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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 16 - Témoignages du 3 mai 2012


OTTAWA, le jeudi 3 mai 2012

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 3 pour examiner, afin d'en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole (sujet : Les retombées des investissements fédéraux sur les acteurs de l'industrie d'un point de vue universitaire).

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, la séance est maintenant ouverte. Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, j'aimerais remercier les témoins d'avoir accepté notre invitation. Je m'appelle Percy Mockler; je suis le président du comité et je viens du Nouveau-Brunswick. J'aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Pana Merchant, Regina, en Saskatchewan.

Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, de l'Ontario.

Le sénateur Plett : Don Plett, Landmark, du Manitoba.

Le sénateur Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.

Le sénateur Demers : Jacques Demers, Québec.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, Québec.

[Traduction]

Le président : Le comité poursuit son étude des efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole. Notre mandat est d'examiner le développement de nouveaux marchés domestiques et internationaux, le renforcement du développement durable de l'agriculture et l'amélioration de la diversité et de la sécurité alimentaire.

Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à comparaître pour nous faire part de vos observations et recommandations pour l'avenir. Je pense que nous convenons tous que le Canada est le meilleur pays du monde.

Aujourd'hui, nous examinons les retombées des investissements fédéraux sur les acteurs de l'industrie, d'un point de vue universitaire.

[Français]

Nous accueillons ce matin, honorables sénateurs, Dr Douglas Hedley, directeur exécutif de la faculté canadienne d'agriculture et de médecine vétérinaire.

[Traduction]

Nous accueillons aussi M. Michael Trevan, doyen de la Faculté des sciences de l'agriculture et des aliments, de l'Université du Manitoba, ainsi que M. Peter W.B. Phillips, professeur, École supérieure de politiques publiques Johnson-Shoyama, de l'Université de la Saskatchewan.

Nous demanderons à M. Trevan de commencer, suivi de M. Hedley et de M. Phillips. Après vos exposés, les sénateurs vous poseront des questions.

Michael Trevan, doyen de la faculté des sciences de l'agriculture et des aliments, Université du Manitoba : Merci. Premièrement, permettez-moi, au nom de mes 12 collègues canadiens des Facultés canadiennes d'agriculture et de médecine vétérinaire, de vous remercier de l'occasion de comparaître devant le comité pour parler de ce qui est pour nous un sujet de la plus haute importance. Je n'en dirai pas plus à ce moment-ci, sauf — parce que je suis ici en leur nom et en mon nom personnel — pour céder la parole à notre directeur exécutif, M. Hedley, qui fera la déclaration préliminaire.

Douglas Hedley, directeur exécutif, Facultés canadiennes d'agriculture et de médecine vétérinaire : Merci. Premièrement — très brièvement —, Facultés canadiennes d'agriculture et de médecine vétérinaire est un organisme constitué par lettres patentes il y a 21 ans; il exerce ses activités depuis ce temps. En fait, nous venons de tenir notre réunion annuelle, qui a eu lieu à l'Université McGill, à Montréal.

Notre organisme compte 13 membres : les cinq facultés de médecine vétérinaire et les huit facultés d'agriculture du Canada. En fait, l'une d'elles fusionnera avec une université plus importante le 1er juillet. Il s'agit du Collège d'agriculture de la Nouvelle-Écosse, qui deviendra une faculté de l'Université Dalhousie. Toutes les facultés de médecine vétérinaire sont reconnues à l'échelle internationale et nationale.

Permettez-moi tout d'abord d'exposer les faits importants concernant la production alimentaire et la demande à l'échelle mondiale. Les chiffres sont très clairs. Au cours des 38 prochaines années, d'ici 2050, la production alimentaire mondiale devra connaître une hausse d'au moins 70 p. 100 si nous voulons que les prix demeurent à leur niveau actuel. Lorsqu'on ajoute les produits agricoles comme la matière première pour un large éventail de produits, on constate que pour les 38 prochaines années, il faut doubler la production agricole mondiale. La productivité devient alors un élément essentiel de la stabilité et du maintien du prix des produits agricoles, non seulement au Canada, mais aussi à l'échelle mondiale. Si nous n'agissons pas, plus de personnes dans le monde se retrouveront dans la pauvreté, dont des Canadiens. Ce sont des données très simples qui vous donnent une idée des gains de productivité qui sont nécessaires.

Le problème, c'est que les gains de productivité sont en déclin, non seulement à l'échelle mondiale, mais aussi au Canada. Le taux de croissance actuel de la productivité de nos principales cultures, en particulier pour les grains, sont bien en deçà des niveaux requis pour satisfaire à l'augmentation de la demande mondiale. Dans le monde, il faudrait augmenter la productivité globale de son niveau actuel, qui est de 1,1 p. 100 à 1,3 p. 100, à près de 2 p. 100 par année pour toute la période de 38 ans. Voilà les données avec lesquelles il faut composer en ce qui a trait à l'approvisionnement alimentaire.

Les facultés du Canada travaillent en ce sens. Il y a beaucoup de façons de le faire. J'en ai souligné certaines dans mon document. J'attirerais particulièrement votre attention sur les efforts internationaux dans le cadre du programme « Un monde, Une santé » qui vise à établir des liens entre l'alimentation et la santé humaine et la santé animale.

Comparativement à sa population, le Canada a des ressources très importantes. En conséquence, le Canada a l'occasion d'augmenter considérablement ses exportations. Cela signifie que nous avons besoin des accords commerciaux avec L'UE, du Partenariat transpacifique de même que les accords commerciaux bilatéraux avec l'Inde, la Corée, le Japon et d'autres pays du monde où l'on observe une augmentation de la demande.

J'aimerais attirer votre attention sur l'article de Michael Gifford qui en démontre la pertinence. L'article, fort intéressant, a été publié récemment.

L'assise sur laquelle repose l'innovation du Canada est fondée sur sa capacité dans les secteurs de la recherche fondamentale et appliquée, la santé des cultures, la médecine vétérinaire et la production. Les universités sont aussi la source de personnel hautement qualifié. Elles offrent divers programmes de formation, depuis les programmes de formation des techniciens en agriculture et en agroalimentaire aux fondations de recherche des programmes de deuxième cycle, de doctorat et d'études postdoctorales.

Dans le graphique, je présente une étude que nous sommes sur le point de terminer, en collaboration avec Science-Metrix, à Montréal. On observe que 75 p. 100 des articles évalués par les pairs sur l'agriculture, les aliments et la nutrition publiés au Canada proviennent des universités canadiennes. Il s'agit du principal moteur de l'innovation au Canada. Cela comprend les 11 universités d'où proviennent nos membres et 19 autres universités canadiennes. Certaines sont absentes tout simplement parce que le nombre d'articles qu'elles ont publiés était trop faible pour être comptabilisés dans le total. Agriculture et Agroalimentaire Canada a un programme assez important, mais il n'est pas très important quand on le compare à la recherche scientifique réalisée par les universités.

À elles seules, nos facultés comptent plus de 1 000 étudiants inscrits à des programmes de doctorat. C'est l'avenir de la recherche canadienne. Nous savons comment unir nos efforts, et c'est pourquoi dans le dernier graphique — qui a été préparé par Science-Metrix —, on retrouve les liens établis entre les universités. On n'y trouve pas seulement nos membres, mais aussi les autres universités canadiennes qui oeuvrent dans le secteur de l'agriculture, l'alimentation et la nutrition.

Nous collaborons aussi à l'échelle internationale. Nous avons de nombreux liens avec des universités aux États-Unis, en Europe, en Inde, en Afrique, en Chine et ailleurs. Ces liens revêtent toute leur importance en ce qui a trait aux efforts de recherche menés en collaboration partout dans le monde. Voilà les moteurs de la recherche et de l'innovation; qu'est-ce qui nous empêche donc d'avancer? Le problème, pour parler le plus franchement possible, c'est que le secteur de l'agriculture et l'agroalimentaire n'est pas un secteur de recherche attirant. Il n'attire pas autant l'attention que beaucoup d'autres secteurs, qu'il s'agisse de la recherche spatiale ou la recherche sur le cancer, qui sont toutes particulièrement importantes, mais nous sommes d'avis que le gouvernement ne s'y intéresse pas autant qu'il le devrait. Or, dans l'ensemble, le secteur de l'agriculture et l'alimentation représente un septième de la main-d'oeuvre canadienne et près de neuf pour cent du PIB. Il présente une balance commerciale saine et positive, de sorte qu'il contribue à la santé de l'économie canadienne.

J'aimerais souligner qu'un groupe d'experts se penche actuellement sur l'état des sciences et de la technologie. Il s'agit d'un rapport préparé par le gouvernement fédéral tous les trois ans, environ. On y établira les priorités en matière de science et d'innovation pour les trois à cinq prochaines années. Aucun membre de ce comité ne possède de l'expertise en agriculture, en alimentation ou en médecine vétérinaire.

Le CRSNG, un des membres des trois Conseils, a un conseil de gouvernance. Aucun des membres de ce conseil ne possède de l'expérience en agriculture, en alimentation et en médecine vétérinaire. Toutefois, ce sont eux qui établiront les priorités en matière de recherche. Le comité permanent du CRSNG, le Comité des subventions et des bourses, ou CSB, ne compte aucun membre du secteur de l'agriculture et de l'alimentation. Après discussions avec le CRSNG, le Comité des partenariats de recherche compte enfin un membre chargé des priorités en matière de recherche dans ce domaine. Malheureusement, son nom n'est pas encore affiché sur leur site web. Il s'agit de Leslie MacLaren, vice-présidente du Collège d'agriculture de la Nouvelle-Écosse. Il y a donc un seul membre parmi tous ceux que comptent les comités chargés d'établir les priorités en matière de recherche dans le secteur de l'alimentation et de l'agroalimentaire.

Quelles sont les occasions dont nous pouvons tirer parti? Premièrement, il faut que la recherche et l'éducation en matière d'agriculture, d'alimentation et de médecine vétérinaire et leurs relations avec le système alimentaire et la santé soient reconnues dans l'ensemble du gouvernement fédéral comme étant des domaines hautement prioritaires, plus particulièrement au sein des trois Conseils, le CRSNG, le CRSH et les IRSC.

Le financement de la recherche en agriculture et en agroalimentaire peut provenir de trois sources. Manifestement, la première est le secteur public. Le secteur public doit financer la recherche parce que les entreprises privées ne peuvent tout simplement pas se lancer dans la recherche fondamentale si elles n'y voient aucun moyen de rentabiliser le produit. Il s'agit des déficiences du marché, si vous voulez, et c'est la raison que l'on invoque habituellement pour justifier l'intervention du gouvernement dans divers secteurs. Voilà un des facteurs. Il convient particulièrement aux secteurs dans lesquels les entreprises privées ne peuvent faire de profits.

Les investissements du secteur privé sont aussi essentiels. Réaliser des profits grâce à ces activités est leur raison d'être. En conséquence, nous avons vu de grandes avancées par rapport à plusieurs cultures. À titre d'exemple, depuis de nombreuses années, la recherche en Amérique du Nord sur le maïs, le soja, le canola et le lin a été grandement stimulée par le secteur privé.

Pour ce faire, il faut qu'un régime de protection des droits de propriété intellectuelle soit mis en place. Autrement, la recherche pourrait être du domaine public et les entreprises ne pourraient pas en tirer parti. Une étude menée à l'Université de la Saskatchewan par Richard Gray a démontré que ces entreprises réinvestissent dans la recherche une bonne partie des profits réalisés grâce à la vente de semences et d'autres produits.

La contribution des producteurs joue également un rôle important en ce qui concerne le financement de la recherche. Essentiellement, il s'agit d'une façon pour les agriculteurs de participer au financement de la recherche. Cela signifie que lorsqu'un agriculteur vend un produit, selon notre terminologie actuelle, une partie des recettes est prélevée — on parle d'une retenue volontaire ou obligatoire — et versée dans un fonds de recherche. Dans le monde, il y a beaucoup d'exemples de régimes de contribution qui connaissent du succès. Au sein de l'industrie des céréales et oléagineux, l'Australie est probablement un chef de file mondial à cet égard. La contribution est importante et elle est entièrement consacrée à la recherche.

Malheureusement, au Canada, les retenues sont surtout versées sur une base volontaire. Lorsqu'il y a une retenue lors de la vente, l'agriculteur peut demander un remboursement à la fin de l'année et c'est ce qu'il fait. Cependant, nous avons besoin de cette recherche mue par l'industrie.

Troisièmement, l'amélioration de la productivité dans le domaine de l'agriculture est une entreprise à long terme. Si vous voulez partir de zéro pour créer une nouvelle variété, entre le moment où, à titre de phytogénéticien, vous ferez un croisement du blé, par exemple, il vous faudra de cinq à 15 ans pour pouvoir offrir ce produit sur le marché. Il faut donc de cinq à 15 ans pour obtenir des résultats au chapitre de la productivité agricole. Des programmes de recherche à long terme — et je ne parle pas de projets, mais de programmes importants — en matière d'agriculture, d'alimentation et de médecine vétérinaire et le financement qui y est associé sont nécessaires si l'on veut obtenir une augmentation constante et mesurable de la production

Enfin, je pense que nous devons examiner l'ensemble des relations qui existent entre les divers intervenants, en particulier celles qui existent entre les agriculteurs, les gouvernements et le secteur privé, notamment en ce qui a trait à la façon dont ils collaborent. Ce qui se passe, habituellement, c'est qu'un chercheur réalisera un projet, rédigera deux ou trois articles scientifiques qu'il mettra sur une tablette en espérant qu'un jour, quelqu'un les utilisera. Nous devons mettre cette mentalité de côté. Dans le cadre d'un programme de recherche, nous devons cerner les problèmes importants que l'on doit régler dans le contexte plus large de l'offre et de la demande de produits alimentaires dont j'ai parlé plus tôt, et créer des liens grâce à des ententes — des partenariats public-privé — de sorte qu'on évitera, d'une part, l'arrêt soudain de la recherche et, d'autre part, la récupération de cette recherche par le secteur privé. On aurait alors une longue transition entre le financement entièrement public et le financement entièrement privé en vue d'une utilisation exclusive de la technologie par le secteur privé.

Il y a les partenariats public-privé. Je voudrais simplement souligner que le CRDI, le Centre de recherches pour le développement international, au Canada, et la Fondation Syngenta, en Suisse, sont des chefs de file mondiaux pour ce qui est de la mise en oeuvre réussie de partenariats public-privé en agriculture. Récemment, à Ottawa, j'ai assisté à une conférence organisée par ces organismes. Ils étudient actuellement des mécanismes de mise en oeuvre. À cet égard, le problème c'est que cela se fait surtout pour le tiers monde et non le Canada. Nous devons chercher des façons de le faire. Le gouvernement n'est pas un très bon partenaire, et ce, pour une très bonne raison : la Loi sur la gestion des finances publiques. Si vous donnez de l'argent à une autre partie, cela se fait par contrat. C'est un problème entre un contractant et un exécutant, entre un mandant et un mandataire. En conséquence, le gouvernement considère que c'est le mandataire qui gère le tout. Il ne sait pas être un partenaire. Nous devons trouver le moyen de faire du gouvernement un partenaire dans l'ensemble des activités de recherche des universités, des agriculteurs et du secteur privé.

Nous en avons l'occasion. Au cours des prochaines années, les ententes commerciales seront mises en oeuvre. Dans tout cela, il faut apporter des changements dramatiques à la recherche fondamentale et appliquée dans les secteurs de l'agriculture, de l'alimentation et de la médecine vétérinaire, qui sont le moteur de l'innovation, de la compétitivité et de la croissance dans le domaine de l'agriculture. Fait intéressant, les États-Unis sont en avance sur nous. Ce mois-ci, de la Maison-Blanche, le président des États-Unis a publié une stratégie de la bioéconomie. Si vous le lisez, vous constaterez que tous les éléments dont j'ai parlé s'y trouvent : comment assurer le financement, comment inciter les gens à s'y intéresser; comment conjuguer tout cela avec le commerce, la compétitivité et la croissance économique.

Le président : Merci. Monsieur Phillips, allez-y, je vous prie.

Peter W. B. Phillips, professeur, École supérieure de politiques publiques Johnson-Shoyama, Université de la Saskatchewan : Bonjour. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Étant donné que j'ai lu plusieurs rapports du Sénat, je trouve qu'ils sont plus étoffés et approfondis que beaucoup de rapports provenant du Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire de la Chambre des communes. Vous avez l'occasion de laisser votre marque. Au Canada, la politique en matière d'agriculture est en constante évolution. Ce n'est pas toujours mauvais, mais cela signifie qu'il y a des occasions et des risques réels.

Je ne répéterai pas ce qu'a déjà dit M. Hedley, car nous venons du même milieu et nous avons donc un point de vue semblable sur le monde. L'écart qui existe n'est pas négligeable. La valeur ajoutée par les employés du secteur agroalimentaire représente environ la moitié de la moyenne nationale. Elle est supérieure dans les secteurs axés sur l'exportation dans l'Ouest et d'environ 70 p. 100 inférieure dans les secteurs soumis à la gestion de l'offre. Cela ne veut pas dire que le problème est la concurrence commerciale; c'est plutôt la concurrence avec l'exploitation agricole ou l'entreprise du coin ou avec la ville voisine. Ce ne sont pas les Mexicains qui auront raison du secteur agricole canadien; ce sera plutôt le milieu de la petite entreprise qui comprend comment utiliser la technologie de l'information et des communications ou une autre technologie, éloigne la main-d'oeuvre qualifiée et le capital et, au bout du compte, achète les terres qui ne peuvent plus être cultivées de manière productive. Il ne s'agit pas d'un problème international. Il a une portée et des possibilités internationales, mais il concerne fondamentalement la vitalité d'une bonne partie de l'agriculture et de l'économie canadienne.

Le gouvernement canadien a parlé longuement de ses investissements dans les sciences et la technologie et de son exaspération de ne pas en obtenir plus pour son argent. C'est un ensemble intéressant de travaux qui ont débuté en 2007 par la stratégie Avantage Canada. Le Conseil des sciences, de la technologie et de l'innovation, le CSTI, y a travaillé avec le groupe Jenkins. Ceux parmi nous qui ne font pas partie du groupe interne qui crée ces processus font ce que nous considérons être une critique accablante : ils n'ont aucune idée de la façon dont on innove à l'extérieur des secteurs manufacturier et des TIC. Ce qu'ils disent à propos de la situation n'a rien de pertinent. On a l'impression que tout se passe lorsque les entreprises utilisent des technologies brevetées soutenues par des sociétés de capital risque qui créent des débouchés souvent en donnant le produit, en le modifiant et en l'intégrant à une plateforme mondiale. C'est un excellent modèle pour certaines parties de l'économie dans la société, mais il n'est pas adapté à l'agriculture, à la foresterie, aux mines et aux pêches.

Peu importe où l'on se trouve dans le monde, il y a trois grands acteurs, comme l'a dit M. Hedley. Il ne faut pas perdre de vue que dans le secteur agricole mondial, 65 p. 100 de la R-D dans le domaine du développement technologique provient du secteur public. On ne peut le faire sans le secteur public. Or, dans les politiques nationales mais aussi dans les politiques internationales véhiculées par l'OCDE, il existe une mentalité selon laquelle le secteur public pose problème — si seulement il s'écartait, le secteur privé pourrait aller de l'avant. Ce n'est pas le cas dans le secteur agroalimentaire. Je crois que c'est vrai, pour à peu près les mêmes raisons qu'a soulignées M. Hedley.

Je vais prendre quatre ou cinq minutes pour vous parler des nouvelles informations qui nous proviennent du milieu de la recherche concernant les moyens d'améliorer l'efficacité et l'efficience de la politique agroalimentaire du Canada — pas de façon à l'éliminer, mais à la stabiliser et à la gérer afin d'obtenir un rendement élevé.

Le cœur du problème, c'est que nous n'investissons pas suffisamment. Nous ne pouvons passer cela sous silence. On reconnaît à l'échelle internationale, dans les domaines organisationnels et scientifiques, que si l'on veut réaliser les gains de productivité dont a parlé M. Hedley, il faut investir. Nous investissons moins de 1 p. 100 du PIB, la valeur ajoutée brute dans le secteur, dans la R-D. C'est beaucoup moins que la moyenne canadienne, mais ce n'est tout de même pas si mal, car certains pays investissent très peu. La plupart des gens disent qu'il faudrait probablement doubler ce chiffre.

Si l'on examine chaque culture de nos compétiteurs, comme l'Australie, les chiffres semblent être près du double par habitant ou par acre de production. Il y a un sous-investissement un peu partout, et il ne s'agit pas seulement d'un investissement public, mais il est tout de même important. Les droits de propriété, les systèmes de réglementation, l'incertitude du marché et la coordination sont tous des enjeux importants. Le gouvernement a fait de bonnes choses, mais il y a des risques qui font partie des politiques instaurées par le gouvernement fédéral. Le système de DPI s'est beaucoup amélioré dans le secteur agroalimentaire. Nous avons des brevets dans certaines parties du système, la protection des obtentions végétales et une variété de contrats commerciaux et de partenariats et arrangements de collaboration qui permettent au moins à l'industrie d'extraire une partie de la valeur générée et de payer les investissements.

Ce qui pose problème dans le système canadien, c'est que le gouvernement canadien et les universités canadiennes sont entrés dans la ronde, un peu tard dans bien des cas, en pensant trouver une poule aux oeufs d'or. Tout le monde a en tête les quelques grandes technologies qui ont doté durant des décennies les universités grâce aux redevances des titres de propriété intellectuelle. Dans le domaine agroalimentaire, seuls trois ou quatre établissements sur les quelque 600 à qui l'on a concédé des terres ont réussi à boucler leur budget sur le plan agricole. Il n'y a pas beaucoup d'argent à faire, mais nous dépensons beaucoup de temps et d'énergie. Les gens considèrent la propriété intellectuelle dans le secteur agroalimentaire un peu comme une loterie : si on ne joue pas, on ne peut pas gagner. D'un autre côté, si le fait de jouer devient l'objectif de l'exercice, on a un problème.

Je crois que dans certains cas, nous en avons un. Nous déployons plus d'efforts pour négocier l'ensemble complexe des droits et des obligations liés à la commercialisation de la technologie que nous n'en mettons pour créer et développer la technologie.

J'ai déjà déclaré que le bien public et l'avidité du secteur privé font bon ménage, mais le fait que nous mélangeons ici l'avidité du secteur public et le bien privé m'inquiète un peu. C'est probablement le pire mélange, car le secteur privé réussit mieux à être avide et efficace. Bien souvent, l'avidité est une bonne chose. Je suis économiste. Je sais que dans certains cas, c'est l'avidité qui fait tourner le monde.

Il y a également la réglementation. Ce n'est pas une question de coûts. Tout le monde dit toujours qu'il nous faut diminuer le coût de la réglementation. Ce qu'il en coûte pour respecter la réglementation dans le domaine agroalimentaire n'est pas la source du problème. Le problème, c'est le temps; pas seulement le temps absolu, mais aussi le temps variable et incertain. Si l'on effectue une analyse coûts-bénéfices pour déterminer si l'on va continuer d'investir dans une nouvelle technologie, on doit savoir quand elle va arriver sur le marché. Si cela peut se situer entre deux et dix ans, sur quel nombre se fonde-t-on en ce qui concerne le flux des recettes? Dix ans, c'est beaucoup. En moyenne, on peut encaisser des recettes après cinq ans. C'est peut-être la moyenne, la médiane et le nombre le plus important, mais les valeurs aberrantes, celles qui ne sont pas fondées sur des principes scientifiques ni légitimes pour le prolongement de la technologie, s'avèrent être celles que l'on utilise dans les éléments.

Quand nous passons au nouveau modèle d'un projet, d'une évaluation et que nous utilisons des tests de charge pour la nouvelle réglementation quand nous établissons des lignes directrices et des barrières, tout cela est logique dans bien des cas, pourvu qu'elles ne deviennent pas de nouvelles barrières à l'entrée dans le système de réglementation. Je crois que le système de réglementation a un certain pouvoir.

Le troisième point porte sur l'incertitude du marché. Ce qu'il faut retenir, c'est que la recherche agroalimentaire génère des taux de rendement très élevés, et tout le monde trouve cela merveilleux. Cela signifie que nous sous-investissons massivement. S'il y a un rendement non réalisé, cela veut dire qu'il existe des barrières à l'entrée et à l'accès, et le secteur public en fait partie. Il fait des investissements, mais dans certains cas, il les réduit. Il est difficile d'obtenir des fonds des trois Conseils; il est difficile d'obtenir des fonds des RCE. Presque tout ce qui relève d'Industrie Canada est inaccessible à l'agriculture. C'est un problème lorsque la partie de l'agriculture qui relève du secteur public — et le Canada est un État agricole important — est écartée du système.

Enfin, au sujet du financement fédéral en soi, M. Hedley a parlé de la Loi sur la gestion des finances publiques, et je suis tout à fait d'accord avec lui, mais je pense que cela va bien au-delà du rôle des faiseurs d'additions dans le système. Ce pays repose sur des grappes d'activités de recherche. Le gouvernement fédéral les a acceptées comme mesure. Le ministère de l'Agriculture et le CNRC ont contribué de façon importante à la création de grappes de recherche agroalimentaire efficaces.

Je dis bien « ont contribué ». Les grappes permettent essentiellement la création d'endroits spéciaux où des processus spéciaux sont mis sur pied dans le cadre desquels des gens spéciaux font des choses. Agriculture Canada, en particulier, a tout fait pour ne pas contribuer au cours des cinq à dix dernières années. Il n'y a aucun leadership à l'échelle régionale. Il existe un système de gestion matricielle. Il n'y a aucun sentiment de continuité dans les bases de programmes, et maintenant que le CNRC parle de se tourner vers les plateformes de recherche et de s'éloigner des centres, on parle d'un horizon de deux à cinq ans. Bien des chercheurs principaux dans ces établissements envisagent maintenant d'aller à l'étranger, car ils pourraient travailler à un projet durant 30 ans au Fraunhofer Institute ou au sein du gouvernement américain, mais ici, ce sera à recommencer tous les deux ans.

Puisque je travaille dans le milieu de la recherche, même si je reçois un salaire sur une base permanente, je passe environ 40 p. 100 de mon temps à négocier des contrats, sans effectuer aucun travail, simplement à remplir toute la paperasse associée aux systèmes. C'est, selon ce que vous proposez, ce que feront bon nombre de vos fonctionnaires qui sont des acteurs très importants dans le système.

En conclusion, je ferai une dernière observation. On discute beaucoup de la structure et de l'ampleur de la recherche. Chaque chercheur devrait-il faire ce qu'il veut? Doit-il y avoir une grande équipe? Il devient évident que ce qui nous inquiétait au sujet des équipes et des acteurs de l'industrie dans le système de recherche s'est révélé faux. Les dernières recherches que nous avons menées sur le canola, en particulier, ont révélé que le partenariat a généré des rendements supérieurs à ceux de la recherche individuelle et dont le financement est exclusif. Le nombre optimal est trois : un gouvernement, pas deux; une Loi sur la gestion des finances publiques, mais pas deux ou trois; un groupement de producteurs spécialisés — ils sont essentiels, car ils facilitent l'implantation; et habituellement un autre groupe subventionnaire des universités ou groupe industriel.

En plus, les équipes interdisciplinaires à long terme semblent ajouter une valeur différentielle. On peut souvent avoir des personnes qui sont en mesure d'établir des liens entre ces équipes. Les petites équipes concentrent beaucoup leurs efforts et font de l'excellent travail, mais elles tendent à s'isoler. On devrait inclure le volet international.

Je vais vous donner un bon exemple. Dans le cadre du Sommet sur le blé que nous avons organisé en Saskatchewan en janvier dernier, nous avons discuté des recherches sur le blé au Canada avec bon nombre de nos partenaires internationaux potentiels. Nous avons eu une excellente discussion, et tout le monde a affirmé qu'il devrait s'agir de la principale priorité non seulement pour l'industrie et les gouvernements, mais aussi pour la santé publique et le bien public dans le monde pour les 20 ou 30 prochaines années. Si nous n'augmentons pas la production de blé, nous serons confrontés à un problème de sécurité alimentaire.

Nous avons entendu quelques observations de la part du directeur général du CIMMYT, le groupe qui nous a donné le blé de la révolution verte. C'est l'épicentre international de la recherche sur le blé. Le Canada y investit de façon importante par l'entremise de l'ACDI et du CRDI. Le chef du CIMMYT a demandé pourquoi il ne parle qu'à des bureaucrates au sujet du financement et qu'il ne peut avoir une discussion scientifique à propos des données et de la recherche effectuée et établir des liens avec nos recherches au Canada. En bref, la réponse est qu'il semble que ce soit en raison des fardeaux administratifs. Nous dépensons des millions de dollars pour une priorité nationale, mais nous ne pouvons pas en retirer d'avantages au Canada.

Un collègue américain ayant effectué une étude semblable a indiqué que presque tous leurs gains de rendement pour la culture du blé sur une période de 20 ans ont été réalisés grâce aux fonds versés au CIMMYT, par exemple, et qui sont revenus en transferts technologiques par l'entremise de leurs partenariats et de leurs relations.

Je crois que vous avez une occasion très intéressante ici d'avoir une incidence unique sur un secteur de politique en mouvance. C'est un domaine d'action important. Pour la première fois de ma carrière, on en parle sérieusement sur la scène internationale, et je crois que le Canada pourrait faire partie de la solution. S'il rate cette occasion, il pourrait faire partie du problème à long terme d'un manque de productivité.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Phillips.

Le sénateur Plett : Merci, messieurs. Il est bon d'entendre le témoignage de trois personnes des Prairies. Soyez les bienvenus.

Vous avez répondu à certaines de mes questions dans vos exposés. Je vais faire une ou deux observations, puis je poserai une question.

Monsieur Hedley, vous avez dit que le secteur de l'agriculture représente un septième de la main-d'oeuvre canadienne et que vous créez près de 9 p. 100 du PIB. Hier soir, j'ai soupé avec un groupe de personnes d'un autre secteur, lui aussi très important. Ces personnes avaient apparemment à peu près les mêmes demandes que vous. Elles ont dit représenter 15 p. 100 de la main-d'oeuvre, ce qui est presque un septième, et 5 p. 100 du PIB. Il semble que toutes les industries avec lesquelles nous discutons représentent une partie importante du PIB et de la main-d'oeuvre, et elles affirment toutes qu'il leur faut davantage de financement du gouvernement.

Je ne suis pas en désaccord avec vous; il se peut qu'il en faille davantage. M. Phillips a indiqué en partie quels devraient être les pourcentages dans le cadre du partenariat public-privé dont vous avez parlé, monsieur Hedley. Pourriez-vous nous en parler un peu plus en détail, messieurs? Nous sommes en période de restrictions, comme il se doit. Pourtant, chaque industrie, légitimement, veut faire plus en matière de recherche et d'innovation, et c'est nécessaire.

Nous devrons augmenter notre production alimentaire de 70 p. 100, et c'est énorme. Toutefois, nous l'avons augmenté au cours des 40 dernières années. Mon père était agriculteur, quand j'avais six ans, et il récoltait environ 10 boisseaux de blé à l'acre; maintenant, nous en récoltons 50 ou 60. Pourtant, des témoins nous ont dit que nous avons presque atteint un plafond, mais si nous maintenons le même rythme de croissance au cours des 50 prochaines années, je crois que tout devrait bien aller.

Monsieur Phillips, vous avez parlé des règlements. Selon moi, plus le gouvernement fait sentir sa présence, plus il y a de règlements, mais aussi plus nous sommes inefficaces. Je crois que le gouvernement ne pourra jamais rivaliser avec l'efficacité du secteur privé, et l'argent n'est vraiment pas la solution. En termes simples, expliquez-moi brièvement ce que le gouvernement devrait faire. Devrait-il seulement donner du financement et laisser le secteur privé s'occuper de l'innovation? Devrait-il lui-même s'en occuper? Je sais que ce sont des questions vastes, mais j'aimerais avoir des explications.

M. Hedley : Tout d'abord, l'allusion qui a été faite au sujet du septième de la population active ne concerne pas seulement l'agriculture. C'est l'ensemble du secteur agroalimentaire, y compris les restaurants, les détaillants et les importateurs. C'est un secteur où il y a beaucoup d'emplois.

Passons au financement. Il faut se serrer la ceinture en cette période. Cela ne fait aucun doute. Lorsque j'ai abordé les prélèvements, l'honorable Bill Mcknight a ajouté en 1992 la Partie 3 dans la Loi sur les offices des produits agricoles. Il n'y a qu'un plan de prélèvement national à l'heure actuelle, après 20 ans de travail à essayer d'élaborer un tel plan. Il concerne le bétail, et il nous a fallu 10 ans pour l'élaborer. C'était long et ardu de le mettre en place, en raison de la séparation des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral et de la façon dont le tout est rédigé dans la Constitution.

Cela vous dit que ce n'est pas suffisant pour faire fonctionner les prélèvements sur une base obligatoire. Tant qu'ils ne sont pas obligatoires, on ne peut pas compter sur les importations. C'est le problème. Si les gens ne peuvent pas compter sur les importations en ce qui a trait aux prélèvements, cela donne un avantage aux importateurs.

Examinons comment on pourrait y arriver. Du financement n'est peut-être pas nécessaire, mais partons des prévisions préliminaires pour 2011-2012 en ce qui a trait aux paiements directs versés aux agriculteurs par le gouvernement fédéral, à savoir 1,55 milliard de dollars. Imaginez l'effet qu'aurait l'investissement de seulement 1 p. 100 de cette somme dans la recherche agroalimentaire. On parle de 15,5 millions de dollars par année. Dans l'ensemble, si nous comparons la part du gouvernement fédéral aux paiements versés aux agriculteurs, cela veut dire que vous investissez dans la recherche l'équivalent d'un moyen café Tim Hortons double crème, double sucre pour chaque tranche de 317 $ versée aux agriculteurs. Voilà l'effet de levier à votre disposition.

Étant donné qu'il s'agit exclusivement de fonds fédéraux, le gouvernement fédéral peut le faire sans devoir se soucier des ententes provinciales-fédérales en vertu de la Constitution. En investissant seulement 1 p. 100, vous auriez un important programme de recherche dans le secteur agricole.

M. Phillips : Permettez-moi de faire deux ou trois brèves observations. Je comprends votre préoccupation à l'idée que nous reformulions les données de manières différentes. L'une des pires choses que nous ayons faites en vue de comprendre les économies a été la création des comptes nationaux des revenus qui abordent les secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Vous avez séparé ce qui se passe sur les fermes de tout le reste. Il est vrai que l'activité agricole sur les fermes représente moins de 3 p. 100 du PIB, mais elle génère en fait un rapport d'environ trois pour un. Les véhicules agricoles et les trains qui circulent et le réseau de distribution au détail et de gros en font tous partie. C'est la même chose dans les secteurs des mines et de l'énergie.

Si vous examinez l'économie en fonction du point de départ de la chaîne de valeur, vous constaterez qu'en majorité au Canada, cela se fonde sur les ressources et qu'on aborde ces éléments au sein de votre comité, dont les forêts et les mines. Je ne sais pas si vous abordez également les pêches. Le secteur minier est évidemment lié aux autres. Les ressources naturelles sont des moteurs économiques importants. De 70 à 80 p. 100 de l'ensemble de l'économie dépend de secteurs que nous avons tendance à exclure des secteurs de priorités fédéraux, parce qu'ils ne sont pas attrayants. Je suis tout à fait d'accord avec M. Hedley.

Deuxièmement, en ce qui a trait au financement, d'un côté, il faut plus d'argent, et de l'autre, il faut bien l'utiliser. Voici un exemple pertinent. Je reçois des fonds de Génome Canada, des RCE et du CRSNG. Du côté du CRSNG et des RCE, on m'a dit que, peu importe la qualité de mes recherches, ils n'étaient plus autorisés à financer mes travaux, même s'ils respectent le critère sur l'avantage concurrentiel à l'échelle mondiale.

À Génome Canada, j'ai obtenu la même réponse lors du dernier concours. Au final, il y avait des recherches appliquées dans le domaine des bioproduits et des cultures agricoles. Les responsables ont dit : « Nous aimerions vraiment que cette fois-ci ce soit sur la santé. » Ils voulaient que les recherches portent sur la santé. C'est un domaine attrayant, parce que la santé vise à sauver des vies. Ils nous ont donc demandé des analyses de rentabilité. Ces analyses devaient contenir des preuves scientifiques de premier ordre qui allaient dans le sens de leur demande. Lorsqu'un groupe international a révisé le tout, ils en ont été renversés. Ces scientifiques internationaux, y compris des chercheurs du domaine de la santé, ont affirmé que la recherche sur les cultures était plus importante que celle sur le secteur biomédical. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas faire de recherches dans ce secteur. Cela veut dire que si nous voulons devenir un chef de file sur la scène mondiale en matière d'avancées technologiques et scientifiques, il faut laisser nos meilleures équipes l'emporter. Nous ne pouvons pas mettre sur le banc des joueurs qui peuvent nous faire gagner, tout simplement parce que nous avons des joueurs qui paraissent mieux dans les médias. Ces joueurs portent de bien beaux uniformes, et c'est un peu ce que nous avons fait au Canada.

La majorité des investissements stratégiques du gouvernement fédéral — et les énoncés de principes qui les justifient — ont évité l'agriculture, les forêts, les pêches et les mines. Si vous examinez la source de vos revenus, les secteurs où les gens travaillent et où la valeur ajoutée se trouve, ce sont ces secteurs. Toutes les technologies de l'information et des communications et les technologies biomédicales et environnementales dont nous parlons n'ont véritablement de sens que si elles sont reliées à ces secteurs primaires.

Si vous réduisez la vitalité économique de votre industrie de base, tous ces ajouts n'ajouteront pas vraiment grand-chose. Dans le meilleur des cas, il s'agit de remplissage.

Le sénateur Plett : J'ai une question complémentaire. Je crois en fait que les gens avec qui j'ai dîné hier feraient partie — en me fondant sur notre présente conversation — du groupe attrayant. Or, ils ont le même problème. Ils voulaient également plus d'argent pour la recherche.

Nous avons réalisé un excellent travail, et notre ministre de l'Agriculture a aussi fait un excellent travail en ouvrant des marchés partout dans le monde. À mesure que nous signons d'autres accords de libre-échange, que nous en faisons plus et que les autres pays adoptent des règlements qu'ils nous imposent en vue d'acheter nos produits, y compris les OGM, en soi, cela ne devrait-il pas faire en sorte de motiver le gouvernement à investir dans la recherche et l'innovation? Si nous voulons vendre, nous voulons exporter, et nous avons des règlements. Le gouvernement se dira-t-il qu'il faut prendre les mesures nécessaires en vue d'exporter vers ce marché, ou n'y a-t-il pas de lien?

M. Trevan : Je crois que c'est une question intéressante. Prenons l'exemple des OGM et de l'Union européenne. La résistance à l'endroit de l'adoption du blé génétiquement modifié provient en grande partie de la perception qu'il s'agit d'un marché d'importation pour le blé canadien, un marché traditionnel, même s'il ne s'agit absolument pas d'un très gros marché pour le blé canadien.

Même si les données scientifiques démontraient que les cultures génétiquement modifiées ne sont pas nocives pour la santé, il faut tenir compte de la perception du public, et c'est ce qui influe sur les politiques, parce que les politiciens connaissent leurs électeurs et savent que c'est une mauvaise chose. Il faudra attendre encore plusieurs générations avant que la donne change.

Voici la véritable question pour le Canada. Si nous voulons augmenter la productivité du blé et que nous pensons que la façon d'y arriver est d'opter pour les cultures génétiquement modifiées, qu'en pensent nos partenaires commerciaux actuels? En raison de ce choix, quelles occasions d'affaires pourrions-nous perdre, ce qui nous empêcherait d'augmenter nos ventes?

Disons que nous sommes capables de doubler la production de blé au Canada en adoptant les cultures génétiquement modifiées. Serions-nous en mesure d'écouler notre production? Cet enjeu complexe va au-delà de nos accords de libre-échange avec les autres gouvernements. L'OMC a dit que le Canada et les États-Unis peuvent vendre des cultures génétiquement modifiées en Europe. C'est permis. Par contre, les Européens n'en veulent pas. Il faut aller au-delà des accords commerciaux. Il faut examiner le marché pour voir ce qui est en fait disponible. Parfois, si nous sommes très novateurs, nous devons créer un tel marché. Je respecte les connaissances avancées que le sénateur Buth a acquises au cours de sa carrière à ce chapitre, mais le canola a débuté à titre de curiosité, particulièrement à l'Université du Manitoba. Le chercheur a demandé la permission à son chef de section : « Voici ce que j'aimerais faire en parallèle. Ce n'est pas ce que je dois faire, mais j'aimerais produire une culture comestible à partir de colza. » Ce n'est pas le seul élément qui nous a donné un marché ou une industrie du canola qui se chiffre selon les dernières prévisions que j'ai vues à 40 milliards de dollars par année. Il y avait aussi un autre secret à ce sujet; il s'agissait de Richardson's, qui s'appelle maintenant Richardson International. À l'époque, George Richardson était chargé des travaux. Il possédait deux entreprises. Il leur a demandé de s'assurer que le canola était négocié chaque jour pendant deux ans, même si elles devaient acheter et vendre du canola entre elles. Voilà ce qui a créé le marché du canola.

Il faut que de tels partenariats voient le jour. Le problème actuel est que les investisseurs publics, les gouvernements fédéraux, les gouvernements provinciaux, particulièrement leur Conseil du Trésor, ont tendance à regarder à l'occasion sous le tapis pour voir ce que leurs investissements génèrent et à s'attendre à obtenir un certain rendement de ces investissements. Si le gouvernement investit essentiellement dans des recherches qui produiront des innovations à moyen ou à long terme, il n'en verra pas le rendement au cours d'un mandat. Cela fait partie de l'aspect théorique qu'il faut faire comprendre.

Nous travaillons avec certains des meilleurs innovateurs au pays : les agriculteurs. Il y a beaucoup d'innovations sur les fermes. Si nous prenons l'exemple du blé, nous allons plus loin. Si nous examinons les 100 ans du blé au Canada — c'est même un peu plus que ça maintenant —, la productivité a augmenté d'environ 240 p. 100 en moyenne. Presque la totalité de cette hausse provient de changements dans les pratiques agronomiques. Une minorité de cette augmentation provient des programmes de sélection.

Les programmes de sélection sont seulement nécessaires pour avoir une longueur d'avance sur la dernière maladie ou la dernière mutation d'une maladie. Les véritables innovations proviennent énormément des pratiques agronomiques. Si le gouvernement ne finance pas ces innovations, il n'y a pas d'industrie pour s'en occuper. Il peut y avoir de l'argent provenant du secteur privé par l'entremise des prélèvements, mais si vous n'égalisez pas cette somme avec des fonds publics, il n'y aura jamais assez de fonds pour produire les innovations dont nous avons réellement besoin.

M. Hedley : J'ai seulement quelques éléments à ajouter. Premièrement, depuis le milieu des années 1980, le financement public des recherches dans le domaine agroalimentaire au Canada a chuté assez brusquement. Il commençait à se stabiliser par rapport à ce qu'il était à la fin des années 1980, durant les années 1990 et au début de la dernière décennie. En chiffres réels, nous sommes considérablement en deçà du point où nous étions au milieu des années 1980.

Deuxièmement, vous avez mentionné les accords commerciaux. Il est intéressant de constater que les accords commerciaux favorisent le commerce. Il faut être en mesure d'en tirer profit. Toutefois, il faut aussi donner pour recevoir. Qu'accepterons-nous de modifier en ce qui concerne l'accès à notre propre marché en vue d'avoir accès à un marché étranger? Les autorités étrangères ne nous feront pas la charité, ce qui veut dire qu'elles ont la capacité d'entrer dans notre marché si nous avons la capacité d'en faire autant dans le leur. Si nous ne sommes pas concurrentiels, nous perdrons.

Nous avons les ressources. Selon moi, le moteur de l'innovation est raisonnablement bien développé au Canada. Si nous voulons tirer profit de ces accords commerciaux, nous serions mieux d'aborder les lacunes en matière de productivité.

Je souligne que la salubrité alimentaire est de plus en plus un enjeu dans le commerce international. En fait, nos membres collaborent avec l'ACIA dans le but d'élaborer des programmes de modernisation, ainsi que des programmes de formation avec d'autres pays, particulièrement la Chine. Nous le ferons au cours de l'été. Nous voulons établir un partenariat entre l'ACIA et les universités au Canada pour aborder les enjeux de la salubrité alimentaire et du commerce.

M. Phillips : Permettez-moi d'aborder deux points. En ce qui concerne votre question sur le commerce, j'ai cru déceler une sous-question sur la façon dont la recherche pourrait y être reliée. Il y a de nombreux enjeux. Il n'est pas seulement question de la salubrité alimentaire. Il y a aussi la provenance, ce qui n'a absolument rien à voir avec l'innocuité des aliments. Il faut se demander si c'est ce que les gens veulent, puis examiner les procédés d'authentification à cet égard.

C'est bien d'avoir soulevé l'histoire du canola, parce que le Canada s'est en fait pris en main et a positionné sur la scène mondiale un produit tout à fait unique. Ce produit existait, mais pas sous sa forme actuelle. Il a fait ces trois choses. Il l'a fait de façon à faire participer le gouvernement fédéral. Je vous accorde que les gens de Winnipeg y ont pris part, mais lorsque je pense à comment les travaux se sont principalement concrétisés, je pense à des gens comme Burton Craig de l'ancien Centre régional des Prairies du CNRC. Je pense à Keith Downey, le père de la première semence de canola qui avait une faible concentration en acide érucique et en glucosinolates. Ils étaient tous deux des fonctionnaires fédéraux qui dépassaient bien souvent leurs mandats officiels, mais c'était toléré au sein du système. Cette tolérance est de l'histoire ancienne. Dans le même ordre d'idées, 30 ans plus tard, il y a eu des gens comme Wilf Keller, qui est passé d'Agriculture Canada au CNRC et qui a aidé à créer le Centre de recherches de l'IBP sur les oléagineux.

Le gouvernement fédéral est intrinsèquement lié à tout cela. J'ai de la difficulté à savoir de quels grands investissements viendra le prochain grand coup, parce que les gens sont très déconnectés et très décontenancés. L'envers de la médaille est que nous créons en fait des technologies, puis nous disons : « Eh bien, vous êtes sur la scène locale, vous n'êtes pas vraiment spécialistes en la matière. Trouvez un marché ailleurs qui l'utilisera, puis nous ferons des tests. »

Je vais vous donner un exemple. C'est un sujet qui vous tient peut-être à coeur. Il se peut même que vous ayez déjà rencontré ces gens. Je joue un rôle très accessoire dans un consortium international mis sur pied par le gouvernement du Canada, appelé le Projet international du code à barres de la vie. Sa mission : identifier des espèces susceptibles de cohabiter d'une façon ou d'une autre, que ce soit dans la chaîne alimentaire, dans des aliments falsifiés ou substitués ou encore, dans la zone limite couverte par les déplacements d'une espèce envahissante ou d'une espèce en voie de disparition. Ces données constituent la pierre angulaire de la politique commerciale du XXIe siècle. Il s'agit là de la meilleure technologie que nous ayons vue depuis très longtemps. C'est une invention canadienne, qui a vu le jour à Guelph. C'est le fruit d'un effort national. Or, personne au Canada ne l'utilisera. Les Américains s'en sont déjà emparés. Les Australiens prévoient leur emboîter le pas. Si nous ne faisons pas attention, d'ici deux ou trois ans, ce sera la norme, si bien que nous perdrons la technologie et les données recueillies, dont le tout nous a coûté 10 cents pour chaque dollar — parce que nous nous en tirons à bon compte pour l'instant — et, du coup, nous devrons aller voir ailleurs pour authentifier nos produits.

Voilà le genre de problèmes auxquels nous sommes confrontés. Ce n'est pas un phénomène qui touche uniquement l'agriculture. Selon nous, il faut renverser la perspective sur l'innovation. D'aucuns affirment qu'on n'est en présence d'une innovation que si la technologie est inventée au pays, et c'est là qu'on tombe dans le panneau. On a cette idée perverse que, si une technologie est inventée ici, alors elle doit sûrement laisser à désirer. Pourtant, nous créons des choses vraiment formidables, mais ce sont les autres qui mettent la main dessus.

On a déjà parlé de l'Australie. Le modèle australien est une copie conforme du nôtre. Les Australiens ont pris notre modèle, y ont apporté quelques petits changements et voilà que maintenant, ils nous devancent sur la scène internationale dans le domaine de la recherche agricole. Ils imitent non seulement ce que nous faisons, mais aussi ce que nous avions l'intention de faire.

Le sénateur Robichaud : Je suis heureux de vous revoir, monsieur Hedley. Nous avons maintenant des rôles différents, mais une chose n'a pas changé : je suis toujours celui qui pose les questions et vous, celui qui y répondez.

Tout d'abord, vous avez dit que la recherche menée dans les universités est le moteur de l'innovation. Beaucoup de recherches ont été réalisées, dans l'espoir que quelqu'un finira par les appliquer, au lieu de les laisser dormir sur les tablettes. Vous avez ensuite ajouté que, pour une raison ou pour une autre, même si le moteur est là, le véhicule, lui, n'est pas toujours au rendez-vous. Combien de recherches se retrouvent sur des tablettes, sans que nous les utilisions, et comment faut-il s'y prendre pour faire démarrer le véhicule?

Dans le cadre de notre rapport sur le secteur forestier, nous avons constaté que, là encore, les travaux de recherche ne manquent pas, mais les chercheurs font face à un problème qu'ils qualifient de la « vallée de la mort » : rendus à un certain point, ils ne peuvent plus trouver ni les fonds pour poursuivre leurs travaux, ni les personnes pour appliquer leurs résultats de recherche. Combien de projets de recherche restent ainsi en veilleuse?

Monsieur Phillips, vous avez dit que d'autres personnes finissent par utiliser les technologies que nous créons. Comment peut-on changer la donne?

M. Hedley : C'est une question très importante. Permettez-moi de revenir à deux ou trois points que j'ai soulevés.

Je suis d'accord avec vous : il y a beaucoup de recherches qui dorment sur les tablettes. M. Phillips a mentionné, à juste titre, qu'il arrive parfois que d'autres pays utilisent nos inventions avant que nous nous mettions à le faire au Canada. La recherche scientifique publiée ne connaît pas de frontières. Je peux aller sur le web et trouver de l'information sur une foule recherches scientifiques menées partout dans le monde. C'est ce qui alimente notre propre moteur scientifique.

La difficulté, c'est que nous menons des travaux de recherche avec l'intention de les remettre ensuite entre les mains du secteur privé. Or, ce modèle ne fonctionne pas. C'est pourquoi je préconise une sorte de partenariat public-privé dans le cadre duquel on peut s'entendre sur le problème et le délai à respecter pour franchir toutes les étapes du processus : la recherche fondamentale, la recherche appliquée, la fabrication de modèles de présérie, le déploiement à pleine échelle et, enfin, la production intégrale par le secteur privé.

La recherche doit servir de fil conducteur d'un bout à l'autre du processus. La majeure partie est menée par le secteur public, surtout au début. Toutefois, il n'y a pas de mur entre le secteur public et le secteur privé; il faut assurer une transition sur une longue période. On trouve de très bons exemples partout dans le monde, que ce soit au Mexique, en Amérique du Sud, en Inde ou en Afrique. Ces collaborations donnent de bons résultats. C'est pourquoi, comme je l'ai dit, le CRDI et la Fondation Syngenta s'intéressent aux partenariats entre les secteurs public et privé.

Voilà ce sur quoi on doit s'entendre. Il faut créer un programme, et non un projet. Autrement dit, on doit viser une période relativement longue et on doit comprendre le besoin du secteur privé afin d'orienter notre recherche scientifique en conséquence. On ne peut pas simplement dire : « Bon, nous voici aux prises avec une maladie; pouvez-vous résoudre le problème d'ici 24 mois? » La question à se poser, selon nous, c'est : où voulons-nous en être d'ici cinq à dix ans? Comment ferons-nous pour y arriver? Comment allons-nous collaborer tout au long de la durée de l'entente? C'est là une idée fondamentalement différente de ce qui existait il y a 20 ans.

Le canola en est un exemple. De nos jours, cela ne se fait plus.

Le sénateur Robichaud : N'est-ce pas là un peu l'histoire de l'œuf et de la poule? S'il faut se poser toutes ces questions avant de commencer la recherche, on risque de ne jamais s'atteler à la tâche.

M. Trevan : Dans un certain sens, vous avez tout à fait raison. Je crois qu'une bonne part des inventions découlent d'une science basée entièrement sur un concours de circonstances inattendu. Une des premières grandes inventions biotechnologiques — si on exclut les techniques de brassage et de cuisson, qui datent d'environ 5 000 ans —, c'est la découverte de l'anticorps monoclonal, qui permet de détecter des quantités infimes de composants très précis. On l'utilise notamment pour les tests de grossesse. Il s'avère que cette invention avait d'abord servi à détecter la viande de kangourou dans la soupe à la queue de bœuf en Australie.

Ce projet de recherche avait été entièrement financé par des fonds publics dans un centre de recherche financé par le gouvernement, situé à l'extérieur de Cambridge, en Angleterre. Le travail était dirigé par deux chercheurs — un Argentin et un Suisse — qui travaillaient à cet établissement. Le problème scientifique qu'ils tentaient de résoudre, c'était tout simplement de déterminer s'il était possible de fusionner deux cellules afin d'obtenir une cellule hybride ayant des propriétés différentes. Ils avaient choisi de fusionner une cellule produisant l'anticorps et une cellule cancéreuse de longue durée de vie. Résultat? L'obtention d'une cellule de longue durée de vie qui produit une molécule d'anticorps bien précise, capable de se lier à un groupe chimique particulier.

Lorsqu'il a fallu rendre compte des résultats de recherche à l'organisme gouvernemental chargé d'examiner l'innovation au sein du gouvernement et de déterminer la brevetabilité des inventions, ni les deux chercheurs ni les experts gouvernementaux n'ont pu trouver une application particulière à cette découverte. Par conséquent, personne ne l'a brevetée. C'est ainsi que cette recherche, dont les résultats ont été rendus publics, a ouvert la voie à une énorme industrie. Si les fonctionnaires avaient décidé de breveter l'invention, elle n'aurait peut-être jamais été mise en marché. Il y a plein d'autres exemples d'inventions qui n'aboutissent pas à des produits sur le marché.

C'est l'un des meilleurs exemples que je connaisse pour vous montrer qu'on a besoin de recherche fondamentale et de travaux d'enquête, mais encore faut-il qu'il y ait ensuite un entrepreneur capable de les mettre en pratique.

Un des problèmes — pas seulement au Canada, mais dans de nombreux autres pays —, c'est que très souvent, les gouvernements et les établissements nous mettent des bâtons dans les roues. Même de simples ententes de collaboration entre les universités et Agriculture et Agroalimentaire Canada peuvent s'avérer très difficiles.

C'est justement ce qui s'est passé à l'Université du Manitoba. Nous voulions faire en sorte que des chercheurs en santé puissent travailler avec les gens d'Agriculture et Agroalimentaire Canada dans un même édifice appartenant à une fondation hospitalière, de même qu'avec certains des chercheurs de l'hôpital. Il a fallu deux ans et demi pour négocier le contrat. Voilà qui n'est pas de bon augure pour la production de connaissances scientifiques et l'adoption de l'innovation. Il y a beaucoup d'obstacles structurels de ce genre qui entravent de tels projets.

À vrai dire, ce sont les bureaux de transfert de la technologie dans les universités qui constituent l'un des plus grands obstacles structurels. Même la meilleure d'entre elles — à savoir le MIT — ne tire que 5 p. 100 de son revenu annuel des brevets qu'elle vend sur le marché. Ce n'est pas beaucoup. En fait, la plupart des universités dépensent probablement plus d'argent pour leurs bureaux de transfert de la technologie qu'elles n'en encaissent chaque année.

Ces obstacles sont toujours là, surtout lorsqu'il s'agit d'un financement public. Selon la tournure d'esprit qu'on semble avoir adoptée, il faut s'assurer d'obtenir un rendement du capital investi. Tous les travaux universitaires portant sur les facteurs propices à l'innovation révèlent que si un gouvernement investit de l'argent dans un projet de recherche dans le but d'en tirer un rendement, il n'y aura pas d'innovation. Voilà un point essentiel sur lequel on doit se pencher.

Le sénateur Robichaud : Merci. Beaucoup de témoins nous ont signalé ce problème. On trouve des gens très compétents à Agriculture et Agroalimentaire Canada, dans les universités et dans le milieu de la recherche. Comme vous venez de le dire, quand on essaie de les rassembler, il faut attendre de deux ans et demi à trois ans.

M. Trevan : Oui. À certains égards, il s'est produit un changement intéressant au cours des 10 ou 15 dernières années. Avant de déménager au Canada il y a presque huit ans, j'avais eu l'occasion de venir ici dans le cadre d'une collaboration avec un scientifique qui travaillait pour Agriculture et Agroalimentaire Canada à l'Université du Manitoba. Nous avions commencé le projet vers 1997. C'était d'une facilité incroyable. Agriculture et Agroalimentaire Canada avait envoyé ce scientifique à Londres pour qu'il travaille dans nos laboratoires pendant un an. Il s'agissait d'un projet intéressant sur la présence de Fusarium dans le blé.

Nous venions ici lui rendre visite de temps en temps. L'édifice d'Agriculture Canada se trouvait sur le campus de l'Université du Manitoba, et je voyais beaucoup de phytologues de l'université venir y faire un tour, histoire d'aller chercher leur café et leurs beignes le matin, avant d'aller assister aux séminaires hebdomadaires. Maintenant, pour entrer dans cet édifice, on doit se rendre à la réception, signer dans le cahier de l'agent de sécurité et attendre qu'un scientifique vienne vous chercher. On a délibérément érigé des obstacles qui nuisent à cette interaction. Si on ne permet pas qu'une telle collaboration se produise librement et si on ne l'encourage pas, elle n'aura pas lieu.

Nous avons fait beaucoup d'efforts pour rétablir cette collaboration informelle. Après tout, la plupart des idées surgissent à l'heure de la pause-café.

Le sénateur Robichaud : Pourquoi a-t-on érigé des obstacles qui empêchent les gens de se rassembler?

M. Phillips : Ce n'est pas une situation propre à un seul établissement. Tout le monde agit comme s'il y avait une mine d'or; on veut s'assurer que personne ne viendra s'en emparer. De nos jours, ce sont les bureaux de la propriété intellectuelle et les bureaux d'affaires qui mènent la barque. Je suis moi-même titulaire d'une bourse de Génome Canada. En fait, ma subvention a pris fin avant même que je reçoive les fonds parce que le processus d'attribution de contrat était trop long. Cela n'avait rien à voir avec la recherche ou la gestion du projet de recherche. C'était attribuable au fait que quelqu'un espérait obtenir une certaine valeur, mais les universitaires n'ont pas pu effectuer le travail parce qu'ils n'ont pas obtenu les fonds.

Si on décide de mesurer la valeur de nos investissements uniquement en termes de dollars, alors c'est signe qu'on laisse les bureaux de la propriété intellectuelle diriger nos systèmes. Ceux-ci érigent des obstacles. On peut observer ce phénomène dans tous les établissements publics au Canada. Les barrières ont mis fin aux heureuses coïncidences et ont contribué à l'isolement des chercheurs. Les gens se sont donc mis à trouver des solutions de rechange. Ils ne mettent plus les pieds dans l'édifice, qui a ainsi perdu son caractère propice à l'innovation.

M. Hedley : Mis à part les gros obstacles, il y a beaucoup de petits facteurs qui entrent aussi en jeu, notamment l'accès. Par exemple, si un professeur d'une université travaille dans un laboratoire fédéral dans le cadre d'un projet de collaboration, il ne peut pas se brancher à Internet parce que seuls les employés du gouvernement ont accès Internet pour éviter que les participants externes puissent accéder à des renseignements sur le site intranet. Il faut donc relier cet édifice à une deuxième interface Internet pour permettre à notre professeur d'accéder à Internet. Il va sans dire que, de nos jours, Internet est un outil essentiel pour toute recherche. C'est primordial.

Autre facteur : la propriété intellectuelle. Une des premières choses que les représentants du gouvernement disent à un groupe de participants externes, c'est que si le gouvernement investit ne serait-ce que 1 $ dans un projet, alors la propriété intellectuelle lui appartiendra. C'est où la négociation commence. Il y a un certain nombre d'ententes privées qui modifient ces conditions, mais comme l'a dit M. Phillips, il faut attendre deux ou trois ans avant que l'entente soit conclue.

Le président : C'est là un autre sujet dont nous tiendrons compte lors de nos discussions sur la propriété intellectuelle parce que cette question a été soulevée par d'autres témoins.

Le sénateur Buth : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Nous avons eu droit à des exposés et à un débat fort intéressants. Bien entendu, je suis toujours ravie lorsque j'entends parler de l'exemple du canola.

Je tiens toutefois à préciser que deux personnes ont contribué au développement de l'industrie du canola : Keith Downey, un chercheur de la Saskatchewan, et Baldur R. Stefansson, un chercheur de l'Université du Manitoba. Sans eux, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Nous avons parlé d'une foule de questions, et j'ai essayé de prendre quelques notes sur les mesures précises que vous nous recommanderiez de prendre parce qu'à l'issue de nos audiences, nous aurons à rédiger un rapport contenant des recommandations précises. Cela pourrait être une série de recommandations de trois phrases. J'aimerais donc que chacun de vous fasse une recommandation d'au plus trois phrases. Elles doivent être très précises.

Monsieur Hedley, j'ai pris note de votre recommandation, à savoir que le gouvernement envisage d'utiliser des prélèvements obligatoires sur tous les produits. Vous ne pouvez donc pas répéter cette recommandation parce que je l'ai déjà notée.

Quant aux autres témoins, j'ai entendu vos témoignages, mais j'ai du mal à m'y retrouver. Quelles mesures recommandez-vous au juste? Si chacun de vous pouvait me formuler une recommandation précise, je vous en serais très reconnaissante.

M. Phillips : Je vais commencer. Je vais tricher en regroupant plusieurs recommandations et en prétendant qu'il s'agit de différents aspects du même problème.

Je pense que le gouvernement fédéral doit adopter de nouveau un modèle de recherche et de commercialisation axé sur la collaboration. Cela signifie qu'il doit prendre des mesures comme les suivantes : mettre en œuvre des grappes agroscientifiques, abattre les obstacles liés à la protection de la propriété intellectuelle, participer à des projets à long terme plus globaux et tendre plus souvent la main aux pays étrangers. S'ils ne collaborent pas sur le plan de recherche, ils deviendront de plus en plus isolés. Ils n'ont pas les moyens de se livrer à ses recherches seuls.

Le sénateur Buth : Que pensez-vous des grappes agroscientifiques canadiennes dans lesquelles le gouvernement fédéral a investi beaucoup d'argent et déployé beaucoup d'efforts?

M. Phillips : Sur le plan opérationnel — ce qui est important —, ils optimisent leurs ressources. Sur le plan stratégique, ils gaspillent les résultats. Selon moi, sur le plan des activités, les scientifiques d'Agriculture Canada, de RNC et d'autres organismes fédéraux qui sont intégrés dans les grappes que j'ai examinées enfreignent probablement les règles. Ils tendent la main de manière concrète à leurs partenaires dans l'industrie, au gouvernement et aux groupes de producteurs qui exercent leurs activités dans les collectivités où ces scientifiques sont établis.

Toutefois, pour quelque raison que ce soit, le gouvernement limite le rôle qu'il joue dans la direction stratégique de toutes ses entreprises scientifiques et, en particulier, dans le secteur agroalimentaire. Par exemple, à Saskatoon, il n'y a plus de haut-fonctionnaire fédéral responsable du secteur agroalimentaire. Il semble incongru que le gouvernement fédéral n'ait pas de haut-fonctionnaire établi à l'endroit où il investit le plus d'argent dans la recherche agroalimentaire. En revanche, on y trouve une personne détenant un titre qui passe quatre jours par semaine à parcourir notre pays en avion et à gérer des projets ailleurs, et il y a des gens ailleurs qui gèrent des petits projets ici et là à Saskatoon.

Il est fondamentalement erroné de penser qu'il n'est plus nécessaire de nommer des dirigeants et que tous les membres de l'équipe devraient être au même niveau. Lorsque les entreprises du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire étaient fructueuses, et elles l'ont été de diverses façons, c'est toujours parce qu'il faisait preuve de leadership. Agriculture Canada a besoin de chefs de file, et il en va de même pour RNC.

Bien que cette notion de plateformes de recherche m'intrigue, elle me rend nerveux, parce que les vice-présidents de RNC disent qu'ils s'attendent à ce que ces recherches rapportent en deux ou trois ans. Les recherches dans le domaine de l'agroalimentaire exigent une quinzaine d'années, alors s'ils s'attendent à ce que les capitaux qu'ils ont investis rapportent en deux ou trois ans et que les scientifiques leur disent qu'à leur grand regret, ils n'ont rien à leur montrer, ces derniers seront tous licenciés ou réaffectés au prochain projet. C'est la pire façon d'investir de l'argent. Autant s'abstenir complètement.

M. Trevan : Je pense que M. Phillips a déjà avancé quatre des arguments que j'allais faire valoir.

En ce qui me concerne, je recommande principalement d'examiner comment les choses se passent dans d'autres États où la recherche fonctionne adéquatement, aux États-Unis, par exemple. Là-bas, on peut longer un corridor dans un établissement de recherche en agriculture sans être en mesure de distinguer les membres de faculté des employés fédéraux, tellement ils travaillent en harmonie. Il y a de nombreux autres exemples de collaboration partout dans le monde. Selon moi, c'est l'une des mesures les plus importantes que vous pourriez prendre.

Si vous voulez savoir comment améliorer l'efficacité de la recherche, déterminez quelles règles les scientifiques d'Agriculture Canada enfreignent et modifiez-les. Ils ne les enfreignent pas par plaisir; ils les enfreignent, parce qu'elles entravent la recherche.

M. Hedley : Pour vous expliquer la raison pour laquelle j'ai du mal à formuler mes recommandations en trois phrases, il faudrait que je vous avoue ne pas avoir eu le temps de résumer mes idées.

La question que j'aimerais soulever auprès de vous encore une fois, c'est la nécessité d'accorder la priorité aux recherches portant sur l'agriculture et sur le système alimentaire. En ce moment, elles ne font pas partie des priorités des trois conseils ou des gens responsables des mécanismes de financement du gouvernement ou d'Industrie Canada en général.

Vous devez mettre sur pied un programme de recherche. Je ne parle pas d'envoyer une proposition et d'obtenir du financement pour deux ans, puis d'en envoyer une autre et d'être peut-être en mesure de poursuivre la recherche pendant quatre années supplémentaires. Je parle d'un programme axé sur les problèmes, un programme qui résout, par exemple, la brûlure de l'épi causée par le Fusarium, du début à la fin. Même si cela requiert 12 années, faites-le, mais débarrassez-nous du problème. Ce problème vous force à verser des indemnisations au titre de l'assurance-récolte et des paiements de stabilisation du revenu agricole et, pourtant, c'est dans ces programmes que nous dépensons tout notre argent, au lieu de tenter d'abaisser ces coûts en investissant une partie de ces fonds dans la recherche.

C'est pourquoi je suggère de financer un programme. Je ne parle pas d'obtenir de nouveaux fonds, mais plutôt de consacrer 1 p. 100 des fonds fédéraux disponibles à la mise sur pied d'un grand programme de recherche qui a des priorités et qui met l'accent sur les problèmes.

Le sénateur Mahovlich : Je tiens seulement à vous dire que vous avez raison à propos des pauses-café. J'avais l'habitude de prendre un café avec Tim Horton lorsque nous jouions ensemble. C'est pendant l'une de ces pauses qu'il a eu une excellente idée. Je lui ai dit qu'elle était mauvaise, parce que les beignets font grossir et que les gens n'en mangeraient pas.

Vous avez mentionné que, dans les 38 prochaines années, il faudrait accroître notre productivité de 70 p. 100. Où allons-nous trouver toutes ces terres pour cultiver du blé et des légumes, et alimenter les habitants du monde entier? La planète est-elle en train de croître? Les terres sont-elles en train de se multiplier et les feuilles, en train de tomber? Produisons-nous de nouvelles terres? Le poids de la Terre augmente-t-il? Toutes les terres ont-elles été englouties par les océans? Où les terres s'en vont-elles? Avons-nous mené une étude à ce sujet?

M. Trevan : Il n'y a plus vraiment de terres disponibles; c'est là le problème.

Le sénateur Mahovlich : Nous ne pouvons pas en produire?

M. Trevan : Non, nous ne pouvons pas. Nous pouvons abattre les forêts pluviales du Brésil jusqu'à ce que nous soyons épuisés, mais cela ne résoudra pas le problème. Compte tenu du modèle agricole actuel, il n'y a pas suffisamment de terres pour accroître la production de 70 p. 100. Nous devons modifier le modèle et, pour ce faire, nous devons innover de manière considérable. C'est la raison pour laquelle j'estime que l'étude entreprise par votre comité est, en fait, très opportune.

M. Jonathan Foley, de l'Université du Minnesota, a élaboré quatre stratégies. Premièrement, il faut cesser de couper les arbres des forêts pluviales. Deuxièmement, il faut réduire les écarts de productivité — c'est-à-dire que, si l'on prend un aliment comme le maïs et qu'on le cultive en Amérique du Nord, on obtient un certain rendement. Si l'on prend ce même aliment et qu'on le cultive à d'autres endroits sur la planète, comme en Afrique centrale, il se peut qu'on obtienne seulement 1 p. 100 du rendement enregistré en Amérique du Nord. Si l'on parvenait à accroître les rendements les plus faibles jusqu'à ce qu'ils atteignent 60 ou 70 p. 100 des rendements les plus élevés, une grande partie du problème serait résolue.

Sa troisième stratégie consiste à modifier les habitudes alimentaires. À mesure que croîtra la prospérité économique des populations chinoise et indienne, lesquelles représentent à peu près deux cinquièmes de la population mondiale, elles demanderont davantage de viande. Vers 2025, notre capacité restreinte d'accroître notre productivité de viande aura une incidence sur le marché; c'est à ce moment-là que la courbe de croissance de la population croisera la courbe de croissance de la productivité agricole et que les prix, en particulier ceux d'aliments comme la viande, grimperont en flèche. Les gens cesseront de manger de la viande, parce qu'ils n'en auront plus les moyens. Je pense que cette stratégie pourrait se réaliser par elle-même.

M. Foley a également suggéré — et je vais substituer cette suggestion à l'une de ses stratégies — que nous réglions le problème de gaspillage. Les Indiens produisent suffisamment d'aliments pour se nourrir eux-mêmes. Le problème, c'est le gaspillage qui survient dans leur système; ils gaspillent jusqu'à 40 p. 10 de leurs aliments. La quantité de céréales que les rats et les souris consomment dans leurs champs dépasse ce que l'Australie produit annuellement. Si nous pouvions éliminer tout ce gaspillage, nous pourrions nourrir un milliard de personnes supplémentaires.

Des stratégies ont été élaborées, mais nous devons commencer à faire les choses différemment. Il n'y a plus de terres à cultiver.

Le sénateur Mahovlich : Il ne reste plus de terres.

M. Trevan : Il ne reste plus de terres.

M. Hedley : Prenons connaissance de tous nos besoins en matière de ressources naturelles. Les terres en font partie. M. Trevan a absolument raison; à ma connaissance, aucune étude publiée ne soutient qu'il soit possible d'accroître la superficie des terres cultivables de plus de 2 à 5 p. 100 sans créer d'énormes dommages environnementaux, comme ceux qui se produisent dans la forêt pluviale brésilienne.

L'autre problème majeur est l'eau. La Chine est aux prises avec une énorme pénurie d'eau. Il en va de même de l'Inde. Le Canada possède des ressources hydriques. La superficie de son territoire dépasse de loin ce dont ses habitants ont besoin. C'est la raison pour laquelle je dis que le Canada bénéficie d'une occasion en or, mais nos agriculteurs ainsi que notre industrie de la transformation des aliments doivent avoir accès aux résultats de la recherche de base et de la recherche appliquée afin de pouvoir conférer à nos aliments une valeur ajoutée qui nous permettra d'écouler nos produits à l'étranger lorsque nous négocierons des accords commerciaux.

En ce qui concerne ces accords commerciaux, je remarque que nous effectuons bon nombre de nos échanges commerciaux avec les États-Unis. Il s'agit d'un commerce nord-sud d'aliments à l'état brut et de produits finis. Ce qui est intéressant, c'est que nous le faisons en raison de l'ALENA. Toutefois, les États-Unis signent des accords bilatéraux avec d'autres pays, et les avantages que nous avons négociés dans le cadre de l'ALENA sont en train de s'évaporer au profit d'autres pays. La durée de vie utile de l'ALENA est maintenant restreinte, en comparaison des bénéfices que le Canada en a retirés. L'accord perd de son utilité parce que les États-Unis en négocient d'autres. C'est la raison pour laquelle nous devons conclure des accords semblables à ceux que nous avons négociés avec l'UE, le Japon, la Corée et le Partenariat transpacifique.

M. Phillips : J'aimerais faire valoir rapidement deux arguments. La FAO a mené une étude qui confirme ce que vous avez déjà entendu. Si nous avons recours à la meilleure technologie disponible, nous n'aurons pas de problèmes. La difficulté consiste à faire exactement cela. Nous n'avons pas besoin d'apporter d'énormes changements à notre technologie; nous devons simplement la diffuser davantage. Des mécanismes sont en place et des progrès sont réalisés, mais ils sont plus lents que les gens veulent bien l'admettre.

Cela vous amène peut-être à vous demander pourquoi nous devons même mener des recherches. Pour reprendre mon premier argument, la réponse simple est que notre système actuel n'entre pas en concurrence avec les agriculteurs du Mexique, du Brésil, de la Chine et des États-Unis. Selon le système actuel, lorsqu'un agriculteur de la Saskatchewan décide de poursuivre ou non ses activités, il entre en concurrence avec la demande pour ses ressources. Son fils et sa fille, que j'avais l'habitude de former à la Faculté d'agriculture, ne reprennent pas le flambeau parce qu'ils peuvent gagner un salaire de 60 000 à 80 000 $ et bénéficier de trois semaines de vacances payées loin de la ferme.

Les banquiers disent aux agriculteurs ce qui suit : « Vous vous en tirez bien en ce moment, mais je ne suis pas sûr que je souhaite vous prêter un demi-million de dollars pour votre prochain projet. Je ne suis pas certain que ce soit un bon investissement. Débrouillez-vous avec ce que vous avez. » Ils veulent emprunter des fonds supplémentaires à la banque afin d'apporter des améliorations à leurs terres, et on leur dit : « Non, vous vous en tirez bien ainsi. »

En fin de compte, toutes les ressources dont l'agriculteur a besoin pour maintenir sa productivité disparaissent. Cela le rend plus vulnérable et le force à souscrire de nouveau à l'assurance-récolte et au programme de stabilisation du revenu agricole.

En ce moment, ils sont en excellente posture. Il ne faut pas attendre que leur situation financière soit désastreuse avant de recommencer à investir. Vous avez l'occasion de vous appuyer sur les réussites des derniers temps.

Le sénateur Eaton : Messieurs, vous êtes tous fascinants, et vous avez de nombreux renseignements à nous communiquer. Avec vos trois cerveaux réunis au bout de cette table, seriez-vous en mesure de vous entendre sur trois priorités que le Canada devrait avoir? Cela nous serait utile. Nous savons tous comment se déroulent les processus gouvernementaux, comment fonctionne le système en entier. Il est très lent.

Cependant, si nous prenions le problème par l'autre bout et que vous vous présentiez au gouvernement en tant que groupe, pourriez-vous vous entendre tous les trois sur trois ou quatre priorités à mettre de l'avant? Vous représentez les facultés canadiennes d'agriculture et de médecine vétérinaire, et vous pourriez vous adresser au ministre Ritz et lui dire ce qui suit : « Au nom de tous les chercheurs du Canada, nous aimerions que vous vous concentriez sur ces trois ou quatre priorités. »

M. Hedley : En un mot, la réponse est « oui ».

Le sénateur Eaton : L'avez-vous fait?

M. Hedley : Je ne pense pas que nous soyons en mesure de le faire ici, ce matin.

Le sénateur Eaton : Non, je ne m'attends pas à ce que vous le fassiez ce matin. Je dis simplement que cela pourrait être un élément intéressant à ajouter à notre rapport et que cela pourrait tous nous donner des idées à défendre que nous pourrions présenter au ministre en disant ce qui suit : « Les facultés canadiennes d'agriculture s'entendent pour dire, monsieur le ministre, que nous devrions mettre l'accent sur quatre priorités. »

Vous savez ce que recommande le sénateur Buth — quatre ou cinq projets de recherche à répartir entre les régions du Canada.

M. Hedley : Désolé, mais c'est la pire chose que vous pourriez faire.

Le sénateur Eaton : Non, non. Fort bien. Expliquez-moi pourquoi.

M. Hedley : Bien qu'il soit nécessaire d'adapter les systèmes biologiques aux conditions locales, les programmes dont je parle sont beaucoup plus généraux. En répartissant ces programmes un peu partout...

Le sénateur Eaton : Non, non, je ne suggère pas de les répartir partout. Les gens de la Colombie-Britannique pourraient faire une découverte qui aiderait les agriculteurs du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse. Établissez simplement cinq priorités.

Le sénateur Robichaud : Vous avez commencé par trois, puis vous êtes passé à quatre. Maintenant, vous demandez cinq priorités.

Le sénateur Eaton : Eh bien, je me sens généreuse.

Le sénateur Plett : Maintenant, vous allez peut-être être en mesure de présenter vos cinq priorités.

M. Trevan : Plus nous pouvons en présenter, plus ce sera facile.

M. Hedley : Il ne fait aucun doute que nous pourrons vous fournir ces priorités. Premièrement, j'aurais besoin de savoir quand vous les voulez.

Le sénateur Eaton : Si nous vous donnions un mois, pourriez-vous respecter cette échéance?

M. Hedley : Si vous nous donniez de quatre à six semaines, oui. Selon moi, cela ne pose pas de problème.

Le sénateur Eaton : Avant la fin du mois de juin, avant que nous ajournions nos travaux pour l'été?

M. Hedley : Oui, avant que vous ajourniez vos travaux pour l'été.

Le président : Nous vous en serions très reconnaissants.

M. Hedley : Je suis certain que nous pourrions le faire.

Le sénateur Eaton : Cela nous donnera un but à poursuivre.

J'aimerais faire une petite parenthèse. Y a-t-il des priorités provinciales? Y a-t-il une division des pouvoirs? Les provinces et le gouvernement fédéral ont-ils des différends à ce sujet? En d'autres termes, les ministres de l'Agriculture provinciaux ont-ils un rôle à jouer, tout comme le ministre de l'Agriculture fédéral? Est-ce un problème?

Le sénateur Plett : Ce l'est au Manitoba.

M. Hedley : Je pense que la réponse à cette question est « oui ». J'ai participé aux négociations fédérales-provinciales pendant de nombreuses années.

Le sénateur Eaton : Devrions-nous simplifier cela?

M. Hedley : Oui. Nous envisageons — du moins je l'envisage — la mise sur pied d'une nouvelle structure dans laquelle un partenariat public-privé proposerait un programme ou une plateforme de recherche mettant l'accent sur l'agriculture, l'alimentation et la santé animale.

Le sénateur Eaton : Est-ce que vous allez nous proposer un modèle?

M. Hedley : Oui, je crois.

Le sénateur Eaton : D'accord, merci.

M. Hedley : Je pense que nous pourrions convenir d'un modèle et établir certaines priorités. Oui, je m'engage à cela.

Le sénateur Eaton : S'il y a quelqu'un sur le terrain qui sait ce dont vous avez besoin pour fonctionner, c'est bien vous. Vous connaissez vos besoins.

M. Hedley : Oui, mais s'il y a un point que je voudrais souligner, c'est que cela ne s'adresse pas exclusivement au ministre Ritz.

Le sénateur Eaton : Je n'ai pas dit cela.

Le président : Non, cela s'adresse au comité.

Le sénateur Eaton : Cela s'adresse au comité, mais nous donne quelque chose pour le rapport. Cela permet d'étoffer le rapport et il y a des choses bien concrètes que nous pouvons faire et pour lesquelles nous pouvons faire du lobbying.

M. Hedley : Oui, cela concerne les Affaires étrangères en raison des rapports entretenus à l'étranger.

Le sénateur Eaton : Oui.

M. Hedley : À propos, ils ont des bourses et des subventions pour la recherche à l'étranger.

Le sénateur Eaton : Eh bien, vous voyez, nous...

Le président : D'accord.

M. Hedley : C'est intéressant, mais beaucoup de ministères sont concernés.

Le sénateur Eaton : Cela nous sera très utile. Merci beaucoup.

Le président : Je vois que M. Phillips a un commentaire.

M. Phillips : Je suis content que M. Hedley ait fait cette remarque. Il y a bien des sujets sur lesquels le ministre Ritz pourrait convenir, mais la plupart d'entre eux ne concernent pas son ministère.

Le sénateur Eaton : Nous pouvons en parler aux ministres concernés.

M. Phillips : Cela doit se faire au niveau de la direction. Le gouvernement fédéral a créé une politique nationale de recherche et de développement qui exclut le secteur. La plupart des régions du Canada ont fait d'importantes démarches en disant que c'était une erreur, mais rien n'a bougé. Je pense qu'il faut élargir le débat sur la place de la recherche agroalimentaire au niveau fédéral. C'est là le premier point.

Le sénateur Robichaud : La première recommandation.

M. Phillips : Deuxième point, je pense qu'il y en a d'autres et qu'il s'agissait plutôt d'un malentendu. Je crois que nous pourrions probablement trouver d'autres éléments comme le Fusarium ou le blé.

Le sénateur Eaton : Oui, eh bien, nous en voulons cinq.

M. Phillips : Il pourrait y en avoir quelques-uns, mais je vous mets en garde de trouver un modèle unique, car je participe à l'un des principaux débats qui se tiennent à ce sujet et où l'on dit : « Donnez-nous-en trois et nous le ferons. » Il s'agit de nouveaux crédits, ce n'est pas comme si on se contentait de se donner bonne conscience. Ce qui nous retient, ce n'est pas qu'il y a trois ou cinq priorités et ce ne sont pas les gens qui négocient. C'est le modèle. Chacun propose un modèle bien précis avec l'idée que c'est son modèle ou rien. Lorsque vous avez trois partenaires qui négocient, vous avez trois modèles qui ne sont pas adaptés. Au lieu de parler de modèle, on devrait parler d'une série de principes sur lesquels les modèles peuvent être construits. Nous avons de nombreux modèles, parce que ce qui va marcher dans un secteur comme le canola ne marchera pas pour le blé, les légumineuses à graines ou la santé animale. Il faut s'adapter au terrain qu'on essaie de modeler.

Le sénateur Eaton : Je pense toujours qu'il serait utile de connaître vos cinq priorités. Merci.

Le président : Les recommandations que nous ferons dans le rapport ne s'adresseront pas nécessairement à un seul ministère, mais à tous les ministères et interlocuteurs concernés. Elles influeront non seulement sur les administrations, mais aussi sur le secteur privé et d'autres instances décisionnelles.

Le sénateur Mercer : Je pense que notre travail est fait, monsieur le président. Nous obtiendrons ces cinq recommandations. Nous avons maintenant quelques heures supplémentaires de libres durant la semaine, puisque notre travail d'aujourd'hui est fait.

Non. Merci beaucoup, messieurs, de ce débat très instructif qui a suscité des questions très intéressantes de la part de mes collègues. Je veux revenir à la question du prélèvement, qui a été mentionnée à plusieurs reprises. Vous avez dit, je crois, que le seul prélèvement qui fonctionne au Canada est celui qui se fait dans l'industrie de l'élevage bovin. Je croyais qu'il y en avait aussi dans l'industrie laitière, qui contribue directement à la recherche par l'entremise des Producteurs laitiers du Canada.

M. Hedley : Il y en a en fait, mais il n'est pas couvert par les clauses relatives au prélèvement de la Loi sur les offices des produits agricoles. Il relève en fait des ententes tripartites de gestion des approvisionnements conclues entre les producteurs, les provinces et le gouvernement fédéral.

Le sénateur Mercer : Mais est-ce un modèle qui fonctionne?

M. Hedley : Oui.

Le sénateur Mercer : L'une des raisons pour lesquelles l'industrie laitière est aussi solide est qu'elle poursuit la recherche nécessaire dans tous les aspects du secteur.

M. Hedley : C'est exact.

Le sénateur Mercer : Comme nous en avons parlé, le rendement par vache a augmenté considérablement au cours des 40 dernières années, mais nous avons constaté parallèlement un déclin de leur fertilité. La faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal a d'ailleurs fait une recherche sur le sujet.

Il n'y a pas de solution magique et, si j'ai bien compris, les cinq suggestions que vous ferez pour répondre à la question du sénateur Eaton ne seront pas une panacée. Nous n'allons pas pouvoir régler tous les problèmes grâce à vos cinq recommandations.

M. Hedley : C'est exact.

Le sénateur Mercer : L'une des choses que nous devrions toutefois envisager est d'imposer une sorte de prélèvement qui poussera l'industrie et le gouvernement à réfléchir. On se dira : « Nous devons le faire pour assurer la viabilité à long terme de la recherche agricole en imposant un système de prélèvement similaire à celui qui s'applique dans l'industrie de l'élevage bovin ou à celui des producteurs laitiers dans le cadre d'un système de gestion des approvisionnements, n'est-ce pas? »

M. Hedley : Oui, je serais d'accord avec vous. Mais la Constitution présente un obstacle, ce qui explique que la loi actuelle qui régit les prélèvements dans le secteur de l'élevage bovin offre des possibilités, mais n'impose pas de mandat. C'est pourquoi j'envisageais d'autres moyens de résoudre le problème des pouvoirs particuliers du fédéral et des provinces, par lesquels le gouvernement fédéral pourrait tout simplement imposer une taxe de 1 p. 100 sur les sommes versées aux agriculteurs. Par rapport à l'assurance-récolte, le calcul est très simple.

Le gouvernement fédéral paie 36 p. 100 des coûts de toutes les cotisations versées au titre de l'assurance-récolte. Vous prenez donc 1 p. 100 de ces 36 p. 100, et non pas des 100 p. 100. C'est là pour le gouvernement fédéral un moyen extraordinaire d'en réduire au minimum la portée sur la ferme tout en lui demandant de contribuer à sa productivité à long terme.

Le sénateur Mercer : L'idée me plaît. Nous allons prendre cela en note, non pas comme l'une des cinq recommandations, n'est-ce pas, mais comme la sixième.

Le sénateur Eaton : Mes cinq recommandations sont différentes.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, messieurs. Je vois que vous êtes de bons professeurs, car vous donnez d'excellentes explications. Une chose m'intrigue : nous avons rencontré d'autres scientifiques, d'autres chercheurs, et nous en avons même rencontré sur le terrain; ils n'ont pas tout à fait le même discours que vous. Je ne veux pas que vous l'interprétiez mal, mais n'y aurait-il pas par hasard un manque de communication entre les chercheurs canadiens?

[Traduction]

M. Hedley : Le graphique que nous avons reçu de Science-Metrix montre les liens qu'ont les universités entre elles, dont la nôtre et 19 autres universités canadiennes. On y voit leurs rapports avec Santé Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Environnement Canada et Ressources naturelles Canada. La communauté collabore à une publication scientifique. Il ne s'agit pas d'une mesure des contributions, mesure que l'on utilise la plupart du temps pour évaluer la recherche. Il s'agit des sommes reçues et non des sommes dépensées. Nous disons qu'à elles seules, les universités sont responsables des trois quarts de ce rendement.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vais donner un exemple concret, et je crois que vous étiez sous-ministre à l'époque, concernant le fromage au lait cru. Tous les scientifiques du Québec, de l'Ontario et des Maritimes se sont élevés contre la décision de Santé Canada et d'Agriculture Canada. Ce sont les scientifiques qui vous ont fait reculer. Comment se fait-il qu'aujourd'hui on se bute à la même barrière et qu'on ne soit pas capables de vous faire reculer?

Rappelez-vous, c'était une époque assez difficile, et les scientifiques, qu'ils soient des universités de l'Ontario, du Québec ou des provinces maritimes, se sont élevés contre une décision qu'on pourrait qualifier d'inappropriée. Ils ont réussi à convaincre le gouvernement canadien, Santé Canada, Agriculture Canada, des bienfaits du fromage au lait cru. C'est une partie de la valeur des scientifiques.

Dans le domaine laitier, le domaine bovin, nous avons visité des centres universitaires où se font énormément de recherches sur la production laitière, la génétique des bovins, la culture en serres. Ces chercheurs échangent beaucoup avec l'entreprise privée et ils reçoivent des mandats de l'entreprise privée. Comment se fait-il que ce soit aussi difficile en ce qui concerne le canola ou le blé de voir l'entreprise privée travailler en étroite collaboration avec les scientifiques, puisque vous demandez de sommes additionnelles pour satisfaire cette clientèle.

Je comprends que les clients potentiels sont la Chine, l'Inde et autres qui ont intérêt au libre-échange canadien puisque le Canada est un pays d'agriculture excédentaire. Cependant, faut-il avoir la capacité de le faire. La recherche scientifique devient donc extrêmement importante pour ne pas en arriver aux mêmes conclusions que celles du sénateur Mahovlich, à savoir si cette agriculture, augmentée de 70 p. 100, ne sera pas dommageable pour nos propres sols conduisant nous-mêmes ou nos descendants vers une famine dans les années 3000?

[Traduction]

M. Trevan : Je vais répondre à votre question sur le fromage. Je trouve cela honteux de ne pas pouvoir acheter du fromage fabriqué avec du lait non pasteurisé au Manitoba. Le fait est que si vous utilisez du lait pasteurisé, le processus de garantie de sécurité du produit est plus simple. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas le faire avec du lait non pasteurisé, mais les conditions de fabrication doivent être contrôlées avec le plus grand soin. Théoriquement, il n'y a pas de problème si le troupeau est en bonne santé. Voilà pourquoi les experts scientifiques ne sont pas d'accord, les uns affirmant qu'il faut utiliser les méthodes les plus sûres, les autres, que la méthode utilisée est suffisante.

Quant à la nécessité d'avoir un autre type de recherche que celle menée par la seule entreprise privée, cela s'explique par les délais. Cela peut prendre 10 ans pour trouver une nouvelle variété de blé. En tant qu'industrie, vous voulez équilibrer votre budget, sinon cette année, au moins l'année suivante. Voilà pourquoi les deux échelles de temps sont si différentes.

Sur la question que vous soulevez à propos de ce que nous faisons au sol canadien, à tout le moins la faculté pour laquelle je travaille — et je suppose que c'est le cas pour toutes les autres — répond que notre action vise une industrie saine et durable, à la fois pour l'environnement et la population. Autrement dit, nous cherchons autant la viabilité de la production agricole au plan de l'environnement que la santé des collectivités rurales — où se font les activités agricoles — et la santé du consommateur.

Pour en revenir à la question précédente, cela suppose de traiter avec au moins trois ministères : celui de l'Environnement, celui de la Santé et celui de l'Agriculture.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vos recherches sur les nouvelles productions de blé ou de canola vise une meilleure production avec une meilleure qualité et un meilleur rendement. Nous avons reçu des scientifiques de l'Ontario, du Québec et même des provinces de l'Ouest qui nous ont mis en garde contre la détérioration de la nappe phréatique, surtout autour des grandes villes, dans des provinces plus peuplées comme l'Ontario et le Québec, parce que l'élevage, porcin par exemple, entraîne des odeurs nauséabondes.

Une culture de surproduction telle que vous la recherchez exige de produire plus en utilisant moins d'espace et moins de ceci ou de cela. Tenez-vous compte dans vos recherches de la protection de la nappe phréatique?

[Traduction]

M. Trevan : Oui, absolument.

Le président : M. Phillips a un commentaire à propos de votre première question, monsieur Maltais.

M. Phillips : Je pense que cela a trait à quelques-unes de vos observations. Nous utilisons de plus en plus les cartes de M. Hedley pour comprendre les écosystèmes de recherche. Il ne s'agit pas ici de hiérarchie. Les universités ont une hiérarchie : des présidents, des doyens, des professeurs agrégés, des associés et des adjoints. Et quiconque, dans un secteur gouvernemental, laisse entendre que l'on peut imposer des choix ou obtenir certaines choses dans cette chaîne hiérarchique, eh bien il se trompe. Mon université est composée de 1 000 entrepreneurs indépendants qui se regroupent pour certaines fonctions centrales. Nous sommes indépendants au sens où nous choisissons ce que nous faisons.

En ce sens, les voies que crée le système ne sont pas nécessairement celles qu'il faut suivre. Ces cartes peuvent être très utiles. On constate que deux personnes travaillant côte à côte dans le même immeuble peuvent ne jamais collaborer sur quoi que ce soit au cours de leur carrière, alors qu'elles peuvent collaborer avec un tiers ou une quatrième personne ailleurs. Le monde a beaucoup changé et les universités se sont adaptées. Les hiérarchies, quant à elles, ont beaucoup de mal à s'adapter. Vous avez demandé pourquoi nous ne pouvons pas quelquefois nous rassembler. C'est parce que le message de la hiérarchie est : « Vous suivez mes règles, » alors que celui de l'équipe est : « Des règles, quelles règles? Nous faisons ce que nous voulons. Nous faisons ce qu'il faut pour que le travail soit accompli. » C'est une question de responsabilité au sens de la gouvernance traditionnelle par rapport à une responsabilité moins rigide par rapport au but souhaité.

Deuxième observation, le problème se complique lorsque l'on a affaire à la science des règlements, par rapport à celle des expérimentations ou du laboratoire. Les responsables de la réglementation ne s'occupent pas du même type de science. Ils ont besoin des preuves dont ils disposent. J'ai régulièrement affaire avec eux, car je les étudie. On leur propose quotidiennement des centaines d'idées nouvelles. Ils opèrent dans certaines limites juridiques qui leur dictent ce qu'ils peuvent et ce qu'ils ne peuvent pas faire, et de nouvelles réalités scientifiques émergent sans cesse. Les outils de communication sont souvent faibles. Ce n'est pas nécessairement la faute du gouvernement, que je n'accuserai d'ailleurs pas sur ce point précis.

La communauté scientifique ressemble aujourd'hui à celle de la presse. Un bon article n'est pas publié sans bruit dans une revue. Quelqu'un s'adressera plutôt à vous en vous disant : « Vous avez un bon article que nous aimerions publier en manchette dans notre revue. » Et n'oublions pas que ces revues cherchent à faire des profits; elles ne sont plus à but non lucratif. C'est aujourd'hui l'un des commerces les plus profitables du monde et celui qui, parmi toutes les industries, donne le plus haut rendement sur l'investissement. Ils vous aborderont dans le but de publier votre article. La raison? Douze heures après sa publication, ils peuvent le distribuer à 4 000 rédacteurs en chef s'occupant de science ou de politiques publiques. Ils vont déployer pour vous toute l'artillerie lourde et coordonneront pour vous le suivi avec les médias.

On se demande pourquoi les percées scientifiques sont publiées partout — à la télévision, à la radio, dans les journaux et sur le web. Ce n'est pas un hasard. C'est comme cela que la science est exploitée de nos jours. Pour le responsable de la réglementation, chacun de ces petits changements est probablement négligeable; mais avec le temps, cela donne une somme conséquente. Il est difficile d'avoir un dialogue utile lorsque le tapage médiatique est incessant. Je crois que cela explique en partie le problème, et que le problème s'aggrave. J'ai des sentiments mitigés à propos de certaines règles administratives que complique l'interprétation des règles fédérales selon lesquelles il faut être prudent dans ses déclarations, surtout quand elles n'ont pas été approuvées par d'autres. Et je crois que cela a changé un peu la donne.

Le président : Et j'ajouterai que les médias sociaux compliquent la communication.

M. Phillips : Oh, certainement; c'est même pire.

M. Hedley : Concernant la question du sénateur, de par sa nature, le maïs est aujourd'hui un produit hybride en Amérique du Nord, dans la quasi-totalité des pays d'Europe et dans la grande majorité des pays en développement. Il ne se reproduit pas, ce qui permet aux entreprises privées d'investir dans les variétés qui le composent. Cela n'est pas le cas du blé qui n'est pas aujourd'hui un produit hybride et qui n'est pas contrôlé par les droits de propriété intellectuelle comme l'est le canola. Voilà pourquoi personne ne fera ce travail de recherche dans le secteur privé.

Il y a une autre caractéristique de la recherche agricole qu'il faut bien comprendre : la recherche sur la productivité qui, à dire vrai, est difficile. Lorsque vous faites de la recherche sur le bras spatial, que vous en fabriquez un et qu'il fonctionne, vous savez comment faire. C'est terminé. Vous n'avez pas à refaire le travail une deuxième fois. Lorsque vous avez une maladie humaine et que vous trouvez une injection ou un médicament qui la guérit, le problème est réglé; et, en général, il reste réglé.

Regardons maintenant l'agriculture. Lorsque vous essayez de maintenir les rendements, qu'il s'agisse de cultures végétales ou de productions animales, il y a une érosion constante de cette capacité de productivité dans cette plante ou dans cet animal et c'est pourquoi vous devez toujours continuer de faire de la recherche. C'est ce qu'on appelle la recherche sur le maintien de la productivité agricole. De nouvelles maladies et de nouvelles plantes nuisibles apparaissent. Des espèces envahissantes arrivent au Canada. Nous voyons des changements climatiques qui nous donnent un écosystème différent de celui que nous avions il y a 20 ans. Par conséquent, nous avons besoin de la tolérance à la sécheresse et de la tolérance à l'inondation. Tous ces caractères doivent être intégrés de manière continue.

Une très forte proportion de la recherche que nous faisons sur la productivité n'augmente pas cette dernière, mais ne fait que la maintenir. Jusqu'à ce que vous réussissiez à franchir ce seuil, vous ne pouvez pas espérer obtenir de nombreux gains. C'est fondamentalement différent de ce que l'on retrouve dans de nombreux autres produits de la science, comme un bras spatial. Les médias ont assuré une très belle couverture du bras spatial. Croyez-moi, je ne vois pas beaucoup de médias dans les champs de maïs ou de blé dire : « Voilà quelque chose de très excitant », mais c'est pourtant le cas.

Le président : Monsieur Hedley, vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Merchant : Je vous remercie tous les trois pour la sincérité de votre exposé ce matin. Je sens une frustration du côté universitaire liée à la façon dont nous, au gouvernement, agissons parfois. Par exemple, vous avez parlé des conseils qui ne comptent qu'un seul membre qui comprend vraiment de quoi il s'agit. Comment communiquer cela à un gouvernement quelconque? Plus tôt, un sénateur a parlé de nourrir le monde et de la connotation morale de cette question. Vous avez dit qu'ici au Canada, nous avions la chance d'avoir des ressources abondantes, y compris de l'eau. Les biocarburants sont devenus une question très attrayante et, tout à coup, toute la production de maïs a été dirigée vers la fabrication de biocarburants alors que nous savons que du point de vue environnemental, ce n'est pas un bien grand avantage. Lorsqu'un gouvernement prend le mauvais virage ou lorsqu'il y a des choses que nous pourrions faire pour nous entraider, comment pouvez-vous communiquer cela?

M. Hedley : Nous le faisons de différentes façons. Lorsque le CRSNG a éliminé les derniers vestiges de l'agriculture et de l'alimentation de sa liste de priorités il y a deux ans et demi, j'ai immédiatement appelé le CRSNG pour lui dire que nous avions un problème. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à regarder la composition des comités, sans grand succès. En conséquence, nous avons rédigé un éditorial que nous avons fait paraître dans un certain nombre de journaux il y a presque 16 mois. En moins de 24 heures, la présidente du CRSNG téléphonait à mon président. Nous avons discuté avec elle pendant plus de 2 heures dans une réunion générale à l'Université de Guelph il y a un an. Le CRSNG a de nombreuses priorités. Nous n'avons d'autre choix que d'accepter ce que l'état de la science et de la technologie nous dit par la bouche d'un comité. Nous ne nous y opposons pas, et ils n'ont pas inclus l'agriculture. En fait, ils l'ont rayée. En passant, la biologie s'y trouve. Vous faites certainement de la biologie.

Voilà le message que nous avons reçu. Nous avons rédigé un autre éditorial sur les gains de productivité qui a paru en mars. Je suis assez certain que c'était dans The Western Producer, et dans les journaux d'Edmonton et de Lethbridge, au Manitoba. Excusez-moi de le dire, mais j'ai passé 29 ans au gouvernement, alors, je sais ce que c'est de l'autre côté. De l'autre côté, c'est un peu comme pousser sur une corde.

Le président : Monsieur Phillips, avez-vous une observation?

M. Phillips : Permettez-moi de faire une observation parce que je pense que nous sommes parfois notre pire ennemi. J'ai passé beaucoup de temps à graviter autour du dossier de l'agroalimentaire. Pour me confesser, j'ai été fonctionnaire provincial durant les années 1980 et 1990, années où la situation de l'agriculture était désastreuse non seulement dans l'Ouest canadien, mais partout au Canada, en partie à cause de problèmes de politique commerciale. Je pense que nous avons fait un excellent travail pour faire connaître le degré de stress qui prévalait à ce moment-là. Nous disions, en ne blaguant qu'à moitié, que nous avions une politique de la terre brûlée pour convaincre le monde que nous avions un groupe d'agriculteurs affamés qui, sans un appui substantiel de l'État, constitueraient un problème de soutien pendant très longtemps.

C'était de la bonne politique et, peut-être, une bonne politique publique du jour parce qu'elle a permis de canaliser les ressources nécessaires pour soutenir l'industrie, mais c'était il y a une génération et la nouvelle génération de l'agriculture n'est pas cela. Dans la documentation sur l'innovation, nous cherchons souvent de bons modèles durables à long terme de croissance et de développement économiques. Un exemple que tout le monde semble toujours connaître, c'est celui de la société 3M, dont le modèle d'affaires veut que le quart des recettes brutes proviennent de choses qui n'existaient pas il y a trois ans. C'est une norme assez élevée, et je dirais que la plus grande partie de l'agriculture correspondrait probablement à ce modèle.

Il s'agit d'une partie extrêmement novatrice du Canada. Elle génère un gros chiffre d'affaires, mais le message ne sera rend pas à Ottawa. Elle fait appel à une science avancée. Lorsque vous parlez de nanotechnologie, de biotechnologie, d'instruments de pointe, de GPS et d'un grand nombre de nouvelles sciences qui enthousiasment les gens, leur application première est l'agriculture, la foresterie, la pêche et les mines. Pourtant, nous avons essayé de nous dissocier nous-mêmes de l'idée que nous avions d'une base de ressources pour notre économie et notre société.

Il y a cette perception dans la réalité. Je ne veux pas vous laisser avec une impression négative de l'agriculture, mais nous devons quelque chose pour insuffler une nouvelle vigueur à la politique publique et aux programmes relatifs à la recherche agroalimentaire.

Le président : Nous avons ce rôle à jouer.

M. Trevan : J'aimerais vous laisser avec une pensée que je partage avec les étudiants de première année qui viennent de tous les secteurs de l'université. Manger est la seule chose que vous devez absolument faire pour rester en vie. Tout le reste est facultatif. Si ce n'est pas là le rôle le plus fondamental d'un gouvernement que de soutenir ses citoyens, je ne vois pas ce qui pourrait l'être.

Cependant, les gouvernements peuvent se tromper et je vais vous en donner un très bref exemple. Il y a un an, je participais à une réunion à la Royal Society of London. La réunion était censée porter sur l'innovation dans le domaine de l'agriculture, mais elle s'est transformée en réunion sur les effets des changements climatiques sur l'agriculture, ce qui était fascinant. Jusqu'à ce moment-là, le gouvernement du Royaume-Uni avait adopté un principe, par l'intermédiaire de son ministère de l'Environnement, selon lequel d'ici 2050, tous les secteurs de la société du Royaume-Uni devaient réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 80 p. 100. Quelqu'un a fait une analyse de ce que cela signifiait. Cela signifiait que l'agriculture du Royaume-Uni allait renoncer à l'élevage du bétail, du mouton et de la chèvre ainsi qu'à la production laitière. Elle aurait peut-être pu garder quelques porcs et quelques poulets et la moitié des terres arables auraient été ensemencée de cultures énergétiques. S'il vous plaît, pensons aux grandes questions mais non aux questions étroites.

Le président : Nous vous ferons parvenir par écrit une question sur les effets de la mécanisation sur la recherche en matière de précision du rendement, de travail du sol et de récolte.

Le sénateur Robichaud : Serait-il utile que nous recommandions d'avoir une représentation de différents groupes qui sont liés à la science et à la recherche?

M. Phillips : Oui.

Le président : Si vous voulez faire parvenir de l'information additionnelle au greffier, n'hésitez pas à le faire.

Au nom des sénateurs membres du Comité de l'agriculture et des forêts, je vous dis merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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