Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 28 - Témoignages du 10 juin 2013


OTTAWA, le lundi 10 juin 2013

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, pour étudier le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare ouverte la 34e réunion de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Ce comité a reçu du Sénat le mandat d'examiner des questions ayant traits aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

[Traduction]

Je rappelle à ceux qui regardent que ces audiences sont ouvertes au public et qu'elles sont diffusées sur le site web du Parlement. Pour de plus amples renseignements, comme l'horaire de comparution des témoins, consultez le site web sous la rubrique Comités du Sénat.

Mesdames et messieurs, nous procédons aujourd'hui à l'étude du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre). Ce projet de loi vise à intégrer l'identité de genre à la liste de motifs de distinction illicite énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le projet de loi modifie également le Code criminel afin d'intégrer l'identité de genre à la liste des caractéristiques distinctives protégées par l'article 318 et à celle des circonstances aggravantes dont il faut tenir compte pour déterminer la peine à infliger en application de l'article 718.2.

Aujourd'hui, nous avons un groupe très bien garni d'experts et de nombreux témoins. Par conséquent, je demanderai aux intervenants de limiter leur exposé à cinq minutes. J'ai une entente avec les sénateurs, et ils ont de nombreuses questions à vous poser. Comme je devrai encadrer les exposés de près, je demande à chacun d'être coopératif.

Nous entendrons tout d'abord l'Association canadienne des libertés civiles, par vidéoconférence.

Noa Mendelsohn Aviv, directrice, Programme d'égalité, Association canadienne des libertés civiles : Merci de nous avoir invités pour parler de cet important projet de loi. L'Association canadienne des libertés civiles est un organisme non gouvernemental national non partisan et sans but lucratif. Notre travail consiste à protéger et à défendre les droits et libertés constitutionnels et fondamentaux. À ce titre, nous appuyons fortement les modifications proposées dans le projet de loi C-279 aux motifs qu'elles sont absolument nécessaires aux termes des politiques et de la loi.

L'Association canadienne des libertés civiles est d'avis que ces changements auraient dû être faits il y a longtemps et qu'il est important de réagir aux actes discriminatoires contre les transsexuels, en partie à cause de la démesure de la discrimination dont ces personnes font l'objet. Cet ostracisme a été clairement exposé dans un certain nombre d'études, notamment dans celle de Catherine Taylor, de l'université de Winnipeg.

Dans cette étude, Mme Taylor constate que 90 p. 100 des jeunes transsexuels entendent des commentaires transphobes à l'école; 74 p. 100 se font harceler verbalement au sujet de leur expression sexuelle; 25 p. 100 sont harcelés physiquement; 24 p. 100 voient leurs effets volés ou endommagés; 78 p. 100 des étudiants transsexuels avouent ne pas se sentir en sécurité à l'école et manquent par conséquent des jours de classe. Le taux de suicide est élevé chez ces jeunes, et ainsi de suite. La discrimination à l'endroit des transsexuels est un fait bien connu et bien établi.

La question de la discrimination à l'endroit des transsexuels a aussi été soulevée par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Je présume que les sénateurs et les membres de ce comité sont au courant de ces prises de position.

Maintenant, pourquoi est-il important que le projet de loi C-279 soit adopté? Nous savons que l'identité de genre et l'expression sexuelle ont déjà été intégrées à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Pourquoi alors faut-il que l'expression transsexuelle soit consignée de façon explicite dans la loi? C'est là la seule question que le comité doit se poser. Et pour répondre, il faut d'abord se pencher sur la question de l'invisibilité.

Selon nous, cet aspect est intimement lié aux manifestations les plus précoces et les plus graves de discrimination à l'endroit de tout groupe marginalisé. L'examen des anciens concepts de démocratie et d'égalité nous permet de constater que ni les femmes ni les personnes de couleur n'étaient visées par ces principes. Ces groupes n'étaient tout simplement pas perçus comme faisant partie de ceux à qui ces droits fondamentaux de démocratie et d'égalité s'appliquaient. Et les choses n'ont pas bougé pendant un très long moment.

Quand les incroyables premières lois sur les droits de la personne sont entrées en vigueur au Canada, elles ne disaient rien sur l'orientation sexuelle, ou du moins, peu d'entre elles mentionnaient quoi que ce soit à ce sujet. La raison pour laquelle les gens ne parlaient pas d'orientation sexuelle était qu'ils ne pensaient tout simplement pas aux homosexuels, à moins d'en faire eux-mêmes partie. Les homosexuels savaient qu'ils existaient et savaient qu'ils faisaient l'objet de discrimination, mais pour nombre de Canadiens bien intentionnés favorables à l'égalité qui souhaitaient protéger les droits de la personne, les homosexuels étaient tout simplement invisibles.

Cela ne fait pas tant d'années que ça — depuis 2003, en fait —, et nous en sommes déjà à célébrer les 10 ans du premier mariage de conjoints de même sexe au Canada. On entend dire que le Canada est du « bon côté de l'Histoire » en ce qui concerne l'orientation sexuelle et le mariage entre conjoints de même sexe, mais au chapitre de la discrimination envers les transsexuels, nous ne faisons que commencer — à tout le moins, certains d'entre nous — à constater l'existence de ces personnes et, assurément, à prendre note de la discrimination qui s'exerce à leur endroit et qui doit être contrecarrée.

Le projet de loi C-279 fera en sorte de rendre ces personnes visibles et d'appeler cette orientation particulière par son nom. Les Nations Unies ont répété à maintes reprises que tous les humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, et cela inclut à coup sûr les transsexuels.

Je vais évoquer quelques autres raisons, car je m'aperçois que le temps file. En ajoutant l'identité de genre aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le projet de loi C-279 agira comme un élément dissuasif important pour contrer la discrimination transphobe et les crimes haineux avant qu'ils ne se produisent. Le projet de loi cautionnera la mise en œuvre d'initiatives proactives, éducationnelles et antidiscriminatoires par la Commission canadienne des droits de la personne en faveur des transsexuels. Les modifications proposées permettront en outre d'harmoniser la loi fédérale avec d'autres développements d'importance qui ont pu se produire dans d'autres administrations — dans les provinces et les territoires —, ainsi qu'avec les engagements pris par le Canada sur la scène internationale. À titre d'exemple, on n'a qu'à penser à cette déclaration des Nations Unies sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre que le Canada a signée et dans laquelle il s'est engagé à combattre la violence et la discrimination fondées sur l'identité de genre.

En conclusion et pour toutes les raisons que je viens de donner, l'Association canadienne des libertés civiles exhorte le comité à donner son appui au projet de loi C-279. Le temps est venu de faire avancer l'Histoire et les transsexuels, et de reconnaître que ces derniers sont victimes de discrimination comme première étape pour s'attaquer au problème, redresser la situation et, avec un peu de chance, y mettre un terme.

La présidente : Merci. Je vous remercie d'avoir respecté le temps qui vous était accordé. Cela laissera plus de temps pour les questions des membres du comité. Nous allons maintenant donner la parole à Mme Diane Watts, de REAL Women of Canada, et à Mme Mary Muys, membre du conseil d'administration de cet organisme.

Diane Watts, recherchiste, REAL Women of Canada : Merci de nous avoir invitées à témoigner devant ce comité. REAL Women of Canada respecte les droits de tous les Canadiens, mais nous nous opposons au projet de loi C-279 pour trois raisons. Premièrement, le projet de loi est inutile parce que les personnes qui se qualifient comme transgenres sont déjà protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, au même titre que tous les autres Canadiens. Pour appuyer notre position, nous évoquons deux causes entendues par la Commission des droits de la personne, soit celle de B.J.'s Lounge, à Victoria et celle de la Vancouver Rape Relief Society.

Deuxièmement, les termes utilisés dans le projet de loi sont vagues et l'on s'attend à ce qu'ils soient précisés par les cours et les tribunaux, selon le parrain du projet de loi lui-même. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le ministre de la Justice s'y oppose.

Troisièmement, le projet de loi C-279 fera du tort. Il ne s'agit pas d'un simple projet de loi qui vise à étendre la protection des droits de la personne à une autre catégorie de gens. Du point de vue de la société canadienne, ses ramifications ont une portée très vaste et, selon des études médicales crédibles, ses conséquences seront néfastes pour les transsexuels eux-mêmes.

Le Parlement est ouvert à tous ceux que le projet de loi proposé interpelle. Fait étonnant, les témoins favorables au projet de loi qui se présentent ici sont beaucoup plus nombreux que ceux qui présentent des témoignages opposés tout aussi importants. De nombreux spécialistes pourraient témoigner ici, tels qu'André Schutten, de l'Association for Reformed Political Action; le Dr Joseph Berger, psychiatre, sur le délire et les psychoses; l'éthicienne Margaret Sommerville, sur le sujet des enfants et du transgendérisme; la Dre Judith Reisman, sur les inhibiteurs de puberté utilisés sur les enfants et Walt Heyer, un ex-transsexuel qui parle et écrit sur l'expérience négative qu'il a eue avec le transgendérisme. Il y a des transsexuels qui s'opposent très fortement à ce projet de loi. Ceux et celles qui se disent gais, lesbiennes, bisexuels, transsexuels, et cetera sont séparés par de profondes discordes sur la question des transsexuels, et ces frictions s'expriment parfois avec force. Certains rejettent complètement les attentes sexospécifiques et refusent de s'identifier à l'un ou l'autre des deux sexes, alors il y a une foule de gens qui ne seront pas représentés ici. Dans notre document de présentation, nous avons inclus le témoignage du Dr Paul McHugh, ancien directeur du département de psychiatrie à la Johns Hopkins School of Medicine et psychiatre en chef du Johns Hopkins Hospital, qui a réussi à faire consensus pour mettre fin aux chirurgies pour changement de sexe. Nous avons envoyé une lettre aux sénateurs, où nous reprenons le témoignage du Dr Joseph Berger, psychiatre torontois et boursier émérite de l'American Psychiatric Association.

Parmi les sujets qui n'ont pas été abordés, mentionnons les effets qu'ont les changements de sexe sur les conjoints, les enfants, les parents et les familles des transsexués. Il y a aussi cette importante enquête sur l'intimidation qui a été menée en 2012 par l'Ottawa-Carleton District School Board et qui arrive à des conclusions différentes de celles de l'étude Egale qui a été présentée ici, le 3 juin dernier. Les raisons expliquant l'intimidation étaient surtout liées à l'apparence générale et à l'habillement — dans une proportion de 50 p. 100 —, aux notes, à l'origine ethnique, à la religion et au revenu familial, alors que l'orientation sexuelle était la raison la moins souvent évoquée, soit seulement 5 p. 100 des fois.

Divers départements du Karolinska Institutet, une université de médecine suédoise, ont fait une étude sur les transsexués après leur opération. L'étude avait ceci de particulier qu'elle intégrait les résultats d'une étude pansuédoise s'étendant sur 30 ans avec perte de suivi minimale. Publiée en 2011, cette étude a constaté que les personnes qui avaient subi un changement de sexe avaient un taux de mortalité global plus élevé que celui de l'échantillon de personnes en santé utilisé comme référence. De plus, elles étaient plus à risque de mourir de maladies cardiovasculaires et de suicide, et elles connaissaient un taux plus élevé de tentatives de suicide et d'hospitalisation à des fins psychiatriques.

Nous croyons qu'il est nuisible d'encourager cette volonté de changer de sexe.

Le cheminement de l'identité et de l'expression des transsexuels nous a menés à cette recommandation controversée du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme selon laquelle l'identité et l'expression sexuelles devraient être des droits protégés. Cette proposition a été très nettement rejetée par le Conseil des droits de l'homme, en mars 2012, en raison du caractère vague des termes utilisés et de l'universalité de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies.

Les principes de Yogyakarta sur lesquels se fonde la définition de l'identité de genre utilisée pour le projet de loi C- 279 sont vagues et de portée excessive, et ils peuvent être interprétés de manière à brimer le droit qu'ont les parents de recourir à une thérapie professionnelle pour aider un enfant aux prises avec des troubles d'identité sexuelle. En empiétant sur l'autorité parentale, les principes de Yogyakarta contredisent les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, qui stipule que la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et qu'elle a droit à la protection de la société et de l'État. Le 31 mars 2010, l'American College of Pediatricians a fait parvenir une lettre aux responsables d'écoles où étaient énumérées diverses études qui affirmaient que même les enfants qui étaient confus au sujet de leur identité sexuelle...

La présidente : Vous nous avez soumis un document d'information écrit et nous ne manquerons sûrement pas de le lire. Vous avez utilisé tout votre temps, mais je vais vous donner quelques secondes pour conclure.

Mme Watts : Cette citation de l'American College of Physicians, qui est très encourageante pour les enfants, est dans notre document d'information. Ce dernier fait aussi état des répercussions inquiétantes du projet de loi, du droit des femmes et des filles de vivre dans un environnement sécuritaire, des contribuables qui devront assumer les coûts élevés des opérations et des traitements hormonaux, ainsi que de la question des pénitenciers canadiens.

Les personnes transsexuelles et transgenres ont déjà les mêmes droits que tous les autres Canadiens, mais ne devraient pas avoir de droits spéciaux. Il est irresponsable d'adopter une loi en s'attendant à ce que les tribunaux en déterminent la signification. Les personnes qui souffrent de troubles d'identité sexuelle doivent obtenir des services de counseling plutôt que d'être encouragées dans leur insatisfaction à l'égard du genre ancré dans leur ADN. REAL Women of Canada vous demande instamment de ne pas adopter ce projet de loi.

La présidente : Nous entendrons maintenant les deux témoins de l'Association du Barreau canadien, Rebecca J. Bromwich, avocate et Robert Peterson, coprésident du Comité sur l'orientation et l'identité sexuelles.

Rebecca J. Bromwich, avocate, Association du Barreau canadien : Comme vous le savez, l'ABC est une association nationale représentant environ 37 000 juristes, dont des avocats, des notaires, des professeurs de droit et des étudiants. Nos objectifs premiers sont d'améliorer le droit et l'administration de la justice, et de promouvoir la clarté et l'égalité du droit. Je suis accompagnée de Robert Peterson, coprésident du Comité sur l'orientation et l'identité sexuelles, qui offre une tribune pour l'échange de renseignements, d'idées et d'actions sur les questions juridiques propres à ces domaines. L'ABC croit qu'il est impératif d'intégrer dans la législation fédérale des protections juridiques expresses pour les transgenres. Comme l'a reconnu la Chambre des communes, le projet de loi C-279 assurera cette protection.

Je cède la parole à mon collègue, qui vous expliquera l'essence de notre point de vue sur ce projet de loi.

Robert Peterson, coprésident, Comité sur l'orientation et l'identité sexuelles, Association du Barreau canadien : Merci. Pourquoi le projet de loi C-279 est-il important pour l'ABC? Parce que son contenu touche la vie des amis, familles, collègues, voisins et enfants de nos 37 000 membres et de tous les Canadiens.

L'intimidation des enfants est un sujet dont parlent souvent les médias. Le sondage national sur la discrimination à l'endroit des transgenres réalisé par le National Gay and Lesbian Task Force et le National Center for Transgender Equality des États-Unis, deux organisations reconnues, a révélé que plus de la moitié des personnes transgenres ou des non conformistes sexuels qui ont été intimidés, harcelés ou attaqués à l'école en raison de leur identité sexuelle ont fait des tentatives de suicide.

Pourquoi l'ABC appuie-t-elle le bien-fondé du projet de loi? On entend parler de la jurisprudence et des critiques de la société à son égard. Le projet de loi C-279 aborde la question directement. Il représente la volonté démocratique de la population du Canada. Le fait que la Chambre des communes ait approuvé ce projet de loi est pour nous un signe que la majorité des Canadiens souhaite son adoption.

J'aimerais répondre directement à la critique voulant que « l'identité sexuelle » et la terminologie du projet de loi soient quelque peu vagues. Le terme est utilisé partout dans le monde, en vertu du droit international, et par la Société canadienne de psychologie. L'ABC a examiné le projet de loi avec rigueur, et il ne fait aucun doute que le terme est clair pour les tribunaux. En fait, il a été utilisé dans les lois des Territoires du Nord-Ouest, de l'Ontario, du Manitoba et de la Nouvelle-Écosse. Il est également utilisé à l'échelle internationale, par divers pays.

De façon plus importante, le projet de loi est beaucoup plus clair que l'état du droit actuel, qui est incertain. À l'heure actuelle, la discrimination à l'égard des personnes transgenres doit être visée par la définition de la discrimination fondée sur le sexe et sur le handicap. L'identité sexuelle n'est pas synonyme de sexe et de handicap. Les juges ont été forcés de reconnaître les préjudices subis par les personnes transgenres pour établir un cadre de protection. Le projet de loi C-279 aborde la question directement.

Je tiens à souligner que le projet de loi C-279 ne contient pas le terme « expression sexuelle », même si l'ABC le recommandait, car il s'agit maintenant de la norme utilisée dans de nombreuses lois. Nous sommes d'avis que le projet de loi dans sa forme actuelle, sans le terme « expression sexuelle », est un pas dans la bonne direction, et nous sommes tout à fait favorables à son adoption.

Enfin, il s'agit d'une occasion pour le Parlement de se prononcer clairement sur l'invisibilité des personnes transgenres. Le fait d'exprimer explicitement l'identité de genre dans la loi permet un meilleur accès à la justice; en lisant la loi, on comprendra clairement que ces protections existent.

Voilà qui conclut mon intervention. Je suis prêt à répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Bromwich et monsieur Peterson.

La sénatrice Ataullahjan : Vous dites que le projet de loi n'ajoute pas de nouveaux droits, mais assure une protection juridique explicite des droits des Canadiens transgenres. Qu'apporte le projet de loi qui n'est pas déjà couvert par la loi actuelle, et comment rendrait-il les questions de droit plus claires?

Mme Bromwich : Dans notre présentation écrite au comité, nous expliquons le point de vue que nous partageons avec l'Association canadienne des libertés civiles, c'est-à-dire que les droits de la personne ont une importante fonction éducative; d'après certaines discussions entendues, il est évident que la protection des personnes transgenres n'est pas claire pour tous les Canadiens. Le projet de loi assure une certaine visibilité et permet d'exprimer clairement que les personnes transgenres sont protégées en vertu des lois sur les droits de la personne et du Code criminel.

Nos collègues de REAL Women ont fait valoir que dans certaines décisions, les juges avaient conclu que les personnes transgenres étaient visées par la loi sur les droits de la personne. La plupart des gens ne lisent pas ces décisions pour le plaisir. Ils devraient peut-être le faire, ce serait une bonne idée, mais il faut que la loi exprime clairement la situation des adolescents qui sont victimes d'intimidation à l'école en raison de leur apparence et de leur habillement, dont peuvent faire partie les personnes transgenres. Il est bon pour les personnes transgenres de devenir visibles et d'avoir leur existence reconnue par la loi.

La présidente : Madame Mendelsohn, voulez-vous ajouter quelque chose aux propos de l'Association du Barreau canadien?

Mme Mendelsohn Aviv : D'abord, le projet de loi transmet un message clair aux victimes, et aux agresseurs potentiels. Lorsque la loi interdit clairement la discrimination fondée sur l'identité de genre, ceux qui auraient pu avoir un comportement discriminatoire savent que la loi canadienne et le Code criminel ne le tolèrent pas. Il s'agit d'une précision supplémentaire.

J'aimerais ajouter qu'il est insultant pour une personne de devoir prouver qu'elle est victime de discrimination fondée sur le handicap parce qu'elle est transgenre, et cette déformation de la réalité émane de l'invisibilité.

Le sénateur Munson : Vous pouvez tous répondre aux commentaires de REAL Women of Canada.

Vous avez parlé d'études crédibles sur les effets néfastes du projet de loi sur les personnes transgenres. J'aimerais savoir de quelles études on parle. J'aimerais savoir quelles sont les personnes transgenres qui s'opposent au projet de loi. Vous avez parlé d'enfants aux prises avec des difficultés d'identité sexuelle et d'une sorte de traitement. Je n'ai pas très bien compris. Comment est-ce que les droits des femmes et des filles seront-ils affectés? Pourquoi en êtes-vous inquiets? Quel est le problème?

Mme Watts : Nous l'avons expliqué dans notre mémoire. Pour ce qui est du mal qui peut être fait aux personnes transgenres, l'étude suédoise est très claire. Vous avez accès au site web qui présente tous les détails de cette étude exhaustive, réalisée sur 30 ans, et qui visait l'ensemble de la population du pays. On a suivi des personnes qui avaient subi une chirurgie pour changement de sexe; les effets sur la santé étaient très néfastes. Je crois que je vous ai parlé des tentatives de suicide, des problèmes psychiatriques et des problèmes cardiaques.

Pour répondre à votre question sur les gens qui s'opposent au projet de loi, vous n'avez qu'à consulter le site Xtra.ca, pour les homosexuels : on comprend clairement d'après les commentaires que le débat est important, et qu'on ne s'entend pas sur les personnes visées par le sigle GLBTQA. Les propos peuvent être très hostiles, je ne voudrais pas les lire devant le comité. Une organisation de personnes transgenres s'oppose au projet de loi C-279. Le 10 décembre, le site Xtra a publié un article sur la deuxième lecture du projet de loi, et un autre sur le site web des activistes transgenres qui s'y opposent. On voit que des gens s'offusquent d'être ainsi étiquetés, et débattent de la signification des termes « transgenre » et « transsexuel ». Chacun a son étiquette préférée, mais certains n'en veulent pas du tout.

En ce qui a trait aux enfants qui ont des difficultés d'identité sexuelle, j'ai parlé des principes de Jogjakarta et d'un cas en Californie, qui montrent une opposition claire à tout type de counseling professionnel pour les enfants qui pensent être du sexe opposé. Si un garçon pense qu'il est une fille, ou souhaite l'être, les parents peuvent penser que le counseling l'aidera à accepter sa nature physique; les principes de Jogjakarta le déconseillent.

L'ADN des personnes qui subissent une chirurgie ou reçoivent un traitement hormonal ne changera pas. L'entité physique demeure mâle ou femelle. En 2011, le Karolinska Institutet a découvert, grâce à l'IRM, que le cerveau des hommes qui changeaient de sexe ne se féminisait pas, mais restait mâle. Il a aussi découvert que la partie du cerveau qui gère la perception du corps agissait peut-être autrement; il faudrait approfondir la recherche à ce sujet. Les principes de Jogjakarta sont tellement vagues et imposants que certains législateurs en Californie, par exemple, pourraient adopter une loi interdisant aux parents d'obtenir de l'aide pour que leur enfant accepte son identité sexuelle.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé de droits spéciaux. Je n'ai pas très bien compris. Qu'est-ce qu'ils ont de particulier? Pourquoi ne peut-on pas être qui l'on veut? Les droits de la personne visent tout le monde, sans égard à l'apparence ou à l'identité. Nous sommes en 2013; on ne parle pas de droits spéciaux, mais bien de droits égaux, à mon avis.

Mme Watts : Je suis on ne peut plus d'accord avec vous. Nous voulons des droits égaux pour tous les Canadiens.

Les représentants de la Loi canadienne sur les droits de la personne ont fait état de 19 cas de personnes transgenres qui avaient été protégées par les commissions des droits de la personne. Ils ont donné l'exemple du B.J.'s Lounge, à Victoria, où un homme s'identifiant comme femme, mais qui n'avait subi aucun changement hormonal ou chirurgical, est entré dans les toilettes des femmes dans une boîte de nuit. Il aurait dérangé les clientes et on lui a ordonné de sortir. Les clientes étaient contrariées. Les propriétaires de l'établissement ont dû comparaître devant la commission des droits de la personne, et verser 2 000 $, je crois, à cet homme.

Il y a aussi le cas de la Vancouver Rape Relief Society, que nous présentons en détail dans notre mémoire, où un transsexuel voulait conseiller des femmes victimes de viol. Les deux cas ont été présentés devant la commission des droits de la personne. Dans ce cas-ci, la décision première était en faveur de la personne transgenre. Toutefois, une cour supérieure a déterminé que les victimes de viol avaient le droit de consulter une personne qui avait toujours été une femme, et non une personne qui avait déjà été un homme.

Ces cas sont présentés devant les tribunaux, qui prennent les décisions les plus justes possible. C'est pourquoi nous croyons que ces personnes sont déjà visées par nos lois très humaines, dont l'objectif est d'assurer la sécurité de tous les Canadiens.

La présidente : Madame Watts, j'aimerais vous poser une autre question à ce sujet, si vous le permettez, monsieur Munson.

Vous avez dit que des groupes de personnes transgenres s'opposaient au projet de loi et qu'ils avaient créé un site web. Je l'ai consulté. Ils ne s'opposent pas au projet de loi, mais sont plutôt déçus de voir que le terme « expression sexuelle » n'y est pas utilisé. C'est pour cette raison qu'ils s'opposent au projet de loi. Est-ce bien cela?

Mme Watts : Oui, mais leurs déclarations sont très fortes. Ils ne s'opposent pas seulement au projet de loi; ils en ont aussi contre le fait qu'Égale Canada représente les personnes transgenres. Selon eux, l'organisation représente seulement les gais, lesbiennes et bisexuels, et il y a un grand conflit entre eux et les personnes transgenres. Ils s'opposent fermement à ce que des personnes qu'ils jugent hostiles les représentent devant le comité.

La sénatrice Andreychuk : J'aimerais poser une question à Mme Bromwich, et peut-être à M. Peterson.

Selon ce que je comprends, la Loi sur les droits de la personne vise à garantir le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, sans être freinés par des pratiques discriminatoires.

Nous avons reçu des représentants de la Commission des droits de la personne, et ils ne semblaient pas se fier à la liste. Ils tiennent compte de la nature changeante des droits de la personne; ils considèrent que les pratiques discriminatoires constituent une meilleure façon d'appliquer la loi.

D'abord, est-ce que vous interprétez cet article de la même façon que moi?

Ensuite, il me semble qu'en vertu du Code criminel, il faille prouver qu'il y a discrimination ou haine envers un groupe. Ce qui est difficile, c'est qu'en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, toutes les victimes de pratiques discriminatoires doivent identifier ces pratiques. La charge leur incombe donc si elles ne font pas partie des groupes désignés. Est-ce bien cela?

C'est la même chose dans le Code criminel. Si vous ne faites pas partie des groupes qui y sont énumérés et que quelqu'un prononce un discours haineux à votre égard, ou peu importe, vous devez prouver que le groupe existe et le faire ajouter à la liste.

J'aimerais savoir si c'est bien le cas, parce que je n'ai pas suivi tous les cas.

Nous avons déjà établi une liste; il est donc justifié de continuer de l'alimenter en fonction des pratiques discriminatoires ou haineuses.

Est-ce que vous me comprenez bien?

Mme Bromwich : Il a été mentionné à juste titre qu'il y a certaines causes pour lesquelles on reconnaît l'identité sexuelle comme un motif analogue en vertu de la législation sur les droits de la personne, ce qui soutient la notion qui veut que, selon les circonstances qui surviennent, il y ait avec le temps des motifs analogues à ceux qui ont été envisagés initialement.

Le projet de loi indiquerait de manière explicite que l'identité sexuelle est devenue un motif analogue à ceux de la liste originale. De nouveaux motifs ont été ajoutés avec le temps, tels que la discrimination fondée sur la grossesse et l'orientation sexuelle. Un certain nombre de choses n'étaient pas là au départ et ont été ajoutées par la suite, ce qui veut dire que cette mesure suivrait la tendance et la tradition selon lesquelles les droits de la personne changent avec le temps.

Je ne sais pas si cela répond à ce que vous disiez.

La sénatrice Andreychuk : Vous y avez répondu en partie, et je vais solliciter davantage vos bons conseils.

Vous dites qu'en ce qui concerne les actes discriminatoires ou les formes de discrimination prévues dans la section du Code criminel sur les infractions motivées par la haine, il faut que ce soit analogue à ce qui est prévu dans la liste originale.

N'aurait-il pas été préférable de faire l'inverse, d'avoir mis l'accent sur l'acte discriminatoire qui mène à l'inégalité ou à la haine, plutôt que d'avoir dressé une liste et de devoir maintenant prouver qu'un acte est analogue à ceux qui y figurent déjà?

Mme Bromwich : C'est une question très intéressante. Devrions-nous avoir des motifs dans la législation sur les droits de la personne? Il y a certainement beaucoup de discussions à ce sujet dans les universités.

Le projet de loi à l'étude aujourd'hui ne prévoit pas ce genre de changement global. L'Association du Barreau canadien examinera cette possibilité le jour où ce sera proposé, si cela se produit. Ce n'est pas la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, mais c'est une question intéressante.

La présidente : Madame Mendelsohn Aviv, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Mendelsohn Aviv : Je pense peut-être pouvoir répondre à une des questions de la sénatrice Andreychuk, si je l'ai bien comprise : étant donné qu'elle ne figure pas sur la liste originale, doit-on chaque fois prouver que l'identité de genre est incluse? D'après mes connaissances en droit, une fois qu'elle a été incluse, il s'agit d'un principe établi, et il ne faut pas nécessairement le faire de nouveau si c'est une instance supérieure ou un tribunal qui s'est prononcé.

Le sénateur Munson : Ma question s'adresse aux représentants de l'ABC. La semaine dernière, nous avons entendu des statistiques alarmantes selon lesquelles le revenu moyen des transgenres ontariens est de 15 000 $ par année, malgré des niveaux de scolarisation raisonnablement élevés. Soixante-quatorze pour cent des transgenres canadiens ont été agressés verbalement en raison de leur identité de genre et de leur expression sexuelle; 34 p. 100 ont été agressés physiquement pour les mêmes raisons; et 43 p. 100 ont fait une tentative de suicide à un moment donné.

Bien que le projet de loi puisse aider à combattre la stigmatisation, quelles autres mesures pouvons-nous prendre afin de rendre les règles du jeu équitables pour les transgenres canadiens?

M. Peterson : C'est une bonne question qui nous ramène à notre premier mémoire. Comme je l'ai expliqué, à l'aide du processus rigoureux appliqué à toutes les politiques examinées à l'ABC, nous déterminons quelle serait la meilleure loi à proposer. Cette fois-ci, il nous a semblé que l'inclusion de l'expression sexuelle dans le projet de loi était importante. D'un point de vue légal, c'est un élément que nous continuerions de défendre de façon continue.

Je pense qu'il faudrait plutôt se demander ce que la société peut faire de plus. Je m'écarte peut-être de ce que je peux dire aujourd'hui au nom de l'ABC, mais nous savons qu'en éduquant les gens et en se servant de la loi comme outil, le fait de reconnaître explicitement les droits des transgenres aide non seulement à combattre les préjugés dont vous avez parlé, mais aussi à donner de la visibilité au problème auquel ils sont confrontés. Au moment où on se parle, si un jeune transgenre consulte la Loi canadienne sur les droits de la personne, il ne saura pas que des avocats et des tribunaux doivent s'y référer pour lui assurer une protection qui est fondée, dans ce cas-ci, sur le sexe et la déficience. Ce n'est pas une tâche facile pour qui que ce soit. À vrai dire, c'est un travail qui doit être fait par des avocats.

Dans le cadre de ses efforts pour améliorer la loi, et pas seulement en y apportant des améliorations substantielles, l'Association du Barreau canadien veut faciliter l'accès à la justice, et cette mesure va dans ce sens.

Le sénateur Munson : Certains ont parlé du projet de loi comme étant la loi sur l'accès aux toilettes publiques. J'essaie de trouver une solution au fait que beaucoup de Canadiens ont peur, comme le disent les représentantes de REAL Women of Canada, de ce qu'ils perçoivent comme une mesure qui rend très vulnérables les femmes et les enfants.

Comment faire pour dissiper les craintes dans le cadre de ce débat? Comment peut-on continuer de prêcher par l'exemple et essayer de convaincre les gens que la prétendue loi sur l'accès aux toilettes publiques n'est pas celle qu'ils décrivent?

M. Peterson : Il est d'abord important de prendre du recul et de constater qu'il n'y a pas de preuve crédible qui démontre que les droits accordés aux transgenres en Ontario, aux Territoires du Nord-Ouest, au Manitoba ou ailleurs ont entraîné ce genre de problèmes.

L'Association du Barreau canadien s'intéresse à des faits fondés sur des éléments de preuve. Nous sommes objectifs. C'est notre rôle. Dans ce cas-ci, il n'y a simplement pas de preuve crédible.

Mme Bromwich : J'aimerais ajouter que cette loi n'aura pas d'incidence sur les interdictions relatives au voyeurisme et aux agressions sexuelles ni sur les autres types de protections, qui continueront de s'appliquer au genre de situations auquel on fait allusion.

Mme Watts : Nous avons un autre exemple qui nous vient de l'Evergreen State College dans l'État de Washington. Les responsables de l'école et le service de police n'ont pas pu empêcher un homme qui se définit comme femme, mais qui a des organes génitaux masculins, de se prélasser nu dans le vestiaire où des femmes et des filles, dont certaines avaient six ans, se changent pour leur cours de natation. Conformément aux lois de l'État de Washington, cette personne a le droit d'utiliser les toilettes des femmes. En effet, selon le collège, les lois ne leur permettent pas d'ignorer le trouble de l'identité sexuelle parce que c'est une des catégories protégées.

Voilà où nous mènent les textes législatifs comme le projet de loi C-279. C'est un cas réel auquel on est confronté dans l'État de Washington. Les filles qui veulent se baigner peuvent se changer parce qu'on a prévu une pièce à côté du vestiaire, ce qui leur évite d'avoir une réaction négative quand elles voient ce qu'elles perçoivent comme un homme nu dans le sauna, par exemple. C'est un cas concret.

La présidente : Madame Mendelsohn Aviv?

Mme Mendelsohn Aviv : J'aimerais tout d'abord féliciter les sénateurs. Je crois que c'est important d'aborder le sujet parce que c'est une crainte qui a été exprimée. Cela dit, je pense qu'il faut saluer les efforts des sénateurs qui ont très bien su lui accorder la place qui lui revient, particulièrement le sénateur Munson pendant le deuxième tour de questions.

Le projet de loi ne porte pas vraiment là-dessus. Il a pour objet l'égalité pour tous. La question de l'accès aux toilettes n'est qu'une petite crainte exprimée par certains, et rien n'indique que nous avons des raisons de nous en faire à ce sujet au Canada.

Cela dit, nous avons eu jusqu'à maintenant l'occasion de prendre des mesures d'adaptation raisonnables, et des solutions s'offrent encore à nous. Des motifs justifiables ont été invoqués dans diverses situations — dans les cas où c'était nécessaire. L'affaire impliquant la Vancouver Rape Relief Society a soulevé une vive controverse. Je ne veux pas prendre position maintenant, mais la loi est suffisamment souple pour accommoder les gens et tenir compte des différents aspects associés à une question comme celle des besoins des femmes et des enfants dans un vestiaire. Il semble que même dans le cas de l'État de Washington, des mesures d'adaptation raisonnables ont été trouvées pour que le transgenre puisse utiliser des toilettes en se sentant à l'aise et en sécurité, tout comme les femmes et les filles qui fréquentent également l'établissement.

Nous pouvons être rassurés, sachant que le projet de loi est davantage axé sur ce qui est important. Il ne s'agit pas de droits spéciaux pour certains, mais simplement, comme le sénateur l'a dit, de droits égaux pour tous. Il met l'accent sur cet aspect, et c'est bien de cela dont il est question.

Le sénateur Munson : Merci pour ces explications. Où en est le Canada par rapport au reste du monde en ce qui concerne les lois ou les projets de loi sur les transgenres? Sommes-nous des chefs de file? Accusons-nous du retard? D'autres pays ont-ils pris de meilleures mesures que les nôtres?

M. Peterson : Oui, il y en a. Je ne les ai pas mentionnés aujourd'hui par souci de concision, mais je crois que certains témoins pendant la deuxième séance pourront vous en parler. Chose certaine, certains sont plus avancés que nous.

La sénatrice Ataullahjan : Merci. Ma question s'adresse aux représentantes de REAL Women of Canada.

Pendant l'examen du projet de loi, la sénatrice Nancy Ruth s'est dite préoccupée par l'absence de protection visant les femmes et les filles dans la section du Code criminel sur les propos haineux. Elle a proposé que le « sexe » soit ajouté à la couleur, à la race, à la religion, à l'origine ethnique et à l'orientation sexuelle sous la rubrique des groupes identifiables. Bien que ce soit un peu hors sujet, je suis curieuse d'entendre votre point de vue à ce sujet. En tant que membres d'une organisation de femmes, appuieriez-vous une modification en ce sens?

Mme Watts : Oui. Nous y avons réfléchi longtemps. Nous nous sommes même demandées pourquoi Condition féminine Canada n'avait pas insisté pour que le mot « sexe » soit ajouté à cette disposition. Nous soutenons le point de vue de la sénatrice Nancy Ruth sur cette question. Le manque de protection offerte aux femmes nous préoccupe depuis longtemps.

La sénatrice Hubley : Ma question s'adresse à Mme Mendelsohn Aviv.

Dans votre exposé, vous nous avez donné certains chiffres d'Egale Canada selon lesquels 74 p. 100 des jeunes transgenres ont déclaré avoir été agressés verbalement en raison de leur expression sexuelle, et 37 p. 100 d'entre eux ont subi de la violence physique pour la même raison.

Pouvez-vous me donner une idée du groupe d'âge auquel on fait allusion quand on parle de jeunes? En fait, quand ils font une plainte pour discrimination, qui s'occupe de la déposer? Le font-ils eux-mêmes, ou sont-ils représentés?

Mme Mendelsohn Aviv : L'étude utilisée dans le cas que je donnais en exemple a été réalisée au nom d'Egale à la demande de Catherine Taylor, la chercheuse principale, qui est en fait professeure à l'Université de Winnipeg. Elle l'a réalisée avec des collègues de l'Université du Manitoba. Le nom complet de l'étude pourrait vous être utile. Son titre est Every Class in Every School : The First National Climate Survey on Homophobia, Biphobia, and Transphobia in Canadian Schools. Elle ciblait des enfants et des adolescents qui fréquentent une école secondaire.

Cela répond à la première partie de votre question. Pouvez-vous me rappeler quelle était la deuxième? Oh, qui déposait les plaintes?

La sénatrice Hubley : Oui.

Mme Mendelsohn Aviv : À ma connaissance, l'étude ciblait ces jeunes pour essayer d'obtenir des renseignements sur leur expérience. Je ne sais pas si certains d'entre eux ont entamé une quelconque poursuite en justice pour discrimination. En fait, notre organisation travaille également en parallèle avec de jeunes gais, lesbiennes ou bisexuels qui essaient de former des alliances entre gais et hétérosexuels dans leur école. Encore là, même s'il y a davantage de visibilité et un petit mouvement historique pour la protection des jeunes gais et lesbiennes, et que les gens sont un peu plus sensibilisés et ouverts, il est très inhabituel que des jeunes soient prêts à déposer une plainte contre leur école. Lorsqu'ils le font, les conséquences sont très lourdes.

Nous sommes intervenus dans quelques dossiers, mais je ne peux même pas vous donner de détails parce que nous avons fait tout le travail en coulisse étant donné qu'un jeune à l'école se trouve dans un environnement assez fermé où les adultes détiennent le pouvoir et contrôlent entièrement la situation.

Je n'ai pas entendu parler de beaucoup de plaintes présentées par des jeunes scolarisés. Les membres de l'Association du Barreau canadien en connaissent peut-être.

La présidente : En connaissez-vous?

M. Peterson : Aucune plainte n'a été portée à mon attention.

La sénatrice Cordy : J'ai quelques renseignements. Aux États-Unis, 16 États et 143 villes ou comtés ont adopté des mesures semblables à celles du projet de loi C-279 pour interdire la discrimination fondée sur l'identité de genre. De plus, 11 États et 17 autres autorités administratives ont pris des dispositions pour interdire la discrimination fondée sur l'identité de genre dans l'emploi public. Dans tous les cas, aucune hausse des activités illégales ou inappropriées n'a été constatée après avoir modifié la loi.

Pourtant, d'après ce qu'on entend souvent de la part de personnes opposées au projet de loi — et le sénateur Munson en a parlé tout à l'heure —, on pourrait presque croire qu'une multitude de transgenres attendent qu'il soit adopté pour pouvoir soudainement enfreindre la loi. Je pense que c'est irréaliste.

Je n'ai pas d'études à l'appui, mais n'est-ce pas exact de dire que les membres de la communauté transgenre ne sont pas plus susceptibles de commettre un crime que ceux de n'importe quelle autre communauté? Est-ce que je me trompe?

M. Peterson : C'est ce que j'ai cru comprendre. De notre point de vue, il semble un peu incohérent de soutenir que le projet de loi ne changera rien à la loi tout en brandissant le spectre d'éventuels criminels qui attendent qu'il soit adopté pour passer aux actes. Ce raisonnement ne peut pas résister de quelque façon que ce soit à un examen logique.

La sénatrice Hubley : Madame Watts, avez-vous des commentaires?

Mme Watts : Les pénitenciers du pays nous donnent un autre exemple d'endroit où cela peut poser des difficultés. L'adoption du projet de loi C-279 causera probablement des problèmes, et il y en déjà.

Au Massachusetts, un détenu ayant écopé d'une peine d'emprisonnement à perpétuité pour le meurtre de sa femme en 1990 a reçu l'autorisation d'un tribunal pour pouvoir changer de sexe. Il vit maintenant dans une prison pour hommes où il risque d'être pris pour cible et d'être agressé sexuellement.

Par ailleurs, si un détenu est transféré dans une prison pour femmes, il risquera également de subir des agressions et du harcèlement.

Il y a une famille au Québec qui s'inquiète pour leur fils — qui est dans la vingtaine —, car il est d'apparence féminine, mais est incarcéré avec des hommes au Centre de détention de Rivière-des-Prairies. Selon la mère, l'homme en question vit un véritable enfer.

Il est très trompeur de dire que ce projet de loi ne changera rien. Le système carcéral cause des problèmes pour les transgenres qui ont amorcé un processus de transformation, c'est un fait.

La présidente : Madame Mendelsohn Aviv, vous voulez ajouter quelque chose?

Mme Mendelsohn Aviv : Madame Watts, je ne suis pas certaine de comprendre le lien entre votre réponse et la question qui a été posée. Ce projet de loi ne changera en rien la réalité sur le plan juridique. L'identité de genre a déjà été consignée par le Tribunal canadien des droits de la personne, les tribunaux et de nombreux tribunaux provinciaux des droits de la personne, et elle est incluse dans de nombreuses lois provinciales sur les droits de la personne.

Cette mesure législative ne change rien aux faits juridiques concernant les motifs. L'identité de genre est déjà reconnue légalement comme étant un motif de discrimination illicite.

Il y a des problèmes dans les centres de détention. En fait, un cas a été résolu devant les tribunaux, peut-être pas à la satisfaction de tous, mais bon. Je n'arrive pas à le retrouver, mais je crois que c'était l'affaire Kavanagh. Elle portait sur des problèmes liés aux transgenres qui désirent être transférés dans un centre de détention qui convient à leur genre et sur l'inversion sexuelle chirurgicale.

Ce que je dis, c'est que ce projet de loi ne change rien de tout cela; il ne change en rien le statut juridique. Tout ce qu'il fait, c'est qu'il reconnaît explicitement l'égalité des droits. C'est tout.

Mme Watts : En fait, je répondais à la question en m'appuyant sur notre troisième raison pour nous opposer à ce projet de loi, soit qu'il sera préjudiciable aux transgenres. Mais, je reviens à la première raison pour laquelle nous nous opposons à cette mesure : elle est inutile, puisque, comme vous l'avez souligné, les personnes qui s'identifient comme étant transgenres sont déjà protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, comme tous les Canadiens.

La présidente : Madame la sénatrice Cordy, avez-vous une autre question à poser?

La sénatrice Cordy : Non. J'ai terminé.

La présidente : Je tiens à remercier l'Association du Barreau canadien, l'Association canadienne des libertés civiles et REAL Women of Canada. Ces organismes sont des habitués du comité. Nous vous sommes toujours reconnaissants de votre participation et vous en remercions.

Nous allons maintenant accueillir notre deuxième groupe de témoins. Pour ceux qui viennent de se joindre à nous, nous étudions le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, identité de genre, qui propose d'ajouter les transgenres à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Notre premier témoin à prendre la parole sera M. Susheel Gupta, président du Tribunal canadien des droits de la personne.

Susheel Gupta, président par intérim, Tribunal canadien des droits de la personne : Bonjour, madame la présidente et honorables sénatrices et sénateurs. Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner alors que vous poursuivez votre étude du projet de loi C-279.

Je vous parlerai d'abord du mandat du Tribunal canadien des droits de la personne afin d'étayer la portée de ma présentation. Je vous fournirai par la suite certains renseignements concernant l'envergure de cas liés à l'identité du genre que le tribunal a traités.

Le Tribunal canadien des droits de la personne est l'un des deux organismes administratifs créés en vertu de la Loi canadienne des droits de la personne, la LCDP. L'autre, dont nous vous avons parlé la semaine dernière, est la Commission canadienne des droits de la personne. Le mandat de la commission comporte plusieurs volets, dont une vaste gamme de pouvoirs, de responsabilités et de fonctions. En revanche, le tribunal n'a qu'une seule fonction : le règlement des plaintes. Dans le contexte de la LCDP, le processus de règlement des plaintes constitue une enquête.

Comment ce processus d'enquête fonctionne-t-il? Essentiellement, toute personne qui se croit victime de discrimination au sens de la LCDP peut déposer une plainte auprès de la commission. Si la commission juge qu'une enquête s'impose, elle lance le processus de règlement de plainte en demandant au tribunal de faire enquête. Généralement, la plainte doit porter sur des pratiques discriminatoires énoncées dans la loi. Qu'est-ce qu'un acte discriminatoire au sens de la LCDP? Il existe plusieurs actes et comportements ainsi désignés : refuser l'accès à des services, à des installations ou à l'hébergement; refuser d'employer ou de continuer d'employer une personne; établir une politique ou une pratique qui prive une personne ou un groupe de personnes de possibilités d'emploi; harceler ou établir une distinction illicite en matière d'emploi ou de prestation de services, d'installation ou d'hébergement.

Toutefois, presque tous les actes discriminatoires cités dans la LCDP, doivent être fondés, par définition, sur un des 11 motifs de discrimination illicite. Comme vous le savez, le projet de loi C-279 vise à ajouter un motif illicite à cette liste, soit l'identité de genre. Vous avez certainement entendu le témoignage de plusieurs témoins sur cette modification et vous en entendrez sans doute d'autres. C'est pourquoi je tiens à vous expliquer les raisons pour lesquelles il pourrait s'avérer problématique pour le tribunal de discuter du bien-fondé de ce débat. Lorsqu'il mène une enquête sur une plainte, le tribunal dispose de nombreux pouvoirs qui appartiennent à une cour de justice. Il est habilité à statuer sur des faits, à interpréter et à appliquer la loi aux faits relatifs aux cas qui lui sont soumis et à accorder les redressements appropriés. De plus, les audiences du tribunal sont structurées sensiblement de la même façon que celles d'un procès formel devant une cour de justice. Les parties en présence présentent une preuve, font entendre et contre-interrogent des témoins, et présentent des observations sur la façon dont la loi devrait s'appliquer aux faits.

En raison de ces caractéristiques quasi judiciaires, les membres du tribunal, moi inclus, doivent maintenir un haut niveau d'indépendance par rapport au pouvoir exécutif du gouvernement, notamment par rapport à notre ministère de portefeuille, le ministère de la Justice. De plus, à titre d'organisme essentiellement d'arbitrage dont les pouvoirs et les procédures s'apparentent à ceux d'une cour de justice, le tribunal doit respecter des exigences rigoureuses afin de rester neutre et de ne pas soulever de crainte raisonnable sur l'objectivité de ses décisions. À cet égard, les membres du tribunal doivent demeurer neutres sur les questions qui peuvent ou pourraient être discutées dans des cas où ils pourraient être appelés à rendre une décision. Sinon, les parties des cas actuels et futurs pourraient avoir l'impression que le tribunal penche en faveur d'un certain résultat. Ce principe d'ouverture en matière d'arbitrage est particulièrement pertinent dans le contexte de l'identité de genre et de la LCDP.

Comme je l'ai souligné lors de mon témoignage devant le comité de la Chambre des communes, à ce jour, le tribunal n'a traité que quatre cas liés au transgenre. Il l'a fait dans le cadre légal des motifs illicites, en particulier pour des motifs liés au sexe et à l'invalidité. Toutefois, il n'a jamais eu à décider d'un cas où les parties ont présenté des arguments nettement opposés à la question de savoir si l'identité de genre ou l'expression de genre est protégée par la loi. Dans les quatre cas auxquels je fais référence, aucune partie n'a contesté que ces questions étaient couvertes par la loi.

Cela dit, toute discussion sur l'expérience du tribunal doit se situer dans un contexte plus large, à savoir que le tribunal ne traite que très peu de plaintes de discrimination présentées en vertu de la LCDP, et ce, pour trois raisons. Premièrement, d'autres organismes et comités fédéraux disposent de pouvoirs concomitants en vertu de la LCDP. Deuxièmement, ce ne sont pas toutes les plaintes de discrimination présentées à la commission qui sont renvoyées au tribunal pour enquête. Troisièmement, dans le cadre de son processus de médiation, le tribunal facilite un grand nombre d'ententes à l'amiable, ce qui allège sa charge de travail et ne requiert pas de décision de sa part.

En terminant, j'espère que cette présentation a fourni au comité une explication utile des fonctions et du mandat du tribunal qui l'aidera dans son étude du projet de loi C-279. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Gupta. Nous allons maintenant poursuivre avec Mme Nicole Nussbaum.

N. Nicole Nussbaum, présidente élue, Association canadienne des professionnels de santé pour les transsexuelles : Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je suis avocate et je possède beaucoup d'expérience sur les questions juridiques relatives aux personnes trans. J'ai aussi participé à plusieurs formations et animé des formations sur ces questions. Je suis ici en tant que présidente élue de l'Association canadienne des professionnels de santé pour les transsexuelles. L'ACPST est une organisation professionnelle interdisciplinaire canadienne qui se consacre à la santé des transgenres ou transsexuels ou de ceux dont l'expression de genre ne correspond pas aux attentes des membres du sexe qui leur a été attribué à la naissance. Parmi les professionnels de notre organisation, il y a des médecins de famille, des endocrinologues, des pédiatres, des chirurgiens, des travailleurs sociaux, des psychologues, des psychiatres et des avocats, entre autres, ainsi que des organisations et organismes membres offrant des services de première ligne aux personnes trans un peu partout au pays. En tant qu'organisation, nous sommes conscients du rôle important que jouent les déterminants sociaux de la santé, y compris le revenu, le statut social, les réseaux de soutien social, l'éducation, la littératie et l'emploi.

La semaine dernière, des témoins vous ont parlé de l'omniprésence de la discrimination et des préjudices pour les membres de la collectivité trans. La discrimination, les préjudices et la violence, ainsi que la crainte de faire l'objet de tels actes, entraînent chez les gens des réactions physiques et émotionnelles qui s'accentuent avec le temps. Ces réactions mènent éventuellement à des problèmes de santé physique et mentale. Le mois dernier, à la suite d'une révision qui a duré 14 ans, l'American Psychiatric Association, dans son rapport intituléaDiagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, le DSM-5, a remplacé le diagnostic « trouble d'identité de genre » par « dysphorie sexuelle », qui se définit comme un inconfort ou une détresse causés par un écart entre l'identité de genre d'une personne et le sexe qui lui a été assigné à la naissance. Les normes de diligence de l'AMPST offrent des lignes directrices en matière de traitement qui visent à valider le genre fixe d'une personne, à la soutenir dans sa vie selon son genre fixe et à lui offrir tout traitement médical individualisé nécessaire pour soulager sa dysphorie de genre.

En 2012, la Société canadienne de psychologie a affirmé que tous les adolescents et adultes ont le droit de définir leur propre identité de genre, y compris le droit de s'exprimer selon l'identité de genre qu'ils ont choisi. La Société canadienne de psychologie s'oppose à la discrimination fondée sur l'auto-identification de genre, ou l'expression de genre, dans le respect de tous les droits de la personne fondamentaux.

Le projet de loi C-279 définit correctement l'identité de genre comme étant un motif illicite de discrimination et offre une définition large et pertinente de l'identité de genre.

Cette définition est conforme à la façon dont l'identité de genre est reconnue ailleurs dans le monde et à la définition de l'Association des psychiatres du Canada, de la Société canadienne de psychologie, de l'Association médicale canadienne et de leurs équivalents américains. L'identité de genre est reconnue sensiblement de la même façon dans le DSM et le CIM, le système de classification médical de l'Organisation mondiale de la Santé. Le terme « identité de genre » est utilisé dans les lois de nombreux autres pays.

En ce qui a trait aux dispositions de ce projet de loi, la nécessité de protéger les personnes trans a été officiellement reconnue il y a 13 ans dans un rapport du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, sous la présidence de l'ancien juge de la Cour suprême, Gérard Vincent La Forest. Selon le comité, si les lois ne sont pas modifiées, la situation des personnes trans ne sera pas reconnue et leurs problèmes resteront dans l'ombre.

Depuis la publication de ce rapport, le projet de loi a été présenté plusieurs fois à la Chambre des communes et adopté à deux reprises. Les Territoires-du-Nord-Ouest, en 2002, ainsi que l'Ontario, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse ont adopté, avec l'appui de tous les partis, des amendements à leurs lois sur les droits de la personne pour y inclure l'identité ou l'expression de genre. En Ontario, le projet de loi a été coparrainé par Cheri DiNovo, députée provinciale néodémocrate, Yasi Naqvi, député provincial libéral, et Christine Elliot, députée provinciale conservatrice.

Au cours des dernières années, d'autres pays, dont le Royaume-Uni, l'Espagne, le Portugal, l'Argentine et la Nouvelle-Zélande, ont adopté des lois reconnaissant les droits et l'identité des personnes trans et annulé certaines exigences relatives à l'obtention d'une pièce d'identité officielle affichant le sexe ou genre de la personne selon son choix. Les mesures visant à offrir ces protections se multiplient très rapidement. Par exemple, il y a à peine quelques semaines, l'Albanie a adopté une loi contre les crimes haineux tient compte de l'identité de genre. L'adoption de mesures inclusives pour les personnes trans ne se limite pas au secteur public. De plus en plus de gens sont sensibles au besoin de protéger les personnes trans dans les secteurs corporatif et de la main-d'œuvre. Il est clair que nous avons atteint un seuil critique et l'adoption de telles protections explicites dans les provinces et territoires est presque inévitable.

En tant qu'organisation, nous sommes souvent les premiers à informer nos clients des mesures dont ils bénéficient pour la protection de leurs droits. Ce projet de loi sera aussi utile aux fournisseurs de services et aux employeurs, car il rendra ces protections visibles au vu de la loi. La Commission canadienne des droits de la personne publiera des lignes directrices sur la conformité qui aideront les fournisseurs de services et employeurs à comprendre leurs obligations. En fin de compte, ce projet de loi vise à accroître la capacité des personnes trans à obtenir un emploi et à le conserver, à avoir accès à des services et à des logements d'urgence et permanents, et à enrayer la violence dont nous sommes particulièrement et sévèrement victimes. J'appuie ce projet de loi. J'ai confiance au projet de loi C-279.

La présidente : Accueillons maintenant Mme Sara Davis Buechner, professeure agrégée de musique à l'Université de la Colombie-Britannique.

Sara Davis Buechner, professeure agrégée de musique, Université de la Colombie-Britannique : Merci, madame la présidente, sénatrices et sénateurs. C'est avec honneur que je m'adresse à vous aujourd'hui. Je suis désolée de ne pas pouvoir être sur place. Je vous remercie de votre temps et de votre attention.

Je suis une pianiste américaine de concert classique. Depuis 2003, j'enseigne la musique à l'Université de la Colombie-Britrannique, à Vancouver. Je voyage beaucoup en Amérique du Nord et en Asie pour donner des concerts lorsque je ne suis pas à Vancouver pour enseigner à une classe d'environ 15 pianistes en devenir de calibre mondial. Après avoir obtenu mon diplôme de la Juilliard School, en 1984, j'ai connu d'excellents débuts à New York. En 1986, j'ai été le grand gagnant américain du concours international Tchaikovsky, à Moscou. J'ai reçu une très belle lettre de félicitations du président Ronald Reagan à l'époque. Quelques années plus tard, j'ai aussi joué pour le président Clinton et Mme Clinton. J'ai également joué en tant que soliste avec de nombreux orchestres de renommée mondiale, dont ceux de Toronto et de Vancouver. Je suis ici, aujourd'hui, pour vous raconter mon histoire.

À 37 ans, après une vie de questionnement, de peur et de recherche de soins médicaux pour ma détresse, j'ai reçu un diagnostic de dysphorie de genre et j'ai entrepris une transition vers mon vrai genre, celui de femme. Mes habiletés de pianiste sont demeurées les mêmes, mais tout à coup, mon calendrier est passé de 50 concerts par année à deux ou trois, et le conservatoire de New York, où j'étais un professeur populaire, a décidé qu'il n'avait plus besoin de moi. Avec très peu de moyens pour gagner ma vie, j'ai accepté un emploi de professeure pour de jeunes enfants dans une école de musique du nord de l'État de New York pour environ 600 $ par mois. Je me comptais chanceuse, puisque la plupart de mes amis transgenres étaient sans emploi. Certaines étaient sans-abri.

Au cours des années où j'ai changé de sexe, mon apparence extérieure a évidemment changé, et j'ai appris à endurer le fréquent harcèlement verbal et, occasionnellement, physique qui faisait partie du prix à payer pour ma quête d'intégrité, même dans une ville aussi vaste et cosmopolite que New York. J'ai été victime d'une tentative de viol de la part d'une connaissance qui présumait que puisque j'étais transsexuelle, je devais être une travailleuse du sexe. Je n'ai pas pris la peine de le signaler à la police, ayant déjà entendu de nombreuses histoires selon lesquelles la police harcelait les transsexuels également. J'ai présumé que les agents penseraient que j'avais ce que je méritais. Quand j'ai présenté une demande de changement de nom à la cour du comté de Manhattan, on m'a pointée du doigt, on a ri de moi et on m'a refusé le droit juridique de changer de nom, une démarche que j'ai ultérieurement reprise dans un autre comté.

Il y a 10 ans, ayant épuisé toutes mes économies personnelles, je me suis considérée extrêmement chanceuse de décrocher un poste au département de piano de l'Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. C'est, de toutes les entrevues d'emploi que j'ai passées à l'époque, la seule au cours de laquelle on ne m'a pas interrogée directement sur mon changement de sexe, mon statut matrimonial ou ma moralité personnelle. Évidemment, ce sont des questions illégales que les employeurs ne sont pas censés poser. Je n'étais toutefois pas en position de les confronter au sujet du traitement qu'ils me faisaient subir.

J'ai vécu 10 ans à Vancouver avec mon conjoint japonais Kayoko, que je ne pouvais épouser légalement aux États- Unis. On nous rappelle notre statut de citoyens de second ordre chaque fois que nous traversons la frontière, parce que les agents frontaliers américains nous font toujours attendre dans les lignes différentes et nous disent que nous ne sommes pas mariés.

Je peux laisser d'autres témoins qui sont plus au fait des statistiques le soin de vous parler du nombre de gens qui font l'objet de harcèlement, de discrimination ou de violence, sont victimes de meurtre ou se suicident. Sur YouTube, on peut visionner quelques vidéos dégoûtantes de transgenres qui se font presque battre à mort dans des toilettes publiques par des bigots à qui leur apparence déplaît et décident de se faire l'instrument de la justice morale.

Je sais que les Canadiens souhaitent que tous puissent jouir d'un degré supérieur de justice. Le projet de loi C-279 assure la protection des gens comme moi, qui ont des besoins quant à leur identité de genre, qui commencent la transition, qui sont au milieu de la transition ou qui, comme moi, ont terminé cette transition et qui veulent tout simplement vivre leur vie sans crainte et sans qu'on leur fasse du mal parce qu'ils sont ce qu'ils sont.

Nos besoins ne sont pas un caprice, un choix passager ou quelque chose qu'on peut tout simplement ignorer. Pour les transsexuels, les questions d'identité sont une affaire de vie ou de mort, et ils veulent vivre ouvertement, honnêtement et librement sans craindre les préjugés, la malveillance ou, pire encore, la violence. Nous ne voulons ni ne méritons de droits supplémentaires. Nous avons besoin des mêmes droits que nos frères et sœurs canadiens de toutes races, religions, dénominations et identités. Je parle de tout cela forte de l'expérience personnelle de celle qui a vécu et changé de sexe dans un pays où ces droits ne sont pas protégés, où on m'a refusé un logement sans explication, où on m'a congédiée sans que je puisse obtenir de dédommagement, où on m'a injuriée sur la rue, où j'avais peur d'emprunter l'autobus ou le métro, et où je ne bénéficiais pas de droits ou de recours juridiques égaux.

Aujourd'hui, cependant, je suis heureuse et j'ai confiance que mes concitoyens canadiens comprendront qu'il est important et nécessaire d'adopter le projet de loi C-279 pour nous aider tous à vivre dans la sécurité, l'égalité et le bonheur. Je vous remercie tous beaucoup de m'avoir écoutée.

La présidente : Je vous remercie d'avoir pris le temps de témoigner. Vous avez certainement permis au comité de comprendre la réalité de la question, et je vous remercie de nous avoir fait part de ce que vous avez vécu.

Monsieur Gupta, nous avons reçu de nombreux messages des Canadiens, qui ont notamment fait remarquer que les associations sportives doivent adopter les nouvelles réalités. Comment cette modification s'inscrit-elle dans ce cadre? Comment les associations et les équipes sportives s'adapteront-elles à la réalité des transsexuels et aux répercussions du projet de loi? C'est une question que bien des gens ont posée dans leurs messages; je vous la pose donc.

M. Gupta : Je ne suis pas certain que les associations sportives soient assujetties à la Loi sur les droits de la personne, car j'ignore si elles sont sous réglementation fédérale. Selon la Loi canadienne des droits de la personne, le tribunal s'occupe des employeurs fédéraux et des industries sous réglementation fédérale, comme celles de l'aviation, des télécommunications et des banques.

La présidente : Je vous interromprai ici, car le temps nous est compté.

La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à vous, monsieur Gupta. Vous n'avez pas été saisis d'un grand nombre de cas ayant trait à l'identité de genre. Si le présent projet de loi était adopté et que l'identité de genre s'ajoutait aux motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne des droits de la personne, croyez-vous que le nombre de cas augmenterait? Considérez-vous qu'un plus grand nombre de gens se manifesteraient?

M. Gupta : Nous ne tenons pas de statistiques sur nos dossiers, car nous sommes un tribunal ou une cour. Tout ce que je puis dire, c'est que depuis que le Parlement a confié au tribunal le rôle exclusif de trancher, il y a eu quatre cas où il a été clairement déterminé que les problèmes étaient couverts par la loi. Pour dire la vérité, je ne peux prédire si le nombre de cas augmentera.

Mme Nussbaum : Selon moi, il pourrait se produire une fluctuation du nombre d'affaires présentées au tribunal. Cependant, le fait que les droits soient explicitement protégés dans la loi indiquera clairement que les questions courantes de discrimination en matière d'emploi, d'accès aux services ou d'autre chose sont réglées une fois pour toutes; il sera donc moins nécessaire d'entamer des procédures.

À mesure que l'acceptation des droits de la personne progresse dans la société, les affaires dont le tribunal est saisi concernent des questions périphériques à la portée de la loi. Il pourrait continuer d'y avoir des litiges concernant des questions périphériques touchant non seulement ce motif, mais aussi tous les autres, qui entrent en concurrence avec d'autres intérêts et d'autres droits.

Récemment, la Commission des droits de la personne de l'Ontario a instauré une politique sur les droits concurrents; je crois donc que les affaires qui se retrouveront en cour se situeront dans la zone périphérique. Les affaires relatives à la protection des gens ayant des problèmes relatifs à l'emploi ou à l'accès aux services de base seront résolues grâce à la politique ou bien plus tôt.

La sénatrice Ataullahjan : Les Nations Unies ont-elles accepté que l'identité de genre constitue un droit de la personne légitime?

Mme Nussbaum : Mon expertise se limite au droit de l'Ontario.

M. Gupta : La mienne concerne en fait la loi.

La sénatrice Andreychuk : Merci. Monsieur Gupta, je veux obtenir un éclaircissement. Vous avez indiqué, avec justesse, que c'est par suite d'une décision du Parlement ou des instances politiques que des groupes ou des entités ont été ajoutés au mandat de la commission.

Vous avez indiqué que votre mandat vous autorise à interpréter les cas de discrimination et que vous avez été saisis d'affaires d'identité de genre par le passé; est-ce le cas?

M. Gupta : Oui. À quatre reprises, la commission a entendu des affaires concernant des questions relatives aux transgenres ou aux transsexuels, affaires qui ont été renvoyées au tribunal aux fins d'enquête ou de procès, si l'on peut dire. La dernière affaire remonte à 2009. Dans ces quatre dossiers, on a statué qu'il était question d'identité de genre en invoquant les motifs relatifs au handicap ou au sexe.

J'ajouterai toutefois qu'il se peut que d'autres affaires aient été soumises au tribunal, mais que ce dernier offre des processus de médiation dans le cadre de son mandat. La médiation a donc peut-être résolu des cas en permettant aux parties de s'entendre. Chose certaine, le tribunal a publié quatre décisions en vertu de la loi — dont deux ont été confirmées par la Cour fédérale — concernant ces questions.

La sénatrice Andreychuk : J'ai une question supplémentaire, alors. Essentiellement, les gens s'adressent à vous, alléguant avoir fait l'objet de discrimination; c'est une situation dont vous éclaircissez les faits. Est-ce ainsi que les choses se passent?

M. Gupta : Ils feraient appel à la commission, qui mènerait une enquête. Vous avez entendu M. Langtry, commissaire par intérim de la Commission des droits de la personne. Si on ne peut résoudre la question ou qu'on croit qu'il convient d'aller plus loin, on nous renverra l'affaire pour que nous fassions une enquête, qui est une sorte de procès. Les deux parties présentent des preuves et font comparaître des témoins, sur lesquels nous nous appuyons pour rendre un jugement et une décision.

La sénatrice Cordy : Mme Davis Buechner, votre histoire était fascinante. J'ai trouvé incroyable de vous entendre nous raconter votre vécu et comment la vie d'une personne peut changer, non pas en raison de ce qu'elle a fait, mais du regard que les autres posent sur elle. Cette histoire pousse à agir. J'espère que vous écrivez un livre à ce sujet, à moins que vous ne l'ayez déjà fait?

Mme Davis Buechner : Ce qui était un peu particulier dans mon histoire de changement de sexe, c'est que j'étais une animatrice ou une figure publique; je ne pouvais donc pas disparaître ou commencer une nouvelle vie. Je crois que bien des transsexuels, quand ils sont confrontés au harcèlement ou à la discrimination auxquels j'ai dû faire face, plient tout simplement bagage et vont refaire leur vie ailleurs. Je ne voulais pas le faire, et, évidemment, personne ne devrait avoir à faire une chose pareille. Mais il est tout de même curieux que j'aie fini par faire mes valises et par m'installer dans un endroit plus agréable. L'histoire a un dénouement heureux.

La sénatrice Cordy : Merci; nous sommes enchantés que vous l'ayez fait.

Mme Nussbaum, j'ai trouvé intéressant que vous proposiez d'étudier les déterminants sociaux de la santé, car on ne peut tout simplement étudier isolément les facettes de la santé humaine; il faut examiner l'ensemble des facteurs qui contribuent à la bonne santé physique et mentale des gens. J'ai trouvé l'idée brillante. Si le projet de loi est adopté, considérez-vous qu'il aidera les gens, particulièrement en favorisant la santé mentale de ceux qui sont victimes de discrimination au sein de la communauté?

Mme Nussbaum : Peut-être les aidera-t-il si les transsexuels et les gens non conformes aux normes sexuelles voient que la loi tient compte de leur réalité et se sentent acceptés par le Parlement et les citoyens canadiens. Le fait de se sentir ainsi le bienvenu améliore la santé mentale.

Il faut également tenir compte du stress de la minorité, qui fait que ceux qui font partie de communautés en situation minoritaire vivent des expériences particulières de violence, de harcèlement ou de discrimination dans leur vie quotidienne et en subissent de plus en plus les répercussions sur leur santé physique et mentale. Toutes les communautés en situation minoritaire sont aux prises avec ce problème, qui revêt toutefois une forme de discrimination ou de harcèlement différente pour chacune.

Dans la mesure où le projet de loi, une fois adopté, permet d'atténuer la discrimination, le harcèlement et la violence auxquels les transsexuels sont soumis, il aura certainement une incidence sur la santé mentale des transgenres canadiens.

Le sénateur Munson : C'est probablement ma question. Nous examinons le projet de loi C-279, et j'ignore qui répondra à la question suivante, qui est, en fait, plus un énoncé sur l'intimidation et le suicide. Nous avons lu énormément d'articles écrits par des enseignants d'élèves qui se sont suicidés. Comment pouvons-nous tendre la main aux jeunes? Nous avons entendu quelque chose au sujet de l'accès aux services, mais qu'est-ce que cela signifie pour un jeune de 14 ou de 15 ans qui écoute peut-être la présente séance? Ils assistent à toutes ces discussions et apprennent qu'on peut s'adresser à un tribunal, mais au fond d'eux-mêmes, ils souffrent et ils ne savent pas à qui parler; ils ne peuvent même pas parler à leur mère ou à leur père.

Que devons-nous faire d'autre? À mon avis, le présent projet de loi n'est qu'un début.

Mme Nussbaum : Ce n'est effectivement qu'un début, mais c'est un premier pas important. J'ai pris la parole récemment lors d'une réunion de parents de jeunes transsexuels. Ce qui les inquiète beaucoup, c'est que les jeunes transsexuels ou GLBT soient confrontés à la souffrance, à la violence et à la discrimination au cours de leur vie. L'acceptation des parents dépend du fait qu'ils appuieront ou non quelque chose qui, selon eux, sera difficile à vivre pour leur enfant.

L'adoption de ce projet de loi constitue une assurance pour ces parents qui essaient d'accepter et d'appuyer adéquatement leurs enfants, et les jeunes qui luttent pour s'en sortir. Cette mesure les aide certainement à offrir du soutien et à constater que leurs enfants seront acceptés. Il en va de même pour les familles et les communautés également.

La présidente : Mme Davis Buechner, voulez-vous ajouter un commentaire?

Mme Davis Buechner : L'ouverture et le fait qu'il soit de connaissance courante que la transsexualité n'a rien de honteux sont très importants. Je n'ai pas reçu ce message quand j'étais jeune et il m'a fallu des décennies avant d'obtenir l'information dont j'avais besoin. Je crois que la société évolue énormément de bien des manières importantes et merveilleuses. Certains étudiants de l'Université de la Colombie-Britannique ont changé de sexe au milieu ou à la fin de l'adolescence, chose dont on n'entendait pas parler quand j'étais enfant.

Je crois que l'information se répand. Internet constitue une ressource formidable qui n'existait pas quand j'étais plus jeune. Au final, tout comme l'adoption de lois sur le mariage au pays a permis aux gais et aux lesbiennes d'être beaucoup mieux acceptés, il est, selon moi, terriblement important de savoir qu'on peut changer de sexe en toute sécurité. Comme Mme Nussbaum l'a indiqué, c'est effectivement un premier pas, mais c'est peut-être le plus important pas de tous, à mon avis.

La sénatrice Hubley : Merci beaucoup. Dans la même veine, quelles avenues s'offrent à vous sur le plan de l'éducation? Avez-vous eu l'occasion de vous pencher sur le système d'éducation actuellement en place? Où et quand devrait-on communiquer l'information, et est-ce que cette avenue existe ou pas aujourd'hui? Je pense aussi aux communautés éloignées qui n'ont peut-être pas d'organisations auxquelles elles peuvent s'adresser pour obtenir du soutien. Quel est le champ d'action de votre Association canadienne des professionnels de santé pour les transsexuelles? Je ne suis pas certaine que je voudrais me charger de la question. L'éducation constituerait le principal objet de ma question.

Mme Nussbaum : Parlons-nous d'éducation dans les écoles?

La sénatrice Hubley : Oui.

Mme Nussbaum : À London, en Ontario, et à Toronto, le Toronto District School Board et le Thames Valley District School Board ont instauré à l'intention des élèves des mesures de protection englobant l'identité de genre. Ces politiques ne peuvent qu'aider les jeunes transsexuels et informer tous les jeunes au sujet de la diversité quand ils sont confrontés à la situation.

L'adoption d'un projet de loi comme celui-ci servira d'encouragement. Nous sommes à un point tournant. Quand ce projet de loi sera promulgué, les autres provinces et territoires adopteront probablement des lois semblables. Ces mesures de protection se répandront graduellement dans tous les systèmes, ce qui permettra à l'éducation de s'effectuer structurellement.

La présidente : Mme Davis Buechner, voudriez-vous ajouter une observation à ce sujet?

Mme Davis Buechner : L'éducation constitue à mon avis l'aspect le plus important. Dans les écoles, les enseignants devraient être à l'affût des situations de harcèlement et d'intimidation qui peuvent survenir pour de nombreuses raisons, certainement pas seulement à cause de l'identité de genre, bien entendu. Je suis certaine que ce sont des situations auxquelles Mme Nussbaum, moi-même et tous les transsexuels ont été confrontés au cours de leur enfance. Nous dépendons des enseignants, qui doivent garder l'œil ouvert et porter attention à ces situations. Ils doivent en outre être sensibilisés aux questions de diversité.

Pour ce qui est des personnes transgenres, il nous faut des services éducatifs dans diverses cliniques et chez d'autres fournisseurs de services. Par exemple, ici, à Vancouver, je fréquente une clinique bien connue pour les soins de santé prodigués aux personnes transgenres. J'en suis très reconnaissante. Je pense que c'est encore très rare aux États-Unis.

Ce sont dans tous les cas d'excellents endroits pour faire de l'éducation. Qui peut répondre facilement à une telle question? C'est énorme, bien sûr. Cependant, en adoptant ce projet de loi, vous ouvrez l'esprit de bien des gens qui trouveront ça intéressant, plutôt que de dire : « Ça, c'est étrange. Je ne veux pas l'entendre. Laissez-moi tranquille. »

Le sénateur White : Merci beaucoup. Je m'excuse de mon retard. J'étais pris avec le sénateur Mitchell à la séance d'un autre comité.

Je suis sensible à l'importance du dialogue sur l'éducation. L'identité de genre devrait faire partie de notre système d'éducation général. Je pense que ce serait utile pour tous.

Si vous me le permettez — probablement pour le sénateur Mitchell, parce qu'il est intervenu là-dedans —, il est question de la reconnaissance, pour les Canadiens, et de l'éclaircissement de ce point avant tout.

En tant que chef de police à Durham, puis ici, à Ottawa, j'ai vu de nombreux cas liés à des personnes transgenres. Je pense que nous comprenons qu'il s'agit d'éclaircir les choses, de les reconnaître. Est-ce ainsi que vous voyez cela aussi, sénateur?

L'honorable Grant Mitchell, parrain du projet de loi au Sénat : Oui. Je suis d'accord...

Le sénateur White : Vous n'avez pas fait de présentation? Je suis désolé. Aucune marge de manœuvre.

Le sénateur Mitchell : Ce n'est pas grave.

Le sénateur White : Je vais poser cette question quand il conviendra de le faire.

La présidente : Le comité directeur a déterminé que nous écouterons le sénateur Mitchell pendant 10 minutes, que nous ferons une pause, puis que nous ferons l'étude article par article.

La sénatrice Andreychuk : Allez-vous laisser partir les autres témoins?

La présidente : Ils peuvent rester.

Sénateur Mitchell?

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. Compte tenu des commentaires positifs que j'ai entendus, j'ai presque peur d'ajouter quoi que ce soit, car je pense que nous sommes sur la bonne voie. Je vais être prudent.

Je vais tout d'abord remercier le comité pour le travail diligent, équilibré et minutieux qu'il a accompli concernant ce projet de loi. Je félicite la présidente et le comité directeur pour leur examen qui a mené à un groupe très équilibré de témoins. Je pense que cela montre exactement à quel point le Sénat peut travailler efficacement à des questions très importantes et parfois difficiles.

J'aimerais aussi souligner la contribution de Randall Garrison, le député du NPD qui a proposé et présenté ce projet de loi. Je ne sais pas s'il est dans la pièce, mais il a merveilleusement bien fait cheminer son projet de loi à l'autre Chambre. Il convient de souligner que tous les partis ont conjugué leurs efforts. Les partis de l'opposition ont tous voté pour ce projet de loi et, en plus, 18 députés conservateurs, dont quatre ministres, ont voté pour le projet de loi. Encore une fois, cela démontre comment la procédure parlementaire peut se placer au-dessus de la partisanerie, quand il s'agit de prendre des décisions difficiles et importantes.

Je remercie aussi les membres de la communauté transgenre pour le travail énorme qu'ils accomplissent, et pour le courage incroyable dont ils font preuve depuis de nombreuses années, compte tenu des problèmes qu'ils rencontrent jour après jour. C'est très difficile. Je remercie particulièrement de nombreux membres de cette communauté, et les membres de l'Association du Barreau canadien, Nicole Nussbaum — et son partenaire — qui m'a conseillé et m'a aidé à comprendre, avec intensité, l'importance de ce projet de loi et de son effet sur la vie de bien des gens, les personnes transgenres, leurs familles, amis et collègues; chacun de nous entre dans une de ces catégories, que nous le sachions ou pas.

Quand on m'a demandé de travailler à ce projet de loi et d'en être le parrain libéral, j'ai été frappé par toute son importance et par les raisons qui le justifiaient. Vous avez entendu de formidables témoignages sur le degré de discrimination que les personnes transgenres visées par ce projet de loi subissent au quotidien. À force de discuter avec les gens de cette communauté, j'en suis venu à comprendre l'intensité de cela, à quel point c'est perturbant et effrayant. Vous avez entendu les statistiques; vous avez vu, aujourd'hui et au cours des séances antérieures, des personnes qui font partie de la communauté — toutes statistiques mises à part —, et vous avez constaté toute la puissance de leurs exposés.

Je trouve ahurissantes les statistiques sur la discrimination subie sur les plans de l'économie, du logement et de la santé, ainsi que sur l'intimidation, le harcèlement et la violence intense que des gens vivent en raison de leur identité de genre. C'est véritablement ce qui motive ce projet de loi : nous pouvons concrètement aider des gens — des amis, des parents et des collègues, et des personnes qui ne savent pas. Les Canadiens se préoccupent typiquement de la communauté, et ce, de diverses manières et à divers degrés.

Je veux signaler brièvement les arguments contraires que le projet de loi a suscités et préciser qu'ils ont été bien pesés. Ils dénotent certaines préoccupations, mais je pense que les débats et les témoignages y ont répondu. Il y a certainement la définition. On affirme que la définition est très subjective et très personnelle. Par définition, il le faut. Cette définition doit l'être. D'autres éléments protégés en vertu des droits de la personne sont tout aussi personnels : c'est le cas de la religion.

Ce qui est important dans de tels cas et dans bien des procédures judiciaires, c'est que les tribunaux sont constamment saisis d'affaires très personnelles et subjectives. En réalité, l'état d'esprit est au cœur du droit criminel. Je ne suis pas un avocat, mais nous savons que les tribunaux doivent toujours déterminer s'il est question d'accident ou d'intention. C'est crucial.

En ce qui concerne les définitions, en réalité, cette définition a été débattue avec passion par l'autre côté. Des amendements ont été adoptés de sorte que tous les partis appuient davantage le projet de loi. Je pense que la question de la définition a été résolue et, en fait, qu'elle assure une plus grande spécificité, car, en ce moment, on le fait dans d'autres mesures législatives, ailleurs au pays; on travaille à relier tout cela. Ce sera en fait plus précis et plus resserré.

Il y a aussi la question très désobligeante de l'usage des salles de toilette. De toute évidence, partout où l'identité de genre est protégée par la loi — et il y a certainement des cas aux États-Unis et ailleurs au Canada —, jamais rien de fâcheux n'a été signalé, et personne n'a jamais utilisé ce genre de défense en cour.

Les tribunaux sont tout à fait équipés, et ils sont expérimentés dans ce qui représente ou non un comportement convenable. En fin de compte, si nous n'adoptions pas ce projet de loi parce que nous craignons que quelqu'un qui se comporterait mal à l'avenir en profite, même si cela ne s'est jamais produit avant, nous tiendrions une communauté entière en otage à cause de ce que quelqu'un d'autre pourrait faire de mal. Nous ne faisons tout simplement pas cela dans notre système judiciaire et dans notre société. Nous nous élevons toujours au-dessus de cela. Il n'y a aucun inconvénient à cela. Il n'y a que des avantages : protéger des gens qui en ont besoin, dont les vies sont gravement diminuées, dont le bien-être physique et psychologique est attaqué, souvent brutalement, de façons très difficiles à imaginer. Nous pouvons aider ces gens.

J'aimerais souligner ce qui était implicite dans la question du sénateur White : c'est en grande partie une question de définition, de validation et de reconnaissance. On dit aux personnes transgenres qu'elles sont reconnues; on comprend leur sort, ainsi que leur potentiel au sein de la société, et on les soutient.

On éduque aussi les Canadiens et la société. La discrimination est en partie attribuable à l'ignorance et à l'incompréhension. Grâce à cela, il y a une reconnaissance. C'est puissant quand c'est inclus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et de façon plus pointue dans le Code criminel. Je tiens à le souligner : tout le monde y gagne.

En tant que sénateur, je pourrais signaler que certains objectifs sont entrés en jeu, au moment de la conception du Sénat, dont les deux suivants en particulier : protéger les droits des régions et protéger les droits des minorités. Il s'agit bien ici des droits d'une minorité qu'il faut protéger. Ils sont manifestement minoritaires, mais sur le plan des nombres et en ce qui concerne la discrimination et les traitements qu'ils subissent, ils sont indéniablement traités comme une minorité. Il incombe au Sénat — nous sommes là pour cette raison, entre autres, mais c'est une raison très importante — de protéger les droits des minorités.

Je vais conclure en disant que les Canadiens savent faire la bonne chose. On dirait que c'est ce que nous faisons. Souvent, il nous faut beaucoup de temps pour prendre la bonne décision dans certains cas, mais nous y arrivons. Les Canadiens vont finir par offrir ce genre de protection. Alors, pourquoi ne pas accélérer les choses, le faire maintenant, franchir la troisième lecture et mettre le projet de loi aux voix? Peut-être que les membres du comité — et je sais que ce sera le cas de bon nombre d'entre vous — vont soutenir les efforts déployés pour convaincre encore plus de sénateurs d'adopter ce projet de loi en troisième lecture, pour ensuite partir en juin après avoir accompli une chose vraiment importante, vraiment formidable, qui changera la vie de certains Canadiens.

La présidente : Je vous remercie de votre exposé en tant que parrain de ce projet de loi.

Je remercie M. Gupta. Il était très difficile pour lui de venir aujourd'hui, mais il a déployé des efforts particuliers pour être là. Je vous en remercie, monsieur Gupta.

Mme Nussbaum, nous apprécions votre exposé. Madame Davis Buechner, vous avez été la dernière du groupe de témoins précédent à témoigner. Nous allons tous penser à ce que vous avez dit.

Je vous remercie encore.

Est-ce que quelqu'un peut proposer que nous entamions l'étude article par article du projet de loi?

La sénatrice Cordy : J'en fais la proposition.

La présidente : Est-il convenu de faire l'étude article par article du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre)?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le titre est-il réservé?

Des voix : Oui.

La présidente : D'accord.

L'article 1 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord.

L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord.

L'article 3 est-il adopté?

Le sénateur Ngo : Avec dissidence.

La présidente : Sénateur, je suis peut-être allée trop vite. L'article 1 est-il adopté avec dissidence aussi?

L'article 2 est adopté avec dissidence.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord.

L'article 4?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord.

L'article 5?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Ngo : Avec dissidence.

La présidente : Avec dissidence.

Est-ce qu'il y aura des observations?

La sénatrice Andreychuk : Non.

La présidente : Puis-je faire rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

La présidente : Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci pour votre travail et votre collaboration.

(La séance est levée.)


Haut de page