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Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 13 - Témoignages du 5 novembre 2012


OTTAWA, le lundi 5 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour étudier les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects de la Loi sur la radiodiffusion.

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis heureuse de vous accueillir à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je m'appelle Maria Chaput. Je suis sénateur pour la province du Manitoba et présidente du comité.

[Français]

Avant de présenter le témoin qui comparaît aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter.

Le sénateur Champagne : Bonjour. Je suis Andrée Champagne, de Sainte-Hyacinthe, au Québec.

Le sénateur Poirier : Je suis Rose-May Poirier, sénateur de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je suis le sénateur Suzanne Fortin-Duplessis, de la ville de Québec.

Le sénateur McIntyre : Bonjour, je suis Paul McIntyre, sénateur de Charlo, au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur De Bané : Bonjour, je suis Pierre De Bané, sénateur du Québec. Les circonstances ont fait que j'ai été étudiant à l'Université Laval en même temps que M. Florian Sauvageau au début des années 1960, au début de la Révolution tranquille.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

Le sénateur Tardif : Je suis le sénateur Claudette Tardif, de l'Alberta.

La présidente : Le comité poursuit son étude des obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion. Nous accueillons aujourd'hui, M. Florian Sauvageau, professeur émérite au Département d'information et de communication de l'Université Laval, et président du Centre d'études sur les médias.

Monsieur Sauvageau a récemment codirigé un ouvrage intitulé La télévision de Radio-Canada et la conscience politique au Québec. Monsieur Sauvageau, au nom des membres du comité, je vous remercie de prendre le temps de nous présenter votre point de vue dans le cadre de notre étude et de répondre à nos questions. Je vous invite maintenant à prendre la parole et les sénateurs suivront avec des questions.

Florian Sauvageau, professeur émérite au Département d'information et de communication de l'Université Laval et président du Centre d'études sur les médias, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente, de cette invitation. J'en profite moi aussi pour vous saluer et pour dire bonjour à mon ancien collègue de l'Université Laval dans les années 1960, le sénateur De Bané, dont j'ai lu les travaux récents avec grand intérêt.

On m'a dit que j'avais cinq ou dix minutes de présentation et qu'ensuite je répondrais aux questions. Si vous le voulez bien, je vais donner quelques points précis des choses auxquelles je crois et peut-être que ce sera utile ensuite pour les questions. Ce sera à vous de décider.

Je vais commencer avec une citation. Vous avez fait état du livre qu'on a publié au mois de septembre. C'est un ouvrage collectif sur Radio-Canada, évidemment qui est axé sur le rôle qu'a joué Radio-Canada au Québec, surtout au moment de la Révolution tranquille, mais qui évoque au passage le fait qu'en étant à ce point utile à la transformation de la société québécoise à l'époque, à mon avis, il est fort possible que Radio-Canada, en étant trop centré sur le Québec, ait pu jouer une espèce de rôle de repoussoir vis-à-vis les francophones des autres provinces.

Je voudrais commencer en citant un paragraphe du texte de présentation. L'étude, que le sénateur De Bané a publiée il y a quelques semaines, dit que 40 p. 100 des nouvelles au Téléjournal de Radio-Canada sont consacrées au Québec. Je vois là une grande amélioration depuis 10 ans parce que dans mon texte, j'ai cité une autre étude, un ouvrage publié en 2000, qui fait une analyse de contenu.

Évidemment, il faudrait pouvoir comparer les méthodes. Est-ce qu'elles sont les mêmes? Est-ce qu'elles se comparent? À cette époque, en 2000, dans cette étude de Denis Fortier, le Québec était présent à 60 p. 100 dans les nouvelles télévisées de Radio-Canada. Donc on est maintenant à 40 p. 100, c'est que la situation s'est améliorée, tant mieux. Et les auteurs de cette étude disent que ce pourcentage élevé à Radio-Canada est un argument que vous connaissez, par la forte concurrence avec TVA, dont 80 p. 100 des nouvelles sont consacrées au Québec.

Je vais me citer pendant quelques lignes.

Ces données confirment ce qui me semble souvent être le caractère paroissial de la télévision québécoise. Elles permettent de même de comprendre les francophones hors Québec qui se sentent souvent étrangers à l'antenne de Radio-Canada. En revanche, un fait reste inéluctable. Plus de 90 p. 100 des spectateurs de la télévision de langue française vivent au Québec. Comment servir cet auditoire largement majoritaire et, en même temps, les francophones hors Québec qui ne se reconnaissent pas dans des instituts si largement québécois? C'est pourtant ce qu'on attend de Radio-Canada et ce que prévoit son mandat. Ce n'est pas loin d'une mission impossible.

Radio-Canada doit rester pertinente au Québec, je viens de le dire en le citant Il est certain que les médias québécois ont un caractère paroissial évident. À mon avis, ils s'intéressent trop peu à ce qui se passe au Canada anglais et à ce qui se passe à l'étranger. Mais il faut voir le réseau français radio-télévision dans le contexte de l'ensemble des médias québécois.

Si une importance est accordée au reste du Canada, comme celle qu'accorde CBC/Radio-Canada, par exemple, à l'ensemble du pays, il est certain que l'écoute de Radio-Canada va dégringoler et que Radio-Canada sera de moins en moins pertinente au Québec, alors que, compte tenu de ce caractère paroissial de l'ensemble des médias québécois que je viens d'évoquer, Radio-Canada est, malgré ses failles, le principal outil qui sert de fenêtre sur le monde et sur le reste du Canada.

S'il n'y avait pas Radio-Canada, la couverture internationale serait comme elle l'est souvent, désolante. Il y a des exceptions. Par exemple, le journal La Presse fait de grands efforts depuis quelques années. C'est quand même Radio- Canada qui, avec ses correspondants à l'étranger et à travers les yeux de journalistes canadiens, nous donne un regard sur le monde. Et il n'y a que Radio-Canada qui puisse déployer un réseau de correspondants à l'extérieur du Québec comme celui qui existe à l'heure actuelle.

C'est mon premier commentaire. Je dis que c'est mission impossible de servir à la fois les francophones hors Québec et les Québécois. J'ai déjà dit que c'était la quadrature du cercle qu'on demandait à Radio-Canada.

Les plaintes des francophones hors Québec sont tout à fait légitimes. Le problème n'est pas là; le problème est de trouver des solutions. Personnellement, je pense que la technologie permet de trouver des solutions qui satisfassent les uns et les autres. Deuxièmement, vous avez parlé du mandat du comité de la montréalisation des ondes, disant qu'elle était souvent déplorable.

Dans un autre texte que j'ai rédigé, j'explique à quel point je trouvais cela surréaliste. Il y a quelques années j'étais en vacances sur la côte du Pacifique et j'écoutais entre Seattle et Vancouver la radio de Radio-Canada diffusée à Vancouver mais avec des émissions faites à Montréal. C'est parfois ridicule d'entendre, si on est loin de Montréal, des émissions qui viennent de Montréal. C'est un problème aussi pour les régions au Québec.

Mais en même temps, la montréalisation des ondes, elle n'a pas que des défauts. Si on revient au rôle qu'a joué Radio-Canada dans l'évolution de la conscience politique au Québec, c'est parce qu'on a diffusé en région des productions dramatiques, des émissions de théâtre, des concerts que seule Montréal pouvait s'offrir, que les gens des régions ont eu accès à ces émissions faites à Montréal.

C'est un problème de la télévision un peu partout dans le monde. Il y a 25 ans, quand j'avais coprésidé un groupe de réflexion sur la radiodiffusion qui a mené à la loi de 1991, lorsqu'on commentait le rapport après sa publication, je me suis fait beaucoup d'ennemis en disant qu'on n'allait pas faire de téléromans à Chicoutimi ou à Maniwaki, pas plus qu'à Regina ou à Whitehorse. C'est impossible. Il faut être réaliste.

En France, on ne fait pas non plus de grandes productions dramatiques à la télévision nationale à partir de Dijon ou de Brest. Et c'est la même chose aux États-Unis. Il y a des masses critiques qui se tissent, de créateurs dans les grandes villes, où les artistes peuvent gagner leur vie, faire du cinéma, de la publicité, du théâtre, et c'est c'est seulement dans ces lieux qu'on peut faire de très grandes productions.

Donc, la montréalisation n'a pas que des défauts, bien que cela ait aussi de grands défauts. Je trouve également que Radio-Canada fait des efforts, des efforts qui m'agacent, parce qu'il faut un équilibre entre l'information nationale, l'information régionale et l'information locale. Cette année, par exemple, on a décidé que les bulletins de nouvelles aux heures, sauf les grands rendez-vous de huit heures, midi et 17 heures, les autres bulletins sont préparés dans les régions, ce qui conduit à une information de proximité qui est désolante.

On est privés d'informations nationales, internationales ou provinciales dans le cas du Québec. Il faut qu'on nous dise ce qui se passe au coin de la rue à Québec ou à Sept-Îles, et je trouve que c'est désolant. On a besoin d'un équilibre entre l'information nationale et l'information locale.

J'ai encore deux commentaires puis, ensuite c'est terminé. Je crois que c'est une erreur de comparer les réseaux anglais et les réseaux français. D'ailleurs, la loi de 1991, à l'article 3(1)c) et je lis l'article :

Les radiodiffusions de langue française et anglaise, malgré certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions d'exploitation et éventuellement quant à leurs besoins.

Cet article de loi permet de comprendre qu'on ne peut pas avoir un téléjournal le soir à 22 heures qui soit semblable en français et en anglais. Non seulement c'est impossible, ce serait totalement ridicule. À ce régime, le téléjournal du réseau français serait tout aussi surréaliste au Québec que ce que j'écoutais sur la côte du Pacifique il y a maintenant plusieurs années et que j'ai évoqué tout à l'heure.

Cela dit, il est vrai que Radio-Canada ne diffuse pas assez d'informations importantes du Canada anglais. Par exemple, toute l'affaire de l'acquisition par la Chine de l'entreprise pétrolière de Nexen en Alberta devrait être diffusée beaucoup plus au Québec. Tout le débat sur le pipeline dans l'Ouest vers la côte du Pacifique, tout cela est très important. Ce sont des nouvelles d'envergure nationale qui devraient être diffusées beaucoup plus au réseau français. Il y a encore du travail à faire, mais dans la vie tout est une affaire d'équilibre.

Et je pense que pour servir les francophones hors Québec, il y a aussi d'autres outils. Une des choses dont je suis le plus fier du rapport qu'on a fait avec Gerry Caplan au milieu des années 1980, c'est que ce rapport a conduit, parce qu'on a retenu les propositions des jeunes Canadiens français, à la création des radios communautaires. On a reconnu cette proposition. Les radios communautaires sont devenus un outil reconnu par la Loi sur la radiodiffusion au même titre que les secteurs public et privé.

Depuis cette époque, les radios communautaires ont joué un rôle très important au service des communautés minoritaires et des communautés francophones hors Québec. Il n'y a pas de Radio-Canada dans la vie. On peut aussi développer des outils souvent plus adaptés aux besoins des communautés francophones hors Québec, plutôt que les services d'une énorme entreprise comme Radio-Canada.

J'ai toujours cru qu'avant l'arrivée de Radio-Canada, les petites chaînes radio qui existaient dans l'Ouest, comme CKSB au Manitoba, étaient beaucoup plus utiles à leur communauté que Radio-Canada ne l'a été après. Avec les radios communautaires, on revient un peu à ce qu'étaient ces petites chaînes radio qui étaient ancrées dans les communautés et répondaient aux besoins de la communauté.

Dernière chose, il semble qu'il est grand-temps de revoir le mandat de Radio-Canada et d'y intégrer une réflexion sur les nouveaux médias. Je sais que vous avez récemment publié un rapport sur les nouveaux médias. On peut dire qu'on est sur la voie de l'avenir. Par certains aspects, la Loi sur la radiodiffusion n'a plus de sens. Demandez à CBC/ Radio-Canada, par exemple, de contribuer au partage d'une conscience nationale. Cela n'a plus de sens avec cinq, six ou sept p. 100 de l'écoute.

On a conçu l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion à une époque qui est à des années-lumière de l'époque technologique actuelle. C'est bien évident qu'il faut revoir la Loi sur la radiodiffusion et le mandat de Radio-Canada. Dans les petites notes que j'ai envoyées ce matin, j'ai peut-être exagéré un peu en disant qu'il fallait cesser de considérer l'article 3. Je sais qu'il a une grande valeur symbolique, mais il faut cesser de le considérer comme une encyclique. Il faut accepter de le modifier afin qu'il réponde mieux à l'époque actuelle.

Merci beaucoup de m'avoir écouté et je suis heureux de répondre à vos questions maintenant.

La présidente : Merci beaucoup monsieur. La première question sera posée par le sénateur Fortin-Duplessis suivie du sénateur Champagne.

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'ai aussi fréquenté l'Université Laval, mais un peu après vous. Je suis heureuse de vous recevoir aujourd'hui. Avec ma collègue, le sénateur Champagne, nous étions députée, à l'autre endroit, au moment où vous avez été nommé comme coprésident du groupe de travail sur la radiodiffusion, Caplan-Sauvageau, que vous avez cité dans le mémoire que vous nous avez envoyé, et qui a mené à une révision en profondeur de la Loi sur la radiodiffusion.

Ma question est la suivante : pouvez-vous comparer ce qui se passait à la Société Radio-Canada à travers le pays, de 1986 jusqu'au moment où vous avez publié votre rapport? Aussi, qu'est-ce qui se passe maintenant par rapport aux services en français qui devraient être donnés aux communautés francophones à travers le pays?

M. Sauvageau : Si vous voulez, je peux même remonter à l'époque avant le groupe de travail Caplan-Sauvageau. Vers la fin des années 1960, j'ai été journaliste à Radio-Canada et, ensuite, pendant les années 1970. Au début des années 1980, j'ai encore travaillé comme contractuel. Je n'ai jamais été un employé de Radio-Canada, mais j'ai fait beaucoup d'émissions comme contractuel sur une base annuelle.

À ce moment-là, la période vécue était une période politique. Je me souviens m'être fait dire que dans mes émissions on ne voyait pas assez les Rocheuses. Le fait qu'on dise que Radio-Canada est centrée sur le Québec a toujours été un problème. Ce qu'on avait mentionné dans le rapport Caplan-Sauvageau, c'est que si on avait appliqué le rapport intégralement, ça n'aurait certainement pas satisfait les communautés francophones hors Québec.

On avait suggéré de maintenir partout des stations d'information, mais de regrouper toutes autres productions. Parce qu'il n'y a pas que l'information; il y a aussi les dramatiques et les variétés. Tout se fait à Montréal et il y a de bons côtés à cela. Mais le rapport recommandait qu'on accorde plus d'importance à quatre centres qui sont Montréal, Québec, Moncton et Ottawa. Je ne dis pas qu'il ne se fait rien à l'extérieur de ces quatre centres. Au contraire.

Récemment, j'ai rencontré une dame au Conseil de la langue française, à qui on a décerné l'Ordre des francophones d'Amérique. Elle maintient à bout de bras toutes sortes d'activités de langue française à Whitehorse, au Yukon. Ce que font les francophones hors Québec est assez extraordinaire, mais à Whitehorse vous ne pouvez pas faire le tournage d'un téléroman qui va durer 13 semaines.

Franchement, je crois que Radio-Canada tente d'améliorer la situation. Je suis souvent plus critique que positif vis- à-vis Radio-Canada. Par exemple, tous les midis je suis dans ma voiture et entre 11 h 30 et midi, j'écoute l'émission d'information animée par Michel Auger. Il y a toujours un sujet qui vient d'un des quatre coins du Canada et qui est, hélas, sans intérêt.

Dans les stations régionales, il faut aussi que Radio-Canada fasse un effort pour diffuser de l'information locale au niveau national. Ce n'est pas comme diffuser une information dans une communauté. Là vous feriez de l'information miroir, mais si vous voulez que votre information soit intéressante au plan national, il faut la refaire, lui donner du contexte pour que les gens comprennent. Autrement ça ne fonctionne pas.

Selon ma propre perspective, moi qui écoute ça à Québec, l'effet est négatif parce que ce n'est pas intéressant. En fait, ça pourrait m'intéresser si c'était fait autrement.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Tout comme vous, je crois qu'il serait important qu'on nous informe sur ce qui se passe dans les autres communautés francophones à travers le pays. Comme vous dites, peut-être qu'on devrait améliorer la façon de le faire pour que ça devienne intéressant parce que personnellement, j'aimerais bien en savoir plus.

Monsieur Sauvageau, je vous avouerai que j'en suis venue à penser que la Société Radio-Canada divise le pays au lieu de jouer son rôle de rassembleur. Vous avez mentionné que cela prenait un financement stable. Je crois que dans les circonstances, avec tout ce qui se passe ailleurs dans le monde, on peut dire que Radio-Canada a un financement stable. Mais il y a des choses qui sont inadmissibles.

On n'a qu'à penser aux dépenses de la vice-présidente des Jeux olympiques d'hiver à Vancouver. On n'a jamais pu pouvoir consulter et voir les dépenses, la panoplie de journalistes qui sont allés à Haïti lors du tremblement de terre, et toutes sortes de choses de ce genre. Je pense que Radio-Canada devrait vraiment se concentrer sur les lacunes et essayer de faire un effort pour nous faire connaître en long et en large ce qui se passe ailleurs dans les autres provinces.

La présidente : Aviez-vous une question, sénateur?

Le sénateur Fortin-Duplessis : Non, j'émettais un commentaire.

Le sénateur Champagne : Bonjour, professeur Sauvageau. Si à Québec vous vous sentez un peu seuls et sous l'impression qu'on ne vous donne pas l'information régionale, nationale ou internationale, je peux vous dire que nous sommes gâtés, ici dans la région de la capitale nationale. Vous parliez plus tôt de ces petites stations de radio qui donnaient vraiment les nouvelles locales.

L'an dernier, je me suis retrouvée en Saskatchewan. Le gouvernement du Canada doublait la somme donnée par monsieur et madame Tout-le-monde pour aider en Haïti, mais aussi à la famine dans l'Est de l'Afrique et moi je me suis souvenu qu'il existait un poste de radio à Gravelbourg. Parce qu'à Montréal à l'époque, très souvent les jeunes annonceurs nous arrivaient après un stage à Gravelbourg. On m'a accueilli à bras ouverts là-bas, mais c'était maintenant un poste communautaire, Radio-Canada avait maintenant une station française à Regina.

Ce qui me dérange le plus, c'est de voir que lorsque Radio-Canada a perdu 10 p. 100 de son budget, et puisque tout le monde se serre la ceinture, Radio-Canada a retiré 80 p. 100 du budget qui allait à RCI sur ondes courtes. C'était une façon de laisser savoir au monde ce qui se passait chez nous. Vous allez me dire qu'il y a Internet, mais il y a bien des pays où Internet est bloqué et les gens n'y ont pas accès.

Les gens n'avaient que les ondes courtes pour savoir ce qui se passait chez nous. Je suis déçue du fait qu'on ait décidé de faire disparaître les ondes courtes. On parle même d'enlever l'antenne de Sackville au Nouveau-Brunswick d'ici quelques années. Il n'y aura plus d'ondes courtes à Radio-Canada pour le monde entier.

On peut se plaindre du fait que les gens de l'extérieur n'ont que des nouvelles de Montréal, mais les gens de l'étranger n'auront rien, ni de Montréal, ni d'Ottawa ni d'ailleurs s'il n'y a plus d'ondes courtes. Comment réagissez- vous à cette décision?

M. Sauvageau : Radio Canada International c'est aussi important que les stations régionales, mais à un moment donné il faut faire des choix. Comme vous, j'ai regretté qu'on ait diminué de façon aussi draconienne l'importance de Radio Canada International. Mais il y a plusieurs années, les ondes courtes étaient moins utilisées.

Par exemple, Radio Canada International utilisait les FM dans différent pays et concluait des ententes avec des station FM locales à l'étranger pour diffuser ses émission.

On peut peut-être faire le pari que les gens qui s'intéressent à l'information internationale à l'étranger vont de plus en plus, au cours des prochaines années, utiliser Internet et que l'on va assister à un déclin de plus en plus important des ondes courtes qui seront remplacées par Internet.

Le sénateur Champagne : Il y a tellement de pays où même Internet ne peut pas se rendre, où les pays bloquent les ondes. En Afrique, il y a peut-être 20 p. 100 des gens qui ont accès à Internet et nous, au Canada, avons moins d'heures que l'Allemagne, la Chine, le Japon, l'Italie, la France et même des pays d'Europe de l'Est, qui se font connaître au monde entier via les ondes courtes; mais le Canada, Radio-Canada, non, il y en a plus à l'étranger.

M. Sauvageau : C'est pour cela que je dis qu'il faut revoir le mandat de Radio-Canada et la Loi sur la radiodiffusion. Il faut faire des choix. On ne peut pas continuer avec des budgets réduits et demander à Radio-Canada tout ce qu'on lui demandait dans le passé, d'être d'un côté à l'international, d'avoir des réseaux nationaux solides en radio et en télévision, de faire de l'information continue en télévision, tout cela en français et en anglais, alors que Radio-Canada doit être de plus en plus présent sur Internet s'il veut s'assurer d'avoir un jour un rôle à jouer dans l'avenir.

Par exemple, la télévision n'a plus du tout le même impact qu'elle avait auparavant. Dans le petit livre qu'on vient de publier, je dis que Radio-Canada a cessé, au Québec, d'avoir un rôle dans l'évolution de la société dès les années 1980 avec la multiplication des chaînes.

Radio-Canada a joué un rôle important quand c'était une station unique, de 1952 à 1961. Vous écoutiez Radio- Canada ou vous alliez vous coucher; il n'y avait rien d'autre. À partir de 1961, l'influence de Radio-Canada a diminué. Télé-Métropole a acquis de plus en plus d'influence, et Radio-Canada, de son côté, avec la multiplication des chaînes au cours des années 1980, a perdu encore plus de son influence.

Il faut peut-être reconnaître que la télévision ne joue plus le même rôle qu'auparavant et que le Web joue un rôle beaucoup plus important. Les jeunes générations ne s'informent plus à la télévision, ils s'informent sur le Web.

L'auditoire de la radio de Radio-Canada est très âgé. Les jeunes n'écoutent pas la radio de Radio-Canada et regardent de moins en moins la télévision. Alors si Radio-Canada veut avoir un avenir, cet avenir doit être sur le Web. Il y a peut-être moyen de trouver aussi, pour les communautés francophones hors Québec, des solutions afin que ces communautés se parlent entre elles.

Pour revenir à ce qu'a dit le sénateur Fortin-Duplessis, il faut distinguer deux choses. Ce n'est pas la même chose de faire un bulletin d'informations sur les nouvelles du jour et d'entendre parler des communautés francophones hors Québec. Le fait qu'il y ait un problème à Gravelbourg a très certainement de l'importance pour les francophones de la Saskatchewan. Mais si vous avez à faire un choix entre cela et entre le traité du pipeline qui va aller de l'Alberta jusqu'en Colombie-Britannique, des conflits politiques et de l'impact de ces conflits politiques entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, ou alors de traiter des 435 000 dollars que le propriétaire des Oilers d'Edmonton a donnés au Parti conservateur en Alberta, c'est important de savoir cela parce que cela relativise les prête-noms au Québec dans le cadre de la commission Charbonneau. Parce que là aussi il y en a eu des prête-noms. Le montant de 435 000 dollars a été divisé en petites portions de 30 000 dollars. C'est de la nouvelle, et Radio-Canada devrait faire plus de ce genre de nouvelle.

Je parle de la commission Charbonneau. C'est certain que le réseau anglais va accorder moins d'importance à la commission Charbonneau que le réseau français. C'est normal que Radio-Canada accorde en ce moment de l'importance à son réseau français à la commission Charbonneau. Cela intéresse moins au Canada anglais que cela intéresse au Québec.

Rien n'est simple et sincèrement, je connais beaucoup de gens à Radio-Canada et je pense qu'ils font des efforts. Mais les efforts ne sont pas toujours récompensés et quand on tombe, il faut se relever et essayer autre chose.

Le sénateur Champagne : Comme on dit en France, pour le journalisme à tous les niveaux, dans la presse écrite, on parle des chiens écrasés. Mais je pense que les gens de Gravelboug aiment autant entendre parler de leurs chiens écrasés que de ceux de Montréal.

M. Sauvageau : C'est bien évident. Je suis on ne peut plus en accord avec vous.

Le sénateur Poirier : Bonsoir et merci d'être ici avec nous. J'aimerais continuer sur le sujet de nos radios communautaires, où nos nouvelles régionales sont vraiment basées sur nos petites radios communautaires.

Une des obligations de CBC/Radio-Canada est la représentation dans les régions. Pourquoi n'avez-vous pas commenté, dans votre lettre au CRTC, le rôle du radiodiffuseur public à l'égard des communautés francophones et acadienne?

Prévoyez-vous, dans les prochaines années, que le rôle de Radio-Canada sera de nous donner plus de nouvelles nationales? Si c'est le cas, peut-être que nos radios communautaires auront un rôle plus large que celui qu'elles ont aujourd'hui?

M. Sauvageau : Je trouve que c'est une avenue intéressante, comme vous venez de le définir. Si les ressources financières de Radio-Canada continuent à diminuer au cours des prochaines années, il va falloir faire des choix draconiens qui vont déplaire à certaines personnes.

Votre suggestion est une avenue à laquelle il faut réfléchir. Est-ce que les réseaux de Radio-Canada devraient devenir, dans les prochaines années, davantage des outils d'information nationale et internationale? Et est-ce qu'on ne devrait pas réfléchir à la possibilité de donner plus de ressources aux radios communautaires? Les radios communautaires sont aussi, à certains égards, des radios publiques parce que ces radios sont financées avec des programmes gouvernementaux.

J'ai dit tout à l'heure que j'étais fier qu'on ait retenu, en 1986, les demandes pressantes des jeunes Canadiens français. Mais on trouvait que ce qu'ils demandaient était tout à fait sensé, et cela m'apparaît être les meilleurs outils pour que les gens eux-mêmes se reconnaissent dans leur communauté.

Il faut réfléchir à cela : Radio-Canada d'un côté et réseau national et d'information internationale; nationale, cela comprend un accent dans les provinces aussi. Dans les petites localités, je pense que les radios communautaires bien financées coûteraient beaucoup moins cher à Radio-Canada pour faire de l'information locale. Il ne faut pas négliger Internet non plus.

Le sénateur Tardif : Je vous remercie, monsieur Sauvageau, pour votre présentation qui était fort intéressante.

J'aimerais revenir sur un commentaire que vous avez fait. Je crois vous avoir entendu dire qu'il était impossible pour Radio-Canada de servir les Québécois et de servir également les francophones à l'extérieur du Québec. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Sauvageau : J'ai fait une petite nuance. La phrase dans mon texte était : « Ce n'est pas loin d'une mission impossible. » Je n'ai pas dit que c'était impossible, mais plutôt que ce n'était pas loin d'une mission impossible.

Le sénateur Tardif : Merci de cette clarification.

M. Sauvageau : Je vous en prie.

Le sénateur Tardif : Croyez-vous que, même si Radio-Canada ne répond pas entièrement aux besoins des francophones à l'extérieur du Québec, ce soit quand même un outil important dans le développement de ces communautés francophones en milieu minoritaire?

M. Sauvageau : Je crois que oui. Je crois que l'on ne peut faire autrement que de dire que le réseau français de Radio- Canada va toujours devoir s'appuyer sur le Québec. Ce qui est dommage, c'est qu'on ait — et là, je vais faire un commentaire un peu politique — au cours des 20 dernières années peut-être, considéré que les francophones hors Québec, c'était fini, et qu'il fallait oublier cela. Politiquement, beaucoup de gens ont dit cela au cours des dernières années. Je trouve que ce sont des commentaires malheureux.

L'autre jour dans une petite intervention, j'ai noté qu'il y a des décennies que l'on dit que l'invasion culturelle américaine va faire en sorte que le français au Canada, à l'extérieur du Québec, c'est terminé. Mais on continue quand même, en Acadie, à parler français. Et comme j'ai donné l'exemple de Whitehorse tout à l'heure, j'ai été très impressionné de ce que j'ai appris récemment de ce qui se faisait en français au Yukon. Ce n'est pas vrai que les communautés francophones, il faut les abandonner. Je pense que le Québec a un rôle à jouer, pas seulement par sa télévision, mais par un grand nombre d'actions politiques. Je pense qu'on devrait être plus actif à collaborer avec les francophones hors Québec. Quand je dis « on », je parle de la société québécoise.

Le sénateur Tardif : Je suis bien contente de vous entendre dire cela. Je crois que les critiques sont légitimes et qu'il n'y a pas assez d'émissions en français qui reflètent le visage des francophones des différentes régions du Canada, mais souvent aussi lorsqu'on tape sur Radio-Canada, on oublie que c'est un outil important quand même pour le développement des communautés francophones en milieu minoritaire.

En ce sens, il faut trouver des moyens et des solutions. Et j'aimerais savoir quelles solutions vous pourriez offrir?

M. Sauvageau : Je vais vous donner deux petits exemples, par rapport à ce que j'ai dit tout à l'heure, à savoir que les choses s'amélioraient. Je vais citer deux émissions. Il y a une émission diffusée l'été qui s'appelle La petite séduction. Je ne sais pas si vous connaissez cette émission où une communauté, un village reçoit un artiste pendant un week-end et lui témoigne son amour. J'ai remarqué qu'à cette émission, on essaie maintenant de sortir du Québec et d'aller, parfois, pas beaucoup, dans les communautés hors Québec. Je ne sais pas si c'est planifié par Radio-Canada.

Aussi, il y a une nouvelle émission cet automne à Radio-Canada qui s'appelle Un air de famille où l'on invite des familles à venir chanter pour la première fois à la télévision. J'ai vu des familles francophones de l'Ontario qui ont été invitées. On n'aurait pas fait cela, il me semble, il y a quelques années. Mais c'est toujours, là aussi, une question d'équilibre. Et en information en particulier, si ce soir — il n'y a pas de commission Charbonneau cette semaine — mais disons la semaine dernière, si au lieu d'accorder le premier cinq minutes de l'émission Le Téléjournal à la commission Charbonneau on avait accordé cinq minutes au réseau français à la démission du premier ministre McGuinty en Ontario alors que TVA, lui, aurait consacré dix minutes à la commission Charbonneau, la majorité des Québécois auraient changé de poste pour passer à TVA. Quand je dis qu'il faut être prudent, c'est un peu cela que je veux dire. La démission du premier ministre de l'Ontario, c'est important; mais il faut lui donner sa juste place dans le bulletin de nouvelles. Regardez les nouvelles de CBC avec Peter Mansbridge; c'est certain qu'on va accorder plus d'importance au premier ministre de l'Ontario ou à l'élection de Mme Redford en Alberta que Le Téléjournal va le faire. Mais cela, tous les médias du monde choisissent l'information comme cela. On peut critiquer cela; je ne dis pas que je suis d'accord avec cela. Moi, je suis un fan de l'information internationale. Mais l'information internationale, elle vient — à moins d'une crise — en dernier lieu dans la priorité de tous les médias du monde. Les médias choisissent — et de plus en plus depuis 10 ans — il y a un accent sur la proximité. Tout le monde choisit, hélas, ce qui se passe dans sa cour; ensuite dans sa province, dans son pays et ensuite à l'étranger. Ce n'est pas propre au Québec.

Si vous lisez le Calgary Herald, on va parler plus de l'Alberta que du reste du Canada. C'est normal. C'est comme cela que se fait le journalisme. Le journalisme accorde d'abord de l'importance à ce qui se passe chez lui. On ne va pas changer cela. Et si la chaîne Radio-Canada seule se met à changer cela, elle va tellement faire bizarre dans le paysage médiatique que cela va devenir rapidement une toute petite chose. Et moi, je ne veux pas que le réseau français de Radio-Canada se retrouve avec cinq p. 100 ou six p. 100 de l'écoute au Québec. C'est un outil capital pour la vitalité du fait français au Québec. Et la vitalité du fait français au Québec, elle déborde des frontières du Québec.

Comme vous l'avez dit tout à l'heure, les francophones hors Québec ont besoin du Québec et on devrait, nous Québécois, s'en rendre davantage compte.

Le sénateur De Bané : Monsieur Sauvageau, vous avez dit des choses auxquelles j'ai souscrit d'emblée; comme lorsque vous avez dit que c'est une question d'équilibre, de mesure; quand vous avez dit qu'il ne faut pas que le CRTC fasse droit à la demande de Radio-Canada d'avoir de la publicité à Espace Musique. Ce que vous avez dit sur les communautés françaises dans les provinces anglophones, cela m'a rappelé ce mot du grand Lionel Groulx, à savoir que ce que le Québec n'a jamais compris, c'est que les communautés françaises dans les autres provinces sont la première ligne de défense du Québec français. Et c'est le grand Lionel Groulx qui a dit cela.

Maintenant, c'est une question de mesure comme vous avez dit, et d'équilibre. Mais comme vous le savez, c'est une lapalissade de dire que, pour aimer un pays, il faut le connaître un tout petit peu.

Pour aimer l'Union européenne, qui regroupe 27 pays, dont certains ont des quotidiens qui ont une réputation mondiale en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en France et en Espagne, il a fallu mettre sur pied le réseau Euronews. Parce que, comme vous dites, on s'intéresse à ce qui est le plus proche de nous puis, chaque pays s'intéresse à ce qui se passe chez lui. Mais il y a un réseau qui parle des 27 pays.

Heureusement qu'il est là, parce que les autres en parlent très peu. Chez nous, à la suite de l'étude d'un de vos étudiants, qui a le plus grand respect pour le Centre d'études sur les médias et votre faculté, nous constatons que toutes les provinces canadiennes, ensemble, ont à peine cinq p. 100 du temps au Téléjournal. Lorsque l'on parle du gouvernement canadien au Téléjournal, c'est vu du point de vue du gouvernement du Québec et jamais du point de vue national. Tout ce qui se fait à Ottawa est rapporté par Radio-Canada, mais à travers la lunette, la lorgnette du gouvernement du Québec, et non pas de l'intérêt national. L'équilibre auquel vous avez référé et auquel je suis très sensible, il fait défaut.

L'autre point qui me met très mal à l'aise, c'est les rapports annuels de Radio-Canada. Je vais vous lire quelques extraits qui, pour moi, sont de la fausse représentation.

Dans le rapport annuel 2008-2009, on lit ceci :

Radio-Canada/CBC, une force unificatrice qui réaffirme nos valeurs et notre identité commune.

Je vous vois sourire.

CBC/Radio-Canada aide les nouveaux Canadiens en les aidant à mieux comprendre leur pays d'adoption et à mieux s'y intégrer.

Toujours dans le rapport annuel de 2008-2009 :

Radiodiffuseur public national qui contribue à cimenter une nation de plus en plus diversifiée.

CBC/Radio-Canada assume un rôle unique de refléter la diversité des voix.

Notre programmation rassembleuse — en 2009-2010 — qui façonne l'identité canadienne parle de la réalité de ce pays.

En 2010-2011 :

Un contenu canadien qui rassemble tous les Canadiens et reflète leur réalité.

Quand je lis cette phrase à mes amis, ils se mettent tous à rire.

Ce serait tellement plus simple, dans l'esprit du rapport Caplan-Sauvageau, qu'il y ait deux chapitres dans le rapport annuel — voici ce que Radio-Canada a fait cette année, voici ce que CBC a fait cette année —, mais pas un seul chapitre puis mêler les deux noms ensemble avec des choses qui ne reflètent en rien la réalité.

Votre hochement de tête me laisse entendre que vous êtes d'accord avec ma modeste suggestion.

M. Sauvageau : Oui. Tout ce que vous avez lu m'a fait rire également, tout comme vos amis. Maintenant, je vais dire quelque chose qui n'est pas politically correct : tous ces documents sont des documents de relations publiques et on y dit ce que vous voulez entendre, ce que les sénateurs et les députés veulent entendre. Alors, j'allais dire qu'il ne faut pas perdre son temps à lire cela, mais je ne l'ai pas dit. C'est vrai que votre suggestion des deux rapports distincts est excellente.

Je me suis demandé si j'allais mettre le sujet dont je vais vous parler dans les quelques notes que j'ai envoyées à madame la greffière. Je ne l'ai pas mis, me disant que j'exagérais, mais je vais peut-être le dire maintenant : Moi, je ne voudrais pas être à la direction de Radio-Canada, parce qu'elle ne peut pas diriger grand-chose; à l'intérieur, il y a une structure extrêmement lourde. Il y a trop de cuisiniers au fourneau qui donnent des avis à Radio-Canada et le nombre de cuisiniers se multiplie : il y a le CRTC, il y a votre comité — que je respecte —, il y a les comités parlementaires, le commissaire aux langues officielles, toutes les pressions des groupes des régions — pas seulement des régions hors Québec.

Imaginez la réaction du maire Labeaume, par exemple, et de toutes les autres élites de Québec si Radio-Canada décidait de faire 30 minutes le soir à six heures à Québec au lieu de 60 minutes. Il y a cela aussi dans les demandes régionales, il y a que les élites locales veulent se voir sur la scène nationale aussi. Cela fait partie du problème aussi.

À mon avis, au fil des ans, Radio-Canada a trop cherché à satisfaire les demandes des uns et des autres et, souvent, cela va dans toutes les directions. Imaginez, il y a 20 ans ou peut-être plus, je ne me rappelle pas, on a fermé toutes les stations dans l'est du Québec. Vous étiez député à ce moment-là. On a annulé le rôle de Radio-Canada dans l'est du Québec. Au cours des deux ou trois dernières années, on a fait l'inverse, on est revenu dans l'est du Québec, on a annoncé en grande pompe la présence de Radio-Canada à Sherbrooke, à Trois-Rivières. À 20 ans d'intervalle, on prend deux décisions contradictoires à cause des pressions et des gens qui sont là. Quelle était la bonne décision? Restreindre la présence en région ou l'accroître, comme on l'a fait après? Ceci est un autre exemple pour vous démontrer que Radio-Canada est quasi impossible à diriger.

Le sénateur De Bané : Évidemment, c'est le FAPL qui a financé tout cela.

M. Sauvageau : Oui, le Fonds pour l'amélioration de la production locale.

Le sénateur De Bané : Monsieur Sauvageau, vous qui non seulement êtes un juriste mais également qui connaissez la Loi sur la radiodiffusion, expliquez-moi quelque chose qui me dépasse. Je comprends très bien que Radio-Canada est un service public qui a été organisé de telle façon qu'il est dirigé par un conseil d'administration et la haute direction, donc il est réellement très loin de toute influence, ingérence politique, comme il se doit, parce que personne n'est intéressé à écouter une chaîne de propagande. Récemment, j'ai envoyé à Radio-Canada une série de réflexions, de demandes, de suggestions, et la réponse de Radio-Canada est très simple, elle se lit comme ceci :

Bon nombre des questions posées par le sénateur De Bané portent sur nos décisions journalistiques et sur notre programmation. Ces domaines, comme vous le savez, sont protégés par la loi, donc on ne répond pas à toutes vos questions.

Le genre de question que je posais ressemblait à ceci : « Quand Radio-Canada a fait une émission extraordinaire avec le grand reporter Lépine sur la Chine émergente comme puissance mondiale, on n'a parlé que de l'impact de ce nouveau géant sur le Québec, mais pas un mot sur le reste du Canada; pourquoi ne parlez-vous pas également de la façon dont cela affecte toute l'industrie dans toutes les provinces? » On ne m'a pas répondu. On m'a dit que je touchais à leurs décisions journalistiques. Une autre question et je termine là-dessus.

Je leur dis : « Pourquoi ne déployez-vous pas vos meilleurs journalistes à travers le pays, un à Vancouver, correspondant national pour l'environnement, un à Calgary, correspondant pour le pétrole et l'énergie, un à Toronto, correspondant pour les finances, un à Montréal, correspondant sur la culture, un à Halifax, correspondant pour les pêches, un autre en Saskatchewan, correspondant pour le blé », et cetera. On nous répond : » non, ce n'est pas à vous de nous dire. On ne commente pas vos idées. »

Qu'est-ce que cette façon de répondre : on ne veut rien savoir de vous, c'est nous qui prenons nos décisions? Je ne veux pas leur donner des instructions, je leur donne des idées, et à cela ils me répliquent : « on ne commente pas, on a pris nos décisions. » Qu'est-ce que cette façon de faire?

M. Sauvageau : C'est un peu enfantin. C'est vrai que la liberté journalistique est garantie, mais vous avez le droit de critiquer Radio-Canada ou de leur faire des suggestions. Ce n'est pas de l'ingérence politique. Par exemple, j'ai lu vos documents. J'ai trouvé que c'était une idée originale de couvrir l'Asie à partir de Vancouver, parce que j'ai eu l'occasion, dans un projet avec des collègues de l'Université de la Colombie-Britannique, d'aller plusieurs fois à Vancouver au cours des sept ou huit dernières années. Je me suis rendu compte à quel point le Vancouver Sun, par exemple, accordait de l'importance à l'Asie par rapport à nos médias d'ici.

J'ai lu que vous aviez suggéré de couvrir l'Asie à partir de Vancouver. C'est une idée originale. Alors plutôt que de vous répondre que cela ne vous regarde pas, ils pourraient réfléchir à votre suggestion. Ils ne sont pas obligés de l'accepter. S'ils trouvent que c'est une mauvaise idée, ils n'ont qu'à la rejeter, mais les bonnes idées peuvent venir de partout. Mais c'est aussi un trait des journalistes de penser qu'ils sont les seuls à avoir de bonnes idées. Il ne faut pas vous étonner de cela. Je le répète, je trouve cela enfantin, mais cela ne m'étonne pas.

Le sénateur McIntyre : Merci de votre présentation, monsieur Sauvageau. La semaine dernière, nous avons reçu la visite de M. Graham Fraser, commissaire aux langues officielles. Selon lui, CBC/Radio-Canada prétend avoir une obligation uniquement envers le CRTC, et que le commissaire aux langues officielles n'a pas compétence sur sa décision. Toujours selon M. Fraser, en tant que société d'État, CBC/Radio-Canada a certaines obligations en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles et que tôt ou tard les tribunaux devront trancher cette question.

Comment réagissez-vous à cette affirmation de la part du commissaire Fraser?

M. Sauvageau : En vertu de la Loi sur les langues officielles, Radio-Canada, si je comprends bien l'interprétation que donne Graham Fraser, devrait contribuer à l'épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et à la promotion de la dualité linguistique.

Je suis un ancien journaliste, alors j'ai aussi des travers. Je n'aime pas l'idée qu'on demande aux médias de contribuer à l'épanouissement de quoi que ce soit ou à la promotion de quelque chose. On n'est plus dans le monde du journalisme à ce moment-là. La première qualité d'un bon journaliste est d'avoir un regard critique. Alors les tribunaux décideront dans cette affaire, mais je souhaite que Radio-Canada n'ait de compte à rendre qu'au CRTC.

Si le commissaire aux langues officielles souhaite que Radio-Canada ne joue pas son rôle, c'est à travers le CRTC que cela devrait se régler. À mon avis, Radio-Canada est soumise au CRTC. Autrement dit, je suis assez d'accord avec Radio-Canada là-dessus.

Le sénateur McIntyre : Le 19 novembre prochain, le CRTC tiendra des audiences publiques sur le renouvellement des licences du radiodiffuseur. Vous avez, par ailleurs, soumis une intervention au CRTC.

M. Sauvageau : Très courte, deux pages.

Le sénateur McIntyre : Chose certaine, les audiences permettront d'établir une série de conditions pour les licences. Avez-vous des attentes à ce sujet et si oui lesquelles?

M. Sauvageau : Je n'ai pas beaucoup de problèmes avec la radio de Radio-Canada. Je trouve que le plus souvent, c'est une véritable radio publique, mais j'ai beaucoup de problèmes avec la télévision de Radio-Canada, qui s'apparente davantage — d'ailleurs des gens de CBC/Radio-Canada l'ont déjà dit à peu près comme cela — à une télévision commerciale subventionnée par l'État.

Trop souvent, je trouve que Radio-Canada et la chaîne privée TVA, c'est bonnet blanc, blanc bonnet. Quand vous ouvrez votre poste de radio, vous savez tout de suite que vous êtes à Radio-Canada. Radio-Canada est tout à fait différente à la radio des stations privées. Quand vous ouvrez le poste de télévision, cela prend un moment avant de savoir si vous êtes à Radio-Canada ou à la chaîne TVA, car les émissions sont souvent animées par les mêmes personnes, et les invités sont de plus en plus souvent les mêmes d'ailleurs. La présence de plus en plus grande des producteurs indépendants contribue à cela, car les producteurs indépendants travaillent à la fois pour la télévision privée et la télévision publique.

En multipliant la présence des producteurs indépendants, on a perdu en cours de route l'esprit, je pourrais même dire l'âme, de la télévision publique. Il faut avoir un esprit de la télévision publique, autrement, qu'est ce que cela donne de payer un milliard pour une télévision ou une radio qui ressemble à une radio ou une télévision privée. Autant la faire financer par un commerce. Un des grands problèmes de la télévision de Radio-Canada est l'importance trop grande des revenus publicitaires qui influencent la programmation.

Pendant les dernières années de sa vie, Pierre Juneau a répété cela je ne sais pas combien de fois, que cela devenait un problème grave pour la télévision publique, le financement par la publicité qui augmente constamment.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Merci, monsieur, pour votre présentation. Je ne suis pas un membre permanent du comité, mais j'aurais tout de même quelques questions à vous poser. J'aimerais d'abord parler du contenu canadien. Le document de la Bibliothèque du Parlement indique qu'en 1986, quand vous avez coprésidé le groupe de travail, celui-ci était d'avis qu'il fallait garantir une place importante au contenu canadien. Il me semble que le contenu canadien a perdu du terrain à la CBC, la station que je connais. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

[Français]

M. Sauvageau : C'est le problème de la radio et de la télévision canadienne depuis les années 1920. Au moment de changer les lois, on a toujours créé des comités comme le nôtre; alors dans les années 1920, on a créé la commission Aird. Le grand problème de cette commission, dans les années 1920, c'était que si on ne créait pas au Canada — à ce moment-là, c'était une radio publique selon le modèle de la BBC — et qu'on ne gardait que des stations commerciales qui avaient commencé à être créées, on aurait alors un système semblable à celui des Américains et on allait tous devenir des Américains dans nos têtes.

Depuis la création de Radio-Canada, il y a 75 ans, c'est la raison principale de l'existence de Radio-Canada, c'est-à- dire la création d'un contenu canadien qui permette aux Canadiens d'avoir le choix.

On n'a jamais interdit les contenus américains, qui sont d'ailleurs très populaires au Canada anglais, mais peut-être moins avec les canaux spécialisés maintenant qui ont un grand succès. Au Québec, à cause de la barrière de la langue, il n'y a jamais eu le même problème qu'au Canada anglais. Alors tout à l'heure, lorsque je disais qu'on ne pouvait pas voir l'évolution des réseaux français et des réseaux anglais de la même manière, c'en est une des raisons principales.

Au Canada anglais, on a besoin de créer des contenus canadiens pour contrer les contenus américains; alors qu'au Québec, les contenus américains sont absents ou ne sont pas populaires. À cause de la barrière de la langue, les gens ont toujours regardé des contenus créés à Montréal.

Montréal a toujours été un centre de production de télévision extrêmement important. Il y a toujours eu une espèce de symbiose entre le milieu artistique et le public. Et c'est en ce sens d'ailleurs que Radio-Canada a tellement contribué à l'évolution de la culture québécoise dans les années 1950 et 1960, alors qu'à cette époque, au Canada anglais, les contenus américains étaient omniprésents. On a eu beaucoup de discussions, à l'intérieur de notre groupe avec Gerry Caplan et les autres, à ce sujet, sur la différence entre les deux systèmes. Ce n'est pas du tout la même chose. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Oui. Des études ont dû être menées à cet égard. Quel pourcentage le contenu canadien représente-t-il dans la programmation actuelle de la CBC?

[Français]

M. Sauvageau : Je ne connais pas le pourcentage exact, mais il est important. Il est plus grand en français. Mais à CBC aussi, c'est un pourcentage important; beaucoup plus important qu'aux chaînes CTV et Global. S'il n'y avait pas CBC, il y aurait encore moins de contenu canadien. Alors CBC est un outil aussi très important au Canada anglais.

Maintenant, il y a un autre problème qui existe depuis une vingtaine d'années, c'est la copie des modèles américains. Le problème, c'est qu'il y a 30 ou 40 ans, c'était les émissions américaines elles-mêmes qui étaient diffusées au Canada. Maintenant, on vit dans un monde où les modèles d'émissions sont devenus des modèles internationaux. Il arrive souvent qu'on fasse des produits au Canada supposément canadiens, mais qui sont calqués sur des modèles américains ou des modèles européens.

Les formats circulent, sont vendus et sont copiés dans différents pays. C'est la même chose aussi en français. L'émission du dimanche soir à la télévision de Radio-Canada et qui est l'émission la plus populaire du réseau français de Radio-Canada, qui s'appelle Tout le monde en parle, est une formule française. On a acheté le format aux Français pour le reproduire. Évidemment, les contenus sont canadiens, québécois, mais le modèle est français. C'est une idée française à laquelle on ajoute des invités québécois.

[Traduction]

J'espère que mes explications sont claires.

Le sénateur Callbeck : Oui, c'est parfait. Merci.

[Français]

La présidente : Nous allons faire un deuxième tour de table, mais je vous demanderais de poser des questions assez brèves.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Professeur Sauvageau, si vous en aviez la possibilité, quelle réforme apporteriez-vous à la Loi sur la radiodiffusion?

M. Sauvageau : Quand on nous a demandé cela en 1985, on a mis un an et demi pour répondre à la question.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je sais, mais vous avez quand même quelques petites idées?

M. Sauvageau : Je n'hésiterais pas à revoir, de façon importante, l'article 3. Ce que je suggérerais de faire, c'est d'effectuer une conjugaison des questions technologiques et démographiques; voir ce que les jeunes font ici dans leur utilisation des médias et de penser à quelque chose pour l'avenir.

Je suis de la même génération que Pierre De Bané; les autres membres sont peut-être un peu plus jeunes que nous, mais il ne faut pas penser à Radio-Canada pour nous. Il faut penser à Radio-Canada pour les générations qui vont vivre avec Radio-Canada. C'est un autre problème.

Le plus souvent, ceux qui réfléchissent à Radio-Canada sont de votre âge ou de mon âge et nos réflexions sont teintées par un peu de nostalgie. On se rappelle les belles années de la télévision, ce qu'on a aimé à la télévision. Mais ce n'est pas comme cela qu'il faut penser l'avenir de Radio-Canada. Ça, c'était le passé. Il faut le voir dans une perspective d'avenir. J'ai quelques neveux et nièces et je vois comment ils utilisent les médias. Cela n'a rien à voir avec mon monde. C'est un monde complètement différent et Radio-Canada doit s'ajuster à ce monde et arriver à offrir, dans ce monde, un service public qui corresponde aux attentes des générations montantes.

On ne peut pas répondre à la question en cinq minutes. Tout à l'heure, j'ai dit qu'il y avait toujours eu des groupes qui avaient réfléchi à l'avenir avant qu'on ne revoie la Loi sur la radiodiffusion. Je pense qu'il faut faire la même chose. La Loi sur la radiodiffusion date de 1991. Elle a 21 ans et le monde a tellement changé en 21 ans. Il faut donc créer un groupe de réflexion et ensuite lui donner le temps de faire des propositions pour une nouvelle loi qui sera débattue au Parlement.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je vous remercie beaucoup car en peu de temps vous avez quand même énoncé des choses très importantes pour le futur de Radio-Canada. Je vous remercie infiniment.

Le sénateur Champagne : Permettez-moi un court commentaire avant de poser une question. Je suis d'accord avec le commissaire Fraser quand il dit que la chaîne Radio-Canada est soumise à la Loi sur les langues officielles; c'est un organisme d'État.

Vous disiez qu'il y a des choix journalistiques. J'écoutais l'émission Le Téléjournal il y a quelques jours et nous en étions à la dernière manchette avant qu'on nous dise que le matin même ou la nuit précédente, il y avait eu un tremblement de terre en Colombie-Britannique.

Je l'ai appris par CTV beaucoup plus tôt dans la journée. Vous dites aussi qu'il y a moins de contenu américain. Il faudrait que vous parliez à mes ex-camarades de l'Union des artistes. Ils vous diraient qu'il y en a qui gagnent très bien leur vie avec le doublage d'émissions américaines et d'autres vous diraient : « Pourquoi on produit des films aux États- Unis et qu'on les fait doubler en France pour nous les ramener au Canada? » Essayez d'écouter un film qui parle de baseball et qui a été traduit et doublé en France. Ils sont à la première base, à la deuxième base avec la batte. Essayez d'y comprendre quelque chose.

Radio-Canada doit aider les nouveaux arrivants à s'acclimater dans leur nouveau pays. Vous avez parlé plus tôt de Pierre Juneau. Vous avez sûrement connu à Radio-Canada — comme moi, qui suis du même âge que vous — des gens comme Miville Couture, Jean-Marie Laurence et, plus tard, comme Henri Bergeron.

Autrefois, on le savait tout de suite en ouvrant la télévision que c'était Radio-Canada, on y parlait un français correct. Aujourd'hui, on entend ce que mon ancien professeur — Mme Jean-Louis Audet — appelait les liaisons dangereuses. Des choses comme les quatre-z-autres concurrents, les vingt-z-années de carrière, et même la personne qui interprétait le discours du prince Charles nous a dit, en traduisant le discours du prince, qu'il était ici alors qu'on fêtait les 60 z-années de règne de la reine Elizabeth. Inutile de vous dire que les oreilles m'ont vibré un peu.

Que faire pour que Radio-Canada demande aux gens qui sont à son emploi de prendre soin de la qualité de la langue qui est la nôtre, que moi je veux conserver et ce qu'on envoie partout à nos francophones du pays et que nous voulons que nos nouveaux arrivants apprennent?

M. Sauvageau : Sur la question de la langue, je suis assez d'accord avec vous. Je comprends que dans les dramatiques on puisse utiliser un autre niveau de langage, mais dans les émissions d'information ou dans une émission comme Tout le monde en parle, le français doit être impeccable. Dans le petit livre qu'on vient de publier, il y a un texte du linguiste Jean-Claude Corbeil qui a bien connu cette époque de Jean-Marie Laurence et qui explique l'évolution du français à Radio-Canada.

On voit à quel point Radio-Canada a joué un rôle essentiel. Radio-Canada publiait des bulletins qui étaient utilisés partout, non seulement au Québec, mais partout dans la Francophonie. C'était la référence à l'époque et tout cela a été, avec les coupures pratiquement, démantelé. Vous avez bien raison lorsque vous dites que le souci de la langue n'est plus le même.

Par contre, je me permets d'être en désaccord avec vous sur le rôle du commissaire aux langues officielles et du CRTC. C'est une question juridique qui sera tranchée, mais la loi dit aussi ce qui suit :

Il est déclaré que la meilleure façon d'atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome.

Le CRTC est le seul organisme public autonome. Radio-Canada va sûrement invoquer cet article de la loi en disant qu'elle est redevable au CRTC, point final. Il faudra interpréter la loi. On verra bien.

Le sénateur Champagne : Si Air Canada est soumis à la Loi sur les langues officielles, pourquoi Radio-Canada ne le ne serait pas tout à coup?

M. Sauvageau : Là, je ne veux pas faire comme les gens de Radio-Canada et répondre de la même façon qu'ils l'ont fait au sénateur De Bané. Parce que si on est soumis à un seul organisme, les principes de la liberté d'expression et de la liberté de presse risquent d'être pris en compte par cet organisme unique et puis, aussi parce que je crois personnellement qu'il ne faut pas trop de cuisiniers aux fourneaux. Mais j'ai peut-être tort. Et si Graham Fraser gagne, tant mieux pour lui et tant pis pour moi.

Le sénateur Champagne : Et tant mieux pour le français. Merci, monsieur Sauvageau.

La présidente : Le sénateur De Bané suivi du sénateur McIntyre.

M. Sauvageau : On m'a dit que nous perdions la communication à 18 h 30. C'est ce qu'on m'a dit.

Le sénateur De Bané : Ma question sera très brève. Monsieur Sauvageau, récemment à cette émission qu'on a achetée de France, Tout le monde en parle, quelque chose s'est passé qui m'a mis mal à l'aise. Le témoin était le témoin vedette à la commission Charbonneau où il avait, durant une semaine, à raconter comment il corrompait toutes sortes de personnes.

Évidemment, lorsqu'il est entré en studio, là on a vu tout l'auditoire applaudir et évidemment, on sait pourquoi parce qu'il y a un régisseur qui leur a fait signe d'applaudir parce qu'on allait partir les caméras. Je me demande si c'est une bonne chose qu'une télévision publique financée par les citoyens invite quelqu'un avec une si longue feuille de route.

C'est un invité très intéressant parce que pendant une semaine il a retenu l'attention. Le régisseur a donné le signal pour que les applaudissements partent. Moi, ça m'a fait quelque chose. Peut-être suis-je vieux-jeu ou niaiseux.

M. Sauvageau : Beaucoup d'observateurs on fait remarquer que c'était ridicule. Je ne sais pas comment interpréter cela parce que moi aussi j'ai trouvé cela plus que ridicule. Est-ce que c'est la coutume de le faire ou est-ce qu'on a simplement oublié que dans ce cas-ci ce n'était pas très élégant?

C'est possible que les gens de l'émission soient aussi malheureux de l'avoir fait. Ils n'y ont peut-être tout simplement pas pensé. Je ne sais pas. C'est certainement une erreur de jugement.

Le sénateur De Bané : Concernant la qualité du français, je me souviens qu'il fut un temps, il y avait à Radio-Canada un fonctionnaire, un dénommé M. Chouinard, qui écoutait religieusement les émissions. Le lendemain il allait voir ceux qui avaient commis des erreurs et il leur apprenait la correction. Je trouve dommage qu'aujourd'hui plus personne ne fait le travail de M. Chouinard.

M. Sauvageau : Il y a encore une personne, mais ce n'est pas le même type de service de l'époque. C'est vrai.

Le sénateur De Bané : Merci infiniment, monsieur le professeur.

M. Sauvageau : Merci, monsieur le sénateur.

Le sénateur McIntyre : Professeur Sauvageau, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, vous avez fait une petite intervention dans le cadre du renouvellement des permis du radiodiffuseur public, le 19 novembre prochain.

Ce que je trouve intéressant, c'est que dans l'une de vos recommandations vous demandez au CRTC de rejeter la demande du radiodiffuseur public en ce qui concerne la diffusion de publicités sur sa chaîne Espace musique. Je suis d'accord avec vous, est-ce à la suite de plaintes du public que vous faites cette recommandation?

M. Sauvageau : Non, c'est simplement que je ne veux pas que la radio devienne ce qu'est la télévision. Je ne veux pas que l'on fasse une radio commerciale subventionnée par l'État. Si on commence avec Espace musique, dans cinq ans, quelqu'un dira que l'on devrait le faire aussi à la première chaîne.

Il me semble que le CRTC va devoir réfléchir à partir de la loi actuelle et du mandat actuel de Radio-Canada, mais c'est peut-être la première chose à laquelle le CRTC devrait réfléchir, la présence de la publicité à Radio-Canada. Quand on a décidé, en 1974, d'éliminer la publicité à la radio, cela a été une des belles décisions prises par le CRTC.

Je ne pense pas qu'on puisse l'éliminer complètement à la télévision, parce que la télévision coûte très cher mais, à mon avis, il faut fixer un seuil au-delà duquel la publicité s'arrête là. Est-ce 15, 20 ou 25 p. 100 de l'ensemble des revenus? Je ne sais pas, il faut y réfléchir, mais plus la publicité augmente, plus le contenu des programmes change parce qu'on est dans la concurrence.

Le sénateur McIntyre : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Champagne : Je soulevais le même point dans un mémoire que j'ai osé employer, qui était qu'on en reste au moins à la publicité de prestige un peu comme ce qu'on a à PBS, par exemple. Si on regarde une émission comme celle de Charlie Rose, le soir, la publicité, c'est dix secondes en tout et partout pour une heure. Si on en venait à cela a Radio-Canada, je pourrais me rallier, mais pas avec trois minutes de commerciaux tous les dix minutes, cela n'a aucun sens. Une publicité de prestige pour une émission de prestige, peut-être. Je ne pouvais laisser passer cela sans mettre mon grain de sel.

La présidente : Monsieur Sauvageau, au nom des membres du comité, j'aimerais vous remercier sincèrement pour votre témoignage fort intéressant ainsi que vos réponses très complètes aux nombreuses questions posées par les sénateurs. Vous avez vu l'intérêt démontré autour de cette table quant au sujet présentement à l'étude. De leur part, je vous remercie très sincèrement, monsieur Sauvageau.

M. Sauvageau : Merci madame la présidente, c'est moi qui vous remercie de m'avoir invité.

La présidente : Honorables collègues, avant que vous quittiez, j'aimerais vous faire part de quelques informations concernant les prochaines réunions du comité. Le comité continuera ses audiences publiques dans le cadre de son étude des obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada et nous entendrons dans les prochaines semaines des organismes provinciaux qui œuvrent dans les communautés francophones en situation minoritaire. Dès notre retour, après la semaine de relâche, nous entendrons des représentants de l'Association de la francophonie de l'Ontario qui ont confirmé leurs présences.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, merci d'avoir pris part à cette séance.

(La séance est levée.)


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