Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 43e Législature
Volume 151, Numéro 25

Le lundi 22 juin 2020
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le lundi 22 juin 2020

La séance est ouverte à 18 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Journée des terroirs

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en ce début d’été pour souligner combien il est important d’acheter et de consommer des aliments locaux. Après des mois d’incertitude, nous voyons les marchés fermiers locaux, les restaurants, les magasins et les boulangeries rouvrir, évidemment dans des conditions sanitaires strictes.

Notre pays nous offre une étonnante variété de produits agricoles, du délicieux bœuf de l’Alberta au vin de la Colombie-Britannique en passant par les nourrissantes pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard. Ici, en Ontario, nous produisons une grande variété de produits agricoles, plus de 200 en fait, dont des céréales comme l’orge, le soja et le canola; des fruits, comme les fraises, les raisins et les pommes; de la viande, comme le bœuf, le porc et le poulet; des produits laitiers et bien d’autres choses encore.

Comme beaucoup d’entre nous, nos producteurs agricoles ont connu quelques mois difficiles. Le secteur agricole a vraiment été durement touché par la fermeture des restaurants et des cantines scolaires en raison des débouchés en moins grand nombre pour ses produits, du trop petit nombre d’usines de transformation et de l’impossibilité de faire venir les travailleurs saisonniers en temps opportun. Mais, c’est maintenant en train de changer et il est temps de montrer à nos producteurs et propriétaires d’entreprises locales que nous les soutenons.

En achetant localement, on peut aider un membre de sa collectivité à maintenir sa petite entreprise à flot, surtout en ces temps difficiles. Ce geste contribue à stimuler l’économie locale, ce qui signifie que davantage de petites entreprises familiales peuvent prospérer et survivre. La pandémie a vraiment mis en lumière la valeur des produits alimentaires locaux et de l’achat local.

Nous pouvons aussi manifester notre soutien en soulignant la Journée des terroirs du Canada le samedi 1er août. Cette journée est une occasion de faire connaître l’éventail de produits alimentaires auquel nous avons accès et de rappeler à tous que c’est une chance d’avoir de tels produits. Espérons qu’au mois d’août, nous pourrons piqueniquer et faire des barbecues avec nos amis et nos proches. Sinon, nous pourrons tout de même préparer et savourer ces produits locaux à la maison.

Sur ce, Votre Honneur et chers collègues, lorsque vous rentrerez chez vous cette fin de semaine, j’espère que, comme moi, vous vous rendrez dans un marché agricole et d’autres commerces locaux pour appuyer les gens de votre localité. J’espère que vous consommerez également des produits locaux le 1er août lors de la Journée des terroirs du Canada. Je vous ferai part de mes activités de la journée sur les médias sociaux. J’espère que vous en ferez autant. Merci beaucoup. Meegwetch.

Le Manitoba

Le cent cinquantième anniversaire

L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour souligner un anniversaire spécial, soit le 150e anniversaire de l’entrée du Manitoba dans la Confédération canadienne.

Oui, je sais que je représente l’Ontario au Sénat, et j’adore cette vaste et belle province. Aujourd’hui, je souhaite toutefois parler pour les gens qui, comme moi, sont nés au Manitoba et y ont grandi et qui, quand ils l’ont quitté pour s’installer ailleurs, ont laissé une partie de leur cœur et de leur âme dans leur ville d’origine. Dans mon cas, il s’agit de Winnipeg.

Le Manitoba a rejoint la Confédération sous la gouverne de Louis Riel, un Métis, qui avait lancé la rébellion de la rivière Rouge et formé un gouvernement provisoire. Riel a négocié les dispositions de l’Acte du Manitoba de 1870 qui faisait du Manitoba la cinquième province du Canada.

Winnipeg, ma ville d’origine, est devenue grandement polyglotte il y a plus d’un siècle, lorsque des vagues d’immigrants européens se sont ajoutées aux colons venus de l’Ontario et aux communautés francophones et autochtones bien établies. Winnipeg était une ville diverse et multiculturelle bien avant que ces idées deviennent à la mode et que le multiculturalisme soit reconnu comme une valeur. Je me souviens du passage des années 1950 aux années 1960, dans ma jeunesse. C’était une époque de changement social, une époque où les minorités ethniques et raciales, les peuples autochtones, les femmes et d’autres personnes rejetaient les stéréotypes et la discrimination du passé et réclamaient égalité, respect et inclusion.

À de nombreux égards, Winnipeg était un excellent endroit où passer son enfance. La ville était assez grande pour y voir tout ce que le monde avait d’excitant à offrir, la vie culturelle y était abondante, nous avions une compagnie de ballet, un orchestre symphonique, des équipes de sports, on pouvait y admirer des œuvres d’art, y voir du théâtre, y entendre de l’excellente musique rock, l’enseignement postsecondaire y était remarquable — bref, il y en avait pour tous les goûts. Malgré tout, c’était assez petit pour qu’une jeune fille comme moi — et comme bien d’autres — puisse goûter à toutes ces expériences enivrantes et aspirer à une vie meilleure.

Je me rappelle tellement de choses de ma jeunesse : Burton Cummings, les Deverons, le Junior’s, Randy Bachman, le Salisbury House, le jardin zoologique, le Kelekis, l’Université du Manitoba, le restaurant Paddlewheel et je pourrais continuer encore longtemps comme ça.

Aujourd’hui, je chéris chacune des fois où je vais à Winnipeg pour rendre visite à ma famille et à mes amis. Mes cousins et ceux de la génération après nous y élèvent à leur tour leur famille. J’y découvre toutes sortes de merveilles qui n’étaient pas là dans mon temps, comme le Musée canadien pour les droits de la personne et La Fourche. Les Jets jouent de l’excellent hockey, alors que les Bombers viennent de remporter la coupe Grey. Winnipeg a son lot de problèmes, mais j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop si je garde cela pour une autre fois.

Pandémie oblige, les festivités du 150e du Manitoba ont été remises à l’année prochaine. Je compte bien y être, si on veut de moi.

Joyeux anniversaire, Manitoba. Le Canada est très chanceux de t’avoir. Meegwetch. Merci.

Le racisme systémique

L’honorable Peter Harder : C’est un honneur pour moi de lire une déclaration de la sénatrice Lovelace Nicholas à l’intention du Sénat et des gens qui n’en font pas partie. Elle ne peut pas le faire personnellement en raison des restrictions liées à la COVID.

Je suis choquée et profondément troublée de constater que, une fois de plus, des Autochtones meurent aux mains de la police lors d’affrontements avec mon peuple au pays. Je présente mes condoléances aux familles de Chantel Moore, une jeune femme autochtone qui a été tuée par la police au moment où celle-ci devait vérifier si elle se portait bien, et de Rodney Levi, un autre Autochtone tué par la police le week-end dernier.

La tenue d’une autre marche en mémoire de Chantel Moore nous a rappelé de manière douloureuse toutes les autres personnes qui ont souffert aux mains de la police, laquelle est chargée de faire respecter la paix et la justice dans nos communautés.

Le racisme systémique a commencé à être exercé par les personnes au pouvoir bien avant que le Canada ne devienne un pays. Le plan du gouvernement visant à extraire l’Indien de l’enfant a mené à la création du système des pensionnats, puis à l’adoption de la Loi sur les Indiens, à laquelle les Autochtones sont toujours assujettis aujourd’hui.

La dirigeante de la GRC est perplexe quant à l’existence du racisme systémique, mais nous, les Autochtones de ce pays, sommes persuadés que ce phénomène est bel et bien présent. Nous en faisons l’expérience depuis le début de nos rapports avec le système qui régit le Canada et sa police.

Il est temps maintenant que les membres des communautés autochtones du Nouveau-Brunswick et du reste du Canada prennent sans crainte la parole pour faire état des mesures injustes prises par la police à leur endroit. Il est temps maintenant, comme jamais auparavant, de faire la lumière sur un passé douloureux ponctué par les injustices et les mesures punitives d’un système qui manque de respect envers les Autochtones et qui ignore tout de leur culture et de leur patrimoine culturel — un appel à cheminer vers la vérité, la justice et l’égalité dans ce pays, le Canada.

Il n’y aura jamais de réconciliation avec le gouvernement tant que le racisme systémique n’aura pas été éradiqué. Il est temps d’agir.

(1810)

Les secteurs de la bienfaisance et sans but lucratif

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rappeler que le mois de juin est le Mois de sensibilisation à la surdicécité et pour saluer le courage des personnes qui ne baissent jamais les bras devant les énormes défis qu’elles doivent surmonter au quotidien. Les organismes de bienfaisance et sans but lucratif, les défenseurs de la communauté des personnes sourdes et aveugles et les groupes qui soutiennent d’autres clientèles jouent un rôle essentiel. C’est encore plus vrai en ces temps difficiles.

En 2015, le Sénat du Canada a adopté à l’unanimité une motion visant à désigner le mois de juin comme Mois de sensibilisation à la surdicécité. De nouveau, je remercie notre collègue l’honorable Jim Munson, et nos anciennes collègues les honorables Joan Fraser et Asha Seth, qui ont contribué à faire adopter la motion.

Je tiens à féliciter particulièrement notre ancien collègue l’honorable Vim Kochhar, un visionnaire et le plus grand défenseur de la communauté des Canadiens sourds et aveugles.

Dans ma province, la Colombie-Britannique, l’organisme de bienfaisance S.U.C.C.E.S.S. se consacre, lui aussi, à aider les gens dans le besoin. Fondé en 1973, il est devenu l’un des plus grands organismes de services sociaux au Canada. Il offre une vaste gamme de programmes et de services qui favorisent le sentiment d’appartenance, le bien-être et l’autonomie de tous.

Depuis plus de 34 ans, l’événement annuel phare de la fondation S.U.C.C.E.S.S., la marche du dragon, a la réputation d’être la plus importante combinaison de festival et de marche panoramique de la Colombie-Britannique, en plus d’être sa plus importante activité de financement pour la communauté. Cette année, la fondation S.U.C.C.E.S.S. est déterminée à maintenir la tradition. Malgré la crise de la COVID-19, les organisateurs n’ont ménagé aucun effort pour créer une marche en ligne qui comprendra une carte interactive et des points de contrôle visant à rallier virtuellement la communauté pour une journée enlevante visant à amasser des fonds fort nécessaires à la prestation de leurs programmes.

Enfin, j’aimerais parler de David Wang, un jeune leader britanno-colombien qui a fondé la Social Diversity for Children Foundation, ou fondation SDC, alors qu’il étudiait à l’école secondaire Richmond. Il souhaitait créer un organisme qui contribuerait à éliminer les préjugés dont sont victimes les enfants handicapés. La fondation SDC vise justement à donner aux enfants ayant des besoins spéciaux les moyens de réaliser leur plein potentiel grâce à des programmes tels que la thérapie musicale et la peinture. En ce moment, la fondation SDC compte des milliers de jeunes bénévoles partout dans la vallée du bas Fraser qui croient au pouvoir de la jeunesse, de l’amour et de la compassion.

En réaction aux besoins en matière d’équipement de protection individuelle en ce temps de pandémie de COVID-19, la fondation SDC a recueilli des fonds pour acheter des dizaines de milliers de masques essentiels et les faire parvenir à des maisons d’hébergement et des centres pour personnes âgées partout en Colombie-Britannique. Ces efforts s’inscrivaient dans le cadre du 10e anniversaire de l’organisme.

Honorables sénateurs, nos organismes de bienfaisance et à but non lucratif ont été durement touchés par la COVID-19. Nous devrions remercier ces généreux leaders, employés et bénévoles pour les efforts incalculables qu’ils ont déployés afin d’améliorer la vie de tant de gens.

La Journée mondiale des réfugiés

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, c’est pour moi un honneur de faire cette déclaration au nom de la sénatrice Mobina Jaffer, qui ne peut être parmi nous aujourd’hui.

Honorables sénateurs, il y a 20 ans, les Nations unies ont proclamé le 20 juin Journée mondiale des réfugiés. Ainsi, chaque année à cette date, nous rendons hommage aux réfugiés, en reconnaissant leurs souffrances et également leur contribution. Un jour par an, les médias sociaux publient d’innombrables messages de soutien et des témoignages attestant de l’aide que nous avons apportée.

Le reste de l’année, par contre, c’est une autre paire de manches : nous continuons à invoquer l’Entente sur les tiers pays sûrs que nous avons conclue avec les États-Unis pour refuser aux demandeurs d’asile d’entrer au Canada.

Rappelons-nous pourquoi les gens demandent l’asile, pourquoi une famille quitterait son foyer et chercherait refuge à un endroit qui n’est pas particulièrement accueillant. Ce n’est pas pour avoir une vie meilleure. C’est pour avoir la vie sauve. Les réfugiés accourent chez nous pour trouver la sécurité.

Peut-on imaginer ce que signifie vivre dans la peur, dans une situation de persécution constante? Peut-on imaginer ce que signifie devoir se cacher avec ses tout jeunes enfants sous un toit fragile, pendant que des avions de chasse survolent la maison et bombardent la rue? L’un ou l’autre d’entre nous peut-il s’imaginer ce que signifie pour une personne le fait d’être traquée par des bandes criminelles qui veulent prendre ses filles pour les vendre ou tuer son père parce qu’il a quitté la bande?

La plupart des Canadiens ont le privilège de ne jamais avoir eu à vivre dans la peur. Nombre d’entre nous ont peine à imaginer la réalité des demandeurs d’asile.

À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, soulignons que le Canada continue, au titre de l’entente sur les tiers pays sûrs, de renvoyer aux États-Unis des gens qui sont vulnérables, démunis et persécutés. Il est troublant que l’on considère encore les États-Unis comme un pays sûr. Nous sommes tous au courant que des réfugiés sont détenus dans des conditions inhumaines, que 1 500 enfants manquent à l’appel et que des dizaines de personnes sont mortes. Maintenant, nous devrions tous être au courant de la façon dont les policiers traitent les personnes de couleur aux États-Unis.

D’après les traités internationaux que nous avons conclus et les discours que nous faisons, le Canada s’engage à offrir un refuge sûr et à faire preuve de compassion. Or, appliquer une entente qui a pour effet de renvoyer une mère et ses enfants dans une cellule de détention aux États-Unis, ce n’est pas faire preuve de compassion, c’est contraire à l’éthique, et cela va à l’encontre des valeurs canadiennes.

Étant donné cette situation qui pèse sur notre conscience collective, je vous demande ce qu’il faudrait pour abroger cette entente?

Merci.


AFFAIRES COURANTES

La justice

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi C-18—Dépôt de document

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi C-18, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021.

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi C-19—Dépôt de document

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi C-19, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021.

Les travaux du Sénat

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, conformément à l’article 14-1(3) du Règlement, je demande le consentement de déposer, dans les deux langues officielles, un article publié dans le magazine Policy intitulé « Collective Rage Requires Collective Action » par l’honorable sénatrice Bernard.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Le consentement n’est pas accordé.

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Présentation du troisième rapport du comité

L’honorable Dennis Glen Patterson, vice-président du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, présente le rapport suivant :

Le lundi 22 juin 2020

Le Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs a l’honneur de présenter son

TROISIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a reçu l’autorisation du Sénat le mardi 10 décembre 2019 d’examiner, afin d’en faire rapport, les faits nouveaux et les mesures prises concernant le cinquième rapport du comité de la première session de la quarante-deuxième législature, présente son rapport final.

Respectueusement soumis,

Le vice-président,
DENNIS PATTERSON

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Patterson, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

Le Budget des dépenses de 2020-2021

Le Budget supplémentaire des dépenses (A)—Dépôt du troisième rapport du Comité des finances nationales

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, au nom du sénateur Mockler, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le troisième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales intitulé Budget supplémentaire des dépenses (A), 2020-2021. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.

(Sur la motion du sénateur Harder, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin de recevoir des ministres pour étudier le Budget principal des dépenses et le Budget supplémentaire des dépenses (A) de 2020-2021 le 23 juin 2020 et le rôle du gouvernement dans la lutte au racisme le 25 juin 2020

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, toute pratique habituelle ou tout ordre antérieur :

1.le mardi 23 juin 2020, les travaux dont est saisi le Sénat à 15 heures, la sonnerie d’appel y comprise, s’il y a lieu, soient interrompus pour que le Sénat se forme en comité plénier afin d’étudier les dépenses prévues dans le Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars 2021 et dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2021, au cours duquel le comité reçoive l’honorable Bill Morneau, c.p., député, ministre des Finances, et l’honorable Jean-Yves Duclos, c.p., député, président du Conseil du Trésor, chacun accompagné d’un fonctionnaire;

2.le jeudi 25 juin 2020, le Sénat se forme en comité plénier au début de l’ordre du jour afin d’étudier le rôle du gouvernement du Canada dans le combat contre le racisme envers les Noirs et les Autochtones, et pour mettre fin au racisme systémique, au cours duquel le comité reçoive un ministre ou des ministres de la Couronne, chacun accompagné d’un fonctionnaire

3.chaque comité lève sa séance au plus tard 155 minutes après le début de ses travaux;

4.au cours de chaque comité :

a)les remarques introductives des témoins durent un total maximal de cinq minutes;

b)si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-32(3)d) du Règlement, les réponses des témoins y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur;

c)les dispositions de l’article 3-3(1) du Règlement soient suspendues;

d)la sonnerie pour tout vote reporté qui entrerait en conflit avec le comité soit différée jusqu’à la fin des travaux du comité;

5.le jour où l’un des comités siégera :

a)si un vote par appel nominal avait lieu au moment où le comité doit commencer ses travaux, ce vote soit différé jusqu’à la fin des travaux du comité;

b)une fois que le comité aura terminé ses travaux, les travaux du Sénat reprennent au point où ils étaient au moment de l’interruption pour le comité, la durée du débat et des autres délibérations n’étant pas affectée par l’interruption;

c)jusqu’à la fin des travaux du comité, l’application de toute disposition du Règlement ou tout ordre antérieur concernant la levée de la séance soit suspendue et aucune motion tendant à lever la séance ne soit reçue;

6.la motion no 39 du gouvernement soit supprimée de l’ordre du jour.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(1820)

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

L’ajournement

Préavis de motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au jeudi 25 juin 2020, à 13 h 30.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires étrangères

Les services consulaires

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat et concerne MM. Michael Kovrig et Michael Spavor.

Monsieur le leader, ma question concerne la décision des autorités chinoises d’inculper d’espionnage nos compatriotes Michael Kovrig et Michael Spavor après les avoir détenus illégalement plus de 18 mois. Le Canada n’a pas eu d’accès consulaire à M. Kovrig ou M. Spavor depuis la mi-janvier, pas même par vidéoconférence, monsieur le leader. Le ministre Champagne a déjà qualifié la Chine d’exemple de stabilité, de prévisibilité, de système fondé sur les règles et de société très inclusive.

À part exprimer son inquiétude et sa déception, qu’a réellement fait le ministre pour essayer d’avoir accès à Michael Kovrig et Michael Spavor ces derniers jours? Le gouvernement sait-il au moins s’ils ont eu accès à des avocats depuis que les accusations ont été portées? Et après 560 jours de détention, le premier ministre va-t-il maintenant intervenir directement pour obtenir leur libération?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) :

Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Le gouvernement demeure profondément préoccupé par la situation qui perdure en ce qui concerne, en premier lieu, la détention arbitraire et illégale et, en second lieu, les accusations arbitraires. Obtenir réparation et justice est au haut de la liste des priorités du gouvernement.

Pour en revenir à votre question, le gouvernement ne cesse de demander leur libération. Il a discuté du dossier aux plus hauts échelons, y compris lors d’échanges directs avec le président de la Chine. À l’instar de tous les Canadiens, nous sommes inquiets du fait que, comme l’a mentionné monsieur le sénateur, aucun accès à des services consulaires n’ait été offert depuis plusieurs mois, soit depuis la mi-janvier.

Nous continuons d’exercer des pressions sur le gouvernement chinois afin qu’un accès adéquat à ces services et à des avocats soit accordé. Je n’ai pas de réponse plus précise à votre question. Cependant, je peux affirmer devant le Sénat que le gouvernement accorde la plus haute priorité à ce dossier dans le cadre de sa relation avec la Chine.

Le sénateur Plett : Monsieur le leader, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré ce matin la chose suivante :

La Chine exhorte le leader canadien concerné à respecter sérieusement l’esprit de l’état de droit, à respecter la souveraineté judiciaire de la Chine et à cesser de faire des remarques irresponsables.

Le Canada n’a aucune leçon à recevoir de la Chine en matière d’état de droit et de souveraineté judiciaire. Pourtant, à part les quelques platitudes habituelles qu’il a prononcées au cours des 18 derniers mois, le premier ministre ne s’est jamais impliqué directement dans cette affaire. Et, aussi grave ce dossier précis soit-il, il ne s’agit pas seulement de lui : la Chine a décidé de s’en prendre à nos exportations de canola, et voilà maintenant qu’elle vise nos exportations de bois franc et de bois d’œuvre. Le premier ministre reste malgré tout sans réagir.

Monsieur le leader, si le premier ministre n’est toujours pas déterminé à intervenir auprès des plus hautes instances, alors même que des accusations ont été portées contre les deux Michael, que faudrait-il pour qu’il s’implique personnellement?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Honorables sénateurs, je pense qu’il est important de faire la distinction entre ce qui peut et ce qui ne peut pas être dit publiquement, que ce soit par le premier ministre ou par d’autres ministres, et ce qui peut être fait différemment au moyen d’autres mécanismes. Je ne me lasse pas de rappeler au Sénat combien cette situation est terriblement compliquée et tendue.

Le premier ministre et les ministres continuent de participer aux efforts visant à rendre justice aux deux Michael détenus arbitrairement par la Chine et à les faire libérer.

L’obtention d’un siège au Conseil de sécurité des Nations unies

L’honorable Leo Housakos : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, on commence déjà à constater les conséquences politiques de la tentative tenace, mais vouée à l’échec, du gouvernement d’obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, c’est-à-dire le projet d’héritage échoué de Justin Trudeau. La réputation du Canada comme défenseur des droits de la personne, de la démocratie et de la primauté du droit est ternie sur la scène internationale. Si le gouvernement ne fait pas ce qui s’impose en bannissant Huawei, il portera aussi préjudice à nos relations avec nos alliés du Groupe des cinq, relations qui sont d’une grande importance pour la sécurité du Canada.

(1830)

Ma question porte sur le montant précis en dollars; elle nécessite une réponse simple. Quelle somme durement gagnée par les Canadiens le gouvernement a-t-il dépensée depuis 2016 pour essayer d’obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies? Combien?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Nous avons effectivement dépensé un certain montant. Je n’ai pas les chiffres en main, mais je me souviens qu’il en a été question dans la presse. Le montant a été rendu public. Je vais certainement me renseigner pour vous.

Le sénateur Housakos : Monsieur le leader, malheureusement, le montant n’a pas été rendu public. La Chambre des communes le réclame depuis un certain temps, et maintenant c’est moi qui vous le demande. J’aimerais obtenir un montant précis, en dollars. Au bout du compte, le gouvernement a dépensé beaucoup d’argent depuis 2016 pour le lobbying consacré à l’obtention de ce siège. Il a organisé beaucoup d’événements chics pour persuader d’autres pays d’appuyer notre candidature. Au bout du compte, nous savons tous que c’était une entreprise partisane visant à épater la galerie et à éclipser l’ancien premier ministre Harper; à mon avis, les contribuables canadiens ont le droit de connaître le montant précis. Combien le gouvernement a-t-il dépensé depuis 2016 dans cette tentative ratée d’obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies?

Le sénateur Gold : Merci. En effet, les Canadiens ont le droit de savoir de quelle manière le gouvernement dépense l’argent, et le gouvernement actuel a fait preuve de beaucoup de transparence, de bien des manières. Je n’accepte pas l’idée que nous avons essayé d’épater la galerie. Il est vrai que la tentative d’obtenir un siège a échoué, et je pense qu’indépendamment de nos convictions politiques ou de notre neutralité politique, nous devrions tous trouver déplorable que le Canada n’ait pas de siège au Conseil de sécurité, où il pourrait apporter une contribution importante. Cependant, je le répète encore une fois : je serais heureux de me renseigner et de vous communiquer cette information.

L'immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les États-Unis—L’Entente sur les tiers pays sûrs

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, j’ai une question à poser, au nom de la sénatrice Jaffer, à propos de l’entente sur les tiers pays sûrs conclue avec les États-Unis.

Selon l’entente de 2004, le Canada et les États-Unis se reconnaissent mutuellement comme des pays sûrs pour les demandeurs d’asile. Or, étant donné tout ce que nous avons appris au sujet des cellules ou des espèces de cages qui sont utilisées pour détenir les demandeurs d’asile dans des conditions inhumaines aux États-Unis, au sujet des milliers d’enfants qui ont été séparés de leurs parents et qui, dans certains cas, manquent à l’appel, ainsi qu’au sujet du traitement problématique que le personnel responsable de l’application des lois réserve aux Afro-Américains et aux autres personnes de couleur aux États-Unis, il est évident que les États-Unis ne sont plus un pays sûr.

La question est la suivante. Quand le gouvernement cessera-t-il de renvoyer des personnes vulnérables ainsi que leurs enfants dans un pays où ils continuent de subir la persécution qu’ils voulaient fuir? Leur vie et la vie de leurs enfants sont en jeu. Le gouvernement envisagera-t-il d’abroger ou de modifier cette entente?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Elle est importante. Le gouvernement travaille étroitement avec ses homologues des États-Unis afin que les personnes susceptibles d’être renvoyées du Canada soient traitées convenablement aux États-Unis. Personne ne peut se réjouir de ce que nous avons appris sur le traitement réservé aux migrants et à d’autres personnes dans les centres de détention en question. Le Canada juge cette situation inacceptable. Des efforts ont été déployés — avec un certain succès, je crois — afin que les personnes qui ne sont pas admissibles au Canada ne connaissent pas le même sort.

Les travailleurs étrangers temporaires

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, j’ai une question complémentaire pour le représentant du gouvernement. Encore une fois, je pose la question au nom de la sénatrice Jaffer. Étant donné que de nombreux réfugiés et demandeurs d’asile fournissent actuellement des services essentiels au Canada à titre de préposés dans des foyers pour aînés, ce qui les expose à de graves risques pour la santé pendant la pandémie de COVID, et que l’offre de main-d’œuvre ne suffit pas à la demande dans ce secteur important, le gouvernement accueillera-t-il favorablement leurs demandes? Envisagera-t-il aussi de créer des filières d’accès à la résidence permanente ou à la citoyenneté, en toute dignité, pour les travailleurs étrangers temporaires qui fournissent des services essentiels dans le secteur agricole?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. En général, il ne fait aucun doute que les Canadiens tirent des avantages énormes grâce aux travailleurs qui sont ici, surtout en ces temps de crise hors de l’ordinaire. Le gouvernement est sincèrement à l’écoute des intervenants et des représentants et il cherche de façon sérieuse et responsable des moyens d’aider les gens qui fournissent des services aussi essentiels au Canada.

Les finances

L’appui aux entreprises appartenant à des Noirs

L’honorable Margaret Dawn Anderson : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat, au nom de ma collègue la sénatrice Bernard.

Pour le Mois de l’histoire des Noirs, le gouvernement du Canada a choisi le thème « Sankofa : Guidés par le passé, marchons vers l’avenir ». En février dernier, Andria Barrett, présidente de la Chambre de commerce noire du Canada, a écrit un article sur ce thème, qui a été publié sur le site Toronto.com, et sur la façon dont il peut inspirer les gens désireux de soutenir les entreprises appartenant à des Noirs. Elle souligne les difficultés particulières que rencontrent les entrepreneurs noirs, notamment l’accès inéquitable aux capitaux. Il y a quatre mois, le gouvernement du Canada a insisté sur ce thème, « Guidés par le passé, marchons vers l’avenir », et la Chambre de commerce noire du Canada a expressément demandé de pouvoir contribuer à faire avancer les choses.

Le 3 juin 2020, la Chambre de commerce noire du Canada a demandé 165 millions de dollars au gouvernement fédéral pour soutenir les entreprises canadiennes appartenant à des Noirs, mais elle n’a pas obtenu de réponse. Ces fonds pourraient permettre à pas moins de 6 000 entreprises appartenant à des Noirs de se maintenir à flot au cours de la pandémie et au-delà. Le Caucus des parlementaires noirs a publié une déclaration qui contient une liste d’appels à l’action destinée au gouvernement du Canada, notamment une recommandation qui vise à aider les Canadiens noirs en favorisant la prospérité de tous par des mesures de soutien des entreprises appartenant à des Noirs ou dirigées par des Noirs. Lors du débat de jeudi dernier, de nombreux sénateurs ont appuyé les appels à l’action du Caucus des parlementaires noirs.

Le 1er juin 2020, le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à prendre des mesures efficaces pour améliorer la situation. Il a promis aux jeunes Canadiens noirs que « le gouvernement sera toujours à vos côtés ». Le 30 janvier 2018, le premier ministre Justin Trudeau avait annoncé que le gouvernement du Canada reconnaîtrait officiellement la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Or, cette reconnaissance implique un engagement à l’égard de chaque pilier. Le troisième pilier, le développement, précise que le pays doit « adopter et renforcer des programmes nationaux visant à éradiquer la pauvreté et à réduire l’exclusion sociale » ainsi que s’efforcer d’éliminer les obstacles à l’emploi. Quelles mesures concrètes le gouvernement fédéral prend-il actuellement pour soutenir les entreprises appartenant à des gens d’affaires noirs, et comment compte-t-il les intégrer au plan de relance économique post-COVID du Canada?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Comme nous le savons, le gouvernement et le premier ministre ont reconnu qu’il existe, dans de nombreuses institutions, une discrimination systémique à l’endroit des personnes noires et autochtones. On m’a signalé que, depuis mai 2019, le gouvernement a affecté 6,7 millions de dollars à Statistique Canada pour créer et exploiter le Centre des statistiques sur le genre, la diversité et l’inclusion, afin de mieux soutenir la collecte de données non regroupées, notamment à propos des Canadiens noirs.

En avril 2020, pendant la pandémie, le gouvernement a établi le Réseau de résilience des entreprises canadiennes, qui collabore avec Statistique Canada à la réalisation de sondages. La deuxième mouture de l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises comprend une question plus détaillée à propos du profil démographique. On souhaite ainsi cerner les effets qu’a la COVID-19 sur les entreprises appartenant à des membres de diverses communautés au Canada, dont les communautés LGBTQ2 et les personnes noires.

La semaine dernière, à l’autre endroit, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a adopté à l’unanimité — ce qui comprend donc les libéraux qui siègent au comité — une motion exigeant que Services publics et Approvisionnement Canada communique, d’ici le 31 août prochain, des données non regroupées sur les entreprises dont le propriétaire fait partie d’un groupe sous-représenté, c’est-à-dire les Noirs, les Autochtones, les femmes et les personnes handicapées. Ces groupes ont eu des échanges avec le gouvernement au sujet des interventions fédérales en réponse à la COVID-19.

Pour ce qui est du soutien offert après la pandémie de COVID-19, le gouvernement encourage toutes les entreprises, y compris celles appartenant à des Noirs, à présenter des demandes pour les programmes de soutien adaptés à leur contexte. Comme nous avions eu cette question à l’avance, nous avons posé des questions précises au gouvernement, mais nous n’avons pas encore reçu de réponse. Je ferai connaître la réponse au Sénat quand je l’aurai.

[Français]

Les affaires étrangères et le commerce international

L’Accord Canada—États-Unis—Mexique

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au leader du gouvernement. Monsieur le sénateur Gold, dans un livre écrit par M. John Bolton, qui vient d’être publié aux États-Unis , on apprend que le président des États-Unis, M. Trump, considère le premier ministre du Canada comme un hypocrite. Monsieur le leader, les États-Unis sont le principal partenaire du Canada sur le plan économique. Est-ce que le premier ministre entend faire quelque chose pour regagner la confiance du président américain? Il faut protéger nos échanges économiques qui sont grandement touchés par l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, car cette entente coûte une fortune en compensations versées à nos agriculteurs.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Le premier ministre et son gouvernement ont travaillé dur, et leurs efforts ont été couronnés de succès quand le Canada a conclu un accord avec les États-Unis et le Mexique, un accord qui sera bénéfique aux Canadiens, aux Canadiennes et au secteur agricole. Dans notre province, le Québec, nous avons réussi, contre toute attente et malgré ce que disaient les talking heads, à sauvegarder notre système de gestion de l’offre, ce qui représente une réalisation non négligeable dans les circonstances.

(1840)

Le premier ministre a une relation efficace avec le président Trump; c’est une relation entre deux gouvernements qui partagent beaucoup de valeurs communes et qui partagent également une frontière extrêmement importante pour l’économie des deux pays. Le gouvernement du Canada va continuer de travailler fort et de mettre la main à la pâte pour faire en sorte que les intérêts des Canadiens et des Canadiennes sont bien servis dans notre relation avec les États-Unis.

Le sénateur Dagenais : Merci. Je comprends quand vous dites qu’il y a une relation efficace, mais comment cela pourrait-il être le cas — et c’est la première fois qu’on entend cela — lorsque le président des États-Unis traite le premier ministre du Canada d’« hypocrite »? Est-ce que c’est cela, de l’efficacité?

Le sénateur Gold : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Il est difficile d’isoler les ouï-dire dans un livre qui contiendrait tous les gazouillis et autres propos du président des États-Unis. Ce qui est important, ce n’est pas ce que le président décide d’envoyer à 3 heures ou 4 heures du matin, mais plutôt les actions et la collaboration concrètes entre nos deux pays. Par exemple, nous avons réussi à nous entendre avec les États-Unis sur un sujet important, soit nos frontières, ce qui a permis de sauvegarder nos intérêts économiques tout en protégeant la santé des Canadiens.

[Traduction]

La sécurité publique et la protection civile

Le racisme systémique

L’honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, j’ai une question à poser au leader du gouvernement au Sénat au nom de la sénatrice Lillian Dyck.

La question commence par un court préambule : on se souvient très bien du visage tuméfié du chef Allan Adam. Il est difficile d’effacer de nos mémoires ce qu’il a subi aux mains de la GRC. La sénatrice Dyck indique que la triste réalité, c’est que les hommes autochtones, à l’instar des femmes autochtones, risquent davantage de subir de la violence.

Sénateur Gold, le ministre Blair a fait une déclaration selon laquelle, trop souvent, les Autochtones, les Canadiens de race noire et les autres personnes racialisées sont victimes de racisme systémique et connaissent des dénouements malheureux au sein du système de justice pénale. Il a aussi publié le gazouillis suivant : « Nous sommes très préoccupés par l’incident qui a eu lieu à Fort McMurray. Les Canadiens méritent des réponses [...] »

Sénateur Gold, les Autochtones ne devraient pas avoir à attendre des mois, voire des années, pour que l’on règle les problèmes de racisme systémique de longue date au sein de la GRC. Il faut agir maintenant. C’est la responsabilité du gouvernement de demander des comptes à la commissaire Brenda Lucki. C’est aussi votre responsabilité de corriger ce qui ne va pas dans le fonctionnement de la GRC.

Quelles mesures concrètes recommanderez-vous que l’on mette en œuvre sur-le-champ pour prévenir l’accroissement de la violence envers les Autochtones et l’augmentation du nombre de cas de meurtre d’Autochtones par la police?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question.

Ce qui continue de se produire au pays est déplorable et tragique. Il ne serait pas crédible de ma part — ni de la part de n’importe quel représentant du gouvernement ou même de la part d’un citoyen — de prétendre que les problèmes de racisme systémique qui nous affligent depuis toujours peuvent être réglés par une simple solution, en un jour ou en une semaine.

Premièrement, le gouvernement reconnaît le problème et il n’hésite pas à l’appeler par son nom. Deuxièmement, le gouvernement s’engage à faire son possible pour accélérer l’évolution des institutions qui relèvent de sa compétence. Troisièmement, le Sénat aura l’occasion, étant donné la motion qu’il a adoptée récemment, d’interroger des ministres, y compris le ministre Blair, sur ce que le gouvernement compte faire pour régler cette situation tragique, déplorable et inadmissible au Canada.

Le sénateur Munson : Je vous remercie de votre réponse. Je sais que nous allons recevoir le ministre Blair jeudi.

Sénateur, j’ai une autre question de la part de la sénatrice Dyck : que compte faire le ministre Blair, dès maintenant, pour obliger la commissaire Brenda Lucki à rendre des comptes? Quelles mesures va-t-il prendre? Quelles directives en matière d’administration ou de gestion entend-il lui donner pour l’obliger à rendre des comptes?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question, sénateur.

En ce qui a trait à la commissaire, je crois que nous aurons l’occasion d’interroger directement le ministre dans quelques jours. Il est le mieux placé pour indiquer quelles sont ses intentions.

Le Sénat

Les obligations de dessaisissement

L’honorable Denise Batters : Sénateur Gold, en tant que leader du gouvernement Trudeau au Sénat, l’une de vos fonctions les plus importantes consiste à piloter les mesures législatives du gouvernement au Sénat aux fins d’un second examen objectif. À ce titre, vous négociez les échéanciers législatifs avec les autres leaders du Sénat.

La semaine dernière, vous m’avez dit ne pas vous être abstenu de participer à ces négociations, malgré le fait que vous n’aviez pas terminé le processus en matière de divulgation de renseignements financiers et de dessaisissement auprès du commissaire à l’éthique.

Au cours des cinq mois qui se sont écoulés depuis que vous occupez le poste de leader du gouvernement au Sénat, le gouvernement Trudeau a effectué des dépenses effrénées. Rien que le 13 mars, le projet de loi sur le nouvel ALENA a été adopté par le Sénat après seulement 24 minutes de débat. Un projet de loi de crédits de 3,8 milliards de dollars a franchi toutes les étapes du processus législatif en 90 secondes. Le projet de loi C-11, un projet de loi de crédits de 44 milliards de dollars, a été adopté en 46 secondes. Cela représente presque un milliard de dollars par seconde, sénateur Gold. Pendant ce temps, le projet de loi C-12, le projet de loi sur le mandat spécial, a également été adopté ce jour-là et a franchi sans difficulté toutes les étapes du processus législatif au Sénat en 50 secondes. Le Cabinet Trudeau s’est donné un chèque en blanc et l’a ensuite rempli de façon à autoriser l’emprunt de 350 milliards de dollars.

Mon Dieu, sénateur Gold. Il ne s’agit pas vraiment d’un second examen objectif, n’est-ce pas?

Étant donné que vous travailliez toujours avec le commissaire à l’éthique sur la gestion de vos conflits d’intérêts potentiels, pourquoi ne vous êtes-vous pas abstenu de participer aux négociations visant à faire adopter ces mesures législatives de plusieurs milliards de dollars à une vitesse sans précédent?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Il n’était pas nécessaire que je me récuse. Je n’étais pas en conflit d’intérêts. Je me conforme aux recommandations du commissaire à l’éthique, et nous communiquons régulièrement avec lui.

La sénatrice Batters : Sénateur Gold, à titre de leader du gouvernement Trudeau au Sénat, vous avez été assermenté au Conseil privé. D’après le site Web du premier ministre, vous serez invité à assister aux réunions du Comité du Cabinet chargé des opérations, l’un des plus importants comités du Cabinet. Pourtant, vous m’avez dit la semaine dernière que, durant les cinq mois qui se sont écoulés depuis votre nomination comme leader du gouvernement au Sénat, vous ne vous êtes récusé d’aucune délibération du Cabinet, malgré que vous n’aviez pas terminé le processus de divulgation de renseignements financiers et de dessaisissement auprès du commissaire à l’éthique.

Sénateur Gold, soit vous avez assisté aux réunions du Cabinet où on a décidé de présenter des mesures législatives mettant en œuvre des programmes de plusieurs millions de dollars, même si vous étiez peut-être en conflits d’intérêts, soit le gouvernement Trudeau ne vous a invité à aucune réunion du Cabinet au cours des cinq derniers mois, neutralisant ainsi le rôle du leader du gouvernement au Sénat. C’est l’une ou l’autre de ces réponses. Laquelle est-ce?

Le sénateur Gold : Ni l’une ni l’autre. Je ne suis pas en conflit d’intérêts, et il n’était donc pas nécessaire que je me récuse.

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : J’ai une question à poser au leader du gouvernement au Sénat à propos de la situation très grave dans laquelle se trouvent Michael Spavor et Michael Kovrig en prison.

Ces hommes sont détenus en Chine depuis décembre 2018; aujourd’hui, c’est leur 561e jour de détention. Je ne peux qu’imaginer ce que leurs familles doivent endurer.

J’ai cru comprendre que le père de M. Kovrig est très malade. Ils ont passé près de deux ans loin de leur famille. Pendant la première année, ils se sont vus refuser le droit d’avoir un avocat, ont subi des interrogatoires trois fois par jour et ont été abandonnés dans des cellules où la lumière était allumée en permanence. Ces Canadiens ont énormément souffert dans des conditions innommables. Je ne peux pas m’empêcher de penser à la détention d’un pasteur canadien en Corée du Nord lorsque nous formions le gouvernement, sous le leadership du premier ministre Harper. Ses conditions de détention étaient tout aussi incroyables et ignobles.

(1850)

Au cours de sa conférence de presse sur les marches de Rideau Cottage, aujourd’hui, le premier ministre a dit déplorer la décision de la Chine, qu’il juge totalement inacceptable. Nous sommes tout à fait d’accord. Vous avez donné certaines garanties, mais au-delà des paroles du premier ministre, monsieur le leader, quelles mesures concrètes le gouvernement va-t-il prendre pour aider les deux Canadiens détenus en Chine?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie encore une fois de la question. Il faut continuer de la poser régulièrement, car nous avons tous à cœur le sort des Canadiens qui sont détenus pour des motifs arbitraires.

Le gouvernement prend des mesures et des initiatives concrètes. Or, dans des affaires comme celles-là — où les relations diplomatiques sont complexes —, un de vos collègues a fait valoir à juste titre qu’il ne s’agit pas des seuls dossiers sur lesquels le Canada est en profond désaccord avec la Chine. Rappelons que l’intégration de notre économie est de plus en plus grande et que certains secteurs éprouvent de graves difficultés. Il s’agit d’une situation complexe et, par conséquent, une grande partie du travail doit se faire derrière des portes closes. À ma connaissance, le gouvernement ne ménage aucun effort.

Toutefois, nous ne devrions pas minimiser les difficultés que nous occasionnent nos relations avec la Chine, vu les vastes problèmes auxquels se heurtent aussi nos alliés face à ce pays et la situation dans laquelle nous nous retrouvons étant donné le lien d’interdépendance de la chaîne d’approvisionnement mondiale avec la Chine.

Les droits de la personne en Iran

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Parlons d’un autre exemple de régime autoritaire. On rapporte que le régime iranien aurait amorcé une nouvelle vague d’exécutions en avril, notamment de personnes qui, au moment de leur arrestation, avaient moins de 18 ans. Ce mois-ci, on rapporte également de nombreux cas de flagellation de militants de la paix et de prisonniers politiques.

Sénateur Gold, le gouvernement n’a-t-il rien à dire au sujet de cette récente montée des violations des droits de la personne par le régime iranien? Lorsque le premier ministre a rencontré le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, en février, qu’il l’a embrassé et lui a serré la main, a-t-il soulevé le bilan du régime iranien en matière de droits de la personne ou la brutalité avec laquelle il traite les manifestants?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie la sénatrice de sa question. Notre relation avec l’Iran présente, elle aussi, de multiples difficultés. Nous poursuivons notamment les efforts en vue d’obtenir justice pour les victimes canadiennes de la tragédie du vol PS752. Cela mobilisait et mobilise encore une partie considérable de notre attention.

En ce qui a trait à votre question, le gouvernement fait pression depuis longtemps auprès de l’Iran afin qu’il honore ses obligations en matière de droits de la personne. Nous avons rédigé le projet de résolution adopté par l’ONU en novembre 2019, lequel demande à l’Iran de se conformer à ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Le gouvernement s’oppose vivement au soutien d’organisations terroristes par l’Iran, à ses menaces à l’endroit d’Israël, à ses efforts pour déstabiliser la région, à son appui d’un programme de missiles balistiques et, bien sûr, à son soutien à l’égard du régime meurtrier d’Assad en Syrie.

On me dit que le gouvernement continuera de faire valoir les droits fondamentaux de la personne et de tenir l’Iran responsable de ses actes.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la période des questions est terminée.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi de crédits no 2 pour 2020-2021

Deuxième lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-18, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-18, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021.

[Français]

Le projet de loi C-18 est le deuxième projet de loi de crédits provisoires du gouvernement pour l’exercice 2020-2021. Chers collègues, vous vous souviendrez que, au pic de la pandémie de COVID-19, le premier projet de loi de crédits provisoires, le projet de loi C-11, a reçu la sanction royale le 13 mars. Ce projet de loi débloquait des fonds pour une somme de 43,9 milliards de dollars, ce qui a couvert les dépenses du gouvernement au cours des trois premiers mois de l’échéancier, soit d’avril à juin.

[Traduction]

Le 20 avril dernier, l’autre endroit a adopté à l’unanimité une motion visant à modifier temporairement l’article 81 du Règlement qui concerne les travaux des subsides. Le Règlement de la Chambre des communes est l’autorité procédurale qui régit les pratiques de l’autre endroit, soit l’équivalent du Règlement du Sénat. L’adoption de la motion a pour effet de prolonger l’étude du Budget principal des dépenses jusqu’en décembre 2020, soit sept mois plus tard que les années antérieures.

Le gouvernement a donc présenté un deuxième projet de loi de crédits provisoires qui doit recevoir l’approbation du Parlement pour couvrir les dépenses supplémentaires de juin à décembre.

[Français]

Honorables sénateurs, il est important de signaler que le projet de loi C-18 ne sert pas à présenter de nouvelles propositions de dépenses pour que le Parlement en fasse l’étude. En fait, ces crédits supplémentaires intérimaires représentent une partie du plan de dépenses que le gouvernement a présenté dans le Budget principal des dépenses.

[Traduction]

L’étude du budget des dépenses se poursuivra jusqu’en décembre, mais, dans l’intervalle, les ministères doivent obtenir davantage de pouvoirs de dépenser afin de poursuivre leurs activités et continuer la prestation des services et programmes importants, ainsi que le versement des salaires. Le montant prévu au projet de loi C-18 sera déduit du montant final des crédits qui sera présenté en décembre.

Le report de la présentation du Budget principal des dépenses à décembre est une mesure sans précédent rendue nécessaire par les circonstances extraordinaires entourant la réponse à la pandémie de COVID-19. Habituellement, dans le cadre du processus normal concernant les crédits, les organismes reçoivent l’ensemble des crédits inscrits au Budget principal des dépenses en juin, et il n’est pas nécessaire de présenter de budget provisoire des dépenses. En temps normal, un projet de loi sur les crédits complet d’environ 81 milliards de dollars aurait déjà été présenté pour approbation.

Le projet de loi C-18 prévoit 55 milliards de dollars issus du financement opérationnel inscrit au Budget principal des dépenses pour les organismes fédéraux, et la partie résiduelle sera octroyée lors de la période des crédits de décembre.

Honorables sénateurs, les Canadiens et leur famille ont été durement touchés par la pandémie, à la fois directement et indirectement.

[Français]

En même temps, il exerce de véritables pressions sur de nombreuses organisations fédérales pour qu’elles fournissent non seulement les programmes et les services essentiels sur lesquels comptent les Canadiens, mais aussi, dans bien des cas, pour qu’elles mettent en œuvre des mesures de santé publique, de même que des mesures sociales et économiques, pour répondre à l’impact de la pandémie de COVID-19.

Au cours des derniers mois, le Parlement a adopté plusieurs projets de loi accordant au gouvernement d’importants pouvoirs de dépenser, destinés à résoudre les nombreux problèmes que cette pandémie a engendrés dans la vie quotidienne des gens.

[Traduction]

La prestation des services ne peut être maintenue uniquement au moyen des crédits pour trois mois octroyés au début de l’exercice. Le Parlement doit donc accorder un financement suffisant aux organismes fédéraux pour qu’ils continuent de remplir leur important mandat d’ici la prochaine fenêtre concernant les crédits à l’automne.

Les 55 milliards de dollars prévus dans le projet de loi C-18 représentent le financement essentiel dont ont besoin 122 organismes pour les six prochains mois jusqu’à ce que la totalité des crédits puissent être étudiés et adoptés.

[Français]

Je tiens à assurer à tous les honorables sénateurs que le gouvernement ne prend pas à la légère l’ampleur de ces besoins en matière de dépenses. Le budget des dépenses est un aspect essentiel de la façon dont le gouvernement utilise les fonds publics de manière responsable et transparente. Les parlementaires ont le droit de connaître et d’examiner de près comment tous les fonds publics sont dépensés, et ils doivent être tenus responsables de ces dépenses.

(1900)

[Traduction]

C’est pour cette raison que le gouvernement souhaite faire approuver de manière transparente le projet de loi de crédits provisoires supplémentaire afin que le Parlement prenne le temps d’étudier le Budget principal des dépenses et de le soumettre à un vote.

À défaut de ce financement, de nombreuses organisations fédérales ne pourraient continuer à fournir les programmes et les services sur lesquels comptent bien des gens. Voici quelques exemples concrets : des programmes essentiels fournissant une alimentation sûre et nutritive à des segments de la population à risque, mais qui pourraient manquer de fonds advenant une augmentation substantielle de la demande; d’importants programmes de soutien à l’éducation préscolaire et à la garde d’enfants qui seraient supprimés et des programmes de soins à domicile et de services en santé mentale qui ne recevraient pas le financement nécessaire.

Dans le cadre de la fonction de reddition de comptes dont j’ai fait mention précédemment dans mes observations, le gouvernement a publié une liste détaillée des autorisations de dépenses approuvées par le Parlement aux termes d’autres lois ainsi qu’une ventilation complète des dépenses prévues par poste standard, comme le personnel, les services professionnels et les paiements de transfert.

À la fin du présent exercice, le gouvernement rendra compte de ses dépenses réelles dans les comptes publics. Qui plus est, en mars, le Comité sénatorial permanent des finances nationales a reçu un ordre de renvoi pour étudier le Budget principal des dépenses 2020-2021, et il joue maintenant un important rôle de surveillance pendant la pandémie de COVID-19 puisqu’il examine la réponse économique du gouvernement et les pouvoirs de dépenser prévus dans les projets de loi C-13, Loi concernant certaines mesures en réponse à la COVID-19, et C-14, Loi no 2 concernant certaines mesures en réponse à la COVID-19.

La situation actuelle est exceptionnelle, car le Canada — à l’instar du monde entier — réagit à la pandémie mondiale de COVID-19. Le gouvernement a pris des mesures ciblées pour soutenir les Canadiens, les entreprises et les communautés de toutes les régions en cette période difficile et pour les aider à traverser la pandémie.

[Français]

Les nouveaux plans de dépenses présentés dans le projet de loi C-18 continueront d’apporter un soutien aux Canadiens et d’assurer la stabilité et la prévisibilité des opérations financières du gouvernement pendant une période d’incertitude économique.

En plus des mesures spéciales mises en place pour relever ces défis, le projet de loi C-18 permettra d’assurer que les Canadiens recevront les services et les programmes auxquels ils s’attendent de la part du gouvernement fédéral.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à adopter le projet de loi C-18 et je vous remercie de votre attention.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Elizabeth Marshall : Merci beaucoup, sénateur Gold, de votre allocution sur le projet de loi C-18. J’avoue que je ne suis pas d’accord avec vous sur certains points en ce qui a trait à la transparence et, en tant que membre du Comité des finances, je dois également dire que je suis très préoccupée par la façon dont les projets de loi de finances ont été traités dans les derniers mois.

Le projet de loi C-11, le premier projet de loi de crédits provisoires, que vous avez mentionné dans votre allocution préliminaire, et dont la sénatrice Batters a parlé pendant la période des questions, a été adopté à toute allure au Sénat en mars. Il s’agissait d’un montant de 44 milliards de dollars et il n’y a pas eu de débat. Les membres du Comité des finances nationales prennent le temps d’examiner minutieusement toutes les dépenses prévues par le gouvernement. Ce projet de loi a été adopté sans le moindre examen. Il s’agit de 44 milliards de dollars. Ils font partie des 300 milliards prévus dans le budget principal des dépenses et je sais que, d’ici la fin de l’exercice, ce montant dépassera 300 milliards de beaucoup.

Nous voici devant le deuxième projet de loi de crédits provisoires, qui, lui non plus, n’a pas été étudié. Le débat de ce projet de loi se limite au débat que nous tenons ici. Le montant en question : 55 milliards de dollars.

Le gouvernement obtient vraiment cet argent très facilement. Il a l’argent et il le dépense. Nous n’avons pas eu l’occasion de poser ce que j’appellerais de bonnes questions à son sujet. Je suis très préoccupée par la façon dont les projets de loi de finances sont traités.

L’autre point que j’aimerais faire valoir, c’est que je passe beaucoup de temps à l’extérieur du Sénat à lire et à parcourir les sites Web du ministère des Finances, du gouvernement et d’autres sites de ce genre afin d’essayer de comprendre ce qui se passe. On en est arrivé à un point où le gouvernement fait tellement de dépenses qu’il est impossible de s’y retrouver, tant sur le plan financier que fiscal. Sans du papier et un crayon pour prendre des notes, on s’y perd littéralement.

Il s’agit du deuxième projet de loi de crédits provisoires, mais j’ai l’impression qu’il y en aura un troisième car nous ne recevrons pas le rapport sur le Budget principal des dépenses avant la fin de l’année. Il y aura donc probablement un troisième projet de loi de crédits provisoires. C’est très préoccupant.

En effet, l’année sera presque achevée d’ici à ce qu’on termine l’examen du Budget principal des dépenses et qu’on en fasse rapport. Comme l’argent sera déjà dépensé, à quoi bon tout cela?

Une des principales tâches des parlementaires consiste à surveiller les plans de dépenses du gouvernement. À quoi bon nous faire examiner le plan des dépenses une fois que l’argent a déjà été dépensé? Cela me semble une perte de temps.

Il s’agit d’une petite pièce du casse-tête financier. Comme je l’ai dit, il faut du papier et un crayon et beaucoup de recherches pour s’y retrouver dans les finances du gouvernement.

Comme nous n’avons pas eu de mise à jour financière, nous ne savons pas où nous en sommes. Nous ne savons pas quel est le déficit. Je sais que le directeur parlementaire du budget fait de son mieux. Il nous donne des chiffres, mais nous ne pouvons pas en évaluer les conséquences sur les recettes, comme dans le cas de la pandémie. Quelles sont les conséquences sur les dépenses? Certains fonctionnaires du ministère sont venus témoigner, mais je constate souvent que ceux-ci ne nous fournissent pas les renseignements nécessaires. Parfois, je pense qu’ils ont l’information, mais qu’ils ne la communiquent tout simplement pas. Je le sais pertinemment. Il y a eu des cas où je sais qu’ils avaient les chiffres, mais qu’ils ne voulaient tout simplement pas nous les fournir.

Nous ne savons pas quel est le déficit. Le directeur parlementaire du budget fait de son mieux. Je pense qu’il fait des choses et qu’il nous dit des choses dont le ministre des Finances devrait parler.

Nous ne connaissons donc pas le montant du déficit ni celui des recettes ou des dépenses. Nous ne connaissons pas le montant des emprunts. Quels sont les emprunts de l’État à l’heure actuelle? Toutes ces dépenses, comme celles qui sont prévues dans ce projet de loi, c’est de l’argent emprunté. Alors combien le gouvernement emprunte-t-il? Il faut être détective pour le découvrir. Il faut essayer de déterminer ce que les sociétés d’État empruntent. Qu’est-ce que le gouvernement emprunte?

Le gouvernement présente toutes les deux semaines un rapport financier lié à la pandémie de COVID-19. Ce rapport indique quels sommes ont été empruntées, mais rien ne permet de vérifier si cela inclut les emprunts des sociétés d’État. Chaque rapport présente un total qui inclut à la fois les nouveaux emprunts et le refinancement d’emprunts, mais il est impossible de différencier les deux. Impossible donc de déterminer la valeur des emprunts supplémentaires. Je ne peux pas trouver ce chiffre. Peut-être qu’il est là, quelque part, mais je n’arrive pas à le trouver. J’ai des discussions avec des représentants de la Bibliothèque du Parlement, ainsi qu’avec le directeur parlementaire du budget, mais je ne peux pas déterminer ce qu’il en est.

Comme je le disais, le directeur parlementaire du budget a répondu à plusieurs questions, alors qu’à mon avis, ce serait plutôt au ministre des Finances d’y répondre. Il est tout simplement impossible de savoir à combien s’élèvent les dépenses du gouvernement, combien il emprunte et ce qu’il fait.

Enfin, je trouve ridicule de devoir faire appel à certaines sources d’information, alors qu’il devrait être possible d’obtenir ces renseignements directement auprès du ministère des Finances. Nous sommes obligés de consulter les rapports du directeur parlementaire du budget. Nous devons parcourir le site Web de la Banque du Canada. Toutes ces sources fournissent davantage de renseignements que le ministère des Finances.

Pour la Société canadienne d’hypothèques et de logement, il faut fouiller dans leurs rapports annuels. Il faut consulter le site Web de l’Institut C.D. Howe et de l’Institut Macdonald-Laurier ainsi que les rapports du Fonds monétaire international. J’ai embauché deux employés à temps partiel pour faire des recherches — l’un est spécialisé dans les TI et l’autre, dans les politiques —, afin de comprendre où en sont les finances du gouvernement. C’est tout un défi. Il est décevant de voir à quel point le gouvernement ne divulgue pas l’information.

Ce soir, nous allons débattre d’un autre projet de loi, le projet de loi C-19, c’est-à-dire le Budget supplémentaire des dépenses (A). Nous avons examiné ces dépenses durant quatre heures. Je me prononcerai sur ce sujet quand nous y serons.

La ministre Qualtrough a témoigné ce matin. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui poser la question parce que cela me tracassait depuis un bon moment déjà. Le gouvernement veut relancer l’économie. Il y a toutes ces petites entreprises et le secteur privé. La subvention salariale existe. Des efforts sont déployés pour que les gens n’aient plus besoin de la Prestation canadienne d’urgence. Aidons les gens à retourner dans leur milieu de travail. Le gouvernement semble toutefois souhaiter que tous les travailleurs retournent dans leur lieu de travail, à l’exception des parlementaires.

(1910)

Une voix : Bravo!

La sénatrice Marshall : Je trouve cela incroyable. Les gens veulent que leurs parlementaires reprennent le travail. Ce ne sont là que quelques observations; j’ai préparé un discours pour demain.

Je ne suis pas d’accord avec ce que vous avez dit au sujet de la transparence. Je trouve cela très difficile. J’aimerais que le gouvernement nous en dise davantage. Voilà mes observations préliminaires. Merci.

L’honorable Scott Tannas : Madame la sénatrice Marshall, acceptez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Marshall : Bien sûr.

Le sénateur Tannas : Tout d’abord, je vous remercie de vos observations. Nous sommes tous reconnaissants de tout le temps que les membres dévoués du Comité des finances et surtout vous, sénatrice Marshall, avez consacré à ce dossier. Vous êtes une ancienne vérificatrice générale, et nous savons que vous avez investi énormément de temps à étudier cette question et que le Sénat et tous les Canadiens peuvent compter sur votre expertise.

Une voix : Bravo!

Le sénateur Tannas : J’ai deux questions. Premièrement, dans le cadre des recherches que vous avez effectuées pendant la pandémie, certains pays se démarquent-ils en réussissant à livrer les détails sur leurs finances au fur et à mesure, ou tous les pays se retrouvent-ils dans la même situation?

Deuxièmement, vos chercheurs ont-ils découvert quoi que ce soit d’alarmant en ce qui concerne les achats d’obligations canadiennes? D’où provient l’argent que nous empruntons?

La sénatrice Marshall : Je vous remercie. Je ne sais pas s’il y a des pays qui dévoilent leurs chiffres, mais ce que je sais, c’est qu’il y a d’autres Parlements qui se réunissent. Les parlementaires se couvrent le visage, mais ils se réunissent. On peut les voir à la télé, que ce soit sur les ondes de la BBC ou ailleurs. Au moins, ils ont la possibilité de poser des questions.

Pour le moment, même si nous avons des questions, nous n’avons personne à qui les poser. Quelqu’un à mon bureau a envoyé un courriel au ministère des Finances au sujet de certains emprunts, mais tout le monde est pris par la pandémie, alors nous n’avons pas eu de réponse.

Qui achète les obligations du Canada? C’est une très bonne question. Si on regarde sur le site Web de la Banque du Canada, on peut voir tous les emprunts, et on peut surtout voir sur les graphiques que les chiffres ont grimpé en flèche. Je préfère ne pas dire qui, selon moi, achète nos obligations, parce qu’il s’agit d’une perspective à donner des frissons.

Pendant que nous sommes sur le sujet des obligations, je tiens à rappeler que nous ne faisons pas assez attention aux sociétés d’État. La SCHL est une grosse machine, et elle emprunte elle aussi. Elle emprunte énormément d’argent et elle assure les prêts hypothécaires. Depuis quelques années, j’en talonne d’ailleurs les dirigeants pour en savoir plus sur les risques qu’ils prennent, car il y a un réel danger pour le gouvernement. La SCHL passe aussi par la Banque du Canada pour avoir de l’argent, et elle emprunte, alors il faudrait y voir.

Pour tout vous dire, je n’ai pas toutes les pièces du puzzle, car c’en est bien un. Si vous les avez toutes, alors il faut les remettre à leur place. Tout ce que je sais, c’est que les signes ne sont pas encourageants.

M. Evan Siddall, de la SCHL, n’a pas encore témoigné devant notre comité, mais il l’a fait devant le Comité des finances de la Chambre des communes. Son témoignage soulève de vives inquiétudes : cet organisme emprunte de l’argent et assure des prêts hypothécaires. M. Siddall fait valoir que les gens reportent leurs paiements à cause de la pandémie et du taux élevé de chômage. Une partie de mon discours porte sur ce sujet. Les gens reportent le paiement de leur prêt hypothécaire, mais, à un moment donné, ils devront recommencer à le payer. Les Canadiens sont très endettés. S’ils ne parviennent pas à payer leur hypothèque... La SCHL assure et détient beaucoup de prêts hypothécaires. M. Siddall a affirmé que la SCHL, qui est une société d’État, pourrait devoir absorber des pertes allant jusqu’à 9 milliards de dollars. Ces 9 milliards de dollars s’ajouteront au déficit du gouvernement.

Je ne peux pas répondre avec précision à votre question. L’information disponible est suffisante pour me rendre nerveuse, même si je n’ai pas tout compris.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’ai une question à poser à la sénatrice Marshall. J’ai, moi aussi, participé à la réunion du comité ce matin. En raison de difficultés techniques, nous avons eu peu de temps avec la ministre Qualtrough.

En tant qu’ancienne vérificatrice générale, vous accumulez les bribes d’information pour tenter d’y voir clair. Je vois mal comment peuvent s’en sortir ceux d’entre nous qui ne sont pas des experts. Y a-t-il de l’information manquante? Allez-vous parler de cette question dans votre discours à l’étape de la troisième lecture ou pouvez-vous aborder certains aspects maintenant?

La sénatrice Marshall : Les emprunts me préoccupent. Je voudrais une mise à jour financière; je voudrais en savoir plus sur les emprunts et les sociétés d’État. Je dois en parler parce que je suis vérificatrice; j’ai passé la moitié de ma carrière dans le domaine de la vérification. J’ai également été sous-ministre pour quelques grands ministères. Ce que j’ai constaté lorsque j’étais au gouvernement provincial — et je ne devrais probablement pas le dire publiquement, mais je vais le dire quand même — c’est que parfois, lorsque les gouvernements empruntent, on ne veut pas que cela se retrouve dans le bilan; on peut alors simplement l’inscrire dans le bilan d’une société d’État.

Exportation et développement Canada, Financement agricole Canada et d’autres sociétés d’État qui participent largement aux programmes liés à la COVID-19 empruntent. Comment cette situation s’inscrit-elle dans le portrait global, et comment va-t-elle se répercuter sur le déficit?

J’aimerais que quelqu’un de la Banque du Canada vienne nous expliquer ce qui se passe. Le gouverneur de la banque est venu témoigner, mais il nous faudrait des explications plus simples. Que fait-on à la Banque du Canada? Le gouverneur a essayé d’être rassurant en nous disant que tout allait bien. Cependant, en regardant le bilan de la Banque d’une semaine à l’autre — et nous le suivons de semaine en semaine — nous voyons que les chiffres continuent d’augmenter de cette manière. En fait, ils augmentent de cette manière.

L’honorable Lucie Moncion : Sénatrice Marshall, j’ai bien aimé ce que vous avez dit au sujet de la dette des différentes sociétés d’État et du gouvernement, ainsi que de la façon dont elle est financée. Ma question ne porte pas nécessairement sur ce projet de loi, mais plutôt sur le mandat du Comité des finances.

J’aimerais entendre vos commentaires. Est-il temps de changer le mandat du Comité des finances nationales pour qu’il puisse examiner le cycle d’endettement au pays et présenter les renseignements pertinents au Sénat afin que l’on puisse obtenir un portrait complet de la façon dont fonctionnent les finances du Canada?

La sénatrice Marshall : Il faudrait que je réexamine le mandat du Comité des finances. Je pense qu’il serait possible de faire cela dans le cadre de son mandat actuel. Ce serait un exercice intéressant.

Cependant, je pense que bon nombre de ces projets sont instructifs pour les membres. Les gens n’arrêtent pas de dire « grâce à votre expertise », mais tout ce que je fais, c’est examiner les chiffres, lire des articles et le document budgétaire, et ainsi de suite. En fait, tout le monde peut le faire. Vous avez raison, l’exercice serait intéressant et il nous permettrait de mieux nous informer.

(1920)

L’honorable Paul J. Massicotte : Lorsque vous étiez à la recherche d’information, avez-vous consulté le rapport de Fasken Martineau? L’entreprise publie un rapport tous les trois mois. David Dodge, un ancien gouverneur de la Banque du Canada, est le principal auteur de ce rapport. En gros, le rapport indique qu’il existe beaucoup de dettes. Notre situation actuelle n’est pas mauvaise, mais nous aurons du mal à vendre nos obligations si une autre flambée de COVID survient, et il faudra les rendre plus attrayantes et établir un meilleur plan financier. Avez-vous jeté un coup d’œil au rapport? Dans la négative, il serait peut-être bon d’inviter David Dodge à venir témoigner à une future réunion.

La sénatrice Marshall : Je ne suis pas en mesure de vous dire si je l’ai lu ou non parce que j’ai consulté une panoplie de choses. Si quelqu’un m’envoie un courriel me demandant de m’abonner à des publications qui, selon moi, m’apprendront quelque chose de nouveau, je m’abonne. J’ai lu beaucoup d’articles de David Dodge. Cet homme serait un excellent témoin. J’aime entendre ce que les gens en dehors du gouvernement ont à dire parce qu’ils apportent des idées et des perspectives différentes.

Je sais que les gens disent que le Canada se trouve en bonne posture sur le plan financier. C’était le cas pour Terre-Neuve il y a quelque temps, mais la situation s’est détériorée depuis. Le vent peut tourner assez rapidement. Nous avons constaté la vitesse à laquelle la pandémie nous a frappés et la manière dont les dépenses se sont accumulées. Les choses peuvent changer très vite.

Certains signes indiquaient qu’il y aurait bientôt des problèmes. Nous savions que les Canadiens étaient très endettés, qu’ils avaient des hypothèques élevées et qu’ils avaient du mal à économiser. Il y a trois ans à peine, je m’entretenais avec des gens comme David Macdonald pour tenter de mieux comprendre notre situation financière. Nous savions que quelque chose allait arriver, mais nous ignorions que ce serait quelque chose d’aussi grave.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi de crédits no 3 pour 2020-2021

Deuxième lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-19, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-19, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021.

[Français]

Chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier le Comité sénatorial permanent des finances nationales de son examen diligent et approfondi, sous la direction de son président, le sénateur Mockler.

La semaine dernière, le comité a entendu les témoignages de plus de 19 fonctionnaires représentant divers ministères et organismes, dont Services aux Autochtones Canada, l’Agence de la santé publique du Canada, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes et Services publics et Approvisionnement Canada, pour n’en citer que quelques-uns.

Comme les honorables sénateurs le savent, chaque année, le gouvernement dépose un Budget supplémentaire des dépenses qui présente ses plans de dépenses supplémentaires. Ce budget supplémentaire s’ajoute au Budget principal des dépenses.

Le Budget supplémentaire des dépenses contient de l’information sur les dépenses nécessaires au sein des organismes fédéraux qui n’étaient pas suffisamment élaborées au moment du dépôt du Budget principal des dépenses, ou qui ont été mises à jour pour tenir compte de nouveaux développements.

[Traduction]

Il comprend un résumé des besoins financiers supplémentaires du gouvernement, ainsi qu’un aperçu des demandes de financement importantes et des initiatives horizontales.

Les renseignements contenus dans le Budget supplémentaire des dépenses permettent de garantir que les fonds publics destinés à la prestation de programmes et de services continuent d’être dépensés judicieusement. Le Budget supplémentaire des dépenses (A) de 2020-2021, déposé officiellement au Sénat la semaine dernière, prévoit 6 milliards de dollars en dépenses de fonctionnement, en dépenses en capital, en subventions et en contributions pour 42 organisations fédérales, qui sont énumérées dans le projet de loi C-19. Le Budget supplémentaire des dépenses énonce les plans de dépenses visant à appuyer les priorités actuelles.

[Français]

Parmi celles-ci figurent des mesures économiques et des mesures de santé publique pour répondre à l’impact sans précédent de la pandémie de COVID-19. Le budget supplémentaire prévoit également des mesures pour soutenir et fournir des services aux peuples autochtones à travers le pays, pour combler un déficit du Régime d’assurance-invalidité de la fonction publique et pour assurer le contrôle de la sécurité pour le transport aérien.

En tout, ces mesures de dépenses votées représentent une augmentation de 5 % par comparaison avec les mesures prévues dans le Budget principal des dépenses de 2020-2021, qui a été déposé l’hiver dernier.

[Traduction]

Le Budget principal des dépenses de 2020-2021 demandait le pouvoir de dépenser 125,1 milliards de dollars au titre de dépenses budgétaires votées et 87,2 millions de dollars au titre de dépenses non budgétaires votées. Par conséquent, ce Budget supplémentaire des dépenses prévoit des dépenses législatives totalisant 81 milliards de dollars. Cela comprend les dépenses autorisées dans les parties 3 et 8 de la Loi sur les mesures d’urgence visant la COVID-19, lesquelles ont été présentées, débattues et adoptées par le Sénat en mars et en avril. Ces dépenses désormais bien connues relatives aux mesures d’urgence aident les Canadiens de partout au pays durant la pandémie de COVID-19. Le Parlement n’est pas appelé à voter de nouveau sur ces dépenses dans le cadre du Budget supplémentaire des dépenses (A).

Honorables sénateurs, j’estime important de préciser la distinction entre les dépenses votées et les dépenses législatives dans le processus d’examen des crédits. Les dépenses votées doivent être approuvées annuellement par le Parlement dans le cadre d’un projet de loi de crédits, en l’occurrence, le projet de loi C-19. Pour leur part, les sommes législatives, tant celles qui figurent dans le Budget principal des dépenses que dans le Budget supplémentaire des dépenses, sont présentées aux parlementaires à titre d’information, car elles ont déjà été approuvées par les deux Chambres dans le cadre de projets de loi. Je signale que le Budget supplémentaire des dépenses à l’étude demande 1,3 milliard de dollars au titre de nouvelles dépenses votées en réponse à l’incidence de la COVID-19 sur les Canadiens, ce qui compte pour environ 22 % des 6 milliards de dollars de dépenses votées totales.

Voici certaines des initiatives importantes de financement prévues dans le projet de loi C-19 : 405,2 millions de dollars pour le Fonds pour la stratégie nationale de recherche médicale, qui sert à financer le suivi et les tests des cas de COVID-19, la mise au point de vaccins et de thérapies et l’amélioration de la capacité du Canada en matière d’essais cliniques et de biofabrication; 302,4 millions affectés à diverses entités fédérales chargées d’offrir un soutien aux petites et moyennes entreprises, notamment à l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, l’Agence canadienne de développement économique du Nord, le ministère de l’Industrie, le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest canadien, Développement économique Canada pour les régions du Québec et l’Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario; 274,5 millions de dollars pour les Instituts de recherche en santé du Canada, le ministère de l’Industrie, le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest canadien et le Conseil national de recherches Canada pour les mesures d’intervention d’urgence en matière de recherche et d’innovation; 87,4 millions de dollars pour l’Agence canadienne de développement économique du Nord, l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, le ministère de l’Industrie et Développement économique Canada pour les régions du Québec, ainsi que le Réseau de développement des collectivités, qui aide les petites entreprises des collectivités rurales; et 59,3 millions de dollars pour aider la Croix-Rouge canadienne à soutenir les personnes, les familles et les collectivités pendant la pandémie.

D’autres initiatives clés viennent appuyer divers engagements du gouvernement du Canada, dont la réconciliation avec les peuples autochtones, le soutien et le renforcement de la capacité militaire, ainsi que la sécurité des transports. Il s’agit notamment des montants suivants : 585,8 millions de dollars destinés au ministère de la Défense nationale afin de financer le projet de navire de soutien interarmés, qui vise à remplacer en toute sécurité les navires qui ont atteint la fin de leur durée de vie; 481,2 millions de dollars destinés au ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord afin de financer la convention de règlement relative aux externats indiens fédéraux; 468,2 millions de dollars destinés au ministère des Services aux Autochtones pour favoriser la sécurité et le bien-être des enfants et des familles des Premières Nations vivant dans les réserves; 395,8 millions de dollars destinés au Secrétariat du Conseil du Trésor pour appuyer le régime d’assurance-invalidité; et 312,2 millions de dollars destinés à l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien et au ministère des Transports pour financer les services de contrôle de la sûreté aérienne. Nous avons aussi publié en ligne une liste détaillée des montants qui ont été adoptés et qui sont inclus dans le budget des dépenses, ainsi qu’une ventilation des dépenses par article courant, comme le personnel, les services professionnels et les paiements de transfert.

(1930)

[Français]

De plus, le ministre des Finances fait rapport toutes les deux semaines au Comité permanent des finances de la Chambre des communes pour rendre compte des principales initiatives prises par le gouvernement pour aider les Canadiens pendant la pandémie de COVID-19. Ces rapports ont été présentés au Comité sénatorial permanent des finances nationales, qui joue un rôle important de surveillance en ce qui a trait à l’intervention économique du gouvernement pour répondre à la pandémie. De plus, comme d’habitude, le gouvernement présentera les dépenses réelles des comptes publics à la fin de l’exercice.

Ces nouveaux plans de dépenses présentés dans le Budget supplémentaire des dépenses continueront d’offrir un allègement aux personnes touchées par la COVID-19, tout en continuant de soutenir les initiatives stratégiques et les programmes instaurés par le gouvernement du Canada. Merci.

[Traduction]

L’honorable Elizabeth Marshall : Honorables sénateurs, le Budget supplémentaire des dépenses (A) a été étudié par le Comité des finances pendant quatre heures seulement, ce qui est bien en deçà du temps qu’il y consacre habituellement. Par le passé, nous avons entamé l’examen du Budget supplémentaire des dépenses (A) une fois terminé l’examen du Budget principal des dépenses. En général, nos questions sur le Budget supplémentaire des dépenses (A) s’appuient sur l’examen du Budget principal des dépenses, mais, comme nous n’avons pas encore étudié ce dernier, c’est presque comme si le Budget supplémentaire des dépenses (A) avait été largué au Comité des finances nationales sans que celui-ci puisse se fonder sur le Budget principal des dépenses.

Vous avez mentionné que le gouvernement produit des rapports quinzomadaires qu’il remet au Comité des finances de la Chambre des communes. Je les lis. Selon moi, il s’agit de bribes d’informations et non d’une mise à jour budgétaire. Certes, ils contiennent des chiffres. Lorsqu’on lit un de ces chiffres — comme l’exemple que j’ai donné concernant l’emprunt —, que signifie-t-il au juste? Il est impossible de le savoir, et personne ne peut nous donner une réponse. C’est bien qu’on nous remette ces rapports, mais ce n’est pas l’idéal.

Mon dernier commentaire à ce sujet, sénateur Gold — c’est vous qui avez fait la distinction —, eh bien c’est qu’il s’agit de 87 milliards de dollars, et je crois que vous avez mentionné qu’environ 80 milliards de dollars concernent des montants législatifs déjà approuvés, ce qui ne laisse que 6 milliards à approuver. Or, ces 6 milliards équivalent aux budgets supplémentaires des dépenses des années précédentes, alors que le montant législatif — les 80 milliards de dollars — est entièrement nouveau. Je crois que ce montant vient du projet de loi C-13 adopté en mars ou en avril. Le Comité des finances aurait donc dû avoir plus de temps pour décortiquer les 80 milliards de dollars. Il s’agit de nouveaux montants législatifs. J’en aurai plus à dire à ce sujet au moment de mon discours à l’étape de la troisième lecture. Merci.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

La Loi sur la capitale nationale

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Joyal, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Cordy, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi modifiant la Loi sur la capitale nationale (bâtiments et autres ouvrages d’importance nationale).

(Sur la motion du sénateur Munson, le débat est ajourné.)

Le Code criminel
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

À l’appel des autres affaires, projets de loi d’intérêt public du Sénat, deuxième lecture, article no 4, par l’honorable Salma Ataullahjan :

Deuxième lecture du projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Il s’agit d’un projet de loi très important pour notre collègue la sénatrice Ataullahjan. Cet article en est au 15e jour, alors je demande le consentement du Sénat pour qu’il soit ajourné de nouveau.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est reporté à la prochaine séance du Sénat.)

Projet de loi sur le commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Rosemary Moodie propose que le projet de loi S-217, Loi constituant le Bureau du commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je suis très honorée de prendre la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-217, Loi constituant le Bureau du commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada, à titre de marraine.

Comme la majorité des Canadiens, je pense, il y a très longtemps que j’attends de voir le Parlement discuter de l’établissement d’un commissariat à l’enfance et à l’adolescence du Canada et créer une telle entité.

Ces paroles ont été prononcées il y a huit ans par Marc Garneau, alors député, dans son discours dans le cadre de la deuxième lecture de son projet de loi, le projet de loi C-420, Loi établissant le Commissariat à l’enfance et à l’adolescence du Canada.

Aujourd’hui, je répète ces mots pour exprimer le même sentiment. Toutefois, je dois dire que je suis profondément déçue que, près de 30 ans après la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant, nous n’ayons toujours pas de commissaire à l’enfance et à la jeunesse. Nous sommes loin d’en faire assez pour les enfants. Aujourd’hui, je vais parler du mandat du commissariat et de ce qu’il apportera aux Canadiens. Mais tout d’abord, honorables sénateurs, j’estime important de vous expliquer pourquoi il s’agit d’un besoin urgent et pourquoi nous devons faire de ce projet de loi une priorité pour nos enfants et nos jeunes.

Honorables collègues, les enfants canadiens sont en état de crise, et ce, depuis des décennies. Les données sont très choquantes. Les accidents sont la principale cause de décès chez les enfants du pays. Nous savons que des milliers d’enfants meurent chaque année au Canada des suites de blessures évitables. Nous savons aussi que le suicide est la deuxième cause de décès. Nous sommes conscients du fait qu’un enfant sur trois est victime de mauvais traitements, qu’un sur cinq vit dans la pauvreté et qu’un sur dix souffre d’insécurité alimentaire.

Les enfants métis, inuits et des Premières Nations sont eux aussi en situation de crise. En effet, selon un rapport publié en 2019 par l’Assemblée des Premières Nations, 47 % des enfants des Premières Nations dans les réserves vivent dans la pauvreté. Pour ce qui est de l’état de santé général et de la qualité de vie globale, plus du quart des enfants et des jeunes du pays sont obèses. Par ailleurs, le nombre de visites à l’hôpital pour des problèmes de santé mentale est à la hausse.

De surcroît, le Canada a reculé dans le classement mondial de la santé et du bien-être des enfants. Sur les 41 pays de l’OCDE, le Canada se situe au 25e rang pour ce qui est de la prise de mesures visant à assurer la santé et le bien-être des enfants, d’après le bilan du bien-être de l’UNICEF. Il s’agit d’une chute considérable face à la 12e place obtenue en 2007.

(1940)

Un des indicateurs troublants est la hausse du taux de mortalité infantile. Alors que, il y a quelques décennies, le Canada était un leader, aujourd’hui, le taux de décès chez les enfants en bas âge au pays compte parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, et le taux au Nunavut est de trois fois supérieur à la moyenne nationale. Les enfants sont les plus vulnérables de la société. Ce sont leurs parents, leurs tuteurs, leurs professeurs, leurs entraîneurs et d’autres membres de leur collectivité qui doivent se charger de prendre soin d’eux, de les protéger et de les défendre. À titre de parlementaires, nous devons faire du bien-être et de l’avenir des enfants nos priorités.

Honorables sénateurs, les statistiques nous indiquent que nous avons failli à notre devoir et le tableau qu’elles brossent est assez choquant, mais ce qui est plus dérangeant encore, c’est notre inaction. Nous connaissons tous des enfants qui sont touchés; nous les avons vus dans notre collectivité; nous avons entendu leur histoire et nous savons ce que signifient ces statistiques dans la réalité. Ce sont des enfants du Canada et nous ne pouvons plus ignorer la crise. Elle se déroule devant nos yeux et nous devons chercher des solutions afin d’y répondre.

Honorables sénateurs, avec ce projet de loi, je cherche à proposer une solution tout à fait raisonnable basée sur un principe tout à fait raisonnable. Quels que soient leur lieu de naissance, leur origine ethnique, leur race, leur orientation sexuelle, leur sexe ou leurs capacités physiques et mentales, les enfants et les jeunes représentent notre ressource la plus précieuse. Ils constituent un bienfait et méritent qu’on leur donne toutes les occasions possibles et imaginables de grandir, de s’épanouir et de réussir. Nous avons l’obligation de faire tout notre possible pour que le Canada soit le meilleur pays au monde où être un enfant.

C’est donc là qu’intervient le commissaire à l’enfance. Non, il ne s’agit pas d’une solution miracle qui résoudra tous les problèmes auxquels nos enfants sont confrontés, mais cela devrait nous permettre de faire des changements immédiats et importants dans toutes les discussions sur les politiques pendant que nous continuons à travailler sur les changements systémiques plus larges. Le commissaire, tel qu’il est conçu dans ce projet, aura trois importantes fonctions : en tant qu’agent indépendant du Parlement, demander des comptes au Parlement relativement à ses obligations envers les enfants et les jeunes et leur bien-être et s’assurer que les droits des enfants et des jeunes sont respectés; collaborer avec les différents paliers de gouvernement et les collectivités afin de défendre les besoins des enfants et des jeunes en leur nom; et faire entendre la voix des enfants et des jeunes dans le discours politique.

Honorables sénateurs, beaucoup d’entre vous ne seront pas surpris d’apprendre que le sujet du commissaire à l’enfance fait l’objet de discussions et de débats depuis longtemps au Canada. Malheureusement, pendant trop longtemps, nous nous sommes dérobés à nos obligations envers les enfants en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le temps est venu de changer cela.

Historiquement, le Canada a été un phare en matière de droits de la personne à l’échelle internationale. Il suffit de penser à son rôle dans la création des premières forces armées de maintien de la paix de grande envergure au monde en réponse à la crise du canal de Suez de 1956. Cet effort a été mené par le secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada et futur premier ministre, Lester B. Pearson.

En ce qui concerne les droits de l’enfant, nous devons plutôt mettre l’accent sur une autre personne qui porte le nom de Pearson, à savoir l’honorable Landon Pearson, qui a joué des rôles essentiels dans la défense des enfants canadiens et qui a occupé le poste de vice-présidente de la Commission canadienne pour l’Année internationale de l’enfant en 1979. Le Canada était alors reconnu comme un chef de file dans le domaine des droits de l’enfant.

Le Canada a rapidement adopté et ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant. Après la ratification, les Nations unies ont communiqué avec nos dirigeants et ont continué à leur prodiguer des conseils sur la convention et sur sa mise en œuvre. Leurs conseils étaient axés sur une recommandation clé, à savoir que le Canada crée un commissariat fédéral. Depuis que ces rapports ont été présentés et que ces recommandations ont été faites il y a environ 25 ans, les problèmes graves mis en évidence à l’époque existent toujours et se sont aggravés. Chers collègues, nous avons fait preuve de négligence et il est temps que nous agissions.

Les Nations unies sont une voix importante qui demande au Canada de créer un commissariat à l’enfance et à l’adolescence, mais d’autres voix se sont également fait entendre à cet égard. Des voix fortes et cohérentes se sont élevées au Canada pour réclamer une telle mesure.

Honorables sénateurs, trois de nos collègues du Sénat, les sénateurs Lovelace Nicholas, Jaffer et Munson, ont travaillé sans relâche pour recommander et faire progresser des mesures dans ce domaine. Dans le cadre de leur travail en tant que membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, ils se sont penchés sur les droits des enfants et, en 2007, ils ont publié un rapport sénatorial intitulé Les enfants : des citoyens sans voix. Voici deux extraits de ce rapport.

Le Comité s’est vite rendu compte qu’une de ses principales propositions devait porter sur la création d’un commissariat fédéral aux enfants au Canada « afin de promouvoir une gouvernance efficace et responsable en la matière et d’offrir des services uniformisés à tous les enfants ». Presque tous les témoins qui ont comparu devant le Comité, experts indépendants, défenseurs des droits des enfants ou spécialistes affiliés aux Nations Unies, se sont dits favorables à la création d’un tel organisme de surveillance.

Le Commissariat à l’enfance et à la jeunesse, par exemple.

Honorables collègues, cela fait maintenant 13 ans que le Sénat a déterminé la marche à suivre. Il est maintenant temps d’agir. En 2009, dans la foulée de ce rapport, l’actuel ministre Marc Garneau avait présenté un projet de loi visant à créer un commissariat à l’enfance. Ce projet de loi a été rejeté à l’autre endroit en 2012. Comprenant l’urgence de mener ce projet à bien, d’autres députés — M. Cotler, Mme Quach et Mme Leitch — ont présenté des projets de loi qui sont morts au Feuilleton. De trop nombreuses tentatives ont avorté. Nous, parlementaires, avons collectivement failli à notre devoir en tant que Canadiens, et cela entache notre leadership.

De nombreux Canadiens demandent depuis longtemps la création d’un commissariat à l’enfance et à la jeunesse. La Coalition canadienne pour les droits des enfants avait fait une telle demande dès 1991. En 2010, UNICEF Canada a publié un rapport dans lequel on demandait la création d’un commissariat fédéral à l’enfance. Voici ce qu’on pouvait y lire :

Un commissaire national à l’enfance indépendant ferait en sorte que l’intérêt supérieur des enfants soit l’une des priorités publiques, encouragerait les différents ministères et ordres de gouvernement à coordonner leurs efforts et à promouvoir de meilleurs lois, politiques et services pour les enfants.

Dans le rapport historique intitulé « Les enfants d’abord », publié en 2016, le Canada recommandait la création d’un poste de commissaire fédéral à l’enfance. En 2018, l’Association du Barreau canadien a écrit au premier ministre afin de proposer la création d’un tel poste. Dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues publié en 2019, à l’appel en justice 12.9, on recommandait la création d’un poste de commissaire dans chaque province et territoire, et d’un poste de commissaire au niveau fédéral.

En 2019, le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, organisation qui regroupe les défenseurs des enfants et des jeunes des provinces et territoires du Canada, a de nouveau demandé la création d’un poste de commissaire à l’enfance. Dans son communiqué publié en mars de l’année dernière, elle déclare :

Au cours de plusieurs années, nous avons demandé qu’un poste d’officier parlementaire indépendant soit créé pour mettre l’accent sur les droits d’enfants autochtones, les jeunes immigrants du Canada et les jeunes impliqués dans le système de la justice, de la santé et de la santé mentale. Encore trop d’enfants glissent entre les failles de nos mandats législatifs parce qu’ils relèvent des services subventionnés par le gouvernement fédéral. Le manque de ressources qui visent à protéger les droits de ces jeunes est flagrant, et ce, malgré les engagements pris envers tous les enfants du Canada avec la ratification de la Convention, il y a de ça près de 30 ans.

(1950)

Je vous rappelle qu’en 2021 notre mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant fera de nouveau l’objet d’une évaluation par les Nations unies.

De nombreux organismes canadiens nous ont fait part de leurs rapports dans lesquels ils font le point sur l’état de la mise en œuvre de cette convention par le Canada. La création du poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse est une recommandation fondamentale de tous ces organismes. Si le Canada souhaite appliquer fidèlement les principes de la Convention relative aux droits de l’enfant, et s’il tient à jouer son rôle de chef de file international en matière de droits de la personne, il doit créer une instance pour représenter les intérêts des enfants et des jeunes. Nous le savons depuis toujours, et il est maintenant temps d’agir.

Honorables sénateurs, il y a encore beaucoup à faire à cet égard. Pendant que nous réfléchissons aux prochaines étapes, je nous invite à rester unis dans ce dossier. Comme l’a dit Marc Garneau en 2012 : « Il n’est pas question aujourd’hui de faire de la partisanerie, particulièrement quand on traite d’un sujet aussi important que nos enfants. »

Aujourd’hui, je propose donc une première étape dans la lutte contre la crise à laquelle sont confrontés les enfants ici au Canada : la création du poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse.

Voici mes raisons : Les provinces le souhaitent. Les commissaires à l’enfance et les défenseurs des droits des enfants du Canada, de même que le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, appuient vivement la constitution d’un bureau du commissaire à l’enfance et à la jeunesse fédéral. Ils veulent un partenaire fédéral qui peut faciliter la communication avec Ottawa ainsi que la mise en commun des pratiques exemplaires à l’échelle du pays. C’est d’ailleurs une chose qu’ils demandent depuis longtemps. Pour eux, le commissaire fédéral travaillerait en étroite collaboration avec les provinces et les territoires sur les nombreuses questions liées aux enfants. Ils espèrent que ce commissaire pourrait aider le Canada à arriver à une plus grande équité sur le plan du bien-être des enfants et à établir une stratégie et une vision susceptibles d’être maintenues à long terme pour les enfants canadiens.

Ils nous ont dit qu’ils voulaient que le commissaire fédéral les représente au niveau fédéral; établisse une vision nationale; surveille les politiques et donne aux Canadiens une idée plus claire et plus globale du rôle que jouent les décideurs dans la vie des enfants. Les commissaires à l’enfance et les défenseurs des droits des enfants du Canada veulent travailler en partenariat avec le commissaire pour promouvoir les pratiques exemplaires et les faire adopter à l’échelle nationale. Ils veulent travailler en partenariat avec le commissaire fédéral pour attirer l’attention sur les problèmes qui existent à l’échelle du pays et exigent une collaboration entre le fédéral et les provinces. Ils pensent en outre qu’il est possible de nouer ce partenariat sans que le commissaire fédéral empiète sur la compétence provinciale.

Honorables sénateurs, ce niveau de collaboration sera un élément fondamental de ce rôle. Il sera d’une redoutable efficacité.

Au Canada, de nombreux organismes et particuliers formidables défendent les droits des enfants. Chacun d’eux reconnaît qu’il ne peut pas exercer la même influence ni avoir la même incidence qu’un mandataire indépendant du Parlement.

Bien des personnes et des organismes qui défendent les droits des enfants nous ont dit que bon nombre de Canadiens ne sont pas au courant de la crise qui frappe les enfants du pays. Ils espèrent que le commissaire à l’enfance et à la jeunesse sera une voix forte qui permettra d’attirer l’attention sur la crise et d’améliorer le dialogue au Canada à ce sujet tout en donnant plus de portée à leur voix et en étant un défenseur des droits des enfants — un défenseur qui attirera l’attention sur certains problèmes, comme l’insécurité alimentaire et la pauvreté, qui les fera mieux connaître, les étudiera et en fera état dans des rapports, qui fournira une analyse critique des mesures du gouvernement à titre de source fiable et respectée et qui évaluera l’incidence des politiques et des mesures législatives sur la vie quotidienne des enfants, surtout les enfants et les jeunes des Premières Nations et des nations métisses et inuites, ainsi que les enfants et les jeunes réfugiés, dont le cas à tous relève de la compétence fédérale.

Les organismes et les particuliers qui défendent les droits des enfants estiment qu’il est nécessaire d’avoir un défenseur qui soulignera les piètres résultats des initiatives inefficaces et qui assurera la surveillance de la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant.

Ils soulignent que, devant la crainte que les Canadiens ferment les yeux sur les efforts déployés pour régler la crise vécue par nos enfants, le commissaire pourrait intervenir afin de sensibiliser le pays au phénomène et de l’amener à mieux répondre aux besoins des enfants.

Ils soulignent qu’il n’est pas raisonnable de confier cette responsabilité à des organismes sans but lucratif et à la société civile. Il devrait s’agir de la responsabilité fondamentale du commissaire fédéral à l’enfance et à la jeunesse.

On nous a dit à maintes reprises que le gouvernement fédéral ne compte aucun mandataire ayant l’obligation de parler aux enfants, de leur demander leur avis et de les entendre directement sur les questions qui les concernent et sur les effets de nos gestes sur leur vie. On nous a dit qu’il faut établir un moyen efficace pour que les enfants et les jeunes puissent faire connaître leurs points de vue et amplifier leurs voix.

Ils ont proposé qu’une partie importante du travail du commissaire visant à défendre les intérêts des enfants et des jeunes consiste à communiquer directement avec eux pour que l’on puisse entendre de leur bouche ce qu’ils vivent et leur fournir un moyen de trouver leurs propres solutions. Les solutions apportées par les enfants à leurs problèmes devraient être entendues, prises en considération et, le cas échéant, mises en œuvre. Il s’agirait d’une responsabilité essentielle du commissaire fédéral.

Chers collègues, l’appareil gouvernemental possède beaucoup d’outils, de mécanismes et de véhicules pour venir directement en aide aux enfants. Cependant, nous savons qu’aucun d’entre eux n’est adéquat et qu’aucun d’entre eux n’a une portée suffisante ou une influence suffisante sur le milieu social pour résoudre les problèmes auxquels nous nous heurtons. Il existe un ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, mais nous savons que, malgré toute sa bonne foi, les politiques et l’orientation de son ministère seront déterminées par ses obligations politiques envers le gouvernement au pouvoir et par le mandat qu’il aura reçu des têtes dirigeantes de son parti plutôt que par les besoins urgents des enfants canadiens.

Dans la fonction publique aussi, les dirigeants sont motivés par des considérations politiques. Quant au Conseil consultatif national sur la pauvreté, où un siège est réservé à un porte-parole des enfants, il n’a qu’un mandat limité, à portée restreinte, ce qui l’empêche de s’engager efficacement. Un commissaire à l’enfance et à la jeunesse aurait un mandat plus large et une influence plus grande, qui lui seraient conférés par son rôle de défenseur.

Le commissaire à l’enfance et à la jeunesse disposerait des pouvoirs nécessaires pour pouvoir jouer son rôle : le droit d’intervenir en cour au nom d’un enfant ou en tant qu’ami de la cour; le droit de visiter, sans préavis, des centres de détention juvénile et d’autres établissements qui hébergent des jeunes; le pouvoir d’exiger la communication d’information. Ces pouvoirs sont primordiaux pour que le commissariat puisse accomplir son mandat.

À mon avis, les enfants méritent mieux que des solutions incomplètes, fragmentées et inefficaces. Ils méritent qu’on leur accorde la priorité, et nous devrions mettre en œuvre des solutions qui prennent appui sur une vision et une stratégie à long terme conçues pour eux.

Ce qui est plus important encore, chers collègues, est le fait que les Canadiens se sont prononcés à cet effet. Ils veulent un commissaire à l’enfance et à la jeunesse. Un récent sondage commandé par Santé des enfants Canada a montré que 73 % des répondants appuient la création de ce rôle. De manière générale, la population canadienne estime que le système actuel ne répond pas très bien aux besoins des enfants, pas plus qu’il ne leur permet d’être entendus.

Dans le cadre de nos consultations, nous avons également rencontré des représentants de l’Inuit Tapiriit Kanatami, de l’Association des femmes autochtones du Canada et de la Métis Nation of Alberta. Nous avons organisé des webinaires avec des groupes de jeunes afin de favoriser la discussion et nous nous sommes entretenus avec des commissaires d’autres pays. La création du rôle de commissaire à l’enfance et à la jeunesse au sein du gouvernement du Canada reçoit un fort appui dans la population et est considérée comme un besoin urgent.

J’aimerais vous donner un exemple concret du fonctionnement de cette entité. En effet, nous pouvons tirer deux leçons du modèle du commissariat à l’enfance de la Nouvelle-Zélande. La première de ces leçons remonte au début des années 2010, alors que la pauvreté chez les enfants a pris l’ampleur d’une véritable crise en Nouvelle-Zélande. On a vite constaté que le gouvernement au pouvoir n’avait pas vraiment intérêt à parler de ce problème. Comprenant qu’il ne fallait attendre aucune intervention, le commissaire à l’enfance a décidé d’adopter une stratégie qui visait à s’attaquer au problème tout en donnant au secteur politique et à l’appareil gouvernemental la chance de rattraper leur retard. Le commissariat a donc lancé une campagne de sensibilisation à la pauvreté infantile pour mobiliser la population. C’est ensuite devenu un enjeu central de la campagne électorale, et tous les partis l’ont intégré à leur plateforme. Une fois la nouvelle première ministre assermentée, le commissaire est devenu le principal agent de la stratégie de réduction de la pauvreté chez les enfants et il était bien placé pour informer le gouvernement. Grâce à son travail, le commissaire à l’enfance de la Nouvelle-Zélande a braqué les projecteurs sur la pauvreté infantile alors que les politiciens du pays ne portaient aucune attention à ce problème.

(2000)

C’est ce qui nous amène à la seconde leçon, qui est inspirée de la réforme de l’éducation de la Nouvelle-Zélande. Pour remédier aux problèmes qui pesaient sur le pays, des consultations en ligne ont été organisées auprès du grand public. Pendant ce temps, le commissaire à l’enfance a consacré son temps à rencontrer et à interviewer des enfants issus de groupes marginalisés, comme les Maoris, qui sont les Autochtones de Nouvelle-Zélande. Il s’est aperçu que, quand on leur pose la question, les enfants en ont long à dire. Ils ont expliqué en quoi le système alors en vigueur les avait laissé tomber. Ils ont parlé de racisme et de discrimination. Ils ont déploré les effets de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire sur leurs études. Le rapport final du commissaire, qui se faisait le porte-voix des enfants, aura finalement été l’élément qui a déclenché la réforme de l’éducation de la Nouvelle-Zélande et l’adoption de politiques sur le racisme et la discrimination.

J’aimerais prendre quelques minutes pour parler du projet de loi, aux termes duquel le commissaire aurait trois grandes priorités : à titre de mandataire du Parlement, demander des comptes à ce dernier relativement à ses obligations concernant le bien-être des enfants et des jeunes ainsi que le respect de leurs droits; faire valoir les droits des enfants et des jeunes, en leur nom et en collaboration avec les différents ordres de gouvernement et les parties intéressées; faire résonner la voix des enfants et des jeunes dans le discours politique.

Le principe d’indépendance est sans doute le plus important de tous dans ce cas-ci. Le commissaire doit absolument être indépendant. Il doit pouvoir agir en toute liberté et exercer son indépendance de manière à bien faire son travail.

Le travail du commissaire doit être guidé par des faits et non par des considérations politiques. Tous les Canadiens doivent pouvoir se fier au fait que le gouvernement en place n’est pas en mesure d’exercer une influence sur le commissaire et que le commissaire oblige le gouvernement à rendre des comptes.

Au Canada, il y a des commissaires qui sont indépendants et dont l’indépendance leur permet d’intervenir efficacement, comme le commissaire aux langues officielles, ou d’imposer une reddition de comptes rigoureuse, comme le directeur parlementaire du budget ou le commissaire à la protection de la vie privée.

Le commissaire à l’enfance et à la jeunesse devrait pouvoir faire fi du climat politique pour se concentrer sur les besoins à long terme des enfants et des jeunes et les porter à l’attention du Parlement. Pour ces raisons, l’idéal serait que le commissaire à l’enfance et à la jeunesse soit un agent indépendant. C’est d’ailleurs ce que recommandait le rapport sénatorial de 2007.

Honorables sénateurs, pour que ce commissariat soit en mesure de mener à bien sa tâche, il doit être indépendant.

L’indépendance du commissariat lui permet d’assumer son rôle, ce qui comprend l’examen d’instruments de politique, comme les mesures législatives, et la production de rapports à leur sujet. Le principal rôle du commissaire est d’exercer une surveillance à l’égard des mesures législatives du gouvernement dans l’optique des droits et du bien-être des enfants.

Je crois que nous convenons tous que les enfants et les jeunes sont trop importants pour l’avenir du pays pour que notre processus législatif continue de les marginaliser. Il est impératif que nous mettions en place des processus afin que les enfants et les jeunes soient pris en compte comme il se doit au moment de créer toute politique ou mesure législative.

Le commissaire se pencherait sur l’ensemble des mesures législatives, des modifications à la réglementation et des modalités d’application des instruments de politique et, au besoin, il présenterait des observations ou ferait rapport au sujet des effets d’une mesure donnée sur les enfants du pays.

De plus, le commissaire à l’enfance aurait pour mandat d’aider le gouvernement à concevoir des mesures législatives et de collaborer avec le secteur public afin de fournir de l’information. Le commissaire serait une personne-ressource pour les comités et pourrait conseiller les parlementaires sur d’autres aspects de leur travail, leur permettant ainsi de recevoir, en temps opportun, les données et l’information les plus récentes sur la situation des enfants au Canada.

Il en est aussi question dans le rapport du comité sénatorial, qui dit ceci :

Tous les témoins favorables à la création d’une telle entité ont insisté sur la nécessité pour le commissaire aux enfants de soumettre les lois, les services et le financement des programmes fédéraux ayant une incidence sur les enfants et sur leurs droits à un examen continu — et de se prononcer par le biais de recommandations, d’évaluations et de critiques [...]

Le deuxième rôle important du commissaire consisterait à collaborer avec les collectivités et les provinces afin de promouvoir, de soutenir et d’étendre les efforts des partenaires provinciaux tout en attirant l’attention sur des questions d’intérêt national qui touchent les provinces, les territoires et les nations.

L’un des aspects importants de cette fonction serait d’établir des liens avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Aux termes de la Constitution, le gouvernement fédéral a des obligations précises envers les enfants et les jeunes autochtones, mais il ne les a pas respectées. Le commissaire à l’enfance et à la jeunesse comblerait cette lacune, améliorant ainsi de façon marquée la relation de nation à nation entre les peuples autochtones du Canada et le gouvernement fédéral.

Le commissaire donnerait suite à une partie des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation et à certains appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Le Bureau pourrait établir un pont avec le gouvernement fédéral en ce qui concerne les questions touchant les enfants.

L’histoire de la relation entre le gouvernement canadien et les enfants autochtones est remplie de tragédies, d’injustices et de violations des droits de la personne qui ont causé des traumatismes transmis de génération en génération. Pendant la rédaction de ce projet de loi, j’ai voulu éviter les pratiques coloniales du passé pour favoriser le développement d’une relation fondée sur le respect mutuel.

Nous avons discuté de ce projet de loi un nombre incalculable d’heures avec nos collègues des nations autochtones de partout au pays pour connaître leurs points de vue sur cette fonction, et nous mènerons des consultations encore plus vastes. J’ai hâte que le projet de loi soit renvoyé au comité. Nous pourrons alors entendre des témoins et apporter les modifications que nous jugerons appropriées.

Le projet de loi guidera les interactions du commissaire à l’enfance avec l’ensemble des nations et des peuples autochtones. Le commissaire reconnaîtra l’indépendance des nations et les aidera quand elles feront appel à lui. Il sera bien renseigné sur les communautés, sera sensible à leur culture et à leurs pratiques et les aidera à préserver leur culture et leurs langues.

Nous nous attendons à ce que le personnel du Bureau du commissaire à l’enfance reflète la diversité de la société canadienne et à ce que des membres des Premières nations, des Métis et des Inuits occupent des postes de premier plan au sein du bureau. J’irais même plus loin en recommandant que le gouvernement envisage de nommer un Autochtone comme premier commissaire à l’enfance et à la jeunesse. Le commissaire serait un porte-parole important et un partenaire à long terme, qui pourrait renforcer les relations de nation à nation.

Le troisième rôle clé du commissaire est d’amplifier la voix des enfants et des jeunes dans les discours politiques. Les enfants méritent d’être entendus. Or, ce qu’ils disent est souvent ignoré et oublié. Nous devons écouter les enfants, être à l’écoute de leurs problèmes et tenir compte des solutions qu’ils y proposent. Nous devons leur offrir un endroit sûr où ils peuvent exprimer leurs inquiétudes et nous devons leur permettre de continuer à discuter de leur avenir.

(2010)

Le commissaire aurait notamment pour tâche de mettre en place des initiatives en ligne et en personne visant à attirer l’attention sur les questions qui préoccupent les jeunes Canadiens. Il rencontrerait des jeunes pour entendre leur voix, notamment des enfants en difficulté dans des centres de détention pour mineurs et d’autres établissements. Le commissaire interagirait avec les personnes qui s’occupent des enfants et servent leurs intérêts afin de mieux comprendre leurs besoins et les problèmes auxquels ils sont confrontés.

L’idée d’engagement réside au cœur même du rôle du commissaire qui consiste à obtenir l’avis des enfants sur les questions qui les concernent, afin de trouver des solutions émanant de ces derniers. Les enfants ne peuvent participer au processus démocratique, notamment voter. Par conséquent, la présence d’un commissaire permettrait que leur voix soit entendue haut et fort en permanence. Lorsque les enfants seront autorisés à parler, nous nous réjouirons d’entendre le son de leur voix.

Chers collègues, les enfants canadiens doivent connaître leurs droits. Le commissaire à l’enfance et à la jeunesse aura la responsabilité non seulement d’informer les enfants de leurs droits, mais aussi de sensibiliser tous les Canadiens à la Convention relative aux droits de l’enfant. Cette activité essentielle dans le cadre des interactions du Bureau avec la communauté ferait suite à une recommandation figurant dans le rapport du Sénat de 2007.

Honorables sénateurs, voilà comment il serait possible de bâtir une société mieux adaptée aux enfants.

Partout au pays, les Canadiens sont aux prises avec une nouvelle réalité qui change rapidement leurs vies. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les problèmes auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes. Elle a mis en évidence les façons particulières dont les enfants sont rendus vulnérables et le besoin urgent de mettre en place immédiatement les ressources, le soutien et les mesures de protection qui ont fait défaut à tous les enfants canadiens.

À bien des égards, la COVID-19 a aggravé la crise qu’ils vivent. Elle n’a fait qu’empirer la situation des enfants. L’insécurité alimentaire, la violence familiale et l’interruption de leur routine quotidienne et de leur éducation sont certains des problèmes les plus graves auxquels les enfants ont été confrontés. Nous avons toutefois du mal à déterminer les répercussions futures de ces problèmes sur les enfants et leur étendue, car nous n’avons pas leurs points de vue. Nous n’écoutons pas.

Chers enfants, nous avons besoin d’un commissaire pendant de telles périodes afin de pouvoir entendre votre voix et comprendre les répercussions de ce qui se passe dans votre monde sur vous.

C’est pourquoi j’ai choisi de présenter ce projet de loi et de donner ce discours aujourd’hui. Les gens qui prétendent que nous nous penchons actuellement seulement sur des mesures législatives d’urgence prioritaires passent à côté d’une vérité flagrante : il s’agit d’une mesure législative d’urgence pour tous les enfants.

Honorables sénateurs, nous devons trois choses aux enfants de ce pays : obligation, urgence et action. Nous devons prendre conscience de nos pouvoirs et de nos responsabilités à titre de parlementaires afin de régler ces problèmes. Nous en avons l’obligation. Ensemble, nous devons prendre conscience de l’urgence des problèmes auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes du Canada. Plus important encore, nous devons tous ensemble passer à l’action.

Aujourd’hui, au Canada, nous avons l’occasion de faire en sorte que tous les enfants — tous les enfants du Canada — aient toutes les chances de s’épanouir dans ce pays. Même si ce projet de loi ne résoudra pas tous nos problèmes, il constituerait une des mesures les plus importantes prises par le Parlement depuis longtemps. Nous devons prendre cette mesure ensemble.

Ce commissaire à l’enfance et à la jeunesse sera le défenseur de nos enfants, demandera des comptes au gouvernement, se fera le porte-parole de nos enfants et travaillera avec nos collectivités à leur demande afin de veiller à protéger nos enfants.

Chers collègues, mon équipe — que je remercie — et moi avons passé des mois à travailler sur ce projet de loi et à réfléchir à ce que nous avons entendu. En collaboration avec des fonctionnaires ainsi que des représentants d’organismes à but non lucratif et de groupes de la société civile, nous avons rédigé le projet de loi qui se trouve devant vous. Nous avons hâte d’en discuter alors que nous l’examinerons, et c’est avec joie que j’accueillerai vos questions, vos commentaires et vos amendements lorsque nous parviendrons à l’étape de l’étude en comité.

Je vous encourage à voter en faveur de ce projet de loi et à soutenir son adoption. Ensemble, donnons aux enfants et aux jeunes la voix qu’ils méritent et dont ils ont besoin. Montrons aux communautés que nous nous soucions suffisamment d’elles pour leur donner les ressources qu’elles demandent pour leurs enfants. Montrons aux Canadiens autochtones que nous les respectons en tant que nations et que nous sommes déterminés à réparer les torts causés par le colonialisme. Montrons au monde que nous prenons au sérieux les obligations qui nous incombent en matière de droits de la personne. Et montrons aux Canadiens que dans une véritable démocratie, nous n’avons pas peur de rendre des comptes, que nous acceptons de faire l’objet d’un honnête examen. Montrons aux enfants et aux jeunes qu’à Ottawa, il y a des gens altruistes, qui écoutent et qui sont prêts à accomplir ce que nous savons — et depuis longtemps d’ailleurs — être la bonne chose à faire.

Voilà pourquoi j’ai accepté de devenir sénatrice. C’est le changement que je veux apporter. Joignez-vous à moi dans cette aventure. Je vous remercie.

L’honorable Pierrette Ringuette (Son Honneur la Présidente suppléante) : Une question, sénateur? La sénatrice Moodie accepterait-elle de répondre à une question?

L’honorable Jim Munson : Merci, sénatrice. J’ai une petite question à vous poser. Mon Dieu, vous avez bien travaillé. C’est rafraîchissant et merveilleux à voir.

S’il y a une chose que j’aimerais voir se réaliser avant de quitter le Sénat dans un an, c’est bien la création d’un poste de commissaire à l’enfance. Nous nous battons pour cela depuis, comme vous l’avez dit, la publication de notre rapport en 2007. On dirait que l’intérêt que suscite la création d’un tel poste varie dans le temps. Les gens deviennent ministres et parfois l’intérêt n’est plus là. Pourtant, près de 70 pays ont un commissaire à l’enfance ou un équivalent.

Juste une question très rapide, quel serait le rôle d’un commissaire par rapport aux enfants handicapés et à leurs droits?

La sénatrice Moodie : Merci pour votre question, sénateur Munson. Une partie intégrante du rôle du commissaire sera de transposer à l’échelle nationale les pratiques exemplaires des défenseurs des droits des enfants et des commissaires dans l’ensemble des provinces.

L’un des rôles du commissaire sera d’apporter à l’ensemble du Canada des possibilités qui ne sont pas très répandues. À l’autre extrémité du spectre, il y a les situations où de très mauvaises pratiques sont en place, notamment dans le cas des enfants handicapés. Si cela devait se produire dans de nombreuses régions, cela pourrait devenir un problème systémique, et le commissaire aurait alors le mandat de trouver des solutions.

Je pense qu’il existe différentes manières de faire le bien et d’attirer l’attention sur des enjeux actuels.

Le sénateur Munson : J’ai de nombreuses questions, mais je constate qu’il ne reste qu’environ trois minutes pour les poser.

L’idée d’un commissaire national, pour employer le terme « commissaire national », qui s’occupe des droits des enfants fait l’objet d’une certaine résistance au Québec. Avez-vous consulté le Québec et d’autres provinces qui disposent d’un ombudsman provincial pour les droits des enfants et ainsi de suite? Toutes les provinces ont-elles adhéré à l’idée?

La sénatrice Moodie : Je vous remercie encore une fois de votre question. En fait, dans le cadre des travaux approfondis que nous avons menés, nous avons délibérément discuté avec tous les commissaires à l’enfance avec qui nous avons pu communiquer, notamment la commissaire qui représente les enfants au Québec.

Dans l’ensemble, nous avons obtenu un appui très solide. Les commissaires estiment que cette personne sera le lien qu’ils n’ont pas actuellement, un partenaire qui leur permettra d’acheminer leurs dossiers à l’échelon fédéral. Comme je l’ai mentionné, nous disposons d’un appui solide au Québec. Les personnes à qui nous avons parlé sont actuellement très favorables à l’idée d’un commissaire national.

(2020)

Son Honneur la Présidente suppléante : Sénateur Munson, avez-vous une autre question?

Le sénateur Munson : Oui, nous avons effectivement besoin d’un commissaire à l’enfance dans notre pays. Il y a un gouvernement minoritaire qui est chargé de ces enjeux et nous voulons tous prendre part aux discussions. Ce projet de loi doit être adopté ici, puis il doit aussi être adopté par la Chambre des communes. Ensuite, espérons qu’il sera promulgué avant que le gouvernement minoritaire ne tombe ou qu’il n’arrive à la fin de son mandat.

Devrait-on nommer un ministre parallèlement au commissaire à l’enfance? Je sais que le premier ministre s’est lui-même chargé du portefeuille de la Jeunesse et qu’il y a un ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, mais devrait-on avoir un ministre spécialement attitré à la jeunesse de façon à ce que le commissaire redevable au Parlement puisse aussi travailler directement avec un ministère fédéral de la Jeunesse?

La sénatrice Moodie : Je vous remercie encore une fois de la question.

Lorsque nous examinons la situation au Canada, nous constatons qu’il existe des ministères qui, dans le cadre de leur mandat, aident les enfants et sont responsables des dossiers les concernant. D’ailleurs, dans le cadre de diverses initiatives qui ont été menées au cours des dernières années, des représentants des enfants ont été appelés à participer à divers groupes et comités au sein de ces ministères pour parler au nom des enfants. Après avoir examiné attentivement le rôle de ces personnes, nous avons conclu que c’est leur mandat de même que leur champ d’action à l’extérieur du comité et à l’extérieur du ministère qui les limitaient. En fait, nous nous sommes entretenus avec des intervenants dans quatre ministères dans le cadre de notre travail sur cette question en raison de la situation actuelle.

Son Honneur la Présidente suppléante : Madame la sénatrice Moodie, votre temps de parole est écoulé.

(Sur la motion du sénateur Munson, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Marilou McPhedran propose que le projet de loi S-219, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-219, qui vise à abaisser de 18 à 16 ans l’âge de voter lors des élections fédérales.

Cette soirée marque pour moi un moment herstoric, comme on dirait en anglais, puisque c’est le premier projet de loi que je dépose au Sénat. Je ne pourrais déposer un meilleur projet de loi que celui-ci, qui porte sur l’inclusion des jeunes Canadiennes et Canadiens dans notre démocratie et qui est le fruit d’une collaboration de plusieurs mois entre mon équipe et mes conseillers jeunesse, le Conseil canadien de jeunes féministes et une multitude de regroupements jeunesse à travers le pays. Je leur dis mille fois merci.

[Traduction]

Voilà maintenant 50 ans que l’âge de voter est passé de 21 ans à 18 ans. Aujourd’hui, je suis heureuse d’entamer le débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-219, qui modifierait la Loi électorale du Canada afin d’abaisser de 18 à 16 ans l’âge de voter aux élections fédérales. Le projet de loi apportera également plusieurs modifications mineures à la même loi afin que le processus de vote tienne compte de l’abaissement de l’âge de voter à 16 ans.

Honorables collègues, ce n’est pas un projet de loi compliqué, mais je vous invite à faire comme moi et à considérer son potentiel pour la revitalisation de la démocratie canadienne. Nous devrions abaisser l’âge de voter à 16 ans parce que les jeunes sont suffisamment matures, informés et motivés pour voter. Abaisser l’âge de voter augmentera la participation électorale en donnant aux jeunes la possibilité de voter pour la première fois dans un contexte encadré par leur école, leur famille et leur communauté.

En effet, les bureaux de vote sont souvent situés dans les écoles secondaires, mais la plupart des élèves doivent regarder de loin les autres exercer leur droit de vote. Nous savons que plus les nouveaux électeurs commencent à voter jeunes, plus ils sont susceptibles de continuer à voter à l’avenir.

De surcroît, on dit souvent aux jeunes qu’ils sont les leaders de demain, mais la vérité, c’est qu’ils sont déjà des leaders, de véritables participants aux institutions qui gouvernent le pays, et c’est une occasion importante pour nous de leur montrer que nous reconnaissons leurs droits et que nous les prenons au sérieux.

Quand le Canada s’est formé en confédération, l’âge légal pour voter était de 21 ans. À l’époque, seulement les hommes blancs qui étaient propriétaires fonciers pouvaient voter. Les femmes, les Autochtones, les Noirs, les autres personnes de couleur ainsi que les adeptes de certaines religions n’avaient pas le droit de participer au processus démocratique.

En 1917, alors que la Première Guerre mondiale faisait rage, le droit de vote a été accordé à tous les militaires canadiens, y compris les femmes. La même année, les Autochtones ont été reconnus comme « Indiens » en vertu de la Loi sur les Indiens.

Certaines Manitobaines ont été les premières femmes au Canada à obtenir le droit de vote. Par la suite, en 1918, ce droit a été accordé à beaucoup plus de femmes de plus de 21 ans, mais pas aux femmes autochtones.

En 1960, la Loi électorale du Canada a accordé le droit de vote aux élections fédérales aux personnes reconnues comme étant des « Indiens » en vertu de la Loi sur les Indiens. En 1970, au terme d’un grand débat national, où certains disaient que des gens aussi jeunes ne pouvaient absolument pas assumer une telle responsabilité, la Loi électorale du Canada a été modifiée pour faire passer de 21 ans à 18 ans l’âge auquel on a le droit de voter. C’était il y a 50 ans.

Les arguments avancés aujourd’hui afin de diminuer l’âge légal pour voter et le faire passer à 16 ans sont semblables à ceux des années 1940, 1950 et 1960, alors qu’on souhaitait faire passer cet âge à 18 ans. Les critiques adressées aujourd’hui à la jeunesse nous renvoient à ces débats historiques.

Les jeunes sont collectivement accusés d’être mal informés, indifférents et immatures. Il y a abondance de preuves prouvant que c’est faux. En effet, chers collègues, les preuves tendent à démontrer que les Canadiens de 16 à 17 ans sont suffisamment mûrs, informés et prêts à exercer leur droit de vote aux élections fédérales.

J’espère que mes honorables collègues soutiendront ce projet de loi en permettant à nos jeunes de participer au processus démocratique pour assurer une représentation plus efficace de notre société et la viabilité économique et sociale à long terme de notre pays.

Les détracteurs affirment que les jeunes de 16 ans ne sont pas assez mûrs pour voter. Penchons-nous un peu plus sérieusement sur ce concept de maturité, qui est souvent assimilé à l’âge.

Sarah et Megan Rohleder, deux étudiantes manitobaines de 15 et 16 ans, ont fait cette observation succincte dans le document de recherche qu’elles m’ont envoyé : « La maturité n’est pas une question d’âge. »

En dehors du vote, les législateurs canadiens sont déjà arrivés à la conclusion que les jeunes de 16 à 17 ans sont suffisamment mûrs pour se lancer dans de nombreuses entreprises qui requièrent de la maturité et sont considérées comme parfaitement capables de prendre des décisions responsables.

La société canadienne considère que les jeunes de 16 ans sont suffisamment mûrs pour s’engager comme réservistes dans les Forces armées. Nous leur donnons la possibilité d’assumer l’une des plus grandes responsabilités que l’on puisse avoir, à savoir servir son pays et accepter une obligation illimitée pouvant aller jusqu’au sacrifice ultime pour son pays, suivant le principe selon lequel il faut obéir aux ordres, même au risque d’y laisser la vie.

Nous estimons que les jeunes de 16 ans sont assez mûrs pour conduire une voiture — en gros, un engin qui sème la mort — sur les mêmes routes que tout le monde. On considère qu’ils ont les capacités et le jugement nécessaire pour conduire une voiture, une activité qui, statistiquement parlant, est l’une des plus dangereuses que l’on peut pratiquer. On considère qu’une personne de 16 ans a la maturité voulue pour donner son consentement à des actes sexuels ou pour se marier légalement, avec le consentement de ses parents. On considère que les jeunes ont la maturité voulue pour connaître leur corps et être en mesure de faire leurs propres choix de manière autonome concernant des questions liées à leur santé. On considère que, à 16 ans, une personne est en âge de travailler, de gagner un salaire et de payer un impôt sur ce revenu. Les gouvernements prennent l’argent des Canadiens de 16 ans qui travaillent et ils adoptent des politiques et des lois qui affectent les jeunes de 16 ans, sans que ces derniers aient leur mot à dire.

(2030)

En résumé, on considère que les personnes de 16 ans et de 17 ans ont la maturité voulue pour assumer leurs responsabilités lorsqu’il est question de s’enrôler dans l’armée, d’avoir des rapports sexuels, de conduire une voiture, de payer de l’impôt, d’être marié et d’avoir des enfants. Leur refuser le droit de vote sous prétexte qu’ils sont immatures est en contradiction avec toutes les responsabilités que leur accorde présentement la société. Même s’ils paient de l’impôt et des taxes et que les politiques gouvernementales les touchent, les personnes de 16 ans et de 17 ans n’ont pas accès au moyen le plus fondamental et démocratique qui soit pour donner leur avis sur les enjeux qui les concernent : le droit de vote.

Nous ne devons pas tenir les jeunes à l’écart du cœur de notre démocratie, qui englobe le droit de voter. Plutôt, nous devons les inviter à participer, à titre de partenaires, à la revitalisation de notre démocratie. Il s’agit d’une occasion incontournable de traiter les jeunes Canadiens avec le respect qu’ils méritent, car ils l’ont gagné. Les jeunes sont nos partenaires dans l’intendance de notre pays et des institutions qui nous gouvernent. Regardez autour de vous. Bien que l’âge minimal pour être nommé au Sénat soit de 30 ans, aucun sénateur n’est dans la trentaine ni même la jeune quarantaine.

Pensez maintenant au fait que le déficit fédéral a dépassé le billion de dollars la semaine dernière. Ce n’est pas notre génération qui portera, à long terme, le poids du long redressement qui s’annonce.

Certains détracteurs font valoir qu’une personne âgée de 16 ans n’est pas suffisamment informée pour voter. Les adolescents de 16 ans et de 17 ans que je connais, les adolescents de 15 ans, de 16 ans et de 17 ans qui m’ont fait parvenir des mémoires de recherche à l’appui de mon projet de loi, ont remis des documents auxquels, à titre de professeure d’université, j’aurais volontiers accordé une note élevée. Les preuves montrent que les personnes de 16 ans et de 17 ans sont capables de prendre une décision éclairée fondée sur les valeurs qu’elles prônent et leur vision à l’égard de la démocratie inclusive en laquelle nous croyons tous.

Chers collègues, mon père s’est présenté pour la première fois comme candidat conservateur à l’invitation du regretté sénateur Duff Roblin, qui était alors premier ministre du Manitoba. Dès l’âge de 12 ans, à l’occasion de nombreuses campagnes électorales, j’ai fait du porte-à-porte pour des candidats de divers partis politiques. Ceux d’entre nous qui ont vécu cette expérience savent qu’il y a beaucoup d’électeurs âgés de nettement plus de 16 ans qui ne sont ni mûrs ni bien informés, mais nous nous battrions néanmoins pour leur droit de voter.

Un électeur n’a pas besoin d’avoir un avis sur tous les enjeux pour être averti et pour voter. Un électeur averti a conscience de ses propres valeurs et, en participant au scrutin, il peut les traduire en une vision de ce que le Canada doit être en tant que démocratie inclusive. Un électeur averti peut être celui qui se passionne pour une cause unique ou un ensemble de causes, ou encore qui est capable de traduire ses valeurs par une décision, en votant pour la personne qu’il veut comme représentant dans sa circonscription, à Ottawa et à l’étranger.

J’interviens aujourd’hui sur ce projet de loi pour faire valoir que les jeunes de 16 et 17 ans sont prêts à voter. Il n’est pas nécessaire de me croire sur parole. Il suffit de se fier aux conclusions tirées par des chercheurs au cours de la dernière décennie : ils ont établi que les jeunes de 16 et 17 ans ont des capacités égales ou supérieures à celles des jeunes de 18 ans en matière de vote responsable, tant en ce qui concerne la capacité de réflexion critique que les connaissances politiques générales.

Je cite un article rédigé par Sarah et Meaghan Rohleder, toutes deux trop jeunes pour voter, dans lequel elles disent qu’en fait, en Autriche, à Malte et à Guernesey — des pays qui ont déjà abaissé l’âge du vote à 16 ans —, les élections fédérales ont donné lieu à une forte participation de l’ordre de 70 %. L’Autriche arrive même en tête de l’Eurobaromètre pour ce qui est de la participation des 15 à 30 ans avec 79 %, alors que la participation moyenne en Europe est de 64 %.

Une étude danoise a révélé que les jeunes de 18 ans sont plus susceptibles de voter pour la première fois que les jeunes de 19 ans. Plus les mois passent, moins les jeunes sont susceptibles d’aller voter pour une première fois. L’abaissement de l’âge du vote permettra aux gens de voter avant de quitter l’école secondaire et le domicile familial et d’établir des habitudes de vote pour la vie. Les données recueillies en Autriche confirment que le taux de participation des nouveaux électeurs est plus élevé et qu’il se maintient également dans le temps. Ces données montrent que les jeunes sont prêts à prendre des décisions judicieuses et à participer de manière constructive à la démocratie. Pour Sarah et Meaghan, pouvoir voter et exprimer leur opinion a quelque chose de puissant. C’est un geste simple, mais qui compte énormément.

Dans un autre document de recherche qui m’a été envoyé par trois autres étudiants du secondaire, tous âgés de moins de 18 ans, on cite plusieurs études, dont une publiée l’an dernier par la London School of Economics. Selon cette étude, les deux premières élections d’un électeur détermineront ses futures habitudes de vote. Chaque élection subséquente ne fera que renforcer davantage cette habitude.

Selon Avinash, Rooj et Shiven, ces étudiants du secondaire, « c’est la recette d’un électeur à vie ».

Ces étudiants ont aussi indiqué qu’une des formes de cognition est la cognition rationnelle. Elle est généralement liée à la pensée, à l’attention, à la mémoire et aux gestes du quotidien. Il y a aussi la cognition émotionnelle, la cognition sociale. Pour la prise de décisions telles que le vote, notre cerveau fait appel à la cognition rationnelle. Même si le développement de la cognition émotionnelle se poursuit jusqu’au milieu de la vingtaine, celui de la cognition rationnelle est déjà terminé dès l’âge de 16 ans.

À 16 ans, les jeunes sont entièrement capables, scientifiquement et intellectuellement, de prendre des décisions politiques, comme l’ont également souligné d’autres auteures, les étudiantes Sarah et Meaghan.

Chers collègues, voilà des preuves et des arguments rationnels qui démolissent ces préjugés condescendants à l’égard des jeunes électeurs que j’ai entendus de la part de certains animateurs d’émissions-débat et autres détracteurs. Une étude de l’American Academy of Political and Social Science a par ailleurs confirmé que les adolescents ont des connaissances adéquates en matière de politique. On peut y lire ceci :

Dans les domaines des connaissances civiques, des habiletés politiques, de l’efficacité politique et de la tolérance, les jeunes de 16 ans obtiennent en moyenne des notes comparables à celles des adultes.

La plupart des jeunes de 16 ans sont à l’école secondaire. Ils se trouvent donc dans un cadre qui leur permet d’assimiler les connaissances nécessaires pour voter de façon éclairée.

À l’âge de 16 ou 17 ans, les Canadiens ont la chance de pouvoir s’instruire sur le processus politique, l’histoire de notre démocratie et l’importance du vote. Ce sont des votants qui seraient dans un environnement où ils peuvent étudier les problèmes complexes du monde d’aujourd’hui.

En classe, les jeunes ont la possibilité de discuter de façon encadrée des différents partis fédéraux et provinciaux, ainsi que de leurs opinions sur les questions environnementales, économiques et sociales aux niveaux national et mondial. Les élections offriraient aux élèves l’occasion de s’exercer à former leurs propres opinions et à agir à partir de ces opinions et le contexte scolaire leur fournit l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée quand vient le temps de voter.

Honorables sénateurs, voter est un acte simple qui a un effet profond. C’est un acte qui reconnaît qu’une personne peut contribuer à une décision touchant sa collectivité et son pays. Il permet aux citoyens de participer au processus décisionnel et de tenir les personnes au pouvoir responsables de leurs actes.

Ce sont les jeunes qui vont subir le plus longtemps le contrecoup des décisions que nous prenons, que prend le gouvernement, aujourd’hui. Si nous fournissons aux jeunes un mécanisme qui leur permet de donner leurs points de vue, nous améliorerons notre représentation politique, puisque ce sont les décisions que les dirigeants mondiaux prennent aujourd’hui qui auront les plus grandes répercussions sur le monde dans lequel les jeunes vivront demain.

(2040)

Ce ne sont pas uniquement les politiques gouvernementales en matière d’éducation et de changements climatiques qui ont une incidence sur les jeunes. Lorsqu’un jeune envisage de déménager, il est touché par les politiques sur le logement. Lorsqu’un jeune décide d’un moyen de se déplacer, il est touché par la planification des transports en commun et des infrastructures. Lorsqu’un jeune se demande comment il va s’occuper de parents âgés, il est touché par les politiques relatives aux aînés. Lorsqu’un jeune cherche à entrer sur le marché du travail, il est touché par les politiques fiscales et économiques. Lorsqu’un jeune doit acheter de la nourriture pour lui-même ou sa famille, il est touché par le prix des aliments. Lorsqu’un jeune cherche à se faire soigner, il est touché par le niveau de financement du système de santé. Le nombre de jeunes qui souhaitent poursuivre des études postsecondaires est beaucoup plus élevé que le nombre de jeunes qui sont en mesure de le faire; ils sont touchés par le financement de l’éducation.

Les jeunes sont confrontés à des questions graves et importantes qui sont en lien avec le rôle du gouvernement. Depuis 2018, les personnes de moins de 18 ans sont deux fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les personnes âgées. Historiquement, le taux de chômage chez les jeunes est supérieur à celui de la population en général. Cependant, en raison de la COVID-19, les jeunes sont frappés de plein fouet par les perturbations économiques. En mai, le taux de chômage au Canada a grimpé à 13,7 %, mais le taux de chômage chez les jeunes a monté en flèche et atteint 29,4 %.

À cause de l’incidence de plus en plus importante des changements climatiques et des coûts qui y sont liés, ce sont les jeunes qui seront les plus touchés par notre inaction dans la transition vers une économie à faibles émissions de carbone et dans le développement de la résilience des infrastructures. Les conséquences de l’intervention du gouvernement touchent un groupe de gens qui sont assez matures pour se faire une opinion éclairée, mais qui ne peuvent pas exercer des droits démocratiques.

Honorables sénateurs, le projet de loi vise à réparer cet affront démocratique et à améliorer la représentation de la société canadienne dans les isoloirs en permettant à davantage de gens d’exprimer leur opinion sur la façon dont le gouvernement touche leur vie.

Faire passer l’âge du vote à 16 ans renforcera notre démocratie en augmentant le nombre de gens qui prennent l’habitude de voter. Des études ont montré que les électeurs qui votent lors des premières élections où ils peuvent le faire sont plus susceptibles de continuer à voter au cours de leur vie.

Ne pas faire participer les jeunes au processus démocratique pourrait avoir des conséquences négatives sur la santé à long terme de notre démocratie. Au cours des 70 dernières années, le taux de participation aux élections fédérales n’a pas dépassé une seule fois les 70 %.

En examinant la ventilation démographique du taux de participation, il est facile de jeter un regard plein de déception sur les jeunes de 18 à 24 ans, qui sont souvent les moins susceptibles de voter. Selon Élections Canada, ce sont les Canadiens de 18 à 24 ans qui ont montré le moins d’intérêt à voter; le taux de participation en 2019 n’a été que de 57,1 %.

La mobilisation des jeunes est une responsabilité partagée. Il incombe dans une certaine mesure aux jeunes de s’impliquer. Par expérience, je sais que les jeunes sont prêts et disposés à participer à un dialogue constructif sur des questions sérieuses, ainsi qu’à passer à l’action.

Cependant, la société doit aussi assumer une responsabilité réciproque en permettant aux jeunes de participer au système démocratique et en les amenant à s’intéresser à leur milieu.

Les auteurs d’études sur l’incidence de la décision de faire passer à 16 ans l’âge de voter ont constaté qu’elle favorise le taux de participation aux élections non seulement des jeunes, mais aussi des adultes qui vivent dans leur entourage. Une étude réalisée par l’Université de Copenhague a révélé que l’influence des parents et des pairs est l’un des facteurs qui permettent le mieux de prédire la probabilité qu’un électeur se rende aux urnes pour la première fois. Les données empiriques de l’étude contredisent l’hypothèse voulant que les jeunes votent moins souvent. En effet, l’étude a révélé que les jeunes qui vivent avec un ou deux parents qui votent sont plus susceptibles de se rendre aux urnes qu’un jeune de 18 ans qui ne vit plus chez ses parents.

L’étude a aussi révélé que, lorsqu’ils quittent le foyer familial pour travailler ou poursuivre des études supérieures, les jeunes subissent de la part de leurs pairs une influence égale ou supérieure à celle de leurs parents. Ils sont moins susceptibles d’aller voter que s’ils vivaient encore chez leurs parents.

Bref, les jeunes qui vivent à la maison avec le soutien de leurs parents sont beaucoup plus susceptibles de voter que les jeunes de 18 ans qui, souvent, ont déménagé loin de la maison familiale et sont plus influencés par leurs pairs que par leur famille.

Une autre étude a révélé que l’avantage d’être parent d’un électeur nouvellement inscrit est que le parent est plus susceptible de voter à la même élection, ce qui augmente donc la participation électorale globale. Fait important, plus un électeur est âgé avant de voter pour la première fois, moins il y a de chances qu’il vote pour la première fois.

Une étude portant sur des élections autrichiennes a démontré que le taux de participation des jeunes âgés de 16 et 17 ans était supérieur de près de 10 % à celui des 18-20 ans. Le constat est clair : le fait d’abaisser l’âge du droit de vote va permettre aux jeunes Canadiens de s’engager plus tôt dans le processus démocratique et d’augmenter la participation électorale à long terme.

L’abaissement de l’âge minimal requis pour voter a permis d’augmenter la participation électorale en Autriche et en Écosse, pour ne citer que ces deux pays.

En 2007, l’Autriche a abaissé l’âge du vote à 16 ans. Les chercheurs ont constaté une hausse plus forte du nombre de jeunes qui votaient pour la première fois chez les 16 à 17 ans que chez les jeunes de 18 à 20 ans. Ils ont également constaté que le taux de participation des 16 et 17 ans n’était pas sensiblement inférieur au taux de participation moyen de l’ensemble de la population votante.

Il a également été constaté en Autriche que les moins de 18 ans étaient capables et désireux de participer à la politique et que leurs valeurs pouvaient être reflétées fidèlement dans les décisions politiques — aussi fidèlement que celles des personnes âgées de 18 à 21 ans. L’étude a également révélé que rien ne prouvait que le faible taux de participation était dû à un manque d’intérêt ou de capacité à participer.

Les jeunes sont intéressés. Ils sont prêts à participer. Posons un geste pour renforcer la démocratie en améliorant la participation au processus électoral. Invitons davantage de personnes qui devraient contribuer aux décisions importantes concernant les politiques et les dépenses qui les concernent. Faisons confiance aux jeunes et aidons-les à devenir les leaders qui seront bientôt au centre de l’éventail dynamique des questions auxquelles est confrontée notre société.

Les jeunes sont prêts et aptes à voter à 16 ans. Les données recueillies dans les pays qui ont abaissé l’âge de voter montrent que l’abaissement à 16 ans de l’âge de voter a des effets positifs. Les jeunes sont des personnes engagées, intéressées et mûres qui souhaitent et devraient être entendues sur les enjeux importants qui les concernent, eux et leur communauté.

Il y a déjà eu des projets de loi d’initiative parlementaire visant à abaisser à 16 ans l’âge de voter, mais ils ont tous été présentés à l’autre endroit. Le projet de loi S-219 nous donne l’occasion, en tant que sénateurs, de moderniser et de revitaliser la démocratie.

Et pour ceux qui s’inquiètent que le vote des jeunes vienne perturber le paysage politique actuel, regardons les chiffres. Réduire l’âge du vote permettrait à environ 800 000 personnes d’exprimer leur voix lors d’une élection. Le Canada comptait au total un peu plus de 27 millions de personnes admissibles à voter en 2019. Si vous ajoutez les 800 000 jeunes de 16 et 17 ans à ce nombre, cela représente une augmentation de 2,9 % du nombre total d’électeurs admissibles. C’est une fraction d’électeurs par rapport à l’ensemble de l’électorat et cela ne perturbera pas la concurrence politique au Canada.

Si les critiques avancent que les jeunes vont seulement voter pour un genre de parti, je vous rappelle le principe qu’il faut respecter le fait qu’une personne désignée apte à voter a le droit d’exprimer sa préférence politique. Le facteur décisif qui détermine si une personne est admissible ou non à voter est si elle possède la maturité et la responsabilité sociale sur lesquelles repose la capacité de voter. Nous ne devrions pas élargir le droit de voter à un groupe de citoyens simplement en fonction de leurs allégeances politiques. Une telle façon de penser est contraire à l’éthique du principe même de la démocratie, où la voix du peuple est la source du pouvoir légitime.

Les gens disent souvent que les jeunes sont désintéressés. Ce n’est pas ce que je vois ni ce que j’entends. Les jeunes participent déjà activement à la vie dans leur collectivité. Ils s’impliquent à l’école secondaire, où ils se joignent à des clubs et sont membres du conseil étudiant. Ils pratiquent des sports collectifs et s’intéressent au théâtre. Ils organisent des collectes de fonds pour des projets communautaires.

(2050)

Les taux de participation aux élections ne confirment pas nécessairement l’idée que les jeunes se désintéressent de la politique. La seule chose dont nous puissions être certains concernant la faible participation aux élections est que, pendant une certaine période, après avoir atteint l’âge de 18 ans, les jeunes sont moins portés à s’engager sur le plan politique et à aller voter. Cela ne veut pas dire que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique ou aux causes sociales dont les gens ordinaires peuvent se sentir investis au point d’exprimer leurs opinions et de consacrer temps et énergie à façonner la société dans laquelle ils souhaitent vivre.

Nous devons offrir aux jeunes qui n’ont pas encore trouvé une façon de faire leur contribution de citoyens selon leurs intérêts à eux un moyen de participer au renforcement des collectivités canadiennes. Réduire l’âge minimum pour voter permettrait aux jeunes de s’intéresser aux enjeux qui touchent leur collectivité, de comprendre comment le gouvernement interagit avec elle et de connaître les organismes qui œuvrent pour les améliorer.

Réduire l’âge minimum pour voter permettrait aux jeunes qui en auraient envie de connaître des organisations ou des activités grâce auxquelles ils acquerraient de saines habitudes de participation citoyenne. Je pense qu’il vaut la peine de créer plus d’occasions pour les jeunes de découvrir comment ils peuvent consacrer temps et énergie au développement de leurs collectivités.

Quand j’ai commencé à travailler avec les jeunes de mon conseil jeunesse sur l’idée de réduire l’âge requis pour voter aux élections fédérales, ils m’ont fait savoir clairement qu’il faudrait une campagne nationale galvanisée par de jeunes chefs de file. Le conseil jeunesse, dont les membres viennent de partout au Canada, travaille avec diligence, mène des recherches et des consultations et propose des stratégies de mobilisation pour que les jeunes Canadiens participent à toutes les étapes du projet de loi. Le Comité de directeurs des jeunes sur le vote à 16 ans, formé de membres du conseil jeunesse, m’offre une aide précieuse. Il m’a offert, jusqu’ici, des points de vue et des commentaires approfondis à chaque étape de l’élaboration du projet de loi. C’est un chantier qui dure déjà depuis longtemps. Depuis ma première année au Sénat, j’ai consulté de nombreux cercles de jeunes au Manitoba et ailleurs au pays. Je suis résolue à continuer de consulter de jeunes chefs de file pendant les différentes étapes du processus parlementaire. J’invite donc les jeunes, les mouvements de jeunes et les organismes centrés sur les jeunes à s’investir. Ils peuvent devenir mobilisateurs pour le vote à 16 ans et prendre part au processus.

[Français]

Je conclurai avec les mots de la présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française, un organisme porte-parole pour la jeunesse franco-canadienne qui a été primordial dans le développement de la campagne pour le vote à 16 ans. Sue Duguay a dit ce qui suit :

Le projet de loi [proposé] remet sur la table un sujet de la plus grande importance. Je suis heureuse que la considération du vote à 16 ans soit toujours d’actualité. Les jeunes d’expression française s’engagent dans leur communauté — ce qui veut dire en politique — souvent bien avant la majorité. Autant de personnes qui ont un regard critique envers le système politique canadien, la voix des jeunes mérite d’être entendue et considérée.

La question du vote à 16 ans est bien plus large que d’exercer son droit de vote. Nous devons travailler ensemble, de concert avec les provinces et territoires, pour accroître l’éducation civique pour tous les jeunes Canadiennes et Canadiens. Nous implorons le gouvernement fédéral de considérer ce projet de loi attentivement puisqu’il adresse positivement un enjeu qui est prioritaire pour les jeunes depuis longtemps.

Encore une fois, c’est un honneur pour moi de porter le flambeau pour une démocratie juste et inclusive.

[Traduction]

Nous devons inviter les jeunes chefs de file à participer aux décisions, car ce sont des membres de la société qui sont mûrs, engagés et bien informés. Ce sont nos partenaires et des acteurs essentiels dans la gouvernance à long terme de nos institutions et la revitalisation de la démocratie canadienne. Ils méritent d’avoir le droit de vote.

Merci, meegwetch.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Miville-Dechêne, au nom de la sénatrice Omidvar, le débat est ajourné.)

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Deuxième rapport du comité—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du deuxième rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, intitulé Examen d’un rapport d’enquête du Conseiller sénatorial en éthique, présenté au Sénat le 18 juin 2020.

L’honorable Dennis Glen Patterson propose que le rapport soit adopté.

— Honorables sénateurs, je m’adresse aujourd’hui à vous au nom du Comité sénatorial permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et je vais parler de son deuxième rapport, qui porte sur le sénateur Victor Oh.

Je vous rappelle, pour vous remettre dans le contexte, qu’en avril 2017, le sénateur Oh s’est rendu à Pékin et dans la province du Fujian, en Chine.

Le 11 janvier 2018, le conseiller sénatorial en éthique a amorcé un examen préliminaire sur le voyage du sénateur Oh. Le 22 mars 2018, il a décidé d’instituer une enquête sur l’affaire.

Le 18 février 2020, le comité a reçu le rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique, qui a été déposé au Sénat et rendu public le jour même.

Dans son rapport, le conseiller sénatorial en éthique a conclu que le sénateur Oh a enfreint l’alinéa 2(2)c) et le paragraphe 17(1) du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs. Selon lui, le sénateur Oh n’a pas respecté le principe énoncé à l’alinéa 2(2)c) du code en n’opérant pas de séparation nette entre ses affaires publiques et sa vie personnelle. Il a également conclu que le sénateur Oh avait enfreint le paragraphe 17(1) du code en acceptant un paiement de sa sœur pour le voyage qu’il a effectué et en acceptant des dîners offerts par une firme-conseil en investissement chinoise, Pantheon Assets Ltd., et par Xiamen Airlines.

Le comité aimerait également attirer l’attention du Sénat sur quelques observations formulées par le conseiller sénatorial en éthique dans son rapport d’enquête, qui portent sur la crédibilité et l’intégrité du sénateur Oh pendant le processus d’enquête. Plus précisément, le conseiller sénatorial en éthique a découvert que le sénateur Oh a tenté de l’induire en erreur, a omis de fournir certains renseignements et a donné un témoignage incomplet.

Il convient de noter que même si le conseiller sénatorial en éthique a relevé des violations du paragraphe 2(2)c) et de l’article 17(1) du code, il n’a pas proposé de mesures correctives parce qu’il affirme qu’il n’y en a pas dans cette situation.

Néanmoins, le conseiller sénatorial en éthique a jugé que les agissements du sénateur Oh pendant l’enquête constituent des facteurs aggravants dont il faut tenir compte dans l’évaluation des sanctions et des pénalités.

Lorsque le comité s’est penché sur le rapport d’enquête pour formuler ses conclusions, il a examiné l’analyse et les conclusions du conseiller sénatorial en éthique relativement à l’inconduite du sénateur Oh. Le comité a aussi pris au sérieux les observations du conseiller sénatorial en éthique au sujet de la conduite du sénateur Oh pendant l’enquête.

(2100)

Selon le comité, par sa conduite qui va à l’encontre du code, le sénateur Oh a manqué aux normes en matière de responsabilité et de reddition de comptes inhérentes à la fonction de sénateur. Le comité a jugé préoccupant le fait que le sénateur Oh semblait avoir manqué de sincérité et tenté d’induire en erreur le conseiller sénatorial en éthique pendant l’enquête, ce qui avait entravé et retardé l’enquête. Le comité souligne que cette conduite va à l’encontre de la façon dont les sénateurs sont tenus de se comporter au titre du processus d’application prévu dans le code, et qu’il s’agit là de facteurs aggravants au moment de déterminer les sanctions à recommander.

Par conséquent, le comité recommande que le Sénat blâme le sénateur Oh. Le blâme est une forme reconnue d’expression du mécontentement d’un corps législatif à l’égard de la conduite d’un de ses membres. En adoptant cette sanction, le Sénat montrerait qu’il partage l’avis du comité, à savoir que le sénateur Oh ne s’est pas conduit de manière appropriée dans cette affaire, et il rappellerait l’importance de se conformer au code.

En terminant, le public exige un niveau élevé de responsabilité et de reddition de comptes de la part des sénateurs. Afin de préserver et d’améliorer la confiance du public envers l’intégrité du Sénat, et afin que les sénateurs puissent compter sur des directives claires lorsqu’ils doivent gérer des cas potentiels de conflits d’intérêts, le Sénat a adopté le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, en 2005. Ce document énonce les normes et établit un processus transparent qui encadrent la résolution des questions relatives à la conduite des sénateurs.

On attend de tous les sénateurs qu’ils comprennent et respectent les principes du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et qu’ils contribuent au bon fonctionnement et à l’intégrité du processus pour appliquer le code. Par conséquent, le comité tient à rappeler aux sénateurs leurs obligations individuelles et collectives en vertu de ce document. Les sénateurs sont tenus de constamment faire preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de leurs fonctions, y compris pour tout ce qui touche les voyages et le remboursement de leurs dépenses connexes.

À cet égard, le Comité souhaite préciser à quoi sont tenus les sénateurs au titre du paragraphe 17(1) du code. Selon le paragraphe 17(1) du code, un sénateur ne peut pas, directement ou indirectement, accepter de cadeaux ou d’autres avantages qui pourraient raisonnablement être considérés comme ayant un rapport avec la charge du sénateur. Or, c’est ce qu’a fait le sénateur Oh en acceptant que sa sœur paie les frais de la partie du voyage liée à ses fonctions officielles. L’exception prévue au paragraphe 17(2) du code permet aux sénateurs d’accepter des cadeaux ou des avantages qui sont des marques d’accueil ou de protocole, mais le voyage accepté par le sénateur Oh outrepasse cette exception.

Les sénateurs se rappelleront que s’ils se prévalent de cette exception et que la valeur du cadeau ou de l’avantage est supérieure à 500 $, ou que la valeur des cadeaux reçus d’une même source au cours d’une année excède 500 $, ils doivent le divulguer au conseiller sénatorial en éthique, tel que l’exige le paragraphe 17(3).

Outre la question des frais de déplacement, il y a les activités qui ont eu lieu durant le voyage. Le sénateur Oh a assisté à des dîners tenus en son honneur et commandités par des entités qui ont des intérêts liés à la charge du sénateur. Bien qu’assister à un dîner tenu à titre protocolaire n’est pas contraire au code, le fait d’accepter d’assister à un dîner tenu en son honneur et découlant de réunions officielles liées à la charge de sénateur dépasse la mesure, car il ne s’agit plus alors d’une simple marque d’accueil qui pourrait faire l’objet d’une exception.

Honorables collègues, il faut faire preuve d’une extrême prudence en ce qui concerne les cadeaux et autres avantages. En cas de doute, le comité encourage tous les sénateurs à demander confidentiellement les conseils et l’opinion du conseiller sénatorial en éthique afin de s’assurer qu’ils continuent à respecter le code. Même si un sénateur se conforme pleinement aux règles, il est tout de même utile de tenir compte du fait que les Canadiens pourraient avoir l’impression que des groupes ou des organismes offrent des cadeaux et d’autres avantages aux parlementaires afin d’avoir accès à eux ou d’exercer une influence sur eux.

Enfin, le comité souhaite souligner qu’il considère que tout geste visant à induire en erreur le conseiller sénatorial en éthique ou le comité dans son travail doit être vu comme un facteur aggravant au moment de l’examen des sanctions. D’ailleurs, le comité envisage d’apporter d’autres modifications au code pour souligner l’importance de ce principe.

Il revient maintenant à chaque sénateur d’examiner le rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique et le deuxième rapport du comité pour faire ce qui s’impose.

Je vous remercie, honorables sénateurs.

Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-30(2) du Règlement, nous ne pouvons pas encore prendre une décision au sujet de ce rapport. À moins qu’un sénateur ne veuille proposer l’ajournement, le débat sera ajourné d’office jusqu’à la prochaine séance du Sénat.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Conformément à l’article 12-30(2) du Règlement, la suite du débat sur la motion est ajournée à la prochaine séance.)

Les enjeux concernant l’Arctique

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Bovey, attirant l’attention du Sénat sur la nécessité de renouveler et approfondir son intérêt pour les enjeux concernant l’Arctique.

L’honorable Margaret Dawn Anderson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation de la sénatrice Bovey à propos de la nécessité de renouveler et d’approfondir l’intérêt du Sénat pour les enjeux concernant l’Arctique en créant un comité sénatorial de l’Arctique. Ce comité reprendrait le mandat entier du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique de la 42e législature.

Je tiens à souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes. Je prends la parole à titre de membre du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique, d’Inuvialuite de l’Arctique et de sénatrice des Territoires du Nord-Ouest. La région que je représente compte une population de 44 895 habitants, qui se trouvent dans 33 collectivités situées sur un territoire d’environ 1,3 million de kilomètres carrés. On y dénombre 11 langues officielles, et 50 % de la population est autochtone.

Contrairement au Sud du Canada, dans les Territoires du Nord-Ouest, nous sommes aux prises avec des écarts grandissants en ce qui concerne la sécurité alimentaire, le logement, l’éducation et les soins de santé. Nous constatons une surreprésentation des Autochtones dans le système de justice et le système des services à l’enfance et à la famille. Ces problèmes ne datent pas d’hier. Ce sont les séquelles laissées par le racisme systémique et les politiques coloniales du gouvernement fédéral.

Ces problèmes sont devenus encore plus évidents en cette période de confinement et de distanciation physique à cause de la COVID-19. Dans les 33 collectivités, la perspective d’une éclosion de COVID-19 donne froid dans le dos pour de nombreuses raisons : les logements surpeuplés, l’accès limité aux hôpitaux et aux soins de santé spécialisés, une population ayant globalement une vulnérabilité accrue aux maladies respiratoires et la dépendance aux transporteurs aériens pour assurer le réapprovisionnement et les déplacements médicaux.

Pour protéger les habitants des Territoires du Nord-Ouest, le gouvernement territorial a interdit tous les déplacements non essentiels le 21 mars. Les frontières sont encore aujourd’hui fermées, à quelques exceptions près. Des centres d’isolement obligatoire, où les voyageurs doivent demeurer confinés pendant 14 jours, ont été établis à Yellowknife, Inuvik, Hay River et Fort Smith pour prévenir la contagion dans les petites localités éloignées.

(2110)

Bien que le confinement qui a accompagné les mesures ait réussi à limiter la propagation de la COVID-19 dans les Territoires du Nord-Ouest — les cinq cas confirmés dans la région ont été traités —, la pandémie a eu des conséquences considérables sur l’économie du territoire. L’extraction des ressources naturelles et le tourisme sont les sources principales de notre PIB, et même si les restrictions liées au confinement commencent à être assouplies, les deux secteurs sont actifs pendant la saison estivale, toujours très courte et intense, qui est déjà commencée. Il est peu probable que les entreprises de ces secteurs retrouvent leur pleine capacité avant 2021.

Je devrais également mentionner que le déconfinement progressif aux Territoires du Nord-Ouest ne suffit absolument pas à amoindrir les craintes qu’une pandémie mondiale suscite chez les Ténois. Les aînés se souviennent de la dernière fois que c’est arrivé. À l’été 1928, pendant son trajet annuel sur le fleuve Mackenzie, un navire de ravitaillement de la Compagnie de la Baie d’Hudson, le Distributor, a propagé une souche mortelle de grippe. L’épidémie qui a suivi a tué de 10 à 15 % de la population autochtone du territoire, et ce sont les camps isolés qui ont été le plus durement touchés. D’après ce qu’on raconte, à certains endroits, il n’y avait plus personne pour enterrer les morts.

En plus du nouveau risque qui touche actuellement la santé publique, les changements climatiques entraînent une modification rapide de notre territoire. Comme le soulignent les membres de la communauté et les scientifiques, la glace recule et s’amincit, ce qui rend les déplacements hivernaux imprévisibles. La fonte rapide du pergélisol menace nos collectivités, notre infrastructure, notre mode de vie et la sécurité de nos gens. Dans ma communauté, Tuktoyaktuk, nous devons déjà modifier nos pratiques de cueillette et de chasse de subsistance parce qu’il y a moins de glace et que le saumon, qu’on ne trouvait jamais dans nos filets autrefois, abonde maintenant dans les eaux de l’Arctique.

Les Territoires du Nord-Ouest doivent déjà agir pour protéger des infrastructures menacées. Au printemps, pendant le confinement lié à la COVID-19, le conseil du hameau de Tuktoyaktuk a dû déplacer quatre maisons privées en raison de l’érosion du terrain soutenant les fondations sur pieux. C’est une nouvelle réalité à Tuktoyaktuk. La hausse du niveau de la mer fait que celle-ci engloutit graduellement le territoire de Tuktoyaktuk. Selon les projections, en l’absence d’une intervention humaine, le hameau sera presque totalement submergé dans 80 ans.

Dans l’ensemble des Territoires du Nord-Ouest, la saison des routes d’hiver est plus courte. Le début en est souvent retardé et la fin en est de plus en plus imprévisible. Les communautés isolées comptent sur les routes de glace pour leur réapprovisionnement annuel, mais la saison des routes de glace est aussi une période de déplacement intense entre les communautés. Cependant, elle est de plus en plus dangereuse. Ces dernières années, des véhicules sont passés à travers la glace et des voyageurs sont restés pris dans la boue à des centaines de kilomètres de toute communauté lorsque les routes ont soudainement fermé.

Nous nous heurtons à des problèmes de taille. La vie des peuples autochtones de l’Arctique a été façonnée par une histoire de colonisation, d’aliénation, de suppression des droits et d’assimilation. Malgré tout, nous n’avons pas perdu notre culture, notre créativité, notre résilience, notre humour, notre esprit d’innovation et notre détermination. Nous avons toujours exigé de participer activement à l’écriture de notre histoire pour remettre les pendules à l’heure en ce qui concerne la perception et le discours traditionnels sur l’Arctique. Nous exigeons de faire partie de la solution pour combler les écarts socioéconomiques qui nous séparent du reste du Canada.

Comment l’Arctique et le Nord sont-ils devenus partie intégrante du Canada? L’Acte de la Terre de Rupert de 1868 a vu les Territoires du Nord-Ouest achetés pour 300 000 livres. Pour ce prix, le Dominion du Canada a acheté 20 % des terres arables du territoire à la Compagnie de la Baie d’Hudson. À l’époque, cette région était composée des provinces des Prairies, de certaines parties du Nord du Québec, du Nord de l’Ontario, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. En 1870, le transfert du titre de propriété au Canada est devenu officiel. Les peuples autochtones du territoire, c’est-à-dire les Inuits, les Premières Nations et les Métis, n’ont pas été consultés.

Il est intéressant de noter qu’un sénateur est à l’origine du chapitre suivant de l’histoire du Canada. En 1888, avec la découverte de réserves de pétrole et de minéraux dans l’Arctique, le sénateur John C. Schultz a lancé un plan de développement de la région qui devait permettre de répondre aux besoins du reste du Canada. Lors d’une réunion du Sénat en mars 1888, le sénateur Schultz a proposé qu’un comité restreint soit créé pour enquêter sur la valeur d’une vaste région qui était décrite comme suit :

[la région] située au nord du bassin versant de la rivière Saskatchewan, à l’est des montagnes Rocheuses et à l’ouest de la baie d’Hudson, qui comprend le grand bassin du Mackenzie [...]

C’est ainsi qu’a commencé, sous l’impulsion du Sénat, l’implication du gouvernement fédéral dans l’Arctique et le Nord du Canada. Conséquence directe des conclusions du rapport du comité restreint, des traités historiques ont été négociés et signés avec les peuples autochtones de la Terre de Rupert.

Malgré cet intérêt de la part du Sud, la politique fédérale concernant l’Arctique en général et les Inuits en particulier est restée au mieux un exercice d’improvisation. En 1923, une modification à la Loi sur les Indiens a transféré 6 538 « Esquimaux » sous la tutelle du surintendant général des affaires des Sauvages. Avant cette date, les Inuits ne relevaient d’aucun ministère. En 1930, cette décision a été annulée et c’est le ministère de l’Intérieur qui a été chargé des Inuits. On s’attendait toutefois à ce que, comme les Inuits ne vivaient qu’au Québec, le gouvernement de cette province participe au financement du programme d’aide à leur intention.

En 1935, le gouvernement du Québec a porté la question de la responsabilité à l’attention de la Cour suprême, arguant que les Inuits étaient des Indiens en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. Le 5 avril 1939, la Cour Suprême a déclaré que les Inuits étaient considérés comme des Indiens au Canada. Depuis des décennies, nous, les peuples autochtones de l’Arctique, sommes soumis à des lois et à des politiques élaborées dans le Sud qui dictent nos vies et modifient notre histoire. Il est plus que temps que les habitants du Nord participent aux décisions qui les concernent.

Honorables sénateurs, vers la fin de la dernière législature, il me semble qu’on commençait tout doucement à Ottawa à de plus en plus reconnaître l’importance de la participation du Nord dans l’établissement des politiques et la prise de décisions au niveau fédéral. Dans son rapport intitulé Le Grand Nord : Un appel à l’action pour l’avenir du Canada, le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique indique combien il est important que les résidents du Nord prennent part aux décisions qui les touchent. Le nouveau Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord du Canada a été élaboré dans cette optique. Il est temps maintenant de prendre des mesures concrètes pour assurer l’inclusion et la participation.

Tant le rapport du comité spécial que le cadre stratégique pour l’Arctique définissent l’Arctique et le Nord du Canada de façon large. La région englobe les trois territoires, ainsi que la totalité de l’Inuit Nunangat, la région désignée des Inuvialuit dans les Territoires du Nord-Ouest, le territoire du Nunatsiavut au Labrador et le territoire du Nunavik au Québec. Un grand nombre des principales priorités formulées dans le rapport du comité et le cadre stratégique pour l’Arctique sont les mêmes, notamment s’attaquer aux disparités socioéconomiques; renforcer les infrastructures; bâtir des économies fortes, durables et diversifiées; assurer une meilleure synergie de la science et du savoir autochtone; renforcer la sûreté, la sécurité et la défense; s’attaquer au problème des changements climatiques; et arriver à l’autodétermination.

Honorables sénateurs, ces documents contiennent la voix de ceux qui vivent, travaillent, survivent et se battent pour apporter l’égalité dans l’Arctique, dans le Nord et à leurs habitants. Je pense que, en tant que sénateurs, nous avons un rôle important à jouer en écoutant et en amplifiant la voix des gens du Nord. Ce rôle remet en question le rôle historique joué par le Sénat dans les politiques coloniales du Canada. En 1970, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a déclaré ce qui suit :

En un an, nous ne pouvons pas corriger les injustices ou les malentendus qui durent depuis 100 ou 200 ans, et nous ne pouvons certainement pas y arriver seuls.

Collectivement, nous avons le pouvoir de remodeler la manière dont le gouvernement fédéral interagit avec le Nord. Il est grand temps que les décideurs à Ottawa se préoccupent non seulement de ce que l’Arctique peut faire pour le Canada, mais aussi de ce que le Canada peut faire pour l’Arctique et ses habitants.

Pourquoi le Sénat devrait-il miser sur l’Arctique? Premièrement, l’Arctique se trouve en première ligne par rapport aux répercussions socioéconomiques des changements climatiques et de l’ouverture du passage du Nord-Ouest qu’entraînent ces changements, ce qui a stimulé l’intérêt international pour nos eaux arctiques.

Deuxièmement, les territoires représentent à eux seuls une vaste zone géographique de 3,9 millions de kilomètres carrés, soit près de 40 % de la masse terrestre du Canada et 162 000 kilomètres de son littoral. Dans cette enceinte, trois sénateurs représentent à eux seuls trois territoires et 66 collectivités. Quelle que soit la force de nos voix, cela place donc les intérêts du Nord dans une position naturellement désavantageuse lorsqu’il s’agit de sensibiliser les gens et de défendre la cause de notre vaste région.

Troisièmement, l’Arctique se situe politiquement au cœur de l’évolution des relations de gouvernement à gouvernement. En effet, cette région est le lieu où bon nombre de traités modernes ont été signés. Par ailleurs, plusieurs ententes sur l’autonomie gouvernementale et sur les revendications territoriales y font actuellement l’objet de négociations.

(2120)

En terminant, sur une note personnelle, je ne peux m’empêcher d’être déçue quand je vois à quel point les gens connaissent peu le Nord, ses habitants, son histoire et sa situation actuelle. Même s’il s’agit d’un pan essentiel de l’identité canadienne, on dirait qu’il n’y a rien de plus facile que de nous oublier, nous qui habitons là-bas.

Depuis que j’ai été nommée, j’ai appris que l’identité nordique du Canada correspond à l’image que les gens du Sud se font du Nord. Or, quand cette image nous est renvoyée, elle est complètement méconnaissable pour nous.

Le Nord est très différent du Sud, et je peux vous dire que l’écart entre l’Arctique et la partie sud du Canada continue de se creuser. J’ai presque l’impression d’arriver dans un autre pays quand je viens à Ottawa. Selon moi, cette différence est impossible à saisir si on n’a jamais vécu dans le Nord, et c’est pour cette raison que nous devons absolument créer un espace, ici à Ottawa, où les voix du Nord pourront se faire entendre, oui, mais aussi servir de catalyseur à des changements historiques.

Honorables collègues, moi qui m’adresse aujourd’hui à vous, je suis fermement convaincue que l’intérêt du Canada pour l’Arctique doit se refléter dans une relation mutuellement avantageuse pour le Nord et pour le Sud. L’Arctique est partie prenante de l’identité nationale canadienne, et la souveraineté du Canada en Arctique ne saurait se faire sans ses habitants.

Surtout, pour les gens qui vivent dans l’Arctique, c’est chez nous. L’Arctique subvient à nos besoins depuis des milliers d’années et fait partie intégrante de ce que nous sommes dans tous les aspects de notre existence. Il s’agit d’une relation réciproque : nous sommes tout aussi responsables de la survie de l’Arctique — ses eaux, ses terres, sa faune et sa flore — qu’il est responsable de la nôtre.

Selon la page « Les aspects essentiels des comités du Sénat » du site Web du Sénat : « Un comité spécial est établi pour entreprendre une étude sur une question donnée ou étudier un projet de loi particulier. »

Chers collègues, nous n’avons pas besoin d’une autre étude. Nous avons besoin d’un comité permanent ou mixte qui aurait une perspective plus large et qui nous permettrait d’être proactifs, de recueillir activement les points de vue des gens du Nord, d’appliquer ce que nous savons déjà à notre travail pour que tous les peuples du Canada soient traités équitablement.

Pour s’attaquer aux difficultés auxquelles se heurte l’Arctique, il faut créer un espace au fédéral où on pourra bâtir des relations et chercher activement des solutions viables. Pour ce faire, il doit y avoir un engagement véritable et des efforts concertés de la part des ordres de gouvernement fédéral, territoriaux, municipaux et autochtones, nous y compris.

Paradoxalement, 132 ans après que le sénateur Schultz ait cherché à mettre sur pied un comité spécial pour examiner ce que l’Arctique pouvait apporter au Canada, je sollicite aujourd’hui votre appui pour créer un comité sur l’Arctique qui servirait autant les intérêts des citoyens du Nord que ceux des autres régions du Canada. Nous avons un rôle privilégié pour concevoir une approche exhaustive et inclusive pour examiner les questions propres au Nord et qui pourrait orienter nos débats et nos mesures législatives. Au bout du compte, cela aurait une incidence très bénéfique sur l’Arctique, le Nord, leurs populations ainsi que toutes les régions du Canada. Comme l’a dit Thomas Jefferson : « J’aime les rêves de l’avenir mieux que l’histoire du passé. »

Je compte sur votre appui pour aller de l’avant. Quyanainni. Quana. Merci.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Votre discours était exceptionnel, sénatrice Anderson.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Sénat

Motion tendant à ce qu’aucun comité du Sénat ne soit considéré comme étant un comité permanent ou spécial jusqu’à la fin de la présente session—Ajournement du débat

L’honorable Pierre J. Dalphond, conformément au préavis donné le 16 juin 2020, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, ordre antérieur ou pratique habituelle, dès l’adoption du présent ordre, et jusqu’à la fin de la présente session, aucun comité du Sénat ne soit considéré comme étant un comité permanent ou spécial aux fins de l’application des alinéas 62.1(1)g) et h) de la Loi sur le Parlement du Canada.

— Honorables sénateurs, je voudrais vous préciser les motifs au soutien de la motion inscrite à mon nom, portant qu’aucun salaire supplémentaire ne soit versé aux présidents et vice-présidents des comités du Sénat, et ce, pour le reste de la session, en attendant de faire des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada.

La COVID-19 et la grave crise économique qu’elle a engendrée, y compris la précarité financière de millions de Canadiens et la création de déficits massifs dans les finances publiques, font qu’il est plus nécessaire que jamais que nous nous interrogions sur certaines de nos pratiques, notamment celle de payer des salaires additionnels aux présidents et vice-présidents de nos comités permanents et spéciaux.

Par exemple, la motion du 11 mars 2020 a permis, en pleine pandémie et récession, d’augmenter de six le nombre de sénateurs pouvant bénéficier d’un salaire additionnel de 12 500 $ ou de 6 200 $, à titre de président ou de vice-président d’un comité, montant qui s’ajoute à notre salaire de base actuel de 157 600 $ à la suite de l’augmentation de 3 000 $ du 1er avril 2020 que plusieurs sénateurs, moi y compris, ont décidé de remettre à des organismes de charité pour aider les Canadiens en difficulté durant cette période. Cette motion du 11 mars porte à plus de 50 le nombre de postes autorisant l’un ou l’autre des 96 sénateurs actuels à percevoir un salaire additionnel.

Cela dit avec tout le respect que je vous dois, je crois qu’il est temps de faire marche arrière.

Honorables sénateurs, saviez-vous qu’en 1873 la loi qui traitait des indemnités pour les députés et des salaires pour les Présidents des deux Chambres du Parlement, que l’on appelle aujourd’hui la Loi sur les traitements, ne prévoyait des salaires supplémentaires que pour les ministres, y compris le premier ministre, le Président du Sénat et le Président de la Chambre des communes?

Les salaires des députés et des sénateurs, de même ceux des deux Présidents, sont aujourd’hui intégrés dans la Loi sur le Parlement. Un salaire supplémentaire pour le leader de l’opposition à la Chambre des communes a été ajouté en 1906. En 1920, on a ajouté le poste de Président suppléant de la Chambre des communes; 50 ans plus tard, en 1975, un amendement a permis d’ajouter les postes de vice-président et de vice-président adjoint du comité plénier de la Chambre des communes. Du côté du Sénat, le premier ajout n’a eu lieu qu’en 1947 pour prévoir des salaires supplémentaires pour le leader du gouvernement et le leader de l’opposition. En 1998, un nouvel amendement a autorisé le versement d’un salaire additionnel au Président intérimaire.

[Traduction]

Honorables sénateurs, ce n’est que depuis 2001 que les titulaires des postes de président et de vice-président des comités sénatoriaux permanents — il y avait 15 comités à l’époque — ont droit à un salaire supplémentaire, ce qui correspond à l’ajout d’environ 30 postes rémunérés. Autrement dit, de 1867 à 2001 — soit pendant plus d’un siècle —, les titulaires de ces postes n’avaient droit à aucun salaire supplémentaire, ni à des prestations de retraite bonifiées, bien sûr.

De plus, comme je l’ai dit, la situation a changé en 2001, puisque 30 postes ont été ajoutés. On l’a fait non pas à la demande du Sénat, mais seulement pour faire écho à la proposition d’offrir un salaire supplémentaire aux titulaires de postes équivalents à la Chambre des communes. Le gouvernement de l’époque a proposé ce changement à l’autre endroit afin d’ajouter au moins 18 nouveaux postes rémunérés à répartir entre les membres de chaque caucus, outre les postes de ministre et de secrétaire parlementaire, pour un total de 74 députés du parti au pouvoir recevant un salaire supplémentaire.

Cela signifie également que 36 nouveaux postes rémunérés sont offerts à des membres des partis de l’opposition, puisqu’il y a deux vice-présidents dans tous les comités de la Chambre des communes. Peu de gens se sont opposés à un tel changement, à l’exception d’un seul parti, l’Alliance canadienne.

En 2003, un autre amendement a étendu le droit aux présidents et aux vice-présidents des comités spéciaux. Lors de l’examen de cet amendement par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, l’ancien sénateur Serge Joyal s’est interrogé sur la nécessité — et même sur la sagesse — de verser des salaires supplémentaires aux présidents et aux vice-présidents de tous les comités.

Le 17 juin 2003, il a déclaré :

[Il s’agit d’un] poste qui, en pratique, n’impose pas tellement plus de responsabilités ou de travail que le poste d’un député ou d’un sénateur qui fait le travail de préparation d’un projet de loi, assiste à toutes les réunions du comité, prépare les questions, et, à l’occasion, prépare les amendements [...]

Pourquoi donner un bénéfice additionnel à une personne qui est souvent choisie d’une manière particulière? Dans la mesure du possible, on doit garder une certaine forme d’équilibre dans le système et éviter l’introduction d’éléments qui visent à différencier le travail des députés et des sénateurs [...]

On ajoute énormément à la liste des personnes qui, dans le Parlement, reçoivent des montants supplémentaires [...]

Qui ne reçoit pas quelque chose de plus dans le système aujourd’hui? Il reste les soldats, les sans-grade, les poilus, les grognards et les dragons.

Tout le système est conçu comme étant un système de récompense qui semble avoir un effet sur le comportement des parlementaires.

(2130)

Justement, l’ajout en 2001 et 2003 de plus de 30 postes rémunérés au sein du Sénat a entraîné une violation indue du principe d’égalité entre tous les sénateurs et a renforcé les pouvoirs des dirigeants des deux caucus qui existaient à cette époque, qui étaient alors autorisés à nommer les personnes ayant droit à ces postes. Depuis la formation de nouveaux groupes, la répartition des postes de présidence et de vice-présidence a commencé à faire l’objet de négociations musclées, puisque chaque groupe fait des pieds et des mains pour obtenir pour ses membres un maximum de postes rémunérés, ce qui a en outre entraîné la création calculée de postes rémunérés supplémentaires en vue de plaire à un plus grand nombre de personnes.

Par exemple, lors de la dernière législature, une entente conclue entre tous les groupes du Sénat a mené à la création de 10 postes rémunérés supplémentaires de deuxième vice-président. En novembre 2017, les leaders ont demandé au sénateur Day d’expliquer cette nouveauté au Sénat. Après son discours, la sénatrice Tardif lui a demandé pourquoi dix comités seulement seraient dotés de deux postes rémunérés de vice-président, alors que le comité directeur de sept autres comités n’aurai t droit qu’à un troisième membre non rémunéré. Plus précisément, la sénatrice Tardif lui a demandé s’il trouvait que cette manière de procéder était juste et équitable. Le sénateur Day lui a répondu ceci :

Non. Cela dit, comme c’est souvent le cas lorsqu’on en vient à une entente, il fallait faire un compromis. Il y a eu de nombreuses propositions différentes. Au début des négociations, mon point de vue était que tous les comités devraient avoir deux vice-présidents égaux, comme les comités de la Chambre des communes. Certaines personnes autour de la table ne voulaient pas de vice-présidents du tout. Nous avons trouvé un compromis.

Je n’essaierai pas de vous convaincre que c’est une décision qui repose sur une logique à toute épreuve [...]

Autrement dit, c’est le résultat d’une négociation, et non l’aboutissement d’une démarche guidée par la logique ou par des principes.

Sénateurs, la même chose vaut pour la motion du 11 mars 2020. Elle a créé six postes rémunérés supplémentaires dans le but de concrétiser une entente, en passant outre au Règlement du Sénat. Parmi ces six postes figurent ceux de président et de vice-président du Comité de sélection.

[Français]

Le cas du Comité de sélection est particulièrement intéressant. Rappelons-nous qu’il n’y a que sept ans, le Règlement du Sénat a été modifié de sorte à désigner ce comité comme n’étant ni un comité permanent ni un comité spécial. Le sénateur Carignan avait proposé ce changement à la suite d’une controverse publique liée au versement pendant quelques années d’un salaire supplémentaire — de 11 200 $, à l’époque — à la présidente du comité, lequel avait siégé très peu fréquemment.

Malgré cet historique, la motion du 11 mars, sans préavis au débat, a rétabli des salaires additionnels pour le Comité de sélection. Le résultat est le suivant : le président reçoit un salaire de 12 500 $, et la vice-présidente, de 6 200 $. De plus, cette motion a créé un deuxième poste de vice-présidence rémunéré au sein de quatre comités. Certes, l’ajout de six postes rémunérés, c’est toujours mieux que l’ajout de 11 postes rémunérés, comme ce qui s’est produit en 2017. Toutefois, tout cela n’est pas très satisfaisant. Ainsi, si cette motion n’est pas abrogée, lorsque nous reviendrons en septembre et que nous pourrons enfin former des comités permanents, certains auront un sous-comité directeur composé d’un troisième membre rémunéré, alors que, dans la majorité des comités, le troisième membre ne sera pas rémunéré, et ce, pour accomplir les mêmes tâches et fonctions.

[Traduction]

La distribution transactionnelle des postes rémunérés n’est pas une bonne chose. Pour plusieurs, cela ressemble à une culture du privilège et entache la réputation du Sénat, comme nous l’avons constaté dans les médias. Comme le gouvernement travaille à une modification de la Loi sur le Parlement du Canada afin qu’elle reflète davantage la nouvelle réalité du Sénat, notamment la fin du duopole partisan et l’émergence de nouveaux groupes indépendants des partis politiques, nous avons besoin d’une politique qui ne soit pas à l’image de la Chambre des communes, mais plutôt propre au Sénat. À mon avis, cette politique devrait amener le retour à la pratique qui a longtemps eu cours : ne pas rémunérer davantage les présidents et les vice-présidents des comités. Le Sénat est composé de personnes talentueuses et dévouées, et je sais qu’il y aura de nombreux volontaires pour occuper ces postes de présidents et de vice-présidents, même si aucune rémunération supplémentaire ne leur est accordée.

D’ailleurs, à la Chambre des lords du Royaume-Uni, le modèle à partir duquel le Sénat a été formé, le président d’un comité, qu’il s’agisse d’un comité particulier ou d’un comité spécial, ne reçoit aucune rémunération supplémentaire. Au Sénat des États-Unis, être président ou vice-président ne confère pas de rémunération supplémentaire. Ces postes sont vus comme étant des postes prestigieux, et il ne manque pas de candidats, malgré la charge de travail accrue et le lot de stress qu’impliquent ces fonctions.

En parlant du Sénat des États-Unis, sur les 100 sénateurs américains élus, seulement trois ont droit à un léger supplément salarial : le président intérimaire, le chef de la majorité et le chef de la minorité. Certains diront peut-être que les sénateurs américains sont des gens riches, beaucoup plus riches que nous le sommes, mais là n’est pas le principe qui répond à la question. En contrepartie, le Sénat du Canada compte en ce moment 96 sénateurs nommés et plus de 50 postes donnant à leur titulaire un supplément salarial, y compris, conformément à la motion adoptée le 11 mars, 45 postes de présidents et de vice-présidents de comité.

L’éventuel comité de vérification et le comité spécial sur la COVID-19 ajouteront au moins 4 autres postes à cette liste, portant le total à 49. Incidemment, le caucus conservateur compte maintenant 21 sénateurs qui, ensemble, ont droit, en vertu de la loi actuelle, de notre Règlement et de nos motions qui s’appliquent nonobstant les règles en vigueur, à environ le même nombre de postes rémunérés.

Honorables sénateurs, malgré tout le respect que je vous dois, cela n’a aucun sens. J’invite le gouvernement actuel, lorsqu’il modifiera la Loi sur le Parlement du Canada, à éliminer les suppléments salariaux pour les présidents et vice-présidents de comités sénatoriaux. Le gouvernement devrait limiter de tels suppléments à une, à deux, voire à trois personnes à la tête de chacun des groupes reconnus du Sénat, dont le bureau du représentant du gouvernement au Sénat.

En conclusion, de tels changements nous rapprocheront du Sénat étatsunien et mettront fin à la tentation de contourner le Règlement existant pour créer de manière artificielle un comité permanent ou des postes rémunérés à partager entre des groupes — une tentation qui semble irrésistible, vu la motion du 17 novembre 2017 et celle du 11 mars 2020.

En attendant que la Loi sur le Parlement du Canada soit modifiée, je propose que nous ne restions pas les bras croisés, surtout à la lumière de la crise économique actuelle. En adoptant ma motion, nous mettrons fin, au moyen d’un ordre sessionnel, à la rémunération additionnelle des présidents et des vice-présidents de comité. Nous montrerons aux Canadiens que nous travaillons pour eux, y compris lorsque nous exerçons des fonctions de président et de vice-président sans recevoir de rémunération supplémentaire.

Merci beaucoup. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : J’ai une question à poser au sénateur Dalphond.

Son Honneur le Président : Sénateur Dalphond, votre temps est écoulé, mais la sénatrice Miville-Dechêne souhaite vous poser une question. Voulez-vous disposer de cinq minutes de plus? Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Miville-Dechêne : Sénateur Dalphond, je vous remercie de cet historique que je ne connaissais pas. Je dois vous dire que j’ai moi aussi de profondes réserves quant aux rémunérations additionnelles accordées à ces différents comités. Je n’ai jamais été présidente d’un comité, mais, selon certains, le président fait un travail supplémentaire qui mérite une compensation. Donc, j’aimerais que vous répondiez à cet argument.

Deuxièmement, peut-il y avoir une différence aussi importante entre la rémunération qu’accorde la Chambre des communes aux présidents qui, évidemment, sont rémunérés, et celle que verse le Sénat? Cela dit, étant donné l’époque dans laquelle on vit en raison de la COVID-19 et des difficultés que vivent les Canadiens, il me semble que le moment est tout indiqué pour que nous nous posions des questions sur cette rémunération additionnelle. Merci.

(2140)

Le sénateur Dalphond : Je remercie la sénatrice Miville-Dechêne de cette question. C’est un point important qu’elle soulève.

Lorsqu’on aura l’occasion d’étudier la question plus en profondeur, on pourra constater, par exemple, qu’avoir un nombre de plus de 50 postes de présidents et de vice-présidents représente la moitié du Sénat. À la Chambre des communes, il n’y a pas d’équivalent. À la Chambre des communes, le nombre de présidents et de vice-présidents, et ce, même avec deux vice-présidents, représente à peine 75 personnes sur 338. On ne parle pas des mêmes proportions.

Quant à la question du travail des présidents et des vice-présidents, je crois que vous avez été vice-présidente d’un comité au cours de la législature précédente. J’ai constaté, pour avoir assisté à certaines réunions, que ce n’était pas un travail de tout repos d’être vice-présidente de ce comité. Je suis certain que le président était aussi très actif avec les membres de son comité. Je sais que cela représente beaucoup de temps et d’énergie, car j’ai moi-même proposé de nombreux amendements à plusieurs projets de loi qui ont été étudiés par le Comité des affaires juridiques. Cela a représenté pour moi des semaines de travail de rédaction et de propositions d’amendements transmises à mes collègues, dont le sénateur McIntyre, avec qui j’avais une excellente relation. J’ai travaillé sur une quinzaine d’amendements au Code criminel. J’ai aussi été parrain du projet de loi modifiant la Loi sur le divorce, et cela m’a pris un temps fou. J’ai passé des jours avec les gens du ministère de la Justice à discuter des amendements, à lire cette loi volumineuse, etc. Tout cela s’est fait indépendamment des réunions du comité, et je n’ai pas demandé de rémunération additionnelle.

En fait, je pense que tout le monde ici veut travailler avec sincérité et bonne foi pour apporter sa meilleure contribution aux travaux. Pourquoi certains devraient-ils recevoir une rémunération en surplus, pour les attirer au poste de président ou de vice-président? Je ne crois pas; je pense que ces postes devraient être accordés selon le mérite aux personnes les plus qualifiées pour assumer ces fonctions.

De plus, cela ne requiert pas de rémunération; plusieurs assument ces tâches sans rémunération et beaucoup de sénateurs américains le font également à titre de présidents de comité. Ils passent des journées à la sécurité nationale, à recevoir en entrevue des candidats à la magistrature, à réviser les budgets, etc. Le tout se fait dans des proportions qui sont 10 fois plus grandes les nôtres et ils ne sont pas payés davantage pour faire ce travail.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Motion tendant à constituer un comité spécial sur le racisme systémique—Ajournement du débat

L’honorable Frances Lankin, conformément au préavis donné le 16 juin 2020, propose :

Qu’un comité sénatorial spécial sur le racisme systémique soit constitué afin d’examiner le racisme systémique au Canada;

Que, sans toutefois limiter son mandat, le comité soit autorisé à :

1.examiner l’étendue et la portée du racisme envers les Autochtones et les Noirs ainsi que du racisme systémique dans les institutions et agences fédérales;

2.examiner le rôle que joue le gouvernement fédéral pour éliminer le racisme envers les Autochtones et les Noirs ainsi que le racisme systémique au sein des institutions et agences fédérales et dans la société canadienne en général;

3.identifier des priorités et formuler des recommandations relatives à l’intervention du gouvernement pour lutter contre le racisme envers les Autochtones et les Noirs et contre le racisme systémique;

Que le comité soit composé de 12 membres sélectionnés par le Comité de sélection, et que 5 membres constituent le quorum;

Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes et à réclamer des documents et des dossiers, à entendre des témoins et à faire imprimer au jour le jour les documents et témoignages dont l’impression s’impose;

Que, nonobstant tout article du Règlement ou usage habituel, et tenant compte des circonstances exceptionnelles découlant de la pandémie de la COVID-19, le comité soit autorisé à se réunir par vidéoconférence ou téléconférence, s’il est techniquement possible de le faire, aux fins :

1.de l’étude autorisée par cet ordre;

2.d’une séance d’organisation en vertu de l’article 12-13 du Règlement;

3.d’élire un président ou un vice-président si l’un de ces postes devient vacant;

Que les sénateurs et témoins soient autorisés à assister par vidéoconférence ou téléconférence aux réunions du comité, que de telles réunions soient, à toute fin, considérées comme des réunions dudit comité, et que les sénateurs participant à de telles réunions soient, à toute fin, réputés présents;

Que, pour plus de certitude et sans limiter l’autorité attribuée par cet ordre, lorsque le comité se réunit par vidéoconférence ou téléconférence :

1.les membres du comité y participant soient pris en compte pour déterminer le quorum;

2.la priorité soit accordée afin d’assurer que les membres du comité soient en mesure de participer;

3.de telles réunions soient réputées se tenir dans la Cité parlementaire, peu importe l’endroit où les participants se trouvent;

4.le comité prenne toutes les précautions nécessaires en ce qui a trait aux réunions à huis clos, compte tenu des risques inhérents à de telles technologies;

Que, lorsque le comité se réunit par vidéoconférence ou téléconférence, les dispositions de l’article 14-7(2) du Règlement s’appliquent afin d’en autoriser l’enregistrement et la diffusion par tout moyen déterminé par le greffier du Sénat, et que si une réunion enregistrée ou diffusée ne peut pas être diffusée en direct, le comité soit réputé avoir tenu une réunion publique en publiant tout enregistrement dès que possible;

Qu’un préavis d’au moins 72 heures soit donné pour toute réunion du comité tenue par vidéoconférence ou téléconférence, s’il est techniquement possible de le faire;

Que le comité soit autorisé à faire rapport de façon ponctuelle, à soumettre un rapport provisoire détaillé au plus tard six mois après la tenue de la séance d’organisation du comité, et à soumettre son rapport final au plus tard six mois après le dépôt ou la présentation du rapport provisoire détaillé;

Que le comité soit autorisé à déposer ses rapports auprès du greffier du Sénat si le Sénat ne siège pas, et que les rapports soient alors réputés avoir été déposés ou présentés au Sénat;

Que le comité détienne l’autorité nécessaire pour publier ses conclusions 60 jours après avoir déposé ou présenté son rapport final.

— Honorables sénateurs, je tiens à remercier la sénatrice McPhedran, qui a renoncé à s’exprimer sur une motion présentée plus tôt pour que nous ayons le temps de débattre de cette motion. Je lui en suis très reconnaissante.

Alors que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire non cédé des Algonquins, c’est un honneur pour moi de proposer la présente motion tendant à constituer un comité spécial chargé d’examiner les mesures limitées prises au fil des ans pour combattre le racisme à l’égard des Noirs et des Autochtones, ainsi que le racisme systémique contre les personnes racialisées. Je remercie sincèrement les membres du groupe de travail des sénateurs africains de tout le travail qu’ils ont fait, avec l’apport de certains sénateurs autochtones, afin de nous permettre de discuter de ces enjeux capitaux à ce moment crucial de notre vie collective.

La sénatrice Moodie a demandé et obtenu la tenue d’un débat d’urgence, la sénatrice Mégie a proposé que le Sénat se forme en comité plénier et la sénatrice Bernard a présenté, au nom du groupe, cette initiative tendant à constituer un comité spécial. Le débat d’urgence de jeudi dernier nous a permis de débattre des tragédies qui se produisent et de discuter du rôle que cette assemblée peut et doit jouer pour y trouver des solutions possibles.

Le comité plénier, qui se tiendra jeudi, si j’ai bien compris, donne l’occasion aux sénateurs de poser des questions aux ministres sur les mesures que le gouvernement a prises ou n’a pas prises, et au Sénat de jouer son rôle qui consiste à exiger du gouvernement qu’il rende des comptes.

La troisième initiative, cette motion concernant la création d’un comité spécial, vise le moyen et le long termes. Elle est conçue pour permettre d’examiner pourquoi, après tous les rapports et innombrables recommandations, un si grand nombre de recommandations n’ont pas été mises en œuvre. Le débat sur cette motion s’étendra sur une période beaucoup plus longue et permettra, espérons-le, à nettement plus de sénateurs de participer que lors des dernières séances restreintes liées à la COVID.

Lorsque la sénatrice Bernard m’a demandé de présenter la motion, j’ai hésité, non pas parce que je ne veux pas participer à ce débat crucial, ni parce que je ne veux pas faire connaître mon point de vue. J’y tiens énormément. Mais je ne voulais pas donner l’impression que je m’appropriais de quelle manière que ce soit la direction de leur travail ou la voix de leurs communautés.

La sénatrice Bernard m’a assurée que des discussions avaient eu lieu et m’a demandé de présenter cette motion. La sénatrice Moodie m’a assurée de la même chose, tout comme le sénateur Woo. Je suis donc vraiment honorée de m’exécuter aujourd’hui.

Il ne fait aucun doute que le racisme à l’égard des Autochtones existe. Il ne fait aucun doute que le racisme à l’égard des Noirs existe. Il ne fait aucun doute que le racisme à l’égard des personnes racialisées — les Asiatiques, les musulmans et d’autres — existe. Il ne fait absolument aucun doute qu’il existe un racisme systémique au sein de nos institutions gouvernementales, de notre système de justice pénale, de notre système de soins de santé, de notre système d’éducation, dans le secteur du logement et j’en passe.

J’ai envoyé à tous les sénateurs un courriel contenant un document préparé par notre bureau qui énumère bon nombre des rapports publiés au Canada au cours des dernières décennies au sujet du racisme à l’égard des Autochtones, du racisme à l’égard des Noirs et du racisme systémique. Il ne s’agit là que de quelques-unes des études réalisées au fil des ans depuis la Confédération.

Je n’ai pas le temps d’énumérer toutes ces études afin qu’elles paraissent au compte-rendu, mais, comme je l’ai dit, je vous ai envoyé un courriel en contenant la liste à titre de référence. Je vais me contenter d’énumérer les dates de publication de ces nombreux rapports au cours des dernières décennies seulement afin que les gens qui nous écoutent comprennent à quel point elles ont été nombreuses.

Premièrement, en ce qui concerne le racisme à l’égard des Autochtones, il y a eu deux rapports en 1996, puis d’autres rapports en 2001, en 2004, en 2006, en 2009, en 2010, en 2012, en 2014 et en 2015. Il y a ensuite eu deux rapports en 2017, puis deux autres rapports en 2019.

Dans la seule province de l’Ontario, que je représente, des rapports portant sur le profilage racial ont été publiés en 1975, 1976, 1977, 1979, 1980, 1985 et 1989. En 1992, il y a eu cinq études différentes à ce sujet. En 1995, il y en a eu deux. Il y en a eu ensuite une en 2002 et deux en 2003.

Pour ce qui est des rapports portant spécifiquement sur le racisme envers les Noirs, il y en a eu deux en 2016, quatre en 2017, un en 2018, deux en 2019 et deux en 2020.

En ce qui concerne le racisme en général et le racisme systémique en particulier, de très nombreux rapports ont été publiés au fil des ans. Je n’en soulignerai que quelques-uns qui concernent la Cité parlementaire et les gens qui y ont été associés. En 2009, un comité permanent du Sénat a publié un rapport intitulé Pauvreté, logement, itinérance : Les trois fronts de la lutte contre l’exclusion. En 2018, le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes a publié un rapport intitulé Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie. Et cette année-ci, en 2020, le sénateur Vernon White, le sénateur Percy Downe et moi-même avons eu l’occasion de participer à la rédaction du rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement pour 2019, qui a été déposé cette année à la Chambre des communes et au Sénat. L’un des chapitres est une étude de base de la diversité et de l’inclusion — les chiffres, les statistiques, les indicateurs et les programmes — dans l’appareil de la sécurité et du renseignement, soit les Forces armées canadiennes, la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada, pour ne nommer que ceux-là. L’étude est digne de mention parce qu’elle révèle certains problèmes de cohérence dans la collecte de données et la surveillance ainsi qu’au sein de tous les organismes.

(2150)

Je vous recommande de lire l’étude. C’est la première fois que l’on mène une étude de base de ce genre sur ces organismes de sécurité et de renseignement précis. Nous savons que beaucoup de ces organismes ont eu des problèmes, notamment des poursuites judiciaires, y compris des cas notables. Je vous recommande derechef de lire l’étude.

L’objet de la motion n’est pas de déterminer une fois de plus si le racisme existe. Il existe, c’est indéniable. L’objet de la motion est de créer un comité qui peut examiner la multitude de rapports et de recommandations sur la question afin de cerner les raisons qui expliquent que l’on n’y ait souvent jamais donné suite. Quel est le problème? Quels sont les obstacles?

Le comité a pour objet de miser sur les voix qui réclament des changements immédiats et de raviver la flamme de l’action. Les gens en ont vraiment assez de la passivité. Nous faisons partie du Parlement du Canada, et il est de notre devoir d’inciter les plus hauts dirigeants du pays à agir et d’insister pour qu’ils le fassent.

La mise sur pied de ce comité est l’occasion de créer une voix unie au Sénat, en solidarité avec les Autochtones, les Noirs et les personnes racialisées qui réclament un changement réel dès maintenant.

Comme nous a prévenus notre collègue la sénatrice McCallum, il faut éviter d’associer les problèmes à l’origine du racisme avec différents groupes de personnes. Il faut comprendre les expériences qu’ils ont en commun, ainsi que les différences entre eux. Le comité devra éplucher une multitude de rapports et des centaines de recommandations pour ensuite nous demander à tous de rendre des comptes.

Tout comme vous, j’ai été témoin du traitement horrible et de la mort violente de Canadiens et d’Américains noirs, autochtones et musulmans. J’ai aussi beaucoup réfléchi aux personnes qui ont fait partie de ma vie. J’ai pensé à Dudley Laws, qui a présidé le Black Action Defense Committee. Il s’est fait connaître lorsqu’il a demandé à la police de rendre des comptes pour un certain nombre de fusillades mettant en cause de jeunes hommes noirs à Toronto dans les années 1980. Dudley est décédé des suites d’un cancer en 2011, mais ses mots et ses gestes sont toujours profondément gravés dans ma tête et mon cœur.

Je pense à Juanita Westmoreland-Traoré, la première femme noire au poste de doyenne de la faculté de droit dans une université canadienne, en 1996, et, plus tard, la première femme noire à être nommée à la Cour du Québec, en 1999. Auparavant, au début des années 1990, elle est devenue commissaire à l’équité en matière d’emploi pour la province de l’Ontario, lorsque le poste a été créé. Elle sait dire les choses aux personnes qui ont le pouvoir et nous a aidés à mettre sur pied le Secrétariat de lutte contre le racisme et à prendre des mesures pour finalement voir tous ses efforts anéantis avec le changement de gouvernement; la Loi sur l’équité en matière d’emploi abrogée; et le Secrétariat de lutte contre le racisme démantelé.

Je pense au Fonds Action jeunesse, un partenariat d’une valeur de plus de 50 millions de dollars entre le gouvernement de l’Ontario et Centraide Metro Toronto visant à donner aux quartiers de Toronto disposant de peu de services des ressources destinées aux programmes pour les jeunes Noirs après l’été du pistolet, en 2005. Je pense au secrétariat qui soutenait le Fonds Action jeunesse, dont l’effectif était composé de leaders de la communauté noire et de jeunes Noirs. Nous avions recruté « Pinball » Clemons à la présidence du conseil d’administration. Ils ont tous travaillé très fort pour essayer de donner un avenir différent à de nombreux jeunes Noirs. Il y avait tant d’espoir.

Je songe également à ma belle-fille, Lily Couchie, membre de la Première Nation anishinabe de Nipissing, qui se trouve près de chez moi. Lily travaille au North Bay Indigenous Friendship Centre, où elle gère des programmes et apporte son soutien aux personnes âgées autochtones du Nord de notre province. Chaque jour, elle rencontre des personnes qui souffrent du douloureux héritage des pensionnats, ainsi que de la perte horriblement préjudiciable de leur culture, de leur langue, de leur famille et de leurs terres. Je pense à l’expérience quotidienne du racisme qu’elle a vécue en grandissant. J’espère désespérément que ce sera différent pour mon arrière-petite-fille autochtone, et je présume que ce sera le cas. Pourquoi? Parce qu’elle a la peau claire et les cheveux blonds.

À moins que nous adoptions les changements qui s’imposent de toute urgence, la situation ne sera malheureusement pas différente pour ses cousins. Je pense à Rose Désilets, qui fait partie de notre équipe du bureau au Sénat. Son père venait de la Première Nation de Dokis, qui se trouve aussi à proximité du village où je vis. D’ailleurs, mon village porte le nom de famille du père de Rose, soit Restoule. Sa mère venait de la Première Nation de Mattagami, près de Gogama. À sa naissance à l’hôpital, Rose a été arrachée des bras de sa mère par les services de l’aide à l’enfance. Elle est une enfant de la rafle des années 1960. Elle a grandi dans une famille d’accueil aimante, puis elle a été adoptée par celle-ci, ce qui ne l’a pas protégée des longs tentacules insidieux de la discrimination. Alors que Rose avait environ cinq ans, sa mère adoptive l’a vue frotter sa peau avec une gomme à effacer après l’école. En pleurs, elle a demandé à sa mère de prendre un bain. Elle a voulu savoir pourquoi. Rose, submergée par la douleur d’une enfant qui ne connaît pas encore la signification du mot racisme, lui a répondu : « Les enfants à l’école disent que je suis sale, maman. »

Ce n’est qu’à l’adolescence qu’elle a appris qu’elle était autochtone. Ce n’est qu’à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine qu’elle a découvert la culture et les coutumes de ses ancêtres alors qu’elle travaillait au Centre d’amitié autochtone de Val-D’Or. De précieux moments, de nombreuses traditions et tout l’amour d’une famille lui ont été arrachés, comme pour beaucoup d’autres.

J’ai pensé à beaucoup d’autres personnes, j’ai aussi pensé à toutes les occasions qui se sont présentées au fil des ans pour apporter les changements nécessaires afin d’éliminer le fléau du racisme. J’ai réfléchi à la façon dont nous, les blancs, — et je me pointe du doigt — avons laissé tomber nos frères et sœurs de couleur. Dans ces dernières années de ma vie professionnelle, je réfléchis à la manière dont je vais me servir des privilèges relatifs qui ont façonné ma vie — en raison de la couleur de ma peau — pour trouver des solutions. Je pense à la façon dont je peux et je vais suivre l’exemple de mes collègues autochtones, noirs, asiatiques et musulmans au Sénat du Canada, ainsi que les voix de tant de manifestants unis dans les rues du Canada, des États-Unis et du monde entier. Je suis une alliée et je m’engage envers ces collègues et les jeunes qui luttent pour bâtir un avenir différent à suivre votre leadership, à me tenir à vos côtés et à élever ma voix avec la vôtre.

Je pense à une autre personne, un jeune homme que j’ai rencontré à Toronto lorsque j’étais à Centraide. Il s’appelait Junior. Enfant, il a fui une région du Congo déchirée par la guerre après avoir été témoin du massacre de sa famille. Lorsque je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il était incroyablement heureux et reconnaissant d’être au Canada, d’être Canadien, d’avoir en grande partie grandi ici et de pouvoir rêver à son avenir. Son père lui avait toujours dit de rêver grand, car les petits rêves n’ont rien de magique.

Honorables sénateurs, pouvons-nous, ensemble, déployer tous les efforts, utiliser tous les outils dont nous disposons, y compris le comité, saisir toutes les occasions qui s’offrent à nous pour contribuer aux grands rêves dont nous parlent aujourd’hui des centaines de milliers de jeunes du monde entier? Je pense que nous leur devons au moins cela. Je vous remercie beaucoup.

Des voix : Bravo!

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous faire part de mon soutien à la motion qui vise à créer un comité spécial sur le racisme systémique. Je remercie, du fond du cœur, la sénatrice Bernard de nous avoir encouragés à mettre en œuvre cette initiative essentielle, et la sénatrice Lankin de l’avoir présentée en son nom. Je remercie tous mes collègues qui se sont exprimés sur le racisme au cours de la dernière semaine. Vos propos m’ont profondément touchée et vous m’avez inspirée à prendre la parole ce soir.

Lorsque nous sommes vulnérables, quand nous parlons de notre expérience, cela nous permet d’accomplir de grandes choses ensemble. Chaque parcours de vie, chaque histoire m’a ouvert les yeux. Toutefois, au fur et à mesure que j’entendais vos paroles, je ressentais aussi de la frustration. Le débat était important et éducatif, mais je crois que nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut des gestes concrets. Ce comité spécial sera un pas dans la bonne direction.

Il n’y a aucun doute que le racisme systémique existe au Canada, dans notre économie, dans nos centres de détention, dans notre système de santé, dans nos écoles et dans nos institutions d’enseignement. Nous le savons tous, mais pourquoi en sommes-nous encore là?

Comme cela s’est produit de trop nombreuses fois, les problèmes ont été mis en évidence. Nous sommes encore une fois très mal à l’aise par rapport à ce que nous voyons. Cependant, nous avons besoin de ressentir ce malaise. En tant que Canadienne à la peau blanche, je dois avouer que je ne me sens pas totalement à l’aise de prendre la parole aujourd’hui. Comme nombre d’entre vous qui n’ont jamais eu à se préoccuper de la couleur de leur peau, je me demande quelle pourrait être ma contribution à la discussion que nous devons avoir et aux actions qui doivent être prises à l’échelle nationale.

(2200)

Je ne peux pas comprendre la souffrance des Canadiens racialisés. Dans ma vie, j’ai eu un aperçu de ce que c’est que d’être invisible, d’être prise pour cible. Je comprends ce que c’est que d’être discriminée en raison de mon sexe, mais de ma race? Non. Je n’ai aucune idée de ce que cela peut faire, au plus profond de soi.

La première fois que j’ai entendu parler des privilèges des Blancs, je me suis sentie mal à l’aise moi aussi. J’ai eu du mal à accepter que, du seul fait de ma race, j’avais des avantages que d’autres n’avaient pas et que je n’en avais jamais pris conscience.

Vous savez comme moi le nombre d’heures que nous avons dû mettre pour être là où nous en sommes. Nous avons fait des sacrifices. Nous avons tous surmonté des obstacles, et certains d’entre nous ont même vécu de véritables tragédies.

C’est difficile d’entendre parler des privilèges des Blancs. C’est difficile d’être ainsi classée en fonction de ma race, d’être identifiée comme une Blanche, parce que, pour tout vous dire, je n’en ai pas l’habitude. Or, c’est justement là que résident une bonne partie de nos privilèges : dans le fait d’ignorer complètement ce que cela fait d’être perçus comme des personnes racialisées et d’avoir à porter le fardeau qui vient avec cette catégorisation.

C’est ce constat — les privilèges des Blancs existent et il faut l’accepter — qui rend la conversation aussi importante. Voilà pourquoi la discussion doit se poursuivre et pourquoi elle doit demeurer ouverte et franche.

J’ai aussi eu du mal à accepter que, du seul fait de ma race, de mon apparence, j’ai inconsciemment alimenté un système qui est intrinsèquement désavantageux pour certains de mes amis et collègues.

C’était encore plus difficile à accepter en tant qu’ancienne surintendante de l’éducation, un rôle dans lequel j’ai fait de mon mieux pour mettre en œuvre des politiques destinées à combattre les préjugés raciaux conscients et inconscients. Nous avons engagé des agents d’équité et d’inclusion pour défendre les droits et les besoins des élèves noirs, autochtones et asiatiques. Nous avons collaboré avec des auteurs et des maisons d’édition pour faire en sorte que ces questions soient incluses dans le matériel pédagogique offert à nos jeunes élèves. Nous avons collaboré étroitement avec les services communautaires à tous les échelons pour servir les étudiants au meilleur de nos capacités.

Cependant, bien que ces approches et d’autres encore soient nécessaires et utiles, il est maintenant clair pour moi que nous ne faisions que traiter les symptômes d’un système sous-jacent qui était défectueux et qui l’est encore.

On m’a traitée de raciste. Ce fut une expérience à la fois profondément troublante et incroyablement révélatrice.

C’est arrivé après que j’eus travaillé plusieurs années auprès d’élèves du secondaire, de leurs familles et de partenaires communautaires. Je dirigeais des cercles de justice réparatrice pour traiter de conflits, de racisme, de drogues et d’incidents violents. Je croyais avoir presque tout vu.

Je suis devenue directrice d’école primaire et, le premier mois, après avoir été témoin d’une bataille entre des garçons de troisième année qui avait causé des blessures, j’ai rencontré leurs parents. Lors de la rencontre avec le troisième élève et son père, avant même que je puisse entamer la conversation, le père a pris son fils dans ses bras, il m’a regardée droit dans les yeux et il a dit : « Il n’y a pas eu de bataille. Vous êtes raciste. » Il est parti, avec son fils.

Ce fut un moment troublant pour moi et une véritable révélation. Je me disais : « Je ne suis pas raciste. Pas moi. » Au fil du temps, j’ai appris à connaître cette famille, et je me suis rendu compte qu’ils étaient exaspérés d’avoir à composer, jour après jour, avec divers degrés de racisme systémique.

À titre de directrice de l’école, je représentais ce système. Pendant longtemps, j’étais restée à l’affût de gestes ouvertement racistes, mais il s’agissait en fait de problèmes beaucoup plus profonds, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Ne pas être raciste n’est pas suffisant si on souhaite être un allié et lutter contre le racisme systémique.

Si nous sommes conscients de ces réalités, si nous savons que les dés sont pipés et pénalisent un large éventail de Canadiens, mais que nous continuons simplement notre travail sans tenter de changer les choses, nous contribuons à maintenir ce système en place.

L’expérience que j’ai racontée fait partie de toutes ces expériences qui ont façonné mon histoire. Elles m’ont beaucoup appris, par exemple l’importance de l’empathie, l’art d’écouter pour progresser vers un terrain d’entente, et la nécessité d’aller rencontrer les gens là où ils sont, ce qui est essentiel.

En effet, mon travail et mes consultations auprès des populations autochtones m’ont appris que, pour bien les soutenir et les comprendre, il faut aller dans leurs communautés, sur leurs terres et dans leurs maisons, là où il est possible de découvrir leur vie et leurs traditions. Il faut le faire avant de tenter d’améliorer les changements envisagés. Le comité spécial proposé pourrait faciliter notre travail en ce sens.

Honorables collègues, j’admets que, à mon arrivée dans cette enceinte, j’avais de grands objectifs : contribuer à faire du Canada un meilleur pays où les gens sont plus en santé, plus optimistes et plus proches.

Pour ce faire, nous devons faire face à une réalité : le Canada a un urgent problème de racisme. Nous devons déployer les efforts nécessaires pour commencer à démanteler un système qui désavantage fortement les Canadiens racialisés. Évidemment, cela n’arrivera pas du jour au lendemain. Il faudra constamment veiller à maintenir les progrès réalisés dans le cadre de ce projet.

Cependant, on ne peut pas attendre une génération de plus. On ne peut tout simplement pas attendre. Nous devons commencer le travail dès maintenant, saisir cette occasion, poursuivre sur cette lancée et proposer des réformes qui ne tomberont pas à l’eau dès que la société sera distraite par un autre événement ou par quoi que ce soit d’autre.

Nous devons tenter de changer des structures fondamentales et voir si certaines mesures, comme la mise en place d’un revenu de base universel, peut, dans une certaine mesure, contribuer à équilibrer les choses, même de façon modeste.

Parmi les solutions possibles pour apporter du changement, nous devons envisager de revoir les peines minimales obligatoires ou de réformer le Code criminel.

Le Sénat doit tenir compte du travail de certains groupes, comme le Caucus des parlementaires noirs et le groupe de travail des sénateurs autochtones. Nous devons mettre sur pied ce comité spécial pour promouvoir le dialogue et l’action.

Le pire qui pourrait arriver si nous baissons la garde ne serait-ce qu’un instant ou une journée, c’est que nous retrouvions à une date ultérieure à répéter les mêmes lieux communs et les mêmes discours au Sénat lorsqu’une nouvelle tragédie aura mis en lumière le racisme systémique qui a cours au Canada. C’est l’occasion pour nous de jeter les bases de notre travail à long terme.

Face à ce que plusieurs d’entre vous ont affirmé au cours des derniers jours, j’ai bon espoir que le pire scénario ne se réalisera pas. Je suis impatiente de faire tout en mon pouvoir pour que le travail soit accompli, le travail commun qui nous incombe pour contribuer à la mise en œuvre des changements requis. Merci, meegwetch.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, j’interviens en faveur de la motion no 54, présentée par la sénatrice Bernard et la sénatrice Lankin, avec l’appui de nos collègues noirs et autochtones, d’autres membres de minorités visibles au Sénat et à l’autre endroit, qui propose la création d’un comité sénatorial spécial chargé d’examiner le racisme systémique au Canada.

Ces dernières semaines, tandis que des foules sont descendues dans la rue, risquant ainsi leur santé et leur bien-être, pour réclamer du changement, et tandis que les inégalités entre les races en matière de santé et de situation économique mises en lumière par la COVID-19 mettent en péril la survie de trop de gens, nous nous sommes réunis dans cette enceinte afin de nous engager à prendre des mesures concrètes afin de contribuer à la création d’un Canada antiraciste.

Comme l’ont très clairement expliqué les sénatrices Bernard et Lankin, les membres du Caucus des parlementaires noirs et un grand nombre d’entre vous, nous n’avons pas besoin d’autres recommandations qui resteront lettre morte dans le hansard du Sénat tandis que les injustices perdurent. Comme l’a souligné la sénatrice Lankin, nous pouvons compter sur d’innombrables rapports d’études, de commissions, d’enquêtes et sur des recommandations formulées par d’éminents spécialistes, des penseurs formidables et d’inspirants chefs de file qui dénoncent le racisme systémique et nous invitent à faire mieux.

Comme nous l’a rappelé si éloquemment le sénateur Francis cette semaine, nous devons être des alliés. Pour ce faire, nous devons faire l’effort d’apprendre, de comprendre et de passer à l’action, peu importe à quel point la tâche nous met mal à l’aise et nous paraît colossale, car, désormais, l’inaction n’est plus une option.

Ce comité spécial aura la tâche difficile, mais vraiment nécessaire de mettre à profit l’ensemble des connaissances dont nous disposons déjà en élaborant un plan pour la mise en œuvre des mesures du gouvernement fédéral qui n’ont que trop tardé et pour la supervision permanente de ce travail de mise en œuvre par le Sénat. Il s’agit, en bref, d’ouvrir la voie pour que les sénateurs travaillent ensemble à l’égalité.

Par où commencer?

Pensons, par exemple, à la mise en œuvre de l’appel à l’action visant à réduire le nombre de détenus de la Commission de vérité et réconciliation? Nous devons mettre un terme à l’incarcération massive des groupes racialisés, une des nombreuses formes occultes de l’héritage actuel du colonialisme et des politiques racistes au Canada. La déclaration de la semaine dernière du Caucus des parlementaires noirs nous invite également à nous pencher sur la surreprésentation des populations noires et autochtones dans les prisons.

Entre 1980 et 2020, la proportion de détenus autochtones dans les prisons fédérales est passée de 10 à 30 %. Il faut impérativement prendre des mesures significatives.

Nous pourrions réduire la proportion de personnes racialisées dans les prisons fédérales de 5 % par an. Cela signifierait que nous libérerions, chaque année, au moins 15 femmes autochtones, 177 hommes autochtones et 63 prisonniers noirs. Une telle mesure, selon des estimations prudentes, permettrait d’économiser environ 10 millions de dollars par an. Ce sont 10 millions de dollars que l’on pourrait investir dans la santé, notamment la santé mentale, les services prenant en compte les traumatismes et les services de traitement de la dépendance, le logement, l’éducation et d’autres aides essentielles pour les personnes libérées ainsi que pour de nombreux autres membres de la collectivité, en particulier les plus marginalisés.

(2210)

Honorables sénateurs, les prisonniers sont parmi les victimes les plus vulnérables de cette crise. Même si la communauté internationale réclame que des mesures visant à dépeupler les prisons soient prises, et que des professionnels de la santé du milieu carcéral recommandent de libérer le plus de gens possible des prisons, le gouvernement a omis de suivre ces conseils, et Service correctionnel Canada a décrété un isolement au sein des prisons, imposant à la majorité des détenus des conditions d’isolement et de confinement qui vont à l’encontre du droit canadien et du droit international.

L’an dernier à pareille date, nous nous étions réunis pour décider si nous acceptions le rejet par le gouvernement de nos amendements au projet de loi C-83 concernant l’isolement. Les amendements proposés par le Sénat auraient créé d’importants mécanismes de surveillance et de reddition de comptes, en plus de favoriser le recours aux options de libération visant à réduire le nombre de détenus autochtones et noirs ainsi que le nombre de détenus ayant des problèmes de santé mentale. Maintenant plus que jamais, nous devons éviter de répéter les erreurs du passé.

Conformément aux objectifs de développement durable de l’ONU et aux déterminants sociaux de la santé, nous devons renverser et éliminer les tendances qui donnent lieu à cette honte nationale : notre racisme, nos services de santé inadéquats, notre insuffisance de logements abordables et les abus de pouvoir croissants et perturbateurs par l’État, les forces de l’ordre ou ceux qui, autrement, contrôlent la vie des personnes les plus marginalisées, depuis les services sociaux jusqu’aux services de protection de l’enfance en passant par les fournisseurs de soins de santé, les policiers et les autorités carcérales. Ces problèmes nous appartiennent tous. Pourtant, la plupart d’entre nous ici présents n’ont pas à subir les conséquences de notre inaction collective.

La Commission de vérité et réconciliation a demandé au gouvernement fédéral de modifier le Code criminel pour permettre aux juges de première instance de s’éloigner des peines minimales obligatoires et des restrictions sur le recours aux peines avec sursis. Cet appel a été repris par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et répété par le Caucus des parlementaires noirs la semaine dernière.

Une étude menée par le ministère de la Justice en 2018 et le rapport final du groupe d’experts chargé d’examiner la réforme de la détermination de la peine recommandent que le ministre de la Justice procède à de vastes réformes de la détermination de la peine, telles que le genre d’exception prévue dans le projet de loi S-208. La Cour suprême a également recommandé que de telles mesures soient prises à la lumière du nombre croissant de peines minimales obligatoires jugées inconstitutionnelles.

En raison des peines minimales obligatoires, les juges ne peuvent pas prendre en compte les circonstances d’un crime. Il en résulte une augmentation du nombre des personnes parmi les plus marginalisées dans les prisons, sans qu’on tienne compte des effets du racisme, du sexisme, de la pauvreté, des traumatismes intergénérationnels et des mauvais traitements dans les circonstances qui ont mené au comportement ou au tort causé. Les peines minimales obligatoires font fi du rôle que les préjugés systémiques et historiques ont joué dans l’incarcération massive d’Autochtones et de Noirs.

Honorables collègues, le projet de loi S-208 permettrait aux juges de tenir compte de telles circonstances au moment de déterminer la peine. J’ai hâte de travailler avec vous tous pour que ce projet de loi soit adopté.

Un autre appel à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées demandait au gouvernement fédéral d’examiner et de réformer les lois portant sur la violence sexuelle et sur la violence de la part d’un partenaire intime en tenant compte des perspectives féministes et de celles des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones.

En 2018, le gouvernement fédéral n’a pas répondu à cet appel lorsqu’il a rejeté les amendements du Sénat au projet de loi C-51. Ces modifications visaient à protéger les victimes d’agression sexuelle contre les décisions prises par des juges qui ne comprennent pas bien la capacité de consentir, comme c’est souvent le cas. De tels amendements auraient beaucoup fait progresser cet enjeu. Le gouvernement s’est engagé à en faire davantage. Le temps est venu pour lui d’adopter les modifications demandées par les groupes de défense des femmes et les survivantes de la violence misogyne.

L’enquête sur les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues a également fait état de graves lacunes mises en lumière par l’actuelle pandémie quant au filet de sécurité socioéconomique et à la couverture du système de santé au pays. Son rapport réclame l’établissement d’un revenu de subsistance annuel garanti. Une telle initiative pourrait être une composante d’une stratégie globale visant à répondre à beaucoup des problèmes mis en évidence dans le rapport.

Honorables sénateurs, le revenu de subsistance garanti pourrait également contribuer à répondre à un des appels à l’action présentés par le Caucus des parlementaires noirs au sujet des mesures économiques pour aider les entreprises qui sont la propriété de Canadiens noirs. Le revenu de subsistance garanti contribuerait à donner aux gens les ressources et le filet de sécurité dont ils ont besoin pour innover et se lancer en affaires. Il faut aussi des ressources pour ceux qui peinent à arriver parce qu’ils n’ont pas accès à un emploi rémunéré, ainsi que pour les personnes qui occupent un emploi précaire.

Nous devons aussi tenir compte des appels lancés par les organisateurs du mouvement Black Lives Matter, qui demandent qu’on mette fin à l’exclusion et à la détention des migrants et des réfugiés fondées sur le racisme et les sentiments anti-Noirs, anti-réfugiés et islamophobes, qu’on démilitarise la police et qu’on affecte des ressources aux initiatives communautaires de soutien socioéconomique en santé et en éducation axées sur les communautés et dirigées par celles-ci et qu’on offre un soutien en immigration et plus de sécurité aux travailleurs migrants.

Honorables collègues, nous devons faire notre examen de conscience et mettre fin au racisme et au sexisme latents qui ont cours au Sénat. Depuis trop longtemps, le Sénat contribue à l’adoption de projets de loi qui ont un effet néfaste sur la vie des Autochtones et des Noirs au Canada.

Nous avons le devoir de rendre justice aux Canadiens et l’obligation d’adopter une approche féministe et critique à l’égard du racisme lorsque vient le moment d’étudier et de créer des mesures législatives. Nous devons assumer les responsabilités auxquelles nous avons manqué par le passé et nous devons nous engager à ne plus adopter de projets de loi qui risquent d’avoir des conséquences négatives démesurées pour la santé, la sécurité et le bien-être des Noirs et des peuples autochtones.

Par exemple, nous pourrions adopter le projet de loi S-214 afin de remédier aux lacunes du projet de loi C-93 et d’éliminer les obstacles associés au fait d’avoir des antécédents criminels liés au cannabis, un problème qui touche les Noirs et les peuples autochtones de façon disproportionnée. Par ailleurs, nous pourrions insister pour mettre en place le cadre de financement juridiquement contraignant qui faisait défaut lorsque nous avons adopté le projet de loi C-92. Un tel cadre aurait pu assurer un financement adéquat des services aux enfants et aux familles autochtones. Nous devons aussi adopter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Cette Chambre a adopté un trop grand nombre de projets de loi qui renforcent le racisme et le sexisme. Maintenant, en plus de nous pencher sur les problèmes qui touchent les Noirs et les peuples autochtones, nous devons montrer que nous avons appris quelque chose en nous efforçant de créer et d’adopter des mesures législatives qui montrent que nous avons été à l’écoute.

Par ailleurs, le Caucus des parlementaires noirs parle de la nécessité de transformer la fonction publique. Je suis tout à fait d’accord, et je pense que nous devons également transformer le Parlement, y compris le personnel de cette enceinte et de l’autre endroit.

Le vendredi 19 juin, Fregine Sheehy, ancienne stagiaire parlementaire qui travaille actuellement pour notre bureau, a remporté le Prix Hales-Hurley pour son article intitulé « Where are all the Racialized Staffers? », où elle se demande pourquoi il y a si peu d’employés racialisés. Dans le cadre de son travail au sein du Programme de stage parlementaire en 2018-2019, Mme Sheehy a cherché à comprendre pourquoi les personnes travaillant dans les bureaux d’Ottawa des députés d’arrière-ban semblaient être principalement blanches. Elle a découvert que même si ces personnes jouent un rôle déterminant dans la démocratie parlementaire du pays, il n’existe pratiquement aucune information sur la composition raciale du personnel, ni sur les politiques d’embauche que les députés doivent suivre dans leurs bureaux d’Ottawa, à part pour le fait qu’il y a très peu de politiques à cet égard.

Mme Sheehy soutient que le racisme systémique a des racines profondes sur la Colline du Parlement. Par conséquent, les personnes racialisées et autochtones peuvent avoir du mal à accéder à la Colline et pourraient ne pas s’y sentir bienvenues.

Si nous souhaitons éradiquer le racisme et le sexisme au Parlement, il faut absolument offrir une formation obligatoire contre le racisme et les préjugés inconscients aux députés, aux sénateurs et à tous ceux qui travaillent dans les deux Chambres ou à proximité de celles-ci. Il faut aussi absolument obtenir des données sur la race des personnes travaillant dans les bureaux des députés et des sénateurs. Sans de tels renseignements, comment pourrons-nous savoir officiellement qui contribue à façonner les politiques et les lois canadiennes?

Honorables collègues, alors que nous nous efforçons de moderniser notre institution, l’adoption de politiques et de pratiques antiracistes pourrait nous aider à nous acquitter de nos obligations envers l’ensemble des Canadiens.

Permettez-moi de citer une aînée gangalu, dont les paroles m’ont d’abord été transmises par une fière Canadienne d’origine chinoise qui a ensuite été placée en cellule d’isolement dans un pénitencier fédéral, et qui réside actuellement dans un établissement de soins de longue durée, car elle souffre de démence et de la maladie de Parkinson. C’est là un autre sujet de préoccupation mis en lumière durant la pandémie, mais je m’éloigne du sujet.

(2220)

Lorsque je lui ai demandé ce que je pouvais faire et que je lui ai promis d’agir, elle a répondu « d’accord », puis elle a cité Lilla Watson, qui a dit ceci :

Si vous êtes venus pour m’aider, vous perdez votre temps. Mais si vous êtes ici parce que votre émancipation est liée à la mienne, alors travaillons ensemble.

Chers collègues, chacun d’entre nous a la responsabilité d’éradiquer le racisme. Finissons-en avec les promesses en l’air. Montrons notre engagement à l’aide d’actions concrètes.

Meegwetch. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Dasko, le débat est ajourné.)

(À 22 h 21, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Haut de page