Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 18 - Témoignages du 15 mai 2012
OTTAWA, le mardi 15 mai 2012
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, afin d'examiner, pour en faire rapport, la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui suivent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Les gens peuvent nous regarder sur le web ou sur CPAC. Je m'appelle Gerry St. Germain, je suis de la Colombie-Britannique, mais je suis originaire du Manitoba, et j'ai l'honneur de présider le comité. Le mandat du comité est d'examiner les lois et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada. Nous avons par ailleurs un ordre de renvoi spécial nous autorisant à explorer les questions concernant les Métis, tout particulièrement celles relatives à l'évolution de la reconnaissance juridique et politique de l'identité collective et des droits des Métis au Canada.
Les premières réunions que nous avons tenues dans le cadre de cette étude ont été des séances de breffage avec des représentants de différents ministères, qui nous ont fourni de l'information, y compris des renseignements sur les programmes et services fédéraux actuels, le statut des relations entre la Couronne et les Métis, des données statistiques générales et des mises à jour juridiques. Nous avons entendu deux experts juridiques spécialisés dans les questions relatives aux Métis, qui nous ont donné un contexte juridique aux fins de nos discussions.
Ce matin, nous allons entendre des organisations nationales qui représentent les Métis : le Ralliement national des Métis et Les Femmes Michif Otipemisiwak.
[Français]
Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais vous présenter les membres du comité qui sont avec nous ce matin.
[Traduction]
Assis à ma gauche est le sénateur Munson, de l'Ontario. À côté du sénateur Munson se trouve le sénateur Larry Campbell, de la merveilleuse province de la Colombie-Britannique. Assise à ma droite est le sénateur Ataullahjan, de la province de l'Ontario, et à ses côtés se trouve le sénateur Brazeau, de la province de Québec. Est tout juste en train de s'asseoir à côté du sénateur Brazeau le sénateur Greene Raine, de la Colombie-Britannique. Assis à côté du sénateur Greene Raine, nous avons le sénateur Meredith, de l'Ontario. À côté du sénateur Meredith se trouve le sénateur Demers, du Québec. Et enfin, et surtout, nous avons le sénateur Patterson, du Nunavut. Bienvenue, mesdames et messieurs les sénateurs, membres du comité.
Chers collègues, aidez-moi à souhaiter une chaleureuse bienvenue aux témoins. Accueillons M. Clément Chartier, président du Ralliement national des Métis. Il est accompagné de Marc LeClair, coordinateur bilatéral. Participe au même panel Melanie Omeniho, présidente des Femmes Michif Otipemisiwak.
Nous attendons avec impatience vos exposés. Je crois savoir que c'est vous qui allez commencer, monsieur Chartier. Comme je vous l'ai dit, il y aura beaucoup de questions, et si vous pouviez donc être aussi bref et concis que possible, nous vous en serions fort reconnaissants.
Clément Chartier, président, Ralliement national des Métis : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de l'occasion qui nous est ici donnée de participer ici aujourd'hui. Nous sommes, bien sûr, très heureux que vous ayez entrepris ce travail et que vous nous ayez invités ici pour vous présenter nos vues.
Lors de ma comparution devant le comité en novembre 2011, j'ai exposé les deux priorités d'avant-plan de la nation métisse qui cadrent parfaitement avec votre mandat général, qui consiste à examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis.
Pour nous, la première des deux priorités concerne la question des droits fonciers que détient le peuple métis en vertu des dispositions non respectées des deux lois fédérales qui avaient reconnu ces droits au XIXe siècle, la Loi de 1870 sur le Manitoba et l'Acte des Terres fédérales, 1879.
La deuxième priorité a trait à notre initiative courante avec le gouvernement fédéral pour donner des assises plus concrètes à la relation entre le Canada et le peuple métis par la négociation d'accords sur la gouvernance et le développement économique en vertu du Protocole avec la nation métisse, conclu entre le gouvernement du Canada et la nation métisse en septembre 2008. Je pense que vous avez copie de ce protocole.
Je pense que l'étude que vous réalisez à l'heure actuelle sur les questions de reconnaissance de l'identité collective et des droits des Métis du Canada tient compte de ces priorités, et je m'en réjouis.
La portée de votre étude, englobant l'identification et l'inscription des Métis, l'accès aux programmes et aux services offerts par le gouvernement fédéral, et la mise en œuvre des droits ancestraux des Métis, montre clairement la relation qui existe entre le gouvernement fédéral et la nation métisse.
Je vais commencer par aborder la question des droits ancestraux des Métis, plus particulièrement les droits fonciers, puisque jusqu'à maintenant, c'est ce qui a permis de définir la relation juridique qui existe entre le Canada et la nation métisse.
Bien que la Constitution considère les Métis comme l'un des trois peuples autochtones du Canada, à l'instar de l'arrêt Powley, prononcé par la Cour suprême du Canada en 2003, et dans le cadre duquel on considérait que les Métis constituaient un peuple autochtone à part entière et qu'ils jouissaient de certains droits, les gouvernements fédéraux qui se sont succédés ont toujours prétendu que nos droits fonciers avaient été abolis par la loi.
En pratique, cela signifie que, à l'exception des Métis établis au nord du 60e parallèle, le gouvernement fédéral nous exclut de son processus de règlement des revendications. L'exclusion des Métis dans le cadre de ce processus entraîne leur exclusion des ententes d'autonomie gouvernementale et, par le fait même, leur non-admissibilité à une forme prévisible et sûre de transferts fiscaux entre les gouvernements, au lieu de la forme de financement peu fiable à laquelle nous sommes actuellement subordonnés.
Le 13 décembre 2011, la Cour suprême du Canada a entendu l'affaire Manitoba Métis Federation c. le Canada et le Manitoba, qui portait sur les droits fonciers en vertu de l'article 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba. Ce moment marquait la fin d'une bataille de 30 ans devant les tribunaux pour faire reconnaître en justice la validité des concessions promises aux Métis par la Loi de 1870 sur le Manitoba, une loi qui découlait de négociations conclues entre le gouvernement provisoire métis de Louis Riel et le gouvernement fédéral de sir John A. Macdonald.
La Fédération des Métis du Manitoba revendique une déclaration qui exigerait que le gouvernement fédéral amorce des négociations avec la nation métisse sur un accord contemporain sur les revendications territoriales, qui comprendrait l'autonomie gouvernementale.
Nous sommes en attente de la décision de la Cour suprême, décision qui pourrait modifier la façon dont le gouvernement fédéral considère les droits des Métis, puisque la Cour d'appel du Manitoba a déjà confirmé certains principes qui pourraient dorénavant avoir des incidences importantes. Cette décision touchera également nos revendications territoriales couvrant le reste des provinces des Prairies et le nord-est de la Colombie-Britannique, où des certificats ont été émis par une série de commissions fédérales responsables des revendications des Métis en vertu de l'Acte des terres fédérales, 1879.
Lors de mon dernier témoignage, j'avais proposé d'étendre le processus actuel de revendication des terres ou d'établir une nouvelle commission de revendication des Métis afin de répondre à nos demandes. Cela pourrait représenter une bonne solution de rechange aux litiges coûteux. Cela ferait correspondre davantage la relation entre Ottawa et la nation métisse aux responsabilités légales du Canada, comme l'a indiqué la Cour suprême dans l'arrêt Powley.
La cour a non seulement décidé que les Métis constituaient un peuple autochtone à part entière jouissant de certains droits et possédant des droits de récolte protégés par la Constitution, mais elle a également établi une nomenclature de critères vérifiables de façon objective pour déterminer l'appartenance à un groupe métis titulaire de droits qui était remarquablement semblable à la définition nationale des Métis adoptée précédemment par le Ralliement national des Métis. Selon cette définition nationale, un Métis est une personne qui s'identifie comme tel, qui a des ancêtres appartenant à une nation métisse historique, qui est acceptée par la nation historique des Métis et qui se distingue des autres Autochtones.
D'une façon générale, la Cour suprême est d'accord avec nous, comme l'indique sa décision voulant qu'une personne de descendance européenne et amérindienne ne soit pas nécessairement métisse. En outre, la cour a décidé qu'une personne devait prouver qu'elle a un lien ancestral avec une collectivité métisse et que cette collectivité l'accepte comme tel.
Dans bon nombre d'affaires qui ont succédé à l'arrêt Powley, les tribunaux ont confirmé l'existence de collectivités métisses régionales historiques titulaires de droits au sein de nos terres traditionnelles situées entre le secteur supérieur des Grands Lacs et dans les Rocheuses. Les tribunaux ont rejeté les revendications de droits de récolte métis protégés par la Constitution formulées par des groupes d'ascendance mixte situés à l'extérieur de nos terres historiques, notamment des groupes du Canada atlantique sur des terres pour lesquelles on ne pouvait prouver la présence de collectivités métisses ancestrales dans ces régions. Cela figure également dans les conclusions de la cour.
Dans le cadre de l'arrêt Powley, la Cour suprême a également exigé que les gouvernements fournissent des ressources aux organisations métisses afin qu'elles puissent procéder à l'identification de leurs membres titulaires de droits. Cette mesure a permis à cinq organisations affiliées provinciales, ou organes dirigeants, du Ralliement national des Métis d'obtenir du soutien du gouvernement fédéral afin d'inscrire des membres ou de créer des registres de citoyenneté en vertu de la définition nationale des Métis adoptée par le Ralliement national des Métis.
Toutefois, au lieu de consolider le financement de l'établissement des registres comme une obligation constitutionnelle, le gouvernement fédéral l'a considéré comme un autre programme. Comme pour d'autres programmes fédéraux destinés aux Métis, le financement est versé en retard, peu fiable et mène souvent à la mise à pied d'employés clés.
En guise de comparaison, songez à l'attention et au financement que consacre le gouvernement fédéral à son propre Registre des Indiens, et vous constaterez la mesure dans laquelle le gouvernement fédéral respecte les droits des Métis. Le fait d'appartenir à une nation particulière ou d'en être citoyen constitue un élément fondamental de l'autonomie gouvernementale; on ne pourra jamais obtenir un financement prévisible et fiable afin de maintenir des registres si cet élément est assujetti aux caprices des bureaucrates du gouvernement fédéral. Seul un accord sur l'autonomie gouvernementale des Métis pourrait assurer un tel financement.
Il s'agit du seul moyen par lequel le gouvernement fédéral peut être tenu de s'acquitter de ses obligations et c'est également dans son intérêt de le faire s'il veut s'assurer que seuls ceux qui répondent de façon objective aux critères vérifiables sont visés par les accords sur les droits et l'autonomie gouvernementale des Métis.
En s'acquittant de l'obligation de consultation et d'accommodement qui incombe à la Couronne et en déléguant ces obligations à des promoteurs de projets économiques majeurs, l'approche adoptée par le gouvernement fédéral envers le peuple métis est une fois de plus peu méthodique. Il en résulte que l'industrie ignore continuellement ou néglige fortement notre intérêt à l'égard de la planification de projets majeurs à la grandeur de nos terres, comme c'est le cas dans le cadre du projet d'oléoduc Northern Gateway.
Comme c'est le cas pour l'accès des Métis aux programmes fédéraux et aux services pour Autochtones, on nous refuse l'accès à la plupart de ces projets, puisque le gouvernement fédéral nie ses responsabilités constitutionnelles à l'égard des Métis. Cette situation se traduit par l'exclusion des Métis des prestations accordées par le gouvernement fédéral aux Autochtones en matière d'éducation et de soins de santé.
Dans son budget annoncé récemment, le gouvernement fédéral a mis fin au financement minimal versé à Santé Canada à l'intention du Ralliement national des Métis pour la recherche en santé et la coordination des travaux de recherche de ses organes dirigeants. Il a également mis fin au financement versé à l'Organisation nationale de la santé autochtone, ou ONSA, malgré les efforts conjoints déployés par le Ralliement national des Métis, l'Assemblée des Premières Nations et l'Inuit Tapiriit Kanatami, qui visaient à ce que les centres de l'ONSA pour les Premières nations, les Inuits et les Métis soient transférés au sein de nos trois organisations nationales respectives.
Ce que j'estime le plus alarmant, cependant, est que le ministre de la Santé désignait l'opposition des trois organisations nationales autochtones à l'égard de la gouvernance de l'ONSA comme une excuse pour écraser les trois centres qui auraient pu fonctionner correctement au sein des structures de gouvernance des organisations nationales autochtones — un cas classique de situation dans laquelle on jette le bébé avec l'eau du bain.
La non-admissibilité des Métis à l'aide financière du gouvernement fédéral pour l'éducation postsecondaire des Autochtones n'a aucun sens et révèle le manque de compréhension d'Ottawa à l'égard de la situation de vie des jeunes Métis. Bien que l'écart dans les taux de diplomation au niveau secondaire entre les Métis et la population générale ait diminué de façon considérable, l'écart dans la réussite des études universitaires demeure énorme, principalement en raison des obstacles financiers auxquels font face les jeunes Métis.
Je ne saurais trop souvent dire à quel point le rendement du capital investi dans l'éducation postsecondaire des Métis pourrait être rentable si ces obstacles financiers étaient éliminés, plus particulièrement ceux mis en place dans le cadre de la politique d'exclusion des Métis du gouvernement fédéral.
Une étude menée récemment dans le cadre du seul programme métis de niveau professionnel de la Saskatchewan, le Saskatchewan Urban Native Teacher Education Program, ou SUNTEP, destiné aux enseignants en milieu urbain, offert par notre Institut Gabriel Dumont, montre que, depuis le passage de plus d'un millier d'étudiants depuis 1984, le programme SUNTEP a permis de hausser le PIB provincial de 2,5 milliards de dollars et le revenu du gouvernement provincial de 1 milliard de dollars.
Les cinq organes membres du Ralliement national des Métis ont tenté de réduire l'écart dans le taux de réussite des études universitaires en établissant des fonds de dotation qui fournissent des bourses d'études pour l'éducation postsecondaire. Ces investissements ont permis de mobiliser des fonds de valeur équivalente auprès des universités participantes. Une injection importante de nouveaux capitaux dans ces fonds représenterait le meilleur investissement que pourrait réaliser le gouvernement fédéral, puisque dans bon nombre d'autres sphères des affaires liées aux Métis, une analyse de rentabilisation très solide et un plan d'action logique ne veulent pas dire grand-chose lorsqu'un gouvernement est aveuglé par le principe que nous constituons une responsabilité provinciale. Je ne saurais exagérer l'intensité avec laquelle cette barrière liée aux compétences est immuable dans la mentalité au gouvernement fédéral lorsqu'il doit traiter avec les Métis.
Rien n'illustre mieux cette situation que le refus du gouvernement fédéral à ce jour d'assumer sa responsabilité consistant à verser une indemnité aux victimes des pensionnats pour les Métis. En mars 2012, un certain nombre de ces victimes se sont réunies à Saskatoon, y compris certaines victimes de l'infâme pensionnat métis de l'Île-à-la-Crosse, en Saskatchewan, que j'ai fréquenté. Je peux vous assurer qu'écouter, des décennies plus tard, le récit des souffrances continues subies par ces personnes constitue en soi une expérience traumatisante. Leurs souffrances ont été accrues par les promesses qui leur ont été faites de régler finalement le leurs griefs, comme ce fut le cas pendant la campagne électorale de 2006, lorsque Stephen Harper, alors chef de l'opposition, a promis que les victimes du pensionnat métis de l'Île-à-la-Crosse se verraient octroyer une indemnité. Toutefois, à l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, les Métis ont une fois de plus été laissés de côté.
Le fait que l'on rejette leur demande de justice pour des raisons liées aux compétences — c'est-à-dire que la responsabilité de gérer leur cas incombe à la province — mine le nouveau début promis par le premier ministre lors des excuses qu'il a présentées aux peuples autochtones à la Chambre des communes en juin 2008. Si cette trahison à l'endroit des survivants métis, ceux toujours vivants, mais dont la santé est souvent précaire et l'esprit brisé, n'est pas corrigée, ce sera l'échec moral le plus grave attribuable à l'actuel gouvernement fédéral.
Pour tenter de surmonter l'obstacle se rapportant aux compétences, qui a empêché les gouvernements successifs d'Ottawa de traiter efficacement avec la nation métisse, je suggère d'établir une relation plus forte avec le gouvernement fédéral, et non pas de multiplier les processus bureaucratiques fédéraux.
Ceci m'amène à la deuxième des grandes priorités dont j'ai discuté avec vous en novembre, et qui consiste à travailler avec le gouvernement du Canada dans le cadre du Protocole de la nation métisse de 2008 afin de conclure des ententes sur la gouvernance et le développement économique. Tout comme pour notre première priorité concernant les droits fonciers, cette priorité est directement axée sur une entente sur l'autonomie gouvernementale qui assurerait la stabilité de notre relation avec le Canada; mais cette entente devrait être négociée et non portée en justice. Ces ententes se fonderaient sur le régime politique de responsabilisation en démocratie élaboré par nos entités dirigeantes au moyen d'une élection de nos représentants dans toute la province. Elles s'appuieraient également sur les expériences réussies du marché de l'emploi et des institutions financières de la nation métisse, qui ont joué un rôle majeur au cours des dernières décennies en élevant le taux de participation des Métis dans la population active jusqu'à ce qu'il égale presque celui de l'ensemble de la population.
La clé du succès de cette approche réside dans l'adoption d'un système de financement entre les gouvernements pour les organes directeurs des Métis. Les Métis sont, et ont toujours été, des contribuables; ils possèdent leur propre système de gouvernance démocratique et des chefs élus et, selon une étude sur les Autochtones en milieu urbain menée par Environics, en 2010, ils sont plus enclins à voir le Ralliement national des Métis comme un représentant de leurs intérêts, plutôt que tout parti politique fédéral. Ils sont, en fait, sujets à la taxation sans représentation.
En 1992, le gouvernement Mulroney et les cinq provinces les plus à l'ouest ont exprimé le souhait de corriger cette injustice par l'Accord relatif à la nation métisse accompagnant l'accord de Charlottetown. Cela a permis de procéder au financement partagé du gouvernement métis par Ottawa, les provinces à l'ouest de l'Ontario et le gouvernement métis même, qui allait recevoir une partie des impôts sur le revenu que paient les citoyens de la nation métisse aux gouvernements fédéral et provinciaux. Le rejet de l'accord de Charlottetown lors du référendum national, malgré l'appui du public à l'égard de ses dispositions sur l'autonomie gouvernementale autochtone, comme l'Accord relatif à la nation métisse, a marqué l'avènement de deux décennies de croissance constante de la bureaucratie fédérale en matière d'affaires métisses et de sa micro-gestion des fonds très limités destinés à nos organisations. Il en a résulté une multitude d'accords de contribution étroitement définis et multipliés de manière exponentielle par les rapports selon lesquels le Ralliement national des Métis et ses entités dirigeantes fonctionnent.
Malgré toute la rhétorique entourant la nécessité de réduire le fardeau de production de rapports et la bureaucratie fédérale afférente, la réalité est que ceux-ci ne font que s'accroître, tout comme le gaspillage des ressources financières et humaines. Nos propositions visant à réduire la bureaucratie fédérale en ce qui a trait aux affaires concernant les Métis et à renforcer la capacité de gouvernance de la nation métisse pour ce qui est de l'administration et de la prestation de services importants, comme le développement économique, ont été reçues favorablement à l'échelle politique et à celle des maîtres d'œuvre des politiques du gouvernement fédéral. Cependant, ces propositions et les solides analyses de rentabilité qui les soutiennent se heurtent à une opposition considérable et acharnée de la part de la bureaucratie à l'échelle des activités. Dans un gouvernement fédéral où, finalement, personne ne se préoccupe des intérêts des Métis, qui croyez-vous se retrouve gagnant?
Un accord d'autonomie gouvernementale juridiquement contraignant, pourvu d'un système de financement entre gouvernements, pour les gouvernements de la nation métisse représente le seul moyen d'établir une relation rationnelle et économique entre le gouvernement fédéral et la nation métisse. Un financement global permettrait de fournir une seule source de financement versée pour l'exercice des pouvoirs de base, des fonctions liées à la citoyenneté, au marché du travail et au développement économique de nos gouvernements. Nous aurions la responsabilité de rendre des comptes à notre population de différentes façons : lors des élections, la tenue d'assemblées et la présentation d'états financiers vérifiés, et nous rendrions des comptes au Parlement par l'entremise d'une seule organisation, par exemple le Bureau du vérificateur général. Cependant, il reste à décider de quelle façon on pourra parvenir à établir un accord d'autonomie gouvernementale — que ce soit par nos revendications territoriales portées devant les tribunaux ou par l'entreprise d'un processus politique comme le Protocole avec la nation métisse.
J'espère que l'aperçu de ces questions fourni aujourd'hui jettera les fondations permettant à votre comité de faire avancer les discussions et l'étude de la situation et, partant, aidera le gouvernement à prendre les mesures qu'il aurait dû prendre il y a longtemps, afin de bâtir sa relation avec la nation métisse sur une base plus stable et mutuellement bénéfique.
Le président : Madame Omeniho, je vous invite maintenant à nous faire votre déclaration. Allez-y, je vous prie.
Melanie Omeniho, présidente, Les Femmes Michif Otipemisiwak : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, de nous avoir invités à comparaître ici devant vous. C'est pour moi un honneur de vous livrer aujourd'hui la perspective des femmes métisses, au nom des Femmes Michif Otipemisiwak du Canada, Women of the Métis Nation. Les Femmes Michif Otipemisiwak réunissent des représentantes métisses de partout sur le territoire métis. Nous avons pour objet d'exprimer et de défendre les besoins des femmes métisses et de faire avancer notre programme au niveau national. J'ai été élue porte-parole nationale par les déléguées métisses de partout sur notre territoire ancestral. Les Femmes Michif Otipemisiwak travaillent collectivement avec le Ralliement national des Métis et, tout comme les leaders du RNM, nous sommes directement redevables à notre communauté. Notre organisation a récemment été constituée en tant qu'entité juridique pour défendre les intérêts des femmes métisses au niveau national. Nous formions depuis 1999 un secrétariat au sein du Ralliement national des Métis.
Cependant, nous n'avons pas créé l'organisation pour résoudre le problème de la sous-représentation des femmes métisses à l'intérieur de nos structures politiques internes. Nous sommes la voix des femmes métisses à l'échelle nationale, et nous travaillons en collaboration avec le RNM. Je suis fière de dire que la nation métisse est peut-être la seule nation sur terre au sein de laquelle les femmes comptent pour la moitié des délégués politiques élus aux niveaux provincial et national. Notre organisation a vu le jour pour veiller à ce que les femmes métisses aient leur propre voix et puissent plaider en faveur de l'amélioration de la qualité de vie des femmes métisses de tout le territoire traditionnel métis.
Je félicite le comité d'avoir accepté de se pencher tout particulièrement sur les questions concernant les droits, l'identité et la place des Métis au sein de la fédération canadienne. M. Chartier vous a brossé le tableau d'ensemble des défis historiques auxquels notre nation a été confrontée et elle a esquissé plusieurs solutions politiques envisageables pour l'avenir. Nous aimerions, pour notre part, nous concentrer sur le rôle important que les femmes ont joué et continuent de jouer dans le développement de la nation métisse.
Les Canadiens sont nombreux à ne pas savoir grand-chose du peuple métis du Canada. On nous a souvent appelé « le peuple oublié ». En 1982, la Constitution du Canada nous a reconnus comme l'un des peuples autochtones du Canada. Bien que cela ait été un important tournant, cela n'a pas apporté que du bon. D'un côté, nous avons enfin été reconnus comme étant un peuple distinct, mais, de l'autre, le gouvernement du Canada a presque immédiatement refusé de reconnaître que nous possédions l'un quelconque des droits des autres peuples autochtones au Canada. Les Canadiens sont nombreux à ne pas comprendre que nous ne jouissons pas des avantages accordés aux Premières nations et aux Inuits, ou que nous avons comme tous les autres Canadiens ce même merveilleux privilège canadien de payer notre juste part d'impôts aux trois paliers de gouvernement.
Nous ne regrettons pas l'investissement par le Canada des impôts que nous payons pour appuyer les besoins des Premières nations ou des Inuits. Nous savons qu'ils ont besoin de cet appui. Cependant, en tant que peuple, nous aussi exigeons du gouvernement du Canada qu'il investisse une partie de nos impôts dans notre communauté. Nous demandons seulement que le Canada nous traite de manière équitable.
Vous serez peut-être étonnés d'apprendre que la nation métisse du Canada est la plus importante nation autochtone en Amérique du Nord. Lors du dernier recensement, quelque 389 000 Canadiens se sont identifiés comme étant Métis, neuf sur 10 d'entre eux venant de notre territoire traditionnel métis. On nous promet que nous serons plus de 500 000 d'ici le prochain recensement.
Même si nous ne comptons que pour le quart de la population autochtone du Canada, nous représentons le tiers de la main-d'œuvre autochtone. En d'autres termes, nous contribuons notre juste part au Canada. Nous sommes fiers de nos contributions, mais il nous faut également savoir que nous pouvons faire plus. Cela exigera cependant de nouveaux investissements dans l'éducation et le logement pour les Métis, et, surtout, dans le développement économique.
Une première étape essentielle pour le Canada est cependant de reconnaître nos droits en tant que peuple et de reconnaître notre droit de nous gouverner nous-mêmes en tant que peuple. Nous sommes en mesure de nous habiliter nous-mêmes, et nous ne voulons plus attendre. Cependant, le gouvernement du Canada refuse de reconnaître notre droit à l'autonomie gouvernementale. Il continue de nous traiter comme si nous étions un groupe d'intérêt non gouvernemental.
Bien que la politique en matière de droits inhérents à l'autonomie gouvernementale soit censée s'appliquer à tous les Autochtones, le gouvernement refuse d'entamer avec la nation métisse des négociations sérieuses en matière d'autonomie gouvernementale. Je pense que c'est parce que le gouvernement est en déni.
Le comité peut aider le gouvernement du Canada en traitant de ce refus de reconnaître la réalité. Nous avons la possibilité de braquer les spots sur nos préoccupations, et nous en sommes très heureuses.
Nous avons étayé certaines approches pratiques pour faire avancer nos droits. Désireuses que nous sommes de traiter de certaines questions relatives au fait que le gouvernement du Canada n'a pas reconnu les droits des Métis, nous sommes des intervenantes auprès de la Commission d'examen conjoint du projet d'oléoduc Northern Gateway. Les Métis qui seront directement touchés par ce pipeline ont déployé des efforts énormes pour devenir des intervenants dans ce processus et il nous faut défendre notre droit à ce statut. Le gouvernement du Canada n'a pas élaboré de politique relativement au devoir de consulter et n'a pas non plus de politique visant le processus. Lorsque quiconque conteste notre droit de défendre auprès de lui nos propres intérêts, il nous faut être sur la défensive en ce qui concerne qui nous sommes et les raisons pour lesquelles nous avons le droit de nous asseoir à la table.
En ce qui concerne l'appartenance et la citoyenneté, les Métis ont toujours été très clairs en ce qui concerne qui nous sommes et quels sont nos intérêts. Comme l'a dit M. Chartier, cela a été appuyé par les décisions de la Cour suprême. Il est important que le comité accepte et reconnaisse que nos ancêtres nous ont transmis leurs traditions. Il est de notre devoir, en tant que femmes, de veiller à ce que nos enfants comprennent qui nous sommes et que cela appartiendra toujours à la nation métisse.
Le président Chartier a fait un certain nombre de recommandations, et nous les appuyons.
J'aimerais, pour conclure, remercier chacun d'entre vous de prendre le temps de vous pencher sur les questions qui nous préoccupent. C'est peut-être la première fois depuis le grand débat qui a suivi la résistance de Riel à Batoche qu'un comité parlementaire s'intéresse tout particulièrement aux droits du peuple métis du Canada.
Le président : Monsieur Chartier, savez-vous pourquoi vous avez été exclus des excuses présentées par le gouvernement? Était-ce pour des raisons juridiques? Je crois savoir que vous êtes avocat de formation. N'était-ce pas une école provinciale? Vous pourriez peut-être nous expliquer pourquoi vous pensez que les excuses n'englobaient pas les étudiants du pensionnat d'Île-à-la-Crosse, que vous avez fréquenté. Il est important que nous tirions cela au clair, si la chose est possible.
M. Chartier : Si la chose est possible, oui. J'ai bel et bien un diplôme en droit et je suis membre du barreau de la Saskatchewan, bien que je n'aie pas exercé autrement que dans le cadre de travail comme celui que je fais maintenant.
Le président : J'ai entendu dire que vous étiez si doué que vous n'aviez pas à exercer.
M. Chartier : Cela est peu probable.
C'est une situation difficile. L'école à l'Île-à-la-Crosse est l'une des plus anciennes, sinon la plus ancienne, au Canada. Elle remonte à la fin des années 1800. Au départ, elle devait accueillir les Métis ainsi que les Cris et les Dénés de la région. Après la signature du traité en 1906 et l'incendie qui a détruit l'institution, une division est survenue. Une nouvelle école a été construite à Beauval, un peu plus loin le long de la rivière, et celle-ci a été fréquentée par les enfants nouvellement reconnus en vertu du traité, tandis que les Métis ont fréquenté la nouvelle école de l'Île-à-la-Crosse. Cette école a continué de relever de la politique élaborée par le gouvernement fédéral. Le gouvernement a demandé à Nicholas Flood Davin d'étudier les écoles industrielles aux États-Unis dans le but de déterminer si ce modèle pourrait être adopté au Canada pour les Métis et les personnes de sang mêlé.
Au bout du compte, après avoir réglé le cas des Métis en ayant recours aux certificats et d'autres mécanismes, le gouvernement fédéral a décidé de se laver les mains des Métis. En conséquence, la plupart des missions ne se sont pas vu verser directement de l'argent pour les étudiants métis, même pas pour ceux qui fréquentaient un pensionnat indien, et il y en avait plusieurs centaines dans ce cas.
Le gouvernement fédéral a versé certaines ressources aux écoles qui étaient réservées strictement aux Métis et aux Indiens non reconnus par la Loi sur les Indiens, et il y en a encore aujourd'hui plusieurs centaines à qui le projet de loi C-31 ne donne aucune protection. D'après ce que nous avons compris, l'allocation fédérale familiale en ce qui concerne l'Île-à-la-Crosse a été versée à la mission pour qu'elle s'occupe des enfants vivant sur place. Le gouvernement fédéral a offert une certaine aide, mais je n'en connais pas tout le détail.
Il est vrai que jusqu'à cette date, comme dans le cas de tout le reste, le gouvernement fédéral n'a pas inclus les Métis dans la relation générale et les paiements versés aux institutions ou aux entités religieuses qui abritaient comme pensionnaires des enfants Indiens visés par des traités ou des enfants indiens inscrits.
Le gouvernement fédéral demeure le gouvernement du Canada. Le gouvernement fédéral est celui qui a établi cette politique. Peu importe qui a appliqué cette politique aux Métis dans quelque école que ce soit, c'était la politique, et c'était une politique d'assimilation. Le gouvernement fédéral est responsable de tous les peuples autochtones en vertu de l'article 91.24. Le terme est « Indiens », mais cela englobe tous les peuples autochtones selon le sens générique donné au terme.
Il est à espérer que l'action lancée et défendue par le Congrès des Peuples Autochtones, et dont la décision est attendue, établira très clairement que le gouvernement fédéral a bel et bien la responsabilité, la compétence et le devoir fiduciaire de traiter avec tous les peuples autochtones. Le fait que le gouvernement fédéral n'ait pas versé autant d'argent aux églises pour les enfants métis que pour les enfants visés par des traités ne lui enlève pas sa responsabilité en la matière. Encore une fois, il est toujours le gouvernement du jour, et il est responsable de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement de ce pays.
Si le gouvernement a permis qu'une institution religieuse s'abatte sur des enfants, leur inflige des abus physiques, sexuels, mentaux et autres, il ne devrait pas être déchargé de sa responsabilité à cet égard du fait qu'il n'a pas consacré un gros investissement financier.
Je n'ai pas devant moi le texte où le gouvernement présente des excuses, mais celles-ci ont été présentées aux élèves des pensionnats indiens. Nous sommes, par définition, exclus de l'accord de règlement. Nous devons donc être exclus des excuses, si celles-ci ne couvrent que ceux et celles qui ont fréquenté les pensionnats indiens. Je soulève le problème, mais personne ne m'a encore convaincu que nous sommes inclus.
L'accord de règlement ne nous inclut clairement pas. Les excuses s'appuyaient sur l'accord de règlement, et le mandat de la Commission de vérité et de réconciliation était fondé sur la convention de règlement.
Nous nous trouvons ainsi, en tout cas selon nous, exclus de ces trois mécanismes, exception faite de ceux qui ont fréquenté un pensionnat indien. Ces derniers sont, bien sûr, couverts. Ce n'est pas fonction de la race. Il y a, en effet, plusieurs personnes de race blanche qui ont été dédommagées pour avoir fréquenté un pensionnat indien. Les enfants métis ayant fréquenté un pensionnat sont eux aussi couverts et on a traité de leur cas, mais la très grande majorité des Métis attendent toujours.
Le président : Merci.
Le sénateur Munson : Merci d'être ici. J'ai été frappé par un ou deux paragraphes dans votre déclaration qui concernent des questions d'intérêt courant pour nous tous, notamment l'oléoduc Northern Gateway et les audiences en cours, et le processus les entourant, notamment le projet de loi d'exécution du budget dont vont maintenant traiter le Comité de l'environnement et d'autres comités sénatoriaux.
Il a été mentionné qu'en déléguant à des promoteurs de projets économiques majeurs l'obligation de consultation et d'accommodement qui lui incombe, le gouvernement fédéral a, une fois de plus, adopté envers le peuple métis une approche désordonnée. Vous affirmez qu'en contrepartie, l'industrie ignore continuellement ou néglige fortement vos intérêts dans la planification de projets majeurs à la grandeur de vos terres traditionnelles, comme c'est le cas dans le cadre du projet d'oléoduc Northern Gateway.
Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous amène à dire cela? Êtes-vous en train de dire que les Métis ne sont pas consultés? Êtes-vous en train de dire que les Métis habitant la région concernée veulent travailler sur le pipeline et participer au projet, ou bien qu'ils s'opposent au pipeline?
M. Chartier : Je vais commencer par faire une déclaration générale, après quoi Mme Omeniho pourra intervenir, car elle est plus intimement intéressée par le projet, sur le terrain.
La situation est la suivante. Les Métis de l'Alberta et de la Colombie-Britannique ont été invités à participer par Enbridge. Cependant, ces Métis sont traités, dans chaque province, comme une seule et même collectivité, tandis que chaque réserve indienne est traitée séparément. Les collectivités, villages, sites ou associations locales métis, comme nous les appelons lorsqu'elles font partie d'une grande ville, ne sont pas traités de la même façon.
Je n'ai, à ce jour, entendu aucune opposition à l'oléoduc Northern Gateway. De fait, nous avons tenu, en mars, à Grand Prairie, un symposium métis sur le développement économique, auquel nous avons invité l'industrie, y compris Enbridge. Il y a eu un panel qui a discuté précisément de cette question, et nos propres leaders de la Colombie- Britannique et de l'Alberta en ont parlé. Je pense que ce que nous recherchons est une participation juste et équitable et un accès aux bienfaits découlant du projet, mais pas à n'importe quel coût. Il importera d'examiner les questions environnementales, et il doit y avoir un équilibre. Nous y œuvrons, sur le terrain. Au niveau national, nous offrons notre appui et préconisons le respect des positions adoptées, mais il s'agira de déterminer sur le terrain la façon de procéder.
Mme Omeniho œuvre concrètement à ce dossier, alors elle pourra vous donner plus de détails.
Mme Omeniho : Merci de la question. En ce qui concerne plus particulièrement le projet d'oléoduc Northern Gateway, je travaille directement en Alberta avec la société de développement économique qui a été chargée de s'occuper, avec Enbridge, du processus de l'obligation de consulter. Nous y sommes engagés depuis 2002.
En réalité, nous demandons qu'on nous accorde le même processus juste et équitable. Même au niveau du gouvernement fédéral, aucune politique n'a été élaborée pour les consultations et la façon dont les entreprises devraient consulter les Métis. Nous n'avons donc pas eu les renseignements nécessaires pour faire les évaluations environnementales, les études mettant à profit les connaissances traditionnelles autochtones et exécuter les autres tâches nécessaires pour présenter à tout le moins un exposé équilibré à nos communautés de façon à les informer sur l'incidence directe des projets sur elles et à les aider à déterminer si elles s'opposent ou non à ces projets.
En toute justice, nous devons avoir la possibilité d'expliquer à nos collectivités si les projets prévus sont bénéfiques pour elles sur le plan économique ou si les inconvénients l'emportent sur les avantages. Or, nous ne sommes toujours pas en mesure d'expliquer ces choses à nos collectivités.
Certaines des plus anciennes communautés métisses en Alberta vont être directement touchées. Certaines vivent encore aujourd'hui selon leurs coutumes ancestrales et n'ont pas encore beaucoup vécu les bouleversements industriels semblables à ceux que ce pipeline apportera. Elles doivent avoir la possibilité de déterminer ce qui est dans leur intérêt pour le futur.
Et même si des mesures d'équité ont été offertes aux membres des Premières nations, on ne nous a pas proposé les mêmes structures et possibilités de communication. Enbridge n'a pas ressenti le même besoin de s'engager auprès des Métis, comme elle l'avait fait auprès des Premières nations, parce qu'il n'y a aucune politique en vigueur. Il n'y a pas pour les Métis de décisions de la Cour suprême comme celle visant la nation haïda, et c'est pourquoi nous avons été traités différemment. Cela perdure encore aujourd'hui.
Tout juste hier, comme je vous l'ai dit, nous avons reçu un courriel nous signifiant qu'il nous faudra maintenant expliquer pourquoi nous faisons valoir que les Métis devraient avoir le statut d'intervenant et que nous devrions pouvoir représenter les nôtres à l'intérieur du processus de la Commission d'examen conjoint.
Le sénateur Munson : Que faudra-t-il donc, selon vous, pour amener Enbridge et le gouvernement à vous accueillir comme intervenants dans le processus? Il est question ici d'un projet gigantesque, qui produira des bienfaits économiques, mais qui soulève en même temps des préoccupations environnementales.
Mme Omeniho : Je pense qu'il faudrait déjà que le gouvernement fédéral élabore avec les gouvernements provinciaux une politique consultation des Métis dans le cadre d'un processus réglementaire.
Le sénateur Munson : Et si cela n'arrive pas?
Mme Omeniho : Je pense que les Métis seront exclus, comme ils le sont de beaucoup de choses.
Le sénateur Meredith : J'aimerais poser une question supplémentaire, car il s'agit d'un projet énorme qui intéresse la communauté, et je suis curieux de connaître les objections. Pourquoi ne veulent-ils pas que vous participiez? Quelles raisons donnent-ils? Je pense qu'il est important que toutes les communautés soient consultées, pour une transition et un processus harmonieux concernant les retombées économiques de ce pipeline qui doit traverser vos collectivités. Quelles sont certaines de ces objections?
Mme Omeniho : Je ne saurais dire si Enbridge a des en fait des objections à notre endroit. Nous avons rencontré les représentants de cette société il y a deux semaines pour leur faire connaître l'importance des répercussions du projet sur nous.
Ce pipeline va en vérité carrément traverser l'Alberta et la Colombie-Britannique, et une partie de notre territoire historique. Il ira de Bruderheim, en Alberta, jusqu'à Kitimat. Je ne sais pas si vous connaissez cette région. Nombre des communautés concernées ressemblent à St. Albert et à Lac Ste. Anne. Il s'agit de communautés métisses très anciennes, qui ont participé au développement de l'Ouest canadien. Nombre de ces communautés ont une population majoritairement métisse. Ce pipeline va carrément traverser ces communautés.
Enbridge ne nous a donné aucune raison pour laquelle elle se refuse à financer des études mettant à profit les connaissances traditionnelles autochtones.
J'aimerais quelque chose à ce stade-ci dire : en tant que Métisse mêlée au dossier depuis 2002, je ne suis pas toujours convaincue que c'est toujours à l'industrie de payer pour toutes ces choses. Je conviens que la Couronne a transféré ses obligations à ces sociétés, mais Enbridge, à la manière de toute entreprise, est là pour faire de l'argent. Elle ne considère pas avoir la mission de financer des projets autochtones. De fait, certains de ses avocats, lorsque nous avons recouru à différents processus, nous ont dit que ce que les Autochtones font à l'industrie, pour essayer d'amener cette dernière à financer des choses comme des études faisant appel aux connaissances traditionnelles autochtones, est assimilable à de l'extorsion. Ils ne comprennent pas que, tant et aussi longtemps que nous n'avons pas la capacité de participer, nous ne pouvons pas nous acquitter de la responsabilité qui nous revient de veiller à ce que nos communautés soient protégées et à ce qu'elles aient les meilleures possibilités de jouir des mêmes avantages que d'autres souhaitent avoir.
M. Chartier : Puis-je ajouter quelque chose en réponse à la question? Mme Omeniho a bien répondu, mais je pense que cela va plus loin encore. J'ai essayé de traiter de cela dans mon intervention. L'attitude à l'égard des Métis est systémique, enracinée et institutionnalisée. Toute la position a été que les Métis n'ont aucun droit. Si les Métis en ont un jour eu, ils ne les ont plus, à cause de l'extinction de leur titre ancestral à l'égard des terres et des ressources. Nous vivons cela depuis très longtemps, depuis bien avant ma naissance, qui n'est pas toute récente.
Ce n'est en réalité que depuis 1982 que les gouvernements accordent davantage d'attention aux droits des Métis. L'industrie accuse toujours un retard considérable par rapport à eux. Ce n'est qu'avec l'aboutissement d'affaires portées devant les tribunaux, relativement, surtout, à la chasse et à la pêche, que nous avons obtenu des succès en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba; en Ontario, il y a eu l'affaire Powley. Ces décisions des tribunaux ont élevé le profil des Métis à celui d'un peuple titulaire de droits, en tout cas depuis 2003 au moins, mais cela commence à faire maintenant longtemps que nous attendons. Nous n'avons aucune assise territoriale, sauf en Alberta, où huit établissements métis ont été réservés en 1938 par le gouvernement provincial. Mais à cette exception près, nous sommes un peuple sans terre. L'industrie ne nous prend pas au sérieux; elle ne considère pas traverser des territoires métis traditionnels, car elle prétend que nous n'avons aucun droit.
D'un autre côté — et bravo pour elles —, les Premières nations ont des traités signés. Elles ont les réserves dans lesquelles elles vivent. Elles ont également les Accords de transfert des ressources naturelles de 1930, conclus lorsque les provinces se sont vu transférer, par le fédéral, les terres provinciales que le gouvernement fédéral avait conservées en 1869-1870, à l'entrée du Manitoba dans la Confédération. Les Indiens des traités, notamment dans les Prairies, jouissent de beaucoup d'avantages, ce qui est une bonne chose. Nous, nous ne sommes pas dans la même situation. On considère que nous vivons en marge, et c'est encore aujourd'hui comme cela que nous sommes traités. Il nous faut pouvoir surmonter cela, et nous espérons que cette étude nous y aidera.
Le sénateur Raine : J'ai moi aussi une question supplémentaire. Madame Omeniho, dans votre déclaration, vous avez mentionné que l'un des problèmes en ce qui concerne la consultation menée par Enbridge tient à ce qu'on s'attend à traiter les Métis collectivement, considérant qu'ils ne forment qu'un seul groupe, sans tenir compte des communautés distinctes.
Pour citer deux des collectivités que vous avez mentionnées, St. Albert et Lac Ste. Anne, par exemple, je présume qu'elles élisent un maire et ont une organisation municipale et que ces deux collectivités pourraient donc avoir un statut d'intervenant dans les audiences sur le pipeline. Ai-je raison, ou bien sont-elles exclues du fait que 50 p. 100 de leurs habitants soient des Métis?
Mme Omeniho : Cette capacité n'existe pas à l'intérieur de ces collectivités. Premièrement, il y a, en Alberta, des administrations municipales qui représentent l'Albertain moyen. J'ignore quelle est leur position relativement à l'une ou l'autre de ces questions. La plupart des municipalités sont très favorables à Enbridge et au projet d'oléoduc Northern Gateway, car celui-ci leur procurera des recettes fiscales supplémentaires, dont elles ont beaucoup besoin pour fonctionner.
Pour ce qui est des communautés métisses elles-mêmes, elles ont des organisations qui font tous partie de la Nation métisse de l'Alberta, mais aucune d'entre elles ne dispose des compétences ou des moyens requis. Nous nous sommes entretenus avec elles. Aucune d'entre elles ne possède les capacités requises ne serait-ce que pour demander le statut d'intervenant.
Notre demande de statut d'intervenant, en tant que membre de la Métis Nation of Alberta, nous a coûté plusieurs milliers de dollars, ce, simplement pour déposer les propositions et participer au processus canadien d'évaluation environnementale, afin de compter parmi les intervenants auprès de la Commission d'examen conjoint. Chacune de ces communautés ne disposait pas de milliers de dollars dans lesquels puiser pour pouvoir faire une demande. Cela devient un processus très coûteux.
Le sénateur Raine : Vous dites que ni l'une ni l'autre de ces deux communautés n'a eu le statut d'intervenant, même si le pipeline les traverse carrément. La société Enbridge envisage-t-elle de les aider pour qu'elles puissent s'asseoir à la table et se faire entendre?
Mme Omeniho : C'est là-dessus qu'a porté notre réunion il y a deux semaines. Nous avons demandé l'appui et les ressources nécessaires pour préparer une consultation en bonne et due forme et des études mettant à profit le savoir traditionnel dans ces domaines, afin que ces communautés sachent quelles répercussions le projet aura sur elles et puissent également commencer à négocier des marchés réservés ou des retombées économiques susceptibles d'être profitables pour elles. Nous n'avons encore reçu aucune réponse d'Enbridge sur ses intentions.
Le sénateur Raine : Lorsque vous dites « ces communautés », parlez-vous de la municipalité de St. Albert ou des Métis vivant à St. Albert?
Mme Omeniho : J'entends par là les Métis habitant St. Albert, Lac Ste. Anne, Gunn, Whitecourt et Blue Ridge. Toutes ces collectivités se trouvent directement le long du pipeline.
Le président : Connaissez-vous le pourcentage des habitants métis et non métis de ces collectivités?
Mme Omeniho : Ce n'est qu'une impression, mais dans le cas de certaines de ces collectivités, comme celle de Lac Ste. Anne installée là-bas depuis longtemps, la majorité des habitants sont des Métis, qui sont propriétaires fonciers dans ces collectivités.
Le président : Monsieur le sénateur Meredith, avez-vous une question?
Le sénateur Meredith : Oui. J'en ai en vérité plusieurs, mais je vais les condenser.
Le président : Je vais vous autoriser une question maintenant, et une autre au tour suivant.
Le sénateur Meredith : Je vais combiner deux des trois questions que j'ai.
Monsieur Chartier, vous avez déclaré ceci dans le cadre de votre exposé : « Bien que la Constitution considère les Métis comme l'un des trois peuples autochtones du Canada, à l'instar de l'arrêt Powley prononcé par la Cour suprême du Canada en 2003 et dans le cadre duquel on considérait que les Métis constituaient un peuple autochtone à part entière et qu'ils jouissaient de certains droits, les gouvernements fédéraux qui se sont succédés ont toujours prétendu que nos droits fonciers avaient été abolis par la loi. »
En quoi l'actuel projet de règlement des revendications territoriales diffère-t-il, si même c'est le cas, de l'accord antérieur abrogé, énoncé dans la Loi de 1870 sur le Manitoba? Quelles seront les conséquences de la décision prochaine de la Cour suprême relativement aux droits des Métis et des arrêts de la Cour d'appel du Manitoba?
M. Chartier : Pourriez-vous répéter brièvement la première question?
Le sénateur Meredith : En quoi le règlement des revendications territoriales proposé diffère-t-il du règlement des revendications territoriales antérieur abrogé? Quelle sera l'incidence de la décision prochaine de la cour?
M. Chartier : Notre position est que la tentative du gouvernement visant à éteindre nos droits a été un échec lamentable, et ce, pour plusieurs raisons. La Fédération des Métis du Manitoba conteste présentement devant les tribunaux l'article 31 de la Loi sur le Manitoba. Nous attendons une décision de la Cour suprême du Canada. Cela viendra régler la question.
Pour ce qui est de la situation à l'extérieur du territoire original du Manitoba, grand comme un « timbre-poste », nous sommes visés par un autre processus, un certificat des Métis, en vertu duquel des terres à propriété individuelle devaient supposément être cédées aux Métis, ce, en vue de l'extinction du titre ancestral, mais cela a été une véritable imposture, entachée de fraude. Ce que nous disons est que cela ne pouvait pas éteindre notre droit. En 1994, en tant que cause type, nous avons déposé une demande introductive déclarant que nous possédons encore la totalité des terres, en vertu de notre titre ancestral, dans le Nord-Ouest de la Saskatchewan. Cette cause chemine toujours dans le système judiciaire. Nous disons que cela a été un échec total, mais la position du gouvernement fédéral est que ce droit a été éteint. En 1981, le gouvernement a fait connaître sa position : nos droits territoriaux, quels qu'ils aient été, étaient éteints, bien qu'il ait convenu d'inclure dans la Constitution l'article 35 qui parle des droits issus des traités des peuples autochtones. Il a dit : « Très bien, nous avons inscrit les Métis dans la Constitution, mais vous n'avez aucun droit. Ceux-ci ont été éteints. » Nous avons été forcés de recourir aux tribunaux. Nous avons essayé, au moyen du processus de conférence constitutionnelle, de faire reconnaître la nécessité d'une assise territoriale. Ces tentatives se sont soldées par un échec, en 1992, avec les négociations de Charlottetown, dans le cadre desquelles nous avions vu se dessiner un succès potentiel. Nous n'avons eu d'autre choix que de recourir aux tribunaux.
Nous disons maintenant : « Ne comptons pas sur le résultat des litiges; allons de l'avant ». Nous espérons pouvoir avancer en nous appuyant sur une décision favorable de la Cour suprême du Canada. La Cour suprême du Canada devra traiter d'un certain nombre de principes généraux. Par exemple, dans l'affaire manitobaine, la Cour du Banc de la Reine a, en gros, rejeté toutes les demandes des Métis; chaque principe a été prononcé contre les Métis.
Même si la décision ultime ait été maintenue, la Cour d'appel a bien dit que les Métis avaient par le passé joui de droits ancestraux; que les Métis pouvaient jouir du devoir ou de la responsabilité fiduciaire du gouvernement fédéral; que l'honneur de la Couronne s'appliquait aux Métis. Cependant, elle a dit que les arguments déposés par la Fédération des Métis du Manitoba sur le sort des 1,4 million d'acres correspondant à l'article 31 n'étaient pas suffisamment forts pour déclencher le devoir fiduciaire, et c'est ainsi qu'elle a confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine.
Cette cause a été plaidée devant la Cour suprême du Canada. Il est à espérer que la Cour suprême du Canada traitera de ces principes. Si la Cour suprême confirme au moins les principes qui ont été énoncés par la Cour d'appel, alors cela modifiera la relation entre le Canada et les Métis.
Je suis certain que, jusqu'à maintenant, comme nous l'avons vu dans le cas de la situation avec Enbridge, on nous a gardés à l'écart, et le gouvernement se refuse à traiter avec nous, à moins qu'il n'y soit ordonné par les tribunaux, comme cela a été le cas dans l'affaire Powley. Nous disons quant à nous : « Écartons-nous de cela; négocions des ententes entre la nation métisse et le Canada. »
Nous espérons que le comité produira lui aussi des recommandations qui traiteront de la question. Cela fait quatre ans que je dépose des recommandations sur ce qui pourrait être fait, y compris la création d'une commission des revendications métisses, voire même une étude des actes de fraude qui ont été commis à leur encontre en les dépossédant de leurs terres, une étude sénatoriale spéciale à ce sujet. Il y a plusieurs initiatives qui pourraient être prises, mais nous comptons qu'il pourrait y avoir, en bout de ligne, une entente de collaboration, de coopération, entre le gouvernement du Canada et les Métis.
J'aimerais simplement revenir sur l'accord de 1992. Je suis certain que le sénateur St. Germain se souviendra de cette époque, qui remonte au gouvernement Mulroney, et des négociations qui ont eu lieu entre les provinces et les peuples autochtones. Nous avons obtenu une convention accessoire appelée l'Accord relatif à la nation métisse, et celui-ci renfermait un engagement par le gouvernement fédéral et les provinces de l'Ontario et de l'Ouest de négocier une assise territoriale avec les Métis, avec une mention particulière pour l'Alberta, disant que cette province avait déjà cédé des terres aux Métis. Cette percée politique nous a échappé, mais nous continuons d'espérer qu'il nous sera possible d'y revenir et d'avancer. Qu'il y ait ou non eu extinction de nos droits, notre argument est qu'en tant que peuple autochtone, nous aimerions avoir une assise territoriale comme c'est le cas de tous les autres peuples autochtones désireux de vivre sur un territoire qui leur est propre. Il est simplement question de répondre aux besoins d'un peuple, d'une nation au sein de ce merveilleux État qu'est le Canada.
Le sénateur Ataullahjan : Ma question s'adresse à Mme Omeniho. La voici : les femmes font-elles partie intégrante du processus décisionnel de la nation métisse? Intervenez-vous davantage dans certains domaines que dans d'autres? Je suis tout particulièrement intéressée par la santé des femmes et des enfants. Quelle est la situation en ce qui concerne la santé des mères et des enfants au sein de la nation métisse? Quelles sont certaines des difficultés auxquelles vous vous trouvez confrontées?
Mme Omeniho : J'ai mentionné, et je répéterai, que les femmes comptent pour la moitié des organes décisionnels politiques au sein de la nation métisse. Je ne pense pas que cela soit en raison de leur sexe. Je pense qu'il y a eu, parmi les femmes, de formidables leaders. Je siège aux côtés de femmes extraordinaires, qui possèdent de merveilleuses aptitudes pour le leadership, et qui ont été mises en avant. Elles traitent de toutes les préoccupations et de tous les dossiers qui occupent la nation métisse, et pas seulement des questions relatives aux femmes.
L'organisation des Femmes Michif Otipemisiwak, dont on m'a élue présidente, s'occupe surtout de représenter les femmes métisses dans les dossiers traités. . Ce n'est pas que nous n'avons pas de représentation politique féminine ou que nous estimons que nos intérêts ne sont pas défendus à l'intérieur du Ralliement national des Métis, mais certaines questions demeurent qui continuent de l'emporter sur tout le reste, comme celles intéressant les femmes et les familles.
Nos enfants comptent pour un pourcentage bien trop élevé des enfants placés. Les enfants et les familles connaissent des difficultés. Il y a des phénomènes sociaux qui touchent certains éléments de notre communauté. C'est en partie de cela que veulent s'occuper les Femmes Michif Otipemisiwak. De fait, lors de notre dernière assemblée générale annuelle, tenue en mars, nous avons créé un comité qui va s'atteler aux problèmes des enfants métis qui ont été perdus à l'intérieur des différents systèmes. Cette initiative a été baptisée Bringing Home our Children.
Un nombre élevé d'enfants métis sont confiés à des services institutionnalisés, par exemple des foyers de groupe, leur famille ayant éclaté ou les ayant de quelque manière abandonnés. Dans mon travail de défense des femmes et des enfants métis, auxquels je me consacre depuis de nombreuses années maintenant, je constate, personnellement, que les séquelles des problèmes générationnels de ce genre ne seront pas très différentes de celles des pensionnats. Nous devons commencer à nous attaquer à ces problèmes et à faire partie de la solution, pour venir en aide à ces familles.
Du côté positif, cependant, certaines de nos familles ont de beaucoup bénéficié d'ententes comme celles que nous avons dans la nation métisse, par exemple les arrangements pour les martyrs dans le cadre du développement de ressources humaines. Si vous faisiez une analyse statistique, vous découvririez que souvent ce sont les femmes qui bénéficient davantage de ces possibilités que les hommes métis. Les Métisses retournent à l'école et s'efforcent d'améliorer leur éducation afin d'être en mesure de subvenir aux besoins de leur famille.
J'espère avoir répondu à votre question.
Marc LeClair, coordinateur bilatéral, Ralliement national des Métis : La situation est la suivante : nous sommes un demi-million de personnes, comptant environ 250 000 femmes. Au niveau fédéral, nous avons fait quelques gains, au cours des 10 dernières années, après avoir obtenu que Santé Canada prête attention aux Métis. Auparavant, personne ne s'était même penché sur l'état de santé des nôtres. Statistique Canada dépense des millions de dollars pour la collecte de données, entre autres dans le cadre de l'Enquête auprès des peuples autochtones, et toutes ces données sont recueillies, mais personne ne les examine. Personne ne se préoccupe des Métis, car personne n'en a la responsabilité.
Au niveau fédéral, nous avons commencé à faire des gains il y a environ 10 ans, et même l'ONSA, l'Organisation nationale de la santé autochtone, qui vient tout juste d'être supprimée tout comme d'autres programmes de santé, commençait, elle aussi, à faire des gains. Au premier niveau de la politique gouvernementale, il importe de cerner les problèmes et de sensibiliser les gens à la situation sur le plan de la santé. Il suffit de poser la question, comme vous venez de le faire. La réponse qu'il nous faut maintenant vous donner est que personne ne peut répondre à votre question, car personne n'y prête attention.
Dans le cas des Métis, il n'y a pas seulement la santé dont il faut s'occuper, mais il y a également l'éducation et tout le reste. Certaines provinces s'y intéressent un peu, mais, de manière générale, lorsqu'on parle de la santé et du bien- être, de la santé maternelle et de la capacité parentale des Métis, elle répondent : « Cela concerne les Métis; quelqu'un va s'en occuper. » Voilà quelle est la réalité aujourd'hui au Canada sur le plan de la politique gouvernementale.
Le sénateur Raine : Monsieur Chartier, j'ai été intéressée par vos commentaires au sujet de l'Institut Gabriel- Dumont et de son programme appelé SUNTEP. Je présume qu'il s'agit d'un programme de formation pour enseignants en milieu urbain. Vous dites qu'il a permis à plus d'un millier d'étudiants de réussir leurs études depuis 1984, et de hausser, de ce fait, le PIB provincial de 2,5 milliards de dollars et le revenu du gouvernement provincial de 1 milliard de dollars. Pourriez-vous expliquer ces chiffres et comment 1 000 diplômés peuvent être directement rattachés à 1 milliard de dollars de revenus pour le gouvernement? Je ne comprends pas comment cela fonctionne.
M. Chartier : Nous sommes deux. En gros, une étude a été faite et c'est ce qui en est ressorti. Cette étude a été rendue publique l'an dernier. Quant à savoir comment ses auteurs en sont arrivés à cette conclusion, je n'en suis pas certain. Je peux essayer de deviner.
Le sénateur Raine : Il serait peut-être bon que nous examinions cette étude.
M. Chartier : Oui, ce serait bien. J'imagine qu'on a tenu compte de la capacité de gains de ces personnes et des impôts qu'elles payent.
Le sénateur Raine : C'est parfois un petit peu exagéré de dire qu'une personne a gagné tant d'argent et a appris à d'autres, qui ont gagné davantage d'argent et qui ont encore enseigné à d'autres. Il y a un effet en cascade. L'éducation est extrêmement importante, et tous les Canadiens seraient d'accord là-dessus. Bien sûr, les Métis ont une merveilleuse culture que vous protégez et célébrez. Vous entretenez des liens formidables entre vos communautés et votre peuple. Cependant, vous êtes un petit peu comme les peuples ethniques de Norvège, qui vivent parmi d'autres Norvégiens.
Un groupe de Lapons a comparu, non pas devant le comité, mais devant un groupe d'entre nous dans le cadre d'une séance de breffage distincte. Lorsque j'ai demandé de quels droits jouissent les Lapons en Norvège, ils ont été un petit peu surpris. Ils ont dit qu'ils jouissent de certains droits mais que, pour ce qui est de l'essentiel, ils sont comme tous les autres Norvégiens, en ce sens qu'ils ont droit à des services de soins de santé, d'éducation, qu'ils sont protégés par les droits de la personne, et cetera. Ils ont cependant des droits particuliers en matière de garde de troupeaux de rennes, et les habitants de certaines zones jouissent également de certains droits de pêche. Le peuple sami, qui est dispersé un peu partout en Norvège et qui fait partie de la population générale norvégienne, ne se demande pas ce que le gouvernement fera pour lui, mais bien ce qu'il fera, lui, et comment il peut faire le lien avec ses membres. Les Lapons y voient là une obligation qu'ils ont en tant que peuple sami. Il s'agit pour eux de protéger leur langue et leur culture collectivement, à l'intérieur de la société norvégienne. Je ne sais pas si le peuple sami vous est familier, mais j'ai trouvé cet échange extrêmement intéressant. Les Lapons élisent leurs propres députés au Parlement. Vous pouvez choisir d'élire votre représentant local ou voter pour un représentant sami au Parlement. C'est une façon différente d'envisager les choses.
Je me demandais si vous étiez au courant de ce modèle et si vous pensiez que cela pourrait fonctionner, en vue de tirer au clair la relation qu'entretiennent les Métis avec le Canada.
M. Chartier : Lors des négociations de Charlottetown, il a beaucoup été question de représentation dans les deux Chambres du Parlement. Si je me souviens bien, une entente est intervenue en ce qui concerne le Sénat. Nous avons discuté de la possibilité d'une représentation au Parlement au moyen de X sièges auxquels nous pourrions élire des nôtres afin d'avoir une voix au Parlement. Les Maori, en Nouvelle-Zélande, peuvent élire des députés au Parlement. Ils ont un choix pour la façon d'exercer leur droit de vote. Cela semble fonctionner là-bas, bien que je n'y sois jamais allé pour étudier ce système sur place. Je pense qu'un système semblable est en place dans l'État du Maine. Nous l'avons examiné et nous n'y sommes pas opposés.
Depuis au moins 1982, nous disons que nous faisons tout à fait partie du tissu constitutionnel du Canada — je parle au moins de la nation métisse. En conséquence, j'ai encouragé les membres de mon peuple à chercher à se faire élire à des assemblées législatives et au Parlement. Bien que nous ayons le droit à l'autonomie politique et souhaiterions avoir notre propre gouvernement, il est important que nous élisions également des nôtres à d'autres paliers de gouvernement, tant provincial que fédéral, afin que nous ne soyons pas des îlots isolés, mais fassions partie de la mosaïque canadienne dans son entier. La Loi constitutionnelle de 1982 a rendu cela possible. Nous sommes assurément prêts à aller plus loin que cela et à avoir une représentation directe au Parlement.
Le sénateur Brazeau : Ma question concerne davantage la procédure. À l'heure actuelle, le ministre des Affaires autochtones est également l'Interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits. Bien que le même ministre soit responsable des deux portefeuilles, il n'en a pas toujours été ainsi. Fort de mon expérience, je sais que traiter avec des politiciens est souvent très différent que de traiter avec les bureaucrates qui travaillent dans les ministères. Pensez-vous que le fait que le ministre des Affaires autochtones agisse également en tant qu'Interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits entrave le processus de la reconnaissance et le lancement concret d'un mécanisme de négociation avec le gouvernement fédéral? Pensez-vous que l'existence d'un poste d'Interlocuteur fédéral a aidé la nation métisse? Je parle de l'année 2012, et non pas de la situation lors de la création du poste, en 1985.
M. Chartier : C'est une très bonne question, mais c'en est une à laquelle je n'ai pas beaucoup réfléchi. Le Ralliement national des Métis s'est principalement attaché à chercher des moyens de se soustraire au Bureau de l'interlocuteur fédéral, afin d'accéder à l'autonomie gouvernementale et d'entretenir une relation avec le Parlement. Je pense que lorsque le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien s'est vu chargé d'être l'Interlocuteur fédéral, c'était une initiative relativement positive. Nous craignions de nous faire marginaliser encore davantage, mais notre relation avec l'Interlocuteur fédéral n'a pas reculé. C'était une bonne chose que d'avoir une personne chargée de tous les peuples autochtones et de tous les dossiers autochtones, même si il y a peut-être eu compartimentage.
D'après ce que je crois comprendre, une restructuration est en train de survenir sur la base du budget, et cela aura une incidence sur le Bureau de l'interlocuteur fédéral tel qu'il a été constitué. J'ignore dans quelle mesure le ministre sera davantage le ministre des Affaires autochtones et moins l'interlocuteur. Je n'en ai pas la moindre idée. Il semble que, sur le plan structurel, tous les peuples autochtones seront visés par un seul et même ministère, qui comportera différentes sections. Ma crainte initiale est que nous deviendrons si petits au sein du ministère que l'on s'attardera moins sur les questions que nous porterons à son attention. Cependant, si nous devons relever d'un ministère plus étendu, si le ministre a davantage de responsabilités et si nous avons accès aux mécanismes ou à l'appareil du gouvernement, en ce qui concerne, surtout, le dialogue sur l'autonomie gouvernementale, , nous y serons favorables. À moins que je me trompe, les peuples autochtones continuent d'insister sur l'autonomie gouvernementale et un recul continu de l'intervention du gouvernement fédéral dans l'administration de leurs affaires. Il y a un mouvement au sein du gouvernement en ce sens.
La possibilité de faire avancer notre autonomie politique au fur et à mesure du retrait du gouvernement fédéral est donc davantage à notre portée. Je vois se profiler des possibilités plus grandes. En un sens, j'applaudis à cela. Bien que je ressente un peu d'hésitation ou d'appréhension, ce sera un développement positif à long terme.
Le sénateur Brazeau : Ma question de suivi concerne le Protocole avec la nation métisse. Comme vous le savez très bien, lorsqu'a été créé le Bureau de l'interlocuteur fédéral, de nombreux fonctionnaires travaillant dans le ministère sont venus du Bureau du Conseil privé. Ayant traité avec eux, dans ma vie antérieure pour des questions concernant les Métis et les Indiens non inscrits, j'ai toujours dit d'eux, en anglais, non pas qu'ils étaient du « PCO », mais qu'ils étaient des « PC-no ».
Comme vous le savez, j'ai dirigé une des organisations autochtones nationales qui comptait également des membres métis. En 1994, une entente a été signée par le Bureau de l'interlocuteur fédéral et le Congrès des Peuples Autochtones. J'ai déjà vu ceci. On dirait une copie carbone de ce qui a été négocié avec le Congrès des Peuples Autochtones en 1994. Lorsque j'ai quitté l'organisation au début de 2009, même si nous avions un protocole et une entente, il n'y a pas grand-chose qui a été fait. Il n'y a en gros eu que ce que j'appelais dans le temps une « prime au silence », pour régler certaines des questions comprises dans le protocole.
Pourriez-vous nous expliquer le genre d'assurances que vous ont données les bureaucrates au Bureau de l'Interlocuteur général selon lesquelles cela devrait véritablement être quelque chose de porteur pour le peuple métis, débouchant sur des résultats tangibles, au lieu d'un simple bout de papier symbolique?
M. Chartier : Voilà qui est encore une autre bonne question d'approfondissement. Je ne connais pas l'accord de 1994, mais j'ai vu d'autres accords en vertu desquels nous nous sommes engagés. Je suppose qu'ils sont relativement semblables, car nos aspirations ne changent pas beaucoup au fil du temps. Le problème est qu'il nous faut trouver un partenaire désireux de s'asseoir avec nous pour amener ces changements.
Nous parlons du Bureau de l'interlocuteur fédéral. En 1983, le Ralliement national des Métis a rencontré le secrétaire d'État d'alors, Serge Joyal. En ma qualité de premier président du Ralliement national des Métis, j'avais proposé un interlocuteur siégeant au Cabinet. Nous avions pensé à lui, mais c'est alors qu'a été créé ce Bureau de l'interlocuteur fédéral, qui a été versé au BCP. C'est nous qui avons donné naissance à cela. Nous ne prétendons pas que ce soit notre bébé, et nous n'essayons pas non plus de le sauver; nous essayons d'aller plus loin. Ce bureau a changé sous différents ministres. Il a également relevé de RNCan. Nous relevons aujourd'hui d'AADNC, ce qui est une bonne chose.
Le protocole lui-même était une déclaration de bonne foi de la part de la nation métisse et du gouvernement fédéral, alors représenté par le ministre Strahl. Les deux parties, y compris le premier ministre, l'ont adopté. Certains éléments demeurent qui n'ont pas encore été traités, et qui doivent l'être. Nous avions également une section concernant un processus multilatéral, en vue d'intégrer les provinces.
Nous avons, très tôt, décidé qu'il nous fallait les provinces, et c'est ainsi que nous avons décidé de traiter du développement économique, car c'était une préoccupation sérieuse, qui intéressait tout le monde. Les provinces sont venues. Nous avons tenu, en novembre ou décembre 2009, un symposium métis sur le développement économique, auquel ont participé les cinq ministres des Affaires autochtones de l'Ontario et de l'Ouest, le ministre Strahl et les leaders de la nation métisse au niveau politique, et nos officiels se sont réunis deux jours plus tard. Nous avons eu un deuxième symposium en janvier 2011. Nous avons convenu d'aller de l'avant pour adopter une stratégie de développement économique pour la nation métisse, qui devrait être soumise aux responsables en 2013. Nous rencontrerons de nouveau l'industrie et le gouvernement.
Sur le plan du développement économique, ce protocole s'est révélé fructueux pour nous, mais il nous faut encore travailler sur certains aspects, comme le projet d'oléoduc Northern Gateway. Dans l'ensemble, ce protocole est à cet égard plutôt musclé.
Dans d'autres domaines, nous avons cherché à obtenir le déclenchement du processus en ce qui concerne la santé. J'ai dit en janvier de l'an dernier au premier ministre que sa ministre de la Santé pourrait peut-être rencontrer les ministres de la Santé provinciaux et la nation métisse afin que nous discutions des questions de santé. J'ai écrit à la ministre de la Santé il y a environ un an, et je n'ai encore reçu aucune réponse. Il ne se passe rien sur ce plan, alors peut- être que le protocole ne vaut même pas le papier sur lequel il est écrit, pour ce qui est de la participation du fédéral aux soins de santé, mais nous continuons d'espérer.
Nous n'avons pas encore traité de la question des pensionnats, qui figure dans le protocole, et qui est toujours pendante. Nous n'avons pas encore traité des questions toujours en suspens relativement à différents droits, dont les droits fonciers. Pour ce qui est de l'aspect du développement économique, le protocole ne nous a pas encore servi, mais nous gardons espoir que cela viendra, et nous n'allons pas l'abandonner. Nous estimons qu'il s'agit d'un bon processus et nous espérons qu'il servira de tremplin pour les deux accords que nous avons mis de l'avant, l'un sur la gouvernance et l'autre sur le développement économique.
En ce qui concerne le développement économique, je pense que nous obtenons d'assez bons résultats avec le protocole. Sur le plan de la gouvernance, nous avons eu certaines discussions préliminaires, y compris avec des fonctionnaires au Bureau de l'interlocuteur fédéral. Je vous dirais, en toute franchise, qu'il y a une certaine coopération avec les fonctionnaires au Bureau de l'interlocuteur fédéral. J'estime cependant que nous nous laissons tous embourber et que nous regardons strictement les petites ententes que nous signons; or, nous devons avoir des résultats bien précis et une reddition de comptes. Nous avons des douzaines d'ententes et de rapports qui doivent être préparés, et c'est ainsi que nous nous embourbons et que nous perdons de vue le tableau d'ensemble. S'il y a à redire sur quoi que ce soit, je pense que les fonctionnaires se font eux aussi happer par cela, et ce n'est pas qu'ils aient la moindre mauvaise foi pour faire avancer les choses avec nous.
Le sénateur Brazeau : J'espère que vous aurez plus de chance que nous, nous en avons eue.
M. Chartier : Merci.
Le sénateur Patterson : Bienvenue aux témoins. Nous allons, dans le cadre de notre étude, beaucoup bénéficier de la longue expérience, de la mémoire institutionnelle et de la participation de M. Chartier dans ces différents dossiers.
Le sénateur Brazeau a posé une question que j'allais poser, alors j'aimerais interroger M. Chartier au sujet de sa vision de la gouvernance pour les Métis.
Le protocole parle de l'obligation de rendre des comptes en démocratie. Vous avez parlé des mécanismes de dénombrement et d'enregistrement des Métis, et l'administration des programmes du gouvernement fédéral est abordée dans le protocole.
Pourriez-vous nous expliquer votre vision de l'auto-gouvernance pour une population qui est très dispersée, qui ne possède pas d'assise territoriale et dont les membres sont souvent bien intégrés au sein de communautés existantes?
M. Chartier : Merci, sénateur. Nous avons développé des positions là-dessus dans les années 1980, puis en 1992. Je ne me souviens pas des détails, mais nous croyons qu'il est possible d'avoir une autonomie gouvernementale en l'absence d'une assise territoriale. Avec une assise territoriale, c'est bien aussi, et nous aimerions avoir un jour notre autonomie politique sur un territoire à l'extérieur de l'Alberta.
La réalité est que de nombreux citoyens de la nation métisse choisiront de ne pas déménager pour s'établir sur leur territoire, mais préféreront demeurer là où ils se trouvent. Comme nous le savons, de nombreux membres des Premières nations vivent hors réserve. Des statistiques américaines montrent que 78 p. 100 des Indiens et des personnes nées en Alaska vivent à l'extérieur de leur territoire. C'est une réalité, mais il demeure qu'il y en a qui veulent vivre sur une assise territoriale. Ce serait leur choix.
Nous avons l'infrastructure gouvernementale. Depuis 1979, et cela a commencé en Saskatchewan, nous tenons un scrutin grâce auquel chacun de nos citoyens que cela intéresse peut voter pour le leadership qu'il souhaite avoir. C'est là une condition de l'appartenance aux gouvernements de la nation métisse, et nos cinq organismes de gouvernance ont ce système. De fait, la Métis Nation of Ontario vient tout juste de tenir ses élections et elle devait terminer le décompte des votes hier soir ou tôt ce matin.
Nous avons l'infrastructure. Nous avons en place les mécanismes de reddition de comptes et de représentativité de notre gouvernement. Nous sommes les uniques représentants de la nation métisse.
Nous parlons également de dévolution ou de prestation de programmes et de services. Nous devons féliciter le gouvernement fédéral pour l'engagement des peuples autochtones dans la prestation de services d'emploi et de formation par le biais des Chemins de la réussite, des arts et de la Stratégie de formation pour les compétences et l'emploi destinée aux Autochtones, un programme qui donne d'excellents résultats. Il s'agit d'un travail que nous pouvons continuer de faire.
À l'échelle provinciale, par exemple au Manitoba, le gouvernement a confié à quatre agences autorisées la prestation des services à l'enfance et à la famille. La Fédération des Métis du Manitoba fournit des services d'aide à l'enfance et à la famille aux citoyens de la nation métisse. Je pense qu'il y a deux entités des Premières nations et une quatrième entité. La dévolution est possible.
Pour ce qui est de l'inscription des Métis au registre, nous espérons être en mesure, au bout de compte, d'inscrire tous les membres de notre peuple, mais il nous faut garder ce registre à jour et actif, et les ressources qui nous sont, pour le moment, versées ne suffisent pas.
Pour ce qui est du financement de l'autonomie gouvernementale, il y a différentes façons de faire, par exemple des paiements de transfert aux gouvernements de la nation métisse et, comme cela a été le cas en vertu de l'accord de 1992, la récupération d'une partie des impôts que nous payons, ce qui avait été négocié.
Je pense qu'il est tout à fait possible pour nous d'avoir notre autonomie politique. Nous espérons, en bout de ligne, être en mesure d'offrir à notre peuple les services qui sont présentement assurés par les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous continuerions assurément d'intervenir là où les sources de services sont intégrées et où il est logique qu'il n'y ait pas répétition. Par exemple, nous ne voudrions pas rétablir les hôpitaux de la nation métisse. Il y a en place un système de soins de santé, et nous continuerions certainement d'en faire partie. Cependant, nous voudrions peut- être avoir davantage notre mot à dire aux conseils de santé, par exemple. Nous voudrions également nous assurer que les nôtres ont accès à ces soins de santé. À l'heure actuelle, nombre des nôtres, et c'est tout particulièrement le cas chez les aînés, comptent sur une pension de vieillesse. Ils sont nombreux à souffrir du diabète et d'autres maladies. Dans de nombreux cas, ils doivent choisir entre acheter leurs médicaments et se nourrir. Ils ne devraient pas se trouver dans pareille situation. Certains, surtout en région éloignée et dans le Nord, doivent faire de l'auto-stop pour se rendre à leur traitement contre le cancer, parce qu'ils n'ont autre moyen de transport. Il reste encore beaucoup à faire, mais si nous travaillons tous ensemble, les gouvernements autochtones et, dans notre cas, le gouvernement de la nation métisse, les gouvernements fédéral et provinciaux, nous pourrons beaucoup améliorer les choses pour nous tous, et tout particulièrement pour les citoyens membres de la nation métisse.
Le président : Ma question concerne les registres de membres et de citoyens. Êtes-vous satisfait de la façon dont les choses progressent, monsieur Chartier, ou bien y a-t-il place pour l'amélioration
M. Chartier : Je dirais qu'il y a assurément place pour l'amélioration. Je pense que, depuis l'arrêt Powley et ce que nous appelons les ressources post-Powley devant nous permettre d'établir ces registres, les éléments techniques sont maintenant bien en place. Cependant, il y a eu d'importantes compressions il y a deux ans, la majorité des employés affectés au registre ayant dû être mis à pied. Au lieu de bâtir sur ce que nous avions, nous avons en quelque sorte reculé. Il y a un énorme arriéré de personnes devant être réinscrites.
Nous avons eu auparavant dans nos organisations des personnes qui avaient perdu leur statut d'Indien, mais qui n'étaient pas reconnues en vertu de la Loi sur les Indiens. En effet, toutes les personnes non visées par la Loi sur les Indiens, tous les Indiens non inscrits et toutes les personnes d'ascendance mixte qui n'étaient pas des citoyens de la nation métisse ont été invités à se joindre à nos organisations dans les années 1960 et 1970, et jusque dans les années 1980. Toutefois, au fur et à mesure que nous nous sommes mieux définis et regroupés en tant que gouvernement de la nation métisse et citoyens de la nation métisse, il est devenu nécessaire d'établir des critères d'admissibilité au statut de citoyen de la nation métisse, ce que nous avons fait, et la Cour suprême du Canada a, à toutes fins pratiques, adopté des critères parallèles. Ils sont compatibles.
Nous avions, par ailleurs, connu quelques réussites avant l'arrêt Powley. En Saskatchewan, en 1996, alors que j'étais un avocat dont les clients n'avaient pas d'argent, j'ai réussi à obtenir une décision judiciaire reconnaissant aux Métis du nord-ouest de la Saskatchewan des droits ancestraux non éteints de récolte, de chasse et de pêche, sans qu'il ne soit tenu compte des conséquences pour les terres, ce qui n'était pas un problème. D'autres de nos causes pré-Powley ont abouti. Cependant, il a été clairement établi, grâce à l'arrêt Powley, que les Métis sont un peuple titulaire de droits à part entière et que le peuple, les citoyens, les titulaires de droits métis doivent être identifiés afin d'éviter tout conflit futur occasionné par l'exercice de leurs droits.
Notre position est que si vous naissez citoyen de la nation métisse, vous êtes titulaire de droits, et c'est ainsi que nous inscrivons tout le monde. Notre décision a été de réinscrire tout le monde afin que nos citoyens répondent aux critères. J'ai moi-même dû me soumettre à ce processus. Voilà ce que nous faisons. Nous réinscrivons d'anciens membres afin qu'ils soient inscrits comme citoyens de la nation métisse. Certains ne répondront peut-être pas aux critères parce qu'ils sont des Indiens sans droits, mais leur combat est un combat différent, et ils le poursuivent encore.
Il y en a d'autres qui ne se sont pas donnés la peine de s'identifier parce qu'ils estimaient que cela ne leur donnerait que le droit de participer à une organisation, aux réunions et aux votes, et qu'ils n'en ressentaient pas le besoin. Aujourd'hui, avec les changements, et le regain de vitalité de la nation et de la culture qui lui est propre, les gens se disent : « Oui, je vais me faire inscrire en tant que citoyen, même s'il n'y a rien là de tangible pour moi et même si je n'ai besoin de rien, car j'ai un emploi et je suis en mesure de subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. » Ils se feront malgré tout inscrire, car ils constatent que nous sommes aujourd'hui reconnus comme peuple, ce qui avait été tu et mis de côté pendant des générations. Nous sommes aujourd'hui en train de ré-émerger et il y a une grande fierté à être Métis. L'inscription est quelque chose que nous devons faire.
Le système tel qu'il existe à l'heure actuelle n'est pas suffisant — pas du tout — pour assurer pleinement cette fonction. Cependant, c'est un bon début. Il nous faut construire à partir de là. Toute aide que pourrait donner le comité sénatorial, en encourageant le gouvernement à injecter davantage de ressources pour la poursuite de ce travail, serait très bénéfique pour la nation métisse et pour le Canada dans son entier.
Le sénateur Patterson : Je vous prends un petit peu de court ici, mais je pense que le comité a été très impressionné par l'exposé fait par deux avocats métis, que vous devez connaître et qui sont intervenus dans la cause Powley, Mme Teillet et son collègue.
Avez-vous eu l'occasion d'examiner leur déclaration au sujet de cette question de la définition de « Métis », et endosseriez-vous l'approche qu'ils nous ont recommandée? Je pense que leur explication découlait de la cause Powley. Je crois que plusieurs d'entre nous pensions que l'aspect historique, surtout, nous aiderait à nous attaquer à cette question dans le cadre de notre étude.
M. Chartier : Est-ce que l'autre personne était Jason Madden?
Le sénateur Patterson : Oui, excusez-moi.
M. Chartier : Je n'étais même pas au courant de cela; j'ignore ce qu'ils ont dit. Oui, vous m'avez bel et bien pris de court, et il va falloir que je m'entretienne avec eux. Non, je blague.
J'ai mentionné la cause concernant des droits de pêche en 1995 ou en 1996 et une stagiaire en droit. C'est Mme Teillet qui était cette stagiaire. Elle travaille à ces dossiers depuis l'action que nous avons lancée en janvier 1995. Elle a travaillé avec moi à deux ou trois autres affaires depuis, comme c'est également le cas de M. Madden. Ils connaissent tous les deux très bien les critères du Ralliement national des Métis en ce qui concerne l'identité métisse. Cela ne me dérange nullement d'adhérer aveuglément à ce qu'ils ont pu dire au sujet de cette question, car ils ne diraient rien de différent de ce que je pourrais dire. Je sais que Mme Teillet a fait des recherches plus poussées sur les aspects historiques et elle nous fait des rapports. Ils sont tous les deux conseillers auprès de notre comité sur les droits des Métis. J'envisage avec plaisir de lire ce qu'ils ont dit. Si vous nous donniez une idée de la date de leur comparution, cela simplifierait nos recherches.
Le président : Nous vous enverrons le compte rendu correspondant.
Le sénateur Raine : Vous avez raison : tout ce que vous avez dit ressemble fort à ce qu'ils nous ont rapporté, mais il y a une question brûlante qui est ressortie, soit le nombre de personnes dont vous parliez. Je pense que c'est M. LeClair qui a dit que les Métis étaient au nombre de 500 000. Il y a, bien sûr, cependant, un grand nombre de personnes qui se disent Métis, mais qui n'ont pas d'origines métisses anciennes. Je pense qu'il est dans l'intérêt de tout le monde que l'identité métisse soit bien définie.
Selon l'arrêt de la Cour suprême du Canada, la personne doit s'identifier comme Métis, être membre d'une communauté métisse contemporaine et avoir des liens avec une communauté métisse actuelle et des liens avec une communauté métisse ancienne. Que cela signifie-t-il d'être accepté par une communauté métisse? Y a-t-il à cela une définition juridique?
M. Chartier : Je vais commencer par dire que M. LeClair a parfois tendance à embellir quelque peu les choses. Il a donné ce chiffre à des fins d'illustration. Il avait voulu dire la moitié, et il était plus facile de dire 500 que de passer à 250. C'était une simple question mathématique. En vérité, cela va au cœur de la question. Nous ne savons pas exactement combien de citoyens métis compte la nation métisse; ce n'est qu'une approximation. Le nombre que j'utilise est de 350 000 à 400 000. Encore une fois, ce n'est là qu'une estimation du nombre de Métis dont nous pensons qu'ils habitent les terres traditionnelles de la nation métisse. Statistique Canada a des chiffres différents, mais, là encore, n'importe qui peut s'identifier en tant que Métis, en utilisant ses propres critères, ses propres définitions de soi. Je ne peux pas accepter les chiffres de Statistique Canada en la matière.
Il nous faut en effet avoir ce registre. À l'avenir, nous pourrions dire : « Voici combien de citoyens de la nation métisse se sont faits inscrire. Il y en a peut-être davantage, mais voici ceux qui se sont fait inscrire. »
Pour ce qui est de l'acceptation par la communauté métisse — et nous fournirons les critères qu'utilise la nation métisse; ils renferment des définitions —, nous disons « acceptation par la nation métisse ». La Cour suprême du Canada dit « acceptation par la communauté métisse ». La question est de savoir ce que signifie le terme « communauté »? Cela signifie-t-il un village ou plusieurs villages formant une communauté plus importante? Je pense qu'il a été dit qu'il s'agissait de Sault Ste. Marie et des environs, mais cela pourrait inclure une communauté plus vaste, comme la région des Grands Lacs ou quelque chose du genre. Nous, nous irions plus loin et dirions : « Ou cela pourrait inclure la nation métisse tout entière ». M. Madden, Mme Teillet et moi, qui plaidons ces affaires, disons de la communauté métisse qu'elle correspond à la totalité de la nation métisse. Tout dépend de ce que l'on entend par « communauté ».
En bout de ligne, dans le cadre de notre système, l'acceptation par la communauté ou par la nation métisse relève de chacun de nos organismes de gouvernance. En Alberta, par exemple, les citoyens demanderaient d'être inscrits par l'intermédiaire de la Métis Nation of Alberta, et ils fourniraient tous les éléments de preuve requis. Au bout du compte, c'est le registraire qui déterminerait si les critères sont remplis ou non. Cela dépendrait de la position du leadership en Alberta, dans le cas de cette communauté. Interviendrait également un processus d'acceptation que nous avons adopté, en principe, en 2001. En ce sens, la nation, dans son entier, a son mot à dire. Même si la décision est prise par les cinq organismes de gouvernance, elle s'appuie sur des critères communs et un processus d'acceptation commun.
Nous œuvrons toujours à l'établissement d'un registre national; nous menons ce travail avec le Bureau de l'interlocuteur fédéral. Une fois ce travail abouti, chacun des cinq registres provinciaux inscrirait ses citoyens dans un registre national. Nous y travaillons toujours, mais l'acceptation par la communauté relèverait de la nation elle-même, par le biais d'un processus que nous avons élaboré.
Le sénateur Raine : Soyons clairs : vous avez dit que « les citoyens demanderaient à se faire inscrire », mais les citoyens, à ce stade-là, n'ont pas de carte ou de passeport disant qu'ils sont citoyens.
M. Chartier : Exactement.
Le sénateur Raine : En l'état actuel des choses, vous n'avez pas la citoyenneté à proprement parler, mais il y a un processus de demande d'inscription qui est, je suppose, la première étape.
M. Chartier : Oui. Je devrais peut-être utiliser le terme « citoyen ». J'utilise le terme « citoyen » pour désigner une « personne ». Les personnes — les personnes membres de la nation métisse — passeraient par ce processus.
Il y en a déjà un certain nombre qui se sont fait inscrire en tant que citoyens. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais le processus a été complété pour des milliers de personnes. Je dirais que 10 à 15 p. 100 de nos anciens membres et personnes membres de la nation métisse ont été inscrits en tant que citoyens.
Vous avez dit qu'il y a des personnes qui ne répondraient pas aux critères. Cela est vrai. Nous ne sommes pas ici pour dire qu'elles ne peuvent pas s'appeler ce qu'elles veulent, mais elles ne seront pas, au final, des citoyens de la nation métisse.
Le sénateur Raine : Je comprends. Les organisations provinciales appartenant aux Ralliement national des Métis utilisent-elles les mêmes formulaires? Dans la négative, pourquoi?
M. LeClair : Pour vous donner une vue d'ensemble, 15 p. 100 des nôtres ont peut-être été intégrés aux nouveaux systèmes d'appartenance. Nous avons commencé ce travail il y a quelques années. La lenteur des progrès est en partie due au fait qu'avec le système de financement fédéral en place, comme l'a expliqué le président Chartier, il nous faut mettre tout le monde à pied, puis attendre les nouveaux accords de contribution. Le système n'est pas parfait, mais il nous faut commencer quelque part.
Quinze pour cent des gens ont été inscrits. Les demandes que reçoivent les registraires suivent toutes le même modèle, car il y a une définition de « Métis ». Lorsque vous remplissez votre demande, vous devez inscrire votre généalogie et vous reporter à des documents de référence. Dans ce cas-ci, ces documents de référence seront les registres des certificats des Métis, car lors de l'établissement du système des certificats, il y en avait peut-être 15 000 à 20 000. Je ne connais pas le nombre exact de dossiers de certificats, mais je sais que ce chiffre de population a un jour été atteint. Cette population historique est le noyau de la population. Certains n'ont pas obtenu de certificat. Nous examinions également les données du recensement de 1901 et des recensements antérieurs. Voilà quels sont les documents de référence. Tout découle de cette communauté historique de la nation métisse, principalement dans l'Ouest du Canada, mais également en Ontario. Voilà quel est le groupe qui forme le noyau. Si vous êtes registraire, vous devez trouver un de ces documents ou un dossier d'église. À l'époque, on aurait inscrit que vous étiez de sang mêlé ou moitié Écossais. Si vous regardez les documents de recensement de 1870 et de 1885, dans l'Ouest, vous verrez qu'il y a six ou sept catégories différentes de « sang-mêlé » — j'aurais dû apporter le livre. Il s'agit d'une population délimitée. Cette population a augmenté depuis les 16 000 à 17 000 qu'elle comptait en 1870. Certaines de nos familles avaient des dizaines d'enfants, et certains d'entre nous, même de notre génération, continuent d'avoir sept enfants ou plus. Vous pouvez ainsi vous faire une idée de la croissance exponentielle de la population. Le recensement de 2006 faisait état de 380 000 personnes. L'augmentation a été énorme depuis 2001. Mme Omeniho a laissé entendre que ce recensement-ci pourrait même voir la population atteindre le demi-million. Lorsque nous traitons des Métis, neuf sur 10 des personnes qui s'identifient ainsi le font sur notre territoire traditionnel. C'est pourquoi le président Chartier dit que les tribunaux ne reconnaissent pas les communautés métisses à proprement parler dans la région de l'Atlantique, parce qu'il n'existe aucun élément de preuve. Des Métis s'y sont peut-être trouvés à un moment donné, mais il n'y a aucune preuve de l'existence, là-bas, d'une communauté métisse contemporaine.
Le président : Monsieur Chartier, dans ma jeunesse, il y avait une langue qui s'appelait le michif. Lorsqu'il est question d'établir l'identité d'un groupe de personnes, on constate généralement qu'elles viennent d'une certaine communauté et qu'elles apportent avec elles une langue. La langue ne semble pas être un facteur aussi dominant dans tout le processus. Je me souviens que certains membres de la famille de mon père parlaient le michif. Est-on en train de faire quelque chose pour sauvegarder la langue? Quel est le statut de cet élément de votre patrimoine?
M. Chartier : Cela est triste à dire, mais le michif semble être une langue mourante ou presque. Plusieurs milliers de personnes peuvent toujours parler la langue, mais elles appartiennent aux générations plus vieilles. On n'enseigne pas suffisamment la langue michif dans les écoles, bien que certains efforts soient déployés au niveau communautaire. Nous avons eu quelques jolies réussites, à l'échelle nationale et à l'échelle provinciale, avec des conférences en langue michif et la mise au point de matériel didactique. Le soutien financier n'est plus ce qu'il était. Il y a un besoin énorme de ressources financières pour conserver, renforcer et élargir la connaissance de la langue. Des efforts sont en train d'être faits; par exemple, la Fédération des Métis du Manitoba fait du travail d'édition, tout comme c'est le cas de l'Institut Gabriel-Dumont, en Saskatchewan. Si rien n'est fait pendant les cinq à 10 prochaines années, ma crainte est que cette langue disparaîtra ou presque, tout comme plusieurs autres langues autochtones. Il importe que le gouvernement fédéral s'engage fermement à aider les peuples autochtones à assurer la conservation de leurs langues.
Le président : Je remercie nos invités de leurs exposés et de leurs réponses aux questions des sénateurs. J'espère que nous serons en mesure de produire un document qui ravivera tout le processus pour la résolution de certaines des questions dont nous avons traité ce matin.
Nous allons maintenant nous arrêter, pour reprendre demain soir.
(La séance est levée.)