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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 14 - Témoignages du 15 avril 2013


OTTAWA, le lundi 15 avril 2013

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour l'élection de la présidence, puis pour l'étude, en vue d'en faire rapport, des politiques, des pratiques, des circonstances et des capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense.

[Traduction]

Josée Thérien, greffière du comité: Honorables sénateurs, le poste de président du comité est vacant. À titre de greffière du comité, j'ai le devoir de présider à l'élection de la nouvelle présidence, et je suis prête à recevoir une motion en ce sens.

Le sénateur Dallaire: Je propose que l'honorable sénateur Lang assume la présidence du comité.

Le sénateur Mitchell: J'appuie cette motion.

MmeThérien: Il est proposé par l'honorable sénateur Dallaire que l'honorable sénateur Lang assume la présidence du comité. Vous plaît-il, mesdames et messieurs les sénateurs, d'adopter cette motion?

Des voix: D'accord.

MmeThérien: Adopté.

J'invite l'honorable sénateur Lang à prendre place au fauteuil.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

Le président: Je vous remercie infiniment. Pour reconstituer le comité, je demanderais la nomination d'un troisième membre au comité de direction.

Le sénateur Nolin: Je propose que le Sous-comité du programme et de la procédure se compose du président, de la vice-présidente et de l'honorable sénateur Plett. Êtes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Il y a une autre chose que nous devons faire aujourd'hui, c'est-à-dire nommer un nouveau membre au Sous-comité des anciens combattants. Quelqu'un a-t-il une motion à proposer en ce sens?

Le sénateur Dallaire: Je propose que l'honorable sénateur Lang soit membre du Sous-comité des anciens combattants.

Le président: Des questions? Êtes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Le sénateur Dallaire: Bienvenue au sous-comité.

Le président: Merci.

Avant d'écouter les témoins, j'aimerais exprimer ma reconnaissance aux membres du comité pour la confiance qu'ils m'accordent. C'est un honneur pour moi d'être le premier membre des territoires nordiques du Canada à être élu président de ce comité permanent, qui a toujours été important.

Je compte bien poursuivre l'héritage des présidents précédents pour défendre avec vigueur notre armée, nos anciens combattants, nos femmes et nos hommes qui portent l'uniforme canadien ainsi que leurs familles, dont la contribution est inestimable en temps de guerre comme en temps de paix. Je sais également que les membres du comité vont être d'accord avec moi pour que la sécurité nationale demeure la priorité ultime de ce comité.

J'aimerais également souligner la nomination récente de l'honorable sénateur Dennis Patterson, du Nunavut, à notre comité.

Le sénateur Patterson: Je suis content d'être de retour parmi vous. J'ai hâte de travailler avec vous.

Le président: Bienvenue, sénateur Patterson.

Enfin, au nom du comité, j'aimerais présenter nos remerciements à la sénatrice Wallin, ancienne présidente, pour son engagement, sa contribution et son leadership.

Mesdames et messieurs, nous allons continuer aujourd'hui notre étude, afin d'en faire rapport, sur les politiques du Canada en matière de sécurité nationale et de défense. Aujourd'hui, une force opérationnelle des Forces armées canadiennes composée de 160 militaires de partout au Canada a terminé sa mission à Keflavik, en Islande, dans le cadre de l'opération Ignition, qui a été menée à l'aide de six CF-18 Hornet de Bagotville, au Québec, et d'un avion ravitailleur CC-150 Polaris de Trenton, en Ontario. Ce déploiement visant à patrouiller l'espace aérien de l'Islande était le deuxième déploiement d'une initiative périodique des Forces armées canadiennes en appui de la mission de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Au nom du comité, j'aimerais féliciter et remercier tout spécialement les membres de cette force opérationnelle, ainsi que le lieutenant-colonel Darcy Molstad, commandant de la force opérationnelle pour l'opération Ignition 2013.

L'engagement du Canada envers l'OTAN demeure fort. Cependant, l'OTAN devra composer avec le fait que bon nombre de ses membres prévoient de réduire considérablement leurs dépenses militaires, si ce n'est déjà fait. Dans certains cas, les compressions ne sont pas sans rappeler l'expérience du Canada vers la moitié des années 1990. À une époque où le monde devient de plus en plus dangereux et où l'OTAN est appelée à jouer un rôle de plus en plus important, beaucoup craignent que les compressions prévues ne limitent l'aptitude de l'OTAN à assumer ses responsabilités en Europe, en Afrique du Nord et ailleurs dans le monde.

Nous recevons aujourd'hui Stuart E. Johnson, analyste principal des politiques, et John Gordon IV, analyste principal des politiques à la RAND Corporation, qui sont ici pour nous entretenir de l'OTAN et du défi de l'austérité, pour reprendre le titre de leur rapport. Je présume que M.Johnson et M.Gordon nous entendent.

Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Nous sommes heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui par vidéoconférence. Je crois que M.Gordon a préparé une déclaration préliminaire. La parole est à vous.

John Gordon IV, analyste principal des politiques, RAND Corporation: Je vais laisser mon collègue briser la glace, après quoi je vais prendre la parole à mon tour, si vous me le permettez.

Le président: Allez-y.

Stuart E. Johnson, analyste principal des politiques, RAND Corporation: Mon collègue John Gordon et moi sommes très heureux d'avoir l'occasion de tisser le dialogue avec vous sur l'avenir des forces de l'OTAN, leurs capacités et la façon de les conserver à long terme. Je crois que votre introduction met parfaitement la question en contexte, monsieur le président.

Bien sûr, notre conversation se place dans le contexte de la vague de réductions récentes des dépenses en matière de défense, principalement chez nos alliés européens de l'OTAN. J'aimerais dire d'emblée que nous en sommes à un point d'inflexion dans notre alliance transatlantique. Si nous acceptons de faire des sacrifices, si nous demandons à nos populations de faire des sacrifices, nous devons rendre les stratégies d'alliance bien claires pour le public et lui donner l'assurance que le fardeau est partagé adéquatement.

L'OTAN est très puissante et efficace, il nous semble donc très important de tabler là-dessus. Elle a joué un rôle clé pour mettre un terme à la propagation du communisme dominé par Moscou en Europe après la guerre. À la fin de la guerre froide, elle a joué un rôle névralgique pour intégrer les États européens centraux dans le giron euro-atlantique, loin de la sphère de dominance de Moscou. Elle présentait également la structure indiquée pour permettre à l'Allemagne réunifiée d'intégrer notre système de sécurité sans crainte d'agression de sa part.

Lorsqu'il a fallu prendre des mesures réfléchies pour intervenir dans les Balkans ou coordonner les efforts déployés en Afghanistan, l'OTAN a été nettement à la hauteur. Cependant, nous ne sommes pas au bout de nos peines, comme le président l'a souligné à juste titre. Il reste du pain sur la planche pour assurer la mise en place d'une institution sécuritaire dans plusieurs États des Balkans où des conflits persistent, et il faudra les régler. Il faut tisser des liens avec les organisations des États d'Asie centrale pour qu'ils tiennent compte des travaux des États euro-atlantiques pour élaborer leur propre stratégie de sécurité. Outre le fait que ces pays se trouvent dans des régions géographiques sensibles, bon nombre de ces États sont de grands producteurs d'énergie, ce qui rend la stabilité là-bas d'autant plus souhaitable.

Bref, quand il faut prendre des mesures collectives, l'OTAN est l'organisation par excellence des États démocratiques qui partagent la même vision pour que l'action collective porte fruit.

Les nouveaux défis qui se pointent à l'horizon sont de taille. Comme le président l'a mentionné, les contraintes financières, surtout chez nos alliés européens, les ont poussés à sabrer massivement dans les dépenses militaires partout, sauf dans deux pays parmi nos alliés transatlantiques. Cela a déjà des conséquences sur la capacité que ces dépenses permettent. Avec le temps, les difficultés ne risquent que de prendre de l'ampleur.

J'ai moi-même passé quelques années au quartier général de l'OTAN à planifier les déploiements, et j'ai remarqué une tendance encore plus grave: ces compressions ne sont pas coordonnées avec soin dans le but de réduire leur incidence sur les capacités de l'alliance dans son ensemble. Je vais vous citer deux exemples que nous mentionnons dans notre rapport et que nous trouvons particulièrement troublants.

Le Royaume-Uni, qui a réduit son budget de la défense, a réduit le nombre de ses forces terrestres pouvant être déployées et rester pendant de longues durées à l'extérieur de ses frontières. Jusque-là, le pays avait toujours été en mesure de déployer et de maintenir en place deux brigades des forces armées à l'extérieur de ses frontières. Il ne pourra plus qu'en maintenir une. Il s'agit là d'une compression grave d'une ressource très importante dont l'alliance dépend depuis la fin de la guerre froide.

À plus petite échelle, les Pays-Bas nous fournissent un autre exemple du manque de coordination avec les pays de l'alliance. Quand les Pays-Bas ont dû réduire leurs dépenses, ils ont laissé leurs compressions compromettre gravement leur capacité de surveillance maritime et d'intervention en eaux peu profondes. Ce sont là des capacités fondamentales pour les années futures, et elles sont déjà trop faibles au sein de l'alliance. Il y a de plus en plus d'activité dans les zones d'eaux confinées et peu profondes auxquelles il faut porter attention, notamment dans la Méditerranée; dans le golfe d'Aden, où la piraterie pose tout un défi; et il y a également un risque d'instabilité dans la mer Baltique. Il faut donc empêcher les Pays-Bas de perdre toute leur capacité d'intervention en eaux peu profondes et de surveillance maritime.

La solution de l'OTAN, à tout le moins selon sa politique déclarée, c'est la défense intelligente, afin de favoriser la coopération et la coordination entre les pays de l'OTAN pour déployer et entraîner des forces militaires. C'est là un effort très admirable, mais il dépend totalement des ressources dont les pays de l'alliance vont disposer.

Je vais conclure en disant qu'il faut favoriser un changement en deux volets. Premièrement, il faut freiner les réductions des ressources consacrées à la défense. Deuxièmement, il faut favoriser une coordination plus attentive entre les pays de l'alliance, en fonction des défis auxquels l'alliance risque d'être confrontée à l'avenir.

Sur ce, j'aimerais céder la parole à mon collègue, John Gordon, qui a quelques autres observations à faire.

M.Gordon: Je vais être bref.

Pour commencer, j'aimerais dire que je suis allé dans le Sud de l'Afghanistan au début de 2007. J'ai eu l'énorme chance d'être cantonné parmi les Forces canadiennes à Kandahar. En tant qu'ancien membre de l'armée américaine, je peux vous dire en toute honnêteté que j'ai été très impressionné des Forces armées canadiennes qui m'ont accueilli pendant plusieurs semaines dans le Sud de l'Afghanistan. Les Forces canadiennes sortaient tout juste d'une année très difficile, 2006. J'ai été très impressionné de leur professionnalisme et de leur capacité militaire dans l'une des régions les plus difficiles de ce pays.

J'ai quelques observations à ajouter pour renforcer ce que mon ami et collègue a dit. Depuis la fin des années 1940, l'OTAN est un joueur de premier plan pour assurer la sécurité et l'unité de l'Europe et de l'Atlantique. Le cadre de l'alliance créé par l'OTAN a été déterminant pour gagner la guerre froide. Pendant plus de 60 ans, c'est en grande partie grâce à l'OTAN que les armées de beaucoup de pays européens, du Canada et des États-Unis ont réussi à interagir et à intervenir côte à côte. L'OTAN joue un rôle important depuis longtemps et le joue toujours.

Cependant, les réductions observables dans les pays européens membres de l'OTAN sont considérables, on ne peut pas le nier. Lorsque plusieurs pays européens de l'OTAN doivent unir leurs forces pour pouvoir se déployer et rester en poste dans une même division à l'extérieur de l'Europe, c'est révélateur, et ce sera la triste réalité à l'avenir, d'ici à peu près 2015.

Il importe de souligner que beaucoup de gens, au sein du gouvernement et de l'armée des États-Unis, vont changer leur façon de voir les armées des membres européens de l'OTAN; certains ne les voient déjà plus de la même façon. Par exemple, vers 2015, la Royal Navy, la Royal Air Force et la British Army compteront ensemble moins de membres que la Marine américaine. Cette réalité ne passe pas inaperçue chez les hauts dirigeants de l'armée américaine ou du gouvernement américain.

Les pays européens membres de l'OTAN devront se demander comment éviter d'autres compressions, compte tenu de la gravité de celles-ci, et mieux coordonner leurs interventions dès le stade de la planification et comprendre comment mieux utiliser et réduire les forces dont ils disposeront d'ici 2015.

Le président: Je vous remercie beaucoup, messieurs. J'aimerais commencer par vous poser une question avant de donner la parole à mes collègues.

J'aimerais d'abord citer l'articleque vous nous avez remis: NATO and the Challenges of Austerity. Vous y faites remarquer que:

Les forces aériennes, terrestres et maritimes des principaux alliés européens des États-Unis s'approchent rapidement du point où ils ne pourront plus mener qu'une opération de taille moyenne à la fois et subiront beaucoup de pression pour répondre aux critères de rotation de toute mission de combat spéciale de longue durée et à petite échelle. [traduction]

Après le retrait de l'OTAN de l'Afghanistan et de Libye et compte tenu de la situation au Mali, voyez-vous avec optimisme l'avenir de l'OTAN à la lumière de toutes les observations que vous venez de faire?

M.Gordon: Comme nous l'avons dit tous les deux, l'OTAN joue un rôle important et va continuer de le jouer. L'OTAN nous a rendu de formidables services, pour assurer la stabilité non seulement de l'Europe et de l'Atlantique, mais aussi du monde entier depuis environ 60 ans, soit depuis sa création.

Depuis la fin de la guerre froide, les plus grandes menaces concrètes qui ont pesé sur les pays européens venaient pour la plupart de l'extérieur de l'Europe, à l'exception notable de l'épisode des Balkans. Ainsi, la capacité de l'OTAN de déployer et de maintenir en place des forces à l'extérieur de l'Europe, peut-être même pendant des périodes prolongées, demeure très importante aujourd'hui, comme nous le montrent les exemples de l'Irak et de l'Afghanistan, peut-être même plus que par le passé. Les crises futures, à tout le moins en Afrique ou n'importe où ailleurs, nous montrent que les défis restent entiers.

Il faut donc nous demander si l'OTAN pourra toujours mener des opérations de cette envergure, étant donné que certaines peuvent durer longtemps. Quand une mission s'étend sur une longue période, il faut une base de rotation suffisante pour appuyer les opérations de la brigade ou des brigades déployées. Comme les forces de ces armées sont réduites et qu'elles ne peuvent plus en faire autant, le travail est très difficile, sans aucun doute.

M.Johnson: À l'instar de M.Gordon, j'ai l'impression que les États-Unis ou la plupart des alliés de l'OTAN n'ont pas l'intention de s'engager à court terme dans une opération de l'envergure de celles menées en Irak ou en Afghanistan. Il n'est cependant pas raisonnable de penser que nous pouvons éviter toute mission de stabilisation, parce qu'il y a toujours des crises. Souvent, la seule réaction possible est un déploiement rapide pour stabiliser la situation, puis un retrait du pays seulement une fois que la situation est stabilisée. Si la capacité d'intervention de nos alliés est effectivement compromise, nos options politiques s'en trouvent grandement limitées.

Le sénateur Dallaire: Messieurs, nous pouvons vous poser deux questions, et j'espère qu'il nous restera du temps pour une deuxième série de questions.

Ma première question porte sur l'argument selon lequel l'OTAN serait bel et bien l'outil de sécurité dont vous parlez lorsque des conflits implosent et créent le chaos dans un pays hors de la zone. Par exemple, la situation dans le sud du Sahara est inquiétante. Si l'ONU donne à l'OTAN des mandats qu'elle exécute en déployant des forces de sécurité que l'ONU n'a pas (et beaucoup de pays préfèrent participer à une mission découlant d'un mandat de l'ONU plutôt que d'un simple mandat de l'OTAN), pourquoi l'OTAN ne verrait-elle pas son rôle comme celui de premier intervenant seulement, comme c'était le cas pendant longtemps? L'OTAN a beaucoup de puissance, sur les plans du commandement, du contrôle, de la logistique et de la capacité cinétique. Elle pourrait stabiliser la situation, puis passer le flambeau à une force de l'ONU, que les États pourraient aider à construire et à former, ce qui augmenterait de beaucoup le pouvoir du Conseil de sécurité de gérer le commandement, le contrôle et la planification stratégique. Pourquoi ne pas nous concentrer sur une dimension particulière de l'équation plutôt que d'envisager d'utiliser l'OTAN pour des déploiements prolongés?

M.Johnson: Je suis essentiellement d'accord avec ce que vous dites. Je pense que nous serons de plus en plus appelés à prendre part à des opérations de stabilisation hors zone. Il sera toujours bon et utile d'avoir un mandat de l'ONU, mais il lui faut beaucoup de temps pour le mettre en œuvre, lorsqu'elle le peut. Je suis d'accord avec vous que l'OTAN est l'instrument tout indiqué dans ce cas.

Je vais présenter la situation potentielle un peu différemment. Dans les opérations qui évoluent rapidement, comme au Mali, il faudra probablement qu'un pays prenne les devants pour intervenir sans délai, comme la France l'a fait. L'OTAN doit ensuite être prête à lui prêter main-forte. Vous avez mentionné diverses capacités qui sont importantes. Mon argument en faveur d'un rôle de premier plan de l'OTAN est bien sûr que le nombre de soldats est important, mais dans une opération comme celle au Mali, qui pourrait se répéter ailleurs, les capacités clés pour l'OTAN ou les forces de l'Union africaine sont assurément le transport, la surveillance, les frappes de précision et la capacité logistique que l'on peut déployer pour soutenir les forces indigènes qui, nous l'espérons, prendront rapidement le relais de la France dans le cas du Mali.

La sécurité serait très bien servie si l'OTAN s'employait à renforcer les capacités des forces locales, comme vous l'avez laissé entendre.

Le sénateur Dallaire: Abordons la question sous un autre angle. L'ONU préconise depuis un certain temps le renforcement des capacités régionales — celles de l'Union africaine, par exemple — afin qu'une force soit prête à être déployée rapidement au besoin. L'idée ne reçoit pas beaucoup d'appui. L'Union européenne dispose du corps allemand et néerlandais, mais ce n'est rien d'autre qu'un colosse aux pieds d'argile. On peut même se demander si l'Union européenne pourrait mettre sur pied une force sans l'appui des Américains.

Si l'OTAN se cherche une vocation, pourquoi n'encourage-t-elle pas les autres à renforcer leurs capacités afin de pouvoir procéder à un déploiement stratégique et aux frappes initiales et prendre le relais dans ces opérations qui perdurent et qui vont continuer de le faire? Nos missions durent cinq, 10 ou 15 ans. Celle de Chypre dure depuis 50 ans. Pourquoi le renforcement des capacités régionales ne ferait-il pas partie de son mandat?

M.Johnson: Je suis d'accord avec vous. Mes propos ne visaient pas à vous contredire. Le renforcement des capacités est une science inexacte. En continuant d'investir dans le renforcement des capacités des forces indigènes, l'OTAN et les pays y trouvent leur compte. Je pense que l'OTAN pourrait avoir un rôle stratégique à jouer dans le déploiement initial, car il faut parfois des forces capables de mettre un terme à un bain de sang, avant de pouvoir passer rapidement le flambeau aux forces locales. Il faut un certain temps à l'Union africaine et à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, la CEDEAO, pour mettre la structure politique en place, puis pour déployer des forces sur le terrain.

Au Mali, la réaction des forces africaines a été très inégale, sauf pour ce qui est du Tchad qui a déployé des forces très promptement. L'OTAN aura sans doute encore un rôle important à jouer dans le déploiement initial, pour ce qui est du transport des forces indigènes assurément. Je crois comme vous que les forces indigènes régionales doivent prendre les commandes rapidement, et l'OTAN devrait s'employer à les doter des capacités nécessaires pour bien s'en tirer. Je le répète encore une fois, les deux éléments clés sont la surveillance et la reconnaissance, et le soutien au transport logistique.

Le sénateur Nolin: Merci beaucoup à vous, monsieur Gordon, et à vous, monsieur Johnson, d'avoir accepté notre invitation. Nous avons eu le privilège de lire le résumé de M.Larrabee. Sa première recommandation aux alliés européens est de mettre en commun leurs ressources pour diminuer les répercussions des compressions dans les budgets de défense.

Cela va dans le même sens que ce que recommandait l'administration Obama. L'ambassadeur Vershbow a livré un discours fort intéressant à Oslo en février dernier qui abondait aussi dans ce même sens et qui allait même un peu plus loin. Vous étiez probablement dans la salle à ce moment. Je fréquente les cercles de l'OTAN — et je ne suis pas le seul — depuis près de 20ans. Je vais tout d'abord lire un extrait du discours de l'ambassadeur Vershbow afin de donner un peu de contexte à mes collègues:

Je propose donc de promouvoir les efforts — tant au sein de l'OTAN que de l'Union européenne — en vue de mettre en place une capacité militaire intégrale et collective européenne qui ferait pendant à celle des États-Unis.

En théorie, cela semble une très bonne idée, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. L'OTAN tente depuis 20 ans d'entamer un dialogue avec l'UE pour trouver une meilleure façon de fonctionner. Ce que propose l'ambassadeur a-t-il vraiment des chances de se concrétiser? J'aimerais bien qu'il en soit ainsi, mais j'ai de sérieux doutes. Qu'en pensez-vous?

M.Johnson: Je doute, comme vous, que la mise en commun des ressources et des efforts permette de bonifier considérablement les ressources mises à la disposition de l'OTAN. Je commence sur une note pessimiste, avant d'être un peu plus optimiste.

Lorsque je pense aux tentatives de nos alliés européens continentaux, en particulier, pour mettre en commun leurs ressources et partager les coûts d'un programme, notamment celui des avions de combat, mon pessimisme s'accroît.

Si ce programme a éprouvé des difficultés, c'est parce que sa structure administrative est devenue trop lourde. L'idée est excellente, mais elle se heurte au fait qu'il faut négocier où les pièces seront construites, où elles seront assemblées, quelle sera la contribution de chacun, et tout cela dans un contexte où les pays ne peuvent pas toujours respecter leur engagement financier parce que les administrations changent. C'est pourquoi je ne pense pas qu'on réussira à faire ce bond stratégique.

Quand la mise en commun fonctionne-t-elle? Elle fonctionne lorsque l'initiative part de la base et non du sommet. Lorsque la Belgique et les Pays-Bas ont uni leurs efforts pour mettre au point des systèmes pour le contreminage, la guerre sous-marine, et cetera, cela a très bien fonctionné. Par la suite, ils ont élargi tranquillement leur collaboration à la section de la marine allemande qui s'occupe des opérations en eau peu profonde, puis à la marine danoise. Lorsque l'initiative part de la base, je crois que cela peut être très utile, et les exemples de réussite ne manquent pas. Toutefois, je n'ai pas encore vu nos alliés européens, en particulier continentaux, mettre en place une initiative partant du sommet qui ne se soit pas embourbée dans les lourdeurs administratives et les coûts que cela engendre.

La mise en commun est logique. L'ambassadeur Vershbow est un décideur très intelligent, très compétent et averti. Je réserve mon jugement sur ce qu'on peut attendre de tout cela. Je pense que les résultats ne seront pas à la hauteur de la rhétorique.

M.Gordon: J'ajouterais deux petits commentaires à ce que M.Johnson vient de dire. Vous vous souviendrez qu'il a mentionné dans son exposé que la Grande-Bretagne et les pays européens ont annoncé des compressions sans vraiment se consulter. Les décisions ont été prises au niveau national uniquement: on abandonne les chars d'assaut, on abandonne les dragueurs de mines, on abandonne les avions de patrouille maritime. La mise en commun n'est pas une idée nouvelle. L'OTAN déploie des efforts en ce sens depuis de très nombreuses années. Aujourd'hui, l'ampleur des compressions rend l'idée plus urgente. Toutefois, comme l'a mentionné M.Johnson, la plupart des pays ont procédé à ces compressions de manière plutôt unilatérale. Si on veut que la mise en commun fonctionne, il faudra régler ce problème. Il faut que la démarche soit mieux coordonnée entre les pays pour déterminer qui maintiendra telle ou telle capacité ou structure.

Il ne faut pas oublier non plus qu'on s'en remettra à un ou deux pays pour fournir tel type de capacité et que, bien sûr, lorsqu'un conflit éclatera, il y aura encore des décisions au niveau national pour savoir si on intervient ou non. C'est le problème auquel un grand nombre de pays européens se sont heurtés lorsque l'Allemagne a décidé de ne pas participer aux opérations en Libye. Au sein de l'OTAN, il y avait essentiellement deux grandes forces aériennes en Europe qui étaient en mesure de supprimer les capacités de défense aérienne du pays, soit la Luftwaffe allemande et la Force aérienne italienne. Lorsque la Luftwaffe a décidé de ne pas participer à l'opération en Libye, le fardeau est devenu trop lourd pour les Italiens. Si les Américains n'avaient pas été là, cela aurait posé problème.

Encore une fois, ce ne sont là que quelques exemples de réserve que nous avons à ce sujet. La mise en commun est une bonne chose, essentiellement, mais comme nous l'avons mentionné tous les deux, ce n'est pas la panacée.

Le sénateur Nolin: Je suis tout à fait d'accord avec vous. En lisant, j'ai noté deux expressions utilisées par l'ambassadeur: la «spécialisation par défaut», que vous venez d'expliquer, et la «spécialisation par dessein», qui est préférable. J'ai pensé aussi au retrait allemand à la dernière minute. Le ministre n'est plus là pour expliquer sa décision à l'époque, alors ce sera pour une autre fois.

Comme vous l'avez dit, monsieur Johnson, soyons optimistes. Dans son discours, l'ambassadeur parle de 24 projets qui ont été acceptés par le CAN et qui font partie, je présume, de la défense intelligente. Pourriez-vous nous en parler un peu? Vous en avez déjà mentionné quelques-uns, mais pourriez-vous expliquer à mes collègues en quoi consistent ces fameux projets européens qualifiés de défense intelligente?

M.Johnson: Certains ont été remodelés et présentés comme faisant partie des projets initiaux et d'autres sont en préparation. Un grand nombre d'entre eux sont dans le secteur de l'aviation et le secteur maritime.

Je vais vous parler des catégories. Celles qui auront le plus de succès, à mon avis, sont celles où il y a un pays responsable et d'autres qui collaborent. La fabrication du char d'assaut allemand Leopard 2 est un bon exemple. Les Allemands ont lancé le programme, puis, à partir de la base en montant, d'autres pays se sont joints à l'aventure en contribuant aux coûts de production. Ils ont ensuite intégré le Leopard 1, puis plus tard le Leopard 2, à leurs structures militaires.

De même pour le programme américain des F-16, l'avantage réside dans le fait que les États-Unis ont dit: «Nous allons diriger le consortium chargé de construire les F-16», puis il y a eu ensuite un plus petit consortium pour les F- 18, mais cela a aussi bien réussi. On s'est concentré sur la technologie moderne éprouvée. Les programmes qui misent sur la technologie moderne éprouvée fonctionnent habituellement très bien, car un grand nombre de nos alliés au sein de l'OTAN peuvent y avoir accès.

Lorsqu'on opte pour un programme multinational, il faut s'assurer que celui-ci ne comporte pas de technologies de pointe risquées.

Il n'est pas nécessaire qu'il y en ait. La technologie militaire existante est presque toute entre nos mains et celles de nos alliés. Moscou a beaucoup réduit sa capacité de produire des systèmes modernes. La clé de la réussite réside donc dans le fait d'utiliser des technologies éprouvées, d'avoir si possible un pays responsable qui connaît bien les technologies, et d'opter pour une organisation qui gère le programme à partir de la base, plutôt que d'avoir une organisation qui tente de gérer le tout à partir du sommet.

Le sénateur Mitchell: Tout cela m'intéresse beaucoup: l'OTAN, les défis qui découlent des mesures d'austérité dont vous avez parlé — selon RAND — et les recommandations, en particulier celle voulant que l'Allemagne participe plus activement aux mesures visant à assurer la sécurité et la stabilité en Europe de l'Est. Premièrement, pourriez-vous nous donner un aperçu de la menace que vous percevez dans la région? Deuxièmement, pourriez-vous nous dire si ce genre de recommandation et d'initiative permettrait de renforcer l'OTAN, ou serait-ce un aveu de sa faiblesse?

M.Johnson: C'est une excellente question, mais elle est aussi rattachée à ce sur quoi l'OTAN se concentrera. Je pense que les graves problèmes auxquels fait face l'alliance ne sont pas une invasion massive des forces soviétiques en Europe de l'Est, mais plutôt le climat d'instabilité le long du littoral de la Méditerranée, les actes de piraterie dans le golfe d'Aden, de même que les troubles dans la production et le transport de l'énergie au Moyen-Orient, en Asie et dans le Caucase, et bien sûr les troubles dans des pays comme le Mali.

Qu'en est-il de Moscou, cependant? Lorsque nous parlons à nos alliés d'Europe centrale, on entend encore souvent dire que Moscou les inquiète. Les responsables du ministère de la Défense nationale de la Pologne nous ont demandé d'examiner les conditions de sécurité dans la région — l'histoire n'a pas ménagé ce pays, naturellement — et ce qu'ils peuvent faire pour mettre à profit leur participation à l'alliance afin d'assurer leur sécurité. J'ai tiré deux conclusions de cette étude. La première a été que, heureusement, la Russie n'avait pas les moyens de donner à ses militaires des équipements modernes. Elle n'arrivait pas à maintenir en place une force militaire et un corps d'officiers compétents. Ses capacités d'intimidation étaient aussi limitées. Les Polonais n'étaient pas d'accord. Moscou les inquiète beaucoup. Moscou inquiète beaucoup les États baltes, en particulier l'Estonie, de même que d'autres pays d'Europe centrale.

Quel pays serait le mieux placé pour fournir une force d'intervention terrestre au besoin? L'Allemagne, bien sûr. Lorsque j'ai eu cette conversation avec les Polonais, je pensais que l'idée d'une force armée allemande puissante évoquerait en eux de mauvais souvenirs. J'ai eu la surprise de les entendre me répondre que les compressions que l'Allemagne faisait dans son budget de défense les préoccupaient et les rendaient nerveux, car ils considéraient ce pays comme un contrepoids à la Russie.

Voilà ce dont il a été question. Je ne m'attends pas à une invasion terrestre, mais je crois qu'il faut avoir un certain pouvoir de dissuasion, ne serait-ce que pour contrer tout acte insensé qu'un nouveau dirigeant à Moscou pourrait tenter, et pour donner à nos alliés en Europe centrale un sentiment de sécurité pendant que nous — «nous» étant les États-Unis, le Canada et nos alliés de l'Europe occidentale, le Royaume-Uni et la France — nous occupons avec nos autres alliés des vraies sources d'instabilité qui pointent à l'horizon.

M.Gordon: Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, j'ai aussi eu le plaisir de participer à l'étude commandée par les Polonais. M.Johnson et moi avons travaillé ensemble et, honnêtement, je peux vous dire que j'ai été très surpris de constater à quel point les Polonais étaient préoccupés par la menace soviétique. C'était très concret. C'était un peu exagéré à mon avis, mais c'était néanmoins une source de préoccupations pour eux.

Comme M.Johnson vient de le dire, la plupart des responsables de la défense à qui nous avons parlé à l'extérieur de l'Allemagne perçoivent clairement un changement d'attitude en Allemagne. Ils ont donné l'exemple de la Libye. Ils ont constaté que, lorsque la sécurité de l'Allemagne n'est pas menacée bien évidemment, les Allemands ne souhaitent pas vraiment participer à des opérations. Encore une fois, la Libye a été pour eux un exemple criant. L'Allemagne est le pays le plus populeux et le plus riche parmi les membres de l'OTAN en Europe. On peut donc raisonnablement s'attendre à ce que ce soit elle qui assume le rôle de protection, dont M.Johnson a parlé, que les pays de l'Europe de l'Est attendent de l'OTAN.

J'insiste encore une fois sur l'opinion qu'ont des Allemands les responsables européens de la défense des autres pays européens à qui nous avons parlé. Selon eux, comme l'attitude de l'Allemagne a changé, il est très peu probable que les Allemands sortent de la zone.

Le sénateur Mitchell: Ma deuxième question concerne le point qu'on a soulevé au sujet de la coopération et de la mise en commun pour réagir aux mesures d'austérité, surtout à l'égard de la rapidité des progrès technologiques dans les armes de guerre et de la possibilité que certains pays prennent une importante longueur d'avance sur d'autres pays — peut-être pas souvent, mais de temps en temps — et que d'autres pays n'auront pas les conditions ou l'argent nécessaires pour les rattraper. Ne s'agit-il pas d'un autre facteur d'érosion du potentiel réel d'interopérabilité et de l'importance qu'on semble y accorder?

M.Johnson: Oui, c'est le cas, et cela me préoccupe. Les Français, en se fondant sur leur expérience au Mali, se sont joints à nous pour parler aux États-Unis d'un transfert de technologie dans le domaine des véhicules aériens sans pilote, c'est-à-dire les drones.

Il ne s'agit pas tellement des cellules, mais plutôt des dispositifs électroniques qu'elles contiennent, évidemment. Ils veulent veiller à ce que chaque véhicule aérien sans pilote — c'est-à-dire les véhicules qu'ils déploient dans les activités de collecte de renseignements, de surveillance, de reconnaissance et de recherche — puisse fonctionner avec les systèmes américains, afin que si les Américains approvisionnent les Français, ou plus généralement les forces de l'OTAN, comme nous l'avons fait en Libye, qu'ils aient accès aux renseignements que nous réunissons par l'entremise de ces vols de drones et qu'ils puissent échanger des renseignements avec nous.

En France et aux États-Unis, et j'en suis sûr, au Canada et au Royaume-Uni aussi, on reconnaît que la capacité essentielle que nous pouvons fournir dans ces types d'opérations n'est pas une grande quantité de ressources humaines, mais plutôt des renseignements, car les renseignements sont la force dominante sur le champ de bataille. Cela a donné aux Français un grand avantage au Mali lorsqu'ils ont repoussé les envahisseurs — c'était moins le cas avec les insurgés — à l'extérieur de la région nord du Mali.

Je crains d'avoir donné une longue réponse à une brève question, sénateur Mitchell, mais à mon avis, vous avez cerné un domaine dans lequel l'OTAN sera favorisée par la planification. En ce moment, on improvise.

Le sénateur Mitchell: Merci de votre réponse.

La sénatrice Buth: Vous avez fait certains commentaires au sujet de la collaboration et de la mise en commun. Vos commentaires sur les capacités-créneaux ou sur les créneaux de spécialisation m'intéressent. Pouvez-vous expliquer ce qu'ils signifient? Avez-vous des exemples? Selon vous, certains créneaux pourraient-ils convenir particulièrement bien au Canada?

M.Johnson: Mon commentaire au sujet de la décision des Néerlandais de réduire — et de pratiquement éliminer — leurs capacités maritimes en eau peu profonde est un très bon exemple. Les Pays-Bas sont un très petit pays. C'est un membre sérieux de l'Alliance, et sa contribution était dans un domaine dont les ressources sont assez limitées au sein de l'Alliance.

En passant, au cours de la préparation de cette étude, j'ai discuté avec les planificateurs néerlandais à La Haye. Ils m'ont dit qu'ils avaient demandé au siège de l'OTAN de leur préciser les domaines dans lesquels ils pouvaient effectuer des compressions sans causer trop de dommages aux capacités de l'Alliance. Les Néerlandais affirment que les planificateurs de la force de l'OTAN n'ont pas été en mesure de leur fournir une réponse claire, et c'est pourquoi ils ont fait ce qu'ils ont fait.

À mon avis, madame la sénatrice, il s'agit d'un exemple d'une capacité-créneau qui était importante. L'OTAN aurait dû leur faire savoir ce qui était important et les implorer de ne pas effectuer de compressions dans leur capacité maritime en eau peu profonde.

Dans la mesure où nous avons besoin de grands ensembles de forces terrestres sur le continent de l'Europe pour donner à nos alliés européens essentiels une impression de sécurité, étant donné que la Russie est leur voisine de l'Est, je pense qu'il s'agirait d'une capacité-créneau très utile de s'en remettre à l'Allemagne pour maintenir une force terrestre assez importante et des forces de mobilisation qui peuvent être étendues au besoin.

Je dirais que les forces navales en eaux profondes sont un domaine dans lequel nous pouvons faire plus sur le plan du partage ou de la mise en commun. Encore une fois, la règle à suivre, c'est de partir de la base et de monter les échelons. L'Accord franco-britannique visant à partager les forces navales, et parfois à partager un équipagedes forces navales et les avions sur les porte-avions, aura un effet multiplicateur et sera très utile. Encore une fois, c'est une approche ascendante, et il s'agit de savoir avec qui les pays entrent en négociation lorsque personne ne leur a dit qu'ils devraient adopter une approche de haut en bas.

Bien que je sois très content d'être planificateur de la force au siège de l'OTAN et que j'aime bien mes collègues, je crois qu'il est préférable que l'OTAN assure le suivi de ces choses. Toutefois, la mise en commun ne peut pas être réussie si elle se fait du haut en bas.

M.Gordon: Je peux donner un exemple. La sénatrice a posé une question au sujet de la capacité des Forces armées canadiennes. L'un de vos collègues a mentionné plus tôt l'idée de bâtir une capacité au sein de la force militaire et des forces policières de certains pays — en Afrique, par exemple, simplement pour nommer un endroit où il y a des problèmes et où on a besoin de bâtir une capacité. Je pense que depuis les années 1940, les Forces canadiennes ont acquis beaucoup d'expérience dans les opérations de paix partout dans le monde et qu'elles ont récemment acquis une expérience de combat en Afghanistan.

Étant donné que les militaires canadiens ont déjà la réputation de mener des opérations de maintien de la paix dans un grand nombre d'endroits dans le monde pour l'ONU, il s'ensuit que dans certains cas, vous avez un avantage sur les Américains, car vous n'amenez pas nécessairement les mêmes antécédents que les militaires américains dans ces endroits.

En ce qui concerne le fait de choisir des régions et de leur apporter une stabilité régionale par l'entremise d'un mentorat approprié et l'aide nécessaire pour bâtir la capacité de leurs forces militaires et policières, cela pourrait être une capacité très utile apportée par les Canadiens.

Le sénateur Day: Vous nous faites tous réfléchir à l'expression «défense intelligente» encouragée par le secrétaire général. J'étais un peu inquiet lorsque le secrétaire général de l'OTAN a commencé à utiliser cette expression, car je n'étais pas certain que cela signifiait la même chose. Elle a été définie assez clairement pour en venir à signifier la même chose pour tout le monde, et maintenant, le secrétaire général Rasmussen affirme qu'elle ne visait pas à dire aux nations qu'elles pouvaient dépenser moins d'argent, mais qu'elles étaient censées le dépenser plus judicieusement. Vous avez certainement entendu ces commentaires.

L'expression a-t-elle été inventée avant que les pays commencent à réduire leurs dépenses consacrées à la défense en raison du ralentissement économique, ou le ralentissement économique a-t-il simplement fourni une occasion de l'utiliser?

M.Gordon: Je vais répondre en premier. Étant donné l'expérience de M.Johnson en tant que planificateur à l'OTAN, je sais qu'il va réagir très rapidement.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, ce n'est pas complètement nouveau. On a déjà parlé de la spécialisation de l'OTAN. L'expression a été utilisée dans les années 1970 et 1980, car quelques nations se spécialisaient certainement dans certaines capacités. Nous savons maintenant qu'on accorde une plus grande priorité à cela, en raison de l'importance des compressions et des réductions dans les niveaux de capacité et de structure de forces. Encore une fois, il ne s'agit pas nécessairement d'une nouvelle idée.

M.Johnson: J'aurais tendance à être d'accord avec vous en général, mais je pense que la question est plus nuancée.

Sénateur Day, comme M.Gordon l'a dit, j'ai observé qu'il y a toujours eu des comités et une supervision à l'OTAN qui encouragent les pays à mettre en commun leurs ressources afin d'être mieux en mesure d'acheter des capacités. Toutefois, à mon avis, la défense intelligente est exactement ce que vous avez dit — ces réductions budgétaires étaient prévisibles. Pour faire de nécessité vertu, ou au moins pour minimiser les dommages engendrés par les réductions, le secrétaire général a d'abord lancé cette initiative de défense intelligente. Je dois vous dire que je ne sais pas s'il l'aurait lancée sans la pression exercée par les réductions budgétaires dans la défense; mais les deux évènements sont certainement reliés. Cela tire le meilleur parti possible d'une situation difficile et c'est une solution, une suggestion ou une initiative qui sera utile dans les marges, mais qui ne compensera certainement pas les compressions réelles dans les forces au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas et chez d'autres alliés importants.

Le sénateur Day: Ma prochaine question a trait à ce qui se passe sur le terrain. Au sujet de la spécialisation dont nous parlions tout à l'heure, serait-il possible d'accroître le rôle de l'OTAN si un actif connu est mis en commun par un groupe au sein de l'OTAN, par exemple, sans que tous ses membres participent nécessairement à l'ensemble des activités? Je pense notamment au système aéroporté d'alerte et de contrôle, ou AWACS, un exemple de propriété commune qui contourne la difficulté des nations ayant le choix de prendre part à la mission. Si une nation décide seule d'utiliser l'actif, on se demande si celui-ci sera accessible en cas de besoin. J'ignore où on en est au sujet du transport et de l'achat d'un C-17 commun par l'OTAN plutôt que d'utiliser au besoin l'aéronef d'un pays pour le transport aérien. Pourrions-nous contribuer à cette propriété commune?

M.Johnson: Vous avez choisi un très bon exemple, à savoir la mise en commun d'un aéronef de transport dont le coût d'acquisition est assumé par plusieurs pays de même que les coûts d'exploitation lorsqu'il est utilisé. La plupart du temps, il s'agit là d'une réussite et d'un bon modèle. Or, l'AWACS n'était finalement pas une bonne expérience. Tout comme l'OTAN, j'ai été surpris d'apprendre que l'Allemagne avait interdit à son équipaged'y participer, ce qui a nui à son efficacité. Il est possible d'aménager le programme de transport de l'OTAN de façon à empêcher tout pays de mettre son veto au déploiement de l'actif en empêchant son équipaged'y participer, à condition que l'OTAN ait donné son accord à l'opération, comme c'était le cas de l'aide apportée aux Français au Mali.

M.Gordon: Je suis d'accord. Votre proposition correspond assurément à l'esprit et probablement à la lettre de la loi des attentes du secrétaire général concernant la mise en commun et le partage. Toutefois, ce sont toujours les détails qui posent problème dans ce genre de situation. Un pays donné choisira-t-il de participer et de mettre ses actifs à contribution? L'établissement militaire américain surveillera la situation de très, très près, car il se pourrait qu'un ou deux membres européens de l'OTAN qui possèdent une ou deux capacités déterminantes décident un jour de ne pas participer à une opération, comme le dragage de mines ou la suppression de défense aérienne. Par exemple, les Italiens et les Allemands étaient les seuls membres de l'OTAN à avoir déployé une force aérienne considérable en Libye.

Si un ou deux pays de l'OTAN qui auraient hypothétiquement adhéré au concept que vous proposez choisissent un jour de ne pas participer à une opération, les Américains changeront d'attitude à l'endroit de l'OTAN à partir de ce moment. Ils chercheront davantage à nouer des relations bilatérales avec certains membres européens de l'OTAN ou avec quelques membres de confiance, comme le Royaume-Uni et la France. Ils peuvent se joindre à une opération hors zone. Ils le feront seulement en raison de ce qui vient de se produire, à savoir qu'un pays donné ayant une capacité déterminante a choisi de ne pas prendre part à l'opération. Ce danger sera toujours là. Les dirigeants américains observeront la situation très attentivement pour voir comment les choses vont se dérouler, mais la Libye donne déjà un aperçu.

Le sénateur Day: J'aimerais en parler un peu plus, mais mon temps est écoulé. Je vous remercie de vos remarques.

Le sénateur Patterson: Messieurs, vous avez dit que les États côtiers sont les plus menacés. Je crois savoir que le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont pratiquement éliminé leurs capacités de surveillance maritime, même si le Royaume- Uni avait déjà envisagé une capacité de surveillance maritime partagée de l'OTAN, peut-être semblable au modèle AWACS. D'après vous, quelles sont les conséquences de supprimer la capacité de surveillance maritime au Royaume- Uni et aux Pays-Bas? Quelle sera la suite des choses?

M.Johnson: C'est lié aux compressions des Pays-Bas dont j'ai parlé, qui touchent les embarcations en zones peu profondes. Vous avez également raison de dire que le pays est en train de mettre de côté sa flotte de patrouille maritime, tout comme le Royaume-Uni. Voilà selon moi un exemple d'incompatibilité entre les défis qui nous attendent et les décisions isolées de certains pays. Nos alliés européens seront de plus en plus souvent appelés à intervenir en eaux peu profondes et en eaux non confinées. Nous pensons souvent au golfe d'Aden et à la mer Méditerranée, mais il ne faut pas oublier la mer Baltique. Puisque le Royaume-Uni et les Pays-Bas ne bordent ni la Méditerranée ni la mer Baltique, je suppose qu'il s'agit là d'une décision prise en vase clos, en quelque sorte. Mes collègues du siège de l'OTAN, où j'étais, doivent mieux faire comprendre le caractère déterminant de ces capacités pour la défense commune. Je reconnais donc avec beaucoup de réticence le problème que vous soulevez. Seule la pression d'autres pays alliés et membres de l'OTAN pourra renverser la vapeur et éviter ce genre d'erreur, à l'avenir.

M.Gordon: Je n'ai rien à ajouter.

Le sénateur Patterson: J'aimerais parler des États-Unis, qui ont apporté une contribution énorme à l'OTAN. Certains observateurs sont d'avis que le pays devrait peut-être se concentrer davantage sur la défense intelligente en se défaisant de ses systèmes d'armes qui remontent à la guerre froide et en cessant de gaspiller son budget de défense. Que pensez-vous de l'argument selon lequel les États-Unis devraient s'efforcer d'appliquer davantage les principes de la défense intelligente à leur planification et à leurs acquisitions?

M.Gordon: Des articles parus très récemment dans une publication de la défense américaine posent des questions, comme...

Le président: Je vous remercie de votre patience, messieurs. J'ignore si c'est notre connexion ou la vôtre qui a fait défaut. Quoi qu'il en soit, la technologie n'est pas sans faille, mais nous avons réussi à régler le problème. Nous revoici donc. Je sais que le sénateur Patterson a hâte d'entendre la réponse à sa question. Je vous invite donc à poursuivre. Merci.

M.Gordon: J'ignore à quel moment exact la communication a été coupée. Lorsque notre écran est devenu noir, je faisais simplement allusion à des articles parus très récemment et à nos discussions avec des responsables de la défense. Même si l'armée américaine aura beaucoup d'argent à l'avenir — il n'y a aucun doute là-dessus —, le budget de la défense américaine diminuait même avant la mise sous séquestre. Je pense que les discussions commencent à être sérieuses, et c'est probablement plus vrai que jamais depuis que l'armée américaine a commencé à réduire ses effectifs à la fin de la guerre froide, au début des années 1990, en étudiant sérieusement les dédoublements inutiles. Mais les compressions touchant l'armée américaine ne seront pas réparties de façon égale. La US Air force et la Us Navy s'en sortiront probablement pas mal mieux que l'armée de terre et la marine, puisque les forces terrestres ont intensément été mises à contribution en Iraq et en Afghanistan et que ces opérations tirent à leur fin. Comme M.Johnson l'a dit, le pays se tournera stratégiquement vers l'Asie, même si les forces terrestres seront importantes pour établir un contact avec les armées de cette région du monde, parfois aux prises avec des problèmes d'insurrections. Dans un proche avenir, je pense donc que la force aérienne pourrait relativement mieux s'en tirer que l'armée de terre et la marine.

Toutefois, on se pose des questions sur les redondances inutiles. Par exemple, pourquoi doit-on maintenir autant d'hélicoptères dans l'ensemble des quatre services? Ce sont des appareils qui coûtent très cher sur le plan de l'achat, de l'entretien et de l'entraînement. On se pose la même question au sujet des avions de combat à voilure fixe: à quoi bon en posséder autant dans le Corps des Marines, dans la marine et dans la force aérienne? Certaines de ces questions n'ont pas fait l'objet d'un examen sérieux depuis que le budget de l'armée américaine a commencé à diminuer, de façon plutôt marquée, à la fin de la guerre froide. On peut probablement faire beaucoup de choses. Selon moi, la réduction du budget nous force à réfléchir plus sérieusement que jamais à la question de savoir s'il est nécessaire de maintenir ces capacités et s'il y a lieu de nous débarrasser de quelques-unes d'entre elles.

M.Johnson: Je suis bien d'accord. Je dois avouer que, selon moi, nous aurons beaucoup de mal à maintenir la main-d'œuvre dans nos forces terrestres, comparativement à ce qui était le cas dans le passé. Les coûts liés au personnel ont beaucoup augmenté aux États-Unis et dans d'autres pays alliés de l'OTAN, et on obtient des économies très rapidement lorsqu'on réduit les effectifs.

Ce n'est peut-être pas une mauvaise chose en soi, pour autant que l'avenir ne nous réserve pas de surprises, c'est-à- dire pour autant que les États-Unis n'interviennent pas dans de grandes guerres terrestres ou de longues opérations de stabilité, optant plutôt pour un rôle d'habilitation auprès des forces locales. Nous serons disposés à renforcer les capacités de nos partenaires, de sorte que ce soit des soldats marocains qui patrouillent dans les rues, plutôt que des soldats américains, français ou maliens.

Cela dit, le processus sera loin d'être parfait, et je suis de ceux qui se demandent si nous pourrons nous permettre d'avoir une force aérienne de taille imposante si nous procédons aux grands achats qui sont prévus dans le cadre du programme d'avions de combat interarmées. Je pense que nous aurons à faire certains compromis: cela ne nous placera pas à l'avant-garde de la technologie des aéronefs de transport stratégique à faible charge utile et à courte portée, mais cela nous aidera à préserver notre position dominante et notre supériorité en ce qui concerne les capacités liées aux champs de bataille modernes, c'est-à-dire la surveillance, l'analyse de la situation, les tirs de précision et la mobilité rapide.

Le sénateur Dallaire: Selon moi, la décision que les États-Unis ne seront plus aux commandes est l'une des plus sages qui aient été prises, même au sein de l'OTAN; il est plus efficace que d'autres pays prennent les commandes et qu'on joue un rôle de soutien. Je crois que ce serait avantageux pour venir à bout d'un certain nombre des conflits qui seraient probablement mieux traités par des puissances moyennes dotées de renforcements spécialisés, plutôt que par le recours aux grandes puissances.

La réduction du personnel, particulièrement dans l'armée, est un exercice dangereux à envisager quand on songe à tout l'argent qu'on essaie d'économiser dans d'autres domaines. Je m'explique. On peut bien réduire sa force régulière, mais si on ne renforce pas ou ne maintient pas sa force de réserve, on se prive littéralement de capacités d'une envergure considérable. Je n'ai pas vu l'OTAN exercer des pressions pour contrebalancer la réduction des forces régulières par le renforcement des capacités au sein des forces de réserve.

C'est tout à fait le contraire, si nous prenons l'exemple des Britanniques. Ils ont supprimé 17 unités principales. Ils ont gardé toutes les fanfares militaires, mais ils ont éliminé les unités. Par contre, ils viennent d'annoncer, dans leur budget de 10 ans, qu'ils dépenseront 35 milliards de livres pour mettre à niveau leur capacité nucléaire. Pourquoi modernise-t-on un système d'armes tout à fait inutile, qui accapare des capacités dont on aurait pu se servir pour régler le problème dont il est question ici? Cela provoquera beaucoup plus de dissension et mettra en cause des pays au bord de l'implosion dans des opérations hors zone. Où est la logique, et où était l'OTAN lorsque les Britanniques ont décidé de consacrer autant d'argent à une capacité nucléaire?

M.Gordon: Il s'agit là d'un exemple de ces décisions nationales. Certains pays, comme le Royaume-Uni et la France, sont habitués à maintenir une «gamme complète de capacités» dans le domaine nucléaire.

Lorsque nous avons examiné le cas des Britanniques dans cette étude, ils se trouvaient dans une situation particulièrement embêtante parce qu'ils ont failli être aux prises avec les conditions idéales pour une tempête parfaite: ils devaient composer avec plusieurs besoins de modernisation en même temps. Ils étaient en train de construire deux très grands porte-avions, mais il est devenu de plus en plus évident qu'ils seraient en mesure d'exploiter ou de retenir seulement un des deux. Ils avaient besoin de nouveaux avions pour ces porte-avions. Ils font maintenant face à une lacune de capacité: les appareils Sea Harrier ont disparu, les avions RAF Harrier sont sur le point d'être remplacés, et les avions d'attaque interarmées n'ont pas encore été reçus.

Les Britanniques avaient besoin de nouveaux avions pour ces navires et ils étaient déterminés à conserver leurs mesures stratégiques de dissuasion nucléaire, ce qui signifiait l'achat de nouveaux sous-marins coûteux pour maintenir ces mesures stratégiques indépendantes de dissuasion nucléaire. Bref, les Britanniques ont failli être aux prises avec les conditions idéales pour une tempête parfaite à cause de plusieurs exigences simultanées, conjuguées aux coûts très élevés de certains de ces appareils. Ils sont confrontés à une situation très difficile et ils ont choisi d'essayer de maintenir toute cette capacité, mais à des niveaux réduits. Ainsi, ils ont opté pour trois sous-marins, au lieu des quatre Vanguard qu'ils possédaient avant. Ils ont maintenu la capacité des porte-avions par l'acquisition d'avions appropriés, mais à un niveau inférieur à ce qui était le cas auparavant dans la Marine royale. Il y a un prix à payer. À mesure que les budgets de défense diminuent, les pays veulent se doter de toutes ces capacités. Il y a un prix à payer, habituellement sur le plan de la quantité. Comme nous l'avons dit tous les deux, bon nombre de ces décisions ont été prises de façon unilatérale par non seulement le Royaume-Uni, mais tous les autres pays.

M.Johnson: À mon avis, les points que le sénateur vient de souligner, compte tenu de son expérience, mettent en évidence un problème auquel fait face l'OTAN dans ce contexte. On se dit: «D'accord, on croit avoir besoin d'une capacité de dissuasion nucléaire. On croit avoir besoin d'autres choses aussi. Que va-t-on réduire?» On choisit de réduire sa capacité de déployer des forces terrestres, ce qui est pourtant une priorité très importante pour l'alliance.

Le président: Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes pour essayer de rétablir la connexion. Si cela prend trop de temps, nous siégerons à huis clos.

(La séance est suspendue.)

——————

(La séance reprend.)

Le président: Nous reprenons la séance. Nous sommes désolés, une fois de plus, messieurs, des difficultés techniques que nous éprouvons aujourd'hui. Nous sommes peut-être prêts à poursuivre la discussion.

Nous allons revenir au sénateur Dallaire. Veuillez terminer votre réponse. Nous entendrons deux autres intervenants, après quoi nous lèverons la séance, en espérant qu'il n'y aura pas d'autres interruptions. Merci.

Le sénateur Dallaire: Vous étiez en train de dire que les Britanniques avaient pris des mesures pour réduire leur capacité, essentiellement leur capacité expéditionnaire, et qu'ils avaient décidé de maintenir la gamme complète des systèmes disponibles. On a également parlé du fait que ce n'était pas nécessairement le souhait ou l'engagement de l'OTAN. Ce faisant, le Royaume-Uni a peut-être emprunté la mauvaise voie. En convenez-vous?

M.Johnson: J'en conviens certes, sénateur. Selon moi, le Royaume-Uni pourrait contribuer beaucoup plus à notre sécurité collective et à notre capacité collective d'agir s'il se concentrait sur sa capacité expéditionnaire et sa capacité maritime dans les eaux restreintes et peu profondes.

À mon sens, une capacité massive de forces nucléaires stratégiques n'est plus au cœur de nos besoins de sécurité.

Le sénateur Dallaire: Bien dit.

M.Johnson: J'ai exagéré un petit peu, mais à peine.

Le sénateur Dallaire: Parfait. Vous avez visé juste.

Le sénateur Nolin: Je ne peux pas partir sans poser de question au sujet du Canada. En ce qui concerne la priorité que le Canada accorde à son adhésion à l'OTAN, avez-vous des conseils à donner à notre gouvernement?

M.Johnson: Je vais répéter que la capacité maritime déployable est très importante. Nous ne craignons pas pour nos côtes, du moins pas pour l'instant — ce qui est bien —, mais il est très utile de pouvoir déployer une capacité maritime. Nous sommes en mesure d'aider les forces locales, au besoin, ou un allié qui prend les devants, comme l'ont fait les Français au Mali en fournissant des avions de transport, capacité que le Canada possède. Nous sommes également en mesure de soutenir les forces locales ou un allié en leur offrant une capacité logistique déployable et une capacité de ravitaillement. Ce sont d'importants catalyseurs. Vous en avez besoin dans le cadre de votre planification de la sécurité nationale, puisque nous avons et nous aurons pendant encore très longtemps des frontières pacifiques ici en Amérique du Nord.

La capacité de notre armée de déployer des forces est très importante et présente l'avantage supplémentaire de fournir des capacités essentielles pour aider les forces locales ou des alliés européens à prendre les devants dans une situation difficile, comme l'ont fait les Français au Mali.

Je vais laisser M.Gordon parler de la contribution que vos forces armées pourraient apporter pour établir des partenariats.

M.Gordon: Nous étions justement en train d'en parler, sénateur, avant que nous perdions la communication par vidéo. Comme votre collègue l'a mentionné plus tôt, le Canada fournit depuis longtemps des forces de maintien de la paix partout dans le monde, et plus particulièrement sous les auspices des Nations Unies.

Comme nous en avons discuté tout à l'heure, il pourrait être très utile que les forces armées aident des nations clés, que ce soit l'Afrique ou un autre pays, à renforcer leurs capacités, surtout maintenant qu'un si grand nombre d'officiers et de sous-officiers canadiens ont acquis de l'expérience de combat au cours des dernières années. Cette contribution viendrait s'ajouter à votre capacité d'offrir du mentorat utile à d'autres pays, tant du point de vue des forces militaires que des forces de police nationales.

De nombreux pays qui ont déployé des troupes en Irak et en Afghanistan ont dû — qu'ils le veuillent ou non — renforcer les capacités pour les forces militaires et policières. Par conséquent, je pense que ce serait une contribution utile de la part du Canada.

M.Johnson: Dans le cas d'une contribution spéciale, certaines régions du Maghreb et de l'Afrique occidentale sont des régions francophones où l'aide de Français n'est peut-être pas la bienvenue, comme en Algérie plus particulièrement. Nous voulons que ces pays considèrent notre région de l'Atlantique et renforcent leurs forces. C'est une région où le Canada pourrait faire de très faibles investissements tout en jouant un rôle qui aurait des retombées considérables et offrirait un rendement élevé.

Le sénateur Day: Le Canada s'est retiré du consortium de l'OTAN en ce qui concerne le système AWACS. Vous êtes de l'extérieur du Canada. J'aimerais que vous me disiez quel message ce retrait a envoyé à nos alliés de l'OTAN concernant la position canadienne au sein de l'OTAN et la sécurité mondiale.

M.Johnson: Je vais devoir répondre à cette question de façon générale. Lorsque j'étais au quartier général de l'OTAN, j'avais une meilleure idée de ce qui se passait que je n'en ai maintenant. Chaque fois qu'un pays se retire d'un engagement conjoint volontaire, ce repli soulève bien des doutes quant à la fiabilité de l'allié au moment de conclure d'autres ententes collectives.

Vous avez mentionné un secteur où la mise en commun des ressources est importante et peut être utile. Nous avons parlé du cas de l'Allemagne. Quand une collaboration est fructueuse, il est important de pouvoir compter sur notre contribution.

M.Gordon: Je n'ai rien à ajouter.

Le sénateur Day: Vous avez été très diplomate.

Le président: Merci beaucoup, messieurs, de votre déclaration et de nous avoir fait part de vos points de vue. Comme vous l'avez dit, l'OTAN aura des défis à relever. De toute évidence, nous sommes confrontés à un monde beaucoup plus compliqué en raison des nouvelles menaces qui se présentent chaque jour.

M.Gordon: Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, merci infiniment de nous avoir invités. Nous espérons que notre rapport écrit et cette discussion vous ont été utiles. Nous avons tenté d'être à la fois diplomates et francs.

[Français]

M.Johnson: Merci, monsieur le président. Je suis très heureux d'avoir fait la connaissance des membres de votre comité. J'ai trouvé la conversation très intéressante et très utile. Merci et à bientôt, j'espère.

Le sénateur Nolin: Je vois que votre passage à Bruxelles pendant quelques mois a porté fruit.

[Traduction]

Le président: Nous allons poursuivre la séance à huis clos.

Le sénateur Day: Je propose que l'on autorise le personnel à rester.

Des voix: D'accord.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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