Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme
Fascicule 2 - Témoignages du 23 avril 2012
OTTAWA, le lundi 23 avril 2012
Le Comité spécial du Sénat sur l'antiterrorisme, auquel a été renvoyé le projet de loi S-7, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information, se réunit aujourd'hui, à 14 h 30, pour examiner ce projet de loi.
Le sénateur Serge Joyal (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, je suis ravi de vous accueillir à la troisième séance du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme. Je souhaite la bienvenue à M. Richard Fadden, directeur de l'agence mieux connue sous le nom de SCRS.
[Français]
En français, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité. Bienvenue, monsieur Fadden.
[Traduction]
Comme vous le savez, nous étudions le projet de loi S-7, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information.
M. Fadden est avec nous pour une heure ou peut-être un peu plus si nous avons davantage de questions. Si vous vous rendez disponible, nous n'allons pas abuser de votre temps. Si c'est acceptable pour vous, nous procéderons ainsi. Nous sommes ravis de vous avoir avec nous et avons hâte d'entendre votre déclaration préliminaire.
Richard Fadden, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) : Honorables sénateurs, bonjour. J'ai le plaisir de comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter des questions relatives au projet de loi S-7, c'est-à- dire la Loi sur la lutte contre le terrorisme. Ce projet de loi vise essentiellement à fournir au système de justice et aux autorités chargées de l'application de la loi des outils plus efficaces pour lutter contre les activités criminelles terroristes dont la tenue est éminente.
Compte tenu que le Service canadien du renseignement de sécurité a pour mandat d'enquêter sur les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada et qu'il a pour objectif de les repérer à un stade précoce, il n'aurait pas directement recours aux dispositions du projet de loi S-7. Cela dit, en tant que membre du vaste appareil de la sécurité nationale, le SCRS est vraiment favorable à tout outil additionnel qui aidera ses partenaires à mieux faire face aux activités criminelles se rapportant au terrorisme. Pour être franc, toute disposition, législative ou autre, qui contribue à un environnement susceptible de faciliter le travail du SCRS est la bienvenue.
[Français]
Les modifications relatives à l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada s'appliquent en partie au SCRS dans la mesure où elles continuent de reconnaître l'importance de protéger, lorsque la cour le juge nécessaire, certaines informations d'une divulgation publique.
Monsieur le président, le SCRS appuie évidemment ces mesures étant donné qu'elles protègent des informations délicates et contribuent à éviter la compromission de ses opérations, de ses sources et de ses techniques.
Comme je pense que le comité veut surtout que je lui parle de la menace devant laquelle nous nous trouvons, je laisserai maintenant de côté les détails du projet de loi afin d'examiner les menaces auxquelles il cherche à répondre.
Comme le comité le sait sans doute, la plus grande menace pesant sur la sécurité nationale du Canada reste le terrorisme, principalement la menace que fait peser sur nous l'extrémisme sunnite.
Le SCRS mène actuellement des enquêtes sur des centaines de personnes — en fait, en 2011, à peu près 250 — au Canada et à l'étranger qui participent à des activités liées au terrorisme et constituant une menace envers le Canada et ses alliés.
Le comité est probablement déjà au courant des dossiers qui ont eu un grand retentissement dans les médias au cours des dernières années, mais il existe également un nombre alarmant de Canadiens qui ont voyagé, qui ont eu l'intention de le faire ou ont exprimé leur désir de se rendre à l'étranger pour prendre part à des activités terroristes.
[Traduction]
Le SCRS est au fait d'au moins 45 Canadiens, peut-être même 60, dont bon nombre sont dans la vingtaine, qui ont quitté le Canada ou ont tenté de le faire pour se rendre en Somalie, en Afghanistan, au Pakistan ou au Yémen afin de grossir les rangs d'organisations liées à Al-Qaïda et de participer à des activités terroristes. Ces personnes représentent clairement une menace pour la communauté internationale et pour le Canada, car certaines d'entre elles sont de retour au Canada, ou pourraient y revenir, après avoir suivi un entraînement terroriste ou avoir participé directement à des actes terroristes. J'espère vraiment que les nouvelles dispositions du projet de loi S-7, qui établissent de nouvelles infractions au fait de quitter ou de tenter de quitter le Canada en vue de commettre une infraction terroriste, permettront d'empêcher la perpétration d'un certain nombre d'actes terroristes. Cependant, nous devons être réalistes et ne pas oublier que le niveau de preuve qui permet aux autorités chargées de l'application de la loi d'intervenir est élevé. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les modifications apportées au Code criminel fassent disparaître le phénomène par enchantement.
Des Canadiens continueront de voyager à l'étranger pour mener des activités liées à la menace. Il revient au SCRS de les découvrir et d'en informer le gouvernement dans la mesure du possible.
[Français]
Monsieur le président, j'aimerais maintenant parler de ces terroristes que certains appellent les « loups solitaires » et que le SCRS appelle les « terroristes solitaires », car il a beaucoup été question récemment de ce phénomène dans les médias. Certains d'entre eux ont laissé entendre qu'il s'agit d'un nouveau type de terrorisme et d'une tendance de plus en plus marquée qui préoccupe les services de renseignement et les organismes chargés de l'application de la loi.
La menace que représente ce type de terrorisme nous a été rappelée par Anders Breivik, qui est, de son propre aveu, l'auteur d'un massacre et dont le procès vient de débuter en Norvège et, plus récemment, par les agissements de Mohamed Merah, à Toulouse, en France.
[Traduction]
Selon la preuve conditionnelle, Breivik a agi seul, mais communiquait dans les forums web avec des personnes qui voyaient les choses de la même façon que lui. Des rapports publics d'actualité indiquent qu'il faisait partie d'un mouvement paneuropéen d'extrême droite virtuelle, activement opposée au multiculturalisme, au libéralisme individualiste et à l'islam. Bien qu'il reste incertain que Breivik ait fait partie d'un quelconque complot organisé, il avait activement communiqué ses opinions et ses vues étaient connues de certains. La plupart des terroristes solitaires sont en contact d'une façon ou d'une autre avec des personnes de même idéologie, que ce soit par Internet ou au cours de voyages ou de formations.
Étant donné que, par définition, les terroristes solitaires agissent seuls, ils présentent des difficultés uniques pour nos activités. Ils sont notamment difficiles à identifier avant leurs attaques et posent un défi très particulier à la sécurité nationale. Des messages anonymes sur Internet et des achats inhabituels de fertilisants ou d'armes sont souvent les seuls indices des projets d'attentat d'un terroriste solitaire. En outre, les terroristes solitaires se montrent enclins à créer leurs propres idéologies, qui combinent des frustrations et des griefs personnels à l'égard de questions politiques, sociales ou religieuses plus vastes. Cette tendance fait en sorte qu'il est difficile de prévoir leur comportement et d'établir un profil efficace à leur sujet. Cependant, je peux vous assurer que nos agents connaissent très bien cette menace et y sont sensibilisés.
Le Service surveille également ou mène des enquêtes à l'égard de plusieurs autres nouveaux courants qui touchent ces opérations de lutte contre le terrorisme. Il s'intéresse notamment au déclin des capacités opérationnelles du noyau d'Al- Qaïda, à l'ascension ainsi qu'à l'indépendance et à l'affirmation croissantes de groupes qui lui sont affiliés en Irak et en Afrique du Nord et de l'Est, ainsi qu'à la possibilité accrue qu'un plus grand nombre de femmes au Canada se radicalisent, car les messages interdisant aux femmes de prendre part à un djihad violent ont commencé à disparaître des sites Web extrémistes.
[Français]
Au cours de la dernière décennie, beaucoup de progrès ont été accomplis pour combattre ce fléau. S'il y a une chose que le SCRS a apprise, c'est que les ennemis du Canada savent très bien s'adapter pour relever leurs propres défis opérationnels. À court et à moyen terme, au moins, cette situation devrait rester une source immédiate de préoccupation et une priorité absolue pour les services de renseignement comme le SCRS. Dans ce contexte, le SCRS est très favorable au projet de loi S-7 et aux outils additionnels que ce dernier fournira aux organismes chargés de la sécurité nationale.
[Traduction]
Merci. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.
Le vice-président : Je commencerais par une première question. Étant donné que le projet de loi S-7 crée de nouvelles infractions — l'intention de se rendre à l'étranger pour s'entraîner et prendre part à des activités terroristes — comment gérerez-vous l'échange de tels renseignements avec les autorités et les agences frontalières? Vous déciderez peut-être qu'il serait préférable de laisser partir une personne à l'étranger et de la suivre, étant donné que vous avez la capacité de le faire, plutôt que de l'empêcher directement de partir, par exemple. Quand déterminerez-vous qu'il est temps de déposer des accusations ou de transmettre l'information à la GRC afin que celle-ci dépose des accusations?
M. Fadden : Tout d'abord, monsieur le président, je pense qu'on peut dire que nous ne prenons pas cette décision seuls. Nous avons créé une série de pratiques opérationnelles, particulièrement avec la GRC, mais aussi avec d'autres organisations. Lorsque, pendant une enquête, nous estimons qu'il est possible qu'un crime soit connu, et ce moment varie toujours, nos bureaux régionaux ont adopté une pratique et informent les divisions locales de la GRC de l'avancement de notre enquête. Une discussion s'ensuit, et nous décidons ensemble si la GRC doit entreprendre une enquête criminelle ou si nous continuons et la tenons informée.
Le vice-président : Comment pourriez-vous synchroniser vos activités avec celles des autorités ou des agences frontalières?
M. Fadden : Nous avons toutes sortes de moyens opérationnels pour communiquer avec elles. Pour être honnête, jusqu'à maintenant, la plupart de nos discussions au sujet des crimes possibles ont été tenues avec la GRC. Si le Parlement adopte le projet de loi, nous devrons tenir des réunions régulières avec l'Agence canadienne des services frontaliers.
Le vice-président : Devrez-vous conclure un protocole d'entente afin de définir votre coopération, dans ce contexte? Comme vous savez, il y a maintenant une infraction criminelle, de sorte que vous êtes plus ou moins en mesure de décider si une accusation doit être portée, parce qu'en vertu de la loi, le fait de quitter le Canada ou même d'avoir l'intention de le faire constitue une infraction.
M. Fadden : Absolument.
Le vice-président : D'après ce que j'ai compris, à cette étape, vous surveilliez les gens, mais vous n'étiez pas forcés de signaler qu'une personne envisageait de quitter le Canada pour participer à un camp d'entraînement terroriste ou à d'autres types d'activité connexes.
M. Fadden : C'est exact, parce qu'à l'heure actuelle ce n'est pas un crime.
Le vice-président : Exactement. Votre façon de procéder changera, d'après ce que j'ai compris à la lecture du projet de loi, et selon ce que nous ont expliqué des témoins précédents que nous avons reçus au comité.
M. Fadden : C'est exact, monsieur le président. Nous devrons élargir la collaboration opérationnelle et la relation que nous entretenons avec la GRC pour inclure l'Agence des services frontaliers du Canada.
Je tiens à souligner que nous communiquons déjà souvent avec l'Agence des services frontaliers du Canada. Nous ne le faisons tout simplement pas dans ce contexte en particulier. Nos contacts devront être développés afin de tenir compte de ce nouveau crime.
Le vice-président : Exactement. C'est l'un des principaux objectifs de la loi, comme vous l'avez mentionné vous- même; ce sera un outil additionnel.
M. Fadden : Oui.
Le vice-président : Vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire qu'il s'agissait d'un outil additionnel; pouvez-vous nous expliquer plus précisément pourquoi il sera plus utile d'inclure ces nouvelles infractions criminelles dans la loi?
M. Fadden : D'après ce que je sais, le Code criminel actuel indique que le fait d'aller à l'étranger pour participer à un acte terroriste constitue un crime. Le fait d'aller à l'étranger pour encourager les activités terroristes est un crime. D'après ce que j'ai compris, pour nos collègues responsables de l'application de la loi, il est difficile de le prouver; prouver qu'une personne s'est rendue en plein coeur du Yémen ou de l'Afghanistan est très, très difficile.
Je crois comprendre que le gouvernement avait l'intention de proposer de créer une infraction comportant des éléments pouvant être complétés au Canada. L'un de ces divers éléments serait l'intention de quitter le Canada, ce qui est relativement facile à prouver; on peut le prouver en achetant un billet, en interceptant des communications et en discutant avec des individus. C'est relativement facile. Le plus difficile, bien sûr, c'est que les policiers devront prouver que l'intention de voyager était liée au terrorisme — ils le prouveront parfois avec notre aide, parfois sans. Ce n'est pas facile, mais ce n'est pas impossible. Nous travaillerons avec nos collègues responsables de l'application de la loi afin d'établir un seuil auquel nous serons en mesure d'entreprendre un dialogue avec eux.
Le vice-président : Je ne veux pas monopoliser votre attention, mais je tenais à lancer la discussion.
Le sénateur Dallaire : À la page 10 de son Rapport public 2009-2010, le SCRS indique ce qui suit : « Plus particulièrement, en 2009 plusieurs Canadiens d'origine somalienne auraient quitté le Canada à destination de camps d'entraînement terroristes en Somalie [...] »
Nous sommes des parlementaires et nous n'avons absolument aucun accès à des renseignements classifiés, ce qui signifie que nous sommes des parlementaires qui ne peuvent pas assurer la surveillance des organisations qui évoluent dans le domaine classifié. Toutefois, même si c'est le cas, pouvez-vous nous dire comment vous avez recueilli cette information en 2009 au sujet des Somaliens, en particulier?
M. Fadden : Je peux vous l'expliquer de façon générale; je ne serais pas en mesure de vous parler des détails opérationnels.
La principale façon dont le service obtient de l'information au sujet des gens consiste à discuter avec des gens. Nous avons des contacts dans pratiquement toutes les collectivités au Canada ayant des liens avec le terrorisme. Nous discutons avec les gens. Très souvent, si M. Untel veut aller en Somalie, un membre de sa famille nous en parlera. Très souvent, ses parents nous en parlent, ou alors la famille ou des amis proches. Très souvent, au départ, nos connaissances nous viennent simplement de nos discussions avec les gens.
Une fois que nous avons de tels indices, nous avons différentes façons de déterminer s'ils sont sérieux. Selon les circonstances, nous pouvons seulement discuter avec d'autres personnes, ce qui constitue notre façon préférée d'agir. Si nous n'obtenons pas de résultat clair, nous pouvons recourir à un mandat de la Cour fédérale, ce qui nous permet d'utiliser différents moyens techniques pour intercepter l'information.
C'est une combinaison de tous ces éléments qui nous ont permis de faire une telle déclaration dans le rapport annuel.
Le sénateur Dallaire : Cette déclaration dit très clairement que certains se sont joints à des organismes terroristes. Pourriez-vous nous dire combien sont de retour ou si on fait un suivi pour savoir s'ils font présentement partie d'un groupe terroriste quelque part dans le monde?
M. Fadden : Oui, je peux vous le dire, sénateur. Nous savons qu'un certain nombre de ces personnes ont participé concrètement au djihad. Un bon nombre travaillent pour Al-Shabaab.
Nous obtenons ces renseignements de toutes sortes de moyens, parfois grâce à nos alliés, qui ont des ressources sur place, et parfois en parlant aux autres. Par exemple, ils écrivent à leurs familles au Canada et nous sommes donc en mesure d'en parler avec certaines de ces familles. En quelques instances plutôt rares, nous étions capables de faire le constat nous-mêmes. Tâche qui est plutôt difficile à faire, pour toutes sortes de raisons, comme le fait que le Canada n'est pas doté d'un système qui informe qui que ce soit dès que ces gens quittent le pays, alors nous n'avons jamais cette certitude absolue sauf dans le cas où on surveille une personne avant qu'elle parte. La tâche est un peu plus facile lorsqu'il s'agit de leur retour.
Pour revenir aux observations du président quant à nos rapports avec l'ASFC, si nous sommes au courant de personnes soupçonnées d'avoir participé à ces activités qui désirent revenir au Canada, nous demandons à l'ASFC de les inscrire sur une liste de surveillance pour que nous puissions en être informés dès qu'elles reviennent au Canada.
Nous croyons que le nombre de personnes étant revenues au Canada demeure très faible.
Le sénateur Dallaire : Nous avons vu certains éléments extrémistes du monde musulman adopter le concept du djihad pour participer à des actes de terrorisme partout dans le monde. Est-ce qu'il y avait d'autres groupes — par exemple, des groupes de l'Afrique subsaharienne ayant une diaspora assez grande dans les pays développés — qui suivent ce genre de tendance?
M. Fadden : Monsieur le président, nous sommes surtout préoccupés par l'organisation Al-Qaïda ou les groupes afférents. Nous avons l'organisation Al-Qaïda dans la péninsule arabique, qui opère au Yémen. Nous avons un autre groupe qui opère au Sahel. Il y a l'organisation Al-Shabaab. Les pays occidentaux s'inquiètent de plus en plus de l'organisation Boko Haram, qui opère en Algérie et qui a certains liens avec Al-Qaïda.
Le seul autre groupe qu'il faut signaler, qui n'est pas lié à Al-Qaïda, mais qui est connu à travers le monde pour ses actes de terrorisme, c'est le Hezbollah.
Le sénateur Dallaire : Récemment, le gouvernement a publié une stratégie antiterroriste intitulée Renforcer la résilience face au terrorisme. Comment ce projet de loi s'aligne-t-il sur une telle stratégie, dans le sens où il constitue une exigence essentielle qu'il faut respecter avant de pouvoir réaliser une telle stratégie? S'agit-il d'une stratégie entièrement non classifiée et disponible, ou contient-elle certains éléments confidentiels?
M. Fadden : Pour répondre à votre dernière question en premier, sénateur, je vous dirai que la stratégie elle-même est entièrement disponible au public. Je crois que certains ministères et certaines agences, y compris le SCRS, ont, pour employer les mots du président, opérationnaliser certains éléments de cette stratégie, qui sont maintenant confidentiels. Mais la stratégie elle-même, qui reflète les principes et les orientations que nous a communiqués le gouvernement, n'est pas du tout classifiée.
Dans une large mesure, je crois que les propositions de ce projet de loi mettent l'accent surtout sur la « prévention » et la « détection », dans le sens où elles donnent non seulement au SCRS mais aussi, bien entendu, aux autres services d'application de la loi des nouveaux outils pour détecter la perpétration possible d'actes de terrorisme. Pour ce qui est des procédures d'enquête, nous croyons que ce sera surtout les services de police qui vont s'en servir. Mais, en ce qui nous concerne, lorsque nous avons quelqu'un que nous n'arrivons pas à cerner, il serait peut-être utile de demander à nos collègues des services de police de s'adresser au tribunal pour obtenir la permission de se servir de cette disposition.
Le sénateur Dallaire : Ce projet de loi ne fait aucune distinction entre les adultes et les jeunes, et cela a été discuté. Nous avons une affaire en cours, qui je l'espère, sera réglée un jour, d'un ancien enfant-soldat qui a été qualifié de terroriste. Selon le libellé de ce projet de loi, croyez-vous que nous sommes tout simplement en train de contourner les mécanismes visant à protéger les jeunes dans notre pays et d'en passer outre en traitant un individu de terroriste potentiel?
M. Fadden : Je ne crois pas. D'après ce que j'ai compris, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents au Canada renferme une disposition de dérogation affirmant qu'elle s'applique nonobstant toute autre loi canadienne. Je crois que lorsque le ministre de la Justice a comparu devant le comité, il a affirmé très clairement que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents l'emportait sur ce projet de loi.
J'aimerais rajouter en passant que le SCRS dispose de plusieurs processus et de procédures spéciaux lorsqu'il s'agit de jeunes. D'après notre perspective, et d'après ce que j'ai compris de la part du ministre de la Justice, cela ne modifiera aucunement l'effet de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Le sénateur D. Smith : J'allais tout d'abord vous interroger au sujet du genre de preuve qu'il vous faudrait afin de porter une accusation. Vous avez déjà mentionné cela. C'est un peu vague, et cela risque d'être difficile. Ce projet de loi renferme certaines ironies. Si certains de ces individus souhaitent quitter le pays, ça ne me dérange pas d'en être débarrassé. Franchement, prenez par exemple ce groupe de 18 de Mississauga. Est-ce que cela me fera de la peine s'ils s'en vont ailleurs plutôt que d'essayer de le faire ici? Je pense tout haut tout simplement.
D'autres choses me viennent à l'esprit. Où faut-il s'arrêter? Prenez, par exemple, les Syriens qui sont mécontents du régime actuel — et il est difficile de comprendre qui ne le serait pas — et qui veulent peut-être retourner là-bas pour prêter main-forte à l'insurrection. Ce projet de loi s'appliquerait-il dans ce cas-là, où s'arrête la distinction?
M. Fadden : La question est intéressante, et je vais vous rappeler le témoignage de M. Nicholson, le ministre de la Justice, qui a dit qu'il était à peu près impossible de généraliser. Il faut donc étudier chaque cas individuel.
D'après nous, le Code criminel nous oriente dans une certaine mesure puisqu'il énumère plusieurs organismes proscrits. Donc, si un individu souhaite aller travailler à l'étranger pour un de ces groupes, Al-Qaïda étant l'exemple parfait, notre tâche devient relativement facile. Il existe d'ailleurs un processus complexe pour ajouter ces gens sur cette liste.
Dans le cas de la Syrie, il serait difficile pour moi d'en parler puisqu'il s'agit d'un cas véritable, mais cela comporterait des consultations entre nous, la police, les Affaires étrangères et le gouvernement central.
Le sénateur D. Smith : Leur liste ne m'inspire pas beaucoup de confiance. Par rapport à l'Iran, j'ai déjà assisté aux rassemblements qu'ils ont organisés à Paris pour manifester en faveur des droits de la personne et de procédures démocratiques là-bas, et certains des groupes qui y étaient aussi ne sont plus sur les listes britanniques et européennes, et pourtant les Canadiens refusent de faire de même. Ils sont en plein déni. Lorsqu'on est là-bas avec les Iraniens, personne ne parle de violence, seulement des droits de la personne et d'une forme quelconque de démocratie. Peut-être que vous savez ce dont je parle.
M. Fadden : Oui, dans une certaine mesure. Tout cela est difficile en partie parce que les lois qui régissent ces listes varient assez sensiblement d'un pays à l'autre. Au Royaume-Uni par exemple, au cours des dernières années, les tribunaux ont ordonné qu'on supprime une liste ou deux.
Le sénateur D. Smith : Je sais.
M. Fadden : Le gouvernement du Royaume-Uni n'était pas d'accord. L'Australie a un processus d'inscription. Il est très différent du nôtre.
Si je peux commenter sur votre déclaration de bonheur à être débarrassé de ces personnes, je crois le comprendre d'un certain point de vue. En quelque sorte, nous nous disons que c'est mieux de nous en débarrasser et ils ne font pas de mal au Canada.
Le sénateur D. Smith : Ce gang allait le faire au Canada.
M. Fadden : C'est vrai, mais il y a un sentiment général enchâssé dans la convention de l'ONU sur le terrorisme que les États sont responsables jusqu'à un certain point de leurs propres citoyens, ce qui explique en quelque sorte pourquoi nous nous préoccupons des Canadiens à l'étranger. De toute évidence, nos proches alliés, le Royaume-Uni, les États-Unis et d'autres considèrent que le Canada a le devoir de surveiller ses propres citoyens quand ils voyagent à l'étranger afin de faire du mal. Je comprends en quelque sorte votre réaction. D'autre part, je vous soumettrai qu'il faut nous en inquiéter même s'ils sont à l'étranger.
Le sénateur D. Smith : C'est un argument valide. Je comprends ce que vous dites.
Le sénateur Tkachuk : Merci, monsieur Fadden. J'étais presque surpris quand vous avez soulevé la question du « loup solitaire » parce qu'il me semble que votre mandat serait de nous protéger du terrorisme organisé, c'est-à-dire des gens qui en ont fait leur travail et qui ont publiquement déclaré qu'ils vont nous faire mal. À mon sens, la GRC aurait la responsabilité des terroristes qui sont des loups solitaires, c'est-à-dire des fous qui tuent des gens en masse. Ils le font depuis des temps immémoriaux et la société trouve une façon de composer avec eux. Est-ce que le SCRS aurait un rôle à jouer ici?
M. Fadden : Cela dépend, sénateur, des raisons qu'ils ont de faire ce qu'ils veulent faire. S'il s'agit de motifs purement criminels, comme vous dites, ils sont peut-être tout simplement fous, et ils pourraient vouloir faire mal parce qu'ils n'aiment pas leurs voisins ou qu'ils n'aiment pas certaines personnes.
Pourtant selon la loi, si je comprends bien, s'ils le font pour un motif politique ou religieux, alors c'est couvert par la définition de terrorisme, qu'ils fassent cavalier seul ou qu'ils agissent en groupe. Tant que le motif n'est pas purement criminel, mais plutôt religieux ou politique, on pense que nous avons un rôle à jouer pour les identifier et, ensuite, les transférer à la police sur-le-champ afin qu'ils soient traduits en justice.
Le sénateur Tkachuk : Religieux ou politique en fonction de qui ils sont ou en fonction de ce qu'ils n'aiment pas?
M. Fadden : En fonction de ce qu'ils n'aiment pas. En d'autres mots, leur motif d'entreprendre une activité terroriste tout seul est politique. Autrement dit, ce n'est pas purement criminel. Ils ne veulent pas tout simplement faire exploser une banque ou tuer un civil, mais plutôt marquer des points pour des motifs politiques ou religieux.
Le sénateur Tkachuk : Bien des gens sont parfois en désaccord, mais ne sont pas nécessairement prêts à commettre des actes terroristes ou homicidaires. On ne voudrait surtout pas qu'ils fassent partie de l'opération du SCRS, parce que ça causerait toutes sortes de problèmes au sein de l'État lui-même, à mon avis.
M. Fadden : C'est vrai, je pense. Nous avons beaucoup de procédures et de protections qui font partie de nos opérations pour assurer qu'on ne le fait pas.
Je peux vous donner un exemple d'un particulier qui a déjà été traduit en justice et qui se retrouve dans un pénitencier. Il s'agit d'un particulier qui, au nord du Québec, restait essentiellement assis dans son sous-sol et s'est radicalisé en naviguant sur Internet. Il ne voyait pas souvent d'autres personnes, mais grâce à Internet, il a décidé d'essayer de promouvoir la violence en achetant le matériel qui lui permettrait de construire une bombe, si je me rappelle bien. Il voulait le faire parce qu'il croyait au message de base du djihadisme, c'est-à-dire que l'Occident est en guerre contre l'islam. Je pense qu'il a écopé une peine de 20 ans, mais j'oublie de qui il s'agit.
Ce à quoi je veux en venir, c'est que si nous avions découvert la vérité sur lui, et s'il n'avait pas voulu commettre un acte violent pour des raisons politiques ou religieuses, nous l'aurions remis à la GRC, ce qui aurait clos le dossier pour nous, mais du moment où il a fait comprendre qu'il avait posé ces gestes dans le but de faire avancer le djihad — autrement dit, de se battre contre ce qu'il percevait comme étant une attaque de l'Occident contre l'islam —, il est devenu, pour nous, une cible légitime.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais aborder trois points avec vous, monsieur Fadden. Mais je vais d'abord répliquer à une chose que vous avez dite, après quoi vous pourrez répondre.
Vous avez indiqué que ce projet de loi ne vous touche pas directement, mais plutôt les agents responsables pour la sécurité frontalière ou les autorités policières. Cela ne représente-t-il pas un peu la mentalité qui autrefois caractérisait la GRC et le SCRS? Ne me dites pas que l'ASFC et les forces policières ne se fient pas à vos données dans beaucoup de ces cas. Vous êtes sur la première ligne, alors cette mesure vous touche après tout, n'est-ce pas?
M. Fadden : Absolument, madame le sénateur. Je crois avoir employé le mot « directement ». La raison pour laquelle j'ai dit « directement » est parce que la loi actuelle prévoit que seul un agent de la paix peut invoquer les diverses dispositions contenues dans le projet de loi, ce que nous n'avons pas le droit de faire.
Je suis seulement en désaccord avec vous dans la mesure où il y a le mot « directement ». En fait, cette mesure nous touche de près. Nous pensons qu'elle sera utile. Nous ne pouvons pas invoquer les dispositions, car elles sont à la portée des agents de la paix seulement, ce que nous ne sommes pas.
Le sénateur Andreychuk : Vous nous avez indiqué que vous comprenez que votre responsabilité consiste à transmettre les informations à ceux qui font les choix. Est-ce exact?
M. Fadden : Absolument, je dis cela sans réserve.
Le sénateur Andreychuk : Merci. Je me préoccupe du fait, comme vous l'avez dit, qu'il est extrêmement difficile de savoir si une personne quitte le pays pour commettre un acte terroriste ou pour se joindre à un groupe. J'ai peur des conséquences dans le cas d'une personne qui quitte le Canada sans être appréhendée, et que cette personne commet un acte terroriste. Les médias et le public se demanderont si le processus fonctionne. Par conséquent, il faudra que les protocoles décrivent clairement les responsabilités de ces nouvelles agences frontalières.
Je vois quelqu'un passer avec une chose prohibée. Nous avons un nombre infini d'agents de sécurité qui se déplacent d'un bout à l'autre du pays, il y en a beaucoup, et ils devront tous connaître le seuil de la preuve. Ils devront savoir quand agir rapidement et quand ne pas agir, et s'ils font le mauvais choix, on le leur reprochera.
Ne faudra-t-il pas miser sur la formation, dans le cadre d'un protocole, pour que les agents puissent assumer pleinement leur nouveau rôle?
M. Fadden : En termes pratiques, je commencerai par dire que ces protocoles n'ont pas encore été mis en œuvre parce que la loi n'a pas encore été promulguée.
Ensuite, pour ce qui est de mettre la main sur les gens à la frontière, si je peux m'exprimer ainsi, en termes pratiques, cela signifie que nous devrons travailler conjointement avec la GRC pour identifier les individus voulant se rendre à l'étranger.
De façon générale, l'ASFC ne participe pas à ce genre d'enquête. Je réitère que nous n'avons pas encore mis au point des protocoles. Nous devrons travailler étroitement avec la GRC pour nous assurer de rester en communication constante avec les services frontaliers.
Un autre facteur qui vient compliquer la donne, comme vous le savez probablement, est que le Canada n'a aucun système pour surveiller les sorties. Nous n'avons rien de la sorte. Ce genre de projet ferait appel à des organisations autres que l'ASFC, notamment l'ACSTA, l'agence au sein du ministère des Transports qui s'occupe de la sécurité.
Je ne devrais pas en dire davantage, car je risque de me faire piéger. Je peux vous dire en toute honnêteté que nous reconnaissons sans réserve la nécessité d'avoir des protocoles. Ceux-ci n'ont pas encore été élaborés, car la loi n'a pas encore été promulguée.
Le sénateur Andreychuk : Les autres articles du Code criminel s'appliqueront. Comme vous l'avez indiqué, les personnes qui veulent faire du mal savent comment s'y prendre, et elles s'adapteront aux nouvelles lois. Malheureusement, ces personnes savent souvent anticiper nos gestes.
Comment allez-vous composer avec les dispositions sur les complices et la complicité? On me demande d'acheter un billet d'avion, je l'achète en pensant de rendre service à un ami. C'est comme dans l'ancien temps, quand la personne répondait « Je ne faisais que conduire le véhicule à la banque ». Est-ce que ces mesures rendront les personnes proches des suspects plus vulnérables? Est-ce que les gens devront devenir plus vigilants, ce qui exigerait une sensibilité accrue de la part du public?
M. Fadden : En termes pratiques, toute nouvelle disposition du Code criminel donne lieu à la possibilité de complot basé sur la complicité. Cela n'est pas le cas de toutes les nouvelles dispositions, mais quand même pour la plupart d'entre elles.
Je ne suis pas un agent de la paix, donc il y a une limite à ce que je peux vous dire à ce sujet. Une des choses que le SCRS essaie de faire, pour autant que ce soit possible, c'est d'identifier les individus qui, à notre avis, sont les plus aptes à faire du mal. C'est la chose qui nous motive d'abord et avant tout. Ensuite, nous discutons avec la police de poursuivre les gens qui ont été en partie responsables des actes criminels. Nous continuons d'élargir le cercle d'individus concernés par une affaire jusqu'à ce que la police décide qu'elle a identifié toutes les personnes qui auraient pu être activement impliquées, et que toute autre personne impliquée l'aurait été de façon innocente.
Vous avez mis le doigt sur le fait que cet aspect de nos opérations est très délicat, car, honnêtement, beaucoup de gens sont prêts à participer de leur propre gré dans la commission d'actes criminels. Cela dit, d'autres personnes sont beaucoup moins conscientes de ce qu'elles sont en train de faire. Au bout du compte, il revient au service de police et de la poursuite de juger au cas par cas d'après les faits.
Le sénateur Andreychuk : Je pense aux affaires de stupéfiants et de drogue, et au nombre prépondérant de mules, y compris des enfants, qui avaient ce genre de marchandise sur leur personne. Par conséquent, il est devenu de plus en plus difficile de remporter ce genre de cause, qui devenait de plus en plus complexe. Il aurait peut-être été préférable de cibler les vrais responsables, qui semblent toujours pouvoir s'esquiver, au lieu des personnes secondaires qui, elles, se faisaient prendre.
M. Fadden : Vous décrivez ce qui s'est produit dans beaucoup de cas réels. Dans d'autres circonstances, on pourrait dire que les personnes secondaires sont impliquées aussi, mais je vous encouragerais à en parler à la GRC, ils sauront davantage vous renseigner que moi.
Comme vous et d'autres personnes l'avez suggéré, nous nous concentrons surtout sur la transmission d'autant d'information que possible à la GRC lorsque nous pensons qu'une activité criminelle se déroule et sur le plus grand nombre de personnes possible. Par la suite, la poursuite doit juger du potentiel d'inculpation des personnes suspectes.
Le sénateur Andreychuk : Est-ce que vous communiquez avec les communautés? On parle ici des communautés immigrantes. Pour ce qui est de ma propre communauté, je crois qu'il est très utile d'en parler aux membres et de leur indiquer que certains comportements sont peut-être inappropriés, tandis que d'autres sont parfaitement normaux, et de bâtir une relation de confiance avec ces communautés.
M. Fadden : C'est ce que nous faisons. La plupart de nos bureaux régionaux ont un programme de liaison communautaire. Pour être franc, chaque communauté est différente quant à leur ouverture à communiquer avec nous. Certaines sont plus ouvertes que d'autres, mais nous tentons autant que possible de communiquer avec tout groupe qui pourrait, à notre avis, contenir un potentiel d'activités terroristes. Dans la plupart des cas, mais pas dans tous les cas, nous travaillons en tandem avec la GRC et avec d'autres agences gouvernementales.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie le témoin de sa présentation. Vous avez attiré mon attention lorsque vous avez parlé des loups solitaires ou des terroristes solitaires. Vous mentionnez, entre autres, que ces gens communiquent sur des forums web et qu'ils adhèrent à des groupes virtuels.
Dois-je comprendre qu'il s'agit d'une nouvelle forme de terrorisme? Et ce genre de terrorisme aura-t-il tendance à augmenter? Est-il plus difficile à cerner? Et croyez-vous que vos méthodes d'enquête devront s'ajuster à ce nouveau genre de terrorisme qui, malheureusement, si on prend le cas de Anders Breivik et de Mohamed Merah font beaucoup de victimes? On sait qu'il ne faut pas faire un parallèle avec ce qui s'est passé au Québec avec Kimveer Gill, qui avait un site web, mais j'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
M. Fadden : Est-ce que le nombre de gens qui agiront en tant qu'individu augmentera? Oui, je le pense. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas toute une série d'individus à travers l'histoire qui n'ont pas fait la même chose. Al-Qaïda a décidé, il y a quelques mois, que les incidents qu'ils ont réussi à faire à New York, le 11 septembre 2001, étaient trop difficiles à réaliser. Consciemment, ils ont changé leur doctrine. On le constate en lisant leur magazine Inspire et sur leurs sites web, en particulier, pour la branche d'Al-Qaïda au Yémen. Dans leurs publications, ils encouragent fortement les gens à agir en tant qu'individu.
Je ne sais pas si vous connaissez le magazine Inspire. Il est publié par AQAP, Al-Qaeda in the Arabian Peninsula. On y donne des instructions très précises sur la façon d'agir en tant qu'individu pour faire le maximum de dommage.
On a capté, ici au Canada, et à plusieurs reprises, des gens qui parlaient sur des sites web et qui se disaient prêts à essayer d'entreprendre ce genre d'activité. Je devrais dire que mes collègues au Royaume-Uni, en Australie et aux États-Unis pensent la même chose.
On voit une légère augmentation dans le nombre de personnes qui agissent à titre individuel. Cela nous complique vraiment la vie. Comme vous le savez sans doute, lorsqu'il s'agit de groupes composés d'un certain nombre d'individus, les possibilités de capter leurs communications ou les possibilités qu'ils commettent une erreur sont beaucoup plus grandes. Quand il n'y a qu'un individu, cela prend vraiment de la chance, ce qui arrive des fois, où la personne commet une petite erreur ici ou là.
On est en train d'essayer, avec nos collègues en Occident, les Français, les Allemands, les Américains et les Australiens, de développer une plus grande compréhension de ce genre de personne. Ce n'est pas facile, parce que comme j'ai tenté de le dire dans mes remarques, les individus semblent être composés d'un mélange de terroristes et de gens qui ont simplement de très graves problèmes personnels. Cela devient alors très difficile de construire une doctrine ou une stratégie opérationnelle pour traiter avec eux.
Honnêtement, oui, cela nous inquiète.
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Fadden.
[Traduction]
Le sénateur Day : Monsieur Fadden, j'ai deux ou trois questions qui découlent des commentaires ou des allusions faits pendant cette séance. Premièrement, je pense que vous avez dit que nous n'avions pas au Canada de déclaration de départ, et il est donc difficile pour votre groupe et les autres agences de savoir ce que les gens sont en train de faire au Canada. Nous dirigeons-nous dans cette direction? Y a-t-il des gens qui demandent un tel système de déclaration de départ?
M. Fadden : Monsieur le sénateur, je ne veux pas parler au nom des autres. Du point de vue exclusif de mon service, la situation serait plus facile si nous savions qui quittait le pays. Cependant, je suis également un citoyen. Je comprends qu'il y a des problèmes importants à ce sujet. Nous avons le droit constitutionnel d'entrer et de sortir du pays, et la façon dont on le fait et dans quelles circonstances est, d'après moi, une question de politique dont devront s'occuper les ministres.
De mon point de vue très limité, il serait utile de savoir qui quitte le pays, mais comme je viens de le dire, je comprends que c'est l'une des nombreuses considérations dont il faudra prendre compte avant d'en arriver là.
Le sénateur Day : Restons-en là pour l'instant.
M. Fadden : Merci.
Le sénateur Day : Je pense que cela existe présentement dans d'autres pays. J'allais dire que cela ne semble pas être un gros inconvénient, mais n'ayant pas vécu dans un tel système, je n'ai peut-être pas le même point de vue que d'autres. Alors, on peut en rester là.
Il y a eu un comité parlementaire il y a environ cinq, six ou sept ans qui a parcouru le pays, en fait, qui a parcouru le monde, il a visité l'Australie, l'Angleterre, le Royaume-Uni et les États-Unis, et il a déposé un rapport à son retour — et je crois qu'à l'époque son rapport était perçu assez favorablement par le gouvernement — qui recommandait que le Parlement ait un système de surveillance législatif similaire à celui du Congrès dans lequel le législateur participerait à des séances d'information auxquelles il ne participe pas normalement, mais aurait également un différent niveau de responsabilité, évidemment, ayant reçu de telles séances d'information.
On n'en a pas beaucoup entendu parler au cours des dernières années. Le sénateur Dallaire y a fait référence de façon indirecte lorsqu'il a posé sa question. Voyez-vous un quelconque mérite à ce type de surveillance? Cela serait-il utile, d'après vous?
M. Fadden : Au risque de paraître comme un témoin réticent, monsieur le sénateur, je dois dire que cela dépasse mes responsabilités. Cela touche à la relation entre l'exécutif et le Parlement. Il ne serait pas approprié pour moi de commenter à ce sujet.
Le sénateur Day : Bien.
M. Fadden : Je sais que c'est une question délicate, et je ne crois pas qu'à titre de fonctionnaire, je puisse faire des observations sur les relations entre les ministres et le Parlement.
Le sénateur Day : Lorsque cela semblait intéressant il y a quelques années, avez-vous vu beaucoup de résistance dans votre agence?
M. Fadden : Pour être franc, il y avait des opinions diverses comme il y en a dans tous les groupes qui discutent de cette idée. Je pense que je dirai simplement que si le Parlement et les ministres s'en allaient dans cette direction, cela signifierait un changement assez important de nos accords constitutionnels.
Le sénateur Day : Oui, ce serait le cas.
M. Fadden : Je pense que pour toute situation qui amène un tel niveau de changement, il existe divers points de vue, et je préfère ne rien dire encore une fois.
Le sénateur Day : Cependant, parlez-vous à vos collègues du Royaume-Uni et des États-Unis?
M. Fadden : Oui.
Le sénateur Day : Ils font l'objet de ce type de surveillance?
M. Fadden : Oui.
Le sénateur Day : Vous êtes-vous fait une opinion après avoir discuté avec eux ou les avoir écoutés?
Une voix : Ce n'est pas un procès.
M. Fadden : Je soulignerai que le système aux États-Unis est complètement différent. Je pense que c'est comme comparer des pommes et des oranges. La relation entre les différents pouvoirs aux États-Unis est totalement différente d'ici. Je pense qu'au Royaume-Uni, il y a des opinions divergentes à ce sujet, et encore une fois, je préfère ne rien dire. Veuillez m'aider, monsieur le président.
Le vice-président : Vous vous en tirez bien.
Le sénateur Day : Il y a beaucoup trop d'encouragement qui vient d'une autre partie de cette séance également, monsieur le président.
J'ai une autre question, et elle traite de la relation dont on a discuté, entre la GRC et le SCRS. Lorsqu'on a créé le SCRS, il était surtout ou exclusivement formé d'anciens agents de la GRC, et cela a changé progressivement avec le temps. Sous votre direction, vous avez vu tout un changement. Avez-vous vu un changement de culture suite à cette transition, et est-il bon ou pas? J'aimerais que vous nous parliez un peu de cela, s'il vous plaît.
M. Fadden : Si l'on tient compte des raisons pour lesquelles le Parlement a créé le SCRS, qui était de créer une organisation distincte de la GRC, alors je crois qu'un changement culturel était désiré et que les gens ont travaillé sur ça pendant un bon nombre d'années.
On m'a dit l'autre jour qu'il n'y a plus que 17 anciens agents réguliers de la GRC dans notre service. La culture a beaucoup changé. Au départ, nous étions entièrement constitués d'agents de la GRC, alors il s'agissait au fond d'agents de l'ordre qui n'étaient pas en uniforme et qui essayaient de créer une nouvelle agence régie par des règles entièrement différentes. Je pense que c'est quelque chose que les gens oublient. Les règles qui nous régissent et celles qui régissent les agents de la paix sont totalement différentes. Le contexte est différent. Je pense qu'il fallait un assez grand changement. J'ai l'impression qu'il s'est produit au cours des ans et qu'il s'agit vraiment d'une agence civile maintenant.
Notre grand défi au cours des sept dernières années a été qu'au début, il fallait séparer la GRC du service, mais maintenant nous essayons de retisser des liens afin de coopérer efficacement. Je suis au SCRS depuis deux ans et demi. J'ai l'impression que le service et la GRC coopèrent très bien dans la pratique. Nous avons des perspectives différentes, alors nous percevons parfois la même situation différemment, mais je crois que c'est pour cela que le Parlement a créé une agence distincte. L'époque où nous ne partagions pas les renseignements, où nous ne nous parlions pas, où nous ne collaborions pas sur des enquêtes est révolue depuis longtemps. Avons-nous atteint le nirvana? Non, probablement pas. Toutefois, l'un des résultats de l'incident des 18 de Toronto est que nous avons élaboré, avec la GRC, un manuel commun des opérations qui décrit les opérations quotidiennes, qui fait quoi à qui, dans quelles circonstances et quand. Cela aurait été inconcevable il y a 15 ans, alors je pense que nous avons fait beaucoup de progrès.
Le sénateur Day : Ce n'est peut-être pas juste de regarder du côté des autres pays, mais je le ferai et je vous demanderai de le faire. Au cours des dernières années, il y a eu un bon nombre de révélations sur les jalousies entre la CIA et le FBI. Il y a des dangers à être trop éloigné. Nous n'avions pas cette situation au départ, car les agents du SCRS venaient de la GRC, alors il existait une coopération et des relations personnelles. Dans votre réponse, vous avez beaucoup parlé de la coopération et de son importance. Est-ce pour éviter ce que l'on a vu dans d'autres pays, comme les jalousies entre différentes agences qui se marchent sur les pieds?
M. Fadden : C'est une bonne question. Je répondrai en disant que je vois maintenant le monde comme étant assez complexe et qu'il y a un besoin pour des agences spécialisées qui font diverses choses. L'époque où une agence pouvait s'occuper de l'exécution de toutes les lois d'un pays est révolue. Le monde est trop complexe. Dans notre cas, le Parlement a décidé qu'il y aurait au moins deux agences. Je pense que nous coopérons assez bien. Voici un exemple : il y a une réunion mensuelle de coordination des opérations dans chaque région du pays avec la GRC. Nous leur disons ce que nous faisons, ils nous disent ce qu'ils font et nous réglons les conflits.
Aux États-Unis, le FBI et la CIA ont des mandats vraiment différents. En théorie, la CIA devrait agir à l'extérieur du pays et le FBI à l'intérieur. La complexité dont je parlais peut être perçue dans le fait que la CIA agit maintenant à l'intérieur et à l'extérieur du pays, tout comme le FBI.
C'est une réponse imparfaite, mais c'est la meilleure que je puisse vous fournir, monsieur le sénateur.
Le sénateur White : Nous avions une question concernant le modèle américain. Aux États-Unis, il y a également deux différents ministères qui chapeautent les deux agences, la CIA et le FBI, et certains diront qu'au Canada, notre succès — et je parle de succès surtout pour les cinq dernières années — vient du fait que les deux organisations rendent des comptes au même ministère. Êtes-vous d'accord?
M. Fadden : Je pense que c'est vrai. C'est vrai en pratique et cela a un effet psychologique également.
Le sénateur White : Parce que j'ai discuté avec des employés de la GRC et du SCRS au cours des cinq dernières années en particulier, ils diraient que la relation est actuellement à son meilleur depuis la création du SCRS. Êtes-vous en accord avec cela également?
M. Fadden : Je suis d'accord, et pour deux raisons. Premièrement, j'ai travaillé au Bureau du Conseil privé lors de la création du SCRS et j'ai une idée de la situation à l'époque, et c'est maintenant comme le jour et la nuit. Deuxièmement, j'ai pris la peine de poser la même question à mes collègues du SCRS et de la GRC, et ils me disent exactement ce que vous venez de dire.
Le sénateur White : À titre d'observation plutôt que de question, mon dernier point est le suivant : je pense qu'en 1984, 1985 et 1986, les deux agences étaient la GRC et une autre quasi-GRC, alors qu'aujourd'hui nous avons deux agences avec des modes de fonctionnement très distincts qui se voient forcer de collaborer parce qu'on ne peut plus passer par la porte arrière pour obtenir des renseignements et les partager. Il faut maintenant passer par la porte avant. Est-ce exact?
M. Fadden : Je pense que c'est exact.
Le vice-président : Monsieur Fadden, vous avez dit que dans le cadre de vos activités, vous parlez à des gens pour obtenir les renseignements dont vous avez besoin pour prendre vos décisions, et parfois vous parlez à des pays étrangers et vous obtenez des renseignements de l'extérieur. Dans le cadre de ce projet de loi, si vous receviez des renseignements d'un pays et étiez informé que ces renseignements avaient été obtenus par la torture, utiliseriez-vous ces renseignements dans le cadre de ce projet de loi?
M. Fadden : Les directives que nous avons reçues à ce sujet sont que tous renseignements que nous recevons et que nous croyons avoir été obtenus par la torture ne peuvent être utilisés que si nous pensons qu'il y a un danger pour la vie ou un danger important pour la propriété, et nous utilisons toutes les autres méthodes possibles pour essayer de confirmer les renseignements. Toutefois, la règle est la même pour ces renseignements ou tout autre rapport de liaison. Nous devons être absolument convaincus qu'utiliser ces renseignements sauverait des vies. On ne peut pas les utiliser à des fins judiciaires; on ne peut pas les utiliser à des fins quasi judiciaires; on ne peut pas les utiliser pour des poursuites. On peut seulement les utiliser pour ce que j'appelle des actions d'exécution, en d'autres mots, les policiers ou quelqu'un d'autre qui essaie d'empêcher quelqu'un de faire quelque chose.
Le vice-président : Dans le cadre de ce projet de loi qui crée deux nouvelles infractions, quitter le pays et avoir l'intention de quitter le pays, interpréteriez-vous cela comme un danger envers la vie des citoyens au bout du compte, ou l'interpréteriez-vous de façon plus restrictive dans le contexte des infractions qui sont décrites dans le projet de loi?
M. Fadden : Notre tendance générale est d'interpréter les directives que nous recevons du ministre et du gouvernement assez restrictivement et que nous ne devrions utiliser de tels renseignements que si les conditions décrites sont très clairement respectées. Je n'essaie pas de ne pas répondre à votre question, mais il est difficile d'en parler dans l'abstrait. La règle serait interprétée de façon très limitée. Il faudrait qu'il y ait une preuve claire d'un danger pour la vie, en particulier d'une personne au Canada.
Le vice-président : La lettre datée du 7 décembre 2010 que vous avez reçue mentionne assez clairement que les renseignements fournis par des agences étrangères qui pourraient provenir de l'utilisation de la « torture ou des mauvais traitements », alors c'était clair, mais dans la lettre que vous avez reçue le 28 juillet 2011 du ministre, je remarque que le mot « torture » n'y figure plus. On peut lire :
Dans des circonstances exceptionnelles, le SCRS peut être appelé à communiquer toute l'information en sa possession, y compris celle qui provient d'un organisme étranger et qui a été vraisemblablement obtenue à la suite de mauvais traitements, afin d'atténuer une menace sérieuse pouvant entraîner des pertes de vie, des blessures, des dommages graves ou la destruction de biens, et l'empêcher de se concrétiser.
Y a-t-il une différence entre ces deux lettres, ou un changement d'orientation, quant à l'utilisation des renseignements provenant d'entités étrangères?
M. Fadden : Je ne crois pas, monsieur le président. La lettre que le ministre m'a envoyée devait être une mesure temporaire alors que le gouvernement réfléchissait à sa position générale sur le sujet.
Le vice-président : Parlez-vous de la lettre du 10 décembre?
M. Fadden : Cette lettre, exactement. Dans mes discussions avec M. Toews, il a été très clair que lorsqu'il parle de la directive ministérielle nous régissant, la précédente ou cette lettre, elle comprend la torture et les mauvais traitements. Il ne s'agissait pas d'un signal annonçant un changement de politique.
Je suis désolé, je n'ai pas la lettre devant moi.
Le vice-président : Bien sûr, je pourrais vous donner ma copie. En passant, elle n'est pas classifiée. N'importe qui peut la trouver sur Internet. Je n'ai pas accès à des renseignements confidentiels. Cela m'est venu à l'esprit parce que les deux mots décrivent des réalités complètement différentes. La torture, c'est une chose, et les mauvais traitements, une autre. Il y a une convention contre la torture. Une convention contre les mauvais traitements serait plus discutable. C'est pourquoi cela a piqué ma curiosité lorsque je l'ai lue, parce qu'en vertu de la directive que vous avez reçue, on décrivait deux réalités différentes.
M. Fadden : Chez nous, il y a un assistant directeur des directives opérationnelles qui applique tout cela. Si vous pouviez le voir, je pense que vous verriez que cela couvre tout ce qui va des mauvais traitements à la torture, tel que défini dans la Convention contre la torture. Nous traitons les renseignements de l'une ou l'autre catégorie de la même façon.
Le vice-président : Si vous receviez de tels renseignements et qu'une personne était accusée en vertu des nouvelles infractions au Code criminel — celles qui seraient créées par le projet de loi S-7 —, êtes-vous inquiet qu'une personne puisse contester l'accusation en disant qu'elle va à l'encontre de la Convention contre la torture que la Cour suprême du Canada a maintenue dans des décisions précédentes?
M. Fadden : Encore une fois, je n'essaie pas d'être réticent. Vous posez une question technique et juridique, et j'aimerais ne pas y répondre. Je pense que les fonctionnaires du ministère de la Justice seraient mieux placés pour y répondre. Selon mon expérience, vous pouvez probablement trouver un avocat pour défendre l'un ou l'autre des côtés de cette équation. Monsieur le président, je préfère m'en remettre au ministère de la Justice pour savoir ce que feraient les tribunaux.
Le sénateur Dallaire : La diffusion des renseignements n'est pas le fort des services de renseignements. Le regroupement, oui, mais pas la diffusion. Certainement, lorsque je portais l'uniforme, il était extrêmement difficile de faire circuler des renseignements d'une organisation à l'autre, car les gens cherchaient en permanence à protéger leurs sources.
Nous avons maintenant un projet de loi qui va imposer une demande importante à l'échelon municipal pour obtenir une grande quantité de renseignements. Ils vont se retrouver en première ligne pour ce qui est de leurs activités policières fondées sur les renseignements et la collecte de renseignements. Vous nous dites que vous avez participé à des réunions mensuelles, et cetera. J'ai aussi siégé au Comité consultatif sur les services nationaux d'information policière où nous avons aussi observé des problèmes de diffusion et d'échange d'information.
Comment pouvez-vous nous garantir que toutes les données seront transmises à l'échelon municipal et que cela sera maintenu? Ces gens travaillent souvent à l'échelon municipal. C'est un domaine qui leur est complètement nouveau. Qui va assurer leur formation? Qui assurera la transmission de renseignements? Est-on en train de créer des directions spéciales? Allez-vous participer à ce processus? Pouvez-vous nous donner quelque chose de mieux qu'une simple réunion mensuelle?
M. Fadden : Lorsque je faisais référence à la réunion mensuelle, je tentais de faire valoir le fait que nous avions un protocole précis avec la GRC. Il existe une organisation qui s'appelle le CIEM, le Centre intégré d'évaluation des menaces, au sein du SCRS, dont l'un des mandats consiste à servir de liaison avec le secteur privé et les forces provinciales et municipales.
Celui-ci tient des listes plutôt complètes. Je ne dirais jamais que nous couvrons toutes les bases; je ne pense pas que cela soit faisable, mais nous tentons de le faire. Cette organisation a des listes de distribution plutôt complètes dans l'ensemble du pays, que ce soit pour les forces policières locales et provinciales ou le secteur privé, et elle a la responsabilité de prendre des renseignements qui sont parfois classifiés à un très haut niveau et d'en abaisser le degré de classification d'un niveau ou deux afin que nous puissions être en mesure de les mettre en commun.
Sénateur, vous savez certainement de votre expérience au sein de l'armée qu'un niveau de classification très élevé a trait à la source des renseignements ou à la méthode employée pour les recueillir, et il n'est pas vraiment nécessaire d'en informer les gens à qui l'on transmet les renseignements substantiels. Je pense qu'il y a encore du pain sur la planche. Nous n'avons pas encore atteint la perfection, mais le CIEM a fait des progrès considérables pour ce qui est de mettre en commun ce type de renseignement.
J'étais à Edmonton l'autre jour et j'ai eu l'occasion de dîner avec le chef de police local. L'un des sujets que nous avons abordés était la validité des renseignements qu'ils obtiennent. Si ces renseignements ne sont pas les bons, peuvent-ils nous en parler? Nous incitons les gens qui pensent qu'ils n'obtiennent pas les bons renseignements à nous en faire part afin que nous puissions modifier les relations.
Au-delà de cela, en toute franchise, j'ai dit aux membres de mon équipe que si nous avons un jour à traiter des renseignements qui mettent la vie de quelqu'un en danger et que nous ne disposons pas d'un protocole, d'un protocole d'entente ou d'une note de ma tante Mona, ils doivent appeler par téléphone la personne ressource, et l'en informer. Cela n'arrive pas très souvent, mais si nous sommes convaincus d'avoir affaire à une menace réelle, nous prendrons notre téléphone si cela est nécessaire.
Il n'y a pas de réponse parfaite, et j'en suis tout à fait conscient. Nous sommes au fait du défi que vous avez exprimé, et je pense qu'au cours des dernières années, on a fait beaucoup de progrès pour atteindre l'objectif que vous visez.
Le sénateur Dallaire : La raison, c'est que cette loi va être adoptée, mais qu'elle ne fait rien pour venir en aide aux différentes agences, que ce soit en matière de financement ou d'orientation, pour ce qui est de la mettre en application, ce qui pourrait créer un énorme fossé et être, plus tard, source d'inefficacité. Le projet de loi aurait pu chercher à renforcer cet aspect afin de s'assurer que cela fonctionne.
D'un autre côté, il y a beaucoup de recrutement qui est effectué auprès des jeunes. Il se trouve au pays tout un ensemble de jeunes marginalisés provenant de différentes collectivités, y compris des jeunes Autochtones. Certains signes vous donnent-ils à penser qu'il pourrait y avoir un recrutement possible auprès des jeunes des gangs autochtones? Y a-t-il lieu de s'inquiéter?
M. Fadden : Sénateur, le rapport annuel auquel vous faites certainement référence indique que nos préoccupations à cet égard concernant les jeunes Autochtones sont très limitées. Or, il y a 10, 15 ou 20 ans, c'était une tout autre histoire.
Le sénateur Dallaire : Je sais.
M. Fadden : Toutefois, maintenant, pour un ensemble de raisons, cette question ne fait pas partie de nos grandes priorités.
Le sénateur Dallaire : Prenez un pays où sévit la guerre civile. Le groupe rebelle qui a potentiellement gagné la guerre devient le gouvernement. Des membres de ce groupe veulent immigrer au Canada, mais ils ont participé aux activités rebelles en vue d'établir un meilleur gouvernement. Certains diraient qu'il s'agit simplement de terrorisme, mais nous savons tout l'ensemble du débat à ce sujet au Moyen-Orient.
Disposez-vous des moyens nécessaires, et vous demande-t-on d'intervenir, pour établir le statut des ressortissants qui veulent venir au Canada et, éventuellement, en repartir?
M. Fadden : L'exemple parfait de ce type de situation, c'est l'ancien président de l'Afrique du Sud, M. Mandela, qui a eu besoin d'un permis ministériel chaque fois qu'il voulait entrer au Canada. On nous demande notre avis chaque fois que quelqu'un veut entrer au pays. Dans la mesure du possible, cet avis est fondé sur les circonstances. Qu'il s'agisse d'un gouvernement démocratique ou non, le fait qu'il ait été renversé constitue un facteur. Nous étudions tout un ensemble d'éléments. Par la suite, il revient à Citoyenneté et Immigration Canada de prendre la décision définitive. J'ai cru comprendre que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a tout un ensemble de propositions à cet égard. Je ne connais pas les détails, mais on m'a dit l'autre jour que cette question est soulevée assez fréquemment lorsqu'il y a des changements de gouvernement et qu'il a des propositions à cet égard.
Le sénateur Dallaire : Je reviens du Rwanda, et là-bas, par exemple, ils ne peuvent même pas entrer au pays pour rejoindre le gouvernement.
Enfin, j'aimerais revenir sur la question des jeunes qui sont embrigadés à l'interne par leurs propres familles. Ces familles les préparent psychologiquement et parfois déménagent.
Vous pouvez arrêter un jeune, mais dans quelle mesure l'implication de la famille a-t-elle une importance dans ce contexte? Qu'il s'agisse d'une implication culturelle ou religieuse, quel rôle joue-t-elle pour faire en sorte que le jeune va suivre une formation plutôt que simplement visiter sa grand-mère?
M. Fadden : L'implication des familles est totalement variée. Par exemple, je crois qu'il est publiquement connu qu'Omar Khadr, qui essaie de terminer de purger sa peine au Canada, a abouti en Afghanistan en raison de la pression exercée par la famille et d'un entraînement organisé par celle-ci. Il y a également d'autres cas dont on ne peut révéler les détails publiquement où les familles ont tout fait, si ce n'est d'enfermer l'enfant dans le sous-sol, pour l'empêcher de se joindre au djihad. Entre ces deux extrêmes, il y a tout un ensemble d'autres cas.
C'est difficile de généraliser, mais cela revient à la question posée par l'un de vos collègues il y a une minute de cela. Nous essayons d'en parler le plus possible, de concert avec la GRC et Citoyenneté et Immigration Canada, pour sensibiliser les gens à ce type de situations. En fin de compte, cela dépend de l'ouverture de la famille à discuter avec les autres et à nous écouter. Nous essayons parfois d'approcher des dirigeants religieux de communautés cibles pour essayer de les convaincre de parler à certaines personnes. Toutefois, comme vous le savez, c'est un sujet très délicat, et il est difficile de s'adresser à des membres d'une communauté au sujet d'une personne sans qu'elle ne soit au courant. Nous n'intervenons donc que lorsque nous sommes vraiment certains que la personne s'apprête à poser un geste préjudiciable, pour elle-même ou pour les autres. Nous essayons également d'engager la police le plus possible dans nos démarches.
Le sénateur Dallaire : Khadr n'avait que 11 ans lorsque son père l'a amené à l'étranger pour qu'il intègre l'organisation. Cela signifie-t-il que ce jeune, qui correspond aux dispositions prévues dans le projet de loi, serait un terroriste potentiel et qu'il faudrait l'arrêter avant qu'il ne quitte le pays?
M. Fadden : Votre question est d'ordre technique et juridique, mais d'après moi, et d'après ce que le ministre de la Justice a dit à votre comité, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a préséance sur toute autre loi. Par conséquent, la cause du jeune relèverait de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. J'ai lu le témoignage de M. Nicholson et si je ne m'abuse, le jeune serait traité ainsi, mais votre question est d'ordre juridique et technique. Je n'essaie pas d'éviter de répondre, mais je crois que le ministre serait mieux placé que moi pour y répondre.
Le sénateur D. Smith : J'ai ressenti une certaine nostalgie lorsque vous avez fait allusion à la GRC. Je me rappelle que nous avons encore quelques personnes du type Nelson Eddy en Saskatchewan.
La question suivante tient à ma curiosité d'avocat. Dans la deuxième page de votre déclaration, vous employez des mots comme « terrorisme », « menace terroriste », « extrémisme islamique » et « lié au terrorisme ». Vous faites également référence au djihad et au fait que quelqu'un puisse vouloir se faire exploser. Vous connaissez sans doute le profil du guerrier idéologique ou fanatique; toutefois, si l'individu ne correspond pas à cette catégorie, il s'agit d'un simple criminel. Il n'y a qu'à penser à l'exemple d'un type qui part de Windsor pour Detroit et y commet un vol de banque. Une autre zone grise serait l'exemple de quelqu'un qui se rend en Somalie dans le sud de la côte du golfe Persique pour s'adonner à des actes de piratage. Peut-être qu'il a grandi là-bas et que ses amis l'appellent à Toronto pour lui dire : « Reviens en Somalie, car tu peux faire beaucoup d'argent en te joignant à notre gang. » Ces activités ne sont pas motivées par une idéologie ni justifiées par le djihad fanatique. Ces individus se déplacent de quelques centaines de milles pour aller extorquer de l'argent des armateurs. Les dispositions s'appliqueraient-elles à ces scénarios également? Est-ce un critère valable?
M. Fadden : D'après ce que je comprends, comme le titre du projet de loi le laisse entendre, ces dispositions ne s'appliquent qu'aux situations où il y a terrorisme, à savoir des actes de violence motivés par des idéaux politiques ou religieux.
Le premier exemple que vous avez donné devrait être renvoyé à Nelson Eddy. Si quelqu'un se rend à Detroit, alors cela dépasse notre champ de compétence. Si jamais nous avons affaire à ce type de cas, nous le transmettrions à la police.
Le sénateur D. Smith : Disons que le pirate somalien revient. Est-ce considéré comme du terrorisme, du piratage ou un enlèvement?
M. Fadden : Il faudrait essayer de découvrir quelle est sa motivation.
Le sénateur D. Smith : L'appât du gain.
M. Fadden : Je serai le premier à admettre que ce n'est pas toujours facile de trancher la question. S'il s'agit de simples criminels qui essaient de gonfler leur compte en banque, dans une certaine mesure, nous collaborerions avec la police si nous le pouvons, mais cela relèverait tout de même du droit criminel.
Le sénateur D. Smith : Les noms sont-ils toujours fichés? Par exemple, le nom de « David Smith » est assez courant. Il y a environ un an de cela, un type portant ce nom aux États-Unis a commis un acte très grave et, depuis, chaque fois que je vais à l'aéroport, ils me disent : « Nous vous reconnaissons, mais nous devons passer un coup de fil. » Ils étaient obligés de suivre cette procédure. Il m'a fallu six mois pour régler ce problème.
M. Fadden : Je souris parce que...
Le sénateur D. Smith : Ils vous ont appelé pour vous poser des questions à mon sujet?
M. Fadden : Non. En fait, j'ai un beau-frère qui se nomme David Smith et qui a le même problème que vous. Il est même arrivé à une occasion que l'Unité du groupe des armes spéciales et tactiques soit dépêchée au poste frontalier parce qu'ils ont fait erreur sur la personne. Tout comme vous, le problème a fini par être réglé.
Le sénateur D. Smith : Je ne vous parlerai même pas de la fouille par palpation à laquelle j'ai eu droit à LaGuardia... Je garde cette anecdote pour un autre moment.
Le sénateur White : Le Code criminel du Canada tient pour responsables les parents complices ou ceux qui ont un enfant auteur d'un acte criminel. Cette disposition s'appliquerait dans le cas où un adulte emmène son enfant de 11 ans dans un autre pays pour participer à ces activités. Par la suite, les sociétés d'aide à l'enfance de chaque province pourraient être saisies du cas de l'enfant. Est-ce exact? Il y a certainement quelque chose qui peut être fait.
M. Fadden : Sénateur, je suis d'accord. Je crois que le problème réside dans la détermination de la motivation. Ce n'est pas facile à savoir. Si vous connaissez les faits, je suis d'accord avec vous.
Le vice-président : Si vous n'avez plus de question à poser à notre invité cet après-midi, j'aimerais lui poser la toute dernière.
Monsieur Fadden, à la page 2 de votre mémoire, vous indiquez que le SCRS connaît 45 Canadiens, et peut-être même jusqu'à 60 Canadiens, qui ont réussi ou tenté de se rendre en Somalie. D'après ce projet de loi, toutes ces personnes verraient leurs noms ajoutés à la liste d'interdiction de vol pour les empêcher de quitter le Canada? Si c'était le cas, la GRC pourrait porter des accusations à l'aéroport?
M. Fadden : C'est une question difficile, car le critère menant à l'inscription d'un nom sur la liste d'interdiction de vol n'est pas clairement défini. Prenons l'exemple d'un jeune de Toronto qui veut se rendre en Somalie. D'après les conversations que nous avons eues ainsi que celles qui ont été interceptées, nous comprenons que son intention c'est de s'y rendre pour se joindre au djihad. Par conséquent, il a l'intention de s'adonner à des actes de violence là-bas. D'après les règles actuelles, si je les ai bien comprises, on peut interdire à quelqu'un de monter à bord d'un avion si cette personne présente une menace immédiate à l'aviation. Techniquement, cet individu, malgré le fait qu'il s'agit d'une personne malveillante, ne présente pas une menace immédiate à l'aviation, car son objectif, c'est de se rendre à destination. Il n'a pas l'intention d'endommager l'avion.
Bien sûr, je comprends qu'il y a d'autres moyens possibles lorsqu'il s'agit de la liste d'interdiction de vol. Autrement dit, la GRC peut mettre à bord de l'avion un policier de l'air ou l'individu peut être fouillé à trois reprises avant de monter à bord, en croyant à tort qu'il s'agit du sénateur Smith. Il y a tout un ensemble d'options possibles. D'après le programme actuel de listes d'interdiction de vol, il faut présenter un risque pour l'aviation. Dans l'exemple que vous venez de donner, je ne suis pas certain que la personne présente un risque pour l'aviation. Une certaine marge de manœuvre est tout de même possible, et si l'on est convaincu que la personne présente un risque, on peut essayer d'appliquer les mesures. J'ai cru comprendre que des fonctionnaires préparaient un ensemble de propositions à soumettre au ministre pour essayer de rendre la liste un peu subtile, mais je ne sais pas où ils en sont dans ce projet.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Fadden, de nous avoir bien informés et aidés à comprendre les ramifications du projet de loi S-7. Au nom de tous mes collègues du Sénat, c'est un honneur pour moi de vous dire merci.
M. Fadden : Merci.
Le vice-président : La séance est levée.
(La séance est levée.)