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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 37, Témoignages du 13 juin 2013


OTTAWA, le jeudi 13 juin 2013

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 7 h 59, pour examiner, pour en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole (sujet : L'innovation dans le système agricole et agroalimentaire de la perspective des producteurs agricoles et la contribution de l'innovation et de la recherche agricole au développement des communautés rurales).

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité de l'agriculture et des forêts ouverte.

[Traduction]

Honorables sénateurs, avant de passer au premier point à l'ordre du jour du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, j'aimerais céder la parole au sénateur Plett qui voudrait nous informer au sujet du père de Kevin.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Comme la plupart d'entre vous le savent déjà, notre greffier habituel n'est pas ici aujourd'hui. Il est chez lui, à Terre-Neuve, pour les funérailles de son père décédé il y a quelques jours. Heureusement, Kevin était déjà sur place lorsque son père est décédé. Il a donc pu passer un peu de temps avec lui.

Après en avoir discuté avec le président et vice-président, j'ai transmis les condoléances du comité à la famille de Kevin par l'entremise du site web qu'elle a créé. Nous avons également fait parvenir des fleurs au nom du comité. Habituellement, le Sénat ne paie pas pour ce genre de chose, alors c'est moi qui ai payé pour les fleurs. Elles ont coûté 131 $. Si certains d'entre vous veulent contribuer à cet achat, vous êtes certainement les bienvenus. J'ignore comment vous voulez procéder pour cela, monsieur le président. Chose certaine, nous voulions transmettre nos condoléances à Kevin et à sa famille, ce que nous avons fait.

Le président : Merci, sénateur Plett. Nous discuterons de la contribution de membres pour les fleurs après la séance. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir fait ces démarches et merci, aussi, au vice-président.

Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous accueillerons aujourd'hui deux témoins. À la fin de la première heure, à 9 h 50, nous prendrons quelques minutes pour examiner la table des matières qui vous a été distribuée, afin d'autoriser le greffier et le chercheur à procéder avec l'ébauche du rapport.

Cela dit, je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, et j'assure la présidence de ce comité. Je demanderais aux sénateurs et sénatrices de bien vouloir se présenter, en commençant par le vice-président du comité, après quoi nous présenterons les témoins.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, et le vice-président du comité.

La sénatrice Callbeck : Mon nom est Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Tardif : Bonjour. Mon nom est Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Plett : Bonjour et bienvenue. Mon nom est Don Plett, du Manitoba.

La sénatrice Buth : Bonjour. Mon nom est JoAnne Buth, du Manitoba.

Le sénateur Oh : Mon nom est Victor Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Bonjour. Mon nom est Nicole Eaton, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bonjour. Ghislain Maltais, Québec.

Le sénateur Rivard : Michel Rivard, Québec.

[Traduction]

Le président : Merci. Nous poursuivons notre étude sur les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole. Nous accueillons aujourd'hui deux témoins. Avec le premier, nous discuterons de l'innovation dans le système agricole et agroalimentaire de la perspective des producteurs agricoles.

[Français]

Avec le deuxième panel, nous discuterons de la contribution de l'innovation et de la recherche agricole au développement des communautés rurales.

[Traduction]

Monsieur Gilvesy, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Comme vous le savez, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a été autorisé par le Sénat à examiner les efforts en matière de recherche et d'innovation en ce qui concerne le développement de nouveaux marchés domestiques et internationaux, le renforcement du développement durable de l'agriculture et l'amélioration de la diversité et de la sécurité alimentaires dans le but de maintenir et de surpasser les initiatives du secteur agricole en matière d'innovation.

Accueillons maintenant notre premier témoin, M. George Gilvesy, directeur général, de l'organisme Les producteurs de légumes de serre de l'Ontario. Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation à venir nous faire part de votre point de vue dans ce dossier. Je vous cède la parole pour votre exposé, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

George Gilvesy, directeur général, Les producteurs de légumes de serre de l'Ontario : Merci. Je suis très heureux d'être ici. Le sénateur Oh vous a devancé. Nous nous sommes rencontrés hier soir dans l'ascenseur de l'hôtel. J'ai donc eu l'occasion de rencontrer un vrai sénateur avant de venir témoigner. Merci de m'avoir offert cette occasion de vous entretenir sur ce sujet.

Le secteur des légumes de serre de l'Ontario compte pour 63 p. 100 des recettes monétaires agricoles, soit 1,1 milliard de dollars, attribuées au secteur canadien des légumes de serre. L'Ontario est l'une des plus grandes régions productrices de légumes de serre en Amérique du Nord : on y trouve 224 serriculteurs et 2 272 acres de production de tomates, de poivrons et de concombres de serre. Les légumes de serre sont aussi cultivés à grande échelle en Colombie- Britannique, en Alberta, au Québec et dans les Maritimes.

Les plus de 12 000 emplois annuels liés à la production des légumes de serre de l'Ontario témoignent également de l'importance de ce secteur dans l'économie rurale.

L'organisme Les producteurs de légumes de serre de l'Ontario, dont le siège social est situé à Leamington, en Ontario, représente les producteurs de tomates, de poivrons et de concombres de serre de la province. Son mandat consiste à faciliter l'accès aux marchés aux serriculteurs et à créer des circonstances favorables à la prospérité économique.

Notre secteur est l'un des secteurs agricoles qui croissent le plus rapidement au Canada. À notre avis, nous sommes le secret le mieux gardé au pays. L'envergure et la croissance de ce secteur en Ontario sont relativement peu connues à l'extérieur de la région productrice. Peu de gens sont au courant de la place prépondérante qu'occupe l'Ontario sur le marché nord-américain. Cette dominance du marché s'étend de l'est du Canada jusqu'au sud des États-Unis, principalement à l'est du Mississippi, et se poursuit d'avril à novembre, soit notre période la plus occupée.

Un récent rapport du Conference Board du Canada illustre les répercussions de la croissance de notre secteur sur l'économie locale. Il souligne que Leamington, en Ontario, a connu l'une des plus fortes hausses des emplois, soit le pourcentage étonnant de 33,8 p. 100 entre 2011 et 2012, de toutes les villes canadiennes de taille moyenne visées par l'étude. Leamington a aussi augmenté de 10,6 p. 100 son produit intérieur brut au cours de la même période. Le gestionnaire du développement économique de Leamington a attribué principalement cette croissance des emplois et du PIB aux 205 acres de culture locale des légumes de serre. D'ailleurs, de janvier 2011 à janvier 2013 — c'est ainsi que nos statistiques sont compilées —, on parle plutôt de 350 acres, soit beaucoup plus que les 205 dont fait état l'étude.

À près de 1 million de dollars par acre, cet investissement privé dans des installations de production serricole de haute technologie a donné un véritable essor à l'économie, et la croissance du secteur devrait se poursuivre. Cela équivaut à environ 350 millions de dollars investis sur deux ans dans des serres en Ontario. Ces chiffres nous rapprochent beaucoup des sommes investies dans le secteur automobile.

L'objectif du secteur des légumes de serre de l'Ontario est de dépasser 1 milliard de dollars de ventes d'ici 10 ans. Seuls les investissements du gouvernement, jumelés à ceux d'autres intervenants, dans des politiques et des programmes de recherche et développement innovateurs permettront de produire annuellement des fruits et légumes sains, frais et d'une qualité qui répond aux besoins de notre clientèle grandissante.

La culture des légumes de serre est la forme d'agriculture la plus durable et productive au Canada. Nous pouvons produire 10 fois plus d'aliments par mètre carré que les cultivateurs de plein champ, car notre exploitation s'étend presque toute l'année, dans un environnement contrôlé, ce qui nous permet de maximiser la production de tomates, de concombres et de poivrons de haute qualité.

La nature contrôlée de notre système de production nous permet également d'utiliser plus efficacement les intrants agricoles habituels, comme l'eau et les éléments nutritifs, ainsi que d'autres intrants qui ne sont pas faciles à employer dans la production de plein champ, dont les abeilles pour la pollinisation, le dioxyde de carbone pour hausser la photosynthèse et les « bons insectes » pour jouer le rôle de pesticides. Ces bons insectes mangent les mauvais.

En outre, les serres peuvent être construites sur divers types de sol, ce qui permet de cultiver en serre des produits qui ne sont pas cultivés habituellement au Canada. Dans l'ensemble, la culture en serre des légumes donne l'occasion au Canada d'augmenter au maximum la production d'aliments sains tout en réduisant l'utilisation de nos ressources naturelles.

L'innovation est essentielle à la compétitivité mondiale de notre secteur et nous sommes déterminés à investir dans des initiatives de recherche et de développement qui touchent le secteur. Il est question, entre autres, d'investir pour réaliser des efficiences sur le plan de la main-d'œuvre et de l'énergie, qui représentent les coûts de production les plus élevés, ainsi que dans la protection des cultures, l'amélioration et la différenciation des produits, et la durabilité environnementale.

Le secteur canadien de la production des légumes de serre, en collaboration avec le Comité de la serriculture du Conseil canadien de l'horticulture, a présenté une demande de financement fédéral dans le cadre d'un certain nombre d'initiatives de Cultivons l'avenir 1 et de Cultivons l'avenir 2. Au cours des cinq dernières années, nous avons reçu du gouvernement fédéral une contribution d'environ 1,1 million de dollars pour des initiatives de recherche et développement dans notre secteur, ce qui équivaut à moins de 0,03 p. 100 de nos recettes monétaires agricoles totales. Bien que nous soyons reconnaissants envers le gouvernement de cette aide, qui a servi de levier financier à la réalisation d'un certain nombre de projets de R-D, le faible niveau de la contribution financière a limité notre capacité à investir suffisamment en R-D pour faire progresser davantage notre secteur.

Étant donné la nature de nos systèmes de production, notre secteur dépend beaucoup de l'utilisation des installations de serres expérimentales pour la réalisation de recherches novatrices, notamment le Centre de recherches sur les cultures abritées et industrielles d'AAC situé à Harrow, en Ontario, près de Leamington. Nous attendons avec impatience l'ouverture en juin 2013 des nouvelles serres au Centre de recherches du Sud sur la phytoprotection et les aliments, à London, en Ontario, et de la construction proposée d'une serre de recherches précommerciales au Vineland Research and Innovation Centre. Nous sommes très heureux d'avoir accès à ces installations et aux chercheurs de calibre mondial qui y travaillent, et nous insistons auprès du gouvernement fédéral pour que tous les programmes de financement soient conçus de manière à offrir un accès illimité à ces ressources.

L'un des éléments les plus importants de la sécurité alimentaire est d'assurer aux Canadiens une nourriture salubre et sûre. Les producteurs de légumes de serre de l'Ontario ont à cœur la sécurité alimentaire, chaque ferme devant faire l'objet d'une vérification annuelle externe de la salubrité des aliments. Bon nombre de nos producteurs agricoles ont aussi mis en œuvre des systèmes avancés de traçabilité assurant le suivi d'un produit depuis le consommateur jusqu'à la section exacte de la serre où le produit a été cueilli. Grâce aux programmes de traçabilité et de sécurité alimentaire de notre secteur, nous sommes prêts à faire face aux incidents potentiels relatifs à la salubrité alimentaire.

Cependant, nous sommes très préoccupés par les grandes flambées épidémiques potentielles relatives à la salubrité des aliments et les retombées pour notre secteur, plus particulièrement par le degré de préparation du gouvernement en cas d'épidémie de ce genre.

En septembre 2012, le Comité de la serriculture du Conseil canadien de l'horticulture a écrit des lettres au ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et à la ministre de la Santé pour faire connaître nos inquiétudes à l'égard du degré de préparation du gouvernement. Ces lettres ont été rédigées à la suite de l'incident dévastateur, très publicisé, de la contamination par la bactérie E. coli en Allemagne, issue de graines germées provenant d'Europe, en 2011. Je crois que tout le monde en a entendu parler. Cet incident nous a appris beaucoup de choses, notamment sur : l'ouverture du système alimentaire mondial, par exemple, une Europe sans frontière; l'importance de la préparation de l'industrie et du gouvernement ayant prévu des porte-paroles et un plan de gestion de crise; et surtout, la valeur d'un système de traçabilité global.

L'excellence du système de salubrité alimentaire du Canada est reconnue dans le monde entier et cette réputation doit être conservée grâce à l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan original de gestion de crise qui tiennent compte des besoins du gouvernement, des consommateurs et des secteurs agricoles. Nous encourageons le gouvernement à revoir sa planification afin d'écarter de façon définitive la possibilité que se produise une situation semblable à celle que l'Europe a connue.

Parlons des nouveaux marchés et de l'accès aux marchés. La concurrence à laquelle les producteurs de légumes de serre sont confrontés sur les marchés mondiaux est féroce. Les fruits et légumes de serre sont librement échangés à l'échelle mondiale; le Mexique, les États-Unis et certains pays d'Amérique centrale et du Sud sont les principaux concurrents sur les marchés intérieurs et d'exportation. Dans la plupart des cas, ces concurrents sont des producteurs à faible coût, principalement en raison des coûts de la main-d'œuvre et de la conformité réglementaire. Comme plus de 70 p. 100 de nos fruits et légumes frais sont exportés vers les États-Unis, les échanges commerciaux sont primordiaux pour les producteurs de légumes de serre de l'Ontario.

Étant donné l'importance du marché américain, et la nature périssable de nos produits, même des interruptions intermittentes de l'accès aux marchés peuvent avoir des conséquences désastreuses pour nos agriculteurs. Pour atteindre notre objectif de 1 milliard de dollars de ventes d'ici 10 ans, le secteur de la production des légumes de serre doit créer de nouveaux marchés tout en conservant ses marchés actuels.

Afin de diminuer notre dépendance aux marchés de détail canadiens et américains traditionnels, notre secteur étudie actuellement de nouveaux segments du marché et d'autres débouchés mondiaux. L'un de nos principaux domaines d'étude est l'exploitation du marché des services alimentaires, au Canada et aux États-Unis. Difficile à croire, mais 60 p. 100 des tomates sont consommées dans le secteur nord-américain de la restauration. Cela signifie que seulement 40 p. 100 des tomates sont achetées à l'épicerie.

Pour atteindre cet objectif, le secteur investit dans des études de marché novatrices pour mieux comprendre ce nouveau segment de marché et comment nous pouvons assortir notre offre de produits aux besoins des clients. Grâce à l'aide financière du gouvernement fédéral, l'organisme Les producteurs de légumes de serre de l'Ontario a aussi réalisé récemment, par l'intermédiaire du George Morris Centre situé à Guelph, en Ontario, une étude qui consiste à évaluer le potentiel de marché pour les légumes de serre sur la côte du Pacifique. L'organisme poursuivra ses études pour trouver de nouveaux marchés, et demande au gouvernement fédéral de continuer à fournir de l'aide sur le plan des contributions financières ou des politiques afin de mener à bien ces initiatives.

Bien que la création de nouveaux marchés soit essentielle à une prospérité durable de notre secteur, il est tout aussi important de conserver nos marchés actuels. Pour ce faire, il faut investir dans des activités de promotion et faire en sorte que tous les problèmes d'accès au marché soient réglés.

L'organisme Les producteurs de légumes de serre de l'Ontario met en œuvre plusieurs activités promotionnelles pour commercialiser nos produits auprès des détaillants canadiens et américains. Par exemple, avec l'aide du gouvernement fédéral, il a investi dans un kiosque au salon professionnel organisé par l'Association de distribution de fruits et légumes, le salon le plus important en Amérique du Nord et probablement au monde, afin d'y promouvoir de nos produits. Ces activités de promotion sont vitales pour conserver et accroître notre part du marché, et nous demandons au gouvernement fédéral d'augmenter l'aide offerte aux campagnes de promotion provinciales et régionales.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, les échanges commerciaux sont cruciaux pour notre secteur, notamment les exportations vers les États-Unis. Il est donc primordial que le gouvernement fédéral agisse sans tarder pour contrer les menaces à l'accès aux marchés. Par exemple, deux situations menacent actuellement les échanges commerciaux : l'absence d'un mécanisme efficace de sécurité des paiements et l'absence de soutien de la part de l'ACIA concernant les problèmes phytosanitaires liés aux plantes.

L'absence d'un mécanisme efficace de sécurité des paiements constitue une grave menace à l'accès aux marchés pour les producteurs de serre. Aux États-Unis, la protection offerte par les contrôles législatifs et réglementaires en vigueur est utile aux producteurs et aux négociants de produits périssables. L'absence de mesures semblables établies par le gouvernement canadien est en voie de devenir un important irritant commercial entre les deux pays et pourrait entraîner la perte de la protection offerte aux producteurs de légumes canadiens.

L'initiative du Conseil de coopération en matière de réglementation, lancée par le premier ministre Stephen Harper et le président Barack Obama à la fin de 2011, nous a donné une bonne occasion d'instaurer un système juste et éthique de protection des paiements et de délivrance de permis pour les produits périssables au Canada. Nous encourageons les ministères du gouvernement canadien à établir un programme qui réponde finalement aux besoins de notre industrie ainsi qu'à ceux de notre plus important partenaire commercial, et nous nous réjouissons de cette éventualité. Puisque nos produits sont périssables, ils ne peuvent pas être récupérés si un acheteur ne respecte pas ses obligations de paiement. La mise en œuvre d'un système de sécurité des paiements et de délivrance de permis assurera une protection à l'échelle de l'Amérique du Nord aux agriculteurs et aux négociants canadiens.

La réduction de l'aide de l'ACIA en ce qui a trait à l'évaluation des problèmes phytosanitaires liés aux plantes et à l'application de la réglementation dans ce domaine représente en ce moment une autre menace pour l'accès aux marchés. Le secteur des légumes de serre canadien est très vulnérable à l'introduction d'espèces envahissantes, compte tenu de nos conditions de production idéales et de la grande proximité des produits importés. Nous sommes aussi vulnérables aux espèces envahissantes que pourraient contenir nos produits exportés vers les États-Unis. En effet, un problème phytosanitaire à la frontière pourrait entraîner la fermeture de la frontière américaine pour les légumes de serre canadiens, et cette fermeture serait dévastatrice pour notre secteur. Il est très clair que pour assurer la protection du secteur, une aide additionnelle de l'ACIA est nécessaire.

Dans l'ensemble, il est crucial que le gouvernement fédéral et ses organismes, par exemple l'ACIA, collaborent avec le secteur agricole pour trouver des façons créatives d'utiliser les ressources limitées disponibles pour garder nos marchés actuels ouverts et pour étudier les débouchés possibles, par exemple l'Asie.

En conclusion, le secteur des légumes de serre investit dans de nouveaux processus, procédés et produits novateurs afin d'assurer la production durable de produits sûrs qui répondent aux besoins de notre clientèle diversifiée. Nous demandons que le gouvernement fédéral et ses organismes investissent aussi leurs ressources dans l'élaboration de politiques et de programmes de recherche et développement innovateurs pour que les Canadiens continuent de bénéficier de secteurs agricole et serricole florissants. L'envergure de cet investissement fédéral devrait tenir compte de la taille actuelle et du potentiel de croissance du secteur des légumes de serre, un dossier qui, à notre avis, est mal compris des représentants fédéraux.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le sénateur Mercer : Monsieur Gilvesy, merci beaucoup d'être ici et de nous avoir livré un exposé très informatif.

Vous avez parlé d'une augmentation de l'ordre de 33,8 p. 100 du nombre d'emplois à Leamington, en Ontario, dans l'industrie serricole. Parmi ces travailleurs, combien sont des travailleurs étrangers temporaires?

M. Gilvesy : Des travailleurs étrangers temporaires ou des étudiants du PVT? Il y a aussi le Programme des travailleurs agricoles saisonniers, un programme pour le Mexique et les Caraïbes. Il y a donc environ 3 500 travailleurs dans le secteur des légumes de serre et environ 500 autres qui sont embauchés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires parmi ces 12 000 emplois.

Le sénateur Mercer : Il s'agit donc de 4 000 emplois sur les 12 000 que vous avez mentionnés.

M. Gilvesy : Il y a une différence notable entre le PVT et le Programme des travailleurs étrangers temporaires.

Le sénateur Mercer : Veuillez ajouter la mention de cette différence au compte rendu. Je connais le Programme des travailleurs étrangers temporaires, mais je ne sais pas si nos téléspectateurs connaissent le PVT.

M. Gilvesy : Je vais l'expliquer du mieux possible. D'autres spécialistes du domaine pourraient vous éclairer à cet égard. Par exemple, Ken Forth, le président de FARMS en Ontario, a travaillé pendant 30 ans sur le dossier du Programme des travailleurs agricoles saisonniers et je suis sûr qu'il serait heureux de vous donner les détails.

D'après ce que je comprends, le Programme des travailleurs agricoles saisonniers a été lancé dans les années 1960, pour établir un dialogue Nord-Sud entre le Canada et les Caraïbes, et plus tard, on a augmenté sa portée pour intégrer le Mexique. Ce programme a des règles très strictes. Par exemple, le producteur paye le billet d'avion de ces travailleurs. Le programme est constamment modifié, mais les conditions principales sont que le billet d'avion doit être payé et que les travailleurs doivent être installés dans un logement qui satisfait à des normes minimales et qui est inspecté par les autorités.

D'après ce que je comprends, ces conditions n'existent pas dans le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Il s'agit d'un cadre beaucoup plus souple, et je n'aimerais pas qu'il soit confondu avec le Programme des travailleurs agricoles saisonniers, car ce dernier est très bien contrôlé, géré et surveillé par le gouvernement et le secteur privé, ainsi que par les gouvernements étrangers participants.

Le sénateur Mercer : C'était très informatif. Vous avez dit que 70 p. 100 des produits étaient exportés aux États- Unis. Quels effets les lois liées à la mention obligatoire du pays d'origine sur les étiquettes que les États-Unis continuent de vouloir appliquer aux produits importés ont-elles sur les coûts et les ventes de votre industrie?

M. Gilvesy : À ma connaissance, cela n'a pas empêché nos producteurs de satisfaire aux exigences de l'EPO. Je crois que c'est un obstacle plus important dans le secteur du bétail, mais pour les fruits et légumes, cela n'a pas été un obstacle jusqu'ici.

Le sénateur Mercer : Et la mention « produit du Canada » sur l'étiquette a-t-elle un effet dissuasif sur les acheteurs américains?

M. Gilvesy : Non. Certains d'entre eux disent qu'ils recherchent cette mention.

Le sénateur Mercer : C'est bien.

D'autres représentants du secteur serricole nous ont parlé de la pénurie d'abeilles. Y a-t-il une pénurie d'abeilles sur le marché de l'Ontario? Devez-vous importer des abeilles?

M. Gilvesy : Nous utilisons manifestement des abeilles dans les serres pour la pollinisation de certaines cultures. La question des abeilles est très importante. Certains de mes employés participent à des discussions sur le volet technique de ce problème. En ce moment, il n'y a pas de pénurie, mais on est certainement inquiet au sujet de problèmes futurs qui pourraient se poser en ce qui concerne les abeilles.

Le sénateur Plett : Dans votre exposé, vous avez mentionné à quel point votre travail serait plus facile si le gouvernement fédéral vous aidait un peu plus. Vous avez mentionné un financement du gouvernement fédéral de l'ordre de 1,1 million de dollars pour des initiatives de recherche et développement au cours des cinq dernières années. Combien d'argent votre industrie a-t-elle investi dans les activités de recherche et développement pour équilibrer ce 1,1 million de dollars?

M. Gilvesy : Je ne peux pas répondre à cette question aujourd'hui, car je n'ai pas les données nécessaires en main. Toutefois, nous pouvons certainement les obtenir et vous les faire parvenir.

Le sénateur Plett : Je vous serais très reconnaissant de nous envoyer ces renseignements par l'entremise du greffier.

M. Gilvesy : Je crois que cette somme dépasserait 1,1 million de dollars.

Le sénateur Plett : Vous croyez, mais vous n'êtes pas certain.

M. Gilvesy : Je sais combien d'argent est prévu dans l'ensemble de notre budget de recherche pour les cinq prochaines années, mais il faudrait que je procède à une ventilation pour calculer la somme qui correspond aux initiatives fédérales.

Le sénateur Plett : Vous avez aussi dit que vous aimeriez que tous les programmes de financement soient conçus sans limites d'accès à ces ressources. Pouvez-vous expliquer les limites auxquelles est actuellement soumis l'accès aux ressources?

M. Gilvesy : Oui. Au cours de la dernière étape de Cultivons l'avenir 1, certains des programmes avaient des conditions qui nous empêchaient d'avoir accès aux installations ou aux ressources humaines d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Je crois que cela était lié à une directive du Conseil du Trésor concernant les modalités d'utilisation d'un certain financement à cet égard.

Le programme était conçu pour éliminer les risques que cela ne fonctionne pas. Cela aurait pu s'appliquer à d'autres formes d'agriculture qui avaient accès aux programmes et à de nombreux autres endroits pour effectuer leurs recherches. Toutefois, c'est devenu un gros problème pour le secteur serricole, car on a besoin de serres pour effectuer des recherches liées aux serres. Agriculture et Agroalimentaire Canada a des serres, mais peu d'autres organismes en possèdent. Cela nous met dans une position difficile.

Comme je l'ai dit, cela ne s'appliquait peut-être pas à l'agriculture en plein champ, car ces agriculteurs pouvaient mener leurs recherches dans un champ. Toutefois, pour nous, c'était un problème. En fait, le problème des installations et des chercheurs était un facteur limitant dans le cadre de Cultivons l'avenir 1. D'après ce que nous comprenons, dans le cadre de Cultivons l'avenir 2, ce sera moins un problème. Si nous en parlons aujourd'hui, c'est qu'à notre avis, la conception de ce programme était inadéquate et nous espérons que cela ne sera pas un facteur limitant à l'avenir.

Le sénateur Plett : Vous semblez dire que ce problème a peut-être été réglé dans le cadre de Cultivons l'avenir 2?

M. Gilvesy : J'espère qu'on l'a réglé. Nous ne connaissons pas encore tous les détails de Cultivons l'avenir 2 liés au programme fédéral-provincial à frais partagés. Mais d'après ce que je comprends, ce ne sera pas un facteur limitant.

Le sénateur Plett : Encore une fois, vous avez dit que votre industrie était préparée en cas de crise de salubrité des aliments, mais vous ne croyez pas que le gouvernement est prêt. J'aimerais que vous nous expliquiez cela un peu. De quelle façon, à votre avis, le gouvernement n'est-il pas préparé?

M. Gilvesy : Je crois, sénateur, que j'ai choisi mes mots avec soin. Je n'ai pas dit que le gouvernement n'était pas préparé. Nous avons plutôt demandé si vous alliez mener un examen.

En Europe, il y a eu 34 décès liés à la crise de salubrité. Cela a énormément perturbé le marché. Tout d'abord, on pensait que c'était à cause des concombres, ensuite, on a cru que c'était autre chose, et plus tard, on a accusé les germes biologiques. Pendant trois semaines, c'était le chaos. Le chaos s'est répandu dans l'ensemble du secteur des fruits et légumes frais en Europe et jusque dans la chaîne d'approvisionnement. Les producteurs ont eu énormément de problèmes. Ils ne pouvaient pas vendre leurs produits, car tout le monde avait cessé de consommer des fruits et des légumes frais.

Nous tentons de faire valoir qu'il est essentiel de nous demander si nous sommes prêts et si nous sommes en mesure d'éviter une situation comme celle qui s'est produite en Europe.

Il y a aussi le point de vue commercial. En 2006, je crois, une éclosion a provoqué une crise de salubrité des épinards en Californie. Six ans plus tard, le marché a seulement récupéré 60 p. 100 de la place qu'il occupait en 2006. C'est pourquoi nous posons cette question fondamentale. Une éclosion entraîne des effets immédiats, mais elle peut également avoir des effets à long terme sur le secteur.

Nous ne critiquons pas cette déclaration. Nous pensons seulement qu'il est essentiel de nous demander si nous sommes prêts. La situation de l'Allemagne était unique, car il y avait au moins 30 différents porte-parole du gouvernement ou de différents organismes. Pendant une crise alimentaire de ce genre, il faut avoir une seule personne- ressource. Ce sont de simples questions que nous tenons à poser.

La sénatrice Callbeck : Vous êtes le directeur général des Producteurs de légumes de serre de l'Ontario. Un cultivateur qui souhaite faire pousser des légumes dans une serre doit-il faire partie de votre association?

M. Gilvesy : Oui. Nous sommes en fait une agence de commercialisation autorisée par la Loi sur la commercialisation des produits agricoles de la province de l'Ontario. Ainsi, si vous faites pousser des légumes dans une serre, la loi vous oblige à être membre des Producteurs de légumes de serre de l'Ontario.

La sénatrice Callbeck : À combien s'élèvent les frais d'adhésion?

M. Gilvesy : Ils varient, mais cette année, ils sont 2,51 cents par pied carré.

La sénatrice Callbeck : Combien paie un producteur moyen?

M. Gilvesy : Le producteur moyen cultive 11 acres. Il faudrait que je calcule 11 fois 43 560. Les frais s'élèveraient donc à environ 7 000 $.

La sénatrice Callbeck : Vous menez des activités de recherche, et vous avez mentionné le gouvernement fédéral. Je crois qu'il vous a donné 1,1 million de dollars sur cinq ans. On vous a demandé quelle somme, à votre avis, vous aviez investie et vous n'aviez pas ces données. Recevez-vous de l'argent du gouvernement de l'Ontario?

M. Gilvesy : Oui, nous recevons des fonds limités du gouvernement provincial.

La sénatrice Callbeck : Savez-vous à combien s'élèvent ces sommes?

M. Gilvesy : Encore une fois, je n'ai pas ces données en main. C'est beaucoup d'argent. C'est au moins autant que le financement du gouvernement fédéral.

La sénatrice Callbeck : Combien dépensez-vous approximativement dans les activités de recherche, en tenant compte des frais, de l'argent du gouvernement fédéral et de celui du gouvernement de l'Ontario?

M. Gilvesy : Notre budget de recherche varie. D'année en année, selon la demande, nous dépensons probablement de 500 000 $ à 1 million de dollars dans les activités de recherche, selon les programmes offerts.

La sénatrice Callbeck : Désignez-vous les domaines de recherche, ou est-ce plutôt un chercheur qui vient vous voir et qui vous demande du financement? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Gilvesy : En fait, c'est une très bonne question. C'est un processus qui s'est transformé au cours des années. Il y a des années, les chercheurs nous présentaient leurs idées.

Nous utilisons maintenant un processus de consultation rigoureux. Nous demandons aux producteurs et à tous les intervenants de la chaîne de valeur de déterminer les priorités de recherche. Nous présentons les cinq priorités que nous avons choisies, et nous lançons ensuite un processus d'appel de propositions. Notre comité évalue ensuite ces propositions et détermine celles qu'il veut financer et celles qu'il ne souhaite pas financer. Le système a été inversé, car il est maintenant mené par le secteur.

La sénatrice Callbeck : Comment communiquez-vous les résultats de vos recherches à vos 224 membres?

M. Gilvesy : Ces résultats sont habituellement publiés. Nous avons un bulletin d'information dans lequel nous publions au moins les grandes lignes de ces résultats. Nous utilisons aussi les courriels. Étant donné que nous avons seulement 224 membres, nous avons établi un système de communications très serré avec eux, que ce soit par courriel ou par notre bulletin d'information.

La sénatrice Callbeck : Avez-vous constaté que les producteurs étaient enthousiastes à l'idée d'adopter ces idées innovatrices?

M. Gilvesy : Le secteur serricole est probablement le plus énergique lorsqu'il s'agit d'adopter de nouvelles technologies. C'est en raison de la nature de ses activités. Le secteur mise surtout sur l'innovation et sur les moyens d'améliorer la production et le rendement; c'est un milieu très compétitif. Une grande partie de la motivation de nos producteurs vient de l'innovation et de l'investissement.

La sénatrice Eaton : Je suis une ancienne jardinière, c'est-à-dire que je ne peux plus jardiner autant que j'aimerais. J'adorerais donc avoir votre emploi.

Je vais vous poser deux questions différentes. Il y a quelques semaines, The Wall Street Journal a publié un article intéressant dans son édition du samedi : on disait que le goût et les éléments nutritifs avaient été éliminés de nos aliments, car nous les transformons. Je n'ai rien contre la transformation, mais nous y avons tellement recours que nous détruisons le goût des aliments. Je crois que tout le monde sait qu'en hiver, la plupart du temps, une tomate ne goûte pas la tomate. À votre avis, est-ce que cela représente un défi?

M. Gilvesy : C'est une excellente question. Je pense que vous avez retenu ce que j'ai dit en exposé au sujet de la différenciation. Voilà d'ailleurs le facteur de différenciation essentiel auquel nous nous attardons actuellement. Nous déployons des efforts en ce sens, tout comme certains de nos membres dans le cadre de leur commercialisation. Actuellement, on retrouve probablement 44 produits de tomate différents en épicerie.

La sénatrice Eaton : C'est vrai, et je cherche toujours les tomates de serre de l'Ontario. Je me souviens avoir acheté des tomates raisins en Floride, les seules qui étaient goûteuses.

M. Gilvesy : Nous croyons vraiment qu'offrir une saveur agréable au consommateur est la voie de l'avenir puisque c'est ce qui nous différenciera à long terme.

La tomate de plein champ ou cultivée à la maison est un excellent produit, en fin de compte. Elle regorge de saveur. Les gens se plaisent à manger les tomates qu'ils font pousser eux-mêmes. Le fait est que ce produit n'est disponible que quelques semaines ou un mois par année. Nous sommes toutefois en train d'essayer de produire ce genre de saveur neuf mois par année.

La sénatrice Eaton : En conservant toute la valeur nutritive du fruit?

M. Gilvesy : Nous utilisons la même variété et cultivons le même plant pendant toute cette période. La serriculture me rappelle Jacques et le haricot magique. Le plant ne cesse de pousser. Il n'est donc pas nécessaire de replanter constamment. Il en va autrement du côté des concombres, puisque les producteurs doivent semer quatre fois par année. Du côté de la tomate et du poivron, le même plant continue de produire. Puisqu'il s'agit des mêmes variétés, les plants devraient donner des fruits de la même qualité et la même saveur toute l'année, sous les mêmes conditions.

Pour revenir à votre question fondamentale, la saveur est donc bel et bien un des éléments auquel nous nous attardons pour nous différencier de la concurrence à l'avenir.

La sénatrice Eaton : Parler de saveur est une excellente entrée en matière pour discuter de libre-échange, d'exportation et de concurrence.

Si nous arrivons à conclure un accord de libre-échange avec l'Union européenne, et ultérieurement avec le Japon, l'Inde et certaines régions du Pacifique et de l'Amérique du Sud, ces ententes pourraient-elles vous servir? S'agit-il d'un outil avantageux pour vous sur le plan commercial? Dans quelle mesure tous ces accords vous touchent-ils?

M. Gilvesy : Ce sont de bons outils, mais n'oublions pas que nous parlons de produits périssables. Un concombre ramollit 10 ou 11 jours seulement après son achat en épicerie. Du côté des produits qu'il pourrait être possible d'exporter, on peut probablement penser à la tomate, naturellement, mais c'est sans doute le poivron qui se conserve le plus longtemps et qui se prête le mieux à une exportation aussi lointaine.

La sénatrice Eaton : Croyez-vous qu'il y a un marché de ce côté?

M. Gilvesy : Oui. L'analyse réalisée par le George Morris Centre et d'autres renseignements que nous avons recueillis révèlent que le marché mondial se segmente. Certains consommateurs veulent uniquement des aliments bon marché, puisque c'est tout ce qu'ils peuvent se permettre, mais un autre segment de marché bien nanti est prêt à payer plus pour se procurer de nouveaux produits exotiques du Canada, dans cet exemple.

La sénatrice Eaton : Surtout s'ils sont goûteux.

M. Gilvesy : C'est exact. Si les consommateurs perçoivent la valeur ajoutée du produit, nous croyons que c'est une proposition tout à fait louable.

La sénatrice Tardif : Vous avez dit dans votre mémoire que l'absence de mécanisme de paiement sécurisé compromet sérieusement l'accès des exploitants de serre au marché américain. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Qu'entendez-vous par là? Comment un tel mécanisme favoriserait-il les échanges commerciaux, et comment pourrait- on en créer un?

M. Gilvesy : Merci infiniment de cette bonne question.

Les États-Unis se sont dotés d'un texte législatif qu'on appelle la PACA Trust. La PACA, c'est la Perishable Agricultural Commodities Act, la loi américaine sur les produits agricoles périssables. Je crois que l'outil a été mis en place dans les années 1950. Aux yeux des créanciers, cela signifie que les producteurs qui vendent des produits périssables comme des fruits et des légumes frais sont les mieux placés pour obtenir l'argent. Ils seront payés. On ne tient pas d'inventaire de produits périssables puisque ceux-ci pourrissent après 10 jours ou deux semaines. Si vous ne vendez pas les produits, vous allez les sentir. C'est dans cette optique que les États-Unis ont mis en place la PACA Trust, qui protège les producteurs de fruits et de légumes frais. Le Canada n'a toutefois aucun outil semblable.

Lorsque nos membres exportent aux États-Unis, ils profitent eux aussi de cette protection s'ils appliquent correctement les protocoles en raison du fonctionnement de la loi. Par conséquent, les Canadiens qui exportent aux États-Unis sont protégés. Mais puisque les producteurs canadiens ne bénéficient pas d'une telle protection sur leur marché intérieur, les exportateurs américains ou étrangers n'y ont pas droit non plus lorsqu'ils vendent au Canada.

Le président américain et notre premier ministre en discutent d'ailleurs au sein du Conseil de coopération en matière de réglementation, ou CCR. Les Américains ont laissé entendre qu'ils aimeraient que le Canada prenne des mesures à cet égard, et d'autres aussi. Nous croyons qu'il s'agit là d'une occasion de rectifier le tir. Cette absence de protection est problématique depuis longtemps dans le secteur horticole canadien, et nous avons hâte que la situation soit corrigée dans une certaine mesure.

Les autres partenaires commerciaux des États-Unis font pression et veulent savoir pourquoi le Canada bénéficie d'un tel traitement préférentiel aux États-Unis. Nous craignons que les Américains cessent de nous offrir cette protection puisque le Canada n'assure pas une protection semblable à leurs exportateurs. L'Ontario exporte 500 millions de dollars de fruits et de légumes frais aux États-Unis. C'est donc un risque additionnel considérable.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie d'avoir expliqué le facteur de risque.

Avez-vous l'impression que le gouvernement canadien passera rapidement à l'action ou qu'il appuiera cette proposition?

M. Gilvesy : À vrai dire, le CCR tient des rencontres à ce sujet depuis un an et demi. En fait, nous avons une autre réunion au Canada demain. Beaucoup de travail est réalisé dans les coulisses. À mon avis, il faudra au bout du compte une certaine volonté politique pour que le projet se concrétise.

Il devrait selon nous y avoir une certaine volonté politique puisque le premier ministre canadien et le président des États-Unis reconnaissent le problème. Nous croyons également qu'une grande volonté politique est nécessaire pour que le projet devienne réalité, et nous avons bon espoir que la Chambre et le Sénat appuieront les efforts déployés en ce sens.

La sénatrice Tardif : Je vais m'arrêter ici pour laisser du temps aux autres.

La sénatrice Buth : Pouvez-vous me dire de quoi vous avez besoin? De lois ou de règlements?

M. Gilvesy : Pas d'argent en tout cas, ce qui est le grand avantage. Nous savons ce que c'est que de demander de l'argent pour régler ce genre de problèmes.

Il faudrait probablement modifier la Loi sur la faillite et l'insolvabilité — ce dont il est question lors des rencontres, entre autres. Voilà un des aspects.

Pour ce qui est des permis actuellement délivrés par l'Agence canadienne d'inspection des aliments, ou ACIA, nous croyons qu'une des propositions pourrait mener à l'adoption d'un système de permis unique. Pour l'instant, deux types de permis permettent d'évoluer dans le secteur des fruits et des légumes frais. Celui qui se comporte mal peut passer d'un permis à l'autre en criant ciseau. Il y a des problèmes du côté des permis, mais nous croyons que ce volet sera réglé.

Il faut un mécanisme équivalant à la fiducie américaine. Pour l'instant, le problème est de déterminer en quoi consiste cette équivalence. Nous ne trouverons peut-être aucun outil correspondant exactement à celui des Américains en raison de nos systèmes différents, mais c'est le résultat qui compte. Il ne faut pas perdre de vue cet objectif.

[Français]

Le sénateur Rivard : Les sénatrices Tardif et Buth ont posé des questions concernant le programme de sécurité de paiement. Est-ce que votre organisme a déjà évalué le coût d'un tel programme ou est-ce que vous connaissez le coût du programme américain pour l'implantation d'un tel programme de garantie de paiement?

[Traduction]

M. Gilvesy : Le programme américain ne coûte rien puisqu'il passe par la loi américaine sur la faillite, qui met les créanciers en meilleure posture. Ce n'est pas une question de coût. En fait, c'est l'industrie qui absorbe la plupart des coûts liés à la PACA dans d'autres domaines. L'avantage du programme, c'est qu'il ne coûte rien. Ce n'est qu'une loi.

[Français]

Le sénateur Rivard : Selon vous, y a-t-il d'autres domaines d'exportation qui ont un tel programme de garantie, même si ce ne sont pas des produits périssables? Par exemple, les producteurs de bois, les producteurs de porc, de bœuf qui exportent, ont-ils un tel programme de garantie de paiement, à votre connaissance?

[Traduction]

M. Gilvesy : Je connais bien le programme dont bénéficient les céréaliculteurs, à savoir le Programme de protection financière des producteurs de céréales. Ils sont donc protégés. D'autres secteurs agricoles canadiens ont différentes protections financières. Par exemple, les agences de commercialisation imposent des exigences de garanties aux acheteurs, qui sont intégrées au système. Ceux qui versent un cautionnement avant d'obtenir un permis paieront évidemment, sans quoi l'argent sera retiré de leur cautionnement. Il existe donc différents mécanismes et divers outils; la réponse est oui.

Le sénateur Mercer : J'ai une remarque sur une chose que nous souhaiterons peut-être faire. C'est la première fois que nous entendons parler de tout cela, et je ne voudrais pas que nous tournions en rond. Nous ferions peut-être mieux de demander au ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire quelle importance il accorde à la question dans sa planification puisqu'il faudra s'y attarder un jour ou l'autre.

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, êtes-vous tous d'accord pour que nous le demandions au ministère?

Le sénateur Mercer : Nous pourrions lui demander s'il a prévu quoi que ce soit à ce chapitre.

M. Gilvesy : J'aimerais préciser au comité que le secrétariat du CCR diffuse constamment de l'information sur son site web. Les intervenants sont tenus au courant de l'avancement des travaux. Un certain nombre de projets du CCR touchent l'agriculture, dont la stratégie du périmètre de sécurité nord-américain, un projet sur l'harmonisation des pesticides et un autre sur la salubrité alimentaire.

Le président : Nous ferons le suivi.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur Gilvesy. Je vais retourner à l'essence même de notre mandat.

Il y a un nombre impressionnant de serriculteurs au Canada et vous faites un excellent travail. Nous avons eu l'occasion d'en visiter plusieurs. Je souhaiterais qu'il y ait autant d'aquaculteurs que de serriculteurs, nous aurions une meilleure qualité de poisson.

Ceci étant dit, l'énergie est la base de votre serriculture. Comment l'énergie a-t-elle évolué au cours des années pour en arriver à la qualité de produits que vous récoltez? L'énergie est quand même un élément très important dans votre forme de serriculture.

[Traduction]

M. Gilvesy : Habituellement, l'énergie et la main-d'œuvre représentent les deux tiers du coût de production en serriculture. L'énergie est donc un des principaux éléments. Lorsque nous avons constaté une petite hausse des coûts énergétiques il n'y a pas si longtemps, l'énergie représentait à elle seule le tiers du coût de production. Nous avons un peu de répit grâce au gaz naturel, mais les exploitants de serre s'attardent beaucoup à l'énergie puisque celle-ci représente toujours une part importante de leurs coûts.

La question nous intéresse beaucoup dans le cadre de nos activités de recherche sur l'énergie. Nous nous attardons aux différents types de revêtements, à la façon de cultiver sous les toiles et aux différents types de verres et de plastiques. Évidemment, toute économie énergétique possible compte.

Nous nous intéressons aussi aux divers carburants que nous avons le droit d'utiliser. Dans le passé, beaucoup de travaux ont été réalisés sur la disponibilité des biocombustibles en serriculture. Voilà un exemple d'étude sur les carburants de remplacement en serriculture.

[Français]

Le sénateur Maltais : J'aimerais revenir sur la biomasse. Vous connaissez sans doute les serres Savoura au Québec. Une très grande partie de leur énergie provient de la récupération de biomasse, et la partie manquante provient du gaz naturel. Est-ce que cela se fait dans d'autres coins du pays ou si c'est unique à Savoura?

[Traduction]

M. Gilvesy : J'ai bien peur de ne pas être au courant et de ne pas pouvoir répondre à la question. Je ne connais pas exactement la technologie énergétique employée par Savoura. Je pourrais demander à nos chercheurs de me dire qui, parmi nos producteurs, utilise une technologie comparable.

Le président : Le comité a appris que Savoura est chef de file dans ce type d'énergie.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je comprends que l'entreprise est un chef de file, mais s'il y a un chef, il doit y avoir une file derrière!

Le président : Ce serait une bonne question à leur poser.

Le sénateur Maltais : Dernière question. Nous avons vu qu'il y a un échange entre l'Ontario et le Québec. Je reprends l'exemple de Savoura qui, pendant la saison hivernale, envoie à toutes les semaines je ne me souviens plus exactement du nombre des conteneurs de petites tomates en Ontario et, en retour, vous nous envoyez des concombres parce qu'il n'y a pas beaucoup de serriculture de concombres au Québec. Est-ce que cela se fait entre d'autres provinces également ou est-ce qu'il y a seulement l'Ontario et le Québec qui font cet échange de bons procédés?

[Traduction]

M. Gilvesy : Ce genre d'échanges se limitent pas mal au Québec et à l'Ontario. Par exemple, il arrive que la Colombie-Britannique, un grand producteur, ait un surplus en cours de saison. Puisqu'elle produit parfois une quantité de fruits et de légumes frais supérieure à la demande de ses marchés du corridor qui relie la Colombie-Britannique à la Californie, elle finit par en expédier vers l'est aussi. De la même façon, si elle manque de produits et que nous avons un surplus, nous enverrons nos fruits et nos légumes jusqu'aux Rocheuses, mais c'est rare. Je pense que c'est une simple question de proximité.

Savoura et d'autres producteurs québécois ont eu de bons résultats avec la culture sous éclairage artificiel. Ils peuvent ainsi produire des tomates à l'année. Nous visons nous aussi un approvisionnement de 12 mois par année dans toute la gamme de produits ontariens. Voilà sur quoi portent une partie de nos recherches.

La sénatrice Buth : Vous avez répondu à la plupart de mes questions, mais je me demande quel est le coût du développement en serriculture, et si le secteur a du mal à attirer de nouveaux travailleurs ou des jeunes.

M. Gilvesy : L'âge des producteurs pose problème dans le secteur agricole d'un bout à l'autre du Canada, mais pas en serriculture. Les membres du conseil d'administration sont des producteurs, et vous n'avez qu'à leur demander leur âge pour constater qu'ils ont bien moins que la moyenne des producteurs d'autres secteurs agricoles.

Par ailleurs, le secteur n'a aucun mal à attirer les investisseurs. Vous pouvez voir notre croissance. Plus de 350 millions de dollars ont été investis dans des serres, ce qui indique que les exploitants du secteur ont accès au crédit et que les investisseurs y voient une occasion de croissance et de rendement du capital investi. Nous n'avons vu aucun chiffre négatif à ce jour.

La sénatrice Buth : Vous avez dit que le secteur de la restauration achète 60 p. 100 des tomates produites. Il s'agit surtout de restaurants traditionnels et rapides, j'imagine.

M. Gilvesy : Oui, mais aussi des installations publiques en général, des universités et d'autres établissements scolaires.

La sénatrice Buth : Que faites-vous pour essayer d'accaparer une plus grande part du marché?

M. Gilvesy : Une chose intéressante, c'est que le secteur de la restauration a besoin de tomates différentes. Certaines des tomates cultivées pour les marchés de détail ont tendance à être juteuses mais à facilement perdre la partie gélatineuse. Les gens du secteur veulent des tomates faciles à trancher, pour ne pas perdre la partie intérieure. Voilà une des raisons pour lesquelles les producteurs de tomates de serre doivent mettre au point des variétés qui conviennent mieux au secteur de la restauration.

En voici un autre exemple. Nous connaissons tous la chaîne Tim Hortons. Chaque année, cette celle-ci consomme 17 millions de livres de tomates. Le secteur des producteurs de légumes de serre en cultive 400 millions de livres, alors nous pourrions facilement fournir à cette chaîne toutes les tomates dont elle a besoin. Cela représenterait environ 5 p. 100 de notre production. Si nous pouvions produire la bonne tomate et approvisionner les Tim Hortons, les McDonald ou toute autre chaîne de ce genre, cela aurait un immense impact.

Le sénateur Oh : Monsieur Gilvesy, bienvenue au Sénat. Votre industrie m'impressionne beaucoup. Vous avez établi, au Canada, un système de salubrité alimentaire de qualité supérieure, qui est reconnu dans le monde entier. Il s'agit d'un facteur clé pour nos produits exportés.

Avez-vous élaboré un plan directeur pour atteindre votre objectif de ventes de 1 milliard de dollars d'ici 10 ans? Quels marchés d'exportation visez-vous?

M. Gilvesy : À mon avis, la plus grande partie de la croissance aura lieu dans le secteur de la restauration. Il nous serait plus difficile d'exporter en dehors de l'Amérique du Nord. Il est certainement plus efficient de transporter nos produits par camion que par avion parce que les 120 millions de clients que nous visons vivent à moins de 10 heures de route de la plupart de nos producteurs. Selon moi, c'est dans le secteur de la restauration que nous connaîtrons le plus de croissance.

Le sénateur Oh : Dans votre mémoire, vous avez dit que vous comptez évaluer le potentiel du marché des pays riverains du Pacifique.

M. Gilvesy : Oui.

Le sénateur Oh : Selon moi, ce marché aurait beaucoup de potentiel.

M. Gilvesy : Comme je l'ai dit, le centre George Morris a réalisé une étude pour nous au sujet de ce marché visé. Dans ma vie antérieure, j'ai beaucoup voyagé dans cette partie du monde. Des villes comme Hong Kong et Singapour n'ont absolument aucune capacité de production, mais une forte population, alors nous pensons que cette région présentera d'excellentes possibilités.

Le sénateur Oh : De nos jours, il y a beaucoup de vols directs entre Toronto, Beijing et cette région. J'ai fait le voyage à destination de Toronto avec de grandes lignes aériennes privées de la Chine.

À l'heure actuelle, nous exportons du homard vivant en Chine. Je me suis justement rendu là-bas le mois dernier pour faire la promotion du poisson d'eau douce du Canada. Je vois que vous avez un système de traçabilité. Il est également possible de voir dans quel lac les poissons ont été pris. Votre système est formidable.

Si vous cherchez de nouveaux marchés dans les pays riverains du Pacifique, je serais prêt à vous aider.

M. Gilvesy : Merci beaucoup. Nous serions ravis de bénéficier de votre aide.

Le président : Monsieur Gilvesy, merci beaucoup de nous avoir fait part de vos réflexions et de vos opinions.

[Français]

Nous allons rencontrer Mme Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale du Québec, dans la deuxième portion de notre réunion.

Honorables sénateurs, au cours de la deuxième heure de cette réunion du Comité de l'agriculture et des forêts, nous avons le plaisir de recevoir Mme Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale du Québec.

Madame Bolduc, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes notre dernier témoin avant le début de la préparation de notre rapport final.

[Traduction]

La présidence a-t-elle la permission de distribuer le mémoire, même si nous avons seulement la version française? Quand la traduction sera terminée, la version anglaise vous sera remise.

Des voix : D'accord.

[Français]

Le président : Ceci dit, la parole est à vous, madame Bolduc. Nous suivrons avec des questions.

Claire Bolduc, présidente, Solidarité rurale du Québec : Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier d'avoir adressé une invitation à Solidarité rurale du Québec pour discuter de l'innovation et de la recherche dans le secteur agricole et agroalimentaire canadien. Je vais m'en tenir au maximum au texte déposé pour être certaine de ne pas dépasser le temps.

Je vais traiter de deux sujets ce matin : le premier, c'est une éventuelle politique fédérale de la ruralité; le second, la recherche en agroalimentaire et agriculture au Canada.

Solidarité rurale du Québec est une coalition d'organismes québécois, de grandes organisations québécoises qui, depuis maintenant 22 ans, a milité et œuvré à la promotion, à la revitalisation et au développement du monde rural, de ses villages et de ses communautés. Nous militons pour que deux principes essentiels soient retenus : le droit des ruraux à la différence et leur droit à la prospérité.

Le modèle de développement que nous soutenons trouve ses assises dans la Déclaration du monde rural adoptée en 1991, à l'issu des états généraux du monde rural qui misent sur la spécificité du monde rural au plan de son environnement naturel comme de son organisation sociale et culturelle. Plus encore, le modèle reconnaît que le monde rural n'est plus exclusivement agricole; il est multifonctionnel et très diversifié. La ruralité québécoise se distingue également par une reconnaissance; l'État québécois reconnaît le fait rural et par des piliers qui lui sont propres.

Nous existons depuis 1991, mais, en 1997, le gouvernement du Québec reconnaissait le travail de Solidarité rurale du Québec et nous confiait le mandat d'instance-conseil auprès du gouvernement sur les questions de la ruralité pour l'ensemble du territoire québécois. À ce titre, notre intervention interpelle plus d'une dizaine de ministères dont l'action touche les milieux de vie ruraux.

C'est pourquoi nous avons émis plusieurs avis, dont un sur une politique nationale de la ruralité. Le Québec a adopté la première de ces politiques en 2001. Elle s'appliquait de 2002 à 2007. La seconde s'appliquait de 2007 à 2014, et le gouvernement du Québec s'apprête à la renouveler.

Le Québec demeure à ce jour la seule province dotée d'une politique territoriale de développement rural, bien que d'autres provinces soient dotées de politiques sectorielles. Il a également une responsabilité ministérielle propre en matière de ruralité et l'instance conseil qui est devant vous.

Nous avons toujours soutenu et milité que le développement du monde rural ne peut pas reposer uniquement sur des politiques sectorielles, comme la politique agricole ou la politique forestière. Il doit reposer sur une politique qui prend en compte toutes les réalités du monde rural. Il est important de rappeler que 95 p. 100 du territoire canadien est rural. Au Québec, c'est 85 p. 100 du territoire qui est rural. Dans ce contexte, 6 p. 100 de la population vit en milieu rural pratique ou vit de l'activité agrivole, et 94 p. 100 des ruraux pratiquent d'autres types d'activités. La ruralité est multifonctionnelle.

Ce n'est pas la première fois que Solidarité rurale du Québec invite le gouvernement fédéral à se doter d'une politique rurale canadienne globale afin de répondre aux réalités des communautés rurales du Canada. Si on écoute nos propos avec beaucoup de politesse, on souhaite maintenant que des réponses soient données.

Nous relançons cette invitation car, selon nous, parler d'innovation et de recherche dans le secteur agricole et alimentaire invite et oblige à parler en même temps du développement de toute la ruralité qui est garante aussi du développement de tout le pays.

Il est aussi impossible de parler de l'exploitation des richesses naturelles, d'éducation, de nouvelles technologies, d'environnement, d'emplois manufacturiers ou de culture sans faire reposer nos interventions sur une vision globale. Les territoires ruraux sont multifonctionnels. On y vit, on y voyage, on y produit des biens et services et ils ont un rôle régulateur sur l'environnement tant naturel que social. Ce que l'on vit, visite ou produit diffère grandement d'un milieu rural à l'autre, d'un village à l'autre, d'une ruralité à l'autre. Les décisions de l'État doivent, en conséquence, tenir compte de ces multiples réalités et asseoir ses décisions sur une véritable pensée territoriale. Toutefois, pour que cette façon de voir le développement global de la ruralité soit efficiente et porteuse, elle ne doit pas se faire en vase clos. La ruralité est ouverte sur ses voisins, les autres villages ou les villes.

Une politique rurale canadienne, pour qu'elle soit efficace, devra donc être axée sur la complémentarité rurale/rurale et rurale/urbaine. Tous les territoires canadiens auront à gagner à miser sur leurs atouts, à les développer et à travailler ensemble.

J'aimerais citer une étude faite par le Conference Board du Canada, déposée en 2009, qui confirme ce que Solidarité rurale dit depuis longtemps. Au Québec, les communautés rurales sont l'autre moteur économique. Cette étude précise que si 25 p. 100 de la population du Québec habite en milieu rural, cette population génère 30 p. 100 du PIB; 370 000 emplois dans les villes dépendent directement de l'activité issue des communautés rurales. On le constate, les communautés rurales ne sont pas une charge pour la collectivité québécoise, mais une contribution réelle à la prospérité globale. Il est permis de croire que c'est vrai également au Canada.

Nous croyons que le Canada doit se donner un cadre d'action et de réflexion qui soit basé, qui tienne compte et qui respecte les différences qu'on rencontre sur chacun des territoires. Les communautés doivent pouvoir disposer de vrais leviers pour influencer et travailler elles-mêmes sur leur développement pour mobiliser leurs ressources et prendre leur avenir en main.

J'aborde maintenant un second point essentiel pour une ruralité prospère, pour soutenir efficacement le secteur agricole. Le secteur agricole est un secteur pour qui le milieu contenu dans l'espace rural est primordial.

Dernièrement, le gouvernement a annoncé l'abolition de 350 postes au sein d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Les employés touchés travaillent à la Direction générale des sciences et de la technologie et à la Direction générale des services à l'industrie et aux marchés. Des scientifiques, des ingénieurs, des biologistes, des directeurs de recherche et des agents d'approvisionnement perdent ainsi leur emploi. Ajoutons à cela les coupures dans les centres de recherche, un an auparavant, et celles dans le Secrétariat rural du Canada, qu'on considère à toutes fins pratiques abolies. Ces pertes d'emploi, qui sont souvent des pertes d'emplois dans les milieux ruraux, sont de bien mauvaises nouvelles pour les régions du pays. Plus encore, elles annoncent la diminution de nos capacités à innover dans les processus agricoles, à soutenir l'innovation dans l'agroalimentaire et à être concurrentiel sur le plan international.

À court terme, les dépenses de la fonction publique subiront un régime minceur. À moyen terme, notre agriculture et les territoires qui y sont associés verront non seulement leur compétitivité décroître, mais ils perdront également leur capacité à se renouveler et à faire face aux défis sans cesse grandissant de produire et de maintenir des milieux de vie attrayant. Or, les enjeux de recherche en agriculture sont trop nombreux et grands. Pensons aux OGM, à la surutilisation des pesticides, à la pollution des nappes phréatiques, de notre eau potable, à la capture du carbone, au réchauffement climatique et à la population qui est grandissante et qu'il faudra nourrir ici au Canada comme ailleurs dans le monde. Ces enjeux sont capitaux pour nous, nos enfants et nos petits-enfants. Voulons-nous vraiment, citoyens du Canada, laisser les intérêts privés, souvent étrangers, décider à notre place de l'avenir de notre agriculture, de notre environnement et de notre société? Actuellement, la recherche reposera exclusivement sur les épaules des entreprises qui sont habilitées à le faire. Veut-on devenir dépendant d'approvisionnements étrangers et ce, au détriment de valeurs tels le respect des gens, de l'environnement et de l'éthique? Quand on regarde ce qui se fait dans le secteur privé en matière agricole, on a tout lieu de s'inquiéter.

L'État, dans sa responsabilité première d'assurer la subsistance de sa population, en sa qualité de fiduciaire du sol et des ressources naturelles du pays et en sa qualité de représentant de tous les citoyens, doit assumer son rôle. Il doit mettre fin à l'effritement de nos capacités publiques de recherche fondamentale et appliquée en agriculture et en agroalimentaire. Il doit également s'assurer que la recherche respecte le sol, l'air et l'eau, mais également les communautés rurales où se déroulent la plupart des interventions agricoles, ainsi que tous ses commettants des villes comme des campagnes qui consomment ses produits.

Solidarité rurale du Québec lance aujourd'hui cet appel au gouvernement car l'enjeu est trop important et le besoin d'éthique en matière de recherche appliquée et fondamentale trop grand pour laisser à d'autres que nous, les citoyens, représentés par l'État, le droit de créer notre propre avenir.

En conclusion, nous n'avons jamais cessé de réclamer au gouvernement fédéral un cadre global pour traiter des questions rurales. Sans une politique rurale globale, on continuera, par des décisions strictement comptables, à affaiblir le monde rural par des programmes sectoriels inadaptés, par des déréglementations qui réduisent l'accessibilité des services et par des normes mur-à-mur inadaptées. C'est pourquoi nous appelons, une fois de plus, à une politique rurale globale qui n'est pas que des sommes d'argent, mais qui est d'abord et avant tout une approche transversale qui amène plus de cohérence et plus de synergie entre les secteurs, entre les ministères et entre les différents ordres de gouvernement. C'est pourquoi nous réclamons aussi que l'État joue pleinement son rôle en matière d'avenir du secteur agricole en soutenant efficacement les efforts de recherche et d'innovation.

Je vous remercie de votre attention et suis prête à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, madame Bolduc. Très belle présentation. Le premier sénateur à poser des questions sera le vice-président, le sénateur Mercer. Il sera suivi des sénateurs Maltais, Eaton, Rivard et Buth.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup pour votre exposé. J'ai remarqué que votre siège social se trouve à Nicolet. Une formation précédente de notre comité a visité Nicolet. Nous avons tenu une réunion à l'hôtel de ville, alors nous savons d'où vous venez.

Votre exposé était intéressant. Nous comprenons beaucoup mieux l'importance du Canada rural quand nous regardons le Québec rural, compte tenu de la superficie de celui-ci. Si vous deviez choisir une seule chose que le gouvernement fédéral pourrait faire pour favoriser le développement et le bien-être du Québec rural, que choisiriez- vous?

[Français]

Mme Bolduc : Je vous remercie de votre question. Je parlais un peu plus tôt d'une vision transversale. S'il est une chose que le gouvernement canadien pourrait faire pour l'ensemble des communautés rurales, tant québécoises qu'ailleurs au pays, c'est bien d'avoir cette réflexion transversale sur les différentes interventions de l'État canadien, sur les façons d'intervenir dans les milieux et sur les façons d'obliger les ministères et organismes à réfléchir à la ruralité.

Solidarité rurale du Québec a ses assises au Québec, mais d'autres provinces canadiennes, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Ontario, le Manitoba et même l'Alberta, nous sollicitent beaucoup pour qu'on les aide à se doter de mécanismes de réflexion similaires pour leur ruralité. Toutefois le gouvernement canadien intervient à des niveaux différents. Il prend des décisions sur des aspects qui touchent directement la vie dans les milieux ruraux partout au Canada.

Je donnerai l'exemple de la Société canadienne des postes qui prend des décisions à peu près strictement comptables, alors que si on se dotait d'une vision réelle de la ruralité canadienne, on réfléchirait de façon plus pointue aux impacts et aux décisions. Quand on ampute des services dans des communautés rurales qui ont déjà peu de services et qui sont déjà dépourvues d'autres types de services, par exemple Internet haute vitesse et que les populations n'ont pas accès à des mécanismes de transport efficace, on vient de briser une chaîne de vitalité dans les milieux ruraux. Avoir une obligation de réfléchir sur le plan transversal à l'impact des décisions prises dans un secteur donné, met cet impact-là sur l'ensemble des collectivités dans leurs différences propres, cela oblige à avoir une réflexion qui est plus large que la seule réflexion comptable. On pourrait parler des décisions du CRTC et d'autres types de décisions, mais une réflexion transversale amène une vision très différente des enjeux et de la façon dont on peut répondre aux enjeux sectoriels, mais de façon transversale.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Au fil des ans, on a demandé aux gouvernements de prendre leurs décisions en tenant compte de l'égalité des sexes et des réalités linguistiques. Notre comité demande sans cesse au gouvernement d'également tenir compte des réalités du Canada rural.

Au moment de prendre des décisions, le gouvernement ne doit pas se demander quelles en seront les répercussions sur le centre-ville de Montréal ou sur celui de Québec, mais bien plutôt, quelles en seront les répercussions sur Nicolet ou Rimouski, sur les plus petites régions rurales du pays. Je pense que nous sommes sur la même longueur d'ondes à cet égard.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame Bolduc. Je vais faire un petit retour en arrière. Dans les années 1990, je siégeais à un autre parlement où, pour la première fois, nous avions fait appel à Solidarité rurale du Québec pour la coordination des différents ministères sur les territoires « inoccupés » — comme on les appelait — suite au désastreux BAIQ dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, qui avait fermé des dizaines de villages d'une façon que je qualifierais de « sauvage » à l'époque.

Vous avez été créé un peu à partir de cela et dans d'autres régions du Québec. J'aimerais d'abord vous féliciter pour votre travail parce que ce que vous avez fait a permis d'arrêter une bonne partie l'exode des jeunes vers les grandes villes. Ce que l'on retrouve maintenant dans les ruralités ce ne sont plus des gens de mon âge, mais plutôt du vôtre qui se sont pris en main grâce à votre organisme et d'autres services de la société civile et des sociétés d'État pour permettre que les jeunes puissent vivre dans leur village. De là sont nés, à partir de l'intelligence et de la recherche de ces jeunes et d'organismes comme le vôtre, de petites entreprises dans le domaine de l'élevage de moutons, d'agneaux, de fabrication de petits fromages de haute gamme — que la sénatrice Eaton adore — et d'autres points. Ils ont recréé un sens de la vie dans les villages. Et comme vous l'avez si bien dit, ils ne sont pas tous des agriculteurs, mais la façon de vivre de ces gens tourne à la base de l'agriculture.

Il est très important que notre territoire soit occupé par des familles, par des gens qui vont y vivre et dont l'agriculture sera une base. On peut bien ajouter la foresterie, mais aujourd'hui, elle n'a plus la même vocation d'il y a peut-être 10 ou 15 ans.

Là où je veux en venir, c'est qu'en l'an 2000, le gouvernement du Canada avait demandé un rapport sur la ruralité qui avait été déposé vers 2001. Il avait été fait au Québec en collaboration avec l'ENAP. Je ne crois pas que les gouvernements successifs ont donné suite à ce rapport. Il avait été rédigé par des chercheurs, dont votre groupe faisait partie. Je pense qu'il est resté sur les tablettes quelque part. En ce sens, c'était l'innovation également de chercher de nouvelles façons de bien occuper le territoire et d'en tirer le maximum sur le plan agricole. Cela permettrait une vie communautaire et culturelle autour de ces micro-entreprises.

Quels seraient les leviers dont les communautés devraient disposer pour vous permettre de continuer ou d'accélérer ou de stabiliser, et prendre un peu d'expansion le travail que fait votre organisme?

Mme Bolduc : Je vais répondre à votre question en deux temps. D'abord, j'ai parlé du territoire rural comme étant un territoire multifonctionnel. Vraiment, l'agriculture va continuer de se pratiquer en milieu rural et elle va imprégner non seulement le territoire et les activités, mais le paysage. Il faut toutefois savoir que l'agriculture est une des nombreuses activités que l'on retrouve en milieu rural. La foresterie occupe tout de même, dans certaines régions, près de 30 p. 100 de l'activité des villages ruraux, et c'est 18 p. 100 de l'activité manufacturière qui se répartit dans les communautés rurales tout comme le tourisme et les activités culturelles. C'est ce dont on parle quand on parle de milieux multifonctionnels.

Les activités minières constituent dans certaines régions jusqu'à 40 p. 100 de l'activité économique des communautés rurales, mais on parle d'environ 5 p. 100 sur la base du Québec. Et évidemment, ces chiffres-là sont ceux que Solidarité rurale du Québec maîtrise, mais il est permis de croire que ce ne serait pas très différent au Canada. Les proportions seraient probablement semblables. On a produit, en 2010, un avis qui parlait de l'occupation et de la vitalité des territoires où on disait qu'il faut habiter nos territoires et les desservir. Ce n'est pas seulement en termes de services publics, mais également en termes de services privés. Il faut les développer, donc miser sur les atouts et ressources qu'on retrouve dans chacun de ces territoires et il faut se les approprier, notamment sur le plan culturel et patrimonial et vivre dans les milieux.

Pour le rapport de 2001, c'est à ce moment-là qu'avait été proposée, par Solidarité rurale du Québec, une première politique fédérale de la ruralité.

Quant aux leviers, je vais vous parler de l'expérience au Québec avec la politique nationale de la ruralité québécoise. Elle s'articule autour de trois axes principaux.

Le premier élément, c'est justement une vision de l'importance des territoires ruraux et de leur contribution à la prospérité du Québec, en conséquence d'une façon de réfléchir les interventions sur les territoires qui tiennent compte des particularités et des différences.

Deuxième élément, ce sont des moyens concrets. D'abord, des agents de développement ruraux qui animent les milieux et qui se font la courroie de transmission de la volonté, de la mobilisation et de l'énergie que les milieux peuvent déployer pour leur propre développement. On pense que le devoir de se développer appartient aux milieux et que l'État peut accompagner ou soutenir par des leviers. Le principal levier est toutefois une enveloppe budgétaire qui est un pacte rural, donc des sommes d'argent qui sont remises aux milieux ruraux sans qu'on leur dise de quelle façon utiliser lesdites sommes. On leur laisse le loisir de déterminer quels sont leurs principaux besoins et de quelle façon ils utiliseront au mieux ces sommes. Et le pacte rural, dans sa particularité, interpelle les citoyens. C'est donc une mise en marche des communautés dans l'avenir, dans le développement, dans le déploiement des ressources de leur propre milieu. C'est important parce qu'on veut sortir les citoyens d'une position d'attentisme. On veut qu'ils soient actifs dans le développement de leur propre milieu.

Le dernier axe porte sur des actions de soutien à des activités innovatrices, des études et de la recherche qui soutiennent les initiatives rurales et sur la modulation des interventions de l'État selon les milieux. Moduler les normes, cela veut dire adapter les normes en fonction des milieux où on va appliquer des programmes ou des politiques de l'État québécois. C'est un levier réel, concret, de ce que peut faire une politique de la ruralité.

Le sénateur Maltais : Merci, madame Bolduc, je vais laisser la chance aux autres sénateurs de poser des questions.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Vous avez dit que plusieurs provinces s'intéressent à ce que fait Solidarité rurale du Québec sur le plan du développement. Je crois que vous avez dit qu'il s'agissait de l'Alberta, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau- Brunswick et de l'Ontario.

Le président : Du Manitoba, également.

La sénatrice Eaton : Et du Manitoba. Avez-vous forgé des alliances avec elles? Avez-vous des choses en commun?

Par exemple, je siège à un autre comité, où j'ai pris connaissance des difficultés qu'éprouvent les gens des régions rurales sur le plan de l'accès aux soins de santé et à l'éducation. Avez-cous formé des alliances avec d'autres provinces dans le but de faire des pressions auprès du gouvernement fédéral et de lui proposer, entre autres, des solutions sur le plan fiscal qui pourraient encourager les gens à demeurer dans des petites collectivités? Avez-vous essayé de voir quels établissements de soins de santé pourraient être adaptés au lieu de construire un grand hôpital? Qu'avez-vous fait conjointement, le cas échéant?

[Français]

Mme Bolduc : Effectivement, ce ne sont pas des alliances formelles. L'alliance qu'on a créée, ce n'est pas une alliance globale, mais ce sont des collaborations de l'un à l'autre. Ces collaborations nous permettent de faciliter l'analyse des problématiques rurales. Cependant, on n'a pas accepté de jouer le rôle de lobby pour les autres provinces. D'une part, parce qu'on n'est pas rendu là dans les discussions, d'autre part, parce qu'on estime important que les gens qui nous interpellent se donnent eux-mêmes une structure qui permet de mettre en valeur leur propre ruralité, les différences et les caractéristiques qu'elles présentent.

Par exemple, on collabore étroitement avec la Nouvelle-Écosse pour qu'elle puisse mettre de l'avant une structure qui lui ressemble, mais qui repose sur des valeurs similaires à celles portées par Solidarité rurale du Québec. Avec l'Ontario, avec le Nouveau-Brunswick, on est au niveau des échanges et des collaborations, par exemple échange de documents ou échange d'informations et participation à des congrès, des colloques, pour parler, exprimer et promouvoir des façons de faire différentes.

Avec le Manitoba, on a été présents chez eux pour démontrer ce que pouvait faire une organisation comme Solidarité rurale, alors qu'en Alberta, les gens nous ont contactés, particulièrement depuis le printemps, pour manifester leur désarroi face à la réforme de l'assurance-emploi et nous dire à quel point les gens se sentent isolés. Au Québec, Solidarité rurale est une force de coalition, une force qui a rassemblé les gens avec les différents défis et enjeux qu'ils rencontraient.

Donc les collaborations sont très différentes d'une collectivité à l'autre, mais on est très ouvert. À toutes les fois qu'on est interpellé, on accepte de collaborer avec les gens. On trouve que la ruralité est essentielle à une nation, et on trouve que les ruralités, parce que c'est de ça dont il est question, ont une qualité propre; elles sont importantes, elles sont toutes différentes et elles doivent miser sur ces différences.

Cependant, on n'a pas accepté d'agir comme lobby unique, d'abord parce que tout le monde ne l'a pas demandé à Solidarité rurale et, en conséquence, on ne se sentirait pas légitime de parler au nom de l'ensemble de la ruralité canadienne à ce moment-ci.

Le sénateur Rivard : En tant que Québécois, je suis très fier d'entendre la belle présentation que vous avez faite. Je crois que Solidarité rurale du Québec est entre bonnes mains avec vous, et je vous souhaite de continuer votre beau travail.

Pour votre industrie, maintenant, au-delà des problèmes de financement, des aléas du climat qui sont souvent changeants d'une année à l'autre, de la compétition toujours accrue des marchés étrangers, que ce soit les autres provinces, les autres pays, comment prenez-vous la pression des développeurs urbains qui sont toujours prêts à vouloir augmenter le milieu urbain au détriment du milieu rural? Croyez-vous que la Commission de protection du territoire agricole du Québec est encore aussi objective ou pensez-vous qu'elle a trop tendance à accepter des pressions, souvent des maires de municipalités qui trouvent plus intéressant pour eux d'avoir du développement urbain résidentiel, parfois industriel, au détriment du territoire agricole?

Mme Bolduc : La question est particulièrement intéressante. Effectivement, on peut parfois critiquer l'action de la Commission de protection du territoire et des activités agricoles, mais je pense qu'il faut reconnaître en tout état de cause que si elle n'avait pas existé, on aurait perdu énormément plus de territoire rural et agricole que ce qui a été perdu au fil des dernières années.

Cela dit, on invite cette action à devenir plus forte, plus sévère. Il y a des zones agricoles au Québec qui, si elles sont amputées pour servir du territoire urbain, elles ne seront pas remplacées nulle part ailleurs au Québec et parfois au Canada. On ne retrouvera pas leur équivalent en termes de qualité de sol pour l'agriculture et en termes de climat pour accompagner cette agriculture. On souhaite que cette commission soit beaucoup plus sévère dans certains secteurs et, par ailleurs, qu'elle ait une certaine modulation, donc une certaine ouverture à des façons de faire différentes, des modèles agricoles différents, dans d'autres zones du Québec.

En tout état de cause, une commission comme la Commission de protection du territoire agricole est non seulement très légitime dans son existence et son action, mais elle s'est avérée, malgré les critiques qu'on peut lui adresser, très efficace au fil des années. Est-ce qu'on peut améliorer son rendement? Je le pense. Est-ce que l'outil est toujours pertinent? Je le pense également.

Le sénateur Rivard : À votre connaissance, une commission comme la Commission de protection du territoire agricole existe-t-elle dans d'autres provinces canadiennes? Sinon, croyez-vous que les autres provinces auraient intérêt à créer une telle commission ou un organisme de réglementation comme celui-là?

Mme Bolduc : Je n'ai pas le répertoire de ce qui se passe dans d'autres provinces canadiennes. Par contre, dans le Sud de l'Ontario, ils ont créé, en matière d'aménagement urbain, ce qu'ils ont appelé la « ceinture verte », justement pour protéger les zones de production agricole à très fort potentiel, notamment le potentiel viticole et de culture de fruits. Ils se dotent également de mécanismes pour protéger ces zones, non seulement de l'étalement urbain mais des autoroutes et autres structures et pour maintenir une qualité importante au niveau de l'environnement.

En Colombie-Britannique, il existe également des mesures similaires, que je ne pourrais pas vous décrire en détail, qui soutiennent une certaine façon de protéger les territoires agricoles.

Je suis désolée de ne pas être en mesure de vous donner plus d'exemples. Ce ne sont pas des législations au sens où la Commission de la protection du territoire agricole bénéficie d'une loi formelle. Cependant il y a des initiatives très intéressantes, comme « la ceinture verte » en Ontario; ce qu'ils ont fait est franchement intéressant.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Merci beaucoup de votre présence et de votre exposé.

J'ai trouvé intéressant que vous ayez parlé de l'importance de financer les collectivités sans aucune obligation en contrepartie, surtout pour les aider à mettre en place ce dont elles ont besoin. Est-ce que le Québec travaille en partenariat avec le gouvernement fédéral au chapitre du fonds d'investissement communautaire?

[Français]

Mme Bolduc : Je ne pourrais pas répondre très directement à la question. Par contre, je peux vous dire que le gouvernement fédéral, par le biais des sociétés d'aide au développement des collectivités, qui sont, pour la plupart, établies dans des milieux ruraux, intervient et il y a une collaboration qui est globale, entre le Québec et le fédéral, sur la question des services d'aide au développement des collectivités. Sur le plan très local, dans chacun des milieux, les services sont très collaborateurs les uns avec les autres. Il y a même des régions au Québec — le Témiscamingue, par exemple — qui ont créé la Société du développement du Témiscamingue où l'intervention fédérale et l'intervention provinciale, les centres locaux de développements (CLD) sont installés dans une même infrastructure et c'est une même porte d'entrée qui sert les deux instances.

La collaboration est générale, je pense, entre le Québec et Ottawa, pour ces soutiens, mais la collaboration sur le terrain, dans les collectivités rurales, dans les milieux, dans les régions, est très importante entre les deux instances, entre les milieux ruraux, les CLD et les instances de développement et avec les sociétés d'aide au développement des collectivités.

D'ailleurs, le pendant anglophone au Québec des sociétés d'aide aux collectivités, les CDEC, Solidarité rurale est très proche, travaille de façon très étroite avec ces gens justement pour le soutien aux collectivités rurales et pour le soutien et l'avancement des dossiers ruraux.

Le président : Madame Bolduc, je vous remercie de votre présentation. Si, au fur et à mesure, vous vous rendez compte que vous voulez partager de l'information additionnelle, n'hésitez pas à en faire part au greffier.

(La séance se poursuit à huis clos)


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