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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 181

Le mercredi 26 juin 2013
L'honorable Noël A. Kinsella, Président

LE SÉNAT

Le mercredi 26 juin 2013

La séance est ouverte à 10 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L'honorable Donald H. Oliver

Félicitations à l'occasion de l'obtention d'un doctorat honoris causa en droit

L'honorable Tom McInnis : Honorables sénateurs, je tiens à souligner aujourd'hui qu'un sénateur a reçu une distinction spéciale. Je parle de notre Président intérimaire, le sénateur Donald Oliver, qui a reçu, le mois dernier, son cinquième diplôme honorifique d'une université canadienne.

Il a reçu un doctorat honoris causa en droit de l'Université St. Mary's, à Halifax, pour l'ensemble de ses réalisations en matière de diversité et d'égalité.

Lors de la cérémonie de remise du doctorat, Mme Edna Keeble a notamment dit ceci :

Un trop grand nombre de gens parmi nous ne se servent pas de leur situation privilégiée pour changer les choses. Heureusement, ce n'est pas le cas du sénateur Donald Oliver. Bien qu'il ne soit pas issu d'un milieu privilégié en raison de sa race et de sa classe sociale, son intelligence et sa détermination lui ont permis d'exceller non seulement dans ses études, que ce soit au baccalauréat ou à la faculté de droit, mais aussi dans sa carrière juridique à plein temps et dans ses fonctions de professeur à temps partiel.

Depuis qu'il a été nommé sénateur en 1990, le sénateur Oliver continue de défendre l'intérêt public et de lutter contre toutes les formes de discrimination. Il ne fait pas de doute qu'il est un ardent défenseur de la communauté noire.

Parallèlement, le sénateur Oliver s'est aussi fait le champion, au Sénat, de la diversité et de toutes les minorités visibles. Je reprends ce qu'il a dit dans le premier discours qu'il a fait au Sénat, en janvier 1991 :

[...] je crois que je peux représenter les noirs de Nouvelle-Écosse ainsi que les minorités visibles dans tout le pays. [...] je comprends la nécessité de lutter contre le racisme où qu'il apparaisse et d'offrir des chances égales à tous quelle que soit la couleur de leur peau.

La citation de Mme Keeble se poursuit ainsi :

Une société inclusive et libre de toute discrimination est également sensée sur le plan économique. En 2005, le sénateur Oliver a dirigé une étude du Conference Board du Canada. Selon le sénateur Oliver, cette étude prouvait « les bienfaits de la diversité » parce qu'elle montrait non seulement les obstacles que doivent surmonter les minorités visibles dans les secteurs privé et public, mais aussi la façon dont la mise à contribution des minorités visibles est cruciale à la prospérité d'un État.

Mme Keeble a conclu en disant ce qui suit :

Lutter pour l'égalité. Travailler pour favoriser le changement. Tenter d'améliorer les choses. C'est à cela que le sénateur Oliver a consacré sa vie. Ce qu'il fait est digne d'admiration, et nous devrions tous tenter de suivre son exemple.

Honorables sénateurs, avant de recevoir un doctorat honorifique de l'Université St. Mary's, le sénateur Oliver avait reçu des grades honorifiques de l'Université Dalhousie, à Halifax, de l'Université Acadia, à Wolfville, de l'Université de Guelph, en Ontario, et de l'Université York, à Toronto.

Il a reçu ces grades pour tout le travail créateur, novateur et historique qu'il effectue en vue d'aider les Canadiens à comprendre les bienfaits de la diversité. En effet, le sénateur Oliver est reconnu dans l'ensemble du Canada comme un défenseur des minorités visibles, et il mérite tout à fait cet honneur.

Veuillez-vous joindre à moi, honorable sénateurs, pour féliciter notre collègue, le sénateur Donald Oliver, d'avoir reçu son cinquième grade honorifique.

L'honorable Robert Keith « Bob » Rae, C.P., O.C., O. Ont.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, le mardi 23 octobre 2012, Bob Rae, à titre de chef du Parti libéral du Canada et de député de Toronto-Centre, a écrit au Comité norvégien responsable du prix Nobel :

Je vous écris pour soumettre la candidature de Malala Yusafzai au prix Nobel de la paix pour le courage dont elle a fait preuve dans les efforts déployés pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes.

Quelque mois plus tard, le 13 février de cette année, il a demandé, dans le foyer de la Chambre des communes, que des mesures soient prises dans le dossier des femmes autochtones portées disparues ou assassinées dans ma province, la Colombie-Britannique.

Bob Rae a consacré sa carrière, qui s'étend sur 35 ans à la Chambre des communes, à Queen's Park, à Toronto et dans d'autres charges publiques, à défendre les droits des personnes les plus vulnérables, au Canada et ailleurs dans le monde. Il est devenu un homme d'État dans le plus pur sens de cette expression. Il a bien saisi toute la gravité et l'urgence des violations des droits de la personne partout dans le monde, que ce soit au Sri Lanka, au Moyen-Orient ou ici, au Canada, mais il ne s'est jamais pris trop au sérieux. Sa vivacité d'esprit est bien connue.

Grâce à un mélange d'engagement et de bonne humeur, Bob Rae a gagné le respect des Canadiens de tous les horizons. Lorsque le gouvernement fédéral l'a choisi afin de déterminer s'il faudrait ouvrir une enquête publique sur la tragédie d'Air India, il a compris qu'il fallait établir des liens avec la communauté et discuter directement avec les familles des victimes. Je me souviens très bien du jour où il est entré dans mon bureau, au Sénat, pour savoir comment nous pourrions changer les choses. Pour la première fois, j'ai senti que nous, Indo-Canadiens, allions avoir une voix dans notre pays. Il a déclaré publiquement ce qui suit :

Je veux écouter ce qu'ils ont à dire. Je veux entendre ce qu'ils ont à dire. Je veux passer du temps avec eux. Je veux travailler en collaboration avec eux.

Voilà l'approche que M. Rae a adoptée avec ses collègues de tous les partis, avec ses électeurs et avec les gens partout dans le monde.

À titre d'envoyée spéciale du Canada au Soudan, je lui ai demandé de m'aider dans ce pays. Partout où j'allais au Soudan, des politiciens me disaient : « Donnez-nous Bob Rae, et nous trouverons un moyen de rétablir la paix, car il comprend nos problèmes. »

Son approche le servira bien dans son rôle de négociateur en chef auprès des Premières Nations de Matawa dans les pourparlers avec le gouvernement de l'Ontario concernant l'ouverture de leurs terres à l'exploitation minière du Cercle de feu.

Bob, nous vous sommes reconnaissants du dévouement et du leadership dont vous faites preuve, et de l'exemple que vous donnez. Vous représentez le meilleur de la politique canadienne. Votre engagement à servir autrui nous a inspirés.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour féliciter Bob Rae pour le modèle de compassion, de bienveillance et de dévouement envers le public qu'il aura été ici, sur la Colline du Parlement.

(1010)

Les inondations en Alberta

L'honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, je voudrais me joindre aux autres sénateurs qui, dans cette enceinte, ont souligné le grand choc causé par la tragédie des inondations dans le Sud de l'Alberta, où la ville de Calgary et beaucoup d'autres municipalités ont été très éprouvées, y compris High River. Dans ce contexte, je sais que les sénateurs auront tous une pensée particulière pour le sénateur Tannas, dont la famille a été évacuée de High River. Je n'ai pas eu de nouvelles fraîches à ce sujet, mais je sais que les pensées et les prières de tous les sénateurs accompagnent notre collègue, sa famille, la population de High River et tous les gens du Sud de l'Alberta.

À l'instar de plusieurs sénateurs, je voudrais en outre féliciter les travailleurs infatigables qui viennent en aide aux populations touchées : les militaires, les pompiers, la police, les employés des services médicaux d'urgence et beaucoup de fonctionnaires. Tous ces gens travaillent sans relâche, 24 heures sur 24, pour rétablir les services et remettre les infrastructures en état.

Je voudrais aussi applaudir en particulier la formidable démonstration de solidarité de la part d'amis, de membres de la famille et de purs étrangers qui s'entraident pour nettoyer les dégâts laissés par l'épouvantable puissance de ces inondations.

Je suis un ami proche d'une famille qui habite à un pâté de maisons de la rivière Elbow. La maison de ces gens s'est littéralement remplie d'eau jusqu'au rez-de-chaussée. Je leur ai parlé pendant les jours où ils ont dû évacuer leur maison pour m'assurer qu'ils n'avaient pas succombé au désespoir, et je me suis aperçu qu'ils faisaient tous preuve d'une grande détermination. Il est intéressant de constater, dans la presse, l'absence de manifestation de découragement. C'est plutôt la grande détermination des gens de High River et des autres municipalités de l'Alberta que l'on ressent. Ils comptent lutter et vaincre l'adversité.

Mes amis sont rentrés chez eux sans trop savoir ce qu'ils allaient faire. Ils se sont aperçus que l'un de leurs voisins avait déjà obtenu les services d'un entrepreneur, qui a offert de pomper l'eau hors de leur maison également. Puis, il leur a fallu nettoyer le sous-sol et y enlever les murs. Avant même qu'ils aient commencé, des étrangers passaient dans la rue, de porte en porte, pour demander aux gens s'ils pouvaient les aider. Dès le lendemain, des décombres étaient empilés devant leur maison, en attente d'être collectés grâce aux services fournis par la municipalité. Voilà un bel exemple d'expérience vécue par une famille qui se serre les coudes avec la population locale et qui bénéficie de l'aide de personnes qu'elle ne connaît même pas, mais qui viennent l'aider à résoudre son problème.

Deux choses m'ont vraiment marqué. La première, c'est la puissance de la nature. Je voudrais souligner le leadership remarquable du maire Nenshi et de la première ministre Redford, le fait que le premier ministre Stephen Harper se soit rendu sur place et se soit engagé à verser une aide fédérale, et le fait que des députés fédéraux et provinciaux, ainsi que des conseillers municipaux, se soient unis pour exercer leur leadership.

Le maire Nenshi a déclaré que la rivière Bow rythme sa vie depuis qu'il est devenu résidant de Calgary, lorsqu'il était tout petit. Personne n'avait imaginé que cette rivière pouvait être si puissante, si rapide et si destructrice. Or, comme il l'a si bien exprimé, la ville continuera de vivre au rythme de la rivière.

La deuxième, c'est le pouvoir des gens et des collectivités — des amis, des membres de la famille, des voisins et de parfaits étrangers — de travailler ensemble pour lutter et surmonter les difficultés, et ils y parviendront.

La cécité et la perte de vision

L'honorable David P. Smith : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour appuyer l'interpellation de la sénatrice Asha Seth concernant les taux croissants de cécité et de perte de vision au Canada.

Il s'agit d'un problème croissant au Canada. En effet, plus de 817 000 Canadiens vivent avec une perte de vision. De plus, près de 3,4 millions de Canadiens sont atteints d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge, d'une rétinopathie diabétique, d'un glaucome ou de cataractes. Étant donné que notre population continue de vieillir, ces chiffres, et par conséquent les coûts pour le Canada, augmenteront.

Actuellement, le coût financier de la perte de vision au Canada est estimé à environ 15,8 milliards de dollars, soit près de 2 p. 100 du PIB du Canada, et nous en assumons tous le coût. Ce sont les soins de la vue, avec près de 40 p. 100 de la somme totale, qui coûtent le plus cher. Cette catégorie englobe les services des optométristes, des ophtalmologistes et des opticiens et les lentilles et les verres correcteurs. La majorité de ces coûts sont financés par l'État — en général le gouvernement provincial ou territorial. Au cours des dernières décennies, les dépenses en soins de santé au Canada ont augmenté rapidement, nettement plus rapidement que le PIB, mais les dépenses en soins de la vue ont augmenté encore plus rapidement, passant de 1,8 p. 100 des dépenses totales en soins de santé en 1975 à 2,2 p. 100 en 2007.

En outre, les personnes qui vivent avec une perte de vision ont une moins bonne qualité de vie. Elles ont plus de mal à accomplir les activités de la vie quotidienne. Au nombre des défis qu'elles doivent surmonter, mentionnons le fait que, comparativement aux personnes qui voient bien, elles sont trois fois plus susceptibles d'être atteintes d'une dépression clinique; elles sont victimes d'un plus grand nombre d'erreurs de médication; elles sont deux fois plus susceptibles de faire des chutes et de mourir prématurément; et, enfin, elles sont quatre fois plus susceptibles de subir une fracture grave de la hanche.

Que pouvons-nous faire? En tant que parlementaires, nous devons commencer à lutter contre ce problème en élaborant un régime national de soins de la vue. En 2003, le gouvernement canadien s'est engagé envers l'Organisation mondiale de la santé à mettre en place un régime de ce genre au plus tard en 2005 et à entreprendre sa mise en œuvre en 2007. Cependant, rien n'a encore été fait à cet égard. Plusieurs autres pays ont pris le même engagement et ont commencé à élaborer des régimes de soins de la vue. Par exemple, le Royaume- Uni et l'Australie sont en bonne voie de mettre en œuvre leur régime respectif.

Chaque année qui passe sans un tel régime nous coûte 15,8 milliards de dollars, et 43 800 autres Canadiens perdent la vue. Il est temps de respecter les engagements que nous avons pris envers nos concitoyens et de nous consacrer à la recherche et au traitement nécessaires pour prévenir et pour soigner la perte de vision.

J'aimerais maintenant parler très brièvement de mon expérience personnelle. Je me souviens de ma première visite chez l'optométriste à l'âge de six ans. Son bureau était situé au-dessus de magasins sur la rue Danforth, à Toronto. Lorsqu'il m'a mis des lunettes, j'ai pu lire les affiches sur la façade des magasins pour la première fois de ma vie. Jusque-là, je ne m'étais pas rendu compte que les gens pouvaient les lire.

Je félicite la sénatrice Seth d'avoir pris la peine de soulever cette question importante et d'avoir épousé cette noble cause.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La Loi canadienne sur les droits de la personne

Projet de loi modificatif—Présentation du quatorzième rapport du Comité des droits de la personne

L'honorable Mobina S. B. Jaffer, présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, présente le rapport suivant :

Le mercredi 26 juin 2013

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a l'honneur de présenter son

QUATORZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-304, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés), a, conformément à son ordre de renvoi du jeudi 20 juin 2013, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

La présidente,
MOBINA S. B. JAFFER

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Carignan, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour plus tard aujourd'hui.)


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les pêches et les océans

La digue de Gabarus

L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, les intempéries observées ces derniers temps et les ravages causés à Calgary m'ont rappelé l'existence d'une petite digue à l'île du Cap- Breton. Les habitants du village de Gabarus attendent de voir si leur digue va être réparée. Plus tôt ce mois-ci, le maire de la municipalité régionale du Cap-Breton a présenté une demande officielle pour obtenir des fonds des gouvernements fédéral et provincial dans le but de réparer une partie de la digue de Gabarus d'ici le mois de septembre. Cela m'apparaît comme une bonne idée.

Madame le leader du gouvernement au Sénat pourrait-elle dire aux sénateurs et aux habitants de Gabarus si le gouvernement fédéral a l'intention d'assumer une partie des coûts liés à la réparation à tout le moins partielle de la digue?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, si je me souviens bien, sénateur Mercer, cette digue ne relève pas de la compétence du gouvernement fédéral.

Si ma mémoire est bonne, elle appartient à la province et à la municipalité, ce qui en fait une structure qui ne relève pas de la compétence du gouvernement fédéral.

(1020)

Le sénateur Mercer : Je remercie la ministre de sa réponse, mais le fait d'ergoter sur les compétences ne fait que retarder davantage les réparations de la digue. Le gouvernement fédéral a toujours dit que la province est propriétaire de la digue. La province, quant à elle, affirme que c'est le gouvernement fédéral qui en est propriétaire, et la municipalité joue à l'arbitre. Qui sont ceux qui sont coincés entre les deux? Ce sont les habitants de Gabarus.

Il est temps que le gouvernement fédéral assume une partie des responsabilités et aide les habitants de Gabarus. À l'origine, la digue a été construite au moyen de fonds fédéraux. Madame le leader s'engagera-t-elle à collaborer avec les autres intervenants pour la faire réparer?

La sénatrice LeBreton : La réponse que j'ai donnée il y a quelques instants tient toujours. Je ne crois pas que cette digue relève de la compétence du gouvernement fédéral. Je vais vérifier de nouveau, mais je ne crois pas que le gouvernement fédéral soit tenu de participer à ce projet.

Le sénateur Mercer : Honorables sénateurs, la dernière brèche dans la digue est survenue en 1983, ce qui a causé d'importantes inondations à Gabarus. Si la digue cède au cours de la prochaine saison des ouragans ou même à la suite d'un orage violent pendant l'été, la pêche locale et même le village pourraient être menacés.

Nous constatons la dévastation que les inondations de Calgary ont causée. Si la digue n'est pas réparée et qu'elle cède, combien d'argent faudra-t-il pour réparer les dommages par rapport à la somme nécessaire pour réparer simplement la digue maintenant? Madame le leader ne convient-elle pas qu'il vaut mieux prévenir que guérir?

La sénatrice LeBreton : Je répète que je chercherai les renseignements demandés. Comme je l'ai déjà affirmé, je pense que ce n'est pas la responsabilité du gouvernement fédéral. Je pense que c'est une responsabilité provinciale et municipale, mais je tâcherai de vérifier.

Les affaires étrangères

Le rapport annuel sur le plan d'action national

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, ma question s'adresse également à madame le leader du gouvernement au Sénat. Je ne m'attends pas à ce qu'elle ait la réponse tout de suite, mais je l'exhorte humblement à l'obtenir le plus vite possible, car cela m'aiderait.

Le 31 août 2000, la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies a été adoptée à l'unanimité. Le Canada a joué un rôle déterminant dans son succès. Comme le savent tous les sénateurs, elle avait pour but de protéger et d'aider les femmes dans les zones de conflit.

En 2004, le Conseil de sécurité a encouragé tous les États membres à mettre au point un plan d'action national afin d'établir clairement les priorités, de coordonner la coopération interministérielle et d'affecter les ressources nécessaires à la mise en œuvre de la résolution 1325 à l'échelle nationale.

En octobre 2010, notre gouvernement a présenté le Plan d'action national du Canada. Un plan d'action national sans mise en œuvre concrète n'a pas grande utilité. Dans le plan d'action, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international s'engage à publier un rapport annuel sur les progrès du Canada dans la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité qui s'appliquent aux femmes, à la paix et à la sécurité, ainsi qu'à publier le rapport en question.

Le Comité sénatorial des droits de la personne, que je préside, a tenu bon nombre d'audiences sur la question des femmes, de la paix et de la sécurité. Nous attendons le rapport d'étape sur la mise en œuvre du Plan d'action national du Canada depuis 2011. Le Canada n'a déposé depuis aucun plan d'action national.

Notre comité demande régulièrement au ministère quand il compte présenter le plan. Nous avons encore invité des représentants du ministère à comparaître devant nous, et, le 6 mai 2013, Marie Gervais-Vidricaire, directrice générale du Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, a comparu devant le Comité des droits de la personne. Mme Gervais-Vidricaire nous a dit ce qui suit :

Ce printemps, avant l'ajournement de la Chambre, le gouvernement déposera son rapport annuel sur la mise en œuvre du plan d'action du Canada pour l'année financière 2011-2012. [...] Or, nous sommes convaincus que ce document s'avérera instructif pour les Canadiens et la communauté internationale. L'élaboration de ce rapport est presque terminée, et une fois qu'il aura été déposé, nous serons ravis d'en fournir un exemplaire au comité.

Honorables sénateurs, j'ai vérifié partout, et, malgré les assurances données au comité, je crois comprendre que le rapport n'a toujours pas été déposé. Qu'advient-il de ce rapport? Quand pouvons-nous nous attendre à en voir un exemplaire?

Cela m'a placée dans une situation très délicate. Si Mme Gervais- Vidricaire n'avait pas dit cela, j'aurais eu des questions à lui poser. J'ai déjà travaillé avec Mme Gervais-Vidricaire; je la crois sur parole. Je suis convaincue qu'elle ne tentait pas d'induire le comité en erreur. Ce n'est pas ma façon de faire.

Quand le rapport sera-t-il déposé? Je le répète, je ne m'attends pas à ce que madame le leader me donne une réponse aujourd'hui.

Par le passé, le Canada a été un chef de file à cet égard. Nous devrions assumer nos responsabilités. En guise de question complémentaire, permettez-moi de demander comment pourrons- nous nous assurer que le rapport sera produit chaque année à l'avenir?

Cet été, je voyagerai autour du monde avec plusieurs femmes afin d'apprendre comment celles-ci mettent en œuvre leur plan d'action national. Je partirai sans plan d'action national pour le Canada. Voilà qui est plutôt embarrassant. Nous n'avons pas présenté de plan d'action national depuis 2011.

Madame le leader peut-elle m'assurer qu'aussitôt que nous en aurons un, elle m'en informera?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je remercie la sénatrice Jaffer de sa question, mais je ne sais pas sous quels auspices elle voyagera de par le monde cet été.

La sénatrice Jaffer : J'assume moi-même les coûts de ce voyage.

La sénatrice LeBreton : Même si cette responsabilité lui incombait sous le gouvernement précédent, ce n'est pas à elle qu'il incombe maintenant de représenter la position du gouvernement.

Le Canada fait figure de chef de file mondial pour ce qui est de la protection et de la promotion des droits des femmes et des jeunes filles. Nous continuerons de mettre l'accent sur des mesures concrètes ayant pour objectif d'améliorer la vie des femmes et des jeunes filles. partout dans le monde.

Pour ce qui est du rapport que la sénatrice Jaffer a demandé, je vais devoir prendre note de la question et je lui fournirai une réponse différée.

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, je tiens à souligner que je voyagerai à mes propres frais, comme je le fais chaque été, afin de travailler auprès des femmes dans les zones de conflit. Je tiens aussi à souligner que, même si je ne voudrais certainement pas représenter la position d'un gouvernement dont je ne fais pas partie, il n'en demeure pas moins que je suis une sénatrice du Canada. Par conséquent, les gens s'attendent à ce que je sache à quel moment le plan d'action du Canada pour 2011 sera présenté.

La sénatrice LeBreton : Dans son entrée en matière, la sénatrice Jaffer a indiqué que son pays, le Canada, n'a pas de position sur cette question. C'est son point de vue. J'ai tout simplement souligné que même si les gens sont libres de voyager partout dans le monde, cela ne signifie pas qu'ils font partie d'une délégation canadienne officielle. Il serait donc souhaitable de laisser aux porte-parole officiels du Canada le soin de représenter la position de notre pays auprès de ces organisations internationales.

La sénatrice Jaffer : Madame le leader pourrait-elle s'informer de la date à laquelle ce rapport sera déposé afin que je puisse diffuser cette information?

La sénatrice LeBreton : J'ai déjà dit que je vais prendre note de la question de la sénatrice.

Droits de la personne

Les travaux du comité sur le projet de loi C-304

L'honorable Pierre Claude Nolin : Honorables sénateurs, je veux poser une question à la sénatrice Jaffer en sa qualité de présidente du Comité des droits de la personne.

Il y a quelques minutes, elle a déposé le rapport du comité sur le projet de loi C-304, sans propositions d'amendement. Je crois savoir que l'Association du Barreau canadien s'est adressée à ce comité hier et a fait valoir, à peu de choses près, le même argument que j'ai soulevé à l'étape de la deuxième lecture.

Pourquoi le comité n'a-t-il pas accepté l'argument voulant que l'on conserve l'article 13? Comme la sénatrice Jaffer le sait, l'article 13 n'a pas pour objectif de remplacer le Code criminel. Il vise plutôt à servir de complément à celui-ci et à empêcher les gens de porter atteinte aux droits des particuliers en ayant recours aux télécommunications.

Pourquoi un aussi bon argument n'a-t-il pas été accepté par le comité?

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Je remercie le sénateur Nolin de me demander pourquoi le comité n'a pas recommandé que l'on conserve l'article 13 de la loi. Tout ce que je peux lui dire, c'est que ce projet de loi a été adopté avec dissidence. Je n'en dirai pas plus.

(1030)

Ce que je peux dire, par contre, c'est que le témoignage de l'Association du Barreau canadien m'a vraiment confortée dans mon opinion. Le représentant a dit qu'il fallait un cadre prévoyant deux champs d'action par rapport aux propos haineux — la réconciliation et la législation pénale. Ce qu'il nous faut, selon lui, c'est un cadre réglementaire de réconciliation qui nous permettra de régler les problèmes.

Voici ce que Mark Toews, membre de l'exécutif de la Section nationale du droit constitutionnel et des droits de la personne de l'Association du Barreau canadien, a déclaré au Comité sénatorial permanent des droits de la personne :

Pouvoir diffuser impunément des points de vue haineux ou intolérants engendre une culture de préjugés et de discrimination. Au début, les propos sont isolés et ciblent habituellement des groupes vulnérables. Or, à force d'être répétés, ils finissent graduellement par être acceptés par ceux qui les entendent et ces personnes commencent alors à craindre le groupe ciblé. C'est ainsi que naissent les préjugés et la discrimination. Tout cela peut avoir des conséquences fort tragiques.

Je n'ai pas d'autre citation de M. Toews à vous soumettre, mais ce que les sénateurs Nolin et Kinsella ont dit à l'étape de la deuxième lecture reflète ce qu'il a dit : il faut un processus de réconciliation. Il ne faut pas s'en remettre à tout prix aux tribunaux pénaux. Nous devons conserver l'article 13, car nous avons besoin de ce cadre.

L'Association du Barreau canadien invoque précisément le même argument que celui que vous avez présenté à l'étape de la deuxième lecture : les articles concernant les sanctions ne sont pas nécessaires. L'article 13 ne concerne pas les sanctions. Je pense que tous les membres du comité ont convenu que les articles portant sur les sanctions ne sont d'aucune utilité. Cela dit, le Canada multiculturel a besoin d'un cadre garantissant aux gens qu'ils peuvent faire état d'un différend sans s'exposer à des sanctions, ce qui permet de préserver l'harmonie sociale.

Le sénateur Nolin : Poursuivons sur la question de la prévention; lorsqu'une plainte est présentée à la commission, le fardeau de la preuve n'est pas le même que celui qui est utilisé dans le cadre des poursuites intentées au titre du Code criminel. Vous a-t-on fait valoir un tel argument?

La sénatrice Jaffer : Comme vous le savez, dans les affaires criminelles, le fardeau est très lourd, il faut une preuve « hors de tout doute raisonnable ». Le sénateur Baker a parlé d'un cas tragique où on avait gravement porté atteinte à la réputation de la communauté juive. Or, la personne qui avait diffamé la communauté juive n'a pas fait de prison même s'il s'agissait d'un acte criminel parce que la norme de preuve est trop élevée.

Si on veut régler les problèmes au sein de la communauté, il faut appliquer la norme applicable en matière civile. Si nous l'abrogeons, nous perdrons un outil très important.

La question de la cyberintimidation a aussi été soulevée. On a longuement débattu du fait que cette disposition aurait pu être utilisée pour contrer la cyberintimidation. Nous aurions pu utiliser cet outil dans les cas de cyberintimidation chez les jeunes, voilà pourquoi il faut le conserver. Nous en discuterons d'ailleurs aujourd'hui.

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Puisque nous débattons d'une question dont je pensais que nous allions débattre lorsque nous arriverions à l'article concernant le projet de loi C-304, j'aimerais vous demander ce que l'Association canadienne des libertés civiles et leur avocat ont dit à ce sujet.

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Andreychuk, vous étiez là, et vous savez que l'association souhaite l'abrogation de cette disposition.


[Français]

ORDRE DU JOUR

L'étude de la proposition relative aux frais d'utilisation

L'agriculture et l'agroalimentaire—Le dixième rapport du Comité de l'agriculture et des forêts—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Plett, appuyée par l'honorable sénatrice Fortin-Duplessis, tendant à l'adoption du dixième rapport du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts (proposition de l'Agence canadienne d'inspection des aliments visant à imposer un prix pour l'obtention d'un permis d'importation pour importer des produits du secteur des établissements non agréés par le gouvernement fédéral, sans amendement), déposé au Sénat le 21 mars 2013.

L'honorable Fernand Robichaud : Honorables sénateurs, lorsque le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a préparé ce rapport, il avait d'abord entendu un témoin pour une période d'environ 45 minutes. Lorsqu'est venu le temps de rédiger ledit rapport, certains sénateurs et sénatrices avaient demandé un peu plus de temps pour étudier ce rapport parce qu'on remettait en question les consultations qui avaient eu lieu. Nous voulions tout simplement obtenir une journée de plus pour étudier ce qui nous avait été présenté.

Plusieurs sénateurs, d'un côté comme de l'autre, étaient d'accord pour accorder un peu plus de temps, mais une voix s'est fait entendre pour proposer que le comité présente son rapport dans les plus brefs délais, ce qui a été adopté par un vote à la majorité.

J'attire l'attention de cette Chambre à ce sujet pour préciser que lorsque les sénateurs et les sénatrices demandent un peu plus de temps, ce n'est pas pour retarder les travaux ou mettre des bâtons dans les roues; c'est tout simplement pour s'informer un peu mieux. Je suis convaincu, honorables sénateurs, que si on nous avait accordé un peu plus de temps, le rapport ne figurerait plus au Feuilleton; il aurait déjà été adopté. C'était là l'objet de mes remarques. Je vous remercie.

(Sur la motion du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à prolonger la séance du mercredi et à autoriser les comités à siéger même si le Sénat siège

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement), conformément au préavis donné le 25 juin 2013, propose :

Que, nonobstant l'ordre adopté par le Sénat le 18 octobre 2011, lorsque le Sénat siégera le mercredi 26 juin 2013, il poursuive ses travaux après 16 heures et qu'il suive la procédure normale d'ajournement conformément à l'article 3-4 du Règlement;

Que les comités sénatoriaux devant se réunir le mercredi 26 juin 2013 soient autorisés à siéger même si le Sénat siège, et que l'application de l'article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard;

Que l'application de l'article 3-3(1) du Règlement soit suspendue pour la séance du mercredi 26 juin 2013.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motions d'amendement et de sous-amendement

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carignan, appuyée par l'honorable sénatrice Marshall, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières);

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l'honorable sénatrice Jaffer, que le projet de loi C-377 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 2, par substitution, à la ligne 27, de ce qui suit :

« bénéficiaire donné est supérieure à une somme égale à la rémunération annuelle totale en argent maximale qui pourrait être versée à un sous-ministre »;

b) à la page 3, par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« à la rémunération annuelle totale en argent maximale qui pourrait être versée à un sous- ministre, et des personnes exerçant des »;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Segal, appuyée par l'honorable sénatrice Nancy Ruth, que le projet de loi C-377 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 2 :

(i) par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« (2) Sous réserve du paragraphe 149.01(6), dans les six mois suivant la fin de chaque »,

(ii) par substitution, à la ligne 27, de ce qui suit :

« bénéficiaire donné est supérieure à 150 000 $ »;

b) à la page 3, par substitution, aux lignes 5 et 6, de ce qui suit :

« ployés dont la rémunération annuelle est égale ou supérieure à 444 661 $ et des personnes exerçant des »;

c) à la page 5, par substitution, à la ligne 34, de ce qui suit :

« b) à la subdivision ou à la section locale d'une organisation ouvrière;

c) à l'organisation ouvrière qui compte moins de 50 000 membres;

d) aux fiducies de syndicat relativement à une ou plusieurs organisations ouvrières qui totalisent moins de 50 000 membres;

e) aux fiducies de syndicat dont les activités »;

d) à la page 6 :

(i) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« sauf une fiducie visée à l'alinéa (6)e), et à la »,

(ii) par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :

« une police visé à l'alinéa (6)e); »,

(iii) par adjonction, après la ligne 16, de ce qui suit :

« (8) Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au secret professionnel qui lie un avocat à son client. »;

Et sur le sous-amendement de l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Tardif, que la motion d'amendement soit modifiée comme suit :

Que le projet de loi C-377 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais qu'il soit modifié, à l'article 1, à la page 2, par substitution :

a) à la ligne 21, de ce qui suit :

« b) les états ci-après pour l'exercice indiquant le »;

b) à la ligne 32, de ce qui suit :

« ou à payer ou à recevoir, soit les états suivants : »;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Chaput, appuyée par l'honorable sénateur Mercer, que le projet de loi C-377 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 4 :

(i) par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« sés relatifs aux activités de recrutement, »,

(ii) par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :

« liés aux activités juridiques, sauf s'ils ont trait à des »;

b) à la page 5, par substitution, à la ligne 35, de ce qui suit :

« ont trait à l'administration, à la »

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour parler de ce projet de loi d'initiative parlementaire présenté par Russ Hiebert, le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

Ce projet de loi me préoccupe énormément. Le système fiscal et le pouvoir d'exiger des impôts des citoyens sont soigneusement autorisés, structurés et circonscrits en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Le système fiscal et ses règlements comptent parmi les pouvoirs et les privilèges les plus élevés du gouvernement, et seul un ministre de la Couronne a le pouvoir d'agir en cette matière.

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique définit, à la partie IV, intitulée « Pouvoir législatif », la totalité des pouvoirs législatifs fédéraux et provinciaux au Canada. À l'article 91, il précise que toutes les matières tombant dans les catégories de sujets qui y sont énumérées relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, qui peut légiférer en ce qui les concerne.

(1040)

Le paragraphe 91(3) établit les pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de taxation. Il permet le « prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation ».

Ce paragraphe porte sur le pouvoir constitutionnel de taxation, et nous savons qu'il n'est pas accordé aux simples députés.

Honorables sénateurs, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 définit précisément les restrictions et les pouvoirs que le gouvernement doit mettre en œuvre en matière de taxation. Ces pouvoirs n'ont été accordés ni au hasard, ni selon le caprice des législateurs. Les pouvoirs constitutionnels autorisant la taxation et les dépenses, qui se rapportent au revenu et aux finances publiques, constituent la pierre d'assise sur laquelle s'appuie le rôle fondamental du Parlement. Ces pouvoirs ont une longue et sanglante histoire. On disait même qu'il était question de taxation selon la représentation.

Les articles 53 et 54 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 exigent que les mesures fiscales proviennent de la Chambre des communes et qu'elles obtiennent le consentement royal, qu'on appelle aussi « recommandation royale ». Bref, seul un ministre de la Couronne élu à la Chambre des communes peut proposer un projet de loi permettant de hausser les impôts ou de s'approprier des deniers publics. Les articles 53 et 54 visent à invalider et à interdire les projets de loi de la Chambre des communes en matière de taxation et de dépenses publiques. L'article 53, intitulé « Bills pour lever des crédits et des impôts », dit ceci :

Tout bill ayant pour but l'appropriation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra originer dans la Chambre des Communes.

Voici ce que dit l'article 54, intitulé « Recommandation des crédits » :

Il ne sera pas loisible à la Chambre des Communes d'adopter aucune résolution, adresse ou bill pour l'appropriation d'une partie quelconque du revenu public, ou d'aucune taxe ou impôt, à un objet qui n'aura pas, au préalable, été recommandé à la Chambre par un message du gouverneur-général durant la session pendant laquelle telle résolution, adresse ou bill est proposé.

Honorables sénateurs, cela soulève immédiatement les questions suivantes : pourquoi le projet de loi est-il parrainé par un simple député, quelle était l'opinion des ministres responsables sur la question, où ont-ils exprimé cette opinion, et comment?

Il y a quelques jours, le 18 juin, dans une question adressée au sénateur Cowan, j'ai dit que la Loi de l'impôt sur le revenu a toujours été considérée comme la compétence exclusive des ministres. D'ailleurs, honorables sénateurs, conformément à ce que je viens de dire, j'estime que toute modification de la Loi de l'impôt sur le revenu nécessite le consentement royal.

Dans cet échange avec le sénateur Cowan, j'ai dit que j'ai toujours compris que, à la Chambre des communes, les projets de loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu — tel que le projet de loi C- 377 — sont du domaine exclusif des ministres et ne peuvent être proposés que par eux. Le but unique — et intégral — de la Loi de l'impôt sur le revenu est de régir et d'orienter la perception d'impôt par le gouvernement, et plus particulièrement de l'impôt sur le revenu, auprès de la population canadienne.

Honorables sénateurs, il n'appartient pas aux simples députés de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu. Je sais qu'il y a eu deux exceptions, soit une modification en 1924 et une autre en 2007.

Le ministère du Revenu national a vu le jour le 31 mars 1927, lorsque la nouvelle Loi concernant le ministère du Revenu national est venue abroger l'ancienne loi sur le ministère des Douanes et de l'Accise. Les sénateurs ne le savent peut-être pas, mais tous les ministères sont habituellement institués par une loi et les pouvoirs des ministres y sont souvent énoncés. C'est le cas notamment de la Loi sur le ministère de la Justice et du ministre de la Justice, pour ne donner qu'un exemple.

Le paragraphe 3(1) de la Loi concernant le ministère du Revenu national de 1927 énonce les responsabilités du ministre du Revenu national. Il dit ceci :

Les devoirs, pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent et s'appliquent aux sujets et services énumérés à l'annexe de la présente loi; il les contrôle, réglemente, gère et surveille, mais toujours subordonnément aux dispositions des lois relatives auxdits sujets et aux questions qui s'y rattachent.

On peut lire ceci dans l'annexe à propos du paragraphe 3(1) :

a) Le contrôle et la gestion de la perception des droits de douane et des questions qui y sont connexes.

b) La perception de tous les droits d'accise. [...]

d) Impôts de l'intérieur, sauf dispositions contraires, y compris l'impôt sur le revenu.

e) Toutes les autres fonctions que le gouverneur en son conseil peut assigner au ministre.

Honorables sénateurs, j'essaie de montrer l'incompatibilité entre la Loi de l'impôt sur le revenu et le projet de loi l'initiative ministérielle, car les députés croient que, à moins qu'une chose ne soit expressément interdite dans une loi, ils peuvent adopter une mesure à ce sujet. Il semble que ce soit le cas en l'occurrence, mais je dois expliquer en détail la tradition sur laquelle repose la Loi de l'impôt sur le revenu.

Il y a deux volets à la question sérieuse qui nous occupe : d'une part, la nature de la relation constitutionnelle qui existe entre la Loi de l'impôt sur le revenu et les syndicats canadiens et, d'autre part, les liens entre les députés et la Loi de l'impôt sur le revenu. Nous ne nous sommes pas encore penchés sur ces questions.

Honorables sénateurs, dans le chapitre 21, intitulé « Les affaires émanant des députés », de l'ouvrage intitulé La procédure et les usages de la Chambre des communes, O'Brien et Bosc parlent des limitations financières des projets de loi. On peut y lire ceci à la page 1114 :

En ce qui touche à la fiscalité, un député ne peut présenter des projets de loi qui imposent des taxes. Ce pouvoir de taxation appartient uniquement au gouvernement et toute mesure législative visant à accroître les taxes doit être précédée d'une motion de voies et moyens. Or, seul un ministre peut présenter une telle motion. Toutefois, les projets de loi émanant des députés qui visent à réduire les taxes, à réduire l'incidence d'une taxe, ou encore à imposer ou à accroître une exemption d'une taxe sont acceptables.

La loi du Parlement est claire au sujet de la relation entre les projets de loi d'initiative parlementaire et les mesures fiscales. Elle est tout aussi claire sur le fait que la même relation doit exister entre les initiatives parlementaires et la Loi de l'impôt sur le revenu, car cette loi a pour seul objectif la mise en application du processus d'imposition.

Honorables sénateurs, le 13 juin dernier, dans le National Post, Jordan Press a écrit un article portant sur le fait que tout le monde ressentait une certaine pression et que le Sénat pourrait repousser sa pause estivale jusqu'en juillet à cause de l'arriéré législatif. M. Press a cité la sénatrice Marjory LeBreton, leader du gouvernement au Sénat, qui a déclaré ceci :

De toute évidence, le projet de loi C-377 est un peu plus controversé, mais nous verrons ce qu'on peut faire. Nous espérons le faire adopter.

Quelqu'un peut-il nous dire en quoi consiste cette controverse? Personne ici, du côté ministériel du moins, n'a dit quoi que ce soit à ce sujet.

Il y a quelque chose d'étrange au sujet du parcours du projet de loi C-377 au Sénat. Ce projet de loi semble porter davantage sur la réglementation des organisations syndicales et des négociations collectives que sur la hausse de l'impôt sur le revenu. Ce dernier point à lui seul mérite un débat à part entière, et un débat d'importance.

Ce projet de loi a été présenté à la Chambre des communes par Russ Hiebert, un député conservateur, le 5 décembre 2011. C'est très inhabituel. Il a été adopté à toute vapeur à l'étape de la troisième lecture le 12 décembre grâce au poids de la majorité conservatrice. On compte le ministre des Finances, le ministre du Revenu national, le président du Conseil du Trésor et le premier ministre parmi ceux qui ont voté en sa faveur. On pourrait qualifier ces quatre personnes de poids lourds au sein du gouvernement en matière de fiscalité et de finances publiques.

Honorables sénateurs, le parcours de ce projet de loi au Sénat a été plutôt bizarre. On dirait le parcours d'un projet de loi orphelin. Souvenez-vous du développement du système d'aide aux enfants orphelins, au Royaume-Uni. Ce projet de loi ressemble à un orphelin qui ne bénéficie pas de l'attention adéquate de la part de ses parents.

Fait intéressant, les sénateurs conservateurs semblent se désintéresser de ce projet de loi. Ils semblent même réticents à se prononcer à son sujet, à l'expliquer ou à le défendre. En fait, seulement deux sénateurs conservateurs ont pris la parole sur ce projet de loi, soit sa marraine, la gracieuse sénatrice Nicole Eaton, et le sénateur Hugh Segal, qui l'a vertement condamné. C'est un bien étrange animal que nous avons ici. En général, le discours du parrain, qui clôt le débat, constitue le signal indiquant que le Sénat est prêt à se prononcer au sujet d'un projet de loi, mais ce discours ne semble pas être sur le point de se matérialiser.

Honorables sénateurs, madame le leader du gouvernement au Sénat a dit que le gouvernement veut faire adopter le projet de loi, mais elle ne précise pas pourquoi. Il est évident que le projet de loi en soi n'est pas urgent parce que, lorsque les projets de loi sont urgents, c'est habituellement indiqué clairement dans le projet de loi dès le départ.

(1050)

En outre, aucun sénateur conservateur qui appuie le projet de loi ne veut nous expliquer les raisons de ce soutien ou de l'intérêt du gouvernement dans ce projet de loi, et aucun sénateur n'est prêt à recevoir des questions sur ce projet de loi et à y répondre. C'est un projet de loi étrange. Nous sommes aux prises avec une impasse parlementaire, avec une situation bizarre, et je dirais même irrégulière. Ce projet de loi est irrégulier.

J'ai toujours compris que les projets de loi ne devaient pas aller de l'avant dans de telles conditions qui, de prime abord, constituent un désaveu du projet de loi, ainsi que de la majorité qui en a assuré l'adoption à l'autre endroit. Ces actions équivalent à un désaveu.

Ici, au Sénat, nous avons surtout entendu des personnes qui s'opposent au projet de loi ou qui ont soulevé de graves préoccupations à son égard.

Honorables sénateurs, je veux maintenant parler de la philosophie, des principes et des pratiques d'un gouvernement responsable. Au sein de cette Chambre de réflexion, il y a beaucoup d'opinions sur les projets de loi d'initiative parlementaire, ainsi que sur l'appui qu'ils reçoivent ou non des ministres responsables et des conséquences qui en découlent. On sait bien que les ministres sont responsables de tout ce qui relève de leur portefeuille. Ils ne perdent jamais cette responsabilité. Elle est inscrite dans leur fonction et dans leur mandat de ministre.

Le grand Alpheus Todd, un remarquable spécialiste des questions parlementaires, a écrit à ce sujet. Il s'est penché sur la relation entre les ministres responsables et l'adoption des projets de loi d'initiative parlementaire. Dans son ouvrage Parliamentary Government in England : Its Origin, Development, and Practical Operation, Volume 2, publié en 1892, il dit ceci à la page 123.

Des projets de loi de nature constitutionnelle ont été présentés par de simples députés et adoptés dans l'une des Chambres en dépit de l'opposition de ministres. Cependant, aucun projet de loi auquel des ministres s'opposaient obstinément n'a jusqu'à présent été adopté dans les deux Chambres. Si le Parlement s'exprime sans équivoque en faveur d'un projet de loi en particulier, indépendamment des objections exprimées par les ministres, la pratique habituelle veut que les ministres soit renoncent à leur opposition, par respect pour l'opinion du Parlement, et appuient l'adoption de la mesure, notamment les amendements nécessaires en vue de rendre le projet de loi conforme à leurs idées en matière de politique publique, soit démissionnent.

Comprenons bien. Selon toute évidence, de nos jours, lorsqu'on ignore un principe ou une pratique suffisamment longtemps, il ou elle cessera d'exister. L'idée, c'est que chaque ministre s'intéresse à tous les projets de loi d'initiative parlementaire qui concernent son portefeuille. Il doit dire s'il s'y oppose. Par contre, s'il est en faveur, il doit tout faire, par l'entremise de son ministère, pour l'appuyer. Il est toutefois inacceptable, malhonnête et condamnable de faire adopter un projet de loi en secret et en douce aux différentes étapes dans les deux Chambres.

Je cite, encore une fois l'ouvrage de M. Todd, à la page 123 :

Par conséquent, les gouvernements parlementaires successifs ont pu maintenir — en adhérant plus ou moins aux principes de leur parti ou de leur programme politique — le contrôle constitutionnel sur les travaux du Parlement concernant des projets de loi ayant une incidence sur leur mandat : un contrôle que la majorité, d'ordinaire détenue par des ministres à la Chambre législative, leur permet d'exercer sans empiéter sur l'indépendance du Parlement.

Son Honneur le Président intérimaire : Honorable sénatrice Cools, je regrette de vous informer que votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander plus de temps?

La sénatrice Cools : Oui, seulement pour me permettre terminer, s'il vous plaît.

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cools : J'invite les sénateurs à examiner l'ampleur et l'origine de ces importantes valeurs. Je les implore aussi de les respecter.

Honorables sénateurs, à la page 119, M. Todd poursuit ainsi :

Comme il est indispensable que les ministres de la Couronne aient la confiance de la Chambre du peuple, la perte de cette confiance nécessite qu'ils quittent leurs fonctions. Le retrait de la confiance de la Chambre des communes à l'endroit d'un ministère peut se manifester soit par un vote direct de défiance ou un vote de censure pour certains actes ou omissions désignés, soit par le rejet d'une mesure législative proposée par des ministres, dont l'acceptation par le Parlement a été déclarée d'une importance capitale; ou encore, par l'intention du Parlement de promulguer une loi en dépit des conseils et sans le consentement de l'administration.

Je n'ai pas eu assez de temps pour examiner tous les ouvrages. Il y a un problème ici, et c'est qu'il faut toujours se dépêcher. Nous n'avons pas le temps d'étudier, de lire, d'assimiler et d'analyser les projets de loi.

À la page 122, M. Todd conclut ainsi :

L'opinion exprimée par l'une ou l'autre des Chambres du Parlement, et surtout par la Chambre des communes, au sujet d'une affaire quelconque, qu'il s'agisse d'une question législative ou relevant du domaine de la prérogative ou de la fonction administrative, a toujours droit à un examen respectueux, même si elle a été adoptée contrairement à l'avis des ministres. Mais le poids à attribuer à une telle résolution doit dépendre des circonstances de l'affaire [...] Si une Chambre ou l'autre persiste dans son point de vue sur une importante question, malgré l'opposition des ministres, son action doit en définitive prendre la forme d'une motion de défiance à l'égard du gouvernement.

Honorables sénateurs, il est très clair que le projet de loi est étrange. Il semble que l'orphelin n'en soit pas vraiment un. Non, ce n'est pas un orphelin, mais plutôt un enfant bâtard du gouvernement.

N'oubliez pas que je viens d'une autre époque. Jadis, le mot « bâtard » signifiait plus qu'un enfant illégitime. Il faisait référence à un enfant illégitime, conçu non seulement à l'extérieur du lit conjugal, mais dans une grange ou une remise.

Comme la langue est fascinante. Pendant des années, tant de personnes ont été profondément blessées par ce mot.

Au Sénat, le projet de loi est adopté sans que l'on ait tenu compte ou discuté de la notion de responsabilité ministérielle, qui devrait s'appliquer car les ministres concernés ont voté en faveur de ce projet de loi. Les ministres l'ont appuyé. Il était de leur devoir d'en assumer la responsabilité. Le projet de loi C-377 est sans conteste un projet de loi ministériel qui se fait passer pour un projet de loi d'initiative parlementaire.

Il est clair que le but du projet de loi C-377 n'a rien à voir avec la réglementation de l'impôt sur le revenu ou la Loi de l'impôt sur le revenu. Il est clair qu'il cherche à entraver les organisations syndicales. Si le gouvernement souhaite réglementer les organisations syndicales, il devrait le faire au moyen d'une mesure d'initiative ministérielle; ainsi, les deux Chambres sauraient qu'elle relève de la responsabilité ministérielle et elle serait adéquatement étudiée en consultation avec toutes les parties intéressées au Canada.

Honorables sénateurs, pour conclure, j'aimerais dire que, en plus d'être une mauvaise politique, ce projet de loi furtif, le projet de loi C-377, est contraire à la bonne pratique parlementaire et constitutionnelle.

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres interventions?

L'honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, j'aimerais parler du quatrième amendement proposé par la sénatrice Chaput. Je répète la décision du sénateur Kinsella, qui a dit que chacun d'entre nous a le droit de prendre la parole, au Sénat, au sujet de chacun des amendements au projet de loi C-377.

J'ai beaucoup entendu parler du projet de loi ces cinq derniers mois, mais la sénatrice Cools nous l'a présenté sous un nouveau jour, nous apprenant que, au lieu du projet de loi C-377, nous pouvons maintenant l'appeler le projet de loi B, pour bâtard. Je la remercie de ses observations.

(1100)

Quant à l'amendement proposé par la sénatrice Chaput, il est grave et malheureux que la Chambre des communes — peu importe qu'il s'agisse du service juridique, du comité ou d'une autre section — n'ait pas repéré cette faute linguistique majeure dans la version initiale ou actuelle du projet de loi.

Je tiens à remercier de nouveau la sénatrice Chaput d'avoir proposé cet amendement pour corriger le libellé du projet de loi, ainsi que sa traduction.

J'ai mentionné hier que le comité avait reçu cinq lettres de la part de provinces, de premiers ministres provinciaux et de différents ministres du Travail qui tenaient à signaler que les relations de travail constituent une responsabilité provinciale. Ce projet de loi porte traite de relations de travail; il est donc, d'entrée de jeu, inconstitutionnel.

J'ai aussi rappelé hier soir que chacun d'entre nous représente la population d'une province et que les cinq provinces qui s'opposent à ce projet de loi sont représentées par 74 sénateurs.

Le sénateur Mercer : Peuvent-elles compter sur eux?

La sénatrice Ringuette : Ce sont les sénateurs de l'Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et du Manitoba.

Le principal problème de ce projet de loi concerne sa constitutionnalité. J'ai demandé à chacun des experts en droit constitutionnel qui ont témoigné devant le comité, ainsi qu'à tous les représentants des syndicats, s'il existait une façon de modifier le projet de loi C-377 pour le rendre constitutionnel. Tous, sans exception, ont affirmé qu'il était impossible de modifier le projet de loi C-377 de manière à régler le problème constitutionnel que constitue le non-respect de la compétence provinciale.

Honorables sénateurs, peut-être demanderez-vous : « Sénatrice Ringuette, pourquoi proposez-vous cet amendement? » Je l'ai fait pour indiquer aux sénateurs conservateurs qu'au-delà de tous les problèmes et lacunes du projet de loi C-377, la voie sur laquelle ils se sont engagés comporte une grave carence en matière de politiques et d'équilibre.

On ne peut, d'une part, demander aux 9 à 11 millions de travailleurs canadiens membres d'une organisation ouvrière qui reçoivent un montant de 5 000 $ ou plus d'afficher ce montant sur un site web public — ce qui est d'ailleurs contraire à la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels —, et d'autre part admettre le projet de loi C-461 modifiant la Loi sur l'accès à l'information, qui a été présenté à l'autre endroit par un ancien membre du caucus conservateur et amendé par le gouvernement de manière à ce qu'on ne divulgue que le nom de ceux qui touchent un salaire de 440 000 $ et plus, soit le niveau de rémunération d'un sous-ministre dont le salaire est entièrement payé par les contribuables.

On ne peut justifier l'écart extrême observé entre le projet de loi C- 377 et le projet de loi amendé C-461 de l'autre endroit. On ne peut, d'une part, demander à des travailleurs à faible et à moyen revenu de dévoiler publiquement un montant de 5 000 $ ou plus sur un site web gouvernemental et, d'autre part, décréter que l'information sur la totalité des salaires versés aux sous-ministres ne sera pas accessible en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, à moins que leur revenu annuel soit de 440 000 $ ou plus.

Cela montre bien le ridicule du projet de loi. J'espère que chacun d'entre nous réfléchira sérieusement à l'effet que cette mesure aura sur les familles et les travailleurs au Canada, que ce soit parce qu'ils achètent des appareils dentaires pour leurs enfants ou parce qu'ils touchent une petite pension.

Outre le fait que, à la base, le projet de loi est inconstitutionnel, ce dernier est tout à fait indigne de faire partie des lois du Parlement du Canada.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres interventions?

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je n'aborderai pas les questions de politiques contenues dans le projet de loi C-377. Je veux plutôt parler des problèmes liés à la constitutionnalité, à la protection de la vie privée et à la Charte.

Lorsque le projet de loi a été présenté, je l'ai examiné et il m'a semblé qu'on avait pris des dispositions tirées de la loi américaine pour les introduire dans la loi canadienne. Sa constitutionnalité m'a préoccupée dès le premier jour.

J'ai suivi l'étude qui en a été faite à la Chambre des communes. J'ai vu que la Chambre a essayé de l'amender et qu'elle y a réussi, dans une certaine mesure. Je demeurais tout de même préoccupée par sa constitutionnalité, la protection des renseignements personnels et les questions relatives à la Charte. Ces questions prioritaires ne semblent avoir été abordées ni au début du présent processus, ni à la Chambre des communes.

D'après ce que je comprends, ces préoccupations ont été soulevées par tous les membres du comité sénatorial. Nous déléguons aux comités le travail du Sénat, je l'accepte. Je ne m'attends pas à être experte dans tous les domaines — je n'ai d'ailleurs pas à l'être. Nous choisissons les comités dont nous voulons faire partie, et nous faisons de notre mieux. Je reconnais que le comité dans son ensemble a indiqué que les problèmes d'ordre constitutionnel étaient tels qu'il ne serait pas facile de les corriger. Le projet de loi nous est revenu accompagné de ces observations.

Des amendements ont été proposés. Je ne voterai pour aucun d'entre eux, je vais plutôt m'abstenir. Si nous amendons le projet de loi, nous ferons exactement comme la Chambre et le parrain de ce dernier : nous n'accorderons pas suffisamment d'attention à la Constitution et à son applicabilité et nous ne nous demanderons pas si le projet de loi C-377 est conforme à la Charte des droits et aux dispositions relatives à la protection de la vie privée.

Nous ne pouvons pas dire que les autres ont eu tort de produire un projet de loi comportant des difficultés sur le plan constitutionnel, qu'ils ne l'ont pas étudié suffisamment et qu'ils n'ont pas suivi le processus approprié. Nous avons cependant le devoir de ne pas faire la même chose. Si nous amendons le projet de loi, nous le déclarons valide sur le plan constitutionnel. Qui a étudié ces amendements? Qui les a examinés en profondeur? J'ai la forte impression que plusieurs d'entre eux reposent sur des considérations plus politiques que constitutionnelles.

(1110)

J'invite les sénateurs à réfléchir à notre rôle sur le plan constitutionnel et à s'assurer que les projets de loi dont nous sommes saisis — peu importe ce que nous pensons des politiques en cause — sont conformes à la primauté du droit.

Voilà la différence au sein de notre Parlement. Je ne donnerai pas de leçon d'histoire aux sénateurs. Je rappelle que la sénatrice Cools a déjà traité de la responsabilité ministérielle. J'aimerais discuter un jour de cette question en ce qui concerne les projets de loi d'initiative parlementaire, mais ce qui me préoccupe actuellement, c'est ma responsabilité aux termes de la Constitution.

Je ne voterai pour aucun des amendements. Ils m'apparaissent inconvenants, étant donné la solidité de l'argumentaire selon lequel le projet de loi contrevient à la Constitution. Je m'abstiendrai donc de voter à leur sujet.

Son Honneur le Président intérimaire : Sénatrice Andreychuk, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Andreychuk : Oui.

L'honorable Céline Hervieux-Payette : J'aimerais savoir si la sénatrice a pris le temps de lire le rapport du comité, qui fait état des graves réserves de l'opposition. Bien sûr, nous n'avons pas voté en faveur du rapport puisqu'il ne nous avait été soumis qu'au début de la réunion.

J'ai tendance à partager le même avis que la sénatrice Andreychuk, mais je tiens à préciser que bien des réserves ont déjà été exprimées par rapport à la validité du projet de loi.

La sénatrice Andreychuk : Je peux répondre. Je crois avoir exploré ce qui s'est passé et la manière dont on cherche à modifier le processus.

La question de fond, c'est celle de la constitutionnalité. Beaucoup de sénateurs ont débattu de la pertinence de la politique et du fait d'être ou non d'accord sur l'objectif visé.

Je me demande si cette mesure législative est constitutionnelle. Respecte-t-elle la Charte canadienne des droits et libertés? J'estime qu'il est de ma responsabilité de répondre à cette question et que nous devrions tous y penser maintenant.

Ce qui est arrivé au comité, c'est du passé. Les observations étaient unanimes et j'en ai tenu compte.

Je comprends parfaitement que, au comité, les sénateurs peuvent appuyer ou rejeter une proposition, faire connaître leur dissidence et agir à leur guise. Cependant, compte tenu des observations qui ont été formulées par les sénateurs — et je respecte mes collègues —, je ne crois pas, bien humblement, que les amendements vont dans le même sens que les observations formulées. Voilà pourquoi je n'appuierai pas les amendements.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je tiens à apporter une correction à ce que la sénatrice vient de dire. Les sénateurs libéraux n'ont jamais souscrit à cette mesure, ni même aux observations. À l'instar de la sénatrice Andreychuk, nous avons bien plus que de simples réserves : nous croyons que le projet de loi renferme de graves lacunes. Comme notre collègue, la sénatrice Ringuette, l'a dit, cette mesure législative ne respecte aucunement la Constitution, elle viole la vie privée, et il ne fait aucun doute qu'elle empiète sur la compétence des provinces.

La sénatrice Andreychuk : J'avais compris que la mesure et les observations avaient été acceptées par tous les membres du comité parce que des sénateurs ont affirmé au Sénat qu'il s'agissait « d'observations unanimes », et je m'en excuse.

La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, la position de la sénatrice Andreychuk et la description qu'elle fait des événements me surprennent vraiment et me fascinent.

Honorables sénateurs, lorsque le Sénat est saisi d'un projet de loi dont la constitutionnalité est sérieusement mise en doute par des témoignages convaincants, qui peut mettre un terme à son cheminement? Quand peut-on y mettre un terme? À quelles étapes des travaux peut-on le faire? À qui incombe-t-il de retirer le projet de loi? Un bon ministre l'aurait fait il y a longtemps.

La sénatrice Andreychuk : Honorables sénateurs, comme je l'ai indiqué, je ne m'aventurerai pas sur la question de la responsabilité ministérielle. La sénatrice Cools en a parlé; je choisis de m'abstenir à ce sujet à ce moment-ci. J'essaie de dire clairement que je ne peux prendre part à quelque discussion que ce soit visant à amender le projet de loi. Je ne toucherai pas aux questions de principe ou de responsabilité ministérielle.

Je crois que le Sénat devra, à un moment donné, se pencher sur les questions soulevées par la sénatrice Cools et tirer les leçons du présent processus.

L'honorable Terry M. Mercer : Je remercie la sénatrice Andreychuk d'avoir fait part de son opinion, que je respecte toujours.

Compte tenu de ses arguments et de certains arguments présentés par la sénatrice Cools, la sénatrice estime-t-elle qu'il aurait été judicieux de convoquer le ministre ou plusieurs ministres au comité pour répondre à certaines de ces questions fondamentales, notamment pour savoir s'ils avaient vérifié la constitutionnalité du projet de loi et quelle est la responsabilité du ministre?

La sénatrice Andreychuk : Je n'ai pas d'opinion sur la question de savoir si le ministre aurait dû être convoqué au sujet d'un projet de loi d'initiative parlementaire.

J'ai vu beaucoup de projets de loi d'initiative parlementaire, présentés au Sénat ou à l'autre endroit, pour l'étude desquels on n'a pas été convoqué de ministre. Je n'ai pas d'opinion sur la façon dont cela a été géré. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si ce serait approprié en principe. Je ne me prononcerai pas au sujet de la responsabilité ministérielle.

J'essaie de parler du fait que j'ai entendu dire que le projet de loi est inconstitutionnel. Je comprends qu'il présente des lacunes sur le plan constitutionnel. Je ne crois pas que nous devrions, nous au Sénat, adopter des amendements que nous n'avons pas étudiés comme il se doit.

Voilà ma position. Les amendements n'ont pas été étudiés avec toute la diligence voulue. Nous ne pouvons blâmer la Chambre des communes, le ministre ou le parrain du projet de loi si nous ne faisons pas nous-mêmes ce qui s'impose à l'égard des amendements.

La sénatrice Ringuette : Honorables sénateurs, je salue et je reconnais sans réserve l'expertise de la sénatrice Andreychuk en tant qu'ancienne juge d'une cour provinciale.

Étant donné que la majorité des gens au comité avaient pour le moins certaines réserves, j'ai dit à plusieurs reprises au cours des audiences que l'une des meilleures décisions à prendre était probablement de faire en sorte que le comité ou le Sénat formé en comité plénier demande au gouvernement de renvoyer la question à la Cour suprême du Canada afin qu'elle détermine la validité constitutionnelle du projet de loi en se fondant sur la Charte des droits et sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, puis d'attendre une réponse.

Je crois également que ce serait la décision responsable à prendre à l'égard de ce projet de loi. J'aimerais entendre l'avis de la sénatrice Andreychuk sur cette idée.

La sénatrice Andreychuk : Je ne veux pas revenir à ce qui est arrivé pendant les audiences du comité ou précédemment. Nous sommes saisis beaucoup de projets de loi. Des questions d'ordre constitutionnel sont soulevées, mais des contre-arguments sont toujours avancés. C'est donc au comité de déterminer si l'argument de la constitutionnalité a suffisamment de poids ou si c'est un point de vue discutable sur lequel les tribunaux devraient se prononcer.

Je dis simplement que nous ne devrions pas introduire cette question dans le débat au Sénat. Je ne veux pas commenter l'avis de la sénatrice, qui croit que la question devrait être renvoyée à la Cour suprême. Notre devoir en tant que parlementaires est de défendre un point de vue lorsqu'il convient de le faire. À la lumière de ce qui est arrivé, il m'est impossible de voter en faveur des amendements. Je reconnais ce qui s'est produit et j'éprouve du respect à l'endroit de de ceux qui proposent le projet de loi, de la Chambre des communes et de notre comité.

Je ne veux tout simplement pas que nous proposions des amendements à un projet de loi, qui ne sont peut-être pas valides sur le plan constitutionnel, parce que nous n'avons pas fait preuve de toute la diligence raisonnable. C'est du jamais vu au Sénat.

Je ne crois pas que nous nous acquittons adéquatement de nos responsabilités lorsqu'au moment où nous sommes dans une impasse, nous nous en sortons en laissant aux tribunaux le soin de trancher. Voilà pourquoi je prends position au sujet des amendements : parce que c'est notre responsabilité.

L'honorable Elaine McCoy : Honorables sénateurs, je suis curieuse de savoir comment la sénatrice Andreychuk compte s'acquitter de son devoir au moment du vote sur le projet de loi, après le vote sur les amendements, si elle est convaincue que le projet de loi est anticonstitutionnel et que nous devrions en poursuivre encore longtemps le second examen objectif. Je serais curieuse de connaître votre position à cet égard.

(1120)

La sénatrice Andreychuk : Honorables sénateurs, je compte exercer mes privilèges parlementaires. En temps opportun, je déciderai comment me prononcer au sujet du projet de loi C-377.

Je veux discuter des amendements, car je pense qu'ils sont déterminants dans la décision que nous prendrons au sujet du projet de loi.

Je veux voir ce que décidera le Sénat. Je respecte les sénateurs. Je veux savoir quel sort ils réserveront aux amendements avant de prendre ma décision définitive concernant le projet de loi. C'est ce qu'on m'a toujours enseigné dans cette enceinte. Nous devons respecter les opinions des autres et suivre le débat avant de prendre une décision.

Nous sommes fiers d'être, en quelque sorte, indépendants. J'avoue que nous nous faisons souvent une idée avant même d'entrer dans cette enceinte, mais j'essaie de résister à cette inclination, madame la sénatrice McCoy.

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres interventions?

Une voix : Le vote!

Son Honneur le Président intérimaire : L'honorable sénateur Carignan, avec l'appui de l'honorable sénatrice Marshall, propose que le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), soit lu pour la troisième fois;

Et l'honorable sénatrice Ringuette, avec l'appui de l'honorable sénatrice Jaffer, propose que le projet de loi C- 377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 2, par substitution, à la ligne 27, de ce qui suit :

« bénéficiaire donné est supérieure à une somme égale à la rémunération annuelle totale en argent maximale qui pourrait être versée à un sous-ministre »;

b) à la page 3, par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« à la rémunération annuelle totale en argent maximale qui pourrait être versée à un sous- ministre, et des personnes exerçant des »;

Et l'honorable sénateur Segal, avec l'appui de l'honorable sénatrice Nancy Ruth, propose que le projet de loi C-377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 2 :

(i) par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« (2) Sous réserve du paragraphe 149.01(6), dans les six mois suivant la fin de chaque »,

(ii) par substitution, à la ligne 27, de ce qui suit :

« bénéficiaire donné est supérieure à 150 000 $ »;

b) à la page 3, par substitution, aux lignes 5 et 6, de ce qui suit :

« ployés dont la rémunération annuelle est égale ou supérieure à 444 661 $ et des personnes exerçant des »;

c) à la page 5, par substitution, à la ligne 34, de ce qui suit :

« b) à la subdivision ou à la section locale d'une organisation ouvrière;

c) à l'organisation ouvrière qui compte moins de 50 000 membres;

d) aux fiducies de syndicat relativement à une ou plusieurs organisations ouvrières qui totalisent moins de 50 000 membres;

e) aux fiducies de syndicat dont les activités »;

d) à la page 6 :

(i) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« sauf une fiducie visée à l'alinéa (6)e), et à la »,

(ii) par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :

« une police visé à l'alinéa (6)e); »,

(iii) par adjonction, après la ligne 16, de ce qui suit :

« (8) Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au secret professionnel qui lie un avocat à son client. »;

Et le sénateur Cowan, avec l'appui de la sénatrice Tardif, propose que la motion d'amendement soit modifiée comme suit :

Que le projet de loi C-377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1, à la page 2, par substitution :

a) à la ligne 21, de ce qui suit :

« b) les états ci-après pour l'exercice indiquant le »;

b) à la ligne 32, de ce qui suit :

« ou à payer ou à recevoir, soit les états suivants : »;

Et l'honorable sénatrice Chaput, avec l'appui de l'honorable sénateur Mercer, propose que le projet de loi C- 377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 4 :

(i) par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« sés relatifs aux activités de recrutement, »,

(ii) par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :

« liés aux activités juridiques, sauf s'ils ont trait à des »;

b) à la page 5, par substitution, à la ligne 35, de ce qui suit :

« ont trait à l'administration, à la ».

Des voix : Non, un à la fois.

La sénatrice Ringuette : Non, non, non.

Son Honneur le Président intérimaire : La Chambre souhaite-t-elle procéder amendement par amendement?

Des voix : Oui.

La sénatrice Cools : C'est la seule façon de procéder.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le vote portera sur la motion d'amendement présentée par la sénatrice Ringuette, appuyée par la sénatrice Jaffer. Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien...

La sénatrice McCoy : J'invoque le Règlement. Je suis désolée; je ne comprends pas très bien le processus. Je saurais gré à Son Honneur de bien vouloir m'éclairer.

Son Honneur le Président intérimaire : Volontiers.

La sénatrice McCoy : D'ordinaire, nous passons au vote en commençant par le dernier amendement; il semble que nous procédions ici en sens inverse.

Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, l'ordre de la Chambre indique que les votes sur le projet de loi C-377 se dérouleront ainsi : tout d'abord, nous nous prononcerons sur l'amendement de la sénatrice Ringuette; ensuite, nous passerons au sous-amendement du sénateur Cowan, qui est en fait un sous- amendement à l'amendement proposé par le sénateur Segal; l'amendement du sénateur Segal viendra ensuite avec l'autre amendement, soit celui de la sénatrice Chaput.

Honorables sénateurs, le premier vote porte sur la motion d'amendement proposée par la sénatrice Ringuette, appuyée par la sénatrice Jaffer. Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : On demande un vote par appel nominal. Les whips ont-ils une recommandation à faire? La sonnerie se fera-t-elle entendre pendant 30 minutes?

Le sénateur Marshall : Pendant une heure.

Le sénateur Munson : Pendant 30 minutes. Je propose 30 minutes.

Son Honneur le Président : Il n'y a pas entente entre...

Le sénateur Marshall : D'accord. Trente minutes.

Son Honneur le Président : Le whip du gouvernement et le whip de l'opposition conviennent que la sonnerie se fasse entendre pendant 30 minutes. Le vote aura donc lieu à 11 h 55. Les sénateurs sont-ils d'accord?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : La présidence peut-elle quitter le fauteuil?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Convoquez les sénateurs.

(1150)

La motion d'amendement de la sénatrice Ringuette, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Joyal
Callbeck Kenny
Campbell Lovelace Nicholas
Charette-Poulin Mercer
Cools Merchant
Cordy Mitchell
Cowan Moore
Dallaire Munson
Dawson Nancy Ruth
Day Ringuette
De Bané Rivest
Downe Robichaud
Dyck Segal
Eggleton Smith (Cobourg)
Fraser Tardif
Hubley Watt
Jaffer Zimmer—34

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Beyak McInnis
Black McIntyre
Boisvenu Meredith
Braley Mockler
Buth Neufeld
Carignan Ngo
Champagne Nolin
Comeau Ogilvie
Dagenais Oh
Demers Oliver
Doyle Patterson
Eaton Poirier
Enverga Raine
Fortin-Duplessis Rivard
Frum Seidman
Gerstein Seth
Greene Smith (Saurel)
Housakos Stewart Olsen
Johnson Unger
Lang Verner
LeBreton Wallace
MacDonald Wells
Maltais White—51
Manning  

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Hervieux-Payette—3
Bellemare

(1200)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la question dont le Sénat est maintenant saisi est celle du sous-amendement proposé par l'honorable sénateur Cowan, avec l'appui de l'honorable sénatrice Tardif.

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Est-ce que les honorables sénateurs veulent voter maintenant? Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour tenir le vote par appel nominal maintenant?

Des voix : D'accord.

La motion de sous-amendement du sénateur Cowan, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Kenny
Callbeck Lovelace Nicholas
Campbell McCoy
Charette-Poulin Mercer
Cools Merchant
Cordy Mitchell
Cowan Moore
Dallaire Munson
Dawson Nancy Ruth
Day Ringuette
De Bané Rivest
Downe Robichaud
Dyck Segal
Eggleton Smith (Cobourg )
Fraser Tardif
Hubley Watt
Jaffer Zimmer—35
Joyal  

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Beyak McInnis
Black McIntyre
Boisvenu Meredith
Braley Mockler
Buth Neufeld
Carignan Ngo
Champagne Nolin
Comeau Ogilvie
Dagenais Oh
Demers Oliver
Doyle Patterson
Eaton Poirier
Enverga Raine
Fortin-Duplessis Rivard
Frum Seidman
Gerstein Seth
Greene Smith (Saurel )
Housakos Stewart Olsen
Johnson Unger
Lang Verner
LeBreton Wallace
MacDonald Wells
Maltais White—51
Manning

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk

Hervieux-Payette—3

Bellemare

(1210)

La motion d'amendement proposée par le sénateur Segal, mise aux voix, est adoptée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Lang
Braley Lovelace Nicholas
Buth McCoy
Callbeck McIntyre
Campbell Mercer
Charette-Poulin Merchant
Comeau Meredith
Cools Mitchell
Cordy Moore
Cowan Munson
Dallaire Nancy Ruth
Dawson Neufeld
Day Ringuette
De Bané Rivest
Demers Robichaud
Downe Segal
Doyle Seidman
Dyck Smith (Cobourg)
Eggleton Smith (Saurel)
Fraser Tardif
Greene Unger
Hubley Verner
Jaffer Watt
Joyal Zimmer—49
Kenny  

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Beyak McInnis
Black Mockler
Boisvenu Ngo
Carignan Nolin
Dagenais Ogilvie
Eaton Oh
Enverga Patterson
Fortin-Duplessis Poirier
Frum Raine
Gerstein Rivard
Housakos Seth
LeBreton Stewart Olsen
MacDonald Wallace
Maltais Wells—33
Manning

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Johnson
Bellemare Oliver
Champagne White—7
Hervieux-Payette

(1220)

La motion d'amendement proposée par la sénatrice Chaput, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Joyal
Bellemare Kenny
Callbeck Lovelace Nicholas
Campbell McCoy
Charette-Poulin Mercer
Cools Merchant
Cordy Mitchell
Cowan Moore
Dallaire Munson
Dawson Nancy Ruth
Day Ringuette
De Bané Rivest
Downe Robichaud
Dyck Segal
Eggleton Smith (Cobourg)
Fraser Tardif
Hubley Watt
Jaffer Zimmer—36

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan Manning
Batters Marshall
Beyak Martin
Black McInnis
Boisvenu McIntyre
Braley Meredith
Buth Mockler
Carignan Neufeld
Champagne Ngo
Comeau Nolin
Dagenais Ogilvie
Demers Oh
Doyle Oliver
Duffy Patterson
Eaton Poirier
Enverga Raine
Fortin-Duplessis Rivard
Frum Seidman
Gerstein Seth
Greene Smith (Saurel)
Housakos Stewart Olsen
Johnson Unger
Lang Verner
LeBreton Wallace
MacDonald Wells
Maltais White—52

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Hervieux-Payette—2

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le vote porte sur la motion principale modifiée, proposée par l'honorable sénateur Carignan et appuyée par l'honorable sénatrice Marshall.

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, plusieurs d'entre vous ont eu la chance de s'exprimer avant moi et ont soulevé des craintes sur les effets potentiels du projet de loi C-377. D'autres ont dit s'inquiéter de sa constitutionnalité. Certains soulèvent une possible inconstitutionnalité basée sur le partage des compétences prévues aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Ce questionnement est tout à fait légitime et approprié car il s'agit de l'essence même du rôle de cette Chambre de second examen. Chacun d'entre nous, à partir de notre expérience, de notre expertise, des différents témoignages présentés au comité, des opinions émises par des experts et des collègues, essaie de se forger sa propre opinion.

Plusieurs d'entre vous connaissent ma passion pour le droit public et constitutionnel. Mon expérience passée dans la pratique du droit et dans l'enseignement dans le domaine des relations de travail m'ont aussi aidé dans cette analyse. Je suis également d'opinion, comme la sénatrice Andreychuk, que les amendements proposés n'ont pas d'influence sur la constitutionnalité du projet de loi C-377.

J'ai eu la chance et le privilège d'étudier le droit du travail, de le pratiquer et de l'enseigner à la faculté de droit. Au cours des années 2000, jusqu'en 2009, j'ai également eu la chance d'en être partie prenante à part entière, en négociant et en signant plusieurs conventions collectives à titre d'employeur et de dirigeant d'un organisme public. J'insiste sur le caractère public de mon expérience municipale puisqu'une ville est un employeur, mais aussi une entité assujettie à une obligation de divulgation publique extrêmement large de renseignements. Sauf quelques exceptions très encadrées, tous les renseignements ou documents d'une ville sont publics, donc accessibles aux syndicats.

J'ai été impressionné par la qualité et la passion des échanges jusqu'à maintenant, et c'est avec enthousiasme que je participe à ce débat, non seulement comme participant, mais également comme celui qui propose la troisième lecture du projet de loi C-377.

Je débuterai ma présentation par une analyse de la constitutionnalité du projet de loi C-377. Puisque cette analyse requiert d'étudier l'objet du projet de loi, ceci me permettra de traiter du projet de loi en soi et de ses effets du point de vue constitutionnel et pratique.

(1230)

[Traduction]

Comme les sénateurs le savent déjà, notre Constitution divise les pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces et chaque ordre de gouvernement doit respecter ses champs de compétence. Or, cela ne signifie pas qu'une loi valable adoptée par le gouvernement fédéral ou une province ne peut pas avoir des répercussions sur un champ de compétence relevant de l'autre ordre de gouvernement tout en conservant sa validité constitutionnelle.

[Français]

Depuis plusieurs décennies, la Cour suprême reconnaît qu'une législation ne peut être complètement étanche et n'avoir aucun effet sur un autre ordre de gouvernement. Les exemples dans les milieux juridiques sont innombrables, que l'on pense par exemple à l'adoption de la norme fédérale de rejet dans les Grands Lacs qui, nécessairement, a des effets sur les opérations et la construction d'usines d'épuration situées en amont et gérées par les municipalités, de compétence provinciale.

Voici un autre exemple : l'actuel article 148 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada accorde des exceptions de taxation aux collèges, universités, municipalités, qui sont tous de compétence provinciale.

La Cour suprême du Canada a eu à se prononcer à des centaines de reprises dans des litiges de partage de compétences. Les principes applicables sont bien connus et sont résumés dans l'arrêt BC securities commission c. Global Securities Corporation, [2000] 1 R.C.S., à la page 499. J'attirerai notamment votre attention sur le passage suivant qui résume le cadre d'analyse utilisé par les tribunaux afin de juger de la validité constitutionnelle d'une loi. Je citerai le juge Iacobucci, qui nous dit ceci à la page 499 :

1. Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si une commission des valeurs mobilières provinciale peut légalement recueillir de l'information au profit d'organismes de réglementation du marché des valeurs mobilières d'autres ressorts. Plus précisément, l'intimée, Global Securities Corporation, une maison de courtage de la Colombie- Britannique, conteste le pouvoir de la British Columbia Securities Commission (« Commission ») de lui enjoindre de produire des documents en vue de les remettre à la Securities and Exchange Commission des États-Unis (« SEC »).

Un peu plus loin, il nous dit, selon la prétention de l'intimée :

L'intimée soutient que cette disposition ne relève pas des pouvoirs que la Loi constitutionnelle de 1867 accorde aux provinces.

En effet, puisqu'elle a un effet extraterritorial et une compétence pour avoir des effets à l'extérieur de la province. Le juge Iacobucci poursuit ainsi :

L'erreur fondamentale de l'intimée est qu'elle ne reconnaît pas que l'objectif dominant, ou « caractère véritable », de la disposition en cause est l'application de la Loi sur les valeurs mobilières de la Colombie-Britannique.

En faisant son analyse à la page 505, le juge Iacobucci nous rappelle les principes qui s'appliquent en semblables matières, c'est- à-dire pour déterminer l'objet véritable d'un projet de loi. Donc, il nous dit ce qui suit :

19. Les affaires touchant le fédéralisme, à l'instar de nombreux autres domaines d'interprétation législative, portent en grande partie sur la bonne façon de qualifier la mesure législative contestée. Dans l'arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641 (ci- après « GM Canada »), aux pp. 666 à 669, le juge en chef Dickson a proposé le recours à une méthode en trois étapes pour analyser la prétention qu'une mesure législative est inconstitutionnelle.

Je cite un passage aux pages 666 et 667 :

La première étape devrait consister à se demander si et dans quelle mesure il est possible de dire que la disposition contestée empiète sur les pouvoirs de la province. Si on ne peut affirmer que la disposition empiète sur ceux-ci, c'est-à- dire si, de par son caractère véritable, elle relève du droit fédéral, et que la loi à laquelle elle se rattache est constitutionnelle

Le juge Iacobucci termine la citation du juge cité auparavant, et nous dit ceci à la page 506 :

Si, par contre, la disposition contestée ne relève pas, de par son caractère véritable, des pouvoirs que la Constitution confère à la législature qui l'a adoptée, la cour doit se demander si elle fait néanmoins partie d'un régime législatif valide. Dans l'affirmative, il y a lieu, à la troisième étape, de confirmer la validité de la disposition contestée si cette disposition est suffisamment intégrée au régime législatif valide.

Honorables sénateurs, on doit donc s'assurer du caractère véritable de l'objet de la loi afin de vérifier s'il s'inscrit dans un champ de compétence fédérale.

Le juge Iacobucci nous cite également l'arrêt Hydro-Québec c. la reine, [1997], 3 R.C.S. 213, qui dit ce qui suit au paragraphe 23 :

La loi en question doit d'abord être qualifiée en fonction de son « caractère véritable », c'est-à-dire de sa caractéristique dominante ou la plus importante. Il faut ensuite se demander si la loi, vue sous cet angle, relève à bon droit de l'un des chefs de compétence législative du gouvernement.

Dans l'étude du caractère de l'objet véritable de la loi, on doit également tenir compte des effets de la disposition. Je citerai alors un passage d'un arrêt de la Cour suprême à la page 507, les paragraphes 23 et 24, qui terminera ma citation sur l'objet, sur le test à apporter dans le cadre d'une évaluation de la constitutionnalité d'un projet de loi fondé sur le partage des compétences. Donc, on peut lire ceci :

23. Les effets de la mesure législative peuvent également être pertinents pour déterminer si elle est valide, dans la mesure où ils en révèlent le caractère véritable. Par exemple, dans l'arrêt Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, la Cour a invalidé un règlement municipal qui interdisait la distribution de tracts, pour le motif qu'il avait été appliqué de façon à supprimer les opinions religieuses des Témoins de Jéhovah. De même, dans Attorney-General for Alberta c. Attorney-General for Canada, [1939] A.C. 117, le Conseil privé a invalidé une loi qui imposait une taxe aux banques, pour le motif que les effets de cette taxe étaient si graves que l'objet véritable de la loi ne pouvait qu'être lié aux opérations bancaires et non à la taxation. Cependant...

J'insiste :

... de simples effets accessoires ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires.

24. Le juge McIntyre a résumé avec justesse l'approche qu'il convient d'adopter, dans le Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, à la p. 332 :

Lorsque le caractère véritable d'une loi provinciale se rapporte à des matières qui relèvent du domaine de la compétence législative des provinces, les effets accessoires ou indirects sur des droits extra-provinciaux ne rendent pas cette loi ultra vires. Cependant, si de par son caractère véritable la loi provinciale porte atteinte à des droits extra- provinciaux ou les élimine, elle est ultra vires même si elle revêt une forme constitutionnelle appropriée.

Il s'agit donc, honorables sénateurs, de l'examen qu'on doit faire pour juger de la validité constitutionnelle d'une loi du point de vue du partage des compétences.

Le projet de loi C-377 est soumis à notre Chambre dans le cadre de l'exercice de la compétence fédérale prévue à l'article 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867, soit « Le prélèvement de deniers par tous les modes ou système de taxation ». Dans l'exercice de sa compétence, le Parlement a adopté la Loi de l'impôt sur le revenu afin d'identifier les sources de revenus imposables, celles des dépenses déductibles et quels sont les citoyens ou entités qui y seront assujettis.

(1240)

En principe, toute personne physique ou morale doit payer de l'impôt sur ses revenus. Il s'agit d'une des deux certitudes dans la vie d'une personne, soit mourir et payer de l'impôt.

Pour ce qui est de la section h) de la Loi de l'impôt, le législateur établit une série de personnes et d'identités qui bénéficient d'une exemption, notamment les fonctionnaires à l'étranger, les sociétés d'État, les organismes de bienfaisance enregistrés, les associations ouvrières, les collèges, les universités, les sociétés de gestion de fonds de pension et même les municipalités.

Afin de bénéficier de l'exemption, l'entité doit remplir certaines conditions qui varient toutes de l'une à l'autre, selon la nature de l'organisme. Fait à souligner, aucune des entités énumérées à l'article 149 n'a de conditions identiques requises afin de bénéficier de l'exemption établie à la section h) de la loi.

Quel est l'objectif véritable du projet de loi C-377?

[Traduction]

Conformément à l'objectif énoncé par le parrain du projet de loi, lequel a fait l'objet de discussions approfondies durant l'étude des articles du projet de loi C-377, il semble que le projet de loi vise à assurer la transparence et la divulgation publique de l'information relative aux avantages fiscaux dont jouissent les organisations ouvrières.

[Français]

Le public canadien, payeur de taxes, doit s'assurer que l'entité qui bénéficie d'une exemption complète de taxation est bel et bien de la nature qu'elle prétend être, à savoir une association ouvrière. Peu d'entités juridiques ou d'individus peuvent profiter d'une exemption complète d'impôt.

La confiance des Canadiens à l'égard du régime fiscal exige que ceux qui bénéficient de tels privilèges d'exception prouvent que leurs activités sont conformes au titre pour lequel elles revendiquent cette exemption fiscale.

Ainsi, que ce soit pour des organismes de bienfaisance enregistrés, des collèges, des universités ou des organisations ouvrières, le législateur doit s'assurer que les activités de l'entité sont conformes au titre pour lequel elles revendiquent l'exemption. À défaut, l'entité risque d'être privée de son exemption fiscale.

Honorables sénateurs, le fait que le projet de loi à l'étude ne fixe des conditions qu'aux associations ouvrières ne change rien à la nature du projet de loi quant à sa qualification constitutionnelle, puisque c'est une loi de nature fiscale.

[Traduction]

Certains sénateurs ont parlé de l'iniquité de ce traitement différent réservé aux associations de travailleurs, mais un traitement différent n'est pas synonyme de distinction illicite ou illégale. Au contraire, chaque entité qui fait l'objet d'une exception a ses propres conditions particulières en fonction de sa nature et de sa constitution légale.

[Français]

Les administrations municipales, par exemple, ont un régime complet de divulgation publique qui rendrait complètement inutile l'adoption de normes semblables à celles prévues dans le projet de loi.

Les organismes de bienfaisance suivent tous un processus d'accréditation et de divulgation publique beaucoup plus sévère que celui prévu au projet de loi C-377. D'ailleurs, les renseignements financiers sont déjà disponibles sur le Web depuis plusieurs années. Ces exigences plus sévères de production sont nécessaires afin de s'assurer que l'autorité fiscale puisse analyser de manière approfondie les activités d'un organisme de charité et étudier les risques de fraude fiscale qui pourrait être effectuée par l'entremise de ce type d'organismes.

Un processus est essentiel afin qu'ils puissent obtenir leurs exemptions fiscales et il doit être adapté à la réalité juridique et à la mission de chaque entité. D'ailleurs, un traitement identique des organismes visés par l'exemption créerait des situations complètement irrationnelles que l'on ne peut appuyer.

Certains sénateurs ont parlé d'une forme d'iniquité et de déséquilibre puisque le projet de loi n'exige pas la même divulgation de la part des employeurs. C'est avec beaucoup de respect que je dis que cet argument doit être rejeté. Cet argument est le résultat d'une méprise complète sur l'objet du projet de loi. Le projet de loi C-377 n'est pas un projet de loi sur les relations de travail, mais un projet de loi de nature fiscale.

Dévier le débat en soulevant l'angle des rapports collectifs de travail et du nécessaire équilibre des rapports de force entre les parties à une négociation collective fait complètement fi du projet de loi déposé devant nous et de la structure du cadre législatif en matière fiscale.

Certains peuvent prétendre que c'est son objectif non avoué. Cet argument peut servir de rhétorique dans un débat politique et partisan, mais pas dans l'analyse factuelle nécessaire pour déterminer l'objet constitutionnel du projet de loi.

Ce type d'analyse exige de s'en tenir aux faits et à ses véritables effets, directs ou indirects, sur les autres champs de compétence constitutionnelle.

Pousser à l'absurde l'argument de la transparence des employeurs aurait un sens si le projet de loi visait à les exempter d'impôt conformément à la section H de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais ce n'est pas le cas, évidemment!

Pour conclure sur cette partie, l'analyse montre que le projet de loi C-377 a pour idée maitresse une caractéristique dominante, la plus importante, soit la transparence publique comme condition nécessaire pour bénéficier de l'exemption fiscale.

Par cette méthode, le législateur laisse le soin au public de juger et à l'association de s'autoréglementer afin de s'assurer que la pression publique l'amène à perdre cette exemption parce qu'elle s'est éloignée de ses activités liées à la défense des travailleurs.

Cette forme de contrôle est justifiable et beaucoup moins intrusive que la Loi de l'impôt sur le revenu, et ses règlements ne l'exigent pas aux organismes de bienfaisance accrédités, par exemple.

Certains ont souligné que la nature de l'information était si importante qu'elle constitue, par ses effets, une ingérence dans les champs de compétence des provinces, à savoir a propriété et le droit civil, dont découle la compétence dans le domaine des relations de travail.

La Cour suprême, dans plusieurs jugements, notamment dans Gold Seal c. Dominion Express, [1921] 62 R.C.S. 424, à la page 460, et dans le Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada, [1991] 2 R.C.S. 525, à la page 567, a établi que de simples répercussions sur des matières relevant d'une autre compétence ne suffisaient pas à invalider une loi.

Pour qu'une loi soit invalide, donc, elle devrait affecter de façon substantielle les relations de travail ou avoir des effets secondaires tels qu'elle équivaudrait à s'ingérer dans les relations de travail.

Après avoir fait l'étude du projet de loi C-377, il m'est impossible d'imaginer en quoi la connaissance des renseignements requis pourrait affecter de façon importante les relations de travail.

En quoi la connaissance de ces informations sur l'association ouvrière influencerait-elle la négociation ou la conclusion de conventions collectives, la représentation de salariés ou, de façon plus large, la défense des intérêts économiques et sociaux de ses membres?

(1250)

J'ai agi à titre de maire d'une municipalité, organisme public tenu de divulguer une quantité importante de renseignements publics et de documents publics. La quantité de renseignements accessibles au public dans une municipalité n'a rien de comparable à celle qui est requise par le projet de loi C-377. Pourtant, je n'ai jamais été témoin de quelque conséquence que ce soit dans le cadre des relations de travail avec les syndicats. Ce qui influence les relations de travail, ce sont l'historique des conventions collectives, le rapport de force, le droit de grève et de lock-out, les précédents de conventions collectives, les décisions d'arbitres de griefs ou d'arbitrages de différends, le climat de travail et le respect entre les parties.

[Traduction]

Je suis persuadé non seulement que les renseignements exigés n'auront pas de répercussions importantes sur les relations de travail, mais aussi que le projet de loi n'aura aucun effet sur celles-ci.

Le sénateur Mercer : Je ne sais pas dans quel monde vous vivez.

[Français]

Le projet de loi C-377 ne dicte aucunement à l'association la façon de mener son organisation et de faire sa représentation. Quant à la déclaration des activités de lobbying, la Loi sur le lobbying exige déjà que ces activités soient déclarées. Les informations requises conformément au projet de loi C-377, serviront à déterminer si le montant investi pour ce qui est de l'organisation et de la représentation correspond à celles d'une organisation ouvrière à but non lucratif comme celles des exigences liées aux collèges et universités ou celles des organismes de bienfaisance. Ces exigences ont aussi pour objectif de s'assurer de la légitimité de cette exemption fiscale.

J'ajouterai que même si la loi avait pour effet d'affecter indirectement les relations de travail, la loi serait quand même valide à cause de la théorie des pouvoirs ancillaires ou accessoires. Ainsi, comme l'a reconnu la Cour suprême, notamment dans l'affaire P.G. Québec c. Kellogg's Cs [1978] 2 R.C.S. 211, la cour a reconnu qu'une législation provinciale, soit la Loi sur la protection du consommateur, pouvait affecter de manière indirecte la télévision, de compétence fédérale, en réglementant la publicité frauduleuse.

Finalement, les dispositions visées par le projet de loi C-377 ont un rapport fonctionnel et rationnel avec le régime fiscal établi. Comme l'a soutenu la Cour suprême dans Kirby c. Gestion Ritviki, [2005] 3 R.C.S. 302, la cour devait à étudier si la création d'un recours civil pour la protection des marques de commerce était de compétence fédérale, étant donné qu'elle concernait les marques de commerce, ou si elle concernait la propriété et le droit civil, de compétence provinciale. La cour a reconnu que l'empiétement sur la propriété et le droit civil était minimal et restreint par des dispositions de la loi.

La cour a conclu que le recours était suffisamment intégré à la Loi sur les marques de commerce et que son rapport fonctionnel avec la loi suffisait pour que la disposition soit constitutionnelle.

[Traduction]

Dans la société canadienne, la population accorde beaucoup d'importance à la transparence des décisions publiques et, pour qu'elle continue de faire confiance au système actuel, la solidarité fiscale et la lutte contre l'évasion fiscale sont essentielles. Il est aussi absolument nécessaire que les entités et les particuliers qui jouissent d'un privilège comme une exemption fiscale totale soient assujettis à des mécanismes de contrôle minimaux.

[Français]

Le choix du Parlement d'une divulgation publique de renseignements sur le pourcentage des activités effectuées par l'organisme et d'un minimum de renseignements afin d'en valider l'exactitude n'est pas déraisonnable et a un lien rationnel avec l'objectif d'une exemption fiscale accordée à une organisation.

Le cadre fixé par la loi a pour objectif d'assurer une transparence de l'association bénéficiant de l'exemption, afin que le public puisse s'assurer que les activités d'une association correspondent dans les faits à la définition d'une association ouvrière. Le processus de contrôle a pour but d'éviter l'utilisation de paravents, d'écrans par une entité et, ainsi, d'éviter d'obtenir indûment un privilège.

Quant à l'atteinte potentielle du droit d'association, la loi ne dicte pas comment agir ni ne dicte le pourcentage d'activités que doit maintenir l'association. Elle ne dicte pas ce que doit faire l'association ni comment elle doit le faire. Elle fixe des obligations de transparence à une entité exemptée d'impôt. L'association de bienfaisance comme l'association ouvrière a le choix de ne pas bénéficier de l'exemption fiscale et, ainsi, de ne pas divulguer les renseignements requis en produisant plutôt des déclarations de revenus à l'Agence du revenu du Canada qui, soit dit en passant, serait beaucoup plus intrusive dans les opérations de l'association. En conséquence, si une violation du droit d'association était établie, ce que je ne peux imaginer actuellement, il est fort probable que cette violation serait acceptable en raison de l'examen de rationalité prévu à l'article 1 de la Charte, l'objectif étant important et l'atteinte minimale.

En conclusion, honorables sénateurs, je crois fermement que le projet de loi C-377 correspond à l'exercice valide et légitime de la compétence du Parlement fédéral en matière fiscale.

Les Canadiens exigent que toute institution publique, agent de l'État ou entité bénéficiant d'avantages fiscaux en utilisant des sommes provenant du Trésor public fassent preuve de transparence et qu'ils puissent justifier aux yeux du grand public la pertinence de l'obtention de ces privilèges.

C'est pourquoi, honorables sénateurs, je vous invite à adopter le projet de loi C-377.

[Traduction]

L'honorable Larry W. Campbell : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Merci. Je crains de devoir gâcher la belle ambiance de solidarité qui semble régner depuis le dernier vote, mais je m'en voudrais de ne pas poser au moins quelques questions à la suite du discours prononcé par le sénateur.

Je crois que le sénateur fait preuve de beaucoup de courage en osant défendre l'indéfendable. Je crois sincèrement que c'est admirable.

Il prétend que ce projet de loi ne nuira pas aux négociations collectives. Le problème, c'est qu'un nombre important d'organisations ne sont pas associées au mouvement syndical. Je pense par exemple à InfoTravail et Merit Canada, qui est associée à l'organisme américain Merit, connu dans le monde entier. Au moment de passer des contrats, les syndicats et les organisations non syndicales ne seront pas sur un pied d'égalité, car, contrairement aux syndicats, des organismes comme Merit et InfoTravail n'auront pas à divulguer des renseignements, à faire preuve de transparence et à rendre des comptes à qui que ce soit.

En fait, si le sénateur pense que les syndicats ne sont pas disposés à faire preuve de transparence, il n'a encore rien vu : c'est encore pire dans le cas de Merit.

J'aimerais que le sénateur me dise en quoi cette façon de faire rendra les règles du jeu plus équitables pour tous. Comment pouvons-nous mettre tout le monde sur un pied d'égalité dans une telle situation?

On a entre autres proposé d'inclure Merit et InfoTravail. On a également proposé d'inclure une panoplie d'organisations afin que tous les points de vue soient représentés. Je parle d'organisations qui sont en quelque sorte... je ne veux pas dire qu'elles agissent comme catalyseur, mais plutôt qu'elles peuvent renforcer les idées fausses qui circulent, autant celles voulant que les syndicats sont bons que celles voulant qu'ils sont mauvais.

Si le sénateur avait siégé au comité et entendu les 44 témoins qui se sont adressés à nous, il saurait qu'il est à peu près impossible de défendre la constitutionnalité de ce projet de loi.

Certains sénateurs ont souligné ce fait dans leurs interventions, et il est important que nous le sachions. Un témoin a dit qu'il était constitutionnel. Je respecte énormément ce juriste, mais si on compare sa décision et ses écrits à ce qu'il écrirait normalement, on constate que ce n'est pas à la hauteur de nos attentes.

(1300)

Le sénateur a présenté toutes sortes de décisions rendues par différents tribunaux à l'appui de son argument voulant qu'il s'agit d'une question de compétence fédérale et que les tribunaux sont aussi de cet avis. Or, à vrai dire, aucun aspect des décisions rendues par la Cour suprême du Canada n'est lié de près ou de loin à la loi sur l'impôt ou aux syndicats.

Par conséquent, la question que je pose au sénateur est la suivante : comment en est-il arrivé à cette conclusion? A-t-il pris des exemples ici et là et les a-t-il rassemblés afin de montrer que ce projet de loi est valide du point de vue constitutionnel?

[Français]

Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, en premier lieu, il faut être prudent dans la qualification de ce projet de loi, par rapport à l'équilibre ou au déséquilibre que le sénateur Campbell évoque. Nous devons qualifier, premièrement, le projet de loi que nous avons devant nous. C'est un projet de loi de nature fiscale, qui fixe certaines conditions à une entité pour obtenir une exemption fiscale. Donc, à première vue, il est de nature fiscale.

Sur le déséquilibre mentionné, le sénateur Campbell avance comme prémisse que le projet de loi serait un projet de loi de relations de travail dans le cadre d'une normalisation des rapports collectifs au travail. Ce n'est pas l'objet du projet de loi. Donc, on doit l'étudier par rapport à ses effets.

Si je le regarde par rapport à ses effets, est-ce qu'il a un effet sur les relations de travail? Le sénateur Campbell a été maire de la Ville de Vancouver; j'ai moi-même été maire d'une municipalité et, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, toutes les décisions d'une municipalité sont publiques. Tous les contrats que l'on donne, toutes les personnes que l'on embauche, ce sont des informations publiques.

J'ai négocié des dizaines de conventions collectives et je n'ai jamais senti, à aucun moment, que l'information qui était publique concernant la municipalité fournissait quelque avantage que ce soit aux syndicats. Ce qui affecte les relations de travail ou les négociations de conventions collectives, c'est le rapport de force, c'est l'historique des conventions collectives, c'est le droit de grève ou de lock-out. Au Québec, nous avons une loi anti-briseurs de grève, qui peut amener un certain déséquilibre dans les forces en présence, mais c'est dans ce cadre-là.

Nous avons devant nous un projet de loi qui dit qu'on doit rendre publiques certaines informations pour pouvoir bénéficier du privilège fiscal, et ce afin de permettre à la population de juger, de s'assurer que l'association ouvrière est bien à but non lucratif et qu'elle ne se sert pas de la définition de ce qu'est une association ouvrière pour obtenir un privilège fiscal. C'est uniquement dans ce cadre-là.

Même au niveau des effets, je ne vois pas d'effet par rapport à la négociation d'une convention collective ou à la représentation des intérêts. Vous pouvez comparer avec des associations d'employeurs. Si elles demandaient le bénéfice d'exemption fiscale prévu à la section h) de la loi sur l'impôt, on pourrait peut-être faire un parallèle, mais ce n'est pas le cas.

L'honorable Pierre Claude Nolin : Honorables sénateurs, si je suis bien le raisonnement du sénateur Carignan, et cela ressemble beaucoup au raisonnement de maître Bastarache, en vertu de son pouvoir de taxation, prévu à l'article 91.3, le gouvernement ou le Parlement fédéral peut étendre sa juridiction sur beaucoup de choses. Prenons l'exemple suivant, et ma question portera là-dessus : le système d'éducation au Québec — c'est notre province, au sénateur Carignan et à moi — est principalement géré par des organisations éducatives publiques, les commissions scolaires, mais il y a aussi tout un régime d'établissements privés qui paient des impôts au fédéral et au provincial.

Si je suis votre raisonnement, le Parlement fédéral pourrait, en utilisant son pouvoir d'imposition sur les établissements d'enseignement au Québec — et personne ne conteste la compétence provinciale en matière d'éducation — et à l'occasion de l'attribution, hypothétiquement, d'une exemption fiscale, s'introduire dans la gestion des écoles privées et, toujours sous le couvert de l'administration de son exemption fiscale, se mêler de l'éducation qui est, personne ne le conteste, de compétence provinciale.

Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, je n'ai pas cité, et ce expressément, l'opinion de maître Bastarache, parce que, comme avocat, je ne cite jamais un autre avocat pour soutenir mon opinion. Je préfère citer le juge Bastarache. D'ailleurs, à propos du jugement du juge Iacobucci que j'ai cité, j'aurais peut-être dû signaler que le juge Bastarache partageait les opinions du juge Iacobucci.

Le sénateur Nolin a parlé de s'ingérer dans l'administration d'une université ou d'un collège. Ce n'est pas ce que le projet de loi fait par rapport à l'association ouvrière. Il ne permet pas de s'ingérer; il demande à l'association de produire une déclaration sur son niveau d'activité. Il ne lui dit pas comment mener celle-ci — où mettre son argent, faire plus de recrutement, plus de lobbying,, plus d'études et de recherches en matière économique. Il ne lui dicte pas cela, il ne lui demande que de le déclarer.

L'exemple que vous donnez concernant l'éducation est excellent, parce que les universités et collèges sont prévus à l'exemption h). Donc, ils sont déjà là, comme les municipalités.

Est-ce que, pour leur permettre de bénéficier de l'exemption, le gouvernement pourrait dire aux collèges et universités que, pour s'assurer qu'ils sont bien des collèges ou des universités, il va leur demander de déposer leur certificat du ministère de l'Éducation? Il va leur demander de déclarer certains niveaux d'activité d'éducation pour s'assurer que ce sont bien des établissements d'enseignement et non des entités qui se cachent derrière le titre de collège ou d'université, alors que, au fond elles sont autres? Est-ce qu'il pourrait le faire, constitutionnellement? Oui, et il le fait déjà au paragraphe h), comme c'est le cas pour les organismes à but non lucratif, pour les fondations.

Le sénateur Nolin : Honorables sénateurs, on tourne autour du pot. L'argument principal du discours du sénateur Carignan, c'est qu'il faut se concentrer sur la nature même du projet de loi. C'est là ma question. La fiscalité, c'est accessoire, parce que la nature même du projet de loi c'est le droit privé. Mais oui! La Constitution est on ne peut plus claire, le droit privé est de juridiction provinciale. Le sénateur me dira que, par exception — et ce sont de grosses exceptions, comme les banques — le droit privé est de compétence fédérale, mais le droit privé est par nature, en vertu de notre droit constitutionnel, de compétence provinciale. Ce n'est qu'accessoirement, en utilisant son pouvoir d'imposition, que le Parlement fédéral s'introduit dans ce droit, et les tribunaux l'ont reconnu. C'est pour cela que j'ai fait le parallèle avec l'éducation.

Poussons le raisonnement plus loin. On se préoccupe beaucoup en ce moment de l'enseignement de l'histoire. Il ne serait pas impossible qu'un ministre, qui a de l'argent à dépenser et qui veut veiller à ce que l'enseignement de l'histoire resplendisse au Canada, réussisse à convaincre le ministre des Finances d'établir une exemption fiscale pour un établissement d'enseignement si celui-ci enseigne tant d'heures d'histoire au niveau secondaire. Ce ne serait pas impossible.

Le sénateur Segal : Ce serait épouvantable!

Le sénateur Nolin : Ce serait épouvantable, parce qu'on suivrait exactement le cheminement de l'argument présenté dans le discours du sénateur Carignan, et on trouverait cela épouvantable. On n'accepterait pas cela.

(1310)

Faire le grand détour par la fiscalité pour venir se mêler du contenu de l'enseignement, on n'accepterait pas cela. C'est exactement ce qu'on fait avec le projet de loi C-377. On tente de réglementer le droit privé, qui est de compétence provinciale, en utilisant la porte du droit fiscal. On ne peut pas accepter cela, même avec de bons amendements!

Le sénateur Carignan : Le sénateur Nolin fait un mauvais parallèle et je vais dire pourquoi. Son parallèle serait exact si l'exemption était accordée aux associations ouvrières pour la partie recrutement seulement, pour la partie lobbying seulement ou pour la partie négociation de conventions collectives seulement, parce qu'on s'ingérerait davantage dans ses activités, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il pose des questions hypothétiques qui sont intéressantes, qu'il faudrait étudier dans le cadre d'un autre projet de loi, mais avec ce projet de loi, ce n'est pas le cas.

Un autre exemple que je peux vous donner, honorables sénateurs, concerne les organismes de bienfaisance qui émettent des reçus de dons de charité. Il y a toute une série de déclarations qu'ils doivent faire pour bénéficier de l'exemption fiscale. Il y a une série de rapports; c'est public, c'est sur Internet. Est-ce que cela signifie que, parce qu'ils doivent déclarer ce qu'ils doivent faire pour bénéficier de l'exemption, il s'agit d'une ingérence dans leur administration? Non. Ce n'est pas une ingérence dans la propriété de droit civil. Pourtant, une fondation d'hôpital, c'est dans le sens de propriété de droit civil, de la gestion d'une société au même titre, mais on ne soulève pas cet argument. C'est exactement le même cas pour les associations ouvrières.

L'honorable Serge Joyal : Est-ce que l'honorable sénateur accepterait de répondre à autre question?

Le sénateur Carignan : Oui, avec plaisir.

Son Honneur le Président : Le sénateur Carignan a eu 45 minutes. Demande-t-il cinq minutes supplémentaires?

Le sénateur Carignan : Est-ce que je peux avoir cinq minutes supplémentaires?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Il y a consentement unanime.

Le sénateur Joyal : L'honorable sénateur a cité plusieurs causes de jurisprudence qui avaient trait à la détermination du partage des compétences. Cependant, dans ses explications, il a, à mon avis, mis de côté un aspect fondamental de l'analyse que les savants juges font en général d'un projet de loi, qui est à la fin, lorsqu'il y a un doute pour déterminer si le chevauchement est acceptable ou non, comme l'a expliqué notre collègue, le sénateur Nolin. Je fais référence à la cause Ward de la Cour suprême, en l'an 2000. J'utilise les termes de la Cour suprême. Elle a dit : « Nous allons déterminer aussi s'il s'agit d'un système déguisé. » Le mot « déguisé » est clairement le qualificatif utilisé par la Cour suprême.

[Traduction]

« Déguisé ». Autrement dit, nous devons déterminer si l'exercice a pour but de camoufler une initiative permettant d'atteindre un autre objectif.

[Français]

Dans la cause Ward en particulier, la Cour suprême a déterminé très clairement qu'il s'agissait de règlements dans le domaine des pêches. Comme on le sait, les pêches sont de compétence à la fois fédérale et provinciale au Canada. Ce sont des compétences concurrentes. Donc, la ligne de démarcation est encore plus difficile à déterminer puisque les deux ordres de gouvernement peuvent adopter des lois dans le but de protéger des espèces menacées, par exemple. Il s'agissait exactement de la question de déterminer comment on pouvait légiférer pour réglementer l'octroi de permis de pêche.

Dans cette décision de la cour, les savants juges ont très clairement expliqué que, sous le couvert d'un pouvoir allégué du gouvernement fédéral en particulier, du pouvoir de réglementer les pêches et les espèces menacées, en fait, le gouvernement fédéral s'introduisait dans un domaine de compétence provinciale où la province avait le pouvoir de légiférer.

J'ai écouté l'honorable sénateur lorsqu'il a expliqué les objectifs du projet de loi, qui étaient de rendre les informations publiques pour bénéficier d'une exemption et, personnellement, je ne lui cherche aucune querelle sur cette question parce que c'est normal. On le sait, chaque année, les organismes de bienfaisance — j'administre moi-même de tels organismes — doivent faire un rapport sur le pourcentage des fonds qu'ils consacrent aux fins pour lesquelles ils ont été formés. Personne ne mettra ceci en cause.

Cependant, si, par l'intermédiaire de l'obligation de transmettre ces informations, on intervenait dans la gestion interne de l'organisme pour atteindre des objectifs qui ne sont pas ceux pour lesquels le pouvoir devrait être exercé, on camouflerait le projet de loi sous un couvert ou une identité qui masque la véritable intention du législateur. C'est là où, à mon avis, l'exercice que vous avez mentionné omet cet aspect. Vous n'avez pas fait cet exercice pour nous montrer très clairement qu'il ne s'agissait pas d'un système déguisé, comme l'a dit la Cour suprême.

Le sénateur Carignan : C'est dans le cadre de l'analyse du caractère véritable de l'objet que se fait cet examen. J'ai cité des causes de principe sur l'objet véritable. Évidemment, qui dit « objet véritable » peut demander aussi, à l'opposé : est-ce qu'on a essayé de déguiser pour voir quel est l'objet véritable? Donc cela fait partie des questions qu'il faut se poser pour analyser l'objet véritable.

Cependant, si telle avait été l'intention du gouvernement, il aurait été probablement plus facile de modifier le Code canadien du travail ou de modifier d'autres lois et d'être beaucoup plus sévère dans l'adoption de normes pour contrôler les organisations ouvrières.

Je vais faire un parallèle avec la fondation parce que c'est un milieu que le sénateur connaît bien. Quelle est la conséquence pour l'association de déclarer 70 p. 100 d'activités de lobbying, 10 p. 100 d'activités liées à la négociation de convention collective, et 20 p. 100 d'activités d'investissement dans l'immobilier? Nulle part il n'y a de conséquence. Quelle est la conséquence pour la fondation de ne pas respecter les critères donnés? Elle va perdre son exemption et son numéro de dons de charité. Donc, il y avait moyen, si telle avait été l'intention, d'aller beaucoup plus loin dans la gestion et le contrôle des activités. Ce qui n'est pas le cas parce que le but du projet de loi est de laisser l'organisation s'autoréglementer et de laisser le public juger de la pertinence de l'exemption ou non, sans vouloir s'ingérer de façon plus approfondie, comme c'est le cas pour les fondations.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Le vote porte sur la motion modifiée du sénateur Carignan, appuyée par la sénatrice Marshall, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-377.

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Convoquez les sénateurs.

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sonnerie retentira pendant 30 minutes. Honorables sénateurs, le vote aura lieu à 13 h 45.

Ai-je la permission de quitter le fauteuil?

Des voix : D'accord.

(1340)

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan Martin
Batters McInnis
Beyak McIntyre
Black Meredith
Boisvenu Mockler
Braley Neufeld
Buth Ngo
Carignan Ogilvie
Comeau Oh
Dagenais Oliver
Demers Patterson
Eaton Poirier
Enverga Raine
Fortin-Duplessis Rivard
Frum Segal
Gerstein Seidman
Greene Seth
Housakos Smith (Saurel)
Kinsella Stewart Olsen
Lang Unger
LeBreton Verner
MacDonald Wallace
Maltais Wells
Marshall White—48

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Jaffer
Bellemare Joyal
Callbeck Kenny
Campbell Lovelace Nicholas
Charette-Poulin Mercer
Cools Merchant
Cordy Mitchell
Cowan Moore
Dallaire Munson
Dawson Nancy Ruth
Day Nolin
De Bané Rivest
Downe Robichaud
Dyck Smith (Cobourg)
Eggleton Tardif
Fraser Watt
Hervieux-Payette Zimmer—35
Hubley  

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Johnson—3
Champagne

(1350)

[Français]

Réponse différée à une question orale

Consentement ayant été accordé de revenir aux réponses différées :

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer la réponse à la question orale posée par l'honorable sénatrice Nancy Ruth, le 14 février 2013, concernant la liberté de religion.

La sécurité publique

La Gendarmerie royale du Canada—La liberté de religion

(Réponse à la question posée le 14 février 2013 par l'honorable Nancy Ruth)

La politique sur les services de police sans préjugés de la GRC est fondée sur le principe d'égalité défini par la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur la GRC, le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada et les lignes directrices existantes sur la mission, la vision et les valeurs de la GRC.

La GRC ne recueille aucun renseignement sur la race à des fins autres que son mandat policier légitime. Cette façon de faire a été officialisée lors de l'adoption de la Politique sur les services de police sans préjugés en 2006.

La politique sur les services de police sans préjugés précise les devoirs légaux des membres de la GRC en vertu de l'article 37 de la Loi sur la GRC et de l'article 48 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), soit d'offrir un traitement équitable à tous, sans discrimination aucune.

Toute personne qui a des préoccupations à l'égard de la conduite d'un agent de la GRC peut les porter à l'attention de l'organisme de surveillance de la GRC, la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP). La CPP est un organisme indépendant créé par le Parlement qui fournit une surveillance civile indépendante du comportement des membres de la GRC dans l'exercice de leurs fonctions. La CPP tire des conclusions et formule des recommandations à l'intention du commissaire de la GRC et du ministre de la Sécurité publique. Celles-ci sont destinées à corriger les problèmes liés au maintien de l'ordre et à empêcher qu'ils ne surviennent de nouveau. Les plaintes officielles peuvent être déposées auprès de la CPP, à l'adresse suivante :

Commission des plaintes du public contre la GRC
Bureau national de réception des plaintes
C.P. 88689Surrey (Colombie-Britannique)
V3W 0X1

Projet de loi sur les compétences linguistiques

Troisième lecture

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carignan, appuyée par l'honorable sénatrice Poirier, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-419, Loi concernant les compétences linguistiques.

L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'aimerais réitérer mon appui au projet de loi C-419, Loi concernant les compétences linguistiques, qui met de l'avant l'exigence du bilinguisme pour 10 postes d'agents du Parlement.

La maîtrise des deux langues officielles est devenue une compétence essentielle pour ceux et celles qui exercent des fonctions de haut niveau dans la fonction publique fédérale. Malheureusement, les faits nous démontrent que le critère du bilinguisme n'est pas toujours pris en considération dans la nomination de ces postes. Le projet de loi C-419 corrige cette lacune pour 10 postes d'agents du Parlement.

Le texte de ce projet de loi prévoit que les personnes nommées à certains postes doivent avoir la capacité de parler et de comprendre clairement les deux langues officielles au moment de leur nomination.

Honorables sénateurs, je réaffirme que l'anglais et le français jouissent d'un statut, de droits et de privilèges égaux quant à leur usage au Parlement.

Je tiens à remercier le sénateur Joyal de son initiative à l'égard du commissaire aux langues officielles afin d'obtenir une interprétation juridique de l'article 24(3)c) de la Loi sur les langues officielles. La question était de savoir si, sur le plan juridique, l'obligation de parler les deux langues officielles repose sur « le Bureau du vérificateur général » ou sur le vérificateur général lui-même. Dans sa réponse, le commissaire aux langues officielles établit clairement, et je cite :

[...] les communications et les services offerts au public sont rendus non seulement par les bureaux des agents du Parlement, mais certains d'entre eux ne peuvent être rendus que par les agents du Parlement.(...) Cette interprétation est de plus conforme à l'objet de la Partie IV de la Loi sur les langues officielles et au principe de l'égalité réelle car elle permet aux parlementaires et au public de recevoir tous les services des bureaux des agents du Parlement dans la langue officielle de leur choix, y compris les services rendus par les agents du Parlement eux-mêmes.

Voilà une interprétation claire basée sur un principe fondamental qui vient, à juste titre, renforcer le bien-fondé du projet de loi C-419.

Comme je l'ai soutenu en cette Chambre le 11 juin dernier, le projet de loi que nous nous apprêtons à adopter a une portée plus faible et a moins de flexibilité que le projet de loi initial, qui a été amputé de son préambule et de deux articles. Cela étant dit, l'essence du projet de loi a été retenue et je suis heureuse d'appuyer ce projet de loi qui protège la dualité linguistique de notre pays.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêt à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

[Traduction]

La Loi canadienne sur les droits de la personne

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L'honorable Mobina S. B. Jaffer propose que le projet de loi C- 304, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés) soit lu pour la troisième fois.

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, nous sommes ici pour débattre du projet de loi C-304 à l'étape de la troisième lecture. On prétend qu'il a été présenté pour protéger la liberté d'expression, mais ne soyons pas dupes. Cette mesure ne vient pas à la défense de la liberté de parole, mais plutôt des propos haineux. Il protège la liberté de tenir des propos haineux.

(1400)

Le projet de loi s'intitule Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés), mais je crois qu'il conviendrait mieux de parler de « protection de la propagande haineuse ».

La liberté d'expression est indubitablement un pilier d'une société libre et démocratique, mais elle n'a jamais signifié qu'on pouvait dire n'importe quoi n'importe où. En effet, elle est balisée par des lois qui, comme elle, sont essentielles à la vie en société. Pensons par exemple aux lois qui nous protègent de la diffamation. De plus, on ne peut pas crier : « Au feu! » dans une salle bondée si l'on sait pertinemment qu'il n'y a pas d'incendie.

Même ici, dans les Chambres du Parlement, où la liberté d'expression revêt un caractère si sacro-saint qu'elle relève de ce concept fondamental qu'est le privilège parlementaire, nous acceptons qu'elle ne soit pas absolue. Par exemple, nous savons tous qu'il nous est interdit d'employer certains propos qualifiés, de façon quelque peu pudique, , de « non parlementaires ». Selon ces règles, nous n'avons pas le droit, entre autres, de proférer des menaces ou de tenir des propos désobligeants. À ce sujet, l'article 6- 13(1) du Règlement du Sénat, l'une de nos règles les plus anciennes, est limpide :

Les propos injurieux ou offensants sont non parlementaires et contraires au Règlement.

Il y a aussi l'article 5-4, selon lequel :

Le Président ne doit pas permettre la publication [...] d'un préavis qui comporte une expression non parlementaire [...]

Même dans cette enceinte, où nous jouissons de la protection pleine et entière du privilège parlementaire, notre liberté d'expression n'est donc pas absolue, et c'est très bien ainsi.

De tout temps, il a été admis que la liberté d'expression soit balisée. Peut-être parce qu'il est dans l'intérêt premier de la société civile qu'il y ait à la fois une liberté d'expression et une limite à cette liberté, ces deux notions ont évolué en tandem.

Lorsque je suis intervenu, le 4 mai 2010, dans le cadre de l'interpellation du sénateur Finley portant sur la liberté d'expression, j'ai commencé par indiquer que ce concept remontait aux temps les plus anciens. J'ai rappelé que, dans la Bible, Moïse avait eu la témérité d'argumenter avec Dieu, mais, loin de critiquer une telle audace, les membres de nombreuses confessions religieuses considèrent Moïse comme l'un des grands personnages de l'histoire.

Moïse est d'ailleurs surtout reconnu pour avoir rapporté, selon l'Ancien Testament, les Tables de la loi du mont Sinaï. Deux des dix commandements imposent d'ailleurs des limites à la liberté d'expression : tu ne prononceras pas le nom de ton Dieu à faux et tu ne porteras pas de témoignage mensonger contre ton prochain. Dans le premier cas, c'est une question de respect religieux, mais dans le deuxième cas, il s'agit d'une limite imposée à la liberté de parole au sein d'une collectivité.

À travers les âges, l'humanité a reconnu qu'une société civile n'est pas une société de liberté totale. Cela vaut pour les gestes, mais aussi pour les mots.

Honorables sénateurs, les mots sont un puissant instrument. Nous qui sommes ici, sur la Colline du Parlement, le savons fort bien, et peut-être mieux que la majorité. Nous savons que les mots permettent d'expliquer, de persuader ou de dissuader. Ils ne font pas que préciser les pensées et l'entendement; ils l'incarnent.

Si je puis de nouveau m'inspirer de la Bible : « Au commencement était le verbe [...] » Pourquoi? Parce que c'est la source de l'entendement. Sans langage, il est impossible de comprendre.

Toutefois, les mots sont aussi dangereux. Il n'y a qu'à demander à ceux qui ont étudié les atrocités commises par des êtres humains; ces gens vous diront que cela a commencé par des mots. Mon éminent collègue de l'autre endroit, Irwin Cotler, nous rappelle souvent que l'Holocauste n'a pas commencé dans les chambres à gaz. Il a commencé par des mots. Notre tout aussi éminent collègue dans cette enceinte, le sénateur Dallaire, a vu sans équivoque les conséquences terribles des mots au Rwanda. Voilà un autre génocide qui a commencé par des mots.

L'un des aspects les plus horrifiants de ces atrocités, c'est qu'en général, ces gestes sont commis par des gens apparemment ordinaires. En fait, bien souvent, il s'agit d'un voisin qui s'en prend à un autre voisin. Comment des personnes ordinaires, éduquées et élevées dans des pays parmi les plus civilisés au monde peuvent-elles en arriver à commettre des actes inqualifiables? La réponse se trouve en partie dans les mots qui précèdent toujours les gestes. Les mots qui nous convainquent qu'il y a des gens qui ne sont pas comme vous et moi, que leurs droits et leurs valeurs diffèrent des nôtres, qu'ils ne méritent pas un respect ou un traitement égal, qu'en fait, ils nous sont inférieurs, inférieurs à un point tel qu'ils ne sont plus perçus comme étant des êtres humains.

Honorables sénateurs, l'interdiction énoncée à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée par le Parlement parce que la population a compris les dangers inhérents à la diffusion de propagande haineuse. Comme nation, nous étions déterminés à mettre fin aux propos haineux rapidement, en fait, à un stade où il pourrait être encore possible de faire comprendre à celui qui tient de tels propos et à son éventuel auditoire que la haine ne fait pas partie des valeurs que nous prônons et auxquelles nous tenons.

L'article 13 prévoit ce qui suit :

[...] un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée [...] pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

La Cour suprême a eu plusieurs fois l'occasion d'étudier ce libellé. Il importe de faire remarquer qu'elle en a systématiquement confirmé la constitutionnalité aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Tout récemment, en fait, il y a quelques mois à peine, elle a rendu une décision concernant une loi de la Saskatchewan dont le libellé ressemblait beaucoup à celui de l'article 13. La cour a profité de l'occasion pour revoir la décision qu'elle avait rendue plus tôt au sujet de cet article. Elle a explicitement confirmé la constitutionnalité de son libellé.

Il ne s'agissait pas d'une décision partagée, honorables sénateurs. La décision était unanime. Je tiens à préciser qu'elle a été rendue par le juge Rothstein, qui, incidemment, au cas où cela intéresserait quelqu'un, a été nommé par le gouvernement actuel.

Quand il a pris la parole, à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-304, le sénateur Finley a déclaré que « [l]'article 13 menace la liberté d'expression. » Il a laissé entendre que cet article permet « [l]a censure visant les déclarations qui ne sont pas politiquement correctes. » Il a dit :

Si vous croyez qu'une idée est stupide, vous avez le droit de l'ignorer. Si vous trouvez qu'une blague est offensante, vous avez le droit de faire comme si vous n'aviez rien entendu. Même les déclarations qui semblent intolérables ou tout à fait déplacées doivent pouvoir être entendues et ignorées.

Honorables sénateurs, avec tout le respect que je dois au sénateur Finley, je crois qu'il a mal compris ce dont il est question ici. Permettez-moi de vous lire un passage d'un arrêt que la Cour suprême du Canada a récemment rendu :

[Les propos haineux ont] également pour effet de nuire à la capacité des membres du groupe de réagir à des idées de fond au centre du débat, ce qui constitue un obstacle majeur les empêchant de participer pleinement à la démocratie. De fait, le discours haineux comporte un aspect particulièrement insidieux en ce qu'il prive le groupe ciblé de tout moyen de riposter ou de rétorquer. C'est ce qu'il fait non seulement en tentant de marginaliser le groupe de manière à ce que ses réactions soient ignorées, mais également en employant des mots qui forcent les membres du groupe à défendre leur propre humanité fondamentale ou leur propre statut social avant même d'être admis à participer au débat démocratique.

[...] De cette façon, les mots employés empêchent le groupe protégé d'intervenir dans le débat public et de s'y exprimer librement.

Honorables sénateurs, la nature même du discours haineux empêche les groupes ciblés de se défendre. Les propos haineux leur enlèvent leur liberté de parole. La libre circulation des idées, ce en quoi le sénateur Finley a confiance, présuppose l'égalité des parties; or, c'est exactement ce qui est miné par les propos haineux. Le discours haineux ne constitue pas un débat libre et ouvert. De tels propos bafouent, de façon pernicieuse, le droit d'un groupe à participer au débat.

La nature du discours visé par l'article 13 ne se limite pas qu'aux propos qui sont politiquement incorrects ou qui causent de la « peine », pour reprendre les mots du sénateur Finley.

Permettez-moi de vous lire un autre extrait de l'arrêt de la Cour suprême du Canada :

À mon avis, les mots « détestation » et « diffamation » décrivent bien l'effet préjudiciable que le Code vise à éliminer. Les mots qui exposent un groupe ciblé à la détestation tendent à inspirer, d'une manière qui excède le simple dédain ou l'aversion, l'inimitié et une malice extrême envers le groupe. Les messages calomnieux cherchent à insulter, à déconsidérer ou à dénigrer la personne ou le groupe ciblé pour le rendre illégitime, dangereux, ignoble ou inacceptable aux yeux du destinataire. Les messages qui exposent des groupes vulnérables à la détestation et la diffamation vont bien plus loin que simplement discréditer, humilier ou offenser les victimes.

(1410)

Comme je l'ai souligné, honorables sénateurs, ces observations concernent le libellé du Code des droits de la personne de la Saskatchewan, mais il reste que le langage utilisé par les tribunaux était pratiquement identique à celui de l'article 13.

J'ai fait mention un peu plus tôt de mon collègue de l'autre endroit, Irwin Cotler. M. Cotler, un ancien ministre de la Justice du Canada, est reconnu et respecté internationalement en tant que défenseur des droits et libertés de la personne et de la primauté du droit. Il s'est farouchement opposé à l'adoption du projet de loi C- 304. Nous n'avons pas l'habitude de citer le hansard de l'autre endroit, mais, étant donné la réputation irréprochable de M. Cotler à l'égard de ces questions, j'espère que les sénateurs me permettront de citer ses propos. Il a dit ceci :

[...] ce projet de loi, quoique bien intentionné, est néanmoins irréfléchi et mal informé et constitue un pas dans la mauvaise direction. Autrement dit, si nous ne prévoyons pas de recours efficaces pour protéger un groupe donné contre des propos haineux et diffamatoires, nous faisons fi des leçons de l'histoire concernant les dangers des discours propagandistes. Franchement, les arguments avancés par certains dans cette enceinte en faveur d'une telle abrogation ont tourné notre droit constitutionnel en dérision, notamment les arguments concernant la liberté d'expression et la jurisprudence afférente, plus particulièrement la jurisprudence de la Cour suprême.

Honorables sénateurs, je comprends que l'article 13 n'a pas toujours été utilisé à bon escient. Il reste que les parties accusées à tort ont été disculpées en fin de compte, quoiqu'à l'issue d'un processus difficile et coûteux. Il faut modifier la loi pour que ces bavures ne se produisent plus. Voilà, selon moi, la chose à faire. Ce que l'on propose ici est très différent. Le projet de loi C-304 propose de supprimer l'article en entier, ce qui priverait de tout recours des groupes qui ont été vilipendés, bafoués ou dénigrés.

Le sénateur Finley était d'avis que les dispositions du Code criminel suffisent à régler les problèmes de propos haineux. Je ne suis pas d'accord. Honorables sénateurs, permettez-moi de vous lire un extrait d'un mémoire préparé par l'Association du Barreau canadien à ce sujet :

L'abrogation de l'article 13 de la LCDP minera la capacité du Canada de prévenir la prolifération de propos haineux dans la société. Pour que l'État intervienne, les propos, propagande ou autres communications haineuses devront dépasser le seuil d'une infraction au Code criminel. En vertu du paragraphe 319(1) du Code criminel, par exemple, la Couronne doit prouver « hors de tout doute raisonnable » que des déclarations publiques de la personne accusée incitent à la haine contre un groupe identifiable au point d'être susceptibles d'entraîner une violation de la paix. Voilà qui impose un très lourd fardeau de la preuve en comparaison de celui exigé par l'article 13 de la LCDP, c'est-à-dire la norme du droit civil de la « prépondérance des probabilités ». En l'absence de l'article 13, toute personne sera libre de se livrer à des propos haineux sans crainte d'intervention de l'État tant que le discours ne va pas jusqu'à constituer une infraction au Code criminel. Les Canadiens peuvent s'attendre à être soumis à une prolifération de messages et communications haineux et par conséquent à un recul de la civilité, de la tolérance et du respect dans la société canadienne.

Mark Sandler est un avocat de la défense en droit criminel bien connu de Toronto, et ancien président et conseiller juridique de la Ligue des droits de la personne du B'nai Brith. Il a souligné qu'il faut respecter des paramètres stricts avant de pouvoir intenter une poursuite en vertu de ces dispositions du Code criminel. Voici ce qu'il a dit à ce sujet : « La poursuite doit gravir toute une colline avant que des propos puissent faire l'objet de poursuites criminelles. »

La sénatrice Nancy Ruth a indiqué que, même si n'importe qui peut invoquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, il faut obtenir le consentement du procureur général avant de pouvoir entamer une poursuite en vertu du Code criminel. Elle a aussi souligné, et tenté de régler en partie, par l'entremise d'un autre projet de loi, le fait que les groupes protégés en vertu du Code criminel ne sont pas les mêmes que ceux qui sont protégés en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par exemple, dans le Code criminel, le sexe, pas plus que l'origine nationale, qui est aussi distincte que l'origine ethnique, ne font partie des motifs de distinction illicite.

Honorables sénateurs, les objectifs des deux recours prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel sont indépendants et distincts. Bien entendu, le Code criminel représente les sanctions les plus élevées au pays. En conséquence, les peines qui y sont associées sont les plus sévères. Dans le cas présent, la condamnation pourrait donner lieu à une peine d'emprisonnement. En revanche, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été rédigée de façon très différente.

Le Président du Sénat est un spécialiste réputé des droits de la personne. Chose inhabituelle, il a pris la parole au sujet de ce projet de loi le 6 février et il s'est adressé comme suit aux sénateurs :

[...] ces lois n'ont jamais été conçues pour être punitives. On cherchait plutôt à éduquer, à donner une tribune, à favoriser la conciliation, puisque ces lois sont fondées sur les anciennes lois du travail, qui ne prônaient pas la sanction, mais plutôt la prise de mesures correctives. Cela nous a permis de créer, dans l'intérêt public, un pays où les droits à l'égalité sont protégés par la loi.

Honorables sénateurs, ce sont des objectifs appropriés et valables. Malheureusement, le Canada n'est pas à l'abri de la menace que constituent les propos haineux. Nous ne pouvons pas dire que l'article 13 n'est plus nécessaire. Bernie Farber, ancien chef de la direction du Congrès juif canadien, a rédigé un article pour le compte du Huffington Post après que l'autre endroit ait voté en faveur de l'abrogation de l'article 13. Je cite :

À la suite de [..] l'abrogation de l'article 13, les conséquences et les recours que nous avions auparavant dans le cadre d'une règle de procédure civile pour traiter comme il convient la diffusion de propos haineux n'existent plus. Alors qu'une plainte portée en vertu de l'article 13 pouvait donner lieu à des ordonnances d'interdiction ou, à la limite, à des amendes, le seul outil qui reste aujourd'hui comme protection contre l'incitation à la haine envers les Juifs, les LGBTQ, les Autochtones, les Musulmans et d'autres groupes ethniques et religieux, sont les dispositions législatives contre la propagande haineuse, soit les articles 318 et 319 du Code criminel. Les condamnations se traduiront par la création d'un casier judiciaire et peut-être même par une peine d'emprisonnement.

Les quelques affaires de propagande haineuse interdite par l'article 13 qui se sont retrouvées devant les tribunaux concernaient toutes des manifestations de la haine la plus abjecte. Il s'agissait de la diffusion d'appels au meurtre de masse des juifs, des homosexuels, des musulmans, des Premières Nations et d'autres groupes. Toutes les autres plaintes ont été soit résolues par la négociation, soit simplement rejetées.

Le vote du 6 juin à la Chambre des communes a été serré. En s'appuyant sur leur majorité, les conservateurs ont fait adopter par 153 voix contre 136 l'abrogation de l'article 13. Il ne reste que le Code criminel comme protection, et j'espère que le Parlement n'aura pas à regretter d'avoir saboté inutilement une disposition juridique pour résoudre un problème qui pourrait l'être autrement.

Honorables sénateurs, nous répétons souvent que le Sénat a été créé pour représenter les régions et pour représenter les minorités contre la majorité. L'article 13 a été inclus dans la loi pour protéger les minorités contre la propagande haineuse en éduquant les gens, ce qui devrait réduire la probabilité que d'autres cas de propagande haineuse se présentent. Est-ce que nous nous acquittons de notre rôle de protéger les minorités si nous acceptons d'éliminer simplement cette disposition de protection?

Le traitement de la propagande haineuse en vertu de nos lois a-t-il occasionné des problèmes? Oui, je le crois. Ces problèmes peuvent- ils être résolus? Tout à fait. Je pense que c'est possible.

Des solutions très concrètes ont déjà été proposées par des personnes qui s'y connaissent, notamment par M. Cotler. Malheureusement, au lieu d'examiner sérieusement les problèmes qui se sont produits et d'envisager de modifier la loi de manière à les résoudre, on nous soumet simplement un projet de loi pour abroger complètement l'article en question, ce qui aura comme effet d'exposer des groupes parmi les plus vulnérables de la société canadienne à la propagande haineuse. Comme le dit la Cour suprême, cette propagande suscite la détestation et la diffamation.

Est-ce bien ce que nous souhaitons, honorables sénateurs? J'ai parlé récemment dans un autre contexte du danger de la manipulation du sens des mots. C'était dans le cas du projet de loi C-377. La recherche de la transparence servait de façade pour masquer des objectifs moins nobles. Dans le cas présent, la liberté d'expression, une valeur fondamentale et essentielle, est invoquée comme prétexte pour autoriser la propagande haineuse contre des minorités.

Le gouvernement Harper ne veut rien savoir de la transparence là où elle serait la plus nécessaire, c'est-à-dire concernant ses décisions à lui, mais il fait adopter le projet de loi C-377 en invoquant la transparence pour obliger des particuliers et des groupes privés à publier de l'information qui ne regarde qu'eux. De la même façon, le gouvernement brime la liberté de parole de ceux qui devraient pouvoir s'exprimer, en muselant scientifiques, écologistes, groupes féministes et ONG de développement international, mais il prône cette même liberté lorsque vient le temps d'autoriser la propagande haineuse.

Lorsque j'ai parlé du projet de loi C-377, je l'ai assimilé à la doublepensée du roman 1984, de George Orwell. C'est la doublepensée à la manière du gouvernement Harper.

(1420)

Dans le livre 1984, la guerre équivaut à la paix, la liberté à l'esclavage, et l'ignorance à la force. Ce projet de loi nous demande de dire que les propos haineux sont assimilables à la liberté d'expression. C'est inacceptable, honorables sénateurs. L'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne joue un rôle important en permettant à tous les citoyens de notre magnifique pays d'exprimer pleinement leur diversité, en toute sécurité.

Si l'application de l'article 13 pose des problèmes, réglons-les sans toutefois abandonner nos principes d'opposition à la haine et à la diffamation envers les plus vulnérables. L'objectif de ce projet de loi n'est pas de protéger la liberté, mais de nous faire abandonner nos principes et nos valeurs. La liberté d'expression est absolument essentielle, mais on ne devrait jamais la confondre avec les propos haineux.

Ne vous méprenez pas, honorables sénateur, le projet de loi C-304 vise à protéger non pas la liberté d'expression, mais les propos haineux. C'est ce qu'on nous demande de protéger aujourd'hui.

L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, la sénatrice Jaffer est notre porte-parole au sujet de ce projet de loi, et je veux veiller à ce qu'elle conserve son temps de parole de 45 minutes.

Son Honneur le Président intérimaire : D'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

L'honorable George Baker : Je peux assurer aux sénateurs que je ne parlerai pas pendant 45 minutes. Je ne veux pas retarder le débat sur cette question. Nous espérons tous terminer très bientôt.

Hier, j'ai eu le privilège de participer aux travaux du comité sénatorial qui a examiné ce projet de loi. Je dois dire que le comité a fait un excellent travail. Il a tenu des audiences toute la journée et entendu tous les points de vue.

Les sénateurs savent que j'ai un penchant pour la lecture de la jurisprudence. Cela a fait partie de mon quotidien pendant les 40 dernières années. C'est une activité des plus intéressantes. J'ai toujours été impressionné par les décisions rendues par la Cour suprême du Canada à l'égard de questions semblables à celle dont nous sommes saisis aujourd'hui. Le projet de loi que nous étudions porte seulement sur Internet. Il se rapporte aux pouvoirs fédéraux en matière de télécommunications, et non aux communications orales ou écrites. Il ne vise ni les sermons, ni les affaires qui relèvent normalement des lois provinciales en matière de droits de la personne.

Le projet de loi est très court. Voici ce que prévoit l'article 2 :

L'article 13 de la même loi est abrogé.

L'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne porte que sur les communications sur Internet et les autres télécommunications.

Sous la rubrique « Propagande haineuse », le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lit comme suit :

Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée —

L'expression « de façon répétée » est essentielle.

— en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement [...]

Puis, le paragraphe 13(2) prévoit ce qui suit :

Il demeure entendu que le paragraphe (1) s'applique à l'utilisation d'un ordinateur, d'un ensemble d'ordinateurs connectés ou reliés les uns aux autres, notamment d'Internet, ou de tout autre moyen de communication semblable [...]

Il s'agit d'un autre projet de loi d'initiative parlementaire. Le député qui a témoigné hier devant le comité sénatorial a déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un projet de loi conservateur. Il a dit qu'un député libéral avait présenté le projet de loi et qu'il prenait tout simplement le relais.

La modification vise à soustraire de la compétence fédérale tout règlement ayant trait à de la « propagande haineuse ». L'auteur de la motion a souligné que les dispositions du Code criminel doivent s'appliquer. C'est ce qui a suscité mon intérêt. En d'autres mots, il ne sera plus illégal de communiquer des messages haineux sur Internet, à condition que cela ne contrevienne pas aux dispositions du Code criminel — à cette norme.

J'ai pensé à l'affaire R. c. Ahenakew, dont tous les Canadiens ont entendu parler à la télévision en 2002. Dans le sommaire de cette décision, il est dit que le défendeur a parlé à une conférence et qu'il a formulé des commentaires désobligeants au sujet de différentes races, qu'il a formulé des commentaires précis au sujet des gens de confession juive, puis, à la fin du discours, qu'il a accordé une entrevue à un journaliste.

Des accusations ont été portées contre M. Ahenakew en vertu de ce qui deviendra maintenant la disposition de réserve du Code criminel, en l'occurrence le paragraphe 319(2). Tout le monde a pu le constater; il a bel et bien été accusé. Une décision a été rendue dans cette affaire en 2009. L'affaire a été entendue par la Cour d'appel, puis elle est revenue à la cour provinciale, et le 23 février 2009, l'accusé a été acquitté. La raison est énoncée au début du jugement. On peut y lire que, même si les déclarations qui ont été faites étaient révoltantes, dégoûtantes et fausses, l'intention de l'accusé n'a pu être prouvée, ce qui aurait été nécessaire pour qu'il soit déclaré coupable des accusations portées contre lui.

Est-ce cela veut dire que nous devons maintenant nous fier à cet article du Code criminel pour contrôler les messages haineux? Il est important de ne pas confondre cela avec la compétence provinciale de chaque tribunal et commission des droits de la personne des provinces. Cela n'a rien à voir avec la question à l'étude. Plusieurs personnes sont intervenues à ce sujet, notamment dans cette enceinte, et certaines d'entre elles ont été citées hier au comité. Nous avons entendu des extraits de l'intervention du Président dans cette enceinte et du discours du sénateur Nolin, qui ont parlé des raisons pour lesquelles il devrait y avoir une disposition à ce sujet dans la Loi sur les droits de la personne ainsi que dans le Code criminel.

J'ai cité à peu près les mêmes propos de la Cour suprême du Canada, et j'aimerais les citer de nouveau publiquement aujourd'hui. À l'époque, le juge en chef de la Cour suprême du Canada était le juge Dickson. Les juges Wilson, La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier et McLachlin siégeaient aussi à la Cour suprême. Il s'agit de la décision unanime de la cour à propos de l'article que nous étudions aujourd'hui.

Déclarant que cet article est tout à fait constitutionnel et entièrement justifié, la Cour suprême du Canada a affirmé à l'unanimité ce qui suit au paragraphe 37 :

Il est essentiel toutefois de reconnaître qu'en tant qu'outil expressément conçu pour empêcher la propagation des préjugés et pour favoriser la tolérance et l'égalité au sein de la collectivité, la Loi canadienne sur les droits de la personne diffère nettement du Code criminel. La législation sur les droits de la personne, et en particulier le paragraphe 13(1), n'a pas pour objet de faire exercer contre une personne fautive le plein pouvoir de l'État dans le but de lui infliger un châtiment. Au contraire, les dispositions des lois sur les droits de la personne tendent plutôt, en règle générale, à éviter ce genre d'affrontement en permettant autant que possible un règlement par voie de conciliation et, lorsqu'il y a discrimination, en prévoyant des redressements destinés davantage à indemniser la victime.

(1430)

Voilà la différence, honorable sénateurs.

Il est malheureux que, dans la société d'aujourd'hui, des enfants se suicident à cause de ce qui se trouve sur Internet. Il y a beaucoup de haine. Cela concerne les messages haineux et divers problèmes dont nous sommes tous au courant. Maintenant, grâce à ce projet de loi d'initiative parlementaire, qu'il ait été l'idée d'un député libéral comme le parrain l'affirme ou d'un député conservateur, nous enlevons cette disposition de la loi.

Pour étayer l'argument, le sénateur Cowan a cité la Cour suprême du Canada. Il n'a cependant pas mentionné que la Cour suprême du Canada avait pris cette décision il y a seulement quelques mois, et que ce n'était pas une vieille décision. Ce n'est pas l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, qui a jeté les bases en 1990 et qui a depuis été reconnue par tous les tribunaux comme la loi; c'est plutôt une décision qui a été rendue à l'unanimité par la Cour suprême du Canada le 27 février 2013.

Lorsque la sénatrice Andreychuk, une ancienne juge, a pris la parole ici il y a quelques instants et a dit « Que pense l'Association canadienne des libertés civiles de ce projet de loi? », j'avais envie de poser la question suivante : « Quelle est la décision de la Cour suprême du Canada au sujet de ce projet de loi? »

Cette année, la Cour suprême du Canada a cité, avec approbation, la décision de la Cour suprême du Canada de 1990 dans l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor selon laquelle cet article de la Loi canadienne sur les droits de la personne est absolument nécessaire et distinct de la disposition du Code criminel.

Voici ce qu'on peut lire au milieu du paragraphe 105 de la décision Whatcott :

[...] les dispositions du Code criminel sur la propagande haineuse ne réglementent que les formes les plus extrêmes de discours haineux, d'incitation au génocide ou d'incitation à « perturber l'ordre public ». En revanche, les lois relatives aux droits de la personne offrent aux victimes défavorisées la possibilité de s'adresser à la justice de façon accessible et à peu de frais pour revendiquer leur droit à la dignité et à l'égalité [...]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui simplement pour signaler ces points. Bien que l'auteur de la motion ait déclaré qu'il s'agit d'un projet de loi libéral, je n'ai pas trouvé ses arguments particulièrement convaincants. Ce sont toujours les arguments qui m'intéressent, car il y a toujours deux côtés à une médaille.

Le sénateur a déclaré que ce projet de loi serait adopté et n'entrerait en vigueur que d'ici un an, ce qui laisserait le temps au gouvernement fédéral d'apporter les changements au Code criminel, afin que cette question en relève. C'est ce qu'il a dit.

Une voix : Quand?

Le sénateur Baker : Exactement. C'est ce que l'actuel Président, un éminent professeur de droit, a souligné. Il a posé la question suivante : « Où cela se trouve-t-il dans le projet de loi? » Il n'existe aucune disposition en ce sens.

En essayant de défendre le gouvernement conservateur, j'ai répondu « Il y avait une disposition dans le projet de loi C-30. » Je voulais être juste, alors j'ai répondu : « En fait, il y avait une disposition en ce sens dans le projet de loi C-30. » C'était l'article 7 du projet de loi C-30. Je l'ai lu très attentivement. Il ne répond pas à ces exigences, mais il y avait une disposition dans ce projet de loi pour essayer de compenser la suppression de cette disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Qu'est-il arrivé au projet de loi C-30? Les sénateurs se souviennent sans doute que le gouvernement l'a abandonné il y a quelques mois à peine. Ce projet de loi accordait aux policiers le droit d'intercepter des communications dans Internet, sans mandat précisant que des motifs raisonnables portent à croire qu'une infraction a été commise. Autrement dit, en se fondant sur un simple doute, les policiers auraient pu enregistrer des messages échangés sur Internet.

Le projet de loi a suscité un tollé au Canada et le gouvernement a décidé de l'abandonner. Les gens ne se rendaient pas compte, bien sûr, que le projet de loi contenait une disposition modifiant le paragraphe 319(2) du Code criminel, même si elle n'allait pas assez loin.

L'auteur de la motion a dit à quatre reprises au comité sénatorial — et je ne nie pas qu'il avait raison — que l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne contrevenait à l'alinéa 2b) de la Charte. Il a absolument raison. Cet alinéa dit que chacun a les libertés fondamentales suivantes :

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

Il n'a pas dit, par contre, que ce droit est garanti par l'article 1 de la Charte :

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Autrement dit, la liberté d'expression est garantie, mais elle a une limite.

Puis-je avoir trois minutes de plus?

La sénatrice Tardif : Oui, absolument.

Son Honneur le Président intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : Oui.

Le sénateur Baker : Les dispositions sur la conduite en état d'ébriété violent la Charte. Il a été déterminé que, lorsqu'un policier arrête quelqu'un sur la route qu'il soupçonne de conduire en état d'ébriété, cela constitue une violation de l'article 9 de la Charte sur la détention arbitraire. Les contrôles routiers violent la Charte, mais ils sont permis en vertu de l'article 1. Il ne semblait pas comprendre qu'une disposition législative qui n'a pas été invalidée et qui est appliquée par les tribunaux est sauvée par l'article 1 de la Charte même si elle contrevient à la Charte.

Il a également dit que ces décisions sont prises par des bureaucrates, des entités quasi judiciaires, des personnes qui ne sont pas des juges, et qu'elles devraient être prises par de vrais juges et de vrais avocats.

Il y a, au Canada, toutes sortes de commissions quasi judiciaires composées d'experts. Ils servent bien le pays. Il n'est pas nécessaire de faire appel à de vrais juges. Comme le sait Votre Honneur, le Code criminel autorise les perquisitions dans les domiciles. Aux termes de l'article 11 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, sénateur Nolin, un juge de paix peut délivrer un mandat autorisant une perquisition dans un domicile. Il s'agit ni d'un juge, ni d'un avocat. En fait, dans la plupart des provinces, il peut s'agir d'une personne qui n'a pas terminé l'école secondaire, de la tante Suzy qui habite en ville ou de l'oncle George qui vit en banlieue.

Il ne semblait pas comprendre cela.

Il a terminé en affirmant que le gouvernement aura l'occasion d'incorporer la disposition au Code criminel un an après l'adoption du projet de loi. C'est très important. C'est un peu comme si un personne gardée en vie artificiellement à l'hôpital en attendant une greffe de cœur se faisait dire : « On pourrait vous débrancher en attendant de recevoir votre organe. » Il est déplorable d'affirmer qu'il faudrait attendre que le gouvernement présente de nouvelles dispositions.

Voilà mes observations, honorables sénateurs. Au cas où je n'en ai pas l'occasion plus tard, je souhaite à tous un bon été. Merci.

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Baker : Oui.

(1440)

La sénatrice Andreychuk : Honorables sénateurs, au début de notre carrière au Sénat, le sénateur Baker a cité une cause entendue par la Cour suprême, à moins que ce ne soit la Cour d'appel. Il m'a convaincue. Je suis revenue sur mes positions pour apprendre, une fois à la maison, qu'il s'agissait d'une opinion dissidente, et non d'une opinion majoritaire.

Le sénateur ne conviendrait-il pas qu'il était un peu injuste d'indiquer que j'avais parlé de l'Association canadienne des libertés civiles, puisqu'en fait, on avait mentionné l'Association du Barreau canadien, car ces deux associations avaient participé à un groupe de travail dont l'objectif était de trouver un équilibre entre la liberté de parole et le droit de ne pas faire l'objet de discrimination ou de propos haineux? À mon avis, c'était l'équilibre qui comptait, et non la Cour suprême.

Le sénateur Baker : Absolument, honorables sénateurs, je suis d'accord. Vous équilibrez les choses, mais permettez-moi de vous rappeler, madame la juge, que la jurisprudence dans ce pays est souvent fondée sur des opinions dissidentes de juges de la Cour suprême.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, lorsque le comité a entendu différents experts, hier, quelqu'un a-t-il soulevé le problème de la cyberintimidation? Quel message enverra le projet de loi aux adolescents qui se font calomnier au point d'en faire une dépression ou aux adolescents qui sont homosexuels, et qui sont poussés au suicide, comme l'ont rapporté récemment les journaux canadiens?

Quelle incidence aura ce projet de loi sur la lutte contre la cyberintimidation? Le gouvernement semble favoriser celle-ci.

Je me souviens que le premier ministre Stephen Harper a rencontré les parents d'une jeune fille en Nouvelle-Écosse qui a vécu ce genre de situation. Quelle incidence aura le projet de loi sur l'approche qu'adopteront les autorités provinciales et fédérales pour lutter contre la cyberintimidation?

Le sénateur Baker : Honorables sénateurs, l'Association du Barreau canadien n'a pas inventé de toutes pièces son mémoire ou ses conclusions. Au contraire, elle a consulté tous les procureurs de la Couronne au Canada, ainsi que tous les criminalistes et avocats spécialisés en droit civil sur sa liste.

Tous ces gens ont, ensemble, approuvé le mémoire de l'association, où l'on soutient que le projet de loi entraînera une hausse importante du nombre de sites et de messages haineux sur Internet. Ils entrevoient un scénario très sombre si le projet de loi est adopté.

Je souscrirais à ce point de vue s'il n'y avait aucune autre loi qui interdirait une telle chose, car c'est tout ce dont il s'agit ici. Il est question seulement d'Internet et de télécommunications, à ne pas confondre avec ce qui se passe dans les commissions provinciales des droits de la personne ou avec les décisions des tribunaux, Certaines personnes confondent le tout. En effet, des témoins ont confondu les deux et ont dit : « Ces organismes quasi judiciaires causent des problèmes, nous sommes donc en faveur du projet de loi. »

Pour répondre à la question du sénateur, je crois que l'Association du Barreau canadien a absolument raison. Nous nous dirigeons vers un véritable désastre dans ce cas-ci.

L'honorable Terry M. Mercer : Tout d'abord, honorables sénateurs, en notre nom à tous, je tiens à remercier oncle George de ses observations.

Honorables sénateurs, j'ai quelques observations à faire à propos du projet de loi.

Le projet de loi C-304, qui propose d'abroger des pans de la législation canadienne contre les discours haineux, a été adopté par la Chambre des communes plutôt rapidement et en catimini. Les conservateurs en faveur de ce projet de loi ont applaudi son adoption et ont vu celle-ci comme une victoire au nom de la liberté de parole au Canada. Les conservateurs méprisent depuis longtemps la Commission des droits de la personne et se sont souvent servi du concept de la liberté d'expression pour justifier l'abolition de certaines parties de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous devons tous garder à l'esprit que ce ne sont pas des eaux faciles à naviguer. La ligne de démarcation est très étroite entre le droit d'une personne à la liberté d'expression et les droits de la personne qui est la cible de propos haineux.

Honorables sénateurs, le projet de loi ne rendra pas légal les propos haineux sur Internet ou au téléphone; cela demeurera illégal au regard du Code criminel. Toutefois, en supprimant l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous retirerions à la Commission des droits de la personne le pouvoir, par exemple, d'obliger les sites web qui contreviennent à la loi en matière de propos haineux à retirer le contenu en question.

Le gouvernement a-t-il le droit, par l'entremise de mécanismes tels que la Commission des droits de la personne, de faire cela? Je dirais que oui, mais je ne suis pas avocat — et c'est une bonne chose. J'estime que toute mesure qu'il soit en notre pouvoir de prendre en vue de prévenir la haine dans ce pays est une bonne chose. Chacun a droit à un traitement juste et équitable.

La Commission des droits de la personne existe pour une raison : enquêter sur les allégations de violation des droits de la personne. Voilà où le traitement juste et équitable est accordé. La suppression de l'article 13 réduit cette capacité.

Les commissions des droits de la personne prônent depuis longtemps l'élimination de la discrimination en fonction de la race, du sexe, de la religion, d'un handicap, de l'orientation sexuelle et j'en passe. Elles mettent énormément d'effort pour favoriser l'égalité et protéger les droits des Canadiens. Je ne vois pas en quoi le présent projet de loi les aiderait à ce chapitre. Au contraire, il me semble qu'il nous fait régresser.

Honorables sénateurs, j'ai une dernière observation à faire. Tout comme pour un autre projet de loi que nous avons étudié plus tôt aujourd'hui, je conteste le fait que le projet de loi ait été présenté à titre d'initiative parlementaire plutôt qu'à titre d'initiative ministérielle. C'est ce que souhaite le gouvernement. D'ailleurs, il en a fait la promesse dans sa campagne électorale. Pourquoi n'est-ce donc pas un projet de loi d'initiative ministérielle? Le gouvernement ne semble pas avoir le courage de défendre ses convictions, sa politique énoncée.

L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, j'aimerais dire quelques mots au sujet de ce projet de loi. J'ai prononcé un plus long discours à l'étape de la deuxième lecture. Je m'oppose toujours à ce projet de loi et je voterai contre, mais j'aimerais le situer en contexte par rapport à des groupes vulnérables. Le premier groupe qui vient à l'esprit est, bien entendu, les Autochtones.

Une étude, intitulée Étude sur les Autochtones vivant en milieu urbain, a été réalisée en 2010. Selon les résultats obtenus, trois Autochtones sur quatre croient qu'ils sont victimes de racisme. C'est un pourcentage très élevé. D'après les discours entendus ces derniers jours, beaucoup de messages sont transmis par Internet et les médias sociaux.

Cela m'inquiète, car je viens de la Saskatchewan où, je répugne à le dire, le taux de racisme est plus élevé que n'importe où ailleurs au pays, en Ontario par exemple.

Il est très important d'accorder aux groupes vulnérables la protection à laquelle ils ont droit en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Certains m'ont dit « Si cette protection existe en vertu de la Charte, alors pourquoi l'article 13 de la Loi canadienne des droits de la personne serait-il nécessaire? »

Ce raisonnement est totalement illogique à mes yeux, car l'articlea13 annule ce droit à la protection. Il faut les deux dispositions pour avoir une base solide. Les personnes vulnérables ont besoin de protection. Comme d'autres sénateurs l'ont indiqué, nous savons que le Canada est constitué d'une variété de groupes raciaux différents. En 2006, les immigrants représentaient environ 16 p. 100 de notre population, et cette proportion est plus importante aujourd'hui.

Afin que ces gens puissent s'intégrer, se développer et réaliser leur plein potentiel, ils doivent être à l'abri de tout type de discrimination. Comme je l'ai déjà dit, Internet et les médias sociaux constituent le principal moyen de transmettre des messages de nos jours.

Ces moyens de communication touchent en particulier les jeunes. C'est ainsi que les jeunes communiquent maintenant. Ils se servent des différents médias sociaux. Ils ne communiquent pas par lettre, en lisant des livres et autres choses du genre. C'est uniquement par l'intermédiaire des médias sociaux.

Comme nous le savons tous, plus de la moitié de la population autochtone a moins de 25 ans. Nous savons que les jeunes Autochtones sont plus vulnérables et davantage victimes de racisme.

Je ne vois pas comment ce projet de loi pourrait avoir un effet positif et je suis certain qu'il nuira vraiment aux jeunes Autochtones. Nous savons déjà que le taux de suicide est élevé chez eux. Nous avons déjà constaté que l'utilisation des médias sociaux pour faire de la cyberintimidation a entraîné des pertes de vie. Je ne voterai certainement pas en faveur de ce projet de loi.

[Français]

L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, ce projet de loi est exceptionnellement dangereux. Il est loin de refléter ce que je considère être les valeurs de notre pays et son évolution comme démocratie, qui respecte chaque individu et pas seulement la majorité.

(1450)

[Traduction]

Il est vrai que nous avons parlé de la façon dont ce projet de loi touche Internet, par exemple, et de ce qui se passe à cet égard.

Ma fille, qui vit à Vancouver, n'a pas le téléphone. Elle n'a pas la télévision. Elle n'a pas la radio. Tout, absolument tout, ce qu'elle reçoit passe par Internet.

Nous parlons des moyens de communication traditionnels, ce qui comprend les stations de radio et tous les autres moyens, qui ont été supplantés par ce réseau.

Cela m'amène à vous parler d'une expérience tout à fait personnelle. J'ai essayé, en vain malgré l'aide de mon conseiller juridique international auprès des tribunaux internationaux, d'obtenir le jugement sur lequel le tribunal international à Arusha s'était fondé pour poursuivre les 16 membres de la Radio-télévision libre des Mille Collines, plus généralement reconnue comme la station de radio du génocide au Rwanda. La radio est le moyen de communication dans ce pays. En fait, certains la considèrent comme la voix de Dieu.

Les 16 personnes poursuivies ont été trouvées coupables d'incitation au génocide, et les propos haineux qu'elles ont tenus ont été divulgués. Ces personnes se trouvent probablement dans l'une des pires prisons de toute l'Afrique, leurs peines variant entre 10 ans d'emprisonnement et la prison à perpétuité.

Pourquoi est-ce que je parle de cela? Cette station de radio créée grâce à un financement privé était la meilleure du Rwanda. En fait, c'était la meilleure de toute la région. Elle diffusait de la musique extraordinaire. On y entendait d'excellents commentaires. C'était une voix pour les jeunes, et ces derniers parlaient sur Internet et à la station de radio. Celle-ci entraînait toute la population parce qu'elle était extraordinaire et qu'on avait envie de l'écouter.

Toutefois, pendant les heures de faible écoute, on lançait parfois de façon très subtile un commentaire diffamatoire au sujet de l'autre groupe ethnique. Ce n'était qu'un commentaire, un peu comme ceux qu'on entend à Fox News. La chaîne MSNBC ne fait guère mieux, mais à l'autre extrémité du spectre.

La station a continué de diffuser un équivalent atténué de ce qu'on peut entendre à Fox News. La chaîne était captivante pour bien des gens, y compris le personnel de l'ONU qui surveillait les stations de radio. Eux aussi aimaient bien cette station.

Lentement, les tensions et les frictions ont continué de s'aggraver, comme ce peut être le cas pour toute diaspora ou tout groupe distinct, même chez nous. J'ai été déployé lors de la crise d'Oka. Notre propre pays était alors aux prises avec des insurgés autochtones qui, pour défendre un point de vue tout à fait légitime, n'avaient pas d'autres moyens que de provoquer cette crise pour laquelle nous avons déployé 3 500 soldats.

Au pays, il y a beaucoup de jeunes qui peuvent être considérés comme marginalisés, particulièrement chez les Autochtones, le groupe qui connaît la croissance la plus rapide. On les trouve partout au pays. Ils sont souvent marginalisés. Ils ont accès à Internet; ils peuvent donc être encouragés et influencés.

Pendant des mois, cette station de radio a continué de diffuser discrètement ces petits commentaires qui n'étaient pas assez graves pour nous faire dire qu'il s'agissait d'une incitation au génocide allant à l'encontre de l'accord de paix d'Arusha. Ce n'était tout simplement pas suffisant.

Environ un mois après le début du génocide, le ton a changé. Les propos sont devenus véritablement odieux, ce qui nous a permis de réagir, mais il était trop tard. Les instigateurs avaient déjà mobilisé tous les jeunes nécessaires. Ils avaient déjà capté l'attention de tous les gens dont ils avaient besoin pour parvenir à leurs fins.

La plupart des meurtres ont été commis par des jeunes qui écoutaient assidument cette station de radio. J'ignore encore où on trouvait les piles, mais à chaque poste de contrôle, les gens écoutaient constamment cette station de radio qui leur disait qui tuer, comment les tuer et où les tuer.

Si je comprends bien les observations formulées par le parrain de ce projet de loi, la Commission canadienne des droits de la personne et les tribunaux des droits de la personne seraient très imparfaits. C'est bien, mais que fait-on pour corriger cela? Si l'on n'apprécie pas la façon dont ces organismes fonctionnent, il faut prendre des mesures pour régler le problème. On peut influencer le processus. On peut mettre en place des personnes qui réagiront d'une façon considérée plus équilibrée que ce qui se fait à l'heure actuelle.

Cependant, il ne faut pas détruire la loi. Il ne faut pas nous rendre vulnérables, à l'époque très moderne et complexe où nous vivons, à des moyens de communication et des technologies très perfectionnés qui pourraient inciter, même ici dans notre pays, des gens à se laisser emporter et à commettre certains gestes. Au bout du compte, des gens pourraient s'en tirer après avoir diffusé des renseignements et pourraient, en fait, être à l'origine de soulèvements dans notre propre pays.

La jurisprudence est suffisante pour prouver que cette mesure législative est tout à fait horrible et il est inconcevable qu'elle ait été adoptée à l'autre endroit. Que font-ils là-bas? Avec quel genre d'incompétence a-t-on examiné en profondeur ce projet de loi d'initiative parlementaire, derrière lequel se cache le gouvernement, qui espère nous le faire accepter aujourd'hui sous prétexte que c'est apparemment notre dernière séance? Ce n'est pas de la démocratie. Ce projet de loi est un affront flagrant à l'histoire des droits de la personne au Canada. C'est un outil qui sera utilisé par des éléments subversifs dans notre pays pour inciter des gens à commettre certains gestes. Je peux vous garantir qu'il y aura beaucoup de Canadiens qui finiront par travailler pour Al-Qaïda si cette chose est adoptée.

Votez contre ce projet de loi. Votez contre, parce que c'est une question de sécurité. Ce n'est pas une question sociale, c'est une question de sécurité.

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, avant de prendre la parole au sujet du projet de loi C-304, j'aimerais profiter de l'occasion pour remercier les membres du Comité des droits de la personne, soit la vice-présidente du comité, la sénatrice Salma Ataullahjan, de même que la sénatrice Andreychuk, le sénateur Munson, le sénateur White, la sénatrice Hubley, le sénateur Zimmer, le sénateur Ngo et le sénateur Oh, de tout le soutien qu'ils ont apporté au comité. Il ne fait aucun doute que nous avons dû surmonter d'importants obstacles. La plupart du temps, les choses se font par consensus, et je veux donc remercier chacun des membres du comité.

Pour ce qui est de ces audiences, je tiens à remercier les sénateurs Fraser, Eggleton et Baker du soutien qu'ils nous ont offert hier, alors que nous examinions cette question très importante.

J'aimerais également profiter de l'occasion pour remercier le greffier du comité, Daniel Charbonneau, de même que son assistante, Debbie Larocque. Honorables sénateurs, tout le weekend, ils ont travaillé très fort pour convoquer les témoins. Tout au long de l'année, ils ont travaillé d'arrache-pied pour le comité, et je tiens à les remercier.

Honorables sénateurs, au cours de l'étude du projet de loi C-304, je vous demanderais bien humblement de songer au rôle que nous jouons dans cette enceinte. Ceux qui siègent à l'autre endroit sont élus par une majorité. Ils ont donc une vision différente des choses. Quant à nous, on nous dit souvent que notre rôle consiste à protéger les droits des minorités. Honorables sénateurs, je vous prie humblement de bien réfléchir avant de voter pour le projet de loi, car il en va de la protection des droits des minorités.

(1500)

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, le projet de loi C-304 vise à abroger l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Vous n'êtes pas sans savoir que, selon cet article, la propagande haineuse constitue un acte discriminatoire, car elle n'est pas un moyen acceptable d'exercer sa liberté au sein de notre société pacifique et démocratique.

Honorables sénateurs, j'ai voté contre le principe même du projet de loi C-304 à l'étape de la deuxième lecture, car la propagande haineuse porte atteinte à la dignité humaine. En plus d'être offensante, elle se répercute sur la place que chaque personne occupe dans la société.

L'article 13 n'a pas pour but de soulager les peines causées, mais plutôt de remédier aux situations où l'on attente à la dignité des membres de groupes vulnérables. Il vise à favoriser le rétablissement et la protection de la justice grâce à la réconciliation et à la sensibilisation.

Pendant plus d'un an, honorables sénateurs, notre Comité des droits de la personne a procédé à une étude sur la cyberintimidation. Je n'oublierai jamais le jeune rouquin qui a alors témoigné à huis clos. Il nous a parlé d'une page Facebook qui avait été créée afin d'attiser la haine contre les personnes qui ont les cheveux roux. J'avoue que je n'avais aucune idée que les rouquins pouvaient être persécutés. Personnellement, j'ai toujours rêvé d'avoir les cheveux roux, alors j'ai été stupéfiée d'apprendre par la bouche de ce jeune homme que ce n'est pas une bonne chose lorsqu'on va à l'école.

Honorables sénateurs, il nous a dit qu'il y a une « journée de la chasse aux rouquins » au cours de laquelle les enfants aux cheveux roux se font rouer de coups de pied : « [...] j'ai toujours manqué cette journée-là à l'école [...] je pense que ce n'est pas correct. » Lorsque ce jeune homme a témoigné à huis clos, nous avons été scandalisés qu'un écolier canadien puisse être l'objet d'une propagande haineuse sur Internet.

Les messages haineux portent vraiment atteinte à la dignité de la personne ciblée. Voici ce que Mark Toews, membre de l'exécutif de la Section du droit constitutionnel et des droits de la personne de l'Association du Barreau canadien, a dit hier au Comité sénatorial permanent des droits de la personne :

Lorsqu'on laisse des opinions intolérantes et haineuses se répandre sans aucun contrôle, une culture de préjugé et de discrimination s'installe. Tout commence par des commentaires isolés qui visent d'ordinaire des groupes vulnérables. Petit à petit, les gens qui entendent de tels propos commencent à accepter les commentaires et à craindre le groupe ciblé, ce qui engendre des préjugés et de la discrimination ainsi que des conséquences encore plus tragiques.

Honorables sénateurs, comment vous le savez, le Comité des droits de la personne a débattu pendant plusieurs heures du projet de loi C-304 hier. Des inquiétudes raisonnables ont été formulées quant à ce que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit en ce qui a trait aux messages haineux et à la propagande haineuse de manière générale. Par exemple, l'article 54 de la loi prévoit deux sanctions, et, comme la Commission canadienne des droits de la personne l'a souligné dans son mémoire, ces sanctions ne « cadrent pas avec la fonction réparatrice et conciliatoire qui sous- tend l'ensemble de la loi ».

J'en conviens avec la Commission canadienne des droits de la personne et avec l'Association du Barreau canadien : la loi ne devrait pas prévoir de sanction.

Nous savons que nos collègues les sénateurs Kinsella et Nolin ont relevé cette incohérence dans leur intervention à l'étape de la deuxième lecture. Le projet de loi C-304 modifierait l'article 54, et je souscris à cette modification dans la mesure où elle retire un élément punitif de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Les lois devraient d'abord et avant tout promouvoir la réconciliation, la réparation et l'éducation, honorables sénateurs. Il s'agit d'outils essentiels pour prévenir la discrimination et lutter contre la haine, et c'est aussi pourquoi j'estime que ce n'est pas en abrogeant l'article 13 que nous ferons progresser la liberté et accroître la protection contre la propagande haineuse.

Lors d'une séance du comité, le sénateur Eggleton a demandé à des témoins de faire preuve de vision et de trouver des façons de renforcer les lois canadiennes sur les droits de la personne en matière de propagande haineuse. Voici la réponse de la professeure Mahoney, de l'Université de Calgary :

Les lois sur les droits de la personne obligent les individus à demander justice eux-mêmes. Autrement dit, elles ne reconnaissent pas que les individus font partie d'un groupe. Or, lorsqu'une personne est ciblée à titre individuel, c'est également le groupe auquel elle appartient qui est ciblé. Pour intenter un recours en matière de droits de la personne, la personne visée doit se présenter devant la Commission des droits de la personne et dire : Voici ce qui m'est arrivé parce que je suis juif, que je suis une femme, que je suis gai...ou autre chose.

Si nos lois tenaient compte des torts causés aux groupes au même titre que de ceux causés aux individus, il me semble que cela améliorerait la législation sur les droits de la personne. Je crois que cela constituerait un changement important et précieux aux lois actuelles sur les droits de la personne.

Les questions du sénateur Eggleton ont mis en lumière un point important. Honorables sénateurs, nous sommes à la croisée des chemins. L'examen du projet de loi C-304 devrait nous inciter à améliorer nos lois sur les droits de la personne, peut-être comme Mme Mahoney l'a indiqué, ou peut-être autrement.

Mon opposition au projet de loi C-304, et plus particulièrement à l'abrogation de l'article 13, ne signifie pas que j'estime impossible d'améliorer la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il y a amplement place à l'amélioration, mais nous savons tous, en tant que législateurs, que les lois ont un caractère évolutif et que nous pouvons les améliorer de temps à autre. Cela ne signifie toutefois pas que nous devrions abroger une loi sans chercher à l'améliorer. Cela ne servirait à rien. L'abrogation de dispositions d'une importance aussi fondamentale que celles de l'article 13 laisserait des groupes vulnérables sans protection. C'est une méthode de réforme que nous ne pouvons courir le risque d'adopter.

Le sénateur Baker a lancé une discussion avec M. Toews, de l'Association du Barreau canadien, au sujet de la constitutionnalité du projet de loi C-304. Voici ce que le sénateur Baker a demandé :

[...] j'aimerais que vous confirmiez que même si l'auteur de la motion a indiqué à quatre reprises qu'il constituait une violation de la Charte canadienne, tous les tribunaux de dernière instance que je connais, dont la Cour suprême du Canada, ont déclaré que cet article est parfaitement constitutionnel. Dans un premier temps, ai-je raison d'affirmer cela?

M. Toews a répondu ceci :

C'est tout à fait exact. C'est conforme à la Constitution. Les tribunaux n'auraient pas pu l'établir plus clairement. Ces questions ont été soulevées plusieurs fois à la Cour suprême, qui a toujours dit, sans équivoque, que c'était conforme à la Constitution et que cela n'allait pas à l'encontre de la Charte. Il s'agit d'une atteinte à la liberté d'expression, mais qui est permise en vertu de l'article 1 de la Charte, un outil important qui dit que ces dispositions sont tout à fait justifiées dans le cadre d'une société libre et démocratique. Non, cela ne va pas à l'encontre de la Charte.

L'Association du Barreau canadien a dit dans son mémoire qu'une fois qu'on aura abrogé l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il faudra tenir compte des critères plus stricts du Code criminel pour déterminer ce qui constitue de la propagande haineuse. Or, ce ne sont pas tous les gestes, mêmes offensants, qui répondent à ces critères.

(1510)

Comme les sénateurs le savent, le Code criminel exige une preuve hors de tout doute raisonnable que les déclarations publiques faites par l'accusé incitent à la haine contre un groupe identifiable dans une telle mesure qu'elles sont susceptibles d'entraîner une violation de la paix. Il impose un fardeau de la preuve beaucoup plus contraignant que l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en vertu duquel il faut seulement prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les déclarations publiques entraîneront une violation de la paix.

D'après l'Association du Barreau canadien, « les Canadiens peuvent donc s'attendre à être soumis à une prolifération de communications et de messages haineux et, par conséquent, à un recul de la civilité, de la tolérance et du respect dans la société canadienne. »

Honorables sénateurs, les discours haineux au Canada doivent faire l'objet à la fois d'interdictions civiles et pénales. L'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'article 319 du Code criminel ont des objectifs très différents. L'article 13 s'applique aux comportements qui ne sont pas considérés comme des actes criminels en tant que tels, mais qui causent tout de même du tort à des groupes cibles vulnérables.

Le sénateur Baker l'a expliqué très clairement plus tôt lorsqu'il a parlé du cas en Saskatchewan. Je ne le répéterai donc pas.

Je vais citer de nouveau l'Association du Barreau canadien, qui affirme que l'article 13 :

[...] protège les minorités contre les dommages psychologiques causés par la propagation d'opinions racistes qui donneront inévitablement lieu à des préjugés, à de la discrimination et à la possibilité de violence physique.

Ces opinions donnent lieu à des préjugés, à de la discrimination et à la possibilité de violence physique.

Honorables sénateurs, nous ne sommes pas en train de débattre de propos blessants ou d'interprétations subjectives de la haine. Le projet de loi C-304 propose d'abroger un article de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui interdit des messages donnant lieu à des préjugés, à de la discrimination et à la possibilité de violence physique.

Honorables sénateurs, j'ai passé beaucoup de temps à réfléchir à cette question. J'ai également passé beaucoup de temps à me demander comment je pourrais parler de ce sujet à mes collègues, qui me soutiennent. Ils me traitent très chaleureusement. Tous les membres de mon personnel sont ici. Nous avons discuté ensemble afin de déterminer si je devrais parler de ce que c'est que d'être qui je suis au Canada.

Honorables sénateurs, je ne parlerai pas de mes expériences sous la férule de l'Empire britannique. Je ne parlerai pas de ce qui s'est passé sous le règne d'Idi Amin. Je ne parlerai pas de ce qui s'est passé lorsque nous sommes arrivés ici, car nous aurons plusieurs occasions d'y revenir un autre jour.

Honorable sénateurs, nous avons tous des problèmes. Nous avons des problèmes de santé ou des problèmes financiers. Pas un seul sénateur n'a été épargné par les problèmes et les difficultés qui surviennent dans toutes les familles.

Cependant, ma famille doit surmonter le problème particulier de la couleur de la peau. C'est un problème que nous vivons au quotidien. Je dois dire aux sénateurs que mon père, qui était député au Parlement ougandais, aurait pu se rendre à bien des endroits lorsque nous sommes devenus des réfugiés. Il a choisi le Canada parce qu'il s'est dit que ni sa famille ni ses arrière-petits-enfants n'auraient jamais besoin de fuir le Canada. Malheureusement, cela ne signifie pas que nous n'avons pas eu à affronter des problèmes qui nous ont fait ressentir la haine des autres.

Je suis choyée. J'ai deux enfants. J'ai un fils biologique, que j'aime tendrement, et j'ai une fille adoptive, qui est toute ma vie. J'ai pu avoir seulement un enfant, et Dieu m'a fait cadeau aussi d'une fille adoptive. Elle vient de Port Hardy, en Colombie-Britannique. Elle est de races mêlées. On peut la qualifier d'Africaine ou dire qu'elle a la peau foncée. Lorsqu'elle avait six ans, je l'ai surprise dans la salle de bain en train de se blanchir la peau. Elle voulait être blanche parce qu'elle avait horreur de la haine que pouvaient manifester ses camarades envers elle. Nous sommes pourtant bel et bien au Canada. Ma fille fréquentait une école privée, la meilleure de la ville. Elle n'était pas invitée aux anniversaires, ce qui peut néanmoins arriver à n'importe qui et n'est pas si rare que cela. Pourtant, le directeur m'a rappelé un jour que ma fille fréquentait l'école depuis six ans. Il n'arrive pas souvent que les écoles privées mettent un enfant à la porte, car elles sont contentes des revenus qu'elles en tirent. En tant que parents, nous participions très activement à la vie scolaire, mais le directeur nous a dit qu'il était incapable de gérer la haine qui se manifestait contre notre fille à l'école.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour me confier à vous, car je veux que vous, mes collègues, sachiez ce qu'on ressent lorsqu'on nous hait. Le pire, ce n'est pas quand on nous hait. nous, car on peut y faire face, mais quand c'est notre enfant qu'on hait. Il est difficile pour moi de vous expliquer, honorables sénateurs, comment se sentaient mon mari et mon fils quand ma fille rentrait à la maison. La seule fois où j'ai vu mon mari pleurer, c'est lorsqu'il a vu que ma fille souffrait.

Je suis très ouverte avec les sénateurs, car je veux que mes collègues comprennent que des Canadiens sont la cible de la haine. Ce n'est peut-être pas un crime, mais des demoiselles que ma fille connaissait discutaient de la haine qu'elles éprouvaient à l'égard de ma fille et de la couleur de sa peau — ma fille est Noire — par ordinateur, par téléphone et sur Internet.

Honorables sénateurs, sur une note plus légère, je l'ai inscrite dans une autre école. Elle a fréquenté l'école St. Thomas Aquinas, où elle était très heureuse. Elle était inscrite dans le programme intensif de religion et obtenait toujours d'excellentes notes. Ma mère disait qu'elle allait entrer dans les ordres, parce qu'elle fréquentait une école catholique. Je posais la question à ma fille et elle me répondait ceci : « Maman, les rituels catholiques sont les mêmes que les nôtres. Je le sais, j'ai grandi avec ces rites. Je sais ce qu'ils font, ce n'est pas de la magie. » Plusieurs de ses amies sont entrées dans les ordres, mais pas ma fille.

Je dis simplement qu'un changement entraîne toujours quelque chose de positif. Je veux également que les sénateurs sachent que je suis une collègue, et je ne suis pas la seule ici, qui rentre à la maison. Ma fille est devenue mannequin, elle est absolument magnifique — je n'ai bien sûr aucun parti pris. Je lui dis toujours : « Ta beauté, c'est la revanche de Dieu. »

Toutefois, je peux dire aux sénateurs que, lorsqu'elle sort avec son petit ami blanc, elle est victime de haine — je n'en dirai pas plus. Ce n'est pas agréable du tout d'être Noire au Canada.

Honorables sénateurs, je vous ai fait part d'une situation qui me tient beaucoup à cœur après avoir parlé à maintes reprises avec mon personnel de la possibilité de le faire. J'ai vraiment besoin de m'exprimer à ce sujet. Ne faites par la sourde oreille. Je ne dis pas que ce projet de loi ne devrait pas être amendé. Je ne dis pas que nous ne devrions pas l'étudier plus à fond; c'est exactement ce que nous devrions faire. Toutefois, prenons notre temps. Où est l'urgence? Même le parrain du projet de loi a déclaré que le ministre travaillerait pendant un an pour corriger les choses avant que cette mesure législative ne soit mise en œuvre. Prenons le temps nécessaire pour adopter des mesures législatives vraiment efficaces, qui protègent tous les Canadiens. C'est tout ce que je demande.

Honorables sénateurs, quand j'étais jeune, ma mère souhaitait que je joue du piano, alors que mon père voulait que je devienne politicienne. Les sénateurs peuvent constater ce que je suis devenue. Ma mère me disait toujours qu'il fallait que je m'exerce au piano, mais je passais mon temps à l'énerver. Parfois, je ne jouais que les notes noires, ce qui était très discordant, ou bien je ne jouais que les notes blanches. Ma mère — que Dieu la bénisse, elle n'est plus de ce monde — me disait alors ceci : « Pour que le morceau soit harmonieux, tu dois jouer les notes noires et les notes blanches. » Ce n'est que maintenant, en tant que politicienne, après le décès de ma mère, que je me rends compte de ce qu'elle voulait dire.

Je tiens à dire aux sénateurs que, si nous souhaitons que l'harmonie règne dans notre société, chacun devrait sentir qu'il en fait partie, et non qu'il est victime de haine en raison de la couleur de sa peau, de sa religion ou de son apparence physique.

Les condamnations pour propagande haineuse imposées aux termes du Code criminel prévoient des critères élevés en matière de preuves, car, comme c'est le cas pour toute autre infraction criminelle, ces condamnations entraînent une stigmatisation sociale et un casier judiciaire. L'article 13 propose une façon différente de réagir à la propagande haineuse. L'Association du Barreau canadien a très clairement recommandé que l'on cherche à guérir la société et que l'on mette au point un cadre permettant aux gens de concilier les mécanismes destinés à promouvoir la justice réparatrice, la réconciliation et l'éducation. Nous devrions œuvrer à améliorer la capacité de nos lois de promouvoir la justice réparatrice, la réconciliation et la sensibilisation à l'égard des droits de la personne.

(1520)

Par contraste, le projet de loi C-304 cherche à éliminer le recours au civil en cas de propagande haineuse. Il ne tient absolument pas compte du rôle important des tribunaux des droits de la personne au Canada. Selon l'Association du Barreau canadien, ces tribunaux fournissent « une tribune où les plaintes fondées de personnes et groupes qui ont souffert de discrimination peuvent être examinées et la justice peut être rendue d'une façon équitable et attentive. Ils jouent aussi un rôle important d'éducation publique et de lutte contre le comportement discriminatoire, comme les propos haineux, avant qu'il n'atteigne le niveau d'acte criminel. »

Il est du devoir des sénateurs de s'attaquer à la propagande haineuse avant qu'elle ne fasse des victimes. Les tribunaux des droits de la personne nous aident à atteindre cet objectif, et c'est pour cette raison que nous allons maintenir l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Honorables sénateurs, à l'étape de la deuxième lecture, le sénateur Kinsella a dit ceci :

J'ai l'impression que nous devrions examiner l'article 13 actuel, que le projet de loi C-304 cherche à modifier, en réfléchissant à ce qui nous a motivés lorsque nous traitions de la question de la cyberintimidation. Voulons-nous réellement nous priver d'une disposition législative portant sur la discrimination sur Internet?

Honorables sénateurs, j'ai beaucoup réfléchi à ce qu'a dit le sénateur Kinsella dans le discours qu'il a prononcé en février. Je sais que la question du sénateur Kinsella a suscité la réflexion chez plusieurs autres membres du Comité des droits de la personne qui ont travaillé fort dans le cadre de notre étude sur la cyberintimidation.

Lors de l'audience portant sur le projet de loi C-304, la sénatrice Hubley a dit ce qui suit :

Le comité a étudié la question de la cyberintimidation et a pu constater les conséquences désastreuses qu'elle peut souvent avoir sur les enfants et les jeunes Canadiens. N'envoyons-nous pas le mauvais message en abrogeant l'article 13?

Que lui a-t-on répondu? « Absolument, oui. »

Honorables sénateurs, si nous adoptons le projet de loi C-304, nous allons supprimer un outil utile qui permettait de lutter contre l'un des plus graves dangers auxquels les jeunes d'aujourd'hui sont exposés, c'est-à-dire la cyberintimidation. Les sénateurs conservateurs qui parrainent des projets de loi ne cessent de dire au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qu'il faut toujours plus d'outils pour s'attaquer aux problèmes de justice criminelle.

Les sénateurs se rappelleront sans doute que j'ai demandé au sénateur White pourquoi nous aurions besoin d'une autre mesure législative, puisque tout figure déjà dans le code. Il m'a répondu, lui dont la réputation dans ce domaine n'est plus à faire, qu'on n'avait jamais trop d'outils.

Honorables sénateurs, je ne comprends pas ce qui se passe. Les membres du Comité des affaires juridiques se penchent sans cesse sur de nouveaux outils, alors qu'on demande à ceux du Comité des droits de la personne de supprimer ceux qui existent. Je ne sais plus quoi penser.

Nous savons notamment que la cyberintimidation ne relève pas de la justice criminelle, honorables sénateurs, mais des droits de la personne. Alors pourquoi supprimerait-on les outils qui permettent de lutter contre la cyberintimidation?

Voici ce qu'a dit une enfant à notre comité :

La principale différence entre l'intimidation en classe ou dans la cour d'école et la cyberintimidation, c'est que nous pouvons être victimes de cyberintimidation en tout temps et que cela nous donne l'impression de n'être en sécurité nulle part [...] Cela nous rend la vie extrêmement difficile, car nous en ressortons toujours assez ébranlés et quelque peu effrayés.

Ce que cette enfant décrit, ce ne sont pas des sentiments blessés, mais une atteinte à la dignité. Quand ce type de comportement haineux est fondé sur un motif de distinction illicite, l'article 13 peut constituer un moyen utile de sanctionner cette violation des droits de la personne tout en rétablissant et en favorisant la justice.

Une autre jeune fille a expliqué aux membres du comité que la cyberintimidation pouvait rapidement atteindre des proportions incontrôlables. Voici ce qu'elle a déclaré :

C'était mon anniversaire [...] et l'une de mes meilleures amies, du moins je croyais qu'elle l'était, a affiché quelque chose sur Facebook et m'a mise en balise; comme ça, elle connaissait tout le monde que je connaissais et tout le monde qu'elle connaissait pouvait le voir. Elle a écrit [un mensonge à propos d'actes révoltants que j'aurais selon elle commis], ce qui n'était pas vrai. Là, des centaines de personnes ont fait des commentaires, ont cliqué qu'elles aimaient ça [et ont dit] des choses vraiment mesquines sur moi. Elle effaçait les messages de tous ceux qui me soutenaient ou qui essayaient de la persuader d'arrêter ça. Les gens pour qui je travaillais l'ont vu, toute ma famille l'a vu, tous mes oncles et tantes aussi. Tout le monde l'a vu et comme c'est une petite ville, toute la ville a été au courant aussi.

J'ai été aux deux bouts de la chaîne. J'ai dit des choses. J'ai été l'intimidateur sur Internet, je me suis fait dire et envoyer des choses. Je vois ça se produire tous les jours. Ça m'attriste parce qu'en principe, Internet est un outil fait pour relier les gens et élargir les horizons au-delà de notre collectivité immédiate. C'est facile de dire des choses méchantes ou mesquines, soit par téléphone ou par Internet. On est beaucoup à être désensibilisés à cette situation, mais ça a des répercussions et le monde n'oublie pas. Cela influence ma façon d'interagir avec les autres maintenant et ma façon de vivre ma vie au quotidien. [...] J'ai fini par m'en sortir et je suis correcte, mais quand j'y pense, ça fait encore mal et ça faisait encore plus mal à ce moment-là.

Honorables sénateurs, les membres du Comité des droits de la personne ont entre autres eux l'occasion d'apprendre qu'au cours d'une journée, une seule et même personne peut intimider ses pairs, être elle-même victime d'intimidation et être témoin d'actes d'intimidation. Les jeunes ne veulent pas que leurs amis se retrouvent en prison; ils veulent simplement se réconcilier. Cela ne signifie pas pour autant que l'article 13 ne pourrait pas être amélioré afin de tenir compte des cas de cyberintimidation motivés par la haine. Nous pourrions prendre le temps d'étudier cette possibilité et de trouver une meilleure solution. Si nous abrogeons cet article, nous laisserons passer une belle occasion d'agir. Parmi les enfants qui ont comparu devant le comité — et ils étaient nombreux —, aucun n'a dit que nous devrions punir ceux qui font de l'intimidation. Personne n'a dit que nous devrions envoyer un enfant en prison, mais on continue d'évoquer la possibilité d'ajouter au Code criminel des dispositions visant à lutter contre la cyberintimidation.

Comme je l'ai déjà dit, honorables sénateurs, la cyberintimidation n'est pas une question qui relève du droit criminel, mais bien des droits de la personne. Nous devrions considérer les lois en matière de droits de la personne comme un moyen d'éduquer les gens, de rétablir la justice et de protéger les groupes vulnérables. Adopter le projet de loi C-304, c'est souscrire à une approche punitive concernant les messages qui sont transmis. Plutôt que d'explorer des moyens de bâtir des communautés et d'établir un dialogue entre des parties qui s'opposent, on aurait exclusivement recours aux articles du Code criminel qui prévoient des peines.

Combien de prisons allons-nous devoir bâtir? Combien de jeunes de 16 ans allons-nous jeter en prison? Il existe d'autres moyens de composer avec la cyberintimidation.

Permettez-moi de dire ceci au nom des enfants qui ont témoigné devant notre comité pour parler de la cyberintimidation, parce qu'ils n'ont pas eu l'occasion de voter aux dernières élections et qu'ils ne pourront pas le faire non plus aux prochaines élections; or, je suis d'avis que leur voix devrait être entendue au Parlement. Dans cette enceinte, nous veillons à la protection des droits des minorités. Ces enfants nous ont dit ceci : plutôt que de nous punir, éduquez-nous. Plutôt que de nous exclure, accueillez-nous. Plutôt que de nous séparer, rapprochez-nous pour que nous puissions résoudre nos différends. Plutôt que d'ignorer la haine, affrontez l'ignorance et cultivez l'acceptation. Ne sous-estimez pas le mal causé par la haine; reconnaissez plutôt les conséquences profondes qu'elle a sur nos vies. Respectez notre droit à la santé et au bonheur. La liberté ne s'obtient pas en blessant les autres.

Honorables sénateurs, les tenants du projet de loi C-304 soutiennent que le Code criminel suffira à protéger les Canadiens contre la propagande haineuse, même si on abroge l'article de la Loi canadienne sur les droits de la personne concernant les propos haineux. Cependant, les articles du Code criminel qui touchent la propagande haineuse ne protègent aucun segment de la population déterminé par l'âge, le sexe ou un handicap. En fait, aucun article du Code criminel ne protège les gens en raison de leur âge, de leur sexe ou d'un handicap.

(1530)

Lors des audiences du comité, la sénatrice Fraser a posé la question suivante :

Si nous abolissons l'article 13, qui protège les femmes contre la discrimination, avant de modifier le Code criminel en conséquence, n'allons-nous pas à l'encontre de nos obligations aux termes, notamment, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes?

Voici ce qu'a dit le sénateur Munson lors des audiences du comité :

En abrogeant l'article 13, le Parlement abandonnera à la fois les Canadiens et la communauté internationale.

Internet ne connaît pas de frontières. Jane Bailey, professeure à l'Université d'Ottawa, a présenté au comité des exemples de propos haineux envers les femmes publiés sur Internet :

Cela comprend des rappels disant que telle femme mérite d'être violée, de fausses publications soutenant que certaines femmes ont obtenu de meilleures notes en échange de services sexuels, des propos où on traite certaines femmes de chiennes juives qui méritent d'être violées, et des discussions où les internautes indiquent quelles étudiantes en droit de l'Université Yale ils aimeraient sodomiser.

Honorables sénateurs, ces propos constituent une atteinte fondamentale à la dignité humaine. Ils ne sont pas simplement choquants. Ils causent de véritables préjudices. Ce sont des propos haineux qui détruisent les personnes, les familles et les collectivités qui en sont la cible.

Actuellement, le Code criminel ne protège pas les femmes contre la propagande haineuse et n'offre pas de protection contre la discrimination fondée sur l'âge ou sur un handicap.

Je cite Mme Bailey :

Sans l'article 13, les personnes appartenant à un groupe qui recherche l'égalité, comme les femmes, les personnes handicapées ainsi que les personnes victimes de discrimination en raison de motifs semblables, ne seraient plus protégées parce qu'il n'y a pas de dispositions dans le Code criminel pour ce faire.

Soyons clair : si nous adoptons le projet de loi C-304, les femmes ne seront plus protégées de la propagande haineuse par la loi canadienne. Si nous adoptons le projet de loi C-304, les aînés et les enfants ne seront plus protégés de la propagande haineuse par la loi canadienne. Si nous adoptons le projet de loi C-304, les personnes handicapées ne seront plus protégées de la propagande haineuse par la loi canadienne.

Honorables sénateurs, même le parrain du projet de loi a déclaré que le projet de loi n'entrera pas en vigueur avant que le ministre ait eu un an pour le corriger. C'est quoi ce genre de mesure législative? On adopte un projet de loi puis on donne un an au ministre pour le corriger? Pourquoi ferait-on cela?

Honorables sénateurs, je vous implore : travaillons sur ce dossier. Corrigeons certaines choses. Appuyons le gouvernement en lui proposant une bonne solution à la reprise de nos travaux. Quelle est l'urgence? Si le projet de loi était adopté, il ne se passerait rien pendant un an de toute façon.

Motion d'amendement

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Par conséquent, honorables sénateurs, si vous décidez d'adopter le projet de loi, je propose :

Que le projet de loi C-304 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à l'article 1, à la page 1, par suppression des lignes 4 à 11;

b) à l'article 2, à la page 1, par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« 1. Le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est remplacé par ce qui suit :

13. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des question susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base d'un motif de distinction illicite fondé sur l'âge, le sexe ou la déficience. »;

c) à l'article 3, à la page 1, par suppression des lignes 13 à 17;

d) à l'article 4 :

(i) à la page 1, par suppression des lignes 18 à 23,

(ii) à la page 2, par suppression des lignes 1 et 2;

e) à l'article 5, à la page 2, par suppression des lignes 3 à 10

f) à l'article 6, à la page 2, par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :

« 2. La présente loi entre en vigueur un an ».

Honorables sénateurs, je me suis rendue très vulnérable aujourd'hui en raison de ce projet de loi, car j'estime honnêtement que notre société commence à changer. Je suis venue au Canada en sachant que nous étions tous égaux. Je vous en prie, ne changez pas cela.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Débat.

L'honorable Jane Cordy : Avant de passer au débat, la sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Jaffer : Oui.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. C'était incontestablement un excellent discours. Je crois que j'aurais aimez votre mère, qui a dit qu'il fallait jouer les touches d'ivoires et d'ébène pour obtenir une parfaite harmonie. Je suis moi-même une amatrice de Paul McCartney, alors pour moi, c'était :

Ebony and ivory live together in perfect harmonySide by side on my piano keyboard, oh, Lord, why don't we?

Une voix : Vous voulez la chanter?

La sénatrice Cordy : Honorables sénateurs, je vais épargner vos oreilles en me contentant de lire les paroles. Cela dit, j'ai déjà fait partie de la chorale Holy Angels, sénateur White.

À mon avis, la sénatrice et son Comité des droits de la personne ont produit un excellent rapport sur la cyberintimidation. J'ai fait suivre ce rapport aux écoles de la Nouvelle-Écosse, où, comme on le sait, l'histoire de Rehtaeh Parsons, une victime de cyberintimidation, a fait toutes les manchettes.

Je me demande si la sénatrice est d'avis que le projet de loi va à contre-courant de tout le travail qu'a accompli son comité relativement à la cyberintimidation.

La sénatrice Jaffer : Je remercie la sénatrice de cette question.

Je m'en voudrais de ne pas féliciter la sénatrice Ataullahjan d'avoir proposé cette étude, qui tombe à point nommé. Elle a fait de l'excellent travail dans ce dossier — tous les autres membres du comité aussi, d'ailleurs.

Lorsqu'on discute d'une telle motion alors que le débat fait rage sur tout ce qui devrait être fait pour contrer la cyberintimidation, je peux difficilement m'empêcher d'avoir parfois l'impression que personne n'a lu notre rapport. C'est tout ce que je peux dire.

L'honorable Art Eggleton : Les sénateurs qui sont intervenus sur cette question ont bien présenté ses tenants et ses aboutissants, de manière très engagée et fort convaincante. Je tiens à souligner le travail de la sénatrice Jaffer, à la fois comme porte-parole relativement au projet de loi et comme présidente du Comité des droits de la personne. De toute évidence, à en juger par le discours d'aujourd'hui, c'est un dossier qu'elle connaît personnellement.

Honorables sénateurs, j'ai pu assister hier à l'audience du comité et prendre connaissance des témoignages qui y ont été présentés. Je serai plus bref que ne l'est habituellement le sénateur Baker. Sans tomber dans la répétition, je tiens tout de même à rappeler certains points.

On a affirmé, hier, que le Code criminel ne suffit pas à contrer la propagande ou les propos haineux. L'argument invoqué par le parrain du projet de loi à la Chambre des communes, qui a témoigné hier par vidéoconférence, c'est qu'il est inutile de faire double emploi. Nous avons déjà le Code criminel et cela suffit.

(1540)

Ensuite, nous avons entendu des témoignages concluants et convaincants de bien des gens qui s'y connaissent dans ce domaine et qui disent que nous avons bel et bien besoin de cette disposition. En fait, il n'y pas que leurs témoignages qui le confirment : les décisions de la Cour suprême du Canada et bien d'autres commentaires démontrent qu'il est utile de conserver, en plus du Code criminel, des procédures civiles en matière de droits de la personne.

Il s'agit de deux outils différents et nécessaires.

L'Association du Barreau canadien l'a très bien exprimé :

L'abrogation de l'article 13 de la LCDP minera la capacité du Canada de prévenir la prolifération de propos haineux dans la société.

Elle a dit aussi :

L'article 13 vise un comportement qui n'atteint pas le niveau d'un comportement criminel, mais qui néanmoins cause un préjudice à un groupe vulnérable.

Comme le sénateur Dallaire l'a dit tout à l'heure, beaucoup de propos sont très subtils au début et prennent petit à petit de l'ampleur jusqu'à avoir des répercussions insidieuses sur des gens ou des groupes de personnes. Ils peuvent en fait susciter de la haine et des gestes de violence envers certains groupes de la société.

L'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet d'intervenir plus tôt et de prendre des mesures préventives en respectant le principe civil de la prépondérance des probabilités. S'il n'y avait que le Code criminel, on ne pourrait tenir compte que des cas extrêmes de propagande haineuse, car il semble que les actes commis doivent être extrêmes pour donner lieu à une condamnation. Il faut alors présenter une preuve hors de tout doute raisonnable.

Le sénateur Baker a parlé de l'affaire Ahenakew, dans laquelle le défendeur avait dit que les juifs étaient une maladie. Il a affirmé que les Juifs étaient responsables de la Seconde Guerre mondiale, et il a fait l'apologie d'Adolf Hitler. Il a été acquitté parce que, selon l'article 319 du Code criminel, l'intention doit être prouvée, ce qui ne fut pas le cas.

Voilà le type d'affaires qui pourraient être convenablement traitées à un échelon moins élevé, par les commissions des droits de la personne, par exemple, et qui ne seraient pas alors soumises à un fardeau de la preuve si élevée. Voilà pourquoi ces commissions ont été créées. Elles ont un rôle crucial à jouer : promouvoir la tolérance et le respect au sein de la société canadienne. Les propos haineux affaiblissent le tissu social, et les commissions sont là pour empêcher que cela arrive. Elles ont pour mission de prévenir la discrimination et la violence avant même que de tels actes soient posés.

Il y aurait place à amélioration en ce qui concerne l'application de la loi et de l'article 13; si c'est le cas, corrigeons les lacunes. La sénatrice Jaffer a parlé des sanctions prévues à l'article 54. De telles peines ne semblent pas appropriées dans le contexte de l'application de la loi relativement aux droits de la personne. Si c'est vrai, on peut faire de tels changements, et d'autres modifications peuvent aussi être apportées. En fait, j'estime que nous devons renforcer divers aspects des lois de protection des droits de la personne.

Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. N'écartons pas des dispositions simplement parce que le Code criminel suffit et parce qu'il sera toujours temps d'apporter d'autres changements. Il vaudrait mieux ne pas y toucher et examiner la question plus en profondeur avant de prendre une telle décision.

Qui plus est, et la sénatrice Jaffer vient tout juste d'en parler, certaines dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne — celles visant l'âge, le sexe et le handicap, par exemple — ne sont pas visées par les dispositions du Code criminel sur la propagande haineuse, et un grand nombre de personnes, pensons aux femmes, aux gais et aux autres groupes vulnérables et marginaux de la société, pourraient être la cible de messages haineux.

Nous avons besoin de l'article 13 pour continuer à lutter contre la discrimination et la diffamation.

En terminant, j'aimerais proposer un nouvel amendement. Le libellé est presque identique à celui de la motion de la sénatrice Jaffer, sauf qu'il ajoute l'identité sexuelle, car c'est également un motif de discrimination.

Motion d'amendement

L'honorable Art Eggleton : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-304 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à l'article 1, à la page 1, par suppression des lignes 4 à 11;

b) à l'article 2, à la page 1, par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« 1. Le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est remplacé par ce qui suit :

13. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des question susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de l'identité de genre. »;

c) à l'article 3, à la page 1, par suppression des lignes 13 à 17;

d) à l'article 4 :

(i) à la page 1, par suppression des lignes 18 à 23,

(ii) à la page 2, par suppression des lignes 1 et 2;

e) à l'article 5, à la page 2, par suppression des lignes 3 à 10;

f) à l'article 6, à la page 2, par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :

« 2. La présente loi entre en vigueur un an ».

Son Honneur le Président : Débat.

(1550)

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, contrairement au sénateur Baker, j'aimerais disposer de 45 minutes, mais je pense que je suis limitée à 15 minutes et je vous exposerai donc mes observations de façon efficace.

Je veux en finir avec l'idée que nous allons jeter le bébé avec l'eau du bain. Le bébé est dans l'océan et la baignoire n'a plus d'importance. Le problème tient au fait que nos dispositions législatives sont désuètes et qu'il faut se pencher sur l'article 13, ce qui n'a pas été fait depuis longtemps. Chaque fois que quelqu'un parle d'abroger l'article 13, nous refusons de le faire et nous disons qu'il faut le conserver. Nous disons ensuite que nous allons examiner la situation dans son ensemble, mais nous ne le faisons jamais. Nous nous en allons et nous nous assoyons sur nos lauriers en disant que nous avons sauvé l'article 13. Cet article n'est ni moderne, ni efficace et ce n'est pas vraiment le moyen qui permet à la population canadienne d'aborder le problème de la propagande haineuse.

Nous soutenons que la Loi sur les droits de la personne est importante. Le travail effectué par la Commission des droits de la personne revêt une grande valeur au Canada. Il nous distingue des autres. Cependant, nous devons aussi nous pencher maintenant sur la commission pour la moderniser. Si cela n'a pas été fait, c'est en partie parce que, comme Mme Jennifer Smith l'a dit au comité il y a un certain temps, l'article 13 attire tellement d'attention que personne ne semble vouloir s'intéresser à ce qui concerne la Commission des droits de la personne et les tribunaux qui y sont rattachés.

Des modifications, comme le retrait des peines, ont été apportées au coup par coup, mais ce sont les tribunaux qui l'ont fait, pas nous. Nous n'avons pas examiné de façon approfondie les articles du Code criminel qui portent sur les propos haineux parce que nous estimons que l'article 13 contient des équivalents.

Honorables sénateurs, j'ai examiné et appuyé l'article 13 car il représentait la dernière étape avant le Code criminel. Au moins quatre gouvernements ont déclaré qu'ils examineraient la loi et la mettrait à jour, mais ils ne l'ont pas fait. J'en suis arrivée à la conclusion que, à moins de secouer le Canada et de modifier cet article en profondeur, nous n'obtiendrons jamais le genre de loi dont nous avons besoin.

Penchons-nous sur la façon dont l'article 13 s'est retrouvé dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'aimerais d'abord déclarer que, selon moi, le débat que nous avons tenu sur les propos haineux et la liberté d'expression nous éloigne du véritable enjeu.

À l'époque où il y avait énormément de brouhaha au sujet des droits de la personne, il a fallu un certain temps pour en arriver à la version initiale du projet de loi. Avant cela, en 1966, le rapport du Comité spécial de la propagande haineuse au Canada avait bien résumé la situation en ces mots :

[...] les Canadiens, membres de groupes identifiables au Canada, ont le droit de jouir des libertés et des privilèges des citoyens canadiens, protégés contre toute propagande de haine odieuse et méthodique. Dans une société démocratique, la liberté de parole n'implique pas le droit de diffamation.

Voilà une déclaration sur laquelle j'insiste, et que je cautionne.

On a dit que le Président du Sénat, l'honorable sénateur Kinsella, a pris le temps d'intervenir au sujet de ce projet de loi. Il a parlé non seulement des commentaires qui ont été prononcés au Sénat, mais aussi du fait que des commissions des droits de la personne et des tribunaux avaient été mis sur pied pour traiter de cas de discrimination au travail et de pratiques d'accommodement.

Le Tribunal canadien des droits de la personne décrit ainsi son travail sur son site web :

La Loi canadienne sur les droits de la personne a pour objet de protéger les personnes contre la discrimination. Elle énonce que tous les Canadiens ont droit à l'égalité des chances, au traitement équitable et à un environnement exempt de discrimination. Le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) applique ses principes aux causes que lui soumet la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Il s'apparente à une cour de justice, mais il a un caractère moins officiel et il n'instruit que les causes portant sur la discrimination.

L'institution concernée a pour but de fournir des recours civils aux personnes lésées par d'autres. D'après mon expérience, les institutions de ce genre s'acquittent de leur mandat conformément aux normes les plus rigoureuses. L'article 13 est cependant un anachronisme dans le cadre de ce mandat. Je reviens au moment où la commission a été mise sur pied. Il est intéressant de signaler qu'on songeait depuis un certain temps à la créer aux fins que je viens d'énumérer. Selon les annales parlementaires, il semble toutefois qu'au moment où la loi a été adoptée, l'article 13 y a été inséré pour régler le problème de l'utilisation du téléphone par des particuliers et des groupes pour diffuser des messages haineux.

Dans des mémoires présentés au Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes en 1977, avant l'adoption de la loi créant la Commission canadienne des droits de la personne, le ministre de la Justice de l'époque, l'honorable Ronald Basford, a formulé les observations suivantes au sujet de l'article 13 proposé :

L'article 13 porte sur les messages haineux, et il existe en grande partie à cause de ce qui se passe à Toronto [...] où certains groupes extrémistes se sont mis à enregistrer des messages haineux au téléphone. C'est un effort, équilibré, à mon avis, pour mettre fin à cette situation. Je pense que les mots clés à retenir, en ce qui concerne les messages haineux, c'est qu'ils doivent être communiqués par téléphone de façon répétée. J'insiste sur les mots « de façon répétée », parce qu'ils signifient qu'il doit s'agir d'une tendance, d'un comportement typique.

L'ex-ministre Basford a ajouté ceci :

[...] ce qu'on cherche, c'est un moyen d'empêcher de tels messages qui, je dirais, ne visent aucun objectif social.

Honorables sénateurs, il est évident que cet article ne faisait pas partie du processus visant à promouvoir les droits de la personne. Cependant, au moment où il a été adopté, il existait un problème à Toronto, et les parlementaires, de par leur nature, cherchaient une solution au problème, en ont trouvé une et en ont fait l'article 13 du projet de loi de 1977. Je félicite le ministre de la Justice d'alors, M. Basford, de son ouverture et de sa franchise en la matière.

Rien n'a changé. Personne n'a évalué cet article. Un autre amendement a été apporté lorsqu'un ensemble d'amendements a été proposé le 15 octobre 2001 en réponse aux événements du 11 septembre 2001, avec les mesures qui portaient atteinte à la vie privée que le gouvernement avait présentées à l'époque.

On a beaucoup débattu pour savoir si ces mesures risqueraient d'être inutilement discriminatoires envers un groupe communautaire ou une religion. Un communiqué de presse du gouvernement publié à l'époque indiquait ce qui suit :

[...] Les mesures nécessaires ciblent les personnes et les activités qui portent atteinte à la sécurité et au bien-être des Canadiens. Il s'agit d'une lutte contre le terrorisme et non d'une lutte contre une communauté, un groupe ou une confession religieuse. La diversité constitue l'une des plus grandes forces du Canada et le gouvernement du Canada prend des mesures pour la protéger.

Un autre amendement portait non seulement sur les télécommunications et la lutte au terrorisme, mais sur Internet et d'autres outils du genre.

Honorables sénateurs, nous n'avons pas abordé le problème de la haine en dehors des dispositions du Code criminel de façon systématique, appropriée et moderne.

(1600)

Je remercie la sénatrice Jaffer d'avoir souligné les commentaires qui ont été faits au sujet du rapport sur la cyberintimidation. Nous avons formulé six recommandations, qui portaient toutes sur la cyberintimidation. Nous ne pensions toutefois pas pouvoir faire grand-chose. Nous nous sommes demandé s'il était possible de lutter contre la cyberintimidation en modifiant le Code criminel ou en utilisant d'autres moyens. On nous a dit qu'il faudrait mettre l'accent sur l'éducation, le renforcement des collectivités et la collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Les six recommandations ont été approuvées à l'unanimité par le comité.

Je pensais que, au fil des décennies, nous pourrions lutter contre les problèmes liés à la haine au Canada au moyen de techniques et d'instruments modernes. Nous ne l'avons pas fait. Nous avons tenté de protéger l'article 13, qui ne porte que sur les messages électroniques; il n'englobe pas toutes les autres méthodes utilisées dans une société moderne pour propager la haine.

Il est intéressant de constater que peu de gens ont parlé de l'article 13 lorsque nous avons étudié la question de la cyberintimidation et l'utilisation d'Internet. Il s'agit d'un phénomène mondial, qui échappe bien souvent à la répression policière. Comme le sénateur Baker l'a fait remarquer, le gouvernement a fait une proposition, mais il n'y a pas donné suite. C'était à tout le moins une tentative de sa part.

Honorables sénateurs, nous pouvons décider de continuer à protéger l'article 13 et dire que nous avons fait notre travail et que nous luttons contre le problème de la haine au Canada. Toutefois, je ne pense pas que ce serait vrai. Je pense qu'il est temps d'examiner la question dans son ensemble. Il faut réviser le Code criminel.

La sénatrice Nancy Ruth a soulevé d'excellents points. Le Code criminel présente des lacunes. C'est peut-être dû au fait que nous continuons à dire que l'article 13 est suffisamment efficace, alors que ce n'est pas le cas.

Les provinces et les territoires de l'Ouest se sont réunis dernièrement. Ils mettent l'accent sur la sensibilisation. Ils forment les enseignants pour qu'ils puissent détecter l'intimidation à un très jeune âge, avant que le problème ne nécessite le recours au Code criminel et à d'autres lois.

Honorables sénateurs, nous pourrions parler des raisons pour lesquelles le projet de loi C-304 nous est soumis et de ce qui arrivera si l'article 13 est abrogé. Eh bien, nous disposons d'un an. Nous devons nous pencher sérieusement sur le problème de la propagande haineuse et de ce que nous devrions faire pour les enfants dans la société d'aujourd'hui. L'objet du débat est un article de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui a été adoptée en 1977. Cet article a miné le bon travail accompli par la Commission des droits de la personne et, je suis désolée de devoir le dire, n'a pas été très utile pour lutter contre le problème de la haine et de la propagande haineuse.

En fait, je crois que certaines affaires qui ont été soumises à la Commission des droits de la personne auraient dû faire l'objet de poursuites en vertu du Code criminel. Hier, l'Association canadienne des libertés civiles a fait valoir un argument très difficile à réfuter. Selon elle, la Commission des droits de la personne a souvent eu à se pencher sur des affaires qui auraient dû être du ressort des tribunaux pénaux. Il n'y avait pas matière à conciliation dans ces affaires. Les parties n'étaient pas prêtes à s'écouter l'une l'autre pour arriver à un compromis. Les mis en cause n'étaient pas le genre de personnes qui étaient réceptives aux interventions de nature civile. Ce sont des gens qui voient le monde de manière arbitraire et qui, peu importe ce que nous faisons, et même si nous leur intentons un procès en vertu du Code criminel, s'accrocheront à leurs croyances. Dans l'affaire Whatcott, les interventions n'auront été aucunement utiles comme outils de prévention.

Honorables sénateurs, il est important de voir au-delà de l'article 13. Je crains que nous considérions le maintien de cet article comme un objectif en soi et que nous rentrions chez nous par la suite avec la satisfaction du devoir accompli, en nous disant que avons aidé la société canadienne et que nous avons donné le meilleur de nous- mêmes en tant que parlementaires. Ce ne sera pas le cas. Ce problème existe depuis des années. Le débat actuel incitera peut-être le gouvernement, la Chambre des communes et le Sénat à prendre de véritables mesures préventives contre la haine et la propagande haineuse. Ces mesures pourraient faire appel à la Commission des droits de la personne ou au Code criminel, mais je pense qu'elles devraient être indépendantes des autres dispositions et comporter des procédures conçues spécialement pour lutter contre ce problème.

Honorables sénateurs, j'entends appuyer le projet de loi, non pas pour les raisons qu'ont données certains de mes collègues, mais parce que cela nous obligera à faire quelque chose à l'intérieur d'un délai d'un an. Si le gouvernement ne réagit pas rapidement, le Comité sénatorial des droits de la personne ou le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, voire un comité spécial, devrait entreprendre d'élaborer un système cohérent et sensé, qui aidera les jeunes. Cela fait défaut à l'heure actuelle et l'article 13 n'est pas la solution dans la société moderne d'aujourd'hui.

Le sénateur Eggleton : Les sénateurs accordent-ils une prolongation de cinq minutes?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Eggleton : La sénatrice dit qu'il y a un délai d'un an. Elle semble se distancier du gouvernement, mais elle occupe une banquette ministérielle et fait partie du caucus du gouvernement. Qu'entend faire le gouvernement durant ce délai d'un an?

La sénatrice Andreychuk : Le gouvernement tente de faire ce que d'autres gouvernements dans le monde font déjà et que notre Comité sénatorial des droits de la personne tente tant bien que mal de faire. Les propos haineux ont toujours été prononcés à l'oral ou à l'écrit, mais soudainement, Internet est venu offrir la possibilité de perpétrer la haine à l'échelle du monde.

Je doute que quiconque ait la solution. Vous constaterez que nous sommes passés des télécommunications à Internet, et nous savons maintenant que ce phénomène est beaucoup plus omniprésent dans les médias sociaux tels que Twitter et Facebook. Nous savons aussi que le conditionnement social a évolué. Les jeunes mettent sur Internet des choses qui sont répétées encore et encore. Ce n'est plus maîtrisable de la même façon qu'auparavant.

Je ne me distancie pas du gouvernement. Je veux que le gouvernement m'écoute, car je crois que le comité sénatorial a fait du bon travail. Certains d'entre nous sont tiraillés par cette question. Les sénateurs Kinsella, Oliver et moi parlons de questions relatives aux droits de la personne et de la haine au Sénat depuis deux décennies déjà, dois-je dire à regret. Il est temps de prendre la situation en main, de faire pression auprès du gouvernement et de lui adresser des recommandations.

Il y a des lois régissant les systèmes électroniques. Ce n'est pas ma spécialité. Le gouvernement y a consacré beaucoup de temps, et je pense qu'il devrait en consacrer davantage. En attendant, je pense qu'on peut s'entendre sur une approche plus cohérente que celle d'abroger l'article 13 en affirmant qu'on fera les ajustements qui s'imposent dans le Code criminel. Il est trop tard pour cela. La génération suivante mérite mieux que cela.

Je remercie le sénateur Eggleton des questions qu'il a posées au Comité des droits de la personne. Comment pouvons-nous mieux faire? À mon avis, on peut faire mieux que l'article 13.

Le sénateur Eggleton : Peut-être pouvons-nous faire mieux, mais ne devrions-nous pas maintenir l'article 13 en attendant d'avoir une nouvelle disposition pour le remplacer? La sénatrice Andreychuk affirme qu'après avoir passé des années à parler, en vain, de la question, il faut enfin s'attaquer aux discours haineux. Normalement, on n'abroge pas une disposition avant d'avoir quelque chose d'autre à proposer, surtout dans un dossier aussi important.

La sénatrice Andreychuk : On nous a fait valoir que le processus de la Commission des droits de la personne est très coûteux et qu'il impute le fardeau de la preuve aux particuliers, et qu'il faut attendre au moins huit mois pour qu'une cause commence. Je pense qu'en l'absence de l'article 13, on pourrait réagir plus rapidement aux discours haineux que ne le peut la Commission des droits de la personne.

Deuxièmement, l'article 13 s'applique seulement à certains cas très particuliers. En cas de crise, je suppose qu'on pourrait adopter une mesure, même imparfaite, comme l'ont fait d'autres parlements. Ma confiance s'est évaporée car j'ai demandé à maintes reprises que l'on modifie l'article 13. Tout le monde me dit qu'il sera amélioré, mais rien n'a encore été fait.

Ce que j'aimerais aujourd'hui...

(1610)

Une voix : C'est votre parti qui est au pouvoir.

La sénatrice Andreychuk : Je ne parle pas seulement de mon parti, mais de celui qui nous a précédés aussi. En 1999, Anne McLellan a envisagé d'apporter des modifications à la Commission des droits de la personne. Rien n'a abouti.

Nous pourrions en rester là et ne pas toucher à cet article, dont la portée est très étroite et qui n'a jamais été utilisé de manière appropriée, et tous rentrer chez nous. Je propose plutôt que nous nous dotions d'une stratégie que nous pourrions mettre en œuvre à notre retour. Je sais qu'il y des sénateurs ici aujourd'hui que cela pourrait intéresser.

La sénatrice Jaffer : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Andreychuk : Bien sûr, à condition que le temps le permette.

La sénatrice Jaffer : Je remercie la sénatrice d'avoir fait l'historique de l'article 13. Je suis sensible à son argumentaire quand elle dit qu'en y apportant des modifications au coup par coup, nous avons rendu l'article 13 moins efficace que ce qu'il aurait pu être.

Cependant, au lieu de l'abroger, ne devrions-nous pas profiter de l'occasion que nous fournit ce projet de loi pour entamer une vaste discussion sur la manière dont l'article 13 pourrait être renforcé et amélioré et dont nous pourrions « endiguer l'océan de haine qui inonde notre société », comme elle le dit elle-même? Si on demandait aux sénateurs d'étudier l'article 13 au cours de la prochaine année, cela ne reviendrait-il pas à lancer le mouvement de réforme que réclame la sénatrice?

La sénatrice Andreychuk : Je ne crois pas, avec tout le respect que je dois à la sénatrice. Nous avons déjà étudié la question de la cyberintimidation, et c'est un des aspects du problème. Or, nous devons aussi nous pencher sur les lois qui traitent d'Internet et d'antiterrorisme. La sénatrice sait ce qui arrive aux données de nos jours, et il s'agit d'un problème bien plus grave que l'article 13. Selon moi, nous ferions mieux d'envisager la situation dans son ensemble au lieu de nous contenter de régler un petit problème à la fois.

Son Honneur le Président : Poursuivons-nous le débat? Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le premier vote porte sur la motion d'amendement proposée par le sénateur Eggleton, avec l'appui du sénateur Robichaud :

Que le projet de loi C-304 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié [...]

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Je souligne qu'il s'agit d'ajouter l'identité de genre aux motifs illicites de discrimination dans la Loi canadienne des droits de la personne. La motion est-elle claire, honorables sénateurs?

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion d'amendement veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Les whips m'ont avisé que la sonnerie retentirait pendant 30 minutes. Le vote aura donc lieu à 16 h 40.

Convoquez les sénateurs.

(1640)

La motion d'amendement du sénateur Eggleton, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Joyal
Callbeck Lovelace Nicholas
Campbell Mercer
Cordy Merchant
Cowan Mitchell
Dallaire Moore
Dawson Munson
Day Nancy Ruth
De Bané Rivest
Downe Robichaud
Dyck Segal
Eggleton Smith (Cobourg)
Fraser Tardif
Hervieux-Payette Watt
Hubley Zimmer—31
Jaffer

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Manning
Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Bellemare McInnis
Beyak McIntyre
Black Meredith
Boisvenu Mockler
Braley Neufeld
Buth Ngo
Carignan Ogilvie
Champagne Oh
Comeau Oliver
Dagenais Patterson
Demers Plett
Doyle Poirier
Eaton Raine
Enverga Rivard
Fortin-Duplessis Seidman
Frum Seth
Gerstein Smith (Saurel)
Greene Stewart Olsen
Housakos Unger
Lang Verner
LeBreton Wallace
MacDonald Wells
Maltais White—52

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Nolin—1

(1650)

Son Honneur le Président : La motion proposée par la sénatrice Jaffer, appuyée par le sénateur Munson, que le projet de loi C-304 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié par...

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Les whips ont-ils une recommandation à faire?

Le sénateur Munson : Maintenant.

La sénatrice Marshall : Maintenant.

Le sénateur Munson : Vous croyez? Très bien. Maintenant, c'est d'accord.

Son Honneur le Président : C'est entendu, honorables sénateurs, je vais maintenant mettre la question aux voix. Le vote porte sur la motion proposée par la sénatrice Jaffer, appuyée par le sénateur Munson, que le projet de loi C-304 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié par...

La motion d'amendement de la sénatrice Jaffer, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Joyal
Callbeck Lovelace Nicholas
Campbell Mercer
Cordy Merchant
Cowan Mitchell
Dallaire Moore
Dawson Munson
Day Nancy Ruth
De Bané Rivest
Downe Robichaud
Dyck Segal
Eggleton Smith (Cobourg)
Fraser Tardif
Hervieux-Payette Watt
Hubley Zimmer—31
Jaffer

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Manning
Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Bellemare McInnis
Beyak McIntyre
Black Mockler
Boisvenu Neufeld
Braley Ngo
Buth Ogilvie
Carignan Oh
Champagne Oliver
Comeau Patterson
Dagenais Plett
Demers Poirier
Doyle Raine
Eaton Rivard
Enverga Seidman
Fortin-Duplessis Seth
Frum Smith (Saurel)
Gerstein Stewart Olsen
Greene Unger
Housakos Verner
Lang Wallace
LeBreton Wells
MacDonald White—51
Maltais  

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Meredith Nolin—2

Son Honneur le Président : Le vote porte sur la motion du sénateur Carignan, appuyée par la sénatrice Poirier, portant que le projet de loi C-304 soit lu pour la troisième fois. Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Quand le vote aura-t-il lieu?

La sénatrice Marshall : Maintenant.

Le sénateur Munson : Encore une fois. Allons-y. C'est le moment ou jamais.

Son Honneur le Président : Le whip du gouvernement et le whip de l'opposition ayant fait leur suggestion, nous allons procéder au vote. Je rappelle aux sénateurs que le vote porte sur la motion du sénateur Carignan, appuyée par la sénatrice Poirier, portant que le projet de loi C-304 soit lu pour la troisième fois.

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Manning
Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Beyak McInnis
Black McIntyre
Boisvenu Mockler
Braley Neufeld
Buth Ngo
Carignan Ogilvie
Champagne Oh
Comeau Patterson
Dagenais Plett
Demers Poirier
Doyle Raine
Eaton Rivard
Enverga Seidman
Fortin-Duplessis Seth
Frum Smith (Saurel)
Gerstein Stewart Olsen
Greene Unger
Housakos Verner
Lang Wallace
LeBreton Wells
MacDonald White—49
Maltais  

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Joyal
Callbeck Lovelace Nicholas
Campbell Mercer
Cordy Merchant
Cowan Mitchell
Dallaire Moore
Dawson Munson
Day Nancy Ruth
De Bané Nolin
Downe Rivest
Dyck Robichaud
Eggleton Segal
Fraser Smith (Cobourg)
Hervieux-Payette Tardif
Hubley Watt
Jaffer Zimmer—32

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Bellemare Oliver—3
Meredith

(1700)

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Avant de passer au prochain article, j'aimerais préciser que, comme plusieurs de mes collègues, j'ai voté en l'honneur du sénateur Doug Finley, notre regretté collègue.

Des voix : Bravo!

La Loi sur la gestion des finances publiques

Projet de loi modificatif—Le vingt-quatrième rapport du Comité des finances nationales—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Day, appuyée par l'honorable sénateur Mercer, tendant à l'adoption du vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales (projet de loi S-217, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (emprunts de fonds), avec une recommandation), présenté au Sénat le 20 juin 2013.

L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour exprimer mon désaccord avec le rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales sur le projet de loi S-217, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (emprunts de fonds).

J'aimerais d'abord remercier les sénateurs Day, Callbeck, Chaput et Dallaire de leurs discours réfléchis à l'appui de l'avancement du projet de loi S-217.

Bien que j'apprécie le travail du comité et de ses membres, le moins que je puisse dire est que les arguments présentés dans le rapport sur le projet de loi S-217 sonnent faux.

Le rapport du comité tente en vain d'expliquer ce que le comité a entendu lors de son étude qui l'a convaincu de la nécessité d'arrêter l'examen du projet de loi.

Le rapport décrit ce qui a été dit par les témoins du gouvernement, les mêmes personnes qui ont glissé en douce cette modification dans la Loi d'exécution du budget de 2007. Il y avait d'autres témoins qui ne partageaient pas l'opinion du gouvernement. Il semble que le retour du pendule soit un peu trop fort, ce qui est nuisible au processus que le projet de loi S-217 tente de corriger, mais aussi au processus en vertu duquel nous étudions les mesures législatives.

Je récapitule les arguments invoqués dans le rapport.

Tout d'abord, le comité a appris que le régime actuel d'obtention de l'autorisation d'emprunter permet une gestion budgétaire plus efficiente, plus souple, plus réactive et plus prudente ainsi qu'une meilleure transparence et une reddition de comptes plus efficace que le cadre précédent, c'est-à-dire celui que le projet de loi S-217 vise à rétablir. Selon les témoignages, c'est grâce au processus actuel d'obtention du pouvoir d'emprunter que le Canada a eu les coudées franches pour réagir à la crise financière mondiale.

Les témoins du gouvernement ont témoigné de la réalité de ce fait. Comme je l'ai déjà dit, ce sont pourtant eux qui ont apporté le changement à la base. Quant aux autres témoins, ils ont affirmé que le Parlement est tout à fait apte à réagir à une situation de crise, étant donné que les deux Chambres, au titre de leur règlement respectif, peuvent le reconvoquer si nécessaire.

Des témoins ont aussi déclaré que rien ne peut être plus transparent que le Parlement. Après tout, le fait pour les députés et les sénateurs de débattre des projets de loi sur l'obtention de l'autorisation du pouvoir d'emprunter constitue la forme suprême de reddition de comptes.

Des témoins ont aussi soutenu que le Parlement serait intervenu en temps opportun en 2008. Les témoins du gouvernement ont évoqué une fenêtre de deux semaines pour réagir à la crise. Le Parlement serait tout à fait à même de respecter cette échéance; nous le savons puisque nous l'avons déjà fait.

Lorsque Peter Devries a parlé au comité de ce qui s'est passé pendant les années 1990, il a expliqué ce qui suit :

C'était une situation que je qualifierais d'aussi extrême que celle à laquelle nous venons de faire face; mais nous nous en sommes sortis avec la Loi sur le pouvoir d'emprunt. Nous avons pu faire adopter une loi sur le pouvoir d'emprunt par le Parlement. Nous avons pu gérer nos affaires pendant une période très tendue.

Le deuxième point traité dans le rapport concerne le fait que, selon ce qu'a entendu le comité, le régime actuel impose davantage d'exigences en matière de divulgation relativement aux emprunts que l'État entend contracter et à l'usage prévu des fonds empruntés. Cela se fait notamment par l'intermédiaire de la stratégie de gestion de la dette, qui est incluse dans le budget et qui fait donc chaque année l'objet d'un débat et d'un vote à la Chambre des communes. Les témoins ont expliqué au comité que la stratégie de gestion de la dette fournit de l'information sur les besoins financiers prévus et les exigences d'emprunt et de remboursement ainsi que sur les prêteurs à qui on prévoit s'adresser et la manière dont on entend utiliser les fonds. Ils ont dit que ces renseignements forment la base du document que le ministre des Finances présente au gouverneur en conseil afin d'obtenir l'autorisation du pouvoir d'emprunter.

La stratégie de gestion de la dette existait avant 2007, c'est donc un subterfuge.

Le rapport indique que la « stratégie de gestion de la dette forme la base de la présentation sur le pouvoir d'emprunt que le ministre des Finances soumet au gouverneur en conseil ». Le rapport devrait plutôt dire que ce document « forme la base de la présentation sur le pouvoir d'emprunt que le ministre des Finances soumet au Parlement », soit le processus que nous avons suivi à juste titre pendant 140 ans, jusqu'en 2007.

Bref, honorables sénateurs, il serait possible de maintenir les exigences de divulgation accrue tout en présentant un projet de loi au Parlement, ce qui, de l'avis de certains témoins, constituerait une preuve de transparence encore plus grande.

Le troisième point du rapport indique que l'on a aussi informé le comité qu'en plus de publier la stratégie de gestion de la dette, le gouvernement doit présenter un rapport sur la gestion de la dette. Le rapport fait une conciliation entre les projections de la stratégie et les besoins réels du gouvernement. Tout comme la stratégie, le rapport est mis à la disposition du public et des parlementaires. On a également indiqué au comité qu'en vertu du cadre actuel, le rapport sur la gestion de la dette doit être publié dans les 30 jours après la publication des Comptes publics de l'année en cours, soit 15 jours plus tôt qu'en vertu de l'ancien cadre.

Le rapport sur la gestion de la dette, tout comme la stratégie de gestion de la dette, existait avant 2007, mais il continuera d'être déposé au Parlement une fois l'emprunt fait. Les témoins du gouvernement n'ont fourni aucune raison expliquant pourquoi le rapport ne pouvait être déposé en même temps qu'on présentait le projet de loi sur le pouvoir d'emprunt au Parlement, comme on le faisait avant 2007.

Voilà un autre subterfuge.

En outre, il serait possible d'amender le projet de loi S-217 de manière à permettre une publication encore plus rapide, dans les 15 jours après la publication des Comptes publics, si c'est la rapidité qu'on recherche avant tout.

Le quatrième point indique que le comité note aussi que le projet de loi S-217, dans sa forme actuelle, ne contient pas de disposition d'entrée en vigueur. Cette omission représente une importante préoccupation d'ordre structurel pour certains membres du comité. Si le projet de loi recevait la sanction royale dans sa forme actuelle, les modifications proposées à la Loi sur la gestion des finances publiques seraient immédiates. À mon avis, la bonne chose à faire serait d'apporter immédiatement les modifications nécessaires afin de rétablir le statu quo, car, comme l'ont dit des témoins, le statu quo a fonctionné pendant 140 ans sans aucun problème.

(1710)

En ce qui concerne le cinquième point, il est également important de noter que le processus relatif au pouvoir d'emprunt a changé plusieurs fois au cours des 50 dernières années. Divers gouvernements ont essayé de mettre en place un processus qui établit un juste équilibre entre la surveillance parlementaire et l'efficacité ainsi que la souplesse. Le comité est d'avis que le processus actuel établit un juste équilibre entre ces deux objectifs souvent divergents.

Honorables sénateurs, avant 2007, la dernière fois que des modifications avaient été apportées au processus relatif au pouvoir d'emprunt, c'était en 1975, lorsque le règlement a été modifié afin de permettre un débat indépendant sous forme de projet de loi portant pouvoir d'emprunt, distinct du budget des dépenses. La modification apportée à l'époque ne visait pas à abolir la surveillance parlementaire, mais au contraire à la renforcer afin d'accroître la transparence.

Honorables sénateurs, Lori Turnbull nous a expliqué ce que signifie l'équilibre entre le gouvernement et le Parlement. Ses propos méritent d'être cités, car elle dit exactement le contraire du gouvernement. Voici ce qu'elle a déclaré :

Si nous nous penchons trop vers le modèle de l'efficience, alors la démocratie devient encombrante et le Parlement nous encombre, et nous ne voulons pas nous trouver dans cette situation, dans une situation où on n'accorde pas la juste valeur à l'examen et à l'approbation parlementaires.

Cette citation reflète parfaitement la limitation actuelle de l'examen parlementaire en ce qui a trait au pouvoir d'emprunt et rejoint le débat d'aujourd'hui, à savoir que nous ne procédons pas à un examen adéquat du projet de loi S-217 si nous acceptons la recommandation de ce rapport majoritaire.

Je ne crois pas que nous devrions, en tant que parlementaires, prendre l'habitude d'interrompre une étude à cause d'un seul aspect de la question. Les tribunaux ne fondent pas leurs décisions uniquement sur les arguments de la Couronne, ils tiennent aussi compte des arguments de la défense. C'est cela, un équilibre.

Comme l'a mentionné un témoin, les projets de loi portant sur le pouvoir d'emprunt sont de nature financière, et ce type de projet de loi doit faire l'objet de débats au Parlement. C'est l'un des principes fondamentaux de notre système parlementaire. C'est pour cela que le Parlement a été créé. Comme l'a dit notre ancien collègue, le sénateur Tommy Banks :

Pendant 140 ans, soit de 1867 à 2007, les gouvernements — c'est-à-dire les ministres — ont compris et respecté les importantes conventions relatives à l'emprunt et à l'affectation de grosses sommes d'argent. C'est le fondement même, le seul point en fait, des événements qui ont eu lieu à Runnymede en 1215, lorsque la notion de gouvernement responsable a fait surface pour la première fois.

Honorables sénateurs, ce n'est pas un simple changement administratif ni un ajustement à la façon dont tel ou tel programme est mis en œuvre. La surveillance par le Parlement du pouvoir d'emprunt et de l'affectation de fonds est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui.

Honorables sénateurs, je ne crois pas que le gouvernement ait présenté des arguments qui justifient la conclusion qui se dégage du rapport majoritaire dont nous sommes saisis. Je ne crois pas que les témoins du gouvernement aient été en mesure de justifier les changements qui ont été apportés en 2007.

Honorables sénateurs, pendant que je préparais mon discours d'aujourd'hui, j'ai pensé à quelque chose. Que serait-il arrivé si, en 2007, le gouvernement avait présenté au Parlement un projet de loi distinct et s'il avait demandé à obtenir le pouvoir d'emprunt contenu dans le projet de loi C-52? Qu'est-ce qui se serait passé? Quelle aurait été la réaction du Parlement lorsque le gouvernement lui aurait proposé de lui retirer son pouvoir d'emprunt? Si l'on se fonde sur les raisons que le gouvernement nous a fournies aujourd'hui, je suis certain que la Chambre des communes et le Sénat auraient répondu par un « non » retentissant, car ces raisons n'auraient pas tenu la route en 2007, pas plus qu'elles ne la tiennent en 2013.

Réfléchissez simplement à cette approche : vous souhaitez empêcher le Parlement d'approuver les emprunts réalisés par le gouvernement au nom des Canadiens parce que, selon vous, cela permettra d'accroître la transparence, que nous en avons besoin en cas d'urgence et que d'autres personnes font la même chose. Nous aurions dit « non ». Nous aurions probablement crié « non » sur tous les toits et, honorables sénateurs, nous aurions eu raison. Nous aurions toujours raison aujourd'hui de veiller à ce que le Parlement conserve ce mécanisme de surveillance. Notre pays s'en tirera fort bien.

C'est pourquoi le gouvernement n'a pas présenté le projet de loi. Il savait que les gens s'y opposeraient. Les députés de la Chambre des communes ne l'auraient pas accepté. C'est pourquoi le gouvernement a agi en catimini.

Je crois que la surveillance parlementaire, sous la forme d'un pouvoir d'emprunt, permet d'accroître la transparence et la reddition de comptes et, qui plus est, elle peut être conforme au but initial du gouvernement en matière de souplesse et d'efficience. En résumé, honorables sénateurs, on peut gagner sur les deux tableaux, tout en maintenant le pouvoir suprême du Parlement d'approuver les emprunts réalisés par le gouvernement.

J'espère que les sénateurs seront d'accord avec moi et qu'ils rejetteront ce rapport. Il ne reflète pas les témoignages présentés au comité, et il est contre-indiqué de simplement mettre fin au débat sur le projet de loi S-217 en raison uniquement du point de vue du gouvernement. En tant que parlementaires, nous devrions obliger le gouvernement à rendre des comptes. Nous ne devons pas renoncer à nos responsabilités, qu'il s'agisse d'approuver la capacité d'emprunter du gouvernement ou de permettre la tenue d'un débat approprié dans cette enceinte. Après tout, le Parlement n'est-il pas l'endroit tout désigné pour justement discuter du Parlement?

Si le gouvernement veut confirmer qu'il respecte le rôle que le Parlement doit jouer, il devrait à tout le moins accepter que le Parlement tienne un débat approfondi sur le projet de loi S-217. Le fondement du pouvoir du Parlement est le principe du gouvernement responsable. En 1867, pour les Pères de la Confédération, cela signifiait que le Cabinet devait rendre des comptes à la Chambre des communes et que la Chambre des communes devait rendre des comptes à la population. Si le Sénat décide d'empêcher la poursuite de l'étude du projet de loi S-217, il contribuera à ce qu'on retire au Cabinet sa responsabilité envers la Chambre des communes, ce qui empêchera donc la Chambre des communes de rendre des comptes au public.

Nous sommes ici pour renforcer nos institutions démocratiques, pas pour les affaiblir. Nous sommes les gardiens des institutions parlementaires de notre pays et nous avons la responsabilité de les préserver afin qu'elles demeurent à tout le moins aussi solides que lorsqu'elles nous ont été confiées. En refusant de poursuivre l'étude du projet de loi S-217, nous éliminons l'un des piliers du gouvernement responsable. Par conséquent, j'invite tous les sénateurs à bien réfléchir et à voter contre les recommandations figurant dans ce rapport.

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, j'aimerais poser une question, mais avant, je tiens à féliciter mon collègue d'avoir effectué ces recherches et de nous avoir rappelé l'un des aspects essentiels de notre système démocratique, soit le fait que le Parlement doit approuver les fonds qui sont dépensés au nom des Canadiens.

Le sénateur sait-il si d'autres démocraties ont un système grâce auquel le gouvernement — au Cabinet, à l'exécutif — peut se donner la permission de dépenser des sommes qui n'ont pas fait l'objet d'un vote au Parlement?

Le sénateur Moore : Pas à ma connaissance. Lorsque je pense à ce qui s'est passé ici et aux fausses raisons qui ont été fournies, je suis très troublé. Cela va à l'encontre de tout ce que nous avons appris quand nous étions jeunes et que nous allions à l'école et de tout ce que nous avons appris dans nos cours d'éducation civique à propos de l'histoire et de la création de notre pays.

Peu importe qu'une telle mesure ait été adoptée à l'étranger, ce qui compte c'est ce que nous faisons pour la population canadienne. Qu'en est-il du gouvernement responsable? Je vois ici présents des gens originaires de la Nouvelle-Écosse; c'est en 1848, dans ma province, que l'idée d'un gouvernement responsable a pris racine au Canada, et nous ne pouvons pas laisser tomber les Canadiens. Nous ne pouvons pas trahir sir John. A. Macdonald, sir George-Étienne Cartier ou Joseph Howe.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je remercie le sénateur de sa réponse. En résumé, on peut dire que cette façon de faire est totalement viciée et ne permet aucunement l'examen des dépenses du gouvernement.

J'aimerais que le sénateur Moore rappelle à nos collègues le processus grâce auquel non seulement les parlementaires, mais aussi les Canadiens, sont mis au fait des projets, des pouvoirs d'emprunt et du rapport sur le budget. Un expert du ministère des Finances est venu l'expliquer au comité, mais j'aimerais que le sénateur mette surtout l'accent sur le processus qui devrait être suivi. Il semble que ce ne soit pas seulement le pouvoir d'emprunt qui soit vicié, mais l'ensemble du processus.

Le sénateur Moore : Pourrais-je avoir plus de temps, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Moore : Auparavant, le gouvernement élaborait un programme qui était présenté à la Chambre des communes. Il prévoyait en détail le processus, les montants que le gouvernement voulait emprunter, les taux d'intérêt souhaités et les marchés où il essaierait de contracter le prêt. Tous ces renseignements étaient communiqués à la Chambre des communes afin que les représentants du peuple puissent en être informés, les commenter et en débattre. C'est à la Chambre des communes de donner son approbation. Ensuite, on renvoie la question à la Couronne pour que ce soit le gouvernement qui prenne les mesures autorisées par la population, et non l'inverse. Nous ne devrions pas procéder ainsi; nous devrions revenir au système précédent.

(1720)

Le témoin du ministère des Finances a démontré très clairement que nous aurions pu composer avec le ralentissement économique de 2008-2009. Il a justifié son point de vue en disant que ce pouvoir nous permettait d'obtenir des fonds pour les sociétés d'État. Quand je lui ai posé des questions à ce sujet, il a dit que c'est ce que nous aurions pu faire à cette époque. Il a dit qu'il aurait fallu obtenir plus de fonds. J'ai acquiescé en lui indiquant cependant que ces fonds auraient pu être soumis à une approbation, ce qu'il a reconnu. Tous les arguments avancés à ce sujet n'ont tout simplement aucun sens et ne justifient pas l'abandon d'un tel pouvoir.

Quelle valeur accorderiez-vous à un élément aussi important de notre système démocratique? Les bureaucrates l'ont affaibli, mais je crois que c'est inacceptable et qu'il devrait être rétabli.

(Sur la motion du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)

La Loi sur les conflits d'intérêts

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Day, appuyée par l'honorable sénateur Moore, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi sur les conflits d'intérêts (cadeaux).

L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, j'aimerais dire quelques mots pour appuyer le projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi sur les conflits d'intérêts (cadeaux).

Le sénateur Day a épousé une juste cause en proposant le projet de loi S-222. Je crois que nous devrions être des plus transparents au sujet de l'objectif de ce projet de loi, qui est d'éliminer les échappatoires contenues dans la Loi sur les conflits d'intérêts; une proposition positive.

Honorables sénateurs, c'est la troisième fois que ce projet de loi est présenté, et je félicite le sénateur Day de ses efforts pour le mener à terme. Comme celui-ci l'a expliqué, il existe à l'heure actuelle une lacune dans le code qui fait qu'un ami, pour reprendre le terme actuellement utilisé, peut offrir un cadeau à un député, à un ministre ou à un sénateur sans que ce ne soit déclaré. Laisser le mot « ami » dans la loi place tous les parlementaires en situation délicate. Même si nous avons la certitude de respecter les règles, ces règles ne semblent peut-être pas transparentes aux yeux des Canadiens moyens. Par exemple, comme l'a dit le sénateur Day, même si le cadeau peut être raisonnablement perçu comme ayant été offert dans le but d'influencer le titulaire d'une charge publique dans l'exercice de ses pouvoirs, devoirs ou fonctions officielles, il demeure acceptable s'il vient d'un ami. Gare aux amis trop généreux, je suppose, c'est certain, mais nous devons éliminer l'impression que laisse le terme « ami ».

Ces temps-ci, tout est question de perception sur la Colline du Parlement. Il en est de même à l'étranger. Nous avons entendu des histoires de membres du Congrès et de sénateurs américains voyageant à bord de jets privés appartenant à ceux qui souhaitent les influencer en leur offrant des cadeaux. Nous ne sommes pas rendus là, de toute évidence, mais nous ne devons pas donner l'impression d'être dans le même bateau — ou le même jet, en l'occurrence. Nous nageons en eaux troubles. Nous sommes invités à des réceptions, des gens nous téléphonent pour discuter de projets de loi, on nous offre des billets pour des événements sportifs, et c'est sans compter les déplacements. Dans le climat actuel, et compte tenu du fait que les Canadiens ont parfois si peu d'attentes envers nous, ne serait-il pas mieux pour nous de commencer à être plus proactifs dans la gestion du code d'éthique?

Nous savons également que le seuil de 200 $ à partir duquel la déclaration est obligatoire pose problème aux yeux de la commissaire à l'éthique, qui a indiqué, dans son rapport annuel de 2012, que le seuil devrait être de 30 $ pour que les parlementaires prennent le code plus au sérieux, car, pour l'instant, tout ce qui est inférieur à 200 $ est considéré comme acceptable. Comme l'a indiqué le sénateur Day, un cadeau de 200 $ ou plus doit être déclaré sans délai à la commissaire à l'éthique. Un ensemble de cadeaux provenant d'un même donateur pendant une même année et totalisant 200 $ doit aussi être déclaré.

Au Royaume-Uni, honorables sénateurs, la règle veut que tout cadeau de 30 £ ou plus soit déclaré. Nous devrions peut-être chercher plutôt à fixer le seuil à environ 30 $ par cadeau. Je pense que nous plaçons la commissaire à l'éthique dans une situation quelque peu difficile. Les Canadiens ont probablement une perception différente de ce que signifie une contribution reçue d'un ami. Les Canadiens comprennent mal le rôle joué par la commissaire à l'éthique lorsqu'ils la voient essayer d'appliquer un code comportant de telles échappatoires.

Il est intéressant de souligner que, lorsqu'un cadeau est remis à un titulaire de charge publique, c'est-à-dire à l'un d'entre nous, quelle que soit la valeur de ce cadeau, il revient à la personne qui reçoit le cadeau de déterminer si celui-ci était destiné à l'influencer. La seule solution est essentiellement de ne jamais accepter un cadeau. Je crois qu'il faut rectifier cette situation. En laissant le mot « ami » dans la loi, il continuera d'y avoir une exception permettant de considérer qu'un cadeau n'est pas destiné à influencer le destinataire. C'est une exception qui autorise les abus et qui incite les gens à se faire une mauvaise opinion du Sénat. Par conséquent, il est évident que, pour remédier à ce problème, il faut supprimer le mot « ami » de la Loi sur les conflits d'intérêts.

Les Canadiens ne peuvent pas imputer la présence de cette échappatoire à la commissaire à l'éthique. Elle n'y est pour rien. C'est à nous qu'il revient d'agir. J'exhorte donc tous les sénateurs à appuyer ce projet de loi du sénateur Day.

L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, j'ai préparé des notes pour ce débat, mais je pense que je dois les revoir. Je serais prêt à prendre la parole demain. Par conséquent, je propose l'ajournement du débat.

(Sur la motion du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)

[Français]

Réponse différée à des questions orales

Consentement ayant été accordé de revenir au dépôt de réponses différées :

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer une réponse aux questions orales posées par l'honorable sénateur Moore, les 1er et 29 mai 2013, concernant la sécurité publique — la cybersécurité.

La sécurité publique

La cybersécurité

(Réponse aux questions posées les 1er et 29 mai 2013 par l'honorable Wilfred P. Moore)

Malgré l'environnement toujours changeant et les cybermenaces de plus en plus complexes, le gouvernement du Canada fait ce qu'il peut pour protéger les réseaux numériques, la prospérité économique et la sécurité nationale du Canada, ainsi que la qualité de vie des citoyens. Nos collectivités et tous nos secteurs des infrastructures essentielles dépendent des cybersystèmes sécurisés. La sécurité des réseaux cybernétiques est une responsabilité partagée, puisque chaque propriétaire et exploitant d'un système informatique doit prendre les mesures qui s'imposent pour se protéger.

Le gouvernement veille à la sécurité de l'information et des communications depuis des décennies. D'ailleurs, la sécurité de l'information fait partie des responsabilités de tous les ministères et organismes. Nous avons créé la Stratégie de cybersécurité du Canada pour mettre en place des mesures pangouvernementales concertées afin de faire face aux cybermenaces en évolution, et nous avons attribué à cette stratégie des fonds et des initiatives précis qui pourront tirer profit de notre très grande expertise dans ce domaine.

La Stratégie de cybersécurité du Canada, qui a été annoncée en octobre 2010, comptait sur un financement initial de 90 millions de dollars sur cinq années financières (2010-2011 à 2014-2015). Un montant additionnel de 155 millions de dollars, toujours sur cinq années financières (2011- 2012 à 2015-2016), a ensuite été annoncé en octobre 2012. Ces fonds ont été affectés justement pour mettre la Stratégie en œuvre. Ce nouveau financement d'un total de 245 millions de dollars s'inscrit dans la lignée des investissements en cours et de longue date du gouvernement dans le domaine de la sécurité de la technologie de l'information.

Les 90 millions de dollars qui ont été annoncées en 2010 ont été affectés aux trois piliers de la Stratégie; toutefois, la majorité des fonds a été attribuée au pilier 1 (protéger les systèmes gouvernementaux). Le financement a été distribué parmi neuf ministères et organismes :

  • Centre de la sécurité des télécommunications Canada
  • Sécurité publique Canada (SP)
  • Gendarmerie royale du Canada
  • Secrétariat du Conseil du Trésor
  • Travaux publics et Services gouvernementaux Canada / Services partagés Canada
  • Ministère de la Justice
  • Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international
  • Service canadien du renseignement de sécurité
  • Recherche et développement de la défense Canada

Les fonds de 155 millions de dollars annoncés en 2012 ciblaient surtout les piliers 1 et 2 (protéger les systèmes gouvernementaux et protéger les cybersystèmes essentiels à l'extérieur du gouvernement fédéral). Le financement a été distribué parmi quatre ministères et organismes :

  • Centre de la sécurité des télécommunications Canada;
  • SP;
  • Secrétariat du Conseil du Trésor; et
  • Services partagés Canada.

Un des principaux aspects de la mise en œuvre de la Stratégie est le Centre canadien de réponse aux incidents cybernétiques (CCRIC), qui relève de SP. Le CCRIC fournit des conseils faisant autorité, ainsi que du soutien, aux propriétaires et aux exploitants des systèmes qui ne relèvent pas du gouvernement fédéral, en plus de coordonner entre eux l'échange d'information et l'intervention en cas d'incident. Le CCRIC a du personnel sur place 15 heures par jour, et ce, toute l'année sans exception. Ainsi, toutes les heures d'ouverture normales au Canada sont couvertes, peu importe le fuseau horaire. Grâce à la mise en place d'un nouveau système téléphonique, les partenaires des secteurs public et privé peuvent communiquer avec du personnel du CCRIC à toute heure du jour ou de la nuit, 365 jours par année, pour obtenir des services rapides et adaptés à leurs besoins.

En ce qui a trait aux interactions entre le Canada et d'autres pays visant la cybersécurité, le Canada participe, avec plusieurs autres pays, à de nombreux forums internationaux et multilatéraux. Nous n'émettons pas de commentaires sur des menaces présumées venant de pays ou d'organisations précis, puisque le fait d'isoler un incident ou un pays ne peut rien nous apporter. Nous nous efforçons de créer les mesures de défense les plus fortes possible pour assurer la sécurité de nos systèmes essentiels, tout en faisant la promotion, à l'échelle internationale, d'une culture de cybersécurité dans un espace Internet libre et ouvert.

Tout pays qui participe à de l'espionnage économique ou qui attaque des systèmes canadiens constitue une préoccupation. Manifestement, nous sommes conscients des points d'origine des menaces et nous échangeons constamment de l'information avec nos partenaires internationaux à cet égard. Dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie de cybersécurité du Canada, le gouvernement examine toute l'information qui lui est donnée.

[Traduction]

L'étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance

Le vingtième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie—Dépôt de la réponse du gouvernement

Consentement ayant été accordé de revenir au dépôt de documents :

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse du gouvernement au vingtième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada : Suivi post-approbation effectué pour en assurer l'innocuité et l'efficacité.

(1730)

[Français]

Règlement, procédure et droits du Parlement

Adoption du huitième rapport du comité

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Braley, appuyée par l'honorable sénatrice Martin, tendant à l'adoption du huitième rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement (rapport sur un cas de privilège concernant la comparution d'un témoin devant un comité), présenté au Sénat le 20 juin 2013.

L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, je n'ai pas un long discours. J'ai toutefois quelques observations à faire concernant ce rapport portant sur un sujet qui a été bien débattu au comité. Il s'agissait du caporal Roland Beaulieu, qui devait venir témoigner devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, mais qu'on a empêché de venir par la voie d'instructions de la GRC.

Le comité, par son travail, a atteint un objectif très louable en ce qui concerne les prérogatives du Parlement et l'importance d'insister sur le fait que les témoins soient disponibles pour venir comparaître.

[Traduction]

Il est, à mon avis, logique que le comité estime inutile de pousser la question plus loin et encore moins d'envisager une sanction ou un blâme. Le comité se dit convaincu, d'après les témoignages et les actions qui lui ont été présentés, que la question a été réglée en ce qui concerne de futures requêtes du Parlement au sujet de la GRC.

Les sénateurs doivent savoir que nous avons été passablement occupés, ces derniers temps, à débattre de la direction de la GRC. Le ministre de la Sécurité publique a parrainé le projet de loi C-42, qui a suscité un débat long et vigoureux et qui a donné à la chaîne de commandement de la GRC plus de pouvoir pour maintenir l'ordre et la discipline au sein de l'organisme et lui a fourni les outils voulus pour assurer un certain degré de surveillance et de transparence.

Il est toutefois intéressant de constater que des membres de la GRC et d'autres parties intéressées ont dit alors qu'ils craignaient vivement que la direction ne soit pas en mesure d'exercer ce pouvoir supplémentaire, qu'elle n'ait peut-être ni les compétences ou le professionnalisme nécessaires, ni le développement voulu d'une chaîne de commandement au sein d'un organisme paramilitaire pour gérer tant de pouvoir et que le risque d'un abus de pouvoir était toujours à craindre, car le débat à l'époque avait été suscité en grande partie par un abus de pouvoir aux échelons inférieurs, surtout au chapitre du harcèlement.

La mesure a été suivie par l'étude du harcèlement par le Comité sénatorial de la défense et le dépôt d'un rapport à mon avis excellent que la direction de la GRC verra positivement, je l'espère, comme un instrument qui lui sera utile. Je crois que le ministre estime que les recommandations ont l'ampleur et la portée voulues et qu'elles donneront à la GRC l'orientation qu'il faut.

Il est intéressant, cependant, que dans le cadre de son étude sur cette affaire, le comité s'est dit convaincu que la GRC aurait réglé ou réglerait ses problèmes liés au maintien de l'ordre et de la discipline dans sa chaîne de commandement, que les règles sont appliquées et que les membres sont protégés.

J'interviens aujourd'hui parce que j'ai sûrement plus de doutes que d'autres sénateurs, peut-être, et je tenais à m'expliquer avant que notre étude ne se termine. Avec un peu de chance, comme il l'a indiqué, le Comité de la défense recevra un rapport d'étape du ministre sur le projet de loi C-42 et la mise en œuvre des recommandations d'ici un an.

Si j'ai des doutes, c'est parce que j'ai déjà vécu quelque chose de semblable. La chaîne de commandement a beau faire toutes sortes de promesses, cela ne signifie pas pour autant qu'elles seront tenues. Il a fallu une surveillance et un leadership politique, assurés par un ministre comme Doug Young, pour réunir les généraux et leur donner de nouvelles consignes strictes concernant les réformes essentielles exigées par la chaîne de commandement afin de rétablir un niveau de crédibilité acceptable au sein de l'organisation, autant à l'interne, pour renforcer la chaîne de commandement, qu'à l'externe, afin que les Canadiens sentent que les commandants ont fait le ménage dans l'organisation dans la foulée des événements en Somalie.

Je ne prétends pas que la même chose se déroule à la GRC qu'au Comité de la défense. J'ai cité quelques exemples de mesures qui ont été prises pour surmonter des obstacles imposants : changer la culture et la philosophie d'une organisation et contribuer au perfectionnement professionnel des dirigeants d'une organisation qui se veut paramilitaire mais qui, en réalité, est l'une des institutions les plus conservatrices au pays.

J'ai le sentiment de devoir soulever ces préoccupations car, au comité, les représentants de la GRC ont insisté sur la nature paramilitaire de leur organisation. Elle a été fondée sur un modèle militaire. Elle est dotée d'une chaîne de commandement. L'éthos du commandement est censé être issu de la structure militaire. On pourrait donc dire qu'il ne s'agit pas d'une force policière syndiquée, mais d'une organisation paramilitaire, et qu'elle doit donc déterminer à partir du sommet, de façon structurée, comment elle va modeler ses dirigeants, quel genre d'information ils vont recevoir, comment elle va s'ajuster à ce que la société civile attend d'elle à un moment donné et, en fait, comment être à l'avant-garde et devenir un élément à valeur ajoutée de notre pays relativement au maintien de sa sécurité et de ses progrès.

À la fin des années 1990 et au tournant du siècle, par exemple, les Forces armées canadiennes — un autre bastion conservateur — ont pris des mesures assez draconiennes. Il a fallu le congédiement de trois chefs d'état-major de la Défense pour y parvenir, mais elles ont finalement été mises en œuvre.

Les forces armées ont créé un certain nombre d'organisations et ont publié de nombreux documents afin de contribuer à l'évolution de la chaîne de commandement. J'ai apporté quelques exemplaires du Précis de leadership militaire, qui n'avait jamais été publié auparavant, et The Human in Command : Exploring the Modern Military Experience. J'ai aussi un manuel sur le commandement opérationnel intitulé The Operational Art : Canadian Perspectives - Leadership and Command. J'en ai aussi un autre, intitulé L'idéologie professionnelle et la profession des armes au Canada. Voilà quelques- uns des importants ouvrages qui ont été publiés afin d'orienter et de mettre en œuvre cette réforme.

J'aimerais présenter mon point de vue sur la façon dont tout cela s'est déroulé. Cela pourra peut-être servir de complément au rapport de premier ordre publié par le comité. Je crois que cela en vaut la peine et pourrait être utile en raison de certaines préoccupations que j'ai et qui découlent de ma propre expérience et de ce que nous avons constaté récemment de la part des dirigeants de la GRC.

Je vais lire un texte que j'avais déjà écrit auparavant et qui, je l'espère, pourra être utile et intéressant.

[Français]

Entre 1997 et 2004, les Forces canadiennes procèdent donc à une série de réformes et de transformations d'envergure.

[...] L'Académie canadienne de la Défense, et ses unités subordonnées, le Collège militaire royal, le Collège des Forces canadiennes et le Centre de perfectionnement professionnel des militaires du rang vont résolument de l'avant en présentant un système de perfectionnement renouvelé et efficace pour les officiers et sous-officiers des Forces canadiennes. . Servir avec honneur, est suivi d'un autre ouvrage intitulé Le leadership dans les Forces armées canadiennes : les bases conceptuelles [...]

(1740)

Il s'agit de la première refonte et reformulation de la théorie et de la doctrine de leadership depuis le début des années 1970. Il était temps, car il s'était écoulé près de 50 ans depuis la dernière réforme.

Au cours des années 1970, la base avait été établie selon l'expérience des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. On s'était donc davantage basé sur l'expérience que sur la rigueur intellectuelle et un développement structuré. Nous avons toutefois pu constater que cette méthodologie présentait des lacunes alors que l'on essayait de passer de l'un à l'autre sans avoir élaboré une structure bien développée.

Je poursuis ma citation :

Le nouveau manuel sur le leadership relie les qualités professionnelles à des concepts clés du leadership; la responsabilité est associée à la mission, l'expertise à la compétence comme chef, l'identité aux fonctions de cohésion et de travail d'équipe du leadership tandis que l'éthos militaire, pour sa part, façonne les valeurs liées à la conduite des chefs.

On en revient souvent aux chefs. Je poursuis la citation :

Par conséquent, l'éthos est lié au succès de la mission, aux processus d'intégration interne et, surtout, à la responsabilité des chefs à l'égard du bien-être des militaires.

[...] aux échelons supérieurs, on assume la responsabilité de la supervision du rendement de systèmes, du développement des capacités de systèmes et de la concrétisation d'importants changements à une politique, à un système et à une organisation et, enfin, on dispose de l'autorité voulue pour ce faire.

Encore une fois, on met l'accent sur les autorités supérieures pour amener ces réformes et les appliquer. Je poursuis la citation :

Néanmoins, les menaces visant le professionnalisme, de l'intérieur comme de l'extérieur, demeurent graves. Pour contrer ces menaces, il faut de la vigilance et des efforts, mais il faut aussi une bonne compréhension de l'idéologie professionnelle, dans le cadre d'un concept de perfectionnement professionnel pouvant maintenir, mais surtout constamment renouveler la profession des armes.

Il faut donc continuellement se mettre à jour. Je poursuis encore une fois la citation :

Ce concept débute par une compréhension de l'efficacité institutionnelle, qui se définit comme une combinaison d'efficacité organisationnelle, soit les valeurs résultantes représentant ce qui doit être accompli, et d'efficacité professionnelle, soit les valeurs de conduite représentant la façon de faire les choses.

On se trouve ici dans les entrailles de la façon dont une organisation devrait œuvrer. Enfin, on peut lire ceci :

L'idéologie professionnelle occupe une position privilégiée dans le concept proposé du perfectionnement professionnel. Au départ, les praticiens doivent intérioriser l'idéologie appropriée et adapter leurs comportements à ses exigences et à ses revendications. La progression au sein de la profession suppose ensuite la responsabilité de développer l'idéologie professionnelle chez les subordonnés. Les responsabilités les plus lourdes sont associées à la gérance de la profession. Au sommet de la pyramide des responsabilités professionnelles se trouvent ces tâches : s'assurer que les membres connaissent et comprennent la nature des connaissances professionnelles militaires, puis façonner et nourrir l'éthos qui régit à la fois la mise en pratique de ces connaissances et la conduite de chaque professionnel militaire. La gérance consiste, entre autres choses, à imprégner tous les autres éléments du concept du perfectionnement professionnel du contenu et de la signification de l'idéologie professionnelle militaire, et ce, de façon systématique, normative et programmatique.

Honorables sénateurs, je crois qu'il est absolument fondamental qu'on évolue avec quelque chose de plus que l'espoir.

[Traduction]

Puis-je avoir quelques minutes de plus?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Dallaire : Honorables sénateurs, par ma présentation, je souhaite simplement indiquer que cette institution, pour laquelle nous avons par ailleurs énormément de respect, montre quelques faiblesses et a grand besoin d'une réforme.

En 1997-1998, le mandat qu'on m'avait confié ne consistait pas à changer ou même à ajuster le corps des officiers. Il ne s'agissait pas de rafistoler la façon dont on formait le corps des officiers, mais bien de réformer ce dernier.

Réformer : voilà un verbe d'action formidable dont la signification est énorme. Il nous a incités à réinventer ce bastion conservateur, qui empêchait la nation de remplir ses responsabilités à l'étranger et d'accomplir ses missions convenablement, comme en Somalie par exemple, pour que cette ressource devienne un atout pour l'avenir du pays et sa place dans le monde.

C'est sans réserve que j'appuie le rapport. Je dois toutefois signaler mon inquiétude devant l'ampleur des changements qui sont nécessaires pour ramener la chaîne de commandement — qui se targue d'être paramilitaire — à son ancienne philosophie, pour la moderniser et l'amener progressivement vers l'avenir, afin que tous les membres de la GRC accordent leur confiance à la direction; pour que ceux qui montent en grade et se voient confier de plus grandes responsabilités le méritent; que le principe du mérite soit absolument respecté; que, ultimement, celui qui est en charge de l'organisation sente le poids des responsabilités qui lui incombent et qui consistent à accomplir cette réforme; que le pays ressente une certaine fierté à la vue de la tunique rouge, et que cette dernière suscite de plus en plus d'applaudissements et non des huées.

L'honorable David P. Smith : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de cette motion à la fois comme membre et comme président du Comité du Règlement. Je tiens à souligner que le nom complet de notre comité est le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Il est important de s'en rappeler puisque c'est de cela que nous parlons ce soir.

J'aimerais d'abord dire que j'appuie l'adoption du rapport, qui a été proposée par notre vice-président, le sénateur Braley. J'étais à l'extérieur du pays vendredi à cause de circonstances indépendantes de ma volonté. Toutefois, j'ai certainement lu l'intervention du sénateur Braley, et j'appuie son approche. Je suis en faveur de l'adoption du rapport, et j'espère que nous l'adopterons aujourd'hui. Nous devons l'adopter aujourd'hui.

Je veux souligner que notre rapport a été adopté à l'unanimité par des sénateurs des deux côtés et par la sénatrice McCoy, qui n'est pas ici pour l'instant mais qui siège à notre comité à titre de sénatrice indépendante. Elle a participé au débat hier, et je crois qu'elle a très bien exposé l'histoire et l'évolution des droits parlementaires. Elle est même remontée à l'époque de Guillaume d'Orage, au cours des années 1600. Elle a rédigé plusieurs paragraphes, que nous avions devant nous et qui décrivaient de manière très approfondie l'histoire des droits du Parlement. Je tiens à remercier la sénatrice McCoy de son apport à cet égard.

La plupart d'entre nous avaient d'autres idées qui n'ont pas été nécessairement incluses dans le rapport. Cependant, je veux prendre quelques minutes pour parler un peu de la culture de notre comité, car c'est quelque chose de très important. Depuis un certain nombre d'années, nous ne recommandons pas de modifications au Règlement à moins d'avoir l'appui des deux côtés. Parfois, le comité compte des sénateurs indépendants, et eux aussi sont généralement prêts à coopérer.

(1750)

Au sein du comité, nous faisons abstraction des allégeances politiques. Nous n'essayons pas d'être partisans. Nous tentons d'éviter la partisanerie, car il y aura des problèmes si l'on modifie le Règlement sans avoir l'aval des deux côtés. Voilà pourquoi nous tentons de présenter des rapports unanimes. Cela a été le cas par le passé, et c'est le cas cette fois-ci.

À mes yeux, les rapports unanimes sont importants. Je suis terriblement frustré que le sénateur Carignan et la sénatrice Cools retardent nos quatrième, cinquième, sixième et septième rapports. Le sénateur prend la poudre d'escampette, car il ne veut pas entendre mes propos. C'est frustrant, car nous avons investi un nombre d'heures incalculable pour parvenir à des rapports unanimes. Malheureusement, je crois que les rapports seront torpillés par les deux sénateurs qui n'en parlent pas et qui n'indiquent jamais clairement pourquoi ils les retardent. J'ai ma petite idée là-dessus. Il faudra régler cette affaire.

Je tiens à souligner tout le travail accompli par le sénateur Braley, notre vice-président. Cela peut paraître étrange, étant donné que je suis de ce côté-ci de la Chambre, mais il a grandement contribué à la rédaction de ces rapports. Le sénateur Comeau est le troisième membre du comité directeur, un membre remarquable.

Quant aux quatre rapports qui seront sans doute torpillés ce soir, le sénateur Stratton, qui y a consacré beaucoup d'efforts, a lui aussi été un membre remarquable du comité.

J'espère que nous pourrons trouver un moyen de régler ce problème et d'aller de l'avant, parce qu'autrement, nous serons paralysés.

Le sénateur Day : Ramenez-nous le sénateur Stratton.

Le sénateur Smith : Honorables sénateurs, je reviens au huitième rapport, dont le Sénat est actuellement saisi. Le sénateur Braley en a parlé, et je voudrais à mon tour attirer votre attention sur quelques- uns de ses faits saillants.

Auparavant, cependant, j'aimerais dire une ou deux choses. Ce rapport n'a pas été rédigé dans le but de prendre le gouvernement à partie. Le gouvernement n'avait rien à voir dans tout ça. Ce n'est pas comme si les ordres venaient d'un membre haut placé du gouvernement. Il s'agit d'un problème propre à la GRC qui découle du fait que la culture qui a cours à la GRC date d'une autre époque. Les histoires que nous ont racontées certaines femmes quant au harcèlement dont elles ont été victimes au sein de la GRC ont de quoi vous faire dresser les cheveux sur la tête et ne peuvent pas demeurer sans suites. Le comité voulait agir de la manière la plus juste possible.

J'ai ici une copie du rapport, et j'aimerais en lire quelques extraits particulièrement intéressants :

Les droits qui permettent au Parlement d'exercer le rôle qui lui est imparti par la Constitution sont bien établis dans notre régime parlementaire modelé sur celui de Westminster. [...]

Au Canada, ces droits ont pris valeur constitutionnelle quand ils ont été inscrits dans le préambule et dans l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. [...]

[...] le Parlement doit être vigilant afin de préserver sa capacité de s'acquitter de ses fonctions et de consulter les citoyens en toute liberté.

Nous avons utilisé les puces dans le texte pour faire ressortir certains éléments. Je vous en lis deux :

[L]e droit de convoquer des témoins sur n'importe quelle question [que le Parlement] considère comme importante;

[L]e droit de déterminer lui-même s'il y a eu atteinte à ses droits.

Nous avons choisi le mot « atteinte » en toute connaissance de cause. Certains auraient peut-être préféré une expression plus musclée, sans nécessairement les expliquer, mais nous avons fini par nous mettre d'accord. Parfois, il faut faire des concessions. Sur une question comme celle-là, si on veut que le rapport soit pris au sérieux et qu'il ne sème pas la discorde, il doit faire l'unanimité. C'est ce qui est arrivé. Je crois d'ailleurs que nous méritons une tape dans le dos, et j'espère qu'il en sera de même pour les autres rapports dont je parlais.

En résumé, le fait est qu'un membre de la Gendarmerie royale du Canada, le caporal Beaulieu, avait été invité à comparaître devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, en tant que représentant de l'Association canadienne de la police montée professionnelle. Le rapport dit ceci :

En fin de compte, le caporal Beaulieu n'a pas comparu, son supérieur immédiat, en accord avec la politique bien établie de la GRC, lui ayant refusé l'autorisation de voyager pendant qu'il était en congé maladie.

Par contre, il a comparu devant le Comité du Règlement. Ce qui a fait pencher la balance, c'est que le sénateur Cowan a soulevé une question de privilège et que la GRC a compris le message lorsque Son Honneur a décidé qu'il y avait, à première vue, matière à question de privilège, et que la question a été renvoyée au Comité du Règlement. Outre le caporal Beaulieu, quatre autres membres de la GRC ont comparu.

Étaient présents : le sergent d'état-major George Reid, Section des services de protection, Division E, son supérieur immédiat; le surintendant principal Kevin deBruyckere, adjoint, Enquêtes criminelles, Opérations fédérales, Division E; la Dre Isabelle Fieschi, médecin-chef, Services de santé, qui avait son avis sur la question. Ironiquement, le caporal Beaulieu et elle ne s'étaient jamais rencontrés, mais c'est une autre histoire et je n'irai pas dans les détails. Nous avons également entendu le témoignage du commissaire adjoint Gilles Moreau, directeur général, Transformation des ressources humaines. En outre, nous avons reçu des copies des courriels pertinents.

Lorsque la question a été renvoyée au Comité du Règlement, après que le Président du Sénat eut décidé qu'il y avait, à première vue, matière à question de privilège, ils ont compris le message et ils ont coopéré.

À la page 4 du rapport, on peut lire ce qui suit :

Le Cpl Beaulieu a témoigné qu'il a été intimidé par les actions de son supérieur et ne s'est pas présenté à la réunion du Comité. Le sgt é-m Reid a confirmé que le Cpl Beaulieu n'avait pas eu la permission de se rendre à la convocation du SECD. Or, cela constitue en soi une entrave au droit du Parlement d'entendre un citoyen canadien.

Le Parlement a le droit absolu de convoquer en toute liberté des témoins devant lui ou devant un de ses comités. Il a été porté atteinte à ce droit avec le résultat que le SECD a été privé du droit d'entendre un témoin de son choix.

En fait, le Comité de la défense a obtenu les éléments de preuve dont il avait besoin d'une autre personne qui a comparu devant lui à titre de témoin. Cependant, à cause de cela et du fait que la coopération était assez évidente, notre comité a écrit ce qui suit :

[...] le Cpl Beaulieu n'a d'aucune manière été empêché de participer librement à l'étude de cette question de privilège par le Comité.

Le Comité estime donc inutile de pousser la question plus loin et encore moins d'envisager une sanction ou un blâme.

Je pense qu'ils ont compris le message. En ce qui a trait à sa conclusion quant à une réponse appropriée au fait qu'on avait porté atteinte aux droits du Parlement, le comité a noté ce qui suit :

[...] le témoignage et les actions des représentants de la GRC présentés au Comité [...] montrent que le problème a été réglé en ce qui concerne des requêtes futures du Parlement.

En témoigne le fait que le caporal Beaulieu s'est rendu à Ottawa en avion, qu'il a comparu devant le comité et qu'il a dit ce qu'il avait à dire.

(1800)

La GRC n'est pas parfaite. Sa culture est en train de changer et elle a compris le message. Je pense que la prochaine fois qu'un comité du Parlement communiquera avec elle, elle n'agira pas comme elle l'a fait cette fois-ci. Je félicite le sénateur Cowan d'avoir soulevé la question. La décision de la présidence à ce sujet a également été très utile.

Je propose que nous adoptions maintenant le rapport.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

L'étude sur des questions relatives aux obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne

Adoption du treizième rapport du Comité des droits de la personne

Le Sénat passe à l'étude du treizième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne (obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne), déposé au Sénat le 25 juin 2013.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer propose que le rapport soit adopté.

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Les soins de santé mentale prodigués aux détenus des établissements correctionnels fédéraux

Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénatrice Callbeck, attirant l'attention du Sénat sur la nécessité d'améliorer les soins de santé mentale prodigués aux détenus des établissements correctionnels fédéraux, et sur les avantages de diversifier les modes de prestation de tels soins.

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet de l'interpellation de la sénatrice Callbeck attirant l'attention du Sénat sur la nécessité d'améliorer les soins de santé mentale prodigués aux détenus des établissements correctionnels fédéraux, et sur les avantages de diversifier les modes de prestation de tels soins.

Je tiens à remercier la sénatrice Callbeck et le sénateur Runciman d'avoir soulevé cette question au Sénat. La population carcérale et les dépenses des prisons ont beaucoup augmenté au cours des six dernières années. Depuis 2010, la population des prisons fédérales s'est accrue de 6,8 p. 100 et les dépenses des services correctionnels du fédéral ont augmenté de 43,9 p. 100 depuis l'exercice 2005-2006.

Dans son rapport annuel de 2011-2012, l'enquêteur correctionnel attribue l'augmentation des dépenses et de la population carcérale à différents facteurs : premièrement, à l'augmentation de la durée des peines minimales obligatoires pour certaines infractions; deuxièmement, à l'abolition ou au resserrement de certains critères de l'examen en vue d'une libération conditionnelle; troisièmement, à la réduction du crédit accordé pour le temps passé en détention avant le procès; quatrièmement, au recours limité aux peines avec sursis.

Tout cela survient en période de contraintes budgétaires accrues qui entraînent la fermeture de certains établissements et la réduction des effectifs. La population carcérale augmente à un tel rythme que les infrastructures actuelles ne permettent plus de suffire à la demande. Le problème de la surpopulation carcérale suscite d'ailleurs de plus en plus d'inquiétudes. La double occupation des cellules est devenue une pratique courante. En effet, on loge souvent deux personnes dans les cellules conçues pour un seul détenu, ce qui n'est certainement pas l'idéal pour les personnes dont la santé mentale est précaire.

Les prisons fédérales sont de plus en plus sollicitées, ce qui constitue l'un des principaux facteurs expliquant les lacunes dans les soins psychologiques et psychiatriques qui y sont offerts. L'enquêteur correctionnel a défini plusieurs priorités en ce qui concerne la santé mentale des détenus. La principale, c'est qu'il doit y avoir plus de professionnels de la santé mentale et, comme le roulement du personnel responsable des soins de santé est très élevé, il faut prendre les mesures nécessaires pour garder le personnel en place. Certains ont même utilisé l'image des portes tournantes pour décrire le roulement des professionnels de la santé et, plus particulièrement, celui des professionnels de la santé mentale.

Comme l'enquêteur correctionnel l'a mentionné dans son rapport de 2011-2012, il est de plus en plus nécessaire d'offrir des soins de santé mentale adéquats aux détenus dans nos prisons fédérales. Ainsi, il a déclaré que 45 p. 100 de l'ensemble des détenus et que 69 p. 100 des détenues ont reçu des soins de santé mentale sous une forme ou une autre pendant leur séjour en prison, y compris pour des problèmes de toxicomanie. Le Service correctionnel du Canada a signalé qu'entre 1997 et 2008, la proportion de délinquants chez qui des besoins de soins de santé mentale ont été recensés à l'admission a doublé. Des troubles de santé mentale ont ainsi été diagnostiqués chez 13 p. 100 des délinquants et 29 p. 100 des délinquantes.

Bien souvent, les prisons ne sont pas l'endroit idéal pour assurer le bien-être des personnes qui ont une maladie mentale. Cet environnement déclenche souvent des problèmes de santé mentale qui se traduisent par des actes violents, des comportements agressifs, des tendances suicidaires ou encore, honorables sénateurs, l'incapacité de suivre les ordres et les règles du milieu carcéral. D'autres options ont été étudiées, car, à l'heure actuelle, le système carcéral ne dispose pas des ressources financières ou humaines nécessaires pour traiter un nombre de plus en plus grand de détenus qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.

Le Service correctionnel du Canada a réalisé des progrès à de nombreux égards pour ce qui est des soins de santé mentale offerts dans les prisons fédérales, mais il existe encore des lacunes. L'enquêteur correctionnel a formulé plusieurs recommandations afin de combler ces lacunes, y compris la nécessité d'engager davantage de professionnels en santé mentale et d'éviter l'isolement prolongé. Il faut également fournir des services de soins de santé ininterrompus dans tous les établissements à sécurité maximale, moyenne et à niveaux de sécurité multiples et élargir les partenariats avec les provinces et les territoires relativement à la prestation d'autres services de santé mentale.

Nous avons entendu parler d'un autre type d'approche thérapeutique, qui est offerte au Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence Valley, à Brockville. Cette institution, qui est gérée par le groupe des services de santé de l'hôpital Royal Ottawa, prodigue des soins aux délinquants dans un milieu hospitalier offrant un niveau de sécurité maximale.

Je félicite le sénateur Runciman d'avoir ouvert la voie à l'établissement du Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence Valley, et je l'encourage à poursuivre ses efforts afin qu'on établisse un centre semblable pour les femmes en milieu carcéral. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce genre de partenariat n'est pas plus répandu au Canada, ni pourquoi on résiste autant à une idée qui a fait ses preuves. Chez les détenus qui ont reçu des traitements dans ce centre, le taux de récidive a chuté de 40 p. 100. Pendant les traitements, il n'y a eu ni suicide, ni évasion.

Je cite le rapport annuel du Bureau de l'enquêteur correctionnel publié en 2011-2012 :

Encore aujourd'hui, le SCC est tenu de répondre aux besoins essentiels des délinquants sous responsabilité fédérale en matière de santé, mais il n'est pas tenu légalement d'être le fournisseur de ces services. Il est fréquent que les délinquants ayant des besoins importants en matière de santé physique (chimiothérapie, dialyse, urgences médicales, etc.) soient traités dans des hôpitaux communautaires extérieurs. Toutefois, pour une raison que l'on ignore, on remarque une résistance interne beaucoup plus grande dans les cas similaires de délinquants nécessitant des soins ou des traitements de santé mentale importants, spécialisés ou complexes.

La société continue d'entretenir des préjugés à l'égard de la maladie mentale. Le Service correctionnel du Canada ne fait pas exception. Lorsqu'un détenu présente certains symptômes d'une maladie mentale, on répond trop souvent par la force ou par une punition qui prend surtout la forme d'un isolement cellulaire ou d'une autre forme d'isolement. Il ne faut pas être un expert pour savoir que ce genre de mesures ne constituent pas un traitement. Nous lisons encore des articles sur le cas malheureux d'Ashley Smith; elle et sa famille ont été abandonnées par le système.

Alors que la population carcérale croît à un rythme que les infrastructures actuelles ont du mal à soutenir, on se préoccupe beaucoup de la surpopulation pénitentiaire et de ses effets sur la santé mentale des détenus. La double occupation des cellules est une pratique désormais courante. Comme je l'ai déjà dit, cette pratique peut avoir des effets très négatifs sur les personnes atteintes d'une maladie mentale. Le surpeuplement et l'isolement peuvent amener les détenus qui ont des troubles de la santé mentale à s'en prendre aux employés de première ligne qui travaillent avec eux et même à mettre leur propre santé et celle de leur entourage en danger. La sûreté des détenus, des employés, des agents de correction et même du public est compromise lorsque les prisons deviennent surpeuplées et que les ressources destinées au traitement des troubles de la santé mentale se raréfient. Le résultat, c'est que les détenus remis en liberté sont parfois en pire état qu'au moment de leur arrivée en prison.

(1810)

La prison est censée être un dernier recours. Il semble, cependant, que les choses aient changé et qu'elle soit de plus en plus souvent considérée comme le seul recours. Un nombre croissant de personnes atteintes de troubles de la santé mentale se retrouvent dans le système correctionnel fédéral.

Honorables sénateurs, il est dans l'intérêt du public d'offrir à ces détenus une qualité de soins garantissant un traitement adéquat. Comme je l'ai dit plus tôt, l'incidence grandissante de troubles de la santé mentale chez les détenus et les pressions financières croissantes auxquelles est soumis le système correctionnel font que de nombreux détenus sont en pire état lorsqu'ils sont remis en liberté qu'au moment de leur admission.

À une époque où la population carcérale ne cesse de croître, l'incidence de troubles de la santé mentale chez les détenus est de plus en plus élevée. Certains établissements sont fermés, d'autres sont surpeuplés, et les budgets sont coupés. Il faut envisager des solutions de rechange aux soins de santé mentale offerts aux détenus. Les partenariats comme celui entre le Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence Valley et les Services de santé Royal Ottawa sont nécessaires et devraient être encouragés.

Étant donné les pressions qu'il éprouve au niveau des ressources humaines et financières, le Service correctionnel du Canada n'est plus en mesure d'offrir un traitement adéquat à tous les détenus qui en ont besoin. La sûreté des détenus, des agents de correction de première ligne et du public est compromise lorsque les détenus ne reçoivent pas les traitements nécessaires et lorsqu'ils sont mis dans des situations susceptibles de déclencher chez eux certaines réactions.

Honorables sénateurs, qu'arrivera-t-il aux détenus atteints de maladie mentale au moment de leur libération s'ils ne reçoivent pas les soins et l'aide professionnelle dont ils ont besoin pendant qu'ils sont en prison? Il est plus que probable qu'ils en viendront à se faire du mal ou qu'ils réintégreront de nouveau le système carcéral.

Nous pouvons faire mieux.

Son Honneur le Président intérimaire : La sénatrice Cordy accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Cordy : Oui.

L'honorable Catherine S. Callbeck : Je remercie la sénatrice Cordy d'avoir pris la parole au sujet de cette interpellation. Tout comme moi, elle siégeait au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie lorsque nous avons publié le rapport sur la santé mentale. Notre principale recommandation était de mettre en place une commission de la santé mentale, ce que le gouvernement précédent a annoncé et ce que le gouvernement actuel a fait.

Je crois que la sénatrice conviendra avec moi que la commission accomplit un travail formidable. Toutefois, j'ai appris tout récemment qu'on a donné à celle-ci une durée de vie de dix ans. Elle est actuellement à mi-mandat. Cela m'a alarmée. . Je me demande ce que pense la sénatrice du fait qu'il ne reste que cinq ans à la commission.

La sénatrice Cordy : La sénatrice Callbeck a parfaitement raison de dire que nous avons toutes deux siégé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui a publié le rapport sur la santé mentale. C'est un gouvernement libéral qui a annoncé qu'il mettrait en œuvre la recommandation de créer une commission de la santé mentale, mais il y a eu des élections. Le gouvernement conservateur a donné suite à la recommandation. Nous savons que le sénateur Kirby est devenu le premier président de la Commission de la santé mentale. Comme l'a dit la sénatrice, la commission fait un excellent travail.

Tout comme la sénatrice, je suis troublée par les rumeurs voulant que la commission ait un mandat de 10 ans et qu'elle soit appelée à disparaître après 10 ans. Ce serait vraiment malheureux pour les Canadiens, car nous connaissons les chiffres — un Canadien sur cinq éprouvera des problèmes de santé mentale à un moment ou l'autre de sa vie. Nous savons que les enfants et les adolescents qui ont des problèmes de santé mentale n'obtiennent pas toute l'aide dont ils ont besoin.

Nous savons que les services qui sont offerts aux détenus qui ont une santé mentale fragile ne sont pas à la hauteur et que certains détenus, que ce soit dans des pénitenciers ou d'autres établissements carcéraux, sont remis en liberté sans avoir reçu le moindre soutien.

Lorsque je me suis penchée sur la question des prisonniers qui ont une santé mentale fragile et qui seraient désavantagés par un projet de loi omnibus, j'ai constaté qu'il y avait une pénurie de main- d'œuvre spécialisée en santé mentale dans les établissements carcéraux. Il manque cruellement de professionnels dans ce domaine. Par surcroît, lorsque des gens commencent à travailler dans le système carcéral et qu'ils se rendent compte qu'il n'y a pas suffisamment de ressources, ils quittent le bateau. C'est une situation sans issue, parce que nous sommes incapables de maintenir en poste, dans les établissements correctionnels, des employés spécialisés en santé mentale. Il s'agit d'une véritable porte tournante, et c'est malheureux.

L'idée que la Commission de la santé mentale pourrait cesser ses activités d'ici 10 ans est fort troublante, sénatrice Callbeck.

(Sur la motion de la sénatrice Tardif, le débat est ajourné.)

La Charte canadienne des droits et libertés

Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Cowan, attirant l'attention du Sénat sur le 30e anniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés qui a grandement contribué à la fierté de notre pays et à notre identité nationale.

L'honorable Joan Fraser : Honorables sénateurs, cet article est inscrit au nom de la sénatrice Andreychuk, mais elle a gentiment accepté de me laisser prendre la parole, et l'article restera inscrit à son nom.

Honorables sénateurs, je sais qu'il se fait tard, que la journée a été longue et stressante, à l'instar du printemps, d'ailleurs, j'essaierai donc d'être brève. Cependant, j'estime qu'il faut absolument que j'attire l'attention du Sénat sur certains points.

Le sénateur Cowan a saisi le Sénat de cette interpellation l'an dernier, alors que la Charte célébrait son30e anniversaire. Aujourd'hui comme hier, la Charte doit être célébrée par tous les Canadiens.

Plusieurs d'entre nous se souviennent de notre ex-collègue, l'ancien sénateur Gérald Beaudoin, un grand constitutionnaliste et un grand penseur. Nous pouvons nous rappeler comme son visage s'illuminait lorsqu'il parlait de ce qu'il appelait « notre belle Charte ». C'est effectivement une belle charte; elle est admirée dans le monde entier, y compris, soit dit en passant, aux États-Unis d'Amérique. Elle a une incidence importante et bienvenue dans notre pays. Elle renforce les droits des minorités, telles que les Autochtones, les groupes linguistiques et pratiquement toutes les personnes auxquelles on peut penser. Le Canada est formé de minorités et de personnes qui renforcent ces droits contre le pouvoir de l'État et des majorités.

La protection de ces droits et libertés que confère la Charte ne peut cependant jamais être tenue pour acquise, en partie parce que l'existence même de ces droits et libertés peut constituer une entrave pour l'État ou la majorité. Aujourd'hui, bien que je me réjouisse de l'existence de la Charte, je tiens également à porter à l'attention des sénateurs une nouvelle potentiellement assez inquiétante.

La semaine dernière, le lundi 17 juin, le Law Times a publié un article au sujet d'un document de discussion. Ce document de discussion a été transmis à une entité appelée le Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice. Cela semble tout à fait correct. Cette entité existe depuis une dizaine d'années. Elle travaille à améliorer l'efficacité et l'accès en matière de justice, un objectif très louable; elle est formée de représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi que de juges, d'avocats et de policiers.

Le document de travail dont a fait état le Law Times portait sur ce qu'on appelle la proportionnalité des peines, l'un des principes fondamentaux en matière de détermination de la peine, c'est-à-dire que la peine doit être établie en fonction de la gravité de l'infraction commise et y être proportionnelle.

Voilà un autre concept excellent. C'est bien que des gens réfléchissent à ces questions. Il est d'ailleurs étrange que le gouvernement actuel s'intéresse autant aux peines minimales obligatoires, car, comme de nombreux témoins l'ont dit au Comité des affaires juridiques, elles sapent dans bien des cas le principe de la proportionnalité des peines. Il s'agit d'un excellent principe et nous voulons l'examiner. Toutefois, le titre de l'article du Law Times laisse entendre que le document propose d'imposer des peines sans emprisonnement en contrepartie de quoi on accepterait d'affaiblir certaines protections garanties par la Charte. Les mots « affaiblir certaines protections garanties par la Charte » devraient tous nous faire dresser les cheveux sur la tête.

(1820)

Ce document de travail a été distribué l'an dernier aux membres du comité directeur, accompagné d'une lettre de présentation de la part Lori Sterling, sous-ministre associée au ministère de la Justice et membre du comité directeur.

Dans la lettre, on pouvait lire ce qui suit :

Il est impératif que les personnes accusées d'infractions criminelles graves puissent bénéficier de l'entière protection de la Charte et de l'application de règle de preuve rigoureuses.

Remarquez l'adjectif : des infractions criminelles graves. La lettre se poursuivait ainsi :

Nous croyons toutefois qu'il est nécessaire de se poser la question suivante : ces garanties sont-elles nécessaires et indiquées pour toutes les infractions? Depuis l'avènement de la Charte, appliquer une plus grande proportionnalité constitue un défi que les membres du comité jugent essentiel.

Plusieurs questions se posent ici. Mme Sterling utilisent le « nous » dans l'expression « nous croyons ». Je ne sais pas à qui correspond ce « nous », mais comme elle travaille pour le ministère fédéral de la Justice, peut-être est-ce à quoi le « nous » fait référence dans ce contexte.

Elle parle ensuite de l'après-Charte; que diable peut-elle bien vouloir dire par cela? Nous vivons dans un monde régi par la Charte. On ne peut pas tout simplement en faire abstraction. La Charte fait partie de notre monde, de l'air que nous respirons et nous avons de la chance qu'il en soit ainsi. Je trouve cette expression troublante.

Dans le document de travail, on signale également que les tribunaux criminels n'imposent pas de peines d'emprisonnement pour la plupart des infractions. On peut y lire ce qui suit :

Pourtant, les procès qui se rapportent à ces infractions sont souvent ponctués de longues périodes consacrées à l'instruction de requêtes fondées sur la Charte. Des règles de preuves strictes sont également appliquées à ces affaires. On peut se demander, à juste titre, si tout cela est nécessaire.

Est-il nécessaire d'accorder la protection de la Charte?

Honorables sénateurs, ce document examinerait apparemment dans le menu détail la notion selon laquelle il serait utile de disposer d'une procédure d'arbitrage en matière criminelle qui permettrait d'éviter les recours devant les tribunaux et qui inclurait une option autre que les peines d'emprisonnement. Il arrive souvent que l'arbitrage constitue une solution de rechange fort avantageuse à la procédure judiciaire. Je crois qu'il est plus courant en matière civile qu'en matière criminelle, mais, qui sait, ce pourrait être une innovation intéressante. Cela dit, je trouve inquiétant que le document précise également ceci :

Cependant, pour que l'arbitrage en matière criminelle fonctionne efficacement, il serait nécessaire que l'accusé renonce préalablement aux droits que la Charte lui reconnaît, notamment le droit de ne pas s'incriminer.

L'idée de renoncer à des droits reconnus par la Charte m'inquiète profondément, honorables sénateurs.

À l'appui de cette idée, le document citerait apparemment, avec l'approbation de la province, les changements apportés en 2010 à la Loi sur les véhicules automobiles de la Colombie-Britannique dans le but d'imposer sur-le-champ des sanctions administratives aux personnes accusées de conduite avec les facultés affaiblies. On y voit un moyen de rendre la justice plus efficace. Le document omet cependant de souligner que la Cour suprême de la Colombie- Britannique n'a pas tardé à invalider certains de ces changements, car ils ne prévoyaient pas de droits d'appel suffisants. Je crois que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a eu raison. On ne peut pas faire fi des droits reconnus par la Charte, honorables sénateurs, pas plus que l'on ne vit dans l'après-Charte.

Ceux qui nous écoutent à la fin de cette longue journée auront remarqué que j'emploie des tournures du genre « le document soutiendrait apparemment » ou « à en croire le rapport du Law Times ». De toute évidence, il aurait été préférable que j'aie accès au document lui-même avant d'en parler aujourd'hui. Cependant, il est arrivé quelque chose de cocasse : il était affiché sur le site web du ministère de la Justice, mais — et c'est peut-être une pure coïncidence — deux jours après la publication du rapport dans le Law Times, il a disparu du site du ministère. Une recherche sur Internet révèle qu'il était accessible à au moins trois endroits sur le site, mais que, dans deux des cas, la page n'affiche plus qu'un long texte latin. Je suis convaincue que le Président pourrait nous servir d'interprète simultané. Le texte commence ainsi : « Lorem ipsum dolor sit amet, risus ad id des dolor [...] ».

Dans le dernier paragraphe, il y a un vrai charabia que je n'arrive pas à interpréter.

Pourquoi ce document a-t-il disparu? Peut-être parce que quelqu'un s'est rendu compte qu'il n'aurait jamais dû être affiché. Comme il s'agissait d'un document de travail et non d'un rapport officiel pour le comité directeur, on peut comprendre, d'un point de vue organisationnel, pourquoi une telle décision aurait été prise. Quoi qu'il en soit, il se trouvait sur le site web. Il a été distribué au comité directeur. Il parle d'un monde après la Charte, un monde où on renoncerait aux droits prévus par la Charte, où ces droits seraient réduits au nom de l'efficacité.

Honorables sénateurs, rappelez-vous ce que j'ai dit au début. Les droits et les libertés accordés par la Charte nous seront précieux le jour où nous en aurons besoin — et nous ne savons jamais quand ce jour viendra —, mais ils causent souvent des ennuis à l'État, à la majorité ou à quiconque doit en tenir compte, et l'État, la police ou la majorité les verront probablement comme des problèmes d'efficacité qu'il faut corriger.

J'ignore ce qui se cache derrière cela ou l'accueil que le document de travail a reçu. Il y a bien des choses que j'ignore. Je ne sais pas si c'est une question sur laquelle nous devons tous nous pencher. La sénatrice Andreychuk a parlé plus tôt aujourd'hui des responsabilités que nous confère la Constitution, et elle avait raison. Je ne partageais pas son interprétation de la question, mais le principe fondamental selon lequel chacun de nous doit veiller à s'acquitter de ses responsabilités est au cœur même de ce que le Sénat est censé faire. J'exhorte tous les sénateurs à tâcher de trouver ce qu'ils peuvent faire à ce chapitre et de faire preuve de vigilance.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Le Sénat est-il d'accord pour que cet article reste inscrit au nom de la sénatrice Andreychuk?

Des voix : D'accord.

(Sur la motion de la sénatrice Andreychuk, le débat est ajourné.)

(1830)

[Français]

La sanction royale

Son Honneur le Président informe le Sénat qu'il a reçu la communication suivante :

RIDEAU HALL

Le 26 juin 2013

Monsieur le Président,

J'ai l'honneur de vous aviser que le très honorable David Johnston, Gouverneur général du Canada, a octroyé la sanction royale par déclaration écrite aux projets de loi mentionnés à l'annexe de la présente lettre le 26 juin 2013 à 17 h 59.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma haute considération.

Le secrétaire du gouverneur général,
Stephen Wallace

L'honorable
        Président du Sénat
                Ottawa

Projets de loi ayant reçu la sanction royale le mercredi 26 juin 2013 :

Loi modifiant la Loi sur le programme de protection des témoins et une autre loi en conséquence (Projet de loi C-51, Chapitre 29, 2013)

Loi modifiant la Loi sur le mariage civil (Projet de loi C-32, Chapitre 30, 2013)

Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada (administration, transports aérien et ferroviaire et arbitrage) (Projet de loi C-52, Chapitre 31, 2013)

Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d'une jeune personne) (Projet de loi C-299, Chapitre 32, 2013)

Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures (Projet de loi C-60, Chapitre 33, 2013)

Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur la taxe d'accise, la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, la Loi sur la taxe sur les produits et services des premières nations et des textes connexes (Projet de loi C-48, Chapitre 34, 2013)

Loi modifiant la Loi sur l'assurance-emploi (incarcération) (Projet de loi C-316, Chapitre 35, 2013)

Loi concernant les compétences linguistiques (Projet de loi C-419, Chapitre 36, 2013)

Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés) (Projet de loi C-304, Chapitre 37, 2013)

[Traduction]

La Sécurité de la vieillesse

Interpellation—Fin du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénatrice Callbeck, attirant l'attention du Sénat sur les insuffisances de l'Allocation versée par la Sécurité de la vieillesse aux personnes seules et à faible revenu âgées de 60 à 64 ans.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, si la sénatrice Callbeck prend la parole maintenant, cela aura pour effet de clore le débat.

L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, j'aimerais prendre quelques minutes pour clore cette interpellation inscrite à mon nom à l'ordre du jour depuis un certain temps déjà. Elle porte sur les critères d'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse. C'est un sujet à la fois très simple et très important.

Tel qu'il est conçu en ce moment, le programme de la Sécurité de la vieillesse prive certains aînés à faible revenu d'allocations de Sécurité de la vieillesse à cause de leur état matrimonial.

En vertu du programme actuel, deux types de prestations appelées « allocations » sont offertes aux aînés à faible revenu ayant entre 60 et 64 ans.

Pour être admissible à la première allocation, un aîné doit être âgé de 60 à 64 ans, et son conjoint doit recevoir une pension de la Sécurité de la vieillesse de base, ainsi que le Supplément de revenu garanti. C'est ensemble qu'ils sont considérés comme étant à faible revenu.

La deuxième allocation est l'allocation au survivant. Elle est destinée aux veufs et aux veuves à faible revenu ayant entre 60 et 64 ans.

Je suis heureuse que ces deux prestations existent car elles aident bien des aînés, près de 88 000 en fait, en ce moment.

Par contre, certains aînés à faible revenu qui ont entre 60 et 64 ans ne peuvent même pas présenter une demande afin de bénéficier de l'une ou l'autre de ces allocations. En effet, un aîné qui ne s'est jamais marié ou qui est divorcé n'est pas admissible. C'est fort injuste. Cela signifie que nous traitons certains aînés différemment des autres.

Nous pourrions facilement régler ce problème en étendant l'allocation de la Sécurité de la vieillesse à toutes les personnes seules et à faible revenu âgées de 60 à 64 ans.

CARP, organisme national de défense des droits des personnes âgées, a de nouveau réclamé l'élargissement de ce programme dans son mémoire prébudgétaire de 2013. Selon le mémoire, presque 20 p. 100 des femmes âgées seules vivent dans la pauvreté, et ces femmes constituent l'un des groupes qui ont le plus haut taux de pauvreté au Canada.

Il est inacceptable que le gouvernement exclue un groupe de personnes à faible revenu qui ont vraiment besoin d'aide. Ces personnes sont exclues seulement parce qu'elles n'ont jamais été mariées ou qu'elles sont divorcées.

J'exhorte le gouvernement fédéral à corriger ce critère afin que tous les gens de ce groupe d'âge soient traités équitablement.

(Le débat est terminé.)

Le Sénat

Motion tendant à reconnaître le mois de juin comme le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité—Ajournement du débat

L'honorable Yonah Martin, conformément au préavis donné le 12 juin 2013, propose :

Que le Sénat prenne note que le mois de juin est le mois de la naissance d'Helen Keller, une sourde et aveugle qui est connue dans le monde entier pour sa persévérance et ses accomplissements et qui représente une source d'inspiration commune, en particulier pour la communauté sourde et aveugle;

Que le Sénat désigne le mois de juin comme le « Mois de sensibilisation à la surdi-cécité » afin de sensibiliser le public aux questions relatives à la surdi-cécité et de reconnaître les contributions des Canadiens et Canadiennes sourds et aveugles.

— Honorables sénateurs, j'aimerais parler cinq minutes de cette motion tendant à reconnaître le mois de juin comme le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité.

Le mois de juin est le mois de la naissance d'Helen Keller, la personne sourde et aveugle la plus connue dans le monde. C'était une femme courtoise et héroïque dont la détermination et le leadership ont exercé une influence déterminante sur le monde et qui a inspiré d'autres personnes à suivre ses traces. Aux États-Unis, le 27ajuin est la Journée Helen Keller, et cette journée est célébrée chaque année.

La Journée Helen Keller a été instaurée par le président Jimmy Carter en 1980. Depuis ce temps, beaucoup de progrès ont été accomplis et, en 2000, l'Ontario a adopté une loi visant à sensibiliser la population à ce que vivent les personnes sourdes et aveugles.

Honorables sénateurs, j'espère que vous serez d'avis qu'il est grand temps que le gouvernement fédéral fasse de même.

C'est un honneur pour moi de parler de la motion visant à faire de juin le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité au Canada. Afin d'expliquer pourquoi l'instauration d'un tel mois est si importante, je cite l'ancien député provincial de l'Ontario, David Young, qui avait présenté le projet de loi d'initiative parlementaire qui a permis la désignation du Mois de sensibilisation à la surdi-cécité en Ontario :

[...] Je crois que cette mesure législative est un pas dans la bonne direction et qu'elle permettra d'améliorer la vie des Ontariens sourds et aveugles. Puisque juin deviendra le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité, tous les politiciens vont l'inscrire à leur agenda et en feront la promotion dans leur région. Pourquoi? Parce que c'est ce qu'il convient de faire.

Honorables sénateurs, c'est effectivement la bonne chose à faire. L'adoption de cette motion contribuera grandement à la sensibilisation de la population canadienne. Qui plus est, nous reconnaîtrons ainsi la force, le courage et le dévouement dont font preuve chaque jour les personnes sourdes et aveugles, ainsi que les défis qu'elles surmontent au quotidien. L'instauration d'un mois en leur honneur compterait beaucoup pour elles, pour leurs proches et pour ceux qui collaborent étroitement avec elles.

Un récent rapport de Statistique Canada a révélé qu'environ 69 700 Canadiens âgés de plus de 12 ans sont complètement sourds et aveugles ou le sont à divers degrés, ce qui limite leurs activités quotidiennes. Les organisations qui leur offrent des services d'intervenants ont été en mesure d'identifier seulement 3 000 d'entre eux.

Il y a trois termes importants que j'aimerais maintenant définir, afin que vous puissiez mieux comprendre la communauté sourde et aveugle que la motion appuie.

Le premier terme est « surdi-cécité ». Une personne atteinte de surdi-cécité présente une déficience importante de la vue et de l'ouïe, ce qui se traduit par des difficultés importantes aux niveaux de l'évaluation de l'information et de la poursuite d'objectifs scolaires, professionnels, récréatifs et sociaux. La surdi-cécité est une incapacité unique et distincte de la surdité ou de la cécité. Une personne à la fois sourde et aveugle a besoin de services spécialisés, y compris des méthodes de communication adaptées.

Le deuxième terme est « intervenant ». Un intervenant fournit un service professionnel, rémunéré ou non, visant à faciliter l'interaction entre une personne atteinte de surdi-cécité et les autres gens et l'environnement. L'intervenant peut être appelé, entre autres, à fournir un accès à l'information — auditive, visuelle ou tactile — au moyen de diverses méthodes de communication en agissant comme guide voyant. Ces services sont fournis au moyen de la méthode de communication préférée de la personne atteinte de surdi-cécité. Il peut s'agir de systèmes tactiles d'interprétation gestuelle, du braille, des gros caractères, des tableaux de communication ou de toute autre méthode appropriée.

Le troisième terme est « service d'intervenant », autrement dit la prestation d'un service professionnel, payé ou non, qui facilite l'interaction entre une personne atteinte de surdi-cécité et les autres gens et l'environnement.

(1840)

Le centre canadien Helen Keller et les foyers Cheshire du Club Rotary, cofondés par notre ex-collègue Vim Kochhar, sont des exemples d'excellents établissements. Les foyers Cheshire du Club Rotary sont les seuls établissements au monde où des personnes sourdes et aveugles peuvent vivre en autonomie.

Je voudrais en outre souligner le travail acharné de la sénatrice Asha Seth, qui défend la cause des aveugles et des malvoyants. Elle et le sénateur Jim Munson coparrainent gracieusement cette motion.

Enfin, honorables sénateurs, les personnes sourdes et aveugles sont pour moi une source d'inspiration, de même que tous les gens qui consacrent généreusement leur temps et leur énergie à les aider. J'espère que nous pourrons adopter à l'unanimité cette motion, qui ferait du mois de juin le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité, et j'exhorte tous les sénateurs à appuyer cette motion.

(Sur la motion de la sénatrice Hubley, le débat est ajourné.)

[Français]

L'ajournement

Adoption de la motion

Consentement ayant été accordé de revenir aux préavis de motion du gouvernement :

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'article 5-5g) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'au mardi 17 septembre 2013, à 14 heures.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Les travaux du Sénat

Vœux et remerciements

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je vous assure, honorables sénateurs, que je serai très brève.

Honorables sénateurs, alors que nous nous apprêtons à ajourner nos travaux pour l'été, je voudrais remercier tous les sénateurs des deux camps pour leur excellent travail. Les derniers mois ont été épuisants et éprouvants au Sénat. Nous avons dû nous pencher sur des questions très sérieuses, et je pense que nous nous sommes bien acquittés de cette tâche. Ces questions finiront par appartenir au passé. Il est inutile que j'en rajoute. Nous avons déjà vu assez d'encre couler. Nous avons entendu assez de déclarations et assez de points de vue représentant diverses tendances, de la part de beaucoup de gens dont les opinions sont parfois bien fondées, parfois mal inspirées, alors je n'ai pas besoin d'en dire davantage.

Au nom du gouvernement et de mes collègues de ce côté-ci du Sénat, je tiens simplement à remercier chaleureusement les sénateurs des deux côtés, ainsi que les membres de notre personnel, qui ont dû composer avec un très grand stress au cours de ces longues heures de travail.

J'aimerais remercier tous les employés du Sénat, les greffiers au Bureau, les membres du Service de sécurité et toutes les personnes qui travaillent d'arrache-pied pour que le Sénat fonctionne convenablement. Je tiens à remercier tout spécialement les pages et à souhaiter beaucoup de succès dans la vie à tous ceux qui iront relever de plus grands et de plus beaux défis ailleurs.

Je tiens à rendre hommage tout particulièrement aux sténographes qui travaillent dans cette enceinte. Je les observe, car j'ai moi-même été sténographe il y a bien des années. Évidemment, l'équipement est beaucoup plus moderne de nos jours qu'il y a une cinquantaine d'années, lorsque j'œuvrais dans cette profession, mais il est absolument incroyable de constater qu'ils sont capables de transcrire tous les mots qui se disent, non seulement dans cette enceinte, mais aussi lors des travaux des comités.

En terminant, j'aimerais souhaiter un très bel été à tout le monde. Pour nous tous, il sera très court. Ces quelques mois vont passer à la vitesse de l'éclair. J'espère que vous aurez tous l'occasion de vous reposer et de réfléchir à toutes les questions dont nous avons été saisis et à la voie à suivre. Ainsi, à notre retour l'automne prochain, nous serons bien reposés et nous pourrons poursuivre le très bon travail que nous réalisons au Sénat et qui, évidemment, nous tient tous à cœur.

Votre Honneur, je vous souhaite, à vous et à tous mes collègues du Sénat, un merveilleux été. J'espère que tous mes collègues en profiteront pour bien se reposer afin d'être frais et dispos, heureux et prêts à reprendre le collier à l'automne. Merci beaucoup.

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'aimerais me joindre à la sénatrice LeBreton pour vous souhaiter à tous un été agréable, reposant et en bonne santé, rempli de temps de qualité passé auprès de votre famille et de vos amis.

Comme la sénatrice LeBreton l'a dit, le Sénat a vécu une année difficile et controversée. Nous pensons souvent que personne ne remarque ce que nous faisons ici ou notre influence sur cette institution. Cette année a certainement été une exception. On dit parfois que la publicité, quelle qu'elle soit, est une bonne chose, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas cette fois-ci. J'espère que nous tirerons les leçons de la controverse qui nous a entourés.

Je crois que cette controverse nous touche tous, même ceux d'entre nous qui ne sont pas — encore — visés. Elle nous touche tous, de même que l'institution au service de laquelle nous sommes.

Je partage l'opinion de la sénatrice LeBreton. Dans l'ensemble, je crois que le Sénat a bien géré ces situations et qu'il l'a fait de façon appropriée. Les autorités compétentes ont été mises à contribution et quand elles auront fait leur travail dans le respect des garanties procédurales — je crois que cela est important — nous finirons par savoir qui a fait quoi et quand.

J'ai dit à plusieurs reprises, et je tiens à le répéter aujourd'hui, que je ne pense pas que le problème soit lié aux règles. Je pense que le problème tient à ceux qui choisissent de contourner les règles ou l'esprit des règles. Nous pouvons améliorer sans cesse notre système et nos règles et nous continuerons de le faire.

Bien que, à titre individuel, nous puissions expliquer dans une certaine mesure aux Canadiens intéressés en quoi consiste notre travail individuel et collectif, je crois que, en tant qu'institution, nous pouvons et devons faire un bien meilleur travail pour expliquer aux Canadiens l'importance du Sénat et du travail qui y est accompli.

J'espère que cet été, alors que nous passerons du temps en compagnie de nos amis et des membres de notre famille, loin d'ici, nous réfléchirons sérieusement à cette question et qu'à notre retour, à l'automne, nous serons prêts à l'aborder.

En terminant, j'aimerais remercier tous ceux qui travaillent pour nous à nos bureaux ainsi que ceux qui travaillent pour le Sénat en général. Nous ne leur disons pas assez souvent à quel point nous leur sommes reconnaissants, et nous devons saluer leur contribution. Nous devons reconnaître que, pour eux, cette période a été tout aussi difficile, et qu'elle a peut-être même été, à plusieurs égards, plus difficile que pour nous. Même si nous sommes ceux dont on mentionne le nom, ces gens travaillent aussi pour le Sénat. Lorsque des actes déplorables se produisent et qu'on dit du mal du Sénat, ce n'est pas eux qu'on pointe du doigt, mais je suis convaincu que cela les touche tout aussi profondément que nous.

Au nom de tous les sénateurs, je tiens à remercier tous ceux qui travaillent pour le Sénat, que ce soit à nos bureaux ou pour le Sénat lui-même. C'est grâce à vous que nous pouvons mener nos activités de façon aussi efficace et sûre.

Profitez bien de l'été. Il me tarde de vous revoir à l'automne. Merci.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant de demander au sénateur Carignan de présenter la motion d'ajournement, j'aimerais soulever une question de procédure. La sénatrice Fraser a cité une longue phrase en latin, que je serai ravi de consulter dans le hansard. Cela dit, le sénateur Robichaud et le sénateur Wallace veulent que vous sachiez que les gens du centre du Nouveau-Brunswick ne parlent que de cela.

Des voix : Oh, oh!

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mardi 17 septembre 2013, à 14 heures.)


La première session de la quarante et unième législature est prorogée par proclamation le vendredi 13 septembre 2013.

 

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