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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 29 - Témoignages du 5 décembre 2012


OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour examiner la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada, et en faire rapport.

Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui suivent le déroulement de cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur le Web. Je suis Vern White, de l'Ontario, président du comité.

Notre comité a été chargé d'examiner la législation et les questions concernant les peuples autochtones du Canada, de façon générale. Aujourd'hui, nous poursuivrons l'examen des questions touchant les Métis, particulièrement en ce qui a trait à la reconnaissance juridique et politique de l'identité collective et des droits des Métis du Canada.

Ce soir, nous entendrons les témoignages de deux groupes, le Canadian Métis Council — Intertribal et l'Eastern Woodland Métis Nation of Nova Scotia.

Avant de laisser la parole à nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont ici ce soir. Ce sont donc le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et la vice-présidente du comité, le sénateur Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique, le sénateur Jacques Demers, du Québec, et le sénateur Selma Ataullahjan, de l'Ontario. Le sénateur Asha Seth, de l'Ontario, sera de retour dans un instant.

Chers collègues, souhaitons donc la bienvenue à Tanya Dubé, secrétaire-trésorière et membre du conseil d'administration du Canadian Métis Council — Intertribal, et à Jerome Downey, agent de liaison auprès du gouvernement fédéral de la Eastern Woodland Métis Nation of Nova Scotia.

Nous sommes impatients d'entendre vos exposés. J'invite tant les témoins que les sénateurs à être brefs et précis dans leurs observations et leurs questions. La séance doit prendre fin dans exactement une heure, puisque plusieurs d'entre nous avons d'autres engagements.

Tanya Dubé, secrétaire-trésorière et membre du conseil, Canadian Métis Council — Intertribal : Je tiens tout d'abord à remercier le comité de nous avoir invités et de nous offrir cette occasion de parler des droits des Métis au Canada et de leur mise en oeuvre. Je suis Tanya Dubé et je représente le Canadian Métis Council — Intertribal. Je travaille auprès de cette organisation depuis la fin de 2008, et j'en suis membre depuis le début de 2008.

Notre organisation représente les Métis depuis plus de 15 ans. Le Canadian Métis Council a été créé en 1997 dans le but de contribuer à réaliser les aspirations économiques, politiques, spirituelles et culturelles des peuples métis du Canada. Notre organisation a été constituée en société à but non lucratif en 2009.

Avant 2009, le Canadian Métis Council — Intertribal regroupait plus de 50 conseils communautaires et organisations métisses affiliées répartis dans toutes les provinces du Canada. Depuis 2009, nous avons encore des représentants dans chaque province. De plus, des traités ont été conclus avec les organisations métisses des États-Unis. Nous comptons maintenant plus de 10 000 membres répartis partout au Canada et aux États-Unis.

Le Canadian Métis Council — Intertribal, qu'on désigne aussi sous l'acronyme CMC, est régi par un conseil d'administration. C'est un organisme sans but lucratif qui s'intéresse à toutes sortes de questions : les enjeux culturels, les droits de récolte, l'éducation, la santé, les jeunes, la justice et d'autres encore, qui touchent actuellement les peuples métis de l'Amérique du Nord. Le CMC est aussi dévoué à la promotion de la culture et de l'histoire métisses. Nous encourageons la participation de nos membres aux activités d'autres organisations politiques et culturelles.

Notre siège social est situé au Nouveau-Brunswick. Au Canada, la plupart de nos membres sont reconnus comme étant des Métis, et quelques-uns seulement ne sont pas ainsi reconnus. Ces Métis vivent au Québec, au Nouveau- Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Ces trois provinces ont déclaré qu'elles ne comptent pas de Métis reconnus et que ces derniers proviennent de l'Ouest du Canada. C'est faux, et l'arbre généalogique de la plupart de nos membres qui vivent dans ces trois provinces le démontre. Ce sont des descendants directs de membres des Premières nations et de membres de sociétés européennes.

D'après notre histoire orale de la déportation de 1755, quand les Britanniques ont vaincu les Français et les ont expulsés de l'Est du Canada, ils n'ont pas pris que les Français, mais aussi les femmes et les enfants autochtones, puisqu'il y avait des mariages croisés, et tous ceux qui étaient affiliés aux Français. Ceux qui ont pu fuir et se cacher ont pu préserver leur mode de vie. La plupart de nos ancêtres ont dû nier qu'ils étaient Autochtones, parce qu'ils craignaient encore d'être arrachés à leur foyer. La plupart déclaraient être issus d'autres origines, n'importe laquelle, sauf française et autochtone.

Quand le climat s'est apaisé et que les Français ont commencé à retourner dans les Maritimes, ils se sont remis à parler leurs langues. Plus tard, quand ils ont craint d'être reconnus comme étant Autochtones, ils ont déclaré être Français pour pouvoir garder leurs terres, leurs enfants et leurs emplois.

Jusqu'à maintenant, les Métis souffrent encore de discrimination. Même avant l'adoption du terme « Métis », on nous appelait coureurs des bois, bois-brûlé, voyageurs, demi-sang, sang-mêlé, et bien d'autres noms.

Dans la Loi constitutionnelle de 1982, au paragraphe 35(2), le gouvernement fédéral reconnaît les Métis du Canada, ce que se refusent à faire certains gouvernements provinciaux, pour des raisons qui leur sont propres. Ces provinces devraient se conformer à ces règlements.

En ce qui concerne les terres réservées aux Métis, nous n'avons pas cette possibilité au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse ou au Québec. Je sais que les terres de la Couronne ont été réservées aux peuples autochtones, mais actuellement, le Nouveau-Brunswick est en train de vendre du bois récolté sur les terres de la Couronne à des grandes compagnies comme Acadian Timber, Fraser et Irving, pour n'en nommer que quelques-unes. Vous savez ce que font ces compagnies aux terres qui sont en principe réservées aux peuples autochtones? Ils y font des coupes à blanc et y posent des affiches annonçant que ce sont des terres privées, où personne ne peut récolter du bois de chauffage ni cueillir des herbes médicinales traditionnelles parce que la plupart ont été écrasées par l'équipement lourd. Nous ne sommes même pas autorisés à chasser ou à pêcher au Nouveau-Brunswick sans acheter d'abord un permis, et encore, nous pouvons le faire seulement à des périodes et à des endroits bien précis.

Si nous voulons récolter du bois de chauffage sur les terres de la Couronne, on peut acheter un permis au bureau du gardien, qu'on appelle un permis de nettoyage routier. Pour l'acheter, il faut connaître le numéro de lot de la section visée de la terre de la Couronne et vérifier au bureau du gardien si le permis peut être octroyé pour cette section. Dans l'affirmative, il faut payer 25 $ pour le permis et on peut ramasser sept cordes de bois, mais seulement du bois qui a été laissé au sol. Il ne reste pas vraiment de bois de qualité. Ces compagnies gaspillent beaucoup de bois et prennent même les petits arbres; il ne reste pas un arbre debout quand elles repartent.

Qu'arrive-t-il aux animaux? Ils partent. Cela aussi pose un problème pour la chasse et le piégeage. Les Métis sont des trappeurs, des cueilleurs, des pêcheurs, des cultivateurs, des préservateurs et des gardiens des terres. Nous avons de nombreuses tâches à remplir, qui nous sont enseignées dès notre plus jeune âge, afin que nous préservions notre culture, que nous soyons fiers de nos ancêtres — les Européens, qu'ils soient Français, Anglais, Écossais ou Irlandais, et les Autochtones, qu'ils soient des Premières nations, Inuits ou Métis — et que nous transmettions cette identité à nos enfants, et qu'ils en soient fiers.

Certains de nos membres ont perdu leur langue, mais d'autres la préservent avec détermination. Au Nouveau- Brunswick, on parle un dialecte issu du français, appelé le brayon. C'est un mélange de français et de langues autochtones. Peu de Français d'autres régions en dehors du Nouveau-Brunswick peuvent comprendre le dialecte. Bien des aînés le parlent encore, mais aussi des jeunes. Au Québec, le français est très différent du nôtre. Au Nouveau- Brunswick, il y a trois dialectes issus de ce qu'on appelle le français : l'acadien, le brayon et le chiac. L'acadien est très répandu parmi les Acadiens, et le chiac l'est aussi, surtout dans le sud du Nouveau-Brunswick. Le brayon est en voie de disparition.

Notre langue métisse disparaît avec nos aînés et avec ceux à qui la langue a été enseignée. Le gouvernement ne reconnaît pas le brayon comme étant une langue métisse. Nos ancêtres ont dû changer de langue pour cacher leurs origines autochtones, alors ils ont créé une langue appelée le brayon, qui n'est ni tout à fait du français, ni tout à fait une langue autochtone. C'est une combinaison des deux. On la compare beaucoup à la langue michif, qui a beaucoup de mots en commun avec notre langue.

Nos membres préservent encore leur culture. Ceux à qui la langue n'a pas été enseignée sont déterminés à l'apprendre. Pour la plupart de nos membres, ils sont libres d'enfin pouvoir révéler leur identité au grand jour et d'être reconnus comme Métis. Notre culture est encore très dynamique de nos jours. Nous avons encore les trappeurs, qui posent des pièges pour récolter des fourrures et des aliments, et rien n'est perdu. Les trappeurs utilisent encore toute la carcasse de l'animal qu'ils piègent, comme les os, qui sont utilisés pour faire des bijoux, des décorations, et cetera. Encore aujourd'hui, nous cassons les os afin d'en utiliser la moelle pour ses qualités curatives.

Les peaux sont tannées pour en faire du cuir et des tambours. Elles sont tannées à la façon traditionnelle, c'est-à-dire qu'elles sont macérées dans de la cervelle, fumées et salées, puis, on enlève la fourrure. Notre méthode de chasse est l'égale du trappage. Nous ne voulons rien gaspiller, pas une once de l'animal que nous attrapons. Les sabots, les pattes, les griffes, tout est utilisé.

Quant à la pêche, nous ne pêchons pas pour gaspiller, mais pour nourrir les nôtres. Nous n'attrapons pas des poissons pour les relâcher aussitôt, parce que les trois quarts des poissons sont tellement blessés qu'au bout du compte, ils meurent, et pour nous, c'est du gaspillage. De fait, nous mangeons ce que nous attrapons.

Le bois est essentiel dans notre culture. Il nous sert à bâtir nos maisons, à chauffer nos foyers, à construire des meubles et des canots, de même qu'à préparer des produits médicinaux. La sève devient du sirop d'érable et des sirops médicinaux. Les Métis cultivent encore, à ce jour, les aliments traditionnels. Ils commencent au printemps, avec les premières pousses traditionnelles, c'est-à-dire les pissenlits, et ensuite les crosses de fougère, puis, les fraises, les bleuets, les framboises, les noix, la sauge, le foin d'odeur, les légumes des potagers, sans compter la pêche, la saison de la chasse et la préparation de produits médicinaux traditionnels. Chaque saison offre des produits à cultiver, parfois peu, parfois beaucoup. Il demeure important de préserver nos traditions et de les enseigner aux jeunes générations. Les mois d'hiver ne sont pas en reste. Il y a le piégeage, ce que nous faisons à l'aide de raquettes et de traîneaux à chiens.

Nous sommes autonomes. Nous ne comptons pas sur le financement du gouvernement pour survivre. Le créateur nous a munis de deux mains, de deux jambes et, il est à espérer, d'une bonne santé pour pouvoir faire tout cela pour les générations futures. Ce sont là pour elles des compétences fondamentales de survie.

Notre organisation s'efforce de préserver les cultures et les droits des Métis, mais le peu de financement et les règlements qui sont en vigueur rendent difficile la pratique de notre culture.

Dans nos règlements, nous stipulons l'obligation de préserver et d'enseigner à nos enfants les modes de vie de nos ancêtres, mais il est impossible de le faire encore de nos jours sans nous cacher. Si nous nous faisons prendre, nous sommes traduits devant les tribunaux et sommes passibles d'amendes, voire d'une peine d'emprisonnement, rien que parce que nous pratiquons notre culture. C'est injuste.

Nous avons écrit des lettres pour nous plaindre des règlements et de l'abus de nos droits en tant que Métis. Nous avons écrit à la Reine et envoyé des copies à Stephen Harper, à l'honorable David Johnston, aux Nations Unies, à David Alward et à Jean Charest. Nous n'avons reçu aucune réponse, à part de la Reine. Dans sa lettre, on nous dit que nous avons bien fait de communiquer avec les autres ministères, que c'est au gouverneur général de s'occuper de tout. Nos démarches n'ont pratiquement donné aucun résultat. À ce jour, nous n'avons encore reçu aucune réponse des divers ministères.

Nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion de parler devant les sénateurs au nom de nos membres. Nous espérons que vous comprendrez notre frustration devant l'inaction des ministères et le désir des Métis de l'Amérique du Nord de voir leurs droits respectés et reconnus comme étant égaux.

Jerome Downey, agent de liaison auprès du gouvernement fédéral, Eastern Woodland Métis Nation of Nova Scotia : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'offrir l'occasion d'être ici aujourd'hui. Je suis l'agent de liaison auprès du gouvernement fédéral de la Eastern Woodland Métis Nation. J'ai été nommé à ce poste, que j'occupe à titre intérimaire depuis maintenant sept mois. Je suis membre de la Eastern Woodland Métis Nation depuis trois ans. Au cours de cette période, un grand nombre de mes proches et de jeunes de la collectivité dont je suis originaire sont aussi devenus membres. La Eastern Woodland Métis Nation a été constituée en société en 2000, sous l'initiative de nos fondateurs, Gilbert, Mary Lou Parker et le chef Adrienne Speck. Nous comptons maintenant 11 000 membres, et notre effectif ne fait que grandir. Notre siège social est à Yarmouth, en Nouvelle-Écosse.

Ces six derniers mois, et avec ce qui s'est passé depuis que j'ai été chargé de représenter notre nation ici, à Ottawa, nous avons beaucoup appris sur nous-mêmes — sur la notion d'identité. Étant Néo-Écossais d'origine africaine, mes racines remontent à 1812, quand les Autochtones, les Néo-Écossais d'origine africaine et les Micmacs français se sont mêlés. Les divergences dans la perception de l'identité métisse sont la raison de notre présence ici, aujourd'hui. Je félicite le comité de s'être réuni aujourd'hui, pour en discuter.

La mission de la Eastern Woodland Métis Nation est de promouvoir et de préserver l'identité métisse et le patrimoine dans notre collectivité. Nous nous efforçons de promouvoir l'éducation, la formation, les occasions d'affaires, le leadership, la santé et la justice. Notre but est d'assurer notre viabilité économique et notre autonomie. Nos membres défendent nos valeurs en ce qui concerne le pouvoir ultime de la Eastern Woodland Métis Nation. Nous cherchons à obtenir un consensus parmi nos membres, ce qui est assuré par des structures organisationnelles qui tiennent compte des valeurs traditionnelles que nos ancêtres nous ont léguées, qui reposent sur la conviction que toute la communauté doit être représentée, et pas uniquement un groupe donné. Nous voulons nous réaliser pleinement, comme le recommande le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones.

Notre nation a pour objet de protéger les droits de tous les Métis et de tous les Autochtones non inscrits de la Nouvelle-Écosse. Nous nous sommes acquittés très bien de notre mandat depuis notre établissement en 2000, où notre organisation a été constituée en personne morale. En 2002, nous avons conclu un traité interprovincial avec les Métis de Port McNicoll, en Ontario, et en 2003, nous avons tenu une séance d'information pour les aînés sur la violence familiale, qui a été financée par le ministère de la Justice. En 2004, nous avons pu mettre en œuvre un programme de stratégie de guérison, encore une fois grâce au financement de Justice Canada.

Je tiens à remercier les sénateurs de s'être réunis aujourd'hui, et de nous avoir offert l'occasion de nous présenter. Nous avons eu beaucoup de mal à obtenir un consensus et à ouvrir un dialogue avec la Nouvelle-Écosse et le gouvernement fédéral. J'ai ici une lettre datée du 10 novembre 2004, dont vous recevrez copie. Elle résume en gros les principaux éléments de la situation. Elle dit ceci :

Il est très important d'obtenir une reconnaissance formelle, puisque selon des renseignements reçus et des communications publiées par l'Interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits, on prône le renforcement de la capacité de seulement deux organisations métisses nationales, qui seront, je présume, le Ralliement national des Métis et le Congrès des peuples autochtones. Nous ne sommes sous l'égide d'AUCUNE de ces deux organisations, ni du Conseil des Autochtones de la Nouvelle-Écosse, et nous n'avons aucunement l'intention d'être assujettis à leur contrôle ou à leurs décisions. Par conséquent, nous voudrions être représentés à votre bureau, à vos tables de discussion et dans tous les débats qui concernent les peuples métis et autochtones. Nous souhaitons la reconnaissance nationale de nos peuples.

Cette lettre a été envoyée à l'honorable Andy Scott, qui était alors ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et bien des choses ont changé depuis pour le peuple métis du Canada, dans l'ensemble. Ainsi, le Fonds de développement Métis Nation of Ontario et Métis Voyageur qu'a signé le gouvernement provincial est un énorme pas en avant pour bien des nations métisses du pays. Le fait que le gouvernement de l'Ontario ait pris l'engagement de verser 3 millions de dollars par année sur 10 ans présente une occasion exceptionnelle pour les peuples métis de l'Ontario. Cependant, je représente ici la Nouvelle-Écosse, où des dialogues de ce genre n'ont pas eu lieu. Si l'on veut qu'il y ait consensus et qu'aucune nation métisse ne soit traitée différemment des autres, il est important que certains critères soient établis de façon à ce que nous sachions comment trouver notre chemin dans la bureaucratie.

Nous nous en sommes très bien tirés jusqu'ici. Nous avons toujours présenté des demandes très solides. Nous obtenons un grand succès en ce qui concerne le financement d'organes précis ciblant certains segments de la population. Cependant, il reste à savoir si nous pouvons avoir la possibilité de nous actualiser et d'être reconnus par le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Telle est notre situation à la Eastern Woodland Métis Nation. Je voulais simplement vous faire part de ces réflexions.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Demers : À vous entendre, je suis attristé. J'ai quelques questions à vous poser. Vous semblez être seul pour vous défendre. Avez-vous l'impression qu'on ne veut pas de vous? Gardez cette question à l'esprit et vous y répondrez plus tard. Combien de membres votre nation compte-t-elle? Quels sont les critères d'adhésion à vos organisations? Je m'en tiendrai à ces trois questions. La première est très importante, non pas que les deux autres ne le soient pas, mais d'après ce que j'entends, et j'ai été très attentif à vos propos, personne ne semble vous porter attention. Vous essayez de vous faire entendre, mais personne ne semble écouter.

M. Downey : À mon avis, les provinces de l'Atlantique ont été isolées. Et pourtant, c'est là que tout a commencé. La migration s'est dirigée vers l'Ouest. Rien n'a changé avec les déportations des Acadiens, puisque certains ont fui, certains se sont cachés et certains sont restés. Maintenant, là où nous en sommes avec nos provinces, surtout avec la Nouvelle-Écosse, dont je peux parler — et Mme Dubé peut parler du Nouveau-Brunswick —, c'est qu'il n'y a pas de confiance ni de dialogue. La province nous dit qu'il faut parler au gouvernement fédéral, et le gouvernement fédéral nous dit qu'il faut parler à la province. Personne n'assume ses responsabilités. Nous sommes déjà à la table — tout ce qu'il faut, c'est la plate-forme. Nous avons besoin de connaître les règles et les lignes directrices. C'est ce que nous souhaitons obtenir.

En ce qui concerne la deuxième question, la Eastern Woodland Métis Nation compte 11 000 membres. Les critères, c'est qu'il faut s'identifier comme Métis, avoir des ancêtres et un patrimoine distinct qui nous lient à une nation métisse, et être accepté par la nation. Ce qui est unique dans la Eastern Woodland Métis Nation, plus que dans toute autre nation que vous ayez pu connaître, c'est que l'on accepte les Néo-Écossais d'origine africaine et ceux qui ont des ancêtres autochtones. Notre nation est beaucoup plus ouverte que la plupart des autres, dont l'un des critères est qu'il faut parler le français.

Notre Eastern Woodland Métis Nation se distingue principalement parce qu'elle constitue un groupe ouvert. La collectivité noire historique de North Preston en Nouvelle-Écosse est reconnue parce que nos recherches y ont retracé des ancêtres autochtones. Il s'agit d'un aspect qui distingue quelque peu notre collectivité de la plupart des autres.

Le sénateur Ataullahjan : Êtes-vous activement à la recherche de nouveaux membres, ou est-ce que les gens viennent vers vous?

M. Downey : Les gens viennent vers nous. Au cours des 12 dernières années, nous nous sommes bien ancrés en Nouvelle-Écosse. Nous avons une tribune ouverte. La plupart de nos membres sont des particuliers qui ont fait leurs propres recherches. Comme vous pouvez vous en douter, les collectivités de la Nouvelle-Écosse sont très unies et les nouvelles se répandent comme une traînée de poudre. Les gens ont commencé à s'intéresser à leurs ancêtres.

Nous cherchons en quelque sorte à revendiquer notre histoire qui, pour la plupart des Métis de la Nouvelle-Écosse, a été éradiquée. Nous vivons dans la province depuis 1812, mais bien peu de dialogues ont eu lieu. Les peuples autochtones se tournent vers leur passé et veulent découvrir leur patrimoine métis.

Le sénateur Sibbeston : Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux. Depuis le début de notre étude, je suis ravi de voir que de plus en plus de Métis viennent à l'avant-plan en quête de reconnaissance.

Monsieur Downey, vous n'êtes pas le premier Métis d'origine africaine que je rencontre. Dans les années 1940, des Afro-Américains se sont rendus dans les Territoires du Nord-Ouest pour construire un oléoduc et d'autres projets de ce genre afin de contribuer à l'effort de guerre. Là-bas, dans le Nord, ils se sont mêlés à la nation dénée, ce qui a eu des effets. Il existe des Premières nations noires et des Métis noirs. Vous faites maintenant partie du groupe. Vous serez peut-être heureux d'apprendre que des gens comme vous habitent les Territoires du Nord-Ouest.

Dans l'Ouest canadien, les Métis représentent un groupe dominant, notamment parce qu'ils sont nombreux. De nombreux Métis et membres des Premières nations y habitent depuis longtemps. Ils ont participé à la rébellion de Riel et à d'autres confrontations avec le gouvernement. Ils peuvent s'identifier à leur histoire, et on ne peut donc pas les oublier. Ils représentent une force considérable dans notre société, et le gouvernement les reconnaît. Au cours des dernières décennies, ils ont fait de grandes avancées à tous les égards — sur les plans de l'organisation, du développement économique et de l'éducation. Ils se sont dotés de leurs propres écoles et institutions. Les Métis en particulier jouissent d'un appui très positif.

Votre groupe est probablement moins connu. Comment envisagez-vous votre avenir? Comment entreprenez-vous de gagner la reconnaissance de la société et du gouvernement ainsi que le financement du gouvernement? Pensez-vous pouvoir vous tailler une place dans le monde comme vous avez réussi à le faire au sein de notre société?

Mme Dubé : La plupart de nos ancêtres de l'Est ont lutté contre les Américains pendant la guerre de 1812. Nous avons toujours été présents. Nos ancêtres s'y trouvaient à l'époque. Le problème, c'est que la méfiance s'est envenimée. Nombreux sont ceux qui se souviennent de l'expulsion, et la méfiance à l'égard du gouvernement a toujours existé dans nos provinces.

De nombreuses familles croient qu'elles doivent s'abstenir de révéler le secret de leur identité autochtone au cas où quelque chose de grave leur arriverait — qu'on leur enlève tout ou qu'on emmène leurs enfants ailleurs. De nombreux aînés ont toujours cette croyance. Les enfants leur disent maintenant : « Grand-papa, les choses ont changé; grand- maman, les choses ont changé. La situation n'est plus comme avant. » Nous voulons être fiers. Nous voulons être enfin en mesure de déclarer qui nous sommes pour pouvoir perpétuer notre culture.

Nous comptons près de 15 000 membres partout au Canada. Nous avons ajouté le terme « intertribal » à notre nom parce que nos origines sont très diverses et rassemblent différents groupes autochtones. Certains sont de descendance crie, montagnaise, micmaque, malécite ou mohawk.

Nous voulons ouvrir des écoles. Au début de l'année, nous avons fait une offre pour une école au Nouveau- Brunswick, mais notre soumission a été rejetée. On ne nous a pas écoutés quand nous avons dit vouloir l'école afin d'enseigner à nos enfants leur culture et leur langue. Un groupe religieux a pu acheter l'école au même prix que nous offrions; on a rejeté notre offre parce que nous avons fait une demande en tant que Métis.

Nous sommes allés devant les tribunaux pour revendiquer nos droits de pêche. Un aîné affamé a fait valoir ses droits culturels pour s'alimenter. Il a été accusé d'avoir pêché 22 toutes petites truites. Sans l'aide que mon mari et moi lui avons prodiguée, il n'aurait rien mangé ce jour-là.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick et les tribunaux affirment qu'il n'y a aucun Métis au Nouveau-Brunswick et qu'il n'y en aura jamais. C'est ce qu'ils croient. Toutefois, nous détenons des documents historiques qui prouvent que nos ancêtres viennent de cette province. Et pourtant, ces documents ne suffisent pas. Nous leur disons que, pendant la déportation de 1755, la plupart des documents ont été perdus ou brûlés, mais ces explications ne leur suffisent pas.

M. Downey : Sénateur Sibbeston, la Eastern Woodland Métis Nations se porte bien actuellement. Je m'acquitte du rôle d'agent de liaison auprès du gouvernement fédéral, notamment parce que j'ai un sens du devoir et des responsabilités. Je suis Néo-Écossais. Je suis né en Ontario, j'ai été élevé à Toronto, mais je suis Néo-Écossais. Mon grand-père a représenté la mairie d'Halifax en Nouvelle-Écosse pendant 27 ans. J'ai fréquenté l'école secondaire en Nouvelle-Écosse et j'ai reçu mon diplôme en sciences politiques de l'Université Mount Allison.

La culture acadienne est dominante, solide et fière. Il est très important que la population sache qui sont les Acadiens. Le fait que je comparaisse ici aujourd'hui, démontre que nous gagnons en importance. Nous devons être bien organisés.

Il va sans dire que les Métis dans les autres provinces ont une longueur d'avance. Toutefois, nous jetons les bases de notre travail. Nous cherchons à entamer un dialogue pour pouvoir aider les Canadiens et les Métis. Notre nation est diversifiée.

Notre groupe compte des fonctionnaires, des gens d'affaires et des chercheurs. Ces gens contribuent à la société. Quand j'étais tout petit, on m'a appris que le Canada est une mosaïque culturelle. Cette réalité fait partie de nos valeurs, et nous voulons être inclus dans la mosaïque. Nous voulons y contribuer davantage. Nous voulons avoir la possibilité d'en faire plus en raison de la longueur d'avance dont certains ont joui. C'est là où nous en sommes.

Le président : Il n'y a que le sénateur Sibbeston pour poser ses questions de la sorte.

Le sénateur Sibbeston : J'allais demander si on pourrait y consacrer une soirée ou deux; j'avais l'impression que nous aurions besoin de plus de temps. Nous aurions peut-être besoin d'une soirée ou deux, mais je n'en suis pas certain.

Le président : Je suis désolé, sénateur Sibbeston. Je suis vraiment désolé.

Le sénateur Seth : Merci beaucoup. Vos faits historiques me laissent perplexe. J'aimerais savoir ceci. Vous avez dit que la population métisse est de 11 000 ou de 15 000 personnes. Combien de langues parlez-vous? Vous êtes notamment de descendance française et européenne et vous parlez toutes sortes de langues. Combien de langues officielles avez-vous? Comment gérez-vous les soins de santé? Ce dernier point me préoccupe. En tant que médecin, je pense à l'infrastructure nécessaire et à la façon dont elle doit être gérée. Avez-vous une clinique ou un hôpital? Pourriez-vous me décrire la situation, s'il vous plaît?

M. Downey : La Eastern Woodland Métis Nation a fait de la santé un volet important de notre stratégie quand nous demandons des subventions du gouvernement fédéral ou quand nous lançons des projets locaux précis. La région de l'Atlantique compte beaucoup d'aînés. De nombreux aînés métis souffrent de diverses formes de démences, et différents problèmes de santé commencent à miner nos collectivités. Je trouve l'exode des jeunes en quête de débouchés dans le centre et l'Ouest du pays inquiétant pour l'avenir à long terme de la région de l'Atlantique, et en particulier pour ma province de la Nouvelle-Écosse et les petits villages.

Pour ce qui est de la santé, les statistiques sur les collectivités autochtones métisses et sur leur classement quant au reste de la population vont de soi, en raison de la criminalité et des autres problèmes de cette nature. Nous nous penchons actuellement sur le problème. Toutefois, c'est une source de préoccupation et nous voulons régler ce problème grave; d'ailleurs, c'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes ici et que nous cherchons à nouer des relations pour garantir notre développement et notre croissance. Certains ont absolument besoin de l'aide du pays et des gouvernements pour les appuyer et les épauler. Nous nous portons assez bien. Toutefois, il s'agit d'une préoccupation grave. Le problème ne va que s'envenimer si on n'intervient pas maintenant.

Le sénateur Seth : Vous ne m'avez pas dit combien de langues vous parlez.

M. Downey : Nous avons deux langues officielles, soit l'anglais et le français.

Mme Dubé : Nous aussi. Nous avons deux langues officielles : l'anglais et le français. Il existe trop de langues partout au Canada et aux États-Unis pour pouvoir en dresser la liste. Aux États-Unis, nous parlons surtout l'anglais, et au Canada, l'anglais et français. Étonnement, nous comptons un assez grand nombre de membres francophones aux États-Unis. Pour ce qui est des soins de santé, nous n'avons pas nos propres hôpitaux, mais un grand nombre de nos membres sont médecins, avocats ou même fonctionnaires.

Nous sommes très diversifiés et nombreux. Nous encourageons même nos enfants à manger des mets traditionnels parce que certains de nos aînés marchent toujours à l'âge de 90 ans et mangent leurs mets traditionnels. Un de nos aînés nous incite à manger davantage de fèves. Il est très agréable de voir nos aînés encourager la génération à se détourner de la malbouffe et du Pepsi, à réduire leur consommation de sucre, à être en santé et à manger davantage de plats traditionnels. Si on a une envie de sucre, on peut manger du sirop d'érable. Les aînés ont toujours dit que le diabète constitue le problème le plus grave. Le diabète est apparu parce que nous nous sommes détournés de nos régimes alimentaires traditionnels. On pourrait trouver un juste équilibre et enseigner aux jeunes enfants à s'alimenter de façon équilibrée, à faire attention à ce qu'ils mangent et à ne pas se laisser tenter par les publicités télévisées du McDonald et des autres restos de ce genre. Cependant, ce n'est pas chose facile.

La situation dans les provinces s'applique aussi à nous pour ce qui est des soins de santé. Nos soins de santé relèvent des provinces parce que nous n'avons pas notre propre système en place. Compte tenu des prix élevés des médicaments d'ordonnance, bon nombre de nos membres nous ont demandé si nous avons un système qui leur donnerait droit à des indemnités. Ceux qui reçoivent des prestations d'aide sociale ou qui gagnent un très faible revenu doivent faire des choix : ma fille a besoin d'insuline, et nous avons aussi besoin de telle ou telle autre chose. Pourrons-nous aussi nous payer un peu plus d'aliments supplémentaires?

Le sénateur Seth : L'aide sociale ne couvre-t-elle pas aussi les médicaments?

Mme Dubé : Certains montants seulement.

Le sénateur Seth : Pour la plupart des médicaments?

Mme Dubé : La plupart. Il y a toutefois certaines lacunes. C'est ce que m'ont dit nos membres, parce qu'ils me tiennent au courant de ce qui se passe. Certains ont un faible revenu. C'est presque l'aide sociale, sans l'être. C'est le minimum absolu. L'assurance-santé qu'ils ont ne couvre pas tout.

Le sénateur Seth : Même dans mon cabinet, je me souviens d'avoir eu des patients qui étaient entièrement couverts pour les lunettes, les soins dentaires et tous les médicaments, alors que d'autres personnes qui recevaient des prestations d'aide sociale ne l'étaient normalement pas. Il existe quelque chose pour remplacer cela, et c'est assez remarquable. Ce que j'ai connu peut être très différent de ce que vivent les Métis. Je ne sais pas. D'après mon expérience, j'avais trouvé que le gouvernement fournissait un très bon soutien.

Mme Dubé : Nous avons essayé de communiquer avec la Croix Bleue pour voir si nous pourrions avoir un régime spécial pour certains de nos membres, et si la Croix Bleue pourrait assurer certains médicaments d'ordonnance. Ce n'est pas ceux qui vivent de l'aide sociale, mais ceux qui ont un faible revenu. Nous avons essayé de voir s'il y avait quelques suppléments. J'attends toujours une réponse.

Le sénateur Dyck : Je remercie nos témoins d'être venus et d'avoir fait ces exposés. Vous avez jeté un nouvel éclairage sur l'étude du comité. Vous savez certainement que la plupart de nos témoins, jusqu'ici, nous ont surtout parlé du fait que les Métis ne se livrent plus à la traite des fourrures. Ils ont parlé des collectivités historiques de commerce des fourrures, qui se sont mêlées aux Français et aux Anglais pour créer une culture distincte qui n'était ni française, ni autochtone, ou ni anglaise, ni autochtone. Cela ne semble pas être votre cas. Quand vous parlez de vos antécédents, à quoi rattachez-vous vos sources? Vous avez parlé de documents historiques et de la guerre de 1812. Est- ce qu'on se livrait au commerce des fourrures à ce moment-là? Qu'est-ce qui distingue vos collectivités de celles des Premières nations ou de vos ancêtres européens ou africains?

M. Downey : Il y a eu une fusion, particulièrement au sein de la Nouvelle-Écosse, de l'Eastern Woodland Métis Nation. Nous l'avons appelée un éveil. En gros, notre mode de vie est très différent au sein de la communauté néo- écossaise d'origine africaine, d'autant plus que nous avons des racines autochtones. Notre alimentation, notre culture, notre musique, notre mode de vie sont très distincts et différents, et nous affichons aussi de légères différences à d'autres égards, comparativement aux habitants de la région. C'est de ces choses que l'on ressent. Ce n'est pas nécessairement quelque chose qu'on peut démontrer concrètement. C'est l'auto-identification liée à un aspect de notre ascendance, de notre patrimoine et de notre lignée. Pour nous, c'est vraiment une question d'arbre généalogique. C'est ainsi que nous nous identifions.

Mme Dubé : Comme l'a dit M. Downey, c'est une fusion. Nous avons pris deux cultures et fusionné certains éléments. Les Français étaient des trappeurs, et bien sûr, les Autochtones trappaient et chassaient. C'est assez semblable. Bien des gens aujourd'hui, ne remontent pas jusqu'à leurs racines, et d'autres le font. Tout dépend d'où ils vivent.

M. Downey : Pour vous donner une idée, je dirais que jusqu'à la fin des années 1970, dans bon nombre de nos collectivités des provinces de l'Atlantique, il y avait encore des écoles qui n'avaient qu'une seule salle de classe et qu'ont fréquentées beaucoup de membres de notre collectivité. On avait adopté un cadre très traditionnel, très simple. On assiste à un grand phénomène d'embourgeoisement dans nos collectivités traditionnelles qui ont été plus ou moins isolées, et maintenant, on voit beaucoup d'assimilation au mode de vie de bon nombre de nos collectivités. Cela ne fait aucun doute. Par contre, c'est pourquoi il est aussi important et nécessaire de maintenir et d'afficher une présence marquée par notre identité. C'est difficile, quand il est impossible de dialoguer et de s'entendre avec la province tout simplement parce qu'elle ne le reconnaît pas ou qu'il n'y a pas de politique d'envergure à inscrire à l'ordre du jour. Aucune pression n'est exercée. Il y a bien un dialogue au sein de la province de la Nouvelle-Écosse avec l'Assemblée législative et bon nombre de représentants. Cependant, le gouvernement ne s'est jamais mêlé au débat et n'a jamais rien proposé.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci de vos exposés. Pourquoi reconnaît-on certains Métis et d'autres non? Vous avez parlé des États-Unis. Pourquoi en est-il ainsi?

Mme Dubé : Pour répondre à votre question portant sur les États-Unis, la raison pour laquelle ils nous ont demandé de conclure un traité, c'est que les ancêtres de la plupart de leurs membres viennent du Canada. Ils sont d'ici et ne peuvent donc pas faire une demande pour obtenir leur statut car ils ne sont pas originaires des États-Unis. Cela remonte aux ancêtres. Il existe des lois très précises. Si vos ancêtres ne sont pas de là-bas, vous ne pouvez pas présenter une demande. La Metis Nation of the United States, la MNUS, nous a dit : « Oui, vos ancêtres sont du Canada et, à l'époque, il n'y avait pas de frontière. Nous sommes d'avis qu'il n'existe pas de frontière. Nous représentons l'Amérique du Nord. Pour nous, il n'existe pas de frontière. » Ils étaient ravis. Les parents de certains membres ont le statut de plein droit aux États-Unis, mais les enfants ne sont pas reconnus. Ils ne peuvent pas présenter une demande parce qu'ils comptent pour moins de 51 p. 100, je crois que c'est le seuil aux États-Unis. C'est soit 49 ou 51 p. 100. Ils ne peuvent pas présenter une demande pour obtenir leur statut, mais ils peuvent présenter une demande en tant que Métis au Canada car nous savons que leurs parents ont le statut de plein droit.

Le sénateur Lovelace Nicholas : C'est ce que je tentais de comprendre. Merci.

Que voulez-vous du Sénat? Que voulez-vous qu'on demande en votre nom? Voulez-vous qu'on réclame pour vous les droits autochtones comme la chasse, la pêche, l'éducation, les droits qu'ont les peuples autochtones?

M. Downey : La Eastern Woodland Métis Nation aimerait entretenir un dialogue direct et présenter sa cause, faire connaître sa position et expliquer pourquoi elle est une communauté distincte. Qu'il plaise ou non à la province ou au gouvernement fédéral de nous reconnaître, voilà de quoi il retourne. Notre organisation existe depuis longtemps; nous avons les membres, la structure et la constance. De plus, nous travaillons très fort et avec assiduité non seulement pour gagner la confiance de la province et du fédéral, mais aussi pour continuer à croître. Ces nations surgissent et certaines personnes deviennent très enthousiastes quant à leur lignée, puis, deux ans plus tard, l'organisation n'existe plus car c'était l'idée d'une seule personne. Ce n'est pas une idée; c'est le réveil réel d'une communauté et d'une culture qui connaît une croissance. Ce n'est pas un phénomène qui disparaîtra.

Nous aimerions pouvoir mettre en œuvre des politiques vigoureuses au sein de notre nation et de nos communautés qui nous permettront d'aborder les questions de santé, d'éducation et de développement commercial. Le Sénat peut formuler une recommandation au gouvernement fédéral, au ministère des Affaires autochtones ou à la province de la Nouvelle-Écosse dans le but d'entretenir un dialogue et de s'asseoir avec nous à la table. C'est ce que souhaiterait vraiment la Eastern Woodland Métis Nation, car nous représentons la plus forte proportion de Métis en Nouvelle- Écosse et nous sommes les premiers.

J'aimerais préciser qu'à l'heure actuelle, nous arrivons à faire certaines choses au sein de notre communauté de façon détournée. Nous avons signé un traité avec la Port McNicoll Ontario Metis Allegiance en 2002. Le traité indique nettement que nous sommes acceptés au sein de l'organisation et reconnus au sein de notre province. Nous avons une entente directe avec cette organisation. C'est donc dire que ma carte de Métis se trouve sous le numéro de l'organisation. C'est une question d'ordre politique et bureaucratique. On ne peut pas le faire au sein de notre propre province. Voilà ce que je voulais préciser, car c'est quelque chose que nous aimerions pouvoir faire chez nous. Nous avons un traité qui est reconnu, mais ce serait plus simple pour nous si nous pouvions le faire chez nous afin de pouvoir construire et développer notre communauté.

Le sénateur Campbell : L'arrêt Powley a énuméré trois critères afin de définir la notion de « Métis » : auto- identification, lien ancestral à un conseil métis et acceptation par une collectivité métisse. Souscrivez-vous aux trois critères de cette définition?

M. Downey : Absolument.

Le sénateur Campbell : J'ai remarqué qu'il y a, sur votre site Web, un formulaire de demande pour se joindre à votre organisation. Sur cette demande, l'un des critères consiste essentiellement à fournir des références généalogiques, d'un Métis d'Amérique du Nord ou d'un membre d'une Première nation d'Amérique du Nord. On peut y joindre des copies de cartes d'Indien inscrit et de ses ancêtres ou des documents qui attestent de ce statut en vertu de la Loi sur les Indiens.

C'est à peu près tout. On ne demande pas plus de détails. Vous faites ensuite remarquer qu'un citoyen métis est différent d'un membre des Premières nations, d'un Inuit et d'un non-Autochtone, et il faut joindre un paiement de 50 $ à la demande.

Essentiellement, d'après ce que je comprends — et si je me trompe, dites-le-moi —, si je peux prouver que j'ai des ancêtres membres des Premières nations — et il n'y a rien qui précise qu'il doit s'agir de Premières nations de la Nouvelle-Écosse —, si je peux simplement attester du fait que j'ai des ancêtres membres des Premières nations, alors je peux m'inscrire auprès de votre organisme et être considéré comme Métis par votre organisation. Est-ce exact?

Mme Dubé : Vous avez en partie raison. Pour notre processus de demande, il vous faut remplir un formulaire de demande de trois pages. La deuxième page est ce qu'on appelle le tableau autochtone. Ceci nous donne les éléments de base afin d'entamer des recherches généalogiques, car vous devez nous faire parvenir par photocopie votre arbre généalogique.

Le sénateur Campbell : Cependant, cela n'est indiqué nulle part. Sur la deuxième page, on ne fait que demander la signature du demandeur.

Mme Dubé : C'est à la troisième page que cela est indiqué.

Le sénateur Campbell : La troisième page?

Mme Dubé : Oui.

Le sénateur Campbell : Il n'y a pas de troisième page sur votre site Web.

Mme Dubé : Il y a les pages du formulaire de demande 1, 2 et 3 sur votre site Web.

Le sénateur Campbell : Je n'en ai vues que 2. On peut y lire : Signez ici. Il faut respecter les lignes. C'est la page 2.

Quoi qu'il en soit, ce que j'essaye de dire, c'est que si l'on accepte l'arrêt Powley comme référence pour la définition de Métis, alors acceptez-vous ces critères de la part de vos membres? Prenons l'exemple du critère lié à l'acceptation par une collectivité métisse, sur lequel semblent s'entendre bon nombre de nos témoins, que ce soit au Québec, en Ontario ou dans les Prairies. Il se peut qu'ils soient anglais ou français, mais il faut qu'il y ait cette acceptation. Approuvez-vous ce critère?

M. Downey : Si je peux me permettre, en ce qui a trait à la référence que vous faites à l'arrêt Powley, une personne qui s'auto-identifie comme Métis le fait dans le cadre d'une décision individuelle.

Le sénateur Campbell : Je suis d'accord. Oui.

M. Downey : Je vais passer l'aspect historique, mais il faut aussi que la personne soit acceptée par une nation métisse. Disons que vous êtes accepté.

Le sénateur Campbell : Par une collectivité métisse.

M. Downey : Par une nation métisse ou une collectivité métisse. Nous examinons l'aspect historique afin de savoir si une nation métisse correspond ou non aux critères. À l'heure actuelle, c'est déterminé de façon arbitraire par des décideurs politiques.

Le sénateur Campbell : Non, monsieur. Ce n'est pas déterminé arbitrairement par des décideurs politiques. C'est déterminé par la Cour suprême du Canada.

M. Downey : La Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Powley. Lorsque vous examinez notre nation — je peux parler de la Eastern Woodland Métis Nation —, nous correspondons à chaque catégorie.

Le sénateur Campbell : Qu'en est-il de la nation métisse historique? Où se trouverait la communauté métisse historique de la Nouvelle-Écosse?

M. Downey : À l'heure actuelle, elle englobe Yarmouth, Digby, Annapolis Valley, ainsi que des collectivités comme North Preston, East Preston et les régions avoisinantes. C'est là où se trouve notre histoire.

Je ne sais pas si vous connaissez bien l'histoire de la Nouvelle-Écosse, mais vous savez certainement que la province n'a pas un bilan très reluisant en matière de discrimination jusqu'à maintenant. Il y a toujours eu beaucoup de racisme institutionnel, y compris des entreprises noires et d'autres organisations qui divisent les collectivités plutôt que de les unir. C'est quelque chose que nous ne voyons pas d'un très bon œil. Cependant, c'est la politique de la collectivité. C'est la réalité.

C'est la situation que nous connaissons. Nous devons consulter les archives. Si nous y faisons des recherches approfondies, nous nous apercevrons qu'il y a une nation distincte et une acceptation collective d'une nation métisse, sans compter un mélange d'ancêtres autochtones avec des ancêtres noirs, ainsi qu'avec des Canadiens français. Telle est la situation.

Mme Dubé : Je ne sais pas quel formulaire de demande vous avez vu, mais je peux vérifier.

Le président : Il y a trois pages. J'ai regardé le site Web. Il a probablement le iPad de la Colombie-Britannique. Nous avons tous trois pages.

Le sénateur Campbell : D'accord. Merci.

Mme Dubé : Au Nouveau-Brunswick, il y a une bonne quantité de documentation qui n'existe plus.

Le sénateur Campbell : Je le sais bien.

Mme Dubé : Cela concerne même les archives des églises. On tente de faire des recherches généalogiques et, soudain, on s'aperçoit que les gens ont disparu sans raison apparente. Où est la documentation? Vous savez que vous venez de là. D'où? Il en va de même avec les petites collectivités où vivaient les Métis, et ensuite ces collectivités ont été dominées et revendiquées par les Britanniques.

Bon nombre de petites collectivités métisses ont fui. Chaque saison, ils continuaient à se déplacer. Pour que l'on soit en mesure de dire cela, il faut qu'il y ait eu une zone précise limitée métisse. Là d'où je viens, Mount Carleton, se trouve toujours un territoire traditionnel, celui des Malécites. Cependant, ce n'était pas le seul territoire malécite, car il y a un petit cours d'eau qui sépare le territoire malécite et le territoire micmac, et d'autres tribus sont aussi venues. Nous avons connu une guerre avec les Iroquois dans le petit village d'où je viens, Grand Falls. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler d'elle, mais Malevine a sauvé un grand nombre des nations. Si ce n'était d'elle, la plupart de nos ancêtres ne seraient pas là.

Le président : Madame Dubé, étant donné que j'ai dit que nous nous en tiendrions à une heure — certaines personnes ont d'autres obligations —, je vais permettre au sénateur Patterson de poser une question brève, à laquelle j'espère que nous recevrons une réponse rapide, afin de pouvoir finir à l'heure.

Le sénateur Patterson : Merci.

Je suis curieux. J'aimerais poser à M. Downey la question suivante : Lorsqu'on examine les critères pour être membre de la Eastern Woodland Métis Nation, on parle d'une personne de sang-mêlé, peu importe à combien de générations on remonte.

Vous avez mentionné votre grand-père, je crois. Accepteriez-vous de nous parler un peu de vos générations précédentes et de la façon dont vous en êtes venu à vous définir comme Métis?

M. Downey : Parfait. Des deux côtés. Je commencerai avec mes grands-parents, Ardith et Graham Downey, qui sont tous deux récipiendaires d'une Médaille du jubilé de la reine. C'est assez incroyable.

Je commencerai avec ma grand-mère car c'est pour elle que c'est le plus simple. La mère d'Ardith Downey était Micmaque et son père, Néo-Écossais d'origine africaine. Son grand-père, le grand-père de ma grand-mère, était un Canadien français de race blanche; je ne représente donc techniquement qu'un seizième de cette lignée.

Du côté de mon grand-père, sa famille est née, a été élevée et s'est établie à North Preston. Les membres de sa famille se sont aperçus que de nombreux Autochtones s'étaient mélangés à la communauté noire. Ils se sont métissés au fil du temps, et mon grand-père est un seizième Autochtone.

Étant donné que les gens dans les communautés néo-écossaises d'origine africaine s'identifient fréquemment avec l'esclavage et l'émancipation, je me considère comme Autochtone car je peux retracer mes racines jusqu'en 1812 dans la collectivité. Plutôt que de me voir comme un étranger, j'ai conscience que je suis en fait un Autochtone canadien. Étant Métis, je m'identifie à cette communauté davantage qu'aux autres en raison de ce qu'elle représente. Je crois qu'elle représente un lien à la terre, ce qui explique en quelque sorte l'attachement que j'y porte.

C'est très compliqué, mais c'est ce qu'il en est.

Le président : Merci beaucoup à vous deux d'être venus à Ottawa pour comparaître devant nous ce soir. Je remercie les membres du comité. Nous allons lever la séance.

(La séance est levée.)


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