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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 161

Le lundi 29 juin 2015
L'honorable Leo Housakos, Président

LE SÉNAT

Le lundi 29 juin 2015

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATION D'UN SÉNATEUR

Les attentats terroristes en France, au Koweït, en Syrie et en Tunisie

L'honorable Daniel Lang : Honorables sénateurs, je prends la parole pour exprimer nos condoléances aux familles qui ont perdu un être cher durant les attentats terroristes commis vendredi en France, au Koweït, en Syrie et en Tunisie.

Ces attaques injustifiées, motivées par une idéologie islamique radicale, a fait plus de 242 morts et d'innombrable blessés. En Tunisie, 38 ressortissants étrangers ont été tués, dont 30 de nationalité britannique qui passaient leurs vacances à la plage. C'est la plus horrible attaque contre des citoyens britanniques que le Royaume-Uni ait connue depuis les explosions dans les transports en commun londoniens, en juillet 2005.

On peut imaginer toute la peine de la famille britannique qui a perdu sa fille sur la plage en Tunisie, ou des familles du Koweït qui ont perdu leur père lors de l'explosion à la mosquée en pleine prière, ou de la famille de M. Cornara, ce père et époux qui a été décapité lors de l'attentat terroriste à une usine de gaz à Lyon, en France.

Les effets de ces attaques barbares préméditées sont de grande portée. Il suffit de penser à la Tunisie, où elles auront de graves répercussions sur le secteur du tourisme. Plus de 226 000 emplois dépendent de cette industrie et il y a tout lieu de croire que les effets de cet acte extrémiste n'ont pas fini de se faire sentir. Il est décevant de voir comment un jeune étudiant universitaire peut être radicalisé dans l'établissement qu'il fréquente, puis causer tant de morts et de destruction au nom de la religion.

Ce que nous savons pour l'heure, c'est qu'il n'était pas victime de la pauvreté, de maladie mentale ou de propagande, comme certains le laissent entendre chaque fois qu'il y a un attentat terroriste.

Honorables sénateurs, les tentacules du mouvement djihadiste s'étendent très loin. Nous en voyons d'ailleurs presque quotidiennement les actes mortels et destructeurs. Grâce aux audiences du comité sénatorial, les Canadiens savent maintenant que l'appui de 318 de leurs concitoyens à l'EIIS a été prouvé. Nous sommes aussi tout à fait conscients des récentes attaques djihadistes à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu. Nous connaissons l'affaire des 18 de Toronto, l'affaire Khawaja, la conspiration contre VIA Rail et le complot visant à faire sauter l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Il est difficile d'imaginer le carnage que leurs actes auraient causé si ces djihadistes canadiens avaient atteint leur but.

Honorables sénateurs, le monde est en état de siège, et le Canada ne doit pas cesser de lutter contre le mouvement fondamentaliste islamique qui s'abat sur le monde. Il faut collaborer avec les dirigeants des communautés musulmanes modérées et dénoncer avec eux l'idéologie djihadiste, fondement même de l'ensemble de croyances dont les extrémistes se servent pour justifier leurs actes barbares.

Alors que nos prières accompagnent les Tunisiens, les Syriens, les Koweïtiens, les Français et les Britanniques, qui ont subi ces attaques injustifiables et barbares, réaffirmons aujourd'hui notre volonté de vaincre ce mouvement terroriste djihadiste. Alors que nous nous préparons aux festivités de la fête du Canada, engageons-nous aussi à faire front commun avec les Forces armées canadiennes, les services de renseignement et les forces de l'ordre, qui font des pieds et des mains pour protéger le Canada et les Canadiens.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

L'ajournement

Préavis de motion

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, lorsque le Sénat s'ajournera après l'adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu'au mardi 22 septembre 2015, à 14 heures.

L'étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique

Dépôt du douzième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international

Consentement ayant été accordé de revenir à la présentation ou au dépôt de rapports de comités :

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le douzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, intitulé Assurer la place du Canada en Asie-Pacifique : une attention particulière à l'Asie du Sud-Est.

Je propose que l'étude du rapport soit inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(Sur la motion de la sénatrice Andreychuk, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

Le revenu national

Les amendements proposés à la Loi de l'impôt sur le revenu—Le projet de loi C-377—Les syndicats—La divulgation d'information

L'honorable Jim Munson : Je vous remercie, Votre Honneur. Ma question, qui s'adresse bien évidemment au leader du gouvernement au Sénat, porte sur un projet de loi draconien qui s'attaque au droit à la protection de la vie privée, le projet de loi C-377.

Selon l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes, les obligations qu'on y trouve en matière de divulgation s'appliqueront aussi aux fonds communs de placement, y compris aux REER et aux CELI. Selon la manière dont le texte est rédigé, dès lors qu'un syndiqué achètera une seule unité d'un fonds commun de placement, celui-ci sera aussitôt considéré comme une fiducie de syndicat, ce qui veut dire que toutes les exigences de déclaration et d'accès publics s'y rattachant s'appliqueront à tout détenteur d'unités dudit fonds, qu'il ait ou non un lien personnel avec une organisation ouvrière.

Autrement dit, monsieur le leader, à cause de ce projet de loi, le nom et les renseignements personnels de millions de Canadiens se retrouveront sur Internet. Votre gouvernement croit-il vraiment que c'est une bonne idée?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénateur, comme vous le savez, le projet de loi fait actuellement l'objet d'une étude en cette Chambre. Je laisserai aux parlementaires le soin de débattre de ces questions durant la période prévue à cette fin.

Comme nous l'avons exprimé dans le préavis de motion du gouvernement destiné à disposer du projet de loi, nous estimons qu'il est important que le Sénat puisse voter sur le projet de loi. Je crois qu'il est dans l'intérêt des Canadiens qu'un vote ait lieu. C'est ce qui importe pour nous.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Si votre gouvernement est aussi courageux que vous le dites, pourquoi ce projet de loi a-t-il cheminé par la voie d'évitement? Pourquoi a-t-il été inscrit au Feuilleton en tant que projet de loi d'initiative parlementaire?

Si vous tenez tant à faire adopter un projet de loi dont personne ne veut, ni les syndicats, ni les provinces, ni personne, pourquoi ne pas l'avoir inscrit en tant que projet de loi émanant du gouvernement?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur, les règlements du Parlement permettent à chaque député et sénateur de déposer des projets de loi. Si je ne m'abuse, cette législature est celle où l'on a adopté le plus grand nombre de projets de loi d'intérêt privé de l'histoire du Canada. Un nombre record de projets de loi d'initiative parlementaire ont été adoptés. Il s'agit d'un processus tout à fait approprié et qui rehausse le rôle des députés et des membres du Parlement.

(1410)

Je ne vois pas en quoi vous trouvez qu'il n'est pas approprié qu'un député propose un projet de loi dans lequel il s'est impliqué. Quant à nous, nous croyons que les travailleurs devraient avoir le droit de savoir de quelle façon leurs cotisations obligatoires sont dépensées. C'est pourquoi, de notre côté, nous appuyons le projet de loi C-377, qui est une mesure raisonnable permettant d'accroître la transparence au sein des syndicats.

Je vous rappelle, sénateur, que ce projet de loi a été présenté pour la première fois en 2011. Nous avons déployé beaucoup d'efforts au Sénat pendant près de deux ans pour l'étudier. Il est donc maintenant temps de passer au vote. Voilà pourquoi nous avons présenté une motion à cette fin la semaine dernière.

[Traduction]

L'honorable Jane Cordy : Il est intéressant de vous entendre dire que le projet de loi nous a été présenté pour la première fois en 2011. Effectivement, c'est bien le cas, et il avait fait l'objet d'une excellente discussion parmi nous. Le Sénat, à majorité conservatrice, avait adopté un amendement, mais le projet de loi était mort au Feuilleton en raison de la prorogation du Parlement. Le projet de loi nous a été renvoyé ultérieurement, sans l'amendement adopté par cette Chambre. Des sénateurs conservateurs considéraient cet amendement comme important, mais le gouvernement a fait fi du point de vue de ses propres sénateurs et de celui de la majorité du Sénat.

Je suis de la Nouvelle-Écosse et j'ai reçu un courriel de l'association médicale Doctors Nova Scotia, qui représente les médecins de la Nouvelle-Écosse. Ils ont reçu un avis juridique selon lequel, compte tenu de la définition du terme « organisation ouvrière », ils devront se soumettre aux dispositions du projet de loi C-377, qui leur imposeront « des exigences de déclaration très onéreuses », pour reprendre leur expression. Voilà ce que disait le courriel que j'ai reçu.

Le gouvernement pense-t-il que c'est une bonne idée pour les médecins de passer leur temps à remplir des formulaires, à préciser tous les contrats qu'ils accordent pour les services d'entretien, les services de maintenance de photocopieuse, les fournitures et la location de leurs bureaux plutôt que de faire leur travail d'aider des patients et de favoriser la prestation de services de santé aux Canadiens?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, nous croyons important qu'il y ait plus de transparence de la part des syndicats. Les travailleurs paient des cotisations syndicales. Ils ont le droit de savoir ce que les dirigeants syndicaux font de leurs cotisations. Il s'agit d'un droit tout à fait légitime, d'autant plus que, ne l'oublions pas, ils sont obligés de payer des cotisations syndicales, qu'ils soient membres du syndicat ou non. J'estime donc qu'il est tout à fait légitime pour les syndiqués d'avoir accès à des renseignements sur la façon dont les dirigeants syndicaux dépensent l'argent des syndiqués. Je crois que c'est tout à fait approprié.

Nous débattons ici du projet de loi à l'étape de la troisième lecture depuis plusieurs jours. Vous avez proposé des amendements dont l'un visait à renvoyer le projet de loi en comité plénier. Vous avez ensuite suggéré un sous-amendement proposant de le renvoyer en comité plénier à la prochaine séance plutôt que dans deux jours. Vous proposez donc une série d'amendements complètement dilatoires, au lieu de débattre du projet de loi ou de proposer des amendements de fond.

Comme vous ne l'avez pas fait, mais que vous avez plutôt proposé des amendements de procédure, je crois comprendre que, de votre côté, vous êtes tout à fait d'accord avec le contenu du projet de loi.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je tiens à préciser clairement que je ne souscris pas aux dispositions du projet de loi.

Il est intéressant de vous entendre dire que nous devrions adopter le projet de loi et que les syndicats devraient faire preuve d'une plus grande transparence. La première fois que nous avons eu à étudier ce projet de loi, son parrain, M. Hiebert, s'est vu demander s'il avait reçu des plaintes qui l'ont incité à rédiger le projet de loi.

Lorsqu'un député présente un projet de loi d'initiative parlementaire, nous souhaitons toujours connaître ses motifs. La plupart du temps, le député nous répond qu'il a reçu des lettres de la part des gens de sa circonscription ou qu'ils lui ont exprimé de vive voix leur point de vue sur le dossier. Cependant, dans ce cas, M. Hiebert nous a répondu qu'il n'avait reçu aucune plainte. Il a présenté un projet de loi sans que personne ne se soit plaint à lui. Alors, il me paraît un tantinet malhonnête de vouloir adopter un projet de loi pour accroître la transparence alors que personne ne s'est plaint d'un manque de transparence.

Vous avez également dit, dans la réponse que vous avez donnée à l'intervenant précédent, qu'il est dans l'intérêt des Canadiens d'adopter ce projet de loi. Or, sept des dix provinces désapprouvent ce projet de loi.

Pour en revenir à la question que j'ai posée initialement, concernant les médecins de ma province, la Nouvelle-Écosse — cette lettre a été envoyée par Nancy MacCready-Williams, PDG de Doctors Nova Scotia. Les médecins de ma province devront consacrer du temps à l'envoi de la paperasse concernant les produits et services de nettoyage, le matériel de photocopie et le loyer au lieu de soigner les patients, les Néo-Écossais. Est-ce que c'est cela que vous laissez entendre?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, ce que l'on dit, c'est que les membres des syndicats ont le droit de savoir ce que les patrons des syndicats font avec leur argent. C'est tout à fait légitime. Par exemple, les organismes de bienfaisance qui reçoivent des dons de charité doivent remplir des formulaires et déclarer leurs contrats et leurs salaires, qui sont publics et affichés sur le Web. Pourtant, ce sont des organismes à but non lucratif qui reçoivent des dons de charité.

Je crois que la transparence est une bonne chose. On nous l'a dit, et le Bureau du vérificateur général nous l'a recommandé. On se le fait demander par les Canadiens, et les syndicats se le font demander par leurs membres. Peut-être côtoyez-vous des premiers ministres ou des ministres provinciaux, mais moi, je côtoie monsieur et madame Tout-le-Monde, sur le terrain, des syndiqués qui nous encouragent à adopter ce projet de loi et qui veulent savoir ce que les dirigeants syndicaux font de leurs cotisations syndicales. Cela me paraît tout à fait légitime.

Pourquoi êtes-vous contre la transparence, sénatrice? J'ai peine à vous suivre. Votre chef, Justin Trudeau, n'a-t-il pas dit récemment qu'il voulait davantage de transparence? Comment pouvez-vous justifier que votre chef plaide pour la transparence et que, d'un autre côté, vous votiez ici contre la transparence? Je ne vous suis pas.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Soit dit en passant, mon chef, c'est le sénateur Cowan.

Des voix : Oh, oh.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Cordy : Pourquoi suis-je contre ce projet de loi? Je suis contre parce qu'il est inconstitutionnel. Pourtant, une fois encore, le gouvernement Harper dépensera des millions de dollars en procédures judiciaires, comme il l'a fait avec nos anciens combattants et les réfugiés qui viennent au Canada et qui ont besoin d'aide pour avoir accès aux soins de santé. Une fois encore, ce gouvernement dépensera des millions de dollars pour défendre une mesure législative inconstitutionnelle.

En réponse au sénateur Munson, vous avez dit ceci : « Nous avons adopté plus de projets de loi d'initiative parlementaire que jamais ». C'est vraiment bien. C'est très intéressant, car la vaste majorité de ces derniers étaient en fait des projets de loi d'initiative ministérielle déguisés en projets de loi d'initiative parlementaire. J'en ai discuté avec l'un de vos députés conservateurs à l'autre endroit. Je lui ai dit ceci : « On vous donne ces projets de loi afin que vous les fassiez adopter. » Savez-vous ce qu'il m'a répondu? « Oh, nous ne sommes pas obligés de les prendre si nous ne voulons pas. » De toute évidence, M. Hiebert a décidé qu'il prendrait celui-ci.

Mais vous n'avez pas encore répondu à ma question. Vous avez tourné autour du pot. Doctors Nova Scotia craint que les médecins doivent consacrer leur temps à faire de la paperasse au lieu de soigner leurs patients. Tout ce que je veux, c'est une réponse à la question que j'ai déjà posée à deux reprises. Essayons une troisième fois.

(1420)

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, les syndiqués s'attendent à ce que les dirigeants syndicaux soient transparents et qu'ils divulguent ce qu'ils font des cotisations syndicales. De leur côté, les syndiqués sont tenus, par ce qu'on appelle la formule Rand, de verser des cotisations syndicales, qu'ils soient membres ou non du syndicat. Compte tenu du fait que les syndicats, dans le cadre d'un acte gouvernemental, ont le privilège d'obliger les syndiqués à verser des cotisations, il me paraît très légitime que ces derniers aient accès aux livres et puissent consulter les dépenses autorisées par leurs dirigeants syndicaux.

Sénatrice, je comprends que le sénateur Cowan est votre leader, mais je vous rappelle que Justin Trudeau, votre chef, a fait parvenir une lettre à votre leader, dans laquelle il demande que vous vous opposiez par tous les moyens au projet de loi C-377. Vous pouvez tenter de faire croire à d'autres que Justin Trudeau n'est pas votre leader, mais il est évident que vous agissez sous la directive de votre chef, Justin Trudeau, en vous opposant à la transparence chez les leaders syndicaux.

S'il vous plaît, sénatrice, par respect pour les syndiqués, pourquoi ne pas appuyer le projet de loi C-377 et donner aux syndiqués l'accès à l'information qui est liée à la façon dont les dirigeants syndicaux dépensent leurs cotisations?

[Traduction]

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : J'ai une question complémentaire à poser au leader du gouvernement au Sénat sur le projet de loi C-377. L'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes a dit que toutes les obligations de divulgation s'appliqueront aux fonds communs de placement, y compris les REER et les CELI. En effet, selon la définition actuelle, si un seul membre d'un syndicat achète des unités d'un fonds commun de placement, ce fonds tombe sous la définition de « fiducie de syndicat » et les exigences de déclaration et d'accès publics s'y rattachant s'appliquent alors à tout détenteur d'unités dudit fonds, qu'il ait ou non une affiliation avec une organisation ouvrière.

Monsieur le leader, aux termes de ce projet de loi, le nom et les renseignements personnels de millions de Canadiens seront affichés sur Internet. Votre chef sait-il que le projet de loi aura de telles conséquences? Dans l'affirmative, est-ce quelque chose qu'il approuve?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, avec tout le respect que je vous dois, je ne comprends pas le sens de votre question. Au Sénat, vous prenez souvent la parole au nom des personnes les plus démunies et qui souffrent d'un manque de protection ou d'information. Le projet de loi qui nous est présenté propose de fournir plus d'information aux membres des syndicats afin qu'ils sachent ce que les dirigeants syndicaux font de leur argent.

Sénatrice, il me semble qu'il est tout à fait légitime de demander aux leaders syndicaux de déclarer ce qu'ils font avec l'argent des syndiqués. De toute évidence, nous voulons nous assurer que les syndiqués puissent avoir accès à de meilleurs renseignements. Pourquoi en priver ces syndiqués?

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de ce compliment par la bande. Cependant, j'ai cru comprendre, d'après ce que disent les syndiqués, qu'ils ont déjà accès à cette information. En fait, vous voulez que cette information soit rendue publique pour que tous les Canadiens puissent en prendre connaissance. Les syndiqués y ont déjà accès. Ce projet de loi nous permettra d'apprendre des choses comme le nombre d'heures qu'un syndiqué passe à une rencontre de scouts. C'est là le hic du projet de loi. Il est inconstitutionnel. Il ne protège pas les dirigeants syndicaux : il est inconstitutionnel.

Croyez-vous qu'il s'agit d'un projet de loi constitutionnel? Je ne pense pas qu'il le soit.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, sur le site web de l'Agence du revenu du Canada, vous pouvez consulter le même type de données financières sur les organismes de charité ou les fondations qui sont enregistrés. Pourquoi voulez-vous accorder davantage de droits aux dirigeants syndicaux que nous n'en accordons aux administrateurs et aux bénévoles d'organismes sans but lucratif?

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Monsieur le leader, ce projet de loi touche également à la vie privée des dirigeants syndicaux — ce qu'ils font et pour quelles organisations ils travaillent. Trouvez-vous que c'est acceptable?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, j'ai déjà été maire, et toute l'information qui concernait mes dépenses ou les personnes qui avaient des contrats avec la municipalité, peu importe la valeur du contrat, était publique. Qu'il s'agisse d'un paiement de 55 $ pour des achats à l'épicerie ou d'autre chose, tout était public.

Personne ne criait à l'atteinte à sa vie privée, parce que, lorsqu'un contrat se négocie avec une municipalité, on sait que la transaction sera rendue publique. Pourquoi procède-t-on ainsi? C'est parce qu'on paie des taxes. Les syndiqués ont le droit de savoir, parce qu'une loi les oblige à payer des taxes.

Les syndiqués sont obligés de payer des cotisations syndicales, qu'ils soient membres d'un syndicat ou non, et les dirigeants syndicaux peuvent dépenser cet argent. C'est la moindre des choses et c'est tout à fait légitime que ces syndiqués, qu'ils soient membres du syndicat ou non, aient accès à toute l'information qui concerne leur syndicat.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Vous avez agi convenablement. En tant que maire d'une municipalité, vous avez dit à vos concitoyens comment vous dépensiez l'argent prévu au budget.

Un syndicat dit à ses membres ce qu'il fait. Or, en vertu de ce projet de loi, les renseignements seront communiqués à tous les Canadiens. Il s'agit toutefois d'une question qui ne devrait toucher que le syndicat et ses membres. Dans les cas où les membres d'un syndicat estiment qu'ils ne sont pas bien servis par celui-ci, il incombe à la province compétente d'intervenir, et non au gouvernement fédéral.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'ai entendu plusieurs témoins dire que, même s'ils étaient membres d'un syndicat, ils ne recevaient pas d'information de la part des dirigeants syndicaux. Je vous rappelle que, lorsqu'on est membre d'un syndicat, on a accès à certains renseignements, mais lorsqu'on n'est pas membre, on est toujours tenu de payer la cotisation syndicale, sans droit d'accès aux assemblées générales et aux états financiers. Pourtant, on paie une cotisation; on devrait donc avoir un droit d'accès à l'information. C'est tout à fait légitime.

[Traduction]

L'honorable Sandra Lovelace Nicholas : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Tom Stamatakis, de l'Association canadienne des policiers, a déclaré dans son témoignage que les exigences en matière de divulgation prévues dans le projet de loi C-377 présenteraient un risque pour la sécurité des agents de police. Les personnes dont le nom et les renseignements personnels seront publiés sur Internet sont des agents de police actifs, y compris des agents d'infiltration qui luttent contre le crime organisé. M. Stamatakis a déclaré que, avec la technologie, de nos jours, il ne faudrait pas grand-chose pour que quelqu'un fasse quelque chose.

Ma question est la suivante : est-ce que le gouvernement de la loi et de l'ordre dont vous faites partie pense vraiment qu'il est pertinent d'obliger les agents de police à publier sur Internet leurs renseignements financiers personnels afin que tout le monde puisse en prendre connaissance, y compris des criminels?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, il s'agit d'une question de transparence. Lorsqu'une personne conclut un contrat avec un syndicat ou, directement ou indirectement, reçoit des cotisations syndicales payées par des membres, lorsqu'ils sont tenus de verser des sommes, il est tout à fait légitime que les syndiqués aient accès à l'information qui concerne les dépenses des dirigeants syndicaux.

(1430)

Sénatrice, je crois que les syndiqués le demandent. Ce projet de loi est un projet de loi de transparence. Nous allons devoir changer certaines de nos habitudes et faire preuve de responsabilité en matière de production, de documentation et d'information. C'est le prix à payer pour favoriser la transparence et veiller à ce que les sommes dépensées par les syndicats et les dirigeants syndicaux le soient à des fins légitimes, dans l'intérêt des syndiqués.

[Traduction]

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous remercie de votre réponse mais, comme vous le savez, les agents de la GRC ont déjà des ennemis. Un criminel pourrait vouloir engager quelqu'un pour les abattre. Ne pensez-vous pas que c'est un problème qui risque de se présenter?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, il ne faut pas citer des exemples hors contexte. La loi sur la transparence des syndicats fera en sorte que les gens prendront leurs responsabilités au sérieux. Ils produiront toute l'information pertinente pour permettre aux syndiqués d'avoir une idée légitime de la façon dont leurs dirigeants syndicaux dépensent leur argent. On l'a vu récemment, d'ailleurs, dans le cadre d'un projet de loi sur la transparence des Premières Nations, où les chefs des Premières Nations ont été obligés de déclarer les sommes qu'ils recevaient en salaire. Je suis convaincu que plusieurs membres des conseils de bande ont eu de belles surprises en apprenant les salaires de leurs chefs de bande.

[Traduction]

L'honorable Wilfred P. Moore : Monsieur le leader, mes questions sont dans la foulée de celles de la sénatrice Lovelace Nicholas. J'essaie de comprendre ce que vous dites.

Selon vous, puisque les dirigeants syndicaux sont rémunérés par les syndiqués, le salaire que touchent les syndiqués doit être divulgué au monde entier. En effet, une fois que ce renseignement est affiché sur Internet, c'est ce qui se produit. C'est là où la sénatrice Lovelace Nicholas veut en venir. Cependant, les renseignements personnels publiés sur Internet attireront l'attention de ceux qui voudraient faire du tort à des policiers. Est-ce bien là ce que vous êtes en train de dire?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur, mon salaire est rendu public au monde entier, et je n'en suis pas gêné.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Le mien aussi. Tout comme vous, j'ai déjà siégé au conseil d'une municipalité, mais je ne me rappelle pas qu'on ait publié en ligne le salaire des policiers du service de police d'Halifax. Je parie que vous ne l'avez pas fait vous non plus, en ce qui concerne votre municipalité. Voulez-vous nous expliquer cela?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je crois qu'il s'agissait des salaires supérieurs à 100 000 $. De toute façon, que le montant soit plus grand ou moindre, le jour où on accepte un salaire provenant d'un corps public ou d'une organisation qui profite du public pour tirer des revenus et certains avantages, le juste retour des choses exige que la population puisse savoir exactement qui reçoit ces salaires et comment s'effectuent ces dépenses.

Ce sont des avantages financés et des sommes payées par les syndiqués. Le fait que ces organisations ne paient pas d'impôt est une autre forme de contribution de la part de l'ensemble des contribuables. Il est donc tout à fait légitime que tous les contribuables aient, eux aussi, accès à cette information.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Vous dites donc que, selon la politique de votre gouvernement, quiconque est rémunéré à même les fonds publics, quelle que soit la nature de son travail, peut s'attendre à ce qu'on porte atteinte à sa vie privée et à ce que son salaire devienne du domaine public. Est-ce là votre politique?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur, ce que je dis, c'est que, lorsque vous recevez un contrat, que vous soyez embauché par un organisme public ou par une association tirant des avantages qui proviennent des impôts ou des deniers publics, il est tout à fait légitime que les membres de cette association, les syndiqués ou les Canadiens qui, au moyen de leurs impôts, contribuent à ces associations, puissent connaître la façon dont ces sommes sont dépensées. Vous avez tenté, au cours des derniers mois, de vous faire les champions de la modernisation du Sénat et de la transparence. Votre chef, Justin Trudeau, fait des conférences de presse pour parler de transparence. Toutefois, lorsque vient le temps d'agir, avec un projet de loi concret, qui vise à donner plus de transparence et d'information à des millions de Canadiens sur ce que leurs dirigeants syndicaux font de leur argent, vous voulez voter contre cette proposition et vous y faites obstruction en recourant à des procédés archaïques. Vous tentez de faire de l'obstructionnisme sur des projets de loi de cette nature pour empêcher les Canadiens de savoir ce que les dirigeants syndicaux font avec leur argent. Je ne vous comprends pas.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je comprends que vous ne puissiez pas comprendre. Je suppose que c'est une question de philosophie. Comme j'ai moi-même été un travailleur syndiqué à Halifax — je ne me rappelle pas quand j'ai adhéré au syndicat...

Son Honneur le Président : La période des questions est terminée.

Le sénateur Moore : Sauvé par la cloche.

La sécurité publique

Le point sur la question écrite

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Le 29 janvier 2015, j'ai présenté la demande écrite suivante :

Pour la période de trois ans s'étant terminée le 31 décembre 2014, relativement à chaque décès de détenus survenu dans des établissements fédéraux assujettis à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, pouvez-vous fournir l'information suivante :

a) le nom et le numéro du détenu;

b) la date de son décès;

c) son âge;

d) la cause du décès;

e) la peine purgée;

f) l'établissement où est survenu le décès?

J'ai posé la question le 29 janvier 2015 et je n'ai toujours pas reçu de réponse. Est-ce que la leader adjointe ou le leader pourrait me dire quand j'aurai une réponse?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénateur, je vous signale que ce sont là des renseignements privés. J'ai demandé que l'on fasse un suivi de l'ensemble des questions auxquelles nous n'avons pas encore donné de réponses. Nous comptons bien vous revenir à ce sujet d'ici peu.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, conformément à l'article 4-13(3) du Règlement, j'informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l'ordre suivant : la motion no 118, suivie par la motion no 117, suivie par les autres articles dans l'ordre où ils figurent au Feuilleton.

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Prise de décision sur le projet de loi—Fixation de délai—Adoption de la motion

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement), conformément au préavis donné le 26 juin 2015, propose :

Que, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l'étude de la motion no 117 sous la rubrique « Affaires du gouvernement », portant sur la disposition du projet de loi C-377.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet de la motion no 118.

(1440)

L'adoption de la motion no 118 fera en sorte que la motion no 117 fasse l'objet d'un débat opportun, ce qui nous permettra ensuite de mettre aux voix le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), à mesure que nous approchons la fin de la quarante-et-unième session du Parlement.

Comme je l'ai déjà indiqué, le projet de loi C-377 a déjà été minutieusement étudié par deux comités permanents, qui ont entendu 72 témoins et délibéré pendant 23 heures. À la seule étape de la troisième lecture, les sénateurs d'en face ont pris la parole à plus de 40 reprises. Des ressources considérables ont donc été consacrées à ce projet de loi — plus que pour la plupart des projets de loi ministériels.

Lors des discussions au stade du plumitif, nous n'avons pas réussi à en arriver à une entente relativement à l'attribution de temps pour le débat sur la motion. Je demande donc à tous les honorables sénateurs d'adopter la motion no 118 pour veiller à ce que le projet de loi C-377 soit enfin mis aux voix. J'espère que tous les honorables sénateurs conviendront avec moi qu'il est temps de clore un débat de bien longue haleine.

Merci.

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Merci, Votre Honneur. La motion dont nous sommes saisis constitue un point tournant déterminant et dangereux dans l'histoire de notre institution. Tout le monde sait que nous tenons ce débat aujourd'hui uniquement parce que le sénateur Carignan a convaincu 31 de ses collègues conservateurs de se joindre à lui pour annuler une décision rendue par le Président la semaine dernière.

Le Président avait décidé que la motion de la sénatrice Martin portant sur la disposition du projet de loi C-377 était irrecevable parce qu'elle était contraire au Règlement du Sénat. Je doute que qui que ce soit pense vraiment que le sénateur Housakos avait tort, qu'il a mal interprété le Règlement du Sénat. Sa décision faisait suite à celle rendue par le Président Kinsella deux ans plus tôt sur une question identique, et personne ne peut sérieusement prétendre que le très chevronné sénateur Kinsella ignorait les règles.

Deux Présidents ont clairement et fermement décrété que la motion de la sénatrice Martin est irrecevable, inadmissible et contraire au Règlement du Sénat. La motion fait fi de la distinction cruciale que font notre Règlement et nos usages bien établis entre les initiatives ministérielles et parlementaires.

Que faire lorsque les règles vous empêchent d'arriver à vos fins? La plupart des gens envisageraient différentes approches pour contourner la difficulté. La plupart des gens respectent les règles et adaptent leurs démarches en conséquence. C'est ce qu'on attend de la part de citoyens dans une société civilisée : le respect des règles.

Le sénateur Carignan a décidé de s'y prendre autrement parce que, avec cette approche, il lui aurait été très difficile d'obtenir ce qu'il voulait au moment où il le voulait. La loi et l'ordre, c'est très bien tant qu'ils s'appliquent aux autres et tant que ceux qui se considèrent au pouvoir n'en sont pas incommodés.

Étant donné les circonstances, il a fallu trouver une nouvelle approche, une nouvelle doctrine. Le sénateur Carignan en a donc créé une. Désormais, lorsque quelqu'un faisant office d'arbitre ou de juge contrecarre nos plans, il suffit d'ignorer les règles. C'est ce qui s'est produit vendredi. Le Président a indiqué au sénateur Carignan que sa démarche était irrecevable. Le sénateur Carignan a répliqué qu'il poursuivait dans la même voie, malgré la décision rendue, et que ses pairs allaient en toute loyauté exécuter ses volontés.

Lorsque les Canadiens ont demandé comment il est possible que les règles et les précédents du Sénat soient ainsi bafoués, on leur a répondu qu'il s'agissait en fait d'une démonstration de démocratie, puisque ceux qui ont réclamé à grands cris l'abrogation de la décision du Président ont parlé plus fort que ceux qui l'appuyaient. Bien des Canadiens en concluront que c'est la loi du plus fort qui règne, peu importent les règles.

Ce qui rend la doctrine du sénateur Carignan particulièrement digne de mention, c'est qu'il n'a même pas prétendu vouloir modifier officiellement les articles du Règlement qui le gênaient, car modifier officiellement certains articles du Règlement signifie respecter encore plus de dispositions régissant le processus, et cela aurait été beaucoup trop difficile à gérer. Cela aurait pris beaucoup trop de temps.

Donc, le sénateur Carignan, qui était confronté à un problème difficile, je l'admets, lié à l'application du Règlement, s'est tourné vers le grand principe démocratique qui a préséance sur tous les autres : la fin justifie les moyens. La fin, c'est le fait d'obliger les sénateurs à adopter le projet de loi C-377, comme l'ont exigé le premier ministre et M. Hiebert; les moyens, c'est le fait d'utiliser les loyaux sujets du parti pour infirmer la décision de notre Président impartial, pour infirmer la décision de notre arbitre.

Chers collègues, nous n'aurions jamais dû en arriver là.

Le leader du gouvernement au Sénat est responsable de la gestion du programme législatif du gouvernement dans cette enceinte. Il n'aurait jamais dû décider qu'il était aussi responsable des initiatives parlementaires ici, au Sénat. Il n'aurait pas dû décider qu'il lui incombait de choisir les projets de loi d'initiative parlementaire présentés au Sénat et d'être responsable du sort réservé aux projets de loi adoptés par les députés élus de la Chambre des communes. Le sénateur Carignan a décidé qu'il s'occuperait de toutes les affaires du Sénat, et non pas uniquement des affaires du gouvernement.

Malheureusement, selon lui, le Règlement du Sénat ne lui permet pas d'agir de cette façon. Nos règles et nos pratiques font une distinction claire entre les affaires du gouvernement et les autres affaires. Jusqu'à vendredi dernier, cette Chambre tenait pour acquis, surtout depuis la décision détaillée et sans équivoque rendue par le Président Kinsella, que le sénateur Carignan ne pouvait pas utiliser les outils servant à accélérer l'étude des affaires du gouvernement pour accélérer l'étude des initiatives parlementaires. En fait, dans un nouveau document paru en juin 2015, intitulé La procédure du Sénat en pratique, on peut lire ce qui suit à la page 107 :

La fixation de délais consiste à établir une limite à la période pouvant être consacrée au débat sur une affaire du gouvernement. [...] Seul le gouvernement peut proposer de fixer un délai, et seulement pour ses propres affaires.

Qu'entend-on pas « ses propres affaires »? Quelles sont les « affaires du gouvernement »?

Vendredi, le leader du gouvernement a donné à cette question une réponse catégorique — les affaires du gouvernement sont toutes celles que le leader du gouvernement déclare d'intérêt gouvernemental. En des termes qui conviendraient davantage à des décrets impériaux d'une époque révolue, le sénateur Carignan a affirmé : « Les seules personnes dans cette Chambre qui peuvent déterminer ce qu'est une affaire d'intérêt gouvernemental sont le leader du gouvernement et le leader adjoint. »

La monarchie de droit divin — que proclamait Louis XIV au XVIIe siècle — correspond à la façon de penser du sénateur Carignan qui, au XXIe siècle, décrète qu'il est « le seul à décider ».

La déclaration que le sénateur a faite vendredi était stupéfiante. Il sera le seul à décider, et si quelqu'un trouve à redire à cette assertion, croyant peut-être que le Président de même que le Règlement, les usages et les précédents du Sénat ont un rôle à jouer dans de telles décisions, ses collègues se rangeront derrière lui pour neutraliser l'arbitre et faire taire les adversaires, illustrant ainsi un principe démocratique qui semble de plus en plus populaire : « la force prime le droit ».

On a beaucoup parlé de ma propre contestation d'une décision du Président en 2009, comme si les deux cas étaient comparables. Ils ne le sont pas. En mars 2009, deux semaines après que le Sénat eut adopté le projet de loi d'exécution du budget présenté par le gouvernement, le Plan d'action économique du Canada, on pouvait lire sur le site web du gouvernement que le Sénat devait approuver cette mesure législative pour qu'elle ait force de loi et que les sénateurs devaient faire leur part pour assurer l'adoption rapide de ce projet de loi de première importance.

Chers collègues, ce qui était affiché sur le site web du gouvernement était totalement faux; c'était un mensonge éhonté. Des gens inquiets de leurs prestations d'assurance-emploi m'envoyaient des courriels au sujet du projet de loi d'exécution du budget. Je leur répondais de ne pas s'en faire, parce que le Sénat avait déjà adopté la mesure législative et qu'elle avait alors force de loi. Le gouvernement affirmait pourtant aux mêmes personnes sur son site web officiel que le Sénat n'avait pas adopté le projet de loi, ce qui donnait l'impression aux gens que je ne leur disais pas la vérité dans mes courriels. J'ai donc soulevé une question de privilège dès que je l'ai appris.

Lorsque le Président a déterminé qu'il n'y avait pas, à première vue, matière à soulever la question de privilège en faisant valoir que je n'avais pas réussi à démontrer que le ministère concerné avait agi ainsi de façon intentionnelle, la sénatrice Tardif, qui était alors ma leader adjointe, a fait appel de la décision avec succès. La question a été renvoyée au Comité du Règlement, qui a entendu des témoins, accepté les excuses d'un haut fonctionnaire, puis produit un rapport unanime sous la direction du président, le sénateur Oliver.

Le comité a conclu à l'unanimité que ce qui avait été publié sur le site web du gouvernement était « une offense au Sénat » et causait « préjudice à l'autorité, à la dignité et aux privilèges du Sénat ». Le Sénat a adopté ce rapport à l'unanimité le 23 juin 2009.

(1450)

En appelant de la décision du Président, je voulais défendre les privilèges du Sénat et de tous les sénateurs. Il était question de privilèges personnels et institutionnels, et l'interprétation donnée par le sénateur Carignan la semaine dernière était le comble de l'hypocrisie.

L'appel de la décision du Président qu'a fait le sénateur Carignan était complètement différent. De plus en plus de Canadiens voient cela comme un contournement de nos règles et de nos traditions de la part de gens qui sont prêts à porter atteinte à l'autorité de notre Président simplement pour mener à bien la vengeance que M. Hiebert exerce contre les syndicats canadiens, avec l'appui du premier ministre.

Même si elle a été renversée, j'estime que la décision prise la semaine dernière était la bonne, et que nous nous engageons sur une voie très dangereuse.

Fait-on désormais la moindre distinction entre les projets de loi d'initiative ministérielle et les projets de loi d'initiative parlementaire au Sénat? Il semble que ce ne soit pas du tout le cas lorsqu'il s'agit de limiter le débat. Désormais, si le comité fait rapport, sans proposition d'amendement, sur deux projets de loi, un projet de loi d'initiative ministérielle et un projet de loi d'initiative parlementaire, on pourrait, dans les deux cas, forcer la tenue d'un vote final à l'étape de la troisième lecture exactement en même temps, deux jours plus tard. Dans le cas du projet de loi d'initiative ministérielle, on appliquerait directement la procédure de fixation de délai, et dans celui du projet de loi d'initiative parlementaire, cette fixation de délai serait imposée au moyen d'une motion de disposition du gouvernement.

Je me demande pourquoi le sénateur Carignan ne cesse pas tout simplement cette supercherie qui consiste à utiliser une motion de disposition du gouvernement pour appliquer de force à un projet de loi d'initiative parlementaire la procédure de fixation de délai réservée aux projets de loi d'initiative ministérielle. Pourquoi ne fait-il pas tout simplement écho aux propos qu'il a tenus vendredi dernier en déclarant devant nous tous qu'il fera inscrire tout ce qu'il veut sous la rubrique « Affaires du gouvernement » de l'ordre du jour du Sénat, et qu'il imposera une motion de fixation de délai pour tout article qu'il décidera de faire inscrire sous cette rubrique?

Il est évident que, de ce côté-ci, nous invoquerions le Règlement. Le Président, exactement comme il l'a fait la semaine dernière, donnerait tort au leader du gouvernement. Cependant, la décision du Président serait alors annulée par le sénateur Carignan et ses loyaux sujets, assurant du coup une remarquable efficacité au Sénat, où l'on pourrait restreindre au minimum le temps que nous sommes obligés de passer ici.

Chers collègues, je ne puis vous dire à quel point je suis consterné par ce que nous nous apprêtons à faire aujourd'hui.

De ce côté-ci de l'assemblée, comme législateurs, nous avons toujours présumé que nos travaux seraient régis par la primauté du droit. Cela a changé vendredi, et le nouvel ordre est consolidé chaque fois que nous votons. Plutôt que de nous en remettre au Règlement, on nous dit que nous devrions faire confiance au bon jugement du gouvernement.

J'ai très peu confiance dans les décisions qui seront dorénavant prises quand je vois tout ce qu'on sacrifie dans notre institution pour faire adopter une mesure législative absolument atroce. Ce qui s'est passé au cours des derniers jours me dépasse complètement.

Chers collègues, comme je ne pourrai pas parler de nouveau au sujet de la motion de disposition du projet de loi à proprement parler, je vais tout de suite parler brièvement des mérites du projet de loi.

C'est le dernier débat de la 41e législature. À la fin de la dernière, la quarantième, le gouvernement Harper avait été reconnu coupable d'outrage au Parlement, une première dans l'histoire du Canada, que dis-je, dans l'histoire du Commonwealth. Maintenant, alors que s'achève la présente législature, le gouvernement Harper se comporte encore une fois d'une façon qui ne pourrait être qualifiée que d'outrage au Parlement.

Il y a eu infraction au Règlement du Sénat et une décision du Président — en fait, deux décisions de la présidence, soit celles du Président Housakos et du Président Kinsella — ont été écartées et annulées parce qu'elles ne faisaient pas l'affaire du gouvernement Harper. Comme le sénateur Mitchell l'a mentionné vendredi, le premier ministre, qui se vante de fixer les règles, n'a pas eu de difficulté à devenir celui qui les enfreint. Tant pis pour « la loi et l'ordre ». Les Canadiens savent maintenant que cela signifie un gouvernement qui se considère au-dessus de la loi tandis que le premier ministre donne des ordres. N'importe quel avocat vous dira que, lorsqu'un gouvernement est prêt à enfreindre la loi et les règles — lorsque les règles sont appliquées arbitrairement, selon ses caprices — cela n'a rien à voir avec la loi.

Honorables sénateurs, quel genre d'assemblée législative sommes-nous si nous sommes prêts à enfreindre nos propres règles pour adopter des lois? Comment demander aux Canadiens de respecter les lois quand elles ne peuvent être adoptées qu'en enfreignant les règles?

Pourquoi le gouvernement fait-il cela? Pour imposer le projet de loi C-377, une mesure législative d'initiative parlementaire qui est inconstitutionnelle, qui va carrément à l'encontre du droit des Canadiens à la protection de leurs renseignements personnels, qui est mal rédigée et auxquelles s'opposent sept gouvernements provinciaux, qui représentent 81,4 p. 100 de la population canadienne.

Certains sénateurs d'en face se sont moqués de notre tentative pour empêcher la tenue d'un vote sur le projet de loi. Que les choses soient claires, honorables sénateurs : le projet de loi a traîné pendant de longs mois au Sénat, que ce soit ici ou en comité, sans qu'aucun des sénateurs d'en face n'agisse pour faire avancer les choses. Les sénateurs de ce côté-ci ont tout mis en œuvre pour en retarder l'examen parlementaire. Disons-le franchement : la Chambre de second examen objectif a le devoir de ralentir la progression d'une aussi mauvaise mesure législative. Or, jusqu'à tout récemment, il ne nous était pas nécessaire d'agir, car, comme le confirmeront tous les observateurs, le gouvernement semblait lui-même retarder soigneusement le cheminement du projet de loi.

Nous savons depuis longtemps que le projet de loi indispose plusieurs sénateurs d'en face. Nous croyons comprendre que plusieurs ministériels — des ministres, même — sont mécontents de ce projet de loi et espéraient secrètement qu'il meure au Feuilleton.

Honorables sénateurs, il faut amender le projet de loi ou le laisser mourir au Feuilleton.

Le projet de loi C-377 est du jamais vu dans le droit canadien. Il irait carrément à l'encontre du droit à la protection des renseignements personnels des Canadiens. Je ne redirai pas ce que j'ai déjà dit. Il me suffit de dire que, nulle part ailleurs au Canada, dans aucun autre domaine, on ne force des employés du secteur privé à publier leur nom et leur salaire sur Internet et à révéler ainsi ces renseignements à leurs voisins et au monde entier. On n'oblige même pas les fonctionnaires fédéraux à le faire. En fait, les lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels l'interdisent. Pour la seule et unique raison que le gouvernement actuel n'aime pas les syndicats, le projet de loi violerait carrément ce droit et les lois protégeant les renseignements personnels des Canadiens.

Deux commissaires fédéraux à la protection de la vie privée ont dit avoir des réserves au sujet de ce projet de loi. Celui qui est actuellement en poste, et qui a été nommé par le premier ministre Harper, a été sans équivoque : le projet de loi va trop loin et pourrait être contesté en vertu de la Charte des droits et libertés.

Il n'y a pas que le nom et le salaire des gens qui vont être rendus publics; le texte du projet de loi C-377 prévoit que le temps consacré par une personne à des activités politiques sera aussi affiché sur Internet. Chers collègues, y a-t-il un droit plus fondamental en démocratie que celui de prendre part à des activités politiques sans avoir de comptes à rendre au gouvernement? Franchement, honorables sénateurs, c'est exactement le genre de dispositions auxquelles on pourrait s'attendre dans un pays totalitaire.

La liste des éléments qui devront être publiés est très longue. Elle fait plusieurs pages du projet de loi. Certains d'entre eux, et j'en ai déjà parlé, sont tout simplement incompréhensibles. Je me demande sincèrement comment les organismes vont pouvoir se conformer à tout ça. Il y a certains alinéas que je ne comprends même pas et, selon ce qu'on a entendu au comité, le parrain du projet de loi, M. Russ Hiebert, n'en est pas certain lui non plus. Quand on l'a interrogé sur la signification de certains passages en particulier, il a dit s'en remettre à l'Agence du revenu du Canada pour tirer tout ça au clair. Quelle sorte de réponse est-ce là, chers collègues? L'Agence du revenu du Canada n'aura d'autre choix que d'appliquer la loi telle qu'elle est écrite. On nous demande d'adopter une mesure législative qui obligera un vaste éventail d'organismes privés et de Canadiens à divulguer une foule de renseignements alors que même son parrain est incapable de nous dire précisément qui doit déclarer quoi.

Ceux qui contreviendront à la future loi commettront une infraction et s'exposeront à des amendes de 1 000 $ par jour, jusqu'à un maximum de 25 000 $. Comment pouvons-nous infliger des amendes à quelqu'un et le déclarer coupable d'une infraction si nous ne savons même pas qui est visé par le projet de loi qu'on nous demande d'adopter ni ce qu'on attend des personnes ainsi visées?

Ce qui m'amène à mon prochain point. Le projet de loi est mal rédigé. Comme chacun le sait, c'est un projet de loi d'initiative parlementaire, ce qui veut dire qu'il n'a pas été rédigé par les fonctionnaires du ministère de la Justice, qui s'y connaissent en matière de rédaction législative. Le résultat est tel qu'on pourrait en rire si ce n'était des conséquences choquantes et onéreuses.

Lorsque le leader du gouvernement nous a présenté le projet de loi aujourd'hui, il en a justifié l'existence par le besoin d'assurer la transparence et la reddition de comptes des syndicats. Or, les témoignages entendus nous indiquent clairement que, tel qu'il est rédigé, le projet de loi s'appliquera à beaucoup d'autres organismes, en plus des syndicats. Les médecins nous ont dit qu'ils allaient devoir s'y plier. L'association Doctors Nova Scotia nous a écrit pour nous signaler que, selon l'avis juridique qu'elle a reçu, elle devra se soumettre aux dispositions du projet de loi, alors que personne ne considérerait normalement cette association comme un syndicat.

(1500)

Des scénaristes, des procureurs de la Couronne et même l'Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey nous ont dit que ce projet de loi s'appliquerait à eux. À l'instar des syndicats, ils s'inquiètent beaucoup de devoir communiquer divers renseignements, comme le projet de loi les y obligera, ce qui sera envahissant, exigeant et onéreux.

Les sénateurs d'en face pensent que nous gaspillons sans vergogne les deniers publics parce que nous obligeons le Sénat à continuer de débattre ce projet de loi. Pourtant, c'est notre travail. Nous sommes payés pour le faire. Inversons un peu le raisonnement pour voir : que pensent les députés d'en face des coûts énormes que nous imposerons aux Canadiens si nous adoptons ce projet de loi sans l'amender? J'ai reçu des centaines, voire des milliers de courriels de la part de Canadiens qui craignent les effets qu'auront sur eux les dispositions du projet de loi C-377. Pourtant, je n'ai pas reçu un seul courriel de la part d'une personne qui aurait protesté contre la prolongation de nos travaux pour débattre de ce projet de loi.

Parmi les constatations les plus choquantes, on s'est aperçu que le projet de loi s'appliquerait aux fonds communs de placement. Les millions de Canadiens ordinaires qui détiennent des parts dans un tel fonds — et qui n'ont peut-être jamais été membres d'un syndicat de toute leur vie — risquent de voir leur nom et des renseignements personnels à leur sujet diffusés sur Internet. Cela se produira sans leur consentement et peut-être même sans qu'ils le sachent. Des millions de Canadiens ont investi soigneusement leurs économies dans un REER ou un CELI, c'est-à-dire le compte d'épargne libre d'impôt sur lequel le gouvernement mise tant pour encourager les Canadiens à épargner davantage. Ces Canadiens ordinaires, que le gouvernement encourage à investir dans un CELI, auront la surprise de découvrir que ce même gouvernement a forcé le Parlement à adopter un projet de loi faisant en sorte que leur nom et leurs renseignements personnels soient diffusés sur Internet.

Comme le commissaire à la protection de la vie privée l'a dit à notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, normalement, la Loi sur la protection des renseignements personnels exigerait l'obtention du consentement de ces personnes, mais ce n'est pas le cas avec le projet de loi C-377.

C'est parce que les dispositions du projet de loi C-377 sur les fiducies de syndicat sont mal rédigées. Pire encore, le projet de loi ne contient aucune disposition permettant au gouvernement de soustraire, par voie réglementaire, quelqu'un ou quelque chose à son application. Par conséquent, ce que le Sénat adoptera sera la loi. Vous voterez en faveur de l'affichage en ligne des renseignements personnels de millions de Canadiens qui ne se doutent de rien. De plus, toutes les obligations de divulgation du projet de loi — l'exigence d'afficher les noms et les salaires, les primes, le temps consacré à la conduite d'activités politiques et une longue liste d'autres renseignements — s'appliqueront aux cadres, aux administrateurs, aux fiduciaires, ainsi qu'aux « personnes exerçant des fonctions de gestion » au sein de chaque fiducie de syndicat; autrement dit, de chaque fonds commun de placement. Il y a plus de 9 000 de ces fonds au Canada. À votre avis, qu'est-ce que les conseillers en placements et les dirigeants de Bay Street et de l'ensemble du pays penseront de cela?

Nous pourrions corriger ces dispositions, honorables collègues. Nous devrions adopter, dans la mesure du possible, des dispositions de divulgation qui sont constitutionnelles et qui sont appropriées pour une fiducie de syndicat. Je suis convaincu qu'aucun sénateur ne croit qu'il serait avantageux d'exiger l'affichage sur Internet des noms et des renseignements personnels de tous les Canadiens investissant dans un fonds commun de placement.

Voulez-vous réellement que ce projet de loi soit la dernière mesure prise par le gouvernement actuel, la dernière mesure législative adoptée lors de cette législature?

Ce projet de loi comporte beaucoup de lacunes graves, honorables collègues, mais la pire d'entre elles est son inconstitutionnalité. C'est la conclusion à laquelle est arrivée la vaste majorité des experts qui ont comparu devant nous et nous ont écrit. Malgré son titre, le projet de loi C-377 ne porte pas sur la Loi de l'impôt sur le revenu, mais sur les relations de travail, et, à l'exception des rares industries sous réglementation fédérale, les relations de travail relèvent de la compétence des provinces.

Tous les experts nous l'ont dit, à une exception inhabituelle près. Comme je l'ai expliqué plus tôt dans mon discours, l'ancien juge de la Cour suprême, Michel Bastarache, n'était pas du même avis. Cependant, comme il nous l'a ouvertement dit, son avis était payé par Merit Canada, l'un des principaux partisans du projet de loi C-377. Comme d'autres l'ont laissé entendre, un peu plus charitablement peut-être, son avis pouvait être qualifié, au mieux, d'opinion « dissidente ».

Nous avons appris que le projet de loi sera probablement jugé inconstitutionnel, parce qu'il ne respecte pas le principe du partage des compétences, aux termes de la Constitution, et qu'il est fort possible qu'il viole la Charte. L'Association du Barreau canadien et plusieurs autres constitutionnalistes — y compris le commissaire à la protection de la vie privée — nous ont dit que le projet de loi pose problème au chapitre de la liberté d'expression, de la liberté d'association et du droit à la vie privée prévus par la Charte.

Les provinces sont également venues témoigner. En fait, sept provinces — la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard, le Québec, l'Ontario, le Manitoba et l'Alberta — nous ont écrit ou ont fait comparaître des ministres devant le comité pour nous demander de ne pas adopter ce projet de loi. Sept provinces, qui représentent 81,4 p. 100 de la population. Sommes-nous prêts à ignorer ces voix?

Pas un seul gouvernement provincial ne nous a écrit pour nous exhorter à adopter le projet de loi C-377. Pas un seul.

Nous avons entendu que le projet de loi C-377 n'est pas nécessaire, qu'il est une solution en quête d'un problème. Les syndicats divulguent déjà leurs renseignements financiers, conformément aux lois provinciales. Sur les dix provinces, huit ont adopté une loi pour obliger les syndicats à divulguer les renseignements qu'elles jugent appropriés. Les partisans du projet de loi C-377 le défendent parce qu'ils sont d'avis que les lois provinciales ne vont pas assez loin. Ce n'est toutefois pas un une raison valable pour que nous, en tant que législateurs fédéraux, légiférions sur une question qui relève des provinces — juste parce que quelqu'un n'est pas d'accord avec les choix d'un gouvernement provincial dûment élu.

Chers collègues, vous avez raison d'y déceler une tendance très troublante. Comme le gouvernement Harper n'hésite pas à porter atteinte aux règles fondamentales du Parlement lorsqu'il souhaite imposer sa volonté, il n'est pas étonnant qu'il fasse abstraction des limites prévues dans notre Constitution. Voyez-vous, c'est le premier ministre Harper qui fixe les règles, et rien ne peut lui faire obstacle, pas même les provinces, la Charte des droits et libertés ou la fichue Constitution.

En fait, on nous a dit que le système utilisé actuellement pour divulguer les renseignements financiers fonctionne bien. Kelly Regan, ministre du Travail de la Nouvelle-Écosse, ma province, a déclaré devant le comité qu'aucune plainte portant sur les dispositions relatives à la divulgation n'avait été déposée au cours des cinq dernières années en Nouvelle-Écosse.

Les gouvernements provinciaux nous ont parlé de l'équilibre essentiel qui se trouve au cœur de nos lois du travail. Si nous nous immisçons dans ce dossier, en particulier avec un projet de loi d'initiative parlementaire irréfléchi et mal ficelé, nous allons bouleverser cet équilibre, et les conséquences pourraient être considérables, notamment pour notre économie, alors que, comme le gouvernement fédéral se plaît à nous le répéter sans cesse, la situation économique actuelle est encore très fragile.

Lors de son témoignage devant le Comité sénatorial des banques, en 2013, l'ancien ministre du Travail de la Nouvelle-Écosse a bien résumé la situation en déclarant que le projet de loi C-377 « [...] troublera l'équilibre en place ».

Est-ce ce que nous souhaitons, chers collègues? Est-ce que le nouveau « plan d'action économique » du gouvernement consiste à nuire à notre économie afin de pouvoir s'attaquer aux syndicats pour des raisons idéologiques?

Notre ancien Président, le regretté sénateur Nolin, a parlé avec éloquence dans cette enceinte de notre rôle en tant que représentants des régions de la fédération canadienne. Après avoir lancé une interpellation sur cette question, il a déclaré ce qui suit le 25 février 2014 :

[...] la structure bicamérale du Parlement du Canada confie, entre autres, au Sénat la responsabilité de s'assurer que les intérêts des régions et de leurs populations soient considérés dans l'exercice de ses rôles.

Comment pouvons-nous assumer cette responsabilité fondamentale si nous ne prenons pas en considération l'avis de sept provinces qui nous demandent de ne pas adopter ce projet de loi? Allons-nous vraiment accorder plus de valeur aux arguments de Russ Hiebert qu'aux appels lancés par le premier ministre MacLauchlan, de l'Île-du-Prince-Édouard, le premier ministre Gallant, du Nouveau-Brunswick, le premier ministre McNeil, de la Nouvelle-Écosse, le premier ministre Couillard, du Québec, la première ministre Wynne, de l'Ontario, le premier ministre Selinger, du Manitoba, et la première ministre Notley, de l'Alberta?

D'autres sénateurs ont participé au débat sur l'interpellation du sénateur Nolin en parlant de ce rôle de façon fort éloquente. Or, ces paroles ne suffisent pas. C'est dans des situations comme celle-ci que nous devons démontrer que nous sommes prêts à répondre à l'appel des régions qui demandent à ce que nous fassions notre véritable travail en agissant en leur nom.

Les gouvernements provinciaux ne peuvent pas se prononcer sur l'adoption des projets de loi fédéraux. Nous sommes leur voix. Comment pouvons-nous demeurer silencieux?

Honorables collègues, nous avons fait du bon travail lors de notre étude de ce projet de loi. Deux comités sénatoriaux ont passé beaucoup de temps à écouter des témoignages et à lire des mémoires sur le projet de loi. À l'autre endroit, on a étudié le projet de loi à la hâte et adopté des amendements avec plus ou moins de rigueur et très peu de débat, ce qui explique en partie les nombreuses erreurs de rédaction du projet de loi. Ce n'est pas ce que nous avons fait. Nous avons tenu d'excellents débats sur les mérites et les lacunes du projet de loi. Nous avons entendu des témoins et, au cours de l'examen que nous avons effectué, nous avons découvert de nombreux problèmes, notamment ceux que j'ai signalés ici.

(1510)

Le hic, c'est que la majorité ministérielle refuse d'écouter ce qu'ont dit les témoins.

Nous convenons tous que l'une des responsabilités des sénateurs consiste à donner aux Canadiens intéressés et inquiets l'occasion de se faire entendre. Toutefois, cela ne veut rien dire si nous refusons de les écouter quand ils s'expriment.

Une majorité écrasante de témoignages entendus et de mémoires reçus par nos deux comités confirme que ce projet de loi comporte de graves et profondes lacunes. Il est inacceptable que le gouvernement refuse de reconnaître la légitimité de l'avis de très nombreuses personnes qui se sont adressées aux deux comités du Sénat. Or, c'est manifestement ce qui est sur le point de se produire.

Le dernier geste posé par le gouvernement Harper au cours de la 41e législature consiste à enfreindre les règles de l'une des deux Chambres du Parlement pour faire adopter un projet de loi qui est, de l'avis des experts, inconstitutionnel, qui viole de façon flagrante la vie privée des Canadiens et auquel s'opposent sept provinces représentant 81,4 p. 100 de la population canadienne. Voilà qui résume ce que beaucoup de Canadiens n'aiment pas du gouvernement Harper : il enfreint les règles pour arriver à ses fins; il fait fi du point de vue des gouvernements provinciaux; il ne tient aucun compte de la Constitution et de la Charte; et il ne respecte même pas la décision du Président qu'il a lui-même nommé. En un mot, l'histoire du projet de loi C-377 est celle du gouvernement Harper.

Cependant, honorables sénateurs, nous sommes une Chambre indépendante. Nous ne sommes pas tenus de participer à ce jeu.

Les Canadiens surveillent ce qui se passe au Sénat. Nous avons de nombreux détracteurs, honorables sénateurs. Ne vous y méprenez pas, chaque fois que nous manquons à notre devoir — c'est-à-dire que nous n'écoutons pas les témoins qui comparaissent devant nous, que nous ne tenons pas compte des provinces que nous sommes censés représenter, ou que nous faisons fi des dispositions de la Constitution et de la Charte —, chaque fois que nous nous contentons d'adopter la position dictée par le gouvernement, nous donnons de plus en plus d'armes à nos détracteurs. En effet, à quoi sert le Sénat si nous utilisons notre pouvoir de cette manière?

Beaucoup de sénateurs ont prononcé de belles paroles au sujet du rôle et de la valeur du Sénat et souligné combien il est important de pouvoir agir indépendamment au lieu de se contenter d'adopter automatiquement tout ce qu'on nous renvoie. Mais les mots ne suffisent pas. Les Canadiens nous regardent. Ils nous jugeront selon les gestes que nous posons, pas les paroles que nous prononçons.

Le projet de loi C-377 doit être rejeté, ou à tout le moins être amendé. L'ensemble du Sénat s'entendait là-dessus en 2013. Depuis, le projet de loi n'a pas changé. Aucun nouveau sénateur n'a été nommé depuis lors. Notre réponse devrait être exactement la même que ce qu'elle était en 2013.

Tâchons de faire notre travail : amendons le projet de loi, ou rejetons-le entièrement.

L'honorable Jane Cordy : Honorable sénateurs, j'aimerais intervenir dans le débat sur la motion d'attribution de temps. Le projet de loi C-377 est une initiative parlementaire qui nous vient de l'autre endroit. Les députés ont respecté la procédure à suivre à l'égard des projets de loi d'initiative parlementaire, mais ici, au Sénat, les conservateurs ont décidé de passer outre aux règles. Pire encore, ils se sont servis de leur majorité pour renverser une décision du Président.

Je suppose que tout revient à ce qu'a dit le premier ministre : « C'est moi qui fixe les règles. » Comme l'a dit le sénateur Mitchell vendredi dernier, M. Harper aurait dû dire : « C'est moi qui enfreins les règles. »

Je sais que le Sénat accorde la priorité aux affaires ministérielles. Je sais également que le gouvernement peut invoquer la clôture pour faire adopter des initiatives ministérielles; c'est prévu dans le Règlement. Ça ne me plaît pas toujours, mais le gouvernement doit pouvoir faire adopter les projets de loi sur lesquels il a fait campagne. Le gouvernement Harper a fait plus souvent appel à la clôture que tout autre gouvernement pour faire adopter son programme législatif, autant à la Chambre des communes qu'ici, au Sénat.

J'ai de très bons souvenirs de l'ancien sénateur John Lynch-Staunton, qui était leader des conservateurs lorsque j'ai été nommé au Sénat. Dans le discours qu'il a prononcé à l'occasion du départ à la retraite du sénateur Graham, il a mentionné que le sénateur Graham avait un grand respect du rôle de l'opposition. Les sénateurs Graham et Lynch-Staunton étaient capables de faire adopter le programme législatif du gouvernement tout en respectant le rôle de l'opposition conservatrice dans notre démocratie.

Honorables sénateurs, les règles concernant la fixation de délai ne s'appliquent pas aux projets de loi d'initiative parlementaire. Le Président Kinsella a conclu dans une de ses décisions que la fixation de délai ne pouvait être employée pour les projets de loi d'initiative parlementaire. La semaine dernière, le Président du Sénat, le sénateur Housakos, a déclaré que la motion de clôture présentée par le gouvernement était irrecevable.

Dans sa décision rendue en 2013 sur une motion de fixation de délai présentée elle aussi par la sénatrice Martin, le sénateur Kinsella a indiqué que la motion était irrecevable :

Il revient à tous les sénateurs de protéger les intérêts à long terme du Sénat et l'intégrité de ses traditions et pratiques, en particulier des débats ouverts régis par une structure clairement établie, des éléments qui définissent le Sénat depuis sa création.

Je trouve insultants les propos du sénateur Carignan, qui considère que seuls le leader du gouvernement et le leader adjoint sont aptes à déterminer ce qu'est une affaire d'intérêt gouvernemental. Il me semble que, dans une démocratie, les règles devraient être suivies.

Je souscris à la décision du Président Housakos, qui a déclaré irrecevable la motion de la sénatrice Martin. J'ai été passablement étonnée et déçue de voir le sénateur Carignan et une majorité de sénateurs conservateurs voter pour renverser la décision du Président, ainsi que celle qu'avait prise précédemment le sénateur Kinsella. Que sommes-nous en train de faire à notre institution? Lorsque les règles déplaisent à l'actuel gouvernement Harper, celui-ci les change en un tournemain. Vendredi dernier, c'est contre les règles de notre institution que la majorité des sénateurs conservateurs ont voté.

S'il avait voulu faire du projet de loi à l'étude une initiative ministérielle, le gouvernement Harper aurait pu le présenter comme tel lorsque celui-ci a été présenté de nouveau au Parlement. On a plutôt choisi de présenter un projet de loi d'initiative ministérielle sous le couvert d'une initiative parlementaire.

Pourquoi le projet de loi a-t-il été ramené sans les amendements qu'avaient adoptés une majorité de sénateurs? Pourquoi ces amendements ont-ils été ignorés? Pourquoi?

Je suis abasourdie de constater que la majorité conservatrice au Sénat a fait fi de la démocratie. Je ne peux pas appuyer cette motion, qui va à l'encontre du Règlement du Sénat. Je ne peux pas appuyer cette motion, qui infirme la décision rendue par le Président vendredi dernier. Pourquoi doit-on clore le débat sur un projet de loi d'initiative parlementaire? Pourquoi sommes-nous allés à l'encontre de nos propres règles? Quels torts avons-nous causés à notre institution? Il est tout simplement honteux que cette motion visant à clore le débat soit présentée ici, au Canada. Ce projet de loi sera contesté devant les tribunaux, comme l'ont été de plusieurs mesures législatives proposées par le gouvernement.

Honorables sénateurs, je ne peux pas appuyer cette motion.

Des voix : Bravo!

L'honorable Dennis Glen Patterson : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

J'ai entendu la sénatrice Cordy — et, avant elle, le sénateur Cowan — dire que le Sénat a enfreint ses propres règles, ou je pense qu'elle vient tout juste de dire qu'il a voté contre ces règles. Je viens de vérifier le Règlement. Voici ce qu'on peut lire à l'article 2-5(3) : « Tout sénateur peut faire appel d'une décision au moment où le Président la rend [...] ». L'article 1-2 indique quant à lui ceci : « Le Règlement n'a pas pour effet de restreindre le Sénat dans l'exercice ou le maintien de ses pouvoirs, privilèges et immunités ». C'est ce qu'on appelle parfois la compétence propre du Sénat de gérer ses propres affaires.

J'aimerais donc poser la question suivante à la sénatrice Cordy : compte tenu des articles que je viens tout juste de citer, peut-elle me dire contre quels articles du Règlement le Sénat a-t-il voté lorsqu'il a enfreint ses propres règles?

La sénatrice Cordy : Je vous remercie de votre question.

Cette motion va à l'encontre du Règlement de cette Chambre. Oui, il existe une disposition prévoyant que l'on peut passer outre au Règlement. De toute évidence, c'est ce que les gens de votre côté ont décidé de faire. Dans ce cas, c'est la politique qui a eu le dessus sur la démocratie, qui a eu préséance. Mon père s'est battu pendant la Seconde Guerre mondiale pour la démocratie.

Des voix : Oh, oh!

La sénatrice Cordy : Ne huez pas mon père, qui s'est battu pour notre pays.

Le sénateur Campbell : De toute façon, ils n'aiment pas les anciens combattants, alors, ce n'est pas grave.

La sénatrice Cordy : Vous avez raison; ils n'aiment pas les anciens combattants. Mon frère...

(1520)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, si vous voulez aller discuter à l'extérieur, c'est parfait. Nous sommes dans l'enceinte du Sénat, ici. À l'ordre, s'il vous plaît. Ayons la courtoisie d'écouter la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Je vous sais gré de cette intervention, parce que je trouve blessant d'entendre les huées des sénateurs conservateurs quand je dis que mon père a fait la guerre. Mon frère est allé en Afghanistan combattre pour la démocratie.

Quelle tristesse pour notre pays de voir aujourd'hui le gouvernement faire fi du Règlement du Sénat!

Quelle tristesse de voir ce qui arrive à ce projet de loi d'initiative parlementaire, alors que votre collègue, le député conservateur de l'Alberta, m'a répondu, quand je lui ai demandé si les députés de son parti devaient accepter les projets de loi qui leur étaient présentés, qu'ils n'étaient pas tenus de le faire s'ils ne le voulaient pas.

Il est évident que ce projet de loi n'a que l'apparence d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Vous aviez la possibilité d'en faire un projet de loi d'initiative ministérielle quand il a été présenté de nouveau à la Chambre des communes. Si vous avez décidé de le conserver comme projet de loi d'initiative parlementaire, vous savez pertinemment que vous devriez suivre le Règlement concernant ce genre de projet de loi.

L'honorable Joseph A. Day (leader adjoint suppléant de l'opposition) : Honorables sénateurs, je me joins à mes collègues qui ont déjà parlé de cette question, la motion no 118, qui est désignée comme une motion « de clôture, d'attribution de temps ». Je souscris à tous les arguments qui ont été avancés. Pendant le peu de temps dont je dispose pour m'exprimer sur le sujet, je vais tâcher d'ajouter quelque chose de nouveau à ce qui a déjà été dit.

Honorables sénateurs, c'est de la motion no 118 qu'il est question. Il faudra également débattre de la motion no 117 et du projet de loi C-377. Nous ne voulons pas semer la confusion quant à la séquence à suivre concernant ces diverses questions, mais c'est comme cela que les sénateurs d'en face ont choisi de procéder.

Selon ce que dit la motion no 118, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles ne seront attribuées. Au titre de l'article 7-2, une motion doit fixer un délai d'au moins six heures. Nous sommes donc exactement sur la limite : au moins six heures, pas plus de six heures.

Ce qui est intéressant au sujet de l'article 7-2, c'est qu'il prévoit la fixation d'un délai d'au moins six heures qui est prévu mais, en présumant qu'il y a déjà eu un débat sur la question et que le débat a été ajourné, et qu'ensuite seulement une motion de fixation de délai peut être présentée. C'est exactement ce qui s'est produit. Il y a eu un débat, puis une motion de fixation de délai a été présentée.

Si l'on examine sur quoi porte la motion de fixation de délai — et j'estime que c'est utile d'y réfléchir —, c'est-à-dire la motion no 117, on suppose qu'un certain délai pour un débat serait prévu après la clôture, puisque c'est ce qui est envisagé relativement à la motion no 118, soit un délai de six heures au moins — au moins six heures, pas plus de six heures. Toutefois, la motion no 117 prévoit que « nonobstant toute disposition du Règlement ou pratique habituelle, immédiatement après l'adoption de la présente motion », le Président demandera la tenue d'un vote.

La motion ne prévoit aucun débat. Il n'y aura aucun débat additionnel sur le projet de loi C-377, ce qui est contraire à la façon générale de fonctionner au Sénat, où nous tenons des débats sur les affaires dont nous sommes saisis. Si le gouvernement estime que le débat a été suffisamment long, il y a toujours un délai prévu pour terminer le débat, pour ceux qui veulent, avant la tenue d'un vote, prendre la parole afin de souligner certains des éléments importants du projet de loi à l'étude.

Rappelons-nous ceci, honorables sénateurs : si la motion no 118 alloue un nombre d'heures donné au débat sur la motion no 117 et que cette dernière est adoptée, nous passerons aussitôt au vote sur le projet de loi, sans aucun autre débat.

C'était le premier point que je voulais aborder, honorables sénateurs, alors ayez-le bien à l'esprit.

En réalité, la motion no 117 est une motion de disposition. En règle générale, ces motions touchent des initiatives inscrites à la rubrique « Autres affaires » — il en avait toujours été ainsi, en tout cas. C'est d'ailleurs ce que confirmait le sénateur Kinsella dans sa décision, et aussi le Président actuel, qui a jugé bon de se conformer au précédent.

Voilà qui m'amène au deuxième point que je voulais aborder, honorables sénateurs : pour régler l'organisation des travaux et interpréter le Règlement, les précédents que représentent les décisions de la présidence revêtent une importance capitale. C'est l'équivalent d'une décision prise par un juge de common law. Les décisions de la présidence nous aident à maintenir le décorum et à faire en sorte que les travaux du Sénat suivent un cadre prévisible.

Il s'agit d'un aspect extrêmement important du débat d'aujourd'hui, parce que la question que le Président était appelé à trancher est identique à celle sur laquelle s'était penché le sénateur Kinsella. En s'appuyant sur la logique et les arguments soulevés par de nombreux sénateurs, il a fini par conclure qu'il serait inapproprié d'autoriser le gouvernement à proposer une motion de disposition pour une initiative inscrite à la rubrique « Autres affaires ».

Vendredi dernier, honorables sénateurs, j'ai été vraiment déçu que la décision du Président soit contestée. Vendredi comme aujourd'hui, on nous a abondamment répété que le Règlement permet aux sénateurs de contester les décisions rendues par la présidence et qu'il s'agit d'une règle comme les autres. J'aurais plutôt tendance à penser le contraire, honorables sénateurs. C'est en tout cas ce que m'ont expliqué, quand je suis arrivé ici, un certain nombre d'honorables sénateurs de l'opposition, dont les sénateurs Lynch-Staunton et Kinsella. On m'a alors expliqué que cette règle est réservée aux circonstances extraordinaires et qu'elle ne doit pas être invoquée à la légère, comme n'importe quelle autre règle, car elle vise à permettre aux sénateurs de demeurer les maîtres du Sénat et de ne pas être subordonnés à la volonté du Président. Voilà à quoi elle sert.

J'ai avancé le même argument, honorables sénateurs, relativement aux précédents. Normalement, nous traitons le Président avec déférence. Par souci du décorum dans cette assemblée, nous ne faisons pas appel d'une décision à moins qu'elle soit absolument mauvaise.

Bon, si le Président avait rendu une décision contraire à la décision du Président Kinsella, j'ignore ce que j'aurais fait. J'en aurais conclu qu'il était allé à l'encontre d'un précédent, mais j'estime aussi que, dans une assemblée, le décorum est extrêmement important. En gros, cet appel équivaut à un vote de censure à l'encontre du nouveau Président, qui a été nommé par le premier ministre. C'est ainsi que nous devrions interpréter l'appel mis aux voix dans cette Chambre.

Vendredi, je suis rentré à la maison le cœur très lourd, car j'avais le sentiment que nous nous étions montrés très injustes envers notre institution, mais c'est arrivé. Nous avons créé un terrible précédent, honorables sénateurs. J'espère que nous arriverons à corriger la situation au fil des ans.

(1530)

Nous sommes actuellement saisis d'une motion d'attribution de temps portant sur une motion de disposition. Il fallait une motion de disposition pour pouvoir présenter une motion d'attribution de temps. Il fallait que la motion no 117 fasse partie des affaires du gouvernement pour que la motion d'attribution de temps, la motion no 118, puisse s'y appliquer. Voilà de quoi il est question : d'une motion d'attribution de temps portant sur une motion d'attribution de temps. Voilà en effet de quoi nous sommes saisis à cause de la situation très particulière où nous nous trouvons dans les dédales du Règlement. La première motion d'attribution de temps prévoit un débat, tandis que la deuxième l'empêche.

Qu'on me comprenne bien, honorables sénateurs. L'attribution de temps n'a rien de nouveau. Ce n'est pas la première fois qu'on y a recours, mais il faut l'utiliser avec circonspection, dans des cas extrêmes, comme lorsque le gouvernement doit adopter certaines dispositions et que les choses ne progressent pas aussi rapidement qu'elles le devraient. Les partis conviennent parfois d'y avoir recours dans des cas comme ceux-là, et ces situations sont prévues dans le Règlement. Cet usage est accepté et compris, mais, comme je l'ai dit, on devrait y avoir recours avec circonspection.

Au cours de la présente session, le gouvernement actuel a présenté 18 préavis de motion d'attribution de temps. Honorables sénateurs, ce n'est pas ce que j'appelle y avoir recours avec circonspection. C'est presque une pratique courante. Le gouvernement a présenté 18 préavis de ce genre.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Day, demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Day : Les sénateurs m'accorderaient-ils cinq minutes de plus?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs y consentent-ils?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Day : Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Le recours à l'attribution de temps pour cette motion de disposition concernant un projet de loi d'initiative parlementaire est très inquiétant. En effet, en limitant le débat sur la motion de disposition, le gouvernement impose essentiellement l'attribution de temps à une motion d'attribution de temps, comme je l'ai indiqué plus tôt.

Ce qui est encore plus important, c'est qu'utiliser une motion de disposition ou d'attribution de temps pour le projet de loi C-377 n'est pas légitime, comme on l'a précisé dans la décision du Président. Cependant, même si le Président a conclu que la motion de disposition présentée n'était pas légitime, l'appel de sa décision a permis au gouvernement de poursuivre sur sa lancée. Il est honteux que le gouvernement ait décidé d'annuler la décision réfléchie du Président. Il a porté un jugement tout à fait équitable et éclairé, fondé sur des précédents et nos règles, et non sur des facteurs politiques et des préjugés. Il s'agissait d'une décision raisonnable et judicieuse, et elle aurait dû être acceptée par le Sénat.

Il y a d'autres façons de parvenir à nos fins, c'est-à-dire au vote final sur le projet de loi C-377. Nous aurions fini par épuiser notre temps de parole. Les conservateurs sont majoritaires ici. Ils auraient pu obtenir ce vote final sans enfreindre les règles. C'est là-dessus que portait le débat entre les sénateurs Cordy et Patterson, car il s'agit en effet d'une violation des règles. Le Président a donné son interprétation du Règlement, et la majorité a renversé sa décision en en interjetant appel. Vous avez entendu ce que j'avais à dire sur les appels.

Si le projet de loi C-377 est aussi prioritaire aux yeux du gouvernement, il aurait pu — et aurait dû— le présenter comme projet de loi d'initiative ministérielle. Cependant, on pourrait aussi dire que, s'il était vraiment prioritaire, le gouvernement n'aurait pas attendu trois ans avant de tenter de le faire adopter. C'est ce qu'il a fait. Le projet de loi a été présenté pour la première fois en 2012. Nous savons que c'est la deuxième fois que le Sénat en est saisi.

Les sénateurs dont le parti forme le gouvernement disent que le projet de loi a été adopté par une forte majorité des députés à la Chambre des communes. Nous devrions donc nous poser la question suivante : pourquoi la Chambre des communes adopte-t-elle un projet de loi qui, selon les lettres que nous avons reçues et selon sept premiers ministres provinciaux, suscite l'opposition des gouvernements provinciaux et du peuple canadien dans des provinces représentant, comme le sénateur Cowan l'a indiqué, plus de 81 p. 100 de la population du pays? Nous avons reçu des milliers de lettres disant que ce projet de loi était mauvais et ne devait pas être adopté.

Honorables sénateurs, nous avons bien fait notre travail lorsque le Sénat et le comité sénatorial ont étudié ce projet de loi, en 2013. Nous avons entendu le point de vue des principaux intéressés et des Canadiens en général, qui s'opposaient très majoritairement au projet de loi, alors nous l'avons amendé et nous l'avons renvoyé à la Chambre des communes. Cependant, ni le gouvernement ni le parrain du projet de loi n'ont pris la peine de l'examiner de nouveau et de résoudre les problèmes que nous avions soulevés.

Que devrions-nous faire maintenant? Le gouvernement se demande pourquoi nous avons recours à toutes les règles possibles et imaginables pour essayer d'empêcher l'adoption du projet de loi. Les problèmes n'ont pas changé. Les inquiétudes demeurent. Nous pensons que les amendements raisonnables que nous avions proposés précédemment devraient être examinés. Si le projet de loi était amendé et nous était renvoyé, nous l'envisagerions sous un tout autre jour. Il est très difficile pour les honorables sénateurs de reprendre l'étude d'un projet de loi qui leur revient tel qu'il était avant qu'ils y consacrent beaucoup de temps, qu'ils l'amendent et qu'ils le renvoient aux Communes.

La majorité sénatoriale a décidé de clore le débat et d'ignorer le point de vue de la majorité des Canadiens, ce qui est inacceptable. Voilà ce qui se produit actuellement. Nous sommes en train de faire semblant que ce n'est pas un projet de loi nettement mauvais, alors j'espère avoir l'occasion d'en souligner les très néfastes dispositions.

Ils disent d'aller de l'avant et de l'adopter quand même. La motion d'attribution de temps enfreint les règles du Sénat, puisqu'il s'agit de passer outre à l'autorité du Président, lequel a, à juste titre, statué que la motion va à l'encontre du Règlement. La motion d'attribution de temps met fin au débat, honorables sénateurs, et nous ne devrions pas l'appuyer.

L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je tiens à participer au débat sur la motion d'attribution de temps no 118. Ce qui s'est passé ici même vendredi dernier est assez incroyable. Je pense donc qu'il est très important que tous les sénateurs fassent valoir leur point de vue.

J'ai écouté très attentivement les propos tenus par les autres sénateurs cet après-midi. La sénatrice Martin nous a dit que cette motion d'attribution de temps nous permettrait d'avoir un débat opportun et efficace, que nous avions suffisamment débattu du projet de loi, que suffisamment de témoins avaient comparu et que, par conséquent, on avait réservé à ce projet de loi un traitement équivalant à celui réservé à un projet de loi d'initiative ministérielle. Je ne suis pas d'accord, la procédure n'est pas la même.

Un projet de loi d'initiative ministérielle n'aurait pas été inscrit pendant aussi longtemps au Feuilleton sans que nous n'en débattions. Nous avons reçu le projet de loi le 17 octobre 2013 pour l'étape de la première lecture. Le sénateur Day a signalé que nous avions amendé le projet de loi original et que nous l'avions renvoyé à la Chambre des communes. Toutefois, lorsque la Chambre nous l'a renvoyé, les amendements avaient disparu.

Nous avons donc reçu le projet de loi en octobre 2013 et, une année et demie plus tard, en mai 2015, le comité nous l'a renvoyé. Si c'était une question si urgente, si c'était vraiment un projet de loi équivalant à un projet de loi d'initiative ministérielle, pourquoi l'avons-nous ignoré pendant des mois? Il n'a pas été géré comme un projet de loi d'initiative ministérielle. Tout à coup, à la fin du mois de juin, nous devons absolument l'adopter. Le gouvernement va même jusqu'à présenter une motion d'attribution de temps et, de surcroît, il passe outre à la décision du Président. Le Président a mûrement réfléchi à la question et l'a fait de façon indépendante. Tant le Président Kinsella que le Président Housakos ont conclu que nous ne devrions pas avoir recours à l'attribution de temps pour le projet de loi C-377 et le traiter comme un projet de loi d'initiative ministérielle.

S'il s'était agi d'un projet de loi d'initiative ministérielle, des avocats et des fonctionnaires du ministère de la Justice auraient étudié ses dispositions, et les erreurs de rédaction et les aspects du projet de loi contraires à la Constitution auraient probablement tous été décelés avant que nous en soyons saisis. La Chambre des communes les aurait décelés. Ainsi, ce projet de loi n'équivaut évidemment pas à un projet de loi d'initiative ministérielle — à cause non seulement de la façon dont nous l'avons géré, mais aussi de la façon dont il a été rédigé. Les lacunes qu'il contient auraient pu être comblées bien avant que nous en soyons saisis.

(1540)

La sénatrice Cordy a parlé du fait que le Sénat avait enfreint les règles. Le sénateur Patterson a déclaré que ce n'était pas le cas et il a cité quelques dispositions de notre Règlement. Cependant, après avoir examiné les règles, le Président a statué qu'elles étaient parfaitement valides. Par conséquent, nous ne devrions pas être en train de tenter de convertir ce projet de loi en affaire du gouvernement. La majorité conservatrice a infirmé la décision du Président.

Lorsqu'il existe des règles, il faut aussi tenir compte de leur esprit et de leur intention. Je suis persuadée que le sénateur Patterson comprend bien les mots « esprit et intention ». Le sénateur Day a dit qu'il règne un certain esprit au Sénat. Nous savons que le Sénat est censé être la Chambre du second examen objectif. Nous sommes censés représenter nos provinces, et des milliers de résidants de chacune des provinces nous ont écrit pour nous dire ceci : « Ce projet de loi n'est pas bon. Ne l'adoptez pas tel quel. Il doit être amendé. Il s'agit d'un projet de loi extrêmement bancal. » Tous ces gens nous ont écrit pour nous dire de ne pas adopter ce projet de loi.

Le sénateur Day a aussi dit que le fait d'infirmer la décision du Président créait un précédent. Dans un certain sens, nous sommes aussi en train de prendre une mesure ayant un effet rétroactif. Nous sommes en train de dire que, d'une certaine façon, cette mesure législative est devenue un projet de loi d'initiative ministérielle lorsque le Sénat en a été saisi. Allons-nous poursuivre dans cette veine? La prochaine fois que nous serons saisis d'un projet de loi d'initiative parlementaire, allons-nous, pour une raison ou une autre, le transformer en affaire du gouvernement?

La question fondamentale à laquelle doivent répondre les sénateurs conservateurs qui appuient cette mesure est la suivante : pourquoi avez-vous décidé de faire cela? Les Canadiens méritent de savoir pourquoi vous avez décidé de faire cela, car, il y a deux ans, seize d'entre vous avez voté en faveur de modifications au projet de loi. Je crois que cinq sénateurs s'étaient abstenus. Le projet de loi a donc été modifié et a été renvoyé à la Chambre des communes. Pourquoi avez-vous changé de position? Pourquoi tentez-vous maintenant de faire adopter le projet de loi original sans aucune modification?

Voilà ce que les Canadiens veulent savoir. C'est une question fondamentale. Je crois que, dans le cadre de ce débat, c'est à vous qu'il incombe — tout particulièrement à ceux d'entre vous qui ont voté en faveur des modifications la dernière fois — de prendre la parole et de défendre votre position. Pourquoi, soudainement, dites-vous : « Eh bien, ça va. C'est un projet de loi d'initiative ministérielle maintenant, et j'estime que les modifications ne sont plus nécessaires »? Vous devriez prendre la parole et défendre votre position.

Une voix : Bravo!

La sénatrice Dyck : Ce n'est pas seulement à nous de prendre la parole et d'affirmer que nous nous opposons à l'attribution de temps. Vous devez vous aussi prendre la parole et dire pourquoi vous avez changé d'avis.

Vous le savez si vous en êtes. J'ai la liste devant moi. Je ne sais pas si je devrais la lire ou non. Les personnes visées se reconnaissent. Je pourrais trouver la liste et la lire ici à haute voix — non, je ne le ferai pas. On peut changer d'avis, mais il faut être convaincu. Vous pourriez avoir été convaincus par vos collègues de changer d'avis, mais vous avez également la responsabilité, je crois, d'expliquer pourquoi vous avez changé d'avis. S'agit-il de la position du parti? Qu'est-ce qui vous a convaincu de procéder ainsi? C'est ce qui me hérisse — le fait que vous avez changé de position sans avoir expliqué, ni à nous ni aux Canadiens, aux milliers de personnes qui sont contre ce projet de loi, pourquoi, soudainement, il est nécessaire d'adopter le projet de loi original, sans aucune modification, alors que nous savons fort bien qu'il est inconstitutionnel. Il enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels, et la majorité des syndicats s'y opposent. C'est tout simplement inacceptable. Pouvez-vous expliquer aux Canadiens pourquoi vous avez fait cela? Voilà ce que vous devez faire.

Je suis tout à fait contre la motion de fixation de délai et, pour ces raisons, il m'est impossible de l'appuyer. En réalité, nous enfreignons nos propres règles. C'est ce qu'indiquent le Président Housakos et le Président Kinsella dans leurs décisions. Nous dérogeons à nos règles pour un projet de loi qui ne mérite pas d'être adopté. C'est absurde. Pourquoi faites-vous une telle chose? Pouvez-vous l'expliquer, à moi et aux Canadiens?

Des voix : Bravo!

L'honorable Wilfred P. Moore : Je veux prendre part au débat, honorables sénateurs.

Par où commencer? Tout d'abord, je tiens à féliciter le Président d'avoir appliqué le Règlement du Sénat. Selon moi, l'objet de sa décision est fondamental pour le fonctionnement de notre institution. Il a fait ce qu'il devait faire. La situation était sans doute délicate pour lui, mais il a fait ce qui s'imposait. Il s'est montré à la hauteur de la situation et je suis fier de sa décision.

Certains sénateurs d'en face ont laissé entendre que nous devrions adopter les projets de loi que la Chambre nous présente. Le projet de loi C-377 ne nous a pas été présenté dans sa version modifiée — j'ignore pourquoi —, mais il paraît que nous devrions l'adopter quand même, peu importe qu'il soit inconstitutionnel ou contraire à la Charte. Je ne comprends pas qu'on puisse ainsi déroger à ses responsabilités et ne pas chercher à rendre la loi meilleure, en la modifiant pour le plus grand bien de tous.

Honorables sénateurs, j'interviens au sujet de la fixation de délai. Je m'y oppose et je fais miens les commentaires formulés par mes collègues au sujet du projet de loi C-377. Il ne fait aucun doute que ce projet de loi, de même que les projets de loi C-51 et C-59 ainsi que l'article 18 dont j'ai parlé, seront contestés en cour et éventuellement invalidés. L'actuel gouvernement ne fait qu'obliger les Canadiens à s'adresser aux tribunaux pour maintenir un certain équilibre au pays. Vous obligez les gens à engager indûment des frais juridiques. Au lieu de travailler, ils doivent lutter contre leur propre gouvernement pour améliorer les choses au pays, ce qui est aberrant.

L'approche adoptée pour cette mesure législative est empreinte de mesquinerie. La philosophie sous-jacente du projet de loi va à l'encontre de l'essence même du Canada. Je constate que notre pays est en train de se désagréger et cela ne me plaît pas.

À notre arrivée au Sénat, nous avons tous prêté serment de faire respecter la loi à ce Bureau. Je l'ai déjà mentionné par le passé. Des sénateurs des deux côtés sont membres du barreau dans leur province et sont toujours officiers de la justice. Leur devoir consiste à faire respecter la loi, qu'il s'agisse de la loi de leur province ou de la loi canadienne. Honorables sénateurs, collègues avocats, vous savez cela. Vous devriez y réfléchir en conséquence. Comme l'a mentionné la sénatrice Dyck, je pense que vous en étiez conscients lorsque nous avons amendé ce projet de loi la dernière fois qu'il nous a été soumis. Je vous exhorte à rester fidèles à votre serment et à faire ce qui s'impose.

J'ai porté l'uniforme de notre pays. J'ai travaillé au sein de l'administration municipale et j'ai participé à des championnats de toutes sortes de sports. Si quelqu'un est en mesure d'entreprendre toutes ces choses — à savoir aspirer à une promotion, servir ses concitoyens ou essayer de remporter un trophée —, c'est parce qu'il y a des règles qui régissent ces activités et qu'elles ne changent pas au beau milieu de la partie. On agit en fonction de règles connues dès le départ.

Une voix : Tout à fait!

Le sénateur Moore : C'est de cette façon qu'on réussit.

Il n'est pas convenable — en fait, je dirais qu'il est tout à fait contraire aux valeurs canadiennes — de changer ces règles élémentaires au milieu de la partie.

Certains ont dit que cette mesure législative était rédigée de façon très médiocre. Rien n'a été corrigé, mais tout le monde sait qu'il aurait fallu le faire. La dernière fois, nous l'avons fait, mais pas cette fois-ci. Je ne peux pas m'empêcher de me demander pourquoi. Peut-être que c'était l'objectif? Peut-être que le gouvernement l'aimait comme cela? Je déteste cette idée, mais que peut-on penser d'autre? En tout cas, personne n'est intervenu. La dernière fois, tout le monde savait qu'il fallait corriger le projet de loi et tout le monde a fait ce qui s'imposait, mais pas cette fois-ci. Que s'est-il passé au cours des derniers mois? Quelqu'un ferait mieux de me l'expliquer, parce que je peine à comprendre.

Je suis rentré en Nouvelle-Écosse ce week-end et les gens m'ont demandé : « Que se passe-t-il là-bas? Que comptez-vous faire? » Je leur ai répondu : « Je vais intervenir et dire ce que j'en pense, car je ne voudrais pas qu'on m'accuse de n'avoir rien dit. » Je ne veux pas que mes enfants, mon épouse ou mes voisins le fassent. J'espère que vous y réfléchirez également, car ce qui se passe est épouvantable.

(1550)

Que l'on porte l'uniforme, siège à un conseil municipal ou fasse partie d'une équipe sportive, toute instabilité au centre, tout manque de rigueur dans l'application des règles, peut avoir un effet négatif et entraîner une incertitude quant à la marche à suivre. C'est exactement ce qui se passe en l'occurrence. Nous piétinons le décorum et le fonctionnement du gouvernement et de l'ensemble du pays. Je trouve cela épouvantable.

Je n'aurais jamais cru voir arriver un tel jour. J'en ai parlé la semaine dernière lorsque j'ai pris la parole au sujet de la section 18 du C-59. Le leader, en face, a prétendu que l'opposition invoquait une disposition archaïque du Règlement pour faire obstruction au gouvernement. Est-ce vraiment une disposition archaïque? C'est vrai qu'elle existe depuis longtemps. Nous sommes la loyale opposition de Sa Majesté; nous ne sommes pas ici pour laisser le gouvernement agir à sa guise. Nous sommes ici pour exiger qu'il rende des comptes et nous explique la valeur des initiatives qu'il présente avant qu'elles soient mises aux voix, mais, en l'occurrence, il se contente de nous dire : « Non, pas cette fois-ci. Vous retardez nos progrès. C'est archaïque. » Archaïque, dit-il.

Je ne vois pas comment cette institution, l'une des deux Chambres du Parlement, pourrait fonctionner dans un tel contexte, qui est caractérisé par l'instabilité et les caprices du gouvernement. Ce n'est pas de cette façon qu'elle fonctionne.

J'espère simplement que les sénateurs d'en face réfléchiront à ce qui est en train de se passer ici, dans cette enceinte. Ceux qui croient que les Canadiens ne nous écoutent pas et ne nous surveillent pas se trompent; ils portent attention à ce que nous faisons. Je peux le confirmer, car toute la fin de semaine, j'ai discuté de cette situation. Les gens m'en ont parlé, que ce soit à l'église, à l'occasion de funérailles ou lors d'activités sociales ou culturelles; ils voulaient savoir ce qui se passe au Sénat. Voilà où nous en sommes. Je suis de retour ici, et je peux vous dire que ce n'est pas de bon augure. Vous ne devez pas tenir pour acquis l'appui des Canadiens, car ils sont à l'écoute, et vous paierez le prix de tout cela si vous ne prenez pas la bonne décision.

L'honorable Anne C. Cools : Sénateur Moore, je me demande si vous avez réfléchi au fait que lorsque le gouvernement fédéral essaie d'intervenir dans un domaine qui l'intéresse ou d'attirer l'attention sur un enjeu en particulier, il a vraiment bien peu d'outils législatifs à sa disposition. Il y en a deux, et il a tendance à les utiliser de plus en plus; ce sont le Code criminel et la Loi de l'impôt sur le revenu. Je me demande si vous avez réfléchi à tout cela, car lorsqu'on lit le projet de loi C-377, on a l'impression que quelqu'un cherchait un mécanisme qui lui permettrait de coincer les syndicats et que le projet de loi a été rédigé dans cette optique. C'est si évident que je ne comprends pas pourquoi tout le monde ne s'en est pas rendu compte.

Souvent, vous entendrez les avocats dire : « Nous ne pouvons pas vraiment faire telle ou telle chose, car ce n'est pas de notre ressort, mais, comme nous pouvons avoir recours au Code criminel, intégrons-y ces aspects. »

Avez-vous réfléchi à cela? Peut-être pas. Ou peut-être ne l'avez-vous pas remarqué.

Le sénateur Moore : J'y ai pensé, sénatrice. Cela a été mentionné aujourd'hui, au cours de la période des questions, et je crois l'avoir peut-être signalé moi-même. C'est une violation flagrante et une véritable mainmise sur l'information. C'est une mesure digne des régimes totalitaires qui obligerait les Canadiens à révéler à peu près tout ce qu'ils font, à signaler la moindre de leurs activités.

On nous a donné l'exemple de personnes qui ont un compte d'épargne libre d'impôt ou des fonds communs de placement; tout cela y passerait. J'ose affirmer que nous irons devant les tribunaux et que cette mesure législative sera invalidée, car je ne crois pas qu'il y ait un seul juge qui, avec son sens de l'équité et sa compréhension du fonctionnement de la société civile, estime que cette mesure législative est fondée sur le bon sens et qu'elle correspond au genre de loi auquel la population devrait être assujettie.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, le rideau tombe sur le dernier acte de la 41e législature. C'est la dernière tranche de la vie d'une législature qui a duré quatre ans.

Au cours de la fin de semaine, après ce qui s'est passé vendredi, j'ai été amené à réfléchir à ce que nous faisions. Quand je dis « nous », je pense à chaque sénateur individuellement, à ce que nous sommes appelés à faire.

La première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est, évidemment, que nous avons comme Président un honorable sénateur, un sénateur qui, à l'égard du rappel au Règlement soulevé et débattu devant lui, a rendu une décision conforme au précédent bien établi par son prédécesseur, qui avait, lui aussi, été nommé par le gouvernement, c'est-à-dire par le premier ministre, comme le prévoit la Constitution.

Lorsque le sénateur Kinsella a rendu sa décision en octobre 2013, la tension était à son comble. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, honorables sénateurs. C'était lors du débat sur la suspension des sénateurs Brazeau, Wallin et Duffy. Vous vous rappellerez à quel point l'atmosphère au Sénat était lourde et pénible pendant les mois qu'a duré cette affaire. Malgré l'énorme pression exercée de toutes parts à l'extérieur du Sénat, le Président Kinsella a rendu sa décision avec rigueur et honnêteté, et nous avons tous convenu que son verdict était approprié, car, comme il l'a écrit dans sa décision, la question était directement liée à la structure suivie par l'institution. Dans sa décision, il nous a rappelé qu'il s'agissait de suivre la structure établie lorsque le Règlement a été réformé, en 1991. Autrement dit, le Président veillait alors au maintien des pratiques, des traditions, de l'esprit et du principe de primauté du droit auxquels nous sommes assujettis aux termes de l'actuel Règlement du Sénat.

Vendredi dernier, le sénateur Housakos a pris ce qu'il croyait, en son âme et conscience, être la bonne décision. Pour être très honnête avec vous, je dirais que j'aurais pu contester sa nomination à la présidence. Il a pris part aux délibérations et il siège au Comité des transports, mais je le trouvais plutôt jeune. Or, dès les premiers jours de sa présidence, j'ai été impressionné par son souci de rétablir la transparence et la reddition de comptes et de suivre la voie tracée par notre ancien Président, le regretté sénateur Nolin.

Aujourd'hui, je dois le féliciter. Je suis heureux de prendre part aux travaux du Sénat sous sa présidence. J'ai confiance en lui. Quels que soient les jeux politiques auxquels on pourrait s'adonner ici, je sens que nous pouvons faire confiance au Président. Sur le plan intellectuel, je trouve rassurant de savoir que c'est une personne comme notre collègue qui assume la présidence du Sénat.

Je pense qu'il s'acquitte de sa fonction de la même façon que le Président Kinsella et le Président Molgat. Certains d'entre nous ont siégé lorsque M. Molgat était Président et vous devez savoir que le Président Molgat, pour une décision qu'il avait prise personnellement de ne pas appuyer un projet de loi ministériel, avait été démis de ses fonctions de Président et est revenu dans la première rangée, honorables sénateurs, et j'ai participé à cette décision.

(1600)

À mon avis, lorsque le Président prend une décision ferme en son âme et conscience, c'est rassurant pour l'avenir de l'institution. Dans le cas contraire, cette Chambre du Parlement serait, à mon avis, ingérable. Il serait impossible de rétablir la confiance de la population.

Je déplore le vote de confiance qui a été tenu, mais, en même temps, je suis rassuré sur le fait que...

[Français]

... nous avons un homme intègre, honnête et en qui nous pouvons avoir confiance.

[Traduction]

Comme je l'ai dit, même si le rideau tombe aujourd'hui et demain pour le dernier vote sur ce projet de loi, je pense que nous devons tirer bien des leçons de ce qui est arrivé.

La première dont j'aimerais vous parler, honorables sénateurs, est que, dans ce cas-ci, nous sommes forcés d'adopter un projet de loi qui est inconstitutionnel. Plusieurs de mes collègues ont expliqué pourquoi il en était ainsi.

Il ne fait aucun doute que ce projet de loi ne respecte pas la division des pouvoirs prévue aux articles 91 et 92 de la Constitution. Cependant, honorables sénateurs, ce n'est pas la première fois que le gouvernement présente un projet de loi qui ne respecte pas les articles 91 et 92. Par exemple, la loi sur les valeurs mobilières proposée par le présent gouvernement a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême. Vous vous souvenez très bien de ce projet de loi que le Comité des finances ou le Comité des banques ont étudié.

Je souscris aux objectifs généraux de la loi sur les valeurs mobilières, qui visent à fixer des règles communes entre les provinces. Le gouvernement soutenait que, en vertu de l'article 91, la réglementation du trafic et du commerce était de compétence fédérale, mais l'Alberta et le Québec ont fait valoir que cela allait à l'encontre de l'article 92. En se basant sur le Code civil, la Cour suprême a jugé que cette mesure législative ne respectait pas la division des pouvoirs.

Cette mesure législative sera rejetée parce qu'elle ne respecte pas le partage des pouvoirs. En modifiant ainsi la Loi de l'impôt sur le revenu, elle empiète clairement sur le Code civil, car on cherche essentiellement à réglementer l'administration des syndicats canadiens.

Le projet de loi ne prévoit même pas de sanction si un syndicat ne fournit pas l'information à temps. Vous savez très bien que l'Agence du revenu du Canada réagit très rapidement lorsqu'un contribuable ne respecte pas les délais établis. Les retardataires reçoivent rapidement une lettre indiquant la somme à rembourser.

Le projet de loi ne respecte pas le partage des pouvoirs, et les provinces le savent très bien. Mon collègue, le sénateur Cowan, l'a dit tout à l'heure. Je représente le district de Kennebec, au Québec. Je tiens à lire une lettre de l'ancienne ministre québécoise du Travail :

[Français]

Nous croyons que ce projet de loi, s'il est adopté, donnerait lieu à un déséquilibre important des pouvoirs entre les syndicats et les employeurs du fait qu'il vise exclusivement et expressément les organisations ouvrières.

[Traduction]

La ministre poursuit en disant ceci :

[Français]

Le projet de loi ne respecterait pas le partage des pouvoirs.

[Traduction]

Voilà ce qui est inacceptable. On nous force donc à adopter un projet de loi que sept provinces s'empresseront de contester devant les tribunaux mercredi, après la sanction royale, et, je vous le dis, elles contesteront l'article 3 du projet de loi. Le voici :

La présente loi s'applique relativement aux exercices commençant après la date qui suit de six mois la date de sa sanction.

Le projet de loi recevra la sanction royale demain. Mercredi, honorables sénateurs, certaines provinces, que ce soit le Québec, l'Alberta ou l'Ontario, le contesteront devant la Cour d'appel.

Nous le savons officiellement, car j'ai demandé aux ministres de ces provinces ce qu'ils allaient faire lorsqu'ils ont comparu par vidéoconférence devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Cela signifie donc que nous adopterons demain un projet de loi qui sera contesté le jour suivant.

Puis-je avoir cinq minutes de plus?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : C'est la première raison pour laquelle le projet de loi sera jugé inconstitutionnel.

Puis, il y a aussi le fait qu'il porte atteinte à la vie privée. En effet, il tombe sous le sens que de forcer une personne à divulguer ce qu'elle fait à l'extérieur de son emploi, lors de son temps libre, est une violation flagrante de la vie privée. Pourtant, c'est ce qui est prévu dans le projet de loi.

Je ne m'oppose pas à la transparence des syndicats. Je n'ai rien contre le fait que les syndicats révèlent combien d'argent ils reçoivent de leurs membres et qu'ils précisent comment cet argent est dépensé. Cela ne me pose aucun problème. La plupart des provinces ont établi des règles pour leurs syndicats.

Dans sa lettre que j'ai mentionnée plus tôt, l'ancienne ministre du Travail du Québec a inclus les dispositions du Code civil; les dispositions des lois régissant les syndicats professionnels; les dispositions du Code canadien du travail, notamment celles concernant les relations de travail; et, enfin, les dispositions relatives à un lobbying transparent et éthique qui obligent clairement les syndicats à communiquer les renseignements nécessaires.

Personne ne s'oppose à la communication des renseignements nécessaires par les syndicats, tant qu'ils font rapport aux autorités juridiques et constitutionnelles compétentes, c'est-à-dire les provinces. Il s'agit d'une question de compétence provinciale. Ce sont les provinces qui doivent articuler, adopter, édicter et mettre en œuvre les règles pertinentes. Personne ne met cela en doute.

Cet après-midi, j'écoutais le leader de l'opposition répondre à une question sur la transparence. Personne ne s'oppose à la transparence.

S'il y a lieu d'intervenir sur ce plan, c'est à cet échelon-là que la décision doit se prendre. Là où ça devient inadmissible, c'est quand on franchit la proverbiale ligne en obligeant les syndicats à divulguer les activités privées de leurs dirigeants. C'est tellement évident. C'est d'ailleurs ce que le commissaire à la protection de la vie privée a dit publiquement. Il y a des limites à la divulgation. C'est le deuxième élément qui mènera à la perte du projet de loi.

Le déséquilibre entre les dirigeants syndicaux et l'employeur constitue le troisième. Le sénateur Gerstein sait de quoi je parle.

Quand deux parties doivent négocier « de bonne foi » — c'est ce que dit la loi — des conditions de travail, des avantages sociaux, bref l'ensemble des dispositions d'une convention collective dans un secteur ou une industrie donnée, le rapport de force entre les deux doit respecter un certain équilibre. La partie patronale ne peut pas obliger la partie syndicale à lui dévoiler tous ses secrets sans rien divulguer en échange, et surtout pas l'argent dont elle dispose pour résister à une grève ou décréter un lock-out.

Il faut qu'il y ait un équilibre. En janvier 2015, dans la décision Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, la Cour suprême a dit... En fait, je vous invite à consulter aussi la décision Association de la police montée de l'Ontario c. Canada (Procureur général), dont j'aimerais bien vous citer un extrait. En fait, la cour dit que les employés ont le droit d'être représentés par un syndicat, tant que la lutte se fait à armes égales, et face à face.

Il s'agit d'un principe fondamental que ma mère qualifierait de...

[Français]

— « justice immanente » —

[Traduction]

... ce qui veut dire que le gros bon sens doit s'appliquer.

(1610)

Ce projet de loi lie les mains des dirigeants syndicaux puisque, dans le cadre des négociations collectives, ils seront obligés de divulguer tous leurs actifs et d'indiquer le pourcentage de temps qu'ils consacrent à telle ou telle activité. Par contre, le patronat n'est pas obligé de divulguer sa capacité de soutenir une grève ou la pression. Voilà où le bât blesse.

Honorables sénateurs, être forcé d'adopter un projet de loi, c'est inconstitutionnel. Je suis désolé, je ne peux pas voter pour cette mesure législative. J'ai pris la parole à plusieurs reprises durant la 41e législature, à l'instar de mes collègues, le sénateur Baker, la sénatrice Jaffer et d'autres, pour dire...

Je suis désolé. J'aurais aimé terminer, mais c'est la règle. Je dois obéir. Merci, honorables sénateurs.

L'honorable George Baker : Honorables sénateurs, j'aimerais poursuivre sur la lancée du sénateur Joyal et donner des précisions sur un aspect de son discours qui me fascine et qu'il n'a pas eu le temps d'expliquer en détail, à savoir l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

L'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu, comme l'a signalé le sénateur Joyal, porte sur la protection de la vie privée. C'est peut-être l'article de la Loi de l'impôt sur le revenu le plus souvent invoqué devant les tribunaux lorsqu'il est question de la constitutionnalité d'une disposition législative. Le sénateur Gerstein aurait rappelé que les dispositions relatives à la faillite et à l'insolvabilité ont été invoquées dans un cas où un syndic de faillite avait utilisé des renseignements de Revenu Canada pour faire son travail et où le conjoint de la personne qui a fait faillite a plaidé devant la Cour fédérale que l'utilisation de ces renseignements est inconstitutionnelle et viole l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le tribunal a jugé que, en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, l'utilisation de l'information était quand même permise dans les circonstances parce qu'il s'agissait d'appliquer la Loi de l'impôt sur le revenu. Autrement dit, c'était légitime.

Il n'y a qu'un seul autre cas où il est permis de déroger aux dispositions sur la confidentialité prévue à l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Honorables sénateurs, dans le projet de loi que nous sommes en train d'adopter, le paragraphe (4) commence par les mots « malgré l'article 241 », c'est-à-dire l'article de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant la protection de la confidentialité. Voici ce que dit ce paragraphe :

[...] le ministre communique au public les renseignements contenus dans la déclaration de renseignements visée au paragraphe 149.01(2), notamment en les publiant sur le site Internet du ministère dans un format qui se prête à des recherches.

Voici maintenant ce que dit l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu :

(1) Sauf comme l'autorise le présent article, aucun fonctionnaire ni aucune personne autorisée ne doit

a) sciemment communiquer ni sciemment permettre que soit communiqué à quiconque un renseignement obtenu par le Ministre ou en son nom aux fins de la présente loi ou de la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers [...]

La seule exception déjà prévue se trouve au paragraphe (3) de l'article 241 : « Les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent ni aux poursuites au criminel [...] ».

Pourtant, comme le sénateur Joyal l'a souligné, l'alinéa (vii.1), à la page 3 du projet de loi dit ceci : « un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage du temps que les personnes visées au sous-alinéa (vii) consacrent [...] ». Qui sont ces personnes? Ce sont les personnes exerçant des fonctions de gestion dont il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elles aient, dans la pratique normale, accès à des renseignements importants relatifs à l'entreprise, aux activités, aux actifs ou aux revenus de l'organisation ouvrière. Par le terme « organisation ouvrière », on entend tous les syndicats du Canada, y compris le syndicat des employés municipaux du moindre village.

Alors, vous voulez que cette information soit diffusée? Vous voulez que soit diffusé le temps consacré aux activités politiques, aux activités de lobbying et aux autres activités non liées aux relations de travail. Si vous êtes un instructeur de scouts ou de guides, l'état doit indiquer le pourcentage de temps que vous consacrez à ces activités, et cette information sera publiée par l'Agence du revenu du Canada. C'est ce que nous avons pu constater lors des audiences de notre comité. Si vous ne fournissez pas cette information « relativement aux exercices commençant après la date qui suit de six mois la date de [sanction de la loi] », vous serez passible d'une amende de 1 000 $ par jour où vous omettrez de vous conformer, jusqu'à concurrence de 25 000 $.

Je n'avais pas encore pensé à cela, mais je crois que le sénateur Joyal a tout à fait raison de dire que l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu fera encore une fois l'objet d'un litige en vue de l'abrogation de cette disposition particulière du projet de loi.

Certains sénateurs se disent peut-être que, comme il existe une loi en la matière aux États-Unis, le Canada devrait lui aussi en adopter une.

En fait, il n'existe pas de loi de ce genre aux États-Unis. C'est ce que nous avons appris. Aux États-Unis, la loi s'applique aux employés de syndicats tellement grands que, si on adoptait une mesure législative semblable au Canada, elle exclurait tous les syndicats de compétence provinciale qui sont visés par le projet de loi. En outre, les dispositions de la loi américaine ne sont pas les mêmes; elles prévoient la divulgation de renseignements différents.

Par conséquent, le sénateur Joyal a tout à fait raison de dire que nous sommes saisis d'un projet de loi étrange, qui dit « malgré l'article 241 » de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cet article est protégé par le commissaire à la vie privée du Canada et par les tribunaux. En effet, il n'est pas possible de le contester, sauf dans des affaires criminelles ou dans des cas relevant de la Loi sur les faillites et l'insolvabilité.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Baker, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Baker : Oui.

Le sénateur Moore : Aujourd'hui, certains sénateurs ont mentionné l'organisation Merit Canada. Quand j'entends le mot « Canada » greffé au nom d'un organisme, j'ai l'impression qu'il existe peut-être une plus grande entreprise quelque part. Qu'est-ce que Merit Canada? Le savez-vous?

Le sénateur Baker : Désolé, mais je n'ai pas entendu votre question.

Le sénateur Moore : Savez-vous ce qu'est Merit Canada? Quand j'entends le mot « Canada » greffé au nom d'un organisme, je me demande s'il s'agit de la division canadienne d'une grande entreprise. Qu'est-ce que c'est? Le savez-vous?

Le sénateur Baker : Oui, je sais ce que c'est, mais je ne souhaite pas en parler.

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénateur, accepteriez-vous de répondre à une question?

Ma question fait suite aux propos du sénateur Joyal. Cependant, comme vous avez dit que vous continuiez dans la même veine que le sénateur Joyal, je vous poserai une question au sujet de l'un des points qu'il a mentionnés, soit le déséquilibre par rapport à l'information. On dit que l'une des parties profitera d'un avantage quant à l'information qu'elle détient sur l'autre.

J'ai été maire d'une municipalité pendant neuf ans. J'ai donc eu à négocier environ sept ou huit conventions collectives avec les différentes associations qui représentaient les salariés. Ces associations avaient accès à toute l'information de la municipalité, qu'il s'agisse de mes dépenses, des contrats, de toutes les sommes de 10 $ ou plus, car tout était public. Je n'ai jamais eu l'impression que le fait que le syndicat puisse connaître exactement les finances de la ville dans le plus pointu des détails créait un déséquilibre dans la force de négociation.

Pouvez-vous m'expliquer où vous voyez un déséquilibre dans une situation où, à titre de maire, je pourrais avoir accès aux chiffres du syndicat? Est-ce qu'il ne s'agit pas plutôt de rééquilibrer la situation au lieu de la déséquilibrer?

(1620)

[Traduction]

Le sénateur Baker : En fait, le véritable déséquilibre que crée le projet de loi tient au fait que, chaque année, les activés de lobbying, les activités politiques et les activités non syndicales du délégué syndical des employés municipaux de votre ville seraient publiées à la vue de tous sur Internet.

Cela constitue un problème si quelqu'un qui veut créer des embêtements dit : « Regardez, Untel a consacré tant de temps à cette activité, mais il n'a pas informé Revenu Canada qu'il fait aussi partie de telle organisation. » Dans le cadre de ce projet de loi, il s'agirait d'une infraction passible non pas de poursuites criminelles, mais d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Quiconque connaît cette loi ne voudra jamais devenir membre ou représentant d'un syndicat dans une petite ville.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Baker, désirez-vous qu'on vous accorde plus de temps?

Une voix : Cinq minutes.

Le sénateur Baker : Voilà le principal problème. Quand j'ai lu le projet de loi, la première chose qui m'a sauté aux yeux, c'est qu'il faut rendre compte, annuellement, des activités non syndicales ainsi que des activités politiques. Par exemple, un syndiqué rencontre des gens du Parti conservateur, disons, mais il participe aussi à d'autres activités non syndicales dans la collectivité.

C'est une atteinte flagrante à la vie privée et, comme le disait le sénateur Joyal, selon la Loi sur la protection des renseignements personnels et l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu, il ne s'agit pas d'une municipalité ici, mais de Revenu Canada, et tous les citoyens respectent Revenu Canada. Ce que je veux dire, c'est que, parmi tous ceux qui recueillent des renseignements vous concernant, Revenu Canada reçoit évidemment une déclaration chaque année. Par contre, être passible d'une amende, sur condamnation par voie de procédure sommaire, si une activité non syndicale n'est pas déclarée ou est déclarée en retard, ce n'est rien de comparable au fait d'exiger qu'une municipalité soit transparente envers le syndicat.

Comme l'a signalé le sénateur Joyal, nous parlons de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi de l'impôt sur le revenu et d'une infraction à l'article 241.

Il est question de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ainsi que d'une violation de l'article 241, comme l'a souligné le sénateur Joyal.

[Français]

Le sénateur Carignan : Disons que je suis un employé syndiqué d'une municipalité. Vous pouvez consulter le site web de ma municipalité pour voir si je suis propriétaire d'une résidence ou d'un immeuble, et quel est mon compte de taxe. Vous pouvez même voir si je dois 55 cents d'intérêt à cause d'un retard de paiement. La planète entière peut le constater. Pourquoi est-ce permis et pourquoi n'est-ce pas considéré comme une invasion de ma vie privée? C'est parce qu'il s'agit de renseignements d'ordre public. C'est le lien avec le public qui justifie cette façon de faire, même si on est simplement propriétaire d'une résidence ou d'un immeuble. Pourquoi, alors, un syndiqué est-il obligé de payer une cotisation à un syndicat même s'il ne l'appuie pas ou ne veut pas en être membre? Pourquoi n'aurait-il pas le droit d'avoir accès à l'information en ce qui concerne l'utilisation des cotisations par les dirigeants? Pourquoi, dans le cas d'une association à but non lucratif, les bénévoles qui en font partie sont-ils obligés de publier cette information? Si j'ai accès à cette information pour un organisme à but non lucratif, pourquoi, en tant que syndiqué, n'aurais-je pas accès aux renseignements sur les montants dont dispose le syndicat auquel je dois verser une cotisation, contre ma volonté?

[Traduction]

Le sénateur Baker : L'obtention de ces renseignements est justifiée, conformément à la Loi sur les municipalités, qui est une responsabilité du gouvernement provincial. L'obtention de ces renseignements est autorisée et justifiée au titre de la loi. Comme l'a souligné le sénateur Joyal, la déclaration obligatoire des activités, pas seulement en ce qui concerne l'argent reçu ou la participation à des activités politiques, mais aussi toutes les activités non syndicales, n'est pas justifiée au titre de la loi.

Il n'y a pas de comparaison, car votre exemple est un cas légitime, alors que celui-ci, comme l'a précisé le sénateur Joyal, n'est pas légitime.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'ai une dernière question, sénateur Baker. La formule Rand est l'exemple le plus flagrant, parce que la loi m'oblige, en tant que salarié, à verser chaque semaine un montant d'argent à une association que je ne veux pas voir me représenter, mais par laquelle je suis tenu, en vertu de la loi, d'être représenté. Je suis tenu de lui verser un montant d'argent en vertu de la loi, non pas parce que j'ai envie d'être membre de ce syndicat et que je tiens à lui verser ce montant, mais parce que je suis obligé, en vertu de la loi, de lui verser un montant d'argent et d'être représenté par cette association...

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur, votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Merchant a la parole pour poursuivre le débat.

L'honorable Pana Merchant : Honorables sénateurs, j'aimerais vous faire la lecture de deux lettres qui ont été reçues après ce qui s'est produit ici vendredi dernier. L'une des lettres a été envoyée à tous les sénateurs de la Saskatchewan :

Honorables sénateurs,

Je suis scandalisé par la décision des sénateurs conservateurs, qui cherchent à pervertir la démocratie pour faire adopter le projet de loi anti-travailleur C-377.

Je viens tout juste d'être informé du fait qu'une motion conservatrice, si elle était adoptée, limiterait le débat et imposerait la clôture du débat relativement au projet de loi C-377. Selon les règles actuelles du Sénat, cela n'est pas autorisé lorsqu'il s'agit de projets de loi d'initiative parlementaire.

Une fois de plus, les conservateurs cherchent à forcer l'adoption au Sénat d'une mesure législative, même si cela signifie qu'ils devront changer les règles de notre régime démocratique pour y parvenir. Un tel comportement de la part des sénateurs conservateurs est indigne et répréhensible.

En tant que contribuable, je m'inquiète des coûts exorbitants liés au projet de loi C-377, ainsi que des risques qui en découlent relativement aux renseignements personnels des syndiqués et des retraités. Le projet de loi est inconstitutionnel et donnera lieu à une série de recours judiciaires coûteux.

Je sais que des préoccupations semblables ont été exprimées par la majorité des témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles afin de discuter du projet de loi C-377. Des préoccupations semblables ont aussi été exprimées par le sénateur Hugh Segal, maintenant à la retraite, qui a déclaré que le projet de loi C-377 est « mal rédigé, imparfait, inconstitutionnel et mal conçu sur le plan technique ».

Je suis d'accord avec le sénateur Segal. Je m'oppose vivement à ce projet de loi inconstitutionnel, et je vous demande instamment de voter contre cette motion des conservateurs, qui vise à limiter le débat et qui imposerait la clôture du débat relativement au projet de loi C-377.

Je vous exhorte aussi à vous opposer au projet de loi C-377 ou à vous abstenir de voter sur ce projet de loi à l'étape de la troisième lecture, car il s'agit d'une mesure législative coûteuse, intrusive et injustifiée.

Voici ce qu'on peut lire dans une deuxième lettre :

À titre de dirigeants du plus gros syndicat au Canada...

— il est question ici du Syndicat canadien de la fonction publique —

... qui représente plus de 630 000 membres, nous avons suivi de très près le processus d'adoption du projet de loi C-377. Nous avions bon espoir de pouvoir comparaître devant le Comité sénatorial pour communiquer nos inquiétudes au sujet des dispositions abusives de cette mesure législative. Nous vous écrivons donc maintenant de toute urgence...

— je le répète, cette lettre date de vendredi —

... et nous tenons à signaler que nous sommes indignés, car nous venons tout juste d'apprendre que les conservateurs ont posé un geste sans précédent en limitant la durée du débat sur un projet de loi d'initiative parlementaire afin de forcer le Sénat à l'adopter rapidement. Une telle initiative est antidémocratique, et elle diminue encore plus l'estime que la population a pour le Sénat, qui est déjà bien faible. Les nombreux problèmes que le projet de loi C-377 pose sur les plans juridique et constitutionnel ont été signalés à tous les sénateurs. D'ailleurs, cinq provinces ont remis en question sa validité...

(1630)

— sept provinces l'ont maintenant fait, mais la lettre, elle, parle de cinq provinces —

... et les témoignages des spécialistes indiquent qu'on cherche à résoudre un problème qui n'existe pas. En gardant tout cela à l'esprit, nous vous prions également de vous opposer à l'adoption de ce projet de loi, qui cible les syndicats de la façon la plus injuste qui soit.

L'honorable Sandra Lovelace Nicholas : Je ne vais prendre que quelques instants. Je ne suis pas une grande rédactrice.

Le gouvernement actuel a fait adopter de mauvaises mesures législatives à toute vapeur grâce à sa majorité dans cette enceinte. Ce n'est pas le rôle que les Canadiens, les citoyens, veulent que nous jouions. Plus particulièrement, le projet de loi C-51 a été adopté parce que cette Chambre ne représente pas l'opinion de la population et parce qu'il est impossible d'y tenir un vote équitable. La démocratie est en péril. Le projet de loi C-51 aura des répercussions négatives, plus particulièrement sur les Premières Nations. J'ai reçu des centaines de courriels à ce sujet.

Il est trop tard pour faire quoi que ce soit en ce qui concerne le projet de loi C-51, mais le projet de loi C-377 est, lui aussi, une mauvaise mesure législative. Il est inconstitutionnel, et j'ai l'impression que les petits copains de Harper ont eu pour directive de l'adopter, quelles que soient les conséquences. Je me demande à quoi mes collègues d'en face penseront lorsqu'ils retourneront chez eux et auront affaire aux citoyens.

Je représente les minorités du Nouveau-Brunswick, et la province s'oppose à cette mesure législative. Je suis maintenant inquiète, car je pense qu'on procédera de la même façon en ce qui concerne le projet de loi C-377. Encore une fois, les Canadiens expriment de vives inquiétudes à propos du projet de loi. Ils sont très nombreux à envoyer des courriels et à nous téléphoner à ce sujet.

Sous la direction du gouvernement Harper, honorables sénateurs, le second examen objectif s'est volatilisé.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : L'honorable sénatrice Martin, avec l'appui de l'honorable sénatrice Marshall, propose :

Que, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l'étude de la motion no 117 sous la rubrique « Affaires du gouvernement », portant sur la disposition du projet de loi C-377.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que ceux qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les oui l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je vois deux sénateurs se lever. Les whips ont-ils décidé?

La sénatrice Marshall : Une heure.

Le sénateur Munson : Une sonnerie d'une heure, merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le vote aura lieu à 17 h 35. Convoquez les sénateurs.

(1730)

La motion, mise aux voix, est adoptée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk McInnis
Ataullahjan McIntyre
Batters Mockler
Beyak Ngo
Black Oh
Carignan Patterson
Dagenais Plett
Eaton Poirier
Enverga Raine
Frum Runciman
Gerstein Seidman
Greene Smith (Saurel)
Lang Stewart Olsen
LeBreton Tkachuk
MacDonald Unger
Maltais Wells
Marshall White—35
Martin

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Hubley
Campbell Jaffer
Cools Joyal
Cordy Kenny
Cowan Lovelace Nicholas
Dawson McCoy
Day Merchant
Downe Mitchell
Dyck Moore
Furey Munson—21
Hervieux-Payette

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Bellemare Wallace—2

(1740)

Projet de loi modificatif—Prise de décision sur le projet de loi—Motion et rejet de la motion d'amendement—Report du vote

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Martin, appuyée par l'honorable sénatrice Marshall,

Que nonobstant toute disposition du Règlement ou pratique habituelle, immédiatement après l'adoption de la présente motion :

1. le Président interrompe les délibérations en cours pour mettre aux voix toutes les questions nécessaires pour disposer du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), sans autre débat, amendement ou ajournement;

2. si un vote par appel nominal est demandé par rapport à une motion nécessaire pour la prise de décision sur le projet de loi sujet à cet ordre, la sonnerie d'appel des sénateurs ne sonne qu'une fois pendant 15 minutes et qu'elle ne sonne pas de nouveau pour les votes demandés subséquemment en vertu de cet ordre;

3. aucun vote par appel nominal demandé sur une motion relative au projet de loi sujet à cet ordre ne soit différé;

4. aucune motion visant à lever la séance ou à donner suite à tout autre point à l'ordre du jour ne soit reçue avant que le Sénat n'ait disposé du projet de loi visé par cet ordre; et

5. l'application des articles du Règlement concernant la levée d'office de la séance et la suspension de la séance à 18 heures soit suspendue tant que le Sénat n'aura pas disposé du projet de loi;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Hubley,

Que la motion ne soit pas adoptée, mais qu'elle soit amendée en remplaçant les mots

« immédiatement après l'adoption de la présente motion »

par les mots

« après l'adoption de la présente motion, mais pas avant le 20 octobre 2015 ».

L'honorable Donald Neil Plett : Chers collègues, je prends la parole aujourd'hui pour prendre part au débat sur la motion no 117 au sujet du projet de loi C-377.

Comme les honorables sénateurs le savent, l'ancien juge de la Cour suprême, Michel Bastarache, a expliqué au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles que le projet de loi peut être considéré comme le fruit de l'exercice légitime du pouvoir du Parlement en matière d'impôt sur le revenu, en vertu des pouvoirs fédéraux de taxation prévus à l'article 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il a aussi affirmé que le projet de loi respecte la Charte des droits et libertés et que toute infraction serait probablement justifiée comme une limite raisonnable aux termes de l'article premier de la Charte.

Le juge Bastarache est un constitutionnaliste réputé et respecté. Le sénateur Cowan a pourtant remis en question son expertise et sa réputation un peu plus tôt aujourd'hui.

Il est absurde d'affirmer que le juge Bastarache est le seul expert à attester la constitutionnalité du projet de loi. Le Sous-comité des affaires émanant des députés de la Chambre des communes détermine quelles affaires devraient faire ou non l'objet d'un vote selon une liste de critères, notamment la constitutionnalité. M. Michel Bédard, un employé non partisan de la Bibliothèque du Parlement et conseiller en affaires constitutionnelles et parlementaires, a déclaré que « [c]ela relève du fédéral. Ce n'est pas inconstitutionnel. Et il n'y a pas de projet de loi similaire inscrit actuellement à l'ordre de priorité, qu'il émane du gouvernement ou d'un député. »

À la suite d'une discussion approfondie, le comité a tenu un vote par appel nominal pour déterminer si le projet de loi C-377 respectait les critères, dont la constitutionnalité. Il a été établi que le projet de loi est constitutionnel. Il importe de souligner que le réputé constitutionnaliste Stéphane Dion siège à ce comité.

M. L. F. Seiferling, un autre expert réputé du droit du travail et de l'emploi, a soumis un mémoire au comité où il affirme non seulement que le projet de loi est constitutionnel, mais aussi qu'il est justifié « en raison de la nature unique et du statut privilégié des syndicats et des organisations ouvrières au Canada. »

Quand elle a fait valoir que ce projet de loi était inconstitutionnel, la sénatrice Bellemare a fait référence à Jennifer Stoddart, ex-commissaire à la protection de la vie privée du Canada, qui, comme nous le savons, a été invitée à témoigner devant le comité non pas au sujet de la constitutionnalité du projet de loi, mais plutôt au sujet de sa conformité à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Mme Stoddart a confirmé que rien, dans cette mesure législative, n'allait à l'encontre de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

La sénatrice Bellemare et d'autres sénateurs ont également parlé de Paul Cavalluzzo, un avocat qui a omis de révéler au comité que l'Ontario English Catholic Teachers Association faisait appel à lui comme avocat-conseil, un fait qui, il me semble, doit être pris en considération quand il s'agit de mesurer la valeur de son témoignage.

Comme le sénateur Cowan estime non valable l'opinion du juge Bastarache du fait que celui-ci aurait été, selon le sénateur, invité à comparaître à la demande de l'organisme Merit Canada, je suis persuadé qu'il conclura également que le témoignage de M. Cavalluzzo devrait être mis en doute. En outre, M. Cavalluzzo représente des syndicats aux États-Unis, où les mêmes rapports de divulgations sont exigés.

Pour appuyer son allégation selon laquelle le projet de loi est inconstitutionnel, la sénatrice Bellemare a également cité Bruce Ryder. Je rappelle à mes honorables collègues que c'est ce même Bruce Ryder qui a prétendu que la nomination de 18 sénateurs par le premier ministre Harper le 22 décembre 2008 était aussi inconstitutionnelle.

Plusieurs sénateurs ont également parlé de l'opposition des provinces. Plus précisément, nous entendons constamment parler de l'apparente opposition de l'Ontario et du Manitoba. Quand elle a comparu devant le comité, la ministre du Travail du Manitoba, Erna Braun, a été incapable de répondre toute seule aux questions qu'on lui a posées au sujet de la mesure législative, alléguant qu'elle était nouvelle dans ses fonctions, alors qu'elle était à la tête de son ministère depuis près de deux ans. De plus, quand le sénateur Dagenais lui a posé une question au sujet de son emploi antérieur, elle a avoué qu'elle avait été syndicaliste, puisqu'elle a dirigé le syndicat des enseignants du Manitoba. Chers collègues... non, sénateur Mitchell, il n'y a rien de mal à cela.

Honorables collègues, il n'est guère surprenant que le ministre du Travail du gouvernement libéral de l'Ontario, Kevin Flynn, soit contre la transparence au sein des syndicats, car, en Ontario, les syndicats font élire des gouvernements libéraux depuis 2003 en raison du manque de contrôle à l'égard des dépenses engagées par des tiers. Aux dernières élections, les syndicats ont dépensé environ 1 million de dollars de plus que la limite imposée à l'ensemble des partis politiques. Je crois que c'est inacceptable, sénateur Mitchell.

Plusieurs sénateurs d'en face, y compris la sénatrice Ringuette et le sénateur Cowan, ont dit que sept provinces représentant 80 p. 100 de la population canadienne sont contre ce projet de loi. Ce ne sont pas sept provinces, mais sept ministres du Travail qui sont contre ce projet de loi. Pour ce qui est de dire qu'ils représentent les électeurs, j'aimerais présenter quelques chiffres.

Aux dernières élections fédérales, 5,8 millions de Canadiens ont voté pour le Parti conservateur du Canada, tandis que seulement 2,7 millions ont voté pour le Parti libéral. Ils ont élu le Parti conservateur pour qu'il élabore et mette en œuvre les politiques fédérales judicieuses des conservateurs.

Pour ce qui est de dire que les gouvernements provinciaux sont contre le projet de loi, le sénateur Cowan a très récemment fait allusion à l'Alberta. Or, aux dernières élections fédérales, 66,8 p. 100 des Albertains ont voté pour que ce soit le Parti conservateur du Canada qui élabore les politiques fédérales, alors que seulement 9,3 p. 100 ont voté pour le Parti libéral. Dans ma province, le Manitoba, 53,5 p. 100 des électeurs ont voté pour les conservateurs, contre 16,6 p. 100 pour les libéraux. Vous aurez votre tour, sénatrice Cools.

Dans la province la plus populeuse, 44,4 p. 100 des électeurs ont voté pour les conservateurs, contre 25,3 p. 100 pour les libéraux.

Il est évident que l'avis de sept ministres du Travail défavorables aux entreprises est loin de représenter celui de 80 p. 100 des Canadiens. La vaste majorité des Canadiens font confiance au gouvernement conservateur lorsqu'il s'agit d'élaborer les politiques fédérales. D'ailleurs, la seule province où il y a eu plus d'appuis pour les libéraux que pour les conservateurs est Terre-Neuve-et-Labrador, une province qui, soit dit en passant, n'est pas contre le projet de loi.

Chers collègues, plusieurs sénateurs ont affirmé que le projet de loi C-377 empiète sur la compétence des provinces. Or, c'est faux, puisqu'il ne vise pas à réglementer les relations de travail ni à dicter aux organisations ouvrières comment dépenser l'argent qu'elles perçoivent. Il vise simplement la divulgation de renseignements financiers, ce qui, de toute évidence, relève de l'ARC et est régi par la législation fédérale.

Certains sénateurs ont d'une part soulevé des préoccupations au sujet des dispositions du projet de loi C-377 exigeant que les dirigeants syndicaux déclarent le pourcentage du temps qu'ils consacrent à la conduite d'activités non liées aux relations du travail, et, d'autre part, laissé entendre que ces dirigeants doivent déclarer les activités qui ne sont pas liées au travail. De toute évidence, c'est faux. Le projet de loi C-377 couvre uniquement les activités liées au travail et reprend, par exemple, le système que l'Agence du revenu du Canada utilise pour les organismes de bienfaisance qui doivent déclarer le pourcentage du temps qu'ils consacrent aux activités politiques.

Dans le même ordre d'idées, la commissaire au lobbying exige que les lobbyistes enregistrés, dont beaucoup de dirigeants syndicaux, déclarent quel pourcentage de leur temps est consacré au lobbying.

De plus, les syndicats américains qui exercent leurs activités au Canada doivent déjà informer le département du Travail américain du pourcentage de leur temps qu'ils consacrent au lobbying et à des activités similaires. Contrairement à ce qu'ont laissé entendre certains sénateurs, aucun de ces régimes n'exige que les personnes visées déclarent ce qu'elles font durant leur temps libre, dans le cadre d'activités de bienfaisance ou de bénévolat.

(1750)

Le sénateur Baker a insinué que ce projet de loi obligerait les représentants syndicaux à divulguer combien de temps ils consacraient aux scouts. Ce n'est tout simplement pas le cas. Je le répète, chers collègues, les syndicats sont tenus de donner une estimation raisonnable du temps de travail que leurs cadres consacrent à des activités de lobbying et à des activités politiques. C'est tout à fait approprié.

La sénatrice Cordy : Le projet de loi parle des activités non liées aux relations du travail. Vous devriez le lire.

Le sénateur Plett : Les syndiqués et la population ont le droit de savoir si les cadres syndicaux consacrent beaucoup de leur temps de travail à des activités non liées aux relations du travail, compte tenu du traitement fiscal avantageux réservé aux cotisations syndicales.

Pour ce qui est de l'amendement de la sénatrice Bellemare, le but du projet de loi C-377 est de favoriser la transparence en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu compte tenu du traitement favorable que la loi accorde aux syndicats et aux cotisations syndicales. Ce traitement fiscal favorable s'applique autant aux syndicats sous réglementation provinciale qu'à ceux sous réglementation fédérale. Il serait illogique d'exclure les syndicats qui relèvent de la compétence provinciale puisqu'ils bénéficient du traitement fiscal favorable prévu dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

Chers collègues, n'oublions pas que l'idée de cette mesure législative est venu de membres de syndicat qui ont approché des députés parce qu'ils ne pouvaient pas obtenir de l'information à laquelle ils avaient droit comme cotisants. Nous avons entendu, au comité, des histoires d'horreur à propos de tactiques d'intimidation contre des membres de syndicat qui tentaient d'obtenir cette information.

Par exemple, Ken Pereira est un dénonciateur qui ne peut plus travailler au Québec après avoir été intimidé par la FTQ-Construction au Québec, un syndicat dont les dirigeants entretenaient des liens avec des patrons de la mafia et des Hells Angels.

Il a déclaré ceci au comité :

Certains dirigeants syndicaux sont prêts à dire n'importe quoi pour cacher cette réalité aux Canadiens, y compris aux Canadiens syndiqués. Ceux qui critiquent le projet de loi, et qui voudraient même en empêcher l'adoption, permettraient à cette horrible réalité de se perpétuer. Je vous mets au défi de me regarder dans les yeux et de m'expliquer pourquoi quiconque devrait se retrouver dans une situation semblable à la mienne. Seule la divulgation publique complète permettra d'augmenter la pression sur le mouvement syndical.

Honorables sénateurs, plusieurs chefs syndicaux se sont opposés à cette mesure législative, mais j'ai reçu plusieurs appels et courriels de membres de différents syndicats qui nous remercient de l'avoir présentée. J'ai aussi reçu des appels et des courriels de membres de syndicats qui sont pris de panique parce que leurs dirigeants leur donnent de mauvais renseignements. Certains disent, par exemple, que les données sur leur régime de pensions seront rendues publiques.

Comme on le sait, le projet de loi C-377 n'obligera pas les gens à divulguer de renseignements sur leur régime de pensions, leurs prestations d'assurance-maladie, leurs régimes enregistrés ni sur les autres régimes de compétence fédérale. Heureusement, j'ai eu l'occasion de dissiper ces fausses idées auprès de nombreux membres de syndicats qu'on a ainsi induits en erreur.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-377 vise la transparence et l'équité. Nous avons étudié cette mesure législative en profondeur. Elle a été étudiée par deux comités sénatoriaux. Nous avons entendu 72 témoins et les audiences ont duré 21 heures. On peut dire qu'elle a fait l'objet d'un examen approfondi au Sénat. Nous avons tous eu assez de temps pour nous en faire une opinion.

Les Canadiens souhaitent que les sénateurs votent pour ou contre le projet de loi, mais je pense que vous auriez du mal à trouver des Canadiens qui vous inciteraient à faire de l'obstruction, à retarder le débat, à gaspiller des fonds publics et à paralyser le processus démocratique.

Honorables sénateurs, il est temps de mettre aux voix le projet de loi C-377.

[Français]

L'honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, les gens ont le droit de choisir leur camp lorsqu'il s'agit de questions aussi importantes. Moi, j'ai choisi de faire ce que j'ai toujours fait dans ma vie de leader ouvrier, c'est-à-dire de me ranger parmi ceux qui ont à cœur les intérêts des travailleurs syndiqués, et non ceux des dirigeants syndicaux et de leurs avocats, qui voudraient maintenir la culture du secret, ce que j'appelle l'omerta, au sein des syndicats.

Un ancien juge de la Cour suprême nous dit que le projet de loi est constitutionnel. D'autres rejettent cet avis. Permettez-moi de vous faire remarquer que, tous les jours, devant nos tribunaux, des avocats s'affrontent, avec pour résultat que 50 p. 100 d'entre eux perdent leur cause. Pourtant, ils avaient tous prétendu à leurs clients qu'ils avaient raison. Vous comprendrez que j'ai le droit d'éprouver certaines réserves lorsque j'entends des opinions juridiques exprimées par des professionnels qui ont parfois des intérêts pécuniaires liés à ceux qui s'opposent à cette loi.

On nous a dit, en cette enceinte, comme la sénatrice Bellemare l'a indiqué, que des gens ont étudié ce projet de loi, qu'ils l'ont analysé. Avec tout le respect que je dois à ceux qui ont fait des études, j'aimerais faire remarquer que, chaque année, les universités accueillent des gens qui étudient longuement un sujet, mais qui échouent au moment de l'examen, parce qu'ils n'ont pas compris le sujet de leur étude. Évidemment, madame la sénatrice devrait comprendre que le projet de loi C-377 est une loi sur la transparence des états financiers, qui est nécessaire aujourd'hui, et surtout, une loi visant à protéger les travailleurs syndiqués de la base.

Je n'ai pas l'intention de m'engager dans un débat juridique. Je vais toutefois m'en remettre à l'avis du juge Bastarache et des experts qui ont été consultés avant que ce projet de loi soit adopté par la Chambre des communes. Tous les documents liés à ce dossier sont disponibles, et j'espère sincèrement que les sénateurs les ont lus. Si ce n'est pas le cas, je vous invite à en prendre connaissance.

Ce projet de loi, que je défends à titre de parrain, a été étudié en profondeur par l'ex-juge de la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache. Selon lui, le projet de loi est constitutionnel, il n'entrave en rien les compétences des provinces en matière de relations de travail et, surtout, il ne brime pas les pouvoirs de décision et de dépenser des organisations syndicales. Des exemplaires de cette opinion sont mis à la disposition de tous les sénateurs.

Je ne suis pas impressionné lorsque certains avocats nous disent que le projet de loi C-377 est inconstitutionnel, alors qu'ils ont reçu des mandats lucratifs de la part des syndicats. D'ailleurs, mon collègue, le sénateur Plett, a mentionné Me Cavalluzzo. Personnellement, je préfère m'en remettre à l'opinion de l'ex-juge Bastarache, qui nous a convaincus que nous pouvions aller de l'avant avec les dispositions de cette loi. Cette loi n'a rien d'anticonstitutionnel, parce qu'elle est liée à une loi sur l'impôt.

On a fait allusion au fait que plusieurs personnes ont été entendues lors des audiences du Comité des banques et du Comité des affaires juridiques. Je vous ferai toutefois remarquer que ces personnes, pour la plupart, étaient des dirigeants syndicaux et des avocats grassement payés par les chefs syndicaux. Pourquoi n'a-t-on pas entendu davantage de travailleurs de la base? Mon collègue, le sénateur Plett, l'a mentionné; on a entendu M. Ken Pereira. Pour avoir évolué 28 ans dans le monde syndical, je vous le dis : imaginez un instant qu'un travailleur de la base vienne nous dire qu'il est favorable au projet de loi C-377 et que, deux ou trois semaines plus tard, il se retrouve en situation de grief avec son employeur et qu'il doit demander à son syndicat de le défendre. Malheureusement, ce travailleur sera calciné, et le mot n'est pas trop fort. Il ne recevra pas l'aide de son syndicat, parce qu'il se sera opposé au projet de loi C-377.

La fin de semaine dernière, j'ai lu les journaux, y compris un en particulier qui est populaire à Montréal et dans lequel était publié un article qui traitait du projet de loi C-377. L'article s'intitulait « Bras de fer au Sénat sur le projet de loi sur la transparence des syndicats ». Ce qui a attiré mon attention, ce sont les commentaires des syndiqués de la base. Ceux-ci doivent parfois s'exprimer sous un pseudonyme — et je les comprends de craindre leurs dirigeants syndicaux. J'aimerais vous lire trois commentaires. Le premier a été exprimé par un syndiqué de la base, qui a utilisé un pseudonyme. Il se lit comme suit, et je cite :

Une autre bonne façon de pas voter libéral, les protecteurs des syndicats. Et le NPD est lui aussi un protecteur des syndicats et un grand parti syndicaliste.

(1800)

Le deuxième commentaire que j'ai lu et qui a attiré mon attention se lit comme suit :

Vive la transparence. Oui ce projet de loi doit être adopté le plus rapidement possible.

Le troisième commentaire qui a attiré mon attention dit ce qui suit, et je cite :

Ben moi je suis syndiqué et je suis entièrement d'accord avec ce projet de loi conservateur!

Ils ont quoi à cacher les syndicats? Fait longtemps que j'ai hâte de savoir ce qu'ils font véritablement du $20/semaine que je leur donne [...]

Je crois que ces commentaires sont assez significatifs. Je le répète, ce projet de loi s'adresse aux travailleurs syndiqués canadiens, et non aux dirigeants syndicaux. J'ai été chef syndical et, comme je vous l'ai dit, je sais de quoi je parle. Dieu merci, il m'arrive à l'occasion de rencontrer, sur l'autoroute 50, certains de mes collègues policiers de la Sûreté du Québec qui me disent : « On s'ennuie de vous, monsieur le président, parce qu'avec vous, on savait ce qui se passait au syndicat, vous étiez transparent. » On m'a même affirmé ceci : « On sait que c'est vous qui parrainez le projet de loi C-377. Bonne chance, monsieur le président! On sait que vous avez toujours pensé aux travailleurs. »

Voilà pourquoi j'ai demandé de parrainer le projet de loi. Ce projet de loi est pour les travailleurs, et il les défendra, plutôt que de protéger les dirigeants syndicaux et leurs avocats qui sont grassement payés.

L'honorable Diane Bellemare : Le sénateur Dagenais accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dagenais : Avec plaisir, madame la sénatrice.

La sénatrice Bellemare : J'aurais pu poser ma question également à l'honorable sénateur Plett. Toutefois, vous vous êtes levé rapidement. Par conséquent, je vous la pose.

Puisque vous dites que le projet de loi C-377 est constitutionnel, comment conciliez-vous le fait que la législation américaine sur laquelle se base le protagoniste, M. Hiebert, est une loi qui est liée au ministère du Travail, et non une loi sur l'impôt, comme c'est le cas pour le projet de loi C-377, et le fait que la législation américaine sur laquelle se base le protagoniste Hiebert est une loi qui demande une reddition de comptes également de la part des associations patronales, des entreprises syndiquées et des consultants? Comment conciliez-vous le fait qu'une loi américaine et que toutes les législations mondiales en ce sens sont élaborées par les ministères du Travail, et que le projet de loi dont nous sommes saisis modifie la Loi de l'impôt sur le revenu? J'attends votre réponse.

Le sénateur Dagenais : Avec tout le respect que j'ai pour vous, madame la sénatrice Bellemare, vous avez mentionné trois fois l'expression « législation américaine ». Je vous ferai remarquer, premièrement, que nous sommes au Canada. Vous mentionnez que M. Hiebert a fait référence à la loi américaine. Je vais m'en tenir à la décision du juge Bastarache. À combien de reprises la Cour suprême a-t-elle rendu des décisions à la suite desquelles on a blâmé le gouvernement, en lui reprochant de critiquer les décisions de la Cour suprême? Pour une fois, on accepte la décision d'un ancien juge de la Cour suprême qui a siégé au plus haut tribunal du pays pendant 11 ans.

Je ne mettrai en doute ni la parole du juge Bastarache, ni son jugement, ni son analyse. Je vais m'en tenir à ce qu'il nous a dit, et je le répète : le projet de loi n'est pas anticonstitutionnel, il n'est pas antisyndicaliste et, surtout, il ne nuira pas aux activités syndicales.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Dagenais accepterait-il de répondre à une autre question?

[Traduction]

L'honorable Anne C. Cools : J'ai un grand respect pour le sénateur Dagenais, et il le sait. Mais pourrait-il me dire s'il éprouve des scrupules à adopter une motion commençant par « nonobstant toute disposition du Règlement ou pratique habituelle »?

Avez-vous des scrupules lorsque vient le temps de voter en faveur d'une motion ayant pour effet de suspendre toutes les règles en vigueur au Sénat? N'y voyez-vous pas un geste répréhensible? C'est le sujet du débat actuel. Nous débattons de la motion no 117. Je voudrais savoir si vous avez des objections concernant une mesure aussi sévère et rigoureuse ayant pour objet d'empêcher le débat.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame la sénatrice Cools, quand j'ai accepté de parrainer le projet de loi C-377, c'était dans son intégrité et dans sa forme initiale que je le faisais. Vous comprendrez, par conséquent, que j'accepte le projet de loi dans sa totalité, tel qu'il a été présenté au début, et ce, sans amendement. C'est ainsi que je le vois.

[Traduction]

Le sénateur Plett : J'ai une question à vous poser. La sénatrice Bellemare dit qu'elle aurait aimé me poser la question. Je voudrais simplement demander au sénateur Dagenais s'il convient — également en réponse à la question de la sénatrice Bellemare — que ce projet de loi ne vise pas à réglementer les relations de travail, qu'il s'agit strictement de la diffusion de certains renseignements et que c'est un domaine de compétence purement fédérale.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ce qu'il faut comprendre, et le sénateur Plett l'a expliqué, c'est qu'il s'agit d'un projet de loi qui vise à protéger les travailleurs ouvriers, les syndicalistes de la base, et à faire en sorte que ceux-ci sachent ce qui se passe avec leur argent.

Je suis un peu déçu de ce que j'ai entendu dernièrement au Sénat. Je ne blâme pas mes collègues d'en face, parce que ce n'est pas tout le monde au Sénat qui a travaillé pendant 28 ans au sein d'un syndicat.

J'aimerais vous donner un exemple. On a dit qu'on retrouverait les noms des syndiqués qui ont cotisé à un régime de retraite, ainsi que le montant total de leurs cotisations, et que, au besoin, les états financiers afficheraient la pension qu'ils retireront. Or, je m'inscris en faux contre ces affirmations. En tant que président du comité de retraite de mon syndicat, je puis vous dire que ce n'est pas ce que l'on retrouve dans les états financiers. L'état financier d'un régime de retraite, c'est un rapport actuariel où on retrouve, bien sûr, l'état financier du régime de retraite, qui peut être de 2 ou 3 milliards de dollars. On y retrouve les différentes compagnies où les fonds ont été investis. On y retrouve aussi la fluctuation du taux de mortalité des participants, car cela peut avoir une influence sur la pérennité du régime.

Lorsqu'on me dit qu'on y retrouvera les noms, les montants des cotisations et les montants des CELI, je dois m'inscrire en faux contre ces affirmations, parce que je n'ai jamais vu de telles choses en 20 ans. Comme j’ai été président du Comité de retraite des policières et policiers de la Sûreté du Québec, administré par la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances du Québec, je puis vous dire que l'on n'y a jamais retrouvé de tels renseignements et qu'on ne les retrouvera pas. Il faut donc apporter des correctifs.

Je ne veux blâmer personne. C'est normal. Lorsqu'on travaille dans un milieu, on apprend, au fil des ans, et le processus est assez compliqué. Je puis toutefois vous dire qu'on ne retrouvera jamais ces renseignements. Ainsi, je ne comprends pas cette inquiétude. La seule inquiétude que j'ai entendue face à ce projet de loi provenait des dirigeants syndicaux, qui ne voulaient pas qu'on sache comment ils dépensaient leur argent.

Au Québec, on a vu des dirigeants syndicaux se détendre dans le spa d'un propriétaire de bateau. On peut parler de M. Jocelyn Dupuis, qui a dépensé 63 000 $ tirés des cotisations de ses membres. On peut parler de M. Johnny Lavallée. Ces incidents n'ont pas aidé les dirigeants syndicaux. Je crois que les syndiqués de la base ont le droit de demander des précisions dans le but de savoir ce qu'on fait avec leur argent. Les cotisations coûtent de 1 000 $ à 1 500 $ par année. Or, on ne leur donne pas le droit de demander des explications.

Ce qui m'a le plus déçu, c'est le syndicat des policiers provinciaux de l'Ontario. À mon avis, un syndicat de policiers se doit de donner l'exemple. Or, le syndicat de policiers le plus important au Canada a fait des placements dans des paradis fiscaux à l'insu de ses membres. Malheureusement, la seule source d'information qu'avaient ces derniers était les journaux.

Aujourd'hui, grâce au projet de loi C-377, ces choses seront clarifiées. Enfin, les travailleurs syndiqués canadiens sauront comment est dépensé leur argent. Voilà pourquoi ce projet de loi est important. C'est ce qu'il faut retenir. C'est pourquoi je vous incite à voter en faveur du projet de loi. Pensez aux travailleurs syndiqués canadiens. Ne pensez pas aux dirigeants syndicaux. Ne pensez pas à leurs avocats grassement payés. Ces gens auront toujours les mêmes salaires. Pensez à la transparence des cotisations syndicales. Les travailleurs ont le droit de savoir où va leur argent.

La sénatrice Bellemare : Sénateur Dagenais, j'aurais une deuxième question à vous poser. Qu'est-ce qui nous assure, dans le projet de loi C-377, que l'information qui sera divulguée dans les formulaires sera exacte? Y a-t-il, dans le projet de loi, des mesures dissuasives?

Son Honneur la Présidente intérimaire : J'ai le regret de vous annoncer que votre temps de parole est écoulé.

(1810)

[Traduction]

L'honorable Joseph A. Day (leader adjoint suppléant de l'opposition) : Chers collègues, je trouve toujours utile de récapituler le débat afin de savoir où nous en sommes. Le Sénat du Canada a été saisi du projet de loi C-377, et il débat présentement de la motion no 117, que l'on appelle parfois la « motion de disposition », qui a été reconnue comme une motion du gouvernement et qui vise à allouer un nombre donné d'heures au débat. Nous disposons de six heures pour débattre de la motion elle-même et de ses amendements. En fait, je devrais dire de son amendement, car il n'y en a qu'un, honorables sénateurs, et c'est précisément de cela que je vais parler : de la motion, de son amendement et des conséquences qu'ils auront.

L'amendement, tout d'abord, vise à modifier le texte de la motion, qui dit actuellement qu'aussitôt qu'elle sera adoptée, nous nous prononcerons sans plus attendre sur le projet de loi C-377; autrement dit, le débat sera terminé. C'est la guillotine, le point final.

L'amendement remplacerait les mots « immédiatement après l'adoption de la présente motion » par les mots « après l'adoption de la présente motion, mais pas avant le 20 octobre 2015 ». Plutôt bien choisi comme date, non? J'espère que les honorables sénateurs tiendront bien compte de la date proposée dans l'amendement quand ils détermineront quand aura lieu le vote sur le projet de loi C-377.

Lorsque le Sénat en a été saisi la première fois, en 2013, le projet de loi a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. En 2014, c'est-à-dire cette fois-ci, il a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le Comité des banques a fait rapport du projet de loi sans propositions d'amendement, mais avec des observations. Il a dit qu'il avait des préoccupations relativement au projet de loi qui pourraient être mieux résolues ici. Le Sénat s'est penché sur le projet de loi quand il lui a été renvoyé, et il l'a amendé.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a examiné le projet de loi cette année, a fait rapport du projet de loi sans propositions d'amendement et sans observations.

En 2013, le Sénat avait voté en faveur de l'amendement du projet de loi et l'avait renvoyé à la Chambre des communes. La Chambre des communes n'a jamais pris connaissance de l'excellent travail effectué par notre comité et cette enceinte. Le gouvernement a prorogé, pas à cause du projet de loi C-377, j'en suis sûr, mais c'est ce qu'il a fait. Après la prorogation, le projet de loi a été renvoyé ici, en raison d'une règle bizarre, comme s'il venait de franchir l'étape de la troisième lecture à l'autre endroit.

Je ne suis pas sûr de ce qui a changé depuis le premier examen de ce projet de loi pour expliquer les résultats très différents obtenus lors des deux examens. Soit nous n'avons pas fait le travail correctement la première fois, soit nous ne le faisons pas maintenant. Seul le temps nous le dira, ou peut-être la Cour suprême. C'est une partie du problème, honorables sénateurs.

Nous savons que l'adoption de ce projet de loi donnera lieu à des contestations judiciaires. Nous l'avons entendu de beaucoup de sources différentes. La constitutionalité de cette mesure législative a été remise en question par de nombreux témoins et plusieurs autres personnes.

Dans ses mémoires au Comité des finances de la Chambre des communes, l'Association du Barreau canadien a déclaré ceci :

Le projet de loi entrave l'administration et les activités internes d'un syndicat, ce qu'interdit la liberté d'association garantie par la Constitution à moins que le gouvernement puisse démontrer qu'il s'agit d'une limite raisonnable aux droits d'association. D'après le texte du projet de loi, on ne voit pas quelle est la justification pour ces empiétements sur les droits.

Les honorables sénateurs savent que l'Association du Barreau canadien représente énormément de juristes canadiens.

Beaucoup de gens sont intervenus au sujet de la mesure, et beaucoup de réserves ont été exprimées. Je n'ai pas le temps de les passer en revue, et vous n'avez pas envie de m'entendre le faire, mais il a été question de la charge de travail de l'Agence du revenu du Canada. Je rappelle aux honorables sénateurs que le projet de loi vient modifier la Loi de l'impôt sur le revenu. Il s'agit d'une loi en matière d'impôt qui demande à l'Agence du revenu du Canada de recueillir l'information de toutes ces sources différentes et de la publier. Certains ont soulevé des réserves sur le plan de la protection des renseignements personnels : sont concernés les particuliers, les membres d'associations, les associations d'enseignants, les associations de dentistes, les associations de médecins, les associations de comptables, tous ceux-là et bien plus encore.

Il a également été question des coûts immenses que devront assumer ces associations et syndicats. J'ai parcouru le projet de loi afin de déterminer combien d'éléments d'information ils devront fournir, et je me suis arrêté à 23, mais ne vous inquiétez pas, honorables sénateurs : s'il manque quelque chose, la mesure est assortie d'une disposition fourre-tout à la fin, qui dit : « tout autre état prescrit ». Il y a donc 23 états prescrits, sans compter tous ceux que le gouvernement pourrait décider d'ajouter par la suite, sans que la décision soit soumise à l'examen des sénateurs ou des députés.

Voilà le genre de coûts que la mesure entraînerait. Elle est bien trop vaste.

En droit, le terme « notamment », ainsi que d'autres termes analogues, ouvre la voie à des ajouts subséquents. Souvent, dans les textes de loi, un énoncé assez général est suivi d'une liste introduite par ce mot, « notamment » — « including » en anglais —, mais la liste n'est pas exhaustive. Il est préférable d'éviter ce terme dans la mesure du possible dans les textes de loi, car il est beaucoup trop vague. Les entités visées par la loi ignorent ce qui pourrait leur être demandé à l'avenir.

J'ai lu le projet de loi C-377. On y trouve la définition d'« organisation ouvrière », et dans la version anglaise, le mot « includes » revient trois fois dans les deux premières lignes. On parle en français d'« association syndicale ou autre organisation », ce qui signifie que la liste est non exhaustive. On dit ensuite que l'organisation a « notamment pour objet de régir [...] ». Et enfin, on dit qu'« y sont assimilés les groupes ou fédérations [...] », ce qui constitue encore une fois une liste non exhaustive.

À la page suivante, dans la version anglaise, le mot « includes » revient trois fois, aux lignes 9, 15 et 35. Quand j'ai parcouru la page suivante, j'ai relevé au moins deux « includes ». Cela contribue au manque de précision de cette mesure législative.

(1820)

Je peux vous garantir que cette mesure législative n'a pas été rédigée par le ministère de la Justice ni par quelqu'un qui connaît bien la rédaction de textes législatifs. Honorables sénateurs, c'est un autre problème auquel nous devons penser avant de décider si nous appuyons ou non cette mesure législative.

L'Association du barreau canadien a aussi abordé la question du secret professionnel. Elle craint que cette mesure législative exige la divulgation de certains renseignements protégés par le secret professionnel dans l'un des 23 états financiers exigés ou l'un des autres qui les suivent.

Sur le plan de la constitutionnalité, nous avons entendu parler du partage des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral, des différents articles, mais il y a aussi de la question de la constitutionnalité aux termes de la Charte et des préoccupations qui ont été exprimées relativement à la liberté d'association et à la liberté d'expression.

Il y a aussi les activités de lobbying qui ne sont pas bien définies. Plusieurs points ne sont pas clairement définis. Ils ont été soulevés par des témoins et dans les discours de nombreux sénateurs, qui, selon moi, ont tous présenté une évaluation valable de cette mesure législative. Ces arguments sont tous irréfutables et ils pourraient tous servir de base à une contestation judiciaire.

Le Congrès du travail du Canada a affirmé ceci :

Le projet de loi C-377 enfreint les lois fédérales et provinciales sur la protection de la vie privée et il traite les syndicats de façon discriminatoire par rapport à d'autres organisations traitées de manière semblable dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

D'autres organisations visées par la Loi de l'impôt sur le revenu ne subissent pas la même discrimination que les syndicats.

Et je poursuis la citation, qui se lit comme suit :

[...] il imposera d'importants coûts au gouvernement et aux organisations syndicales.

Le commissaire à la protection de la vie privée, M. Daniel Therrien, a soulevé de graves préoccupations liées au projet de loi, sur le plan de la protection de la vie privée. Il a suggéré des façons de protéger le droit à la vie privée tout en observant le principe de la responsabilité, qui semble être la raison d'être du projet de loi. Dans son allocution devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat, M. Therrien a déclaré ce qui suit :

Si c'est pour aider les travailleurs et les membres des syndicats qu'on exige une plus grande transparence et imputabilité, comme le suggèrent certains parlementaires, je ferais valoir qu'il n'est pas nécessaire pour atteindre cet objectif de procéder à une divulgation publique de renseignements personnels sensibles sur le site web de l'Agence du revenu du Canada. Les lois provinciales obligent déjà les syndicats à fournir à leurs membres des états financiers. Cette information est disponible à l'interne aux membres et, bien souvent, affichée publiquement sur les sites web des syndicats. Ces états financiers ne divulguent pas de noms et sont généralement présentés sous forme de sommaire.

Cela servirait à protéger les renseignements personnels des membres du syndicat. M. Therrien affirme que :

Il se peut que l'imputabilité requière la divulgation de certains renseignements personnels sur les dirigeants syndicaux...

— il en convient —

... par exemple leur salaire, mais si cette imputabilité est pour les membres, je ne vois pas pourquoi l'information devrait être disponible au grand public.

Pour autant que je sache, on ne lui a pas fourni de réponse satisfaisante à cet égard.

Encore une fois, l'Association du Barreau canadien soutient que le projet de loi comporte de sérieuses lacunes sur le plan de la protection de la vie privée et « qu'il n'établit pas un juste équilibre entre les objectifs légitimes de protection de l'intérêt public et le respect des intérêts personnels, qui est protégé par la loi » — ce qui revient à l'observation du sénateur Joyal concernant le déséquilibre.

Lorsque les défenseurs du projet de loi en expliquent l'objet, ils font valoir qu'il profitera considérablement aux syndicats et à leurs membres, en raison des exemptions et des déductions fiscales qu'il comporte et du fait que les membres ont le droit de savoir comment leurs cotisations syndicales sont dépensées. Toutefois, sur le plan de la publication des renseignements, le projet de loi va beaucoup plus loin.

Alain Barré, de l'Université Laval, a étudié le projet de loi. Voici ce qu'il a dit sur l'utilisation de la Loi de l'impôt sur le revenu pour apporter ces changements :

J'en suis venu à la conclusion qu'il s'agissait d'une législation déguisée. Le législateur...

— M. Hiebert —

... cherche à utiliser un vêtement juridique approprié afin de faire augmenter ses chances d'obtenir un jugement favorable en cas de contestation constitutionnelle.

Honorables sénateurs, si nous adoptons ce projet de loi, celui-ci fera certainement l'objet d'une contestation judiciaire fondée sur quelques-uns ou la totalité des motifs que je viens de mentionner. En tant que sénateurs, nous devrions donc éviter d'adopter un projet de loi suscitant un enthousiasme exagéré et ayant une portée trop vaste, puis d'attendre que les tribunaux fassent le travail qui nous aurions dû d'abord effectuer.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Souhaitez-vous avoir plus de temps, sénateur Day?

Le sénateur Day : Pourrais-je avoir cinq minutes de plus pour pouvoir terminer mon intervention?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Day : Merci.

Les faits nous ont été communiqués par des représentants provinciaux, c'est-à-dire sept premiers ministres qui insistent pour dire que le projet de loi proposé par le gouvernement fédéral est indésirable et inutile. Les lois actuelles en matière de relations de travail prévoient la divulgation de renseignements aux membres des syndicats. Très peu de membres se sont plaints du fait qu'ils ne recevaient pas suffisamment de renseignements. Lorsque des plaintes sont déposées, elles peuvent être traitées en bonne et due forme. Toutefois, ce projet de loi ne fait pas suite à une série de plaintes sur lesquelles il importe de se pencher.

Si nous adoptons le projet de loi C-377, nous allons bouleverser un système qui jouit d'un bon équilibre entre les parties patronale et syndicale. C'est l'argument qu'a fait valoir le sénateur Joyal et auquel je souscris totalement. C'est l'argument le plus convaincant que j'ai entendu parmi tous ceux qui ont été invoqués au sujet de ce projet de loi. Du point de vue du marché, ce projet de loi est inutile. Même si certains des amendements proposés pouvaient combler les nombreuses lacunes du projet de loi, je ne suis pas convaincu qu'il serait souhaitable de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu pour exiger la divulgation publique de renseignements personnels sur les employés des organisations ouvrières et des syndicats. La Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas le véhicule approprié pour ce genre de chose.

Honorables sénateurs, le sénateur Richard Cartwright siégeait ici en 1910. Voici ce qu'il a déclaré ici même :

Un sénat idéal [...] n'est pas un sénat qui doive contrecarrer les vœux du peuple : mais c'est un Sénat qui s'efforce de connaître l'opinion publique, saine et raisonnée.

Honorables sénateurs, compte tenu de tous les mémoires, de toutes les lettres et de tous les courriels que nous avons reçus, de toutes les communications qui nous ont été envoyées par les premiers ministres provinciaux et les intervenants, des témoignages entendus par le Comité des banques, par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et par le Comité des finances de la Chambre des communes, je ne pense pas que cette mesure législative correspond à l'opinion publique saine et raisonnée, comme l'a dit le sénateur Cartwright.

L'honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, le projet de loi C-377 a fait l'objet de débats approfondis et il a été étudié plus à fond que la plupart des mesures législatives d'initiative ministérielle, et beaucoup plus que les autres projets de loi d'initiative parlementaire. Il est on ne peut plus évident que l'opposition a eu recours à des tactiques dilatoires pour empêcher le vote sur cette mesure législative. Les derniers amendements proposés à la motion subsidiaire de la sénatrice Ringuette ne visaient qu'à modifier un numéro. À mon avis, il ne s'agit pas d'amendements de fond, mais plutôt d'un effort visant à entraver le débat. Par comparaison, l'amendement au projet de loi C-586 que j'ai présenté lundi dernier faisait une page et demie.

Honorables sénateurs, le Sénat est saisi de cette mesure législative depuis plus de 925 jours. Cette mesure législative a été étudiée à fond par deux comités sénatoriaux, y compris celui dont je fais partie, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, où nous avons entendu le témoignage détaillé et convaincant de l'ex-juge de la Cour suprême Michel Bastarache, qui nous a assuré que le projet de loi C-377 était conforme à la Constitution.

(1830)

Le juge Bastarache a siégé 12 ans à la Cour suprême. Il nous a dit que, pendant cette période, 20 p. 100 de ses dossiers relevaient du droit constitutionnel. En fait, son témoignage était si convaincant que la sénatrice Jaffer a déploré, au moment de l'étude article par article, que les adversaires du projet de loi C-377 n'aient personne du calibre du juge Bastarache sur le plan juridique pour les soutenir.

Une voix : Oh!

La sénatrice Batters : Honorables sénateurs, je tiens aussi à vous signaler qu'au Comité des affaires juridiques, nous avons entendu trois ministres du Travail provinciaux qui s'opposaient au projet de loi. Ils venaient du Manitoba, de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse. Or, quand ces ministres du Travail ont été interrogés individuellement par le sénateur Joyal, aucun d'eux n'a pu confirmer que le gouvernement de sa province disposait d'un avis juridique indiquant que le projet de loi C-377 était inconstitutionnel.

À l'étape de la troisième lecture seulement, les sénateurs libéraux se sont exprimés plus de 40 fois sur ce projet de loi. C'est évidemment sans compter les innombrables discours, questions et autres interventions que nous avons entendus quand le projet de loi a été étudié au comité et quand il a été débattu en cette enceinte en 2013. Franchement, nous savons tous très bien ce que les sénateurs libéraux pensent de ce projet de loi. Que pourraient-ils donc ajouter au débat si nous l'éternisions encore pendant des semaines?

Nous devons laisser le processus démocratique suivre son cours. En tant que parlementaires, nous avons le devoir de nous prononcer de façon définitive sur ce projet de loi. Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt des contribuables canadiens ou de notre processus démocratique de siéger tout l'été pour parvenir à un vote sur ce projet de loi.

Honorables sénateurs, nous avons accordé plus de temps que nécessaire à l'étude de ce projet de loi. Je vous demande respectueusement de vous joindre à moi pour appuyer cette motion visant la tenue d'un vote sur le projet de loi C-377.

Merci.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole au sujet de la motion no 117 et de son amendement.

Honorables sénateurs, nous sommes à un seuil critique. Aujourd'hui, les Canadiens nous observent alors que nous débattons de la motion no 117. Ils sont frustrés, et, à vrai dire, je ne peux pas leur en vouloir, car je le suis aussi.

Au lieu de redire en mes propres mots ce que mes collègues ont dit, je vais citer les paroles d'un Canadien qui a écrit à chacun d'entre nous le week-end dernier. Mike Brecht, de Saskatoon, a dit ceci :

Je vous écris au sujet de la décision du Sénat de voter contre de la décision rendue par le Président du Sénat à l'égard du projet de loi C-377. Le Président a clairement exposé son raisonnement en se fondant sur les règles établies en 1991 concernant l'ordre d'appel. Il a également fait allusion à la décision de l'ancien Président, le sénateur Kinsella, en disant que « proposer d'utiliser une motion du gouvernement pour régir l'expédition d'affaires autres que gouvernementales va à l'encontre d'une distinction fondamentale établie dans le Règlement et dans nos pratiques. »

En votant contre la décision du Président, vous venez d'enfoncer le dernier clou dans le cercueil du Sénat. Si on ne fait plus la distinction entre les affaires du gouvernement et les autres affaires dont dispose le Sénat, ce dernier n'aura plus son utilité en tant que Chambre de second examen objectif, puisque toutes les questions qui seront mises à l'étude à l'avenir seront déjà déterminées par la Chambre des communes.

Jusqu'à présent, j'étais de ceux qui croyaient que le Sénat avait toujours sa place dans le cadre des travaux parlementaires au Canada, mais, après le vote contre la décision de la présidence, vous avez anéanti hors de tout doute l'argument relatif à la nécessité du Sénat. En terminant, je vous demande, en tant que contribuable canadien inquiet, de vous opposer à la motion et de débattre comme il se doit du projet de loi C-377 à une séance ultérieure.

De la part d'un contribuable très déçu.

Honorables sénateurs, pour reprendre ce que le contribuable a dit, si nous votons en faveur de cette motion, nous ferons en sorte que le Sénat devienne une institution superflue.

J'ai réfléchi à cette lettre pendant toute la fin de semaine et à ce que je pourrais ajouter à ce sujet. Comment peut-on véritablement expliquer ou comprendre ce qui se passe à l'heure actuelle au Sénat? Nous n'avons pas vécu une situation semblable depuis de très nombreuses années.

Aujourd'hui, nous nous perdons en discussions enflammées. Les frustrations s'accumulent au Sénat. Prenons un peu de recul. Oublions nos émotions du moment et réfléchissons à ce qui est sur le point de se produire. Nous sommes sur le point de faire quelque chose qui aura une profonde incidence sur notre institution. Ce que j'ai retenu de la lettre de M. Brecht, c'est que, une fois de plus, nous sommes sur le point de perdre la confiance des personnes que nous sommes censés servir. Nous allons faire en sorte que le Sénat devienne inutile.

J'aimerais traiter de cette question plus en détail. Je crois que certains sénateurs semblent avoir oublié que nous n'avons d'obligations qu'envers les Canadiens. Notre seul devoir, nous l'exerçons à l'endroit des Canadiens.

Honorables sénateurs, la motion dont nous débattons aujourd'hui a une vaste portée. Elle nous dépasse. Par conséquent, je crois que, de ce point de vue, nous avons atteint un seuil critique.

Notre institution est menacée. La dernière année a été très difficile, personne ne peut le nier. Lorsque nous serons rentrés chez nous, sans doute nous dirons-nous que nous ne voulons plus jamais vivre une année comme celle que nous venons de traverser. Il y a eu des suspensions, le Sénat a fait l'objet d'une vérification hautement médiatisée et, par moments, en lisant les journaux, on aurait dit que le terme « scandale » était devenu synonyme de « Sénat ». Toutefois, n'oublions pas pourquoi, au départ, nous avons fait l'objet d'une vérification. Nous voulions regagner la confiance des Canadiens. Pourquoi? Parce que c'est notre devoir de les servir. S'ils n'ont pas confiance en nous, comment pouvons-nous les servir?

C'est non seulement un but louable, mais aussi notre responsabilité, d'assurer la crédibilité de notre institution auprès des Canadiens. On n'insistera jamais trop sur son importance pas plus que nous pouvons discuter le fait que nous avons convenu de l'importance de la vérification en l'acceptant. Pourquoi alors revenons-nous maintenant sur notre engagement envers les Canadiens?

Je demande aux sénateurs qui votent en faveur de cette motion comment l'acte qu'ils poseront aujourd'hui — qui va perturber la démocratie et le processus démocratique — servira à regagner la confiance de la population en notre institution.

Après avoir mûrement réfléchi, je suis convaincue que je ne puis expliquer plus clairement que l'ont fait d'autres sénateurs pourquoi il n'est pas correct d'appuyer cette motion. Je souhaite plutôt aujourd'hui en appeler à la raison.

Honorables sénateurs, je ne devrais pas me sentir aussi défaitiste au sujet d'un appel à la raison en cette enceinte. Après tout, nous sommes censés être la Chambre de second examen objectif. À l'autre endroit, la raison passe après la partisanerie, mais ici, la raison et la pensée rationnelle sont censées être la norme en toutes circonstances. Indépendamment des allégeances politiques, la raison doit l'emporter ici.

À titre de Chambre de second examen objectif, nous ne sommes pas censés succomber à la partisanerie. Nous ne devrions pas prendre de décisions irréfléchies en fonction des résultats de sondage ou des possibilités de réélection. Nous sommes au service des intérêts nationaux et des Canadiens. En théorie, notre travail est simple et, pourtant, il est essentiel pour maintenir un équilibre dans notre démocratie. Nous veillons à ce que la raison, l'équité et les faits prévalent dans les futures lois de notre grande nation.

Honorables sénateurs, je crains que nous ayons mal communiqué ce message aux Canadiens. On peut donc comprendre leur frustration, mais nous avons passé une année très difficile à essayer de regagner la confiance des Canadiens. Je suis fière de cette Chambre et du travail que nous faisons tous. Pourtant, aujourd'hui nous mettons en péril tout le bon travail qui se fait ici et, là encore, nous envoyons le mauvais message aux Canadiens.

Quand on fait ainsi appel à la raison, on ne devrait pas ressentir l'amertume de la défaite aussi crûment que je la ressens en ce moment, même si j'ai encore espoir que mes collègues conservateurs me prouveront que j'ai tort de me sentir ainsi. Aujourd'hui plus que jamais au cours de la dernière année, nous avons la responsabilité de réaffirmer l'indépendance de notre assemblée.

Voici le dernier argument que je souhaite faire valoir. Aux honorables sénateurs conservateurs qui voteront pour la motion parce que leur idée était faite avant même de pénétrer dans la salle, je demande de quel côté de l'histoire ils veulent se placer aujourd'hui. Voulez-vous contribuer encore davantage à la détérioration de notre institution sacrée, ou allez-vous plutôt exercer votre indépendance d'esprit?

(1840)

Nous avons entendu le Président Kinsella nous dire que cette motion n'a pas lieu d'être — un raisonnement que le Président actuel, le sénateur Housakos, a repris à son compte. Vous savez que la raison penche de leur côté. J'en appelle non pas à vos valeurs partisanes ni à vos émotions; non, aujourd'hui, j'en appelle à votre raison. Chacun de vous doit s'accrocher de toutes ses forces à son indépendance d'esprit, parce que c'est ni plus ni moins l'avenir de notre démocratie qui est en jeu. Peu importe ce que nous avons dit avant aujourd'hui, et même aujourd'hui, plus rien ne compte sauf la manière dont vous allez voter. Aujourd'hui plus que jamais, vous devez exercer votre indépendance d'esprit. C'est la seule avenue possible si nous voulons regagner de la crédibilité auprès des Canadiens. Nous comptons sur vous.

Depuis un an, nous nous sommes tous engagés à redonner confiance aux Canadiens dans notre institution. Tous autant que nous sommes, nous nous sommes attelés à cette tâche, j'en suis convaincue, mais aujourd'hui, nous devons prouver que les gestes concrets pèsent plus lourd que les belles paroles. Nous avons assez parlé de la crédibilité de l'institution sénatoriale. Les Canadiens en ont assez des palabres; ils veulent que nous agissions : vous, moi, nous. Ils le méritent.

Ce vote, c'est votre chance d'agir, de vous adresser directement aux Canadiens. Parce que c'est la vérité : les belles paroles s'effacent derrière les gestes concrets. Le résultat du vote sur cette motion enverra un message plus fort que tout ce qui a été dit à son sujet, plus fort que n'importe quelle entrevue que nous pourrions donner ou que n'importe quel gazouillis que nous pourrions envoyer. Le résultat du vote d'aujourd'hui sera le message que nous envoyons à ceux que nous servons.

Je suis très fière d'être une sénatrice canadienne, et je suis convaincue que notre institution a un rôle important à jouer dans notre démocratie, mais ce rôle ne consiste pas à remanier les règles pour des motifs partisans. Tout ce que nous réussirons, ce sera d'amoindrir encore notre crédibilité et de nous aliéner ceux-là mêmes que nous sommes censés servir. C'est contraire à tous les principes que défend le Sénat. C'est contraire au rôle que nous devons jouer.

Chers collègues, au cours des dernières années, des sénateurs ont été suspendus, et le Sénat a fait l'objet d'une vérification très ouverte. Cette vérification ne nous a pas épargnés, et je pense que, grâce à celle-ci, bien des gens se sont rendu compte que nous faisions ce qui s'imposait. Toutefois, en adoptant cette motion, nous allons détruire notre institution, car nous savons pertinemment ce qu'il va advenir du projet de loi : il sera immédiatement contesté devant les tribunaux, qui le déclareront inconstitutionnel. Malheureusement, c'est notre institution qui écopera, pas les syndicats.

L'honorable Jane Cordy : J'aimerais poser une question. Plus tôt cet après-midi, on nous a dit que le projet de loi ne prévoyait pas la divulgation d'activités non liées aux relations de travail. Pourtant, voici ce qu'on peut lire au sous-alinéa 149.01(3)b)(vii.1) :

un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage du temps que les personnes visées au sous-alinéa (vii) consacrent à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations du travail [...]

Il s'agit d'une définition assez vague. Il me semble que, plus tôt aujourd'hui, on nous a dit qu'elle pourrait comprendre diverses activités, comme le bénévolat que fait un parent en tant que chef scout ou guide ou en tant que président de l'association parents-enseignants de l'école fréquentée par son enfant, dans le but d'améliorer l'école en tant que lieu d'apprentissage. Ces activités pourraient donc faire partie des « activités non liées aux relations de travail », qui, en fait, sont prévues dans le projet de loi, comme ont pu le constater les personnes qui ont pris la peine de le lire.

Trouvez-vous que cette disposition est plutôt vague et que, en fait, elle pourrait englober toutes les choses mentionnées plus tôt par le sénateur Baker?

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Cordy, je vous remercie vivement de m'avoir posé cette question. Comme vous le savez, je suis membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'ai posé cette question à plusieurs des témoins qui ont comparu devant notre comité.

Nous pouvons nous renseigner sur le salaire des syndiqués et sur le nombre d'activités politiques auxquelles ils se livrent, si nous le souhaitons. Cependant, il est un peu fort de leur demander de préciser leurs « autres activités non liées aux relations de travail ». C'est cette exigence qui me préoccupe. Elle m'a amené à poser la question suivante : « Si un syndiqué est chef des louveteaux, doit-il le signaler? »

Honorables sénateurs, voici ce que nous exigeons des syndiqués. Si on nous demandait de préciser tous les organismes de bienfaisance pour lesquels nous travaillons, nous n'accepterions jamais de le faire. Ce projet de loi est tout simplement inconstitutionnel.

La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, j'interviens pour faire part de ma vive opposition à la motion no117, la motion draconienne de la sénatrice Martin qui mettra fin au débat sur le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières). Le gouvernement veut que ce projet de loi soit adopté de toute urgence, mais il ne veut pas expliquer pourquoi. La leader adjointe du gouvernement a invoqué des pouvoirs d'urgence vastes et très forts qui devraient seulement être invoqués par des ministres, dont aucun ne siège au Sénat. Ce genre de procédure est très inhabituelle et même irrégulière.

Vendredi dernier, les sénateurs ont voté sur l'appel, par les partisans du gouvernement, de la décision du Président Housakos concernant le recours au Règlement du leader de l'opposition, le sénateur Cowan, au sujet de la motion no117 pour le moins douteuse présentée par la sénatrice Martin. J'ai voté en faveur du maintien de la décision de notre Président. Cependant, les partisans du gouvernement se sont servis de leur majorité au Sénat pour rejeter sa décision. Ils ont eu gain de cause.

Honorables sénateurs, le Président du Sénat n'est pas le représentant de cette assemblée, mais celui de la reine. Renverser ses décisions ne devrait se faire que rarement, et seulement lorsque celles-ci sont fondées sur des erreurs factuelles et juridiques évidentes. Un tel geste ne devrait jamais être posé pour répondre à un besoin du gouvernement.

Je signale que, contrairement au Président de la Chambre des communes, le Président du Sénat n'est pas le porte-parole de cette enceinte. Le Président de la Chambre des communes est le représentant et le porte-parole de cet endroit. Le Président du Sénat, quant à lui, est le représentant de la reine au sein de la Chambre haute — la Chambre de Sa Majesté et la Chambre fédérale du Parlement. Il assume des fonctions vice-royales. Ses pouvoirs découlent uniquement du monarque. La Constitution des États-Unis a maintenu le caractère vice-royal de la fonction de Président du Sénat, étant donné que ce rôle est joué par le vice-président du pays. Je précise aussi que l'huissier du bâton noir est également le représentant de la reine, comme le Président du Sénat. Il est le gardien et le serviteur personnel de Sa Majesté.

Honorables sénateurs, le Président de la Chambre des communes est le porte-parole de cette Chambre. Les pouvoirs du Président, comme ceux de cette assemblée, découlent d'une réalité constitutionnelle, la représentation selon la population, et du principe qui la sous-tend, à savoir qu'il ne peut y avoir de taxation sans représentation. La représentation selon la population se fait grâce au droit de suffrage. Nos souverains ont ainsi accordé une de leurs prérogatives à leurs sujets. Grâce à cette franchise, ceux-ci ont acquis individuellement le pouvoir et le droit d'élire les députés à la Chambre des communes, l'assemblée du peuple, pour les représenter.

Voici la définition de « franchise » que donne le volume I du Jowitt's Dictionary of English Law, à la page 831 :

[...] liberté ou privilège. Dans la common law, privilège royal ou type de prérogative de la Couronne conférée, par octroi ou ordonnance, à un sujet.

Honorables sénateurs, le renversement de la décision de la présidence n'est pas un acte qui se fait à la légère. Je ne suis pas sûre que bien des sénateurs en comprennent vraiment la gravité. Selon moi, il vaudrait beaucoup mieux que nos dirigeants trouvent une autre solution sans contraindre le Sénat, de façon brutale et extrême, à adopter le projet de loi d'initiative parlementaire C-377, qui modifie la Loi de l'impôt sur le revenu. Il s'agit d'un projet de loi d'ordre fiscal. Nous semblons l'oublier. Il s'agit d'un projet de loi d'ordre fiscal, c'est-à-dire qu'il touche à la grande question de la représentation selon la population, un principe qui ne s'applique pas au Sénat. Les modifications apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu touchent aux articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 et commandent l'adhésion à deux principes parlementaires fondamentaux : les initiatives financières de la Couronne et le principe selon lequel il ne peut y avoir de taxation sans représentation.

(1850)

Autrement dit, les mesures fiscales doivent émaner de la Chambre des communes au moyen d'une motion présentée par un ministre, qui est un député, généralement le ministre du Revenu. Or, le projet de loi C-377 est une mesure fiscale et il n'a pas été parrainé par un ministre à la Chambre des communes ou au Sénat, mais par un simple député et un simple sénateur.

C'est très inhabituel pour un projet de loi fiscal. Le projet de loi C-377 ne vise ni à augmenter ou à percevoir un impôt, ni à réglementer la perception des impôts. Il vise à réglementer et à restreindre une catégorie précise de personnes, à savoir les syndicats ou organisations ouvrières, un seul groupe. C'est une tentative fédérale de réglementer les syndicats. Il ne fait aucun doute que cela nuira au processus de négociation collective. L'impôt sur le revenu relève du gouvernement fédéral, mais pas la négociation collective.

Le projet de loi C-377 est plutôt transparent. Il vise à étendre les pouvoirs de réglementation du gouvernement fédéral à la négociation collective, laquelle relève des gouvernements provinciaux. Quelqu'un a longuement réfléchi à la question. Après avoir découvert qu'il n'a que deux options législatives, le Code criminel ou la Loi de l'impôt sur le revenu, le gouvernement a choisi la Loi de l'impôt sur le revenu, parce qu'elle attire moins l'attention.

Honorables sénateurs, la Chambre des communes devrait s'insurger contre cet abus de son pouvoir d'imposition. La motion no 117 est le pire affront. Ce n'est pas une bonne utilisation des pouvoirs du gouvernement de présenter des motions d'attribution de temps ou des motions urgentes, qu'il est censé utiliser parcimonieusement.

Pour les sénateurs qui ne le savent peut-être pas, je ne voterai jamais « oui » à une motion de fixation de délai, surtout pas à une motion aussi sévère et radicale que celle dont nous sommes saisis.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-377 a été adopté à la Chambre des communes, où il a été présenté comme un projet de loi d'initiative parlementaire. Il avait également été présenté comme tel au Sénat jusqu'à ce que les partisans du gouvernement veuillent le transformer en projet de loi d'initiative ministérielle il y a quelques jours. Ils ont entrepris d'assujettir ce projet de loi d'initiative parlementaire à la fixation de délai, à la clôture et aux procédures d'urgence, des motions que seul un ministre peut présenter. La sénatrice Martin n'est pas ministre. Il n'y a pas de ministres au Sénat. Ces mesures démesurées sont non parlementaires.

Le Président du Sénat a donné raison au sénateur Cowan, mais les partisans du gouvernement dans cette enceinte ont annulé sa décision, qui était conforme à la décision du 30 octobre 2013 du Président du Sénat, Noël Kinsella.

Honorables sénateurs, j'aborde maintenant la question constitutionnelle des droits législatifs de la Couronne dans les Chambres du Parlement. Oui, Sa Majesté et le gouverneur général ont des droits législatifs dans ces deux Chambres.

Le 17 octobre 2013, le sénateur Cowan a posé des questions au sénateur Carignan, qui n'est pas ministre, sur son aptitude à être le porte-parole du gouvernement pendant notre période des questions. Le sénateur Carignan a répondu qu'il était membre du Conseil privé et qu'il avait accès à l'information.

Le grand Alpheus Todd nous explique pourquoi il est nécessaire que des ministres soient présents dans les deux Chambres du Parlement. Le premier ministre ou les sénateurs ne peuvent pas balayer cet avis du revers de la main.

M. Todd nous dit pourquoi les leaders du gouvernement des deux Chambres doivent être des ministres. C'est à cause des droits du monarque concernant les projets de loi, que l'on appelle aussi les droits législatifs de la Couronne.

Dans le volume II de son ouvrage publié en 1869 et intitulé Le gouvernement parlementaire en Angleterre, sous la rubrique « Droits législatifs de la Couronne », M. Todd nous explique les caractéristiques uniques du gouvernement responsable dans le système parlementaire. Il écrit ceci à la page 316 :

Depuis l'établissement du gouvernement parlementaire, l'exercice des prérogatives incontestées de la Couronne en tant qu'éléments essentiels de la législature ne se fait plus par l'intervention directe et personnelle du souverain.

Permettez-moi de reprendre la lecture :

Depuis l'établissement du gouvernement parlementaire, l'exercice des prérogatives incontestées de la Couronne en tant qu'éléments essentiels de la législature ne se fait plus par l'intervention directe et personnelle du souverain. Ses pouvoirs législatifs sont maintenant exercés dans les deux Chambres, mais surtout à la Chambre des communes, par le truchement des ministres compétents qui, se prévalant de leur influence en leur qualité de parlementaires, servent de porte-parole et de représentants de la composante monarchique de notre Constitution au Parlement. Depuis l'adoption dans notre système politique de l'usage constitutionnel voulant que le souverain s'abstienne d'exercer une autorité directe et externe sur les Chambres du Parlement en matières législatives, l'appareil moderne permettant la conduite des travaux parlementaires au nom de la Couronne s'est mis en branle. [...] Dès lors, les règles du Parlement — qui interdisent le dépôt d'un projet de loi affectant une partie quelconque des recettes publiques, sauf sur recommandation de la Couronne par l'entremise d'un ministre responsable, et qui imposent d'obtenir le consentement de la Couronne avant que l'une des deux Chambres ne puisse consentir à un projet de loi touchant la prérogative royale — de même que le droit reconnu des ministres de régler la conduite des affaires publiques, tant qu'ils conservent la confiance de la Chambre des communes, garantissent les droits du souverain, à titre de partie constitutive du corps législatif, d'une façon aussi indéniable, sinon plus efficace, que l'opposition directe d'un veto personnel.

Honorables sénateurs, M. Todd dit clairement que la raison parlementaire pour laquelle des ministres de la Couronne doivent faire partie des deux Chambres est que ceux-ci incarnent et personnifient l'autorité du monarque souverain. Le rôle législatif du monarque souverain est maintenant assumé par les ministres de la Couronne dans les deux Chambres du Parlement.

À la page 2 du volume I de l'ouvrage déjà cité, M. Todd écrit ceci :

Le gouvernement parlementaire se distingue par la nécessité pour les pouvoirs appartenant à la Couronne d'être exercés par les ministres, qui sont tenus de rendre compte de leur utilisation; il est attendu qu'ils soient membres de l'une des deux Chambres du Parlement, dont ils doivent être en mesure de guider les délibérations, et il est considéré qu'ils occupent leur charge seulement s'ils possèdent la confiance du Parlement, surtout de la Chambre des communes.

Honorables sénateurs, j'essaie de vous faire comprendre l'affront flagrant que représente ce genre de motions. Je ne pense pas qu'un grand nombre de sénateurs comprennent pleinement l'importance et la gravité de cette situation. Ce gouvernement a l'habitude d'utiliser couramment ces motions draconiennes. Il s'agit d'une mauvaise habitude. Si les sénateurs comprenaient vraiment leur immoralité, ils essaieraient peut-être d'y mettre un frein. Pendant des années, il y a eu des situations difficiles au Sénat et nous n'avons jamais eu recours à ce genre de motions qui sont maintenant utilisées beaucoup trop souvent.

Honorables sénateurs, pendant des années, l'usage a exigé que les leaders des deux Chambres soient des membres du Cabinet. L'article 4-13(1) du Règlement du Sénat, qui accorde aux initiatives ministérielles la priorité sur toutes les autres affaires du Sénat, a été créé en 1991 sur la présomption que les leaders du gouvernement au Sénat continueraient d'être des ministres.

Les nombreuses propositions contenues dans la motion no 117, présentée par la sénatrice Martin, mettent fin au débat pour des raisons d'urgence. Cette motion cruciale présuppose que le gouvernement imposera une dictature au Sénat.

Dans le volume I de l'ouvrage publié par Josef Redlich en 1903, The Procedure of the House of Commons, le chapitre 3 porte sur la procédure d'urgence et l'avènement de la clôture, de 1881 à 1888.

À la page 164, M. Redlich écrit ce qui suit au sujet de la fameuse motion de clôture proposée par le grand parlementaire libéral William Gladstone :

Cette motion proclamait un état de siège parlementaire et introduisait une dictature à la Chambre des communes. La nouvelle règle, surnommée la règle d'urgence, se lit comme suit :

[...] Que, si le ministre de la Couronne, après en avoir donné préavis, présente une motion tendant à déclarer qu'il y a urgence, que le projet de loi, la motion ou toute autre question dont la Chambre est saisie doit être adoptée en toute urgence et qu'il est dans l'intérêt public de procéder sans délai [...] le Président met la question aux voix sur-le-champ, sans débat, amendement ou ajournement [...]

La règle d'urgence impose trois exigences : la mesure est proposée par un ministre de la Couronne, la mesure est urgente et son urgence revêt une importance pour l'intérêt public. La motion no 117 de la sénatrice Martin ne respecte aucun de ces trois critères, ce qui est un grave problème.

M. Gladstone a énoncé ces trois principes en raison de l'obstruction extrême et prolongée exercée par les Irlandais. Il s'agit d'une manœuvre célèbre. Il a défendu la liberté d'expression durant les débats. En réponse à l'obstruction prolongée, il a caractérisé la liberté d'expression d'héritage précieux du Parlement.

(1900)

M. Gladstone a fait remarquer que ces droits devraient être exercés seulement lorsque les actions et la condition des assemblées législatives sont limitées. Respectueusement, chers collègues, le Sénat du Canada n'a été témoin d'aucune obstruction législative, encore moins une obstruction prolongée, depuis des lustres.

La fréquence à laquelle le gouvernement invoque des instruments aussi extrêmes que des motions de clôture est alarmante, surtout à l'égard du projet de loi à l'étude, dont le ministre compétent a fait fi et qu'il s'est contenté de confier à un simple député.

Tout cela est très discutable. Personne n'a jamais répondu à la question. Personne ne l'a posée.

Honorables sénateurs, n'oubliez pas que, dans le cas de M. Gladstone, l'initiative proposée faisait l'unanimité car l'obstruction avait été si pénible.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Demandez-vous plus de temps?

La sénatrice Cools : Oui, effectivement; merci.

Tout le monde s'entendait sur le fait que le gouvernement lui-même ne pouvait exercer la dictature, un détail très important. Redlich nous dit ce qui suit, à la page 165 de son ouvrage :

Puis, le gouvernement a opté pour l'une des deux options qui s'offrait à lui : ce devait être le Président, et non la majorité à la Chambre, soit le parti au pouvoir, qui devait exercer la dictature qui s'imposait.

Honorables sénateurs, la Chambre britannique a pris la décision de ne pas confier la dictature au parti majoritaire lui-même. Elle a fixé à 300 le nombre minimum de députés devant être présents pour un tel processus. Redlich ajoute ceci, à la même page :

Durant cette période d'urgence parlementaire, la totalité de l'ordre des travaux était suspendue, et le Président devait donc imposer toutes les règles jugées nécessaires pour veiller à la disposition rapide des affaires.

Comme je l'ai mentionné, du point de vue constitutionnel, les rôles du Président de la Chambre des communes et du Président du Sénat sont très différents. Le Président de la Chambre des communes est le porte-parole des députés, mais le Président du Sénat n'est pas le nôtre.

Honorables sénateurs, ce qui est intéressant dans le cas qui nous occupe, c'est que la motion de la sénatrice Martin interpelle directement le Président et lui ordonne d'exercer la tyrannie qu'elle veut appliquer en imposant la clôture. Chaque élément de la motion no 117 est un ordre au Président. Je parle ici du Président du Sénat qui a rendu une décision à cet égard, décision que les partisans du gouvernement ont infirmée il y a trois jours à peine. C'est très intéressant. À lui seul, ce fait devrait prouver à la majorité d'entre nous qu'il se passe ici quelque chose d'aberrant. Ce fait devrait nous le prouver.

Cela dit, le Président du Sénat peut reprendre espoir. Gilbert Campion, un ancien greffier de la Chambre des communes du Royaume-Uni, s'est prononcé sur le droit du Président de refuser les motions de clôture injustes. Dans l'ouvrage qu'il a rédigé en 1958, qui s'intitule An Introduction to the Procedure of the House of Commons, troisième édition, on peut lire ce qui suit à la page 186 :

La présidence a la latitude voulue pour « refuser la motion de clôture si elle estime que cette motion constitue un usage abusif du règlement de la Chambre ou une atteinte aux droits de la minorité ». Elle n'est pas tenue de justifier son refus.

Cela a été confirmé par un autre éminent Anglais, sir Reginald Palgrave, qui a déjà été lui aussi greffier à la Chambre des communes du Royaume-Uni. Voici ce qu'on peut lire dans son célèbre ouvrage rédigé en 1933, intitulé The Chairman's Handbook :

Le président se doit de refuser de présenter une motion ou un amendement irrecevable [...]

Chers collègues, je fais appel à votre sens du devoir en tant que sénateurs; je vous demande de ne pas perdre de vue le rôle important que nous jouons dans notre collectivité — c'est le cas de la plupart d'entre nous — et que nous sommes censés jouer. J'aimerais que nous soyons tous conscients du fait que le mode de gouvernance des Britanniques a toujours été axé sur les règles du jeu. La common law britannique et notre système parlementaire sont toujours beaucoup plus axés sur les règles du jeu et sur le respect de celles-ci que sur le vainqueur.

Je suis d'avis qu'il serait peut-être bon que certains d'entre nous se penchent sur la question de la motion de clôture qui a été soudainement présentée et voient s'il n'y aurait pas une meilleur façon, moins pénible et moins draconienne, de faire les choses. Il y a dans tout cela quelque chose d'éminemment mauvais et de tout à fait contraire au Règlement. Pour commencer, la motion no 117 présentée par la sénatrice Martin fait fi de toutes les règles du Sénat, de toutes les dispositions de chacune des règles. C'est du jamais vu. C'est inconcevable. Il y a quelque chose de très mal et de tout à fait contraire au Règlement dans cette dure motion de clôture de la sénatrice. J'exhorte mes collègues à voter contre, parce que ce genre de motion est très mauvaise.

Honorables sénateurs, j'ai délibérément évite de parler de la teneur du projet de loi C-377, parce que le débat porte sur la motion no 117 et non sur la teneur du projet de loi. Il faut accorder beaucoup plus d'attention à la procédure et à la façon dont nous la suivons. Nous devons étudier ces questions à fond, parce que cette motion est un affront au Sénat, honorables sénateurs, et même au Président du Sénat.

Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Cordy : Honorables sénateurs, il est proposé dans la motion no 117 que, « nonobstant toute disposition du Règlement ou pratique habituelle, immédiatement après l'adoption de la présente motion, le Président interrompe les délibérations en cours pour mettre aux voix toutes les questions nécessaires pour disposer du projet de loi C-377 ».

Honorables sénateurs, cette motion ne nous permet pas de débattre plus longuement du projet de loi. « Nonobstant toute disposition du Règlement » — autrement dit, oublions le Règlement; faisons semblant qu'il n'existe pas. Ne débattons plus de ce projet de loi, qui coûtera des sommes incalculables aux contribuables et qui sera contesté devant les tribunaux.

La motion veut également que la sonnerie d'appel des sénateurs ne sonne qu'une fois pendant 15 minutes. Encore une fois, on nous dit de faire fi des règles et de faire comme si elles n'existaient pas.

Le paragraphe 3 dit ceci : « aucun vote [...] sur une motion [...] relative à cet ordre ne soit différé ». Encore une fois, on nous dit d'oublier les règles, de ne pas tenir compte de ce qu'elles disent.

Le quatrième paragraphe de cette motion dit ceci : « aucune motion visant à lever la séance ou à donner suite à tout autre point à l'ordre du jour ne soit reçue avant que le Sénat n'ait disposé du projet de loi visé par cet ordre ». En somme, on ne pourra ni ajourner ni différer, il y aura une sonnerie de 15 minutes, et on ne pourra pas débattre du projet de loi une fois que la motion sera adoptée. C'est la motion la plus antidémocratique que j'aie vue au Sénat, et j'ai vu beaucoup de motions que je n'appuyais pas. Comme la sénatrice Lovelace Nicholas l'a dit plus tôt aujourd'hui, la démocratie s'est volatilisée.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-377 est une autre mesure du gouvernement Harper qui est inéquitable, injuste, discriminatoire et essentiellement inconstitutionnelle. Pour faire son travail correctement, le Sénat ne devrait pas laisser le projet de loi C-377 être adopté.

Sept provinces sont fortement opposées à ce projet de loi. Ces sept provinces représentent 81,4 p. 100 de la population canadienne. Je crois que les gouvernements de ces sept provinces qui sont contre le projet de loi représentent beaucoup de gens. Presque tous les constitutionnalistes du pays sont d'avis que ce projet de loi s'immisce dans les affaires des gouvernements provinciaux, puisque la réglementation du travail fait partie de leurs champs de compétence.

Honorables sénateurs, vous pouvez être sûrs que, une fois adopté, ce projet de loi sera contesté devant la Cour suprême du Canada, et que le tribunal l'invalidera, comme il l'a fait pour beaucoup de mesures législatives adoptées par le gouvernement actuel. Cette atteinte au processus législatif n'est rien de nouveau de la part du gouvernement actuel, et le projet de loi C-377 sera la plus récente mesure législative du gouvernement Harper à s'ajouter à la longue liste de ses mesures qui visent à bafouer les droits constitutionnels des Canadiens et qui doivent être invalidées par la cour.

Combien d'argent des contribuables le gouvernement Harper a-t-il gaspillé pour défendre sa mesure législative inconstitutionnelle devant les tribunaux? Cet argent aurait pu servir à aider les anciens combattants. Cet argent aurait pu servir à aider les réfugiés. Le gouvernement a plutôt choisi de dépenser des millions de dollars à lutter devant les tribunaux contre les réfugiés et les anciens combattants, ainsi que contre les Premières Nations. Je vous remercie, sénatrice Dyck. Les Premières Nations sont toujours devant les tribunaux. Le gouvernement a dépensé des millions de dollars à lutter contre les Premières Nations, les premiers habitants de notre pays.

Plutôt que de dépenser de l'argent pour des mesures visant à protéger l'environnement, nous gaspillons du temps et l'argent des contribuables. L'argent durement gagné des contribuables de ce pays est utilisé par le gouvernement dans le cadre de luttes inutiles devant les tribunaux.

(1910)

Nombreux sont ceux qui croient que le projet de loi C-377 vise à paralyser les organisations ouvrières au Canada au moyen d'exigences sans précédent de divulgation et de déclaration de renseignements personnels sur les syndiqués. Comme d'autres l'ont souligné, l'ouverture est une bonne chose, mais, honorables sénateurs, nombre de petites organisations ne seront tout simplement pas en mesure d'effectuer les tâches prévues dans le projet de loi.

Selon l'organisation Doctors Nova Scotia, qui représente les médecins de ma province, la Nouvelle-Écosse, le projet de loi « imposera des exigences de déclaration très onéreuses ».

Alors que les organisations plus importantes s'adapteront aux nouvelles règles, cette mesure législative fera en sorte que les organisations ouvrières seront très pénalisées au moment d'entreprendre des négociations relativement au moyen de subsistance de leurs membres et de protéger celui-ci.

Le projet de loi n'a rien à voir avec la transparence, mais il a tout à voir avec le pouvoir. Comme je l'ai déclaré auparavant au Sénat, aucun autre gouvernement n'a jamais été aussi peu intéressé par la transparence que le gouvernement actuel. Le projet de loi n'est rien de plus qu'une attaque flagrante contre les syndicats et, de plus, il empiète sur des compétences provinciales. Le gouvernement fédéral fait pencher, de façon injuste et inéquitable, la balance en faveur des employeurs au moyen de ce projet de loi inconstitutionnel.

Honorables sénateurs, nous voilà en train de débattre d'un projet de loi d'initiative parlementaire inconstitutionnel, qui est dénoncé presque unanimement et qui n'aurait jamais dû se rendre aussi loin dans les étapes du processus législatif. Toutefois, le projet de loi a l'appui de Stephen Harper, qui semble avoir beaucoup de pouvoir, à en juger par les mesures prises par la majorité conservatrice au Sénat vendredi dernier. Dans un geste sans précédent, M. Harper a décrété que le Règlement du Sénat n'avait aucune importance et que le projet de loi d'initiative parlementaire serait considéré de façon rétroactive comme une affaire du gouvernement. Et voilà! C'était un projet de loi d'initiative parlementaire lundi dernier, puis, ce lundi-ci, c'est un projet de loi d'initiative ministérielle. Est-ce que l'on appelle respecter le Règlement du Sénat?

S'il s'agissait vraiment d'un projet de loi d'initiative ministérielle, il aurait été présenté comme tel à l'autre endroit. Que le leader du gouvernement au Sénat détermine de son propre chef ce qui est un projet de loi d'initiative ministérielle et ce qui ne l'est pas, à l'encontre des Règlements régissant le Parlement, est non seulement arrogant, mais dommageable pour notre institution. Les agissements de la majorité conservatrice au Sénat vendredi dernier, lorsqu'elle a voté contre la décision du Président, faisant ni plus ni moins fi du Règlement du Sénat, nous a fait tomber plus bas, et nous avons connu des bas récemment.

Le projet de loi C-377 n'a peut-être pas été présenté en bonne et due forme comme un projet de loi d'initiative ministérielle selon les Règlements du Parlement, mais le moyen par lequel le gouvernement conservateur se conduit pour imposer sa volonté au Sénat est devenu, malheureusement, une habitude pour lui.

La façon dont s'est comportée la majorité conservatrice vendredi est honteuse. Je vais appuyer ma province, la Nouvelle-Écosse, et les six autres provinces. Je vais écouter les innombrables constitutionnalistes. Je vais écouter les spécialistes de la protection des renseignements personnels. Je vais soutenir les associations médicales et les millions de travailleurs canadiens, et je vais m'opposer à l'adoption du projet de loi C-377.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Cordy, acceptez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Cordy : Oui.

L'honorable Grant Mitchell : Sénatrice Cordy, je vous remercie de cette excellente allocution.

Je ne sais pas si vous avez l'information à portée de main — moi, je ne l'ai pas —, mais j'avais l'impression que le gouvernement avait un programme qui prévoit que, lorsqu'il prend de nouveaux règlements, il doit supprimer un ensemble équivalent de règlements pour éviter d'alourdir la réglementation. Il allège constamment la réglementation, car il déteste les règlements. Or, ce projet de loi nécessitera la prise de beaucoup de règlements.

Savez-vous si le gouvernement supprime des règlements pour contrebalancer l'alourdissement de la réglementation qu'entraînera ce projet de loi? Avez-vous entendu quelque chose à ce sujet, ou fait-il une exception dans ce cas, ce qui violerait la règle?

La sénatrice Cordy : Il serait inhabituel pour le gouvernement actuel d'enfreindre les règles, n'est-ce pas?

Le sénateur Mitchell : Oui.

La sénatrice Cordy : J'ai entendu le gouvernement claironner qu'il éliminerait la paperasse et qu'il supprimerait un règlement chaque fois qu'un nouveau serait adopté.

Cependant, ce projet de loi prévoit une très lourde réglementation. Les centaines, voire les milliers, de courriels que nous avons reçus d'opposants au projet de loi mentionnent les lourdes responsabilités et contraintes que cela imposera aux syndicats. Certains grands syndicats, qui ont des employés rémunérés à temps plein, pourraient réussir à s'en tirer. Toutefois, un certain nombre de syndicats qui se sont adressés à moi dans ma province, la Nouvelle-Écosse, sont très petits et dirigés entièrement par des bénévoles. Si ce projet de loi est adopté, ils devront désormais consacrer tout leur temps à s'assurer que tous ces merveilleux règlements imposés par ce prétendu projet de loi d'initiative parlementaire sont respectés.

L'organisation Doctors Nova Scotia a obtenu un avis juridique selon lequel le projet de loi visera des associations médicales ainsi que des médecins de la Nouvelle-Écosse.

J'ai posé cette question à plusieurs reprises au leader du gouvernement au Sénat durant la période des questions aujourd'hui, mais il ne m'a jamais répondu. Le gouvernement s'attend à ce que les médecins de la Nouvelle-Écosse consacrent beaucoup de temps à suivre ce processus réglementaire et à se plier à toutes les exigences imposées par l'Agence du revenu du Canada, au lieu de s'occuper des habitants de ma province qui ont besoin d'un médecin.

C'était une excellente question. Merci.

Le sénateur Mitchell : Merci à vous pour cette excellente réponse.

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Cordy, vous m'avez posé une question tout à l'heure sur les autres activités non liées aux relations du travail. Je vous ai répondu que j'avais demandé au parrain du projet de loi, M. Hiebert, de définir cette expression. Voici ce qu'il a répondu :

Le projet de loi ne contient aucune définition de l'expression « autres activités non liées aux relations du travail » et cela pourrait être, en quelque sorte, à l'ARC de fournir plus de détails sur ce que cela pourrait signifier. Une interprétation directe pourrait être toutes activités différentes de celles qui touchent aux relations du travail.

J'ai enchaîné ainsi :

Est-ce que cela s'appliquerait à un chef scout qui travaille dans votre église? C'est vous qui avez rédigé ce projet de loi et donc je vous demande : comment expliqueriez-vous à un Canadien quelles sont ces activités non liées aux relations du travail? Est-ce que ça inclut le travail fait pour une église, le fait d'être chef scout?

Il a répondu ce qui suit :

Comme je le disais, honorable sénatrice, pour ce qui est des exemples particuliers que vous donnez, je crois que si une institution répond aux critères de la définition d'une organisation ouvrière, laquelle se pose cette question, elle pourrait la poser aux fonctionnaires de l'ARC.

Est-ce là ce qu'on peut appeler de la diligence raisonnable, sénatrice? Est-ce ainsi que nous devrions adopter des projets de loi, en demandant à l'Agence du revenu du Canada de définir ce qui constitue une activité non liée aux relations du travail?

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup pour cette autre excellente question.

Le croiriez-vous? Vous présentez un projet de loi sans connaître la définition des concepts qui s'y trouvent, mais ce n'est pas grave, parce que Revenu Canada va y voir. Combien de sénateurs aimeraient qu'un représentant de Revenu Canada vienne cogner à leur porte pour leur expliquer exactement ce qu'on veut dire par là?

Lorsque j'ai entendu le sénateur Plett dire que les « activités non liées aux relations de travail » ne figurent pas dans le projet de loi, je me suis procuré un exemplaire du projet de loi pour rafraîchir ma mémoire. En effet, comme je l'ai dit plus tôt, l'alinéa (3)b) proposé dit ce qui suit :

(vii.1) un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage du temps que les personnes visées au sous-alinéa (vii) consacrent à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations du travail [...]

Nous savons que les syndiqués discuteront de leurs activités à l'église, aux entraînements et dans le cadre d'activités qu'ils font avec leurs enfants. S'ils le déclarent — ce qui a du sens, n'est-ce pas? —, ils devront déclarer qu'ils siègent au comité exécutif de l'association parent-enseignant de l'école de leur enfant, qu'ils s'efforcent de rendre l'école plus propice à l'apprentissage. Est-ce que cela sera considéré comme une activité politique? Peut-être. Cela serait certainement considéré comme une activité non liée aux relations du travail. C'est une atteinte à la vie privée. La divulgation d'activités non syndicales va au-delà de la transparence et de la reddition de comptes dont les syndiqués sont habituellement censés faire preuve.

(1920)

Cela ne se limite pas aux heures de travail. Vous rentrez à la maison et le soir vous allez à la réunion de l'association parent-enseignant parce que vous siégez au comité exécutif et que vous voulez faire de l'école un lieu plus propice à l'apprentissage. Vous devez consigner cette information. Si, le samedi matin, vous donnez un coup de main à l'équipe de hockey de votre fille, vous devez en informer Revenu Canada. Vous devez informer Revenu Canada que vous entraînez l'équipe de hockey de votre fille.

Merci de la question.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais, si vous me le permettez, poser une autre question.

Je viens de penser à cela. Les sénateurs de notre côté n'ont pas l'occasion de parler aux ministres, mais je suis sûr que les sénateurs conservateurs en ont souvent l'occasion. Au fond, on pourrait dire qu'ils font du lobbying auprès des ministres, non? À votre avis, devraient-ils déclarer combien de fois ils font du lobbying auprès d'un ministre?

La sénatrice Cordy : Ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre. S'ils édictent toutes ces règles pour obliger les syndiqués à déclarer ce qu'ils font durant leur temps libre, alors oui, je suis entièrement d'accord avec vous. Les ministériels devraient dire à quelle fréquence ils parlent avec les ministres. Lorsque les libéraux étaient au pouvoir, je parlais aux ministres. Les sénateurs de ce côté-ci semblent être d'avis que si vous parlez à un ministre et que c'est ce que vous faites durant votre temps libre, mieux vaut le consigner et en informer Revenu Canada.

Le sénateur Mitchell : Leur groupe parlementaire n'est-il pas une sorte de syndicat?

La sénatrice Cordy : Pourrais-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président : Le Sénat accorde-il cinq minutes de plus à la sénatrice Cordy?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cordy : Vous avez tout à fait raison, sénateur Mitchell. La définition est si vaste que les médecins de Nouvelle-Écosse craignent qu'elle couvre l'association médicale de cette province. Alors oui, avec une définition aussi vaste, les groupes parlementaires pourraient être considérés comme des associations.

Le sénateur Mitchell : Cela voudrait-il dire qu'ils devraient révéler le salaire du chef de cabinet du premier ministre? Actuellement, ils n'ont pas à le faire.

La sénatrice Cordy : Comme je l'ai dit tout à l'heure, le gouvernement actuel est moins ouvert et transparent que tout autre gouvernement que j'ai connu. Pour favoriser l'ouverture et la reddition de comptes des syndicats, je n'aurais pas cru que les conservateurs auraient imposé une loi, mais qu'ils auraient plutôt donné l'exemple en publiant leurs données sur un site web, en divulguant le salaire de leur employés et en révélant le coût de leurs publicités. Il y a toutefois un hic, sénateur Mitchell : nombre des publicités conservatrices sont payées par les fonds publics. Ce sont des publicités conservatrices, mais elles sont payées par les contribuables canadiens.

Le sénateur Carignan : Votez comme nous.

L'honorable Lillian Eva Dyck : Je participe au débat sur la motion no 117. Je dirai d'entrée de jeu que je m'y oppose carrément.

Comme d'autres l'ont déjà dit, quand on lit la première partie de la motion, c'est-à-dire : « Que nonobstant toute disposition du Règlement ou pratique habituelle, immédiatement après l'adoption de la présente motion », puis les points suivants, on sait, dès les mots « nonobstant toute disposition du Règlement », que toutes les règles seront transgressées, tout comme la décision du Président vient d'être renversée. Ce n'est pas le genre de précédent auquel on pourrait s'attendre de la Chambre de second examen objectif. Comme notre collègue l'a dit, il semble que le second examen objectif se soit volatilisé, du moins chez les sénateurs d'en face.

Nous avons bien indiqué clairement, dans cette enceinte, la raison pour laquelle nous nous opposons à ce projet de loi, nous en débattons et nous prolongeons le débat. On nous accuse de faire durer le débat et de vouloir faire siéger le Sénat tout l'été, mais n'est-ce pas notre travail de débattre des projets de loi? Nous avons dit pourquoi nous débattions du projet de loi : parce que ce n'est pas un bon projet de loi.

Parmi les sénateurs d'en face, aucun ne nous a dit pourquoi il voulait que ce projet de loi d'initiative parlementaire soit adopté maintenant. Quelle urgence y a-t-il? Quelle grande calamité se produira si nous n'adoptons pas ce projet de loi? Cette question est toujours sans réponse. Un débat devrait permettre d'obtenir des réponses aux questions de ce genre. Ils y répondront peut-être lorsque j'aurai fini de parler ou après l'intervention d'un autre sénateur. C'est une question à laquelle nous devrions obtenir une réponse.

La deuxième question que j'ai soulevée il y a peu est celle qui consiste à savoir pourquoi aucun sénateur d'en face qui a appuyé la version amendée du projet de loi ne nous a donné les motifs de son changement de cap. Pourquoi veulent-ils désormais que nous adoptions la version originale, non amendée, du projet de loi? Personne ne nous a expliqué pourquoi leur position a changé. Ne pensez-vous pas que le débat devrait entre autres nous permettre de savoir pourquoi les sénateurs de votre camp ont changé d'avis? Ce serait une manifestation d'ouverture et de transparence. Ce serait utile pour faire avancer le débat. C'est pourquoi nous voulons que le débat soit prolongé. Nous voulons savoir ce qui se passe vraiment. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici.

Ce sont les deux questions qui sont toujours sans réponse.

J'écoutais les sénateurs Plett et Dagenais nous parler du projet de loi et nous dire que les membres des syndicats avaient peur de poser des questions à leurs dirigeants syndicaux. Les membres auraient peur de leurs dirigeants syndicaux. Ce serait en quelque sorte la raison d'être de ce projet de loi, mais les sénateurs ne nous ont pas dit combien de membres avaient peur ou à quel syndicat ils appartenaient. Leurs affirmations sont anecdotiques et reposent sur des ouï-dire plutôt que sur des données bien consignées qui démontreraient qu'il existe un besoin urgent d'accroître la transparence. Où sont les documents avec des données montrant que ce projet de loi est vraiment nécessaire? Actuellement, il me semble que nous devons nous fier à des ouï-dire.

En fait, cela m'a fait penser au moment où nous avons examiné la Loi sur la transparence financière des Premières Nations, qui a été adoptée en avril 2014. Les sénateurs d'en face avaient alors invoqué les mêmes arguments que maintenant, soutenant que les membres des bandes craignaient de demander à leur chef et aux membres du conseil quel était leur salaire annuel. Ils avaient peur d'aller leur demander cela. Évidemment, il y aura toujours des gens qui n'oseront pas poser ces questions, mais on ne nous a présenté aucune preuve relativement à l'ampleur du problème. Ainsi, le projet de loi a été adopté. Depuis qu'il a été adopté — soit un peu plus d'un an —, que s'est-il passé? Pas grand-chose. Le salaire exorbitant de quelques chefs a été divulgué, mais la chose était déjà connue. En raison de ces craintes de la part des membres des bandes, de grandes pressions ont été exercées sur nous pour que nous adoptions le projet de loi. Toutefois, depuis qu'il a été adopté, rien ne montre que nous devions à tout prix agir ainsi. À l'époque, on avait prétendu que les gens étaient impuissants et que la seule façon de leur donner le moyen d'agir, c'était de faire en sorte que le gouvernement fédéral adopte une loi destinée à les protéger.

La sénatrice Jaffer : Votre Honneur, de ce côté-ci, nous avons du mal à entendre la sénatrice Dyck. Il y a beaucoup trop de bruit.

La sénatrice Dyck : Merci, sénatrice Jaffer.

Un des intervenants précédents — le sénateur Plett ou le sénateur Dagenais — a déclaré que nous allions protéger les travailleurs qui se demandent ce qu'il advient de l'argent qu'ils gagnent à la sueur de leur front.

Le sénateur Mitchell : Le gouvernement s'en sert peut-être pour faire de la publicité.

La sénatrice Dyck : Oui. Il semble que ce projet de loi vise à triturer les rouages internes des syndicats, à susciter la controverse ou à faire naître un conflit entre les membres et les dirigeants des syndicats. En fait, il se peut même que le projet de loi crée un problème là où il n'en existe pas, car, en ce moment, il n'y a que des ouï-dire. Il n'existe aucune preuve quant à l'ampleur du soi-disant problème voulant que les membres s'interrogent quant à l'utilisation de leurs cotisations.

Je vais lire, aux fins du compte rendu, certaines lettres que j'ai reçues de la Saskatchewan à propos des syndicats et des syndiqués. Voilà qui fait ressortir le fait que les provinces ont bel et bien des dispositions législatives en vigueur, tout comme les conseils de bande doivent se soumettre à des règlements leur demandant d'afficher toute cette information afin que leurs membres puissent en prendre connaissance. Dans le même ordre d'idées, les provinces ont des lois sur les syndicats qui exigent la publication de certains renseignements; c'est ainsi que les membres de syndicats peuvent obtenir l'information voulue. J'aimerais vous citer quelques lettres que m'ont envoyées des syndiqués de la Saskatchewan.

J'ai reçu une lettre de Burstall, en Saskatchewan, une autre de Leader, en Saskatchewan, une de Gull Lake, une de Hallonquist, et deux de Maple Creek, toutes en Saskatchewan. Elles proviennent toutes de membres de syndicats. La première dit ceci :

(1930)

Madame la sénatrice Dyck,

Vous voterez prochainement sur le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

En 2013, après avoir étudié ce projet de loi, le Sénat l'avait rejeté, jugeant qu'il était mal rédigé et que certains éléments devaient être modifiés. Aujourd'hui, le projet de loi C-377 est de retour à la Chambre haute dans sa version originale.

Ce texte législatif m'inquiète profondément à plusieurs égards.

Premièrement, le C-377 enfreint la Constitution canadienne et la Charte des droits et libertés. En effet, comme l'ont souligné plusieurs témoins — d'éminents constitutionnalistes, l'Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec — au Comité des banques et du commerce, ce projet de loi ne relève pas de la compétence du Parlement.

Mon syndicat produit déjà des états financiers sur une base régulière. Et tous les trois ans, les délégués au congrès national étudient, modifient et adoptent un budget détaillé. De plus, le gouvernement fédéral et plusieurs provinces ont déjà adopté des lois qui obligent les syndicats à présenter des rapports financiers à leurs membres automatiquement ou sur demande.

Si le C-377 est adopté, l'Agence du revenu du Canada devra mettre sur pied et administrer un système de vérification coûteux et totalement inutile pour effectuer le traitement de rapports détaillés fournis par plus de 25 000 syndicats et organisations ouvrières. Pourtant, l'Agence, comme les ministères, a subi d'énormes compressions budgétaires et réductions de personnel au cours des dernières années.

Deuxièmement, l'ancienne commissaire à la vie privée du Canada a elle aussi fait part de ses inquiétudes concernant le C-377.

Finalement, le C-377 obligerait les PME à rendre publics des renseignements détaillés relativement aux contrats qu'elles ont passés, en tant que fournisseurs, avec les 25 000 syndicats et organisations ouvrières. Cela accorderait un avantage à leurs concurrents.

Je tiens à ajouter ici que les bandes nous disaient exactement la même chose. Le fait de publier leurs états financiers allait les placer dans une position concurrentielle désavantageuse.

Je reviens à la lettre :

Pourquoi, parmi toutes les organisations sans but lucratif, le C-377 cible-t-il les syndicats? Parce que le gouvernement veut limiter la capacité d'agir des syndicats en les obligeant à consacrer temps, argent et énergie à la préparation de rapports financiers hyperdétaillés.

Je vous demande instamment de tenir compte des témoignages présentés l'an dernier au Comité des banques et du commerce préconisant le rejet du projet de loi.

Les syndicats rendent déjà des comptes à leurs membres puisqu'ils sont liés par leurs Statuts et diverses obligations juridiques. Le C-377 est inutile et doit être rejeté. Toutefois, s'il passe l'étape de la première lecture au Sénat, il doit faire l'objet d'études approfondies en comité pour que vous et vos collègues entendiez à nouveau les nombreux arguments contre l'adoption de ce texte législatif.

En attendant votre réponse, je vous prie d'agréer mes salutations distinguées.

Ce sont des syndiqués qui ont envoyé ces lettres. Vous pouvez constater qu'il existe déjà des lois provinciales qui prévoient ce que les syndiqués semblent craindre de demander.

Je vais lire une lettre que j'ai reçue le 8 janvier. Elle a été envoyée par plusieurs personnes, mais une des premières signatures est celle de Larry Hubich, président de la Fédération du travail de la Saskatchewan. Voici ce qu'on peut y lire :

C'est en tant que présidente du SEIU-West (Service Employees' Union) que je vous écris. Nous sommes un syndicat de la Saskatchewan comptant environ 13 000 membres qui travaillent dans les secteurs des soins de santé, de l'éducation, de la gestion de municipalités, de celle de résidences pour personnes âgées, de l'industrie légère et dans le secteur communautaire. Je vous écris au nom de nos membres afin de vous demander de participer de manière réfléchie et responsable au prochain débat sur le projet de loi C-377 et, donc, de vous y opposer. Les gens de la Saskatchewan comptent sur vous.

Comme de nombreux témoins ayant comparu devant le Comité permanent des banques et du commerce en 2013 quand le Sénat s'est penché pour la première fois sur le projet de loi C-377 et comme bon nombre de ceux qui comparaîtront bientôt devant vous quand vous l'étudierez, nous sommes très inquiets, au SEIU-West, quant à la constitutionnalité de cette mesure, pour des motifs de compétence et des questions relatives à la Charte canadienne des droits et libertés.

Au SEIU-West, nous comprenons bien que tous les dirigeants (qu'ils se trouvent à la tête d'un mouvement syndical, d'un gouvernement provincial, municipal ou fédéral, ou qu'ils soient sénateurs ou autres) doivent être transparents et responsables de leurs actes devant leur électorat. Dans nos efforts de répondre aux besoins de nos membres, sur les plans du partage d'information et de la reddition de comptes, nous visons à respecter notre obligation juridique et morale d'assurer une représentation équitable. À l'heure actuelle, les syndicats sont déjà obligés légalement, à l'ordre provincial, de communiquer à leurs membres des renseignements financiers détaillés. Effectivement, tous les ans, en raison du paragraphe 6-61 de la Saskatchewan Employment Act, le SEIU-West est contraint de présenter à ses membres des états financiers vérifiés. Nos pratiques de longue date reposent sur l'idée qu'être transparent et responsable est la chose à faire d'un point de vue moral et éthique.

À notre humble avis, ce projet de loi ne porte pas sur les impôts sur le revenu, en dépit de son titre. Dans son essence et par son objet même, c'est une mesure relative aux syndicats. Il aura comme principales retombées (non inconnues de ses parrains et de ses partisans) de modifier l'équilibre des relations patronales-syndicales partout au Canada.

Par le passé, le premier ministre Harper a insisté sur le fait que son parti respecte le fédéralisme, que lui-même s'oppose à de nouvelles interventions fédérales dans les champs de compétence provinciale et qu'il aime « qu'on sache qui fait quoi ». Le projet de loi C-377 représente une telle intervention dans un champ de compétence provinciale relative aux relations de travail, sans qu'il y ait eu ni consultation ni consentement des provinces.

Encore une fois, c'est comme pour la Loi sur la transparence financière des Premières Nations — pas de consultation, pas de consentement.

Revenons à la lettre :

Qui plus est, il ajoute bien inutilement complexité et confusion à la gestion financière des syndicats.

Selon nous, le projet de loi C-377 comporte des lacunes d'un point de vue constitutionnel, à dessein : il porte atteinte à notre liberté d'expression, à notre liberté d'association et à la vie privée des individus. En bref, le projet de loi C-377 constitue une mesure discriminatoire à l'égard des syndicats. Pourquoi une telle différence entre le niveau de transparence en matière de salaire exigé, d'un côté, des députés ministériels, des cadres supérieurs de la fonction publique et, de l'autre, des employés de sociétés d'État et des dirigeants syndicaux et des travailleurs?

Pendant les audiences préliminaires du Comité sur les banques relatives au projet de loi, le sénateur Segal a exprimé son opposition audit projet de loi en faisant remarquer que les conservateurs devraient « être convaincus de la nécessité d'avoir moins d'interventions gouvernementales » et s'opposer à un gouvernement « qui met son nez dans certaines affaires privées des particuliers, des sociétés commerciales, des syndicats et autres. » D'après le sénateur Segal, les entreprises ont autant le droit de planifier à l'abri des regards le développement de leurs produits, leur stratégie de commercialisation et leurs relations de travail que les syndicats de s'organiser à huis clos pour protéger les intérêts de leurs membres parce que ce droit repose sur des valeurs canadiennes communes. Le projet de loi C-377 fait fi de ces valeurs.

Puis-je avoir cinq minutes de plus, s'il vous plaît?

Son Honneur le Président : Le Sénat accorde-t-il cinq minutes de plus à la sénatrice Dyck?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Dyck : Je poursuis la lecture de la lettre :

Le projet de loi C-377 fait fi de ces valeurs et contraint les syndicats à divulguer des données internes, ce qui pourrait compromettre leur position concurrentielle vis-à-vis des employeurs et d'autres syndicats.

Le projet de loi C-377 déroge complètement aux traditions parlementaires canadiennes. Depuis les débuts de la Confédération, aucun projet de loi d'initiative parlementaire n'a obligé un groupe particulier à payer de tels coûts de conformité de manière permanente ni n'a occasionné au gouvernement fédéral de tels coûts administratifs de manière permanente. Les défenseurs du projet de loi disent qu'il encourage la transparence et la responsabilisation. Devant les lourdes conséquences de ce projet de loi, ces deux valeurs tant prônées devraient exiger tout au moins de le présenter comme projet de loi d'initiative gouvernementale, et non d'initiative parlementaire.

(1940)

Maintenant, nous en avons fait, pour ainsi dire, un projet de loi d'initiative ministérielle, bien qu'il n'en soit évidemment pas un. C'est un projet de loi d'initiative parlementaire. Je cite de nouveau la lettre :

Comme nous l'avons dit lors des audiences précédentes du Sénat, le projet de loi C-377 représente une solution à un problème encore inconnu. Les employés syndiqués qui ont des questions ou des inquiétudes à propos des dépenses ou des décisions de leur organisation disposent de nombreux moyens dans le cadre des processus démocratiques internes de leur syndicat pour obtenir de ce dernier transparence et reddition de compte. Les lois provinciales complètent ces processus, nous l'avons fait remarquer plus tôt. Les plaintes de syndiqués contre leur syndicat pour des raisons d'accès aux données financières de l'organisation sont rares et traitées efficacement au niveau provincial. Au palier fédéral, il existe déjà un cadre qui permet de répondre aux questions légitimes que le grand public peut se poser sur les activités politiques des syndicats : ce sont les dispositions de la Loi électorale du Canada et les lois provinciales idoines.

M. Hiebert exprimait son point de vue personnel quand il a dit en 2013 aux membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce à propos du projet de loi C-377 que « les négociations, les activités d'organisation et les relations de travail » constituaient les « principales » activités des syndicats. Une telle remarque sous-entend qu'on peut facilement distinguer ces activités des autres activités, qui deviennent alors quelque peu illégitimes, même si elles sont approuvées dans le cadre des processus démocratiques internes des syndicats. Cette manière de voir est en flagrante contradiction avec la décision prise à la majorité par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lavigne (en 1991) selon laquelle « [c']est [...] au syndicat lui-même qu'il appartient de décider, à la majorité des voix, quelles causes ou associations il appuiera dans le but d'influencer favorablement le cadre politique, social et économique dans lequel se dérouleront des négociations collectives et se résoudront des conflits de travail ».

À la vue de la grande diversité d'organisations concernées par le projet de loi C-377 et de la quantité incroyable de renseignements ainsi exigés, peu importe le type, la taille ou la gouvernance de l'organisation, il apparaît que ce projet de loi ne fait pas montre du juste équilibre entre la fin et les moyens nécessaires qui lui permettrait de passer avec succès le test de sa constitutionnalité. Il y a tout lieu de croire que le gouvernement n'a comme seule intention que d'imposer aux syndicats des tâches et des dépenses supplémentaires inutiles, à la suite de quoi ils disposeront de moins de ressources pour exécuter le précieux travail attendu par nos membres.

En mai 2004, la Cour suprême du Canada a entendu l'affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, affaire capitale puisqu'elle pose essentiellement la question de l'ampleur de la protection qu'accorde la Charte aux activités syndicales. La cour n'a pas encore rendu sa décision.

C'était en janvier.

Il serait très risqué — et cela équivaudrait à nier les responsabilités implicites qu'a le Sénat en général et le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles en particulier — de donner suite au projet de loi C-377 sans attendre la décision de la Cour suprême dans ce cas-là. Nous [vous] conseillons vivement, [à titre de sénatrice représentant la Saskatchewan], d'oublier la partisanerie et de prendre au sérieux [vos] responsabilités dans la « Chambre de second examen modéré et réfléchi ».

Veuillez agréer, honorables sénateurs et sénatrices, mes salutations distinguées.

Barbara Cape
Présidente
SEIU-West

Honorables sénateurs, je n'appuie pas cette motion. Je n'appuie pas le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

[Traduction]

Son Honneur le Président : Sénatrice Dyck, accepteriez-vous de répondre à une question du sénateur Dagenais?

La sénatrice Dyck : Oui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez mentionné que le projet de loi C-377 allait occasionner des déboursés supplémentaires aux syndicats. On sait que la plupart des syndicats fournissent — avec raison — leurs états financiers à tous leurs membres.

En quoi le fait d'imprimer une copie supplémentaire pour les gouvernements représente-t-il des coûts supplémentaires, puisque les syndicats en impriment déjà quelque 2 000 copies pour leurs membres?

Son Honneur le Président : Malheureusement, sénateur, les cinq minutes supplémentaires de votre temps de parole sont écoulées.

[Traduction]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Le sénateur Day : Le vote porte sur l'amendement.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Le sénateur Day : Avec dissidence.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Des voix : Avec dissidence.

(La motion d'amendement est rejetée à la majorité.)

Son Honneur le Président : Non, avec dissidence? Enfin, les sénateurs se sont entendus. La motion est rejetée à la majorité.

Sénatrice Hubley, nous débattons de la motion principale.

L'honorable Elizabeth Hubley : Honorables sénateurs, j'aimerais ajouter ma voix à celle de mes collègues qui se sont opposés au projet de loi C-377. J'ai de sérieuses réserves à propos de cette mesure législative, et c'était la même chose il y a deux ans, lorsque nous avons étudié cette mesure législative et y avons apporté des amendements. Je ne suis pas la seule à exprimer des réserves.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a reçu une lettre, datée du 28 avril 2015, provenant de l'Île-du-Prince-Édouard, et j'aimerais vous en faire part. Elle est signée par Faye Martin, qui était alors directrice de la Division du travail et des relations industrielles au ministère de l'Environnement, du Travail et de la Justice, et qui est maintenant directrice des Services aux consommateurs, du travail et des services financiers au ministère de la Justice et de la Sécurité publique.

La lettre dit ceci :

La présente fait suite à votre invitation à soumettre des observations écrites au sujet du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), qui aurait pour effet d'exiger la divulgation publique détaillée des données financières des syndicats.

Dans une correspondance précédente adressée par notre ministère à l'honorable Kellie Leitch, ministre du Travail et ministre de la Condition féminine, nous exprimions des préoccupations et lancions un appel à la prudence en ce qui concerne le projet de loi C-377. Notre province appuie sans réserve les principes de la transparence et de la responsabilité dans la gestion des fonds. Cependant, il est nécessaire de faire preuve d'équilibre et d'équité dans le traitement réservé aux organisations qui seront soumises aux dispositions du projet de loi C-377. En clair, des exigences comme celles prévues par le projet de loi sont susceptibles de donner lieu à une régulation inéquitable des activités des syndicats. Ces conditions risquent malheureusement d'avoir un impact négatif sur le climat relativement stable des relations de travail à l'Île-du-Prince-Édouard.

Je prie donc respectueusement le gouvernement du Canada d'interrompre les efforts à cet égard, en attendant que ceux-ci fassent l'objet de plus amples discussions entre nos homologues, les différents ministères fédéral, provinciaux et territoriaux du Travail.

Je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de mes sentiments distingués.

Faye Martin
Directrice
Division du Travail et des Relations industrielles

L'Île-du-Prince-Édouard joint sa voix à d'autres. Au moins sept provinces ont exprimé leur opposition au projet de loi, et pour cause. Ce projet de loi est mauvais sur divers plans. L'Association du Barreau canadien le qualifie même de « fondamentalement mauvais ».

D'abord, il est absolument inutile et déborde le cadre des travaux du Parlement du Canada. Comme l'a déclaré l'honorable Erna Braun, ministre du Travail et de l'Immigration du gouvernement du Manitoba, lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles :

Nous estimons que le projet de loi est inutile et qu'il empiète sur les compétences provinciales. C'est en effet aux gouvernements provinciaux que revient la responsabilité des relations de travail au Canada. Moins de 10 p. 100 des travailleurs du Canada œuvrent dans des lieux de travail sous réglementation fédérale. Le reste du temps, les gouvernements provinciaux d'un bout du pays à l'autre sont libres d'établir leurs propres priorités législatives en matière de relations de travail et le font.

D'autres provinces souscrivent à cette affirmation, notamment la mienne, comme vous l'avez entendu plus tôt. Bruce Ryder, professeur à la faculté de droit Osgoode Hall, qui a témoigné devant le comité à titre personnel, a, lui aussi, abondé dans le même sens. Je le cite :

Selon moi, il est évident que le caractère véritable de cette loi vise à promouvoir la transparence et la reddition de comptes des organisations ouvrières, une question qui ne relève tout simplement pas des compétences fédérales et est donc ultra vires.

Le projet de loi suscite également de sérieuses préoccupations en matière de confidentialité. Nous savons tous qu'il aura pour effet de rendre public le nom des entreprises qui reçoivent plus de 5 000 $ d'un syndicat. Des particuliers, des petites entreprises et des sociétés se trouveront ainsi nommés publiquement, ce qui inquiète certains spécialistes.

(1950)

L'ancien président de la Section nationale du droit des régimes de retraite et des avantages de l'Association du Barreau canadien, M. Michael Mazzuca, a dit ce qui suit au sujet du droit à la vie privée :

[...] l'Association du Barreau canadien craint que la divulgation des salaires des employés et des contracteurs des organismes gérés de façon indépendante, tel que requis par le projet de loi C-377, va bien au-delà de ce qui existait déjà dans le droit canadien et va à l'encontre des principes de protection de la vie privée enchâssés dans de nombreuses lois sur le sujet et dans la jurisprudence constitutionnelle canadienne.

Mme Laurie Channer a comparu au nom de la Writers Guild of Canada, une petite association nationale représentant environ 2 100 scénaristes professionnels œuvrant dans le milieu anglophone canadien du cinéma, de la télévision, de la radio et des médias numériques. Elle a expliqué ainsi l'incidence qu'aura le projet de loi sur la vie privée de ses membres :

Les paiements que nous faisons à presque tous nos fournisseurs y compris pour assurer les scénaristes et les montants pour leur retraite devront être dévoilés ce qui révélera les salaires de nos membres. Il en ira de même pour les montants versés à notre locataire, fournisseur de service Internet et nettoyeur de bureau pour ne nommer que ceux-là. Toutes leurs factures seront dévoilées à l'examen du public. En outre, qui voudra nous offrir des services si nous sommes obligés de recueillir de l'information indiscrète sur leurs activités politiques ainsi que celles n'ayant rien à voir avec les relations de travail?

Et c'est sans parler des coûts importants que les organisations ouvrières devront assumer, surtout les plus petites d'entre elles. Mme Channer a parlé de cela aussi :

Nous utilisons déjà nos ressources au maximum. Ce projet de loi nous pénalise. S'il est adopté, nous devrons dépenser d'importantes ressources pour embaucher du nouveau personnel afin qu'il puisse recueillir et saisir toutes les données supplémentaires exigées.

Cet argument a été repris par nombre de petites associations locales depuis que le projet de loi a été présenté, il y a maintenant quelques années.

Nous savons aussi qu'il y aura un coût important pour l'Agence du revenu du Canada. Elle en a fourni une estimation au directeur parlementaire du budget en 2012, et le montant s'élevait à presque 11 millions de dollars pour les deux premières années, puis à 2 millions de dollars par la suite. À quoi bon?

M. Paul Cavalluzzo, associé principal chez Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP, n'a pas été tendre au sujet du projet de loi C-377 lorsqu'il a témoigné devant le comité :

Il s'agit d'un projet de loi contraignant et paternaliste qui représente une insulte à l'endroit des travailleurs au pays, parce qu'il laisse entendre que les travailleurs ne sont pas en mesure — pas en mesure — de veiller à ce que leurs propres syndicats soient responsables et transparents. Un syndicat est une association bénévole. Il est composé de ses membres. C'est envers ses membres qu'il a une responsabilité. Selon moi — et la Cour suprême l'a aussi indiqué dans une affaire très semblable — un syndicat est une organisation très démocratique, et le gouvernement n'a pas intérêt à intervenir dans ses affaires internes.

Je suis du même avis. Le gouvernement fédéral n'a pas à obliger les syndicats à publier ce genre d'information. M. Kevin Flynn, ministre du Travail de l'Ontario, a bien résumé la question.

[...] en plus d'être redondant, ce projet de loi représente un fardeau inutile pour les syndicats et ses membres, menace de faire dérailler les négociations collectives et les bonnes relations de travail partout au Canada et soulève de graves préoccupations constitutionnelles et en lien avec la vie privée. En dépit de tout cela, le projet de loi ne présente aucun avantage pour les Canadiens.

Je ne peux pas appuyer ce projet de loi et j'exhorte les autres sénateurs à ne pas l'appuyer non plus.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer? Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Les oui l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Sénateur Munson, y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Munson : Votre Honneur, je crois que vous devriez décider de la marche à suivre à ce moment-ci, car il s'agit d'un article ministériel de l'ordre du jour pour lequel il y a eu fixation de délai. Je ne pense pas devoir reporter quoi que ce soit. Il vous appartient de le faire.

Son Honneur le Président : Vous avez raison, sénateur Munson. Je voulais simplement entendre ce que vous aviez à dire.

Conformément à l'article 7-4(5)c) du Règlement, le vote est reporté à 17 h 30, à la prochaine séance, et la sonnerie retentira à compter de 17 h 15.

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne à 14 heures demain.)

© Sénat du Canada

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