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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 15 - Témoignages du 25 avril 2012


OTTAWA, le mercredi 25 avril 2012

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour examiner l'évolution de la reconnaissance juridique et politique de l'identité collective et des droits des Métis au Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous nos honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui est diffusée sur CPAC ou sur Internet.

Je m'appelle Gerry St. Germain et je viens de la Colombie-Britannique; j'ai l'honneur et le privilège de présider le comité.

Le comité a pour mandat d'étudier la législation et les affaires concernant les peuples autochtones du Canada, en général. Nous allons entendre aujourd'hui des témoignages qui ont trait à un ordre de renvoi donné, lequel nous autorise à examiner l'évolution de la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada.

Les premières réunions portant sur cette étude ont permis de réunir des documents d'information préparés par divers ministères qui nous ont fourni des renseignements, entre autres, concernant les programmes et services fédéraux actuels, le statut des relations entre la Couronne et les Métis, des données statistiques générales et les enjeux juridiques actuels.

Ce soir, nous allons entendre nos premiers témoins de l'extérieur du gouvernement. Nous accueillons deux universitaires de l'Université d'Ottawa qui connaissent les enjeux auxquels font face les Métis.

[Français]

Auparavant, j'aimerais présenter les membres du comité présents ici ce soir.

[Traduction]

Le vice-président du comité est le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan. Nous avons également avec nous le sénateur Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord- Ouest, le sénateur Salma Ataullahjan, de l'Ontario, le sénateur Vernon White, de l'Ontario, le sénateur Don Meredith, de l'Ontario, le sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique, le sénateur Jacques Demers, du Québec et le dernier mais non le moindre, le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut.

Mesdames et messieurs les membres du comité, veuillez avec moi souhaiter la bienvenue à nos deux témoins de ce soir. Nous accueillons Larry Chartrand, professeur agrégé, faculté de droit, Section de common law, de l'Université d'Ottawa, et Brenda Macdougall, Chaire de recherche sur les Métis, Département de géographie, faculté des arts. Nous avons bien hâte d'entendre vos exposés, et je suis convaincu que les sénateurs poseront ensuite des questions. J'espère que vous serez prêts à répondre à toute question qu'ils pourraient avoir.

Larry Chartrand, professeur agrégé, faculté de droit, Section de common law, Université d'Ottawa, à titre personnel : C'est un plaisir d'être ici.

[Note de la rédaction : M. Chartrand s'exprime en différentes langues autochtones.]

C'était un petit échantillon de mots autochtones du territoire qui signifient « bonjour ».

Je voulais donner au comité une perspective quelque peu différente de l'identité et des droits des Métis. Je souhaitais m'attarder à la perspective des droits collectifs de la personne, en particulier ceux qui sont mentionnés dans le droit international, par exemple, tout récemment, dans la Déclaration des droits des peuples autochtones. J'aimerais étudier la question de l'identité et des droits des Métis dans cette optique.

Je veux commencer par souligner que les personnes qui se déclarent métisses du Canada peuvent se prévaloir des dispositions de la Déclaration des droits des peuples autochtones, comme tout autre Autochtone le pourrait, dans la mesure où elles satisfont aux critères selon lesquels une personne est autochtone aux fins de la déclaration. Ce ne sont pas toutes les communautés qui se déclarent métisses qui peuvent satisfaire aux critères relatifs aux peuples autochtones. J'ai énuméré dans ma déclaration un certain nombre de ces critères. Il y en a un en particulier qu'il est important de garder à l'esprit : la communauté métisse devait exister avant un autre fait établi, par exemple, la colonisation ou la mainmise gouvernementale effective d'un pouvoir européen. L'existence de la communauté métisse avant la colonisation effective ou avant la mainmise gouvernementale est un prérequis essentiel au moment de déterminer si la communauté respecte les critères qui lui permettent de se prévaloir des droits prévus par la déclaration.

Je ne sais pas si vous le savez, mais ces critères découlent de l'arrêt Powley, et l'expression « mainmise effective » a été formulée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Powley. Sur ce point, l'arrêt Powley respecte d'assez près la Déclaration des droits des peuples autochtones.

Il existe peut-être des communautés qui se déclarent métisses, mais qui ne peuvent être qualifiées de peuple autochtone parce qu'elles ne respectent pas de manière satisfaisante tous les critères nécessaires. Cela ne veut pas dire nécessairement que ces communautés n'ont pas de droits. Elles peuvent toujours se prévaloir de droits relatifs à la culture, des droits liés au statut des peuples minoritaires et d'autres protections et instruments internationaux. Elles peuvent également se prévaloir des droits qui découlent des traditions juridiques autochtones du peuple d'où vient la moitié de leurs ancêtres, par exemple les Cris ou les Ojibways. Selon les traditions juridiques des Cris et des Ojibways, les communautés qui se déclarent métisses peuvent faire partie du peuple cri si les traditions juridiques de ce peuple le permettent.

Dans le cas d'un peuple qui se déclare métis et qui a également qualité de peuple autochtone aux fins de la déclaration, j'aimerais que les membres du comité ne perdent pas de vue certaines des grandes considérations suivantes : l'identité, les droits politiques et les droits fonciers. Je vais surtout parler de ces trois grands domaines.

Il ne faut pas oublier que la déclaration établit les normes minimales au regard des droits de la personne que les États doivent respecter de façon à s'acquitter de bonne foi de leurs obligations à titre de membre de l'Organisation des Nations Unies, conformément à la Charte des Nations Unies.

La déclaration a été adoptée par l'Assemblée générale. Les États membres de l'Assemblée générale ont l'obligation de se conformer de bonne foi aux déclarations acceptées par l'assemblée par le moyen d'un vote. Le Canada ne fait pas exception à la règle.

Il faut que ces normes minimales soient cernées et respectées en sol canadien. C'est sans surprise, pourtant, que nous constatons qu'une bonne partie du droit canadien, qu'il s'agisse du droit législatif ou constitutionnel ou de la common law, contrevient à la plupart des normes de cette déclaration.

En fait, je dirais même que toute la doctrine sur laquelle reposent les droits issus de traités — car elle est fondée sur des principes essentiellement racistes relatifs à la supériorité des non-Autochtones à l'époque où ils ont colonisé le territoire — est en contravention des principes fondamentaux de la déclaration. Voilà pourquoi une nouvelle approche est nécessaire, pourquoi la déclaration doit devenir une partie intégrante et effective du Canada et être enchâssée dans les lois du Canada.

En ce qui concerne l'identité métisse, en particulier, l'article 33 de la déclaration des Nations Unies porte que :

Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions.

Autrement dit, dans la déclaration, on reconnaît que le droit et les traditions juridiques de la nation métisse sont la seule source à partir de laquelle on peut déterminer qui appartient à cette nation métisse. N'oubliez pas que la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Powley, a déterminé unilatéralement les critères d'appartenance à une communauté métisse. C'est là en soi une violation de ce principe.

L'arrêt Powley soulève une autre préoccupation assez troublante, qui semble découler de l'approche utilisée par la province sur la question des droits de cueillette des ressources des Métis : cette décision a été comprise comme limitant la reconnaissance des droits aux organisations sociales collectives métisses à l'échelon géographique de la communauté locale; cette reconnaissance est vraiment limitée à la communauté géographique spécifique. La plupart des gouvernements provinciaux insistent sur le fait que, si vous êtes un Métis, votre communauté métisse doit prouver qu'elle a des droits à titre d'Autochtone, ce qui en soi viole le droit à l'autodétermination des peuples métis. L'article 9 de la déclaration, entre autres, indique que les Autochtones, peuples et individus, ont le droit d'appartenir à une collectivité ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et aux coutumes de la collectivité ou de la nation considérée.

Cela voudrait dire — pensons aux Métis de l'Ouest — qu'il reviendrait aux communautés métisses de l'Ouest de déterminer à quel niveau de l'organisation sociale elles veulent soumettre une revendication. Elles pourraient le faire à l'échelon régional ou national, et c'est un droit qu'ont les peuples autochtones, car ils ont droit à l'autodétermination. Ils ne devraient pas être forcés, en raison d'un précédent jurisprudentiel, à soumettre leurs revendications en fonction d'une communauté locale, d'une communauté bien définie sur le plan géographique, en laissant de côté leur identité globale, celle de la grande nation métisse. Le principe de l'autodétermination reconnaît que les Métis peuvent se prévaloir de droits à l'échelon de l'organisation sociale de leur choix. Cela a à voir avec la question des droits politiques des Métis.

Les Métis ont le droit à l'autodétermination, et ce droit, en vertu de la déclaration, englobe une vaste gamme de pouvoirs — on parle des institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles. La différence cruciale entre les droits de la personne collectifs des peuples autochtones énoncés dans la déclaration et notre doctrine nationale sur les droits des Autochtones, selon l'interprétation des tribunaux, tient à l'autonomie gouvernementale. Les tribunaux ont donné une interprétation très étroite de ce terme. Je vais à la page suivante énoncer les principales critiques relatives à cette approche étroite et restrictive.

Comme l'a dit M. Morris, ce genre de résultat fait en sorte que l'on a besoin d'un certain niveau de preuves pour chaque nation autochtone du pays, concernant chaque question, et que cela suppose un nombre presque inimaginable de poursuites judiciaires, engagées à un coût presque incalculable.

Si une nation autochtone, y compris la nation métisse, veut établir son autonomie gouvernementale, elle doit procéder par toutes petites étapes, sujet par sujet, au fil du temps. Il lui faudra des milliers d'années pour finir par avoir un pouvoir autonome un tant soit peu complet et holistique, au pays, et elle devra s'appuyer sur les tribunaux. La déclaration, par contre, n'exige pas cela. Elle s'inspire du statut des tribus amérindiennes aux États-Unis. La souveraineté intégrale leur est accordée dès le départ. Elle peut être réduite, par la suite, par le pouvoir qu'a le Congrès, mais les tribus amérindiennes auront quand même le tout.

Voilà, selon la déclaration, les exigences minimales des droits collectifs de la personne s'appliquant aux peuples autochtones du monde entier; ce n'est pas ce qu'offre le Canada selon l'interprétation de l'article 35 de la Constitution.

Les autres aspects importants de la déclaration ont trait aux terres que possèdent les Métis. Encore une fois, la jurisprudence canadienne s'est toujours écartée des droits de la personne dont jouissent les peuples autochtones, selon le droit international, conformément à la déclaration, mais je dois ajouter, sur une note plus positive, que les récents arrêts Haida et Taku River reconnaissent — vous ne verrez cela nulle part ailleurs que dans les arrêts Haida et Taku River — la souveraineté antérieure des peuples autochtones et le besoin de la concilier avec la souveraineté canadienne. Dans ces arrêts, la souveraineté préexistante des peuples autochtones est reconnue. La Cour suprême du Canada l'a fait pour la première fois dans Haida. C'est un point tournant majeur du processus de conciliation de la souveraineté des peuples colonisateurs et des peuples autochtones.

En fait, cet arrêt reconnaît que la Couronne exerçait tout au plus une souveraineté de facto — autrement dit, qu'elle exerçait sa souveraineté par sa seule puissance et sa seule présence, mais qu'elle n'exerçait aucune souveraineté juridique. La souveraineté juridique ne peut être acquise que par des négociations efficaces et par le transfert consensuel des sphères de compétence par les peuples autochtones à la Couronne, au moyen d'un traité. C'est la seule façon pour le Canada d'acquérir la souveraineté de droit, la souveraineté juridique. C'est ce qu'a déclaré la Cour suprême du Canada dans les arrêts Haida et Taku River. On n'en a pas beaucoup parlé, mais c'est un point important. C'est un jalon important.

En ce qui concerne les droits fonciers des peuples métis, voilà la manière d'acquérir des terres en vue de la souveraineté du Canada, au moyen du règlement négocié de traités, selon la règle de droit, d'une façon qui préserve l'honneur de la Couronne et qui s'applique aux peuples métis comme elle s'applique aux autres peuples autochtones du pays. Cela s'est appliqué selon moi aux Métis qui ont négocié la cession de terres leur appartenant pour les transférer au Canada, pendant les négociations qui ont abouti à la loi sur les revendications des Métis du Manitoba, la Métis Settlements Act, entre le gouvernement provisoire de la nation métisse et l'autorité parlementaire canadienne. Cela s'applique à cette entente, qui a été intégrée dans la Loi sur le Manitoba. Cela s'applique aux terres qui avaient été promises aux Métis aux termes de la Loi sur le Manitoba.

La cause de la Fédération des Métis du Manitoba est devant la Cour suprême du Canada au moment où on se parle. Les arguments ont été présentés, et le tribunal va bientôt trancher. Nous devons attendre pour savoir si l'entente a été appliquée et respectée de façon honorable, si les promesses ont été tenues. À mon avis, et je m'appuie sur la recherche et le travail réalisés depuis 25 ans, les promesses n'ont pas tout à fait été tenues. Toutefois, nous devons attendre pour que la Cour suprême du Canada se prononce.

Pour conclure, et bien que je réalise, à bien y penser, que ma conclusion est un peu dure, si notre pays veut occuper dans l'histoire la place du pays le plus notoirement délinquant au chapitre des droits fondamentaux de la personne, il n'a qu'à poursuivre dans la même voie. Sur les plans politique et juridique, ce qu'il faudrait faire, c'est devenir une nation qui défend les droits de la personne plutôt qu'un délinquant patenté à cet égard, mais pour s'engager dans cette voie, il doit intégrer les peuples autochtones au sein de la fédération canadienne, à titre d'égaux, d'entités politiques constituantes souveraines qui, ensemble, donneront naissance à une fédération plus englobante et plus complète. Pour réaliser ce but, le Canada doit au minimum adopter les normes juridiques énoncées dans la déclaration des Nations Unies et les intégrer aux lois du Canada. De cette façon, l'identité et les droits des Métis seront respectés et aideront à faire du Canada une véritable fédération multinationale et, aux yeux du reste du monde, un modèle de la façon dont les peuples de cultures et d'horizons différents peuvent s'unir dans un but commun et devenir plus grands que la somme des parties individuelles.

Je vais répondre avec plaisir à toute question que vous aurez.

Le président : Merci, monsieur.

Allez-y, madame Macdougall.

Brenda Macdougall, Chaire de recherche sur les Métis, Département de géographie, faculté des arts, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée à livrer un témoignage. Je ne peux avec autant d'éloquence que M. Chartrand vous dire bonjour dans de nombreuses langues, mais tansi de l'Ouest du Canada.

Mes recherches sur les Métis ont pour cible l'histoire des communautés et des familles. L'arrêt Powley, bien sûr, a trait à la création de la notion de communauté, mais nous débattons encore de ce qui constitue une communauté. Est- ce que c'est un lieu fixe? Est-ce un groupe de personnes? En outre, par quels processus les gens définissent-ils leur sens de l'unité sociale, culturelle, politique et économique?

Je dirais que nous devons examiner l'histoire familiale et culturelle, sous l'angle intergénérationnel, et les recherches à ce sujet. Une bonne partie de ce travail s'appuie sur les documents concernant la traite des fourrures à l'échelle du Canada, et il est important de ne pas être obnubilés par des lieux spécifiques, des points précis sur une carte. Il existe aujourd'hui un certain nombre de communautés qui se déclarent métisses et qui sont reconnues comme telles. Les Métis de la rivière Rouge forment, évidemment, la plus importante; elle comprend 26 paroisses qui occupaient ce lieu au cours du XIXe siècle. Il y a Barouche, sur la Saskatchewan Sud; Edmonton; Île-à-la-Crosse, en Saskatchewan, et Sault Ste. Marie, par exemple. Vous pouvez situer tous ces lieux sur une carte, mais l'existence de ces lieux très spécifiques est une notion moderne, non pas une réalité historique. Les Métis sont nés du commerce des fourrures. Ils sont devenus un peuple en mouvement. Le commerce des fourrures exigeait une grande mobilité géographique pour que cette économie fonctionne.

Si nous établissons les lignées familiales, nous constatons que les Métis se retrouvent à toutes sortes d'endroits qui les relient toujours aux mêmes ancêtres originaux. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas d'histoire régionale ou d'histoire communautaire. De plus, leurs terres natales sont beaucoup plus étendues et sont très mal définies et donnent lieu, à l'heure actuelle, à un débat sur ce qui constitue sur le plan géographique les terres natales des Métis.

Dans le contexte moderne, il semble exister une certaine confusion quant à l'identité des Métis, et on semble faire une fixation sur la présence, à titre d'ingrédient principal, du « mélange »; on parle de leur « sang mêlé », et cela complique davantage les choses, car les membres des Premières nations et les Inuits sont aussi métissés que les Métis. Si nous nous attachons uniquement aux aspects biologiques ou à la race, nous allons passer à côté de l'essence même d'une collectivité, soit sa vision du monde, le regard qu'elle pose sur la vie et les gestes posés en fonction de ce regard.

Chez les Cris, la vision du monde est exprimée par le terme wahkootowin, qui signifie « toutes mes relations »; chez les Sioux, le terme est tiyospaye; chez les Dénés, c'est etoline. Tous ces termes expriment les notions de citoyenneté, d'appartenance, d'assimilation et d'appui sur les liens de la famille. Par « famille », on n'entend pas uniquement les membres de la famille nucléaire, les parents, les grands-parents ou les enfants. Ce terme désigne tous ceux qui font partie de l'espace social construit. Il existe des processus qui permettent à des communautés d'adopter des gens, de même que des façons de réunir les gens et de les assimiler, pour qu'ils deviennent citoyens de ces communautés, et ces moyens ont déjà été décrits en détail; toutefois, en raison de cette fixation sur la notion de race, ces documents ont échappé à notre attention. Nous n'avons pas relevé non plus les éléments de l'histoire des Métis laissés par des missionnaires ou des commerçants de fourrures dans toutes sortes de documents et qui ont imprégné les récits des Métis. Les Métis ont raconté leur propre histoire, et nous pouvons les entendre.

Je ne crois pas que, historiquement, les gens aient déjà eu de la difficulté à cerner sur l'identité des Métis. Le Canada a toujours connu et reconnu les Métis. Il était certainement au courant de leur existence quand, en 1868, il est allé relever les lots riverains de la rivière Rouge et déplacer des gens. Il était certainement au courant de leur existence, dans les années 1850 et 1870, pendant la négociation des traités, puisqu'il a interdit aux Métis de signer quelque traité que ce soit, estimant qu'ils n'étaient pas réellement des Indiens, mais, donc, un peuple distinct. Le Canada les a certainement reconnus lorsqu'il a mis sur pied le système des certificats, à la fin du XIXe siècle, dans le but d'éteindre les droits fonciers des Indiens Métis. C'était évidemment aussi le cas en 1885, lorsqu'il a tourné ses armes contre eux à Batoche. Je ne crois pas qu'il existe une grande ambiguïté historique quant à l'identité de la nation et des communautés métisses.

Dans le contexte moderne, cependant, l'identité des Métis est plus équivoque en raison des notions d'égalité et de sang qui découlent de la Loi sur les Indiens. On considère souvent que les Métis sont des gens qui ne sont « pas assez indiens ». Cela fait abstraction de la longue histoire des Métis, en tant que parents des Premières nations, des alliances qu'ils ont conclues avec les Premières nations et du type de relations sociales qu'ils ont entretenues avec des non-Autochtones, les commerçants en fourrures qui sont entrés sur leur territoire et les gens qui, par naturalisation, sont devenus citoyens de leurs propres communautés.

Je crois qu'il y a encore beaucoup de travail à faire au sujet de l'identité métisse dans un contexte historique. On considère toujours que la rivière Rouge est la source et le centre du monde métis, mais cela ne reflète pas nécessairement l'interprétation historique véritable de l'identité des Métis ni la façon dont les autres habitants du Canada du XIXe et du XVIIIe siècle les percevaient. Je crois que, au Canada, la recherche n'a jusqu'ici qu'effleuré la question des Métis.

C'est tout ce que j'avais à dire. Encore une fois, merci de m'avoir invitée.

Le président : C'était très intéressant.

Sénateur Lovelace Nicholas, vous ouvrez le bal.

Sénateur Lovelace Nicholas : Bienvenue.

J'ai déjà posé cette question au sujet de la déclaration volontaire d'identité métisse. Je dois présenter des documents pour prouver que je suis Autochtone, et mes enfants doivent faire la même chose. Je ne comprends vraiment pas pourquoi. Pourquoi vous, mais pas moi?

Je pourrais poser ma question autrement. Si je déclarais faire partie de la famille de la reine, est-ce qu'on me croirait sur parole? C'est comme ça que je vois les choses. Soit je ne comprends tout simplement pas, soit vous devez me l'expliquer un peu plus — je ne sais pas. Qu'une personne puisse affirmer qu'elle est quelqu'un en particulier, qu'elle est d'une certaine origine raciale, c'est pour moi problématique.

Mme Macdougall : Je crois que, assurément, on a mis l'accent sur la déclaration volontaire, mais je crois que la langue ne permet pas d'exprimer précisément ce qui se fait au sein des organismes affiliés aux Métis, des organisations politiques. Vous devez présenter un arbre généalogique détaillé qui a été authentifié par des organismes indépendants.

Au Manitoba, l'organisme qui authentifie la lignée généalogique est la Société historique de St. Boniface. C'est là que se trouvent la majeure partie des collections. En Saskatchewan, ce sont des généalogistes indépendants qui déterminent la généalogie. Ici, il existe un bureau d'enregistrement qui s'occupe de cette authentification. Il faut faire un long travail de généalogie avant de pouvoir prétendre appartenir à une organisation donnée, ce qui n'est pas nécessairement le cas des personnes qui se déclarent métisses sans appartenir à l'une de ces organisations.

C'est peut-être à cela que tient le problème du dénombrement de la population.

Sénateur Lovelace Nicholas : Peut-être bien.

M. Chartrand a mentionné que la Cour suprême est saisie d'une affaire vous concernant et que vous croyez que vous aurez gain de cause. Ai-je raison ou, encore une fois, est-ce que j'ai mal compris?

M. Chartrand : Non. En fait, c'est une cause qui concerne la fédération; la Fédération des Métis du Manitoba a perdu sa cause en première instance et devant la Cour d'appel. Elle a perdu pour un certain nombre de motifs. J'ai l'impression que cet arrêt va probablement renverser certaines conclusions de droit sur lesquelles le tribunal de première instance et la Cour d'appel se sont appuyés à tort, en particulier en ce qui concerne la signification sur le plan juridique de l'entente selon laquelle 1,4 million d'acres de terrains seront affectés en vertu de l'article 31 de la Loi sur le Manitoba. Les juges vont probablement dire qu'il s'agit d'une entente juridiquement contraignante et non pas tout simplement le fruit d'une décision stratégique visant à écarter les Métis qui causaient des problèmes. C'était là la teneur des décisions rendues par les instances inférieures dans ce dossier.

J'ai l'impression que la Cour suprême du Canada va renverser ces décisions. Je n'en suis pas convaincu, mais j'ai également l'impression malheureuse qu'ils vont globalement être perdants. Je ne crois pas que la FMM obtienne que la Cour suprême du Canada déclare que la loi est l'incarnation même du traité. Elle n'ira pas si loin, et ça me tracasse un peu. Mon sentiment repose sur une certaine analyse. Ce qui me préoccupe, c'est qu'on peut se fonder sur les signaux envoyés par le tribunal dans d'autres affaires, par exemple dans Cunningham.

Sénateur Lovelace Nicholas : Si vous aviez dit le contraire, j'étais prête à vous souhaiter bonne chance, car il me semble que, chaque fois qu'une nation autochtone veut faire reconnaître qu'un traité la concernant doit être honoré — qu'il s'agisse de pêche, de chasse ou de quoi que ce soit d'autre —, elle doit se présenter devant la Cour suprême. Je pensais que vous aviez plus de chance, peut-être. Merci.

M. Chartrand : Je serais agréablement surpris si c'était le cas. J'en serais un bénéficiaire.

Le président : J'ai une liste, mais je vais vous poser une petite question, monsieur Chartrand, si vous me le permettez.

Vous dites que l'arrêt Powley va dans le même sens que la déclaration des Nations Unies. Vous avez dit ensuite que cet arrêt ramenait les choses aux communautés. Vous parlez de la situation nationale à la lumière de la déclaration des Nations Unies. Pourriez-vous expliquer cela?

M. Chartrand : Oui. Je crois que l'arrêt Powley ne va pas dans le même sens que la déclaration des Nations Unies en ce qui concerne l'autodétermination des Métis et leur droit de déterminer à quel échelon de l'organisation sociale ils veulent situer leur organisation politique collective et leur société, et à quel échelon de l'organisation sociale ils veulent situer leurs revendications.

Ce qui va dans le même sens que la déclaration des Nations Unies, dans Powley, c'est l'importance du moment à partir duquel on reconnaît l'identité de la nation métisse qui sera bénéficiaire de la déclaration. Il s'agit d'une nation qui existait avant qu'un gouvernement ait une mainmise effective sur le territoire, ce qui ne se résume pas à une simple affirmation de sa souveraineté par le truchement d'une charte, par exemple la charte de la Baie d'Hudson. Cela suppose une capacité de mise en application sur place, qui n'a aucune commune mesure avec le pouvoir de gouvernance exercé par les peuples autochtones à l'époque. Tant que vous n'avez pas assuré votre présence à cette échelle, la souveraineté n'a pas été affirmée de façon convaincante, et la colonisation n'est pas effective, sur le territoire.

Le président : Je savais que ce serait compliqué, mais je n'imaginais pas à quel point.

Sénateur Dyck, vous pourriez peut-être nous aider à ce chapitre.

Sénateur Dyck : Non, je ne crois pas. Merci, monsieur le président.

Merci des exposés que vous nous avez présentés, ce soir. Je crois que ce qui nous aiderait et clarifierait les choses, peut-être, c'est que vous nous donniez une description plus complète de ce que dit la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones à propos de l'identité des Métis. Selon ce que j'ai pu comprendre, vous avez dit qu'il fallait avoir établi l'existence d'une communauté métisse avant la colonisation, et vous avez ensuite employé le mot « souveraineté ». Je me suis dit, à ce moment-là, que la souveraineté était un terme associé à la colonisation, n'est-ce pas? À l'époque qui a précédé la colonisation, si vous faisiez partie d'une communauté, vous ne vous considériez peut-être pas souverain, mais vous étiez autonome, j'imagine; vous vous rassembliez tout naturellement. Vous vous preniez en main.

Plus je parle, plus je m'emmêle. C'est peut-être que nous utilisons un vocabulaire qui s'inspire du modèle colonial britannique plutôt que le vocabulaire d'une communauté qui comprend divers termes, comme celui que vous avez utilisé, madame Macdougall, wahkootowin. C'est peut-être en partie un obstacle linguistique qui nous empêche de le déterminer. Est-ce que ce que je dis a du sens?

M. Chartrand : Merci de poser la question. J'utilise le terme « souveraineté » dans un sens large et dans le contexte social en lui donnant comme signification la capacité de se diriger soi-même sans l'ingérence d'une source externe quelconque. Cette définition est axée sur l'aspect de l'autodétermination d'une autorité autonome.

Cela est très proche des croyances philosophiques traditionnelles des Cris concernant leur relation avec la terre et avec autrui. Les Cris, tout comme les Métis, protégeaient leur autorité indépendante par divers moyens diplomatiques : des traités, d'autres arrangements diplomatiques avec les autres tribus avant le contact avec les Européens et pendant cette période. Cette autonomie était très valorisée.

L'utilisation de l'expression « souveraineté » est parfois trompeuse, car elle a en effet une charge britannique, européenne et occidentale, et je ne voulais pas faire état de cette connotation.

Sénateur Dyck : Il est important d'avoir une définition. Madame Macdougall, vous parliez du fait qu'il est possible d'utiliser la généalogie, qui passe par différentes organisations, au Manitoba et en Saskatchewan, pour en arriver à une définition. Je ne me rappelle pas le nom du groupe du Manitoba, par exemple, mais est-ce que cela veut dire que vous êtes reconnue comme une personne métisse en Saskatchewan? Que vous êtes reconnue comme un Métis au Manitoba? Que vous êtes un Métis selon une définition nationale? Avons-nous besoin d'une définition nationale? Si les droits des Autochtones et les droits issus de traités existent, est-ce qu'il faudrait un certain type de définition nationale, qui s'applique pour que, devant les tribunaux, il soit possible d'affirmer qu'une personne est d'origine métisse au sens de la définition fédérale colonialiste? Ou est-ce qu'il faudrait jeter tout cela à la poubelle et adopter la définition de l'ONU?

M. Chartrand : Pensez à tous les problèmes liés à la définition des Indiens qui se posent dans la Loi sur les Indiens. Je ne crois pas qu'il serait avantageux pour les Métis d'adopter cette approche. En outre, cela contrevient au principe selon lequel les peuples indigènes sont aptes à déterminer leur citoyenneté et leur appartenance à une communauté, à un peuple, à une nation.

En effet, je n'emprunterais pas cette voie-là. Ce que je veux dire, c'est que l'arrêt Powley a déjà entraîné un problème, parce qu'il crée une version judiciaire de la Loi sur les Indiens appliquée aux Métis en établissant ces critères qui ne s'appliquent peut-être pas à tout le monde. On se retrouve avec des Métis qui ont des droits et d'autres Métis qui n'en ont pas. Il y a les Métis de première classe et ceux de deuxième classe.

C'est ce qui se passe quand on adopte un processus national, imposé par le gouvernement fédéral, c'est-à-dire le Parlement ou les tribunaux. Voilà pourquoi la déclaration ne se conforme pas à cette approche.

Mme Macdougall : Je crois qu'à certains égards les tribunaux et les lois commencent à aller au-devant des recherches fondées sur l'histoire. En tant que chercheurs, nous ne cessons de recueillir, d'analyser et d'interpréter des données, et les tribunaux sont saisis d'affaires qui concernent des gens ayant des besoins légitimes.

L'affaire qui concerne la Fédération des Métis du Manitoba a été portée devant les tribunaux au début des années 1980. Cela n'est donc pas d'hier. Il y a aussi une revendication territoriale, présentée au milieu des années 1980 ou au début des années 1990, dans le Nord de la Saskatchewan, qui n'est toujours pas réglée. Je ne me souviens pas des dates exactes. On arrête toujours des gens qui chassent ou qui pêchent pour assurer leur subsistance. Les communautés ont vraiment besoin d'aller de l'avant grâce à, par exemple, l'arrêt Powley et aux décisions d'instances inférieures.

À l'heure actuelle, nous avons mis en œuvre un processus de recherche qui commence par un examen de la réalité d'une communauté, qui fait d'abord la généalogie des membres, une matrice qui confirme, ou dans certains cas, infirme, l'existence historique de la communauté. On ne peut pas toujours prouver qu'une communauté existait historiquement.

Le sénateur Dyck : Dans ma famille, par exemple, du côté de ma mère, j'ai un arrière-arrière-arrière-arrière-grand- père qui était un intervenant important de la Compagnie de la Baie d'Hudson et qui a marié une Crie. Une partie de sa famille a joint les Métis et une autre partie de sa famille a joint les Cris, la Première nation de Gordon. La plus grande partie s'est jointe à la Première nation de Gordon. Certains disent que je suis Métisse, mais ce n'est pas mon impression, car je n'ai pas conservé de lien culturel ou de relation avec la communauté. Toutefois, si on remontait mon arbre généalogique, est-ce que je serais considérée comme une Métisse parce que je peux remonter aux années 1700?

Mme Macdougall : Je trouve que cela est très intéressant. La réalité et l'histoire de ma famille sont semblables. Nous sommes du côté des Métis, et il y a aussi des gens visés par des traités.

En réalité, au 19e siècle, ce qui s'est passé c'est que, quand le processus des traités a été amorcé, le processus d'inscription des Indiens commençait, et il a divisé les familles; les gens devaient faire un choix : ils faisaient ces choix pour des raisons parfois économiques, parfois politiques, parfois sociales. Je ne crois pas que nous puissions tout connaître des divers processus de prise de décisions qui étaient en cours, mais il est évident que certaines personnes ont choisi les traités, d'autres s'en sont abstenues, et d'autres encore ont choisi les certificats. Sur le plan biologique, il n'y a que peu de différence entre ces personnes, mais, sur le plan social, elles ont pris une décision éclairée, après l'ère des traités, de se désigner en fonction de ces sphères. Parfois, sur le plan juridique, elles ne pouvaient s'identifier que selon ces sphères.

Il n'était pas souvent possible, selon la région où on habitait, de maintenir des liens sociaux étroits comme on le faisait dans le cadre d'une famille. D'une génération à l'autre, le fossé devient de plus en plus large.

Le sénateur Sibbeston : Je crois que, quand vous traitez de la question des Métis, vous vous attaquez à une tâche très difficile, car leur situation est différente de celle des Premières nations ou des Inuits, qui vivent dans des zones biens définies, en tant que groupe, c'est-à-dire dans le Sud, dans les réserves, et dans le Nord, dans diverses collectivités. Allez dans l'Est de l'Arctique, tout le monde est inuit, même certains sont parfois un peu métissés de blanc, mais ils ne s'attardent pas à cette distinction.

Certaines qualités... c'est intéressant, car, aujourd'hui, les Métis s'affirment, et à bien des égards je trouve que les Métis sont très indépendants. Ils ne supportent aucune forme de limite, de contrôle ou d'étiquette. Tout ce qu'ils veulent, c'est qu'on les laisse se promener tranquille et être indépendants. Ils tirent une fierté immense de leur indépendance, et c'est l'une des véritables caractéristiques que j'ai constatées chez les Métis.

Dans les circonstances, c'est difficile, car j'ignore ce que nos ancêtres penseraient des Métis d'aujourd'hui, qui essaient d'être reconnus comme un groupe d'Autochtones et qui ont besoin de l'aide du gouvernement, car, par nature, ils ont toujours été indépendants et ont toujours tiré une grande fierté de cette autonomie. Je trouve cela intéressant.

Je comprends que la tâche est difficile. Vous travaillez dans un domaine difficile. À l'exception de l'Alberta, où ils sont établis, et des Territoires du Nord-Ouest, où ils forment des communautés, et où il y a aussi des Premières nations, des Dénés, et les Métis, dont la culture et les pratiques sont assez différentes, à ces exceptions près, ici, à Ottawa, en Ontario et à Montréal, où se trouvent les Métis? Ils se mêlent aux autres.

Monsieur Chartrand, quand vous dites que la Cour suprême du Canada a contrevenu à la Déclaration des Nations Unies car elle a déclaré de façon unilatérale quelles seraient les conditions de l'appartenance à ce groupe, avez-vous une solution de rechange? La Cour suprême du Canada, par nature, fait des déclarations et tranche des questions.

Les Métis, les organisations qui défendent leurs intérêts devant la Cour suprême du Canada, ne pensez-vous pas qu'elles y ont participé? D'une certaine manière, elles ont participé en décrivant à l'intention des tribunaux la situation des Métis. Au bout du compte, il ne s'agissait pas d'une déclaration unilatérale, dans le sens où elle était seule à fixer les conditions nécessaires. Les Métis ont participé de très près. Comment cela aurait-il été possible autrement? Qu'est-ce que la Cour suprême du Canada aurait pu faire d'autre, à votre avis?

M. Chartrand : Je crois que la Cour suprême du Canada, si elle avait voulu reconnaître plus complètement les droits des Métis en tant que peuple autochtone, se serait appuyée sur les principes de la déclaration des Nations Unies selon lesquels c'est la collectivité elle-même qui définit l'identité de ses membres et c'est elle qui détermine qui fait partie de cette nation, et il s'agit d'accepter les critères de la communauté métisse qui définissent l'identité de ses membres.

Je ne dis pas que tout critère d'appartenance défini par une nation, une communauté ou un peuple métis doit l'emporter. Je crois que les préoccupations et les intérêts de l'État canadien sont valides, puisqu'il se préoccupe de l'identité des Métis, des critères et de l'appartenance à la nation, et je crois que, pour déterminer tout cela, il faudrait un dialogue. Toutefois, au bout du compte, on ne peut pas l'imposer de force aux communautés métisses. Ce que je veux dire, c'est qu'on ne peut pas l'imposer unilatéralement.

Puisqu'il s'agit de communautés politiquement indépendantes qui se déclarent volontairement métisses, il leur revient à elles, et à elles seules, ultimement, de déterminer qui appartient à la communauté, de la même façon que le Canada, en tant que nation, décide qui est un Canadien. Les États-Unis n'ont pas voix au chapitre, et c'est la même chose pour les peuples autochtones, si vous considérez que les peuples autochtones sont sur un pied d'égalité avec les autres peuples du monde. C'est une exigence minimale au chapitre des droits de la personne des peuples autochtones.

On peut bien considérer que l'arrêt Powley n'est qu'un jalon provisoire de notre cheminement vers une fédération canadienne englobant véritablement les pouvoirs autochtones, mais c'était là la critique que j'ai formulée et ses motifs.

Le sénateur Sibbeston : Est-ce l'intention générale ou l'objectif des Métis de notre pays d'être au bout du compte reconnus de la même façon que les Premières nations et les Inuits et d'avoir les mêmes droits? Pensez-vous que c'est cela, leur objectif? Pensez-vous que les tribunaux leur offrent un appui lorsqu'ils proposent une définition et qu'ils traitent de la question des Métis? Pensez-vous que cela se réalisera, un jour?

M. Chartrand : Je dirais que les nations métisses ne sont pas différentes des autres nations autochtones. Je ne crois pas que la question consiste à savoir si les Métis obtiendront les mêmes droits que les Indiens ou les Inuits. La question est de savoir si les Métis pourront obtenir les droits fondamentaux de la personne qui sont énoncés dans la déclaration. C'est cela, l'objectif, pas de savoir si nous allons obtenir les droits qu'ont les Indiens.

Je suis probablement l'un des rares universitaires métis qui s'opposent, par exemple, à l'inclusion aux termes de l'article 91.24 de la Constitution. Je ne crois pas que, à ces fins, les Métis sont des Indiens. Je ne voudrais pas être inclus en application de cette disposition. Regardez ce que le Canada a fait aux Indiens en application de l'article 91.24.

Le sénateur White : Je veux moi aussi vous remercier de vos exposés. C'était très intéressant. J'essaie de comprendre, et je vais parler d'un endroit précis, en guise d'exemple, la côte Ouest de Terre-Neuve, où vivent des groupes importants de personnes, qui se déclarent Autochtones, membres d'une Première nation ou Métis; pourtant, quand on pense à la façon dont Terre-Neuve est entrée dans la Confédération, je dirais que c'est probablement l'une des raisons pour lesquelles ils n'y ont pas accès. En fait, il y a quelques années, l'association des Métis de Terre-Neuve a changé son nom pour s'appeler l'association des Métis du Labrador, pour cette raison-là.

Voyez-vous où cela nous amène? Avant l'entrée dans la Confédération, on a pris la décision au nom des Autochtones de Terre-Neuve. Dans les autres provinces, les Métis et les Autochtones n'ont pas dû composer avec la même rage qu'à la fin des années 1940. Pensez-vous que des groupes comme ceux-là pourraient réintégrer la nation métisse, s'ils sont assez forts, et savez-vous s'il y en a qui ont entrepris un processus à cette fin?

Deuxième chose. Prenez une personne qui se déclare Métisse; on dit qu'elle doit appartenir à un groupe pour être définie comme une personne métisse. Autrement dit, elle doit appartenir à une communauté métisse. Est-ce que cela doit être une condition pour qu'une personne soit un Métis, au Canada, ou est-ce qu'il lui suffit de prouver son origine sans avoir à faire partie d'une association métisse particulière?

Nous avons entendu le témoignage d'Autochtones de la Norvège, par exemple, qui avaient le droit de se déclarer eux-mêmes Autochtones; après s'être déclarés Autochtones et avoir prouvé leur filiation, ils n'avaient pas vraiment à joindre les rangs d'une organisation quelconque. Cela a déjà été fait, en réalité.

Mme Macdougall : je crois que je vais parler d'abord de la question des habitants de la côte Est. Après 1982 et le rapatriement de la Constitution, après l'inclusion des trois groupes autochtones du Canada et après qu'on leur a donné un nom précis, il s'est passé une chose, c'est que le mot « métis » a rapidement été adopté par un grand nombre de gens, dans toutes les régions du pays, parce qu'ils ne correspondaient pas à la définition d'Indiens ou d'Indiens non inscrits de la Loi sur les Indiens. Il y a ensuite eu 1985, et le projet de loi C-31, lequel a réglé — le mot est mal choisi — une partie des problèmes des Indiens non inscrits, qui ont été réintégrés dans les rangs des Indiens.

Toutefois, il existe également une acception moderne de ce terme qui ne correspond peut-être pas à la réalité historique que ce mot recouvrait. Je ne dis pas que ces gens ne sont pas des Métis. Je dis tout simplement que nous n'avons pas à mon avis fait le compte complet des aspects de leur communauté qui les relieraient à un espace, à l'exception du fait qu'ils ont été coupés des autres processus identitaires qui seraient légalement reconnus au Canada. Je crois que cela a été pour eux un problème.

Il y avait auparavant une nation métisse du Labrador; mais elle s'est donné un nouveau nom, un nom inuit, et elle affirme aujourd'hui être une nation inuite. Elle a reçu de l'argent, après l'arrêt Powley, pour mener des recherches; elle a embauché quelques chercheurs et elle en est arrivée à la conclusion que le mot « métis » ne s'applique pas en fait à sa réalité historique. C'était à elle de prendre cette décision.

C'est là je crois la première partie. Nous utilisons ce terme dans son sens large, mais il ne s'inscrit peut-être pas dans la réalité historique. Je me suis éloignée de mon sujet, et j'ai perdu le fil qui me menait vers la seconde partie.

Sénateur White : L'autre partie, c'était qu'on exigeait que l'intéressé fasse partie d'une communauté métisse en particulier pour être reconnu comme un Métis, plutôt de tout simplement prouver d'une manière ou d'une autre, grâce à des références historiques, qu'il est un Métis, sans avoir à appartenir à une association métisse.

Mme Macdougall : Je suis ici à titre de personne qui n'appartient à aucune des organisations provinciales affiliées, mais j'ai travaillé en étroite collaboration avec les communautés métisses et je me déclare Métisse, car j'appartiens à une famille et à une communauté métisses. Toutefois, je me suis tenue loin des cercles politiques, pour toutes sortes de raisons, parfois personnelles, mais également en raison de mon rôle de chercheuse. Si je me tenais trop proche d'un groupe donné, les autres groupes ne me considéreraient pas comme impartiale. Cela a commencé à l'école, il y a 20 ans. On voulait savoir à quelle section locale j'appartenais, mais je ne voulais pas appartenir à une section, car je ne voulais pas qu'ils pensent que je favorisais un groupe plutôt qu'un autre.

Le fait que je n'appartienne à aucune organisation politique n'a aucune incidence sur ma réalité historique. Cela ne change rien à ma réalité familiale contemporaine. J'appartiens à une communauté, et je suis redevable à ma communauté. Je ne suis pas Métisse en tant que personne, je suis Métisse parce que je viens de cette communauté et que j'ai décidé que mon rôle, en tant que chercheuse, était de redonner à ma communauté, en tout temps, c'est-à-dire en faisant le type de travail qui doit être fait.

C'est une autre façon de penser, ou il faudrait que ce le soit; vous n'êtes pas une personne, vous êtes membre d'une communauté. En tant que tel, vous avez des responsabilités à l'égard de cette communauté, et vos droits à titre de personne ont un peu moins d'importance. C'est ce que je crois. M. Chartrand a peut-être une autre opinion.

M. Chartrand : J'aurais tendance à être d'accord. Il est important de faire la distinction entre une personne qui a des ancêtres autochtones et celle qui, en raison de ses origines diversifiées, peut prétendre être un Métis. C'est une définition large de ce terme.

Toutefois, cela ne veut pas nécessairement dire que cette personne aurait droit aux avantages, par exemple, de l'appartenance à un peuple autochtone. Les droits des peuples autochtones sont des droits collectifs et non individuels.

Pour se prévaloir des droits conférés aux peuples autochtones — qu'ils soient conférés par le droit canadien ou par le droit international, cela importe peu, vraiment —, vous devez établir l'existence d'une sorte de relation. La communauté doit vous accepter en fonction de certains critères d'appartenance. Vous serez donc bénéficiaire en tant que personne qui appartient à une communauté détenant des droits. Voilà la distinction importante.

Bien des gens proclament être des Métis, mais ils n'ont pas nécessairement été acceptés par une entité politique métisse en particulier ni n'ont fait valoir l'existence de liens avec une telle entité, et ce sont seulement les communautés qui peuvent se prévaloir des droits des peuples autochtones.

Le sénateur Raine : Merci beaucoup d'être venus. La première définition d'un Métis dont j'ai pris connaissance disait que, tout simplement, vous dites que vous êtes un Métis, donc, vous êtes un Métis, puis vous devez vous faire accepter dans un groupe et prouver votre filiation, et ainsi de suite, ce qui fait que, au bout du compte, ce n'est pas si simple que cela.

Je ne suis pas sûre de bien comprendre la distinction entre les avantages liés au fait d'être Métis et d'être accepté par une communauté et d'avoir droit aux droits collectifs des Autochtones. Pourriez-vous me donner des exemples de ces droits et dire en quoi ils peuvent s'appliquer à une personne qui fait partie d'une communauté ou d'un groupe?

Mme Macdougall : Je crois que, devant les tribunaux, les droits dont il a été question sont ceux qui concernent la pêche et la chasse, à des fins commerciales et pour assurer sa subsistance, et les droits fonciers. Il a surtout été question de cela, et, lorsque les Premières nations se présentent devant les tribunaux, c'est souvent la question à trancher. C'est l'affirmation des droits ancestraux, grâce auxquels on peut assurer sa subsistance et grâce auxquels, au bout du compte, on finit par arriver à une certaine forme d'autonomie économique et politique.

Le sénateur Raine : Je présume que vous partez du postulat que vous vivez là où ces droits sont reconnus, car, si votre communauté est attachée à un lieu particulier, puis qu'elle déménage, pourrait-elle conserver ces droits?

Mme Macdougall : Dans certains cas — et M. Chartrand est peut-être mieux placé que moi pour répondre —, la décision des instances inférieures portera davantage sur une région que sur un village. Prenons un exemple, celui d'un homme qui a été arrêté dans la vallée de la Qu'Appelle alors qu'il était en train de pêcher; cependant, il vivait à Regina. La recherche a révélé que les Métis de la vallée de la Qu'Appelle exerçaient leurs activités sur un vaste territoire géographique qui comprenait Regina et qui allait presque jusqu'à la frontière du Manitoba.

Ce n'est pas un point gros comme une tête d'aiguille, sur une carte; c'est en réalité toute une région. Il vivait toujours dans la région d'où venaient ses ancêtres.

Le sénateur Raine : J'ai un peu de difficulté avec cela, car, de toute évidence, les droits et avantages ne sont pas illimités, quand on parle de chasse et de pêche. Si tout le monde allait à la chasse, il n'y aurait bientôt presque plus d'animaux. Normalement, c'est dans le cadre d'un processus de sélection naturelle que l'on décide qui peut aller chasser ou pêcher, et la communauté décidait probablement de concert que les gens vivant dans la région qui chassent ou pêchent pour assurer leur subsistance pourront le faire, mais que leur cousin, qui vit en ville ou est devenu médecin, n'a pas nécessairement le droit, pendant les vacances, de revenir dans la région pour chasser et pêcher. Est-ce que cela se tient?

Mme Macdougall : Dans un sens, tout s'auto-réglemente. Il est peu probable que je demande bientôt un permis de chasse, parce que je ne sais pas comment chasser. Les gens de ma famille l'ont probablement fait, mais cela fait maintenant trois générations que nous sommes établis en ville et cela ne fait pas partie de mon style de vie. Toutefois, j'appartiens toujours à une communauté vivant en région, et je veux que les gens puissent exercer les droits auxquels ils devraient avoir accès. Si certaines personnes doivent chasser pour nourrir la famille, tant mieux. J'aurais peut-être besoin de leur acheter un peu de viande pour nourrir ma famille. Cela ne devrait pas les empêcher de partager avec moi, car je peux leur offrir quelque chose en contrepartie. C'est une forme de compensation; nous avons en quelque sorte une relation de réciprocité.

Le sénateur Raine : C'est vraiment l'essence d'une collectivité ou d'une communauté — c'est exactement le sens d'une large appartenance et de l'entraide.

Ceux d'entre nous qui étaient présents ont été très émus par le témoignage des Norvégiens devant notre comité. Il ne s'agissait pas d'une audience officielle. Est-ce que vous connaissez la situation qui a cours en Norvège?

Mme Macdougall : Oui, les Lapons.

Le sénateur Raine : Quand je leur ai demandé quels droits ils obtenaient lorsqu'ils déclaraient être des Lapons, ils ont été très surpris que je pose la question, car ils ont tous les mêmes droits que tous les autres Norvégiens, rien de plus, parce qu'ils vivent en milieu urbain. Les Lapons vivant dans le Nord, qui s'occupent de l'élevage des rennes, ont des droits exclusifs touchant l'élevage des rennes, et ils ont aussi des droits de pêche. Mais ces droits sont réservés aux gens qui vivent dans cette région.

C'était intéressant. Il était intéressant, pour les Métis, de discuter de cela, car on craint, dans le cadre général du Canada, qu'il n'est peut-être pas assez avantageux d'être Canadien, si on pense à toutes les formes de soutien que nous recevons pour peu que nous en ayons besoin — les soins de santé, ce genre de choses. Des droits, en réalité, ne devraient pas être associés à l'identité métisse; le lien serait-il davantage de nature culturelle?

Mme Macdougall : Le Canada est un pays colonialiste, et nous ne jouissons pas des mêmes droits et avantages que les citoyens ordinaires. Notre histoire est marquée par la pauvreté, les déplacements, le disfonctionnement social, qui découlent de tout cela. Tant que les correctifs nécessaires n'auront pas été apportés, nous ne serons pas des citoyens ordinaires. Nos droits nous placent dans une situation où nous pourrions peut-être avoir une chance, mais nous n'en sommes pas là.

M. Chartrand : J'ajouterais que les Métis formaient des nations autonomes et indépendantes, dotées de leurs propres mécanismes de gouvernance et traditions juridiques, avant l'affirmation de l'autorité du Canada, dans les années 1800, sur les communautés et avant que la police à cheval du Nord-Ouest ne se fasse très présente. Avant cela, les communautés métisses exerçaient leur autonomie gouvernementale.

Bien sûr, l'un des avantages du fait d'être Autochtone et d'avoir ce droit politique, c'est que l'on peut affirmer son indépendance politique et négocier l'établissement d'une relation avec le Canada, d'égal à égal. Cela serait un droit fondamental, et les peuples autochtones, y compris les Métis, qui satisfont au critère de la nationalité ou de « l'appartenance à une nation », en tireraient avantage.

En ce qui concerne la chasse et la pêche, les Métis, comme les autres peuples autochtones, ont établi leurs propres traditions juridiques concernant la façon de déterminer la régie de la chasse. La nation métisse de l'Ontario et les autres organes régissant les Métis de l'Ouest ont élaboré leurs propres lois en matière de chasse. Ce sont des lois plus modernes, et, d'une certaine façon, on peut dire que ce sont des lois hybrides, un croisement entre le droit traditionnel et le droit canadien. Les Métis qui veulent tirer profit de la chasse se règlementent eux-mêmes, en fonction de cette loi. Cela ne veut pas dire que le gouvernement provincial du Manitoba le reconnaît, et la Fédération des Métis du Manitoba a dû intervenir et représenter devant les tribunaux des accusés pour faire valoir qu'elle avait le pouvoir de gouverner en fonction des principes traditionnels de gestion des ressources des Métis.

Cela est également un avantage. L'avantage, c'est le maintien de notre culture, de notre différence, et la possibilité de négocier une place juste et équitable au sein de la fédération canadienne. On n'en est pas encore arrivé là. La déclaration est un véhicule qui nous y amènera, mais nous devons le mettre en œuvre.

Le sénateur Patterson : J'aimerais remercier les témoins pour ces exposés très éclairés. J'ai trois questions. J'essaierai de rester bref, même si M. Chartrand a présenté des notions assez complexes.

Vous affirmez que les droits des Autochtones et les droits issus de traités, au Canada, se fondent sur une violation des droits de la personne des peuples autochtones et que la supériorité de la race des colonisateurs et la souveraineté de fait, à défaut de la souveraineté juridique, renforcent leur statut inférieur. Je comprends très bien que c'est la situation qui existait dans le passé. Cependant, j'ai remarqué que vous avez également dit que les peuples autochtones pourraient accepter de céder des terres en échange d'autres droits.

En ce qui concerne les traités modernes, je pense entre autres à l'accord du Nunavut, que je connais bien, diriez-vous que les négociations se sont faites d'égal à égal? On a donné aux Inuits les ressources nécessaires pour obtenir des conseils juridiques. Ils ont même embauché des géologues pour savoir où se trouvaient les gisements de minéraux précieux, et ils ont obtenu de bons résultats. Diriez-vous que les traités modernes ne sont pas un exemple de violation des droits de la personne, dont vous avez donné une description dans votre déclaration préliminaire, ou pensez-vous que la violation est moins grave?

M. Chartrand : Je dirais que la violation est moins grave. Il faut remettre la négociation des traités modernes dans le contexte des droits des Autochtones du Canada. Ce sont habituellement des droits énoncés par la Cour suprême du Canada au moment de rendre de décisions dans des causes importantes concernant les droits des Autochtones liés à l'interprétation de l'article 35. L'interprétation des droits des Autochtones a été très limitée. L'interprétation des titres autochtones a été très limitée, par des arrêts comme Delgamuukw et Van der Peet.

Si, en tant qu'Autochtone, votre pouvoir de négociation tient à la doctrine des droits des Autochtones, c'est là une violation des droits de la personne. La doctrine des droits des Autochtones contrevient aux droits de la personne. Si c'est sur cela que la négociation est fondée, vous ne négociez pas d'égal à égal, dès le départ.

Ce qui est intéressant au sujet de quelques-unes des revendications territoriales contemporaines et des ententes en matière d'autonomie gouvernementale, c'est qu'il arrive que les parties désirent tout simplement en arriver à une compréhension commune des droits et titres des peuples autochtones par rapport aux pouvoirs provinciaux et fédéraux, et elles vont faire des compromis. Elles ont les ressources nécessaires, de nos jours; des avocats, des experts, et ainsi de suite, et elles peuvent présenter un dossier solidement étayé. Vous pouvez conclure certaines ententes substantielles, qui ont une bonne importance au chapitre du profit que les peuples autochtones concernés peuvent en tirer, et les collectivités vont les ratifier.

Les Autochtones sont parfaitement au courant des limites de la doctrine des droits des Autochtones, mais il est préférable qu'une entente quelconque soit reconnue et protégée par la Constitution en tant que traité — et c'est le résultat des ententes modernes de règlement des revendications territoriales — même si, dans un monde idéal où la déclaration serait en vigueur, il aurait été possible d'obtenir beaucoup plus. Toutefois, la réalité, c'est qu'une certitude, si limitée soit- elle, est préférable à l'absence de reconnaissance, puisque c'est la position du gouvernement; il faut que vous prouviez que vous avez des droits si vous voulez utiliser les voies qui semblent naturelles, plutôt que les tribunaux, par exemple, et les ententes négociées deviennent une forme de repli. Ce n'est pas l'idéal, mais c'est beaucoup mieux que si rien n'était reconnu.

Le sénateur Patterson : Selon vous, un bon exemple de reconnaissance des droits à l'autonomie gouvernementale, à l'autodétermination serait celui de l'Alberta et des établissements métis, c'est-à-dire le Metis Settlements Accord et la Metis Settlements Accord Implementation Act.

M. Chartrand : Oui.

Le sénateur Patterson : Est-ce que c'est un bon exemple que l'on pourrait appliquer ailleurs?

M. Chartrand : Nous pouvons tirer de grandes leçons du Metis Settlements Accord et de la loi de mise en œuvre connexe du gouvernement de l'Alberta. L'accord protège les intérêts collectifs de huit peuplements métis, ce qui couvre un important territoire.

Je fais partie du peuplement métis de Paddle Prairie, en Alberta, même si cela fait un bout de temps que je n'y suis pas allé. C'est un territoire très vaste, et les membres ont le droit de posséder des terres à titre personnel et de les mettre en valeur. En même temps, grâce à l'accord, ils ont certains pouvoirs de gouvernance. Ils sont limités, car ils négocient avec le gouvernement provincial plutôt qu'avec le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, comme c'était le cas dans les négociations avec les Nisga'as.

Ils n'ont peut-être pas réussi à obtenir autant de pouvoirs de gouvernance, par la négociation, qu'ils auraient pu en obtenir d'une autre façon. Toutefois, ce cas offre un bon modèle, car il fait intervenir le Metis Settlements Appeals Tribunal, un tribunal indépendant dont certains membres sont Métis. Il y a aussi un bureau de l'ombudsman pour les Métis. Il y a toutes sortes d'institutions, qui offrent un excellent modèle de la démarche par laquelle les communautés métisses peuvent obtenir une certaine mesure de pouvoir de gouvernance sur une assise foncière. On n'a probablement pas encore assez étudié et évalué ce modèle. Il comporte toutefois quelques défauts, et le pouvoir de gouverner est limité. Il tient davantage de l'organe municipal que du troisième ordre de gouvernement.

Le sénateur Meredith : J'essaie de mettre de l'ordre dans tout ce que vous avez dit. Par ailleurs, madame Macdougall, vous avez dit que vous faites partie d'une troisième génération de Métis.

Mme Macdougall : La troisième génération qui vit en milieu urbain.

Le sénateur Meredith : Je suppose donc que l'assimilation est proportionnellement plus grande, au sein de la société canadienne. Savez-vous quel pourcentage des Métis cherchent à obtenir des droits durables en matière de pêche et en matière foncière? Avez-vous des chiffres? Je crois que M. Chartrand en a parlé, mais c'est peut-être vous qui y avez fait allusion. Vous pourriez donc l'un et l'autre répondre à la question.

Pour ce qui est des prochaines étapes, comment vont-ils affirmer ce droit? Est-ce qu'il faudrait rouvrir les ententes en matière de revendication territoriale déjà conclues avec divers autres groupes autochtones ou faudra-t-il diviser le territoire? S'agit-il de traités entièrement nouveaux qu'il faudra négocier de façon qu'ils aient, pour ainsi dire, droit à un morceau du gâteau?

Mme Macdougall : D'abord, si on veut parler de la question de l'assimilation, oui, cela fait trois générations que nous vivons en milieu urbain. Ma famille a ses racines à Fort Edmonton, depuis la fondation du lieu, et mon ascendance remonte donc assez loin. Je ne dirais pas que je suis nécessairement quelqu'un d'assimilé, car j'ai grandi au sein d'une famille qui avait un sentiment d'appartenance à une communauté, qui respectait toutes ces traditions et qui connaissait son histoire et ses antécédents. Est-ce que je peux fonctionner à l'extérieur du milieu métis? Oui, tout à fait, mais je suis davantage acculturée, j'imagine, qu'assimilée.

Dans le Nord de la Saskatchewan, les régions visées par une revendication territoriale sont revendiquées par des personnes qui, essentiellement, n'ont jamais quitté le coin. Les jeunes ont quitté la communauté. Il y a une grande émigration, car il n'y a maintenant plus d'emplois pour eux. Le Nord de la Saskatchewan affiche un taux de chômage qui oscille entre 80 et 90 p. 100, dans certains villages, et les revendications territoriales sont un outil important au moment de négocier notre part des assises territoriales économiques. Pour eux, c'est un aspect crucial.

Au Manitoba, il s'est passé la même chose dans le dossier de la FMM. Des gens ont été dépossédés de leurs terres. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas pu trouver un emploi dans les industries des ressources, mais cela veut dire qu'ils n'ont pas pu assurer pour leur communauté un développement économique significatif qui aurait, par ricochet, assuré leur souveraineté politique, leur autodétermination et leur autonomie gouvernementale.

Je ne sais pas à quoi tout cela va aboutir, car il n'est jamais encore arrivé que des Métis gagnent une cause touchant une revendication territoriale. Nous ne savons pas quelle sera l'issue de la cause de la FMM. La Saskatchewan n'a pas encore porté sa cause devant les tribunaux. Elle en est toujours à faire des recherches, et cela fait près de 25 ans.

Le processus des revendications territoriales est si long que je crois que la plupart des communautés ne voudraient pas s'y engager. Il faut qu'il y ait un meilleur mécanisme de négociations, et on peut considérer que celui des établissements métis de l'Alberta en est un. Cela ne s'est produit qu'en Alberta. La Saskatchewan y a pensé, dans les années 1940, elle a mis sur pied quelques fermes expérimentales, a déclaré que c'était un échec et les a dissoutes au milieu des années 1950; de leur côté, les établissements métis en Alberta ont su durer. Je ne sais vraiment pas comment répondre à cette question.

M. Chartrand : J'aimerais avoir une réponse à cette question.

En ce qui concerne l'assise territoriale, pour avoir la possibilité de croître en tant que peuple, il faut des ressources. Les Métis, à l'exception de ceux de l'Alberta, n'ont généralement pas de titre de propriété foncière, en raison de processus historiques. Les peuplements métis de l'Alberta sont d'assez grande taille. On y trouve des industries, des entreprises de ressources, de solides communautés. On compte probablement davantage de gens qui s'y établissent que de gens qui en sortent. Il s'agit en général de communautés en milieux ruraux et en régions éloignées.

La situation des communautés métisses de l'extérieur de l'Alberta, voire des communautés albertaines qui n'ont pas accès aux peuplements, est différente. Elles sont assujetties aux lois générales et ont droit aux mêmes débouchés que les citoyens ordinaires, même si elles peuvent avoir le droit de posséder des terres à titre collectif. C'est la notion qui sous- tend l'entente ayant découlé de la Loi sur le Manitoba; elle prévoyait des droits de propriété collectifs, qui protégeraient la collectivité et assureraient la continuité de sa culture et de son identité.

On ne doit pas sous-estimer l'importance de l'assise territoriale. Mais cela ne veut pas nécessairement dire que les pouvoirs liés à l'autonomie gouvernementale ne pourraient pas, dans une certaine mesure, s'appliquer dans d'autres domaines, le domaine familial, social ou celui de la santé. Une certaine mesure d'autonomie gouvernementale peut s'exercer même dans un milieu urbain, et être liée à la citoyenneté, c'est-à-dire à l'appartenance, plutôt qu'au territoire. On peut exercer sa souveraineté sur la citoyenneté tout autant que sur le territoire. Cela pourrait être une solution de rechange pour les Métis qui vivent en milieu urbain et c'est une possibilité qui a été examinée dans le rapport de la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones, en 1996.

Le sénateur Meredith : Dans la Loi sur le Manitoba de 1870, quand il est question des terres qui ont été données ou accordées aux Métis, c'est pour dire que les titres ont été cédés. Je crois que c'est comme cela qu'il faut le comprendre. Quand, en vertu de la loi, on donne ou cède à quelqu'un des terres, si mes ancêtres n'ont pas réussi à les conserver, comment puis-je, cinq générations plus tard, penser qu'elles pourront être rendues? Vous parlez de recours. Alors, comment dites-vous : « J'y ai droit »?

Mme Macdougall : Prenons le cas du Manitoba; les gens n'ont pas cédé leurs terres après 1870; ils ont été dépossédés de leurs terres après cette date. Le processus de modification de la Loi sur le Manitoba, qui a été dirigé unilatéralement par le Canada, sans que les Métis puissent faire quoi que ce soit pour modifier ce document, a eu pour conséquence que des gens ont été dépossédés de leurs terres. Ils partaient faire les moissons, l'été, et à leur retour, en automne, ils trouvaient des colons ontariens installés chez eux, occupant leurs terres et leurs maisons. Bien des gens ont vécu ça un peu comme dans Boucle d'or et les trois ours. Il y a aussi la citation bien connue de sir John A. Macdonald, qui a dit à plusieurs reprises qu'il allait retarder le processus de partage des terres, prévu dans la Loi sur le Manitoba, jusqu'à ce que tous les sang-mêlé Métis soient partis et que le Manitoba soit blanc. Ce ne sont pas là ses mots exacts, mais c'est ce qu'il voulait; et c'est ce qui s'est passé.

Quelques Métis ont quand même réussi à conserver leurs lots riverains, au Manitoba. Si on veut parler de classes sociales, ils étaient probablement ceux qui étaient associés de plus près à la Compagnie de la Baie d'Hudson, et ils avaient une certaine éducation et suffisamment de flair politique pour se protéger. Toutefois, ceux qui ne pouvaient prétendre à cette protection sont partis, afin de fuir l'afflux de colons non autochtones. C'est ça, la situation; et c'est la situation dans une foule d'autres régions du pays. Nous n'avons pas cédé nos terres, ce n'est pas ça. Nous en avons été dépossédés, par une série de mécanismes juridiques canadiens qui nous ont été imposés.

M. Chartrand : Dans le même ordre d'idées, la Loi sur le Manitoba est issue d'un traité négocié par les Métis et le Canada. Une partie de ce traité donnait au Canada le droit d'acquérir des terres au Manitoba et dans le Nord-Ouest en échange de certaines concessions au gouvernement métis de l'époque; il a entre autres réservé à l'usage des Métis 1,4 million d'acres de terres.

La façon dont le traité a été mis en œuvre, cependant, a été catastrophique pour les Métis qui tentaient de conserver ce territoire. Cela a été fait de manière très arbitraire, par tirage. Vous tiriez un numéro et vous vous retrouviez d'un côté, alors que votre famille et vos parents se retrouvaient d'un autre. Qui serait prêt à faire cela? La durée de la mise en œuvre a aussi posé un problème. Mon arrière-arrière-grand-père, qui possédait des terres sur les plaines de Whitehorse, s'appelait Joseph Pierre Chartrand. C'était un chasseur de bison, dans les plaines, et il est revenu. En fait, la région de Whitehorse Plains est reconnue pour être l'une des régions où un grand nombre de Métis ont été déplacés lorsque les colons sont arrivés. Les Métis n'ont pas été capables de faire valoir leurs revendications, et mon arrière-arrière-grand-père a été obligé de partir pour l'Ouest. Il a fini, à cause de tout cela, par s'établir en Saskatchewan. J'habiterais probablement au Manitoba, aujourd'hui, et j'aurais une terre, si le gouvernement du Canada n'avait pas exagéré en mettant en œuvre le traité du Manitoba.

Le sénateur Meredith : Il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous espérons que notre étude accélérera les choses.

Le président : C'est à Whitehorse Plains que je suis né et que j'ai grandi. Nous sommes restés là. Nous étions trop têtus pour nous en aller.

Merci à tous les deux d'être venus témoigner ici ce soir. Vous nous avez donné matière à réflexion, et nous allons ruminer tout cela avant de nous mettre à rédiger notre rapport sur ce sujet, sujet qui n'avait pas encore été abordé. Je crois qu'il y a eu une étude sur les anciens combattants métis, dans les années 1990, mais c'est tout. Nous sommes en un territoire vierge.

Chers collègues, nous allons poursuivre la réunion à huis clos pour étudier nos travaux futurs.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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