs disent la même chose, et je suis d’accord : il faut une norme. J’ai œuvré dans l’industrie céréalière pendant 28 années pendant lesquelles j’ai expédié des céréales partout dans le monde, et je suis donc intéressé lorsque vous parlez de deux poids deux mesures. Je connais bien le transport de céréales sur la Voie maritime du Saint-Laurent, la côte Ouest, la côte Est.

Tous les témoins présents et tout le monde en Saskatchewan ou dans l’Ouest canadien accordent une grande importance à la sécurité et à l’environnement. Nous ne sommes pas ici pour en débattre. Il est difficile de s’imaginer dans la belle province du Québec et partout dans cette région, qui est très jolie, que la norme visant la Voie maritime du Saint-Laurent peut être différente de la norme que nous avons sur la côte Ouest. Les règles du jeu doivent être équitables pour assurer la participation des gens. Comme ces messieurs l’ont dit, nous expédions des marchandises partout dans le monde, et il est très difficile d’élaborer une stratégie lorsque les règles diffèrent partout où on veut expédier ou acheter un produit. Merci.

M. Prystupa : Tout d’abord, nous ne pensons pas que le projet de loi est nécessaire. Il n’y a actuellement pas de loi. On ne transporte pas de pétrole. Tout projet potentiel de grande envergure nécessiterait 10 années de préparation et devrait faire l’objet d’une évaluation d’impact complète. Nous pensons qu’il y a assez de temps pour réunir différents groupes et en discuter.

Je comprends que vous êtes en train d’examiner des amendements. Nous pensons qu’un corridor donnerait des résultats, s’il donne accès à des ports en eau profonde et qu’il est davantage en eau libre, où les peuples autochtones y sont plus favorables.

Un autre amendement possible pourrait porter sur un délai plus court pour réunir les différents groupes, dans le but d’éventuellement remplacer le projet de loi par un plan plus complet pour la production maritime.

Le président : Les corridors nécessiteraient-ils beaucoup d’étude? Ce que je veux dire, c’est que l’établissement d’un corridor revient à dire à quel endroit on construit des pipelines.

M. Prystupa : Comme le projet de loi porte sur ce qui se fait sur la terre ferme, il est question de mouillage, de chargement et de déchargement. On pourrait définir une zone plus grande pour pouvoir envisager un projet dans lequel l’expédition se ferait à partir de ces ports. Les autres détails seraient réglés après un long dialogue et au moyen d’une évaluation d’impact complète.

En vertu du projet de loi C-69, la loi d’évaluation d’impact proposée, le ministre ou le gouverneur en conseil prend la décision en fonction de ce qui est dans l’intérêt public. Ils peuvent décider si un projet répond aux besoins en matière de protection marine et s’il soutient les économies locale et nationale.

Le président : Le comité des banques a consacré environ deux années à une étude sur un corridor national. Il a fallu examiner des questions autochtones et des questions liées aux parcs nationaux, toutes ces choses à régler. Ce sont des terres provinciales. Bien entendu, vous finissez par dire que ce genre de projets d’infrastructure peut se faire dans ce corridor. Cependant, aucun projet ne peut être entamé avant d’avoir recommencé les démarches auprès de l’Office national de l’énergie. Il faut repartir à zéro et suivre tout ce processus qui fait la même chose qui serait faite si le corridor n’existait pas. Je suis pas mal du même avis quand vous dites de ne pas adopter le projet de loi. Débarrassez-vous-en et recommencez à neuf.

M. Prystupa : Je pense que nous percevons le projet de loi comme une mesure irremplaçable.

Le président : Oui.

M. Prystupa : Nous sommes d’avis que tout projet nécessite un examen approfondi. Cela prendrait 7 ou 10 ans. Il faudrait consulter les communautés autochtones, faire des évaluations des risques, déterminer s’il est sécuritaire ou non, s’il répond aux intérêts nationaux pour ce qui est de l’exportation pétrolière, des engagements canadiens à l’égard des gaz à effet de serre et ainsi de suite.

La sénatrice Gagné : Pensez-vous qu’il est possible de tout régler en l’espace de cinq ans? Je crois voir un oui et un non.

M. Stewart : Non.

Le sénateur MacDonald : Nous avons quatre témoins. Un qui travaille pour une grande entreprise bien établie, Suncor, et trois entrepreneurs qui signent des chèques et payent des salaires. J’ai eu une entreprise pendant 30 ans. Je tiens juste à ce que vous sachiez à quel point je respecte votre travail et à vous dire que je sais à quel point il est parfois difficile de verser les salaires. On est en février, et il n’y a personne à la banque pour aider. On est seul. Je sais ce que c’est.

J’aimerais pouvoir vous dire que le principe du deux poids deux mesures n’est pas répandu au pays. D’après mon expérience — et je travaille à Ottawa depuis 10 ans et j’ai travaillé là-bas dans les années 1970 et 1980 —, le pays est rongé par ce genre de discrimination. Malheureusement, ce projet de loi aggrave en quelque sorte ce que l’on entend par deux poids deux mesures.

En tant que Néo-Écossais, nous nous penchons sans cesse sur la question du pétrole, mais nous n’avons pas de raffineries. Elles ont fermé leurs portes et tout le pétrole qui transite par nos eaux passe par la baie de Fundy en direction de la raffinerie Irving ou de raffineries au Québec. Entre autres choses, un oléoduc qui se rend à l’est nous permettrait, s’il se rend au bon port, de ne plus avoir de pétrole sur nos eaux. Je suis d’accord : il est frustrant de voir le principe du deux poids deux mesures qui est appliqué.

Monsieur Prystupa, Suncor est une grande entreprise qui fait beaucoup de forage extracôtier à Terre-Neuve. Vous avez une grande raffinerie au Québec. J’étais au Québec la semaine dernière avec le comité de l’énergie, auquel je siège, et j’ai discuté de la canalisation 9. Bien entendu, les militants écologistes disent que nous ne voulons plus de pétrole au Québec, que nous ne voulons plus de pétrole sale, mais ils en consomment tout le temps. En fait, la canalisation 9 fournissait environ 15 p. 100 du pétrole au Québec, mais ce chiffre est maintenant passé à 50 p. 100.

J’ai demandé à quelqu’un s’il avait remarqué un grand changement dans ses habitudes de vie. Y a-t-il eu une grande incidence sur la façon dont les gens vivent? Bien sûr, les gens ne savent même pas que la canalisation existe. Elle est là depuis des années.

Comme vous travaillez pour Suncor, je suis curieux de savoir si vous avez une idée de la façon dont les négociations sur le renversement du flux de la canalisation pour faire venir plus de pétrole ont eu lieu. Je sais que la mairie de Montréal ne s’opposait pas à l’acheminement de ce pétrole vers les raffineries, et je suis curieux de savoir pourquoi les négociations ont semblé se dérouler sans heurts. La quantité accrue de pétrole venant de l’Ouest n’a pas semblé poser problème. Il a suffi de renverser le flux de la canalisation 9 lorsque le Québec avait besoin du pétrole.

M. Prystupa : Je ne sais pas grand-chose sur les démarches concernant la canalisation 9, mais je peux expliquer ce que je sais.

Le flux de pétrole de la canalisation 9 a été renversé. Suncor a la dernière raffinerie à Montréal. Nous raffinons environ 137 000 barils par jour, pour répondre aux besoins locaux. Le renversement du flux de la canalisation 9 nous a donc permis d’offrir des matières premières canadiennes à une raffinerie canadienne au Québec.

Le sénateur MacDonald : Il n’a pas semblé très controversé d’acheminer ce pétrole à l’époque. La mairie et les politiciens locaux ont ouvertement soutenu le projet, tout comme le gouvernement provincial, je crois.

M. Prystupa : La canalisation existait déjà. Tout ce qui a été fait, c’est essentiellement changer la direction du flux, et le carburant acheminé ainsi servait à répondre aux besoins du marché local.

Le sénateur MacDonald : S’agissait-il de bitume?

M. Prystupa : Oui, la majorité du bitume vient de l’Ouest canadien.

Le sénateur MacDonald : Ce pétrole était mélangé.

Le président : Avant le renversement du flux de la canalisation, l’acheminement du pétrole posait-il problème?

M. Prystupa : Oui.

Le président : Cela pourrait donc expliquer pourquoi ils ont été aussi souples, pour ainsi dire.

M. Prystupa : Oui.

La sénatrice Busson : Je ne sais pas à qui j’aimerais adresser la question. Je suppose que la personne la plus à l’aise pourra y répondre. La frustration dans votre voix est palpable à ce sujet.

J’espère certainement, monsieur Wilson, que vous ne perdez pas votre temps, car comme vous, la question nous tient à cœur.

M. Wilson : J’ai déjà l’impression qu’il n’est pas perdu.

La sénatrice Busson : Excellent. Je me sens mieux. Nous tenons tous à un dénouement qui ne fera que des heureux. Je pense, en fin de compte, que nous tenons beaucoup à trouver une solution.

Parmi les sujets de discussion sur le moratoire pour la côte nord de la Colombie-Britannique, on laisse notamment entendre que, si l’expansion du projet Trans Mountain va de l’avant ou si nous trouvons des solutions aux problèmes des autres pipelines qui ont été au premier rang des préoccupations, ces cinq dernières années, à peu près, il est inutile de discuter d’un pipeline dans le Nord de la Colombie-Britannique.

L’un de vous a-t-il des observations à ce sujet, peut-être sous le prisme de la diversification. A-t-on raison de conclure que, si nous mettons sur les rails le projet d’expansion de Trans Mountain et les autres projets de pipelines, nos problèmes sont résolus?

De plus, un autre de nos témoins, qui représentait les investisseurs, a dit que, pour le Nord, le fait de laisser subsister cette possibilité serait très symbolique. Qu’en pensez-vous aussi?

M. Prystupa : Vous avez entendu parler de l’écart entre projets. Actuellement, aucun des autres — la canalisation 3, Keystone, Trans Mountain — n’est terminé, et nous ignorons lesquels des pipelines seront exploités. Et même s’ils le sont, l’Association canadienne des producteurs pétroliers a fait une étude prospective de la production pétrolière et des besoins et en a déduit la nécessité d’accéder à des marchés supplémentaires.

Le Nord de la Colombie-Britannique permet un excellent accès aux marchés. Il s’agit d’un port en eau profonde, qui permet un accès plus facile et plus rapide aux marchés en croissance de l’Asie, ce qui réduirait sensiblement les coûts et augmenterait la différence de prix dont on pourrait profiter.

Pourquoi croyons-nous que le Canada doit se lancer dans la production? Suncor a beaucoup investi dans les technologies nouvelles qui permettent d’abaisser les émissions de gaz à effet de serre. J’ai ajouté le rapport climatologique aux renseignements de base. Nous croyons que Suncor a besoin d’être concurrentiel en matière de coûts et de production de carbone. Voilà pourquoi nous voulons être un producteur de choix et nous croyons que si nous pouvons remplacer les produits pétroliers de l’étranger, obtenus moyennant de plus fortes émissions de gaz à effet de serre, nous pouvons contribuer à la transition vers un avenir sobre en carbone.

Le sénateur Smith : Vous quatre déciderez du sort du projet de loi sous vos yeux et de la relance du secteur pétrolier et gazier dans l’Ouest canadien, du point de vue de la côte Ouest. Outre tous les autres problèmes qui existent, la nature clivante du projet de loi et la fracture qui s’est créée dans la population, entre l’Est et l’Ouest, à l’intérieur de la Colombie-Britannique puis entre la population autochtone et le reste de l’Ouest canadien vous préoccupent.

Quelles seraient les trois ou quatre mesures que vous tenteriez d’appliquer pour faire démarrer ce projet, si c’était de vous? Quelles seraient vos trois priorités? C’est la vieille question de la baguette magique, que j’aime toujours poser, mais sans en abuser.

M. Stewart : Je serai bref.

Je me rappelle l’approbation du projet Trans Mountain, en 2014. À l’époque, l’industrie pétrolière, les emplois et tout le reste carburaient à plein régime.

Comme certains l’ont dit, nous sommes assis sur les troisièmes réserves pétrolières en importance dans le monde, mais sans avoir accès à la mer. Parlant de notre façon de faire bouger les choses, c’est, en toute justice, les règles qui ont changé. Nous avons maintenant augmenté le projet de loi C-69, qui est peut-être plus pénible ou, du moins, le même. En fin de compte, quand vous posez la question, je réponds que nous avons besoin d’agir de façon rationalisée.

Le projet de loi C-69 est un sujet universel de dissertation pour tous nos visiteurs. Il pourrait en venir d’Arabie saoudite. Nous pourrions écouter toutes les idées qui leur passeraient par la tête pendant 15 ans. En fin de compte, c’est un gros investissement dans le pétrole sous nos pieds et pour le bien de tout le Canada — peu importe qui nous sommes; nous sommes tous Canadiens — et nous devons rationaliser ce processus.

En 2015 et 2016, il était question du projet de loi C-48. En 2017, il a abouti. Nous sommes en 2019 et nous en parlons encore. Les élections s’en viennent. Est-ce que ça changera quelque chose? L’échéancier sera-t-il prolongé? Est-ce qu’on modifiera plus ou moins sérieusement le projet de loi? Nous devons agir.

Sinon, pendant combien d’années encore pouvons-nous garder le pétrole dans le sol ou perdre 100 000 emplois dans l’Ouest et dans l’Est, peu importe où, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse? Non, mais, ne sommes-nous pas tous Canadiens?

Avant de me taire, je tiens à dire que, en fin de compte, il faut rationaliser le processus. Faisons-le. Vous savez quoi? Nous aspirons tous à la sécurité.

Le président : Vous êtes assez éloquent, monsieur Stewart.

M. Mainil : Si je pouvais seulement ajouter que ça donne une très mauvaise impression au reste du monde. Pourquoi investir au Canada parce que nous possédons la troisième réserve en importance...

Le sénateur Smith : Vous pourriez vouloir changer ça, parce que vous êtes l’un des quatre décideurs à nous faire changer de cap. Quelle est votre opinion?

M. Mainil : Changer de cap? Eh bien, je brûlerais ce projet de loi, pour commencer, et j’ai une allumette.

Le sénateur Smith : Et ensuite?

M. Mainil : Il faut faire la promotion de notre grande industrie. J’y ai travaillé toute ma vie, dans l’entreprise fondée par mon père. Sur le plan éthique, cette industrie n’a rien à se reprocher. Elle n’a à rougir de rien, malgré, malheureusement, la perception générale, et nous n’en avons peut-être pas été de bons porte-parole pour sa promotion.

Le président : Monsieur Wilson?

M. Wilson : J’ai fait beaucoup d’exploration sismique. J’ai tout vendu mes explosifs. Depuis cinq ans, l’industrie pétrolière et gazière a réduit au dixième de ce qu’elle était son activité d’exploration. Pour réparer cet abandon de la mise en valeur en amont, il faudra des investissements massifs.

Donc le pétrole atteindra 100 et 150 $, inéluctablement. C’est le remède nécessaire pour remettre l’industrie sur pied et lui donner un second souffle. Après un sommeil si profond, il faut des réinvestissements massifs pour se remettre sur pied. Si l’exploration est tombée, pendant cinq ans, au dixième de ce qu’elle était, il faudra, pour la ranimer, mettre les bouchées doubles.

On ne peut pas faire comme si une industrie si longtemps aussi grande et aussi importante n’existait pas ni s’attendre à sa guérison spontanée. Il faudra investir tous azimuts et non à moitié, comme maintenant — ce ne sera pas rentable de recommencer les forages, de signer de nouveaux contrats, de tout recommencer — et le pétrole devra atteindre 100 $ pour couler de nouveau. Ça ne créera pas des prix qu’on pourra soutenir, ça créera des prix élevés, et j’ignore si on pourra les infléchir.

Le président : Monsieur Prystupa, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Prystupa : Élaborez une bonne politique fondée sur les faits et tenez-vous-y, pour que, désormais, nous connaissions les règles.

Le président : Sur ce, je vous remercie, messieurs les témoins. Vos exposés étaient excellents, la discussion a été approfondie.

Notre troisième groupe de témoins est constitué de la représentante du gouvernement de la Saskatchewan, l’honorable Bronwyn Eyre, ministre de l’Énergie et des Ressources, que je suis heureux d’accueillir.

L’honorable Bronwyn Eyre, ministre de l’Énergie et des Ressources, gouvernement de la Saskatchewan : Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs.

D’abord, je remercie les membres du comité de s’être arrêtés en Saskatchewan et je vous souhaite la bienvenue dans ma province. Je sais que, à un certain moment, on s’est demandé si ce n’était pas une dépense inutile. Bien sûr, pour nous, c’est tout le contraire et nous estimons qu’il est nécessaire et important que vous entendiez directement les Saskatchewanais sur les répercussions de la crise énergétique canadienne qu’ont subies leurs emplois et leur gagne-pain, tant dans la province que dans l’Ouest.

Cette crise continue de mettre en danger les emplois au Canada, des milliers dans tout l’Ouest, des emplois canadiens. Tout comme ceux de General Motors, Chrysler ou SNC-Lavalin. Nous aimons dire que les emplois du secteur énergétique représentent aussi chacun une personne.

La raison de ma présence ici et la raison pour laquelle nous estimons important de vous parler du projet de loi C-48 est qu’il s’inscrit dans un problème macroéconomique plus vaste, l’impossibilité, pour les exportateurs canadiens, de transporter le pétrole jusqu’à la mer. Ça se répercute sur les prix que nous obtenons pour les produits énergétiques canadiens et, en fin de compte, sur les redevances, qui, bien sûr, servent à financer les hôpitaux et les autoroutes, les services sociaux et les écoles, ici et partout ailleurs au Canada. Ce devrait être un enjeu national. Après tout, l’année dernière, la capacité insuffisante des pipelines a coûté au secteur énergétique canadien 20,6 milliards de dollars, soit 1 p. 100 du PIB.

Ici, en Saskatchewan, nous estimons que, dans notre fédération, l’énergie est victime d’une discrimination entre l’Est et l’Ouest, et même entre deux parties de l’Ouest, et c’est une vérité douloureuse à accepter.

Si vous disiez à un quidam que, malgré le projet de loi C-48 qui impose un moratoire aux navires pétroliers, le terminal pour le gaz naturel liquéfié de 40 milliards de dollars, prévu pour Kitimat, en Colombie-Britannique, obtiendra des allégements tarifaires fédéraux pour les modules d’acier, qu’un nouveau gazoduc l’alimentera et qu’il sera absolument admissible pour les supertransporteurs de gaz naturel liquéfié de remonter le chenal Douglas pour s’y rendre et prendre livraison de leur chargement, mais que le même projet de loi décrète que les pétroliers, qu’on chargerait de pétrole de l’Ouest canadien dans le même port, ne seraient pas autorisés à passer exactement par le même chenal, ce quidam reconnaîtrait la discrimination et nierait l’existence d’un moratoire.

Si vous lui disiez aussi que, au Canada, on dénombre 20 000 mouvements de pétroliers chaque année; que 85 p. 100 concernent notre côte Est; que ces pétroliers arrivant d’Algérie, d’Arabie saoudite et du Nigeria, notamment, peuvent entrer dans les ports du Québec sans problème; que, sur les 25 millions de tonnes de pétrole que le Québec importe chaque année par pétroliers, 89 p. 100 passent par les ports de Québec et de Montréal et ce, malgré les populations importantes de bélugas dans le Saint-Laurent; que, enfin, le projet de loi C-48 ne fait aucune difficulté à l’arrivée de ce pétrole étranger, tandis que la circulation du pétrole canadien destiné à l’étranger est interdite, cette même personne, peu importe où elle serait dans le pays, dirait que c’est absurde et que ce n’est pas un moratoire.

Le problème fondamental de ce projet de loi est sa sélectivité. Pourquoi viser la côte Ouest et non la côte Est? Pourquoi la côte du Nord de la Colombie-Britannique et non le port de Vancouver? Pourquoi le Nord de la Colombie-Britannique est-il plus beau que Vancouver ou que le Saint-Laurent ou que la côte de Terre-Neuve? Est-ce un environnement plus fragile ou plus précieux? Bien sûr que non.

N’oublions pas non plus que Terre-Neuve possède un nombre important d’installations de forage sous-marin, que le Nouveau-Brunswick a raffiné pour 1,6 milliard de dollars de pétrole saoudien l’année dernière. Pourquoi ces deux provinces n’ont-elles pas droit à un moratoire de la circulation des pétroliers? Le dilemme, pour l’Ouest et ses habitats raisonnables, est bien visible.

Il y a quelques semaines, certains d’entre vous ont questionné mon collègue Harrison sur ce qui nous empêchait de nous focaliser sur le port de Vancouver ou la côte des États-Unis, et, en même temps, sur notre souci d’avoir accès au Nord de la Colombie-Britannique. Réponse : nous nous focalisons déjà sur la partie inférieure de la vallée du Fraser et sur les ports côtiers des États-Unis, et nous avons besoin d’un accès aux marchés mondiaux à partir de n’importe quel endroit, pour diminuer notre dépendance excessive à l’égard des États-Unis.

Comme certains d’entre vous l’ont fait remarquer, les États-Unis profitent visiblement de la non-diversification des débouchés du Canada. Les raffineurs américains mettent la main sur des barils de brut canadien à prix réduit et vendent des produits raffinés sur les marchés continentaux et mondiaux à leur pleine valeur marchande. La construction de plus de pipelines canadiens serait un début de solution.

C’était tout l’intérêt des projets Énergie Est, Northern Gateway et Trans Mountain et la raison pour laquelle nous étions si inquiets des retards qui plombaient le projet de Trans Mountain. Les producteurs qui se trouvent déjà en Saskatchewan cherchent à augmenter par tous les moyens possibles la quantité de produits qu’ils peuvent exporter par chemin de fer par la vallée du Fraser, par exemple, mais, bien sûr, ce même moyen de transport est en forte demande et fait l’objet d’une concurrence avec d’autres secteurs, qui vont de la potasse à l’agriculture en passant par d’autres produits miniers. Voilà pourquoi on parle de goulet d’étranglement : tout le monde veut passer par là. Le réseau régional de pipelines et de chemins de fer de l’Ouest canadien est très intégré. Voilà pourquoi les producteurs de la Saskatchewan profiteraient naturellement beaucoup de tout nouveau pipeline qui servirait à l’exportation.

Les entreprises de la Saskatchewan sont devenues ingénieuses, très innovantes, quand il s’agit de parvenir à faire fonctionner notre système grâce au camionnage, au transport ferroviaire et aux ports auxquels ils peuvent avoir accès. Ils font tourner une très mauvaise situation à leur avantage.

Aujourd’hui, nous nous focalisons sur le Nord de la Colombie-Britannique et sur ses ports en eau profonde ainsi que sur l’accès aux marchés mondiaux qu’ils permettraient, parce qu’ils aideraient à apaiser la crise énergétique canadienne. Ces ports du Nord donneraient l’avantage d’une journée complète aux exportateurs canadiens. Autrement dit, des conditions meilleures, pour une exportation plus rapide, à moindres frais, par rapport aux autres ports du Pacifique, notamment ceux de la partie inférieure de la vallée du Fraser, vers les marchés asiatiques en pleine croissance.

Par exemple, un navire parti de la région de Prince Rupert gagnerait 36 heures, rendu au port de Shanghai, le plus gros du monde, sur un navire parti de Vancouver. Il s’éviterait aussi les retards coûteux qu’entraîne automatiquement la congestion des chemins de fer et des ports dans la région du bas Fraser.

Pendant qu’on y est, Northern Gateway, qui, avec Énergie Est, a été tué par le gouvernement fédéral, aurait passé par le Nord de la Colombie-Britannique et aurait été simplement ce qu’annonçait son nom, une porte du Nord vers les marchés asiatiques, pour les producteurs de Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan, mais qui aurait profité à tout le Canada.

Le projet de loi C-48 ne permettra jamais la résurrection de Northern Gateway. Ce projet de loi signerait plutôt sa mort définitive.

Le projet Eagle Spirit ne reviendra jamais à la vie avec le projet de loi C-48, du moins suivant le tracé proposé. Je crois que, en décembre, le conseil des chefs du projet Eagle Spirit, c’est-à-dire la coalition nationale des chefs, le Conseil des ressources indiennes, qui, dans son ensemble, représente quelque 200 communautés des Premières Nations, vous a décrit la contribution qu’aurait le projet de corridor énergétique Eagle Spirit à la réconciliation, grâce à la mise en œuvre de pleins pouvoirs économiques.

Cet investissement de 12 milliards de dollars présenterait une occasion unique en son genre aux 35 Premières Nations contiguës au corridor projeté, qui ont donné en principe leur appui au projet. Mais le port projeté à Grassy Point, dans le cadre du projet Eagle Spirit, se trouve dans la zone visée par le moratoire proposé par le projet de loi et, comme ses promoteurs l’ont dit, sans navires pétroliers au rendez-vous, il ne peut pas y avoir de pipeline. C’est ce qu’on appelle une occasion ratée.

Votre collègue le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut, s’est dit frappé par la division et l’acrimonie que créait le projet de loi. Il oppose inutilement voisin contre voisin. Quelle tragédie!

Parmi les solutions que la Saskatchewan propose aujourd’hui, citons la consultation des acteurs du transport maritime dans l’Ouest et l’Est du Canada, pour apprendre d’eux la tradition de la sûreté du transport de produits pétroliers pratiqué depuis des années, l’excellence de la gestion de la circulation maritime canadienne atteinte par les ports et la coexistence possible des navires pétroliers et un environnement sain et propre, que nous, Canadiens, souhaitons tous, bien sûr.

Le projet de loi C-48 autorise le gouvernement fédéral à exempter arbitrairement les navires pétroliers, mais il ferme les yeux sur les autres navires — cargos, traversiers et navires de croisière — qui apportent avec eux leur propre empreinte carbone bien connue. Est-ce équitable?

Entretemps, n’oublions pas que, à l’échelle mondiale, quelque 7 400 navires pétroliers naviguent actuellement en contournant les îles Galápagos, la Grande Barrière, qui sont des joyaux du monde, tout comme la côte nord de la Colombie-Britannique.

Le gouvernement fédéral pourrait aussi créer un corridor pour les navires pétroliers, dotés de tous les remorqueurs de secours et de l’équipement de récupération du pétrole déversé nécessaires, qui pourraient protéger la navigation. Il pourrait aussi créer une zone maritime particulièrement vulnérable, qui offrirait une protection contre les marées noires et protégerait les eaux côtières tout en n’exerçant pas de discrimination explicite contre les chargements de pétrole, ceux qui proviennent d’une région de notre pays.

Jim Carr, ministre fédéral de la Diversification du commerce, a déclaré en novembre : « Notre compétitivité dépend en grande partie de notre capacité à faire du Canada l’économie la plus branchée au monde. Grâce aux investissements que nous réalisons, notre population, ses idées et les produits qu’elle vend seront connectés au monde entier. » Nous ne saurions être plus d’accord. Mais ces produits, cette compétitivité et cette économie branchée au monde englobent de toute évidence le secteur énergétique de l’Ouest.

Il semble n’y avoir aucun moratoire sur les pétroliers où que ce soit dans le monde. Si ce projet de loi est adopté, le Canada serait le seul pays à en avoir un. Il y a d’autres options, d’autres solutions à notre disposition.

Je répéterai donc encore une fois, comme je l’ai fait au sujet du projet de loi C-69, que le moment de procéder à un second examen objectif est maintenant. Il faut laisser ce projet de loi, qui équivaut à une interdiction d’exportation que le Canada s’impose à lui-même sur ses propres produits pétroliers, mourir au Feuilleton, et il faut retourner à la planche à dessin.

Merci.

Le président : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup, madame la ministre, de témoigner. J’aimerais vous parler de capacité. Nous avons entendu le témoignage d’un spécialiste, M. Andrew Leach, d’Edmonton, qui disait que selon le niveau de production actuel, si on prolongeait le pipeline Trans Mountain et si les lignes sont construites en direction des États-Unis, le Canada n’aurait pas besoin d’un autre pipeline dans le Nord.

Compte tenu de l’ampleur de la crise actuelle — et nous avons entendu des témoignages très émouvants de petites et grandes entreprises en Saskatchewan —, la construction d’un pipeline dans le Nord de la Colombie-Britannique prendrait environ 10 ans. Que pensez-vous du problème de capacité et du fait que cela prendrait du temps, de toute manière, pour résoudre la crise que traverse actuellement l’industrie?

Mme Eyre : Les dernières années nous ont appris qu’il est dangereux de faire des conjectures et de compter sur quelque projet énergétique que ce soit. Nous fondions de grands espoirs sur le projet Énergie Est et sur le projet Northern Gateway, et c’est seulement relativement récemment, au cours des dernières années, que ces espoirs ont été anéantis. Nous fondons tous nos espoirs maintenant, bien sûr, sur le projet Trans Mountain qui, nous le savons, aurait subi le même sort si ce n’avait été de l’intervention du gouvernement fédéral. La Saskatchewan et l’Ouest du Canada, y compris l’Alberta, s’accrochent à l’espoir que le projet aboutira. Des retards ont été annoncés encore dernièrement. Nous avons bon espoir, mais il est difficile de faire des conjectures. La chose la plus importante à souligner, ce sont les efforts fortement intégrés qui sont déployés pour amener les produits sur le marché et sur les côtes, et actuellement ils sont entravés.

Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, les entreprises en Saskatchewan ont fait preuve de beaucoup de créativité en ayant recours au camionnage, qu’elles ne s’attendaient pas à devoir utiliser aussi longtemps, pour tenter d’amener péniblement les produits vers un pipeline ou l’autre, vers un port ou l’autre, y compris en Californie dans certains cas, et cetera. Elles font tout ce qu’elles peuvent. Elles utilisent le réseau ferroviaire beaucoup plus qu’elles ne s’y attendaient. Je dirais simplement aussi que Northern Gateway, pour toutes les raisons que j’ai mentionnées dans ma déclaration, est beaucoup plus avantageux que les ports situés dans la vallée du bas Fraser, y compris Burnaby dans le cas de Trans Mountain. Avoir un avantage de 36 heures est important, car ce sont les marchés auxquels nous voulons avoir accès — Shanghai, par exemple, et d’autres, qui ne nous sont tout simplement pas accessibles en ce moment.

Bref, ce serait un jeu très dangereux de dire, eh bien, ne misons pas sur ce projet, mais plutôt sur celui-ci. Comme je l’ai dit, l’histoire récente nous a appris qu’il pourrait être très risqué et dangereux d’emprunter cette voie.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Français]

La sénatrice Gagné : Je vais poser ma question en français, si vous le permettez. Je vous remercie d’être ici avec nous aujourd’hui, et merci de votre présentation, qui était très éloquente. Vous avez mentionné, tantôt, les Premières Nations établies le long du corridor Eagle Spirit qui disaient qu’il s’agissait finalement d’une étape obligée vers la réconciliation. On a entendu le même message de la part de toutes les Premières Nations le long de la côte de la Colombie-Britannique. L’un de nos dilemmes, c’est de tenter de réconcilier le besoin de développement économique des Premières Nations — soit par l’industrie pétrolière — ou d’appuyer les Premières Nations le long de la côte de la Colombie-Britannique qui soutiennent leurs familles grâce à l’industrie de la pêche. Comment fait-on pour réconcilier ces besoins au Canada? Si vous préférez répondre en anglais, je vous invite à le faire.

Mme Eyre : Merci pour la question.

[Traduction]

Et c’est une bonne question.

Au sujet de la réconciliation, vous voulez savoir, je crois, comment on peut arriver à ce juste équilibre entre les entreprises du secteur privé et les autres entreprises dans le secteur de l’énergie pour parvenir à cette réconciliation qui est nécessaire. Je dirais qu’Eagle Spirit est l’exemple par excellence, non pas parce que je le dis ou parce que les gouvernements le disent, mais parce que les Premières Nations le long du corridor le disent. C’est en fait très excitant et inédit dans le secteur de l’énergie au Canada. C’est une chance à saisir pour les 35 Premières Nations qui se trouvent le long du corridor et qui ont donné leur accord de principe et qui se sont dites déçues du projet de loi et de ce qu’il signifie pour ce projet.

Il s’agit d’un équilibre délicat, en effet. Je sais, bien sûr, que de nombreuses bandes en Colombie-Britannique, dont certaines sont venues témoigner, sont en faveur du projet de loi et d’autres non. Ce serait terrible de rater ce que le projet Eagle Spirit pourrait représenter relativement aux liens qui pourraient être créés pour stimuler l’emploi et bâtir un secteur de l’énergie solide dont elles devraient faire partie.

C’est une des nombreuses tragédies que comporte ce projet de loi sous sa forme actuelle. M. Calvin Helin d’Eagle Spirit Energy Holdings vous a dit que si le moratoire entre en vigueur et que la société ne peut pas expédier de pétrole à partir de Prince Rupert, elle va « installer son port à Hyder, en Alaska, et expédier du pétrole en empruntant la même Entrée Dixon sous le drapeau américain ».

L’effort ici vise la réconciliation au Canada, et on raterait une occasion en or si on n’examine pas la question de nouveau.

Le président : Pour ce qui est de la nécessité de construire un pipeline, un professeur d’université nous a dit à Edmonton que si nous construisions celui qui se rend à Vancouver, si nous avions le pipeline Kinder Morgan et si nous avions celui aux États-Unis — et aucun des deux n’est terminé; un est commencé, mais l’autre ne l’est pas —, nous n’aurions pas besoin d’un troisième. Toutes les entreprises dans le secteur des ressources qui sont venues témoigner nous ont dit le contraire, car nous avons besoin d’un port en eau profonde pour pouvoir accueillir les superpétroliers, qui ne peuvent pas accoster au port de Vancouver, qui n’est pas un port en eau profonde.

Même si d’après lui la demande n’était pas là, le monde des affaires est d’avis que la demande viendra et que nous allons avoir besoin d’un troisième pipeline d’ici 2030. Comme vous l’avez dit, tout cela est hautement conjectural. Je voulais simplement souligner ce point.

Vous avez dit que plus de 200 bandes indiennes ont participé au projet de pipeline. Faisiez-vous référence au projet de pipeline, ou à Eagle Spirit, ou à l’industrie du pétrole et du gaz naturel?

Mme Eyre : Je faisais référence précisément à Eagle Spirit et au fait que le Chiefs Council, le National Chiefs Council et l’Indian Resource Council représentent environ 200 communautés des Premières Nations. On sait, bien sûr, et cela a été documenté, que les 35 Premières Nations qui se trouvent le long du corridor appuient en principe le projet Eagle Spirit. Encore une fois, je ne crois pas que l’on puisse faire fi de ces voix.

Le président : Il n’y a que 313 communautés des Premières Nations en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan; les deux tiers constituent donc un nombre important.

Le sénateur MacDonald : À titre de précision, je veux ajouter quelque chose à ce que vous avez dit au sujet des très gros et des ultragros transporteurs de brut. On n’en a pas beaucoup parlé au pays, sans doute parce qu’il s’agit d’un enjeu maritime. Comme je viens de la côte Est et que je vois beaucoup de pétroliers circuler, je sais qu’il faut un certain type d’installations pour les accueillir. Il faut pouvoir bâtir les installations sur la côte; il faut pouvoir accoster. Le professeur Kumar qui enseigne à l’Université de l’Alberta nous a expliqué le tout. Quand on transporte le pétrole lourd dans les gros navires, c’est non seulement plus économique et plus rentable, mais on réduit également l’empreinte carbone. L’empreinte carbone est beaucoup plus petite qu’en utilisant des petits navires.

À titre d’exemple, nous déchargeons du pétrole au Québec et au Nouveau-Brunswick. Au Nouveau-Brunswick, il est déchargé dans la baie. On utilise un système mobile. Les navires ne peuvent accoster parce qu’ils sont trop gros. Ce serait sans doute le cas également dans certaines régions du sud de la Colombie-Britannique, mais ce ne serait pas un problème à Prince-Rupert ou à Port Simpson, et ce ne serait pas un problème aux installations de Point Tupper au Cap Breton. Ce sont des ports en eau très profonde à marée basse. Les ultragros transporteurs de brut peuvent y accoster et reprendre directement le chenal de navigation principal pour se rendre à l’autre bout du monde avec deux millions de tonnes de pétrole brut. Il serait très avantageux de construire ce genre d’installations portuaires qui peuvent accueillir de gros navires, car cela réduit notre empreinte carbone et nous rend beaucoup plus concurrentiels, économiquement parlant.

J’encourage les politiciens à discuter plus souvent de cet enjeu. C’est un élément important. Je n’ai pas entendu beaucoup de politiciens en Alberta et en Saskatchewan en parler, et je pense que c’est un argument qui apporte de l’eau à votre moulin.

Mme Eyre : Je suis d’accord. Encore une fois, c’est un peu comme une révélation pour moi, même pour ce qui est des 36 heures de transport en moins, en plus du port en eau profonde, de la taille des pétroliers, et cetera. Ce sont là des arguments puissants pour rejeter ce projet de loi. Il y a également l’importance que le Nord de la Colombie-Britannique représenterait dans ces efforts, sans compter les avantages en matière d’exportation qu’on en retirerait. C’est une question très importante qu’il faudrait creuser, bien sûr.

La sénatrice Gagné : Quel serait le modèle d’affaires idéal pour le secteur de l’énergie en Saskatchewan? Où devraient se trouver les pipelines pour profiter à l’industrie ici en Saskatchewan? Vers quelles destinations devraient-ils être orientés?

Mme Eyre : À l’heure actuelle, nous avons accès au marché des États-Unis, comme je l’ai mentionné. Le pétrole brut de la Saskatchewan peut atteindre la côte sud des États-Unis dans le golfe via le réseau ferroviaire nord-américain et le réseau de pipelines. Il faut rappeler encore une fois qu’il y a de gros problèmes de congestion dans ces pipelines dans le Midwest américain, par exemple, ce qui peut empêcher les producteurs de l’Ouest canadien d’avoir un accès fiable et en temps opportun à la côte du golfe.

Permettez-moi de vous donner un peu de contexte au sujet de la Saskatchewan. La majeure partie du pétrole brut qui prend la route du sud vers les marchés continentaux transite par la canalisation principale d’Enbridge, qui part d’Edmonton et se rend à Chicago. Elle traverse la province depuis la région de Lloydminster dans le Nord-Ouest de la Saskatchewan jusqu’à la région d’Estevan qui se trouve dans le Sud-Est. Une bonne partie de la production du brut est raffinée dans la province même, au Husky Upgrader à Lloydminster, à la Federated Co-op Refinery à Regina et à la Gibson Energy Asphalt Plant à Moose Jaw.

Nous souhaitons ardemment que la canalisation 3 d’Enbridge soit remplacée, pour des raisons évidentes, parce que nous surveillons tous les goulots d’étranglement où qu’ils soient.

Comme je l’ai aussi mentionné dans ma déclaration liminaire, un des problèmes liés à un recours accru au transport ferroviaire est qu’on entre alors en compétition avec les producteurs agricoles, l’industrie de la potasse, l’industrie minière. En raison du manque de pipelines — Northern Gateway, Énergie Est et maintenant Trans Mountain — et des délais incessants, nous devons continuer à avoir recours à d’autres solutions pour exporter nos produits.

Dans le cas de la Saskatchewan, on emprunterait la même route, en comptant sur le remplacement de la canalisation 3 d’Enbridge. Si l’on rend les choses plus faciles dans ces régions et que l’on construit un pipeline dans le cadre de l’un des trois projets hypothétiques, ou de Keystone XL, l’accès se matérialiserait tout à coup. Les recettes que la province a perdues sont importantes, de même que, par extension, les redevances. L’an dernier, la province a perdu 3,7 milliards de dollars parce qu’elle ne pouvait pas avoir accès aux terminaux d’exportation dans les ports canadiens. Le gouvernement a perdu 250 millions de dollars en impôts, redevances et autres sources de recettes.

Si on regarde la situation dans son ensemble, ce n’est pas un enjeu qui touche uniquement la Saskatchewan, ou l’Alberta, ou la Colombie-Britannique, mais l’ensemble du Canada, parce qu’il s’agit d’un produit canadien qu’on doit pouvoir exporter. Nous n’avons qu’un marché d’exportation en ce moment. Il nous en faut de nouveaux. C’est un enjeu de très grande envergure.

La sénatrice Gagné : Je comprends.

Si les trois canalisations proposées étaient construites, augmenteriez-vous la production de pétrole? Cela satisferait-il la Saskatchewan?

Mme Eyre : La Saskatchewan produit environ 500 000 barils par jour — 40 p. 100 de pétrole lourd, 20 p. 100 de pétrole moyen, 40 p. 100 de pétrole léger. Environ 70 p. 100 de la production totale de pétrole brut est exportée aux États-Unis. Augmenterions-nous la production si tout à coup nous avions plus d’accès aux marchés? Je suis convaincue que nous le ferions.

Nous avons simplement un problème d’accès aux marchés en ce moment. Je suis souvent émerveillée devant l’ingéniosité dont les entreprises font preuve en Saskatchewan. Ce qu’elles sont arrivées à faire pour pouvoir amener leurs produits sur les marchés est assez fascinant. Comme je l’ai mentionné, elles ont eu recours au transport par camion pour une période plus longue que tout ce qu’elles avaient prévu, en nuisant à l’état des routes, ce qui a créé des problèmes dans les municipalités rurales, et au transport ferroviaire.

Cela a, bien sûr, des répercussions sur ce que les producteurs produisent et exportent, et ils vous diraient la même chose.

Le sénateur MacDonald : J’ai une question que je veux poser aux représentants des gouvernements depuis les deux derniers mois. J’oublie sans cesse de le faire et j’y pense enfin.

Nous avons un régime de redevances et d’imposition au pays qui s’applique à l’exploitation du pétrole. Comment le régime en Saskatchewan se compare-t-il à celui de l’Alberta? Les gouvernements ont-ils déjà envisagé de revoir complètement le régime d’imposition et de se débarrasser du régime de redevances?

Dans certains pays, il n’y a pas de régime de redevances. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose d’en avoir un, mais je suis simplement curieux. Y aurait-il une autre façon de faire pour stimuler l’activité et encourager la prise de risque?

Mme Eyre : C’est une question intéressante. Je pense qu’on a fait le tour des différences au cours des derniers mois.

Pour revenir un instant à la question des répercussions sur les producteurs, à savoir si nous produirions plus, si nous exporterions plus, et cetera, les entreprises pétrolières sont en grande difficulté. Les entreprises pétrolières locales et les petites entreprises pétrolières sont en grande difficulté, tout comme les entreprises débutantes. Elles restreignent leurs activités, baissent les bras, se retirent du secteur et ferment leurs portes, alors qu’elles ne devraient pas avoir à le faire. La situation actuelle fait en sorte que les gens perdent leur emploi et que les entreprises ferment leurs portes. C’est une situation claire et bien documentée. Bien sûr, il y a des répercussions sur l’emploi. En Alberta uniquement, 160 000 personnes sont au chômage. C’est une crise, et on devrait parler d’une crise nationale puisque c’est exactement ce dont il s’agit.

Au sujet des redevances et de la comparaison avec l’Alberta, nous avons examiné soigneusement la question sous tous les angles par rapport à notre compétitivité. Nous avons un régime de redevances concurrentiel comparé à celui qu’a l’Alberta à l’heure actuelle. Avec l’arrivée du nouveau premier ministre, toutefois, nous nous attendons à ce que le taux des redevances soit revu à la baisse pour se rapprocher de celui de la Saskatchewan. Nous offrons des incitatifs et nous sommes très fiers de notre expertise dans la récupération assistée du pétrole. Le secteur s’est beaucoup développé.

Il faut garder à l’esprit que la Saskatchewan est un joueur relativement nouveau dans certaines situations, à tout le moins pour ce qui est de l’expansion que nous avons connue au cours des 10 dernières années environ. Je pense que nous avons été très à l’écoute dans le dossier des redevances pour être concurrentiel, et dans celui des incitatifs pour favoriser l’exploration et les activités de forage.

Pour ce qui est de savoir si nous envisageons des changements, je pense qu’il faut toujours être très prudent quand on parle de redevances, compte tenu de ce qui s’est passé sous Ed Stelmach, et de réformes ou de quoi que ce soit du genre, à un moment où le secteur se trouve dans une position délicate et fragile.

La Saskatchewan n’envisage pas de revoir son régime de redevances, parce qu’il fonctionne bien jusqu’à maintenant. Il est concurrentiel. Quand on compare notre régime de réglementation, par exemple, à celui de l’Alberta, il est très bien vu. Je suis toujours très fière lorsque des gens sur le terrain, que ce soient des producteurs ou d’autres gens dans le secteur, me remercient de ne pas avoir emprunté la même voie que l’Alberta. Notre régime de réglementation est plus simple, plus transparent. Tout est plus simple. Quand on appelle au ministère, on peut parler à une personne, l’avoir au bout du fil. Les employés sont dynamiques et vont sur le terrain. En Alberta, cela ressemble plutôt à un labyrinthe.

Je suis convaincue toutefois que le premier ministre Kenny va remédier à la situation grâce à son ministre chargé de réduire les tracasseries administratives et à d’autres éléments qui sont au programme. La Saskatchewan en est venue à être considérée comme une province accueillante pour les entreprises pour ce qui est des redevances, des incitatifs, de la réglementation et de la transparence. Nous devons tout simplement continuer à travailler et à faire fond sur ce qui est déjà en place. L’engagement en ce sens est bien présent.

Nous sommes très fiers du système que nous avons, mais nous faisons face à une crise énorme en raison de l’annulation de ces projets, et cela nous heurte de plein fouet, bien entendu.

Le sénateur MacDonald : Sachez que lorsque nous parlons de redevances, je ne dis pas que vous jetez de l’argent par les fenêtres. Y a-t-il déjà eu une analyse des coûts pour déterminer quelle option serait plus rentable pour le gouvernement, c’est-à-dire l’abolition du système de redevances, l’augmentation des impôts des sociétés ou l’inverse? Avez-vous déjà fait une analyse des coûts à ce sujet? Certains pays n’ont pas de système de redevances; ils comptent sur les impôts. Voilà matière à réflexion.

Mme Eyre : J’en prends bonne note.

Le président : Merci beaucoup, madame la ministre.

Passons maintenant à notre dernier groupe de témoins d’aujourd’hui. Je suis heureux d’accueillir Cal Broder, président et chef de la direction de la BFH Corporation, ainsi que Keith Moen, directeur général de la North Saskatoon Business Association.

Monsieur Moen, voulez-vous commencer?

Keith Moen, directeur général, North Saskatchewan Business Association : Monsieur le président, je suis ravi d’être ici. Comme vous l’avez mentionné, je m’appelle Keith Moen et je suis directeur général de la NSBA, une association dynamique d’entreprises de Saskatoon dont je vous parlerai davantage dans quelques instants. Permettez-moi d’abord de personnaliser mon introduction en vous remerciant d’être venus en Saskatchewan et de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Permettez-moi également d’exprimer ma reconnaissance, mon admiration et mon respect à l’égard des élus ou des titulaires d’une charge publique. Je tiens à remercier chacun d’entre vous de votre engagement à servir la population dans l’intérêt supérieur de notre grande nation.

Établie en Saskatchewan, la NSBA est une association commerciale axée sur les membres dont le mandat est de servir, de promouvoir et de défendre les entreprises de Saskatoon et de la région, ce qu’elle fait par l’intermédiaire de ses activités de défense des droits et de lobbying. Fondée il y a quelque 50 ans par une poignée d’entreprises, la NSBA compte aujourd’hui plus de 800 entreprises membres, allant d’entreprises à propriétaire-exploitant unique à de grandes multinationales employant des milliers de personnes.

Malgré cette diversité, nos membres sont surtout des petites et moyennes entreprises principalement dirigées par des entrepreneurs propriétaires. La plupart d’entre eux ont quitté la ferme depuis une génération ou deux, et ils incarnent des valeurs, une éthique de travail et une intégrité auxquelles nous devrions tous aspirer. Ils sont parmi les gens les plus ordinaires, les plus sincères et les plus authentiques que l’on puisse trouver. À cet égard, la NSBA est reconnue pour son approche pragmatique et sensée quand vient le temps de faire avancer les choses.

Nous estimons que le projet de loi C-48 n’est rien de plus qu’une mesure législative contre l’exploitation des ressources et les pipelines, qui se fait passer pour un projet de loi à vocation environnementale.

Il peut paraître étrange qu’une association d’entreprises de Saskatoon, qui représente une des régions les plus enclavées du Canada, ait des opinions bien arrêtées sur le transport par pétroliers sur la côte Ouest de notre grand pays, mais ne vous méprenez pas : une proportion importante de nos membres offrent des services à ces industries et à leurs chaînes d’approvisionnement, ce qui signifie qu’ils risquent de souffrir grandement si le projet de loi est adopté.

Quand on sait que le passage de pétroliers sur la côte Est et dans le Saint-Laurent, où notre pays reçoit la majorité des importations de pétrole, n’est pas pris en compte dans une perspective semblable, il y a lieu de conclure tout naturellement qu’une interdiction générale de la circulation de pétroliers sur la côte Ouest semble inutile, voire vindicative, à moins que l’intention soit d’empêcher l’exploitation des ressources pour des raisons tout à fait politiques.

Les rives du Canada atlantique sont tout aussi spectaculaires et merveilleuses que celles de la Colombie-Britannique; pourtant, le trafic pétrolier est permis là-bas, et il s’agit, en grande partie, de pétrole étranger qui entre sans entrave dans nos ports pour être acheminé vers nos raffineries.

Ne vous y trompez pas : cela ne veut pas dire que nous voulons que la circulation de pétroliers soit également interdite sur la côte Est, parce que c’est tout le contraire. Nous aimerions plutôt que la région de l’Atlantique et celle de l’Ouest aient, toutes deux, les mêmes possibilités afin de pouvoir expédier leurs produits sans encombre, en réponse aux demandes du marché.

Supposons que, dans le pire des cas, le projet de loi soit adopté. Mis à part les pertes d’emplois et l’affaiblissement de la viabilité de certaines de nos entreprises membres, le projet de loi aurait des conséquences négatives à bien d’autres égards. En retirant du marché le pétrole canadien, qui est extrait et exploité selon les règles environnementales les plus strictes, le projet de loi permet au pétrole étranger d’avoir un plus grand accès au marché canadien, car la demande sera comblée par des intérêts étrangers. Il est fort peu probable que le pétrole produit à l’étranger soit soumis aux mêmes normes et règles environnementales à l’étape de sa production ou de son traitement que le pétrole produit au Canada. De plus, une réduction de l’offre à l’échelle internationale entraînerait une augmentation des prix que le Canada serait forcé de payer, et ce, dans une économie en perte de vitesse. C’est là une recette parfaite pour déclencher un ralentissement économique encore plus prononcé, voire une crise.

Par conséquent, dans l’Est du pays, où le pétrole importé de l’étranger est acheminé vers les raffineries de la côte Est pour répondre aux besoins du Canada en matière de produits pétrochimiques, de sous-produits connexes et de biens de consommation qui en contiennent, il faudra payer davantage. Il en coûtera plus cher également aux consommateurs canadiens de ces produits, mais par-dessus tout, et c’est un point crucial, cela se fera aux dépens de notre environnement.

En fait, il serait plus avantageux, tant sur le plan économique que sur le plan environnemental, de faire le contraire de ce qui est prévu dans le projet de loi, c’est-à-dire de permettre l’exportation du pétrole canadien de l’Ouest, qui, je le répète, est extrait et exploité selon les règles environnementales les plus strictes, pour le vendre au prix du marché mondial. En outre, le pétrole canadien devrait être mis à la disposition des raffineries de la côte Est du Canada et utilisé pour notre marché intérieur grâce à la construction de l’oléoduc Énergie Est, remplaçant ainsi le pétrole étranger qui provient d’endroits où les normes sociales et environnementales sont douteuses.

La NSBA préférerait laisser agir le libre marché, mais il est paradoxal de penser que nous acceptons de laisser languir notre industrie et notre produit, alors que nous aidons nos concurrents à prospérer.

Pour conclure, la NSBA estime que le projet de loi C-48 témoigne d’un énorme parti pris contre le développement d’une industrie dans certaines régions du pays, surtout dans l’Ouest. Cette mesure législative aura des répercussions négatives non seulement sur l’économie locale à Saskatoon et ailleurs en Saskatchewan, mais aussi sur l’ensemble de notre pays.

C’est pourquoi nous vous demandons de porter un second regard objectif et important sur la question et de rejeter le projet de loi.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’avoir écouté.

Le président : Merci, monsieur Moen.

Monsieur Broder, vous avez la parole.

Cal Broder, président et chef de la direction, BFH Corp. : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de participer à cette conversation, parce qu’il s’agit d’un sujet très important pour notre pays.

Je vais adopter une approche légèrement différente, car je ne suivrai pas un texte déjà préparé; j’aimerais vous parler du produit dont tout le monde semble s’inquiéter, à savoir le bitume de l’Alberta.

Si j’adopte une telle approche, c’est parce que je suis un homme d’affaires et un entrepreneur qui prend des risques et qui dirige une entreprise légèrement différente de celles des autres témoins que vous avez entendus. Même si je suis en faveur des pipelines, je crois que le monde a besoin d’énergie. Nous ne délaisserons pas le pétrole. Nous en aurons besoin en permanence parce que le pétrole permet de créer les autres produits de notre quotidien. Je suis également d’avis que nous avons besoin de tous les modes de transport, mais nous devons en assurer la sécurité et la rentabilité pour que nous puissions tous en tirer fierté. Étant moi-même un Albertain de quatrième génération, je pense que c’est déjà ce que nous faisons.

Oui, des améliorations s’imposent, et l’industrie fait des progrès. Je ne travaille pas dans l’industrie pétrolière; je suis un fournisseur de technologies en matière de traitement. Je ne suis pas ici pour vous parler de notre processus, mais je vous ai remis quelques documents sur nos activités. Je voudrais plutôt m’attarder sur le produit parce que c’est ce qui est unique. Le produit de Fort McMurray caractérise principalement la production dans l’Ouest canadien, même si le bassin sédimentaire de l’Ouest canadien produit environ un million ou un million et demi de barils par jour, selon les normes de certaines personnes.

Ce qui est intéressant, toutefois, c’est le pétrole produit à Fort McMurray. Cette ressource est enfouie dans le sol, à l’état solide. J’en ai apporté un échantillon, et voici ce qui se passe si j’essaie de le verser sur mon collègue ici. C’est le pétrole brut le plus sûr au monde, sans exception. Je vais le faire circuler. Vous pouvez le pétrir, le toucher, le palper. C’est le pétrole brut le plus sûr au monde parce qu’il s’agit d’un produit non réglementé et non dangereux. Cette matière ne tuera même pas les poissons si on la laisse tomber accidentellement dans le milieu aquatique. Je l’avais avec moi ce matin lorsque j’ai pris l’avion à Edmonton. Certains de mes employés l’ont toujours en leur possession lors de leurs déplacements par avion dans l’Ouest canadien.

Là où je veux en venir, c’est que l’Alberta a deux types de pétrole — le pétrole lourd et le pétrole léger classique, comme celui dans le bassin sédimentaire de l’Ouest canadien. Le pétrole lourd de Fort McMurray est différent de celui de Cold Lake ou de Peace River. À Fort McMurray, le pétrole existe sous forme solide dans le sol, et il peut donc être transporté sans danger.

Notre objectif est de montrer qu’il y a une nouvelle façon de transporter le pétrole lourd de Fort McMurray. Nous le transportons à l’état solide. En fait, son transport est plus économique que celui du bitume dilué. Certains témoins vous ont probablement dit que les oléoducs constituent le moyen le plus sûr de transporter le pétrole. Oui, c’est le cas si le pétrole est sous forme de liquide naturel. Or, le bitume de Fort McMurray n’est pas un liquide naturel; c’est un semi-liquide naturel, comme celui que vous voyez en ce moment. Par conséquent, dans le cas du pétrole à l’état solide, nous sommes le seul pays à en être doté, ce qui nous donne d’énormes possibilités. Aucun autre pays ne produit ce genre de pétrole — ni même le Venezuela.

Ainsi, ce que nous avons en Alberta et dans l’Ouest canadien, c’est une nouvelle occasion et une nouvelle stratégie en matière d’exportation. C’est ce sur quoi porte mon document, que je vous ai remis surtout à titre d’information. Nous pouvons transporter notre pétrole lourd, sous forme solide, vers les marchés mondiaux, et ce, de façon plus efficace que dans le cas du bitume dilué. Je peux démontrer que nous pouvons transporter le bitume non dilué partout dans le monde, à moindres frais, que le bitume dilué. Nous sommes en discussion avec certains producteurs, qui commencent à se rendre compte de ce fait. C’est un processus graduel.

Ce qui est intéressant, c’est que nous avons maintenant l’occasion de changer le dialogue. Le pipeline Trans Mountain représente une excellente occasion pour les petits producteurs de pétrole brut classique. À vrai dire, tous les producteurs de pétrole brut classique de l’Ouest canadien y trouveraient leur compte, parce que le pétrole brut classique est sans danger, ne coûte pas cher et peut être acheminé de façon économique par pipeline, ce qui n’est pas le cas du pétrole lourd.

Si nous mettons l’accent sur le produit et que nous comprenons de quoi il s’agit, au lieu de nous pencher sur les controverses auxquelles nous faisons face, la stratégie d’exportation que je propose aux gouvernements du Canada consiste à assurer la transition du pipeline Trans Mountain pour le transport du pétrole léger classique et à utiliser un autre moyen pour le transport du pétrole lourd afin que nous puissions acheminer les deux produits vers de nouveaux marchés.

À l’heure actuelle, nous sommes en pourparlers avec 14 raffineries en Chine. Elles veulent acheter du bitume non dilué au prix du West Texas Intermediate. C’est du jamais vu, puisque tout le monde affirme qu’il s’agit d’un produit vendu à rabais, ce qui n’est pas le cas. Ce produit devrait être un grand succès de vente à l’échelle mondiale, parce qu’il crée de la valeur.

Les Chinois veulent l’acheter parce que cela leur permettra de produire la moitié d’un baril de diesel à très faible teneur en soufre, ainsi que la moitié d’un baril d’asphalte, chose à laquelle ils tiennent. Ce produit a une teneur élevée en soufre, et c’est ce que les gens veulent voir dans la composition de l’asphalte. Ainsi, le marché chinois ou asiatique est parfait pour notre pétrole lourd. Par ailleurs, cela nous donne l’occasion de recentrer nos efforts et de devenir un exportateur. Comme certains l’ont dit, et vous l’avez probablement entendu à maintes reprises, le Canada a, semble-t-il, la troisième réserve pétrolière en importance dans le monde. Pour ma part, je dirais que nous avons la plus grande réserve au monde, parce qu’il y a plus ou moins 20 ans, les autorités ont imposé un taux d’extraction d’environ 10 p. 100 pour des réserves qui représentent 1,7 billion de barils. Nous savons que les producteurs de sables bitumineux qui utilisent la technique du drainage par gravité au moyen de vapeur ont un taux d’environ 50 p. 100. Les exploitations minières en Alberta ont droit, quant à elles, à un taux de 98 p. 100. Donc, si nous utilisons ces chiffres comme taux d’extraction, en fonction de notre total de 1,7 billion de barils, cela signifie qu’il y a plus de pétrole récupérable en Alberta qu’au Venezuela, en Arabie saoudite, en Irak et en Iran, pris ensemble.

Nous devrions être fiers de l’occasion qui s’offre à nous, et c’est vraiment le message de mon exposé. Unissons nos efforts, en tant que nation, pour transporter notre produit et pour montrer que nous pouvons le faire de façon sûre et rentable. D’ailleurs, la haute teneur en carbone, qui inquiète tout le monde, diminuera de façon spectaculaire, puisqu’on produit ainsi très peu de soufre et d’asphalte, ce qui ne génère pas d’émissions.

Pour terminer, je tiens encore une fois à remercier le comité sénatorial de m’avoir invité à témoigner parce qu’il s’agit d’une conversation qui s’impose. Nous pouvons travailler ensemble. Je crois que cela peut s’avérer utile également dans le dossier des pipelines.

Le président : Sénateur MacDonald?

Le sénateur MacDonald : Les deux exposés étaient excellents, mais je suis intrigué par cette approche. Est-ce que ce produit serait expédié par conteneur?

M. Broder : Oui, nous avons conçu un conteneur spécial qui sera produit en Chine. Ce pays est le plus grand fabricant de conteneurs d’expédition au monde. Nous en recevrons six en Alberta, à la mi-juin.

Le sénateur MacDonald : Le produit serait-il transporté par train?

M. Broder : Nous avons entendu parler de l’incidence sur le transport ferroviaire. Malheureusement, il existe un manque de discernement et de compréhension dans ce dossier. Tout a commencé en 2014 lorsque nous avons eu des problèmes liés au transport ferroviaire du grain, mais il s’agissait là de problèmes d’une tout autre nature. C’était en raison du démantèlement de la Commission canadienne du blé, à qui appartenaient les wagons; le CN et le CP n’en étaient pas propriétaires. Ainsi, des milliers de wagons s’étaient retrouvés immobilisés sur les voies d’évitement ici, en Saskatchewan.

Lorsque nous avons parlé aux représentants du CN — et j’ignore s’ils ont comparu devant votre comité —, ils nous ont dit qu’ils pouvaient déplacer facilement 10 trains par jour, sans que cela ait des répercussions sur qui que ce soit. Dix trains par jour, c’est 750 000 barils de bitume.

Il est intéressant de noter que, pour transporter l’équivalent de 750 000 barils de bitume, un pipeline doit avoir un diamètre d’un tiers de plus, en raison du diluant. À l’heure actuelle, il est possible de transporter des volumes plus élevés.

Le sénateur MacDonald : Le bitume d’Athabasca, qui est un produit semi-solide, existe-t-il ailleurs au pays? Le trouve-t-on en Saskatchewan ou seulement en Alberta?

M. Broder : On le trouve dans le Nord-Ouest de la Saskatchewan.

Le sénateur MacDonald : Savez-vous si ce produit existe ailleurs au pays?

M. Broder : Non.

Le sénateur MacDonald : C’est donc un produit unique.

M. Broder : Oui.

Le sénateur Smith : D’où vient cet échantillon?

M. Broder : Voici Fort McMurray. Ce qui est intéressant avec cette région, c’est qu’elle est différente de Cold Lake. Comme je l’ai dit, l’Alberta a trois réservoirs différents. Peace River en est. La Saskatchewan en a un à Lloydminster. Peace River, Cold Lake et Lloydminster sont du bitume, mais il s’agit de bitume liquide. Le produit peut être qualifié de « liquide dans le sol » ou de « solide dans le sol » — ou plutôt semi-solide parce que, en toute honnêteté, ce n’est pas un solide, mais c’est assez proche.

Le sénateur MacDonald : C’est assez proche.

M. Broder : Ce qui est vraiment intéressant à propos de ce produit, c’est que lorsque nous en expédions en Chine dans ces conteneurs, le taux d’assurance maritime est inférieur à celui du blé, à n’importe quel produit alimentaire en fait.

La sénatrice Gagné : Inférieur au blé?

M. Broder : Nous obtenons un taux d’assurance d’expédition inférieur à celui des denrées alimentaires.

Le sénateur Smith : Pourquoi?

M. Broder : Parce que c’est plus sûr. C’est du jamais vu pour une huile.

Il y a un test que nous avons ici, et je vous en ai donné une copie. Nous avons fait ce que l’on appelle une CL50 — pour concentration létale 50 —, et ils ont fait ces tests pour le Northern Gateway.

Ce procédé CL50 est un test de toxicité sur les poissons. Ils ont soumis notre bitume brut à ce test sur le poisson. Normalement, cela dure environ 12 heures. Or, on nous a appelés au bout de 12 heures pour nous dire qu’aucun poisson n’était mort. Nous avons répondu : « Nous ne nous attendions pas à ce qu’il y en ait, mais merci. » Ils ont demandé s’ils pouvaient prolonger la durée du test. Nous leur avons dit qu’ils pouvaient le faire aussi longtemps qu’ils le voulaient. Ils ont rappelé après 72 heures et ont dit qu’ils allaient arrêter parce qu’ils nous facturaient de l’argent pour rien et qu’aucun poisson n’était en train de mourir. En fait, nous en avons mis dans un vivier à truites, là où nous sommes. Or, cela fait maintenant six jours et aucune truite n’est encore morte. Ce bitume peut flotter; c’est un solide qui n’est pas réglementé. C’est arrivé par l’avion, ce matin. Aucun autre pétrole brut ne peut faire la même chose.

C’est une occasion unique qui se présente à nous. Cela aiderait dans le cas de Trans Mountain, parce que ce que le premier ministre Horgan craint, c’est le produit, pas le pipeline. Alors, changeons le produit; utilisons le brut classique.

Comme le ministre l’a dit, l’Ouest canadien a beaucoup de produits qui ont besoin d’espace. La Chine veut ce brut classique. Elle prendra chaque goutte de pétrole que nous pourrons lui fournir, et plus encore. Elle a un appétit insatiable. C’est le cas pour le bitume, le diésel, mais aussi pour l’asphalte, ce qui est différent de ce que veulent les États-Unis.

Les États-Unis veulent notre bitume pour le diésel à très faible teneur en soufre parce qu’à la raffinerie d’Edmonton, ce produit permet de faire du diésel à 94 p. 100. C’est un produit à haut rendement en diésel. Il n’y a pas d’autre pétrole brut comme lui.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que c’est le produit que l’on peut mettre en briques? Est-ce le même ou autre chose? Nous avons entendu dire que si nous pouvions convertir le pétrole en briques transportables par train, ce serait plus sécuritaire.

M. Broder : Je pense que vous parlez des rondelles que le CN a mises au point.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord, ce n’est pas pareil.

M. Broder : Leur produit est légèrement différent. Il s’agit de bitume à 100 p. 100. Le CN y met du polymère; le polymère est un plastique. Puis, ils enveloppent le produit dans du plastique. Le CN fait avancer les choses. Je travaille avec le CN à ce projet depuis maintenant 10 ans. J’ai commencé cela il y a 10 ans, et j’ai persisté, mais l’occasion ne s’est jamais présentée avec autant d’acuité, et c’est parce que le gouvernement a pris le contrôle du projet TMX que cela se produit maintenant.

Je ne fais pas du tout de politique et je ne prétends pas le faire, mais je crois que c’est une excellente occasion pour le Canada d’exporter ses produits. Son pétrole brut classique peut se rendre sur les marchés pour que nos producteurs, comme Suncor, puissent accéder à de nouveaux marchés. La Chine est prête à payer le prix mondial. Nous n’obtenons pas le prix mondial pour notre WCS, Western Canadian Select. Le Western Canadian Select contient deux tiers d’huile et un tiers de diluant.

Le sénateur MacDonald : Les rondelles sont donc faites de bitume dilué?

M. Broder : Oui, les rondelles sont faites de bitume dilué. Ils extraient le diluant, le mélangent avec du plastique et l’enveloppent ensuite dans du plastique.

Ce que nous faisons est similaire. Nous prenons le bitume dilué et nous en extrayons le diluant. Nous collaborons avec l’industrie pour leur retourner le diluant. Le produit devient alors du bitume à 100 p. 100. Il n’y a rien à ajouter, et c’est ce que veulent les Chinois.

Le sénateur MacDonald : Pas de condensat, rien du tout.

M. Broder : Rien du tout.

Le président : Monsieur Moen, vous avez parlé de vos 800 membres. Combien d’entre eux seraient touchés ou feraient partie directement ou indirectement de l’industrie pétrolière par le biais du service?

M. Moen : Je n’ai pas de chiffre exact à ce sujet, monsieur le sénateur, mais je pourrais dire, à titre anecdotique, que cela toucherait de façon négative deux tiers à trois quarts de nos membres.

Le président : Oh, c’est beaucoup.

M. Moen : Si ce n’est pas plus.

Le président : Oui, je vois votre appréhension.

M. Moen : C’est simplement parce que les retombées sont colossales, comme vous pouvez l’imaginer.

En tant que Saskatchewanais vous-même, vous savez très bien qu’il y a beaucoup d’activités dérivées de la mise en valeur de toutes les ressources naturelles de la province, qu’il s’agisse de l’agriculture, du pétrole et du gaz, ou des mines. Au sein de ces diverses entreprises, il y a énormément de talents et de compétences qui s’entrecroisent. Une grande partie de cette activité a des racines entrepreneuriales locales et autofinancées.

Donc, à mon avis, c’est le nombre le plus conservateur que je peux avancer pour vous donner une idée des répercussions que pourrait avoir une réponse négative au projet de loi C-69 — ou plutôt, au projet de loi C-48. Désolé, je me suis trompé de projet de loi.

Le président : Eh bien, ils sont tous les deux...

M. Moen : Les deux me préoccupent.

Le président : Monsieur Broder, en ce qui concerne le développement de votre produit de bitume pur, vous avez mentionné la Chine. Combien de temps avant que cela ne se concrétise?

M. Broder : C’est une très bonne question, car cela fait 10 ans que nous y travaillons.

Le président : Oui, vous avez parlé de 10 ans. C’est ce qui a attiré mon attention.

M. Broder : Nous sommes maintenant à environ deux mois et demi d’expédier nos premiers conteneurs en Chine.

Le président : C’est très bien.

M. Broder : C’est vrai. De plus, en ce moment, comme il s’agit d’un produit qui n’est pas réglementé et qui n’est pas considéré comme étant dangereux, il peut passer par le port de Prince Rupert.

Le président : Laissez-moi vous poser une autre question. La Chine prendrait-elle tout le bitume produit par Fort McMurray?

M. Broder : Les Chinois utilisent 16 millions de barils par jour. Ce qu’ils recherchent, ce sont deux choses : du diésel à très faible teneur en soufre pour réduire leurs émissions et de l’asphalte. Or, ce produit génère le plus grand volume d’asphalte et de diésel au monde. Ils adorent ce produit.

Nous sommes en pourparlers avec 14 raffineries. L’une d’elles veut 120 000 barils par jour. La demande pour les 13 autres totalise plus de 800 000 barils par jour. Et ce n’est qu’un début. Ce sont de petites raffineries de la province du Shandong.

Le sénateur MacDonald : J’ai deux questions.

Combien y a-t-il de barils dans un conteneur? Je n’en ai aucune idée. Deuxièmement, existe-t-il un marché intérieur pour cela?

M. Broder : Si vous allez à la page 8, vous verrez de quoi il retourne. Nous pouvons expédier 175 barils dans un conteneur d’expédition. Un train d’une seule unité peut contenir entre 100 et 120 wagons, soit entre 52 000 et 84 000 barils. Un porte-conteneurs peut contenir entre 87 000 et 3,1 millions de barils, soit plus que les pétroliers de très grande capacité. Tout cela peut passer par Prince Rupert sans que l’on s’inquiète du moratoire sur les pétroliers, car il s’agit d’un produit non réglementé et non dangereux.

Le président : Est-ce que cela absorberait tout le bitume que nous produisons?

M. Broder : Non, cela n’absorbera pas toute la production parce que les sociétés qui exploitent les sables bitumineux ont des engagements auprès d’autres marchés.

Le président : Encore faut-il qu’elles acheminent leur produit au port.

M. Broder : Non, ça, c’est ce que nous faisons. Nous avons une installation dans la région d’Edmonton, qui est le centre du carrefour, la région de Bruderheim; vous en avez peut-être entendu parler.

Le président : Oui, j’en ai entendu parler.

M. Broder : Nous sommes en train d’établir un centre de traitement pour extraire le diluant, emballer le bitume, l’expédier à Prince Rupert, puis en Chine. Cela nous donne accès à cette vaste ressource dans le nord de l’Alberta. On nous a dit ce matin ou plus tôt que le manque d’accès aux marchés nous fait perdre 100 milliards de dollars en investissements. Grâce à l’accès aux marchés, nous disposons de la plus grande réserve de pétrole brut au monde, comme je l’ai souligné. Cela nous donne d’énormes possibilités d’expansion dans l’Ouest canadien. Et je ne crois pas que nous voulons un seul client; nous en voulons plusieurs.

En même temps, les sociétés d’exploitation des sables bitumineux sont liées par des contrats à long terme sur des pipelines et elles ne vont pas sortir de ces engagements. Mais cela nous donne l’occasion d’acheminer des barils supplémentaires vers de nouveaux marchés.

Le président : Y a-t-il d’autres questions?

Le sénateur MacDonald : Avez-vous répondu à ma question sur les marchés intérieurs?

M. Broder : Toutes mes excuses. Oui, nous regardons du côté des marchés intérieurs. En termes de volume, nous pouvons déplacer n’importe où en Amérique du Nord un baril de bitume moins cher qu’un baril de bitume dilué. Pour moi et pour mon entreprise, c’est le marché de l’Asie que nous visons, et c’est là-dessus que nous nous focalisons. Nous travaillons avec certaines sociétés de sables bitumineux afin de voir comment il serait possible de transporter leurs produits dans toute l’Amérique du Nord, mais nous nous concentrons à l’interne sur l’Asie parce que cela nous permettra d’aller chercher le juste prix mondial. En Amérique du Nord, ce sont les États-Unis qui fixent les cours.

La Chine est prête à payer le prix du West Texas Intermediate pour cela, et peut-être le prix du Brent. Je pense que notre produit devrait valoir plus que le Brent parce qu’il contient un pourcentage si élevé de diésel et d’asphalte pour la Chine. La Chine paie plus que le prix du Brent pour son asphalte.

Le sénateur MacDonald : La consistance et les propriétés de ce produit doivent être connues depuis de nombreuses années. Pourquoi n’a-t-il pas été mis sur le marché avant aujourd’hui?

M. Broder : Le défi avec ce produit c’est qu’il est tellement visqueux et que, pour l’extraire de quoi que ce soit, il faut beaucoup de vapeur et d’énergie. C’est pourquoi ils utilisent des wagons à bobine, des wagons chauffés et des wagons isolés. Cela leur permet d’y fixer une bobine pour produire de la vapeur.

Ce que nous avons conçu est un processus. Nous avons un procédé de récupération des diluants ou un procédé d’extraction. Il utilise une technologie vieille de 130 ans mise au point par les Rockefeller, mais nous l’avons fait entrer dans le XXIe siècle, et au lieu d’employer le gaz naturel comme source d’alimentation, nous utilisons l’électricité. Il y a donc des émissions, mais aucune provenant de notre procédé, à l’exception de l’électricité. Pour que l’industrie puisse pomper ce produit, elle doit le chauffer à environ 120 °C. Je peux le sortir de ce contenant en plastique sans l’endommager, de sorte que nous utilisons beaucoup moins d’énergie. Nous l’avons montré à certaines entreprises d’exploitation des sables bitumineux.

Ce procédé a été breveté en mars de l’année dernière. C’est tout nouveau, et c’est pourquoi personne n’en a entendu parler, exception faite de certaines de ces entreprises.

Le sénateur MacDonald : Est-ce que cela dépasserait les plafonds d’émissions imposés par le gouvernement fédéral?

M. Broder : Notre procédé n’en est pas un d’extraction du sol, mais de raffinage. Nous n’augmenterions pas les émissions, si c’est ce que vous voulez savoir.

Le sénateur MacDonald : Je voulais simplement savoir quelle incidence cela peut avoir sur les émissions.

M. Broder : Notre système est fermé. Il n’y a pas d’émissions, seulement l’électricité que nous consommons.

Le sénateur MacDonald : Voilà qui est intéressant.

Le président : Sur ce, merci beaucoup, mesdames et messieurs les témoins. Nous vous sommes très reconnaissants.

Merci d’être venu de Saskatoon, monsieur Moen.

D’où êtes-vous venu, monsieur Broder?

M. Broder : Je suis passé par Edmonton, mais normalement, je serais venu de Calgary.

Le président : C’était agréable d’être à Edmonton hier pour entendre les témoins. Ces deux journées dans les Prairies ont été formidables.

(La séance est levée.)

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