Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 9 - Témoignages du 5 mars 2012
OTTAWA, le lundi 5 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et à examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne. (sujet : Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité.)
Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette 10e séance de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner des questions ayant trait aux droits de la personne au Canada et à l'étranger. Je suis Mobina Jaffer et, en tant que présidente de ce comité, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.
[Traduction]
J'aimerais souhaiter la bienvenue au tout nouveau membre de notre comité, le sénateur Vernon White. Le sénateur White a été chef du Service de police d'Ottawa et a servi pendant 24 ans dans la Gendarmerie royale du Canada.
Sénateur White, je crois que vous détenez également une maîtrise en gestion et en analyse des conflits, et je suis certaine que notre comité bénéficiera grandement de votre expérience. Nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité.
Avant de poursuivre, je vais passer au vice-président pour qu'il se présente, et que les autres sénateurs fassent de même.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Bonjour. Patrick Brazeau, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur White : Vernon White, Ottawa, Ontario.
Le sénateur Zimmer : Rod Zimmer, Manitoba.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, nous entamons aujourd'hui une étude qui nous a été proposée par notre collègue, la sénatrice Nancy Ruth, qui souhaitait que notre comité donne suite à son rapport de novembre 2010.
En prévision du premier rapport annuel des États sur la mise en œuvre de la résolution 1325 des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, notre comité examinera plus en profondeur la mise en œuvre de cette résolution au pays et à l'étranger.
[Traduction]
La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies a été adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 31 octobre 2000.
Cette résolution porte sur les conséquences des conflits armés sur les femmes et les filles, une attention spéciale étant accordée au rapatriement, à la réinstallation, à la réadaptation, à la réintégration et à la reconstruction après conflits. En septembre 2009, notre comité a commencé son étude de la mise en œuvre de la résolution, qui a donné lieu au dépôt d'un rapport en novembre 2010 intitulé Les femmes, la paix et la sécurité : Le Canada agit pour renforcer la participation des femmes.
Ce rapport présente 26 recommandations, soulignant les secteurs dans lesquels le Canada et les autres États membres de l'ONU peuvent offrir des ressources concrètes, du personnel spécialisé et des programmes qui pourront changer les choses sur le terrain pour les femmes dans des États en conflits et après les conflits dans trois domaines : appuyer la participation des femmes à tous les paliers décisionnels de toutes les parties au sujet de la paix et de la sécurité, la construction d'institutions de paix et de sécurité qui tiennent compte de la dimension des genres, et le renforcement des systèmes judiciaires afin d'assurer des résultats équitables.
Ce rapport a été appuyé par un rapport subséquent déposé par notre comité en décembre 2010, intitulé La formation en Afghanistan : Inclure les femmes.
Ce rapport comprenait 14 recommandations qui exhortaient le gouvernement du Canada à appuyer les droits des femmes en Afghanistan après 2011. Ce rapport exhortait également notre gouvernement à concevoir et mettre en œuvre une formation sensible au genre étant donné son nouveau rôle en Afghanistan, qui est passé du combat à la formation.
Honorables sénateurs, nous sommes ravis de recevoir Jacqueline O'Neill aujourd'hui par vidéoconférence. Elle est la directrice exécutive de l'Institute for Inclusive Security.
Je suis particulièrement heureuse de souhaiter la bienvenue à Mme O'Neill. Bien qu'elle vive maintenant à Washington, elle a travaillé sur la Colline et c'est une Canadienne. Nous sommes très fiers du travail que vous faites, madame O'Neill, et nous savons que vous avez voyagé dans des zones de conflits. Vous travaillez avec des femmes en zones de conflits. Nous parlons en théorie de la résolution 1325; vous la mettez en œuvre. Vous l'utilisez comme outil afin de donner aux femmes le pouvoir d'agir, et nous avons hâte de vous entendre.
Jacqueline O'Neill, directrice, The Institute for Inclusive Security : Merci, madame la présidente, honorables sénateurs, et merci à votre merveilleux personnel. Comme le sénateur l'a mentionné, je dirige l'Institute for Inclusive Security. Nous sommes une organisation à but non lucratif établie à Washington (D.C.), et notre but est d'accroître la participation des femmes dans les processus de paix partout dans le monde. Nous le faisons avec la conviction que lorsque les femmes participent de façon significative aux négociations et aux nombreux processus qui en découlent — la réforme des forces policières et militaires, la réintégration des combattants dans les collectivités, la rédaction d'une nouvelle constitution et tout le reste — la paix sera au bout du compte plus durable.
Nous appuyons le Women Waging Peace Network, qui est un réseau mondial de plus de 1 000 femmes partisanes de la paix dans 40 pays. Nous faisons des recherches pour répondre à la question suivante : Quelle différence cela fait-il lorsque les femmes sont incluses? Nous travaillons auprès de gouvernements et d'organisations multilatérales comme les Nations Unies, l'OTAN, l'Union africaine et d'autres. Nous appuyons de vastes coalitions de femmes leaders qui vont au-delà des divisions tribales, religieuses, ethniques ou autres pour collaborer à la participation des femmes. Plus précisément, nous travaillons en Afghanistan, au Pakistan, en Israël, en Palestine, au Soudan et au Soudan du Sud.
Nous offrons de la formation aux femmes artisanes de la paix et de plus en plus aux fonctionnaires, aux policiers, aux militaires aux États-Unis et ailleurs.
Notre organisation a eu le plaisir de discuter avec votre comité et ses membres au cours des dernières années. Ma prédécesseure, Carla Koppell, a témoigné deux fois à votre comité. Nous avons travaillé avec votre présidente pendant de nombreuses années, pour documenter les effets de son travail sur la participation des femmes aux négociations de paix dans le Darfour. L'an dernier, j'ai voyagé avec elle au Soudan et au Soudan du Sud. J'ai aussi eu le grand honneur de travailler avec le sénateur Dallaire sur des dossiers concernant les enfants soldats, et dans une vie antérieure j'ai même travaillé avec le sénateur Harb. Je veux souhaiter la bienvenue au sénateur White. C'est probablement une bonne chose que, pendant les trois ans où j'ai vécu à Ottawa, je n'ai pas eu à vous rencontrer, mais je vous souhaite maintenant la bienvenue au comité.
Enfin, comme la présidente l'a dit, en tant qu'Albertaine dont le père est de Montréal et la mère de Toronto, j'ai passé les six dernières années à vivre et à travailler à Washington (D.C.) et c'est un réel honneur de m'adresser à votre comité aujourd'hui afin, je l'espère, d'éclairer vos discussions.
Je veux premièrement féliciter le comité pour son travail et les différents rapports que vous avez produits sur la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU et la participation des femmes en Afghanistan, en particulier. Je les ai relus pour préparer mon témoignage aujourd'hui, et à plusieurs occasions je me suis dit « ces rapports sont très complets. Tout est là, que puis-je ajouter? ».
Puis j'ai réfléchi aux réalités du terrain, et je suis très consciente qu'on ne voit toujours pas le changement important et systématique que l'on désire, surtout en situation de crise et de transition, y compris ce que l'on a vu dans plusieurs des pays à prédominance arabe qui ont connu des révolutions au cours de la dernière année. Pendant mon témoignage d'aujourd'hui, j'aimerais vous expliquer pourquoi nous ne voyons pas certains changements souhaités et vous proposer des recommandations sur les choses les plus essentielles que le Canada pourrait faire pour réduire le fossé mondial entre la rhétorique et la réalité. Je crois fermement qu'il est clair qu'il y a des progrès, y compris depuis la publication de votre dernier rapport à la fin de 2010. Je vais vous donner quelques exemples.
De façon générale, la résolution 1325 a été la seule résolution du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité pour près d'une décennie. Au cours des dernières années, il y en a eu quatre autres. Le secrétaire général de l'ONU a accompli un grand pas pour rendre ces résolutions significatives en adoptant 26 indicateurs permettant de suivre la performance et les progrès vers les objectifs décrits dans la résolution 1325.
Présentement, 34 pays ont des plans d'action nationaux, y compris les États-Unis, qui viennent de publier leur plan il y a un peu plus de deux mois à peine. La secrétaire d'État Hillary Clinton l'a officiellement rendu public et le président Obama a émis un décret exécutif pour l'instituer. Mon organisation a collaboré très étroitement avec le gouvernement américain pour demander la création d'un plan d'action national, et au cours de la dernière année, nous avons collaboré de façon hebdomadaire à sa création.
Vous me permettrez de faire une parenthèse : je ne sais pas si beaucoup de gens connaissent le rôle que le Canada a joué dans la création du plan d'action national des États-Unis, mais je dirais que le Canada a joué un rôle essentiel. Le Canada a été un membre actif du groupe des amis de la résolution 1325 aux Nations Unies, et à l'approche du 10e anniversaire de cette résolution à l'automne de 2010, la présidente de mon organisation, l'ambassadrice Swanee Hunt, l'ancienne présidente de l'Irlande, Mary Robinson, et d'autres ont encouragé les Nations Unies à convoquer une conférence sur les engagements, pendant laquelle on demanderait aux pays de parler des nouvelles étapes importantes qu'ils planifiaient entreprendre pour mettre en œuvre la résolution 1325.
Chantale Walker et le chef adjoint de mission, Henri-Paul Normandin, ont grandement appuyé la participation de la société civile et ont joué un rôle essentiel pour que la conférence ait lieu et qu'on y trouve des représentants de haut niveau. Je crois que c'est en partie grâce au processus d'élaboration des engagements pour cette conférence que le gouvernement américain a compris qu'il avait besoin de documenter ses propres cibles et qu'il avait besoin d'une meilleure coordination entre le département d'État, celui de la défense et l'Agence américaine pour le développement international.
Pour terminer la description des progrès réalisés, la nouvelle organisation des Nations Unies, ONU Femmes, a maintenant été créée et a à sa direction une ancienne chef d'État qui a notamment déjà été ministre de la Défense. Il y a quelques autres femmes aux postes les plus élevés des Nations Unies. En décembre, les femmes ont apporté une grande contribution aux conférences internationales, y compris celles sur l'Afghanistan à Bonn, en Allemagne, et sur le Soudan du Sud à Washington (D.C.)
Enfin, il ne faut pas l'oublier, ces dossiers ont obtenu une plus grande visibilité lorsque le Comité du prix Nobel de la paix a donné son prix en 2011 à trois artisanes de la paix et a reconnu plus précisément les contributions des femmes pour prévenir la guerre et y mettre fin. Pour celles d'entre nous qui travaillent sur ces dossiers depuis des années, et qui dans ce cas ont collaboré étroitement avec deux des trois femmes qui ont reçu le prix Nobel de la paix, ce fut un moment fantastique de pouvoir parler de quelque chose dont nos amis et notre famille avaient finalement entendu parler, c'est-à-dire le prix Nobel de la paix.
Nous savons cependant que rien de tout cela n'a vraiment d'importance si rien ne se concrétise sur le terrain, et en particulier dans les situations de crise et avec les gouvernements de transition lorsque les cadres internationaux et les meilleures lignes directrices en matière de politique peuvent être ignorées ou mises de côté en faveur d'impératifs supposément plus urgents comme sécuriser un endroit.
Par exemple, au Soudan et au Soudan du Sud, des endroits importants pour moi et pour le sénateur Jaffer, il y a des négociations depuis un an et demi pour convenir des modalités de séparation entre les deux pays. Les deux parties ont une équipe de six membres de négociateurs principaux et aucune des deux ne comprend des femmes. Le comité de haut niveau de facilitateur de l'Union africaine pour les pourparlers ne comprend aucune femme. Ce que nous pouvons constater, c'est que bien que les femmes aient des rôles importants dans la gouvernance des deux nouveaux pays, alors que les femmes représentent au moins 25 p. 100 des membres des deux parlements nationaux, elles ne sont toujours pas présentes au plus haut niveau des négociations. Comme vous le savez sûrement, il y a eu des conséquences extrêmement négatives de l'absence de résolution de certains des éléments clés de ces négociations, surtout les décisions liées au transfert des revenus du pétrole.
En Égypte, en Tunisie, en Libye, en Syrie et ailleurs, les femmes ne se sont pas seulement jointes aux révolutions, elles ont aussi aidé à les diriger et, dans certains cas, les ont lancées. Elles ont organisé des mouvements, manifesté dans les rues, fait preuve d'un courage énorme à côté des hommes et ont fait face à des menaces de violence physique et sexuelle très réelles. Elles sont maintenant systématiquement exclues des toutes les nouvelles institutions démocratiques pour lesquelles elles ont risqué leur vie.
La semaine dernière ici à Washington, mon organisation a été l'hôte d'une délégation de dirigeantes libyennes. Ce sont des femmes qui, pendant la révolution, ont risqué leur vie et continuent de vivre en Libye aujourd'hui. Elles ont parlé du Conseil national de transition libyen, le CNT, qui continue à se composer majoritairement d'hommes même s'il a fait plusieurs déclarations sur l'importance des droits des femmes. Le conseil compte 40 membres. Il y a deux femmes et elles proviennent de la même ville. Elles ont décrit le manque flagrant de transparence à tous les niveaux. Elles nous ont expliqué comment le Conseil national de transition crée très peu d'occasions de participation de la part de la population et des femmes en particulier. Elles ont dit que la population a souvent moins de deux semaines pour faire des commentaires sur les projets de loi et que souvent les renseignements sont partagés seulement sur Internet, un moyen de communication auquel les femmes ont beaucoup moins accès que les hommes.
La délégation a aussi parlé de la commission qui rédigera la nouvelle constitution de la Libye. Il y aura 200 membres et pas d'objectif déclaré pour le nombre de femmes.
Je ne veux pas mettre trop l'accent sur les chiffres ou donner l'impression qu'il faut qu'il y ait une représentation égale entre les hommes et les femmes. Mon message clé est le suivant : lorsqu'une nation se prépare à créer sa fondation, sa constitution, les cadres, les processus et les précédents qui tisseront la toile du pays, c'est à ses propres risques qu'elle ignore les voix de la moitié de sa population. À quel point ces bases peuvent-elles être démocratiques et même durables si elles ne sont pas authentiquement représentatives des priorités de toutes et tous?
Que peut faire le Canada? J'ai sept recommandations. Premièrement, et c'est toujours important, il faut continuer à mettre l'accent sur les négociations de paix elles-mêmes. Ce sont les composantes du processus de paix qui ont le plus grand potentiel pour jeter les bases de l'inclusion et d'une paix durable, et pourtant la plupart excluent toujours les femmes. Comme pour bien des choses dans ce domaine, les actions les plus importantes que peut entreprendre le Canada ne coûtent rien.
Le Canada peut utiliser sa voix pour dire aux autres gouvernements que la participation des femmes aux pourparlers de paix est importante pour lui et il peut insister qu'elles en fassent partie. Le Canada peut aussi demander au Département des affaires politiques des Nations Unies de nommer pour la première fois une femme médiatrice en chef de pourparlers de paix. Le Canada peut aussi régulièrement trouver des façons de créer des liens entre la société civile et les processus officiels.
Les mécanismes structurés sont utiles, mais même une seule rencontre peut l'être également. En décembre à Bonn, en Allemagne, par exemple, l'Institute for Inclusive Security a collaboré avec ONU Femmes et CARE International pour faire venir une délégation d'Afghanes à une conférence importante sur l'avenir de l'Afghanistan. Bien que les femmes elles-mêmes n'étaient pas des participantes officielles à la conférence, le ministre Baird a rencontré la délégation à l'extérieur des lieux de rencontre officiels et a fait référence aux priorités des femmes lors de son allocution en plénière. Ainsi, le Canada a trouvé une façon d'aider les Afghanes à faire entendre leurs voix.
Le Canada peut aussi créer un nouveau fonds pour appuyer la participation des femmes aux pourparlers. Ce fonds pourrait couvrir des choses comme la garde des enfants pour les femmes qui doivent laisser leur famille ou la protection pour celles qui font face à des menaces continues envers leur sécurité. L'administrateur adjoint de l'agence américaine de développement international, Don Steinberg, a dit qu'être une négociatrice de paix est l'un des emplois les plus dangereux sur la planète.
Deuxièmement, lorsque le Canada finance des pourparlers de paix et le développement, il peut lier l'argent du rétablissement à des engagements et des progrès qui font participer de façon significative les femmes. Imaginez si le Canada disait au gouvernement libyen que l'argent pour construire les routes, pour la santé et pour les systèmes d'éducation sera lié à une plus grande représentation des femmes au conseil national de transition. Parfois, nos actions amèneront un changement, et parfois faire entendre notre voix permettra aux autres pays donateurs de faire de même, et ensemble, nous pourrons changer les choses.
Troisièmement, le gouvernement canadien peut se concentrer sur des changements de politiques et de pratiques qui mèneront à des changements de comportements. Il y a une dynamique mondiale actuellement dans le domaine des femmes, de la paix et de la sécurité, et c'est notre défi d'en profiter en créant des pratiques qui ne seront pas victimes des changements de politiques.
Par exemple, jeudi dernier, l'agence américaine de développement international a révisé sa politique sur les genres pour la première fois en 30 ans. L'agence a fait deux choses qui, d'après moi, sont particulièrement importantes. Premièrement, l'agence exige maintenant une évaluation selon le genre pour chaque projet qu'elle finance. La seule autre évaluation du même genre est une évaluation environnementale.
Deuxièmement, le plan définit très clairement la responsabilité. Les attentes doivent être clairement énoncées dans la description de poste et évaluées lors d'évaluations du rendement.
À l'Agence américaine de développement international, on ne peut pas devenir directeur de mission, ce qui est l'équivalent d'ambassadeur, sans avoir fait preuve d'un engagement à la participation des hommes et des femmes. Comme vous le savez sûrement, on porte plus attention aux choses sur lesquelles reposent notre situation financière et notre avancement professionnel.
Quatrièmement, le Canada peut se concentrer sur la documentation des situations — rassembler les faits, les analyser honnêtement et faire le suivi des résultats. Le monde a toujours besoin de preuves et manque de pratiques exemplaires.
Les troupes canadiennes de l'équipe de reconstruction provinciale de Kandahar, par exemple, ont créé une approche innovatrice touchant à la participation des femmes locales et à l'apprentissage de leurs priorités qui a mené à des avantages très précis pour l'OTAN et la mission canadienne. L'Institute for Inclusive Security a documenté la situation. Nous avons rédigé l'étude de cas.
Le North-South Institute a récemment publié une étude intitulée African Women on the Thin Blue Line, sur les réformes policières sensibles aux genres au Libéria et au Soudan du Sud. C'est un excellent exemple de l'analyse et de la documentation nécessaires.
Le plan d'action national canadien demande plus de documentation, et le Sénat peut demander régulièrement à la voir.
Cinquièmement, dans le même ordre d'idées, en Afghanistan en particulier, le Canada pourrait demander à la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, de commencer à faire le suivi d'indicateurs qui permettraient aux membres de mieux surveiller les conséquences du retrait des troupes sur les Afghanes en particulier.
La cellule de données de la FIAS, le groupe d'évaluation afghan, n'effectue pas présentement le suivi d'un indicateur précis sur la sécurité des femmes dans les districts où les troupes sont en train de quitter. Le Canada pourrait demander à la FIAS de commencer maintenant à faire le suivi d'un indicateur tel que la liberté de mouvement ou la participation politique des femmes, et ensuite continuer à suivre même un seul indicateur pendant plusieurs autres années.
Sixièmement, votre comité et le gouvernement canadien en général devraient garder un œil sur la formation. Le plan d'action national canadien, comme le plan américain, demande d'importantes formations pour les civils et militaires pour faire avancer la résolution 1325. Nous devons faire attention à ne pas seulement cocher une case pour la formation et présumer que cela signifie qu'il y a des progrès. Pour que la formation soit utile, elle doit mener à un changement de comportement, pas seulement à une accumulation de connaissances. J'ai personnellement vu trop de formations offertes au nom de la résolution 1325 qui n'apportaient rien d'utile. La formation qui informe les troupes sur les politiques concernant l'exploitation sexuelle, par exemple, n'est pas la même chose que de la formation qui démontre pourquoi il est important de parler avec les femmes locales en théâtre d'opérations et, encore plus important, comment le faire de façon sécuritaire et respectueuse. Ces deux types de formation sont importants et les deux sont nécessaires pour que la résolution 1325 fasse des progrès réels.
Enfin, si le comité ne faisait qu'une chose, assurez-vous de demander à chaque témoin sur chaque sujet la question suivante : comment est-ce que cette situation touche les hommes, les femmes, les garçons et les filles, et comment planifiez- vous inclure les voix des hommes et des femmes dans la conception et la mise en œuvre de votre projet, et qui sera responsable si ce n'est pas fait? Il est remarquable de voir les changements de comportement lorsque suffisamment de gens sont pris par surprise par une question et lorsque ceux qui rédigent les discours et les documents d'information commencent à chercher des renseignements.
Je serais heureuse de donner plus de détails sur ces points ou les autres et de répondre à vos questions. Encore une fois, merci de cette occasion de m'adresser à vous et merci de votre bon travail.
La présidente : Merci madame O'Neill. Nous vous remercions de ces remarques. Nous allons passer aux questions.
Le sénateur Meredith : Merci de votre exposé.
L'une des choses qui m'a le plus frappé — vous avez parlé de documenter les situations et les pratiques exemplaires, et c'était l'une de vos recommandations. D'après vous, est-ce que nous ne documentons pas assez les situations afin de démontrer notre position sur la scène mondiale? Pourriez-vous me parler plus de ce point?
Mme O'Neill : Avec plaisir. Oui, nous ne documentons pas assez les situations, selon moi. En général, il y a beaucoup de pratiques exemplaires. Elles se font relativement de façon ponctuelle, même si le plan d'action national essaie de les systématiser, mais je dirais que nous ne sommes pas assez avides de documentation à leur sujet. Prenons l'exemple des comptes rendus après action suite aux actions militaires et policières canadiennes et celles des gens que nous formons. On ne demande pas régulièrement des comptes rendus après action qui évaluent si les femmes ont participé de façon importante, si elles ont été consultées, qui exigent la collecte de données séparées selon le sexe, et cetera.
Conséquemment, oui, je crois vraiment que nous pourrions en faire plus pour recueillir les renseignements pertinents et ensuite, comme je l'ai dit, en tirer des leçons en évaluant honnêtement ces renseignements et non pas en les utilisant seulement pour remplir nos obligations en matière de défense des droits.
Le sénateur Meredith : Je vais aussi poursuivre au sujet de la formation, qui concernait votre sixième recommandation. Comment pouvons-nous améliorer nos actions militaires et la sensibilité dont les militaires ont besoin concernant les effets qu'ils ont lorsqu'ils entrent dans ces pays déchirés par la guerre et qu'est-ce que votre agence a recommandé aux diverses forces militaires pour améliorer la formation nécessaire?
Pour quelqu'un qui travaille dans le domaine des interactions de la police avec les jeunes dans les collectivités, ils manquent parfois de sensibilité lorsqu'ils travaillent dans ce domaine. Pourriez-vous me donner plus de détails à ce sujet également?
Mme O'Neill : Bien sûr. Voilà un excellent point. Quel que soit l'endroit où nous sommes, c'est l'une des choses les plus importantes sur laquelle nous nous penchons. La meilleure réponse à cette question est de demander aux femmes et aux hommes des collectivités locales de concevoir et de mettre en œuvre eux-mêmes la formation.
Il y a beaucoup de précédents et de programmes internationaux dans le domaine de la formation policière et militaire qui peuvent être utilisés et adaptés. Cependant, cela doit toujours être fait en collaboration avec les femmes des collectivités locales. Au Libéria, par exemple, nous travaillons avec des groupes de femmes de la société civile qui demandent des réformes policières plus démocratiques. L'un des éléments clés de leur travail avec le ministère de l'Intérieur est de demander : « Quels sont les documents et les programmes que vous utilisez pour former les nouvelles recrues », par exemple, ou « pour former les gens qui veulent être promus et comment pouvons-nous leur faire des commentaires à ce sujet? »
Nous travaillons avec une femme fantastique qui s'appelle Precious Mitchell, et elle s'occupe de ce type de formation dans des académies policières. Le plus important est que la formation provient des gens de la collectivité elle-même et qu'elle soit conçue par eux. Il y a un nombre suffisant de précédents partout dans le monde où des groupes de femmes de la société civile sont arrivées à le faire et ont eu une influence importante sur les programmes et la façon dont la formation est élaborée et offerte.
Notre organisation demande à ce que la formation se fasse avant le déploiement et sur place. Dans notre cas, avec les forces militaires américaines, nous travaillons avec les policiers, les militaires et les civils qui s'en vont en Afghanistan, par exemple, pour discuter du comment et du pourquoi des interactions avec les Afghanes.
Il est important de faire cela avant le déploiement, surtout pour que les gens commencent à se débarrasser de certains mythes auxquels ils croient; pour réfléchir à certaines des valeurs et des pratiques mises en place, par exemple, dans d'autres équipes de reconstruction provinciale, au quartier général de la FIAS, et cetera; et pour coordonner cela avec la formation en théâtre d'opérations. Cela signifie, lorsque possible, travailler avec les Afghanes afin qu'elles puissent offrir elles-mêmes une partie de la formation ou, à tout le moins, participer à l'élaboration du programme afin qu'il soit toujours aussi pertinent et significatif que possible pour elles.
Le sénateur Meredith : J'ai une dernière question, madame la présidente. Quel est le degré de réceptivité des dirigeants à ce genre de recommandation? Il est toujours difficile de changer leur façon de procéder. Quel est leur degré de réceptivité à cette approche communautaire?
Mme O'Neill : Je dirais que cela varie considérablement. Dans un grand nombre de pays, les dirigeants sont conscients de l'attention que le monde porte à la question de l'inclusion des femmes et souhaitent bien paraître. Par conséquent, ils vont faire davantage attention à cette question en s'efforçant de donner l'impression de faire quelque chose. Ainsi, dans certains cas, cela revient à ouvrir davantage une porte déjà ouverte.
Ailleurs, comme on peut s'y attendre, les gens perçoivent le transfert du pouvoir comme une menace quoi qu'il en soit, et dans ces cas, nous faisons donc très attention, comme je l'ai dit, de prendre notre temps; apporter des changements significatifs prend beaucoup de temps et on ne peut presser les choses dans ce domaine. Il faut qu'il y ait un engagement viable et à long terme de collaborer avec les hommes et les femmes dans un pays.
Il s'agit aussi de faire participer les hommes à ce processus. Ce que je veux dire, c'est que les hommes sont nos alliés les plus précieux, car ils sont les plus susceptibles d'appuyer un programme lié à la résolution 1325 et ils ont été de grands défenseurs de la question dans des pays partout dans le monde. En Afghanistan, par exemple, il y a un certain nombre d'hommes avec qui nous collaborons au sein du ministère afghan de l'Intérieur et du ministère de la Défense et qui font de la sensibilisation à l'interne. Il est donc important de faire participer les hommes et d'élaborer des stratégies permettant de s'assurer qu'avant tout, les hommes et les femmes, qu'ils soient en position de pouvoir ou non, sont conscients de ce que nous faisons ainsi que des motifs qui nous poussent à le faire, et ainsi choisir stratégiquement des défenseurs de la cause, en quelque sorte.
Le sénateur Meredith : Merci beaucoup.
Le sénateur Zimmer : Merci, madame O'Neill, de votre exposé. Des sanctions ou d'autres mesures ciblées et progressives décrites dans l'article 5 de la résolution 1820 ont-elles été envisagées et appliquées par le Canada ou d'autres États contre des parties à un conflit ayant commis des viols ou d'autres formes de violence sexuelle contre les femmes et les jeunes filles?
Mme O'Neill : J'aimerais bien répondre à votre question, mais malheureusement je ne sais pas. Je suis désolée.
Le sénateur Zimmer : Étant donné que dans bien des conflits, les femmes ne sont pas forcément des membres haut gradés des forces armées, des partis politiques, ou des gouvernements nationaux, quels sont les défis associés au fait de s'assurer que les femmes sont intégrées au processus formel de prise de décision, de consolidation de la paix et à la vie publique après le conflit?
Mme O'Neill : Merci de votre question. Laissez-moi en énumérer quelques-uns. Tout d'abord, j'aimerais commencer par revenir un petit peu sur votre question, dans laquelle vous avez dit que les femmes n'étaient pas forcément des membres haut gradés d'un grand nombre de ces organisations.
Nous partons du principe que les femmes, même si elles n'occupent pas des postes élevés qui leur confèrent une autorité formelle, jouissent d'une autorité informelle dans presque toutes les communautés de l'ensemble du monde, ou ont du moins une certaine autorité dans la sphère privée, mais pas nécessairement dans la sphère publique. Ainsi, tout d'abord, nous tenterons de déterminer dans quels domaines les femmes jouissent d'une autorité morale ou de persuasion sur les membres de la famille, les proches, et cetera, et nous tentons de partir de là.
Il y a un certain nombre d'obstacles pour faire participer les femmes à ces processus. Je dirais que le premier de ces obstacles est la confiance. Par-dessus tout, les femmes avec qui nous collaborons, plus particulièrement dans les régions qui sortent tout juste d'un conflit, et je pense plus particulièrement au Soudan et au Soudan du Sud, bien qu'elles aient dirigé des mouvements armés durant le conflit, bien qu'elles aient dispensé des services de santé et de l'enseignement — par exemple, en Afghanistan, sous les talibans —, bien qu'elles aient dirigé des comités communautaires de différentes façons assurant ainsi la cohésion de leur communauté pendant le conflit, lorsqu'il s'agit de se mettre en position d'autorité formelle, les femmes sont bien souvent les premières à vous dire : « Non, non, non. Je ne suis pas qualifiée; je n'ai pas l'expérience nécessaire. »
Je me rappelle d'avoir travaillé avec des groupes de femmes au Soudan du Sud, en particulier, et d'avoir parlé de l'importance de présenter sa candidature. Les élections arrivaient et les femmes disaient : « Nous voulons voir telle et telle chose se concrétiser » ou encore : « Nous ne sommes pas éduquées. Nous avons un faible niveau d'alphabétisation au Soudan du Sud ». Seulement 2 p. 100 des femmes savent lire et écrire. Les femmes se désistaient d'emblée. Voici ce qu'on leur dit dans ce genre de cas : « Avez-vous des liens étroits avec votre communauté? » « Oui. » « Avez-vous une idée de ce qu'il y a de mieux pour votre communauté et de la manière dont on peut y parvenir? » « Oui. » « Êtes-vous prêtes à vous atteler à la tâche et à concrétiser ces projets? » « Oui. » « Vous avez donc tout ce qu'il faut pour présenter votre candidature. »
Tout d'abord, la première étape consiste à encourager les femmes à se porter volontaires pour jouer ces rôles.
Deuxièmement, il y a un certain nombre de biais institutionnels, par exemple, contre le recrutement des femmes. L'un des meilleurs exemples dont je me souviens est l'histoire d'un homme dans les forces armées américaines qui a collaboré avec les forces armées libériennes, afin de recruter des femmes à la suite des conflits qui ont eu lieu là-bas. Il a expliqué que les forces armées américaines passaient par l'intermédiaire d'un entrepreneur dont le rôle était de recruter des hommes et des femmes dans la nouvelle armée libérienne. Ils ont organisé une journée de recrutement pour laquelle ils ont posé un certain nombre d'affiches et de publicités partout dans la communauté. Très peu de femmes s'y sont présentées, et celles qui le faisaient se faisaient constamment repousser de la file d'attente par des hommes qui voulaient passer devant. Ils m'ont dit que plutôt que de produire un rapport officiel, de retour au quartier général, et cetera, ils ont décidé, la journée suivante, de mettre en place deux files d'attente, une pour les femmes et l'autre pour les hommes. Peu de femmes se sont présentées pour poser leur candidature. Le problème, c'est que dans ce cas, la campagne de publicité visant le recrutement dans les forces armées montrait des images d'hommes en uniforme militaire. Ils ne sollicitaient pas spécifiquement la participation des femmes.
Un autre exemple de cela s'est déroulé en Afghanistan. Nous collaborons avec un certain nombre de groupes d'hommes et de femmes qui nous ont indiqué que l'un des principaux obstacles au recrutement des femmes dans la Police nationale afghane et l'Armée nationale afghane était que les centres de formation étaient situés uniquement à Kaboul, ce qui faisait que les femmes auraient dû quitter leur famille pour aller voir si elles souhaitaient se joindre à la police nationale ou à l'armée nationale. Au cours des dernières années, un certain nombre de ces centres de formation ont été mis sur pied dans les provinces. Certains de ces centres disposent de services de garde d'enfants, ce qui fait que les femmes, même les jours de recrutement, peuvent venir avec leur famille, sans avoir à se soucier de qui va garder leurs enfants, et elles amènent leur famille avec elles car il leur est ainsi beaucoup plus facile d'expliquer à leur mari, à leurs frères, à leur père, et cetera, « Voici ce que je fais et voilà ce dans quoi je me lance. »
D'autres obstacles sont associés à l'existence d'un système de négociations qui, je dirais, est fondé sur un système d'incitation fondamentalement biaisé. Ceux qui obtiennent une place à la plupart des tables de négociation sont ceux qui ont porté les armes pendant un conflit. Il s'agit de membres du gouvernement qui étaient d'un côté et de membres de différents mouvements rebelles qui ont combattu activement pendant le conflit. La communauté internationale ne s'est pas efforcée constamment d'inclure en priorité, à la table de négociation, des membres de la société civile qui ont joué un rôle essentiel pour assurer la viabilité de leurs communautés pendant le conflit et à mettre un terme au conflit lui-même. La composition des tables de négociation est, dès le départ, souvent conçue pour inclure des chefs rebelles, de milice ou d'autres mouvements, et ces tables ne sont pas suffisamment larges pour donner une place à des membres de la société civile, qui sont bien souvent des femmes.
Le sénateur Zimmer : Ma question suivante fait en partie écho à votre réponse. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies demande au secrétaire général des Nations Unies de nommer davantage de femmes à des postes de représentantes spéciales et d'envoyées spéciales pour le représenter et demande aux États membres d'indiquer au secrétaire général des noms de candidates. Êtes-vous au courant d'un moyen par lequel le Canada pourrait faire pression pour la nomination de femmes comme représentantes spéciales auprès du secrétaire général des Nations Unies?
Mme O'Neill : Ce serait par l'intermédiaire de la mission de New York. Cette mission jouit d'un accès privilégié au secrétaire général, d'autres membres du Conseil de sécurité et d'autres États membres des Nations Unies. Des efforts sont faits dans ce sens depuis un certain temps. Comme je l'ai mentionné dans mes observations, on voit de plus en plus de femmes nommées à la tête de missions de maintien de la paix des Nations Unies. Par exemple, c'est une femme qui dirige la mission de maintien de la paix qui vient d'être créée au Soudan du Sud.
Par contre, aucune femme n'a encore été nommée comme médiatrice principale dans le cadre d'un conflit dont la médiation est assurée par les Nations Unies. C'est le Département des affaires politiques qui s'occupe de ce poste. Comme vous pouvez l'imaginer, il s'agit bien souvent d'un processus politique dans le cadre duquel, tout d'abord, les pays sont appelés à proposer des candidats sérieux et crédibles, et le Canada peut donc identifier un grand nombre de femmes — des femmes canadiennes, par exemple — qui pourraient être de bonnes candidates aux postes de médiatrices principales et il pourrait aussi inciter d'autres pays à faire de même. Avant tout, il faut avoir un bassin de candidates car, comme vous pouvez l'imaginer, il n'y aurait rien de pire que de nommer une femme juste parce que c'est une femme et de se retrouver avec quelqu'un qui n'est pas en mesure de faire son travail de manière efficace. La deuxième chose consisterait à faire des représentations directes auprès du Département des affaires politiques, des membres du Conseil de sécurité et d'autres, qui peuvent influer sur le processus de nomination.
Merci de votre question. J'espère que nous verrons cela plus souvent.
Le sénateur Zimmer : Merci de votre exposé.
Le sénateur White : J'ai remarqué qu'en Haïti, du moins, il semble y avoir plus de femmes canadiennes qui participent à cette mission qu'à d'autres missions. C'est peut-être le résultat d'une exigence de bilinguisme et de l'existence d'un bassin plus restreint.
Avez-vous envisagé de discuter du système à deux volets pour l'Afghanistan et d'autres missions? Je suppose que le Soudan du Sud pourrait être une excellente mission, du point de vue des services de police, et une bonne occasion pour nous de faire participer davantage de femmes.
Mme O'Neill : Il y a un certain nombre d'excellents Canadiens, plus particulièrement dans la GRC, qui jouent un rôle consultatif auprès de forces policières étrangères et qui seraient heureux de discuter de cela. Je sais qu'un grand nombre d'entre eux travaillent sur ces questions.
Il y a une Canadienne qui agit à titre de conseillère auprès d'une autre femme, la générale Shafiqa, qui est une Afghane chargée de l'unité qui s'occupe de la représentation des femmes au ministère de l'Intérieur de l'Afghanistan. Mes collègues m'ont indiqué que cette Canadienne fait un travail extraordinaire dans le domaine du recrutement des femmes au sein de l'ANA et de la PNA.
Je ne peux pas dire grand-chose de Haïti. Je sais qu'étant donné que c'est une mission créée plus récemment, les Nations Unies et d'autres ont porté une attention particulière sur le fait de favoriser le recrutement des femmes au sein des forces policières. Je sais que le Canada a fait figure de chef de file par le passé dans le cadre de ce déploiement.
Le sénateur Hubley : Une fois encore, en ce qui a trait à la résolution 1325, êtes-vous en mesure de cerner des lacunes dans la formation dispensée au personnel des Forces canadiennes, aux agents de police civils, au personnel de sécurité des Nations Unies et aux observateurs des droits de la personne?
Mme O'Neill : Je peux vous en parler un peu. Je sais que vous avez aussi comme témoin Mme Livingstone, du Centre Pearson pour le maintien de la paix, qui pourra certainement vous parler de cela davantage.
Concernant les lacunes en matière de formation que nous avons pu observer aux Nations Unies et chez différents pays membres qui concentrent leurs efforts sur la formation pré-déploiement de leurs troupes avant d'aller participer à des missions des Nations Unies, l'accent est mis principalement sur l'exploitation sexuelle. Je vais vous en donner un exemple.
J'ai travaillé pendant un certain temps à la mission de maintien de la paix de Khartoum, au Soudan, où j'ai dû suivre un stage d'initiation d'une heure sur la résolution 1325. C'était il y a quelques années, mais je me rappelle très bien lorsque j'étais assise dans cette salle. Il y avait des Casques bleus de différents pays, des policiers, des militaires, des civils et moi. Nous avons parlé pendant environ 45 minutes de la définition du mot « sexe », ce qui a semé la confusion car au final, plus personne ne savait ce que signifiait ce mot, et on a consacré environ 15 minutes à la politique de tolérance zéro des Nations Unies concernant l'exploitation sexuelle.
Le message central que la majorité des gens qui ont participé à cette séance de formation ont retenu était de ne pas s'approcher des femmes locales, principalement. S'approcher d'elles ou solliciter leur participation de quelque façon que ce soit présentait un risque.
C'était il y a six ou sept ans. Je pense que la formation a évolué, mais pas suffisamment pour mettre l'accent sur l'importance d'inclure les femmes dans les opérations de maintien de la paix. Les formations que nous avons vues mettent très peu l'accent sur l'incidence sur les objectifs de la mission d'inclure davantage de femmes dans le personnel policier ou militaire ou les troupes, ou encore lorsque l'on fait participer les femmes de manière significative sur le terrain. Quels sont les avantages pour la mission d'envisager comment quelque chose peut avoir des répercussions différentes sur les hommes et les femmes et en quoi les priorités respectives de ces derniers sont différentes? Il s'agit là de faire comprendre l'importance de cette question en premier lieu.
Deuxièmement, une bonne partie de la formation qui est actuellement dispensée sur la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies est très théorique. Vous pouvez imaginer — je pense plus particulièrement au sénateur White, ici présent — un groupe de policiers examinant ligne après ligne la résolution 1325 du Conseil de sécurité, apprenant exactement les intentions des Nations Unies au moment de la rédaction de cette résolution, et quittant la formation en ayant absolument aucune idée de la manière de mettre cette résolution en application, et sur la manière dont celle-ci peut se traduire d'un point de vue tactique au niveau opérationnel.
Nous insistons constamment sur la nécessité de dispenser une formation ciblée et spéciale sur l'inclusion des femmes. Lorsque l'on est un agent de police œuvrant au sein de l'équipe provinciale de reconstruction, comment peut-on inclure les femmes de façon significative conformément à votre rôle et à vos objectifs? Nous recommandons une transition de l'enseignement général concernant la résolution 1325 à l'enseignement de pratiques exemplaires sur la manière dont cette résolution peut être mise en œuvre au niveau tactique.
Le sénateur Hubley : Merci beaucoup. L'une de vos recommandations distinguait les États-Unis comme pays qui inclut la sensibilisation à l'égalité des sexes et à l'inclusion des femmes dans ses missions d'aide. Est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit?
Mme O'Neill : USAID vient d'annoncer la mise en place d'une politique qui veillera à ce que cela soit constamment mis en pratique.
Le sénateur Hubley : Y a-t-il d'autres pays qui font de même?
Mme O'Neill : Certainement. Les pays scandinaves sont très en avance sur le reste du monde, je dirais, en ce qui a trait à cette question. Nous travaillons étroitement avec le gouvernement norvégien, et cette question est intégrée dans les mesures et les évaluations de rendement. Les gens, individuellement, doivent être en mesure de décrire comment ils ont tenu compte de la résolution 1325 dans la planification de leurs projets, leurs évaluations d'alerte rapide, leurs comptes rendus post-action, et cetera.
Nous collaborons aussi beaucoup avec le gouvernement des Pays-Bas, qui vient juste — au cours des derniers mois, je crois — de produire une version révisée de son plan d'action national. Un plan d'action national avait été créé il y a quelques années. Après réflexion et après en avoir appris davantage, le gouvernement s'est aperçu que ce plan prévoyait trop de projets pour trop de gens. Le gouvernement des Pays-Bas a donc décidé de concentrer son plan d'action sur cinq ou six pays et de décrire, de façon plus détaillée, ce qu'il fait dans ces pays. Le gouvernement a aussi cherché à obtenir des engagements très précis de divers organismes du gouvernement national des Pays-Bas et de la société civile. Les ressources financières et humaines qui seront fournies par les ministères de la Défense, des Affaires étrangères, et autres, sont très clairement énoncées, de même que la contribution des organisations de la société civile. Ce plan prévoit aussi des résultats et des indicateurs précis. Les Pays-Bas sont véritablement un chef de file dans ce domaine.
Il y a aussi un certain nombre de pays touchés par des conflits qui ont élaboré des plans d'action nationaux significatifs et qui s'efforcent d'en renforcer la validité dans un certain nombre d'organismes. Le Népal, par exemple, s'est doté d'un plan d'action national efficace.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup, madame O'Neill, de votre excellent exposé.
Vous collaborez avec un grand nombre de pays qui sortent tout juste d'un conflit. Dans beaucoup de ces pays, comme le Soudan, les Nations Unies ont joué un rôle central dans l'élaboration de leur constitution. La constitution du Soudan énonce clairement l'objectif d'assurer l'égalité entre les sexes. La constitution vise à s'assurer que les femmes sont bien représentées au Parlement. En fait, les femmes sont bien mieux représentées au Parlement du Soudan que dans un grand nombre de pays développés, à raison de 30 p. 100. Est-ce exact?
Mme O'Neill : Oui.
Le sénateur Harb : La constitution et le Parlement sont deux éléments très importants. La constitution permet d'énoncer les objectifs d'une nation, et le Parlement est là où on élabore les politiques.
Pourquoi, selon vous, ne voyons-nous pas ces principes d'égalité des sexes se traduire par des mesures précises dans l'ensemble du système dans des pays comme le Soudan?
Mme O'Neill : Il y a plusieurs réponses à cette question. Tout d'abord, pour ce qui est des quotas au Parlement, c'est quelque chose en quoi je crois fermement. Mais je pense qu'il faut un certain temps pour que ces quotas aient un effet tangible. Je pense qu'ils constituent une bonne étape dans la transition.
Au Soudan, par exemple, la constitution provisoire, comme vous l'avez justement fait remarquer, exige que l'Assemblée nationale soit constituée à 25 p. 100 de femmes. Dès le départ, ces 25 p. 100 de femmes ont été sélectionnées par ceux qui ont élaboré l'accord de paix et qui, comme on l'a dit plus tôt, étaient ceux qui avaient obtenu un siège à la table de négociation à l'époque. On s'est donc retrouvé au final avec des femmes ayant différents types d'expertise, d'engagement, d'expérience, de contacts et de compétences.
Essentiellement, une des choses que nous faisons, c'est de collaborer avec des femmes au sein de parlements dans des pays qui sortent de conflits afin de renforcer leurs capacités. Comme vous le savez, il est néfaste pour l'ensemble de la cause d'avoir un nombre significatif de femmes dont la contribution n'est pas très efficace. Nous avons porté notre attention sur du renforcement de groupe et d'autres initiatives destinées à rendre ces femmes parlementaires plus efficaces.
Dans certains cas, comme au Soudan, il faut un peu plus de temps. Il y a eu des élections récemment, et la prochaine série d'élections sera encore plus importante. Au fil du temps, il va y avoir de plus en plus de femmes dotées des compétences, des aptitudes, des engagements, et cetera, nécessaires pour remplir ces quotas. L'électorat va lui aussi apprendre à reconnaître ces qualités chez ses élus.
Encore une fois, au Soudan, la notion d'élection était un concept totalement nouveau pour la plupart des gens d'une génération entière. La notion d'identifier ce que l'on cherche chez nos représentants élus et de choisir ensuite des représentants de partis politiques selon ces critères est quelque chose de nouveau et prend du temps.
Pour répondre à votre question concernant les constitutions, la qualité de celles-ci est déterminée par la qualité du processus au moyen duquel elles ont été créées. Bien souvent, on voit des processus constitutionnels qui ne sont pas inclusifs et dans les cadres desquels la population n'est pas consultée. Comme je l'ai dit, la délégation de femmes libyennes que nous avons reçue la semaine dernière nous a parlé de la nature hermétique du processus d'élaboration de la nouvelle constitution libyenne et du fait qu'il était extrêmement risqué d'élaborer une constitution dans de telles conditions, car il s'agit d'un document fondateur incroyablement important pour ce nouvel État. Si on ne consacre pas de temps et de ressources à l'éducation civique, au dialogue, et à la consultation populaire — des hommes et des femmes — sur les choix qui s'offrent à eux au sein de la constitution, on peut se retrouver avec un document qui a l'air de bien fonctionner sur papier, mais qui n'a aucune valeur aux yeux de la population.
Je n'aime pas dire cela, mais il n'est pas difficile de comprendre que beaucoup de femmes dans des pays comme le Soudan du Sud ne savent ni lire ni écrire. Elles écoutent les stations de radio. Elles n'ont aucun contrôle sur leur radio, elles ont donc besoin qu'on leur en fournisse. Elles vont aux marchés et aux puits ainsi que là où elles peuvent ramasser du bois de chauffage. Si l'on souhaite faire de l'éducation civique auprès des femmes, ce n'est pas impossible. Nous sommes d'avis que la constitution et tous les processus qui en résultent sont beaucoup plus efficaces lorsque la voix des femmes est prise en compte dès le début. Il est essentiel de ne pas précipiter ces processus et de s'assurer que les gens ont tous les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées.
Le sénateur Harb : Quelle est l'importance d'élaborer un plan stratégique pour les parties prenantes concernées dans ces pays? Dans certains de ces pays, il y a 10 à 15 organismes différents qui participent au renforcement des capacités ou à telle ou telle réforme. Dans certains cas, leurs mandats se chevauchent, bien qu'ils aient tous de bonnes intentions car ils souhaitent généralement venir en aide aux gens.
Dans quelle mesure des organisations telles que la vôtre ou d'autres peuvent-elles s'assurer qu'un plan stratégique est mis sur pied afin d'intégrer les éléments que nous souhaitons, notamment l'égalité des sexes? Lorsque les différents acteurs se présentent, quelqu'un peut dire, « écoutez, ceci doit être résolu, il y a une lacune. Il faut s'occuper de cela car personne ne le fait. » J'aimerais avoir vos observations là-dessus.
Mme O'Neill : Merci. C'est une bonne chose que vous me posiez cette question car c'est un front sur lequel se bat notre organisation quotidiennement. Je vais répondre à votre question en plusieurs parties.
Tout d'abord, je pense que les plans d'action nationaux sont un outil d'organisation utile. Je vais vous donner l'exemple de l'Afghanistan. L'Afghanistan élabore actuellement un plan d'action national. Notre organisation est actuellement financée par le gouvernement finnois pour collaborer avec les fonctionnaires afghans à l'élaboration de ce plan d'action national. Il n'est pas rare pour nos homologues afghans de recevoir de cinq à sept appels par semaine de différents gouvernements donateurs qui leur disent : « Nous souhaitons appuyer votre plan d'action national. Nous croyons au principe de la résolution 1325 et nous pensons que c'est très important. » À l'heure actuelle, il revient au gouvernement afghan de coordonner les différents donateurs. Ce n'est pas pour dire que cela ne se produit pas. Une certaine coordination est assurée par des femmes des Nations Unies, du gouvernement finnois et d'autres. Au niveau international, cependant, il y a toujours un vide et un besoin de créer — et je pense que vous en avez parlé; vous avez dit qu'il s'agissait d'un plan stratégique ou d'un ensemble d'étapes clairement définies sur lesquelles tout le monde s'entend dans un pays qui émerge d'une transition. Je pense que là où cet élément fait le plus défaut, c'est dans les cas d'un gouvernement de transition.
Nous savions il y a un an qu'il se passait des choses en Libye et qu'on pourrait se retrouver dans la situation que nous connaissons actuellement, mais il n'y a eu aucun effort mondial concerté visant à répondre aux questions suivantes : « Qui va faire valoir cela auprès des autorités nationales libyennes? Y participerons-nous tous? D'autres vont-ils le faire aussi? Qui financera ce projet et comment allons-nous coordonner notre financement? »
L'une des choses que notre organisation envisage consiste à créer un groupe qui pourrait aider à jouer ce type de rôle, aux côtés des femmes des Nations Unies et d'autres intervenants qui en font de même.
Le sénateur Andreychuk : Veuillez excuser mon retard et mon absence lors de votre exposé. J'aimerais aborder deux questions. Premièrement, la résolution 1325 qui doit servir de base à l'élaboration de plans d'action nationaux, et la présentation de données à l'ONU, et deuxièmement l'inverse, c'est-à-dire l'obtention de résultats à partir de l'esprit de la résolution 1325.
Au Canada, on parle beaucoup de l'importance de produire des rapports, mais les femmes du Soudan ont déclaré que ce n'est pas une priorité pour elles, estimant qu'il faut mettre en place une police efficace. Il faut savoir lorsqu'on parle des communications radio, qu'il n'y en a même pas à l'intérieur des corps policiers. On veut recycler d'anciens militants qui ont été des combattants pendant de nombreuses années pour en faire des agents de la paix civils. J'ai visité leur centre de formation. Le Canada le subventionne et j'en suis fort heureuse, mais il est encore à l'état embryonnaire. Les Soudanaises demandent que les policiers reçoivent une formation minimale. Vous avez beaucoup fait pour comprendre le sens de la résolution 1325.
Il y a des discussions en vue de déterminer le pays où la résolution 1325 est le plus nécessaire. Nous attachons plus d'importance aux modalités de la résolution qu'à ses résultats. Certains intervenants m'ont dit qu'il faudrait faire pression sur les gouvernements pour qu'ils se conforment à la résolution 1325, mais on n'a pas beaucoup parlé de son application sur le terrain. On doit faire en sorte que dans certaines cultures, il soit approprié de parler des femmes, de leur place et de leur importance stratégique et historique dans les sociétés, pour réaliser les changements que les femmes souhaitent.
Bref, adoptons-nous la bonne approche dans d'autres pays du monde pour mettre à exécution la résolution 1325? Sommes-nous plus sensibles à la façon dont différentes sociétés comprennent l'objectif de cette résolution?
Mme O'Neill : Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire que les discussions autour de la résolution 1325 n'ont aucune importance pour 99,99 p. 100 de la population. Je ne pourrais même pas vous dire si 1 p. 100 des fonctionnaires aux États-Unis savent qu'il existe un plan d'action national. Je ne sais pas s'il en va de même au Canada.
Lorsque nous formons des gens, particulièrement des militaires et du personnel policier, nous parlons notamment « d'efficacité opérationnelle ». On ne commence presque jamais en disant que c'est une résolution internationale qui n'est même pas des pays du Nord, qui vise la promotion ou la formation, et qui a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Et qui s'applique à tous les États membres. Tout le monde s'en fout. C'est la réalité, comme vous l'avez signalé fort justement.
Pour qu'il y ait des progrès à cet égard où que ce soit dans le monde, il faut bien comprendre la contribution particulière des femmes qui sont recrutées dans les corps policiers locaux. Il s'agit d'une réforme du secteur de la sécurité qui s'est amorcée partout dans le monde; quand je m'adresse à des gens qui se demandent s'il faut recruter plus de femmes ou comment s'y prendre pour s'attaquer aux problèmes qui touchent les femmes, comme quelqu'un leur a demandé de le faire, nous détaillons les objectifs de la réforme du secteur de la sécurité. Qu'est-ce que c'est, au juste? Cette réforme vise à accroître la confiance de la population à l'endroit des forces de sécurité. Dans beaucoup de zones de conflit, les femmes n'ont pas été associées souvent aux belligérants, si bien qu'elles sont perçues comme « ayant les mains propres » lorsqu'elles intègrent des forces de sécurité. À tort ou à raison, les femmes sont souvent perçues comme moins corrompues que les hommes dans la police et l'armée. Or, si la réforme vise entre autres à contrer la perception de corruption, le recrutement d'un plus grand nombre de femmes est une façon d'y parvenir. J'ai pris un long détour pour vous dire que je suis tout à fait d'accord avec vous : il est inutile d'insister sur la résolution 1325 en soi parce qu'elle ne veut rien dire à la grande majorité des gens qui ont la capacité de la mettre en application.
Cela dit, je crois que les plans d'action nationaux sont un principe organisateur important. Je n'en étais pas complètement persuadée voilà quelques années, puis j'ai vu au sein du gouvernement américain le pouvoir d'un plan d'action national. Premièrement, un tel plan suscite la coordination entre les départements d'État, l'USAID et la Défense, les amenant à répartir les responsabilités entre eux, à définir des objectifs communs et des éléments communs du mandat. De plus, grâce à cette coordination, on pouvait déterminer les indicateurs à suivre ainsi que leur importance.
Nous croyons à l'utilité de plans d'action nationaux assortis entre autres d'indicateurs de résultats. Il ne suffit pas de comptabiliser le nombre de personnes formées ou d'indiquer combien d'entre elles comprennent le sens de la résolution 1325. Ce qui nous importe, c'est de savoir ce que les personnes formées ont fait pour améliorer la sécurité et donner aux femmes un meilleur accès aux forces de sécurité.
Il est essentiel que les plans soient bien rédigés et correctement mis en œuvre. L'un des pires obstacles, c'est que les personnes chargées d'élaborer les plans d'action nationaux n'aient pas nécessairement les compétences voulues pour les relier aux processus budgétaires ou pour obtenir dès le départ les ressources nécessaires à leur mise à exécution. Les plans ne sont pas nécessairement instaurés à plus haut échelon ou mis au point par des intervenants politiques de haut niveau capables de mettre en application de façon systémique beaucoup des choses que j'ai énumérées et qui ne coûtent rien. Voilà, entre autres, pourquoi nous n'avons pas les meilleurs plans d'action nationaux.
Le sénateur Andreychuk : Au Soudan du Sud, j'ai été frappée de voir que certaines femmes des unités combattantes combattaient réellement, si je peux m'exprimer ainsi. Je ne suis pas persuadée que les hommes ou les femmes aient vraiment fait la transition à des activités de maintien de la paix. Voilà le véritable problème : beaucoup de femmes des forces de sécurité étaient dans l'armée et doivent maintenant travailler dans un processus de paix; je ne sais pas si cela a été bien compris. Sur le terrain, il ne semble pas qu'on ait compris le rôle des femmes relativement à la démocratie et à la bonne gouvernance.
Vous dites que vous travaillez sur le terrain. J'aimerais savoir comment vous vous attaquez à ce problème parce qu'il me semble fondamental au Soudan du Sud. Peut-on mettre en place des structures de paix fondées sur la démocratie et la bonne gouvernance, ce que souhaite la population, vu que les gens ont l'habitude d'envisager les situations d'un point de vue militaire. Que faites-vous pour régler des différends dans l'armée, chez les hommes et chez les femmes, et que devrait-on faire en temps de paix. Certaines femmes, tout comme d'autres, ont du mal à faire cette transition.
Mme O'Neill : Vous avez raison. Je crois que le plus gros défi pour le Soudan du Sud en ce moment, c'est de mettre en place un gouvernement démocratique et efficace.
Vous avez signalé que certaines femmes ont combattu dans ce conflit. Peu de gens savent que, dans l'ensemble des pays du monde, les femmes constituent de 10 à 30 p. 100 des forces combattantes. Elles sont des combattantes actives. Lorsqu'il est question de désarmement, de démobilisation et de réintégration des anciens combattants, on sous-estime souvent très nettement le nombre de femmes parmi eux. Souvent, elles ne peuvent pas profiter des réformes conçues pour les personnes ayant combattu pendant longtemps.
Pour répondre à votre question au sujet de la transition à une situation de paix, j'aimerais vous dire que j'ai parlé il y a quelques semaines à une femme remarquable que vous avez peut-être rencontrée pendant votre voyage. Elle s'appelle Rebecca Okwaci, la sous-ministre de l'Éducation et de l'Instruction générales dans le gouvernement du Soudan du Sud. Elle a combattu dans les rangs de l'Armée de libération populaire du Soudan du Sud pendant nombre d'années. Elle a décrit ce qu'elle y faisait quand l'armée se déplaçait d'un village à l'autre. Affectée aux services radio, elle était opératrice radio pour l'Armée de libération populaire du Soudan du Sud. Elle a expliqué qu'elle n'avait souvent rien à manger et qu'elle dormait le plus souvent à la belle étoile, et cetera. Ils arriveraient dans un village et les villageois leur donneraient un œuf ou quelques légumes. Elle m'a dit que ces gens ont donné des œufs et du poulet, et que c'est maintenant à nous de leur donner la démocratie et un gouvernement qui leur rende des comptes.
Elle comprend très bien, mais il n'en va pas nécessairement de même de tous les membres du gouvernement.
Pour un gouvernement nouvellement formé comme celui du Soudan du Sud, ce qui importe, à mon avis, c'est d'offrir dès le départ de l'éducation citoyenne au sujet des responsabilités du Parlement, de la société civile, de l'exécutif et de la Cour suprême. Ce que j'ai constaté à maintes reprises pendant les années où j'ai travaillé au Soudan, et particulièrement au Soudan du Sud, c'est qu'on a du mal à comprendre ce à quoi on doit s'attendre d'un élu. La division du pouvoir est difficile à comprendre et il n'est pas simple de faire en sorte que la population ait les fondations nécessaires pour pouvoir demander des comptes à son gouvernement, relativement à la transition à la démocratie. Ce n'est pas une question facile et je ne sais pas par où commencer. Je pense que c'est le plus gros défi auquel ces gouvernements sont confrontés, mais il est très important de commencer à y réfléchir. Merci de votre attention.
Le sénateur Andreychuk : Je pense qu'il est excellent qu'on débatte de la liberté de presse. Les journalistes sont-ils repliés sur eux-mêmes, ont-ils des lois pour les protéger et ont-ils la possibilité d'informer les citoyens? C'est un vaste débat qui témoignera de l'évolution du Soudan du Sud. Merci.
Mme O'Neill : Absolument. Merci.
La présidente : J'aurais moi aussi des questions pour Mme O'Neill.
À vous entendre, on a l'impression que vous faites beaucoup de travail au Soudan du Sud, mais j'aimerais préciser que vous travaillez dans beaucoup de pays. Voulez-vous en nommer quelques-uns?
Mme O'Neill : Bien sûr. Nous avons beaucoup d'activités en Afghanistan et au Pakistan. Au Pakistan, nous travaillons avec un groupe très intéressant dont vous connaissez le fondateur, le sénateur Jaffer. Les femmes de ce groupe essaient de tempérer l'extrémisme, reconnaissant que les jeunes hommes de leurs villages sont particulièrement vulnérables aux tentatives de recrutement et de persuasion des talibans ou des forces d'Al-Qaïda. Ces femmes interviennent auprès des mères pour les amener à convaincre leurs fils de ne pas se joindre aux insurgés, par exemple.
Cela me ramène à la question du pouvoir formel et informel des femmes. Leur pouvoir informel dans la famille et la collectivité leur permet d'exercer une influence sur les hommes pour les encourager ou les dissuader de se joindre aux mouvements d'insurrection.
L'Afghanistan, le Pakistan, Israël, la Palestine, le Soudan, le Soudan du Sud — nous avons un réseau mondial appelé Women Waging Peace Network qui regroupe des leaders féminins d'une quarantaine de pays; le réseau compte actuellement environ 1 000 femmes qui travaillent au Libéria et ailleurs. J'ai même vu la semaine dernière la nouvelle ministre des Femmes du Libéria, Julia Duncan-Cassell, qui vient d'être élue. Je lui ai mentionné que j'allais prendre la parole devant vous et que votre comité se rendrait en Afrique occidentale. Elle a hâte de vous y accueillir et a demandé que vous lui rendiez visite et que vous veniez avec elle voir les huttes de la paix que son ministère est en train de constituer dans plusieurs villages du Libéria. Les femmes et les hommes se réunissent dans ces huttes de la paix pour discuter d'enjeux locaux et trouver des façons de résoudre ensemble les conflits. Elle aimerait beaucoup vous amener voir ces huttes de la paix.
La présidente : La fondatrice dont vous avez parlé au Pakistan est Mossarat, et son organisme a formé, avec notre aide, un groupe appelé Women in Peace Across Pakistan pour combattre l'extrémisme. Les femmes doivent se rallier autour de la résolution 1325 pour s'attaquer à l'extrémisme.
C'est l'ambassadrice Hunt qui a eu l'idée d'une sécurité inclusive. Elle a rassemblé 1 000 femmes. À mon avis, elle a donné aux femmes de partout dans le monde les moyens de collaborer au processus de paix, avec le concours de l'Institute for Inclusive Security.
Dans votre déclaration, vous avez énoncé sept recommandations pour le Canada.
J'aimerais que vous en ajoutiez une huitième. Si nous adoptions votre modèle, comment pourrait-on rallier les femmes et quel rôle le Canada pourrait-il jouer pour regrouper les femmes de zones de conflit afin de leur donner plus de moyens pour travailler à la mise en place de processus de paix.
Mme O'Neill : Je serais ravie qu'on envisage une huitième recommandation de ce genre.
Permettez-moi de vous décrire notre modèle en indiquant ce que le Canada pourrait faire pour appuyer une approche semblable.
Peu importe où nous travaillons, nous tenons à nous adjoindre un vaste éventail de femmes. Dans les zones de conflit, nous identifions des femmes de divers partis politiques, de différentes ethnies et confessions religieuses, et de différentes tribus; nous les réunissons dans un lieu où elles peuvent déterminer si elles ont des priorités communes. Tiennent-elles à ce que des femmes de tous les groupes soient représentées? Tiennent-elles à ce que la constitution de transition fixe un nombre minimal de femmes au Parlement? Souhaitent-elles qu'il y ait plus de femmes dans les structures policières et militaires? Est-il important à leurs yeux de désarmer efficacement les hommes et les femmes à la fin d'un conflit et de réintégrer dans la société les milliers de miliciens?
Nous créons un lieu où il est plus facile pour les femmes de se rassembler et de définir leurs priorités communes. Nous offrons deux types de formation. D'une part, nous expliquons les rôles différents que joue la communauté internationale dans le règlement de conflits. Par exemple, nous leur expliquons ce que fera la Banque mondiale, ce que feront les Nations Unies et ce que fera leur propre gouvernement. Nous leur faisons savoir qu'une fois qu'elles auront décidé des objectifs importants à leurs yeux, ce seront ces groupes qui auront à les réaliser.
Dans un deuxième temps, nous faisons une grande place à la promotion de leurs droits, pour préparer les femmes à les défendre elles-mêmes.
Nous leur apprenons comment formuler un message qui permettra de consacrer 95 p. 100 du temps à trouver des solutions et 5 p. 100 du temps à parler du problème, plutôt que l'inverse.
Nous leur donnons les moyens de faire valoir auprès des décideurs nationaux et internationaux l'importance d'intégrer les femmes et les moyens précis à prendre pour y arriver.
Pour soutenir ce processus, le Canada pourrait entre autres subventionner de telles coalitions. Il ne s'agit pas nécessairement d'un projet axé sur la mise en place d'une infrastructure précise ou la prestation de services déterminés, mais du rassemblement de différents groupes de femmes dans le but de créer un ensemble de revendications communes qu'elles pourront faire pendant une longue période. Nous avons constaté dans beaucoup de pays que les femmes s'unissent en période de crise ou à des moments cruciaux des processus de paix. Et il faut qu'elles entretiennent leurs relations malgré les fluctuations d'un processus de paix; ainsi, lorsqu'une crise surviendra — comme il arrivera inévitablement —, elles seront en mesure d'intervenir efficacement et de faire entendre leurs voix.
La présidente : Nous vous écoutons depuis plus d'une heure et vos propos sont très intéressants. Toutefois, je vous demanderais de nous donner un ou deux exemples avant la fin de cette partie de nos audiences. On dit qu'il faut que les femmes interviennent dans le processus de paix. Nous demandons qu'elles soient représentées, mais qu'est-ce que cela change? Pourriez-vous nous en donner des exemples?
Mme O'Neill : Certainement. Prenons l'exemple de l'Ouganda. Lors des pourparlers qui ont eu lieu voilà plusieurs années entre le gouvernement de l'Ouganda et la Lord's Resistance Army, l'Institute for Inclusive Security a travaillé avec des femmes de tous les camps, y compris celles de la société civile et du Parlement, pour se rassembler avant les négociations afin de cerner les questions précises qu'elles souhaitaient soulever. Les femmes ont fait des propositions très concrètes, comme par exemple interdire la violence sexuelle aussi bien de la part de la LRA que des forces gouvernementales. Beaucoup d'observateurs de ces pourparlers ont souligné le rôle très important qu'ont joué les femmes en créant un climat propice aux discussions. Quand les pourparlers se trouvaient dans une impasse, ce sont souvent les femmes qui servaient d'intermédiaires entre les parties pour trouver un terrain d'entente et permettre la poursuite des discussions.
Notre organisation a documenté plusieurs autres exemples. Je peux vous en donner un autre. Vous connaissez bien le cas du Darfour, mais je vous assure que les femmes ont contribué énormément à ce qu'on aborde des sujets qui n'auraient pas été soulevés autrement. En fait, je parlerai plutôt du cas de l'Angola. En Angola, lorsqu'on a signé un accord de paix, les rédacteurs de l'accord se sont targués d'y avoir inclus beaucoup de dispositions non discriminatoires envers les femmes. En fait, elles n'étaient pas discriminatoires ni contre les hommes, ni contre les femmes. Ainsi, ils ont parlé de désarmement, de démobilisation et de réintégration des soldats. Ils ont abordé la reconstruction des routes et des infrastructures après le conflit. Ils ont établi les priorités du gouvernement national qui seraient instaurées. Or, aucune femme n'avait pris part aux pourparlers. Même si, comme je l'ai dit, les organisateurs se sont vantés d'avoir conclu un accord neutre pour les deux sexes.
Mais finalement, les femmes ont souffert de ne pas avoir pu faire entendre leurs voix dans ces discussions. Par exemple, lorsqu'on a parlé de désarmement, de démobilisation et de réintégration des soldats, les interlocuteurs ont décidé de demander aux commandants des différentes unités de donner le nom des membres de leurs unités; ceux-ci auraient droit aux mesures de démobilisation et aux avantages qu'elles comportaient.
Cependant, les commandants masculins n'ont donné le nom que de combattants masculins, oubliant un nombre disproportionné de femmes. Or, des milliers de femmes avaient pris part au conflit et n'ont pas eu droit aux avantages prévus. Plus tard, le gouvernement a dû débourser des centaines de milliers de dollars pour les réintégrer.
Les auteurs de l'accord avaient également décidé, par exemple, de déminer les secteurs traversés par les principales voies de transport, c'est-à-dire les routes reliant les grandes villes et les ports. Ils n'ont pas pensé aux nombreuses familles qui reviendraient des camps de personnes déplacées ou réfugiées, et encore moins aux femmes qui devraient aller chercher l'eau aux puits, ramasser du bois de chauffage et recommencer à cultiver la terre. Par conséquent, il y a eu un grand nombre de blessures et de décès causés par des mines qu'on aurait pu éviter si les responsables de l'accord avaient tenu compte de la situation des femmes qui doivent circuler, cultiver la terre et se servir de ces sentiers. Ce ne sont que quelques exemples de la différence que fait la participation des femmes à de tels pourparlers.
Comme je l'indiquais, notre organisation a documenté plusieurs cas où, au Guatemala, les femmes ont abordé les questions de droits des travailleurs et de droits syndicaux de même que toutes sortes d'autres questions de justice sociale. En Irlande du Nord, les femmes ont contribué à amener les parties à la table des négociations. En Indonésie et ailleurs, les femmes jouent un rôle primordial en incitant les parties à négocier, et pas seulement à veiller à ce que les discussions portent sur une vaste gamme de priorités.
La présidente : La résolution 1325 comporte de nombreuses parties. L'une porte sur le renforcement des systèmes juridiques afin d'assurer des résultats équitables. L'un des principaux défis pour les femmes est celui de l'impunité, et je sais que l'Institute for Inclusive Security a travaillé très fort, particulièrement en ce qui a trait aux questions liées au viol et à l'agression sexuelle des femmes, afin de s'assurer que ces actes ne sont pas commis en toute impunité. Pourriez- vous nous en parler davantage?
Mme O'Neill : Certainement. Je peux citer le cas de l'Angola. L'une des choses qui s'est produite au cours de ces négociations, c'est qu'il y avait 16 amnisties différentes pour des actes de violence sexuelle qui avaient été commis contre des femmes. L'un des principaux médiateurs a dit qu'il s'agissait en fait d'hommes armés de fusils qui pardonnaient à d'autres hommes armés de fusils les crimes qu'ils avaient commis contre des femmes. Non seulement il y avait 16 amnisties pour des actes de violence sexuelle commis pendant le conflit, mais il y a eu également amnistie pour crimes pouvant être commis jusqu'à six mois suivant la date de signature de l'accord de paix.
Oui, notre institut est extrêmement préoccupé par cette question. Au cours des dernières années, nous avons constaté que l'on reconnaissait bien davantage le viol comme étant une arme et une tactique de guerre, et nous avons constaté également une plus grande sensibilisation de l'impact global et de l'utilisation de la violence sexuelle dans des conflits.
Une chose qui m'encourage beaucoup, c'est que vendredi de cette semaine, le Département des affaires politiques des Nations Unies publiera ce qu'il appelle des lignes directrices en matière de violence sexuelle à l'intention des médiateurs de conflit. Le Département des affaires politiques des Nations Unies est en train d'élaborer des lignes directrices pour dire aux médiateurs comment ils peuvent commencer à parler de violence sexuelle dans le cadre des négociations, comment soulever cette question avec les parties. Quels sont les précédents qui existent ailleurs dans le monde au sujet des questions d'amnistie et des questions d'impunité qui ont été abordées lors de négociations? Comment peut-on aborder ces questions de façon raisonnable et avec sensibilité de manière à les incorporer aux négociations, qu'il y ait ou non des femmes de la société civile présentes?
Je pense que ce sont là des pas dans la bonne direction.
La présidente : Madame O'Neill, j'aurais tellement de questions à vous poser, mais nous avons un autre témoin ici. Je tiens à vous remercier et à remercier l'Institute for Inclusive Security de toujours bien vouloir prendre le temps de venir nous rencontrer pour nous parler de ce que vous faites et de la façon dont nous pouvons faire valoir les droits des femmes, particulièrement en zone de conflit. Encore une fois, merci de votre participation.
Notre témoin suivant est Ann Livingstone, vice-présidente, Recherche et concept d'apprentissage, du Centre Pearson pour le maintien de la paix.
Madame Livingstone, merci d'être ici avec nous aujourd'hui. Je voudrais vous remercier d'être toujours disponible pour nous, parfois à très court préavis, pour nous aider dans nos travaux. Nous vous remercions d'être ici avec nous aujourd'hui.
Comme je vous l'ai dit précédemment, nous poursuivrons la séance aussi longtemps qu'il faudra afin de nous assurer d'avoir réponse à toutes nos questions. Nous vous remercions d'être ici. Je sais que vous avez un mémoire écrit.
Ann Livingstone, vice-présidente, Recherche et concept d'apprentissage, Centre Pearson pour le maintien de la paix : Merci beaucoup. C'est toujours un honneur et un privilège d'être au service du Sénat du Canada.
J'aimerais souligner le soutien que je reçois de Kristine St-Pierre, notre conseillère en matière d'égalité entre les sexes. Elle est à ma gauche, et je suis certaine que si je fais un lapsus, elle me ramènera dans le droit chemin.
Le Centre Pearson pour le maintien de la paix a été l'une des toutes premières organisations qui a commencé à analyser et à évaluer le rôle des femmes dans les opérations de paix. À la suite du Programme d'action de Beijing en 1995, le Centre Pearson pour le maintien de la paix a présenté une table ronde à Cornwallis, en Nouvelle-Écosse, qui a aidé à orienter la ligne de pensée et les modèles de renforcement des capacités subséquents qui ont donné lieu à la résolution 1325 et aux résolutions subséquentes.
L'égalité des sexes et l'émancipation des femmes constituent toujours une partie fondamentale de notre mission et sont au centre de notre rôle. Bien que notre rôle soit maintenant davantage mondial que local, en tant qu'organisme qui a son siège au Canada et qui reçoit du financement du gouvernement, nous nous sommes beaucoup intéressés à l'élaboration du plan d'action national du Canada en participant aux consultations auprès de la société civile et, plus récemment, en appuyant le MAECI dans l'élaboration et la prestation d'une formation sur l'égalité des sexes à l'intention de son personnel.
Mes observations et mes réponses aujourd'hui représentent la ligne de pensée du Centre Pearson et le travail qu'il accomplit en ce qui a trait aux femmes, à la paix et à la sécurité. J'ai par ailleurs lu avec beaucoup d'intérêt les témoignages des séances précédentes de votre comité, ainsi que les recommandations contenues dans les deux rapports du comité.
Mes observations aujourd'hui porteront sur trois grandes questions.
J'aimerais d'abord parler de développements récents en ce qui concerne les femmes, la paix et la sécurité, en mettant l'accent sur les progrès accomplis à l'égard de la mise à exécution de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies; j'insisterai plus particulièrement sur ONU Femmes, les plans d'action nationaux et les progrès pour lutter contre la violence sexuelle et la violence sexiste, particulièrement avec les nouvelles normes de formation adoptées par les Nations Unies.
Je parlerai ensuite des défis pour l'avenir, en examinant la situation des femmes dans le monde d'aujourd'hui et les pratiques de violence sexuelle et de violence sexiste, la culture et les attitudes qui persistent.
En dernier lieu, je parlerai du rôle du Canada.
Le comité a demandé de recevoir de l'information au sujet des progrès accomplis dans la mise à exécution de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies à l'échelle internationale depuis le dépôt des deux rapports du comité en 2010. Permettez-moi de souligner quelques questions qui à mon avis sont particulièrement importantes.
D'abord, la création d'ONU Femmes. En juillet 2010, l'assemblée générale a créé ONU Femmes, l'entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes. Cela fait partie du programme de réforme, comme vous le savez, qui a pour but de regrouper les ressources et les mandats de quatre parties du système des Nations Unies qui étaient auparavant distinctes et qui mettaient l'accent sur l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes. Cet organisme est devenu opérationnel en janvier 2011 et son budget montre bien la gravité des problèmes qui seront abordés. Michelle Bachelet, directrice exécutive d'ONU Femmes, a annoncé qu'en 2012 la priorité sera « de donner un nouvel élan à l'autonomisation économique des femmes et à leur participation à la vie politique. »
De façon universelle, on met de plus en plus l'accent sur le lien entre l'autonomisation économique et la participation des femmes comme étant des éléments essentiels pour que ces dernières puissent être entendues et jouer un rôle important dans la reconstruction de leurs sociétés et pour participer à la prévention des conflits en tant qu'intervenantes économiques.
Le deuxième fait récent à signaler est celui de l'élaboration des plans d'action nationaux. Comme Jacqueline O'Neill en a déjà parlé, tout ce que je dirai c'est qu'il y a maintenant 34 pays qui ont maintenant adopté un tel plan d'action national. Bien qu'il ne s'agisse pas là de la seule façon d'élaborer des politiques sur les femmes, la paix et la sécurité, ces plans constituent pour les États membres une façon de concentrer leurs efforts et de se charger de la mise à exécution réussie de la résolution 1325 dans le cadre des politiques et des programmes nationaux. Nous nous souviendrons qu'il incombe aux États membres de s'assurer que les normes de l'ONU en matière d'égalité des sexes sont intégrées à leurs programmes de formation, particulièrement lorsqu'ils déploient des troupes, des policiers et maintenant des civils pour participer à des opérations de paix de quelque type que ce soit.
En plus des Nations Unies, de nombreux organismes, notamment l'Union africaine, l'Union européenne et l'OTAN, ont pris des mesures pour mettre à exécution ces résolutions. Je vous ai remis pour que vous ayez le plaisir de le lire, un exemplaire d'un article qui a été rédigé par le Centre Pearson pour le maintien de la paix au sujet des initiatives stratégiques qui ont été adoptées récemment par ces organismes.
Un troisième développement est l'adoption de la résolution 1960 en décembre 2010, soit la cinquième et plus récente résolution sur les femmes, la paix et la sécurité. Elle définit les outils institutionnels pour combattre l'impunité, notamment la liste des noms et de la honte, les renvois au comité des sanctions de l'ONU et à la Cour pénale internationale. On y prévoit par ailleurs des mesures précises afin d'assurer la prévention des actes de violence sexuelle lors de conflits et la protection contre ces actes, notamment un accord plus robuste en ce qui concerne la surveillance et la collecte de données.
Les nouvelles résolutions qui ont été adoptées au cours des trois dernières années, notamment la résolution 1960, fournissent des points d'entrée stratégiques pour les intervenants non traditionnels dans le domaine de la sécurité des femmes. Je vous dirais, par exemple, que les forces de sécurité jouent un rôle de plus en plus important dans la protection des populations civiles, particulièrement étant donné qu'elles sont de plus en plus les premières à intervenir dans des cas de violence sexuelle ou de violence sexiste. Les forces de sécurité doivent dorénavant être prêtes à gérer la scène et à recueillir des données, ce pour quoi elles n'ont pas été formées.
Cette résolution souligne donc l'importance du rôle que les forces de sécurité doivent jouer et de la nécessité de leur donner de la formation car elles sont souvent les premières arrivées sur les lieux. Je vous ai remis un document que j'ai présenté en Norvège à l'occasion d'une conférence de l'OTAN sur la violence sexuelle, les forces armées et les opérations militaires.
Un quatrième développement est le nouveau matériel de formation. ONU Femmes et le Département des opérations de maintien de la paix des Nations-Unies ont mis au point de nouveaux modules de formation pré-déploiement fondés sur des scénarios pour prévenir la violence sexuelle dans le contexte des conflits et y remédier. Ces scénarios font l'objet d'un projet pilote dans un certain nombre de pays qui fournissent des troupes et des policiers et dans des centres de formation sur le maintien de la paix.
Par ailleurs, l'ONU a élaboré en 2011 un programme normalisé de formation de la police, et le Centre Pearson pour le maintien de la paix a contribué à l'élaboration de ce programme qui met l'accent sur les enquêtes et la prévention de la violence sexuelle et sexiste dans des zones de conflit. Ce programme fait actuellement l'objet de projets pilotes dans les pays qui fournissent des services policiers.
Enfin, un nouveau développement est un retour sur l'importance de l'avertissement précoce et des modalités d'avertissement précoce.
J'aimerais attirer votre attention sur la Harvard Humanitarian Initiative où il est question d'utiliser des satellites pour avertir lorsque les forces rebelles se déplacent en vue de protéger les femmes, les enfants et les civils.
La deuxième question que j'aimerais aborder concerne les défis pour l'avenir. Bien qu'il soit important de souligner que des progrès ont été accomplis, il reste encore beaucoup de choses à faire. Les politiques à elles seules ne peuvent pas changer les attitudes, les traditions et les cultures.
Si on regarde la condition des femmes dans le monde, on constate qu'il y a toujours très peu de femmes parmi les décideurs et les leaders d'opinion haut placés, particulièrement dans le domaine de la sécurité. Les données provenant des missions actuelles révèlent qu'il y a effectivement une augmentation dans le nombre des femmes qui occupent des postes de direction, mais il sera essentiel de surveiller la situation afin de s'assurer que les femmes continuent de participer aux décisions stratégiques et politiques.
Les femmes continuent d'être sous-représentées au sein des parlements, congrès et gouvernements, elles gagnent moins de 10 p. 100 du revenu mondial et moins de 1 p. 100 de la propriété mondiale leur appartient. Ces données illustrent jusqu'à quel point il reste encore beaucoup de travail à faire pour établir un lien entre les politiques et l'autonomisation économique et les stratégies de prévention des conflits et la reconstruction dans la phase après- conflit. L'objectif est de faire en sorte que les femmes puissent participer aux négociations et à la paix, mais dans l'ensemble, cet objectif sera difficile à atteindre étant donné leur manque d'expérience et de leadership.
Abordons maintenant la question du défi pour l'avenir et le rapport d'étape sur la violence sexuelle. Le dernier rapport du secrétaire général de l'ONU sur la violence sexuelle liée au conflit qui a été publié le 13 janvier 2012 brosse un sombre tableau. La violence sexuelle est répandue et systémique, et nous avons une liste sans fin de pays où il y a un problème. Le général Patrick Cammaert a souligné qu'il était « maintenant plus dangereux d'être une femme qu'un soldat » lors d'un conflit armé.
Le rapport souligne par ailleurs le recours à la violence sexuelle, notamment l'agression sexuelle, le viol et la torture, comme un moyen de répression politique lors du soulèvement populaire de l'année dernière en Égypte et aussi à l'heure actuelle en Syrie.
Bien que l'on reconnaisse que la violence sexuelle touche de matière disproportionnée les femmes et les filles, les renseignements obtenus sur le terrain révèlent qu'il y a de plus en plus de cas de viol chez les hommes, situation qui mérite d'être examinée de plus près. La Harvard Humanitarian Initiative a fait des recherches considérables sur le viol des hommes et la fréquence accrue de ces actes, et ils ont également commencé à tirer des conclusions quant aux répercussions sur le tissu social et la consolidation de la paix dans les sociétés où il y a des conflits.
Le troisième défi pour l'avenir consiste à changer les attitudes. Dans de nombreuses régions du monde, la mentalité est de blâmer la victime. Les préjugés rattachés aux victimes de violence sexuelle continuent d'obliger bon nombre de victimes à demeurer silencieuses, et je dirais que nous devrons toujours tenir compte des traditions, de la culture, de la religion et de l'histoire. Bien que nous ne puissions pas laisser ces préjugés l'emporter sur les instruments qui ont été adoptés à l'échelle internationale, nous devons tout de même être conscients des pouvoirs qu'ils ont sur les décisions relatives à la participation des femmes.
La troisième question que je voudrais aborder est le rôle du Canada à la promotion de l'égalité des sexes et de la résolution 1325. Le plan d'action national du Canada est extrêmement important, non seulement parce qu'il représente la position du Canada mais aussi en raison du rôle actif du Canada pour la paix et la sécurité. La mise à exécution de la résolution du CSNU sur les femmes devient pertinente, particulièrement si l'on veut accroître l'efficacité des forces armées canadiennes qui travaillent en vue de protéger les civils et former les forces de sécurité nationale sur le plan du leadership, des soins de santé et d'autres compétences professionnelles, et sur la primauté du droit.
Le Canada continue de diriger le Groupe international des amis des femmes, de la paix et de la sécurité qui regroupe des agences de l'ONU et des ONG qui prônent la mise à exécution des résolutions du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité et qui parle avec autorité lorsqu'il préside le C-34 à titre de vice-président.
Le rôle du Canada est très important sur le plan de la création d'un gouvernement conjoint, peut-être d'une équipe de travail de la société civile, qui devrait s'assurer que la société civile continue de jouer un rôle et d'avoir son mot à dire. Peut-être que nommer un champion principal qui s'occuperait du dossier des femmes, de la paix et de la sécurité et contribuerait à donner un leadership et une orientation aux efforts du Canada.
En conclusion, l'égalité des sexes consiste à reconnaître les besoins et les expériences des hommes et des femmes et à promouvoir leur participation égale à tous les aspects de la société. Si le Canada veut la mise à exécution des résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité, il faudra une orientation stratégique claire, des structures de reddition de comptes, un financement exclusif et davantage de personnel pour s'occuper de ce dossier. Comme l'a souligné l'organisme DARA dans un rapport récemment, « si nous faisons les bonnes choses pour les femmes, nous ferons les bonnes choses pour tout le monde. »
Je vous remercie, et je me réjouis à la perspective d'échanger avec vous.
La présidente : Merci, madame Livingstone. Je vais vous poser quelques questions pour commencer.
Vous avez mentionné d'autres résolutions qui ont été adoptées pour mettre à exécution la résolution 1325. Pour ceux qui nous écoutent, je voudrais tout simplement dire qu'il y a eu un certain nombre de résolutions qui ont été adoptées après la résolution 1325, notamment la résolution 1820 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui condamne de façon beaucoup plus explicite la violence sexuelle commise contre les civils dans des situations d'après-conflit. Il y a ensuite la résolution 1889 qui inclut des mesures de reddition de comptes et de surveillance plus robustes et plus précises en ce qui a trait à la violence sexuelle. La résolution 1889 du Conseil de sécurité des Nations Unies stipule qu'il devrait y avoir d'autres mesures pour améliorer la participation des femmes à la planification dans la phase d'après- conflit. Il y a ensuite une nouvelle résolution, la résolution 1960 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui demande au secrétaire général de l'ONU d'énumérer les rapports annuels relatifs aux résolutions 1820 et 1888.
L'idée de la résolution 1325, c'est qu'il y a eu un certain nombre d'autres résolutions pour donner plus de force à la résolution 1325, et qu'il pourrait y avoir plus de mise en œuvre sur le terrain. Je vous remercie de l'avoir mentionné.
Nous devions aller au Ghana pour visiter la force de maintien de la paix à Accra. Je sais que vous travaillez avec ce centre de maintien de la paix. Vous pouvez peut-être nous dire ce que vous faites partout dans le monde pour aider d'autres centres de maintien de la paix.
Mme Livingstone : Nous travaillons au Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix depuis environ 10 ans. Au début, c'était un centre relativement petit, qui donnait de la formation aux militaires et aux policiers appelés à être déployés. Comme cela se produit habituellement dans le cadre de notre travail, lorsque nous travaillons avec un organisme et que ce dernier s'intéresse vraiment à préparer ses membres en vue d'un déploiement, il devient alors évident pour eux que leur infrastructure policière ou militaire au sein de leurs organismes nationaux n'est peut- être pas assez robuste pour soutenir le déploiement.
Une des tâches que nous avons entreprises a été de mettre en place un modèle de renforcement des capacités qui n'était pas réellement pour nous mais pour eux. Nous avons fait entre autres des visites structurelles. Nous avons mis en place des plans d'action avec eux. Nous les avons écoutés et nous avons vraiment aidé le Ghana à commencer à déterminer les services policiers et militaires qu'il aimerait pouvoir déployer. Pour ce faire, le Centre Kofi Annan devait avoir une équipe de recherche, de bonnes compétences de gestion des ressources humaines, de bonnes compétences et de bonnes connaissances en matière de gestion financière.
Nous avons travaillé ensemble en équipe et nous étions financés par le gouvernement du Canada. Nous avons donc aidé le Ghana à décider le genre d'organisation qu'il voulait mettre en place, sans oublier que lorsqu'on forme une personne, on change cette dernière à tout jamais. Lorsqu'on forme une institution, on change cette institution à tout jamais.
Le travail que nous avons fait pour préparer les policiers à être déployés a eu des retombées positives pour les forces policières du Ghana. Lorsque nous parlons du respect des droits de la personne et de la résolution 1325 aux policiers ghanéens devant être déployés, cela a un impact pour la force policière ghanéenne dans la façon dont cette dernière traite ses propres citoyens lors de leur arrestation et dans le cadre des établissements correctionnels. Cela montre comment le Centre Pearson pour le maintien de la paix s'y est pris pour mettre en place des modèles de renforcement des capacités dans environ 30 pays d'Afrique. Je suis heureuse de dire que le moment est venu où ils n'avaient plus besoin de nous, et ils s'en tirent extrêmement bien.
La présidente : J'ai une question à vous poser au sujet de la résolution 1325 et des autres résolutions. Savez-vous si nos forces policières reçoivent de la formation au sujet de cette résolution?
Mme Livingstone : Vous voulez dire les Forces canadiennes?
La présidente : Je veux parler de la GRC.
Mme Livingstone : Je crois que oui. Nous avons travaillé avec la GRC sur la résolution 1325 et d'autres résolutions concernant l'égalité des sexes. Je suis tout à fait convaincue que la GRC et les Forces canadiennes sont très bien au courant.
La présidente : Combien d'heures de formation reçoivent-ils?
Mme Livingstone : Je n'en suis pas certaine. Pour la GRC, nous offrons une formation de cinq jours avant le déploiement. Pendant ces cinq jours, nous mettons l'accent sur l'égalité des sexes. Dans chaque scénario, étude de cas et problème à résoudre, il y a un élément qui porte sur l'égalité des sexes, l'éthique et la culture. Nous utilisons un modèle de formation à partir de scénarios.
Le sénateur Zimmer : Madame Livingstone, merci de votre présence et merci de votre exposé. J'ai souri lorsque vous avez dit que si vous faites bien votre travail, en fait vos services ne seront plus requis.
Quoi qu'il en soit, j'ai une question. Dans notre rapport de novembre 2010 intitulé Les femmes, la paix et la sécurité : le Canada agit pour renforcer la participation des femmes, notre comité demandait qu'on augmente d'ici 2015 le nombre de femmes parmi le personnel policier civil et militaire canadien qui est déployé dans des missions sur le terrain, particulièrement dans des postes de leadership. Nous avons par ailleurs exhorté la GRC à se pencher sérieusement sur le déploiement d'une structure policière majoritairement composée de femmes pour des missions de maintien de la paix des Nations Unies. J'ai une question à quatre volets.
Tout d'abord, y a-t-il plus de femmes qui participent aux opérations de sécurité et de paix canadiennes à tous les niveaux et à tous les échelons? Dans l'affirmative, où ces femmes ont-elles été déployées et fait-on suffisamment d'efforts pour nommer des femmes à des postes de direction au sein de la police civile et des forces militaires canadiennes? Enfin, le Canada a-t-il accordé des fonds à d'autres pays qui ont une capacité policière afin de leur permettre de déployer davantage de femmes policières dans des missions sur le terrain? Je sais que cela fait beaucoup questions.
Mme Livingstone : C'est exact. Si j'oublie quelque chose, rappelez-le-moi.
Si on regarde le nombre de femmes qui sont déployées globalement, 3,8 p. 100 de tous les membres du personnel déployés dans le cadre des missions de l'ONU sont des femmes. Le Canada compte 199 militaires en uniforme sur le terrain — dont une seule femme. Nous avons 160 policiers dont 19 sont des femmes. En date de janvier 2012, le Canada se classe au 54e rang pour ce qui est du déploiement de personnel dans des opérations de maintien de la paix.
Y a-t-il suffisamment de femmes? Je pense qu'il faudrait regarder le nombre de femmes qui se joignent à la force militaire bénévole et il faut alors en déduire qu'il s'agit d'un pourcentage relativement peu élevé. C'est également le cas dans les forces policières. Mes collègues à la GRC me disent qu'il est très difficile de déployer des hommes et des femmes car leurs services sont très en demande dans leurs collectivités locales, de sorte que cela devient un facteur.
Y a-t-il suffisamment de femmes? Non, surtout si on tient compte du problème de la violence sexuelle et de la violence sexiste. Dans bien des pays où ce problème est plus prononcé, les femmes ne peuvent pas parler aux hommes. Une femme policière ou une femme militaire est la seule personne à laquelle une femme pourrait s'adresser pour témoigner, dans le cadre d'une enquête ou de tout autre traitement. Nous pourrions dire qu'il n'y a pas suffisamment de femmes dans ce cas.
Pour ce qui est du financement, le gouvernement du Canada a très généreusement financé le Centre Pearson pour le maintien de la paix, et bon nombre de nos projets ont donné lieu à ce que j'appelle la « formation de même sexe », c'est- à-dire que nous offrons des cours de formation réservés aux femmes uniquement, particulièrement dans la police. Nous avons déjà eu 70 policières qui suivaient un cours. Mes collègues masculins trouvent cela parfois cela très frustrant, et je dis que la capacité pour les femmes d'être formées est quelque peu limitée. Souvent, dans leur pays, on ne leur permet jamais de suivre des cours de formation. Si nous avons des cours qui sont réservés aux femmes, elles ont alors la chance de se lever, de crier, de se faire entendre, d'avoir un débat, de présenter des arguments et d'apprendre à avoir une voix de façon à ce qu'elles se retrouvent sur le terrain, elles puissent être une force encore plus crédible. D'après la rétroaction que nous recevons, les femmes qui ont été formées de cette façon apprécient beaucoup d'avoir pu faire leurs preuves dans un endroit sûr avant de se retrouver sur le terrain. J'espère avoir répondu à vos questions, monsieur.
Le sénateur Zimmer : Vous y avez répondu. Merci, madame Livingstone.
Le sénateur Nancy Ruth : Merci d'être venue nous rencontrer, et je suis impatiente de lire vos articles. Je suis heureuse que vous les ayez apportés.
Je pense à toutes sortes de choses, mais pour faire suite à ce que vous avez répondu au sénateur Zimmer, vos collègues au Centre Pearson font tout un plat des cours réservés aux femmes. Est-ce qu'on comprend la pédagogie des femmes, la façon dont les femmes apprennent? Est-ce que vos collègues du Centre Pearson comprennent cela lorsqu'ils conçoivent et rédigent des cours de formation, lorsqu'ils donnent ces cours de formation ici ou ailleurs dans le monde?
Mme Livingstone : Oui, car je suis vice-présidente de la recherche et du concept de l'apprentissage au centre.
Le sénateur Nancy Ruth : Pourquoi est-ce qu'ils en font toujours un plat alors?
Mme Livingstone : Je pense que c'est parce qu'ils ont l'impression qu'on exclut les hommes, comme si nous n'étions pas charitables à l'égard de nos collègues masculins.
Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce qu'ils savent qu'il existe un programme d'action positive garanti dans la Constitution du Canada?
Mme Livingstone : Certainement. Ils ne sont pas contents parce que cela représente un changement. En fait, ils sont un peu envieux car nous nous amusons tellement, ils ont l'impression de manquer quelque chose. Dans les cours sur la violence sexuelle et la violence sexiste que nous offrons aux femmes, nous avons découvert que plus de la moitié des participantes avaient elles-mêmes été victimes de viol et qu'elles n'avaient personne qui pouvait les aider à gérer cet événement dans leur vie — et on parle ici de femmes policières. Elles ont dû faire le point pendant un moment, prendre le temps de guérir avant de pouvoir passer par-dessus ce traumatisme.
Le sénateur Nancy Ruth : Je comprends. Je suis tout simplement préoccupée par le contexte dans lequel vous avez fait cette observation.
Mme Livingstone : Mes collègues sont à l'aise avec cette question.
Le sénateur Nancy Ruth : Ce qui m'intéresse vraiment, c'est la performance du Canada, que ce soit en Haïti, en Afghanistan ou ailleurs. Avez-vous dit que le Centre Pearson pour le maintien de la paix ne fait pas le suivi de la formation offerte à nos policiers et nos militaires, alors vous ne savez pas quels effets elle a? Cela n'est pas mesuré. Est- ce exact?
Mme Livingstone : Nous ne faisons pas le suivi de ce que font le CFSP ou la GRC parce que cela dépasse notre mandat.
Le sénateur Nancy Ruth : Savez-vous s'ils font le suivi?
Mme Livingstone : Je pense qu'ils le font, mais je ne peux pas parler en leur nom. Je sais que nous faisons le suivi de nos activités.
Le sénateur Nancy Ruth : Ils ne vous ont pas communiqué de résultats?
Mme Livingstone : Non.
Le sénateur Nancy Ruth : Je crois que le MDN et la GRC sont responsables de cette formation, et le Canada et le Royaume-Uni ont élaboré une initiative de formation sexospécifique. La connaissez-vous, ou devrais-je poursuivre?
Mme Livingstone : Je la connais.
Le sénateur Nancy Ruth : Pour les autres, elle fournit le matériel didactique pour un cours de trois jours sur la sensibilisation sexospécifique dans les opérations de soutien de la paix et porte sur divers thèmes comme la violence faite aux femmes, le droit humanitaire, entre autres. Il a été créé en 2002, ce qui est avant une bonne partie des résolutions. Savez-vous s'il a été mis à jour et s'il inclut les autres résolutions du Conseil de sécurité? Savez-vous combien de personnes le suivent, ou s'il est même offert? Est-ce qu'on le suit seulement en ligne de façon individuelle?
Mme Livingstone : Je ne sais pas. Je sais que lorsque nous avons travaillé avec la GRC, nous étions tous sur la même longueur d'onde en ce qui concerne les résolutions. Il n'y avait pas de lacunes. Lorsque nous avons offert des formations au nom du programme d'aide à l'instruction militaire, qui s'appelle maintenant la DICM, nous avons préparé un cours intégré sur les missions des Nations Unies pour les officiers d'état-major et la haute gestion qui comprenait une séance très intensive sur les questions de genre qui revenaient dans tous les scénarios. On y discutait toutes les résolutions.
Le sénateur Nancy Ruth : Mais vous ne savez pas si on a mesuré les effets de ce cours?
Mme Livingstone : Je ne sais pas comment le MDN ou la GRC mesure ces choses. Je sais seulement comment nous le faisons.
Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce que ces renseignements seraient utiles pour l'élaboration de vos programmes?
Mme Livingstone : Probablement. Encore une fois, à titre d'organisation non gouvernementale, nous avons une mission très limitée, et je ne sais pas ce qu'ils font.
Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez parlé de collaboration avec l'OTAN pour élaborer diverses choses. Lorsque vous travaillez avec d'autres pays, est-ce qu'ils vous aident pour vos activités internationales?
Mme Livingstone : Nous avons reçu du financement du gouvernement de l'Allemagne jusqu'à ce que la crise économique pousse l'Allemagne à ne plus financer d'organisations étrangères. Présentement, notre bailleur de fonds principal est le gouvernement du Canada.
Le sénateur Nancy Ruth : Pourriez-vous nous dire le montant de ce financement et combien l'Allemagne vous donne pour un projet?
Mme Livingstone : Nous recevons quatre millions de dollars en financement de base jusqu'au 31 mars 2012. Nous sommes en train de diversifier nos sources de financement et nous nous préparons à être autosuffisants, et nous sommes très reconnaissants pour l'appui que nous avons reçu. Nous continuons d'être financés sur la base de projets par le gouvernement du Canada.
Le sénateur Nancy Ruth : Je dois admettre que je vous utilise. Il y a présentement un débat au Sénat sur les fonds provenant de l'étranger. Je voulais que mes collègues au Sénat voient clairement qu'il y a de nombreuses agences au Canada qui font un excellent travail, qui reçoivent de l'aide d'ici et d'ailleurs dans le monde. Pardonnez-moi pour cette question, mais je n'ai pu résister parce que je savais que vous aviez reçu du financement de l'étranger.
Je pense que c'est tout pour le moment. Cependant, pouvez-vous nous aider? Nous voulons savoir comment la police et les militaires sont formés lorsqu'on les envoie en Afghanistan ou en Haïti, ou ailleurs. Notre comité a fait des propositions concernant la manière dont on pourrait les informer des lois canadiennes, des lois afghanes concernant la violence envers les femmes et pour leur permettre de mieux comprendre l'ensemble des accords internationaux. Nous ne disposons d'aucun indicateur nous permettant de savoir si cela se produit et, dans l'affirmative, de connaître l'efficacité de la démarche, ses répercussions, et cetera. Pouvez-vous nous aider à trouver des moyens novateurs de déterminer cela?
Mme Livingstone : À titre de Sénat du Canada, il est de votre droit de simplement poser la question.
Le sénateur Nancy Ruth : Nous posons les questions, mais nous n'obtenons pas de réponses claires, ce qui me porte à croire que les choses sont un peu confuses.
Mme Livingstone : La formation pré-déploiement relève d'un gouvernement national et la formation en cours de mission vient compléter la formation pré-déploiement. La formation pré-déploiement doit englober toutes les normes nationales et internationales. Nous encourageons vivement l'intégration de ces lois dans la formation.
Le sénateur Nancy Ruth : S'agit-il des lois nationales du Canada ou du pays où la mission a lieu?
Mme Livingstone : Les lois du pays où la mission doit aller car le droit national est ce qui sert de base lorsque l'on appuie et que l'on guide un gouvernement hôte en matière de maintien de la paix. Je soupçonne que vous disposez d'un pouvoir important pour poser cette question.
Le sénateur Meredith : Merci, madame Livingstone, de votre excellent témoignage.
Dans celui-ci, vous avez mentionné le MAECI, l'appui, et le fait que vous collaborez avec le ministère des Affaires étrangères. Le 5 octobre 2010, ce dernier a publié un rapport qui s'intitule Offrir la paix et la sécurité à tous : le plan d'action du Canada. Tout d'abord, savez-vous quand le MAECI publiera son rapport en ce qui concerne ce plan d'action? Dans le cas contraire, le ministère est-il en train de compiler des données pour ce rapport précis?
Mme Livingstone : Je crois qu'un rapport concernant la société civile a été publié récemment et je crois qu'un rapport doit être publié en 2012 sur le plan d'action national du Canada et ses progrès. À titre d'ONG de la société civile, nous n'avons participé que marginalement au plan d'action national, mais je crois que 2012 sera un jalon important pour certaines évaluations.
Le sénateur Meredith : Nous produisons des rapports et on a toujours de bonnes intentions, mais ce qui m'intéresse, c'est la mise en œuvre. Nous voulons examiner la position du Canada sur la scène mondiale en ce qui a trait à la résolution 1325 en matière d'un plan d'action national. Les Nations Unies, dans le rapport du secrétaire général de septembre 2011, sur les femmes, la paix et la sécurité, ont examiné ce plan d'action national pour les 10 prochaines années.
À la lumière de cela, madame Livingstone — à tire d'État membre et étant donné les orientations qui lui ont été données —, pensez-vous que le Canada s'acquitte de ses obligations? Je sais que c'est en quelque sorte une question piège.
Mme Livingstone : En effet, car je ne suis pas là pour tenir des propos politiques. Je crois qu'en raison de sa géographie, de son histoire et de sa place, le Canada a un rôle unique à jouer. Je pense qu'il s'agit là de questions d'une complexité extrême et je pense que nous, et le monde, sommes facilement distraits par des réalités économiques et par des démonstrations de force à différents endroits. Je pense qu'il est parfois difficile de concentrer notre attention collective sur ces questions.
Lorsque je vois ce que fait le Canada avec le projet de loi C-34, ce qu'il fait en coulisse en matière de leadership sur les femmes, la paix et la sécurité, la manière dont il finance notre petite ONG pour aller dispenser des cours relativement complexes sur la violence sexuelle et fondée sur le sexe, eh bien je pense que lorsqu'il se regarde dans un miroir en toute honnêteté et qu'il dit qu'il y a encore des progrès à faire, je pense que le Canada fait de son mieux. Y a- t-il place à amélioration? Il y a toujours place à amélioration lorsque l'on parle des attentes que nous avons vis-à-vis de certains comportements, de l'aide et de la cohérence. Cependant, je n'irais jamais jusqu'à dire qu'un pays ne fait pas de son mieux. Je pense que le Canada fait figure de chef de file dynamique sur cette question en mettant en œuvre des efforts modestes, mais cohérents.
Si vous lisez les rapports du C-34, et ce que disent les missions permanentes, et si vous tenez compte de la façon dont on demande au Canada de participer pour renforcer les capacités, pour renforcer les forces policières et pour aborder la question de la violence fondée sur le sexe, je pense que ce sont ces petites étapes cohérentes qui engendrent le plus de changements.
Le sénateur Meredith : Vous avez dit qu'il y avait place à l'amélioration. Mme O'Neill nous a donné environ sept recommandations au Canada en ce qui a trait au fait de dénoncer, de changer de politique, à la documentation, aux indicateurs de suivi et a la formation. Parlez-moi un peu de la voix du Canada. Vous avez parlé de la manière dont on faisait des efforts progressifs et de l'appui que nous apportons à des ONG comme le vôtre. Parlez-moi de la voix du Canada à titre de défenseur — c'est-à-dire, qui fait valoir notre opinion au sein de ces conseils en ce qui a trait à la mise en œuvre et au suivi qui doivent avoir lieu. Qui joue ce rôle de leader?
Mme Livingstone : Une fois encore, je pense que c'est le fait que vous soyez membres du C-34. C'est votre participation au Groupe des amis des femmes, de la paix et de la sécurité. C'est l'appui que vous donnez au Centre Pearson pour le maintien de la paix, votre participation au projet Défis ainsi qu'à la rédaction d'un document intitulé « The Considerations for Senior Mission Leaders ». Comment vous, commandants de mission, devez-vous vous y prendre pour appuyer et conseiller? Comment devez-vous participer à établir l'État de droit? Comment travaillez-vous auprès des femmes et des hommes? Une fois encore, il s'agit là de la voix; c'est-à-dire qui est chargé de la mise en œuvre. Ensuite, vos militaires sont formés; vos forces policières sont formées — il s'agit peut-être de petits déploiements lorsqu'on regarde les chiffres, mais de grands déploiements lorsque l'on considère les répercussions qu'ils ont comparativement à la taille de notre pays.
Le sénateur Meredith : Oui.
Le sénateur Andreychuk : Je suis au fait de votre travail, et je vous en remercie ainsi que de votre exposé d'aujourd'hui, et plus particulièrement de la manière dont vous avez mis en lumière le fait que le Centre Kofi Annan du Ghana assume maintenant ses responsabilités de façon autonome. De nombreuses femmes qui ont été traumatisées par la guerre y sont et y dispensent des conseils. Je pense que cela justifie votre optimisme concernant ce centre.
Ma question concerne les protocoles : le maintien de la paix. Notre pays et d'autres, plus particulièrement en Afrique, maintenant, envoient des Casques bleus. Parfois, il y a parmi eux des gens qui, par le passé, faisaient partie du problème et de la situation difficile imposée aux femmes. On a commencé à élaborer des protocoles concernant le comportement des Casques bleus, une démarche à laquelle le Canada a participé. Pouvez-vous nous dire si ces protocoles ont été complétés et s'ils sont normalisés, par exemple, entre l'OTAN, l'Union africaine, et cetera? Constituent-ils un élément clé pour ce qui est de montrer l'exemple à d'autres forces nationales?
Mme Livingstone : En effet, ils constituent un élément essentiel. Le protocole de tolérance zéro de l'abus et de l'exploitation sexuelle est bien sous contrôle et le prince Zayed est un fervent défenseur de cette cause. Lors de mon dernier entretien avec lui, il était plus passionné que jamais par cette question.
Je pense que le fait que nous avons maintenant un bureau du contrôle interne aux Nations Unies qui commence à obtenir les rapports — le secrétaire général fait preuve d'une grande fermeté concernant le signalement des violences sexuelles perpétrées par des Casques bleus —, les États membres sont maintenant mis au défi. Lorsque l'on voit les mêmes noms et les mêmes listes de candidats sur le terrain, les États membres sont de plus en plus mis au défi, une fois encore, modérément, politiquement, et sont conscients que les États membres sont souverains. Tous les efforts sont faits pour s'assurer que les gens qui vont agir à titre de Casques bleus se voient donner un code de conduite, se voient informer du comportement qu'on attend d'eux, et reçoivent de la formation dans le cadre de leurs missions. On s'attend à ce que ces gouvernements dispensent de la formation pré-déploiement qui inclut ces éléments, et si leurs Casques bleus se comportent de façon répréhensible, nous les renverrons chez eux. On commence à assister à un accroissement du nombre de rapatriements.
Le problème, c'est que ce que l'État membre fait de cette personne rapatriée ne relève pas de la responsabilité des Casques bleus ou de la DOMP. Cela relève de la responsabilité de l'État membre. Cependant, il y a de plus en plus de pression morale quant à la façon de se comporter lorsque l'on représente les Casques bleus, les Bérets bleus, et maintenant, les fonctionnaires bleus.
Oui, les protocoles sont en vigueur et ils sont importants. Voilà pourquoi un pays comme le Canada a une énorme influence pour exiger des comptes.
Le sénateur Hubley : Merci de votre déclaration.
Vous avez mentionné brièvement la nouvelle entité ONU Femmes, qui serait, si j'ai bien compris, un regroupement de quatre bureaux qui s'occupaient jusqu'ici de dossiers touchant les femmes. Le rôle que joue ONU Femmes a-t-il des effets positifs? Est-il capable de susciter des améliorations? Et peut-on évaluer le travail fait par ONU Femmes et savoir s'il permet de concrétiser l'approche cohérente à l'ONU que nous souhaitons?
Mme Livingstone : J'aurais du mal à juger son travail après seulement un an. Je crois toutefois que l'objectif d'ONU Femmes de favoriser une intervention cohérente est très important, pour que l'ONU cesse d'intervenir de façon éparpillée.
Michelle Bachelet a une forte personnalité et un grand pouvoir de mobilisation. Elle vient de faire paraître un rapport décrivant les buts qu'elle s'est fixés pour l'année qui vient; il est très axé sur l'objectif de relier l'habilitation économique au maintien de la sécurité et de la paix, et met l'accent sur le rôle des femmes à cet égard.
Le budget dont cet organisme a besoin n'est pas faramineux. Je pense qu'il aura besoin de 700 millions de dollars l'année prochaine, l'exercice 2012-2013. Je pense aussi qu'un montant de 500 millions de dollars lui a été réservé au départ, mais je ne sais pas s'il va l'obtenir intégralement. Mme Bachelet sait très bien que la conjoncture économique déterminera dans quelle mesure les États membres pourront remplir leurs obligations.
Le mot d'ordre qu'on entend depuis quelque temps, c'est qu'il faut faire plus avec moins et le faire mieux. C'est la consigne réitérée partout dans le monde. Mme Bachelet a déclaré sans équivoque qu'elle ferait tout ce qu'il est possible de faire avec les ressources dont elle disposera. ONU Femmes va concentrer tous ses efforts sur l'habilitation économique et les liens politiques, pour progresser de façon cohérente.
Le sénateur Harb : Merci pour votre déclaration, madame. Vous avez parlé de façon très diplomatique, mais votre mémoire est très direct. Permettez-moi de vous poser quelques questions. N'hésitez pas à faire appel à votre personne- ressource pour me répondre. Je crois que l'avenir le dira. Je suppose que le document traduit davantage votre position personnelle que la déclaration que vous avez faite devant nous; vous vous situez peut-être à mi-chemin entre les deux.
Dans la quatrième partie de votre mémoire, vous énoncez les facteurs essentiels à prendre en considération pour l'avenir; j'imagine qu'il s'agit des facteurs sur lesquels vous voulez attirer l'attention de notre comité. Ces facteurs essentiels sont de deux ordres : les facteurs qui relèvent du palier institutionnel stratégique et ceux qui relèvent du palier opérationnel. Vous énoncez ensuite vos conclusions.
En ce qui concerne le palier institutionnel stratégique, vous soulignez l'importance de la participation de gens de haut niveau, en faisant valoir fort pertinemment que les gens de la base ne feront le travail que s'ils sont appuyés par leurs dirigeants. Permettez-moi de vous citer : « Une unité militaire ayant suivi une formation en matière d'égalité entre les sexes et ayant le désir de mettre en application la résolution 1325 dans son fonctionnement quotidien n'y parviendra pas à moins que le commandant de l'opération partage cet objectif au niveau politique. »
Mme Livingstone : C'est juste.
Le sénateur Harb : Vous êtes d'accord avec cette citation.
Mme Livingstone : Absolument.
Le sénateur Harb : Vous ajoutez que les organisations doivent tracer une stratégie d'ensemble assortie d'objectifs clairs parmi lesquels l'égalité des sexes serait un but dans tous les secteurs et non négociable, ce qui est très important.
Vous dites que cette stratégie doit être prioritaire pour l'organisation, qu'elle doit être pleinement appuyée par ses dirigeants et étayée par les ressources institutionnelles. Ce qui importe en fait, ce sont ses ressources. Croyez-vous qu'il y ait assez de ressources institutionnelles, d'après votre expérience sur le terrain, pour soutenir toutes ces merveilleuses initiatives et déclarations émanant des Nations Unies et entérinées par autant de pays que vous l'avez dit?
Mme Livingstone : Non. C'est un fait. Toutefois, si nous baissons les bras, nous n'arriverons pas à l'étape opérationnelle, qui nous permet d'aider les États membres. C'est aussi à cette étape que nous aidons les corps policiers et les armées à développer cette capacité.
Le sénateur Harb : Je vais vous poser une deuxième question avant d'en arriver à la question fondamentale à laquelle je veux que vous me répondiez sincèrement. Vos arguments ont été jusqu'ici très convaincants.
Quand on arrive à l'étape opérationnelle, j'imagine que tout le monde est déjà d'accord et que tous les pays ont appliqué ces merveilleuses résolutions à leur réalité concrète.
La première partie, sur le niveau opérationnel, lorsque vous dites que bien qu'il semblait y avoir compréhension générale de l'avantage opérationnel d'avoir plus de femmes dans les opérations de maintien de la paix — c'est important —, peu de mesures sont prises pour progresser sur cette question. C'est vraiment accablant. Essentiellement, vous ne faites que justifier ce que vous avez dit au point stratégique : que même s'il y a un leadership, les ressources institutionnelles ne sont pas en place. Vous en donnez la preuve ici en disant que lorsque nous allons sur le terrain, on a l'impression qu'il y a eu très peu de changements.
Êtes-vous d'accord?
Mme Livingstone : Oui.
Le sénateur Harb : Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais en venir à mon argument final. Je crois que dans votre conclusion, vous le dites en termes assez percutants. Vous dites que la prise en compte de la participation des femmes à l'ensemble des activités est encore fragmentaire au niveau des institutions et des missions, et dépend des exigences opérationnelles courantes, au lieu d'être une stratégie appliquée à l'échelle de toute l'organisation.
Ce que vous dites, et corrigez-moi si je me trompe, c'est que dans certains cas la main droite ne sait pas ce que fait la main gauche et que même si la main droite sait ce que fait la main gauche, elle ne peut y réagir.
Mme Livingstone : Vous avez raison dans une certaine mesure et c'est pourquoi il faut réformer les objectifs de l'ONU. C'est aussi pourquoi l'entité ONU Femmes parlera d'une seule et même voix. C'est aussi pourquoi le Département des opérations de maintien de la paix aidera ONU Femmes à faire adopter cette stratégie. Cela explique aussi les déclarations sans équivoque du secrétaire général, devant les plus hautes instances, soulignant l'importance de la question des femmes dans les opérations de paix et de sécurité; il a souligné l'importance qu'on doit accorder à cette question et s'est efforcé de faire comprendre aux États membres de cet organisme supranational et intranational l'importance d'une planification et d'une formation opérationnelles. Il a fait appel à des institutions comme le Centre Pearson, ZIF en Allemagne et le Centre de formation pour le soutien de la paix de Kingston, leur enjoignant de transmettre cette information dans le cadre de la formation de premier niveau, au niveau tactique et opérationnel, et de réfléchir de façon stratégique à ce que nous faisons, puis de transposer cette approche dans le renforcement des capacités à l'étranger. La réalité culturelle, les valeurs traditionnelles et les circonstances économiques font partie intégrante de notre travail quotidien à tous les niveaux.
Oui, c'est une approche ponctuelle et fragmentaire, mais il y a une volonté de réforme. Effectivement, il ne suffit pas aux dirigeants d'ordonner aux subordonnés de faire quelque chose, car si les dirigeants eux-mêmes ne soulignent pas l'importance de le faire, les gens sur le terrain ne le font pas, ce qui est source d'embarras.
Oui, c'est très difficile. La tâche dans ce domaine ne sera sans doute jamais achevée, mais nous continuons à travailler grâce aux petites victoires, aux graines de progrès qui sont semées.
En effet, c'est peut-être accablant, mais c'est également l'engrais qui permet à ces graines de pousser.
La présidente : Merci, madame Livingstone. J'ai quelques questions. Dans quelle mesure les dirigeants et les gens de la base d'organismes au Canada sont-ils au courant des principes et objectifs mis de l'avant dans la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU?
Mme Livingstone : Madame la présidente, je ne pourrais vous le dire. Je l'ignore.
La présidente : Vous avez parlé du Printemps arabe. Nous entendons parler des changements qu'il a apportés, mais on parle peu des horreurs qui arrivent aux femmes. Je travaille avec plusieurs femmes, particulièrement à l'université, qui ont été brutalisées et agressées sexuellement. Que pourriez-vous nous en dire? Êtes-vous au courant de ces agissements?
Mme Livingstone : Il y a trois semaines à peine, j'étais à Sharm El-Sheikh pour une conférence Défis. Nous avons dû tenir la conférence dans cette ville parce qu'il semblait trop dangereux de le faire au Caire. L'organisme Défis regroupe 16 organisations et pays ayant pris part aux opérations de paix et à l'élaboration de la doctrine de la paix depuis longtemps. Quand j'étais à Sharm El-Sheikh, plusieurs de nos collègues égyptiennes ont discuté longuement de ce problème, disant qu'il y avait des femmes martyres à la place Tahrir. Il y a eu beaucoup d'agressions sexuelles. Elles craignent que l'attention de l'opinion mondiale étant attirée ailleurs, il n'y ait pas beaucoup de changements à brève échéance. Elles croient que la situation s'améliorerait à long terme.
Elles ne cessaient de me dire que « la démocratie n'est plus très loin. Elles étaient bien au fait de la répression dont les femmes avaient été victimes à la place Tahrir et elles savaient que l'opinion mondiale surveillait cette situation. Il est possible que le monde tourne de nouveau son regard vers ces événements. Elles l'espèrent d'ailleurs parce que les remontrances émanant des médias sont importantes à leurs yeux. Encore une fois, il faudra beaucoup de temps pour que le problème se corrige.
La présidente : Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par la répression des femmes? Je ne vous demande pas de me faire une description détaillée de cas d'abus, mais qu'entendez-vous par la répression à l'endroit des femmes à la place Tahrir.
Mme Livingstone : Les femmes qui manifestaient à la place Tahrir ont été brutalisées, jetées au sol, poussées, violentées et martyrisées. Elles ont un exposé CULTURAMA sur la révolution du 25 janvier, dans lequel elles montrent des choses qui sont parues dans les médias là-bas mais qu'on n'a jamais vues dans nos médias. On y voit des femmes qui ont été tuées, ce qu'elles appellent des femmes martyres. Elles montrent également la brutalité physique qu'on a exercée contre les femmes pour les faire taire.
Ce qui ressort, c'est qu'elles étaient beaucoup plus fortes que ceux qui essayaient de les faire taire. Elles déplorent que notre attention se tourne aussi vite vers autre chose. Cette question a une importance capitale pour elles : c'est leur cœur, c'est leur pays. Pour nous, ce n'est qu'un événement de plus et une autre journée. J'espère avoir répondu à votre question.
La présidente : Merci, vous l'avez fait. Madame Livingstone, vous avez toujours l'heur de nous apprendre des choses que nous ignorons. Nous vous sommes encore une fois redevables de votre comparution devant notre comité. Nous espérons pouvoir collaborer avec vous de nouveau dans l'avenir. Merci beaucoup d'avoir été des nôtres.
Mme Livingstone : Je vous en prie.
La présidente : Nous poursuivrons nos travaux à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)