Aller au contenu
AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 11 - Témoignages du 16 février 2012


OTTAWA, le jeudi 16 février 2012

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, pour examiner, afin d'en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole. (Comment les organismes de recherche trouvent de nouvelles possibilités de recherche, en prouvent l'utilité et en communiquent les risques et la valeur.)

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je déclare la séance ouverte. Je voudrais en profiter pour remercier le sénateur Nolin qui se joint à nous. Merci et bienvenue, sénateur Nolin.

Le sénateur Nolin : Cela me fait plaisir.

[Traduction]

Le président : Je constate que nous avons le quorum; nous allons donc commencer. Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Je m'appelle Percy Mockler, je viens du Nouveau-Brunswick et je suis le président du comité. J'aimerais souhaiter officiellement la bienvenue aux témoins.

Avant que nous entendions vos exposés, j'aimerais que les sénateurs se présentent.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent, Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je suis le sénateur Don Plett, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Nolin : Pierre Claude Nolin, province de Québec.

[Traduction]

Le sénateur Buth : Je suis JoAnne Buth, du Manitoba.

Le sénateur Ogilvie : Je suis Kevin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Rivard : Michel Rivard, les Laurentides, Québec.

[Traduction]

Le président : Nous aimerions remercier les témoins d'avoir accepté notre invitation, conformément au mandat et à l'ordre de renvoi que nous avons reçus du Sénat, c'est-à-dire examiner, en ce qui concerne l'agriculture, le développement de nouveaux marchés nationaux et internationaux, le renforcement du développement durable de l'agriculture et l'amélioration de la diversité, de la sécurité et de l'innovation alimentaires.

Aujourd'hui, nous recevons M. Earl Geddes, directeur exécutif de l'Institut international du Canada pour le grain, et M. Jim Brandle, président-directeur général de Vineland Research and Innovation Centre.

Je vous invite donc à livrer vos exposés; les sénateurs vous poseront ensuite des questions. Le greffier m'informe que M. Brandle fera sa présentation en premier, suivi de M. Geddes.

Monsieur Brandle, vous avez la parole.

Jim Brandle, président-directeur général, Vineland Research and Innovation Centre : Honorables sénateurs, merci de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui.

Je suis ici pour parler d'innovation, mais aussi de changement. Depuis des années, le Conference Board nous attribue la note D pour l'innovation, et nous avons reçu la même note cette année, ce qui signifie que nous échouons. Le rapport Jenkins nous dit aussi la même chose cette année. À mon avis, cela signifie que l'ancien modèle est périmé; il nous a peut-être servi, mais il est maintenant dépassé. Nous devons donc trouver de nouvelles façons de faire.

Vineland est une nouvelle structure; c'est un organisme autonome, sans but lucratif, voué à l'innovation dans le domaine de l'horticulture. Au Canada, lorsque les investissements publics ne suffisent pas aux besoins, ce sont les organismes sans but lucratif qui comblent l'écart. Au pays, 163 000 organismes de ce genre s'y emploient.

Les organismes sans but lucratif mènent leurs activités en fonction des intervenants. Nous existons afin d'accomplir une tâche pour l'industrie de l'horticulture dans son ensemble, c'est-à-dire toute la chaîne de valeur : les distributeurs, les transformateurs, les détaillants et les consommateurs à l'autre bout. C'est une façon différente d'envisager les choses.

Nous sommes axés sur l'avenir. Évidemment, il est difficile de parler d'avenir sans parler du passé. Quand on y pense, il y a 10 000 ans, l'agriculture elle-même était une innovation; elle a fait de nous les humains d'aujourd'hui. Les innovations actuelles en agriculture nous nourriront jusqu'en 2050, lorsque la population mondiale atteindra 9,5 milliards d'habitants. Nous devons continuer d'assurer la croissance et la productivité en agriculture, afin de nous maintenir en vie.

Produisons-nous suffisamment? Je ne le pense pas. Si vous examinez les récents rapports de l'OCDE, nous devons augmenter la productivité de façon importante pour y arriver. Que ferons-nous? Nous devons innover, et nous devons bien le faire. Nous devons nous doter de bons modèles, de bonnes façons de faire et des moyens qui nous permettront d'y parvenir.

Si vous pensez que l'agriculture est essentielle à notre avenir en tant que pays et en tant qu'espèce, alors il faut passer par l'innovation. En agriculture, on nous demande souvent de choisir entre l'innovation et la gestion du risque en matière d'investissement. Je suis prêt à défendre ardemment l'idée selon laquelle l'innovation constitue une forme de gestion du risque. C'est par l'innovation qu'on crée de nouveaux produits et la valeur ajoutée qui fait baisser le prix; elle accroît aussi la productivité et crée une marge — et la marge, c'est la gestion du risque.

Quelle est l'histoire de l'innovation au Canada? Notre modèle repose sur la Loi sur les stations agronomiques de 1886, qui a aidé le Canada à passer du commerce des fourrures à la production alimentaire. Elle a été très efficace; je pense que nous avons réussi la transition.

Nous devons maintenant penser à l'avenir ou tenter d'imaginer à quoi ressemblera la loi sur l'innovation agricole de 2013 pendant que nous amorçons notre progression.

L'ancien modèle était forcément paternaliste; les pionniers sont arrivés au pays et on leur a donné une parcelle de terre. Ils n'étaient pas nécessairement des agriculteurs, et ils avaient même besoin d'aide pour passer l'hiver. Les choses ont évolué et les gens sont maintenant plus compétents; nous devons envisager de créer une nouvelle relation avec eux, une relation plus réceptive qui comprend mieux les besoins de l'industrie et la façon d'y répondre. On doit aussi comprendre qu'il ne s'agit pas seulement de la recherche et des agriculteurs; il s'agit aussi de la distribution des produits alimentaires et de leur vente au détail, de la transformation des aliments, et des consommateurs.

L'organisation de Vineland nous permet d'avoir toutes sortes de gens dans notre conseil d'administration : de Jamie Warner, un cultivateur de pêches, à Anthony Longo, propriétaire des épiceries Longo, nous avons tous les gens nécessaires pour guider l'organisme le long de la chaîne de valeur, afin d'améliorer notre réceptivité.

Même si je crois que l'investissement public a un rôle à jouer dans l'innovation agricole, c'est un rôle extrêmement fragmenté. Aucun agriculteur n'est en mesure de mettre sur pied son propre département de R-D; nous devons donc, en quelque sorte, combler cette lacune. Je pense qu'il s'agit aussi d'une partie de notre raison d'être et d'un créneau important pour l'investissement public. Encore une fois, nous devons réfléchir à la façon dont nous avons procédé jusqu'ici et à la façon dont nous devons procéder à l'avenir.

Les programmes publics ne sont pas synchronisés avec les besoins de l'industrie, ce qui donne un cycle de production de trois ans assorti d'un système d'innovation qui livre un nouveau produit tous les 15 ans. Cela ne fonctionne plus; il faut harmoniser ces deux éléments.

De plus, le nombre de scientifiques qui travaillent dans le secteur public en recherche agricole a énormément diminué. Lorsque j'étudiais en premier cycle, il y en avait plus de 1 200, seulement à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Maintenant, il y en a environ 500. Je crois que vous avez entendu des témoignages à ce sujet la semaine dernière. Il s'agit d'une diminution importante. L'industrie a connu une croissance depuis ce temps et, pourtant, nous innovons moins. Le secteur privé a-t-il repris le flambeau? Je ne le pense pas, du moins pas en ce qui concerne la diminution de la recherche. Nous devons penser à la façon de rassembler ce qu'il nous reste. Comment nous y prenons- nous? Nous avons des foyers d'innovation — quelques-uns sont d'ailleurs très performants — répartis un peu partout au pays. Lorsqu'on conçoit un projet, il faut penser à son résultat et à la façon dont on va rassembler tous les intervenants qui ont la capacité dont on a besoin pour le mettre en oeuvre.

Nous devons changer. L'horticulture, bien sûr, est une partie importante de notre économie agricole. Il s'agit d'une industrie de 5 milliards de dollars dans les exploitations agricoles de partout au pays. Nous sommes les gens qui s'occupent de la santé et de la nutrition, de l'exercice et d'un mode de vie sain. Nous représentons les fruits et les légumes. Nous sommes le gazon que vous coupez et le jardin que vous semez, nous sommes toutes ces bonnes choses. Elles sont utiles à la société. Nous sommes un aspect essentiel de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est un sujet important en horticulture, car encore une fois, il existe environ 144 cultures un peu partout au pays; elles tendent à diminuer et peuvent disparaître plus facilement. Personne ne veut perdre la capacité de produire sa propre nourriture, mais cela pourrait arriver, car nous perdons notre capacité de soutenir la concurrence, surtout sur le plan de la productivité.

Si nous voulons conserver l'horticulture et notre capacité en agriculture, nous devons modifier nos systèmes d'innovation afin d'harmoniser notre capacité avec les besoins de l'industrie et les désirs des consommateurs, et fabriquer ce que les gens veulent. Nous devons défragmenter la capacité existante et la raccorder aux lignes de production. Il faut que tous les partenaires travaillent ensemble dans une ligne de production, afin de créer un projet qu'on peut voir du début à la fin. Ainsi, on sait où on veut aller et on peut compter sur les partenaires nécessaires en route. Il faut accélérer l'innovation; nous devons innover plus rapidement. Nous devons nous concentrer sur la productivité. En horticulture, surtout, la main- d'oeuvre est très dispendieuse. En effet, nous avons souvent recours à la main-d'oeuvre étrangère, et nous devons vraiment nous automatiser davantage et plus rapidement, afin de diminuer nos coûts et de demeurer concurrentiels.

Bien entendu, toutes ces choses et une plus grande innovation favorisent la croissance et le succès de l'horticulture canadienne. Elles sont synonymes d'emploi, de sécurité alimentaire et de durabilité. L'équation est simple : l'horticulture égale la santé et la prospérité; une plus grande innovation signifie une meilleure vie.

À titre d'organisme qui oeuvre dans le secteur de l'innovation, notre principale découverte était la suivante : lorsque j'ai commencé, on m'a demandé de choisir entre deux modèles. Le premier était la recherche dans le secteur privé et, comme nous savons, le secteur privé commercialise très bien la recherche. Le deuxième était la recherche au sein du secteur public, qui est très fort en matière de recherche. L'un d'eux est plus axé sur les résultats à court terme et la commercialisation; l'autre, sur les résultats à long terme et la découverte.

On m'a dit d'en choisir un, et celui qu'il fallait choisir était le modèle du secteur privé. Ensuite, on s'est tourné vers les gens du secteur public, on leur a dit à quel point ils faisaient un mauvais travail et on leur a demandé de l'aide. Cela n'a pas été très bien reçu. La vérité, c'est qu'il ne s'agit pas d'un choix.

Ce qu'on veut, c'est réunir les deux aspects au sein d'un seul organisme et se demander pourquoi on devrait choisir. Il est possible de combiner la recherche et la commercialisation au sein d'un seul organisme dirigé par un conseil d'administration axé sur le monde des affaires. On peut avoir une synergie et obtenir quelque chose de meilleur que ce qui existait auparavant. On devient alors centré sur les résultats. Au supermarché, on veut avoir un espace d'étalage de deux pieds et demi pour le produit, qu'il s'agisse de champignons ou du dolique asperge, pour que les Canadiens puissent s'en procurer.

Cela m'amène au modèle fondamental, aux principes qui sont nécessaires. Il faut avoir le bon produit, quelque chose que les consommateurs veulent ou dont ils ont besoin. Il faut faire la recherche appropriée et établir de bons partenariats dans ce domaine. Encore une fois, pendant des années, tous les ordres de gouvernement au pays ont investi dans l'excellence en matière de recherche scientifique. Il faut en tirer parti, l'utiliser à bon escient et nous assurer qu'elle est à son mieux. Ensuite, il faut établir les partenariats commerciaux nécessaires. Pour progresser, il faut qu'à la fin du processus, on ait les bonnes personnes disposant de la puissance nécessaire.

Vineland ne s'occupe pas de distribution, de broyage ou de vente de légumes au détail. D'autres le font mieux que nous et nous les voulons comme partenaires dès le début.

À titre d'exemple, pour terminer, nous avons un projet qu'on appelle « entretenir la diversité ». Comme vous le savez, le Canada est un peuple d'immigrants. Nous accueillons environ un million d'immigrants tous les cinq ans. La moitié d'entre eux s'établissent en Ontario, dont environ 80 p. 100 à Toronto. La plupart de ces nouveaux Canadiens sont Indiens, Chinois ou Afro-Antillais et ils viennent de régions où les légumes sont une partie importante de l'alimentation.

Depuis 1886 jusqu'à ce jour, notre stratégie consistait à les inciter à manger des légumes européens comme le navet. Cela ne fonctionne pas. Ils ont des besoins qui leur sont propres, et ils font des choix en conséquence. En fait, lorsqu'on leur demande ce qu'ils veulent, cela devient une expérience au terme de laquelle on peut conclure que de tous ces produits, 12 d'entre eux peuvent facilement être cultivés au Canada. Ensuite, on peut rétablir les liens de la chaîne de valeur.

À elle seule, à Toronto, la communauté chinoise achète annuellement pour 400 millions de dollars de légumes. C'est un important marché. Il y a les agriculteurs, les scientifiques pour faire les essais, les distributeurs en alimentation qui ont accès aux supermarchés pour y livrer les produits. Voilà le mode de pensée qu'il faut favoriser.

En fin de compte, nous essayons d'être un catalyseur pour les partenariats afin de favoriser la croissance de l'horticulture. Comment Vineland transforme-t-elle ses 60 personnes en 6 000 personnes? Nous y arrivons en établissant des partenariats avec d'autres personnes qui ont d'autres capacités, et nous tirons profit de tout cela pour arriver à ce seul résultat. Cela transforme l'ancien modèle, qui n'était — essentiellement — que fondé sur soi. J'ai été un scientifique pendant 22 ans; je sais exactement de quoi il s'agit : tout est centré sur moi, sur ce que je veux faire et sur mes intérêts. De quelle façon peut-on transformer cela en un modèle plus axé sur les partenariats et plus intégré? Lorsqu'on établit des partenariats et qu'on innove, on obtient de meilleurs résultats à moindre coût et en moins de temps. Le modèle isolé doit être abandonné.

Qu'entrevoyons-nous pour l'avenir? À quoi ressemble-t-il? Pour moi, un de mes rêves serait que tous les secteurs, comme ceux du canola ou des légumineuses à grain, aient une stratégie en matière d'innovation. Ces stratégies s'harmonisent avec la politique alimentaire nationale et tout le monde est au courant de la voie à suivre. La deuxième chose qui s'est produite, c'est que nous avons transformé notre façon d'innover; nous avons mis fin à l'ancien modèle — inefficace et très coûteux — et nous avons créé un nouveau modèle très efficace qui s'adapte très bien aux besoins de l'industrie, des consommateurs, et cetera.

Sur ce, je suis à court de mots. J'ai terminé.

Le président : Merci.

Monsieur Geddes, la parole est à vous.

Earl Geddes, directeur exécutif, Institut international du Canada pour le grain : Honorables sénateurs, c'est un plaisir d'être ici de nouveau. Je vais faire un bref exposé plutôt officiel, mais il me permettra d'exposer certaines des questions que j'aimerais soulever devant le Sénat en ce qui a trait à la recherche, le développement et l'innovation.

J'aimerais d'abord vous féliciter d'avoir choisi ce sujet et de l'étudier en profondeur pour que le Canada puisse améliorer ses résultats. Il est à espérer que nous pourrons passer de D à B — ce serait bien —, mais nous aimerions nous rendre à A plus. Commençons là, et grâce à votre travail, il est à espérer que nous pourrons aller dans cette direction.

Essentiellement, je peux y aller de trois brèves affirmations. Ce serait que la recherche en agriculture permet aux Canadiens et aux agriculteurs de faire beaucoup d'argent. Nous le savons. Soit le Canada ne consacre pas assez d'argent à la recherche pour lui permettre de demeurer concurrentiel à l'échelle internationale, soit il est mal dépensé. Souvent, la recherche n'aboutit pas à des résultats sur le marché. On peut en rester là, mais la question n'est pas aussi simple que d'y aller d'une telle affirmation.

Les solutions ne se résument pas non plus à la simple question de trouver plus d'argent. Nous devons nous assurer que nos travaux en matière de recherche et développement ainsi que les voies de l'innovation que nous empruntons permettront à certaines bonnes idées qui nous viennent de la recherche effectuée au pays de percer le marché. Voilà ce dont j'aimerais vous parler ce matin.

À l'IICG, nous croyons que l'innovation exige un récepteur. Il s'agit d'un terme qu'on entend dans divers secteurs. Pour réussir à permettre à une bonne idée de se tailler une position rentable sur le marché, il faut qu'une entité quelconque puisse reconnaître cette innovation, la financer et lui trouver un créneau sur le marché. Lorsqu'on se lance dans la voie de l'innovation, si on n'a pas de récepteur, l'entreprise est, selon toute probabilité, vouée à l'échec. Je vais vous en donner un exemple plus tard.

À l'IICG, notre récepteur est toujours le client d'une plante de grande culture canadienne, peu importe si le produit novateur sert de fourrage, de carburant, d'aliment ou de fibre. Sur le plan opérationnel, de notre point de vue, la recherche universitaire canadienne est généralement axée sur la formation des étudiants, la formulation d'hypothèses ou la création d'une occasion favorable à l'obtention d'une autre subvention de recherche. Je suppose que c'est utile. C'est, en quelque sorte, exactement le contraire de ce qui se passe dans les universités américaines, où les chercheurs doivent constamment trouver de nouvelles idées parce qu'ils sont responsables de la diffusion de leurs idées parmi les clients ou les récepteurs, c'est-à-dire un agriculteur ou une industrie.

Il est important de former de nouveaux étudiants de troisième cycle. Cela se comprend. Cependant, la recherche qui est entreprise pourrait être plus axée sur les résultats et le marché, sans pour autant nuire à la formation des étudiants de troisième cycle.

L'IICG travaille étroitement avec les centres de recherche d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, où l'on se concentre habituellement sur la recherche fondamentale, la résolution de problèmes et la création de bonnes idées. Nous avons constaté qu'AAC détient les droits de propriété intellectuelle sur la plupart de ses bonnes idées, de sorte que beaucoup d'entre elles ne sont toujours pas mises en marché. Donc, c'est peut-être ce qui explique pourquoi beaucoup d'idées qui résultent de la recherche financée par le public ne sont pas exploitées.

Beaucoup de ces bonnes idées devraient se retrouver sur le marché; avec le temps, elles perdent de leur valeur potentielle. Nous les avons financées et protégées, et personne ne les a utilisées. Elles n'ont donc plus aucune valeur.

Dans le cadre de son mandat en agriculture, l'IICG adopte le point de vue que les bonnes idées qui sont le fruit de notre recherche devraient être exploitées le plus possible afin d'améliorer la commercialisation des plantes de grande culture canadiennes plutôt que de permettre à l'IICG de toucher des redevances. Il s'agit d'une approche ou d'une idée novatrice. Nous travaillons à améliorer les choses pour les gens et non pour nous.

L'IICG voit la recherche et l'innovation comme la transformation d'un produit, d'une bonne idée ou d'un besoin en une occasion d'affaires rentable. Le tableau que je vous ai fourni, qui s'intitule « la voie de l'innovation », illustre le fonctionnement de ce processus au sein de l'IICG. On parle de l'intensité d'une activité dans divers aspects de la recherche. Lorsqu'on examine la recherche fondamentale qui a lieu dans les universités, au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire ou au Laboratoire de recherches sur les grains, plus l'hypothèse qu'on tente de valider s'éloigne de la réalité et, dans bien des cas, plus la recherche est intense. Cela diminue et touche légèrement l'étape dite « précommerciale ». D'un autre côté, dans le marché — les entreprises de développement de produits alimentaires, les entreprises commerciales —, plus on se rapproche de la mise en marché, plus la recherche est intense, et plus les entreprises sont prêtes à investir. Nous observons qu'elles interviennent et qu'elles font un peu de recherche en laboratoire à l'étape précédente, mais plus on se rapproche de la mise en marché, plus il s'agit de sociétés de capital de risque qui sont prêtes à saisir une nouvelle idée. La société McDonald's ne fait aucune recherche alimentaire elle-même. Elle attend qu'on lui présente des idées. Les choses ont beaucoup changé.

L'IICG intervient à une étape située entre la recherche fondamentale et le marché. Nous n'introduisons aucun produit sur le marché; nous l'amenons à un point où quelqu'un voudra investir dans le produit et le commercialiser. Pour cela, il faut de la recherche et du travail en ce sens. C'est ce que nous appelons la voie de la recherche ou de l'innovation.

J'aimerais vous donner trois exemples afin d'illustrer mes propos. Le premier concerne une culture pour laquelle le Canada a un surplus et qui est souvent vendue, en fin de compte, comme provende à poussin en Corée du Sud et que l'IICG transforme maintenant en un ingrédient principal fort recherché pour la fabrication de pâtes asiatiques. Cette culture est le blé dur, qui est principalement utilisé pour le couscous et les pâtes. Les variétés de blé dur canadien sont parmi les meilleures du monde. C'est le fruit de la recherche faite au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire. Or, il n'avait jamais été utilisé pour la fabrication de pâtes en Asie, et c'est un énorme marché. En Chine seulement, on consomme plus de blé pour en faire des pâtes que ce que nous produisons en Amérique du Nord. C'est un important marché. Pourquoi ne pas utiliser le blé dur à cette fin?

Le deuxième est la recherche sur un produit de l'orge alimentaire qui est transformé au Canada. L'IICG, en collaboration avec la Commission canadienne du blé, Agriculture et Agroalimentaire Canada et plusieurs entreprises du secteur du développement des produits alimentaires, s'est employé activement à démontrer la valeur de l'orge dans les produits alimentaires et a créé plusieurs produits. Cependant, le financement de la recherche a été épuisé avant qu'on ait pu parvenir à l'étape où une société de capital de risque aurait été intéressée d'investir.

La semaine dernière, nous avons eu un appel des gens d'Innovation Norvège, de Toronto. Ils nous ont dit vouloir cultiver l'orge alimentaire en Norvège. Tout le monde leur a dit de consulter l'IICG. Ils viennent nous rencontrer la semaine prochaine. Grâce à leur investissement, nous allons les aider à devenir les récepteurs d'une recherche qui a été faite au Canada et à la commercialiser. La recherche réalisée au Canada sera fort probablement utilisée pour la première fois pour un produit alimentaire norvégien.

Le troisième exemple dont j'aimerais brièvement vous parler est celui d'un concepteur de produits avec lequel nous travaillons dans le Canada atlantique. Un client allemand cherchait un moyen de combler un besoin dans une usine industrielle, et personne ne savait quel produit pouvait convenir. L'entreprise s'est tournée vers IICG; car nous avions déjà travaillé avec elle. Nous comptons un certain nombre de partenaires dans l'Ouest canadien, dont un fabricant de moutarde qui disposait d'huile de rebut. La farine de moutarde, qui entre dans la composition de la pâte destinée à la consommation humaine, laisse un résidu sous forme d'huile. Or, les recherches effectuées au fil du temps, réalisées en grande partie par Agriculture et Agroalimentaire Canada, indiquent que la combinaison de cette huile avec de l'huile de canola transformée et d'autres ingrédients organiques donne des produits particuliers. Cette entreprise du Nouveau-Brunswick vend maintenant de l'huile de moutarde de la Saskatchewan et de l'huile de canola de l'Ouest canadien dans un produit mixte qui sert de dégraissant organique dans le système industriel de l'Allemagne. Voilà une façon différente d'innover.

Sachez en terminant que nous considérons que ce qu'il manque au Canada pour nous rendre plus florissants, c'est le financement de recherches novatrices ou fondamentales pour faire progresser les travaux jusqu'à ce qu'un client commercial ou un investisseur de capital de risque prennent le relais. On arrête souvent quand on touche au but. Nous espérons que grâce aux échanges qui ont lieu au sein de votre comité et dans le cadre de Cultivons l'avenir 2 que le Parlement et les provinces envisagent, le processus de financement prévu dans la prochaine entente quinquennale d'Agriculture et Agroalimentaire Canada visera à commercialiser directement les idées. Les systèmes en place au Canada misent sur les résultats de la recherche plutôt que sur la valorisation des bonnes idées. Nous nous en tiendrons là.

[Français]

Le président : Nous débutons la période des questions avec le sénateur Robichaud qui sera suivi du sénateur Nolin.

Le sénateur Robichaud : Lors de son étude sur les forêts et en ce qui concerne la recherche, le comité a pris note de ce que vous venez de mentionner : que les gens du domaine forestier faisaient de la recherche, mais qu'avant même que cette recherche devienne « marchandable », elle finissait dans la « vallée de la mort ».

[Traduction]

Cette recherche prend le chemin des tablettes et y reste, comme vous l'avez tous deux faire remarquer. Existe-t-il une sorte de blocage psychologique? Pourquoi ne peut-on pas trouver de solution? Nous savons pourtant où se situe le problème et que nous manquons le bateau. Vous nous en avez donné la preuve avec trois exemples.

Comment pouvons-nous régler la question? Que pouvons-nous recommander dans notre rapport pour éviter que la recherche ne finisse dans cette vallée de la mort?

M. Geddes : On pourrait en parler pendant toute la séance. Notre point de vue est simple : quand on se penche sur le problème, il faut déterminer qui sont les acteurs dans ce dossier. La collaboration n'est pas très bonne au pays. Tout tourne autour de nos chercheurs, qui ne se soucient que des produits qu'ils cherchent à concevoir et des idées qu'ils doivent prouver quand ils effectuent leurs recherches. Le reste leur est égal, tant qu'ils peuvent rédiger un document de recherche et le faire publier. C'est désolant, mais c'est souvent ce qui se passe. En agriculture, nous devons faire appel à Financement agricole Canada. Le capital de risque se fait rare dans le domaine, et ce, parce que nous abandonnons les idées avant la validation du principe à la mise en marché.

Nous avons donc exploré cette avenue et cherché à trouver un destinataire. À qui est destinée la recherche que nous effectuons? Nous réalisons actuellement des travaux avec Pulse Canada afin de transformer les légumineuses au moyen de quatre technologies différentes dans le but de créer des composantes et des propriétés fonctionnelles que nous pouvons incorporer dans les ingrédients alimentaires. Notre premier destinataire dans cette entreprise est Buhler Equipment, une société suisse qui entend construire le nec plus ultra des moulins quand nous aurons terminé nos recherches.

À mesure que nous commençons ces travaux, nous collaborons avec des gens qui ont la capacité et des raisons de commercialiser nos idées au lieu de s'intéresser simplement à ce que nous faisons.

Je crois que cette facette fait partie de ce qui manque, sénateur.

M. Brandle : J'ajouterais également que le problème est également attribuable à la culture de la recherche. Il suffit de penser à nos établissements d'enseignement et à la manière dont le modèle est constitué pour comprendre qu'il s'agit d'un conglomérat de solitaires, composé d'agents libres qui ne travaillent pas nécessairement ensemble à moins qu'ils n'y soient obligés dans le cadre d'un programme ou d'une autre initiative. Il n'y a pas de culture de collaboration. Ce qui compte, c'est la réussite individuelle.

La réussite ne consiste pas à commercialiser le nouveau blé dur. Dans ce type d'organisation, on est évalué en fonction de sa réussite universitaire et non commerciale. C'est donc à cette fin que l'on travaille.

Ce qui fait défaut, bien sûr, c'est la manière dont tout le système est structuré. Il faut donc instaurer de nouveaux modèles. Peut-être peut-on apporter des mesures correctives, mais je crois qu'il faut faire davantage. Il faut faire table rase et repartir à zéro. Si vous voulez vraiment stimuler l'innovation pour qu'elle ait un effet optimal, vous devez procéder autrement. Pour paver la voie de la réussite, il faut comprendre que la méthode qui a porté fruit de 1886 à 2012 est désuète et qu'il faut maintenant trouver une nouvelle méthode, une approche connectée. Comme l'objectif premier consiste à lancer le résultat de la recherche sur le marché pour qu'il trouve sa place dans le réfrigérateur ou le garde-manger du consommateur, il faut adopter cette optique afin de s'organiser et de réunir tous les éléments afin d'avoir l'effet escompté.

C'est également une question d'intention. Les gens orientent leurs travaux en fonction de ce que l'on attend d'eux. Si on travaille en fonction des attentes, qu'on est évalué en fonction de ses publications scientifiques pour être ensuite élevé, rémunéré et récompensé, alors on agira en conséquence. Les résultats surviennent par accident. Il arrive qu'à la suite d'une publication, un produit aboutisse dans le secteur commercial, mais on ne s'attend pas à ce que ce soit toujours le cas.

C'est à nous de créer le modèle. C'est de la responsabilité de ceux qui financent les programmes et les projets.

Le sénateur Robichaud : Tente-t-on d'inciter les chercheurs fondamentaux à s'intéresser aux produits commercialisables et rentables pour tous les maillons de la chaîne? Je suis sûr que c'est le cas, mais indiquez-moi où.

M. Brandle : C'est probablement dans les Grappes agro-scientifiques, un programme que le sénateur Buth connaît fort bien. On s'efforce d'associer de grands groupes de scientifiques à l'industrie. Selon le secteur concerné, on n'est pas nécessairement en contact avec la chaîne de valeur ou le produit final, mais je crois que le dialogue est en train de s'établir. Il se passe donc quelque chose sur ce plan.

En outre, les gouvernements du Canada et de l'Ontario investissent dans des régions comme Vineland, dans l'intention expresse de combler cette lacune afin qu'elle ne nuise plus aux projets auxquels ils participent.

Il y a donc des lueurs d'espoir. Je me permettrais de faire remarquer que c'est évidemment là qu'il faudrait investir dans l'avenir. Je crois que nous misons trop sur l'innovation dans des créneaux en déclin qui ne fonctionnent plus, afin de sauver les meubles. L'innovation doit être tournée vers l'avenir, pas vers le passé. Il faut donc être capable de refuser et de s'écarter de ce qui ne nous réussit plus, peu importe ce que c'est.

M. Geddes : Si je peux me permettre de répondre à la question du sénateur Robichaud, sachez que des signes favorables se font jour, même dans les discussions qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada tient au sujet du financement de son prochain ensemble de programmes. Le ministère a, en effet, laissé entendre qu'il faut avoir des résultats, pas seulement de bonnes idées. Chose certaine, il comprend que le Canada doit améliorer sa capacité d'innover et de faire progresser les travaux. Nous voulons beaucoup d'innovation, mais s'il n'existe pas de destinataire ou d'intermédiaire pouvant lancer l'idée sur le marché, mieux vaut faire autre chose.

Au risque d'offenser certains de mes partenaires passés et présents, je dirais que ce qui a toujours été problématique pour l'IICG, c'est que son destinataire est souvent la Commission canadienne du blé, qui utilise l'innovation à des fins de marketing. Force nous est d'admettre que cela ne facilite pas la commercialisation des produits. La commercialisation de la farine de blé dur pour la confection de nouilles en Asie du Sud-Est s'effectuera bien plus vite maintenant, et ce, à cause du rôle que jouait la Commission canadienne du blé. Quand à l'orge destiné à l'alimentation, nous avons abattu le plus gros du travail en présumant que la Commission en commercialiserait une partie plutôt que de nous demander à quelle compagnie s'adresser pour le faire.

Il sera essentiel, dans l'avenir, de comprendre le lien avec le marché dans le cadre de nos recherches et de fournir un financement adéquat à cet égard au lieu de se contenter de financer les idées prometteuses.

Le sénateur Robichaud : Vous semblez dire qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada a compris qu'il faudrait se concentrer davantage pour réussir. Qu'en est-il des universités qui effectuent beaucoup de recherches?

M. Geddes : Le réseau d'universités du Canada est encore structuré de manière à former des chercheurs compétents bardés de maîtrises et de doctorats. Or, les thèses que ces derniers rédigent ne sont, bien souvent, pas applicables sur le marché. Elles s'inscrivent souvent dans un processus de subvention de projet de recherche qui permet à l'enseignant d'obtenir du financement à la recherche pour son prochain étudiant au lieu de viser à lancer des produits sur le marché et à les évaluer.

Le sénateur Robichaud : Il nous faut donc agir de ce côté.

M. Brandle : On peut s'inspirer de certains modèles, comme celui de la faculté de génie, d'informatique et d'électronique de Waterloo, qui réalise moult travaux. Ce genre de modèle se fait plus rare dans le domaine de l'agriculture.

Le Crop Development Centre, situé à Saskatoon, pourrait constituer un exemple de ce que vous recherchez : une meilleure connectivité. Inspirons-nous de ces exemples, car rien ne cloche dans le secteur de l'éducation. Les universités accomplissent un travail essentiel, et elles le font fort bien, mais peut-on leur demander de tout faire?

Il faut donc également compter sur les structures auxiliaires, qu'il s'agisse d'instituts ou d'organisations comme la mienne, ou du Crop Development Centre, qui sont en rapport avec une université qui dépend de leur excellence scientifique, mais qui cherchent en fait à améliorer les végétaux et à divers travaux pour le secteur du grain, par exemple. Certaines pièces du puzzle sont déjà en place, et je crois que c'est sur elles que vous devez vous appuyer pour améliorer l'innovation dans le secteur agricole en délaissant les pratiques désuètes pour adopter de nouvelles pratiques. Qu'est-ce qui fonctionne? De quoi avons-nous besoin dans l'avenir?

Si vous mettez l'accent sur les résultats, vous instaurez de nouvelles structures en conséquence.

[Français]

Le sénateur Nolin : J'ai deux questions, dont une qui touche à l'activité de nos témoins concernant leurs collègues internationaux et une autre au sujet de la protection intellectuelle soulevée par le professeur Geddes.

[Traduction]

Mardi soir dernier, nous avons entendu les témoignages de viticulteurs et de pomiculteurs, avec lesquels nous avons longuement discuté des obstacles qui se dressent dans les diverses provinces. Comme il s'agit d'un marché particulier, je ne veux pas en discuter avec vous. Ces producteurs se trouvent dans une situation particulière, et nous comprenons leur problème et leurs relations avec les provinces.

Je m'intéresse davantage au fait que certains d'entre eux nous ont parlé du soutien gouvernemental dont bénéficient leurs concurrents étrangers. J'aimerais que vous me disiez ce qui se passe dans votre domaine à l'extérieur du Canada. Les résultats y sont-ils semblables, pires ou meilleurs que chez nous? Que devrions-nous faire? Conviendrait-il d'intervenir au Canada pour améliorer le rendement dans votre domaine d'expertise? C'est ma première question.

M. Brandle : Je peux commencer.

Un bon exemple dans le secteur horticole serait la Nouvelle-Zélande. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais en 1995, ce pays était au bord de la faillite, frappé par une grave crise économique. Pour sauver sa peau, le gouvernement néo-zélandais a dit à tous ses chercheurs scientifiques : « Débrouillez-vous pour survivre. » Bien que l'approche soit draconienne...

Le sénateur Nolin : Et quel en a été le résultat?

M. Brandle : Ce fut très positif. La Nouvelle-Zélande a perdu quelques scientifiques, mais 20 ans plus tard, elle se retrouve avec une organisation indépendante, de surcroît à but lucratif. Remarquez qu'il s'agit quand même d'une société d'État. Il n'y a qu'un seul actionnaire : le ministère de l'Agriculture et des Pêches de la Nouvelle-Zélande. On a donc créé là-bas un système très axé sur l'industrie qui favorise l'innovation dans le secteur agricole. Bien entendu, ce secteur repose largement sur les exportations, d'où sa grande importance pour l'économie néo-zélandaise. Les résultats ont été très bons. Le kiwi en est un bon exemple. Il s'agit d'une industrie de un milliard de dollars, et elle continue de croître. Tout cela tient à l'innovation dont fait preuve cette organisation et à sa capacité de travailler avec Zespri, l'organisme de commercialisation du kiwi. Autre exemple : la zantédesquie éthiopienne, une variété qui a été créée. Et la liste est longue. Il s'agit donc d'une organisation très axée sur les affaires. N'empêche qu'elle est largement financée par le gouvernement. Une certaine partie de son financement provient de l'extérieur, mais elle doit régulièrement répondre à des appels d'offres de grande envergure. C'est ce qui la pousse à se concentrer sur une tâche bien précise, celle de créer des résultats concrets à l'épicerie. La recherche agricole est liée non seulement à l'environnement et à la santé, mais aussi à une activité de développement économique, peu importe la perspective adoptée. Bref, je crois que le modèle néo-zélandais est excellent.

L'Australie, pour sa part, fonctionne différemment. Le sénateur Buth en sait quelque chose. On y trouve des organisations presque à but non lucratif et dont le financement est renouvelé. Il y a lieu d'acheter des actions dans l'organisation d'innovation virtuelle, et les centres de recherche sont financés pendant sept ans, puis probablement pendant sept autres années. Les intervenants se rassemblent, qu'il s'agisse de producteurs, de triturateurs, et cetera, pour coordonner et financer la recherche. Voilà donc deux modèles.

Au Canada, il y a notre modèle.

M. Geddes : J'aimerais aborder la question d'un angle différent. Notre expérience en matière de recherche se fait presque toujours avec une entité commerciale. L'IICG effectue très peu d'activités de recherche avec le gouvernement. Certes, le gouvernement lui accorde une bonne part de financement, mais à mon avis, ce n'est pas toujours bien ciblé. Je peux vous donner trois exemples. Le premier, c'est l'exemple des nouilles dont je viens de parler, plus précisément la farine de blé dur utilisée dans les nouilles asiatiques. Nous avons travaillé avec une entreprise japonaise. Nous lui avons accordé une exclusivité de 18 mois pour utiliser le processus que nous avons mis au point ensemble, et maintenant nous le commercialisons à d'autres entreprises. Ce travail s'est fait directement avec une entité commerciale, sans aucun fonds de la part du gouvernement. Nous sommes une organisation sans but lucratif.

Le sénateur Nolin : Dans d'autres pays, des organisations comme les vôtres obtiennent-elles de meilleurs résultats en travaillant différemment, ou avez-vous un modèle opérationnel si efficace que d'autres vous imitent?

M. Geddes : Mon deuxième exemple fera valoir ce point. Nous partons samedi pour la Chine. Nous allons nous entretenir avec Cofco, l'un des grands importateurs et meuniers de grains canadiens, qu'il s'agisse de pois, de blés ou peu importe. Le but de notre rencontre est d'élaborer un accord de développement et de formation en matière de recherche dans ce nouveau contexte. Autrefois, c'était la Commission canadienne du blé qui faisait venir des participants chinois aux fins de formation et de recherche. Maintenant, nous négocions notre propre accord avec cette organisation. Une partie de l'accord concerne le complexe de l'Université de Harbin, qui s'occupe de la plupart des activités de recherche sur les céréales, financées entièrement par le gouvernement chinois. On travaille donc avec une entité commerciale, mais on a aussi recours à l'Université de Harbin. Ce modèle donne-t-il de meilleurs résultats? Probablement. L'Université de Harbin, qui est entièrement financée par le gouvernement chinois, fournit une bonne base de recherche aux producteurs en Chine. C'est un modèle qui fonctionne bien.

Prenons l'exemple de notre collaboration avec Warburtons Bakery au Royaume-Uni. Là encore, il s'agit d'un financement entièrement commercial, mais cette entreprise utilise des variétés britanniques qui sont financées par le système public d'hybridation au Royaume-Uni.

L'institut qui s'apparente le plus à l'IICG, c'est le Northern Crops Institute chez nos voisins du Sud, à Fargo, au Dakota du Nord. Il s'agit d'un institut universitaire financé par le gouvernement fédéral et par certains groupes de producteurs du secteur privé, qu'il s'agisse de producteurs de légumineuses, de céréales ou peu importe la culture qu'on choisit de cibler. Le modèle donne des résultats très positifs. Par contre, ce qui lui manque et que nous avons toujours eu à l'IICG, même si cela n'a jamais été officiellement reconnu comme un élément commercial, c'est la relation avec des clients à l'étranger. L'institut accueille parfois des gens à des fins de formation. Il cherche très rarement à résoudre des problèmes auxquels font face les entités commerciales, à comprendre les exigences en matière d'innovation ou les besoins pour mettre au point un produit ou un processus.

Nous faisons régulièrement concurrence aux variétés en provenance de la France. Les Français sont très forts dans la recherche sur les céréales. Du côté des Allemands, la recherche dans ce domaine est bien financée par le gouvernement. Y a-t-il lieu de s'attendre à ce que le Canada emboîte le pas? J'en suis convaincu. À la suite de nos discussions avec la GRDC en Australie, nous avons appris que les agriculteurs australiens versent un dollar la tonne, et le gouvernement fournit le même montant ou le double, selon les besoins. En tout cas, les modèles ne manquent pas. De quoi avons-nous besoin, et comment devons-nous nous y prendre pour créer notre propre modèle, au lieu d'adopter celui d'un autre? Élaborons notre propre modèle en nous inspirant de ce qui existe déjà et de ce qu'on peut utiliser.

Le sénateur Nolin : Cela m'amène à ma deuxième question. Vous avez mentionné la protection de la propriété intellectuelle. On dirait qu'une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de notre système de protection. J'aimerais que vous nous expliquiez plus en détail ce qui ne fonctionne pas dans ce domaine. Devrions-nous protéger la propriété intellectuelle? Je présume que vous ne nous demandez pas de nous en débarrasser, mais peut-être de procéder différemment.

M. Geddes : J'ai évoqué ce problème, et c'est une question tout à fait pertinente que vous nous posez. Je vais en parler selon la perspective suivante.

Je travaille dans un institut sans but lucratif qui reçoit des fonds de la part des agriculteurs et du gouvernement. Mon travail consiste à promouvoir les cultures de grande production canadiennes ou à créer des occasions pour les améliorer et rentabiliser davantage aux quatre coins du monde. Nous avons créé une variété de nouilles à trois couches. Le procédé consiste à faire passer une couche de pâte de blé dur dans un laminoir industriel, puis une couche intermédiaire de pâte de blé blanc de printemps des Prairies canadiennes et, enfin, une autre couche de pâte de blé dur au-dessus. C'était la seule façon pour nous de produire des nouilles udon pour amener notre partenaire japonais à se dire : « D'accord, je peux produire des nouilles udon et tout le reste. » Les Japonais n'y avaient jamais pensé. C'est un processus que nous aurions facilement pu breveter. Il n'est utilisé nulle part ailleurs. Nous allons l'appliquer aux légumineuses, parce que l'utilisation de la farine de légumineuse avec la farine de blé crée un produit à texture rugueuse. Personne ne le mangera. En plaçant la couche de farine de légumineuse au milieu, on en émousse le goût et on garde la texture lisse des nouilles de blé. Si nous avions breveté le processus et que nous essayions maintenant de le vendre à des gens qui n'utilisent pas de farine de blé dur pour fabriquer des nouilles, dans quelle mesure aurions-nous remporté du succès?

Le sénateur Nolin : Le problème, ce n'est pas la protection.

M. Geddes : Nous avons accordé une protection de 18 mois à cette entreprise, et maintenant nous vendons le produit à tout le monde. Notre travail consiste à maximiser les résultats de l'innovation, et non pas à financer l'IICG du fait que nous avons créé quelque chose de nouveau.

Le sénateur Nolin : Ce n'est pas la protection, mais la valeur qu'on y rattache et la structure qu'on lui accorde. Devrions-nous renoncer aux recettes ou à la valeur de la licence au début pour en tirer des bénéfices accrus vers la fin? Je l'ignore. C'est pourquoi je vous pose la question.

M. Geddes : Encore une fois, l'IICG est d'avis qu'il n'y a rien de mal à protéger une bonne idée afin de pouvoir réclamer qu'elle nous appartient. Par contre, si on le fait pour financer notre recherche dans un institut de recherche public, notre idée risque d'être oubliée sur une tablette.

Le sénateur Nolin : Monsieur Brandle, vous semblez avoir un autre point de vue sur la question.

M. Brandle : En fait, on protège notre propriété intellectuelle par le secret commercial plutôt qu'un brevet. C'est bel et bien protégé.

Je suis certes en faveur des brevets. Il s'agit d'une bonne façon de faire des affaires et de créer des partenariats. Nombreuses sont les entreprises sur cette terre qui refusent de travailler avec vous si vous n'avez pas de brevets. En effet, sans brevet, l'invention perd de sa valeur. Lorsqu'on cède une idée à quelqu'un d'autre sans la protéger, les dés sont jetés. Dès que la personne utilise cette idée dans un de ses processus et obtient de bons résultats, alors tout le monde peut lui emboîter le pas.

Il y a des pour et des contre. Parfois, la propriété intellectuelle risque de tomber entre les mains de mauvaises personnes; si on ne la commercialise pas, c'est-à-dire si on ne cherche pas à trouver un marché où la vendre avec une intention bien ferme, alors tout l'exercice devient une perte de temps. D'autant plus que c'est très coûteux. Un brevet en biotechnologie pourrait coûter, en moyenne, 100 000 $; on a donc intérêt à savoir qu'un client est prêt à acheter le résultat de notre travail. Or, pour ce faire, la protection est de rigueur. Imaginez si on avait breveté toutes les variétés bonifiées du canola; on aurait généré des recettes incroyables, bien au-delà des retombées actuelles qui ne cessent de croître. La propriété intellectuelle est un outil vraiment indispensable, mais elle fait partie de la stratégie organisationnelle. On peut protéger une invention par le secret commercial, des marques de commerce, des droits d'auteur ou des brevets. Mais parfois, la meilleure stratégie consiste à la céder.

Le sénateur Nolin : Devrions-nous nous pencher davantage sur cet aspect? Devrions-nous inviter plus de témoins pour explorer cette piste?

M. Brandle : C'est un élément essentiel. Le brevetage est devenu populaire au sein de l'organisation où je travaillais vers la fin des années 1990. Nous y investissions beaucoup de temps, mais il fallait l'inclure dans la stratégie de commercialisation. On doit avoir une stratégie pour savoir où on s'en va. Si on veut y arriver, de quoi a-t-on besoin? On a besoin de brevets et de la possibilité de céder des technologies. C'est un des outils dont on dispose et qu'on ne doit jamais refuser. Si quelqu'un a une propriété intellectuelle rangée sur les tablettes, alors tant mieux pour nous parce que nous allons la prendre.

M. Geddes : Justement, il y a beaucoup de propriétés intellectuelles rangées sur les tablettes. De tels cas abondent au Canada, et je connais des gens qui en ont beaucoup à leur actif. Je ne dis pas que la protection de la propriété intellectuelle est une mauvaise chose, parce qu'elle est nécessaire dans certains cas pour obtenir l'investissement en vue de mettre au point les produits. À bien des égards, l'innovation doit se faire de manière urgente et immédiate parce qu'il y a, très souvent, un besoin ou une nouvelle occasion. D'autres viendront répondre à ces besoins et saisir ces nouvelles occasions si on ne parvient pas à mettre nos produits sur le marché. Si on consacre beaucoup de temps rien qu'à breveter notre bonne idée, alors quelqu'un viendra couper l'herbe sous nos pieds. C'est un peu le cas avec le patrimoine génétique du blé dans l'Ouest canadien qui est bien protégé par notre système. Les entreprises du secteur des sciences de la vie, qui participent activement à l'amélioration du blé, trouvent des solutions de rechange parce qu'elles ne peuvent pas y accéder. Bientôt, cela ne vaudra rien. Bref, la protection conférée par un brevet n'est pas une mauvaise chose, mais si on n'a pas de stratégie pour mettre les produits sur le marché, ce n'est qu'une perte d'argent et de temps de recherche.

Le sénateur Mercer : J'ai grand hâte d'entendre le point de vue du sénateur Ogilvie, car c'est un homme de science qui a fait beaucoup de recherche. J'ai l'impression qu'un grand nombre de bonnes idées finissent sur les tablettes parce qu'elles demeurent au rang des simples idées. C'est peut-être le sort approprié pour une idée qui n'est pas commercialisable, car il s'agit alors d'un exercice universitaire stérile. S'il y avait un bénéfice quelconque à en tirer, quelqu'un trouverait sûrement le moyen d'en assurer le développement. C'est grâce à leurs réussites que les universités et les autres instituts de recherche garantissent leur survie et leur indépendance financière. Je pense à l'hôpital pour enfants de Toronto où l'on a inventé le pablum et créé la SickKids Foundation qui a permis des réalisations extraordinaires au fil des ans. Tout cela grâce à une invention qui date de plusieurs années.

Dans notre dernière étude, nous parlions de bois laminé, et voilà que nous discutons aujourd'hui de nouilles laminées. Ma question porte sur le rôle d'Agriculture Canada et de ses centres de recherche. Croyez-vous que ces gens- là font oeuvre utile dans le processus de développement d'un nouveau produit? Monsieur Geddes, vous nous avez notamment parlé du développement du blé dur pour les pâtes et le couscous en soulignant que notre blé dur est le meilleur au monde grâce au travail des chercheurs et des sélectionneurs d'Agriculture Canada.

M. Geddes : Je vous répondrai que oui. Les centres de recherche d'Agriculture et Agroalimentaire Canada de tout le pays développent une grande quantité d'excellents produits commercialisables, en ciblant généralement les attentes du marché. Dans bien des cas, les centres de recherche travaillant à la concrétisation de nouvelles idées de produits arrivent difficilement à faire cheminer l'innovation jusqu'au marché en raison du syndrome de la « vallée de la mort ». Il y a manque de cohésion quant au financement ou aux moyens à prendre pour que les fruits de la recherche se rendent jusqu'au marché. C'est le sénateur Robichaud qui a parlé de ce concept de la vallée de la mort en constatant que le travail ne peut pas être mené à terme dans l'industrie forestière. M. Brandle y a également fait allusion dans son exposé. Comment nous assurer que tous ces produits parviennent au stade de la commercialisation?

Le programme d'amélioration du blé de l'Ouest canadien a permis la création d'un grand nombre de variétés de calibre mondial. Est-ce que les centres de recherche d'Agriculture Canada ont été à l'origine de certaines de ces innovations? Pas tellement, mais je suppose que cela relève de notre responsabilité.

Le sénateur Mercer : Monsieur Brandle, vous avez parlé de l'ego des scientifiques. C'est très risqué de parler d'ego en venant à Ottawa, car cette ville en regorge. Il est notamment regrettable que l'on ne célèbre pas suffisamment les réussites de nos scientifiques. Nous ne connaissons pas les noms de ceux qui ont perfectionné le blé dur; en tout cas, moi je ne les connais pas. Ces gens devraient pourtant être connus. Nous savons qui sont les inventeurs de l'insuline. Les gens auraient sans doute de la difficulté à identifier les grandes vedettes parmi les scientifiques canadiens, si l'on fait exception bien entendu du sénateur Ogilvie. Ne devrait-on pas souligner davantage le travail de ces savants si l'on veut attirer un plus grand nombre de jeunes dans le secteur de la recherche scientifique?

M. Brandle : Vous avez tout à fait raison. Nous ne savons pas qui sont ces gens. Qui étaient Keith Downey et Baldur Stefansson? Le sénateur Buth le sait.

C'est en partie culturel; nous ne sommes pas des personnes très exubérantes. Premièrement, la science attire généralement des gens portés sur la réflexion et l'introspection qui ne souhaitent pas nécessairement qu'on les célèbre. Deuxièmement, le scientifique recherche uniquement la reconnaissance de ses pairs. Peu importe que ses voisins sachent ou non ce qu'il fait, c'est d'abord et avant tout le chercheur du bureau voisin qu'il souhaite impressionner. Je conviens que nous devrions en faire davantage. Je sais que certains de nos savants les plus célèbres ont reçu l'Ordre du Canada. Je pense par exemple à Keith Downey, Baldur Stefansson et Vern Burrows. Je ne sais pas trop comment nous pourrions mieux souligner leurs réalisations et en faire des personnages plus importants au sein de notre société. Je partage toutefois entièrement votre avis : si nous pouvions les célébrer davantage, il en résulterait de plus grandes réussites, des investissements plus considérables et une reconnaissance accrue de notre secteur.

M. Geddes : Je suis d'accord avec M. Brandle. Un certain nombre de chercheurs chevronnés en agriculture ont effectivement reçu l'Ordre du Canada. En avons-nous fait grand état? Je sais qu'ils sont fiers de leurs réalisations et heureux d'avoir reçu cette récompense. C'est une forme de reconnaissance.

Nous ne sommes pas un peuple porté sur la célébration; nous sommes plutôt humbles. Si un Américain avait connu les mêmes succès que Ron DePauw dans l'amélioration du blé, on aurait assisté à toute une démonstration de patriotisme. Il y a une différence culturelle à ce chapitre. Devons-nous changer? Je n'en suis pas persuadé car les acheteurs de canola, de blé ou d'autres produits canadiens que nous rencontrons à l'étranger savent souvent qui sont nos sélectionneurs. Les accomplissements des Canadiens sont reconnus sur les marchés internationaux. Pourrions-nous les souligner davantage? Certainement. De nouvelles réussites pourraient nous inciter à le faire.

Le sénateur Ogilvie : Je m'inquiète un peu de tous ces compliments de la part du sénateur Mercer ce matin. Je ne sais pas trop ce que ça cache. Je vais demeurer méfiant pendant le reste de la journée.

Messieurs, je trouve nos discussions d'aujourd'hui tout à fait fascinantes. Je vois une industrie très traditionnelle qui émerge soudain dans l'ère de la connaissance. Les problèmes dont vous avez parlé font leur apparition dans un contexte où les attitudes, les comportements et les prises de position sont bien ancrés, notamment en matière d'investissement.

Le manque d'évolution dans l'innovation s'explique entre autres par la nature même de la communauté agricole. C'est un secteur extrêmement traditionnel où l'on est réticent à changer les pratiques en usage. Les efforts ne sont généralement pas axés sur le développement de produits pouvant ensuite être transformés pour acquérir de la valeur ajoutée ou générer des extraits ayant une plus grande valeur commerciale.

Vous nous décrivez aujourd'hui une industrie en pleine transition. Toutes ces questions de propriété intellectuelle, de savoir-faire ou de secret commercial sont celles qui définissent n'importe quel secteur concurrentiel. Comme vous l'avez indiqué, monsieur Brandle, c'est à chaque entreprise qu'il revient de déterminer ce qui servira le mieux ses intérêts pour l'avenir. Assez souvent, le simple secret commercial est préférable à un brevet dans un processus de transition pour le développement d'un nouveau produit, même si les brevets sont désormais essentiels dans ce secteur, comme vous l'avez souligné à juste titre.

Pour illustrer la résistance au progrès dans le secteur agricole en général, je vous dirais que le Canada n'a pas établi de droits en matière de phytogénétique — je le sais pour avoir été membre du comité qui a recommandé au gouvernement de le faire. Longtemps auparavant, les agriculteurs eux-mêmes étaient parmi les plus réticents à l'idée de l'application de droits semblables. Cependant, l'absence de droits est devenue contraignante lorsque nous sommes entrés dans l'ère de la biotechnologie. Vous avez cité par exemple le cas de la zantédesquie éthiopienne. Pendant une certaine période, les créateurs étrangers de propriété intellectuelle savaient que les plantes commercialisables sur un marché ou un autre ne pourraient pas être vendues au Canada, vu l'absence de protection. Aujourd'hui, il suffit d'arracher une feuille et de cloner toute la plante pour se retrouver avec une toute nouvelle culture.

Je ne dirais pas que les chercheurs ont été la cause du problème, car ce sont eux qui ont tenté de faire bouger l'industrie pendant toutes ces années. Dans les laboratoires de recherche d'Agriculture Canada associés à des universités, dont celle du Manitoba pendant un bon moment, les scientifiques se sont heurtés à une forte résistance lorsqu'ils essayaient d'inciter les agriculteurs et, à l'autre extrémité du spectre, l'industrie, à avoir recours aux technologies, aux techniques et aux nouvelles souches qui auraient pu servir, par exemple, à la production de nouveaux pains et ouvrir de nouveaux débouchés. Je ne crois pas qu'il y avait au sein du secteur de la recherche fondamentale au Canada une opposition au développement de nouvelles idées pouvant mener à la création de produits et à tout ce qui s'ensuit.

À titre d'exemple, le Plant Biotechnology Institute de Saskatoon a été le premier au monde à cloner des conifères. Vous vous occupez des céréales, mais il y a aussi des produits forestiers et bien d'autres choses. Ce fut une percée très importante. Des chercheurs du monde entier essayaient de trouver la façon d'y parvenir. Pensez-vous que la grande industrie forestière canadienne était intéressée à acquérir les droits en la matière? Eh bien non; ces droits ont donc été vendus en Scandinavie.

Si nous reprenons les exemples que vous avez cités, monsieur Brandle, quant aux produits développés sans protection, la station de recherche agricole de Kentville, en Nouvelle-Écosse, est à l'origine de la création de quelques- unes des principales souches de fraises au monde. De fait, les trois souches permettant la meilleure production sur la planète ont été créées par cette station de recherche, mais Agriculture Canada n'a pas jugé bon d'en assurer la protection. Si l'on avait choisi d'obtenir un brevet, les revenus tirés de ces seules souches auraient suffi pour financer toutes les activités de recherche d'Agriculture Canada.

Je sais d'expérience qu'il est très rare que de la propriété intellectuelle dorme sur les tablettes des facultés d'agriculture des universités et des laboratoires de recherche canadiens parce que très peu de ces activités ont débouché sur une demande de brevet. En fait, c'est surtout l'industrie qui a été réticente à envisager ces possibilités nouvelles. S'il y a un élément qui ressort de votre mémoire, avec lequel je suis entièrement d'accord, monsieur Geddes, c'est le manque flagrant de récepteurs au sein de l'industrie pour les idées nouvelles, l'innovation et le progrès. C'est une situation qui n'affecte pas uniquement l'agriculture au Canada. Notre faiblesse la plus marquée réside dans le fait que les intervenants susceptibles d'agir comme récepteurs au sein des industries canadiennes ne semblent aucunement enclins à reconnaître l'importance de l'innovation. En l'absence d'une culture de l'innovation au sein d'une organisation, celle-ci ne peut même pas adopter les produits novateurs conçus ailleurs. Cela devient impossible, car on ne sait pas comment s'y prendre. C'est un fait.

Il y a une chose que je peux vous garantir à tous les deux, et surtout à M. Geddes, quant à l'avenir de l'industrie. En grande partie sous l'impulsion de l'évolution du secteur des céréales vers la production d'huile — l'aspect vraiment à l'origine d'une grande partie des innovations en la matière — ainsi que des nouvelles entités agricoles comme les vignobles canadiens où l'on consacre des sommes substantielles à la protection des produits, à leur perfectionnement et à l'accès à de nouveaux marchés, l'entrée dans une ère nouvelle suscitera l'enthousiasme des chercheurs qui pourront enfin travailler de concert avec une industrie capable de comprendre ou, tout au moins, de prendre en considération les idées émergeant des laboratoires.

Je me réjouis de l'approche que vous avez adoptée, car elle incitera les instituts de recherche et les universitaires à tenir compte de cet aspect. Ce sera aussi un stimulant pour les membres de votre industrie car, si vous devez soutenir cette démarche, le secteur devra être capable de composer avec ces idées nouvelles.

Plutôt que de sombrer dans le découragement ou que d'essayer de protéger un seul aspect de ce secteur comme vous l'indiquiez ce matin, je vous exhorte à envisager l'avenir d'un oeil plus optimiste du point de vue de la recherche en établissements en vous assurant que j'apprécie vraiment ce que je peux moi-même constater et ce que vous nous dites tous les deux concernant cette industrie extrêmement traditionnelle qui est en pleine transition.

Le président : C'était une question. Y a-t-il des observations?

M. Geddes : C'est bien la première fois qu'on me dit que je ne suis pas optimiste. J'essaie de tempérer l'enthousiasme qui règne au sein de l'IICG. Je suis tout à fait d'accord pour dire que les chercheurs, l'industrie et les consommateurs dans leur ensemble sont davantage mobilisés et prêts à s'investir que jamais auparavant.

Je peux vous parler de la culture des céréales. Il y a environ deux semaines, j'ai participé à Saskatoon à un sommet sur le blé organisé par le gouvernement de la Saskatchewan. Ce fut un évènement extraordinaire. Toutes les entreprises mondiales du secteur des sciences de la vie y étaient présentes pour discuter de l'avenir du blé. Le premier ministre provincial a parlé de la création d'un centre d'innovation pour le blé et des mesures à prendre pour veiller à ce que notre pays se réapproprie son rôle. À l'école, on nous répétait sans cesse que le Canada était le grenier du monde; nous sommes un peu devenus le grenier des petits pains et des nouilles. Comment restaurer notre statut? Il faut investir dans la recherche. L'enthousiasme est à son comble.

Je comprends bien ce que vous nous disiez au sujet des universités. Ma propre alma mater, l'Université du Manitoba, que j'ai fréquentée il y a 40 ans, avait une responsabilité de rayonnement, qui a notamment été assumée par Baldur Stefansson. Cette approche est moins marquée aujourd'hui. Ainsi, nous sommes en quelque sorte désavantagés par rapport aux universités américaines disposant d'une concession de terrains. Cette responsabilité de rayonnement n'existe plus. Le projet de mes étudiants de deuxième cycle doit-il être pertinent ou viser simplement leur formation? J'aurais tort de laisser entendre que c'est le cas pour toutes les universités, car elles ne fonctionnent pas toutes de cette manière. Bon nombre d'entre elles ne s'efforcent toutefois plus de faire rayonner les travaux de recherche qu'elles réalisent, car d'autres entités qui ont assumé le même rôle y ont renoncé complètement.

C'est sans doute la période la plus existante de ma carrière. Nous débordons d'enthousiasme.

Le président : Monsieur Brandle, quelque chose à ajouter?

M. Brandle : Nous avons bel et bien amorcé cette transition, mais le processus est très lent, ce qui nous sera préjudiciable. C'est en partie attribuable au phénomène de fragmentation. Si l'enthousiasme est peut-être là; nous savons déjà qu'Agriculture Canada dispose du meilleur atout au pays — les universités également. C'est cette évolution du mandat, ce phénomène de rétrécissement, qui bouleverse le processus de transition. Nous en sommes maintenant à produire des rapports sur l'innovation, plutôt qu'à innover à proprement parler. Nous devons nous mettre à la tâche et régler ces questions une fois pour toute. Je vais en rester là pour l'instant.

[Français]

Le sénateur Rivard : À la suite de vos deux présentations très explicites, des bonnes questions qui ont été posées par mes collègues, et surtout des bonnes réponses qui ont été données, je pense qu'on a fait le tour du jardin. Cependant, je voudrais revenir sur une des premières déclarations que vous avez faites.

J'ai cru comprendre que l'aide fédérale servait surtout à la mise en marché, au marketing, et que très peu est investi en recherche et en innovation. Avez-vous évalué le montant que vous aimeriez recevoir du gouvernement fédéral pour faire plus de recherche et d'innovation et ce, sur une période d'au moins cinq ans pour éviter, comme on l'a dit tantôt, la « vallée de la mort »?

[Traduction]

M. Geddes : Oui et non. Du point de vue de l'IICG, nous intervenons dans tous les secteurs de grande production au Canada. Nous travaillons avec les fèves soya du sud de l'Ontario qui sont exportées au Japon comme denrée alimentaire. Nous travaillons avec le blé de la région de Peace River en Colombie-Britannique qui sert à la fabrication des nouilles en Asie du Sud-Est. Nous considérons que les investissements dans le soutien au développement des marchés agricoles sont sans doute suffisants. Nous craignons toutefois que ces sommes ne soient pas nécessairement utilisées à bon escient lorsqu'il s'agit de faire en sorte que les idées nouvelles puissent atteindre le stade de la commercialisation. Je peux vous citer l'exemple de l'initiative sur l'orge. Il s'agit d'un excellent travail financé presqu'entièrement par Agriculture et Agroalimentaire Canada, certains fonds provenant de la Commission canadienne du blé, ce qui fait que les agriculteurs de l'Ouest du pays y ont contribué. On s'est rendu à l'étape du développement de produits, mais comme il n'y a jamais eu d'étude de commercialisation, aucune entreprise commerciale ou société de financement de l'innovation n'a pu prendre le relais. C'est le chaînon manquant. En raison de la structure de financement en place, il est très difficile d'obtenir des fonds pour différents usages dans les limites de la réglementation gouvernementale. Je comprends bien que des règles semblables sont nécessaires. Reste quand même qu'il est difficile de mener ce projet à terme sans la contribution d'un partenaire de l'industrie. Ces gens-là sont beaucoup moins enclins à s'engager dès le début du processus qu'ils ne l'étaient il y a 10 ans à peine. Il faut se rapprocher beaucoup plus de l'étape de la commercialisation, car c'est alors qu'ils voudront investir et faire le nécessaire pour la mise en marché du produit.

Comment pouvons-nous canaliser une partie de ces fonds provenant des contribuables pour appuyer l'industrie de telle sorte qu'elle puisse offrir un excellent rendement à ces mêmes contribuables en développant ces produits jusqu'à la porte des marchés? Est-ce une question de quantité ou de répartition? Je dirais que c'est davantage relié à la façon dont les fonds sont répartis qu'à la quantité d'argent disponible.

Le sénateur Nolin : J'ai une autre question à poser.

Le président : Une minute, sénateur Nolin; M. Brandle souhaitait répondre à la question.

M. Brandle : Je voulais mentionner, sénateur Rivard, que je pourrais soutenir que la relation qui existe entre la gestion du risque et l'innovation n'est peut-être pas bien équilibrée. Il est bon qu'on investisse davantage dans l'innovation. Cependant, il ne faut pas continuer d'alimenter le dinosaure. Il faut que nous trouvions une autre façon plus efficace de faire les choses. Ainsi, lorsque vous mettrez en oeuvre des programmes, vous appuierez de nouvelles façons d'innover tout en éliminant les anciennes, afin d'engendrer plus de revenus. Voilà un élément clé. Cette discussion est toujours très difficile parce que, lorsqu'on examine l'enveloppe globale consacrée à l'agriculture, on constate qu'elle contient beaucoup d'argent. Dans l'enveloppe, on retrouve l'élément dont on doit parler. Nous devons investir davantage dans l'innovation et dans de meilleurs systèmes d'innovation qui sont plus efficaces. Nous devons tirer parti de nos propres actifs d'une manière différente, afin d'avoir un effet plus marquant et de déterminer peut-être si notre organisation contribue au développement économique et le rôle qu'elle joue dans la société, au sens large du terme.

[Français]

Le sénateur Rivard : J'aurais une autre question, mais le sénateur Nolin en a une sur le même sujet.

Le sénateur Nolin : C'est sur le même sujet, si vous me permettez, monsieur le président.

[Traduction]

Comment les autres pays font-ils face au même dilemme, monsieur Geddes? Quelles mesures prennent-ils?

M. Geddes : Il m'est difficile de vous dire ce que font les autres pays pour lancer des innovations sur le marché. Toutefois, nous savons que les pays européens n'ont pas invité le secteur privé à investir de manière substantielle dans la biotechnologie ou dans la modification génétique des cultures, mais ils investissent d'importantes sommes d'argent dans la recherche sur les cultures, les systèmes de culture et les variétés afin d'éliminer la nécessité de recourir à la modification génétique. De plus, ils investissent des sommes considérables dans le maintien de leur compétitivité.

Nous savons qu'en plus de l'argent que les agriculteurs investissent, le gouvernement australien consacre beaucoup d'argent au maintien de leur compétitivité sur le marché international. Pendant un moment, la qualité de leur blé a été légèrement compromise, mais les autres cultures provenant de l'Australie sont bien financées, en ce qui concerne la recherche sur la sélection des végétaux.

En ce qui concerne l'innovation, pour être franc, je ne peux pas répondre à la question, parce que je ne les vois pas apporter beaucoup d'innovations à certains des produits qu'ils commercialisent. Au Canada, nous faisons du bon travail, pour ce qui est de transformer le soja en toutes sortes de produits industriels. Vous devriez peut-être inviter les gens de Soya 20/20 à témoigner devant le comité afin qu'ils vous expliquent ce qu'ils ont fait. Ils sont très près de lancer de nombreux produits sur le marché, mais nous n'avons pas encore observé d'avancées capitales. Quelle en est la cause? Ces gens seraient mieux placés pour vous le dire que moi.

[Français]

Le sénateur Rivard : Ma deuxième question est très courte et porte sur vos chercheurs. Est-ce que vous avez de la difficulté à les recruter, et surtout à les garder? Le taux de rétention est de 75 ou 80 p. 100. Quand vous les perdez, est- ce généralement parce qu'ils prennent leur retraite ou s'ils quittent pour l'entreprise privée ou pour d'autres ordres de gouvernement?

[Traduction]

M. Brandle : Dans notre cas en particulier, il s'agit d'une nouvelle organisation installée dans un ancien établissement. Le centre de recherche existait depuis plus de 100 ans, mais il avait connu un déclin. Il ne restait presque aucun scientifique. Nous avons commencé notre recrutement à zéro, et nous avons embauché environ 70 personnes au cours des deux dernières années. Nous n'avons pas eu de difficultés à trouver des scientifiques. En fait, à l'heure actuelle, nous bénéficions d'un marché d'acheteurs en raison de la situation économique aux États-Unis. La recherche est un luxe, et elle est souvent touchée par les compressions budgétaires. Nous avons recruté de très bons employés chez nos voisins du sud. Nous avons attiré beaucoup de cerveaux ici. Des Américains sont venus au Canada et des Canadiens sont revenus au pays pour intégrer notre organisation. Si vous examiniez notre groupe diversifié d'employés, vous constateriez que nous nous débrouillons très bien.

Jusqu'à maintenant, la question du maintien de l'effectif n'a pas été problématique, étant donné que les employés sont enthousiastes à l'idée de faire les choses d'une nouvelle façon et de faire partie d'une nouvelle organisation. Je dirais qu'en ce moment, le milieu de travail est très constructif.

M. Geddes : L'IICG diffère de la plupart des instituts de recherche. Nous ne sommes pas grandement axés sur la recherche de base. Notre personnel compte des titulaires de doctorat qui mènent des recherches, mais notre plus grand problème consiste à trouver des gens qui ont acquis de l'expérience sur le marché international. En ce moment, nous sommes à la recherche d'un nouveau boulanger qui a étudié les techniques boulangères, les protéines présentes dans les cultures céréalières et d'autres cultures, et la chimie de ces protéines. De plus, ce boulanger doit savoir ce qui se passe en Amérique latine et en Chine. La difficulté consiste à donner à nos chercheurs l'occasion d'acquérir l'expérience nécessaire pour qu'ils puissent collaborer de manière appropriée avec les autres instituts. Nous n'avons aucun mal à convaincre les nouveaux diplômés à venir travailler avec nos chercheurs. Cela n'a pas représenté un problème pour nous, mais notre organisation est petite. Nous ne cherchons pas à recruter des centaines de personnes, mais plutôt deux ou trois personnes à la fois.

De plus, nous sommes chanceux, car les recherches pratiques que l'IICG a menées partout dans le monde lui ont donné un statut assez respectable. Il s'ensuit qu'il nous est relativement facile de collaborer avec les instituts de recherche de la Chine, de la Malaisie et de l'Amérique latine. Si nous avons besoin de cerveaux, quelques-uns de ces autres instituts de recherche sont souvent heureux de collaborer avec nous afin de nous aider dans nos recherches sur les extrants ou les aspects commerciaux ou pratiques.

Le sénateur Buth : Il est intéressant d'être de ce côté de la table plutôt que du vôtre pendant cette séance.

Premièrement, au cas où les membres du comité l'ignoreraient, je tiens à préciser que Baldur Stefansson et Keith Downey ont développé le canola au Canada. Maintenant, je dois indiquer poliment que je ne suis pas d'accord avec le sénateur Ogilvie lorsqu'il dit que l'industrie agricole est traditionnelle et peut-être réticente à adopter des innovations. Je pense que c'est un peu une généralisation. Lorsqu'on examine différents produits de base et différentes régions géographiques, on constate un taux extraordinaire d'adoption des innovations.

Mon expérience est liée à l'industrie du canola, mais la même chose s'est produite dans l'industrie des légumes secs, où l'on voit des cultivateurs introduire activement des innovations. Dans l'industrie du canola, les innovations ont découlé, bien entendu, de la biotechnologie, mais elles ont eu aussi des répercussions sur les conditionneurs de grains, les exportateurs et les secteurs de l'industrie qui travaillent étroitement avec les clients finaux.

Les cultivateurs de blé et d'orge ont maintenant une excellente occasion d'aller de l'avant et d'introduire des innovations, et je pense que l'IICG jouera un rôle important en ce sens.

Ma première question concerne votre mécanisme de financement. Quel pourcentage des fonds que vous utilisez pour financer vos organisations provient du secteur public, et quel pourcentage provient du secteur privé? Il est important de le savoir lorsqu'on examine des partenariats publics-privés, en particulier compte tenu de la tendance à inverser, à modifier et à diviser les centres de recherche, tendance que nous n'avons pas, je l'espère, au Canada. Comment ces fonds sont-ils répartis?

Ma deuxième question est la suivante : avez-vous déjà participé à l'initiative de grappes agro-scientifiques, qui est vraiment fondée sur les priorités de l'industrie et axée sur l'industrie, ainsi qu'à l'initiative DPAI, l'initiative de Développement de produits agricoles innovateurs?

M. Brandle : Je peux parler de la répartition de notre financement. Par exemple, l'exercice en cours s'étend du mois de mars au mois d'avril, tout comme l'exercice du gouvernement fédéral. Pendant cette période, la contribution du secteur privé à notre financement a totalisé à peu près 12 ou 13 p. 100. En plus de cela, il y a une gamme d'autres programmes qui fournissent du financement aux organismes de recherche, et certains de ces fonds proviennent du volet science et innovation du programme à frais partagés Cultivons l'avenir. D'autres fonds découlent d'une subvention unique du gouvernement provincial. De plus, contrairement à bon nombre d'autres organisations, nous bénéficions d'une source croissante de revenus provenant du développement de notre propre propriété intellectuelle, de l'élaboration de nos propres technologies et de la conception de nos propres produits en collaboration avec des partenaires. Nous nous efforçons d'intégrer un élément pour nous afin de créer finalement un modèle viable comportant un certain nombre de différentes sources de revenus. Au cours des cinq prochaines années, vous verrez cet élément croître en même temps que le financement accordé par l'industrie.

Je peux dire, sénateur Buth, que je suis d'accord avec le sénateur Ogilvie. Il est très difficile d'obtenir des sommes substantielles. Ce n'est pas la coutume. La tradition veut qu'on démultiplie les fonds accordés. On s'attend à ce que l'on transforme 1 000 $ en 1 million de dollars. Votre ancien métier vous a appris comment cela fonctionne, mais cela fonctionne bel et bien. Ce modèle est toujours en vigueur, et je pense qu'à l'heure actuelle, l'industrie jouit d'une aubaine exceptionnelle. Toutefois, je soutiendrais que l'industrie doit contribuer davantage et que nous devons travailler là-dessus.

Nos chiffres doivent croître bien au-delà de ce qu'ils représentent aujourd'hui, et il est aussi difficile d'obtenir ce financement que tout autre financement. En particulier, lorsque l'on ne cherche pas à obtenir 10 000 $, mais plutôt 3 millions de dollars. Cela exige beaucoup de travail et d'efforts. Il y a un obstacle dans la tradition de l'industrie agricole que nous devons surmonter, qu'il s'agisse des groupes de producteurs, des entreprises, des personnes ou des grandes organisations.

Vous aviez une deuxième question, mais j'ai oublié sa teneur.

Le sénateur Buth : La question avait trait à votre expérience de travail avec les grappes agro-scientifiques.

M. Brandle : Oui. Nous participons à l'initiative de grappes agro-scientifiques, de plantes ornementales, de l'horticulture, de la floriculture et de pépinières. Notre expérience de travail dans le cadre du programme est très bonne. Je pourrais faire valoir que la position d'une organisation comme la nôtre au sein d'un tel programme est difficile parce qu'à certains égards, nous faisons concurrence à nos propres intervenants en vue d'obtenir les mêmes fonds. Cette situation est légèrement problématique. Si l'on souhaite créer de nouvelles organisations vouées à l'innovation, en particulier des organisations sans but lucratif et sans parti pris comme la Suisse, des organisations qui ne sont pas constituées par des producteurs ou des entreprises, il faudrait peut-être qu'une partie de ce programme appuie ces organisations d'une manière différente, afin que nous n'entrions pas en concurrence avec elles en vue d'obtenir le même financement. Cependant, je dirais que le programme est excellent.

Vous savez, au début, il y a eu les écueils habituels. De plus, les formalités administratives ainsi que la nécessité de rendre des comptes nous ont causé quelques difficultés dans nos activités mais, dans l'ensemble, le programme est excellent. Il a vraiment rapproché les gens, en particulier ceux de cette industrie. Il les a forcés à réfléchir à ce qu'ils doivent accomplir ensemble et aux enjeux préconcurrentiels auxquels il faut s'attaquer pour faire progresser le secteur.

La prochaine étape consistera à développer à leur intention une stratégie en matière d'innovation. Maintenant, nous commençons à aller dans le même sens que le programme, que la prochaine série de grappes, parce que celui-ci a une orientation et une capacité inhérente qui contribueront à attirer des chercheurs dans le secteur. Dans l'ensemble, je n'ai que de bonnes choses à dire à son sujet.

M. Geddes : Sénateur Buth, c'est un plaisir d'être assis de ce côté de la table, sachant que vous êtes assise de l'autre côté.

En général, le financement de l'IICG est à peu près moitié-moitié — 50 p. 100 des fonds proviennent du secteur public, et 50 p. 100 de l'industrie. Traditionnellement, les choses se passaient ainsi à la Commission canadienne du blé. Les agriculteurs versaient des fonds ainsi que les producteurs de céréales et les cultivateurs de légumineuses de la Saskatchewan, du Manitoba et de l'Alberta. Pendant un certain nombre d'années, nous avons mis en oeuvre des projets en collaboration avec le Conseil canadien du canola. Voilà de bons exemples de partenariat entre l'industrie et le gouvernement en matière de financement.

En ce qui concerne l'avenir suivant l'adoption du projet de loi C-18, vous vous souviendrez peut-être qu'au cours des audiences liées à l'étude du projet de loi, il a été mentionné que celui-ci prévoyait un mécanisme de financement visant à garantir le financement permanent de l'IICG, que ce soit une contribution de 25 cents par tonne ou peu importe le montant qui finira par être inscrit dans le règlement. Avec un peu de chance, le gouvernement continuera de verser une contribution équivalente à ce financement. Nous constatons que la plupart des instituts semblables à l'IICG — qu'il s'agisse d'un centre de développement des produits alimentaires à Saint-Hyacinthe ou à Leduc, en Alberta — sont soutenus financièrement par les provinces.

L'IICG est l'un des quelques instituts qui développent des produits, qui aident à leur mise en marché et que le gouvernement fédéral finance comme un organisme à but non lucratif. Nous nous attendons à ce que cette relation demeure à peu près pareille, sauf que le plan stratégique actuel nous pousse également à exploiter davantage le côté commercial de l'IICG. En ce moment, nous sommes en train de signer des ententes avec cinq clients commerciaux des quatre coins de la planète. Comme je l'ai mentionné, nous nous rendons en Chine ce week-end pour amorcer le processus avec l'une des entreprises, ainsi que quelques entreprises spécialisées dans les sciences de la vie et les céréales qui sont très axées sur la commercialisation. Toutes les recherches que nous menons en collaboration avec elles font l'objet d'une entente de confidentialité, et celles-ci paient la totalité des frais, y compris les frais généraux. Aucuns fonds publics ne sont investis dans ce secteur de l'institut.

Ces ententes ne sont pas extrêmement lucratives pour l'institut, mais c'est une question de connaissances. Plus que tout autre institut sur la planète, nous savons comment les cultures sont actuellement utilisées partout dans le monde, en particulier en tant que sources alimentaires et, dans une moindre mesure, en tant que sources de carburant et de fibre. Il est clair qu'en ce qui concerne les produits alimentaires, ces ententes aideront l'IICG à maintenir son savoir, alors qu'il va de l'avant sans partenaire de commercialisation en tant que tel.

En ce qui concerne les projets DPAI, il est important de définir clairement le travail que l'IICG accomplit. L'institut joue principalement le rôle d'un fournisseur de services auprès de l'organisation responsable de l'initiative DPAI. Il y a une initiative DPAI pour le blé, pour les légumineuses, pour les cultures spéciales et pour d'autres produits. Nous participons aux projets que les initiatives DPAI financent. Nous pouvons appuyer ces projets de recherche en accomplissant certaines tâches que l'IICG est conçu et équipé pour accomplir. Notre organisation n'est pas chargée d'élaborer la stratégie ou le mandat futur de l'initiative DPAI pour le canola. Ce n'est pas notre responsabilité. Si, dans le cadre de l'initiative DPAI pour le canola, on souhaitait mener un essai en champ et que l'IICG était en mesure d'apporter une aide, celui-ci serait appelé à participer à cet aspect du projet.

Cette approche est très efficace, étant donné que nous effectuons des recherches en agriculture. Toutefois, ce que nous suggérons d'inclure dans les initiatives DPAI, dans le cadre du programme Cultivons l'avenir 2, c'est la nécessité accrue de tenir compte du rendement. Ainsi, la recherche engendrera des produits qui seront mis en marché.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Je ne sais pas si je devrais poser ma question.

[Traduction]

Vous êtes tous les deux ici, et vous faites partie de deux organisations différentes. Vos organisations sont-elles concurrentes, et leurs activités se chevauchent-elles? Collaborez-vous souvent ainsi afin de faire passer un message, comme vous le faites aujourd'hui? Les gens doivent l'entendre. Les organisations qui accordent des subventions ou des fonds pour la recherche doivent savoir où se situent les problèmes.

M. Brandle : Il y a un certain chevauchement dans nos activités et une certaine compétitivité entre nous, et il est parfois difficile de faire la différence entre les deux, mais il est toujours bon d'avoir des concurrents, n'est-ce pas? Cela nous oblige tous à demeurer honnêtes, à continuer de réfléchir et à rester aux aguets. Je pense que c'est une bonne chose.

En ce qui a trait au rôle que notre organisation joue en tant que catalyseur de changement, on constate que, lorsqu'on s'efforce de changer les choses, on se sent parfois un peu seul. Beaucoup de gens préconisent le statu quo, et peu de gens parlent de l'avenir. Par conséquent, il se peut que nous ne soyons pas nombreux à être de cet avis.

Je soutiens que nous avons établi un solide partenariat avec l'Université de Guelph. Son président, Alistair Summerlee, siège à notre conseil d'administration, et il se soucie particulièrement de préparer l'avenir. Je ne peux pas parler en son nom, mais je soutiens qu'il considérerait que cela fait partie de la préparation. Par conséquent, notre relation avec le personnel de l'université découle du fait qu'ils s'efforcent de participer à l'avenir de l'innovation dans le domaine de l'agriculture. Je sais qu'ils ont annoncé récemment l'ouverture d'un nouveau centre d'innovation dans le domaine de l'industrie laitière à Elora. De même, ils sont en train de créer un nouveau modèle, de réaliser une indépendance, et de tenter de tirer parti des méthodes existantes.

Nous communiquons effectivement ensemble et, pourtant, il se peut que nous entrions aussi en concurrence dans une certaine mesure. Nos chercheurs peuvent faire concurrence à ceux de l'université lorsqu'il s'agit d'obtenir des subventions en général. Cependant, d'un point de vue organisationnel, nous nous efforçons d'aller dans la même direction.

Je suis certain que nous avons tous lu le rapport Drummond, puisqu'il a été rendu public hier après-midi. Il y aura des changements et des contraintes en Ontario, et nous devons songer à nos investissements futurs et cesser de payer pour le passé. Vous constaterez qu'un certain nombre d'entre nous unissent leur voix dans ce but, mais ce n'est pas le cas de tous, sénateur Robichaud. Les gens ne souhaitent pas tous changer. Parfois, on est unique en son genre.

M. Geddes : En ce qui nous concerne, nous effectuons des recherches et introduisons des innovations à un niveau différent des centres de recherche d'Agriculture et Agroalimentaire Canada et des universités. Nos recherches sont surtout pratiques et visent à développer des produits. Dans notre domaine, la concurrence vient des instituts provinciaux comme le Leduc Food Processing Development Centre. Si le gouvernement de l'Alberta souhaite jouer de nouveau un certain rôle, ils pourraient obtenir du financement pour du matériel supplémentaire. Ce conseil vaut également pour Saint-Hyacinthe, l'Île-du-Prince-Édouard et le Centre canadien de développement de produits alimentaires, au Manitoba.

Dans ce secteur de l'industrie, nous avons fondé ce que nous appelons le réseau FOODTECH Canada. L'IICG a grandement contribué à la fondation de ce réseau avant que j'entre à son service; ce n'est donc pas ma création. Malgré tout, l'institut a joué un rôle dans le rapprochement de tous ces centres alimentaires. Le réseau met à contribution un groupe de centres alimentaires financés par les provinces et un centre financé par le gouvernement fédéral, c'est-à-dire l'IICG. Chacun de nous s'est engagé à partager ses projets avec les autres, s'il n'est pas en mesure de réaliser les projets en question et qu'un autre membre du réseau l'est. Le réseau fonctionne de mieux en mieux. Cela prend un peu de temps, car chacun de ces instituts a un mandat provincial.

Notre mandat nous amène à contrôler la promotion des grandes cultures partout au Canada. Par conséquent, il nous est plus facile de partager nos projets que cela peut l'être dans d'autres situations. S'il y a concurrence, elle découle de la façon dont les instituts provinciaux accordent leur financement dans le secteur du développement des produits. Les membres collaborent très bien au sein du réseau FOODTECH Canada. Celui-ci doit être constamment alimenté parce que les gouvernements provinciaux changent et, dans ces cas-là, il arrive que nous ayons envie d'assumer des rôles différents.

J'estime qu'en prenant constamment les mesures voulues, nous développons une synergie, au lieu d'entraîner des dépenses excessives liées à la compétitivité, que le public n'a pas les moyens de payer.

Le sénateur Ogilvie : Premièrement, je ne crois pas que les observations du sénateur Buth contredisaient du tout les miennes. En effet, je conviens avec elle que les céréales de l'Ouest et les autres cultures produites relativement récemment sont de très bons exemples de l'évolution d'une industrie. Je faisais allusion à ce qui constitue, en ce moment, l'une des plus vieilles industries de l'histoire de l'humanité. La version canadienne de cette industrie est relativement récente. Nous avons dépassé le stade du développement traditionnel de nouveaux problèmes — de nouvelles variétés végétales — par le sélectionneur, et ce développement a entraîné un certain nombre de mutations accidentelles qui ont conféré à une nouvelle lignée des caractéristiques étonnamment bonnes.

En fait, je faisais allusion à ce dont vous parlez, c'est-à-dire l'application — le passage d'un savoir réfléchi à l'application réfléchie d'un potentiel de marché. Il ne s'agit pas seulement d'envisager l'huile en entier comme une bouteille sur l'étagère, mais plutôt de penser à la façon dont cette huile pourrait être décomposée de manière à créer un nouveau produit-créneau hautement valorisé, puis de développer délibérément une plante qui aurait des caractéristiques améliorées dans un secteur de ce genre.

Je ne tenais pas à ce que les commentaires du sénateur Buth réconfortent trop mon collègue, le sénateur Robichaud, parce que je suis d'accord avec ce qu'elle a dit et j'avais le sentiment que ses propos coïncidaient simplement avec notre opinion générale.

Je crois que l'incitation au changement vient des nouveaux venus au sein de l'industrie qui sont prêts à risquer des capitaux. Le membre traditionnel de l'industrie est très réticent à risquer des capitaux, même si on lui signale l'existence d'un produit cultivé, comme une pomme hautement valorisée et qu'il lui suffit d'investir dans la recherche pour résoudre le seul problème qui existe. Les producteurs hésitent vraiment à risquer des capitaux et à aller de l'avant.

À l'heure actuelle, une nouvelle espèce d'entrepreneurs entrent dans la profession agricole, et c'est pourquoi, même si je suis complètement d'accord, monsieur Geddes, avec la prudence dont vous faites preuve en ce qui concerne votre situation, je conviens que ces gens stimuleront l'industrie, parce qu'ils n'ont pas peur de prendre des risques. Cet apport aura une incidence très importante sur les nouvelles étapes que franchira l'industrie au cours des années à venir.

Encore une fois, je tiens à vous remercier des observations que vous avez formulées aujourd'hui.

M. Geddes : Puis-je ajouter quelque chose d'autre, sénateur Robichaud — pardon, sénateur Ogilvie. Je vous présente mes excuses. Je pensais à l'autre côté.

Il ne suffit pas d'être disposé à prendre des risques pour stimuler l'innovation — parfois, il faut un besoin. Prenez l'exemple que je vous ai cité à propos d'un déchet, à savoir l'huile de moutarde — lorsqu'on moud la moutarde, on obtient une pâte, puis de la farine et de l'huile. La farine est utilisée, mais l'huile est un sous-produit entreposé dans des barils en Saskatchewan qui ne servait à rien jusqu'à ce qu'une entreprise en Allemagne ait besoin de nettoyer un processus graisseux. Grâce à la connaissance que nous avons des propriétés polyvalentes du canola, nous l'avons mélangé à l'huile et, sur un coup de tête, ils nous ont dit ce qui suit : « Si vous êtes en mesure de concevoir ce produit pour nous, nous assumerons les coûts qu'occasionnera la mise en marché de ce nouveau concept. »

Très souvent, ce sont l'argent et la nécessité qui stimulent l'innovation. Si ce besoin est satisfait rapidement, le reste du travail est inutile.

Mes observations concernant la nécessité de mettre les innovations sur le marché aussi rapidement que possible sont fondées sur ce sentiment d'urgence, parce que le marché des aliments, des carburants et des fibres est en constante évolution. Il change constamment et, si vous ralentissez vos activités pour vous assurer que vous financez votre recherche en fonction de ses avantages éventuels, vous courez le risque de gaspiller la valeur de la recherche.

Encore une fois, je sais que la plupart des gens avec lesquels je travaille désirent protéger les travaux que j'exécute en collaboration avec eux. C'est pourquoi nous devons comprendre la valeur de ceux-ci. Lorsqu'on utilise des deniers publics pour financer des travaux de recherche d'intérêt public, on doit s'assurer que cette science, cette nouvelle idée ou cette innovation sera employée au maximum.

Le sénateur Buth : Je suis curieuse de savoir comment vous établissez des priorités au sein de vos deux organisations, compte tenu de votre processus respectif d'établissement des priorités.

M. Brandle : En ce qui nous concerne, le processus a deux volets. L'un d'eux est fondé sur les conversations à bâtons rompus que nous avons quotidiennement avec nos membres, notre clientèle et les intervenants, qu'il s'agisse de nos discussions avec les fabricants de produits d'épicerie ou les cultivateurs au cours des réunions du conseil d'administration, ou de nos échanges quotidiens avec nos collaborateurs dans le domaine de la science ou dans le secteur agricole. Puis, il y a le processus structuré dans le cadre duquel nous nous assoyons annuellement pour discuter de ce qui doit être fait. Encore une fois, nous nous efforçons de tenir compte de la chaîne de valeur au cours du processus.

Prenons, par exemple, ce que nous avons fait pour Fleurs Canada en collaboration avec l'industrie de la floriculture. Nous avons réuni dans une salle les producteurs de fleurs, les fleuristes et les détaillants de produits d'épicerie, et ils ont parlé de ce à quoi l'avenir devait ressembler, des obstacles à surmonter, de l'endroit où nous voulons être dans 10 ans et d'autres sujets de ce genre. Voilà en quoi consiste le processus.

Comme vous le savez, ce processus produit une liste habituellement très longue. Si vous avez 100 priorités, vous n'en avez pas une seule. La liste peut être très longue. Notre organisation se livre alors à ce qu'on appelle « une analyse des possibilités. » Nous sommes ici pour stimuler la croissance de l'horticulture. Nous voulons la développer, l'améliorer et accroître son efficacité ainsi que sa rentabilité. Quelles mesures auront vraiment un effet bénéfique? La réponse à cette question nous permet de réduire la liste. Nous nous demandons ensuite quelle est notre capacité. Y a-t-il quelqu'un au Canada qui peut nous aider? Pouvons-nous réunir les partenaires? Les gens responsables du développement des entreprises peuvent-ils engager Longo — ou peu importe les partenaires avec lesquels vous devez faire équipe — et obtenir du personnel chargé de la distribution pour faire avancer les choses? Voilà la deuxième étape. Ensuite, il faut mettre sur pied le projet et concevoir un modèle d'exécution des tâches. Il y a un certain nombre de façons d'intégrer la technologie dans la chaîne de valeur. C'est à ce stade que votre innovation en matière de modèle opérationnel entre en ligne de compte. C'est ce à quoi ressemblent les projets en attente d'exécution.

M. Geddes : À l'IICG, le processus est une fois de plus différent, parce que nous exerçons nos activités à un autre niveau, sénateur Buth.

Jusqu'au 1er avril dernier, la majeure partie de nos priorités étaient établies par notre plus important partenaire, c'est-à-dire la Commission canadienne du blé. Nos priorités s'appliquaient à ces marchés. Nous voulons être en mesure de procéder à ce genre de développement de marché, si nous observons une demande pour ce produit. La Commission canadienne du blé a demandé à l'IICG de trouver, pour l'amour du ciel, une autre utilisation pour le blé dur, parce qu'en le vendant comme provende à poulet, les cultivateurs ne maximisaient pas les bénéfices de leur investissement. Ils auraient accordé une priorité à cet objectif.

Maintenant, nous avons publié la liste de nos programmes pour la période allant du mois d'avril au mois de juillet, et leur priorité est établie au moyen de deux processus. Premièrement, nous constituons deux comités consultatifs des programmes de l'IICG, dont un composé de sept agriculteurs. Il s'agit de sept agriculteurs de l'Ouest canadien possédant des exploitations agricoles dont la superficie dépasse 100 000 acres — elle s'élève, en fait, à près de 120 000 acres. L'autre comité consultatif compte cinq membres de l'industrie céréalière et les nouveaux spécialistes en commercialisation. Compte tenu de nos contacts avec des clients du monde entier, voici le genre de programmes qu'à notre avis, nous devrions mettre en oeuvre. Cela correspond-il à ce à quoi vous aimeriez que nous participions? Nous avons maintenant deux comités consultatifs des programmes.

Notre conseil d'administration est toujours intact, et il définit les orientations stratégiques. Il est probable que cette structure changera au cours de l'élaboration d'un conseil des céréales ou d'un modèle pour l'industrie céréalière qui pourrait ressembler au Conseil canadien du canola. Nous ne participons pas complètement à ce processus, parce qu'on nous a dit que cette responsabilité incombait à l'industrie, et non à l'IICG. Nous nous efforçons donc de ne pas nous mêler de cette discussion.

Oui, nos comités consultatifs classeront pour nous les programmes par ordre de priorité. Les recherches que nous menons sont déterminées presque entièrement par nos clients qui nous disent, par exemple, qu'ils veulent concevoir un détergent pour les mains uniquement à base d'huile de moutarde, et non d'huile de canola. Ils établissent ainsi des priorités pour nous.

Le degré d'urgence d'une recherche est l'élément qui contrarie toutes ces priorités. Si, comme cela s'est produit récemment en Malaisie, un client communique avec nous parce que les pains vapeur qu'il produit ont une teinte jaunâtre et qu'il a besoin de régler le problème immédiatement, sinon il va devoir écouler à bas prix son blé canadien, nous intervenons parce que c'est urgent. Nous faisons cela régulièrement.

Deux chargements viennent de partir pour l'Europe. Nous ne connaissons pas exactement la nature du problème, mais nous allons le régler avant d'entreprendre quoi que ce soit d'autre, parce que la réputation des produits canadiens est en jeu. Nous sommes souvent contraints de répondre aux situations d'urgence.

Le président : Avant que nous mettions fin à la discussion, vous avez abordé, chers témoins, la question de la chaîne de valeur globale. Je sais que cette question a une grande incidence sur le processus de mise en marché d'un produit.

Nous constatons que, partout au Canada, en Amérique du Nord et sur la planète, en fait, de grands distributeurs comme Costco, Walmart, Canadian Tire, Zellers, Jean Coutu et Shoppers Drug Mart disposent de grandes surfaces pour commercialiser des produits alimentaires.

Avez-vous des observations à formuler à ce sujet? Je sais que vous avez soulevé la question de la voie qui, du début à la fin, permet d'acheminer des produits sur le marché à l'intention des consommateurs. Avez-vous des observations à formuler à propos de la façon dont ces nouveaux acteurs modifient l'industrie alimentaire? Si c'est le cas, que recommanderiez-vous que nous fassions pour enrichir et protéger les producteurs?

M. Brandle : Par exemple, ces distributeurs ne sont que des clients de plus, mais ils sont différents. Ils sont plus importants, et ils achètent de plus grandes quantités de marchandises. Ils font toutes sortes de choses qui ne se faisaient pas dans le passé.

Les exemples qui me passent par la tête sont les fleurs. Que vous le sachiez ou non, au printemps, la plupart des plantes à massif ne sont plus vendues dans des entreprises familiales de jardinage; elles sont vendues dans les magasins que vous avez mentionnés. Les agriculteurs qui fournissent ces fleurs ne sont plus payés pour le chargement complet dès qu'il arrive au magasin; ils sont payés quand les plantes sont vendues. Le problème, c'est qu'aucun employé du magasin ne prend soin les plantes.

Bien que nous n'ayons pas procédé à une étude complexe du comportement des consommateurs, nous présumons qu'ils n'achèteront pas une plante morte, et il fallait résoudre ce problème. Le produit doit pouvoir survivre en magasin pendant un maximum de deux semaines, souvent sans être arrosé; sinon, l'agriculteur devra essuyer les pertes. Nous avons mis sur pied un projet qui apporte une innovation.

Il y a 20 ans, le rendement des fleurs en magasin ne constituait pas un critère de sélection des végétaux. On ne s'inquiétait pas de savoir combien de temps une plante pouvait survivre sans arrosage. Encore une fois, à l'aide d'une énorme couche de technologie, une technologie génomique pour être précis, nous nous employons à créer des fleurs qui survivront dans cet environnement.

Voilà un autre argument en faveur de l'innovation. Une fois qu'on a compris comment ces grands détaillants fonctionnent, on se rend compte qu'on doit faire les choses différemment. Voilà une innovation qui sera avantageuse pour les magasins; puisque les fleurs auront une meilleure apparence, ils en vendront davantage. Quant à l'agriculteur, il essuiera moins de pertes. De plus, les jardins particuliers nécessiteront moins d'eau. Voilà le genre de mesures que nous prenons pour répondre à ces besoins. Nous acceptons ces contraintes parce que nous ne pouvons pas les changer. Nous nous disons, eh bien, nous sommes des innovateurs, alors réglons ce problème.

Le président : Que suggérez-vous pour protéger le producteur ou l'agriculteur canadien contre la commercialisation de Costco, Walmart ou autres entreprises de ce genre?

M. Brandle : Vous savez, j'ai assisté au banquet de l'assemblée générale annuelle de l'Association des fruiticulteurs et des maraîchers de l'Ontario. J'étais assis à la même table que deux cultivateurs de légumes qui ne pensaient que du bien de Walmart. Pour eux, c'est un excellent client qui les paie et avec qui il est bon de faire des affaires. Ils en avaient une très bonne impression. Nous avons fait cette supposition, bien sûr, mais moi-même je ne pense pas que ce soit nécessairement vrai.

Je ne sais pas si nous avons besoin d'être protégés contre ces détaillants. Nous devrions peut-être changer nos méthodes afin d'y arriver, car ce n'est pas cela qu'il vous faut mais ceci, et le produit doit être d'excellente qualité et à un bon prix. Alors avec l'innovation, un nouveau produit et un nouveau prix bas, vous êtes gagnant.

Voilà ce que nous devons faire pour protéger les agriculteurs — si tant est qu'ils aient besoin d'être protégés, ce dont je ne suis pas sûr — et leur donner les moyens nécessaires pour traiter avec ces grandes entreprises. Je pense que nous le pouvons.

M. Geddes : Je commence par la chaîne de valeur ou le système alimentaire, ou quel que soit le nom que vous voulez lui donner. Pour nous, le point de départ est toujours le client, je l'ai dit plus tôt. Nous devons savoir ce que les consommateurs du monde entier veulent. C'est exactement par là que Walmart et Costco commencent. Ils veulent savoir quels sont les produits qu'ils peuvent vendre le plus mais qui leur coûtent le moins cher à produire. Leur priorité, c'est de gagner de l'argent et il n'y a rien de mal à cela. Devrions-nous protéger les agriculteurs contre ce genre de priorité? Je ne le pense pas.

Il nous incombe, toutefois, d'expliquer aux agriculteurs où se situe leur centre de profit dans le système. Nous avons constaté que ces très grandes sociétés imposent à la population d'une certaine région du monde ce qu'elle doit manger. Elles demandent une qualité beaucoup plus uniforme. La qualité du blé, des fleurs ou de la viande de porc qui leur sont livrés doit toujours être égale. Si nous pouvons passer ce message aux cultivateurs et qu'ils sont capables de livrer une telle qualité, ils pourront faire des profits. Les grandes sociétés demandent des produits plus sains car elles en entreposent tout le temps d'énormes quantités dans leurs magasins. Elles ne peuvent pas se permettre que ces marchandises fassent l'objet d'un rappel.

Elles réclament constamment des produits plus sains et elles ont mis en place des systèmes de suivi de la qualité. Elles demandent des produits alimentaires durables, ce qui est une bonne chose pour la planète, et si on ne peut continuer à produire ces aliments, elles chercheront un autre fournisseur qui pourra les leur offrir. Cette exigence est un facteur de promotion de l'agriculture durable dans les régions du monde où il faudrait adopter des pratiques agricoles durables. Au plan des profits, il peut y avoir des conséquences pour des agriculteurs du Canada et d'ailleurs. Elles provoquent des changements. Vous pouvez être pour ou contre ces changements en fonction de qui vous êtes. Galen Weston a déclaré la semaine dernière à une conférence sur l'alimentation qui s'est tenue à Toronto que les légumineuses à grain étaient la nouvelle culture à l'honneur. Félicitations à Gord Bacon, Pulse Canada et aux autres particuliers et entreprises qui se sont mis à l'oeuvre pour promouvoir cette idée. En vous rangeant du bon côté de ces sociétés, vous pourrez aider les cultivateurs à décider ce qu'ils feront. Vous pourrez atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés relativement aux cultures que les agriculteurs de l'Ouest du Canada produisent le mieux.

Le Bangladesh n'est pas la nation la plus riche au monde, elle est peut-être l'une des plus pauvres. Ce pays a modifié ses méthodes de mouture et exige maintenant une uniformité au niveau de la qualité. Les grandes minoteries livrent de la farine aux boulangeries qui fabriquent chaque jour un pain de la même qualité. Au lieu d'acheter le blé un peu n'importe où, ils préfèrent avoir le même type de produit. Le blé qu'ils achètent actuellement provient du Canada. Le fait de comprendre l'influence des grandes sociétés sur la chaîne de valeur ne signifie pas nécessairement que notre profit sera amoindri. Ça signifie que nous menons nos affaires de la façon souhaitée par le consommateur, car en fin de compte il est aussi au bout de la chaîne de valeur.

Le président : Monsieur Geddes, vous avez employé l'expression, mais je vous pose la question pour les besoins de l'étude du comité. Est-il juste de dire qu'elles contribuent au développement durable de l'agriculture?

M. Geddes : Des groupes tels que General Mills, Cargill et Nestlé demandent une preuve que les aliments qu'on leur livre proviennent de régions qui ont adopté des pratiques d'agriculture durable et qui pourront continuer à les appliquer durant les 100 années à venir. Le message lancé aux systèmes de production internationaux par cette demande de produits alimentaires durables est que la production de farine proviendra de régions où l'agriculture durable est mieux implantée. Je pense que c'est quelque chose de positif pour nous tous. Y a-t-il des conséquences pour des agriculteurs canadiens? Oui, parce que certaines régions ne conviennent à ce type d'agriculture.

Le sénateur Robichaud : Au sujet de l'innovation. Des recherches sont faites sur la production ou les produits alimentaires qui entrent dans la chaîne alimentaire, mais beaucoup de recherches sont menées actuellement sur d'autres utilisations des mêmes produits. Qu'est-ce que cela signifie? Retire-t-on des ressources au secteur alimentaire ou en ajoute-t-on?

M. Geddes : C'est une très bonne question. On pourrait dire que la quantité d'amidon produite pour la production de bioéthanol est en quelque sorte retirée des ressources alimentaires mondiales. Notre expérience nous montre que ce n'est pas vrai. En règle générale, il y a de grandes quantités de produits alimentaires dans le monde. Le problème se situe au niveau de la livraison de ces produits aux populations. Je ne dirais pas que c'est quelque chose de négatif. J'ai donné deux exemples dont un sur une société allemande qui voulait un dégraissant biodégradable, biologique et exempt de dérivés du pétrole. Cet exemple montre qu'on utilise des produits résiduaires provenant d'une autre étape d'un processus pour fabriquer un produit industriel. Et c'est ce qu'il faut faire autant que possible sinon le produit résiduaire restera un produit résiduaire. Beaucoup de recherches sont faites dans ce domaine. Peut-on en faire trop dans ce domaine? Je ne pense pas. Nous étudions en collaboration avec Innovation Norway les produits de l'orge de qualité alimentaire. L'un des problèmes avec ces produits, c'est de trouver ce que l'on peut faire avec ce qu'il y a à l'extérieur de la graine, trouver le moyen d'utiliser ces résidus dans les aliments pour les animaux ou pour les animaux de compagnie, et ce, de la façon la plus productive pour les cultivateurs dans le but d'accroître la valeur du produit.

Nous étudions l'utilisation du surplus de production des produits alimentaires transformés ou leurs dérivés dans l'industrie, pour produire du carburant ou des fibres. C'est une étude que nous devrions faire constamment.

Le sénateur Robichaud : Je ne parle pas des produits dérivés parce qu'il faut trouver des façons utiles de s'en défaire de manière rentable. Cependant, il a été dit que l'utilisation de grandes quantités de maïs dans les usines de production d'éthanol a contribué à l'augmentation du prix du maïs.

M. Geddes : C'est absolument vrai, Dieu merci. Sinon, nous ne produirions pas de grandes quantités de grains si nous devions les vendre aux prix en vigueur dans l'Ouest du Canada il y a cinq, six ou sept ans. Ce n'est pas parce que le prix du maïs est si élevé que des gens ont faim. L'augmentation du prix des produits alimentaires ou des produits cultivés à des fins commerciales incitera les pays qui dépendent des importations provenant d'Amérique du Nord ou d'autres régions du monde à établir leurs propres systèmes agricoles parce qu'ils auront les moyens de le faire. Il ne suffit pas de dire que le maïs qui a été utilisé dans la production d'éthanol aurait dû l'être dans l'alimentation des vaches, des porcs, des poulets ou dans les tortillas. Comment assurer une répartition égale des produits alimentaires dans le monde? Comment la population de l'Afrique subsaharienne se nourrit-elle? Pas avec du maïs américain. Dans notre discussion sur ce que les agriculteurs devraient pouvoir faire de leur production, nous devons veiller à ce qu'ils ne perdent pas de l'argent. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'ils décident de vendre leurs produits à des producteurs d'éthanol pour gagner plus. Pour mener des projets de développement en Afrique subsaharienne, où la croissance démographique est l'une des plus élevées au monde, devrions-nous réaliser ces projets en nourrissant la population de produits alimentaires nord-américains? Je ne le crois pas. Nous devrions créer des structures agricoles internationales qui établiront des prix qui permettront à un cultivateur de la zone subsaharienne d'être récompensé pour avoir fait de la culture vivrière.

Le sénateur Robichaud : Nous pourrions avoir une longue discussion à ce sujet. On m'a dit que les cultivateurs locaux dans cette région ne pouvaient pas vivre de leur production à cause de l'importation de denrées subventionnées...

M. Geddes : Les céréales d'Amérique du Nord exportées vers cette région baissent le prix de leurs produits de base.

Le sénateur Robichaud : Ils ont tous cessé d'exploiter leurs terres. Mais, on en parlera un autre jour.

Le président : Je vous remercie de nous avoir fait part de vos visions, de vos idées et d'avoir formulé des recommandations au comité. Sur ce, mesdames et messieurs les sénateurs, la séance est levée.

(La séance est levée.)


Haut de page