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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 39 - Témoignages du 8 mai 2013


OTTAWA, le mercredi 8 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 13, pour étudier le projet de loi C-43, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[English]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Translation]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. Je demanderais à mes collègues de se présenter, en commençant par celui qui se trouve à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l'Ontario.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

Le président : Merci beaucoup, chers collègues. Nous poursuivons nos discussions sur le projet de loi C-43, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Comme convenu, je vais présenter les témoins dans l'ordre où je vais les inviter à s'exprimer, en commençant par la personne à ma droite.

J'invite Mme Mangat, une avocate de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, à prendre la parole.

Raji Mangat, avocate, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : Merci. Bonjour monsieur le président. Bonjour mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis ravie d'être ici pour parler du projet de loi C-43 au nom de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Merci de m'avoir invitée à le faire.

L'association joint sa voix à celles d'autres organismes qui sont très préoccupés par l'érosion de l'application régulière de la loi et de l'équité de la procédure que prévoit le projet de loi C-43. Ce dernier a pour but d'accélérer le renvoi des criminels étrangers, mais son impact sera beaucoup plus grand.

En outre, l'association adhère entièrement aux déclarations faites par l'Association du Barreau canadien sur le sujet.

Dans ma déclaration, je ferai ressortir trois aspects du projet de loi que l'association estime inquiétants.

Premièrement, j'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 5(2), qui aurait pour effet de créer le nouveau paragraphe 16(2.1). Selon la modification proposée, les étrangers seraient forcés de se soumettre à une entrevue et de répondre à toutes les questions posées aux fins d'une enquête du SCRS. Aucun élément de la disposition n'indique que les questions doivent seulement porter sur des sujets liés à l'admissibilité d'une personne.

Nous ne contestons pas le fait que, lorsque des étrangers font une demande d'immigration, ils peuvent s'attendre à faire l'objet d'une enquête de sécurité et à devoir répondre à des questions. En fait, selon le libellé actuel de l'article 16 de la LIPR, un demandeur est obligé de répondre aux questions d'un agent d'immigration lors d'un contrôle. Cependant, l'article limite cette obligation à des questions raisonnablement nécessaires. Concrètement, le demandeur n'est donc pas obligé de répondre aux questions qui ne sont pas liées à sa demande d'admissibilité.

Nous nous demandons donc pourquoi des limites similaires ne sont pas imposées dans le cas des entrevues du SCRS. Fait sans précédent, le projet de loi donne au SCRS le pouvoir de forcer les demandeurs à répondre à des questions qui n'ont rien à voir avec leur demande, ce qui est contraire aux valeurs de la Charte. Cela mènera fort probablement à une contestation sur le plan constitutionnel. L'obligation de se soumettre à une entrevue et de répondre aux questions lors d'une enquête du SCRS ne doit être imposée que dans la mesure où celles-ci portent sur des renseignements requis pour étudier une demande. À défaut de cela, après avoir été examinée par l'appareil judiciaire, cette disposition sera sûrement perçue comme prévoyant un interrogatoire à l'aveuglette.

La deuxième préoccupation de l'association concerne le pouvoir ministériel accordé par l'article 22.1. La modification proposée accorderait au ministre le pouvoir sans précédent de refuser, de sa propre initiative, l'entrée aux étrangers pour une durée pouvant aller jusqu'à trois ans, s'il estime que l'intérêt public le justifie. Cette disposition donne au ministre le pouvoir de décider — sans paramètres fixes ni responsabilités connexes — à qui il peut refuser l'entrée au Canada. N'oublions pas qu'aucun des neuf critères d'interdiction de territoire se trouvant déjà dans la loi ne justifie l'expulsion des personnes visées par cette disposition.

La notion d'intérêt public est tellement vague et indéfinie que, sans autre précision, elle donne au ministre un pouvoir discrétionnaire pratiquement absolu et va à l'encontre de l'application régulière de la loi. Une fois encore, cette disposition risque fort de ne pas résister à un examen constitutionnel minutieux. La loi doit préciser toutes les raisons d'intérêt public pour lesquelles quelqu'un pourrait être interdit de territoire au Canada. Cela permettrait de porter un débat à ce sujet tant sur la place publique qu'au Parlement et de les soumettre à l'approbation de ce dernier.

Le troisième et dernier point que je souhaite aborder aujourd'hui concerne l'article 18, qui remplacera les dispositions actuelles sur la dispense ministérielle par adjonction d'un nouvel article — soit le 42.1. Conformément au paragraphe 42.1(3) proposé,

[...] le ministre ne tient compte que de considérations relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique sans toutefois limiter son analyse au fait que l'étranger constitue ou non un danger pour le public ou la sécurité du Canada.

Que signifie ce passage? Cette disposition est formulée de façon si problématique qu'elle semble contradictoire en soi. Non seulement elle est difficile à comprendre, mais elle est également inutile. La Cour suprême du Canada se penche précisément sur cette question à l'heure actuelle dans une cause qu'elle a entendue le 18 octobre 2012. Dans l'affaire Agraira, la Cour suprême devra déterminer le caractère licite de la dispense ministérielle et le rôle plus large que joue une dispense au sein du régime d'interdiction de territoire. Il nous semble que le Parlement aurait avantage à faire preuve de prudence et à attendre la décision de la Cour suprême dans l'affaire Agraira avant de modifier cette disposition.

L'association éprouve de sérieuses inquiétudes en ce qui a trait à de nombreuses dispositions proposées dans le projet de loi C-43. Le Canada est déjà capable de se protéger contre les criminels étrangers de la meilleure façon qui soit, c'est-à-dire en respectant l'application régulière de la loi et l'équité de la procédure. Et, nous le répétons, ces deux principes sont complètement absents du projet de loi.

Merci. Je répondrai volontiers à vos questions.

[Français]

Peter Edelmann, avocat, à titre personnel : Merci, sénateurs, de l'opportunité de vous parler aujourd'hui au sujet de ce projet de loi. Je suis avocat en droit de l'immigration des réfugiés, mais je pratique aussi dans le domaine de la défense criminelle. Beaucoup de ma pratique tombe justement dans le domaine couvert par ce projet de loi. Je suis membre et affilié à plusieurs organisations qui ont déjà comparu devant vous, devant la Chambre des communes ou devant l'autre comité, incluant le Conseil canadien des réfugiés et l'Association des avocats du droit des réfugiés. J'ai été pas mal impliqué dans la préparation des soumissions de l'Association du Barreau canadien. Je n'ai pas l'intention de vous répéter ce qu'il y a dans ces soumissions; je partage plusieurs des préoccupations de ces organismes. Je serai content de répondre à des questions à ce sujet.

[Traduction]

J'aimerais mettre l'accent sur une lacune du projet de loi qu'il faudrait absolument corriger et proposer de très petites modifications qui auraient d'importantes répercussions sur les résidents permanents, à savoir changer l'article 24 du projet de loi, qui prévoit une modification du paragraphe 64(2) de la loi.

On a beaucoup parlé de la peine d'emprisonnement de six mois à votre comité ainsi qu'à celui de la Chambre des communes. Pour ma part, j'aimerais plutôt attirer votre attention sur la dernière partie de cet article, selon laquelle le paragraphe 64(2) se lirait comme suit :

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise, d'une part, l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins six mois [...]

Je propose que le paragraphe se termine là. Voici la partie qui m'inquiète :

[...] et, d'autre part, les faits visés aux alinéas 36(1)b) et c).

Les alinéas 36(1)b) et 36(1)c) portent sur les condamnations prononcées à l'étranger ou les infractions commises à l'extérieur du Canada. Le fait de commettre une infraction à l'extérieur du Canada n'entraîne pas nécessairement de condamnation ou d'arrestation. Cela ne nécessite aucune interaction avec les services de police du pays en question. Si un agent a des raisons de croire que quelqu'un a commis une infraction dans un pays étranger, le cas peut être porté à l'attention de la commission pour motifs d'inadmissibilité en vertu de l'alinéa 36(1)c). Un résident permanent dans une telle situation est tenu de se présenter à la Section de l'immigration, dont la seule responsabilité consiste à déterminer si sa conduite équivaut ou non à une infraction punissable d'une peine d'emprisonnement de 10 ans ou plus au Canada. Il importe de comprendre le sens de « punissable » et le fait que la peine d'emprisonnement peut être de 10 ans ou plus.

Cela n'a pas d'importance que la personne n'aurait jamais été accusée au Canada. Cela n'a pas d'importance que la personne ne se serait jamais vu infliger une peine de 10 ans au Canada. Cela n'a pas d'importance que tous nos tribunaux auraient invalidé une peine se rapprochant un tant soit peu de 10 ans pour ce genre de conduite. Si la peine maximale peut être de 10 ans, le dossier de la personne pourrait être renvoyé à la Section de l'immigration qui, dans ce cas, n'aura d'autre choix que d'imposer une mesure d'expulsion. La Section de l'immigration n'a pas de compétence en équité et ne peut prendre en considération aucun autre facteur, donc ceux que peut prendre en considération la Section d'appel de l'immigration, notamment la gravité des infractions commises ayant donné lieu à la mesure d'expulsion; la possibilité d'une réadaptation; la durée du temps passé au Canada; son établissement; sa famille; son système de soutien; aucun de ces éléments ne peut être pris en considération par la Division de l'immigration. Il lui est formellement interdit de le faire.

La seule question qui se pose est celle de l'équivalence. Ce que l'on propose ici, c'est de confier d'énormes pouvoirs discrétionnaires à l'agent, car dès qu'il décide de rédiger un rapport en vertu du paragraphe 44(1) qui est envoyé à la commission, la commission aura les mains liées. Si cela répond aux critères énoncés au paragraphe 36(1), la commission devra imposer une mesure d'expulsion, et il n'y aura pas de procédure d'appel équitable de la mesure.

La Cour fédérale n'a pas de compétence en équité dans des cas comme ceux-là. Un grand nombre de témoins vous ont déjà parlé de la règle des six mois, et je ne vais pas en rajouter. Je comprends que les points de vue diffèrent en ce qui a trait au seuil pour les condamnations au Canada.

Une condamnation à l'étranger et la commission d'une infraction à l'étranger sont deux choses fondamentalement différentes. Au Canada, il y aura un procès; tous les faits seront examinés par le système de justice canadien. Je vais vous donner quelques exemples rapidement de cas ou situations où cela peut se produire.

Un jeune de 19 ans utilise une fausse carte d'identité pour entrer dans un bar aux États-Unis. L'usage d'un faux document est passible, en vertu de l'article 368, d'une peine maximale de 10 ans. Si le jeune s'en confesse à un agent d'immigration, il peut renvoyer son dossier à la commission, et celle-ci n'aura d'autre choix que d'imposer une mesure d'expulsion. Il faut espérer qu'un agent ne fera pas cela. Il faut espérer qu'un agent agira de manière raisonnable et qu'il ne transférera pas le dossier de la personne à la commission en pareil cas.

Il en va de même pour la personne qui fait un chèque sans provision. Si vous faites un chèque sans provision, vous êtes passible d'une peine de 10 ans en vertu de l'article 362. Il se pourrait que vous n'ayez pas droit de faire appel. Je pourrais vous donner d'autres exemples du même genre. Je pourrais vous en parler plus tard, car mon temps est écoulé. Toutefois, si vous voulez apporter un amendement à ce projet de loi qui, je pense, ne soulèvera pas beaucoup la controverse, je vous encourage fortement à supprimer la dernière partie de cette disposition.

Le président : Merci.

J'invite maintenant M. Pagtakhan, qui est avocat et qui comparaît lui aussi à titre personnel, à nous présenter son exposé.

R. Reis Pagtakhan, avocat, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Permettez-moi tout d'abord de vous donner un aperçu de mon exposé. À mon avis, il y a dans le projet de loi C-43 des dispositions qui méritent d'être appuyées, des dispositions qui devraient être amendées aux fins d'une plus grande équité, des dispositions qui devraient être supprimées et des dispositions qui devront faire l'objet d'une étude plus approfondie.

Les dispositions du projet de loi qui méritent d'être appuyées sont celles qui éliminent le droit des résidents permanents d'en appeler d'une mesure de renvoi auprès de la Section d'appel de l'immigration en raison d'une peine d'emprisonnement de six mois ou plus. Certains soutiennent que cela pénalise injustement les résidents permanents de longue date, mais cet argument ne tient pas compte du fait que seuls les criminels peuvent être frappés d'expulsion.

Il convient de signaler que ces personnes ne sont pas de présumés criminels. Elles ne sont pas de simples accusés. Elles ne sont pas innocentes. Elles ont été reconnues coupables d'un crime devant un tribunal. Les sénateurs ne doivent pas oublier que pour être reconnu coupable, un individu doit non seulement avoir commis un crime, mais doit l'avoir fait en toute connaissance de cause. Sinon, ce n'est pas considéré comme un crime.

Les sénateurs ne devraient pas oublier non plus que ces criminels n'avaient qu'à respecter la loi pour éviter d'être expulsés. Le Code criminel du Canada a été rédigé de façon à codifier ce qui constitue un comportement criminel aux yeux des Canadiens. Les individus visés par ces dispositions ont choisi le chemin de la criminalité.

De plus, ces criminels ont bénéficié de l'application normale de la loi comme l'exige notre système judiciaire. Il ne faudrait pas que les sénateurs oublient que ces criminels ont d'abord été présumés innocents, ont eu le droit, en vertu de la Charte, de se défendre, ont été reconnus coupables par un jury composé de leurs pairs ou un juge, et ont vu le jugement maintenu en appel.

En outre, on ne parle pas ici de criminels à qui on a imposé des peines alternatives, des amendes ou une probation. Il s'agit de criminels qui ont été condamnés non seulement à l'emprisonnement, mais à au moins six mois de prison. Il ne s'agit pas non plus de criminels n'ayant pas eu l'occasion de défendre leur statut d'immigrant au moment du prononcé de la sentence.

En mars, la Cour suprême du Canada s'est prononcée dans l'affaire Pham. Elle a déclaré que les conséquences indirectes en matière d'immigration peuvent être pertinentes pour fixer adéquatement la peine. C'est une affaire dans laquelle un criminel condamné a demandé que sa peine soit réduite d'un jour de manière à pouvoir exercer le droit de faire appel d'une mesure d'expulsion devant la Section d'appel de l'immigration. Dans Pham, la Cour suprême a indiqué que les conséquences indirectes en matière d'immigration peuvent s'avérer pertinentes pour la détermination de la peine, mais que le processus de détermination de la peine ne doit pas donner lieu à l'infliction de peines inappropriées et artificielles dans le but d'éviter les conséquences indirectes, comme l'expulsion.

Essentiellement, la peine doit être juste eu égard au crime commis. Si la sanction doit être juste et qu'il faut prendre en compte les conséquences en matière d'immigration au moment du prononcé de la sentence, l'immigrant qui commet le crime se verra imposer une juste sanction. C'est là où est la différence.

Il faut se rappeler que, outre les conséquences en matière d'immigration, le juge qui impose la peine examinera d'autres facteurs pour en arriver à une peine juste, comme la déclaration de la victime, la preuve présentée à l'égard du crime, la preuve présentée par les agents de police et les témoins et la plaidoirie de l'avocat de la défense. Par conséquent, la décision du juge sera équilibrée. Rien ne justifie un nouvel appel dans un contexte non criminel.

Je dois dire que, du point de vue des valeurs, les immigrants et les gens nés au Canada doivent respecter la loi. Les personnes qui violent la loi doivent assumer les conséquences de leurs actes. Elles seront poursuivies en justice, et non persécutées. Comme chaque personne est censée connaître la loi, il vaut mieux la respecter, sinon il faudra en subir les conséquences.

Les dispositions qui doivent être modifiées concernent l'interdiction de territoire de cinq ans imposée à un étranger pour fausses déclarations. Contrairement aux dispositions du Code criminel, cette interdiction peut pénaliser des innocents, car de fausses déclarations en matière d'immigration peuvent être faites sans que le demandeur soit au courant. Dans certains cas, de fausses déclarations ont été faites par des représentants malhonnêtes sans que le demandeur soit au courant. Dans un tel cas, un demandeur innocent serait pénalisé en vertu du projet de loi C-43. Il suffirait de modifier ces dispositions pour préciser qu'elles ne s'appliquent qu'en cas de fausses déclarations faites « sciemment ». Ainsi, elles seraient plus équitables et respecteraient davantage les valeurs canadiennes.

Une des dispositions devant être retirées propose de permettre au ministre de refuser le statut de résident temporaire à un étranger pour des raisons d'intérêt public. Ce pouvoir discrétionnaire est inquiétant, car il permet de refuser une demande sans autres critères plus précis. Les Canadiens sont en droit de savoir quels gestes pourraient faire en sorte qu'un demandeur se voit refuser l'entrée au pays.

Dans un document d'information qu'il a publié en juin, le ministère donne l'exemple d'un ministre qui refuse l'entrée au pays à un étranger qui encouragerait la violence contre un groupe religieux. La promotion de la violence est un crime. Alors, les individus qui commettent ce crime devraient être appréhendés et accusés. Toutefois, cette décision ne devrait pas revenir à un acteur politique, comme le ministre, mais plutôt à des professionnels du système judiciaire, comme les policiers et les procureurs de la Couronne. Si un étranger commet un crime au Canada, il devrait être arrêté. On ne devrait pas lui interdire l'entrée au pays sous prétexte qu'il pourrait commettre un crime.

Les dernières dispositions du projet de loi C-43 que j'aimerais aborder concernent le respect des exigences imposées à un employeur. Je comprends que l'article 37 ne traite que de la possibilité de créer des règlements à l'égard, entre autres, des travailleurs étrangers et de leurs employeurs. Je comprends également que les citoyens auront l'occasion de se prononcer sur de tels règlements avant leur mise en œuvre. Cependant, en raison de la portée éventuelle de ces modifications, le Parlement — pas uniquement le gouvernement — devrait étudier les règlements proposés et entendre le témoignage de représentants du milieu des affaires, des travailleurs et d'autres groupes pour s'assurer que sa volonté prévaudra. Il y a, en tout temps, plus de 180 000 travailleurs étrangers au pays. Il n'est donc pas approprié de laisser cette décision réglementaire entre les mains du gouverneur en conseil. C'est pourquoi une étude s'impose. Les effets se feront sentir à long terme et toucheront un grand nombre de personnes.

Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir entendu et je répondrai avec plaisir à vos questions.

Sharon Rosenfeldt, présidente, Victimes de violence : Bonjour, honorables sénateurs. Merci d'avoir invité l'organisme Victimes de violence à témoigner devant vous aujourd'hui. Nous sommes ici pour appuyer le projet de loi C-43, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui porte le titre abrégé de Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers.

Notre organisme a pour mission de promouvoir un système de justice plus équilibré grâce à l'action législative et à la sensibilisation du public. L'organisme Victimes de violence a été mis sur pied en 1984 afin de défendre les droits des victimes d'actes criminels et d'accroître la sécurité de tous les Canadiens respectueux des lois en s'attaquant aux problèmes du système de justice pénale du Canada. Victimes de violence travaille en collaboration avec le gouvernement depuis 30 ans afin que la sécurité publique et la voix des victimes d'actes criminels soient prises en considération. Notre travail pour le compte des victimes d'actes criminels touche parfois à celui de divers ministères, comme c'est le cas aujourd'hui.

Jusqu'à présent, le gouvernement a prêté l'oreille aux victimes et aux citoyens canadiens respectueux des lois qui veulent que nos lois fassent la distinction entre la majorité des contrevenants, pour lesquels la réinsertion est une possibilité réaliste, et les récidivistes, pour lesquels le système de justice pénale et correctionnelle est une porte tournante, groupe dans lequel sont compris les étrangers qui violent à répétition nos lois. Nous sommes d'avis qu'à la longue, les mesures prévues par le projet de loi C-43 ne mettront pas plus de criminels étrangers derrière les barreaux, mais elles aideront plutôt à garder au Canada les gens qui devraient y être. C'est ce que recherchent les victimes de crimes.

Le projet de loi C-43 répond-il à tous les problèmes de la société en matière d'immigration et de réfugiés? Bien sûr que non. Pour assurer la sécurité des collectivités canadiennes, il faut disposer d'un système d'immigration efficace. Aussi faut-il exercer les pouvoirs à cet égard à bon escient pour promouvoir le plus grand bien-être des citoyens.

Le projet de loi C-43, longuement attendu, a été conçu en partie pour faciliter l'entrée au Canada de visiteurs et d'immigrants légitimes, tout en dotant le gouvernement d'outils juridiques plus musclés pour interdire l'entrée à ceux qui pourraient représenter un risque. L'élément le plus important aux yeux des victimes d'actes criminels, c'est l'expulsion du Canada des personnes ayant été trouvées coupables de crimes graves par notre système de justice.

Nous sommes d'accord avec le ministre Kenney qui a déclaré que la vaste majorité des néo-Canadiens ne commettront jamais de crime grave et ainsi ne toléreront jamais la petite minorité qui sévit et qui a perdu le privilège de rester au Canada. Nous sommes également d'accord avec le ministre Kenney au sujet de l'application régulière de la loi, de la justice naturelle et de la primauté du droit, et que même les criminels étrangers déclarés coupables devraient pouvoir défendre leur cause devant un tribunal et bénéficier de l'application régulière de la loi. Toutefois, le ministre Kenney estime que les dossiers de ces gens-là ne doivent pas traîner devant les tribunaux pendant d'innombrables années et qu'il ne doit pas y avoir d'abus de notre processus équitable. Victimes de violence abonde dans le même sens que le ministre. Le projet de loi mettrait un terme à l'exploitation du système.

Nous croyons que le projet de loi prévoit des mesures décisives et s'impose comme une évidence pour notre pays et ses citoyens respectueux des lois. Il envoie un message selon lequel les règles d'engagement ont changé au Canada et les gens qui viennent ici et violent nos lois ne pourront plus le faire impunément.

J'aimerais attirer l'attention du comité sénatorial sur une question qui, je l'espère, sera prise en considération au moment de prendre une décision au sujet du projet de loi C-43. Je demanderais aux membres du comité de penser à ce que la criminalité coûte aux victimes. Les crimes violents et graves ne coûtent pas seulement de l'argent aux contribuables; ils représentent également des pertes de vies humaines, des pertes de parents, des perturbations de l'ordre public et des pertes de confiance dans l'administration de la justice pénale. En 2008, le ministère de la Justice a publié un rapport qui présentait les coûts approximatifs de la criminalité. Selon ce rapport, les coûts tangibles de la criminalité, notamment les services policiers, les tribunaux, les services correctionnels, les soins de santé, les coûts de réadaptation des victimes, et cetera, s'élevaient à environ 31,4 milliards de dollars, tandis que les coûts intangibles — la douleur et la souffrance, les pertes de vie, et cetera — étaient plus de deux fois plus élevés, atteignant 68,2 milliards de dollars.

Les mesures à prendre au sujet des résidents permanents qui deviennent des criminels plutôt que des citoyens constituent un problème auquel les gouvernements se heurtent depuis des décennies. Lorsque la loi a été modifiée en 2002 afin de faciliter l'expulsion de ces criminels, elle a été renforcée par l'ajout de la litigieuse disposition relative à la sanction de deux ans, qui a soulevé une question inhabituelle et très controversée pour les tribunaux. Les juges devraient-ils faire preuve de clémence et réduire une peine à deux ans moins un jour afin de laisser à l'immigrant l'espoir de demeurer au Canada? C'est parfois le cas et, selon les victimes que nous rencontrons, cela se produit partout au Canada.

Nous croyons que certains juges des tribunaux d'appel ont tort de ne pas respecter la primauté du droit. Lorsqu'un tribunal d'appel réduit une peine de 18 mois afin de permettre au délinquant de plaider sa cause devant la SAI, alors que sa victime a souffert pendant des mois à l'hôpital, qu'elle est toujours en réadaptation et qu'elle apprend qu'avant son audience devant la SAI, le délinquant a été arrêté de nouveau et inculpé de sept autres crimes graves, voilà ce qui, selon moi, ternit l'image du système.

Certains témoignages présentés à des comités du Sénat et de la Chambre des communes ont porté sur la Cour suprême et l'incertitude quant à son interprétation de cette mesure législative. Pour ma part, je crois que la Cour suprême devrait être considérée comme un bouclier au moment de rendre ses décisions et ne pas servir de glaive par certains pour faire passer leur message.

En conclusion, nous croyons que le projet de loi C-43 permet au système d'immigration du Canada de répondre aux besoins réels et pressants que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration éprouve en ce moment et de préparer le système aux nouveaux défis qui pourraient survenir dans l'avenir.

Nous sommes convaincus que si toutes les modifications contenues dans le projet de loi C-43 sont appuyées et adoptées, la sécurité des Canadiens s'en trouvera améliorée.

Tous les Canadiens ont le droit de vivre dans des collectivités sûres. Le ministère de la Citoyenneté, de l'Immigration et du Multiculturalisme devrait réagir rapidement et efficacement à toute atteinte à ce droit.

Le président : Merci beaucoup à vous tous. Je donne la parole à mes collègues, au sénateur Eggleton, pour commencer.

Le sénateur Eggleton : Pour revenir au dernier exposé, celui de Mme Rosenfeldt, je doute que le projet de loi soit conforme à vos désirs, parce que le ministre ne fait que supprimer la Section d'appel de l'immigration sans supprimer la possibilité, pour beaucoup de gens, d'étirer le processus judiciaire pour retarder leur renvoi du Canada.

Quand nous avons entrepris l'étude du projet de loi, nous avons entendu parler de certains cas qui, effectivement, sont graves; on ne devrait pas laisser traîner en longueur une affaire pendant 10 ou 15 ans avant la déportation de l'intéressé, mais je doute que cette mesure y change quoi que ce soit. À la place, le projet de loi ferme l'accès à la Section d'appel de l'immigration qui, au fait, est l'un des processus les plus courts.

Je m'adresse d'abord à Mme Mangat, sur la question de l'entrevue obligatoire du SCRS. Vous craignez que ce soit un interrogatoire à l'aveuglette, comme vous dites. Vous dites que, actuellement, l'obligation de s'y soumettre doit se limiter à l'information nécessaire et que le projet de loi supprime cette obligation. D'après vous, quelle serait la possibilité que l'entrevue touche des sujets inappropriés? Je voudrais que vous me donniez des exemples.

Mme Mangat : Merci de votre question. Je ne suis pas sûre que l'article 16, qui concerne l'obligation d'assister à une entrevue et de transmettre des informations, soit changé. On y ajoute une obligation pour les entrevues du SCRS. Ce n'est pas assez, d'après moi, pour le changer.

Quoi qu'il en soit, je pense que l'entrevue peut se dérouler d'un certain nombre de façons, sans balises sur ce que les agents du SCRS sont autorisés à demander. Faute de balises et de limites, ils risquent de se retrouver dans la position peu enviable et plutôt désagréable d'essayer de fournir au SCRS de l'information sur d'autres activités en cours à l'étranger, qu'ils risquent de méconnaître. Les renseignements ainsi obtenus seront-ils dignes de confiance? Qui pourrait le dire? Faute de balises raisonnables établies d'après l'objet de la demande présentée par la personne, ces agents risquent de poser n'importe quel type de questions à une personne par rapport à qui ils se trouveraient, d'après moi, en position de puissance et d'autorité. Ils pourraient la questionner sur autre chose, dont elle pourrait être ou non au courant.

Le sénateur Eggleton : Vous dites que l'article 16 est maintenu, et on y lit qu'il faut présenter les documents requis.

Mme Mangat : C'est pour une entrevue avec l'agent de l'immigration, pas avec le SCRS.

Le sénateur Eggleton : Cette disposition ne s'applique pas au SCRS, alors?

Mme Mangat : Pas les documents requis. Le libellé de la disposition concernant le SCRS se prête à toutes les interprétations.

M. Edelmann : J'ai eu des contacts avec le SCRS et l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC. Souvent, les questions visent à obtenir de l'information, à un niveau plus général, qui n'a rien à voir avec la demande dont les agents s'occupent. Par exemple, l'ASFC soumet souvent le clandestin arrivé au Canada avec la complicité d'un passeur à un barrage de questions pour obtenir de lui des renseignements qui n'ont aucun rapport avec sa situation personnelle.

Quant au SCRS, il s'intéresse aux organismes étrangers. Quelqu'un qui viendrait de Palestine, par exemple, peut avoir des connaissances ou des liens avec des groupes d'Iran ou d'autres pays, sur lesquels le SCRS voudrait obtenir des renseignements. Ça placerait la personne dans la position peu enviable de devoir décider de faire ce à quoi la loi l'oblige ou de se taire, mais c'est alors un choix qu'elle peut faire; elle peut choisir de collaborer. C'est ce que font beaucoup de gens. Comme les citoyens, nous choisissons souvent de collaborer avec le SCRS et nous pouvons très bien choisir de le faire. Ça créerait une obligation. C'est très différent.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de vous interroger sur la mesure qui vous inquiète. Les motifs humanitaires ne figurent plus, non plus, dans le libellé des alinéas 36(1)b) ou c) de l'article 24 du projet de loi. Ça ne s'applique pas dans ce cas? Vous dites que la décision serait toujours prise automatiquement?

M. Edelmann : Pour être précis, les motifs humanitaires concernent l'article 25, qui porte sur la demande de résidence permanente. Quant au paragraphe 64(2), il vise les résidents permanents menacés de perdre ce statut. Dans ces circonstances, la commission est saisie de la question par un agent d'immigration qui peut alors tenir compte d'autres facteurs, le cas échéant. On espère qu'il le fera, mais, malheureusement, il ne le fait pas toujours.

Une fois la commission saisie de la question, la section de l'immigration n'a pas compétence en équité. Cela n'arrive que lorsque la Section d'appel de l'immigration en est saisie. Les motifs humanitaires sont ce que la commission considère comme une compétence en équité. C'est seulement la Section d'appel de l'immigration qui la détient et non la section de l'immigration.

Cette modification empêcherait l'accès à la Section d'appel de l'immigration. Ça s'arrêterait donc à cette section. L'ordre de déportation prendrait effet à cette étape. La personne aurait perdu son statut de résident permanent au point où elle allait à la section de l'immigration. Est-ce que ça répond à votre question?

Le sénateur Eggleton : Je vais y penser.

Monsieur Pagtakhan, vous avez déclaré, d'entrée en matière, que si on est jugé coupable, on est un criminel, qui ne mérite pas le processus d'appel à la Section d'appel de l'immigration.

Avec des témoins antérieurs, nous avons discuté de petits et de gros criminels, la grande criminalité, selon les termes du ministre. Mais, quand on descend à six mois, il se peut, particulièrement quand on fait abstraction de la peine d'emprisonnement avec sursis ou de l'assignation à résidence, ainsi de suite, que, parfois, l'accusé écope d'une peine prolongée, s'il est assigné à résidence. La peine d'emprisonnement pourrait être de quatre mois, contre six ou sept mois d'assignation à résidence. C'est un sujet de préoccupation.

Il s'agit, ici, de ce qui fait la grande criminalité. Six mois pourraient correspondre à méfait public, troubler la paix, intrusion, possession de marijuana, par exemple. Ce n'est pas de la grande criminalité pour tout le monde. Pourtant, c'est la peine qui leur correspond.

Êtes-vous en train de dire que six mois, c'est pour les criminels, et il n'y a plus rien à faire; il n'y a pas d'appel? La distinction entre les gros et petits criminels ne vous préoccupe-t-elle donc pas?

M. Pagtakhan : Sénateur, je reconnais qu'une condamnation à six mois de prison n'équivaut pas à purger six mois en prison.

La différence que je perçois, pour le criminel qu'on condamne, c'est qu'un processus d'appel permet au juge qui prononce la peine de tenir compte de ces facteurs. La déportation est une conséquence accessoire. C'est ce qu'a confirmé la Cour suprême du Canada, en mars. Elle a dit, et je suis d'accord, qu'il faut que ce soit une peine juste, une peine appropriée. Ce n'était pas clair quand le projet de loi a été déposé, mais ce l'est maintenant que la Cour suprême a dit qu'il faut tenir compte des conséquences accessoires et, plus particulièrement, des conséquences en matière d'immigration.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que ça veut dire des peines plus courtes? Par exemple, concernant l'arrêt Pham, qui a entraîné la réduction de la durée de la peine d'une journée, pour autoriser l'appel, êtes-vous en train de dire que ça deviendra plus fréquent? Autrement dit, ceux qui sont normalement condamnés à six mois écoperaient de six mois moins un jour?

M. Pagtakhan : Je dis qu'il incombe à l'accusé d'invoquer cet argument. Si la Cour d'appel ou la Cour suprême l'accepte, c'est la peine qu'il obtiendra. C'est clair. C'est la jurisprudence.

C'est ma position. Le juge — la Cour d'appel et la Cour suprême, éventuellement — tient compte non seulement de l'argument de l'immigrant qui lui demande de ne pas le renvoyer en raison de toutes ses autres bonnes actions. Il tient compte de l'ensemble de la situation, des circonstances atténuantes et aggravantes, de la victime et de l'accusé, pour la détermination d'une peine appropriée. Si la peine appropriée a pour conséquence accessoire l'impossibilité de faire appel à la Section d'appel de l'immigration, je pense qu'elle est vraiment appropriée.

La sénatrice Jaffer : J'aimerais débuter par le dernier témoin, M. Pagtakhan.

Vous parliez d'une peine appropriée. Comme vous avez très bien étudié la question, pensez-vous que le tribunal en tiendra compte? La perte du statut est une conséquence accessoire grave. Comment croyez-vous que le juge tiendra compte des principes de détermination de la peine qui s'appliquent dans ces circonstances?

M. Pagtakhan : D'après l'arrêt Pham, si une peine appropriée est 10 ans de prison, elle ne sera pas réduite à six mois moins un jour. C'est clair. C'est lorsqu'elle sera raisonnablement limite. Dans l'arrêt Pham, la Cour suprême a parlé d'une foule de conséquences accessoires, pas simplement en matière d'immigration. Elle a examiné la possibilité, pour l'accusé, de perdre son emploi. Est-ce que cela fera éclater la famille? Est-ce que les sources d'aide disparaîtront pour cet individu? Sera-t-il stigmatisé? Y aura-t-il perte du soutien financier ou social? Et cetera. Pour prononcer une peine appropriée, on tiendra compte d'une foule de choses. L'immigration, qui est une conséquence accessoire, sera aussi l'objet d'un examen. Les conséquences accessoires ne sont pas des facteurs atténuants, d'après la Cour suprême. Elle tiendra donc compte aussi des facteurs atténuants.

Je pense que vous verrez que la Cour d'appel, la Cour du Banc de la Reine et les cours criminelles pourront prendre tous ces facteurs en considération. D'après moi, si les tribunaux s'en chargeront, pourquoi devons-nous confier cette tâche à un tribunal administratif séparé? Quelqu'un s'en occupe déjà.

M. Edelmann : Je ne suis pas d'accord. Je plaide régulièrement devant des cours criminelles pour des personnes qui subissent des conséquences sur le plan de l'immigration. Les cours criminelles ne comprennent pas l'immigration ou ne s'en occupent pas régulièrement. Je consacre beaucoup de temps à sensibiliser les juges aux conséquences en matière d'immigration.

L'affaire Pham ne visait pas à décider la déportation de M. Pham. En fait, la cour criminelle préférait ne pas le faire. Il s'agissait de déterminer si M. Pham pouvait s'adresser à la Section d'appel de l'immigration qui aurait bien pu le déporter. En fin de compte, pour répondre à la question, M. Pham peut s'adresser à la section, qui peut décider de le déporter. C'est une question de son ressort, parce que la section est un tribunal spécialisé qui comprend les conséquences.

Sur l'amélioration de la sécurité ou la règle des six mois, je dirai notamment que nous verrons systématiquement, quand la résidence permanente commencera à être de plus en plus précaire, que les gens obtiendront leur citoyenneté aussitôt qu'ils le pourront.

D'autres témoins sont venus parler du respect des ordonnances de sursis de la Section d'appel de l'immigration. Je peux vous dire que mes clients les respectent dans une proportion astronomiquement plus élevée que les ordonnances de probation ou les autres ordonnances des cours criminelles, en raison des conséquences absolument dévastatrices du non-respect des ordonnances de sursis.

C'est une comparaison avec les citoyens canadiens. Beaucoup de mes clients, aujourd'hui devant la Section d'appel de l'immigration, sont extrêmement motivés pour respecter les ordonnances de sursis. Si la nouvelle loi avait été en vigueur, ils seraient devenus citoyens il y a bien des années. Quant à la sécurité, je ne suis pas convaincu qu'on puisse absolument en garantir l'amélioration, parce qu'elle ne dépend pas d'immigrants ni de résidents permanents, mais de futurs citoyens.

La sénatrice Jaffer : Ce qui m'inquiète dans ce projet de loi et certains autres dont le Sénat est saisi, c'est qu'ils imposent un traitement standardisé : chacun est traité sur le même pied, sans égard aux circonstances. Quand on abolit la Section d'appel de l'immigration, on traite tout le monde sur le même pied. Ce qui faisait la particularité de cette section, c'était la prise en considération de l'aspect humanitaire, de l'équité.

J'aimerais que Mme Mangat et M. Edelmann nous disent ce qu'il adviendra des personnes privées du droit d'appel. Cela me dérange vraiment. J'ai plaidé pendant 40 ans. Les juges font des erreurs et il faut une section d'appel. Sa suppression est une décision très dangereuse. Je voudrais connaître votre opinion.

M. Edelmann : Je pense qu'on doit traiter tout le monde sur le même pied, mais pas de la même façon. Égalité ne signifie pas traitement identique pour tous. Pour chacun, les circonstances diffèrent. Les gens commettent l'infraction criminelle dans des circonstances différentes, et les conséquences sont très différentes pour différentes personnes.

L'une des choses dont la Section d'appel de l'immigration peut tenir compte et dont les tribunaux criminels ne devraient pas avoir à tenir compte — les tribunaux criminels devraient pouvoir s'occuper des affaires dont ils sont saisis, des questions de punition, de réinsertion et de tous les facteurs pris en considération dans la détermination de la peine. Si une personne était expulsée, cela ne devrait pas être une sanction. Je pense que c'est la question fondamentale que nous devons examiner : ce n'est pas une sanction, et cela ne devrait pas l'être. Si c'est ce dont il s'agit, alors c'est un problème fondamental, à mon avis.

Mme Mangat : J'ai demandé à M. Edelmann d'intervenir en premier, car contrairement à moi, il pratique dans ce domaine. Je suis d'accord avec lui. Tous les gens ne sont pas dans la même situation. La Section d'appel de l'immigration se penche là-dessus et ce n'est pas ce que les tribunaux criminels font.

Le plus haut tribunal du pays dit maintenant aux tribunaux criminels et aux juges qui imposent la peine qu'ils devraient examiner les conséquences indirectes en matière d'immigration qui pourraient découler d'une peine qui est de deux ans maintenant, probablement dans les six mois à venir. Toutefois, ce ne sont pas des tribunaux spécialisés qui décident de toutes questions liées à l'expulsion. Je ne crois pas que les tribunaux criminels ou les jugent qui imposent la peine veulent cette responsabilité, et je ne pense pas que nous devrions la leur donner.

L'idée selon laquelle les gens qui sont dans cette situation peuvent faire appel dans notre système de justice pénale n'est pas vraiment une solution à ce qui se passe avec la Section d'appel de l'immigration. Ce sont deux domaines distincts, et nous ne devrions pas dire aux gens : « Le système de justice pénale vous permet déjà de bénéficier de l'application régulière de la loi. »

Le travail de la Section d'appel de l'immigration est spécialisé et différent. Je ne pense pas que dire qu'un juge qui impose la peine sera saisi de tout cela, un juge qui a un registre de milliers d'affaires, soit une bonne réponse.

La sénatrice Jaffer : Puis-je poser une autre question?

Le président : Vous pouvez en poser une.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Ce qui m'inquiète vraiment au sujet du projet de loi, c'est que, pendant mes années de pratique, on pouvait toujours s'adresser au ministre pour des motifs humanitaires; on pouvait lui présenter les circonstances. Ce n'est plus possible de le faire. Maintenant que les motifs humanitaires ont été retirés, le ministre ne peut pas les prendre en compte lorsqu'une demande de dispense est présentée.

Dans un tel cas, cette personne n'a aucun recours; on abandonne tout simplement un être humain qui est au Canada. Il a peut-être commis un crime, et je le reconnais, et il est puni. Toutefois, il est très grave de retirer au ministre la possibilité de prendre en compte des motifs humanitaires pour déterminer s'il convient d'accorder une dispense.

J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.

M. Edelmann : Je pense aussi que c'est un grave problème. De plus, le retrait des motifs humanitaires visé aux articles 34, 35 et 37 aura des conséquences dans le système. Plusieurs de ces articles ont été présentés comme étant des articles très vastes et on a fait valoir qu'il y a des recours. J'ignore s'ils seront appliqués.

Lorsque nous parlons de ces choses, elles semblent graves à première vue. Cependant, l'une des affaires récentes relatives à l'article 37 dont j'ai été saisi concernait un groupe d'étudiants qui vendaient de faux laissez-passer d'autobus sur le site Craiglist. Il s'agit d'activités de criminalité organisée, d'activités criminelles. Ils vendaient de faux laissez- passer pour faire de l'argent. Il s'agissait de crime organisé, mais nous ne parlons pas ici des Hell's Angels. Ce genre d'affaires représente une partie de celles dont est saisie la Commission.

Lorsque nous parlons d'une affaire relative aux dispositions prévues à l'article 37, c'est une question très vaste. Si aucun recours n'est possible, la portée de ces articles pose problème. Je conviens que cela causera des problèmes graves.

Mme Mangat : Je suis du même avis. Je pense que bon nombre de ces dispositions sont jugées constitutionnelles en raison de cette soupape de sécurité qui existe, c'est-à-dire le pouvoir discrétionnaire qu'a le ministre d'examiner des motifs d'ordre humanitaire. Si on la retire, on retire quelque chose qui faisait partie des raisons pour lesquelles les dispositions étaient constitutionnelles au départ. On pourra se demander si les juges continueront à appliquer ce genre de dispositions même s'ils n'ont plus cette soupape de sécurité permettant de tenir compte de ces questions.

Il y un autre sujet dont d'autres témoins ont parlé, je crois — ce n'était peut-être pas devant votre comité, mais devant un comité de la Chambre des communes. Qu'en est-il des obligations internationales du Canada en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant, par exemple?

C'est dans les divisions d'appel et l'examen des motifs humanitaires que ces questions sont au premier plan. Si nous les retirons, créerons-nous une boîte de Pandore d'éléments qui ne seront pas examinés, ce qui posera vraiment problème?

Comme l'a dit M. Edelmann, je pense que les conséquences seront plus lourdes que l'on pense à première vue.

La sénatrice Merchant : Je vous remercie beaucoup. Vous avez répondu à bon nombre de mes questions. J'éprouve beaucoup de compassion pour les victimes de crime. Je crains un peu parfois que nous politisions ce type de projets de loi. Celui-ci contient les mots « accélérant », « renvoi » et « étrangers ». Il est rédigé de telle façon qu'on se sent mal de se montrer aussi critique, mais la peur n'est pas un motif. Je pense qu'on a expliqué plus tôt qu'il ne permettra pas d'améliorer le moindrement notre sécurité. Je suis très sensible à votre appel.

Mme Rosenfeldt : Honorable sénatrice, avec tout le respect que je vous dois, je ne veux pas de votre compassion; aucune victime ne veut de votre compassion. Ce que nous voulons, c'est être en sécurité au Canada.

Je ne suis pas du tout d'accord avec vous. C'est une excuse qu'on lance aux victimes depuis quelques années. On nous considère comme ces personnes craintives ou qui sèment la crainte; nous serions des gens en colère et assoiffés de vengeance. Si vous vous occupiez de victimes de crime quotidiennement, vous ne verriez pas les choses de la même façon.

Nous ne parlons pas de gens qui se sont fait prendre pour possession d'une petite quantité de marijuana, par exemple, mais bien de crimes violents. Nous parlons d'agressions armées entraînant une peine de 13 mois de prison. Nous parlons de possession de substances dans le but d'en faire le trafic qui sont énumérées à l'annexe 1, ce qui mène à une peine de deux ans moins un jour. Pour les agressions sexuelles, c'est 18 mois.

Si vous deviez travailler avec certaines de ces victimes — et ce ne sont pas seulement des résidents non permanents qui commettent des crimes —, mais pourquoi les victimes de crime grave doivent-elles tolérer cela? Je ne comprends pas votre façon de voir les choses.

Je vous remercie de votre compassion, mais ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons être en sécurité.

La sénatrice Merchant : Je m'excuse; je ne vais pas contester ce que vous dites. Vous ne m'avez pas laissée terminer. J'allais dire que vous aviez présenté une démarche vraiment impartiale. À la toute fin, vous avez dit que ce n'est pas une solution à tous vos problèmes. Je pense que vous avez fait un très bon exposé.

Je n'essayais pas d'être compatissante, mais vous ne m'avez pas laissée terminer, et je vais poursuivre.

Mme Rosenfeldt : J'en suis désolée, madame la sénatrice.

La sénatrice Merchant : C'est bien. Nous sommes ici pour vous écouter, et vous avez tout à fait le droit de faire valoir vos arguments, et je suis heureuse de votre présence. Toutefois, certains de ces changements m'inquiètent, car nous avons dit que c'est plutôt une solution unique.

Monsieur Pagtakhan, vous avez parlé des travailleurs étrangers, et je ne me souviens plus de ce que vous essayiez de dire. Pourriez-vous me donner des exemples ou d'autres explications?

M. Pagtakhan : Le projet de loi contient une disposition qui parle de mécanismes d'application auxquels les employeurs ou les employés peuvent être confrontés — les « employés », étant ici des travailleurs étrangers. Selon la disposition contenue dans le projet de loi, cela donnera au gouvernement le pouvoir d'adopter des règlements. Comme les sénateurs le savent, les règlements ne sont habituellement pas examinés par les parlementaires; ils sont faits par le gouvernement et adoptés de cette façon.

Lorsque les changements au programme des travailleurs étrangers seront apportés — et les changements relatifs aux mécanismes d'application qui pourraient avoir des répercussions sur les employés et les employeurs devraient être étudiés par le Parlement —, nous devrons nous rappeler que des centaines de milliers de personnes sont des travailleurs étrangers. Dans notre système d'immigration actuel, à moins de faire partie de la catégorie « regroupement familial », pratiquement tous les immigrants doivent être dans une catégorie axée sur les besoins des employeurs, dans laquelle l'employeur choisit l'employé en tant que travailleur étranger. À mon avis, il est nécessaire que ce ne soit pas un règlement découlant simplement d'une décision prise par le gouvernement au Cabinet, qu'il publiera pendant 90 jours, pour ensuite espérer que des gens feront des demandes, et que la décision définitive ne soit pas prise par les deux ministères et les ministres.

Il faut absolument étudier la question davantage, ce qui signifie que votre comité et le comité de la Chambre des communes devraient le faire, car les répercussions sur les travailleurs étrangers seront majeures. Comme nous l'avons vu dans les médias ces dernières semaines, c'est une question d'actualité non seulement pour les travailleurs étrangers et leurs employeurs, mais aussi pour bien des Canadiens.

La sénatrice Merchant : Je pense que je vais m'arrêter ici. Merci.

La sénatrice Eaton : Merci. Deux personnes parmi vous semblent très préoccupées par les dommages indirects — l'expulsion —, mais il me semble que l'on peut regarder les choses d'une autre façon et dire qu'un non-Canadien et un résident permanent peuvent obtenir une peine plus clémente qu'un citoyen canadien; tout dépend de la décision du juge. Le juge pourrait dire : « Oh! mon Dieu, Peter sera expulsé, et je dois lui donner une peine de six mois moins un jour, qu'il purgera dans une prison provinciale; Nicky Eaton est citoyenne canadienne et je vais lui donner six mois et deux semaines et elle purgera sa peine dans une prison fédérale. »

Je ne comprends pas pourquoi les dommages indirects vous préoccupent autant. Il est certain que la peine devrait être proportionnelle à la gravité du crime, et si elle dépasse six mois et que la personne est expulsée, tout ce que nous demandons aux résidents étrangers, c'est de respecter la loi et de vivre au Canada. Qu'est-ce qui est si inéquitable là- dedans?

Mme Mangat : La décision qui a été prise dans l'affaire Pham dont M. Pagtakhan a parlé ne signifie pas que les conséquences en matière d'immigration doivent influencer le juge d'une manière ou d'une autre. Ces conséquences ne devraient pas dénaturer les choses, peu importe que ce soit en faveur de l'expulsion ou non.

La sénatrice Eaton : C'est exact.

Mme Mangat : Cela me va. Je pense que c'est très bien. J'aime bien l'affaire Pham. Je pense qu'elle est juste. Je pense que les conséquences en matière d'immigration constituent un facteur et que les juges examinent la situation dans son ensemble lorsqu'ils imposent une peine. Ils ont le pouvoir de le faire en vertu du Code criminel; ils sont censés le faire. Je crois que les conséquences en matière d'immigration constituent l'un des facteurs à prendre en considération pour déterminer une peine.

Je ne dis pas que les juges ne devraient pas imposer des peines de plus de deux ans si c'est ce qui convient. Je dis que si l'on réduit la peine de deux ans à six mois, on attrapera un plus grand nombre de personnes, mais ce ne seront pas nécessairement des gens qui ont commis les crimes violents dont Mme Rosenfeldt parlait tout à l'heure. Qui plus est, on retire la Section d'appel de l'immigration. Ce n'est pas que je veux trop qu'on laisse des gens qui doivent être expulsés rester au Canada. Je crois qu'il faut expulser les gens qui doivent l'être, mais il nous faut établir un processus équitable et appliquer la loi de façon régulière pour faire en sorte que nous nous débarrassons des gens qui le méritent et non de tout le monde.

La sénatrice Eaton : Est-ce trop demander aux gens qui veulent vivre ici comme résidents permanents de ne pas commettre de crimes dans ce pays?

Mme Mangat : Non, je ne pense pas que ce soit trop leur demander de ne pas commettre de crime. Je crois que chacun de nous ne devrait pas en commettre. Je ne recommande certainement pas aux gens d'enfreindre la loi. Je n'ai moi-même jamais commis de crimes, et je pense que c'est le cas de tous les gens ici. Je ne dis pas que les gens devraient pouvoir enfreindre la loi et s'en tirer facilement.

La sénatrice Eaton : Oui, mais vous semblez tellement estimer que c'est mesquin.

Le président : Laissons M. Edelmann intervenir, madame la sénatrice, et vous pourrez reformuler par la suite, si vous le souhaitez.

M. Edelmann : D'un point de vue pratique, selon les tribunaux, il y a une différence fondamentale entre la règle de deux ans et celle de six mois. Il en est ainsi parce que le seuil de deux ans est déjà un seuil très important dans les tribunaux criminels. En général, lorsqu'on parle de la durée des peines, une fois qu'on commence à parler d'une peine de deux ans, le niveau suivant, c'est la peine de trois ans, et ensuite de quatre ans et enfin, de cinq ans. On ne parle pas ici de petites différences. Dans l'affaire Pham, il s'agit d'une peine de deux ans moins un jour plutôt que de deux ans. C'est ce jour de moins qui fait la différence, non pas pour l'expulsion ou non d'une personne, mais pour la possibilité de faire appel devant la Section d'appel de l'immigration. Comme je l'ai dit, M. Pham pourrait toujours être expulsé. C'est une décision que prend la Section d'appel de l'immigration. Les tribunaux criminels n'ont pas ce qu'il faut pour régler la question et ils ne devraient pas avoir à le faire.

En ce qui concerne la règle de six mois, ce sera un problème important, à mon avis, car la différence entre cinq et sept mois correspond à la durée de la peine pour une infraction donnée. Dans le cas d'une personne qui a commis une infraction passible d'une peine d'environ six mois, on parle de deux à neuf mois. Dans l'affaire Pham, on dit que l'on peut tenir compte des conséquences en matière d'immigration, entre autres, mais qu'on ne peut pas aller au-delà de la durée donnée dans le cas de cette infraction.

Le problème qui se posera dans le cas de la règle de six mois, c'est que pour de nombreuses infractions, la durée couvrira une période substantielle entourant les six mois, contrairement à la règle de deux ans, où l'on tend à choisir entre deux ans et deux ans moins un jour. La durée de la peine ne pourra pas varier beaucoup plus que cela. Par exemple, elle ne pourra pas être réduite de trois à deux ans, car les tribunaux ont dit qu'on ne peut pas le faire.

Réduire la sanction de sept mois à six mois ou à six mois moins un jour sera une option tout à fait réaliste en vertu du nouveau régime. Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas juste, et je sais que les cours criminelles ne devraient pas avoir à gérer cela, mais c'est ce qu'engendre la modification de la règle qui fait passer la sanction de deux ans à six mois.

La sénatrice Eaton : D'une certaine façon, cela pourrait dépolitiser la chose, non? Si votre client doit comparaître, le juge lui imposera une sentence qu'il estime méritée. S'il écope de sept mois, il recevra, évidemment, un avis de déportation à sa sortie de prison. Peu importe qui était sa mère, depuis combien de temps il était au pays, s'il est allé à l'école ou si c'était une bonne personne. C'est clair et net.

M. Edelmann : De toute façon, tous ces facteurs sont pris en compte dans la détermination de la peine aujourd'hui : quel genre de travail occupe l'accusé, s'agit-il d'une première infraction, est-il vieux, est-il jeune...

La question qui va se poser dans le cadre du nouveau régime sera de savoir, pour le juge qui décide qu'une sanction de sept mois est la sanction appropriée, s'il convient en plus d'imposer la mise en résidence forcée au contrevenant. Dans bien des cas, la réponse va être non, il ne convient pas d'imposer, en plus de la sanction de sept mois, une mise en résidence forcée pour le contrevenant. Malheureusement, la seule autre option qui s'offre au juge est d'imposer une sanction de six mois moins un jour, même s'il estime qu'une peine de sept mois serait plus appropriée, car dès qu'il est question d'une sanction de sept mois, le dossier est confié à la Section d'appel de l'immigration. C'est ce qui risque de se produire.

Le président : Je crois qu'on a bien fait valoir ces points. Je laisse M. Pagtakhan et Mme Rosenfeldt répondre rapidement à la question, mais je vous prie de vous en tenir au sujet qui nous occupe.

M. Pagtakhan : M. Edelmann a raison, mais je ne vois pas les choses de la même façon.

Le juge de la cour criminelle va tenir compte de tout cela. Comme M. Edelmann le disait, il va prendre en considération le choix de sentences. Il se peut qu'un citoyen canadien écope d'une peine de sept mois, alors qu'un résident permanent se verra imposer une peine de six mois moins un jour, mais c'est parce que la loi est ainsi faite. L'immigration est une conséquence collatérale, et en mars, la Cour suprême du Canada a déterminé qu'il fallait en tenir compte. Là où mon opinion diffère de celle de M. Edelmann, c'est que je pense qu'il faut laisser la cour criminelle décider. Les juges ne veulent peut-être pas se mêler de l'immigration, mais la Cour suprême a décidé qu'ils devaient en tenir compte. Ils n'ont pas d'autre choix. Tous les juges chargés de déterminer la peine doivent le faire. Contrairement à l'arbitre de la Section d'appel de l'immigration, qui n'a que le point de vue du résident permanent, le juge pourra peser le témoignage de l'accusé par rapport à celui de la victime. Il aura l'occasion d'examiner l'ensemble de la preuve ayant été présentée devant lui, puis pourra déterminer ce qui constitue une peine juste. L'élément clé ici est que la peine doit être appropriée compte tenu des conséquences qu'elle aura sur l'immigration.

Le président : Brièvement, madame Rosenfeldt?

Mme Rosenfeldt : Je suis d'accord avec M. Pagtakhan. Le seul commentaire que je ferai est qu'il ne faut pas oublier que les crimes qui méritent une peine de six mois sont différents de ceux qui entraînent des peines de 12 ou 18 mois. Il ne faut pas l'oublier.

Le président : Je crois que nous en avons parlé abondamment. Les opinions divergent, de toute évidence, mais je pense que tout le monde a fait valoir son point de vue très clairement.

La sénatrice Seidman : Si vous me le permettez, j'aimerais avoir plus de détails sur le pouvoir discrétionnaire de rejet. Je crois que vous y avez tous, ou presque, fait référence. La formulation du projet de loi accroît la transparence du rôle du ministre. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la Chambre des communes a modifié le projet de loi initial de façon à exiger du ministre qu'il divulgue les raisons d'intérêt public justifiant ses décisions.

Je crois que l'un d'entre vous a également parlé de l'absence de critères établis. C'est une autre question qui a été réglée à la Chambre des communes, car la liste des critères employés est maintenant affichée sur le site web de Citoyenneté et Immigration Canada. On a voulu rendre le processus plus transparent. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet, si vous le voulez bien.

Mme Mangat : Je crois que vous faites référence aux points que j'ai soulevés dans ma présentation.

Je suis au courant des directives. J'ai consulté le site web du ministre et je les ai trouvées. Elles n'ont pas été aussi faciles à trouver que je l'aurais voulu, mais elles y étaient.

Je vous répondrai là-dessus que s'il s'agit de directives établies par le ministre et son personnel, elles sont appelées à changer. Rien n'empêche le ministre d'en rajouter ou d'en enlever. D'autres facteurs pourraient être établis.

J'ai lu les directives et elles ne sont pas vraiment claires, à mon avis. C'est effectivement mieux que de n'avoir aucune information sur les considérations d'intérêt public dont le ministre pourrait se servir, mais les directives ne répondent pas à toutes les questions. Elles ne sont pas très claires selon moi, mais cela pourrait être une question d'interprétation dans une certaine mesure.

Ma principale inquiétude est que si ces considérations ne sont pas énoncées dans la loi, elles pourraient très bien être modifiées. Les inclure dans la loi les rendraient obligatoires non seulement pour le ministre en poste, mais aussi pour tous les ministres à venir. C'est ce qui me préoccupe.

Le président : Poursuivez, madame la sénatrice.

La sénatrice Seidman : D'accord, merci.

Le président : Si vous voulez réagir, dites-le-moi. Ne nous forcez pas à regarder tout le monde pour voir si quelqu'un veut parler. Si vous avez quelque chose à dire, je vais vous céder la parole avec plaisir. Je vais laisser la sénatrice poser une autre question. Si vous avez quelque chose à ajouter, faites-moi signe et vous pourrez y aller. Nous ne voulons pas avoir de temps mort.

La sénatrice Seidman : Merci, monsieur le président. Pour poursuivre dans la même veine, je crois que M. Pagtakhan a aussi exprimé des inquiétudes à propos du pouvoir discrétionnaire de rejet. J'aimerais signaler que le Canada accuse du retard par rapport au reste du monde à cet égard. En fait, le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis ont tous adopté des critères semblables, sinon plus strictes encore, et accordé un tel pouvoir discrétionnaire à leurs ministres respectifs. Je ne comprends pas pourquoi vous avez des réserves à ce sujet. J'essaie de comprendre ce qui vous dérange.

M. Edelmann : Ce qui pose problème avec le pouvoir discrétionnaire de rejet, c'est que même si les amendements ont permis d'apporter de légères modifications, les motifs d'intérêt public ne sont pas, par définition, publiés à l'avance. Autrement dit, les motifs donnés dans le site web ne sont pas prévus dans la réglementation et ne sont pas publiés dans la Gazette du Canada. La notion en tant que telle n'est pas débattue en public. Il ne s'agit pas d'une loi, mais d'un décret ministériel qui peut aussi être établi a posteriori. Cela signifie que les motifs peuvent être créés après coup : « Je n'aime pas cette personne. Je ne veux pas la laisser entrer, alors je vais établir des critères qui justifieront ma décision. »

La primauté du droit veut que les règles soient connues à l'avance et qu'elles aient été débattues et acceptées dans des conditions démocratiques. C'est essentiellement ce qui me préoccupe avec cet article. On ne connaît pas les règles à l'avance. Le ministre pourrait publier toute une série de lignes directrices demain après avoir tranché dans le dossier de quelqu'un.

[Français]

La sénatrice Verner : Concernant le pouvoir discrétionnaire de refus du ministre, je suis une sénatrice du Québec et je vais vous soumettre un cas qui s'est produit en 2011, pour avoir votre perspective à ce sujet.

L'Assemblée nationale du Québec a adopté de façon unanime une motion demandant au gouvernement fédéral de refuser à deux militants intégristes — pour les nommer : Abdur Raheem Green et Hamza Tzortzis — le droit de séjourner au Canada afin qu'ils ne puissent pas participer à une conférence à Montréal. Ces deux individus étaient reconnus pour avoir tenu des propos homophobes et pour banaliser la violence envers les femmes. Comment le ministre aurait-il pu répondre à cette motion unanime du Québec si ce n'était par son pouvoir de refus?

M. Edelmann : Au fond, la question est de savoir si ce cas est justifié. Admettons que, en tant que Canadiens, nous sommes d'accord sur le fait que ce genre de personnes ne devrait pas être admis au Canada — et c'est un débat qui a été tenu à l'Assemblée nationale; les participants à ce débat étaient d'accord pour dire que ces personnes ne devraient pas venir — ce que je suggère, c'est simplement de définir les critères. Si ce sont des propos haineux, des propos homophobes, certains points de vue ou certaines façons de s'exprimer qui sont problématiques, c'est une question d'avoir un débat, de définir quel est le problème et de dire, dans ce genre de cas, qu'on va refuser l'entrée.

Il est problématique de simplement donner un pouvoir discrétionnaire ouvert au ministre qui peut définir les règles par la suite. Voilà donc, au fond, ce que je vous suggère.

[Traduction]

Mme Mangat : Ce sont des gens qui étaient venus pour participer à une conférence. En tant que Canadiens, nous devons décider si nous voulons protéger la liberté d'expression. Si ces personnes avaient fait des commentaires homophobes ou sexistes envers les femmes, elles auraient eu à faire face aux lois canadiennes sur les crimes haineux. Peu importe s'il ne s'agit pas de résidents ou de citoyens canadiens. Les personnes en sol canadien qui enfreignent les lois doivent en subir les conséquences. Je ne pense pas que la solution soit d'empêcher les gens d'entrer sous prétexte que nous n'aimons pas le message qu'ils pourraient exprimer.

La sénatrice Verner : Nous ne sommes pas du même avis à-dessus.

Mme Rosenfeldt : Les représentants de notre organisation ont passé en revue le projet de loi, et j'ai déjà dit que nous étions totalement en faveur de tout ce qu'il contient. Je ne suis donc pas du tout d'accord avec vous non plus sur ce point. Nous devons faire confiance au ministre, peu importe son allégeance politique. Nous devons croire que le ministre agira dans le meilleur intérêt des citoyens canadiens.

[Français]

La sénatrice Verner : J'ajouterai que j'ai devant moi des lignes directrices sur le nouveau pouvoir de refus et, entre autres, on indique très clairement, parmi les critères pour refuser des gens, le fait qu'ils « encouragent ou incitent d'autres personnes à se livrer à des actes de violence ou qu'ils fassent la promotion ou la glorification de la violence terroriste ». Bref, il y a une série de critères; mais voilà le cas que je voulais soumettre aujourd'hui. Je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Dyck : Merci pour vos présentations cet après-midi. Je voulais revenir sur la question des peines de six mois. On avait commencé à énumérer les types d'infraction ou de crime qui seraient assujettis à une telle peine. Madame Rosenfeldt, vous parliez de crimes graves, comme des agressions sexuelles. Toutefois, quels genres de comportements criminels pourraient entraîner l'imposition d'une peine de six mois? Est-ce que l'un d'entre vous pourrait me donner un exemple d'activité qui mériterait une peine de six mois?

Mme Rosenfeldt : Il pourrait s'agir de harcèlement criminel. Je n'ai pas de liste écrite. Tandis que je cherche, pourriez-vous en nommer quelques-uns, monsieur Edelmann?

M. Edelmann : Ce sont deux choses différentes. On parle d'un côté du type de crimes qui pourraient, en théorie, entraîner une peine maximale de six mois. Le sénateur Eggleton en a nommé quelques-uns. De l'autre, il y a les crimes qui entraîneraient une peine minimale de six mois. Ce qui pose notamment problème, c'est que les régimes de détermination de la peine sont très différents d'une province à l'autre. Donc, un crime qui mériterait une peine de six mois en Alberta n'entraînerait jamais une telle peine en Colombie-Britannique ou au Québec.

Quand il est question de peines de trois ou quatre ans, les régimes de détermination de la peine sont plus uniformes à l'échelle du pays, mais pour les peines moins longues, le seuil peut s'avérer relativement bas pour les types d'infraction visés, particulièrement en Alberta. Au Québec, le seuil serait relativement haut; en général, il serait question de crimes plus graves qu'ailleurs au pays.

Mme Rosenfeldt : Le plus gros problème que pose ce projet de loi, notamment pour ce qui est des peines de six mois ou de deux ans, c'est qu'il englobe les crimes plus graves entraînant des peines de six mois à deux ans. Ce sont des crimes très graves.

Je ne sais pas quoi vous dire d'autre. Ce sont les crimes comme les voies de fait et les voies de fait armées... on passe à côté de toute une gamme d'infractions qui entraînent une peine de six mois à deux ans.

La sénatrice Dyck : C'est là où je veux en venir. Quelqu'un qui écope d'une peine de six mois n'a peut-être pas commis un crime aussi grave qu'une agression sexuelle, par exemple, car on présume qu'on lui aurait imposé une peine plus longue si cela avait été le cas. Si l'intention est de promouvoir la sécurité, est-ce qu'une personne qui écope de six mois posait réellement une menace pour la sécurité? Est-ce que la menace est aussi grande que si la peine avait été plus longue?

Sachant qu'une peine de six mois ne correspond pas aux mêmes infractions à l'échelle du pays, cela m'inquiète de voir qu'on inclut dans la loi un article qui a différentes significations selon l'endroit où l'on vit.

Mme Rosenfeldt : Il y a des lignes directrices à respecter pour la détermination de la peine. Je ne sais pas exactement sur quoi M. Edelmann s'appuie pour dire qu'il y a une si grande différence.

M. Edelmann : Pour que ce soit bien clair, les lignes directrices sur la détermination de la peine...

Le président : Je ne crois pas qu'il faille en discuter plus longuement. C'est un fait établi. Vous aviez un point à faire valoir et vous l'avez fait, mais nous ne sommes pas ici pour débattre de la nature du système juridique du Canada. Je vous prie de respecter le sujet qui nous occupe, soit le projet de loi, comme cela a été le cas jusqu'ici.

M. Edelmann : Les régimes de détermination de la peine au Canada sont généralement renvoyés aux cours d'appel. Il est très rare que la Cour suprême du Canada ait à trancher à ce sujet. Les gammes de peines imposées sont établies par les cours d'appel de chacune des provinces, alors elles peuvent différer.

La période de six mois n'est pas un seuil pertinent pour le système de justice pénale; elle n'a pas de signification particulière dans le processus pénal. Là où c'est différent, c'est pour les peines de deux ans par rapport aux peines de deux ans moins un jour. Une peine de deux ans moins un jour sera purgée dans un établissement provincial, tandis qu'une peine de deux ans le sera dans un établissement fédéral. L'impact est énorme. Tous les juges de la cour pénale connaissent très bien la différence entre les deux.

Pour un juge, une peine de six mois n'a pas plus de conséquences qu'une peine de sept ou de cinq mois. Ce n'est qu'un chiffre. Il est très difficile de dire ce qui va arriver au bout des six mois. Dans certaines provinces, les infractions liées aux drogues, par exemple, sont prises très au sérieux, et il n'est pas rare qu'une peine de six mois soit imposée pour de telles infractions en Alberta ou en Saskatchewan. Cependant, ce ne serait pas le type de peine imposée au Québec ou en Colombie-Britannique pour les mêmes infractions.

Je n'essaie pas de faire des difficultés. Je cherche simplement à comprendre les distinctions entre les différents régimes de détermination de la peine au Canada. J'ignore ce qu'implique une peine de six mois. Tout est fonction de la province. C'est plus qu'une simple réalité.

Mme Rosenfeldt : Voici quelques précisions qui, espérons-le, vous éclaireront. Lorsque le Parlement a adopté en 2002 la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le ministre Kenney a indiqué que, dans sa sagesse, le gouvernement avait décidé, sous l'impulsion de l'ancien gouvernement fédéral, d'assimiler à la « grande criminalité » l'infraction punissable d'un emprisonnement de plus de six mois. C'est précisé ainsi dans la loi, et nous n'avons pas l'intention de la modifier. Par conséquent...

La sénatrice Dyck : Si je pouvais poursuivre...

Le président : Non. M. Eldelmann a expliqué le tout clairement. Mme Rosenfeldt et M. Pagtakhan ont fait valoir leurs arguments respectifs.

La sénatrice Dyck : Je voulais poser une deuxième question.

Le président : Très bien. Je vous en prie.

La sénatrice Dyck : Merci.

Je pense que vous avez abordé la question dans votre déclaration, monsieur Pagtakhan, mais je voulais revenir sur le pouvoir du ministre de refuser l'entrée au pays à un étranger qui encouragerait la violence contre un groupe religieux. Dans sa déclaration lors de la deuxième lecture du projet de loi, la sénatrice Eaton n'a pas mâché ses mots. Elle a dit que les personnes qui sont nocives pour les Canadiens ne seraient pas autorisées à entrer au pays. Quoi qu'il en soit, c'est également en contradiction avec le libellé du projet de loi d'initiative parlementaire...

Le président : Madame la sénatrice, veuillez poser votre question aux témoins.

La sénatrice Dyck : M. Pagtakhan aurait indiqué que la personne prônant la violence contre un groupe religieux devrait être accusée plutôt que d'être jugée sans élément de preuve ni accusation. Nous ne pouvons pas simplement lui refuser l'entrée au pays. Comment pourrions-nous le justifier?

M. Pagtakhan : Des critères sont nécessaires. Lorsque ces critères font partie d'une politique publique élaborée par un ministère, ils ne peuvent justifier qu'on puisse interdire l'entrée au pays. Je suis d'accord avec M. Edelmann et Mme Mangat, qui proposent d'établir des critères objectifs dans une loi ou un règlement, des critères qu'il ne serait pas possible de modifier par pur caprice. Si de tels critères étaient établis, je serais d'accord. Je me prononcerai lorsque les critères seront établis.

Prenons l'exemple d'un nouvel arrivant qui prône la violence. Je suis d'accord avec Mme Mangat : nous ne pouvons pas deviner ce que pensent les gens. Si quelqu'un n'est pas du même avis que moi ou si les propos d'une personne prônant la violence contre les femmes ou les homosexuels me mettent en colère, comme la sénatrice Verner l'a souligné, il faudrait les accepter au pays, à moins qu'ils n'aient commis un acte criminel. Il faudrait les laisser s'exprimer ainsi et ensuite les accuser. Si nous voulons faire passer notre message, nous devons emprisonner ces gens. Montrons-leur ce que sont les valeurs canadiennes par le truchement de notre système juridique. Je pense qu'agir ainsi vaut beaucoup mieux que de dire : « Nous ignorons ce que vous direz, mais nous vous interdisons l'entrée au pays parce que nous pensons que vos propos encourageront la violence. »

La sénatrice Dyck : Quelqu'un d'autre veut-il répondre?

Je voudrais poser une autre question sur le sujet. S'il n'est pas pertinent d'accorder ce pouvoir ministériel, que proposeriez-vous? Si les lignes de conduite sont susceptibles d'être modifiées toutes les semaines, que recommanderiez- vous par rapport au nouvel article 22.1

M. Pagtakhan : Adoptez un règlement, à tout le moins.

Mme Mangat : Je serais d'accord avec vous. Il est important de remarquer que le projet de loi n'a pas fait l'objet, selon moi, d'une vaste consultation publique. Nous devons mener une campagne de consultation publique, étant donné que le ministre parle de politique publique pour le compte de la population. Il faudrait à tout le moins adopter un règlement.

Le président : Je voulais que vous formuliez une réponse à ce chapitre.

Le sénateur Enverga : Merci à tous de vos excellents exposés.

On nous a beaucoup fait valoir que les criminels, ceux qui ont commis un crime, ont le droit d'être traités d'une façon humanitaire et qu'il faut leur venir en aide.

Pourrions-nous maintenant aborder la question des droits des victimes? Comment peut-on parvenir à un compromis?

Mme Rosenfeldt : Je ne comprends pas très bien.

Le sénateur Enverga : On parle davantage des droits des criminels. J'estime que les victimes ont également des droits. Comment peut-on parvenir à un compromis dans le cadre de cette nouvelle mesure législative?

Mme Rosenfeldt : C'est ce que demandent les victimes depuis de nombreuses années. La meilleure solution consisterait à adopter des mesures législatives qui, d'après nous, tiendraient compte de l'intérêt supérieur des victimes.

M. Edelmann : Je voudrais formuler deux recommandations à cet égard.

Premièrement, j'ai déjà indiqué ne pas être convaincu qu'on éliminera un outil. On en ajoutera plutôt un à ceux dont on dispose déjà pour favoriser la réadaptation. Voici ma deuxième recommandation : lorsqu'il est question d'un grand criminel, comme ceux dont Mme Rosenfeldt nous a parlé aujourd'hui et qui suscitent notre inquiétude à tous, par exemple un délinquant sexuel endurci et très dangereux, que se passe-t-il lorsqu'il se retrouve en liberté? Est-il réadapté? Comment justifiez-vous que vous retournez en Somalie, au El Salvador ou dans un autre pays un délinquant sexuel qui n'est pas réadapté et qui sera sans surveillance? Il ne sera pas réadapté une fois de retour dans son pays. Il n'y sera pas sous surveillance.

Il est question de victimes. Mes voisins sont originaires des pays où nous avons l'intention d'expulser ces délinquants. J'ai posé une question lors d'une séance d'un comité de la Chambre des communes et elle n'a pas été bien accueillie. Je la reprends aujourd'hui : Qui se préoccupe de ces victimes? Les familles s'en préoccupent. Mes voisins se préoccupent des victimes éventuelles de ces délinquants au Salvador, en Somalie ou dans un autre pays. Je vous demanderais de tenir compte de ces considérations également.

M. Pagtakhan : Sénateur, je répondrai à votre question sur les compromis entre les droits des victimes et ceux des accusés, en vous faisant simplement valoir que les cours pénales prennent les dispositions à cet égard en déterminant la sentence à imposer en fonction de tous ces facteurs. C'est ce que la Cour suprême du Canada a recommandé aux cours pénales.

Selon M. Edelmann, les tribunaux tiennent compte de la ligne de démarcation que constitue la période de six mois ou plutôt celle de six mois moins un jour. Je suis d'accord avec lui.

En supposant que le Sénat adoptera le projet de loi et que le représentant de Sa Majesté accordera la sanction royale, je vous ferai valoir que cette ligne de démarcation que constitue la période de six mois moins un jour deviendra un critère important, car c'est ce qui sera consigné dans la loi, et les juges doivent appliquer la loi.

Le sénateur Enverga : Je comprends qu'il y a des règles à respecter, mais que faites-vous des victimes? Les victimes s'en tireront-elles mieux si nous expulsons ces délinquants? Seront-elles plus en sécurité?

Mme Rosenfeldt : Certainement. Je vois tout à fait où M. Edelmann veut en venir. Que faut-il faire de tels individus? Un autre problème se pose en ce qui concerne la réadaptation des étrangers impliqués entre autres dans une activité terroriste et ayant reçu une peine au Canada. Ils sont emprisonnés à l'heure actuelle. Service correctionnel Canada doit composer avec ce problème également. Comment peut-on parvenir à les réadapter lorsqu'ils sont incarcérés? Service correctionnel Canada se demande s'il doit les isoler des autres détenus afin qu'ils ne répandent pas davantage leur haine des Canadiens. Les problèmes sont abondants.

Cela ne date pas d'hier. J'ignore comment répondre à votre question sinon en vous disant que cela ne date pas d'hier.

Nous avons d'une part les droits des victimes et ceux des citoyens canadiens ordinaires, et d'autre part les droits des délinquants. Pour nous, c'est écrit noir sur blanc. C'est pourquoi nous appuyons le projet de loi.

Le sénateur Enverga : J'évoquais vos propos sur la possibilité que de tels individus commettent le même crime dans leurs pays d'origine. Ne nous incombe-t-il pas de protéger tout d'abord nos citoyens?

Le président : Revenons au projet de loi. Il faut se demander de quels éléments il faut tenir compte pour accorder la citoyenneté canadienne. Le problème porte sur l'opportunité de la période de six mois. Je vous demanderais de bien vouloir mettre l'accent sur le projet de loi dans vos réponses.

M. Edelmann : C'est à ce titre que la SAI est particulièrement importante. Un de mes clients est arrivé au Canada à l'âge de trois mois. Pour diverses raisons, il s'est retrouvé dans des foyers d'accueil et est tombé dans la criminalité pour ensuite s'amender. Il avait trois mois à son arrivée ici. Il ignore tout de son pays d'accueil. Il n'est pas un délinquant dangereux. Cependant, si vous parlez d'un délinquant dangereux qui est arrivé au Canada à l'âge de trois mois et si vous envisagez de l'expulser pour le retourner dans son pays d'origine, c'est un peu paradoxal de parler de pays d'origine à une telle personne. Il faut se demander également quelles sont les conséquences d'une telle expulsion. Expulser quelqu'un implique des conséquences qui ne se répercuteront peut-être pas ici directement, mais qui surviendront dans ces pays. Je vous encouragerais à tenir compte de ces considérations.

Le président : M. Pagtakhan sera le dernier à intervenir sur la question.

M. Pagtakhan : J'ignore tout du client de M. Edelmann, mais de toute évidence, il ou elle n'a pas commis un crime à trois mois. Je présume qu'il ou elle était alors adulte. C'est de cela qu'il faut tenir compte.

Les gens qui ont vécu ici pendant toute leur vie ont toute ma compassion, mais la citoyenneté canadienne doit avoir une certaine valeur. Si quelqu'un a décidé intentionnellement ou non de renoncer à la citoyenneté canadienne, il doit en assumer les conséquences et il devrait avoir le droit de choisir avoir une autre citoyenneté.

La citoyenneté canadienne possède une certaine valeur. Le client de M. Edelmann n'a probablement pas commis de crime à trois mois. S'il a commis son crime à l'âge adulte, il doit en assumer les conséquences.

Le président : Vous avez tous les deux présenté des arguments clairs sur le fondement de la loi, et je vous en remercie.

La sénatrice Seth : Voilà toute une discussion. Ma question, qui est peut-être redondante, s'adresse à Mme Mangat.

J'ai pris connaissance de vos trois principaux arguments, et j'aimerais parler du deuxième. Vous semblez inquiète du manque de précision concernant la notion d'intérêt public dont le ministre de l'Immigration doit tenir compte pour interdire l'entrée à un individu pendant trois ans.

À votre avis, sur quelles notions d'intérêt public le ministre devrait-il s'appuyer? Que devrait-il faire?

Mme Mangat : Je ne pense pas que le ministre ait besoin d'un tel pouvoir discrétionnaire de rejet. La loi prévoit déjà neuf motifs d'interdiction. Si on ne peut pas interdire l'entrée à une personne de cette façon, je crois qu'on devrait par exemple lui permettre de venir au Canada pour participer à une conférence et lui accorder la résidence temporaire pour ce genre d'activités. On sait bien que des personnes invitées à prendre la parole au Canada se sont vu refuser l'entrée à la frontière — je pense notamment à M. Galloway, du Royaume-Uni. Il y a peut-être d'autres exemples dont je ne suis pas au courant.

Pour commencer, je ne crois pas que nous ayons besoin d'un tel pouvoir discrétionnaire ministériel de rejet pour des raisons d'intérêt public. Par contre, si nous décidons quand même de conférer un tel pouvoir, le libellé actuel du projet de loi ne convient pas. La loi ne peut pas être aussi laxiste, sans prévoir ni critères ni mécanismes de reddition de comptes. Par exemple, il serait déjà préférable que le ministre dépose un rapport au Parlement pour faire savoir aux parlementaires et aux Canadiens qu'il a exercé son pouvoir. Ce serait mieux que rien. Ce genre de modalités doivent être précisées dans la loi — c'est peut-être déjà fait, car je n'ai pas vu les dernières modifications.

Pour ce qui est de la notion d'intérêt public, je pense que tous les Canadiens devraient avoir leur mot à dire. Je ne pense pas que la décision incombe au ministre ou à son conseiller, ni que le pouvoir puisse changer d'un ministre à l'autre.

Comme M. Edelmann l'a dit, dans le respect de la primauté du droit, je pense que nous devons savoir exactement quelles seront ces notions. Si nous finissons quand même par conférer un tel pouvoir discrétionnaire de rejet, il faudrait en préciser les modalités dans la loi plutôt que dans des lignes directrices quelconques. De quels genres d'éléments le ministre peut-il tenir compte? Une notion d'intérêt public, qu'est-ce que c'est, au juste?

La sénatrice Seth : En fait, pour que le ministre interdise l'entrée d'un individu au Canada pendant trois ans, il doit avoir suivi un raisonnement logique.

Mme Mangat : Je l'espère bien.

La sénatrice Seth : Voilà justement la raison de ma question. Pourquoi le ministre ne devrait-il pas disposer d'un tel pouvoir discrétionnaire? Pourquoi ne lui permet-on pas de prendre une décision semblable? Un individu doit avoir posé un acte criminel pour que le ministre lui refuse l'entrée au Canada.

Mme Mangat : En fait, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit déjà neuf raisons d'interdire l'accès au territoire canadien fondées sur la criminalité. Or, nous parlons ici d'individus à qui on n'a pas refusé l'entrée au pays en vertu de la Loi sur l'immigration. Le pouvoir du ministre s'ajoute donc aux neuf motifs prévus à la loi.

Si vous avez raison et que ces personnes ne peuvent pas entrer au pays en raison de la loi, le ministre devrait alors invoquer la disposition législative en question. Or, je ne pense pas que nous ayons besoin d'un tel pouvoir discrétionnaire passe-partout. J'ignore si j'ai bien répondu à la question.

Le président : Vous avez abordé les deux côtés de la médaille.

La sénatrice Martin : Vous avez répondu à bon nombre de mes questions. Je vous remercie tous de vos exposés.

Madame Mangat, j'aimerais revenir sur le premier point que vous avez soulevé dans votre exposé concernant l'entrevue obligatoire du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS. Vous dites qu'une telle mesure est sans précédent et qu'elle est contraire aux valeurs de la Charte. Comment va-t-on à l'encontre des valeurs de la Charte en donnant aux agents du SCRS le pouvoir de poser des questions à ceux qui sont visés par le projet de loi, à savoir des individus menacés d'expulsion et qui font l'objet d'accusations criminelles? De quel article parlez-vous, au juste?

Mme Mangat : Je parle du droit au respect de la vie privée. Je ne fais référence à aucun article particulier de la Charte, mais plutôt à des droits comme celui de ne pas s'incriminer soi-même, le droit au respect de la vie privée et le droit de garder le silence. Je ne dis pas que le SCRS ne doit jouer aucun rôle en matière de vérification de sécurité. Quelles questions posera-t-il? Il n'est dit nulle part qu'elles devront porter sur la demande de l'individu. La loi semble plutôt vague à ce sujet.

La sénatrice Martin : Vous dites qu'il faudrait ajouter l'expression « raisonnablement nécessaire ». Or, ces mots sont eux aussi plutôt arbitraires. La question ne doit être raisonnablement nécessaire qu'aux yeux de l'agent qui la pose.

Selon la disposition du projet de loi, les questions visent à fournir des conseils au ministre ou à lui transmettre des informations. Dans ce cas-ci, les individus en question sont des criminels menacés d'expulsion. J'essaie de me mettre à la place des Canadiens. L'organisation ou les agents responsables de la sécurité pourront ainsi poser des questions à ces criminels menacés d'expulsion au nom des Canadiens, et dans le but de transmettre des informations au ministre. Tout cela me semble raisonnable, et je me demande bien quelle partie de la Charte est violée.

Mme Mangat : Je conviens que l'expression « raisonnablement nécessaire » est elle aussi plutôt arbitraire, mais c'est ce qu'on retrouve dans la version anglaise de l'article 16. J'ignore si des représentants de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique étaient là lorsque l'article a été étudié, mais c'est notre conclusion. Si la loi précise cette contrainte et que nous décidons d'intégrer les entrevues du SCRS à la procédure, nous devrions au moins uniformiser les mêmes critères.

Ce qui m'inquiète, c'est que certains seront convoqués en entrevue par la SCRS sans même savoir pourquoi. Si on leur demande...

La sénatrice Martin : Ces individus se font expulser du pays.

Mme Mangat : Ce ne sont pas ceux qui sont expulsés qui posent problème. J'ai l'impression que la disposition s'appliquera à tous ceux qui font une demande d'immigration. Je me trompe peut-être.

M. Edelmann : C'est ce que je disais. Le paragraphe 5(2) du projet de loi ne s'applique justement pas aux résidents permanents dont nous parlions tout à l'heure. Il ne vise que les étrangers qui présentent une demande, c'est-à-dire ceux qui arrivent au pays, mais pas ceux qui s'en vont. En résumé, tous ceux qui font une demande sont visés, comme ceux qui se présentent à la frontière ou à un point d'entrée ou qui envoient une demande à partir de l'étranger, c'est-à-dire tout étranger ou demandeur du statut de réfugié. Le paragraphe s'applique à tous ceux qui veulent entrer au Canada et permet essentiellement au SCRS de leur poser des questions s'ils ne sont pas citoyens ou résidents permanents.

La sénatrice Martin : Je pense que les dossiers des personnes visées auraient une marque distincte. Les agents du SCRS auraient le pouvoir d'interroger, mais ils ne pourraient l'exercer que dans certains contextes. Dans une optique de protection des Canadiens, ce serait un outil important pour s'assurer, au cas par cas, que des questions sont posées et que tous les renseignements dont le ministre a besoin sont recueillis pour qu'il puisse s'en servir à sa discrétion, comme vous l'avez dit. De plus, dans ce genre de situations, les entrevues, qu'elles soient enregistrées ou filmées...

Mme Mangat : Je voulais justement en parler pour compléter la réponse...

La sénatrice Martin : Il y aurait un processus à suivre.

Mme Mangat : C'est ce que je me disais. Je peux seulement me référer à ce qui se trouve dans le projet de loi. Je ne sais pas à quoi pensent ceux qui rédigeront le règlement ni de quelle façon il s'appliquera par rapport à la Loi sur le SCRS. Est-ce que les entrevues seront enregistrées? Si c'est le cas, de quelle façon l'enregistrement sera fait et pendant combien temps sera-t-il conservé? Ce sont tous des éléments importants auxquels il faudra réfléchir.

La sénatrice Martin : Je suis d'accord avec vous, mais je pense néanmoins que c'est une mesure importante.

Le sénateur Eggleton : C'est ironique. M. Pagtakhan a mentionné que la citoyenneté canadienne devrait compter pour quelque chose. Pourtant, la sénatrice Eaton a dit que cela pourrait vouloir dire qu'un Canadien recevrait une peine plus longue qu'un étranger simplement parce que le juge pourrait devoir prendre en considération les conséquences sur le plan de l'immigration et le risque d'expulsion. Je doute que la plupart des Canadiens acceptent d'être ainsi défavorisés par rapport aux étrangers.

À ce sujet, monsieur Pagtakhan, vous dites que les tribunaux doivent maintenant en tenir compte à cause d'une décision de la Cour suprême. Nous savons tous que la Section d'appel de l'immigration est bien mieux placée que les tribunaux pour traiter les questions liées à l'immigration. D'ailleurs, je pense qu'on a dit qu'ils ne veulent probablement pas trop sans mêler même s'ils doivent s'en occuper dans une certaine mesure.

Ne vaudrait-il pas mieux qu'ils n'aient pas à se retrouver dans une situation où ils doivent examiner les faits pour décider entre une peine de six mois moins un jour et une de six mois plus un jour? Ne serait-il pas mieux que la décision soit prise par l'organisme créé pour juger ce genre d'affaires, à savoir la Section d'appel de l'immigration? S'il est ensuite décidé qu'une personne doit quand même être expulsée, je n'y verrais aucune objection.

M. Pagtakhan : Je ne suis pas d'accord, sénateur Eggleton. La Section d'appel de l'immigration traite habituellement les dossiers de résidents permanents qui risquent d'être expulsés et qui décriront leur situation. Pour ce qui est du reste du processus, c'est-à-dire la déclaration de culpabilité, le conseil de l'Agence des services frontaliers se prononce en disant : « Voici la déclaration de culpabilité et la raison pour laquelle cette personne doit être expulsée. » De toute évidence, on peut aussi mentionner ce qui a été dit pendant le jugement.

Un juge qui doit rendre une sentence dans une cour provinciale ou une Cour du Banc de la Reine entendra la victime, à moins qu'elle n'ait été assassinée, ce qui voudrait dire que la peine serait beaucoup plus longue que six mois. Le juge entendra aussi les policiers et peut-être le résident permanent, s'il décide de ne pas exercer son droit au silence. Il examinera toutes les preuves du crime et tiendra compte des conséquences accessoires et des circonstances atténuantes avant de finalement prononcer la peine.

Je ne suis pas d'accord avec M. Edelmann. Je pense qu'un tribunal criminel est probablement le bon endroit pour examiner ce genre de causes étant donné que toutes les parties prenantes s'y font entendre. Est-ce que les tribunaux devraient s'en occuper? Pour être franc, ils n'ont plus le choix. C'est ce que la Cour suprême a décidé en mars, et c'est donc ce qu'ils doivent faire.

Le président : Monsieur Edelmann?

M. Edelmann : Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec M. Pagtakhan à propos de ce qui se passe à la Section d'appel de l'immigration. Dans les faits, le ministre y est représenté par son conseil qui expose pour lui les causes qu'il souhaite que la Section examine. S'il le désire, il peut soumettre le cas des victimes et les circonstances dans lesquelles une infraction a été commise. Ces preuves sont généralement présentées dans le contexte de la décision rendue par le tribunal criminel, dont la sentence constitue également un élément très important pour la Section.

En ce qui concerne les autres éléments de preuve que les tribunaux criminels examinent selon M. Pagtakhan, je suis certain que Mme Rosenfeldt aurait un point de vue différent au sujet de l'importance du rôle que jouent les victimes dans le cadre du processus. Tout d'abord, d'après mon expérience, les victimes de la plupart des crimes dont il est question ne sont pas en mesure de venir donner de témoignages utiles. En effet, des crimes tels que le trafic de stupéfiants ou certains types de vols ou de fraudes font généralement des victimes, mais il ne s'agit pas de cas où elles doivent comparaître en cour.

Pour ce qui est des autres types de crimes, les victimes font des observations écrites. Il est très rare que l'une d'elles se présente en personne, à moins qu'elle ne soit également témoin. Cela dit, plus de 80 ou 90 p. 100 des causes font l'objet de plaidoyers de culpabilité, ce qui veut dire que les victimes ne doivent généralement pas comparaître. Dans la plupart des cas que j'ai vus, le conseil du ministre sera en mesure d'obtenir les déclarations de la victime et de remettre des observations écrites à la SAI. Il est donc un peu farfelu de dire qu'aucune de ces preuves n'est présentée à la Section d'appel de l'immigration. S'il s'agit du principal problème, le ministre devrait peut-être mieux faire son travail auprès de la SAI.

Le sénateur Eggleton : On a beaucoup discuté des six mois. Vous avez parlé de certaines activités criminelles, madame Rosenfeldt, et je comprends qu'il s'agit de crimes graves. Cela dit, les six mois peuvent s'appliquer à pas mal d'autres gens. Ne serait-il pas mieux d'énumérer dans la loi les crimes qui selon nous ne devraient pas faire l'objet d'un recours en appel plutôt que de se servir de ce chiffre arbitraire de six mois?

Mme Rosenfeldt : Je ne vois pas vraiment une très grande différence par rapport à l'ancienne peine de deux ans, excepté que celle de six mois s'appliquera à davantage de personnes ayant commis des crimes graves.

Je ne suis pas certaine, monsieur Eggleton, qu'il serait possible de dresser une liste, si c'est bien à cela que vous faites allusion.

Le sénateur Eggleton : Il s'agirait de nommer les crimes pour lesquels il n'y aurait pas de processus d'appel possible.

Mme Rosenfeldt : Cela s'est vu. On a dit qu'un étudiant de 19 ans qui se rend aux États-Unis et qui utilise une fausse pièce d'identité pourrait être expulsé.

Le sénateur Eggleton : À vrai dire, il serait automatiquement expulsé.

Mme Rosenfeldt : Ou qu'il ne fera pas l'objet d'une audience de la SAI. C'est tout simplement faux.

Le sénateur Eggleton : Comment?

Mme Rosenfeldt : C'est un méfait aux États-Unis, et c'en serait un ici. Personne au Canada ne recevrait une peine de six mois pour avoir posé ce geste aux États-Unis.

Le sénateur Eggleton : C'est passible d'une peine de 10 ans, et c'est ce qui compte, peu importe si elle est appliquée ou non.

Mme Rosenfeldt : Non, je ne suis pas d'accord avec vous, sénateur.

Le président : C'est un sujet qui a été une source de mésententes tout au long des audiences. Il en a souvent été question. Je vais donner la parole à M. Pagtakhan et à M. Edelmann pour qu'ils nous exposent avec clarté leur point de vue, comme ils le font habituellement.

M. Pagtakhan : J'espère que je serai à la hauteur de vos attentes dans ma dernière déclaration.

Sénateur, en théorie, il pourrait y avoir une liste. Le Code criminel est vaste, mais vous pourriez en établir une si vous le voulez. Toutefois, je pense que cela porterait préjudice à l'accusé, qui pourrait être automatiquement expulsé même s'il reçoit une peine de prison de moins de six mois en raison, par exemple, de conséquences accessoires ou de circonstances atténuantes. C'est cela qui me préoccupe. À mon avis, il serait préférable qu'un juge prenne une décision après avoir examiné toutes les circonstances, car utiliser une liste plus ou moins arbitraire pourrait faire en sorte qu'une personne soit expulsée juste parce qu'elle a été reconnue coupable.

M. Edelmann : Je suis plutôt de l'avis de M. Pagtakhan sur ce point, excepté pour ce qui est de la question des peines minimales, qui selon moi créent un problème important dans ce contexte, surtout qu'elles deviennent de plus en plus longues.

On vous a beaucoup parlé de la règle des 10 ans. Je passe beaucoup de temps à consulter des avocats criminalistes au Canada et aux États-Unis au sujet de l'interdiction de territoire. Je peux vous dire qu'il n'y a aucun doute sur l'interprétation de la loi. Conformément aux alinéas 36(1)b) et 36(1)c), la nature des accusations aux États-Unis n'a pas d'importance. Il pourrait avoir été question d'une infraction au code de la route.

La conduite avec facultés affaiblies figure parmi les cas les plus fréquents qui me sont confiés. En Californie, il s'agit d'une infraction au code de la route. C'est l'équivalent d'une infraction au Code criminel au Canada, et elle entraîne une interdiction de territoire. Ce n'est pas un crime grave, mais tout de même une infraction au code de la route en Californie. Beaucoup de personnes ne la déclarent pas et ne pensent pas devoir le faire. En réalité, selon la façon dont nous traitons les déclarations de culpabilité et les infractions commises à l'étranger, la nature des accusations n'a pas d'importance. En fait, il n'est même pas nécessaire que des poursuites aient été engagées, car une interdiction de territoire au Canada est imposée si la peine maximale est de 10 ans.

Le président : Dans le cadre des discussions que nous avons menées, on nous a exposé avec beaucoup de clarté des opinions très bien réfléchies quoique divergentes sur l'importance de presque tous les aspects du projet de loi. D'autres questions ont également été abordées, et le ministre nous a lui aussi donné son point de vue. Nous devons maintenant nous servir de tout ce que nous avons entendu pour prendre une décision.

À mon avis, les témoins que nous avons entendus aujourd'hui ont tous exposé très clairement leurs points de vue. J'ai très bien compris leurs explications. Ils ont formulé des conclusions divergentes à bien des égards, mais ils se sont exprimés avec beaucoup de clarté. Autrement dit, des personnes expérimentées nous ont fait part d'opinions très élaborées, mais très souvent divergentes. Ils s'entendaient parfois et étaient souvent en désaccord. Je ne pense pas que d'autres témoins auraient su nous présenter des arguments et des pensées aussi utiles que ceux que nous avons entendus aujourd'hui.

Il nous incombe maintenant de prendre une décision. Au nom du comité, je vous remercie sincèrement de vos témoignages et de l'aide que vous nous avez apportée.

Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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