Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 14 - Témoignages du 4 octobre 2012
OTTAWA, le jeudi 4 octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit aujourd'hui son examen du projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous- munitions.
Nous recevons, du ministère de la Défense nationale, Martin Green, directeur général, Planification des politiques; le major-général Jonathan Vance, directeur d'état-major, État-major interarmées stratégique; le colonel P.K. Gleeson, juge-avocat général adjoint/Opérations, Cabinet du juge avocat général; et le lieutenant-colonel Chris Penny, Direction du droit international et opérationnel, Cabinet du juge-avocat général. Comme on peut le voir, il s'agit d'une brochette de témoins dotés de vastes connaissances professionnelles et d'un savoir-faire en la matière.
Monsieur Green, je crois que vous allez ouvrir le bal. Avez-vous une déclaration préliminaire à présenter, et serez- vous le seul à le faire?
Martin Green, directeur général, Planification des politiques, Défense nationale : Oui, j'en ai une et je serai le seul à le faire.
La présidente : Merci. Nous passerons ensuite aux questions.
À vous la parole, monsieur Green.
M. Green : Nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui afin de discuter du rôle du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes pour aider le Canada dans ses efforts visant à ratifier la Convention sur les armes à sous- munitions. Pour commencer, j'aimerais souligner un fait important : les Forces canadiennes n'ont jamais utilisé ces armes dans le cadre de leurs opérations. Le ministère de la Défense nationale a contribué à l'élaboration de la convention et l'a fermement appuyée tout au long du processus, depuis les négociations préliminaires jusqu'aux discussions d'Oslo, avant d'en venir aux efforts actuels pour s'assurer que le Canada devient un État partie à cette convention de grande importance.
En fait, nous avons déjà instauré d'importantes mesures pour veiller à ce que nous respections les obligations du Canada aux termes de la convention. Permettez-moi d'en souligner quelques-unes en vitesse et d'expliquer ce que nous comptons faire au moment où le Canada s'apprête à ratifier la convention.
Sachez que notre grand premier effort dans ce dossier remonte à 2006, deux ans avant que le Canada signe la convention, lorsque les Forces canadiennes ont commencé à retirer les armes à sous-munitions de leurs répertoires de matériel militaire destiné à un usage opérationnel. Peu de temps après, on s'est mis à éliminer les stocks. D'ailleurs, d'ici quelques semaines, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux publiera le dernier contrat d'élimination, permettant ainsi aux forces de se débarrasser complètement de ce type d'armes. Encore une fois, j'aimerais souligner que ce processus a débuté avant que le Canada signe la convention.
En 2008, lorsque le Canada a signé la convention, le chef d'état-major de la Défense a pris une deuxième mesure concrète dans la lutte contre les armes à sous-munitions : il a émis une directive interdisant l'utilisation de ces armes dans toute opération des Forces canadiennes. Voilà autant de signes qui montrent clairement, selon moi, que le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes sont bien déterminés à respecter l'esprit et la lettre de la convention, et ce, depuis le début.
La convention met l'accent sur l'importance de la coopération internationale pour assurer la défense du Canada et créer un monde plus sûr. Comme nous le savons, cette coopération va bien au-delà de nos efforts en matière de contrôle d'armes. C'est pourquoi nous avons pris soin d'établir un équilibre délicat entre le respect de nos obligations découlant des traités et le maintien de nos efforts de coopération indispensables avec nos partenaires en matière de défense. En effet, la coopération internationale en matière de défense joue un rôle central pour la sécurité du Canada depuis des générations, et ce sera le cas dans un avenir prévisible. Cette collaboration prend diverses formes : échange d'information, exercices interarmées, opérations combinées, et j'en passe. Il est crucial de répondre à nos besoins généraux dans le domaine de la défense. C'est vrai pour bon nombre de nos alliés, mais surtout dans le cadre de nos relations bilatérales en matière de défense avec les États-Unis. En reconnaissance de ce fait, la Stratégie de défense Le Canada d'abord enjoint aux Forces canadiennes de demeurer un partenaire fort et fiable de nos alliés américains en vue de défendre l'Amérique du Nord, tout en collaborant avec une gamme d'États aux vues similaires, dont encore une fois les États-Unis, afin de contribuer à la sécurité internationale.
Notre partenariat dynamique avec les États-Unis nous permet non seulement de profiter d'avantages considérables sur les plans des capacités et des possibilités de défense, de l'accès aux renseignements stratégiques et aux décideurs, mais aussi d'ouvrir la voie à la coopération industrielle entre nos deux pays. Aussi était-il prioritaire, tant pour le Canada que pour ses alliés les plus proches, de préserver ces relations opérationnelles et ces partenariats de défense essentiels tout au long des négociations relatives à la convention. Voilà pourquoi nous avons fortement contribué à l'élaboration et à l'adoption d'une disposition qui porte sur la coopération militaire des signataires avec les États non parties à la convention, dans le but d'établir un équilibre nécessaire entre les obligations humanitaires et les impératifs de sécurité.
C'est justement ce que vise la disposition en question, qui figure à l'article 21 de la convention et à l'article 11 du projet de loi S-10. Elle permettra au Canada de collaborer efficacement avec ses partenaires qui n'ont pas encore signé la convention, tout en se conformant pleinement à l'esprit et à la lettre de la convention et de ses obligations connexes.
Une fois mis en œuvre, le projet de loi S-10 protégera nos relations bilatérales avec les États-Unis et permettra aux Forces canadiennes de rester entièrement interopérables avec l'armée américaine. Voilà un avantage stratégique que peu de pays au monde peuvent prétendre avoir. Le projet de loi préserve également les postes de liaison et d'échange qui existent entre l'armée canadienne et son plus important allié et partenaire de défense. Parallèlement, le projet de loi permet de s'assurer qu'aucun membre des Forces canadiennes n'utilise directement des armes à sous-munitions ou ne demande expressément d'en utiliser une lorsque le choix des munitions est sous notre contrôle exclusif.
Bref, nous respecterons scrupuleusement nos obligations aux termes de la convention. L'article 11 du projet de loi S- 10 a été rédigé de façon claire et sans ambiguïté pour s'assurer que les membres des Forces canadiennes comprennent ces obligations. L'utilisation directe d'armes à sous-munitions durant les opérations des Forces canadiennes sera interdite, sans exception.
En même temps, ces deux documents juridiques, c'est-à-dire la convention et le projet de loi S-10, donneront à nos militaires et aux civils qui travaillent avec eux la protection juridique dont ils ont besoin pour accomplir leur travail sans faire face à des responsabilités indues. C'est le cas notamment lorsqu'ils participent à des opérations militaires combinées, à des manœuvres multinationales, à des exercices d'entraînement ou à une coopération militaire, loin du champ de bataille, avec des États non parties à la convention. C'est un point important et, dans certains cas, une question de vie ou de mort.
Pensez un instant à une patrouille canadienne qui se fait immobiliser par des tirs ennemis. Grâce à l'article 21 de la convention et au projet de loi S-10, ces militaires peuvent sauver leur vie en demandant de l'aide à nos alliés, qu'ils soient signataires ou non de la convention, sans craindre de faire l'objet de mesures disciplinaires ou d'être mis en accusation. Ce serait également le cas si nos alliés décidaient de laisser tomber des armes à sous-munitions, puisque ces mesures ne sont pas sous le contrôle souverain exclusif du Canada.
Si le choix des armes à sous-munitions devait relever des Forces canadiennes, ce qui risque de se produire en de rares occasions, nous interdirions alors la demande expresse de recourir à des armes à sous-munitions.
Enfin, grâce au maintien de notre coopération avec les États non signataires, ces mesures améliorent notre sécurité nationale puisqu'elles protègent tous les avantages que les Forces canadiennes tirent d'une vaste gamme de projets de collaboration, allant du laboratoire jusqu'au champ de bataille. Elles permettent au Canada de continuer à apporter une contribution valable sur la scène internationale, et ce, de manière responsable — nous en sommes convaincus.
Rien dans l'article 21 ou le projet de loi S-10 n'empêche le Canada, de quelque façon que ce soit, de respecter ses obligatoires actuelles en vertu du droit humanitaire international. Cela signifie que les Forces canadiennes et leur personnel demeureront, en tout temps et peu importe les opérations, assujettis aux obligations interdisant l'autorisation, l'aide ou la participation à une attaque indiscriminée, y compris l'utilisation d'armes à sous-munitions, qu'ils agissent de leur propre chef ou en collaboration avec des partenaires étrangers.
À l'avenir, le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes s'appuieront sur le travail que nous avons fait à ce jour et sur la mesure législative de mise en œuvre récemment présentée en publiant les directives supplémentaires du Chef d'état-major de la Défense. Ces directives interdiront aux membres des Forces canadiennes qui participent à des échanges avec des forces alliées d'utiliser des armes à sous-munitions et de donner ou recevoir de la formation sur leur utilisation. Ces directives interdiront aussi le transport d'armes à sous-munitions par les Forces canadiennes. Ces restrictions vont bien au-delà des exigences de la convention et seront mises en œuvre dès que le Canada aura ratifié l'accord.
Permettez-moi de conclure en résumant certains points clés. Le ministère de la Défense nationale a déjà pris des mesures concrètes par rapport aux armes à sous-munitions. Nous avons interdit leur utilisation dans le cadre de nos opérations. Nous les avons retirées du service actif et nous avons presque entièrement détruit nos stocks.
La participation active du Canada — en collaboration avec les experts de la Défense nationale et des Forces canadiennes — au sein de la délégation qui a participé aux négociations de 2008 témoignait de notre engagement à l'égard des objectifs et des dispositions de cette convention. Nous nous sommes engagés à la ratifier et à favoriser son universalisation. Nous sommes engagés à favoriser la sécurité à l'échelle nationale et internationale et nous reconnaissons qu'aucune de ces choses n'est possible sans une étroite collaboration avec nos partenaires et alliés, dont certains n'ont pas encore signé la convention.
Jusqu'à ce que l'objectif d'universaliser la convention soit atteint, les dispositions de la convention sur l'interopérabilité nous permettront de demeurer un allié solide et fiable tout en nous assurant que le Canada respectera ses obligations humanitaires, comme convenu à Oslo, en 2008.
Sur ce, nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Hubley : Soyez les bienvenus. Merci de votre exposé. Il était encourageant d'apprendre, bien entendu, que le Canada n'a jamais utilisé les armes à sous-munitions. Elles sont ce que l'on pourrait maintenant considérer comme une arme désuète et, lorsqu'elles sont utilisées, la destruction est horrible. Vos commentaires étaient très encourageants.
J'aimerais me concentrer sur l'article 11 du projet de loi S-10 qui, avec le projet de loi S-6, semblerait fournir aux Canadiens des occasions d'utiliser ces bombes à dispersion, même si, d'après votre exposé, j'ai cru remarquer que ce n'était peut-être pas le cas. Dans la loi sur les armes à sous-munitions, l'article sur l'interopérabilité constitue ce que je considérerais comme un équilibre délicat entre les questions humanitaires et la sécurité. Voilà sa raison d'être. Je pense que le Canada a négocié avec d'autres États parties et que cela a été écrit pour refléter la réalité actuelle des opérations.
Cela dit, l'article 6 traite des interdictions qui, à mon avis, sont plutôt conformes à ce que vous nous avez dit ce matin. À titre d'exemple, lorsque nous passons à l'article 11 — et je n'examinerai pas l'ensemble du libellé parce que c'est répétitif, comme il se doit — on indique que l'article 6 n'a pas pour effet d'interdire à une personne, dans le cadre de la coopération militaire ou d'opérations militaires combinées mettant en cause le Canada et un État non partie à la convention, à l'alinéa (1)a), « de diriger ou d'autoriser des activités pouvant comporter l'utilisation... »; à l'alinéa (1)b), « de demander expressément l'utilisation [...] de telles armes... » et, à l'alinéa (1)c), « d'utiliser, d'acquérir ou de posséder » ou « d'en déplacer d'un État ou d'un territoire étranger à un autre ».
À l'article 11, le paragraphe (2) indique que l'article 6 « n'a pas pour effet d'interdire le transport, par toute personne [...] d'armes à sous-munitions... » Le paragraphe (3) porte sur l'aide ou l'encouragement. L'article 11 semble avoir une grande importance dans cette mesure législative, ce qui contredit en quelque sorte le fait qu'il s'agit d'un projet de loi de ratification plutôt simple visant la mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions.
À votre avis, les exceptions prévues à l'article 11 du projet de loi S-10 sont-elles conformes au but et à l'intention de la Convention sur les armes à sous-munitions?
Colonel P.K. Gleeson, juge-avocat général adjoint/Opérations (JAGA/OPS), Cabinet du juge-avocat général, Défense nationale : Sénateur, je serais heureux de répondre à la question. La réponse est oui. La mesure législative a pour résultat la ratification de la convention. Cela se fait d'une façon qui permet à la fois d'identifier les interdictions que doivent mettre en œuvre les États parties en vertu de la convention et aussi de mettre en œuvre les exceptions à ces interdictions, que l'on trouve à l'article 21.
Le sénateur Hubley : Certains diraient que cela introduit une faille dans la loi elle-même, que cela réduit grandement la portée de la loi au point de la rendre inutile. D'un autre côté, il est formidable de voir que le Canada a signé la convention, mais lorsqu'on examine la mesure législative de ratification et que l'on constate que cela autorise l'utilisation de bombes à dispersion et d'armes à sous-munitions dans beaucoup de circonstances, il faut se demander quel genre de situation cela engendre.
Compte tenu des propos que le ministre a tenus hier, lorsque le Canada participe à une mission combinée avec les États-Unis et d'autres pays, il semble que ce sont les Américains qui décident des conditions. Autrement dit, c'est la façon de faire des Américains ou rien. Est-ce exact? Si nous formulions des objections sur l'utilisation des armes à sous- munitions et que nous imposions des restrictions sur ce que nos soldats canadiens sont autorisés à faire ou non, les Américains refuseraient-ils notre aide? Refuseraient-ils de participer à des missions combinées?
Major-général Jonathan Vance, directeur d'état-major, État-major interarmées stratégique, Défense nationale : Nous pouvons répondre conjointement. Le juge-avocat général pourra répondre en tenant compte des obligations des États- Unis.
De notre point de vue, il est essentiel que nous respections les dispositions du projet de loi et que celui-ci respecte les dispositions de la convention. Cela permet la mise en place des mécanismes nécessaires à la conduite des opérations. Du fait même de notre participation aux opérations, dans un poste de haut commandement, d'état-major ou de commandement indépendant au sein d'une coalition, nous conservons, en tout temps, le commandement intégral des Forces canadiennes et le commandement intégral de leurs actions. Selon mon expérience, ce n'est jamais une nation qui prend toutes les décisions. Il s'agit toujours d'un effort de collaboration. Dans beaucoup de cas, la nature même d'une coalition, c'est le compromis. Donc, en y participant et en étant une partie à ce compromis, nous sommes en mesure de continuer à exécuter les tâches que le pays exige de nous dans toute situation liée à la sécurité. De plus, en tant que bon partenaire au sein d'une alliance ou d'une coalition, cela nous permet d'exercer l'influence nécessaire sur la conduite de ces opérations.
Col Gleeson : Si vous le permettez, j'ajouterais que l'article 21 de la convention reconnaît l'exigence selon laquelle chaque État partie encourage les États non parties à ne pas utiliser les armes à sous-munitions. Aux paragraphes 1 et 2, l'article indique que l'on doit faire la promotion de ces normes. Il s'agit véritablement d'obligations stratégiques que les États parties doivent accepter lorsqu'ils ratifient la convention.
À l'article 21, on reconnaît que même si un État essaie de bonne foi de respecter ces obligations, il ne réussira pas nécessairement à le faire auprès des États non parties qui choisiront peut-être de continuer à utiliser les armes à sous- munitions. Au paragraphe 3, on traite de la situation tactique qui peut survenir dans de tels cas. En conséquence, lorsqu'on examine la mesure législative de mise en œuvre en fonction de ces situations, elle permet de ne pas criminaliser la conduite des membres des Forces canadiennes qui participeront à des opérations avec les forces des États non parties.
Il s'agit vraiment d'une situation où l'on a des obligations stratégiques, mais où l'on reconnaît que, dans un monde où les États n'ont pas tous le même point de vue sur cette convention en particulier en raison de leurs propres décisions en matière de sécurité intérieure, nous allons participer à des opérations avec ces États. Dans le cadre des opérations menées conjointement avec ces États, il faut avoir une capacité d'interopérabilité qui ne place pas nos membres dans une situation où ils pourraient commettre un acte criminel lorsqu'ils collaborent avec ces forces.
Le sénateur Hubley : Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est la raison d'être de l'article sur l'interopérabilité; on reconnaît une réalité. Cependant, ce que je veux faire valoir, c'est que cela se trouve dans la convention elle-même, mais que ce sujet est très bien couvert dans l'article 6 du projet de loi S-10. À mon avis, l'article 11 va jusqu'à miner complètement l'intégrité du processus de ratification, en ce sens qu'il permet à un Canadien, dans presque toutes les situations, d'utiliser les armes à sous-munitions.
Je crois que le ministre a répondu à la question en disant que si un commandant adjoint, peut-être dans le cadre d'une opération combinée avec les États-Unis, recevait l'ordre d'utiliser des armes sous munitions, il devrait obéir à cet ordre. La question que je lui ai posée en retour était la suivante : sachant que le Canada est un signataire de la Convention sur les armes à sous-munitions et que la personne qui assume le commandement est au courant de ce fait, ne serait-il pas déplacé, dans ce cas, de donner l'ordre à un commandant adjoint canadien de les utiliser?
Mgén Vance : Dans une relation d'étroite collaboration, je ne peux penser à une situation où un commandant donnerait l'ordre à un commandant adjoint d'utiliser des armes précises. À ce niveau, nous déterminons les résultats qui doivent être obtenus sur le terrain. La mise au point d'armes de guerre et la détermination précise de l'armement requis en fonction de l'objectif se font à un niveau tactique, bien loin dans la chaîne de commandement.
Dans le cas présent, il est pertinent de revenir aux propos tenus tant par le ministre que par le juge-avocat général : nous sommes tenus de représenter le Canada. Dans l'exercice de nos fonctions, nous pouvons être appelés à autoriser des opérations au cours desquelles un État non partie peut très bien avoir recours à des armes à sous-munitions. C'est ce dont il est question.
Le sénateur Hubley : Oui, exactement.
Mgén Vance : Cela permet à quelqu'un de jouer un rôle actif et utile dans le cadre du large éventail de choses qu'un commandant adjoint est appelé à faire, ce qui englobe beaucoup plus de choses que la mise au point d'armes de guerre pour un incident ou un événement précis. En fait, il s'agit d'une lourde responsabilité. Le Canada joue un rôle essentiel, important et sans aucun doute déterminant en ce qui a trait aux décisions qui pourraient mener à toute forme d'action tactique particulière.
Pendant le déroulement d'une opération, alors qu'une partie prend des décisions sur la façon d'armer et de préparer ses troupes au combat, il s'agit d'une responsabilité nationale, et il en serait ainsi pour le Canada. Je trouve cela difficile à imaginer. Il est possible que ce qui est indiqué dans le projet de loi soit examiné d'un point de vue qui ne correspond probablement pas à la façon dont le flux des opérations, l'information et des ordres se dérouleraient à ce niveau.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, madame la présidente. Tout d'abord, soyez les bienvenus. Je vais vous questionner sur le transport. C'est entendu que le transport des armes à sous-munitions sur le territoire canadien est interdit. Par contre, le transport est permis pour un État non partie à la convention. Étant donné que les États-Unis sont nos plus proches voisins, j'imagine que cet article a été inclus dans la loi pour les Américains.
S'il y a du transit d'armes à sous-munitions sur le territoire canadien, est-ce que l'État non partie est obligé d'avertir le gouvernement canadien qu'il va passer sur son territoire pour acheminer des armes à sous-munitions?
Mgén Vance : Je vais vous répondre en anglais parce que je veux être absolument clair.
[Traduction]
Je suppose que le juge-avocat voudra aussi donner son avis à ce sujet.
Si l'armée américaine veut transporter des matières dangereuses au Canada en passant par notre espace aérien ou notre espace maritime, elle doit en effet aviser le Canada qu'elle transporte des matières dangereuses et nous connaîtrions la nature de cette marchandise. Je pense que cela répond précisément à la question de savoir si nous serions informés.
Col Gleeson : Essentiellement, le projet de loi ne prévoit aucune obligation, mais il ne modifie certainement pas n'importe laquelle des obligations qui existent déjà. Comme le général Vance l'a indiqué, un avis serait donné en vertu d'autres mécanismes et processus, mais pas en vertu de cette mesure législative.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : J'aimerais également savoir si, de la part de la défense canadienne, vous accompagnez ce transfert ou, tout simplement, s'il s'effectue sans votre présence.
[Traduction]
Mgén Vance : Cela dépend de la situation. En général, avec nos alliés, les procédures canadiennes en matière de transport aérien ou de transport maritime ne prévoient pas qu'ils soient accompagnés ou escortés, si vous voulez
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Pas d'escorte.
Mgén Vance : Pas d'escorte dans l'espace aérien du Canada.
[Traduction]
Je suppose que dans certains cas, on pourrait voir des Canadiens et leurs alliés se déplacer ensemble pendant un exercice ou un déploiement au Canada, mais ce n'est pas nécessairement aux fins d'une surveillance. Ce serait probablement lié à l'exercice lui-même.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma prochaine question est plus brève. Quels sont les pays qui ont utilisé les armes à sous-munitions? Où et quand?
[Traduction]
Mgén Vance : Je ne sais pas quels pays ont déjà utilisé des armes à sous-munitions, à quel moment et à quel endroit. Nous savons que des armes à sous-munitions ont été utilisées dans le cadre de certaines opérations de l'OTAN dans les Balkans, lors d'opérations américaines en Irak et lors d'opérations de la coalition en Afghanistan.
À ce moment-ci, j'aimerais ajouter un renseignement qu'il conviendrait d'étudier avec soin, à mon avis. Tous les pays — surtout ces 10 dernières années, au cours desquelles nous avons participé à différents conflits, et particulièrement quand on repense aux Balkans — se targuent d'être des institutions en apprentissage. Avec nos alliés principaux, nous essayons de tirer des leçons des résultats des actions tactiques, car elles ont une incidence sur la capacité de créer les conditions gagnantes.
Dans le passé, lorsque les armes à sous-munitions ont été utilisées et qu'il a été établi après coup qu'elles n'avaient peut- être pas été utiles au déroulement d'une opération, c'est une leçon retenue. En conséquence, le simple fait qu'une nation a utilisé des armes à sous-munitions dans une situation précise par le passé n'est pas nécessairement une indication qu'elle fera de même à l'avenir sans en avoir tiré les leçons, si cela peut être utile. Elles ont été utilisées, mais pas par le Canada. Les forces canadiennes ne les ont pas utilisées, mais nous avons tous été témoins des conflits où elles l'ont été, avec des résultats à la fois bons et mauvais.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Est-ce que vous êtes au courant si des pays fabriquent encore des armes à sous- munitions?
[Traduction]
Mgén Vance : Je ne sais pas qui les fabrique. Nous savons quel pays ne sont ni signataires, ni parties à la convention. Le lieutenant-colonel Penny pourrait vous en énumérer quelques-uns. Je ne sais pas à quel endroit on en produit, comme je ne sais pas si cela se fait vraiment actuellement.
Lieutenant-colonel Chris Penny, Direction du droit international et opérationnel, Cabinet du Juge-avocat général, Défense nationale : Pour obtenir des renseignements détaillés sur la production dans divers pays, je recommanderais de consulter le rapport intitulé Landmine & Cluster Munition Monitor, qui a été préparé par des organisations non gouvernementales. On y présente un aperçu détaillé des États où l'on trouve des entreprises qui fabriquent ces armes. Parmi les États qui en ont dans leurs inventaires, la liste comprend sans doute des alliés comme les États-Unis, la Corée du Sud, Israël, la Turquie et plusieurs autres.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : J'imagine que la Russie aussi?
[Traduction]
Lcol Penny : Oui.
Le sénateur Wallin : Au cours des 10 dernières années, nous avons participé à des coalitions et des partenariats en Afghanistan. À un moment ou l'autre, certains de nos alliés ou partenaires qui tolèrent toujours l'utilisation des armes à sous-munitions ont-ils refusé de participer à une opération avec nous, ont-ils formulé des critiques ou nous ont-ils donné du fil à retordre parce que nous avons refusé de participer à des opérations où ces armes pourraient être utilisées?
Mgén Vance : Non. Jamais.
Le sénateur Wallin : En Afghanistan, nous avons servi aux côtés de gens qui avaient de sévères restrictions; ils ne pouvaient pas combattre, par exemple. Je présume donc que c'est reconnu que nous suivons parfois nos propres règles, mais cela n'a aucune répercussion au sein de la coalition.
Mgén Vance : C'est en fait un clin d'œil à la nature même des opérations de la coalition, et c'est ce qui explique pourquoi la convention a ainsi été rédigée. Les coalitions en elles-mêmes sont des compromis. Une coalition regroupe des gens de divers degrés de motivation : il y a des membres plus faibles et moins motivés et des membres plus puissants et plus motivés. Tous les États parties d'une coalition veulent que leurs forces soient le reflet de leurs politiques et de leurs valeurs; voilà pourquoi tant de nations imposent des restrictions, mais en fin de compte, les États souhaitent le succès de leurs troupes qui abordent le problème de sécurité sur le terrain. La situation en Afghanistan en est un bon exemple.
Lorsque la coalition formée pour s'occuper d'un problème de sécurité doit intervenir, la pratique courante dans les opérations de la coalition, ainsi que les opérations de l'alliance — c'est exactement le cas de l'OTAN — est que les États parties doivent arriver à des compromis et les surmonter ou les respecter en donnant des instructions et des ordres appropriés qui tiennent compte des restrictions.
Si un État n'utilise pas une certaine arme, elle demeure au sein de la coalition. Ses troupes sont tout simplement utilisées de manière à s'assurer qu'elles ne violent pas un principe ou une loi de leur pays.
Le sénateur Wallin : En ce qui a trait aux munitions mêmes, elles existent depuis un certain temps. Existe-t-il d'autres pièces d'artillerie qui sont aussi efficaces ou qui fonctionnent différemment?
Vous avez parlé, général Vance, des leçons apprises, et vous avez dit que dans certaines situations on pourrait s'en servir; ce ne sera pas le Canada, mais peut-être un allié. Vous semblez sous-entendre qu'il y a peut-être d'autres options et qu'il y a, bien souvent, de meilleures solutions ou des moyens plus efficaces. Qu'en pensez-vous? Quelle est l'opinion du Canada — et vous pouvez aller plus loin — au sujet de l'utilité de l'arme? Pensons-nous qu'il existe des moyens plus efficaces?
Mgén Vance : Vous avez raison. Nous avons appris, et nous pouvons parfois prendre d'autres moyens pour atteindre notre but. Comme on dit, il y a plus d'une façon de plumer un oiseau, et je m'excuse auprès de ceux qui aiment les oiseaux.
Dans le cadre d'opérations axées sur les gens et dont l'objectif ultime est d'améliorer la situation d'un pays, les troupes sont en contact direct avec des gens qui ne participent pas au conflit et qui en sont peut-être même des otages. Nous avons appris que des choix s'offrent à nous lorsqu'il faut empêcher les actions hostiles de l'ennemi ou de ceux qui participent au conflit. Par exemple, pour empêcher les déplacements, vous pouvez utiliser des mines ou des armes semblables, ou vous pouvez déployer des troupes sur le terrain, ou vous pouvez avoir recours au renseignement, à la surveillance, à la reconnaissance et à la détection, ou à une combinaison de ces méthodes. Nous avons appris qu'il y a des risques de blesser la population qui circulera à l'endroit où se trouvent les armes, et cela vient en soi nuire à nos objectifs stratégiques. Notre expérience nous apprend qu'il y a peut-être une meilleure manière d'agir.
Dans les premiers temps des opérations en sol afghan, il y avait un conflit qui s'étirait contre le mouvement taliban et Al-Qaïda dans certains passages et certains corridors de déplacements en Afghanistan. Diverses armes ont été utilisées pour essayer de l'empêcher ou de l'aborder. Au lendemain des attentats du 11 septembre, un petit nombre de troupes se trouvaient sur le terrain en Afghanistan et essayaient de composer avec la menace terroriste.
À mesure que les opérations progressaient et que nous adoptions une approche un peu plus axée sur la population, je serais prêt à affirmer qu'aucune arme à sous-munitions n'a été utilisée en vue d'essayer de contenir la contre- insurrection qui exigeait des techniques et des outils différents. Cela ne veut pas pour autant dire qu'il n'existe pas de circonstances tactiques où les diverses armes à sous-munitions seront peut-être l'arme de choix. Je pense entre autres à des déplacements massifs de chars d'assaut ou de véhicules qui vous attaquent, mais cela ne veut pas dire que c'est la seule solution. Le Canada dispose d'un arsenal qui lui permet de répondre à une telle menace sans avoir recours à des armes à sous-munitions.
Le sénateur Wallin : On pourrait dire que nous n'avons pas mis la vie de nos hommes et de nos femmes en danger en retirant ces armes de notre arsenal.
Mgén Vance : Non. Ils courent un risque de toute façon, et nous avons des manières de nous entraîner et d'utiliser efficacement les armes et les munitions mises à notre disposition.
Lcol Penny : J'aimerais compléter brièvement ces commentaires. Les Forces canadiennes se sont engagées à ne pas avoir recours à ces armes et à trouver d'autres solutions pour aborder les situations qui l'exigent. Voici le problème avec lequel nous sommes aux prises. Des États avec lesquels nous collaborons ont pris la décision, de leur plein droit, de ne pas nécessairement utiliser ces autres solutions. Nous ne les utiliserons évidemment pas, mais le problème est que nous devons tout de même collaborer avec ces autres États qui n'ont pas pris les mêmes décisions que nous.
Le sénateur Wallin : Cela revient à l'idée des compromis dans les coalitions et de la collaboration avec nos alliés. Si nos alliés ne nous demandent pas de le faire et qu'ils ne nous excluent pas de la coalition en raison de nos opinions et de notre système de valeurs, nous ne rejetterons pas les leurs; nous n'y participerons tout simplement pas.
Lcol Penny : Oui.
Mgén Vance : Enfin, on peut avoir une certaine influence si on fait partie de la coalition, particulièrement si on occupe des postes de commandement supérieurs. Encore une fois, nous ne parlons pas nécessairement de déterminer l'arme nécessaire en fonction de l'objectif et de l'effet souhaité, pour reprendre votre dernière question, mais nous pouvons influer sur la manière dont le commandement supérieur analyse globalement la situation et planifie adéquatement les interventions. En ce qui a trait à la structure de la coalition, c'est avantageux d'avoir un poste d'influence. Nous n'en faisons pas un mauvais usage, mais les valeurs canadiennes et notre approche concernant les conflits sont entendues. Voilà pourquoi le Canada est un membre estimé.
La présidente : Avant de céder la parole au sénateur Dallaire, j'ai une question complémentaire à cet égard.
Le libellé du projet de loi indique que nous voulons nous conformer entièrement à la convention. Selon ce que j'ai compris des documents et des témoins jusqu'à présent, c'est l'objectif. Par contre, il y a une exception qui vise à ne pas incriminer nos forces lorsqu'elles participent à des opérations conjointes.
Les membres sont sujets à un examen minutieux au sein des Forces canadiennes. Vous avez vos mécanismes, vos propres processus judiciaires, et vos propres tribunaux et évaluations militaires. Tous ces éléments sont-ils maintenus, même si nous participons à une opération interarmées? Dans le but de rassurer la population en général, surveillez- vous quand même les agissements des Canadiens pour vous assurer qu'ils n'utilisent pas d'armes à sous-munitions, qu'ils ne font pas l'objet de décisions, et qu'une limite est fixée, à savoir qu'ils se trouvent dans le théâtre des opérations seulement lorsque c'est nécessaire et qu'il n'y a aucun renforcement positif à l'égard de l'utilisation d'armes à sous- munitions? Autrement dit, notre politique est-elle renforcée par leurs agissements, et vous assurez-vous à l'aide des mécanismes des tribunaux miliaires de prendre des mesures au sujet des écarts de conduite?
Mgén Vance : Moi-même et le juge-avocat général pouvons vous expliquer comment nous maintenons le contrôle sur des forces qui n'agissent pas directement sous le commandement des Forces canadiennes. Nous avons le pouvoir absolu au sujet de nos troupes. Le Chef d'état-major de la Défense ne cède jamais complètement le commandement de ses forces indépendamment des circonstances. Nos forces sont obligées de suivre les lois, les règles et les règlements. Le présent projet de loi est aussi clair, parce qu'il s'assure notamment de ne laisser aucun risque de faux pas. Ensuite, le CEMD le renforce en émettant des instructions, des ordres et des ordres concernant le théâtre des opérations pour les gens qui se trouvent dans de telles situations.
La réponse est oui. Nos forces sont assujetties en tout temps au droit canadien. Le CEMD interdira l'utilisation d'armes à sous-munitions. Autrement dit, nous ne pouvons pas nous servir d'armes à sous-munitions, et ce, même si nous sommes prêtés. Nous ferons peut-être partie du quartier général qui planifiera une opération au cours de laquelle un État partie ou un État non partie utilisera de telles armes. Nous ferons peut-être partie de la chaîne logistique qui mènera à une opération au cours de laquelle de telles armes seront peut-être utilisées, mais nous n'en ferons pas usage.
Si une personne va à l'encontre d'un ordre du CEMD, qui a le droit de donner des ordres que nous sommes légalement tenus de respecter, elle devra répondre de ses actes en vertu du Code de discipline militaire et des dispositions du présent projet de loi. Je crois que le juge-avocat général pourra vous dire plus long à cet égard.
Col Gleeson : Je veux simplement rappeler que les membres des Forces canadiennes déployés partout dans le monde sont assujettis au Code de discipline militaire et aux lois et aux valeurs canadiennes par l'entremise de ce code, peu importe l'État avec lequel ils collaborent. Dans le projet de loi, l'article 6 est en fait la disposition qui criminalise l'acte. On y énumère les activités qui sont passibles de conséquences pénales devant les tribunaux canadiens et au sein de la société canadienne. L'article 11 énumère les exceptions à cet égard et reconnaît que les membres des Forces canadiennes déployés dans le monde peuvent se trouver dans des situations où ils seraient autrement sujets à des sanctions criminelles. Bref, l'objectif est que cela ne s'applique pas, lorsque nos troupes collaborent avec des alliés qui n'ont pas adopté la même politique et n'ont pas fait les mêmes choix que nous en ce qui a trait à l'utilisation de telles armes.
Mgén Vance : Pour conclure, j'aimerais revenir sur le témoignage d'hier du ministre Baird. Le monde est imparfait. Si tous nos partenaires de la coalition et nos alliés avaient adhéré et étaient des États parties à la convention, nous n'aurions pas cette discussion, mais la réalité est tout autre. En vue d'être en mesure de défendre nos intérêts nationaux au sein d'une coalition dont certains membres sont peut-être des États non parties, nous devons nous assurer que si nos troupes se trouvent dans une telle situation, même si nous préférions que ce ne soit pas le cas, elles ne sont pas passibles de poursuite au criminel pour quelque chose qui est indépendant de leur volonté.
Le sénateur Dallaire : Imaginez qu'une compagnie se fait attaquer et qu'elle fait une demande de tir. Le tir viendra de l'artillerie ou des airs, et le centre de conduite de tir donne les coordonnées de la cible à un appareil américain ou une formation d'artillerie américaine. C'est le centre de conduite de tir qui décide des munitions qui seront utilisées. Même si notre système est différent, c'est le centre de conduite de tir qui décide si les troupes utiliseront des munitions au phosphore blanc, des explosifs détonants ou des armes à sous-munitions. Le centre de conduite de tir choisit de tirer des armes à sous-munitions au-devant de notre position pour nous protéger. Étant donné que des armes à sous- munitions ont servi à protéger nos troupes ou que de telles armes ont été utilisées au cours de l'opération, le commandant sur le terrain pourrait-il en être tenu responsable?
Mgén Vance : Le projet de loi et les dispositions que nous avons renforcées par des directives du CEMD servent à empêcher une situation qui ne relève pas exclusivement de notre volonté. Si nous avons le choix sur le terrain, nous n'ordonnerons pas l'utilisation de telles armes.
Le sénateur Dallaire : Je sais tout ça.
Mgén Vance : Si nous n'avons pas le choix et que nous demandons un tir, le système a changé. Ce n'est pas le centre de conduite de tir qui a le contrôle, mais plutôt le contrôleur aérien avancé. Le contrôleur aérien tactique interarmées décide des munitions utilisées.
Votre exemple est une situation qui évolue rapidement; ce n'est pas une cible planifiée. On n'a pas déterminé l'arme nécessaire en fonction de l'objectif et de l'effet souhaité. Il s'agit d'une demande de tir d'urgence. Dans un tel cas, c'est le contrôleur aérien avancé ou le contrôleur aérien tactique interarmées sur le terrain. C'est la responsabilité du bombardier-chef de décrire l'effet visé et les munitions requises. Aucun Canadien ne demanderait d'utiliser des armes à sous-munitions.
Si le seul avion en vol n'est équipé que d'armes à sous-munitions et que le bombardier-chef a vraiment besoin du tir pour sauver des vies et remplir sa mission, il ne sera pas tenu responsable ou reconnu criminellement responsable de son geste en vertu de la loi, parce que c'est indépendant de sa volonté. Le choix des munitions ne relève pas exclusivement de sa volonté, mais il doit tout de même remplir sa mission.
Il a le choix de demander le tir et d'obtenir l'effet nécessaire ou de risquer sa vie et celle des autres soldats qu'ils souhaitent ainsi protéger.
Le sénateur Dallaire : C'est en dernier recours, et c'est ce que je voulais savoir.
Col Gleeson : Sans l'article 11 du projet de loi, il serait probablement tenu criminellement responsable de son geste en vertu de l'article 6 du projet de loi.
Le sénateur Dallaire : Exact. Des pays les utilisent toujours et en ont encore beaucoup en stock, et c'est certainement quelque chose qui motive leurs décisions.
Monsieur Green, vous fondiez beaucoup votre argument de ce matin non seulement sur le fait que nous avons participé à des coalitions et collaboré avec les États-Unis en tant qu'alliés, mais aussi que nous avons signé des accords de défense bilatéraux avec nos partenaires américains. Est-ce exact? Nous savons que les Américains utilisent des armes à sous-munitions et qu'ils en ont beaucoup en stock. Vous avez avancé qu'en vue de permettre une pleine interopérabilité avec les Américains, nous devons continuer de renforcer nos accords de défense bilatéraux et éviter de mettre en péril tout autre élément de ces accords. Vous avez dit qu'il serait judicieux d'adopter certains amendements pour éviter que les Américains, en particulier, se demandent si leurs alliés canadiens continueront de collaborer avec eux ou s'ils pourront continuer de le faire, étant donné qu'ils utilisent des armes à sous-munitions. Est-ce exact?
M. Green : Oui, si je vous comprends bien.
Le sénateur Dallaire : Voilà en gros ce qui explique cet amendement. Il s'agit de notre capacité d'avoir des forces américaines sous notre commandement, même si nous n'utilisons pas d'armes à sous-munitions, contrairement aux Américains. Ils veulent se servir de cette exception principalement dans le cas où leurs forces utiliseraient des armes à sous-munitions en vue de protéger leurs propres troupes. Ce serait peut-être un facteur qui les pousserait à placer leurs troupes sous notre commandement, comme c'était le cas en Afghanistan.
C'est comme si nous avions le commandement d'une coalition, mais que nous refusions catégoriquement d'avoir de telles munitions dans nos stocks. Cela risque peut-être d'influer sur la décision de nous accorder le commandement d'une force de coalition, parce qu'il nous manque certains atouts. Nous avons une telle restriction concernant les armes à sous- munitions, n'est-ce pas?
Mgén Vance : Nous ne sommes pas le seul pays signataire de cette convention. Il y en a 111 en tout. Durant le processus d'élaboration de la convention, on a reconnu qu'elle n'était pas conçue ainsi seulement en raison de la relation entre le Canada et les États-Unis. C'est aussi pour tenir compte du fait que les coalitions de partenaires pour une même cause ne se limitent pas à l'accord bilatéral Canada—États-Unis; même s'il s'agit d'un facteur important pour nous, cela ne signifie rien pour les 110 autres pays signataires de cette convention. Il se trouve que la convention a été rédigée ainsi et, par conséquent, tous les pays qui passent de signataires à États parties font le même travail que nous pour les diverses raisons qui leur sont propres. Dans ce cas-ci, la relation entre le Canada et les États-Unis doit être reconnue, mais ce n'est pas la seule. Il y aura bien d'autres pays de la coalition, dans l'avenir de la sécurité canadienne, dans les prochaines décennies, qui pourraient très bien avoir besoin que nous soyons en mesure d'agir sur le plan multilatéral.
Le sénateur Dallaire : Général, je le sais très bien. Toutefois, l'argument a été présenté ici, particulièrement en ce qui concerne l'accord bilatéral et l'interopérabilité avec notre plus proche allié. Je réponds à ce fait.
Je tiens aussi à signaler que nous avons établi que les petites bombes, les mines et les armes à sous-munitions ne constituent pas des systèmes d'armes essentiels dans notre inventaire. C'est ce que nous avons décidé; nous avons signé et approuvé cela. Or, j'ai du mal à comprendre pourquoi, alors, il faudrait que nous acceptions cela pour toute autre opération à laquelle nous participons avec des alliés qui estiment que c'est essentiel; pourquoi nous devrions modifier notre position, si nous considérons que ces choses ne sont pas essentielles. Nous ajoutons des amendements pour pouvoir travailler avec eux et qu'ils puissent utiliser ces armes. Ce serait beaucoup plus logique, si le système d'armes n'est pas essentiel, de faire valoir auprès d'eux que le système d'armes ne devrait pas être essentiel. Si nous parlons d'interopérabilité avec nos collègues, nous devrions essayer de les persuader de se débarrasser de ce système d'armement.
Pourquoi argumenter si vigoureusement pour inclure ces exceptions, alors que nous ne voulons pas de ces systèmes d'armes? Nous ne les considérons pas comme essentiels. Pourquoi voudrions-nous seulement nous trouver dans des situations où ces armes entraîneraient des dommages collatéraux importants sur le terrain?
M. Green : Je ne pense pas que ce soit aussi clair que cela. Nous parlions d'un équilibre et nous considérons notre capacité d'interopérabilité avec nos alliés américains comme une priorité et un peu comme une exigence élémentaire. Ce sont assurément nos plus grands alliés. En vertu de cette exception, je ne crois pas que nous augmentions les risques de recours aux armes à sous-munitions. Je pense que dans une certaine mesure, même si c'était difficile à prouver, nous contribuerions à ce que nos alliés adoptent une approche plus raisonnée quant à leur utilisation. Il ne fait aucun doute qu'il y a un équilibre. Veut-on laisser entendre, puisque nous ne les utilisons pas, que nous ne devrions pas privilégier l'interopérabilité avec les États-Unis?
Le sénateur Dallaire : L'interopérabilité englobe beaucoup plus que les armes à sous-munitions. Tous les éléments de nos opérations ne sont pas compatibles; notre doctrine et notre tactique ne sont pas nécessairement complètement compatibles. En fait, nous ne plagions pas ce qu'ils font. Nous espérons élaborer nos propres concepts d'opérations, notre propre philosophie de guerre et notre propre base doctrinale que nous voulons compatible, mais qui n'a pas été plagiée. Il y a d'autres éléments au sein de nos forces qui ne sont pas nécessairement compatibles. Incidemment, avec l'OTAN, nous n'avons jamais atteint non plus une interopérabilité totale, mais cela ne nous a pas empêchés d'agir de façon fonctionnelle et opérationnelle.
Je soutiens que si nous avons une capacité que nous considérons comme non essentielle pour accomplir notre mission, et dans la mesure où nous avons détruit l'arme — parce que l'arme, c'est le projectile, et non le système de lancement — et que nous incluons ici la nécessité de laisser la porte ouverte à l'interopérabilité avec un partenaire qui n'a pas encore pris cette décision, je ne vois pas comment cela les portera à y réfléchir à deux fois. Au contraire, cela leur permettra seulement d'utiliser ce qu'ils ont en main, peut-être même devant nous, et de créer une situation dont nous ne voulons pas. Pourquoi ne pas inclure cette exception afin de les forcer, de les encourager à privilégier davantage l'interopérabilité avec les 110 autres pays et à se débarrasser de ces armes?
Mgén Vance : Vous avez émis une opinion. Nous avons expliqué...
Le sénateur Dallaire : Je vous demande pourquoi nous n'avons pas adopté cette approche au lieu de la vôtre.
La présidente : Sénateur Dallaire, il a commencé à répondre. J'aimerais entendre la réponse complète.
Le sénateur Dallaire : Non, mais il m'a posé une question.
La présidente : Il n'avait pas terminé.
Mgén Vance : J'ai fait une affirmation. J'ai dit : « Vous avez émis une opinion. » Ce n'est pas une question.
Notre tâche ici est d'expliquer ce que cela signifie pour le MDN et les Forces canadiennes. Je pense que nous l'avons fait.
Je vous rappelle que nous ne parlons pas seulement du Canada et des États-Unis; il s'agit d'un effort multinational auquel participent 111 États dans le cadre du processus d'Oslo, où la convention a permis de reconnaître la nécessité de ces exceptions pour les pays signataires afin de favoriser l'internationalisme. Malgré le fait que nous abhorrons l'utilisation de ces armes et que nous préférerions qu'elles ne soient pas utilisées, et nous espérons en fait pouvoir décourager leur utilisation lorsqu'il sera judicieux de le faire, nous conserverions un bon statut de partenaire de l'alliance et de partenaire de la coalition.
Il est injuste de ramener la question uniquement à la dynamique entre le Canada et les États-Unis, compte tenu des efforts de tous les pays. Je doute que les choix soient aussi difficiles que vous le laissez entendre. Je pense qu'il y a une volonté de maintenir une position d'interopérabilité sur le plan international, et pas seulement une interopérabilité tactique, mais aussi la capacité de partager le même théâtre des opérations.
Le sénateur Dallaire : Exactement.
Mgén Vance : Nous voyons ici que nous pouvons être sur le même théâtre des opérations et collaborer avec de multiples alliés, dont des États parties ou non. L'important, c'est de permettre que cela se produise sans nuire à nos forces en place ni les mettre dans une situation où elles risquent d'enfreindre les lois canadiennes, ou pour les autres pays signataires d'enfreindre leurs propres lois, et de pouvoir continuer.
L'objectif véritable est de faire exactement ce qui est prévu, soit exercer un leadership à l'échelle internationale et exercer des pressions au moyen du processus afin d'encourager l'élimination de ces armes. Parallèlement, nous devons tout de même pouvoir atteindre les objectifs que le Canada peut nous fixer sur le plan international avec nos partenaires. Par conséquent, je demande que nous examinions la question de façon plus large et pas seulement l'élément bilatéral entre le Canada et les États-Unis.
Col Gleeson : On semble reconnaître, dans la convention même, que le contraste n'est pas aussi marqué qu'on le laisse entendre. L'article 2 porte sur l'obligation de promouvoir les objectifs de la convention, mais il reconnaît également que sur une base très concrète, les États parties peuvent ne pas réussir à convaincre leurs alliés de ne pas utiliser ces armes ou à promouvoir les buts de la convention. En conséquence, il prévoit un mécanisme pour veiller à ce que l'interopérabilité soit maintenue, de sorte que ces forces puissent continuer leurs opérations. Dans le contexte de notre projet de loi, cela se reflète dans l'exemption aux dispositions prévoyant des sanctions.
Il y a des choix à faire ici. Il y a certainement des objections et des buts contradictoires, et la convention semble le reconnaître.
Le sénateur Dallaire : Je ne parle pas seulement des États-Unis, mais nous savons qui sont les acteurs importants et qui ils influencent, en particulier quant à l'interopérabilité et à la normalisation, alors ne le cachons pas. Vous avez tout à fait raison; nous nous préoccupons des autres acteurs dans n'importe quel type de coalition. On ne devrait pas le nier.
En ce qui concerne la possibilité que nous conservions des stocks destinés à l'entraînement, est-il prévu que la force aérienne ou l'artillerie aura absolument besoin d'utiliser des munitions réelles, ou ces stocks ont-ils aussi été détruits?
Mgén Vance : Nous n'avons pas l'intention de conserver d'armes à sous-munitions en stock.
Le sénateur Dallaire : Aucune?
Mgén Vance : Aucune.
Le sénateur Dallaire : L'information est peut-être erronée, dans ce cas.
Mgén Vance : Je pense qu'il y a des dispositions dans les conventions qui permettent aux États de le faire. Vouliez- vous dire quelque chose à ce sujet?
Lcol Penny : C'est exact, monsieur. Il y a des dispositions législatives permettant de le faire, si nécessaire, mais en ce moment, rien n'indique que nous en aurons besoin.
Le sénateur Dallaire : Comment pouvez-vous dire cela alors que vous affirmez que vous ne les utiliserez jamais?
Lcol Penny : La convention même permet la conservation de stocks, non pas à des fins d'entraînement, mais à des fins de dégagement d'une zone et d'élaboration de contre-mesures; à l'heure actuelle, il n'est pas nécessaire que les Forces canadiennes conservent ces stocks à ces fins. Toutefois, la convention permettrait de le faire, au besoin, et la mesure législative laisse cette possibilité, si cela s'avérait nécessaire dans l'avenir.
Mgén Vance : Monsieur, les futures munitions classiques améliorées à double effet, ou MCADE, auront peut-être un réglage fusée et un mécanisme que nos ingénieurs, dans le cadre de leurs fonctions lors d'une opération, pourraient devoir démonter, s'il s'agit de ce type de munition. C'est donc pour maintenir la capacité, dans l'avenir, advenant le cas où les armes évolueraient à tel point que nous devions offrir des programmes de formation pour que nos soldats puissent se protéger et protéger les citoyens de façon sécuritaire. Ce n'est pas du tout pour les utiliser.
La présidente : Depuis combien de temps les armes à sous-munitions existent-elles et sont-elles utilisées par nos forces de la coalition?
Mgén Vance : Depuis les années 1970. Du moins, à ma connaissance. Il y a peut-être des pays qui y ont travaillé bien avant, mais je crois que la génération moderne de MCADE existe depuis les années 1970.
Quelqu'un en sait-il davantage?
Lcol Penny : Je pense que la première utilisation a été signalée durant la Seconde Guerre mondiale, mais je crois savoir également que l'usage ou du moins le stockage de la plupart des armes dont nous parlons maintenant s'est répandu dans les années 1970.
Mgén Vance : Les armes modernes.
La présidente : Ce que j'ai du mal à comprendre, c'est que pour qu'il y ait une convention, il faut que le public comprenne à quel point une arme cause la destruction et, par conséquent, il faut que l'opinion publique dise qu'il s'agit d'un moyen inacceptable de nous défendre. C'est essentiellement ainsi que je le vois du point de vue du public. Il semble que les mines terrestres aient retenu l'attention du public et, tout récemment, que les armes à sous-munitions aient fait l'objet de débats ailleurs que dans certaines ONG qui ont suivi l'évolution de cette question.
Le Canada a-t-il un rôle à jouer, à l'article 21, pour informer la population au sujet de l'utilisation des bombes à dispersion? Avec les technologies d'aujourd'hui, il n'y a plus de frontières. Si nous en faisions davantage pour rendre publique l'utilisation que l'on fait de ces terribles armes, favoriserions-nous davantage l'application de l'article 21? S'agit-il, selon vous, d'une question d'intérêt public? J'ai posé la question au ministre et au ministère également.
M. Green : On a mentionné plus tôt que de nombreuses ONG publient des informations à ce sujet, de façon assez précise, d'après ce que je comprends.
Pour ce qui est du rôle du gouvernement du Canada, je pense que ce que nous faisons pour ratifier la convention traduit clairement l'intention du gouvernement sur cette question. Par ailleurs, je ne sais pas dans quelle mesure nous pourrions rendre public ou souligner ce problème, mais je crois que cette mesure législative et l'objectif de la convention reflètent la position du gouvernement.
Puis, comme je l'ai dit, il y a les ONG qui attirent régulièrement l'attention sur l'emplacement des stocks d'armes, les types d'armes, et cetera.
La présidente : Y aura-t-il une campagne de sensibilisation afin que le public comprenne qu'il s'agit d'un équilibre entre notre défense et nos capacités et l'utilisation de ces armes terribles, les armes à sous-munitions, et que c'est le but ultime de cette convention, compte tenu du fait que les pays ont l'obligation de se défendre, tant individuellement que collectivement, dans certains cas, mais que par ailleurs, il y a d'autres moyens de le faire et que nous avons décidé que pour nous, il n'était pas question d'utiliser les armes à sous-munitions?
M. Green : Je ne crois pas qu'il y ait de programme particulier. Comme je l'ai dit, en vertu de ce processus... le ministère des Affaires étrangères est chargé du dossier du fait de la présence de nos ambassades à l'étranger et de nos communications régulières concernant ce processus. Cependant, je ne crois pas qu'il existe de grand projet de sensibilisation, pas à ma connaissance.
Le sénateur Hubley : On a mentionné tout à l'heure la convention d'Ottawa. Ai-je raison de dire qu'il n'y a pas de disposition relative à l'interopérabilité dans la convention d'Ottawa qui régit l'utilisation des mines terrestres?
Lcol Penny : C'est exact.
Le sénateur Hubley : Ce programme connaît du succès, à mon avis. Il va certainement se poursuivre.
Lcol Penny : Je ne sais trop quoi répondre. Je conviens qu'il connaît du succès.
Le sénateur Hubley : Je voulais seulement le souligner. Je vais faire le plus vite possible, puisque j'ai écouté le débat ce matin.
Aurions-nous pu rédiger l'article 11 du projet de loi S-10 d'une manière différente? Aurions-nous pu le rédiger de façon à permettre l'interopérabilité avec des États non parties à la convention sans utiliser un langage aussi explicite et un si grand nombre d'exceptions? Par exemple, aurions-nous pu préciser que les Canadiens ne peuvent être tenus responsables des actions d'une force militaire étrangère pendant des opérations militaires combinées, sans leur donner un droit explicite d'utilisation des armes à sous-munitions, comme on le fait manifestement à l'article 11? Cet article aurait-il pu être rédigé différemment?
Mgén Vance : Il ne s'agit pas d'un « droit explicite d'utilisation ». On n'y trouve nulle part un droit explicite d'utilisation. S'il y a une capacité non exclusive — autrement dit, vous êtes dans une situation où il n'y a pas d'autre choix, vous avez une mission à accomplir et vous faites partie d'une force alliée ou vous collaborez avec une force alliée — alors je ne voudrais pas, madame, que vous vous serviez du terme « utilisation » pour la qualifier, car les Canadiens n'ont pas l'intention d'utiliser des armes à sous-munitions.
M. Green : Juste avant de passer au juge-avocat général, en ce qui touche les conventions, il y a toujours beaucoup de discussions sur le libellé à employer et les différentes options. Je pense que dans le cas de ce projet de loi, on a passé beaucoup de temps à préciser les exceptions afin de les rendre indiscutables.
Col Gleeson : Je vais ajouter à cela et je vais demander au lieutenant-colonel Penny de faire de même.
L'article 11est formulé de façon à rendre le contenu de la convention, et, plus important encore, l'article 6 du projet de loi stipule les interdictions. Étant donné la nature criminelle de la chose, ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas doit être clair et précis. En fait, « autorisé » n'est pas le bon terme parce qu'il ne s'agit pas d'une loi habilitante; il faut plutôt parler de ce qui ne compte pas parmi les activités interdites, qui sont décrites à l'article 6.
Le projet de loi a été formulé de façon à ce que ce qui est prévu à l'article 6 soit très clair.
Lcol Penny : J'insiste sur le fait que le projet de loi n'autorise ou n'ordonne aucune action précise à aucun moment donné. Il ne fait que mettre en place des protections contre la responsabilité criminelle dans les circonstances données.
Pour répondre précisément à la question, il faut absolument un libellé précis et détaillé afin de satisfaire les normes de droit criminel qui exigent la certitude. De cette façon, les personnes touchées par la loi sauront très clairement ce qui est inclus et ce qui ne l'est pas.
Le sénateur Hubley : Vous savez probablement que le projet de loi de ratification auquel l'Australie travaille est bloqué en raison de la disposition sur l'interopérabilité. Certains ont affirmé que la mesure législative du Canada est encore plus faible que celle de l'Australie. C'est pour cette raison que nous sommes préoccupés par ce que l'article 11 fait et ne fait pas, ce qu'il permet et la façon dont il reflète la nature de la convention. C'est ce qui m'inquiète.
M. Green : D'après ce que j'ai compris, l'Australie a adopté récemment son projet de loi et il a reçu la sanction royale.
Lcol Penny : C'est ce que j'ai cru comprendre aussi.
Le sénateur Hubley : À ma connaissance, il est resté bloqué au Sénat pendant environ un an, le temps qu'il soit corrigé.
Compte tenu des exceptions prévues à l'article 11, pensez-vous que vous placez les Forces canadiennes dans une situation difficile sur le plan moral? Le pays qu'elles servent a interdit l'utilisation des armes à sous-munitions et il a déclaré qu'il ne les emploierait jamais, et maintenant elles participent à une opération combinée dans le cadre de laquelle il est possible qu'elles aient à les utiliser d'une façon quelconque.
Mgén Vance : Pour reprendre encore une fois les propos du ministre Baird, en fait, la mesure renforce la position tant du pays que des Forces canadiennes. La précision est d'une grande valeur pour nos soldats. Ce qui a force de loi est clair, et, au besoin, le CEMD précisera encore davantage la mesure en émettant des ordres et en la traduisant dans un langage opérationnel utilisable par les soldats.
Les précisions apportées par les dispositions sont exactement ce qu'il faut. Elles donneront de la confiance aux troupes sur le terrain. Si le Canada était un État partie à la convention et il y avait un manque de précision, ce serait injuste pour les soldats sur le terrain.
Le sénateur Wallace : Général, comme vous l'avez dit, le projet de loi présente les interdictions à l'article 6, puis il stipule les exceptions applicables dans le cas des opérations militaires combinées à l'article 11. Bien sûr, les dispositions du projet de loi doivent concorder avec la convention, et je crois que vous êtes d'avis qu'elles correspondent à nos obligations en vertu de la convention.
L'article 21 de la convention traite des opérations militaires conjointes. L'une des dispositions stipule qu'un État partie ne peut pas utiliser d'armes à sous-munitions. Êtes-vous convaincu que si les opérations d'un État non partie étaient sous le commandement d'un membre des Forces armées canadiennes et que cette personne ordonnait d'utiliser ce type d'arme, on jugerait que c'est le pays qui possède l'arme qui en fait l'utilisation et non le Canada?
Autrement dit, si c'est le Canada qui commande et contrôle l'opération, nous inquiétons-nous de la possibilité que le commandement et le contrôle soient considérés comme étant une utilisation de ce type d'arme par le Canada, ce que nous ne voulons évidemment pas?
Mgén Vance : C'est exactement pour cette raison que le projet de loi est formulé de cette façon. C'est pour que ce soit clair pour cette personne que, selon le Canada, elle respecte la loi si elle exerce ses fonctions légitimes de commandant d'une opération, mais pas de commandant des Forces canadiennes.
Si la personne commande exclusivement les Forces canadiennes, elle ne peut pas utiliser d'armes à sous-munitions, et aucune ressource des Forces canadiennes ne peut être employée à cette fin. Toutefois, si elle est individualisée, comme c'est le cas lorsqu'on fait partie du personnel de commandement ou général d'une coalition, et elle est obligée d'autoriser les actions d'un État non partie — des actions qui sont parfaitement légales et légitimes selon les lois du pays concerné —, elle n'enfreint pas la loi. Tous les pays utilisent leurs propres lois dans leurs poursuites judiciaires des opérations de coalition. Je ne connais aucune nation qui abroge ses lois quand elle entre sur la scène internationale. Nous sommes donc obligés de continuer à suivre les lois canadiennes.
Les exceptions contenues dans le projet de loi prévoient ce genre de situation. Ainsi, vous ne vous trouvez pas dans une situation difficile sur les plans moral et légal parce que c'est prévu par la loi. Les dispositions sont aussi claires et précises que cela, et c'est là une bonne raison.
Le sénateur Wallace : Je comprends. Je pense que vous avez répondu à ma question. Ma question ne portait pas tant sur la personne que sur notre obligation en tant qu'État qui a accepté d'adhérer à la convention et de ne pas utiliser ce type d'arme. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'on ne jugerait pas que le Canada utilise ce type d'arme s'il ordonnait à un autre pays de l'employer. Êtes-vous convaincu que ce ne serait pas le cas?
Mgén Vance : Oui, monsieur. Je le répète, à ces niveaux, nous n'ordonnons pas nécessairement à l'autre d'utiliser ce type d'arme. Compte tenu de la vaste gamme de choix dont nous disposons tous, nous ne dirions pas à un État non partie d'utiliser cette arme. Il se peut que nous ayons à autoriser ce que les forces de cet État ont choisi de faire, parce que tous les pays conservent le commandement complet de leurs opérations. Ce n'est pas du tout la même chose que d'avoir l'initiative et d'ordonner l'emploi des armes à sous-munitions.
Le sénateur Dallaire : Je pense que nous avons affaire à une question d'éthique intéressante, dans la mesure où le projet de loi permet au commandant canadien d'une force multinationale d'autoriser ou de diriger les activités de la force armée d'un État non partie comportant l'utilisation, la possession, l'importation ou l'exportation d'armes à sous- munitions.
Vous êtes le premier commandant d'une force de coalition; vous êtes peut-être avec des Canadiens, ou non. C'est vous qui êtes responsable des règles d'engagement de la force, et toutes les nations qui y participent négocient ce qu'elles peuvent et ne peuvent pas faire avec vous.
En tant qu'officier général canadien qui a le commandement sur une force de coalition, en tenant compte de notre perception de ce système d'arme sur le champ de bataille et de votre connaissance professionnelle de sa valeur, pensez- vous que vous pourriez ordonner que ce type d'arme ne soit pas utilisé sous votre commandement?
Mgén Vance : Merci de la question, monsieur. Elle touche certainement en partie le fond de la question.
J'aimerais apporter une précision. Les règles d'engagement sont toujours uniquement à la discrétion de la nation qui fournit ses forces. Le commandant d'une force n'est pas autorisé à modifier les règles d'engagement d'un pays. Il comprend les règles d'engagement et les restrictions qui entrent en ligne de compte, et il se sert des forces en conséquence. À une certaine époque, les commandants ont essayé de modifier les règles.
Le sénateur Dallaire : Le commandant de la force et ses troupes sont responsables des RE, mais chaque nation donne ses restrictions et le commandant doit les respecter. Je n'ai jamais dit le contraire.
Mgén Vance : D'accord, je tenais simplement à ce que cela soit clair.
En ce qui concerne la question d'éthique, tout d'abord, pour agir de façon éthique, nous devons respecter les lois et les attentes canadiennes. Quand le projet de loi sera adopté, les lois et les attentes canadiennes seront claires, et nous les respecterons sans poser de questions. Voilà une chose.
Pour ce qui est de la possibilité que le Canada, un pays qui condamne l'utilisation de ce système d'arme, se trouve sur un théâtre d'opérations où un autre État veut l'utiliser, à mon avis, il serait préférable d'être présent pour essayer d'exercer de l'influence. J'aimerais mieux être en mesure de dire : « Attendez, j'ai une meilleure idée », surtout si je suis en position d'autorité. Dans le pire des cas, je préférerais être là pour savoir que des armes à sous-munitions ont été employées et pour vérifier que toutes les munitions ont explosé et que tout a été nettoyé. Si vous êtes le commandant de la force, vous pouvez dire : « D'accord, on en a utilisé, mais plaçons un gros carré rouge autour de la zone, avertissons la population et faisons ce que nous avons à faire pour atténuer les dommages. » Au contraire, le danger de ne pas participer parce que d'autres utilisent les armes à sous-munitions, c'est que si nous ne jouons pas notre rôle de partenaire de l'alliance sur la scène internationale, nous ne serons peut-être pas en mesure d'intervenir après coup ou d'essayer de trouver d'autres moyens d'atteindre un objectif militaire sans avoir recours à ce type d'arme.
Le commandant d'une force — encore une fois, vous le savez mieux que moi — ordonne rarement l'utilisation d'une arme précise. Il demande à un contingent d'obtenir un effet. Si le contingent appartient à un État non partie, s'il respecte les lois de sa nation et s'il ne connaît pas le défi d'éthique dont vous parlez, le commandant de la force a le droit de tenter de modérer sa vision de la situation. Il peut la présenter de façon à ce que le contingent ne se sente pas obligé d'utiliser ce système d'arme. Au bout du compte, si cette arme est employée, au moins le commandant de la force est en mesure d'atténuer les dommages et d'assurer un suivi. Il est au courant de la situation.
Le sénateur Dallaire : Cette réponse et vos réponses précédentes laissent entendre que vous croyez qu'il est possible qu'on ne demanderait pas au Canada de commander une coalition en raison de la position qu'il soutiendrait si ces modifications n'étaient pas apportées. Est-ce exact?
Mgén Vance : Ce n'est pas ce que je dis. Ce que je dis, c'est que si ces modifications étaient apportées, nous pourrions fonctionner sans être tenus criminellement responsables au Canada dans les cas où l'on pourrait juger que nous avons utilisé des armes à sous-munitions.
Le sénateur Dallaire : C'est un côté de la question.
Mgén Vance : C'est tout ce que je dis, monsieur. La mesure permet à l'officier ou aux personnes concernés de fonctionner efficacement dans le cadre d'une coalition, sans craindre d'être poursuivis au Canada.
Le sénateur Dallaire : Cela n'a rien à voir avec l'interopérabilité, alors?
Mgén Vance : Cela a tout à voir avec l'interopérabilité.
Le sénateur Dallaire : Non. Nous n'en avons pas besoin.
La présidente : Vous devrez accepter que vous n'êtes pas d'accord.
Messieurs, merci d'être venus, d'avoir répondu à nos questions, de nous avoir présenté votre position, ainsi que de nous avoir renseignés davantage sur la convention, le projet de loi S-10 et les conséquences pénales de la mesure. Je vous remercie de vos témoignages.
(La séance se poursuit à huis clos.)