Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 34 - Témoignages du 20 mars 2013
OTTAWA, le mercredi 20 mars 2013
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour examiner, afin d'en faire rapport, la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada.
Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir à tous. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous mes collègues et à tous ceux qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur le Web. Je m'appelle Vern White, je viens de l'Ontario et je suis le président du comité.
Notre mandat consiste à examiner les lois et les questions qui touchent les peuples autochtones en général, et ce soir, nous allons poursuivre notre étude de la reconnaissance juridique et politique de l'identité et des droits des Métis au Canada.
Ce soir, nous accueillons deux témoins : la professeure Jean Barman, et un ancien sénateur, le toujours honorable Gerry St. Germain, C.P. Ils sont tous deux de la Colombie-Britannique.
Avant de donner la parole à nos témoins, j'aimerais inviter les membres du comité à se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Dyck : Je suis la sénatrice Lillian Dyck, de la Saskatchewan. Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux. Vous êtes des personnes extraordinaires, et nous sommes heureux de vous avoir parmi nous.
Le sénateur Sibbeston : Je suis le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Demers : Sénateur Jacques Demers, du Québec.
Le sénateur Tkachuk : Sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan.
La sénatrice Seth : Sénatrice Asha Seth, de Toronto, Ontario.
La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de Dryden, Ontario.
La sénatrice Raine : Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le président : Je sais que je me fais le porte-parole de tous les membres du comité en disant que nous avons hâte d'entendre ce que nos témoins de ce soir ont à nous dire. Ils comparaissent tous les deux à titre personnel. Bienvenue, donc, à Jean Barman, professeure émérite et spécialiste de la question métisse, qui va nous en parler dans la perspective de la Colombie-Britannique.
Nous sommes également ravis de retrouver l'ancien président du comité, notre collègue et ami, l'ex-sénateur Gerry St. Germain. Vous nous manquez beaucoup au Sénat, et particulièrement au sein de ce comité. Personne ne porte aussi bien le chapeau que vous. Nous avons hâte de connaître votre point de vue de Métis.
Puisque vous avez décidé qui allait intervenir en premier, je vous laisse la parole.
Jean Barman, professeure émérite, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invitée à venir vous parler de la Colombie-Britannique, car cela m'encourage à regarder à la fois vers le passé et vers l'avenir. J'ai remarqué, dans le dernier recensement qui contient des données là-dessus — celui de 2006 —, que près de 60 000 habitants de la Colombie-Britannique se déclarent Métis. C'est plus du double que dix ans plus tôt, même si le terme est aujourd'hui contesté à bien des égards.
À la suite de l'inclusion des Métis dans la Constitution de 1982 comme l'un des « peuples autochtones du Canada », la décision Powley a défini le terme Métis dans le contexte des droits de récolte dans la région de Sault Ste. Marie, en Ontario, mais de façon générale. Malgré sa spécificité géographique et économique, la décision a été interprétée comme limitant l'identité métisse aux seules personnes ayant leurs racines dans le Canada central. Comme des témoins vous l'ont dit, le gouvernement canadien reconnaît et finance, pour l'inscription des titulaires de droits, six « organisations autochtones représentatives » officielles, qui acceptent toutes le critère des origines en Colombie-Britannique.
Par conséquent, pourquoi suis-je ici? Votre comité a aussi entendu un point de vue complètement différent, au sujet de « l'existence de collectivités métisses historiques », qui met en garde contre le danger de « priver les gens de l'identité qu'ils se sont donnée » et de « reproduire les pratiques discriminatoires de la Loi sur les Indiens ». À mon avis, une solution réside peut-être dans la décision Daniels qui a été rendue le 8 janvier et qui est aujourd'hui en appel. Cette décision va plus loin, à la fois dans le passé et pour l'avenir, que la décision Powley puisqu'elle affirme que « l'autorité législative exclusive du Parlement du Canada » qui s'applique aux « Indiens et terres réservées pour les Indiens », dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, s'étend aussi aux Métis et aux Indiens non inscrits. La décision définit les Métis, à l'instar des Indiens non inscrits, comme des « Autochtones ayant maintenu une forte affinité avec leur patrimoine indien, sans toutefois être des Indiens inscrits ». La décision Daniels semble donc élargir le débat au- delà des critères d'exclusion géographiques.
Pour comprendre pourquoi 60 000 habitants de la Colombie-Britannique se déclarent volontairement Métis, il faut commencer par corriger ce qu'a dit l'avocate Jean Teillet lorsqu'elle a comparu devant votre comité. Je suis d'accord lorsqu'elle dit que « Nous savons que les Métis sont les enfants de ce commerce [des fourrures] », mais je ne suis pas d'accord quand elle délimite une zone géographique. Elle a en effet déclaré :
Il existe trois activités économiques métisses. [...] la forêt boréale, qui s'étend du secteur supérieur des Grands Lacs jusqu'au Grand lac des Esclaves, et qui couvre le nord de l'Ontario, du Manitoba et de la Saskatchewan. C'est dans cette région que se trouvaient tous les commerçants de fourrure.
Elle parle d'un mode de vie fondé sur des caractéristiques régionales, notamment la chasse au bison :
L'aliment miracle, si je peux dire, qui permettait aux commerçants de fourrure de fonctionner était le pemmican provenant de la chasse au bison.
Ce qu'elle dit ne correspond pas à la réalité historique.
La Colombie-Britannique aussi s'est développée à partir du commerce des fourrures, lequel a commencé en 1805 et a constitué la seule économie non indigène de tout le Nord-Ouest Pacifique jusqu'en 1846, lorsque la région, jusque-là sans gouvernement extérieur, a été divisée entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, et ensuite le Canada. Jusqu'en 1858, date à laquelle la partie continentale de la Colombie-Britannique a acquis un statut officiel à la suite de la ruée vers l'or, la majorité des 2 200 hommes qui s'adonnaient au commerce des fourrures étaient des Canadiens français. Leur nourriture de base était le saumon séché, et non pas le pemmican, mais pour le reste, leurs conditions de vie étaient les mêmes qu'ailleurs. Les Canadiens français qui sont restés là pendant assez longtemps, et ce fut le cas des deux tiers de ceux qui ne furent pas rapidement envoyés au-delà des Rocheuses dans le cadre de leur emploi, ont fondé une famille avec une femme indigène et se sont le plus souvent installés à proximité du lieu de leur dernier emploi.
Mike Evans, spécialisé dans la question métisse, et moi-même avons travaillé sur les facteurs qui définissent l'identité métisse en Colombie-Britannique, et certains sont inévitablement différents de l'identité métisse dans les Prairies, d'abord à cause d'un environnement différent. Les terres arables, ou potentiellement arables, représentent moins de 3 p. 100 de la superficie de la Colombie-Britannique. La ruée vers l'or de 1858, qui a attiré des milliers d'hommes, surtout des célibataires, de toute l'Amérique du Nord, y compris des Chinois et des Mexicains qui avaient auparavant travaillé en Californie, a contribué à développer et à diversifier la population métisse, car ceux qui décidaient de rester s'accouplaient le plus souvent soit avec une femme indigène soit avec la fille d'un Métis coureur des bois. Les autres facteurs qui ont contribué au développement de communautés distinctes, au sens où l'entend la décision Powley, étaient notamment la Loi sur les Indiens de 1876, une loi sexospécifique puisqu'elle traitait les enfants différemment selon le statut de la mère; le racisme, depuis l'école jusqu'à la vie adulte; un faible niveau d'alphabétisme, limitant ainsi l'emploi au commerce des fourrures et au secteur des ressources; et, avec le temps, un certain repli sur soi dans la vie de tous les jours. Ces familles faisaient partie des 3 500 « Sang-mêlé » identifiés dans le recensement de 1901 de la Colombie-Britannique, catégorie qui, ailleurs au Canada, est pratiquement toujours liée au statut de Métis.
Cependant, le fait qu'il y ait un plus grand nombre de Métis en Colombie-Britannique n'est pas attribuable au commerce des fourrures ou à la ruée vers l'or, mais plutôt à la migration en provenance des Prairies, qui a commencé à l'extrême nord-est des Rocheuses, notamment au lac Kelly, au début de la Grande Dépression dans la province. En 1971, le nombre de Métis originaires des Prairies avait explosé et représentait le cinquième de la population de la Colombie-Britannique.
Ce que je veux démontrer, c'est qu'il n'existe pas de panacée pour définir ce qu'est un Métis, tout au moins en Colombie-Britannique. Les « systèmes d'identification des exploitants métis » qui ont été établis à partir de listes généalogiques — et qui ont coûté, comme vous le savez, 35 millions de dollars en crédits fédéraux octroyés à six organisations, qui excluent toutes la Colombie-Britannique — ont besoin d'être comparés aux données de la déclaration volontaire. En Colombie-Britannique, où 60 000 Métis se sont déclarés volontairement, on a dénombré seulement 275 exploitants métis. Dans la mesure où l'inclusion des Métis dans la Constitution canadienne prévoit la réparation de torts historiques, il est illogique de rejeter le principe de la déclaration volontaire.
Comme l'a déclaré, devant votre comité, la directrice du réputé Institut Gabriel-Dumont, de Saskatoon :
En fait, l'identité métisse n'a rien à voir avec la définition d'une personne métisse. Lorsque nous évaluons les facteurs essentiels à la réussite des programmes d'enseignement pour les Métis, la question identitaire revient toujours.
Son objectif, comme elle l'a expliqué, est d'affirmer concrètement l'identité métisse au niveau des écoliers, des étudiants et des adultes. Et elle a ajouté, ce que j'approuve entièrement :
Il faut trouver une façon de laisser tomber ce débat sur la définition et l'identité métisse, et s'engager plutôt à réduire les inégalités que subissent les Métis sur les plans scolaire, économique et social.
La décision Daniels formule l'objectif d'« entraîner un degré supplémentaire de respect et de réconciliation ». À mon avis, ça devrait être aussi l'objectif de votre comité.
Le président : Merci beaucoup.
L'honorable Gerry St. Germain, C.P., ancien sénateur, à titre personnel : Merci et bonsoir à tous. Je suis très heureux de me retrouver dans cette enceinte historique. Je garde d'excellents souvenirs des années que j'ai passées ici, avec vous, comme sénateur et membre de ce superbe comité. Je dois avouer que la perspective est un peu différente, de ce côté-ci de la table, mais quoi qu'il en soit, je me sens privilégié d'être ici ce soir. Je me suis toujours senti très privilégié de siéger à l'autre bout, et aujourd'hui, c'est la même chose, même si c'est en qualité de témoin. Je vais essayer d'aborder aussi succinctement que possible les quelques points qui me paraissent les plus importants pour votre étude.
Tout d'abord, j'aimerais saluer l'ex-sénatrice Thelma Chalifoux, de l'Alberta. Elle souffre aujourd'hui, en raison de son grand âge, de nombreux problèmes de santé, mais pendant des années, elle a présidé ce comité et a travaillé sans relâche à l'avancement de la cause des Métis. Elle mérite notre reconnaissance. C'est une grande personnalité métisse, et je pense que nous devrions saluer davantage le travail de ces gens-là.
Honorables sénateurs, je dois vous dire d'emblée que, en ce qui concerne l'objet de votre étude, je ne prétends pas être un expert en la matière. Je suis tout simplement Gerry, le p'tit gars métis du Manitoba, qui a acquis une certaine expérience parce qu'il a été sénateur, député et ministre à Ottawa. Ma voisine, elle, est une vraie spécialiste de la question. Il fallait que cela soit dit.
Je suis ici pour vous parler de mon expérience personnelle et vous expliquer ce qui, à mon avis, définit l'identité métisse au Canada.
Je suis né et j'ai grandi dans une petite ville du Manitoba, près de Winnipeg, dans la paroisse de Saint-François- Xavier. Les gens du coin l'appelaient Grant Town, du nom du chef métis Cuthbert Grant, dont je suis un descendant. Il faut savoir que c'est Cuthbert Grant qui a mené la bataille de la Grenouillère, contre la Compagnie de la Baie d'Hudson, en 1816. C'est lui qui dirigeait le peuplement métis établi le long de la rivière Assiniboine. C'est le lieu d'origine de ma famille et c'est là que j'ai passé toute mon enfance.
Mon père était un trappeur métis. Il chassait le castor et le rat musqué, qu'on nous servait ensuite à table. Nous vivions en partie des ressources de la terre et nous avions donc un lien particulier avec la nature. Parce que nous prenions soin de la préserver, la nature nous donnait ce dont nous avions besoin pour vivre. Mais elle contribuait aussi à forger notre identité. Et cette identité a modelé notre culture, notre mode de vie, notre langue, notre histoire et nos traditions. C'est la raison pour laquelle je suis si fier de porter le gilet que j'ai ce soir et qui a été confectionné par une Métisse de Winnipeg, une grande dame et une véritable artiste.
Mes origines appartiennent à un groupe qu'on appelle les Métis. Je n'ai rien à redire à ça. Par contre, ce qui me déplaît, c'est la généralisation du terme « Métis ». Quand j'étais enfant, nous ne nous considérions pas comme des Métis, mais plutôt comme des Sang-mêlé ou des Michifs. On parlait soit le michif, soit, chez les anglophones, le bungee. Nous, les Michifs, nous avions notre propre langue et notre propre culture. Nous étions établis dans une région bien définie de l'Ouest canadien.
Aujourd'hui, le mot « Métis » ne traduit pas vraiment ni ne cherche à définir la riche histoire de notre peuple. Aujourd'hui, il suffit d'avoir un peu de sang indien parmi ses ancêtres pour pouvoir se déclarer Métis, quelle que soit la région. C'est ça le fond du problème, à mon avis.
Qui sont les Métis d'origine, au sens traditionnel du terme? Pour préparer cet exposé, je me suis renseigné à la Bibliothèque du Parlement pour essayer de savoir quand le mot « Métis » a été utilisé pour la première fois. La bibliothèque n'a pas pu me le dire. D'après des sources historiques, le mot « Métis » est entré dans le vocabulaire courant dans les années 1930. C'est un mot français qui signifie « d'ascendance mixte ». Avant 1930, les anglophones nous appelaient des « Sang-mêlé ». Je me souviens d'avoir été traité de Sang-mêlé et même pire, quand j'étais enfant, et cette discrimination m'a poursuivi jusqu'à la vie adulte. Mais ça forge le caractère.
À cette époque, les gens n'osaient pas dire ouvertement qu'ils étaient Métis, y compris les membres de ma famille, car ils avaient peur d'être méprisés par la collectivité s'ils affichaient la moindre fierté pour leur culture. Beaucoup d'entre eux en ont été stigmatisés pendant longtemps.
Je me souviens, quand j'étais député, que, lors du débat sur un projet de loi visant à reconnaître Louis Riel, j'ai révélé pour la première fois en public mes origines métisses. Quand certains membres de ma famille l'ont appris, ils m'ont appelé pour me dire que je les avais mis dans l'embarras en faisant une telle révélation. Malheureusement, il y a beaucoup de gens, y compris des membres de ma propre famille, qui hésitent encore à révéler leurs origines métisses. Cette réticence ne facilite pas les choses quand on veut définir la véritable identité métisse.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, je ne prétends pas être un expert en la matière et connaître les diverses interprétations juridiques qu'on donne de la question, mais je peux vous parler de mon expérience, moi qui ai été élevé dans la culture michif. Il faut comprendre ce que signifie le mot « Michif » pour pouvoir faire la distinction entre ceux qui font partie des peuples métis d'origine et ceux qui n'en font pas partie. « Michif » n'est pas seulement un mot, c'est aussi une langue parlée par les habitants d'une région bien précise de l'Ouest canadien. Les Michifs sont les gens d'ascendance mixte indienne et européenne qui peuplaient la colonie de la Rivière-rouge, au Manitoba. C'est cette ville qui est, je crois, le lieu d'origine du peuple métis.
Le lieu d'origine, la langue et la culture sont les principales caractéristiques qui distinguent les Métis des autres groupes autochtones au Canada. Il ne faut pas oublier qu'à une certaine époque, les gens qui appartenaient à cette identité distincte ont formé un gouvernement provisoire pour résister aux tentatives du gouvernement canadien de confisquer leur territoire et de coloniser leur peuple. Louis Riel était leur chef, et le chef de ce gouvernement.
Il y a d'autres exemples dans le droit et dans l'histoire qui appuient ma position. Lorsqu'elle a comparu devant votre comité en mai dernier, l'avocate Jean Teillet, que ma collègue a citée, vous a donné de nombreux exemples juridiques et historiques, et je suis en parfait accord avec elle. Je lui ai dit que quand je viendrais témoigner, je répéterais mot pour mot ses propos parce qu'elle a entièrement raison sur tout.
Lorsqu'elle a comparu, elle vous a montré les certificats que le Canada distribuait aux Métis pour leur donner un titre et des droits sur des terres. Ces certificats sont importants car ils indiquent précisément là où était installé, à l'origine, le peuple Métis.
Même si, dans les arrêts Powley et Daniels, la Cour suprême du Canada ne définit pas de façon parfaitement claire qui est Métis et qui ne l'est pas, je crois que ces arrêts sont un pas dans la bonne direction. En effet, ils reconnaissent tous les deux que l'identité métisse est distincte de celle des autres peuples autochtones. Dans l'arrêt Powley, la Cour suprême affirme que, pour se déclarer Métis, il faut avoir un lien ancestral avec une communauté métisse particulière et il faut être accepté par ladite communauté.
Dans une décision récente, la Cour suprême a donné raison à la Fédération des Métis du Manitoba qui arguait que le gouvernement fédéral ne s'était pas acquitté des obligations prévues par la Loi de 1870 sur le Manitoba. Cette loi garantissait en effet la cession d'un territoire de 1,4 million d'acres aux Métis qui peuplaient la colonie de la Rivière- rouge, mais cet engagement n'a jamais été tenu.
Pour terminer, je tiens à dire que, pour moi, le mot « Métis » définit un peuple qui a une culture distincte et qui s'est établi dans une région bien précise au Canada. La langue, la culture, l'histoire et l'identité de ce peuple sont mal comprises et mal interprétées depuis trop longtemps.
Je voulais qu'on entreprenne cette étude quand j'étais président du comité, parce que j'avais l'intuition que les décisions qui allaient être rendues iraient dans ce sens. En 1982, lorsqu'on a adopté l'article 35, on a omis de définir le mot « Métis », on l'a simplement ajouté à la liste. Aujourd'hui, les arrêts de la Cour suprême nous obligent à définir ce terme, à la fois sur le plan juridique et sur le plan administratif. Il est crucial que votre comité fasse des recommandations en vue de définir l'identité et le statut des Métis. Les arrêts Powley et Daniels et les arguments de la Fédération des Métis du Manitoba soulignent clairement la nécessité de définir cette identité. J'espère sincèrement que votre étude contribuera à faire enfin la lumière sur cette question complexe.
J'aimerais remercier chacun et chacune d'entre vous de m'avoir écouté et de m'avoir donné l'occasion de venir vous donner mon point de vue. Tout le monde ne le partage pas, j'en suis conscient, mais c'est le mien et c'est le fruit de mon expérience personnelle. Je sais ce que ça signifie de se faire traiter de maudit sauvage. C'est comme ça qu'on nous appelait, et parfois c'était pire. Dans le nord du Montana, on les traitait de « bush » (ploucs) et même de « sales nègres ».
Le moment est venu de réparer cette injustice. Vous avez l'occasion de rédiger un rapport que tout le monde, y compris le gouvernement, sera bien obligé de prendre en compte.
Le président : Merci beaucoup, sénateur St. Germain.
La sénatrice Dyck : Je vous souhaite à nouveau la bienvenue parmi nous. Vous formez un panel intéressant en ce sens que non seulement vous êtes homme et femme, mais qu'en plus, vous avez des opinions bien différentes sur la définition du mot « Métis ».
Ma question trahit sans doute mon ignorance, sénateur St. Germain, mais vous avez parlé des arrêts Powley et Daniels et de la Fédération des Métis du Manitoba; or, l'arrêt Powley ne concernait-il pas une affaire propre à la région des Prairies?
M. St. Germain : Non, c'était la région de Sault Ste. Marie ou des Grands Lacs.
La sénatrice Dyck : L'arrêt Daniels et la Fédération des Métis du Manitoba concernaient bien une affaire propre à la région des Prairies. Il faudrait peut-être avoir aussi un arrêt pour la Colombie-Britannique. Est-ce qu'il est question d'entamer une procédure juridique pour savoir si les Métis de cette province répondent à une définition juridique? Ils ont peut-être développé une culture distincte, et comme ils sont établis dans un secteur géographique distinct, ils répondent peut-être à votre définition, sénateur.
Mme Barman : Les Métis de l'Okanagan ont lancé une procédure, mais ils ont très mal présenté leurs arguments et ils ont été déboutés en première instance.
Ce n'est pas seulement une question de gagner ou de perdre. Le problème, avec les tribunaux, c'est que ça coûte très cher, et la plupart des gens que je connais et qui se déclarent Métis, qu'ils soient des Prairies, de la Colombie- Britannique ou du Manitoba, ce ne sont pas des gens riches, ils ne peuvent pas se permettre de financer des procédures judiciaires pareilles. À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral accorde une aide financière au Ralliement national des Métis et à la Métis Nation Bristish Columbia. Je crois que cette organisation souscrit à la définition du sénateur St. Germain.
La plupart de ceux qui se déclarent Métis, qu'ils vivent en Colombie-Britannique ou ailleurs, ont connu à peu près la même chose que le sénateur St. Germain, mais ils n'ont pas les moyens de s'adresser aux tribunaux, et ils n'en ont pas le temps parce qu'ils doivent travailler pour vivre.
La décision Daniels est intéressante en ce sens qu'elle regroupe les Indiens non inscrits et les Métis. Beaucoup de gens, et je parle de la Colombie-Britannique, ne savent pas très bien s'ils sont Indiens non inscrits ou Métis. Ça dépend beaucoup de ce qui se dit dans les journaux et ailleurs. Je pense que l'un des problèmes, c'est la loi. L'arrêt Daniels remonte à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, il remonte au droit du Parlement de statuer. Si c'est validé, vous avez le feu vert.
M. St. Germain : Il est évident qu'il n'y a pas de solution simple à ce problème très complexe. Dans les décisions judiciaires, il n'y a pas de zones grises. Vous gagnez ou vous perdez, et ce n'est pas forcément la meilleure façon de régler les choses. Dans des cas comme ça, il faut trouver des solutions de compromis.
J'en reviens à ce qu'a dit Jean Teillet. Nous avions notre langue, notre culture, notre musique, et un gouvernement provisoire. Voilà ce qui nous définissait. Prenez un pays comme la Pologne ou la France. Les gens ont leur langue, leur culture, leur musique, leurs traditions et leurs coutumes. C'est ce qui définit un peuple. C'est la raison pour laquelle je me sens parfaitement à l'aise quand je défends ces arguments. Cependant, c'est à vous de décider, c'est à vous de déterminer, dans toute votre sagesse, ce que conclura cette étude.
Le président : Je n'ai qu'une question à poser, et je m'adresse à Mme Barman. Parfois il est plus facile de définir « ce qui est » plutôt que « ce qui n'est pas ». S'agissant des Métis, ne pensez-vous pas que c'est devenu une réalité pour nous aussi?
Mme Barman : M. St. Germain a parlé de ce qu'il ressentait quand il se faisait traiter de Sang-mêlé, et le fait de s'assumer pleinement Métis est fondamental dans tout ce débat. En Colombie-Britannique, en plus des 60 000 personnes qui se déclarent Métis, il y en a 80 000 qui disent avoir des ancêtres autochtones. Dans la vie quotidienne, entre eux, la plupart de ces gens se considèrent comme des Sang-mêlé. Autrement dit, c'est un statut dont ils ne voulaient pas mais ils reconnaissaient que c'était le leur. Et l'une des façons de faire valider ce statut, c'est d'être Métis, car, pour toutes sortes de raisons, aujourd'hui c'est bien vu d'être Métis, mais ce n'est toujours pas bien vu d'être Sang- mêlé.
Le président : Nous avons entendu un certain nombre de témoins qui se sont déclarés Métis. M. St. Germain était encore là, pour certains d'entre eux. Et je me souviens que plusieurs d'entre nous, autour de la table, étions un peu perplexes étant donné l'image que nous nous faisions des Métis, ce que nous avions entendu. Bref, ça ne nous rend pas la tâche facile. Nous avons entendu des groupes qui nous ont présenté des preuves convaincantes de leur ascendance autochtone, mais étant donné la définition que nous donnons au mot Métis, nous avions du mal à savoir s'ils y répondaient. Est-ce à ça aussi que vous faites allusion?
Mme Barman : Oui. Lorsque la greffière a essayé de me convaincre de venir vous rencontrer, elle m'a conseillé de lire les témoignages antérieurs. Je les ai tous lus, scrupuleusement. Je suis entièrement d'accord avec vous, d'après ce que j'ai lu au cours des cinq derniers jours. Oui, c'est un exercice difficile. Il n'y a pas de solution magique, il n'y en a peut- être pas du tout, et je parle de la mission qui vous est confiée. L'un des gros problèmes est l'existence de tout ce groupe qu'on appelle les Indiens non inscrits. Ce sont ces gens-là qui sont les plus mobiles : ils peuvent passer d'une catégorie à l'autre, je pense.
Le président : Monsieur St. Germain, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. St. Germain : Il est plus facile de définir « ce qui est » que « ce qui n'est pas ». Je crois que c'est bien dit. J'ai lu les témoignages et j'étais présent. Aujourd'hui, je suis venu parler de mon expérience personnelle, mais la raison pour laquelle je tenais à ce que cette étude se fasse, c'est que les exigences juridiques et administratives évoluent au fur et à mesure des décisions judiciaires, et que les droits et indemnités évoluent en conséquence; il est donc crucial que le ministre des Affaires autochtones ou l'interlocuteur fédéral, en l'occurrence, sache à qui donner quoi.
C'est comme les cartes de chasse, de pêche et de piégeage. Lorsqu'elles sont apparues, une foule de gens se sont déclarés Métis pour en bénéficier. C'était dans le sillage de la décision Powley. L'identification est cruciale.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, je ne prétends pas être expert en la matière, mais j'ai mes opinions parce que j'ai vécu cette expérience. Je n'ai aucun regret. Je suis fier de mes origines et je suis fier que mes ancêtres aient joué un rôle dans l'histoire de notre pays. Mais c'est un problème. C'est plus facile de définir « ce qui est » que « ce qui n'est pas ».
Mme Barman : En lisant les témoignages antérieurs, j'ai remarqué que la plupart des provinces se fondent sur les données du recensement. Lorsqu'elles ont comparu devant vous et qu'elles ont dit qu'elles avaient 80 000 Métis dans leur population, par exemple, cela correspond exactement au chiffre indiqué dans le recensement de 2006. Les chiffres du recensement se fondent sur la déclaration volontaire, et sur aucun des autres critères. C'est très intéressant de voir comment la déclaration volontaire est devenue, au moins pour un grand nombre de témoins que vous avez entendus, le critère déterminant pour décider qui est Métis et qui ne l'est pas.
Le président : D'après les recherches que vous avez faites en Colombie-Britannique, quel pourcentage de ces 60 000 personnes répond à votre avis à la définition de Powley?
Mme Barman : Leur origine géographique? Je suis d'accord avec M. St. Germain, la plupart ont sans doute leurs origines dans les Prairies, mais des origines lointaines, dans les années 1930 et 1940, ce qui montre bien les ramifications de la décision Powley.
J'avais une étudiante qui finissait ses études de baccalauréat, et elle se demandait ce qu'elle devrait faire après. Après m'avoir posé la question, elle est revenue, plus tard, pour me dire : « Je sais ce que je vais faire. Je suis retournée chez moi et j'en ai parlé à mes parents, et ils m'ont conseillé de devenir Métisse. » Ses parents vivaient dans les Prairies. « Je suis donc devenue Métisse, et maintenant j'ai toutes les qualifications ainsi que des indemnités pour faire mon droit. » Et c'est ce qu'elle a fait.
Tout ça est assez flexible. Ses origines dans les Prairies remontaient à trois ou quatre générations, mais elle n'y était pas retournée depuis l'âge de trois ou quatre ans. Elle n'y était jamais retournée enfant. C'est donc étirer pas mal la définition de l'arrêt Powley, où il est question de maintenir une forte affinité. Elle m'a dit qu'elle allait retourner là-bas pour les vacances, et que tout irait bien. Et c'est ce qu'elle a fait.
M. St. Germain : En lisant les témoignages, j'ai vu que l'un des témoins a dit qu'au Québec, des Haïtiens cochaient la case « Métis » dans le formulaire de recensement.
Mme Barman : Exactement.
M. St. Germain : C'est dire combien les résultats peuvent être complètement faussés. Mais ces gens-là pensent qu'ils disent la vérité puisqu'ils se croient d'ascendance mixte, donc des Métis.
Le président : Des Métis francophones.
M. St. Germain : C'est ça.
Mme Barman : C'est la confusion la plus totale.
M. St. Germain : Tout à fait d'accord, et ce ne sera pas facile d'en sortir.
Le sénateur Sibbeston : Chaque fois que nous accueillons des spécialistes, je leur demande si les tribunaux vont finir par reconnaître les Métis en vertu du paragraphe 91.24, au même titre que les Indiens. Leur réponse est toujours assez vague, et ils ne sont jamais prêts à dire que « oui, on se dirige vers ça ». Pour autant, un certain nombre de décisions ont été rendues, notamment dans l'affaire Daniels...
Mme Barman : Si ça aide, oui.
Le sénateur Sibbeston : ... qui reconnaissent que les Métis relèvent de la responsabilité du gouvernement fédéral et devraient donc être assujettis au paragraphe 91.24, au même titre que les Indiens du Canada. Notre rapport porte essentiellement sur l'identité métisse, mais je vois qu'il y a un chapitre sur les relations des Métis avec le gouvernement fédéral.
Quoi qu'il en soit, pensez-vous que nous devrions recommander, dans notre rapport, que le gouvernement fédéral commence à se préparer à une situation qui me paraît inéluctable, à savoir que les Métis seront assujettis au paragraphe 91.24? Il faut que le gouvernement s'y prépare car ça va coûter de l'argent et qu'il faudra offrir davantage de programmes aux Métis. Pensez-vous que nous devrions le dire dans notre rapport?
Mme Barman : Dites « oui ».
M. St. Germain : Vous voulez que je dise « oui », mais je croyais que c'était vous la spécialiste.
Je crois en effet qu'il faudrait que le gouvernement y réfléchisse. Je ne sais pas si la Cour suprême confirmera la décision; c'est difficile de dire, mais, en attendant, il faudrait quand même y réfléchir. Le gouvernement a déjà beaucoup de choses à faire, mais il devrait quand même y réfléchir, en attendant la décision de la Cour suprême.
Mme Barman : Comme je l'ai déjà dit, je connais mieux la Colombie-Britannique que les autres provinces, mais Mike Evans et moi avons fait beaucoup de recherches et d'enquêtes là-dessus. À l'heure actuelle, un grand nombre de programmes pour les Métis, notamment les programmes de financement en santé et en éducation, sont fondés sur la déclaration volontaire. Quand vous demandez des fonds, vous en obtenez.
La difficulté qui se pose à la Nation métisse et aux groupes du Rassemblement national des Métis, comme la Métis Nation British Columbia, c'est qu'ils tiennent désormais les cordons de la bourse pour ces programmes, mais qu'en théorie, ils sont assujettis à une restriction beaucoup plus sévère.
Il y a donc une contradiction entre ce qui se passe dans la réalité et qui décide qu'untel est Métis et qu'il a droit à des aides financières pour l'éducation, les soins aux enfants et tous les autres programmes disponibles.
Le sénateur Sibbeston : Monsieur St. Germain, vous êtes Métis. Vous êtes l'un de ceux qui sont visés par la cause du Manitoba, c'est-à-dire qu'on ne vous a pas donné les terres qu'on vous avait promises dans les années 1800. Que pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait faire en ce qui concerne les Métis du Manitoba et toute cette question des terres?
La décision de la Cour suprême est importante car elle reconnaît que les Métis n'ont pas été traités équitablement. Qu'attendez-vous du gouvernement?
M. St. Germain : Premièrement, pour des raisons économiques, je suis allé m'installer plus à l'ouest. J'ai dû quitter ma province natale. J'estime cependant que le gouvernement a une responsabilité, et qu'il devrait s'intéresser en priorité à ceux qui sont restés sur leurs terres d'origine. J'aimerais aussi qu'on mette l'accent sur l'éducation des jeunes. Les Métis du Canada ont beaucoup de défis à relever, et l'éducation en est un. Je trouve qu'on devrait mettre l'accent là-dessus.
Il y a aussi le développement économique. J'aimerais que, quelle que soit sa responsabilité, le gouvernement s'en acquitte de façon à ce qu'elle profite à tout le monde, et qu'il s'emploie à optimiser les sommes d'argent et autres engagements qui seront éventuellement prescrits dans la décision qui sera rendue.
« On ne peut pas, avec une loi, redresser des torts et en faire des droits, on peut seulement essayer de rendre la justice en son temps. » Je paraphrase quelqu'un dont le nom va vous surprendre. Il s'agit de Pierre Trudeau, et j'étais à la Chambre des communes quand il a prononcé ces paroles. Il faut chercher à rendre la justice en son temps, et on ne peut pas, avec une loi, redresser des torts pour en faire des droits. Mais aujourd'hui, vous en avez l'occasion. Je tiens à féliciter David Chartrand et tous ceux qui ont eu le courage et la persévérance de mener cette bataille juridique jusqu'au bout.
Dans mon cas, j'ai eu de la chance. Mais je sais que dans ma province d'origine, il y a des gens, notamment des enfants, qui méritent d'avoir accès à une meilleure éducation, à de meilleurs services de santé et à de meilleures perspectives économiques.
Mme Barman : Puis-je ajouter quelque chose?
Le président : Je vous en prie.
Mme Barman : Une difficulté se pose. Je pense que la décision obtenue par le Rassemblement national des Métis est extraordinaire, et inattendue pour beaucoup de gens. Mais elle est là, et elle concerne un tort bien précis et considérable. Ça amplifie ce que ça signifie d'être Métis, et ça amplifie aussi ce que ça signifie de ne pas être Métis. Tous ceux qui se sont déclarés Métis — pas les Métis du Manitoba, bien sûr — sont des gens qui ont subi le même type de tort, en raison du fait que la Loi sur les Indiens ne conférait le statut d'Indien, quelle que soit la définition qu'on en donne, qu'aux hommes qui étaient Indiens, à l'époque, et aux femmes, mais à condition qu'elles n'épousent pas un blanc.
Toute la catégorie des Métis et toute la catégorie des Inscrits non inscrits sont issus du même bassin biologique en ce sens qu'elles regroupent les gens qui, en pratique — que ce soit en Colombie-Britannique, au Manitoba ou ailleurs au Canada — ont été les plus lésés puisqu'ils ont été rejetés par les deux camps. Leurs ancêtres peuvent être canadiens- français, européens, chinois ou mexicains — et parfois toutes ces origines à la fois, comme c'est le cas en Colombie- Britannique. Et ils se sont retrouvés marginalisés en raison de leur exclusion. Ils ne pouvaient pas vivre dans la famille de leur mère et étaient donc dans les limbes. Tantôt leur père était présent, tantôt il ne l'était pas.
Ces gens-là ne sont peut-être pas tous des Métis, mais leurs conditions de vie sont très semblables à celles des gens que vous considérez comme des « Métis légitimes ». C'est à ce niveau-là que l'arrêt Daniels est intéressant, car il place les Indiens non inscrits et les Métis à peu près dans la même catégorie, du fait qu'ils ont tous été victimes d'une injustice qu'il faut réparer.
La question qu'il faut cependant se poser, c'est de savoir, s'agissant des Métis, si on veut réparer les torts du passé ou bien si on veut rendre justice à des gens qui sont issus d'un phénomène historique particulier qui s'est produit au Manitoba avec Louis Riel, ou en Saskatchewan avec Louis Riel. C'est une distinction vraiment importante. Et ça concerne aussi les gens qui ont vécu la même chose en Alberta ou dans certaines régions de l'Ontario.
Comme je vous l'ai dit, le point commun, selon Jean Teillet, c'est le commerce des fourrures. Elle dit qu'il n'y a pas eu de commerce des fourrures à l'ouest des Rocheuses parce que tous ces gens étaient issus du commerce des fourrures. Mais si vous dites qu'ils sont issus du commerce des fourrures, ça signifie que les familles établies en Colombie- Britannique ont vécu à peu près les mêmes expériences en raison de la discrimination exercée par les Canadiens français, principalement, et aussi du fait que certains anglophones épousaient des femmes indigènes. La même chose s'est produite avec la ruée vers l'or en Colombie-Britannique. Vous devez donc vous demander ce que vous voulez faire, quelles personnes vous voulez viser, comment vous allez fixer la limite, et même s'il faut vraiment en fixer une.
Le sénateur Tkachuk : J'aimerais revenir sur l'inclusion des Métis dans la Loi constitutionnelle de 1982. A-t-on des explications écrites sur la définition que le législateur donnait à l'époque au mot « Métis »? Existe-t-il des preuves écrites ou des documents rédigés par des gens qui étaient là à l'époque, car ça pourrait nous éclairer sur l'intention du législateur?
Mme Barman : D'après ce qu'on raconte dans les milieux universitaires, ça remonte au même Harry Daniels que celui de l'affaire Daniels, qui, pendant les négociations, un certain après-midi, aurait forcé la main des rédacteurs en leur disant d'inclure les Métis dans la liste parce que c'est ce qu'il voulait, et ils l'ont fait.
M. St. Germain : J'ai entendu la même chose. Je suis d'accord avec Mme Barman. C'était à la toute fin des négociations, et il s'agissait bien de Harry Daniels. Je crois qu'il était chef du Congrès des peuples autochtones à l'époque, n'est-ce pas?
Mme Barman : Oui, je crois bien.
M. St. Germain : C'était une négociation en coulisse, comme ça arrive parfois. C'est pour ça que le Sénat joue un rôle important. À la Chambre des communes, un grand nombre d'arrangements se font comme ça, à la dernière minute, pour des motifs partisans.
Le sénateur Tkachuk : Ça signifie qu'un grand nombre de personnes présentes dans la salle auraient accepté à la dernière minute d'inclure cela dans la Constitution, sans vraiment comprendre ce qu'elles faisaient.
M. St. Germain : Je n'étais pas là, mais je crois sincèrement que c'est ce qui s'est passé. C'est précisément une des raisons pour lesquelles il est important d'avoir une chambre capable de faire un second examen objectif.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez tous les deux expliqué ce qu'est un Métis. Madame Barman, vous nous avez donné l'exemple de cette femme de Colombie-Britannique qui s'est déclarée Métisse pour pouvoir recevoir certaines indemnités. Il faut que nous trouvions une définition avant de commencer à parler d'indemnités, car sinon, il y a des gens qui vont se déclarer Métis alors que ça ne leur était jamais venu à l'esprit auparavant.
Mme Barman : Ça se fait déjà.
Le sénateur Tkachuk : Je n'en doute pas. La définition de « Métis » devrait être la même que pour n'importe quel groupe culturel, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir retracer leur ascendance jusqu'au lieu d'origine des Métis, sinon, les Métis viendraient de nulle part. Si mon fils épousait une Autochtone, est-ce que leurs enfants seraient métis? Je ne le pense pas. Ce serait simplement des Canadiens parce qu'ils n'auraient pas d'ancêtres métis, pas de patrimoine métis.
M. St. Germain : Il y a une zone géographique, c'est la vallée de la rivière Rouge. C'est comme la Pologne; la Pologne est une zone géographique. Les Polonais ont leur langue, leur musique, leur culture. Les Métis étaient des chasseurs, des pêcheurs et, dans une certaine mesure, des cultivateurs. Ils étaient différents des Premières Nations et des Inuits. Ils étaient plus nomades. Dans cette région une langue est apparue, le michif, ou encore le bungee, comme vous voulez, ce qui en a fait un peuple.
Mme Barman se dit favorable à une interprétation large de la décision Daniels. Mais il faut fixer une limite quelque part, sinon ça va durer éternellement. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il faudra sérieusement envisager, pour le processus d'identification, de faire référence à une zone géographique précise, caractérisée par une culture, une musique et un mode de vie particulier.
Les Métis ont aussi développé une économie fondée sur le pemmican. Cuthbert Grant, mon ancêtre, était capitaine de chasse. Mon père parlait peu et d'une voix très douce. Un jour que je le faisais parler de ses souvenirs, il m'a dit que ce dont il se souvenait le plus, c'était quand la famille de ma mère était partie chasser le bison pour la dernière fois. C'était la dernière fois qu'ils allaient chasser le bison, et ils savaient qu'ils ne rapporteraient probablement rien. Ils y étaient allés avec des charrettes de la rivière Rouge.
C'est une indication. Ils avaient des signes symboliques. Par exemple, il y avait les charrettes de la rivière Rouge, les ceintures fléchées et les autres caractéristiques qui en faisaient une culture distincte, un groupe distinct dans une zone géographique précise.
Vous pouvez aller faire des recherches dans les dossiers généalogiques qui sont conservés à Saint-Boniface. Si vos ancêtres viennent de là, vous y trouverez certainement des preuves de votre identité métisse; c'est une solution.
La sénatrice Raine : C'est intéressant de vous écouter tous les deux et d'entendre vos points de vue différents
Sénateur St. Germain, vous avez dit que lorsque vous avez déclaré à la Chambre des communes que vous étiez Métis, certains membres de votre famille n'étaient pas contents. J'en conclus que, pendant des années, vous n'avez pas voulu vous déclarer Métis. Qu'est-ce que vous ressentiez à l'époque?
M. St. Germain : Non, je n'ai jamais dissimulé mes origines métisses, j'en ai toujours été fier. Je les ai toujours défendues à l'école, je n'ai jamais eu peur. J'étais ce que j'étais. J'aime mon père, j'aime mon grand-père. Vous avez dû voir dans mon bureau la photo de mon grand-père avec ses mocassins. J'étais fier d'eux et je le suis toujours. Jamais je ne nierai que je suis un Sang-mêlé ou un Michif. C'est mon identité, c'est comme ça que j'ai été élevé.
Il faut être fier de son identité, de ses origines. Si vos ancêtres ont besoin d'être défendus, il ne faut pas hésiter à le faire. C'est extraordinaire de pouvoir s'affirmer tel qu'on est, surtout dans une société si peu tolérante. Ça forge le caractère, sénatrice Raine.
La sénatrice Raine : Merci. C'est ce que je pensais que vous alliez dire, mais en même temps, vous dites qu'il faut fixer une limite. Vous savez bien qu'à un moment, les ancêtres de certaines personnes ont dû dissimuler leur identité à cause du racisme et de la discrimination, et qu'elles n'étaient pas fières de leur patrimoine. Aujourd'hui elles retrouvent cette fierté.
Comment peut-on concilier le lieu géographique et la culture, d'une part, avec, d'autre part, la situation de toutes ces personnes qui veulent retrouver les racines qu'elles sont peut-être en train de se découvrir?
M. St. Germain : Plusieurs églises de la région de Saint-Boniface ont des dossiers précis sur les gens qui ont vécu là, les enfants qui ont été baptisés, les gens qui se sont mariés, et tous ceux qui sont venus s'établir dans la région. Et quand un francophone a épousé une Michif ou une Indienne, par exemple, c'est bien indiqué.
Cuthbert Grant a eu trois femmes, d'après les registres. Je ne sais pas si c'est vrai. Il a eu une femme Sioux. Apparemment, il aurait eu une femme à Pembina, une à Grant Town et une autre ailleurs, semble-t-il. Ça doit être possible de les identifier, sénatrice Raine, même si ce n'est pas une tâche facile.
Quant à savoir où fixer la limite, je dirai que les Métis n'étaient pas seulement un groupe de gens, ils avaient aussi une culture, une économie et un gouvernement provisoire. C'était un peuple reconnu. Ils avaient leur musique, leurs coutumes et leurs habits traditionnels. Je ne vois pas ce qu'il faut d'autre pour « définir » un peuple. Tout comme les Français, les Polonais et les Tchèques, les Métis ont une identité unique qu'il faut reconnaître.
Ma position est partagée par des spécialistes comme Jean Teillet. Je la cite encore parce qu'elle a beaucoup planché sur la question. Elle a apporté sa contribution à l'affaire Powley, elle a fait beaucoup de recherches. Je me fie beaucoup à elle, comme à d'autres d'ailleurs. C'est comme ça que je me suis formé une opinion. Comme je l'ai dit clairement au début, je ne suis pas expert en la matière. Madame Teillet l'est clairement, beaucoup plus que moi. Il se trouve tout simplement que j'ai été exposé à toutes sortes de circonstances et d'expériences.
Mme Barman : Je suis entièrement d'accord avec M. St. Germain pour dire qu'il s'agit d'un groupe tout à fait unique au Canada et dans l'histoire du Canada. Ce qu'il faut se demander, c'est comment les éléments de cette unicité peuvent être appliqués de façon plus générale. Bon nombre de groupes au Canada ont eu, eux aussi, une histoire tout à fait unique, sont originaires d'une région bien précise du Canada et ont un certain mode de vie. Avec les Canadiens français et le commerce des fourrures, sur la côte Ouest, on a eu le chinook, qui était un patois composé de mots français et de mots indigènes, par rapport au michif qui, lui, était une langue. La prosodie du chinook était essentiellement celle de la langue canadienne-française et elle l'est restée pendant très longtemps.
Je pense que tous ces éléments s'appliquent, mais il y a une autre question. Si nous reconnaissons l'existence de ce groupe, d'autres groupes ne voudront-ils pas alors se faire reconnaître comme des sous-groupes distincts au Canada, à des époques différentes?
La sénatrice Raine : Je pense qu'il faut distinguer deux choses : l'identité, c'est-à-dire les affinités que vous avez avec votre patrimoine culturel, et l'application d'une définition, ou identification, par un organisme externe. C'est ce que nos gouvernements vont devoir faire, car s'ils veulent limiter les indemnités à une catégorie de gens seulement, ils vont devoir déterminer qui va recevoir quoi. Je pense que c'est l'aspect le plus délicat de toute cette question. Personnellement, j'estime que les indemnités versées devraient dépendre non pas de la race mais des besoins. Cela nous éviterait peut-être de devoir définir l'identité de chaque personne. Ce qu'il nous faut, c'est peut-être des Métis avec un trait d'union.
M. St. Germain : Nous avons déjà assez de problèmes.
Le sénateur Meredith : Monsieur St. Germain, c'est toujours revigorant de vous entendre parler de votre passé et de votre identité avec autant de passion et de fierté. Ça transparaît dans tout votre témoignage.
Je voudrais simplement revenir sur la définition que le Rassemblement national donne du Métis qui se déclare volontairement, de l'ascendance et de l'acceptation. Vous avez dit qu'il s'agissait d'un groupe culturel distinct. Mais comment fait-on pour définir le groupe, sa culture, ses ceintures fléchées, ses pratiques de chasse, et cetera? Comment le définissez-vous, étant donné que certains Métis se sont déjà déclarés volontairement et que, maintenant, vous voulez ajouter la culture? Comment obtenir un consensus là-dessus, vu les avis divergents sur la question?
M. St. Germain : C'est une question complexe, sénateur, et je ne la prends pas à la légère. Je ne veux surtout pas être exclusif, je préfère être inclusif. Mais il faut bien fixer une limite quelque part. Pour ceux qui se déclarent volontairement, il faut que ça remonte à quelque chose. Si vous êtes Jamaïcain...
Le sénateur Meredith : Je suis Antillais.
M. St. Germain : ... ou Antillais, comme vous voulez.
Le sénateur Meredith : Je me déclare volontairement.
M. St. Germain : Vous vous déclarez Métis. Bien. Nous vous accepterons.
Si vous voulez vous déclarer volontairement, c'est une chose. Dans la décision Powley, la déclaration volontaire est importante, mais un lien ancestral avec une communauté métisse distincte est important aussi, tout comme le fait d'être accepté par cette communauté. Ce sont là trois aspects importants.
Sur ce plan-là, la jurisprudence est nettement supérieure à ma capacité de vous donner une définition claire. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je me fonde sur ce que j'ai vécu et sur ce que les autres Métis ont vécu, surtout du côté de la mère de mon père, et ce que je vous explique aujourd'hui, c'est la façon dont je vois que les choses se sont passées jadis. C'est vraiment ce qui m'a amené à ma décision.
La déclaration volontaire, bien sûr que c'est important, mais il ne faut pas s'arrêter là. Il faut pouvoir vérifier cela par la généalogie, entre autres. Il y avait des caractéristiques très distinctives, comme la chasse au bison, par exemple, les capitaines de chasse. C'était propre aux Métis. Le plus souvent, ils étaient trappeurs, mais ils avaient aussi toutes sortes d'activités : la pêche, la culture, le trappage, la chasse, et ils étaient nomades. C'est comme ça qu'ils ont perdu des terres, au moment de la distribution des certificats.
Sénateur Meredith, je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, mais si vous vous reportez à l'arrêt Powley, je crois que vous trouverez la réponse la plus précise que vous puissiez obtenir.
Le sénateur Meredith : Vous avez parlé d'éducation et de développement économique. À votre avis, la Nation métisse a-t-elle progressé? Économiquement, vous avez parlé d'éducation. Vous savez que je m'intéresse beaucoup aux jeunes et aux moyens de les encourager, de les mobiliser et de leur donner les outils nécessaires. Que font les chefs Métis avec les jeunes qui se sont déclarés volontairement et qu'il faut aider à participer à la vie économique?
M. St. Germain : En Colombie-Britannique, la Métis Nation British Columbia fait un travail extraordinaire auprès des jeunes. Elle les fait venir à ses réunions, et des conférenciers leur tiennent des discours encourageants.
Au Manitoba, où a eu lieu la cause judiciaire, la Fédération des Métis du Manitoba, avec David Chartrand, organise pour les enfants divers programmes sanitaires, sociaux et éducatifs.
En réponse au sénateur Sibbeston qui voulait savoir comment ça serait géré, maintenant qu'une décision a été rendue. Si j'ai bien compris la décision, elle reconnaît qu'il y a eu une injustice et qu'il faut la réparer, mais elle ne prescrit rien. Le tribunal a été prudent car dans le passé, on disait généralement aux Autochtones ce qu'ils devaient faire, plutôt que de commencer par leur demander leur avis et voir à partir de là. C'est peut-être pour ça que la décision ne prescrit rien.
Je pense que c'est une question que des gens vont poser, à savoir qu'est-ce qui va se passer si on décide de verser des indemnités ou d'offrir des avantages? Comment va-t-on pouvoir administrer cela dans l'intérêt de tous, vu la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui? Comme je l'ai dit, on ne peut pas revenir en arrière, il faut faire ce qu'il faut pour le présent et pour l'avenir.
Mme Barman : Je voudrais dire à M. St. Germain que je suis d'accord avec lui pour dire qu'il faut reconnaître tout ce que ces gens-là ont fait en tant que Canadiens. C'est très important, car ils ont apporté une contribution importante à l'histoire du Canada, et nous commençons à en prendre conscience de diverses façons. Par exemple, l'opéra Louis Riel a été monté à l'Université de la Colombie-Britannique il y a quelques années, et ça a vraiment permis de remettre les pendules à l'heure.
La sénatrice Raine a posé une question au sujet des indemnités, en demandant ce que cela avait à voir avec ça. Un grand nombre de groupes ont persévéré. Pensez aux noirs qui sont arrivés après la révolution américaine et qui se sont démenés pour survivre. Ils ont vécu dans des conditions semblables. Les gens qui sont arrivés en Colombie-Britannique à l'époque du commerce des fourrures ont dû eux aussi faire face à l'adversité, mais est-ce que ça leur donne droit à des indemnités particulières? La question qu'il faut se poser, c'est de savoir à qui on veut donner des indemnités et à qui on veut accorder une reconnaissance particulière pour le rôle important qu'ils ont joué dans l'histoire du Canada?
La décision obtenue par la Fédération des Métis du Manitoba consiste bien évidemment à réparer une injustice, et non à distribuer des avantages. Elle répare une injustice, ce qui est une circonstance différente, un peu comme l'impôt de capitation que devaient payer les immigrants chinois. Il fallait réparer une injustice. Il y a une différence entre les deux. La question qu'il faut se poser, c'est quels sont les groupes au Canada qui reçoivent des avantages du simple fait qu'ils appartiennent à une certaine culture, à un certain patrimoine? Il n'y en a pas beaucoup, à part peut-être les Indiens inscrits. Et ces avantages ont été consentis d'une façon tout à fait sexiste, initialement, et ça continue d'être le cas encore aujourd'hui, avec tous les problèmes que ça cause. Il faut peut-être réparer cette injustice, et si c'est ce que nous voulons, alors il faut le faire pour les Indiens non inscrits et les Métis, car ce sont eux qui ont vraiment été lésés en 1876.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur St. Germain, comment vos enfants se considèrent-ils?
M. St. Germain : Métis. Même mon arrière-petit-fils me dit : « Pépère, je suis un Métis ». Vous vous souvenez du panache de cérémonie que j'avais dans mon bureau? Un jour, il l'a mis sur sa tête et il a commencé à danser autour de la table. Je lui ai dit : « Tanner, qu'est-ce que tu fais, mon chéri? » Il m'a répondu : « Pépère, je suis tellement content de voir que tu en as un. » Ils se considèrent vraiment comme des Métis.
La sénatrice Raine : Je me rends compte soudain que, dès qu'on parle d'avantages, tout devient plus nébuleux. Nous devons vraiment nous concentrer sur l'identité et sur l'inclusion de l'histoire métisse dans la culture canadienne.
Quand j'allais à l'école, et j'ignore si ça a beaucoup changé aujourd'hui, tout ce qu'on nous apprenait c'est que Louis Riel était un Métis et qu'il avait conduit une rébellion. Nous n'avions aucune idée du rôle des Autochtones et des Européens dans la composition démographique des colonies établies au Canada.
Nous avons un énorme travail d'éducation à faire. Au lieu de distribuer des indemnités pour l'éducation de certains, je pense qu'il vaudrait mieux essayer d'éduquer tout le monde.
M. St. Germain : La seule chose que je peux vous dire, c'est qu'il est temps que les Canadiens commencent à célébrer leurs héros. Que ce soit Daniel Boone, Davy Crockett ou d'autres, les Américains les célèbrent comme des héros, au même titre que tous ceux qui ont exploré et défriché le territoire américain.
Et nous, qu'avons-nous fait avec Riel? Pour moi, Riel était un héros, parce qu'avec son peuple, il a véritablement exploré et défriché l'Ouest et permis au Canada de devenir le grand pays qu'il est aujourd'hui. Ils ont joué un rôle déterminant. Et plutôt que de critiquer leur action, on devrait mettre en valeur les faits les plus positifs et en être fiers, sans parler de l'histoire du Canada à laquelle on devrait s'intéresser davantage.
Le président : Vous êtes bien conscient qu'il y a eu aussi des épisodes négatifs, car les pionniers n'ont pas tous laissé des souvenirs positifs.
M. St. Germain : C'est exact, mais quand Riel s'est donné pour mission d'améliorer le sort et de défendre les droits de ses concitoyens, il ne pensait pas seulement aux Métis, il pensait aussi à tous les membres des Premières Nations qui subissaient la détribalisation, la ghettoïsation dans des réserves et l'internement brutal dans des pensionnats. La Loi sur les Indiens qui a été adoptée en 1876 constituait la pire des lois qu'on n'ait jamais votées dans ce pays au sujet d'une catégorie de personnes. Il faut regarder les choses en face et se dire qu'il est temps d'éprouver de la fierté pour ce que nous sommes et pour ceux qui ont exploré et défriché notre pays. Que ce soit Thompson ou Fraser, ces gens-là sont importants et ils sont reconnus comme tels. Commençons donc à en faire autant pour nos pionniers aux origines autochtones.
La sénatrice Seth : Je suis ravie de vous voir ici, monsieur St. Germain. Je n'avais pas compris que vous veniez témoigner.
Je ne connais pas grand-chose à toute cette question, et je risque donc de répéter ce qui a déjà été dit. Quelles sont les particularités historiques, juridiques, politiques ou culturelles qui distinguent la communauté métisse de l'Ouest du reste du Canada?
M. St. Germain : Pouvez-vous répéter la dernière partie de votre question? Quelles sont les particularités...?
La sénatrice Seth : Quelles sont les particularités historiques, juridiques, politiques et culturelles qui distinguent la communauté métisse du reste du Canada?
M. St. Germain : Je pense que c'est assez évident. Elles sont dûment consignées, il suffit de les reconnaître. Jusqu'à présent, elles ont été oblitérées. Ce n'est qu'en 1982 qu'on a reconnu l'existence du peuple métis, sénatrice. Auparavant, ce n'était qu'un groupe de personnes qui étaient fréquemment victimes de discrimination à cause de ce qu'elles étaient. Ce n'est qu'en 1982 que Harry Daniels, l'un des dirigeants métis de l'époque, a réussi à faire reconnaître les Métis comme un peuple autochtone, à l'article 35 de la Constitution. C'est là que les choses ont commencé à changer.
L'autre événement déterminant a été l'arrêt Powley, qui a vraiment déclenché quelque chose, qui a réveillé le géant qui dort. Personne n'en parlait, on savait que des choses se préparaient, mais rien de définitif. Quand l'arrêt Powley est sorti, on a vu qu'il définissait clairement des groupes de gens. Ensuite, on a appris que celui qui se déclare Métis, qui est issu d'une communauté métisse distincte et qui est accepté par cette communauté est considéré comme un Métis. Auparavant, c'était le vide le plus total.
Quand j'étais enfant, les Indiens aussi bien que les blancs refusaient de jouer avec nous parce que nous n'appartenions à aucun de ces deux groupes. La discrimination, nous l'avons subie jusque dans les années 1960.
À propos de discrimination, je vais vous raconter un exemple personnel, même si je ne voudrais pas trop insister là- dessus. J'entretenais des liens d'amitié avec une jeune fille, mais on lui a dit de cesser de me voir à cause de mes origines. J'ai fini par épouser Margaret et, après 52 ans de bonheur, je peux dire que ça a été une très bonne chose.
Mme Barman : Je travaille avec des familles d'ascendance mixte — c'est comme ça que j'ai l'habitude de les appeler — en Colombie-Britannique depuis une trentaine d'années. Quand Gerry parle de la jeune fille qu'il n'a pas pu épouser, c'est une histoire que j'entends constamment. Un oncle n'a pas pu épouser sa petite amie blanche, alors il s'est suicidé. Ces histoires sont malheureusement la conséquence de la Loi sur les Indiens, qui a contribué à séparer les familles, et du refus par le Canada de reconnaître les Indiens non inscrits et les Métis d'ascendance mixte. Elles ne sont pas propres aux Métis. Vous avez raison, il faut célébrer nos héros, mais les conditions de vie des gens sont assez similaires dans tout le Canada.
La sénatrice Seth : Qu'arriverait-il si votre fils épousait ma fille?
M. St. Germain : Si mon fils épousait votre fille? Les enfants seraient Métis s'ils en font la déclaration volontaire. Ma généalogie et celle de mon fils sont bien établies dans les registres de Saint-Boniface.
La sénatrice Seth : Ce que je veux savoir, c'est si vous auriez des réticences...
M. St. Germain : Pas du tout. Je serais fier que mon fils épouse votre fille. Je serais même ravi parce que, quand on est Métis, on ne fait plus attention aux couleurs, si l'on peut dire.
La sénatrice Seth : Je posais la question parce que je ne suis pas Métisse.
Le sénateur Tkachuk : En fait, vous aimeriez bien être Métisse.
M. St. Germain : Quoi qu'il en soit, je n'aurais aucune hésitation, je serais ravi de leur choix, quel qu'il soit.
Le président : Puisqu'il n'y a plus de questions, j'aimerais remercier nos deux témoins d'avoir pris la peine de venir nous rencontrer. Nous avons eu des échanges très intéressants, voire animés, et c'est très bien. Je vous remercie tous les deux.
Nous allons maintenant siéger à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)