Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 23 - Témoignages du 24 septembre 2012
WINNIPEG, le lundi 24 septembre 2012
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 8 h 15, pour étudier la question de la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada et faire rapport à ce sujet.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance est ouverte. Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui suivent notre séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit sur le web ou peut-être sur CPAC.
Je me nomme Gerry St. Germain, je viens de la Colombie-Britannique, mais je suis né ici au Manitoba. J'ai donc l'honneur d'être le président du comité. Nous sommes heureux d'amorcer une série d'audiences et de séances exploratoires qui nous mènent à l'extérieur d'Ottawa pour rencontrer des Canadiens du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest. Nous sommes en déplacement dans le cadre d'une étude sur l'identité des Métis. Nous sommes très impressionnés par la grande mobilisation au sein de la communauté métisse et apprécions vos efforts pour venir vous faire entendre aujourd'hui.
Le mandat du comité consiste à examiner les lois et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada en général. Aujourd'hui, nous poursuivons le volet sur les questions rattachées aux Métis, en particulier l'évolution de la reconnaissance de l'identité collective et des droits des Métis au Canada.
Avant de passer aux témoins, je tiens à vous présenter les membres du comité qui sont présents aujourd'hui. À ma droite se trouve la vice-présidente du comité, le sénateur Lillian Dyck, de la province de la Saskatchewan. À côté du sénateur Dyck se trouve le sénateur Greene Raine, de la province de la Colombie-Britannique. Enfin, le dernier, mais non le moindre, mon bon collègue le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.
Honorables collègues, nous accueillons maintenant notre premier groupe de témoins. Pour représenter le ministère des Affaires autochtones et du Nord du Manitoba, nous avons l'honneur de recevoir Eleanor Brockington, directrice, Politiques et Initiatives stratégiques.
J'ai cru comprendre qu'un de vos collègues pourrait se joindre à vous, madame Brockington?
Eleanor Brockington, directrice, Politiques et Initiatives stratégiques, ministère des Affaires autochtones et du Nord du Manitoba : Oui.
Le président : J'ai entendu dire que vous êtes fort compétente. Par conséquent, je suis certain que vous serez en mesure de vous débrouiller. Si vous avez une déclaration à faire, vous pouvez y aller. Je suis certain que les sénateurs auront des questions à vous poser, et j'espère que vous êtes prête à leur en poser également. Allez-y.
Mme Brockington : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs. Je viens me faire entendre au nom du ministère des Affaires autochtones et du Nord du Manitoba. Le sous-ministre Harvey Bostrom n'a pas été en mesure d'assister à la séance, alors il m'a demandé de venir échanger des renseignements avec le comité au sujet de notre ministère et de ses interactions avec les Métis et les organisations métisses du Manitoba.
La taille de notre ministère est assez modeste. Je viens du Secrétariat des affaires autochtones, et il existe également une autre division qui est en majeure partie installée dans le Nord, appelée Division du développement du gouvernement local. Mon bureau est situé à Thompson, et il y a également des bureaux auxiliaires à The Pas et à Dauphin. Notre secrétariat compte trois directions, dont Gestion des ententes, Politiques et Initiatives stratégiques ainsi que l'Unité des consultations autochtones, où travaille Loretta Bayer, la collègue qui devait venir se faire entendre également.
En comparaison avec les autres ministères provinciaux, nous sommes de taille modeste. Nous sommes au total un peu moins de 100 employés et nos services s'étendent aux quatre coins du Manitoba.
Le Secrétariat des affaires autochtones est assez nouveau également. Il a été créé en 1982-1983, en partie à la suite des discussions constitutionnelles de l'époque, ainsi qu'en reconnaissance du fait que bon nombre d'Autochtones au Manitoba vivent de plus en plus en milieu urbain. Le gouvernement a décidé d'établir le secrétariat pour observer et intervenir dans la vie des Autochtones qui habitent hors réserve.
Nous entretenons des relations avec toutes les Premières nations, les Métis, les Inuits et les Autochtones. Au sein du Secrétariat des affaires autochtones et de la direction des politiques et initiatives stratégiques, nous traitons avec les Métis sur divers fronts. La Fédération des Métis du Manitoba est l'une des principales organisations à laquelle nous avons affaire. Nous offrons du financement de base ainsi que du financement pour des projets réalisés par cette fédération. Nous avons donc noué des liens solides. À l'heure actuelle, la Fédération des Métis du Manitoba entretient des rapports avec au moins 12 ministères du gouvernement du Manitoba. Dans certains cas, nous avons offert du soutien, mais pas dans tous.
Pour ce qui est des autres organisations métisses, nous avons eu affaire avec l'Union nationale métisse Saint-Joseph qui est probablement la plus ancienne organisation métisse du Manitoba. Elle a été créée en 1887 et est toujours en activité. Nous avons entretenu des rapports avec cet organisme, dont l'objectif principal est de préserver la culture et le patrimoine métis ainsi que son histoire. Nous avons participé à quelques projets, dont des projets éducatifs, pour accroître la sensibilisation à la culture et au patrimoine métis au Manitoba.
Pour ce qui est d'autres organismes dont les Métis font partie, mais qui ne s'adressent pas uniquement à eux, il y a l'autre plus vieille organisation, les centres d'amitié indiens et métis. Le tout premier centre d'amitié de ce genre a vu le jour ici à Winnipeg. De nos jours, on compte 11 centres d'amitié indiens et métis. Quant à l'Association des centres d'accueil du Manitoba, elle offre une coordination et des services aux centres d'amitié. Nous offrons du financement à ces organismes également. Le financement est administré par l'Association des centres d'amitié du Manitoba.
Comme je l'ai dit plus tôt, l'autre division s'occupe du développement des administrations locales. On compte 50 localités administrées en vertu de la Loi sur les affaires du Nord. Par le passé, on faisait référence à ces localités comme étant des collectivités métisses. Or, de nos jours, bon nombre sont appelées « collectivités des affaires du Nord ». Il arrive souvent qu'elles soient adjacentes à une collectivité des Premières nations. Il s'y trouve bien sûr de nombreux Métis, mais il arrive souvent que des membres des Premières nations y habitent. Elles sont régies par un maire et des conseillers en plus des conseils des affaires du Nord.
Je travaille depuis 10 ans à ce ministère; par conséquent, je peux vous expliquer nos travaux récents. Je vous ai remis un document sur le profil des Autochtones ainsi que des données sur ces derniers au Manitoba. Il s'agit de la troisième édition de ce document. Les deux premières éditions ont été réalisées conjointement avec le gouvernement du Canada, mais cette fois-ci le fédéral a décidé de ne pas participer au projet. Cette publication a été réalisée par notre ministère. Nous nous sommes fondés sur le recensement de 2006, mais les données sur les secteurs de programme sont parfois plus récentes, et peuvent remonter à 2010 ou 2011. Nous envisageons de mettre à jour le document dès que les données du recensement de 2011 seront rendues publiques.
En ce moment, on compte environ 71 000 Métis au Manitoba sur une population autochtone de 175 000. On ne peut cocher qu'une seule case dans le recensement, voilà pourquoi d'après les résultats, il y aurait 66 800 Métis. Or, nous savons que certains Métis s'identifient comme étant à la fois Métis, mais aussi membres d'une Première nation ou d'un autre groupe autochtone. Par conséquent, de 5 000 à 6 000 personnes de plus pourraient s'identifier au groupe des Métis, le faisant passer à un peu plus de 71 000 personnes au total. Cela représente environ 6 p. 100 de la population du Manitoba. Quant aux Autochtones, ils représentent 15,5 p. 100 de la population manitobaine.
Je n'entrerai pas dans les détails des statistiques. Vous pouvez les lire dans le document. Je sais que vous avez entendu d'autres exposés dans lesquels on vous a probablement présenté beaucoup de statistiques. La population métisse au Manitoba est très jeune. On a l'impression qu'il y a une certaine mobilité ethnique, parce que la population a passablement augmenté entre le recensement de 2001 et celui de 2006, et de plus en plus de gens s'identifient comme Métis.
Au sujet de certaines statistiques socioéconomiques, nous avons constaté une tendance à l'amélioration dans le cas de l'emploi, de l'éducation et du revenu médian. Il y a eu de l'amélioration dans ces domaines.
Parmi les autres travaux auxquels nous avons participé, il y a l'autre document que vous avez devant vous, la politique pour les Métis au Manitoba. Elle découle d'une des recommandations de la commission d'enquête sur la justice autochtone qui a proposé que le Manitoba élabore une politique pour les Métis en partenariat avec la Fédération des Métis du Manitoba. C'est ce que nous avons fait. Certains principes ont été adoptés et le cadre politique pour les Métis du Manitoba a été accepté. C'était en 2010. En plus de l'adoption de la politique pour les Métis, l'Assemblée législative d'Assiniboia a été reconnue par le Manitoba en tant que première assemblée législative de la province. Il y a eu une cérémonie pour la reconnaître officiellement. L'Assemblée d'Assiniboia était surtout composée de Métis, et tous les portraits des membres que nous avons pu retrouver sont maintenant accrochés dans la galerie des membres du Parlement. Ce fut un événement très important.
Présentement, nous y travaillons toujours. Il nous reste beaucoup à faire pour déterminer comment nous allons mettre en œuvre la politique sur la base des principes convenus. Il s'agit d'un travail en cours.
Je n'ai pas d'exposé écrit parce que je n'ai pas eu le temps de le faire traduire en français. Je m'arrêterai là. Nous faisons beaucoup de travail dans notre région. Nous sommes présents. Nous avons aussi travaillé à la stratégie économique métisse. Je n'ai pas apporté ce document. Nous l'avons terminé en 2008. Il sert toujours de base à certaines de nos initiatives. Présentement, il existe un fonds de développement économique métis. Le MEDF Inc. a vu le jour l'an dernier. Il s'agit encore une fois d'un partenariat entre le Manitoba et la Fédération des Métis du Manitoba.
Le président : Merci beaucoup, madame Brockington. Je poserai la première question.
Est-ce que vous laissez la Fédération des Métis du Manitoba s'occuper de l'identification, de l'inscription et du décompte des Métis ou est-ce que le gouvernement provincial y participe?
Mme Brockington : Nous ne participons pas aux efforts d'inscription qui ont cours présentement qui font suite à la décision Powley. Au Manitoba, comme je l'ai mentionné, nous avons conclu de nombreux accords avec la Fédération des Métis du Manitoba, surtout en ce qui a trait aux programmes et aux services. Je pense que la question de l'identité métisse est fondée sur les critères de l'auto-identification, de l'acceptation par la communauté. Cependant, le gouvernement du Manitoba n'a pas créé de politique sur l'identité métisse. Le choix est un des critères qui est examiné lorsque l'on met en place des programmes et des services. Par exemple, les services métis d'aide à l'enfance et à la famille sont ouverts aux Métis, mais il y a une possibilité de choix, les autres personnes peuvent les utiliser si elles le veulent.
Vous verrez à la page 57, je crois, qu'il y a d'autres gens qui utilisent ces services. Pour la commission Métis, en 2011, il y a eu 24 Inuits, 695 Métis, 54 Indiens non inscrits, 44 Indiens inscrits visés par un traité et 91 non-Autochtones qui ont utilisé ces services. Les accords pour de nombreux programmes et services sont décidés au cas par cas.
L'un des derniers accords importants que nous venons de conclure avec MEDF Inc. concerne la création d'un programme, Metis Equity Partnerships, et il est ouvert aux entreprises métisses et aux sociétés de développement économique métisses. Le critère pour les Métis est appliqué selon la généalogie des propriétaires de l'entreprise ou des membres de l'organisation communautaire.
Le président : Pourriez-vous me rappeler ce qu'est le MEDF?
Mme Brockington : Le Fonds de développement économique métis. Il s'agit d'un accord. Le Manitoba a accepté de verser environ 10 millions de dollars sur cinq ans dans ce fonds de développement économique métis.
Le sénateur Dyck : Vous disiez que pour le Fonds de développement économique métis, il y a des critères pour savoir si l'entreprise est métisse, et vous avez parlé de la généalogie.
Mme Brockington : Oui.
Le sénateur Dyck : Est-ce le seul critère? Y en a-t-il d'autres?
Mme Brockington : Les gens doivent s'identifier.
Le sénateur Dyck : L'auto-identification?
Mme Brockington : Oui. Mais plutôt qu'un simple affidavit, les gens doivent aussi le prouver par la généalogie.
Le sénateur Dyck : À ce sujet, comment décidez-vous, par la généalogie, s'il s'agit vraiment d'une famille métisse, qui prend cette décision? Comment décidez-vous quelles sont les familles métisses? Comment arrivez-vous à une telle décision? Par exemple, est-ce que vous examinez un registre que le groupe des Métis du Manitoba aurait, ou comment le vérifiez-vous?
Mme Brockington : Le registre ne serait pas la seule façon, c'est ouvert à tous les Métis. Il y a en fait deux registres qui sont en train d'être créés; l'un est pour le décompte de tous les Métis, et l'autre concerne les membres de la Fédération des Métis du Manitoba. Je pense que si quelqu'un démontre qu'il est membre de l'un ou l'autre de ces registres, on l'accepterait. Comme je l'ai dit, le Fonds de développement économique métis est une nouvelle organisation, alors les conseils d'administration sont encore en train de régler les détails pratiques de l'administration du programme.
Le sénateur Dyck : Les Métis qui détiennent les droits de récolte ont une carte. Est-ce qu'ils font aussi partie de la Fédération des Métis du Manitoba?
Mme Brockington : Non. Ils n'ont pas à être membres de la Fédération des Métis du Manitoba. Je connais les registres, mais je ne peux pas en expliquer les détails. Cependant, je sais que pour avoir une carte de récolte métisse, vous n'avez pas à être membre de la Fédération des Métis du Manitoba. C'est ce que l'on m'a dit lorsque je suis allée examiner le registre qui allait être créé.
Le sénateur Dyck : Pour parler d'un sujet différent, l'éducation, j'aime regarder les statistiques, et l'une des choses que j'ai remarquées, c'est que les Métis en général au Canada semblent avoir fait plus d'études postsecondaires que les Premières nations. Au Manitoba, est-ce que le gouvernement provincial a des programmes qui appuient les Métis qui veulent une éducation postsecondaire ou des programmes qui appuient les écoles publiques?
Mme Brockington : Nous n'avons rien qui s'adresse précisément aux Métis. Le gouvernement du Manitoba a créé les programmes Access au niveau postsecondaire, et ils sont offerts aux Métis, aux Premières nations et aux Inuits, qui obtiennent ainsi un soutien supplémentaire lorsqu'ils sont à l'université. Il y a aussi l'Institut Louis Riel, qui reçoit du financement de base du ministère de l'Éducation. Il y a des initiatives dans le domaine de l'éducation. Nous avons le projet Standing Tall. Initialement, il s'agissait d'un accord entre le Manitoba et la Fédération des Métis du Manitoba, mais il est maintenant géré par l'Institut Louis Riel. En gros, il offre un soutien supplémentaire à deux des écoles primaires de Winnipeg. Cet appui social sert à atténuer certains des problèmes de présence à l'école que pourraient avoir certains élèves. Il ne se concentre pas sur l'aspect scolaire, mais plutôt sur un appui et un renforcement de l'identité et de la valeur de l'identité des Métis, des Premières nations et des Inuits. Encore une fois, il ne se limite pas aux élèves autochtones; il est offert aux élèves de ces écoles. Les évaluations nous ont démontré qu'il a permis à de nombreux élèves de poursuivre leurs études, parce qu'il y en avait beaucoup qui décrochaient même dès la huitième année. Dans certaines écoles intermédiaires où il y a ce programme, il donne des bons résultats pour motiver les élèves à rester à l'école et à continuer au secondaire.
Le président : Merci.
Chers collègues, je dois intervenir. J'ai besoin d'une motion des sénateurs pour obtenir la permission pour qu'une partie de la séance soit télévisée aux nouvelles télévisées ici au Manitoba par le réseau Citytv. Puis-je recevoir une motion à cet effet? Tous ceux qui l'appuient? Ceux qui s'opposent, s'il y en a?
Vous avez votre motion.
Mme Brockington : Je devrais peut-être ajouter que notre ministère de la Conservation et de la Protection de l'eau collabore avec la Fédération du Manitoba au sujet de la récolte par les Métis. Le ministère de la Conservation n'a pu être présent pour témoigner, mais prévoit fournir des renseignements au comité plus tard.
Le président : C'est intéressant. Est-ce qu'ils sont en train d'élaborer la politique dans ce domaine?
Mme Brockington : Je crois que c'est le cas, oui.
Le sénateur Raine : Premièrement, je suis très impressionnée par les documents que vous nous avez donnés et vos politiques de dialogue avec l'ensemble des groupes plutôt que de les séparer. C'est logique, surtout dans les régions éloignées où les programmes desservent une population variée plutôt que seulement une petite tranche de la population. Je vous en félicite.
Je me demandais quelles sont vos relations avec le gouvernement fédéral au sujet des Métis.
Mme Brockington : Oui, nous collaborons beaucoup avec le gouvernement fédéral par ce qui s'appelait le Bureau de l'interlocuteur fédéral. Le Canada et le Manitoba ont depuis longtemps une relation de travail avec la Fédération des Métis du Manitoba dans le cadre d'un accord tripartite. Cette table tripartite métisse, mise en place en 1987, est à ma connaissance probablement celle qui existe depuis le plus longtemps. Selon cet accord, le Canada et le Manitoba contribuent à parts égales financièrement à la table afin de donner la capacité à la Fédération des Métis du Manitoba de s'occuper des secteurs qui sont leur priorité et celle de leurs membres. Il y a eu beaucoup de développement au fil des ans, et la création de l'Institut Louis Riel, les discussions initiales sur les services métis d'aide à l'enfance et à la famille, qui ont mené à la création de la commission métisse, tirent probablement leur source des travaux de la table. J'ai déjà mentionné que nous avons maintenant le Fonds de développement économique métis. De nombreuses initiatives sont venues de cette table tripartite. Une fois développées, elles sont normalement transférées à une agence ou une organisation distincte.
Le sénateur Raine : Est-ce que vous avez au Manitoba, pour les Métis et peut-être aussi pour les Premières nations, des bons programmes préscolaires, des programmes Bon départ? Il est assez évident que si un enfant arrive en première année et qu'il n'a pas reçu la formation préscolaire qu'une grande partie des autres enfants ont reçue, il sera désavantagé dès le départ, ce qui pourrait l'amener à vivre des difficultés pendant toutes ses années scolaires. Y a-t-il un bon programme de style Bon départ pour les Métis et les membres des Premières nations au Manitoba?
Mme Brockington : Oui. Il y a des programmes Bon départ qui ont été mis en place au Manitoba autour des années 1995-1996, je crois. Il y en a qui ne s'adressent pas précisément aux Premières nations, et il y en a pour les Autochtones hors des réserves qui s'appelaient Bon départ autochtone et qui sont ouverts aux Métis, aux Premières nations et aux Inuits. Je ne peux pas vous dire exactement combien il y a de sites Bon départ autochtone présentement au Manitoba. Je sais que lorsque le programme a débuté en 1995-1996, j'ai participé à la création des comités provinciaux et nous avons débuté avec huit sites des Premières nations et quatre sites à l'extérieur des réserves. Ils se sont quelque peu élargis, mais je crois qu'on a besoin de plus de sites Bon départ autochtone.
Nous avons aussi notre bureau Enfants en santé Manitoba, qui s'occupe surtout du développement de la petite enfance. Une fois de plus, dans ce livre, vous verrez certains des résultats de l'indice de développement de la petite enfance, qui mesurent la préparation scolaire des enfants. Il y a beaucoup d'efforts dans ce domaine. Je pense qu'il s'agit aussi d'une relation avec la Fédération des Métis du Manitoba. Il y a le programme Bébés en santé petits mocassins, auquel contribue notre bureau Enfants en santé Manitoba. Il y a le programme Neah Kee Papa, qui vise les pères monoparentaux. Et il y a le service de coordination de la liaison pour Enfants en santé Manitoba. Des efforts sont faits dans ce secteur pour s'occuper du développement de la petite enfance.
Le sénateur Raine : Selon vous, croyez-vous que ces programmes pour la petite enfance en valent la peine, qu'ils sont un bon investissement pour les Canadiens?
Mme Brockington : Oui. Je pense que les programmes pour la petite enfance constituent un bon investissement pour l'ensemble de la société, non seulement pour la préparation scolaire, mais aussi pour l'appui donné aux parents afin que l'enfant reçoive une éducation saine. J'aimerais voir plus de programmes adaptés à la culture qui renforcent l'identité que l'enfant apprend à la maison, pour qu'il soit fier de son identité métisse, de Premières nations ou inuit. Bien sûr, nous savons qu'il y a de la diversité dans ces cultures.
Je suis une femme crie et c'est mon identité; je ne suis pas une Ojibwa ou une Dakota. Il y a des différences dans la langue que nous parlons, et dans nos coutumes et nos traditions. C'est pourquoi je disais que les programmes pour la petite enfance qui existent dans la communauté doivent renforcer la culture de la communauté.
Le sénateur Raine : Je monopolise un peu la conversation, mais j'aimerais que vous fassiez des observations à ce sujet. Y a-t-il des programmes dans la langue métchif, et est-ce que des efforts sont faits pour renforcer cette langue auprès des jeunes?
Mme Brockington : Je ne suis pas au courant de programmes dans la langue métchif.
Le sénateur Dyck : Recommanderiez-vous qu'il y ait du financement à ce sujet de la part du gouvernement fédéral? Devrait-il y avoir des programmes qui permettent le développement des langues?
Mme Brockington : Oui, j'appuierais cela. J'appuierais le développement de programmes de langue.
Le sénateur Sibbeston : Je trouve intéressant d'être ici au Manitoba, terre natale du Métis Louis Riel. Je viens des Territoires du Nord-Ouest et je suis un Métis. Lorsqu'on est métis, on entend des histoires sur notre origine, liées à Louis Riel et aux Métis du Manitoba. Alors j'imagine que puisqu'il s'agit de la terre natale de nombreux Métis de notre pays, que les Métis du Manitoba sont bien organisés, développés, et relativement avancés du point de vue de la gouvernance; vous travaillez avec le gouvernement. Est-ce le cas? Quelle est la situation des Métis au Manitoba? Sont- ils à l'aise financièrement? Sont-ils en croissance ou en diminution? Quelle est la situation des Métis au Manitoba?
Mme Brockington : Eh bien, d'après les statistiques, leur nombre augmente significativement. De plus en plus de gens s'identifient comme métis. De plus, le revenu médian augmente. En fait, il a beaucoup augmenté. Il faudrait que je regarde les chiffres, mais il s'agit d'une augmentation importante. Je suis en train de regarder le tableau. L'augmentation des revenus autochtones est presque entièrement attribuable aux Métis, dont le revenu médian est passé de 17 000 à 20 000 $, une augmentation de 15,5 p. 100, entre le recensement de 2001 et celui de 2006. Voilà l'un des tableaux que l'on trouve ici. Le revenu augmente.
Le sénateur Sibbeston : Je sais qu'en Alberta il y a un grand nombre de colonies métisses, des groupes de Métis qui partagent une zone géographique. Qu'en est-il de la situation au Manitoba? Y a-t-il des communautés métisses en tant que telles ou font-elles partie de communautés plus grandes composées de Premières nations et de non-Autochtones?
Mme Brockington : Eh bien, il y a des Métis dans l'ensemble de la province et la Fédération des Métis du Manitoba a sept régions. Mais en général, la majorité de la population métisse du Manitoba se trouve dans la moitié méridionale de la province. Il y a des communautés qui se décrivent comme métisses. Par contre, lorsqu'on va plus au nord, un grand nombre de ces communautés sont mêlées à d'autres communautés.
Le sénateur Sibbeston : Vous avez indiqué que le gouvernement du Manitoba a environ 100 employés consacrés aux peuples autochtones. Cela est-il significatif? Je ne connais pas la situation dans d'autres provinces, mais avez-vous l'impression que le gouvernement du Manitoba prend les Métis et les Autochtones au sérieux? En fait-il assez?
Mme Brockington : Oui. J'avais indiqué qu'il n'y avait que 100 personnes dans notre ministère. Vous savez, il y a 100 membres du personnel. Lorsqu'on regarde ce qui se passe dans d'autres ministères, les plus grands, par exemple, le ministère de la Conservation et de la Gestion de l'eau, il y a une direction qui est consacrée aux relations avec les Premières nations et les Métis. Pour ce qui de la santé, il existe un service de santé des Premières nations, des Métis et des Inuaits. Le ministère de la Justice dispose d'une unité de services aux communautés autochtones.
Le sénateur Sibbeston : Peut-être que les services sociaux aussi?
Mme Brockington : C'est le cas des services à la famille. Mais la plupart du travail, plus particulièrement en matière de services à l'enfance et à la famille, est effectué par l'intermédiaire des autorités concernées. Il y a l'autorité des Métis, qui dirige l'Agence des services à l'enfance et à la famille des Métis. Ensuite il y a l'autorité des Premières nations pour le Nord et l'autorité des Premières nations pour le Sud ainsi que l'autorité générale. La majeure partie du travail consacré aux peuples autochtones est dirigée par l'intermédiaire des autorités.
Nous avons aussi une direction de l'éducation autochtone. Cela chevauche les trois ministères qui s'occupent de l'éducation au Manitoba. Dans la fonction publique manitobaine, il y a plus de 2 000 employés autochtones. Je ne peux pas vous donner de répartition exacte des Premières nations, des Métis et des Inuits au sein de ce groupe, mais celui-ci s'est accru au cours des 10 dernières années. Sa taille a doublé pour ce qui est des employés autochtones. Un certain nombre de postes au Manitoba sont consacrés aux services autochtones.
Le sénateur Sibbeston : Vous avez mentionné le chiffre de 175 000 au Manitoba. Quel est ce chiffre? S'agit-il du nombre d'Autochtones?
Mme Brockington : Oui, les peuples autochtones.
Le sénateur Sibbeston : Et 71 000 d'entre eux sont des Métis?
Mme Brockington : En effet. Je crois que le recensement en a dénombré 71 800.
Le président : Merci, madame Brockington. Je m'excuse, j'espère qu'on vous a prévenue suffisamment à l'avance. J'espère que le problème s'est produit de votre côté, mais je souhaite vous remercier de votre exposé et de vos réponses à nos questions, qui étaient excellentes. J'espère et je suis certain que vous allez poursuivre votre excellent travail auprès de nos peuples autochtones.
Honorables sénateurs, notre prochain témoin est bien connu de tous au Canada. Il s'agit de la Fédération des Métis du Manitoba représentée par David Chartrand, président, et David Boisvert, conseiller en politique.
Bienvenue à vous, messieurs.
Comme je vous l'ai dit plus tôt, monsieur Chartrand, en tant que Métis qui a grandi ici, au Manitoba, il y a quelques années, nous n'aurions jamais porté ces vestes. En fait, je me souviens que ce n'était pas ce qu'il y avait de mieux d'être Métis il y a plusieurs années dans cette province, mais les choses ont évolué. C'est un honneur de vous avoir parmi nous.
Je suis certain qu'il va y avoir beaucoup de questions, je vous demanderai donc de faire votre exposé avant de passer rapidement aux questions. Merci messieurs de votre présence.
David Chartrand, président, Fédération des Métis du Manitoba : Merci, sénateur St. Germain. Je ne suis pas du genre à lire des discours, mais je vais lire celui-ci à des fins de transcription en raison de la complexité de la question.
Tout d'abord j'aimerais profiter de l'occasion pour féliciter le Sénat de s'intéresser à une question en suspens depuis plus d'un siècle. Je pense que notre pays doit commencer à s'interroger sur la question des Métis. Nous sommes entrés dans un nouveau millénaire et nous sommes très fiers d'être enfin invités à la table de négociations pour examiner, en quelque sorte, la situation de notre peuple.
Je commencerai en tentant de lire mon discours le plus rapidement possible, et j'ai donné une copie du document à tout le monde. Je m'excuse. Je n'ai pas de traduction en français. Nous n'avons pas de services en français à la fédération donc j'essaierai, si c'est nécessaire par la suite, de le traduire pour vous.
Je souhaite féliciter le Sénat d'avoir pris l'initiative d'étudier les questions qui ont à cœur la reconnaissance juridique et politique de l'identité métisse au Canada. Au cours de mon exposé, je tenterai d'examiner la question de l'identité métisse, de l'exercice des droits autochtones métis et de l'admissibilité des Métis aux programmes et services fédéraux actuels.
Tout d'abord, laissez-moi vous souhaiter la bienvenue au Manitoba. C'est ici qu'est née la nation métisse. Je sais que vous éprouvez des difficultés quant à la signification du terme « métis ». Il n'est pas nécessaire d'aller très loin dans la province pour trouver des preuves de l'existence d'un peuple métis. En fait, les Métis, sous la direction de Louis Riel, ont fait adhérer le Manitoba à la Confédération en 1870. À cette époque, 82 p. 100 de la population de la province était métisse.
Il ne fait aucun doute que ces Métis avaient une identité nationale distincte des Indiens et des Européens. Ils cohabitaient, organisaient des chasses au bison collectives, et agissaient collectivement pour défendre leurs droits. Je ne suis pas là pour vous faire une leçon d'histoire. Il est certain que de la Bataille de la Grenouillère en 1816, à la Bataille de Batoche en 1885, en passant par le procès Sayer de 1849 et la Résistance manitobaine de 1869-1870, les Métis se sont montrés fiers, libres et indépendants.
Une nation métisse existait au Manitoba et dans l'ensemble des Prairies bien avant que le Canada prenne possession de ces terres. Ce sont les descendants de cette nation métisse que je représente aujourd'hui.
Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis que le Canada a pris possession de l'Ouest en 1869. Les relations entre les Métis et le Canada n'ont pas été bonnes. Les Métis ont connu, depuis, une période sombre de leur histoire. Il est terrible de lire aujourd'hui ce qu'ont connu nos ancêtres lorsque les soldats sont arrivés. Notre peuple a été persécuté, les maisons des gens ont été brûlées et un grand nombre d'entre eux ont été forcés de fuir rivière Rouge. La stigmatisation de ce que les gouvernements et les livres d'histoire ont qualifié pendant des générations de « rebellions » a poussé un grand nombre de Métis à dissimuler leur identité et leur ascendance. Il convient de noter que les actes de Louis Riel au Manitoba et à Batoche n'étaient pas des rebellions, mais qu'ils sont considérés aujourd'hui comme des actes de résistance légitime à des mesures provocatrices et irresponsables de la part d'Ottawa.
Par conséquent, certains Métis se sont déplacés vers le nord, proche de la forêt boréale et loin des colons; d'autres ont fui rivière Rouge pour aller établir des communautés dans des zones de la province que les immigrants de l'Ontario considéraient comme des terres broussailleuses. Pourtant, en 1938, il n'y a pas si longtemps, l'une de ces communautés, Ste. Madeleine, a été rayée de la carte afin de créer des pâturages pour les agriculteurs blancs en vertu de la Loi sur le rétablissement agricole des Prairies ou ARAP.
Je vais encore à cet endroit et il y a des cimetières toujours en activité où les gens se font encore enterrer de nos jours.
Les Métis n'ont reçu aucune compensation. Au lieu de cela, leurs maisons ont été brûlées, leurs chiens tués et leurs églises démolies pour faire place à une porcherie. Tout cela s'est déroulé à une époque dont nos parents et nos grands- parents se souviennent. Dans l'ensemble des prairies de l'Ouest, les Métis étaient considérés comme des occupants illégaux qu'on a forcés à quitter leurs terres pour les condamner à errer d'un endroit à l'autre, où ils essayaient souvent de trouver du travail pour des agriculteurs blancs. Un grand nombre de Métis finissaient par habiter dans les emprises routières.
Aujourd'hui, on souligne l'accroissement rapide, depuis 1996, de la population métisse recensée. Au Manitoba, le nombre de gens d'identité métisse a augmenté, passant de 45 365 en 1996 à 71 805 en 2006, soit une augmentation de 58 p. 100. Cependant, si l'on remonte plus loin, les recensements successifs indiquent une diminution de la population métisse de 1870 à 1941. Il y avait apparemment moins de Métis au Manitoba en 1941 qu'il n'y en avait en 1870. Ceci témoigne des répercussions de l'appauvrissement et de la stigmatisation de notre peuple pendant une grande partie de notre histoire sous domination canadienne.
Une chose que le Canada a faite dans le Nord-Ouest et qui est unique à cet endroit est qu'il a reconnu le titre ancestral des Métis. Ceci a été fait en vertu de l'article 31 de la Loi sur le Manitoba et de l'Acte des terres fédérales. Cependant, ayant reconnu le titre ancestral des Métis sur les terres du Nord-Ouest, le gouvernement canadien a improvisé une façon ingénieuse de se débarrasser de cette servitude : le certificat des Métis. J'ai cru comprendre qu'il existe plus de 40 000 affidavits de certificat des Métis dans les archives du gouvernement, résultat de quelque 21 commissions sur les certificats des Métis entre 1885 et le début des années 1920. Le titre ancestral est un titre collectif, et nous rejetons l'idée qu'il puisse être éliminé au moyen de certificats ou de versements individuels. Cependant, de l'avis du gouvernement du Canada, le certificat des Métis entraînait une extinction de nos titres et de nos droits ancestraux.
Nous sommes devenus « le peuple oublié ». Nous n'avions aucun droit. Il n'y avait personne pour nous défendre. On s'attendait à ce que l'on s'assimile et que notre peuple disparaisse.
La Fédération des Métis du Manitoba a vu le jour en 1967. Elle témoigne du fait que les Métis n'ont pas disparu. En fait, au Manitoba, les Métis sont plus actifs et dynamiques que jamais depuis que le Manitoba est devenu une province. Au cours des 15 à 20 dernières années, on a assisté à une renaissance de l'identité métisse. Ceci se traduit dans les recensements. Selon le recensement de 2006, le dernier pour lequel des chiffres sont disponibles, les Métis représentent maintenant 6,3 p. 100 de la population du Manitoba et plus de 40 p. 100 de tous les Autochtones de la province. Selon moi-même, ces chiffres sont faibles si tout le monde pouvait retracer les liens ancestraux qu'ils ont avec la nation métisse historique de l'ancien Nord-Ouest, je crois sincèrement qu'il y aurait plus de 100 000 Métis au Manitoba aujourd'hui.
La FMM est le gouvernement de la nation métisse du Manitoba. Il est vrai que la FMM est constituée en société à but non lucratif. Aucun autre statut juridique ne nous était disponible et les gouvernements nous ont forcés à le faire, car sinon ils ne nous auraient pas fourni de financement. Cependant, tout comme les Premières nations et les Inuits ont leur gouvernement, les Métis aussi ont droit à leur gouvernement. Au Manitoba, j'en ai été le président pendant plus de 15 ans et j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire reconnaître la FMM comme gouvernement légitime de la nation métisse dans cette province par les paliers supérieurs de gouvernement.
Cela a été un long processus. Initialement, la FMM, comme bien d'autres organisations métisses, représentait toute personne d'ascendance indienne qui n'était pas un Indien inscrit. Cependant, à partir de 1982, la définition de nos membres a été modifiée progressivement afin de refléter le fait que la FMM représente un peuple métis distinct, à savoir les descendants de la nation métisse historique. La FMM a été un membre fondateur du ralliement national des Métis au niveau national, qui a obtenu le droit de représenter la nation métisse dans le cadre du débat constitutionnel de 1984 et des années suivantes. Les projets de loi C-31 en 1985 et plus récemment C-3, ont permis de mieux définir l'identité des Autochtones vivant à l'extérieur des réserves. Il ne fait aucun doute que certains des anciens membres de la FMM ont maintenant le statut d'Indien inscrit. Parallèlement, cela a servi à renforcer le rôle de la FMM comme gouvernement d'une nation métisse distincte.
Notre conseil d'administration est élu de façon démocratique et rend des comptes au peuple métis du Manitoba. C'est en quelque sorte un cabinet de mon gouvernement. Comme pour les administrateurs du RNM, la FMF organise des élections dans l'ensemble de la province afin de former son conseil d'administration. Les élections ont lieu tous les quatre ans et tous les membres en bonne et due forme âgés de 18 ans ou plus ont le droit de vote. Le conseil d'administration de la FMM compte 23 membres. Le bureau du président est élu par des électeurs de l'ensemble de la province; chacune des sept régions de la FMM élit un vice-président ainsi que deux autres administrateurs, et la porte- parole des femmes métisses du Manitoba, élue à une assemblée de femmes métisses, siège aussi au conseil d'administration.
Nous avons plus de 52 000 membres âgés de plus de 18 ans sur notre liste électorale. Cette liste est établie par le directeur général des élections pour chaque élection. Par le passé, chaque région de la FMM était responsable d'émettre les cartes de membre, et cette liste électorale reflète par conséquent le nombre de membres qui ont obtenu leur carte de membre de cette façon au fil des années. Comme je vais l'expliquer bientôt, nous avons un nouveau système plus centralisé de traitement des demandes d'adhésion qui se fonde sur des preuves objectives et vérifiables d'ascendance métisse. Ce nouveau système d'adhésion remplacera entièrement la liste électorale actuelle le 1er septembre 2014. L'un de nos défis les plus urgents aujourd'hui est de faire passer nos membres actuels au nouveau système en fournissant des renseignements généalogiques.
La FMM offre un éventail de services à la population métisse du Manitoba : programme concernant le marché du travail, les services à l'enfance et à la famille, la justice, la santé et bien d'autres programmes. Au total, si l'on tient compte de tous nos affiliés, la FMM administre un budget de plus de 80 millions de dollars par an. Il convient de noter qu'il n'est pas nécessaire d'être membre de la FMM pour bénéficier de nos services. La plupart des programmes et des services de la FMM sont disponibles à quiconque s'identifie comme métis.
Cependant, ma principale préoccupation en tant que président de la FMM est de défendre les droits de mon peuple, et c'est la raison pour laquelle j'aimerais maintenant revenir à cette question, à savoir celle des droits des Métis.
Nous avons maintenant l'occasion de rectifier les relations tendues qui existent depuis longtemps entre la nation métisse. Le processus s'est entamé en 1982 lorsque les Métis ont été expressément inclus dans les listes d'Autochtones du Canada en vertu de l'article 35. Cependant, nous nous heurtons toujours à de nombreux obstacles.
Des gouvernements s'obstinent à croire que nous n'avons pas de droits ancestraux et font preuve d'une extrême lenteur pour reconnaître nos droits même lorsque ceux-ci sont confirmés par les tribunaux.
Nous sommes constamment obligés d'avoir recours à des procès coûteux pour faire défendre nos droits sans recevoir aucune aide des gouvernements.
Le gouvernement fédéral et la province n'ont rien fait pour s'assurer que les Métis bénéficient du devoir, de la part de la Couronne, de consulter et de tenir compte des besoins des peuples autochtones au moment d'approuver de grands projets d'exploitation des ressources naturelles.
Laissez-moi parler brièvement de chacun de ces points.
Bien entendu, vous êtes tous informés de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Powley. Cette décision historique confirme que les Métis forment un peuple ayant des droits spécifiques. Elle a été rendue le 19 septembre 2003. D'avril 1982 à septembre 2003, les Métis étaient mentionnés dans la Constitution; nos droits autochtones étaient censés être protégés par l'article 35. Que disaient toutefois les gouvernements, y compris le gouvernement du Canada? Ils disaient que nous n'avions aucun droit. Il a fallu une intervention de la Cour suprême pour corriger le tir.
Après la décision Powley, on serait en droit de penser que les gouvernements se rendraient à l'évidence et reconnaîtraient les droits autochtones des Métis, mais tel n'a pas été le cas. Ici, au Manitoba, le gouvernement a adopté une position qui aurait privé de droit de récolte pratiquement tous nos gens. Le RNM a dû se battre devant les tribunaux pour établir la portée des droits de pêche et de chasse des Métis. L'affaire Goodon, en janvier 2009, qui m'a coûté un demi-million de dollars, a renversé la position de la province, qui aurait restreint les droits de récolte à quelques communautés de la province seulement, quelques points sur une carte. Depuis, nous sommes en négociation avec la province du Manitoba sur la question des droits de récolte et je crois que nous sommes sur le point d'aboutir. N'empêche que, neuf ans après Powley, nous en sommes encore à nous battre pour faire reconnaître nos droits de récolte.
Il est important de comprendre les politiques mises en place par le RNM à la suite de la décision Powley. En fait, dans l'affaire Powley, on a essentiellement adopté la définition des Métis établie par le Ralliement national des Métis en 2002.
Cette définition établit quatre critères : une personne est considérée métisse si elle s'identifie elle-même comme métisse, si elle compte des ancêtres parmi des Métis de vieille souche, si elle est acceptée par la nation métisse et si elle se distingue des autres peuples autochtones. Cette définition a été incorporée dans la constitution de la FMM en 2003; celle que nous utilisons maintenant pour les droits de membre et la distribution de la carte de récolte.
En effet, à la suite de la décision Powley, la FMM a commencé à distribuer des cartes de récolte. Nous les distribuons uniquement aux personnes satisfaisant les critères établis dans Powley pour avoir droit au droit de récolte. Depuis 2004, tous les Métis souhaitant se prévaloir de leur droit de récolte doivent demander une carte de récolte. Ils doivent soumettre une généalogie prouvant qu'ils sont des Métis de vieille souche. Cette généalogie doit être appuyée par une documentation objectivement vérifiable, telle que des certificats de naissance et de baptême liant le demandeur, au fil des générations, à un ancêtre métis de souche. Généralement parlant, qui dit ancêtre métis de souche dit personne figurant dans la concession de terres du Manitoba, l'attestation de certificats ou décrite comme Sang-Mêlé ou Métis dans le recensement de 1901. La FMM a une entente avec la Société historique de Saint-Boniface, qui abrite des archives religieuses importantes et produit des généalogies professionnelles pour les demandeurs.
Tous nos récolteurs doivent se plier aux « lois de la chasse ». En effet, nous réglementons nos propres pratiques de chasse, comme nos ancêtres avant nous. Cette façon d'exercer dans la pratique notre droit à l'auto-gouvernance. Nous imposons aux détenteurs de cartes de récolte des frais annuels de 25 $, qui sont placés dans une fiducie de conservation.
À ce jour, la FMM a distribué 4 388 cartes de récolte. Depuis octobre 2009, nous appliquons les mêmes critères de définition de ce qu'est un Métis à toute personne souhaitant devenir membre de la FMM. C'est-à-dire qu'une personne doit s'identifier comme métisse et doit fournir une généalogie prouvant qu'elle compte des ancêtres parmi les Métis de vieille souche. Le responsable du registre de la FMM a une entente avec le registre indien, qui permet de vérifier que les demandeurs ne sont pas déjà enregistrés au titre de la Loi sur les Indiens.
Nous avons à l'heure actuelle 9 500 membres dotés d'une nouvelle carte de membre. La constitution de la FMM stipule que, d'ici 2014, tous les membres ayant droit de vote devront soumettre une généalogie confirmant qu'ils descendent de Métis de vieille souche. À l'heure où nous nous parlons, environ 65 p. 100 de nos membres sont de nouveaux membres, des personnes qui, par le passé, n'avaient jamais été membres de la FMM. Comme je l'ai déjà dit, l'un de nos plus grands défis est d'encourager les membres existants à faire une demande pour les nouvelles cartes de membre.
Nous constatons qu'une bonne part des personnes qui se présentent sont toutes nouvelles; elles ne se sont jamais déclarées comme des Métis par le passé.
La FMM se penche maintenant sur des façons de rationaliser son processus de demande pour devenir membre, tout en respectant systématiquement la décision Powley. C'est important, non seulement pour aider les membres existants à obtenir de nouvelles cartes de membre, mais aussi à cause de la multiplication des demandes à laquelle on s'attend à la suite de la décision sur la revendication territoriale du Manitoba, à laquelle je reviendrai dans un moment. Nous cherchons aussi comment fournir des cartes d'identité métisse ou de citoyenneté non seulement aux résidents métis du Manitoba, mais à toute personne métisse ayant des racines dans la province.
Pour vous, sénateur St. Germain. Par contre, à l'heure actuelle, il est impossible pour un Métis vivant hors du Canada ou hors du territoire métis de tenir une preuve de son identité métisse. Nous voulons remédier à ce problème.
Les registres métis vont être essentiels à l'avenir, je tiens à le souligner. Le registre central de la FMM est responsable de la vérification et de la distribution des cartes de membre et des cartes de récolte; de l'entretien des bases de données; des autocollants et étiquettes annuels, ainsi que du renouvellement périodique du statut de membre. Ce sont des responsabilités qui entraînent des coûts majeurs. Il faut que notre registre dispose d'un financement adéquat et garanti pour faire le travail, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.
Il me semble que le gouvernement du Canada aurait vraiment intérêt à appuyer nos registres métis. Tout investisseur — et des questions d'investissements publics — a intérêt à connaître précisément les gens et le marché où il investit. Un jour, il est possible que le gouvernement du Canada doive fournir des services aux Métis et, ce jour-là, ne vaudrait-il pas mieux être en mesure d'identifier la population métisse? Le gouvernement a aujourd'hui des façons d'identifier les membres des Premières nations et les Inuits, dont il est responsable. Avec les registres métis, une identification similaire des Métis à l'avenir devient possible.
Je reprends ici un argument que j'ai présenté à la province du Manitoba, qui devrait elle aussi s'intéresser à la question, mais qui ne nous donne pas non plus de ressources à cet effet.
Laissez-moi aborder nos recours en justice. La FMM défend bien sûr tout récolteur accusé par un agent provincial de conservation, mais les droits des Métis dans la province vont bien plus loin que les droits de récolte.
Selon nous, la loi de 1870 sur le Manitoba est une entente conclue entre la nation métisse et le gouvernement du Canada. Elle garantissait les droits des Métis aux terres qu'ils occupaient à l'époque (parcelles le long de la rivière) et réservait 1,4 million d'âcres de terres pour les enfants métis. Où sont ces terres métisses à l'heure où nous nous parlons? Comment les Métis ont-ils été dépossédés de leurs terres dans la province? Le gouvernement fédéral n'a-t-il pas une responsabilité fiduciaire et ne doit-il pas veiller à ce que la Loi sur le Manitoba soit respectée?
Cela fait près de 30 ans que la FMM défend cette cause devant les tribunaux. En décembre, la Cour suprême du Canada a finalement entendu l'affaire. La décision judiciaire attendue quant aux revendications territoriales du Manitoba promet d'être l'une des plus importantes pour l'histoire des Métis au Canada.
Les Métis étaient ici avant même que le Canada existe, et longtemps avant que le Canada prenne contrôle du nord- ouest. Nous sommes un peuple autochtone et nous ne nous sommes pas contentés de baisser les bras quand le Canada a pris le contrôle de l'Ouest. Nous avons résisté et contraint le Canada à négocier notre entrée dans la Confédération. Le traité conclu incluait des terres, tout comme n'importe quel traité indien, ce qui devrait être protégé par l'article 35.
L'affaire nous a coûté beaucoup d'argent au fil des années. Depuis que je suis président, la FMM a dépensé quelque 4 millions de dollars pour faire progresser l'affaire dans le système judiciaire. Contrairement aux Premières nations, que le gouvernement fédéral finance pour les contestations judiciaires, la FMM a dû assumer ces coûts quasiment sans aide des gouvernements. En fait, les gouvernements nous ont bloqués à tous les tournants. Espérons qu'ils respecteront la décision de la Cour suprême, comme nous avons l'intention de le faire de notre côté, au lieu de multiplier les entraves à la justice pour le peuple métis. Espérons aussi que le gouvernement du Canada nous traitera de façon équitable et nous aidera à assumer les coûts de cette contestation judiciaire. Nous espérons surtout qu'une fois rendue la décision de la Cour suprême, les gouvernements prennent des mesures sans tarder pour respecter leurs obligations envers le peuple métis.
Le devoir de consultation et d'accommodement des peuples autochtones avant d'approuver de gros projets industriels ou touchant les ressources est un autre domaine où les gouvernements tardent à inclure le peuple métis, malgré les directives claires des tribunaux en la matière.
Plusieurs questions entrent en jeu, en la matière. Tout d'abord, il est peu probable que le secteur privé élargisse la consultation et l'accommodement aux Métis sans y être clairement enjoint par le gouvernement. Or les politiques du gouvernement restent ambiguës quant à la reconnaissance des droits des Métis. Les sociétés incluent les réserves indiennes dans leur processus de consultation sans difficulté, mais rechignent souvent à un élargissement de la consultation aux Métis. La Couronne a le devoir de veiller à ce que tous les peuples autochtones touchés par un projet envisagé soient consultés et puissent bénéficier d'accommodements.
C'est une question qu'a tranchée la Cour suprême du Canada : le gouvernement doit participer aux efforts pour que les peuples autochtones bénéficient de mesures d'accommodement.
Deuxièmement, les structures de gouvernance des Métis et leurs différences avec celles des Premières nations échappent manifestement à bien des gens. Quand il s'agit de Premières nations, la Couronne et les sociétés privées ont des interlocuteurs clairement identifiés : la bande et le gouvernement tribal dans la zone du projet envisagé. Les Métis n'ont pas les mêmes structures de gouvernance ni, bien sûr, de territoires distincts.
Au Manitoba, il semblerait que la Couronne, fédérale ou provinciale, ainsi que les promoteurs de projet, aient des difficultés à savoir à qui s'adresser quand il s'agit des Métis. Pourtant, la réponse est très simple : ils doivent traiter avec le gouvernement du peuple métis, qui, dans notre province, est la FMM.
Il est bon de savoir en effet que la FMM a des structures provinciale, régionale et locale. Nous comptons quelque 100 sections locales de la FMM au Manitoba, provenant de quelque 80 communautés. Habituellement, il y a seulement une section locale par communauté et chaque section locale doit compter neuf membres au moins.
Il y a quelques années, une résolution a été adoptée lors de notre assemblée générale annuelle — à l'unanimité, je tiens à le souligner —, empêchant toute section locale de conclure une entente distincte avec une société donnée en ce qui concerne le devoir de consultation. De plus, à titre indicatif, laissez-moi préciser qu'environ 3 000 délégués sont présents lors de notre assemblée annuelle, ce qui en fait la plus grosse au Canada.
J'espère que vous me pardonnerez de m'appesantir, mais il me semble important de consigner les faits ici.
Les sections locales individuelles n'ont ni les ressources ni l'expertise voulues pour traiter avec de grosses sociétés ou des gouvernements. Le siège de la FMM est mieux placé pour négocier avec les fonctionnaires, retenir des avocats ou d'autres experts et parvenir à une meilleure entente pour les Métis. Nous avons indiqué clairement à toutes les parties que le devoir de consultation devrait s'exercer par l'intermédiaire de la Fédération des Métis du Manitoba. Comme je l'ai dit, c'est une approche qui a été ratifiée par toutes les collectivités de la province.
Cela n'a pas empêché la province de s'efforcer de circonvenir la FMM. Elle a essayé d'utiliser les conseils des communautés du Nord, c'est-à-dire un maire et un conseil municipal, des autorités locales établies par la province pour gérer des responsabilités municipales dans le Nord, pour représenter les Métis dans des négociations sur divers projets. C'est bien sûr inacceptable. Ces conseils de collectivités n'ont pas compétence pour céder des droits ou des terres métis.
À titre d'information, cela s'est fait par la Loi sur les affaires du Nord. Je peux vous en fournir un exemplaire. La Loi sur les affaires du Nord indique clairement quels sont les rôles et responsabilités d'un maire et d'un conseil municipal : encadrer les routes, les taxes, l'eau. Et on suggère pourtant que les promoteurs négocient avec eux.
Là encore, la FMM a dû menacer de lancer un recours devant les tribunaux pour être inclus dans les négociations, dans le cadre du devoir de consultation. Il devrait y avoir moyen de faire mieux.
C'est pour cela que j'ai entamé des discussions avec le premier ministre de la province il y a quelques années. Vous avez entendu Eleanor Brockington parler de la politique sur les Métis. Eh bien, quand on a négocié, j'ai beaucoup insisté auprès de la province du Manitoba. Pourquoi? Parce que, en l'absence d'une politique — et c'est vrai pour tous les gouvernements, y compris le fédéral, comme vous le savez pertinemment, sénateurs —, rien n'oriente le sous- ministre ou les ministres qui élaborent un plan d'action. C'est pourquoi j'ai beaucoup insisté auprès de mon premier ministre, pour veiller à examiner la politique des Premières nations, parce que nous n'avions pas de politiques sur les Métis, si bien que des décisions se prenaient quant aux sommes dépensées ou aux programmes mis en œuvre ou à d'autres questions de cet ordre. Et rien n'allait aux Métis. Nous devions nous contenter des miettes. Avec le premier ministre Selinger, nous en sommes presque à l'étape de la finalisation. C'est annoncé, adopté, mais pas encore mis en œuvre. Mais c'est résolu. C'est fondamental et j'espère qu'un jour, le Canada en fera autant. En effet, il n'y a pas de politiques sur les Métis au gouvernement fédéral.
L'hésitation des gouvernements à reconnaître les droits des Métis n'est pas le seul obstacle auquel nous nous heurtons. D'autres sont apparus. Après avoir dépensé énormément d'argent et d'énergie à la lutte pour voir nos droits autochtones reconnus, nous avons eu la surprise de constater que certains de nos frères des Premières nations s'opposaient à l'exercice de nos droits.
C'est l'un des discours que je tiens ouvertement dans la province. Tout au long de ma carrière politique, jamais je n'aurais cru que les Premières nations deviendraient un défi. On me dit maintenant que nos chefs des Premières nations s'opposent à mes droits de Métis comme peuple et ne croient pas que nous ayons un droit de récolte dans la province ni une égalité avec leurs droits. Je ne sais pas de qui il s'agit; ils ne se sont pas manifestés publiquement; mais ils font pression sur le gouvernement du Manitoba. C'est un défi particulièrement difficile pour nous, parce qu'ils sont nos plus proches parents, comme nous aimons à le dire. Il semblerait qu'il y ait une opposition et nous ignorons d'où elle provient.
Je dois être absolument clair sur le fait que la FMM va défendre les droits de notre peuple quoi qu'il arrive.
Je désire parcourir rapidement bon nombre de ces choses-là, car je préfère aller davantage dans les questions. Il est très clair que pour les programmes fédéraux que nous avons à l'heure actuelle, nous en sommes à un point où nous examinons le financement. Vous avez posé des questions précises sur le développement économique. Vous avez entendu Mme Brockington parler. Nous avons un fonds de 10 millions de dollars que nous négocions avec le Canada. Nous avons un fonds fédéral en vertu du MEDF. Il s'agit de 4 millions supplémentaires pour le Canada. Par conséquent, au total, nous avons 14 millions de dollars en fonds de développement économique que nous administrons. Nous avons également une société de financement que nous administrons et qui dispose d'un fonds de 8 millions de dollars. Ce fonds relevait d'Entreprise autochtone Canada et est désormais sous l'autorité de la FMM. Ces trois entités travaillent désormais ensemble pour créer le moteur économique pour le peuple métis du Manitoba.
Toutefois, tout cela est nouveau; et ça prend du temps pour y arriver. Nous sommes très loin d'avoir résolu la question des 10 millions de dollars. Comme je l'ai dit, il ne s'agit que de 2 millions par an, pendant les cinq prochaines années. Nous avons encore du chemin à faire.
L'autre élément qu'il est à mes yeux essentiel de reconnaître, c'est le processus de ne pas savoir. Je comprends cela très clairement d'après les discussions que nous avons eues avant même de commencer la réunion; cette base distincte va poser problème.
J'entends le mot autochtone souvent autour de cette table. Je l'entends du Canada et je l'entends des gouvernements provinciaux. En fait, c'est une de nos plus grosses bêtes noires. Le mot autochtone nuit au peuple métis, car le Canada va annoncer un programme autochtone. Quand vous regardez les petits caractères, comme dans n'importe quel contrat juridique, vous regardez les résultats, et ça ne nous concerne pas. Toutefois, les Canadiens pensent que nous recevons tout ce financement, tous ces programmes de santé et toutes ces ressources pour l'éducation. Aujourd'hui encore, en ce nouveau millénaire, les gens pensent que notre éducation est payée. Notre éducation n'est payée par personne. Nous sommes livrés à nous-mêmes.
Vous avez entendu parler du programme Access, auquel Mme Brockington a fait allusion, je crois, et que la province a mis sur pied. Encore une fois, il s'agit d'une très petite portion, par rapport à la population métisse, de gens qui essaient d'obtenir une éducation postsecondaire. Lorsque vous parlez de ce genre de questions, il est essentiel de reconnaître que le peuple métis doit lutter très vigoureusement.
Les programmes auxquels Mme Brockington a fait allusion, comme l'Institut Louis-Riel, qui est doté d'un fonds de la province de 125 000 $. Nous avons jumelé ce fonds avec des fonds fédéraux. Sa fonction consiste à essayer de trouver une façon de développer des programmes ou, en fait, de mettre en œuvre des programmes, et c'est ce qu'ils font en partie. Toutefois, ils sont encore loin d'avoir vraiment une incidence dans le domaine de l'éducation. Cela est clair.
Un des programmes sur lequel j'aimerais m'attarder ici s'appelle le programme SFCEA, offert au Canada. S'il y avait un modèle que je recommanderais au Sénat pour qu'il l'adopte, ce serait ce programme. Ce programme SFCEA offert par le Canada est un des meilleurs programmes que je n'ai jamais vu, de toute ma carrière en politique autochtone. Ce programme est distinct des autres et il est divisé en fonction des parts octroyées aux trois différents peuples autochtones du Canada. À partir de cela, nous offrons des services. Il y a toute la possibilité d'avoir des éléments mesurables, de voir l'impact direct pour les partenaires dans le secteur privé. En réalité, la FMM se classe, depuis les 10 dernières années, au premier rang au Canada. Cela fait 10 ans que nous nous classons premiers au Canada et nous offrons donc le plus grand nombre d'emplois et le plus de formation si vous mesurez les choses par rapport aux ressources investies par habitant, par rapport à notre population.
Je suis très fier de ce programme. Il a changé la vie de milliers de personnes. Je vais maintenant m'écarter du sujet de mon discours.
Cela nous a donné les outils nécessaires pour créer un fonds de dotation qui se trouve dans mon rapport, ici. Le fonds de dotation que vous voyez s'élève à 10 millions de dollars. À l'heure actuelle, il s'élève à près de 14 millions de dollars. Ce fonds que nous avons été capables de créer est l'Université du Manitoba. J'ai rencontré chaque président et je les ai mis au défi en leur disant qu'il n'y avait pas de fonds pour l'éducation postsecondaire pour nos enfants. Et pourtant vous voulez qu'ils aillent dans vos écoles. Si vous les voulez dans vos universités, aidez-nous à faire en sorte qu'ils y arrivent. Ils étaient prêts à me donner un quart de chaque dollar que j'avais amassé et je me suis battu avec eux jusqu'à ce qu'ils disent oui, qu'ils me donnent un dollar pour chaque dollar que je pourrais amasser.
Ensuite, je me suis battu avec le Canada et avec son programme SFCEA. J'ai dit au Canada que si j'arrivais à atteindre mes objectifs, à créer tous mes emplois et à répondre à tous mes besoins en formation, 400 personnes employées et 1 600 personnes formées, si j'arrivais à atteindre tous ces objectifs, tout argent supplémentaire que j'aurais amassé pourrait être utilisé pour l'éducation postsecondaire. Ils m'ont dit oui, sachant que je n'y arriverais jamais. Nous avons atteint nos objectifs, nous avons réalisé toutes nos formations. Depuis ce jour-là, nous avons pu mettre de côté un demi-million de dollars dans notre programme SFCEA et les universités nous ont versé une somme égale, dollar pour dollar. Depuis ce temps-là, nous avons amassé plus de 14 millions de dollars. Nous touchons environ 5 à 6 p. 100 d'intérêt sur cet argent et nous ne touchons jamais au principal, bien évidemment. Nous donnons actuellement au moins 500 000 à 600 000 $ à nos étudiants. S'il y a un programme dont je me targue ou dont je suis fier, c'est ce programme précis.
Je veux couvrir la santé et ensuite nous ouvrirons la discussion. Je vous ai donné une copie de l'étude sur la santé. La raison pour laquelle je crois qu'il est essentiel que le Sénat l'examine, c'est parce que vous vous êtes posé la question à propos des Métis et que vous examinez le rapport sur la reconnaissance juridique et politique des Métis. L'étude sur la santé que nous avons menée est irréfutable. Il s'agit en fait des numéros NIMP de nos citoyens. Vous ne pouvez pas débattre de ces numéros. Il s'agit des numéros de santé réels de nos citoyens et nous pouvons retracer chaque rendez- vous chez le médecin, chaque ordonnance, chaque maladie chronique dans le dossier du citoyen canadien. Nous avons parcouru environ 70 000 des numéros NIMP dont se servent les Métis et cela montre que les Métis ont les pires soins de santé de tous les habitants de cette province. Nous avons le plus haut taux de diabète. Si vous regardez tous les éléments mesurables de ces statistiques, voici les chiffres des Métis par opposition à toute la population du Manitoba. Toute la population du Manitoba inclut les Premières nations. Si vous enlevez les Premières nations de ces statistiques, nous montons en flèche, bien au-delà de ce chiffre. Si vous pensez que ce chiffre fait peur, enlevez les Premières nations de la population du Manitoba, car vous ne pouvez pas les séparer. Si vous enlevez la population du Manitoba, à ce moment-là nos chiffres sont encore plus préjudiciables et effrayants. Nous mourons plus tôt que tous les autres. Nous avons le plus grand nombre de maladies chroniques, qu'il s'agisse de l'arthrite ou autre chose. C'est parce que le Canada et le Manitoba ont nié l'existence même des Métis et ont rejeté la responsabilité pour le peuple métis. Je crois qu'il s'agit-là du meilleur exemple de documentation et de données factuelles qui peuvent prouver que si vous prenez des données et que vous les transposez dans le secteur du développement économique ou dans d'autres secteurs, vous verrez que la situation ne serait pas bien différente. Cette étude a mis quatre ans avant d'aboutir. Elle a été réalisée par Mme Julia Bartholette dans la province et le gouvernement fédéral y a participé.
Lorsque j'ai écrit à la ministre fédérale de la Santé, elle m'a renvoyé à la province. Je suis allé voir la province, et ils m'ont dit d'aller voir la ministre de la Santé. Nous voici donc face à un dilemme. Il s'agit du même scénario; nous avons été posés la question que vous nous posez aujourd'hui, pour examiner la reconnaissance juridique et politique. Même avec ce document, prouvant les besoins criants de notre peuple, les deux gouvernements nous font faire ces va- et-vient. Je le dis publiquement ici, ouvertement, et je leur dis que je peux me trouver quelque part au milieu de la brousse, ils viendront me trouver pour que je paye mes taxes. Quand il s'agit de servir mon peuple, ils ne sont pas capables de me trouver. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce processus.
Sur ce, mesdames et messieurs les sénateurs, je mettrai fin à mes commentaires. Vous pouvez lire le reste à votre guise. En conclusion, je tiens encore à féliciter le Sénat, car j'apprécie que vous ayez pris le temps d'examiner ce dossier. J'espère qu'il s'agit du début d'une longue série. Mesdames et messieurs les sénateurs, je crois que vous devez secouer les Canadiens, tant les politiciens que les citoyens de notre pays, pour qu'ils se rendent compte de l'état du peuple métis au Canada aujourd'hui.
Le président : Merci.
Chers collègues, je vais vous demander de poser une question chacun et il se peut que nous ayons à demander au président, si telle est la décision du comité, d'éventuellement venir à Ottawa pour éclaircir certains de ces points. Je sais ce que vous essayez de faire, monsieur le président; vous voulez que cela figure au compte rendu. Il s'agit là d'une des premières occasions. Toutefois, les questions que vont vous poser nos sénateurs sont également très importantes, tout comme l'est notre capacité de rédiger un rapport qui sera reconnu. Nous avons eu de bons résultats avec nos rapports.
D'où vient le mot Métis? Pendant mon enfance, ici au Manitoba, nous étions des Métchifs. Nous avions une langue et cette langue était celle de la communauté et je crois qu'elle est née en grande partie dans cette région. C'est ce dont Grant et, plus tard, Riel se sont réellement approprié pour ensuite créer la Loi sur le Manitoba. Pourquoi avons-nous ensuite adopté le mot Métis et pourquoi ne sommes-nous plus des Métchifs? Il s'agissait d'une langue.
M. D. Chartrand : En fait, si vous remontez dans l'histoire, notre nation a des racines qui remontent au début des années 1700, à l'époque où note côté paternel nous a quittés et notre côté maternel nous a gardés et plus personne ne nous voulait, ni les non-Autochtones ni les Premières nations. Avec le temps, notre peuple a commencé à devenir sa propre identité. Nous avons créé notre propre langue, notre propre musique, notre propre son, notre propre nourriture et notre propre style. Les gens ne savaient pas quel nom nous donner. À une époque, ils nous appelaient les gens nés au pays. Ils nous ont appelés les gens au motif floral. Si vous regardez, la plupart du travail de broderie perlée que nous faisons représente des fleurs. Si vous regardez dans l'histoire, on nous appelait le peuple au motif fleural. Ils nous appelaient aussi les demi-races, les Sang-Mêlé. Ce n'est pas avant l'arrivée de Riel, époque à laquelle ils ont essayé de nous appeler les demi-races anglais, qui ressortit le côté métchif comme étant le côté français. Dans Métis, la traduction est « Sang-Mêlé » en français. C'est à ce moment-là que cette désignation est restée par la suite, celle de Métis.
Ça a été difficile pour nous de nous assurer que les gens ne se servent pas seulement du mot « métis ». Je sais que dans certaines régions du Canada, les gens pensent que le mot métis désigne toutes les personnes de sang-mêlé, car, si on le traduit en français, c'est ce que ça veut dire, mais ce n'est pas du tout ça, en vérité. Comme vous l'avez dit, sénateur St. Germain, il s'agit de la langue métchif qui a été créée par notre peuple et étudiée au Danemark et dans d'autres pays à ce jour. J'ai rencontré des Japonais récemment pour parler du peuple aïnou pour essayer de comprendre et d'apprendre du peuple métis du Canada. La question pour les Métis, je crois, c'est que nous sommes en train de resserrer notre définition, pour montrer plus clairement que les Métis sont rattachés à l'ouest de l'Ontario, aux États-Unis et aux Territoires du Nord-Ouest, car il s'agit là de notre patrie. Le mot Métis, d'une certaine façon, fait allusion au fait qu'il s'agit d'une nation de notre peuple.
Les autres appellations, sang-mêlé et autres, nous nuisent encore aujourd'hui et nous surveillons cela de très près. Le mot « métis » sera rattaché à nous pour toujours. Il ne disparaîtra jamais. C'est quelque chose que nous allons protéger. Nous pensons qu'il identifie bien qui nous sommes en tant que peuple; nous sommes une nation métisse. Comme je l'ai dit, nous avions plusieurs noms. Les Cris avaient l'habitude de nous appeler « le peuple qui s'appartient à lui-même » et c'est comme ça que les Premières nations avaient l'habitude de nous appeler.
Quand Louis Riel a pu rassembler les demi-races anglais et les demi-races français, les mots « métis » et « métchif » ont été créés. C'est de là qu'ils viennent et ils demeurent encore aujourd'hui. C'est de ces grandes réalisations. Par conséquent, le mot « métis » continuera d'être quelque chose que nous protégeons et qui nous identifie. Il faut désormais combler cet écart et dire très clairement qui nous sommes.
Le sénateur Dyck : Tout d'abord, j'aimerais vous remercier pour votre exposé. Il était très complet et je suis heureux que vous l'ayez versé au compte rendu.
C'est très difficile de poser une question simple, car vous avez soulevé un très grand nombre de questions complexes et importantes.
Je veux vous poser une question sur les communautés du Nord qu'a mentionnées notre présentatrice précédente. D'après ce qu'elle a dit, il semblerait que les communautés du Nord soient exclues. Il semblerait que dans certains programmes provinciaux, ils ne soient pas considérés comme des Métis. Toutefois, d'après votre exposé, j'ai l'impression que vous considérez ces communautés comme étant des communautés métisses. Pourriez-vous nous éclaircir ce point?
M. Chartrand : Oui. En fait, merci de cette question. Vous m'avez entendu dire, plus tôt, que nous avons, je crois, 132 sections au total et que tout cela forme 82 communautés. Selon la Loi sur les affaires du Nord, il y a, je crois, 62 communautés désignées au Manitoba et c'est là que vous avez un maire et un conseil municipal. Ces collectivités étaient principalement dominées par les communautés métisses.
Bien des choses ont changé après l'arrivée du projet de loi C-31 et les gens ont commencé à avoir accès à la carte de traité prévue par le projet de loi C-31. Mais ils n'ont nulle part où aller et ils vivent toujours dans ces communautés. Ils veulent toujours être des Métis, mais ont pris la carte pour des raisons de santé ou pour la chasse, à l'époque, avant que les droits de chasse n'entrent en jeu. Mais il s'agit toujours de communautés à forte prédominance métisse. La culture est celle des Métis. Quand vous y allez, ce sont toujours des communautés métisses, même s'il y a encore un petit nombre de non-Autochtones.
J'ai lu une lettre intéressante. Je vais vous en envoyer une copie après — 1944, Duck Bay, Manitoba, où le gouvernement du Manitoba indique qu'on appelait Duck Bay une communauté de demi-race. Il s'agit de 1944. Je l'ai lu il y a à peine une semaine. Ils indiquent qu'il fallait traverser la réserve pour arriver jusqu'à la communauté de demi- race. Toutefois, les Ukrainiens arrivent et ils dominent l'industrie des pêches, ils essayent de l'enlever aux Métis et les Métis sont d'extrêmement bons pêcheurs. Les Ukrainiens arrivent là-bas et amènent de l'alcool et autres choses à l'intérieur de la communauté. Et donc le gouvernement dit qu'il faut trouver une façon de les arrêter et précise qu'une des façons d'y arriver serait de les empêcher de traverser la réserve. La seule façon d'arriver à Duck Bay est de traverser la réserve. Nous sommes au bout de la route dans cette région.
Il est assez intéressant de savoir qu'en 1944 nous essayions de trouver des moyens de protéger la région contre des non-Autochtones qui pourraient s'emparer de l'industrie que nous dominions, et nous dominons encore aujourd'hui la pêche commerciale.
Aujourd'hui, nos communautés sont bien solides, mais nous sommes maintenant face à un autre problème. La province, et les autorités provinciales connaissent ma position sur le sujet, se sert des collectivités relevant des Affaires du Nord en essayant de respecter les droits des Métis en remplissant l'obligation de consulter; ils nous disent d'aller négocier avec le maire et le conseil municipal. Or, le maire et le conseil n'ont pas compétence pour cela. C'est comme si la ville, par l'entremise de Sam Katz, allait négocier au nom de la province et si lors des discussions constitutionnelles. C'est impensable.
Notre collectivité existe toujours, monsieur le sénateur. Ce que les gens doivent comprendre, et j'espère que le Sénat transmettra ce message, c'est que sous sa forme actuelle, le projet de loi C-31 amènera ces Premières nations à s'effacer complètement. Pour revenir à notre définition, ces enfants-là redeviendront un jour des Métis. Nous sommes d'accord avec le projet de loi C-31, mais si nos gens épousent des non-Autochtones, ils pourront quand même retrouver leur lignée ce qui les ramènera à la communauté métisse, du fait que la Cour suprême du Canada a établi la définition de métis, et il y aura une recrudescence du nombre de Métis. Notre population diminue, mais elle va probablement augmenter de nouveau dans 20 ou 50 ans. Les Métis seront très nombreux. Les gens doivent le savoir et ne pas en faire abstraction, car c'est très important.
Le sénateur Sibbeston : On a parlé des noms qui ont cours chez les Dénés des Territoires du Nord-Ouest; nous avons la langue crie qui signifie « bois à demi brûlé ».
M. D. Chartrand : [Note de la rédaction : Le témoin s'exprime en cri.] Oui, c'est la rivière Burntwood au Manitoba.
Le sénateur Sibbeston : Cela m'a toujours intéressé parce que du moins dans les Territoires du Nord-Ouest, les Métis ont toujours été l'avant-garde. Ils sont très prospères et indépendants. Certains sont devenus interprètes, d'autres des pilotes de bateau. S'il y avait des emplois disponibles dans la collectivité, ils les obtiendraient parce qu'ils parlent généralement plusieurs langues, entre autres. Pour moi, être métis c'est être très indépendant, fier et très prospère.
Vous connaissez l'histoire de Peter Erasmus, le type même d'une personne très capable qui parcourt le pays. Mes oncles étaient comme lui. À certains égards, ces gens n'ont jamais voulu l'aide du gouvernement. J'ai toujours pensé que les Métis étaient indépendants et n'avaient jamais demandé l'aide du gouvernement; ils aiment se débrouiller seuls et être maîtres de leur vie.
Historiquement, c'était le cas des Métis. Je me demande donc pourquoi les Métis veulent à présent devenir dépendants, devenir des Autochtones dotés des mêmes droits que les Inuits et les Premières nations, de manière à avoir accès à tous les programmes offerts? Je trouve souvent que cela va à l'encontre de l'esprit et de l'essence même du peuple métis.
M. D. Chartrand : C'est une excellente question et je vous en remercie. Votre analyse est tout à fait juste. Les Métis sont effectivement des gens indépendants et nous avons un très fort esprit d'entreprise. Le problème, c'est que les Métis ne demandent que ce à quoi tous les Canadiens ont droit. Je n'ai rien contre payer les impôts et nous payons des centaines de millions en impôt. Il y a une étude récente à ce sujet. Le gouvernement fait ce qu'il veut des ressources qu'il nous prend et ce que nous souhaitons c'est qu'il nous les rende pour que nous puissions les utiliser et nous gouverner. Nous demandons simplement au Canada de nous rendre notre argent. En ce moment, nous payons des impôts et en contrepartie, nous avons droit à des investissements.
Vous avez parlé d'autre chose, mais voici l'essentiel : les Métis ne souhaitent pas et n'accepteront jamais qu'un gouvernement les domine ou les contrôle, jamais. Voilà notre position. L'article 91.24 n'est qu'une directive adressée, par exemple, au ministère de la Santé. Leur politique ne s'adresse qu'aux Indiens et aux Inuits, et c'est très clair. Mais en tant que Canadien et que Métis ayant des droits ancestraux, je me vois refuser les services d'un gouvernement qui prend pourtant mes impôts. Je lui demande donc de me rendre des services en contrepartie.
Dans un autre ordre d'idées, revenons aux collectivités. Nos collectivités n'ont plus d'infrastructure, elle est délabrée. Nos économies traditionnelles ont presque disparu et notre pêche commerciale périclite. De gros conglomérats, Louisiana Pacific ou Tolco, ou d'autres grosses compagnies américaines ou canadiennes se sont emparées de notre industrie forestière, qui a donc été détruite. Notre tourisme a complètement disparu, il n'y a presque plus de trappeurs. C'était pourtant là certains de nos solides secteurs d'activités économiques traditionnels.
Le portrait de nos villages n'est pas plus reluisant. Ils dépendent de plus en plus de l'aide sociale, ce qui m'alarme au plus haut point en tant que dirigeant. Mes gens en sont maintenant venus à trouver acceptable de vivre de l'aide sociale. Mais nous savons tous ce qui arrive aux gens sur l'aide sociale; lorsque c'est socialement accepté, il y a une certaine déchéance. Bientôt, ils n'ont plus d'amour-propre et se sentent dévalorisés. Ils commencent à boire parce qu'ils renoncent à faire quelque chose de leur vie. Et cela entraîne une kyrielle d'autres problèmes sociaux. Ma position, c'est que le Canada doit continuer à renforcer l'économie des Métis par des investissements. Nous nous occuperons des nôtres. Tout ce que nous demandons, c'est que vous nous rendiez les outils que vous nous avez pris sans nous consulter. Vous bâtissez des barrages et détruisez nos pêches sans nous consulter. Si vous m'aviez parlé et que nous avions partagé nos ressources naturelles, nous ne serions pas dans l'état où nous nous trouvons aujourd'hui.
Notre situation se dégrade de plus en plus et il faut mettre les freins pour arrêter la dégringolade. Si vous ne voulez pas que nous devenions dépendants, donnez-nous les outils dont nous avons besoin pour rester indépendants. C'est très important pour nous, car cela fait partie de notre nature, de notre force et de notre identité que nous tenons à conserver. Mais si vous me prenez toutes mes ressources naturelles, tous mes outils économiques, absolument tout, expliquez-moi comment je peux devenir indépendant. Voilà le problème.
Je l'ai dit et je le répète : nous payons des centaines de millions de dollars en impôts et pourtant nous recevons très peu en échange. Mon argent est envoyé ailleurs. Il sert à soutenir l'agriculture, que j'appuie, peu importe où cet argent va, il va à quelqu'un d'autre. Mes impôts ne me reviennent pas.
Le sénateur Raine : Je vous remercie d'être venu aujourd'hui. J'aurais quelques questions à vous poser au sujet de votre généalogie. On nous a remis un document du Centre de ressources sur la culture et le patrimoine métis. Je vois que vous avez deux institutions généalogiques acceptées?
M. D. Chartrand : Oui.
Le président : C'est le document du prochain témoin. J'aimerais m'assurer qu'un témoin va venir le présenter.
Le sénateur Raine : J'ai une question que je tiens à poser au sujet des membres de la Fédération des Métis du Manitoba. Vous aurez besoin des mêmes preuves généalogiques en septembre 2014?
M. D. Chartrand : En fait, j'aimerais ajouter quelque chose, car la question qu'elle vient de soulever est importante. Notre gouvernement a choisi ces deux organismes en tant qu'institutions légitimes dont les documents pourraient servir de preuve. Nous avons pris cette décision pour faire comprendre qu'il ne suffira pas d'obtenir un document généalogique issu par n'importe quelle petite boutique. Nous voulons nous assurer que tous les documents dont nous disposons, les cartes que nous émettons ne soient pas émises directement de notre bureau, mais plutôt par une entreprise de sécurité. Ces cartes sont sécurisées comme une carte Visa. Nous voulons faire en sorte que dans l'avenir cette carte soit reconnue partout, que ce soit par Air Canada ou par n'importe qui. Je crois que notre carte d'identité est plus sûre que les cartes émises par le gouvernement fédéral aux Indiens inscrits visés par un traité.
Nous avons choisi ces deux institutions et les avons chargées de cette tâche. Nous sommes en train d'élargir nos services, malgré le manque de ressources que j'ai évoquées dans mon document. Le Canada nous donne très peu d'argent pour le faire et c'est une tâche difficile. J'ai peur qu'on ne puisse plus s'inscrire après 2014, car alors ce sera vraiment la carte électorale. Les 52 000 personnes auxquelles j'ai fait référence dans mon rapport sont inscrites sur la liste électorale. Je représente et sers encore tous les citoyens métis de la province. Ils ont le droit de voter pour moi. En fait, mes élections sont plus difficiles que celles du premier ministre parce qu'il faut que je sois élu par les gens du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest. Je ne peux pas simplement me faire élire dans une circonscription et faire partie d'une délégation par la suite. Nous protégeons farouchement cette façon de faire, pour que nos gens aient le droit de choisir leur chef. Nous sommes les seuls au Canada à procéder de cette façon. Nous avons examiné les documents et personne d'autre que nous n'a ce système électoral.
Voilà pourquoi nous procédons ainsi et avons choisi des institutions bien reconnues; dans l'avenir, cela nous permettra de perfectionner notre carte et de la faire reconnaître.
Le président : Chers collègues, il est 10 heures et je sais que nous pourrions poser une foule de questions au président Chartrand et à ses gens, mais je vais faire une proposition pour que nous nous en tenions au temps imparti. Nous avons encore deux autres groupes de témoins à entendre. Notre comité pourrait-il inviter le président Chartrand à venir à Ottawa? Une fois que nous aurons assimilé son exposé et mieux compris le sens de ses propos, nous serions plus à même de lui poser des questions auxquelles il pourrait répondre. Je crois que cela formerait une partie importante de notre rapport.
Si le comité accepte de procéder de cette façon, j'espère que vous comprendrez bien, monsieur le président, que nous aurions aimé vous poser d'autres questions, mais que nous voulons quand même nous assurer de pouvoir entendre beaucoup de témoins.
M. D. Chartrand : Oui.
Le président : J'espère que vous accepteriez de venir à Ottawa pour peut-être répondre à d'autres questions.
M. D. Chartrand : Je serais honoré d'y revenir. Notre assemblée se tient samedi. Le premier ministre est censé y assister, de même que le ministre. À ce moment-là, vous pourrez avoir un tableau plus clair de ce qui va se faire au Manitoba. Ce sera un événement historique en ce qui concerne la récolte. Nous allons créer un système mis sur pied par notre peuple au XIXe siècle et dans lequel les lois des Métis l'emporteront dans cette province. Je crois que votre comité trouverait cela fascinant. Nous y avons travaillé très fort et je vous dirai pourquoi nos efforts ont abouti à ce résultat. Alors, je serais honoré de me rendre à Ottawa.
Le président : Encore une fois, merci.
Nous entendrons maintenant des représentants du Metis Culture and Heritage Resource Centre, dont le porte- parole est un généalogiste, Randall Ranville. Je vous donne la parole en premier, monsieur Randall, si vous êtes prêt. Je vous demanderais d'être aussi concis que possible, car les sénateurs voudront sans aucun doute vous poser des questions.
Randall Ranville, généalogiste, Metis Culture and Heritage Resource Centre Inc. : Je m'appelle Randy Ranville et le centre m'a embauché comme généalogiste voilà six ans. Je fais le travail de généalogie du centre. Ce n'est pas seulement un emploi, une tâche qui consiste à déterminer l'ascendance métisse de chaque personne, c'est aussi un voyage dans l'histoire. C'est une expérience merveilleuse, parce qu'en découvrant l'ascendance métisse des gens, j'apprends beaucoup de choses au sujet de l'histoire. Quelqu'un a demandé tout à l'heure quelle était l'origine du mot métis. Nous le devons surtout à Cuthbert Grant, l'homme qui a fait adopter le drapeau et la langue métchif.
J'ai entendu David Chartrand expliquer comment on s'y prend pour identifier un Métis. Historiquement, les Métis s'appelaient eux-mêmes Métchifs, synonyme de métis. Le mot vient de l'espagnol mestizo, qui signifie personne d'ascendance mixte.
Je vous ai remis un document dont les premières pages énumèrent les critères auxquels doivent répondre les personnes qui veulent établir leur ascendance métisse. Permettez-moi de vous parler des gens qui s'adressent à nous. Je viens de m'entretenir avec un de mes collègues ici qui m'a dit qu'il doit venir au centre pour faire faire la généalogie de sa famille. Habituellement, une généalogie suffit pour plusieurs des membres d'une même famille. Elle peut s'appliquer à 10 ou 12 membres rapprochés d'une famille, comme les parents et les petits-enfants et, bien sûr les enfants de parents métis. On se sert d'un ouvrage de généalogie — qui a une reliure bleue — où figurent leurs noms de même que ceux de leur père, grand-père, arrière-grand-père. Les deux premières pages décrivent l'histoire récente de chaque famille et ensuite, on remonte la lignée, dans l'histoire du Manitoba, pour trouver les ancêtres des Métis d'aujourd'hui.
Dans mon travail, je me fonde sur la définition manitobaine du terme métis, parce que la définition varie d'une province à l'autre, de la côte Est jusqu'à la côte de la Colombie-Britannique. Les personnes d'ascendance mixte au Québec s'appellent elles-mêmes Métis, mais le mot lui-même, Métis, dont on parle historiquement, sont des « Métchifs ». C'est parmi ces gens-là que je tâche d'identifier les ancêtres des Métis qui forment les communautés de l'ouest du Canada et qui peuplent les régions indiquées par M. Chartrand.
La deuxième partie de mon travail vise des personnes de partout dans le monde. J'en ai fait pour des gens du Texas, de Londres et de l'Angleterre. J'ai fait des généalogies pour quelqu'un de Suède et pour de nombreuses personnes aux États-Unis qui nous trouvent sur notre site web qui contient un formulaire de demande de généalogies.
Mon travail concerne en grande partie l'histoire, parce que je dois savoir ce dont je parle quand je dois déterminer qui, quoi, pourquoi, où et quand pour chaque famille qui fait une demande, c'est-à-dire chaque personne qui vient faire identifier sa famille. Ce volet en tant que tel est très intéressant parce que bon nombre de personnes ne savent pas qu'ils sont Métis. Ils l'apprennent à des funérailles ou lors d'un mariage lorsqu'ils constatent que certains convives ne leur ressemblent pas, mais ils n'avaient aucune idée parce que leur grand-mère, leur arrière-grand-mère ni leur mère ne leur en avaient parlé. C'est un préjugé qui nous est attaché.
Les choses changent lentement. Très lentement — nous avons maintenant la journée Louis Riel et tout le monde connaît ce personnage, c'est un de mes héros, et je dirais qu'il y a une acceptation des Métis dans les médias et dans les journaux. Les divers types de média commencent lentement à présenter les Métis de la façon dont les écoles auraient dû le faire, c'est-à-dire qui étaient les Métis et qui nous sommes.
Dans le cadre du travail de généalogie, je fais des conférences pour les organismes gouvernementaux comme Manitoba Housing, par exemple, ainsi que pour bon nombre de ministères dans notre province, des députés provinciaux, des bibliothèques, ainsi que dans bon nombre d'écoles et même auprès de jeunes enfants où je dois essayer de susciter leur attention et leur montrer des images; je leur présente des articles et leur montre qui étaient les Métis.
L'identification des Métis — j'ai cela ici, je devrais parler un peu de ce qu'il y a à la page 3. Il y a les deux organismes dont vous avez parlé, et nous faisons exactement la même chose; c'est un travail assez semblable que nous réalisons pour ce qui est d'identifier les Métis au moyen de la généalogie.
C'est devenu essentiel pour tous les Métis, comme l'a dit M. Chartrand et nous élargissons ce volet de nos activités, mais à l'heure actuelle il y a ces deux organismes qui effectuent ce travail. J'espère pouvoir faire partie des efforts généraux, visant à trouver et à identifier les Métis. Pour ce qui est de notre base de données, la mienne compte un peu plus de 50 000 noms, et nous disposons en plus de 1,7 millions de noms de personnes qui ne sont pas Métis, mais qui sont liées au peuple des Premières nations ou aux Autochtones peu importe la façon dont on veut les appeler, population indienne, par exemple, qui ferait en sorte qu'ils se qualifient comme étant Métis et faisant partie de la communauté autochtone.
J'ai ici à la page 4 un dossier qui ressemble à celui de nombreuses personnes qui viennent faire une demande; je vais revenir à cet exemple. Michel Monet se situe là, c'est-à-dire dans le groupe des beaux-parents de Louis Riel, je vous le dis à titre d'information. Cette famille et ce particulier sont nés le 25 octobre 1822. Lorsque la Commission foncière est venue, elle a d'abord recensé les Métis de l'Ouest du Canada et cela s'est poursuivi jusqu'aux environs des années 1920; la Commission foncière d'Ottawa s'est attelée à identifier les Métis. Auparavant, elle avait fait un recensement. La plupart du travail portait sur ces éléments et ce que nous voyons ici est un affidavit lié à un dossier qui pourrait être très épais et constitué de lettres et de réponses à ces lettres, c'est-à-dire une série de correspondances visant à identifier cette personne métisse.
De nos jours, les Métis sont chanceux que ce genre de documentation ait eu lieu puisque ces documents indiquent, par exemple, que Josephte, femme autochtone, et Michel Belhumeur, Métis, qui sont les parents de Michel cités au haut de la page. Il existe des centaines et des centaines de documents de ce genre que nous utilisons pour identifier les Métis d'aujourd'hui à ceux de l'époque et à ces familles historiques. Il s'agit d'un exemple parmi tant d'autres.
Les deux prochaines pages présentent des dossiers d'employés de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Il s'agit d'une autre de nos sources primaires. Dans ce cas-ci, il s'agit de John McKay et le document indique que son épouse s'appelait Mary Favell et qu'elle était métisse, fille du Dr John Favell et de Titameg, son épouse autochtone. Puisque son épouse était autochtone, il n'y avait pas de traité à ce moment-là, la lignée de McKay et de cette famille qui remonte à Favell fait en sorte que le reste de la famille est métisse — cinq fils, trois filles et ils sont tous identifiés. Et bien sûr toutes ces personnes ont eu des familles, et habituellement d'importantes familles et le tout est documenté jusqu'à aujourd'hui.
Le deuxième élément est là pour vous montrer un peu ce que j'ai appris de ces recherches historiques. En 1811, il y a le nom de Henry Hallet, il est Métis parce que son père a épousé une femme autochtone, mais il a été mis à pied par la Compagnie de la Baie d'Hudson pour son meurtre atroce et couard d'un Autochtone. Il ne s'agit que d'un fait divers, mais nous en avons énormément sur la vie à cette époque et l'on peut voir qu'il a été mis à pied, mais qu'il a pu travailler pour la Compagnie du Nord-Ouest, c'est-à-dire les rivaux de la Compagnie de la Baie d'Hudson pendant 10 ans avant de retourner à l'emploi de cette dernière. C'était la punition liée à ce que l'on peut lire dans ces quelques mots, c'est-à-dire le meurtre lâche d'un Autochtone.
Cela nous indique que ces documents nous permettent de déterminer qui sont les Métis d'aujourd'hui même si quelquefois on ne les soupçonnerait jamais de l'être, mais ils ont souvent des antécédents comme celui-là lorsqu'on fait des recherches historiques. Certains sont tout à fait étonnés d'avoir une généalogie aussi colorée. D'autres deviennent très émotifs et laissent couler quelques larmes parce qu'ils voient qu'ils font partie de la communauté, de l'histoire, et de l'existence phénoménale des personnes qui ont été prises entre deux feux et que certains de leurs ancêtres sont Métis même s'ils n'étaient pas au courant. Certains n'étaient pas au courant, comme je l'ai dit.
J'ai aussi l'exemple de quelqu'un qui n'a appris qu'à l'âge de 30 ans qu'il avait été maltraité en raison de sa mère autochtone. Sa mère naturelle est décédée et il a été élevé par une femme en provenance d'Islande qu'il avait toujours cru être sa mère jusqu'à ce que ses cousins lui disent à l'âge de 30 ans : « Nous sommes tes cousins, ta grand-mère était en fait telle personne... » C'est alors qu'il s'est rendu au centre de ressources pour voir de quoi ces gens parlaient. Je me sens chanceux d'avoir été la personne qui lui a dit : « Cette femme était ta mère, cette femme était ta grand-mère et voici tes ancêtres. » Il était tout à fait emballé lorsqu'il est parti. C'est vraiment étonnant. C'est un travail très valorisant pour moi de faire ce travail de première main et d'identifier les Métis, surtout lorsque les gens viennent récemment d'apprendre quels sont leurs antécédents.
Un troisième outil dont nous nous servons pour identifier les Métis est le recensement de 1901. Je vous en ai apporté un exemple pour montrer que Wenceslas Desjardins a épousé Caroline Plante et que l'ancêtre métis provient de Caroline. Dans la deuxième colonne après les noms, il y a un petit W et un petit R. Les blancs étaient indiqués par le W, bien sûr, et les personnes d'origine autochtone, je vais utiliser ce mot, étaient rouges. Je faisais la généalogie d'une personne directement liée à ce couple, Wenceslas et Caroline et leur fille Philanese. Ce ne sont plus des noms qui sont très en vogue, mais ils ont en fait existé. Quelque chose d'intéressant s'est produit, il y a quatre ou cinq généalogies qui m'ont été retournées parce que l'administration centrale n'arrivait pas à complètement comprendre comment les noms des demandeurs pouvaient être retracés à un ancêtre métis. Eh bien, à part cette famille, Wenceslas le père, Caroline la mère et Philanese la fille, il y en a une autre dont les membres portent exactement les mêmes noms qui sont très rares; il s'agit en fait du seul Wenceslas que je connaisse à part celui mentionné dans le chant de Noël c'est-à-dire où le bon roi Wenceslas jette un coup d'œil à l'extérieur. De toute façon, c'est lui le père de cette famille.
Je veux revenir en arrière — et c'est tout ce qu'il me reste —, au premier document que je vous ai présenté. Et c'est un exemple de ma généalogie. C'est le certificat de naissance long. On ne peut pas se servir du petit certificat abrégé, en plastique ou de celui en papier qui n'indique pas les parents. Bien sûr, il s'agit de merveilleux parents, Emile Ranville et Mary Spence, Écossais et Crie francophone. Ce sont mes parents, et ce document permet de m'identifier auprès du ministère des Données sur l'état civil du Manitoba. La plupart des gens doivent faire des recherches au ministère ou bien se rendre à une église où a eu lieu un mariage, un décès ou un baptême et cela leur permet de retracer leur histoire jusqu'à leurs ancêtres.
Pour terminer, à la dernière page vous verrez une photo de mon arrière-arrière-arrière-grand-père, Joseph Renville. Je me rends également à Ottawa le mois prochain. J'en suis tout à fait ravi et fier. Je vais recevoir une médaille pour Joseph Renville pour sa participation dans la guerre de 1812. C'est en reconnaissance des peuples autochtones qui ont aidé les Britanniques à lutter contre les soldats américains et mon grand-père y était. Ce qui est intéressant, c'est qu'il a passé la plupart de sa vie aux États-Unis, mais son père était Canadien et il était rentré au Canada avec un ami lorsque la guerre s'est déclarée. C'est tout un honneur pour moi d'aller le mois prochain, le 25, à Rideau Hall pour recevoir cette médaille. Et puisque je m'occupe de généalogie, j'ai pu le retracer à partir de moi, de mon père, de mon grand-père jusqu'à lui mon arrière-arrière-arrière-grand-père. Et je continue d'étudier un de mes ancêtres qui s'appelle François parce que je veux en connaître davantage à son sujet.
Tous les Métis que j'identifie au moyen de mon travail en généalogie sont vraiment étonnés et reviennent consulter la bibliothèque au centre de ressources pour en apprendre davantage sur leurs familles. Quelquefois il y a des gens qui passent la journée à faire des recherches à la bibliothèque et c'est ce que je faisais moi-même lorsque j'ai d'abord commencé, et ils en apprennent sur chacune des familles et sur la façon dont nous lions les Métis d'aujourd'hui à ces ancêtres. Merci.
Le président : Merci.
Madame Sanderson, avez-vous un exposé?
Eileen Sanderson, aidante naturelle, Metis Child, Family and Community Services : Je vais vous parler de moi et davantage à titre individuel, mais je travaille au Metis Child and Family Services de la ville de Winnipeg.
Le président : Je vous demanderais d'aller le plus rapidement possible. Veuillez nous livrer votre message s'il vous plaît.
Mme Sanderson : Je suis la plus jeune d'une grande famille. J'ai grandi dans la province du Manitoba. Je suis une descendante directe de Louis Riel, et Jean-Baptiste Lagimodière figure également parmi mes ancêtres.
Lorsque j'étais petite, le métchif était notre langue. C'est ce que nous apprenions enfants. J'ai également grandi dans la Fédération des Métis du Manitoba. J'avais 10 ans lorsque cette fédération a été fondée, et je me souviens que mes parents tenaient des réunions à la maison ainsi que dans celles de mes oncles et mes tantes.
Vous ne le savez peut-être pas, mais après les rébellions de Riel, un bon nombre de familles ont quitté la région de la rivière Rouge pour se diriger vers le sud, le nord ou l'ouest. On appelle cela la période noire après les rébellions de Riel.
J'estime donc que ma famille, et je pense que quiconque connaît l'histoire des Métis serait du même avis, en raison de cette période noire, et le peuple métis, n'avaient aucun endroit pour vivre. Les Métis se sont installés soit en bordure des réserves ou de petites villes ou bien ils sont devenus ce que vous appelez « les Métis de réserve routière ». J'estime que c'est l'histoire de mon peuple.
Il y a trois générations, mes grands-parents se sont installés dans un petit peuplement que l'on pourrait appeler métis — c'est difficile de dire exactement ce que c'était, mais peut-être un petit peuplement métis. Ce n'était pas un petit village ni une ville, mais j'appellerais cela un peuplement métis, près de petits lacs au centre de quelques petites villes situées à environ 60 milles au nord-ouest de Winnipeg. Il y a un lac qui s'appelle le lac North Hill.
Dans notre famille, nous avons une identité métisse très solide. Je me souviens, lorsque j'étais petite, de mes grands- parents et de ma famille élargie, mes oncles par exemple qui utilisaient toujours le terme « Métchif » à l'époque, mais ce mot s'est transformé par la suite en Métis au fur et à mesure de l'évolution de la Fédération des Métis du Manitoba, et je me souviens du début et de son évolution. Quand j'étais jeune, je me souviens aussi que mon père ou plutôt mes parents nous ont élevés selon le mode de vie traditionnel des Métis, mon père était un chasseur, un trappeur, un pêcheur et un agriculteur, et mes parents ont toujours eu un immense potager, entre autres. C'était comme ça lorsque j'étais petite.
Je suppose que je veux vous dire certaines choses qui me préoccupent à l'heure actuelle; M. Chartrand vous a parlé un peu de l'éducation et de la santé. Maintenant je me préoccupe un peu de l'éducation des jeunes Métis ainsi que des problèmes de santé. Comme M. Chartrand l'a dit, de nombreux Métis sont atteints de diabète, entre autres. Je suppose que nous avons besoin de financement. Nous sommes un peuple très indépendant, mais je suis tout de même préoccupée par les questions de santé et d'éducation.
Je serai brève. Comme je l'ai dit, je travaille au centre Metis Child and Family et une partie du rôle de ce centre cherche à garder dans la mesure du possible nos enfants dans nos familles et dans les familles élargies. Voilà essentiellement ma déclaration préliminaire.
Le président : Merci beaucoup, madame Sanderson. Je pense qu'il est important d'entendre le témoignage de personnes qui n'ont pas uniquement lu et étudié en quoi consiste la culture métisse, mais qui l'ont en fait vécue. Heureusement, je comprends ce que vous dites, parce que j'ai grandi dans un environnement semblable, c'est-à-dire un petit peuplement qui se trouvait tout juste à l'ouest d'ici et qui s'appelait Petit Canada, c'était un peuplement métchif. Je me souviens que les sœurs de mon grand-père ont toutes les deux épousé des McKay de Saint-Eustache. Ils n'étaient pas vraiment de Saint-Eustache; ils provenaient de Fort Rouge, qui est à l'extérieur de la paroisse de Saint-Eustache.
Monsieur Ranville, je vous remercie également de votre exposé. Je vais vous poser cette question, je lis Michel Monet du Belhumeur. Dans bien des cas cela veut dire, Michel Monet of Belhumeur. C'est-à-dire que de nombreuses personnes ont supprimé le « du ». J'ai connu des Monet qui vivaient au lac Pigeon, au Manitoba, qui se situe directement à l'ouest d'ici, et ils étaient des Monet; c'est la façon qu'ils épelaient leur nom. Le nom St. Germain, c'est- à-dire le mien — nous étions en fait Lemur de St. Germain au Québec, et mes ancêtres ont laissé tomber le Lemur. Dans ce cas-ci, certains sont devenus des Monet et d'autres des Belhumeur. Dans notre cas, nous avons laissé tomber le Lemur tout en conservant le St. Germain tandis que d'autres ont maintenu le nom Lemur, ils sont devenus des Lemur au Québec. De toute façon, c'est très intéressant.
Le sénateur Sibbeston : J'aimerais demander à Mme Sanderson le travail qu'elle fait dans son organisation. Peut-être pourrez-vous nous dire brièvement le type de travail que vous faites et si vous estimez que c'est fructueux?
Mme Sanderson : Je suis travailleuse sociale de métier. J'ai pu faire des études grâce au Winnipeg Education Centre. C'est l'équivalent de l'Université du Manitoba. Le centre a été mis sur pied pour aider les personnes qui n'ont pas suffisamment d'argent pour aller à l'université. Je ne faisais pas partie — comment dirais-je — d'une famille qui avait suffisamment de revenus pour me payer des études universitaires. Cette institution a donc été mise sur pied et à cette époque elle recevait du financement de l'Université du Manitoba et des trois ordres de gouvernement. Mais je pense que quelques années après que j'ai reçu mon diplôme, soit en 1985, ces fonds n'ont pas été renouvelés — de toute façon les fonds n'existent plus, exprimons-le ainsi.
Je suis travailleur social depuis plus de 25 ans. Je suis à Metis Child and Family depuis trois ans dans un programme appelé Kinship Care, programme qui se rapproche beaucoup de mes propres valeurs, c'est-à-dire que nos enfants restent dans nos familles et ne soient pas adoptés à l'extérieur de la collectivité. À Metis Child and Family, notre mission est ce que je viens de vous décrire, que les enfants soient placés auprès d'un membre de la famille élargie, de la collectivité, puis en dernier recours chez une famille d'accueil. Voilà mon rôle comme travailleuse sociale du programme Kinship Care, cela équivaut — nous relevons du programme de prise en charge alternative des enfants. Je travaille auprès des familles élargies qui prennent des enfants et je m'occupe du processus d'évaluation du foyer, de l'agrément, et cetera, la défense des droits, le soutien. C'est un programme que je continue à promouvoir qui fait partie intégrante de Metis Child and Family. À mon avis c'est une réussite et nous continuons à travailler vers cet objectif de réussite.
Le sénateur Sibbeston : Merci.
Le sénateur Raine : Merci beaucoup à tous d'être là. Ma question s'adresse à M. Ranville.
Dans votre document vous dites que vous ne faites la généalogie que pour les personnes dont on peut retracer les origines à la Vallée de la rivière Rouge en Saskatchewan et dans le district d'Assiniboine. Pourriez-vous préciser? Je ne crois pas avoir saisi.
M. Rainville : Tel que M. Chartrand l'a dit, c'est la patrie de ceux qui sont Métis — je ne sais trop quel mot peut être utilisé — ou qui ont pris l'appellation Métis. Les Métis se désignent sous le nom de Métchifs, ce qui signifie la même chose, le terme français pour mestizo en espagnol.
Pour ce qui est de votre commentaire relativement au terme « dit », en généalogie, il y a un autre mot pour « aussi connu sous le nom de ». Dans ce cas-ci, ce sont les Monet aussi comme connus comme les Belhumeur. Les renseignements supplémentaires expliquent que oui, certains étaient des Belhumeur et d'autres étaient des Monet.
Il s'agit de la plus grande partie de mon travail. Je n'ai pas de ressources pour le Québec, l'Ontario et les autres. Pour ce qui est de mon exemple qui remonte au premier Métis, vous retrouverez les Prairies et des parties de la Colombie- Britannique.
Le sénateur Raine : Parce qu'ils venaient d'ici?
M. Rainville : Oui.
Le sénateur Raine : Le district d'Assiniboine, est-ce un district du Manitoba?
M. Rainville : Il s'agissait du plus grand peuplement à l'époque. Il y en avait trois. Il y avait les trois principaux, puis il y en avait de plus petits éparpillés ici et là qui sont tôt ou tard devenus des réserves. Par exemple, un grand nombre de Métis vivaient à St. Peters, mais également en bordure de ce qui s'appelle aujourd'hui East Selkirk au Manitoba. Aujourd'hui, les gens de ce peuple des Premières nations vivent à Peguis. Ils ont tous été déplacés à pied lorsque le CFCP y a acheté cette grande parcelle de terre. Vous retrouverez donc des Métis dans la plupart des régions au Manitoba.
Il y a le cas d'une famille de cinq enfants, tous nés dans différentes parties de l'Ouest canadien et dont un aux États- Unis, au Montana. Les Métis sont des gens si nomades que leurs enfants sont nés à différents moments de l'année correspondant à la chasse au bison à l'automne et au printemps. C'est très intéressant à regarder et à retracer les enfants qui sont nés d'une même famille dans cinq régions différentes de l'Ouest canadien.
Le sénateur Raine : Avez-vous une carte des régions fondatrices?
M. Ranville : Oui, très important, dans notre bibliothèque nous avons les indications des chemins parcourus par les premiers Métis. À certains endroits il y a encore des ornières profondes laissées par les charrettes de la rivière Rouge.
Le sénateur Raine : Ces cartes ont-elles été publiées dans un ouvrage ou se trouvent-elles seulement dans vos ressources?
M. Ranville : Elles se trouvent à notre site Web. Je dois dire que feu Lorraine Freeman était une femme remarquable. Au cours de ces 10 années au centre de ressources, elle a parcouru tout le pays pour trouver et identifier des ressources, même celles des Sang-Mêlé qui se nommaient Métis, mais qui n'avaient pas de documents d'identification pour prouver qu'ils sont vraiment Métis. Les Métis se trouvaient tout le long du lac Supérieur et dans quelques collectivités en Ontario. Cependant, nous n'avons aucun dossier des exemples que j'ai donnés pour identifier ces personnes. Lorraine Freeman était allée rencontrer ces gens. Ils jouent la même gigue de la rivière Rouge et ont la même danse. C'est une danse qui imitait les poules des prairies pendant la période de reproduction. Ce sont les Premières nations qui ont composé la partie très originale de la gigue de la rivière Rouge qui a ensuite été adaptée par les Métis écossais; musique avec le violon, puis cela a évolué dans ce que certains appellent aujourd'hui notre hymne national. L'hymne métis est la gigue de la rivière Rouge. On apprend toutes ces petites parcelles d'histoire en suivant et en identifiant les familles pour en apprendre davantage sur eux.
Le sénateur Raine : Ces familles, par exemple, qui vivaient à Sault Ste. Marie, où il y a une collectivité métisse, vous n'avez pas les dossiers généalogiques pour ces personnes, mais pourraient-elles les avoir elles-mêmes?
M. Ranville : C'est possible. Il nous faut regarder, par exemple, le recensement de 1901 qui mentionne rouge et lorsqu'on descend la colonne — j'ai oublié de dire —, on peut y lire MF, ME, pour Métis écossais, Métis français, Métis anglais, MA. Ces petites notes ne se retrouvent que dans ce recensement au Canada. C'est comme si cela faisait partie de la prophétie de Louis Riel lorsqu'il a dit que dans 100 ans nous saurions. Ces documents nous aident beaucoup à identifier qui nous sommes, car tous les noms s'y trouvent, je me renseigne également auprès d'un historien de la Fédération des Métis du Manitoba ainsi qu'auprès de l'auteur reconnu de Winnipeg, Charles Thompson qui se fait appeler Chuck, il a 78 ans et a écrit quelques ouvrages sur les Métis. Toutes ces sources et même les documents qui déclarent que Riel et ses... nous n'avons peut-être pas la documentation pour ces noms, mais le fait qu'il ait été dans le cabinet de Louis Riel, nous pouvons remonter l'origine familiale par ces noms. C'est tout simplement incroyable. Je n'ai même pas ce genre de renseignements pour ma propre famille, à savoir que l'histoire familiale se ressemble beaucoup.
Le sénateur Raine : Le recensement de 1901 était-ce un recensement du Manitoba ou du Canada?
M. Ranville : Canada.
Le sénateur Raine : Par exemple, cette désignation rouge ou blanc, MF, ME, MA, serait-ce partout au Canada?
M. Ranville : J'ignore si dans d'autres régions du Canada des efforts ont été déployés pour identifier les gens. Voyez- vous, je n'ai pas de dossiers de l'Ontario, de la région de Sault Ste. Marie, et vous avez tout à fait raison il y avait des Sang-Mêlé ou des Métis. De là à trouver les dossiers pour les intercaler dans la généalogie lorsqu'on l'a fait pour une personne est quasi impossible, car un dossier peut mentionner quelque chose, que je n'ai pas encore vu, où le nom est lié à la mention ME ou R pour rouge. Je n'ai rien vu de l'Ontario et de la Colombie-Britannique jusqu'à maintenant. Mais pour ce qui est du Manitoba et des provinces de l'Ouest, oh oui... Oui ils ont tous cette mention. Cette région identifiait les gens par leur couleur et par leur race.
Le sénateur Raine : Merci beaucoup.
Le sénateur Dyck : Merci pour vos exposés. Ils étaient excellents. Je vais commencer par vous raconter une blague. J'ai d'abord vu les mots « ressources » et « généalogiste » et j'ai tout de suite pensé aux ressources naturelles et à la géologie. Je me suis demandé pourquoi on avait invité un géologue. Mais vous êtes en quelque sorte un géologue, à l'exception près que vous ne forez pas le sol, mais que vous faites des recherches dans le passé.
M. Ranville : Oui.
Le sénateur Dyck : J'essayais de comprendre les dates, et la majeure partie de la question identitaire dont nous parlons est complexifiée par l'ajout de définitions juridiques par le gouvernement fédéral. Dans un document que vous avez mentionné se trouvait une femme mariée du nom de Mary Favell. Elle aurait été considérée comme une Indienne dans le Registre des Indiens, mais celui-ci n'existait pas encore, n'est-ce pas.
M. Ranville : Tout à fait.
Le sénateur Dyck : Quand le gouvernement fédéral a-t-il créé le Registre des Indiens?
M. Ranville : Elle a épousé un Anglais ou un Écossais du nom de Favell; les Indiens n'avaient pas de nom de famille et étaient identifiés par les Cris, les Ojibwa et les Pieds-Noirs. Les Indiens ont commencé à avoir des noms de famille qu'après l'implantation du baptême, époque à partir de laquelle on a pu commencer à identifier les Premières nations et les Indiens grâce aux registres de baptême et de mariage. Les registres de mariage selon les coutumes du pays, c'est-à- dire des mariages célébrés sans prêtre, permettaient aussi de les identifier.
Le sénateur Dyck : Très bien. Le Registre des Indiens a seulement été créé avec la Loi sur les Indiens?
M. Ranville : Très juste.
Le sénateur Dyck : En 1876.
M. Ranville : Oui.
Le sénateur Dyck : Alors, personne avant cette date n'était considéré comme étant Indien au sens juridique?
M. Ranville : Tout à fait, oui.
Le sénateur Dyck : Vous avez aussi fait la distinction entre la race anglaise et la race écossaise. Mes notions d'histoire sont probablement très lacunaires, mais je crois comprendre que les enfants nés de mariage entre Anglais et tribus indiennes étaient assimilés à la culture anglaise et vivaient dans le fort. Du côté des Écossais, il y a eu création de... Ils s'intégraient davantage dans les communautés et c'est probablement ce qui a entraîné la majorité de la culture métisse.
M. Ranville : Et aussi les Français ou les voyageurs, qui étaient venus ici pour le commerce de la fourrure. Certains étaient envoyés ici pour coloniser le territoire, mais le commerce de la fourrure était extrêmement lucratif. Comme les colons étaient déjà ici de toute façon et qu'il fallait prévoir des mois pour rentrer à la maison, ils ne sont pas retournés en France, se sont mis au commerce de la fourrure et ont fait fortune.
Le sénateur Dyck : Y avait-il aussi des Anglais qui sont devenus Métis?
M. Ranville : Oh, oui, tout à fait. Puis plus tard, il y en a eu d'Europe et de l'Europe de l'Est. Je ne suis pas capable de prononcer le nom de certaines de ces personnes qui sont devenues métisses parce qu'elles se sont mariées dans la communauté métisse.
Le sénateur Dyck : Après la situation de 1885 entourant Riel — je ne sais pas quel est le bon terme à employer pour ce phénomène —, il y a eu une migration, soit le départ des régions de la rivière Rouge d'origine. Ce phénomène comprend aussi des régions de la Saskatchewan et de l'Assiniboine?
M. Ranville : Oui.
Le sénateur Dyck : On parle ici de migration vers les limites des réserves, de réserves pour chemins, de certains des peuplements de Métis que vous avez mentionnés, et cetera.
M. Ranville : Les mariages ont entraîné la formation de petites communautés métisses près des réserves des Premières nations. La plupart de ces mariages se nouaient avec des gens de la réserve. Nombre d'entre eux vivaient à St. Peters où on a découvert que des Métis vivaient sans être régis par les traités. Ils ne jouissaient donc d'aucun avantage et voyaient les Indiens se doter de nouveaux traités chaque année, ce qui permettait à ces derniers d'exercer leurs droits.
Le sénateur Dyck : C'est intéressant parce ce sujet me fascine en partie en raison des complexités juridiques. Grâce à mon arbre généalogique que j'ai consulté au cours des dernières années, j'ai découvert que le premier médecin métis du Manitoba était en fait le fils ou le petit-fils de mon arrière-arrière-arrière — ajouter autant d'arrières que vous voudrez — grand-père qui était un Écossais du nom de McNabb. Mon arbre généalogique comprend donc des Métis et des Premières nations.
M. Ranville : C'est possible parce que les Métis qui ont épousé des Premières nations étaient régis par des traités. Le père aurait donc pu être Métis. Je crois que l'abrogation de la Loi sur les Indiens va un jour entraîner, comme M. Chartrand l'a mentionné, l'apparition de Premières nations ou plutôt de personnes régies par les traités portant des noms comme McNabb, Sutherland et d'autres qui nous viennent du passé, mais qui ont choisi d'être régis par des traités dans le passé. Quand la Loi sur les Indiens sera abrogée, de nombreux membres des Premières nations vont se retourner vers le côté métis de leur famille. Je l'ai dit parce que de plus en plus de personnes sont limitées par la Loi sur les Indiens, et la communauté métisse croît. Je suis témoin de sa croissance. Par exemple, les Métis sont identifiés dans certains services dont M. Chartrand nous a parlé. L'identification des Métis va se compliquer quand ils abandonneront leur statut régi par les traités, ou quand celui-ci leur sera retiré, puisqu'ils savent qu'une partie de leurs proches sont Métis. La majorité d'entre eux s'adapteront à la nouvelle situation.
Le président : J'ai une dernière question pour Mme Sanderson. Parlez-vous métchif?
Mme Sanderson : Je le comprends. Je peux comprendre une conversation en métchif. Mais quand j'étais petite et quand nous avons commencé à fréquenter l'école, mon père parlait la langue ojibwa. Laissez-moi vous expliquer. Mon père parlait l'ojibwa mais ne nous l'a jamais appris parce qu'il croyait que cela nous nuirait à l'école anglophone. Quand j'étais petite, tout le monde autour de moi parlait métchif. Je ne le parle pas très bien, mais je le comprends. Si j'entends du métchif, je le comprends.
Le président : Avez-vous grandi à Shoal Lake?
Mme Sanderson : Oui, au nord de Shoal Lake, au Manitoba.
Le président : Très bien. Je remercie chacun d'entre vous et vous invite à poursuivre votre beau travail. Continuer à alimenter la fierté.
M. Ranville : C'est un beau travail.
Le président : Vous avez une mission.
M. Ranville : Et je me fais payer pour l'accomplir.
Le président : Encore une fois, monsieur Ranville et madame Sanderson, merci.
J'ai du travail qui concerne le Sénat qui m'attend. Par rapport à la procédure, j'aimerais vous dire que des sénateurs vont se joindre à nous et d'autres vont nous quitter un peu plus tard lors de ce voyage, et nous ne voudrions pas être dans l'incapacité d'avoir une réunion à cause d'un retard de voyage. J'aimerais proposer que nous adoptions une motion à l'effet que, si le président et le vice-président sont dans l'incapacité d'assister à une réunion les 26 et 28 septembre et le 1er octobre, tout sénateur puisse présider la réunion. Nous devrions adopter cette motion. Qui veut la proposer. Le sénateur Sibbeston, appuyé par le sénateur Dyck.
Sommes-nous tous en faveur? Quelqu'un s'y oppose-t-il?
C'est réglé, merci. Je l'apprécie.
Chers collègues, nous allons maintenant entendre notre prochain témoin. Il s'agit de Paul Chartrand, professeur de droit à la retraite. Je vous rappelle que nous devons respecter notre horaire, puisque nous avons des réunions à St- Laurent, au Manitoba, cet après-midi. Je vais donc demander aux sénateurs de poser des questions précises. Nous allons essayer de ne pas nous écarter du sujet dans la mesure du possible, c'est-à-dire notre ordre de renvoi.
Cela dit, monsieur Chartrand, êtes-vous prêt?
Paul Chartrand, professeur de droit à la retraite, à titre personnel : Merci. Le comité m'a invité à comparaître en tant qu'expert. Je remercie le comité de cette invitation, que je suis heureux d'accepter.
[Français]
Moi, je suis un Mitchif de St-Laurent, c'est pas trop loin d'ici, vous allez visiter là après-midi.
[Traduction]
C'est un endroit bien sûr intéressant. J'y vis depuis ma retraite. Je vous souhaite d'en faire une visite agréable.
[Français]
Je ne vais pas parler comme les Mitchifs de St-Laurent parce que peut-être bien on va avoir de la misère pour les traducteurs.
[Traduction]
Je vais faire mon exposé en anglais. J'ai grandi dans une famille qui parlait un français archaïque, un français qui remontait, je suppose, à l'époque du commerce de la fourrure. Des éléments de ce français se retrouvent dans bon nombre de langues des Premières nations de l'Ouest et du Nord-Ouest du Canada et de l'Amérique du Nord.
Permettez-moi d'abord de vous présenter mes titres de compétence afin que vous puissiez pondérer le témoignage que je peux vous offrir aujourd'hui. J'ai travaillé comme spécialiste du droit et des politiques applicables aux peuples indigènes pendant plusieurs décennies; j'ai pris ma retraite en 2009. J'ai publié quelque 60 ouvrages sur divers sujets. De 15 à 20 d'entre eux portent expressément sur les questions relatives aux Métis, dont deux livres et une brochure sur l'hymne national, qui a été composée ici même au début des années 1800, de même que de la musique, je vous le signale. J'ai, entre autres, publié un livre intitulé Who Are Canada's Aboriginal Peoples, qui devrait être une lecture obligatoire pour tous ceux qui s'intéressent au sujet qui fait l'objet de votre mandat, c'est-à-dire la reconnaissance d'un peuple autochtone. J'ai aussi publié un ouvrage sur l'article 31 de la Loi sur le Manitoba, l'affaire des terres métisses.
Je vis maintenant sur le lot no 2, ce même lot no 2 qu'avait reçu mon arrière-arrière-grand-père. Vous savez peut-être qu'il y a des lots riverains le long du lac Manitoba. C'est le seul endroit, outre le long de la rivière Rouge et de la rivière Assiniboine, où des lots riverains ont été établis sur le territoire ancestral.
Je ne vais pas beaucoup vous parler de l'histoire des Métis, même si je l'ai enseignée. Je voudrais vous présenter cinq arguments. Puisque le temps est limité et que ce sont des questions très complexes, permettez-moi d'insister sur le fait que votre tâche est d'une grande complexité, du point de vue sociologique, mais aussi du point de vue constitutionnel, juridique et politique. Ce sujet a des caractéristiques particulières qui le rendent bien difficile, et c'est donc avec beaucoup de réflexion que vous pourrez en arriver à vos conclusions et à vos recommandations. Je vous offre mon témoignage avec le plus grand respect pour tous ceux qui vous ont offert des avis différents, j'en suis sûr.
Mon premier argument est le suivant : Il serait très dangereux de ne se fonder que sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Powley pour se guider sur les mesures à prendre pour reconnaître le peuple métis. Du point de vue strictement juridique, il convient de noter que l'arrêt Powley ne porte que sur les droits des deux personnes qui faisaient l'objet de l'affaire. C'est un principe de base que vous comprendrez. Vous n'aimeriez pas vous non plus, j'en suis sûr, qu'un tribunal décide en votre absence de votre droit d'avoir un passeport ou d'être propriétaire de votre domicile. Le peuple métis n'était pas représenté dans cette affaire et, par conséquent, techniquement, les seuls droits qui ont fait l'objet de l'arrêt étaient les droits de ces deux personnes.
Je dirais que la voie de l'avenir pour la reconnaissance du peuple métis consiste à s'assurer que la tâche principale n'est pas réalisée par des fonctionnaires judiciaires nommés et non élus, mais plutôt au moyen de négociations de bonne foi entre intervenants politiques, représentants du peuple métis et représentants du gouvernement.
Il est inhabituel — et c'est le moins qu'on puisse dire — que les tribunaux jouent un rôle de reconnaissance politique d'une société distincte. Il suffit de regarder ce qui se passe au Québec pour comprendre la fonction des tribunaux en ce qui a trait aux questions de reconnaissance politique. Le processus qui devrait être entamé consiste à promouvoir la reconnaissance des communautés métisses.
L'une des difficultés associées à l'arrêt Powley, ainsi qu'à la confusion qui règne pour ce qui est de la définition des membres au sein de diverses organisations, c'est que l'on cible l'individu. La responsabilité qui nous incombe ici est de traiter de la reconnaissance pratique d'un peuple reconnu par la Constitution. La Cour suprême a établi que ces droits étaient collectifs. Il s'agit des droits de communautés; il s'agit de droits de groupes. Je n'ai aucun droit en tant que Métis. Aucun membre des Premières nations n'a de droits en vertu de ses antécédents personnels. Par conséquent, il est illogique de tenir compte des antécédents personnels de quelqu'un pour déterminer des droits collectifs.
Ce qu'il faut faire, c'est d'examiner les antécédents de la communauté elle-même, ce qui revient à identifier des communautés. Je serais très surpris du fait que l'on en oublie certaines, car l'existence de communautés, de communautés politiques et de cultures distinctes, et cetera, est notoire. Les gens ne se cachent pas ou, comme le juge l'a énoncé dans l'affaire Powley, les gens existent, mais sont invisibles. C'est le genre de tour de magie judiciaire qui doit être fait pour — lorsque l'on s'engage dans la mauvaise direction en ciblant l'individu. Il ne faut pas cibler l'individu. Trouver les communautés métisses. Lorsque l'on procède ainsi, on va dans la bonne direction, ce qui permet de savoir qui devrait participer au processus de définition des Métis. C'est la communauté. Qui en fait partie? Ce n'est pas aux juges d'en décider.
C'est une situation unique et inacceptable que de voir des gens demander aux tribunaux de leur dire qui ils sont. Les tribunaux ont défini un critère juridique, le critère Powley, pour déterminer qui sont les Métis. Malgré tout le respect que je leur dois, cela est illogique. Cela doit être fait politiquement. Ce sont des actions politiques qui ont entraîné la création du Manitoba; c'est aussi par les actions politiques de Riel et d'autres personnalités historiques bien connues que les Métis ont été reconnus par la Constitution du Canada.
Beaucoup de gens disent que les Métis ont été reconnus la première fois dans la Constitution en 1982; il faut leur dire de retourner à leurs livres d'histoire. Cela a été le cas la première fois en 1870 à l'article 31 de la Loi sur le Manitoba. Ce sont donc des actions politiques qui ont entraîné une reconnaissance historique et ce sont des actions politiques qui devraient promouvoir la reconnaissance des Métis de nos jours. Il faudrait que le processus soit comme suit : il faudrait que les représentants des Métis et du gouvernement fédéral se rassemblent et s'entendent sur la définition de ces communautés. Ensuite, il convient de négocier des droits précis.
Nous avons participé, et j'ai participé à des conférences nationales sur la réforme constitutionnelle autochtone dans le cadre desquelles nous avons tenté d'aborder ces questions, à savoir, les droits des peuples métis et autres, une tâche très difficile. J'ai aussi été membre de la Commission royale sur les peuples autochtones et nous avons formulé des recommandations concernant un grand nombre des questions auxquelles vous vous heurtez, et j'ai aussi été commissaire agissant à titre de conseiller auprès du gouvernement du Manitoba en matière de questions autochtones, il y a environ 12 ans.
Il y a beaucoup d'éléments dans ces rapports en particulier pour aider les sénateurs intéressés à essayer de voir comment ça devrait être fait, mais il est essentiel que vous ayez la reconnaissance de la communauté. Je dirais même que votre travail fait partie d'un projet plus large qui vise à rendre efficace la reconnaissance constitutionnelle de l'article 35 de la loi de 1982. Vous aurez besoin de la loi, mais d'abord ce qu'il faut faire c'est traiter avec les représentants des communautés et s'entendre sur l'identité de ces communautés, leurs droits, et organiser ensuite un référendum avec tous ces gens — c'est comme ça que les choses se font habituellement — et voir si les gens acceptent cela. Vous trouvez une façon. Vous ne levez pas les yeux au ciel en attendant que l'inspiration vous tombe dessus comme une manne tombée du ciel et on ne va pas non plus poser la question aux juges. Vous trouvez une façon; vous négociez. Une fois que c'est fait, vous verrez si ça plaît aux gens; vous organisez un référendum dans vos communautés. Si cela plaît aux gens, vous concluez ces ententes et vous adoptez une loi. Cela ne sert à rien d'adopter une loi quand on fait face à un gouvernement qui manque de volonté; un gouvernement réticent qui essaye d'agir à cause de la jurisprudence — cela ne fonctionne pas très bien. Je n'ai pas besoin de vous donner les détails; j'imagine qu'un grand nombre de témoins vous en ont parlé. La meilleure façon est d'essayer de s'entendre.
La commission royale a recommandé que la reconnaissance ultime soit approuvée par le cabinet fédéral et donc les politiciens ont un grand rôle à jouer là-dedans. Je sais que certains détracteurs nous diront... ils nous diront que tout cela est bien beau, mais que le peuple métis a très peu d'influence politique pour entamer des négociations sérieuses. Ma réponse à cela est la suivante : en l'occurrence il est possible d'avoir un accès plus sophistiqué à l'aide judiciaire. La situation du Québec, le cas de référence des droits linguistiques au Manitoba et d'autres cas nous fournissent des arguments sur les rôles des tribunaux qui demandent aux partis du gouvernement de venir à la table pour négocier en toute bonne foi. J'ai développé certains de ces arguments. Ils ont été publiés. Il s'agit là d'un moyen d'aller de l'avant, à mon humble avis.
L'autre point qui est extrêmement important; la reconnaissance du peuple métis doit suivre le processus de reconnaissance de tous les peuples autochtones visés par l'article 35, les Inuits, les Indiens et le peuple métis. La justice l'exige. Le principe sous-jacent à cela est que personne ne devrait être induit, personne ne devrait se faire offrir des incitatifs par le gouvernement pour préférer être identifié en tant qu'Indien ou Métis, ce qui est le cas de nos jours.
Soit dit en passant, la Loi sur les Indiens est inconstitutionnelle à certains égards, car elle ne respecte pas le grand principe du droit constitutionnel de ce pays, à savoir que les gens sont libres de s'associer à qui ils veulent. Nous avons enlevé la clause de retrait en 1985, ce qui était une maladresse constitutionnelle. Cela doit être fait en même temps et vous trouverez le nombre de Métis probablement diminué, car je sais que bien des gens veulent vraiment une reconnaissance officielle. Et certains d'entre eux préféreraient être des Indiens reconnus. Cela s'est déjà vu.
Je crois que j'ai énoncé pêle-mêle les cinq points que, selon mes notes, je voulais soulever. Je suis désolé de ne pas vous avoir fourni une petite liste abrégée. J'ai appris récemment que vous acceptiez les mémoires écrits et je vais voir si je suis capable de vous fournir un document écrit à temps, car, comme je l'ai souligné, il s'agit là de questions de la plus haute complexité. J'ai dû indiquer à votre personnel que sur votre site web vous dites que les Métis, selon votre usage, sont des Autochtones aux fins de l'article 35.2 et je leur ai dit que ce n'était pas tout à fait cela. La reconnaissance des Métis au paragraphe (2) s'applique à l'ensemble de l'article 35, à savoir aux fins de la reconnaissance des droits, et qu'il fallait donc enlever ce paragraphe (2).
Cela montre bien que votre tâche est très difficile, et il me fera plaisir d'aider en répondant à des questions ou quoi que ce soit; je suis à votre disposition. Merci.
Le président : Merci, monsieur. J'ai aussi vu ce point 2, mais honnêtement, je n'avais pas vos connaissances professionnelles pour déterminer pourquoi il se trouvait là. Je l'ai lu dans les documents d'information quand j'ai pris l'avion à Vancouver hier soir.
Le sénateur Sibbeston : Ma question est simplement la suivante : pensez-vous que malgré le fait que l'affaire Powley présente des critères pour les Métis, l'approche que vous suggérez est toujours possible? C'est-à-dire que la question de l'identification des Métis soit réglée par un accord entre le gouvernement fédéral et les Métis. À quel point pensez-vous que l'affaire Powley limite ce qu'on devrait faire?
M. P. Chartrand : Le problème, c'est que ça ne regarde pas la cour en premier lieu. En termes simples, à mon avis respectueux, le fait que quelque chose se retrouve dans le texte de la Constitution ne veut pas dire que les juges devraient trancher sur tout ce qui s'y rapporte. En 1982, des changements fondamentaux ont été apportés à notre Constitution. Nous avions une Constitution plus comme celle de la Grande-Bretagne et nous nous sommes rapprochés du modèle américain de constitution.
Le président : Le premier ministre Trudeau vient de se retourner dans sa tombe.
M. P. Chartrand : Pardon? J'entends très mal.
Le président : Le premier ministre Trudeau s'est retourné dans sa tombe quand vous avez dit cela.
M. P. Chartrand : Bien, peu importe, c'est ce qui s'est passé en ce qui a trait à... et la question pertinente ici est celle de la compétence d'attribution ou de la justiciabilité des questions, des enjeux. Aux États-Unis, il y a la notion du domaine politique. Les tribunaux refusent de trancher certaines questions, en disant que ce n'est pas de leur ressort, que ça relève du gouvernement exécutif, c'est le domaine politique. Cela n'existe pas dans ce pays, mais en raison des changements, en raison du nouveau rôle des tribunaux, nous devons développer quelque chose comme ça. Donc, ma conclusion est que... ce que j'essaie de dire...
Le président : Si vous voulez utiliser une oreillette, elle fonctionne vraiment.
M. P. Chartrand : Ce que je veux dire, c'est que ça ne devrait pas appartenir aux tribunaux de trancher ce genre de questions. C'est la communauté, les politiciens qui devraient le faire. C'est un principe fondamental que cela a toujours été fait par l'exécutif. En fin de compte, ça doit être fait par l'exécutif. Pensez à comment fonctionnerait un système de reconnaissance qui demande au gouvernement de prendre une mesure particulière si l'exécutif doit participer au projet contre son gré. Il est nettement préférable de négocier quelque chose de raisonnable.
Le sénateur Dyck : Monsieur Chartrand, vous avez mentionné qu'on devrait faire la promotion de la reconnaissance des communautés métisses et avoir ça comme point de départ plutôt que de se fier aux définitions juridiques. À votre avis, est-ce qu'il existe une reconnaissance de ce qu'on pourrait considérer des communautés métisses historiques? Est- ce qu'on a une liste, ou comment est-ce qu'on décide quelles sont les communautés métisses? Qui devrait faire cette distinction? Puisqu'il semble y avoir une certaine confusion quant à savoir qui est métis? Comment décide-t-on quelles communautés sont des communautés métisses?
M. P. Chartrand : J'ai proposé une réponse dans ma déclaration préliminaire. Les questions aussi importantes que l'existence d'une communauté politique distincte sont des questions de notoriété. Ce sont des faits connus. Les gens peuvent le confirmer puisqu'ils ont vécu cette vie et les voisins le savent, tout le monde le sait; ce sont des questions de réputation. Les gens le savent. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que les avocats ont un peu rendu un mauvais service au pays en accordant trop d'importance à la signification de la loi, et je pense qu'on constate certaines des implications ici, et je devrais dire en disant cela que je suis un diplômé de facultés de droit en Australie et au Canada.
Cependant, comme je l'ai déjà dit, vous devriez le faire en même temps que vous reconnaissez le peuple indien puisqu'il y a beaucoup de gens qui ont l'impression d'être dans un vide juridique. Ils se considèrent comme Indiens non inscrits. C'est simplement ce qu'on appelle des Indiens non reconnus aux États-Unis. Le gouvernement ne les reconnaît tout simplement pas pour toutes sortes de raisons historiques. Vous pouvez lire tous les détails sordides dans mon livre, Canada's Aboriginal Peoples, si vous voulez. Mais ça doit se faire en même temps. Je serais très surpris, madame le sénateur, si des gens sortaient de nulle part et disaient, oh, nous sommes une communauté métisse, mais personne n'en avait jamais entendu parler. Je pense que c'est quelque chose qui effectivement se passe maintenant puisqu'on se concentre sur l'individualisme. On ne devrait pas commencer par prêter attention aux individus, on devrait prêter attention aux communautés et tout faire en même temps pour que les gens soient libres de s'identifier comme ils le veulent.
En fin de compte, ce ne sont pas les étiquettes qui comptent; c'est la question de savoir si les gens sont vraiment autochtones. En fait, c'est erroné de croire qu'il devrait avoir une différence substantielle entre les trois groupes. Je ferai remarquer respectueusement que les avocats et les tribunaux se sont trompés quand ils ont développé différents tests pour prouver les droits métis. Je ne pense pas que la Constitution contient ce genre de mandat, et les mêmes tests devraient s'appliquer à tout le monde.
Le sénateur Dyck : Je ne comprends toujours pas tout à fait le critère juridique présenté dans l'affaire Powley en ce qui a trait à qui est une personne métisse en comparaison avec la définition qu'utilise le Ralliement national des Métis. Est-ce qu'ils sont pareils ou y a-t-il des différences? Il y a une ressemblance, mais il se peut qu'il y ait une différence.
M. P. Chartrand : La réponse très courte est que j'ai une analyse complète de cela dans le chapitre 2 d'un livre publié par Irwin Law en 2009, donc comme ça, comme je l'ai dit, ce sont des questions difficiles d'une grande complexité. Je les ai analysées et publiées, donc une réponse complète à votre question est disponible dans ce chapitre. Melanie Mallet et quelqu'un d'autre sont les éditeurs, mais j'ai un chapitre qui traite précisément de cette question. Ils sont différents, et pour que ce soit bref je vais m'en tenir à ça, ou je pourrais vous expliquer davantage, mais ici on n'a pas le temps d'entrer dans les détails compréhensibles de questions d'une telle complexité. J'ai essayé d'identifier le problème principal, et c'est qu'on mise sur l'individu, c'est la première erreur. Il faut traiter avec les communautés. Ensuite, la communauté décide qui en fait partie. Pensez-y. Quelles sont les valeurs humaines profondes qui suggèrent qu'on ne devrait pas prêter beaucoup d'attention à ce que pense la communauté quand les gens se présentent, parce que si on traite avec des Métis on va traiter avec des gens moyens et si on leur pose des questions sur des critères juridiques, qu'est-ce qu'ils vont faire avec ça? Mais si on leur demande qui fait partie de la communauté, est-ce qu'il est un des vôtres? Les gens comprennent ça.
Le sénateur Dyck : Si on va dans une communauté métisse et demande aux gens, à qui est-ce qu'on demande? Est-ce qu'on pose la question à une forme de gouvernance au sein de cette communauté particulière? Qui sera capable de...
M. P. Chartrand : De nombreuses personnes — je suis certain qu'il n'y aura pas une pénurie — vont se présenter en disant qu'elles représentent le peuple. Vous pouvez les entendre; vous pouvez les entendre toutes. Mais avant que le gouvernement adopte des mesures formelles, il faut tenir un référendum. Dans une démocratie, c'est comme ça qu'il faut procéder. Il est néanmoins utile et efficace de négocier et discuter au début avec ces représentants et ensuite annoncer qu'il y a un plan.
En ce qui concerne l'enjeu de la gouvernance, ce n'est pas à moi de décider ce que veulent exactement les Métis. Que le peuple décide de ses intérêts particuliers qui devraient fait l'objet d'une loi adoptée par le fédéral et accompagnée, peut-être, par une loi au palier provincial aussi, mais tout cela doit se faire par l'entremise des négociations.
Le président : Pourriez-vous préciser davantage? Vous dites que les mêmes critères devraient s'appliquer aux trois groupes, mais lorsqu'on prend l'exemple des Inuits, on voit qu'ils se démarquent par leur communauté, leur langue et tout le reste. Mais lorsqu'il s'agit des Métis, et des gens qu'on appelle des Indiens, eh bien, il y en a beaucoup qui portent des noms comme Sutherland, Chartrand et autres. Comment appliquer les mêmes critères? Pourriez-vous préciser brièvement ce qu'il faut faire?
M. P. Chartrand : Oui. En résumé, le grand défi pour ceux qui s'intéressent à la question, c'est toujours la détermination de la date pertinente pour prouver l'existence de la communauté, c'est-à-dire la communauté historique. Dans l'affaire Powley, on stipule que nous ne pouvons pas nous servir des mêmes critères appliqués aux Indiens, car le peuple indien est ici depuis des temps immémoriaux. Les Métis n'ont pas vu le jour à un moment précis et ils existent maintenant. Alors quelle est la date où tout a commencé? C'est sans doute cette date précise qui constitue le plus grand défi auquel le tribunal a dû faire face. Alors, le tribunal a décidé de changer la date — il a changé la date pour une qui est meilleure. En se rendant compte de l'émergence plus récente du peuple métis, le tribunal a élaboré de nouveaux critères et, par la suite, a fixé une nouvelle date.
Les meilleurs principes constitutionnels de l'Empire britannique qui s'appliquent dans ce cas, ainsi que les principes contemporains du droit constitutionnel canadien mènent à de nouveaux critères généraux pour tous les peuples autochtones, un critère qui se rapproche davantage à l'affaire Powley qu`à toute autre décision, et qui dit que, grosso modo, le peuple autochtone est un peuple qui existait comme une société organisée distincte au moment où la Couronne, le gouvernement, a établi son autorité politique. Il faut préciser ce concept davantage, mais il est unique en son genre, jusqu'à maintenant nous n'avons jamais fait face à ce genre de situations. Il existe, par conséquent, une autorité judiciaire qui soutient la proposition que cette date serait celle où la justice de la reine était accessible à tous, au moment où un système efficace de tribunaux est établi dans le territoire.
Je crois, monsieur le président, que ce sont grands enjeux — cette distinction qu'a faite le tribunal. Se pencher sur quelques obiter dictum de la décision Van der Peet, c'était une erreur. La décision du tribunal dans l'affaire Van der Peet, n'aurait jamais dû avoir la prépondérance que lui a été accordée par la décision Powley et d'autres.
Le président : D'après vous, est-ce que 1763, la date de la Proclamation royale, constitue une date importante?
M. P. Chartrand : Pas particulièrement, non, puisque la question d'un contrôle efficace doit être axée sur le contrôle politique plutôt que sur des déclarations de souveraineté qui ne veulent vraiment rien dire en pratique. Vous savez que les déclarations de pouvoir des autorités impériales en 1763 n'ont aucune conséquence pratique sur ce qui se passe aujourd'hui. Là où il y a des peuples historiques qui font des revendications, il faut décider que c'est bien un peuple historique et donc il faut faire cela au niveau régional. C'est essentiellement le principe qui émerge actuellement des tribunaux sur la question des droits autochtones.
C'est complexe. Je vous dirai avec respect que cela a créé des difficultés. Les juges, les juges plus âgés en particulier n'ont pas fait attention à cette question lorsqu'ils ont fait des études de droit, donc il y a très peu qui se fait à la faculté de droit pour préparer les avocats et les juges qui entreprennent ce travail.
Encore une fois, ma recommandation serait de procéder au niveau politique et de s'assurer que tout ce que l'on fait est légitimisé par des référendums communautaires. Il faut s'assurer qu'en fin de compte que ce l'on a négocié convient à la communauté, que c'est une résolution juste de la question, et que c'est entériné dans la loi, que ça a l'approbation du Parlement et que ce soit rendu efficace par cette loi.
Le sénateur Raine : J'apprécie votre grande connaissance de cette question me sentant moi-même très peu au courant de la situation, mais je reviens toujours à l'exemple de l'œuf et de la poule. Lorsque vous parlez d'une communauté, il faut que nous soyons très prudents de ne pas penser à un petit village précis. J'imagine que vous parlez dans ce contexte de la communauté des Métis en général. Ensuite, on parle de ne pas se préoccuper des droits individuels, mais il me semble nécessaire de valider d'une façon ou d'une outre l'appartenance à la communauté. Parce que la communauté, surtout dans le cas du peuple métis ne se retrouve pas nécessairement dans un endroit en particulier. Il y a des gens ici et là qui sont Métis. Ne croyez-vous pas que l'utilisation de la généalogie pour déterminer l'appartenance à la communauté métisse serait une étape dans la définition du groupe collectif? Je comprends que vous devez... Je crois que ce que vous avez dit sur l'appartenance joue un très grand rôle ici.
M. P. Chartrand : Merci beaucoup pour votre question fort intéressante, madame le sénateur. Je vous reconnais en tant que Canadienne distinguée et, si je puis me le permettre, je dirais que je crois bien vous avoir vue à un tournoi de golf auquel participait ma fille il y a plusieurs années.
Le sénateur Raine : Je ne jouais pas au golf.
M. P. Chartrand : Vous étiez observatrice. C'était un tournoi national.
C'est une très bonne question. Permettez-moi de commencer par la fin de votre question, c'est-à-dire la généalogie. Un des problèmes quand on est axé sur la généalogie et que l'on étudie les antécédents d'une personne, c'est qu'il faut se souvenir que l'on s'intéresse aux droits individuels des antécédents personnels, la succession, l'héritage, mais on n'étudie pas les antécédents personnels quand il est question des droits collectifs, on étudie les antécédents de la communauté. Chaque personne dans la communauté ne doit pas nécessairement avoir des antécédents personnels pour retracer l'ancêtre. C'est une erreur fondamentale que font beaucoup de gens. Ensuite, certaines personnes sont exclues à cause de la généalogie. Ce n'est pas bon, c'est empreint d'un certain racisme britannique. Vous n'êtes pas sans savoir que l'idée des Métis et du métissage, et cetera, résulte des idées racistes quant à la supériorité raciale des Britanniques à l'apogée de l'Empire britannique du XIXe siècle.
Ces mots, « Sang-Mêlé », « Métis » et ainsi de suite, sont des mots qui s'appliquent plutôt à l'élevage des animaux. On ne devrait jamais appeler quelqu'un de ce nom. Quand j'étais jeune, c'était une vraie insulte que de me faire appeler un Sang-Mêlé. Je ne suis pas un mêlé. Je suis un homme qui mérite d'être respecté. Je ne suis pas meilleur que quiconque, et personne n'est meilleur que moi, comme on dit. C'est le problème avec la généalogie —, c'est comme si vous aviez une discussion à un souper de club social. On ne doit pas appeler les gens comme ça.
La généalogie humaine est très intéressante, comme on le voit à l'ordinateur. C'est vraiment, réellement intéressant et, évidemment, les gens s'intéressent à ce genre de chose, mais comme j'ai dit, ce serait terrible, un fait public terrible, que d'être traité de Sang-Mêlé, si cela touchait à la réputation d'une personne si elle habitait dans une communauté qui comptait beaucoup de Métis.
Le prochain point, et je serai très bref, touche l'autre aspect de votre question, d'après ce que j'ai compris. Qu'en est- il des droits? Les droits doivent être précis; c'est ce que les tribunaux ont stipulé. Je pourrais vraiment vous ennuyer en m'étendant longuement sur le sujet, et en tirant des comparaisons avec les droits des Canadiens français, mais je n'en ai pas le temps. Cela dit, dans certaines régions, une communauté métisse pourrait être très attachée à la terre; conséquemment, les droits pertinents pour cette communauté auront trait à l'utilisation des terres. Ailleurs, une communauté pourrait avoir d'autres intérêts. C'est un autre avantage à la négociation, soit le fait de s'arranger pour refléter les circonstances sociologiques, économiques et politiques réelles de chaque communauté individuelle.
Les tribunaux ne peuvent pas traiter de ce genre de chose. Les tribunaux ne sont pas aptes à rédiger un cadre global, un catalogue de tous les droits. Ils pourraient le faire au cours des 150 prochaines années, mais j'aimerais vous rappeler que vous, en tant que sénateurs, ainsi que le Parlement et les juges, avez une obligation constitutionnelle d'appliquer la Constitution. Tout ce que vous faites doit être conforme à la Constitution. Vous êtes donc obligés de faire ce que vous faites aujourd'hui, soit de concrétiser la reconnaissance du peuple métis en vertu de l'article 35.
Merci, c'était une très bonne question.
Le sénateur Raine : Mais cela nous mène à d'autres questions, car, et je pose la question encore une fois, qu'est-ce que la communauté métisse? De quoi est constitué le collectif? Comment définissez-vous le collectif?
M. P. Chartrand : Par sa notoriété et sa réputation historiques et contemporaines.
Le sénateur Raine : Il y a quelques mois, nous avons eu l'honneur de recevoir des représentants du peuple sami de la Norvège, et ce pays s'est entendu avec les Samis, donc avec le peuple sami, et ils ont abordé la question des droits de façon semblable. Le peuple sami a des droits très précis quant à la chasse au caribou, le déplacement des troupeaux caribous et la pêche dans certains endroits. Par contre, dans le reste du pays, leur identité est simplement basée sur la fierté qu'ils portent pour leur patrimoine et leur culture.
M. P. Chartrand : Oui, je connais assez bien la situation des Samis, grâce à mon travail auprès des Nations Unies, et j'ai eu l'honneur de conseiller le chef du Parlement sami et le chef de l'opposition, et j'ai voyagé à travers le territoire sami au gré des ans. Je ne recommanderais pas qu'on se serve des mêmes critères qu'ils ont utilisés pour faire reconnaître leurs droits à eux. Il y a des modèles intéressants à étudier, mais au bout du compte, un cas métchif doit demeurer un cas métchif; on ne peut pas tout simplement appliquer un modèle d'ailleurs. Mais je suis tout à fait d'accord avec vous quant à la pertinence d'étudier comment d'autres peuples indigènes dans d'autres pays ont pu faire valoir leurs droits, car cela pourrait nous guider dans la façon dont nous voudrons traiter les questions difficiles chez nous.
Le sénateur Raine : Merci beaucoup.
[Français]
Le président : La langue mitchif, ça nous donne un coup de main pour établir vraiment qui est mitchif?
M. Chartrand : D'établir, pardon...? Je suis pas mal sourd.
Le président : D'établir plus effectivement qui est mitchif?
M. Chartrand : Ah oui, certainement.
[Traduction]
Quand j'ai dit que vous pouvez reconnaître un peuple de par sa réputation et sa notoriété historiques et contemporaines, cela comprend la langue que vous parlez. Si la langue est une langue ancienne, dans ce cas-là, absolument, monsieur le président, ce serait un des marqueurs clés. Ma langue maternelle est dérivée de la langue française parlée par les commerçants de fourrure. Robert Papen, un linguiste de la Saskatchewan qui enseigne dans une université au Québec, a désigné cette langue de musée linguistique vivant lorsqu'il a écouté les cassettes audio de ma langue maternelle. J'ai toujours aimé m'entretenir avec les gens qui s'intéressent à ce genre de choses, car nous avons des expressions que vous Canadiens ne connaissez pas ou ne comprenez pas. La langue de ma région contient aussi quelques mots de la langue parlée par les Saulteaux, quelques mots de cri, mais elle est composée surtout du français archaïque et est caractérisée par une prononciation distincte, comme vous l'avez probablement remarqué, ainsi que le fait que la syntaxe en est touchée en conséquence.
Sénateurs, j'insiste sur le fait qu'il n'existe pas une seule langue métchif; il y a plusieurs langues métchifs. Certains membres de notre peuple parlent le cri, certains membres de notre peuple parlent la langue des Saulteaux, certains membres de notre peuple parlent français, certains membres de notre peuple parlent l'anglais, et certains parlent probablement toutes ces langues. De plus, il y a une grande variété de dialectes différents parmi les communautés. Certains des anciens livres écrits par des anthropologues contenaient des erreurs assez importantes à cet égard. Les anthropologues nous visitaient pendant quelques semaines et ensuite publiaient des livres sur des questions très générales, mais quand ces gens revenaient et observaient de plus près, ils tiraient des conclusions un peu plus précises, et même les linguistes reconnaissent cela. C'est une question très intéressante.
[Français]
J'aimerais bien parler davantage à propos de ça, mais, dommage, il n'y a pas trop de temps aujourd'hui.
[Traduction]
Le président : Merci.
Sénateur Dyck et sénateur Greene Raine, vous avez droit à des questions supplémentaires. Allez-y.
Le sénateur Dyck : Vous avez mentionné qu'il serait une bonne idée d'étudier ce qui se fait dans d'autres pays. Le sénateur Greene Raine a parlé des Samis. Existe-t-il une situation semblable ou même équivalente dans un autre pays à travers le monde? Est-ce qu'il y a eu des cas de mariages mixtes entre les colons et les peuples indigènes qui auraient créé une culture distincte ressemblant un peu à ce que nous avons ici au Canada?
M. P. Chartrand : C'est une excellente question, et ma réponse va refléter la complexité ou les défis de votre mandat. Le seul modèle qui a été décrit par les sociologues et qui contient des similitudes est le cas des Basters. Je crois que c'est un mot qui vient du néerlandais parlé en Afrique du Sud. D'abord, il faut insister sur le fait que les gens qui ont des parents provenant d'une culture ou d'une autre ne devraient pas voir leur identité classifiée d'après un peuple ou un autre. Ce n'est généralement pas le cas en ce qui concerne les gens qui ne sont pas dans cette situation, et à juste titre. Comme vous le savez, le code en vertu de la Loi sur les Indiens a permis à toutes sortes de Blancs d'obtenir le statut d'Indien inscrit aujourd'hui. C'est rapporté dans les journaux et ailleurs; ces gens disent qu'ils sont des Indiens de sang pur, qu'ils détiennent la carte d'Indien inscrit, mais ce sont des gens qui n'ont aucun ADN indigène provenant d'Indiens inscrits où qu'ils vivent dans le monde.
De façon générale, ce genre de reconnaissance est une chose relativement nouvelle dans certains pays, tels qu'en Australie, qui se compare peut-être le plus à nous, et également la Nouvelle-Zélande. Ces deux pays sont engagés dans un processus très semblable. Il reste quand même des distinctions importantes, mais il y a quand même beaucoup de similitudes. Les gens n'osent pas parler de Sang-Mêlé aux Maoris, surtout en Nouvelle-Zélande. Chacun s'identifie à sa façon en remontant dans sa propre filiation, ou dans ses propres origines. Tout cela fait partie de l'identité d'un peuple, mais on ne doit pas s'y prendre comme pour l'élevage des animaux.
Je ne crois pas que nous puissions apprendre à faire grand-chose de mieux ici au Canada. J'ai déjà dit que la situation canadienne est unique. La situation constitutionnelle est différente, et cela constitue un des grands dangers. Je sais que parfois les gens viennent des États-Unis et qu'ils offrent aux dirigeants des Premières nations des colloques ou quelque chose de ce genre. Cependant, ils se trompent sur certains sujets puisque la Constitution n'est pas la même. Je vous encourage fortement à songer au fait qu'ici nous devons trouver moyen de faire les choses à la canadienne, soit de façon à refléter les principes fondamentaux de notre Constitution.
Le sénateur Raine : Lorsque vous dites que les négociations devraient se dérouler au niveau politique, je suis bien d'accord. J'aimerais savoir cependant, qui négocierait au nom du peuple Métis?
M. P. Chartrand : Cette question devrait être décidée au cours du processus politique.
Le sénateur Raine : Selon vous, qui devrait le faire?
M. P. Chartrand : Pardon?
Le sénateur Raine : D'après votre expérience, si vous aviez une baguette magique et pouviez choisir le groupe ou l'individu, qui d'après vous devrait le faire?
M. P. Chartrand : Il s'agit d'une prérogative du cabinet, donc je ne prendrais pas la baguette du cabinet, mais si l'on parle du principe de la chose, la bonne approche serait, comme je l'ai indiqué dans mes propos tantôt, de parler à quiconque se présente. Vous n'avez rien à gagner en excluant les gens de processus politiques tels que celui-ci. Moi je ne rejetterais personne, je parlerais à tous et à chacun. Ultimement, vous êtes protégé en ayant recours à l'opinion des gens. Comme je l'ai dit plus tôt, après avoir négocié et discuté avec les gens, vous aurez une meilleure idée de qui est un représentant légitime. Vous ne faites rien d'officiel jusqu'à ce que vous ayez tenu un référendum, alors vous saurez que c'est légitime puisqu'il s'agit de la voix du peuple.
Le sénateur Raine : La deuxième partie de ma question serait donc la suivante : qui voterait dans ce référendum et comment pourriez-vous les identifier?
M. P. Chartrand : Ce processus devrait aussi être décidé au cours du processus de négociation initiale entre le gouvernement, lorsque vous effectuez le processus de reconnaissance, alors cela serait aussi à négocier. Comme je l'ai dit, toutes ces questions sont très complexes, très difficiles. Mais vous commencez, le gouvernement peut commencer, faire le premier pas, dire que nous voulons des représentants de certaines communautés. Vous commencez par aborder les gens qui sont là maintenant, vous leur parlez et vous établissez un catalogue de communauté, puis vous arrivez à une définition des personnes admissibles pour le référendum particulier.
Le sénateur Raine : Donc, au bout du compte, on revient à l'idée que vous votez à titre d'individu?
M. P. Chartrand : Je trouve cela beaucoup mieux que d'essayer de faire comparaître les gens devant un juge pour lui prouver cela d'une façon quelconque. Cette méthode est extrêmement coûteuse. Certains vont s'enrichir à travers ce processus, mais ça coûte très cher, ça vide la caisse publique et rien n'est réglé rapidement. Il ne faut pas s'engager dans cette voie.
Le sénateur Raine : Je suis tout à fait d'accord. Je vous remercie. J'apprécie énormément vos commentaires.
Le président : Il me reste une petite question. Chef Teillet, que vous connaissez sûrement qui vient d'une famille de Saint-Boniface, la famille Teillet, est avocate, et nous a présenté son témoignage. J'ai relu son témoignage deux fois, et elle nous a parlé du fait que la patrie, lorsque vous identifiez un groupe ils parlent généralement la même langue, et proviennent de la même région géographique. Prenons, par exemple, les Hollandais qui sont venus de la Hollande, donc d'une même région géographique, et parlent la même langue, on les appelle le peuple hollandais. Pour ce qui est des Métis, si j'ai bien interprété son témoignage, il existe ici une patrie qui a été établie par le gouvernement en vertu de la Loi sur le Manitoba de 1870; il y avait un langage commun; et c'est évident que la patrie telle que définie doit être reconnue comme la base identitaire des Métis. En d'autres mots, si vous ou vos ancêtres étiez de cette région, vous seriez considérés Métis. Pouvez-vous réagir rapidement à cela, monsieur Chartrand?
M. P. Chartrand : Oui, merci, sénateur. Ces facteurs sont raisonnables et peuvent s'avérer très utiles. Je dirais cependant qu'ils ne devraient pas être les seuls facteurs, mais on les retrouverait certainement sur n'importe quelle liste de facteurs importants. Cette question pose d'ailleurs un défi aux plus brillants universitaires du monde, ainsi qu'aux politiciens qui travaillent à travers les Nations Unies depuis de nombreuses années. D'ailleurs nous n'avons pas réussi à régler la question de la définition des peuples autochtones lorsque nous négocions la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les gens ne voulaient pas soulever cette question. Il n'existe pas de définition, ce qui vous donne une bonne idée de la difficulté du projet.
Je pourrais renvoyer votre personnel à une publication provenant d'une revue de droit asiatique qui, d'après moi, nous présente l'approche la plus intelligente et rationnelle envers la définition des peuples autochtones. Cela comprendrait certainement les facteurs que vous avez cités, monsieur le sénateur. Il faudrait donc étudier une liste de facteurs, de facteurs objectifs, mais il faut aussi considérer des facteurs subjectifs, ce que croient les gens, et cetera. Voilà pourquoi j'ai mentionné la réputation. Il serait très dangereux d'adopter une approche purement scientifique. Toutefois, d'après moi, la bonne approche serait, oui, d'examiner des questions telles le langage et le territoire, mais non pas de créer une liste exclusive, et non pas d'avoir une liste qui stipule qu'il faut répondre à tous ces critères, mais plutôt de s'inspirer du système international, qui dit, dans un certain sens, voici une liste de huit facteurs. De façon générale, un peuple manifestera plusieurs de ces facteurs particuliers, vous le verrez. Voilà ce que je peux vous offrir de mieux sous forme de réponse brève. Merci.
Le président : Je vous remercie, professeur, d'être venu témoigner. Nous devons maintenant nous rendre à St- Laurent, puisqu'il paraît qu'une personne très importante habite sur le lot numéro 2 à St-Laurent. Nous vous remercions de nouveau pour votre exposé ainsi que vos réponses directes à nos questions. Je comprends bien que ces enjeux sont complexes, et c'est pourquoi nous avons fait appel à vous. Si c'était simple, nous aurions demandé à quelqu'un d'autre de venir.
(La séance est levée.)