Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 2 - Témoignages du 26 octobre 2011


OTTAWA, le mercredi 26 octobre 2011

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 47, pour faire l'étude des nouveaux enjeux qui sont ceux du secteur canadien du transport aérien.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte. Je vous remercie d'être ici.

[Traduction]

Nous poursuivons notre étude de l'industrie des compagnies aériennes. Nous accueillons le commandant Paul Strachan et le commandant Gerry Perkins, tous deux de l'Association des pilotes d'Air Canada. Vous avez la parole, messieurs.

Commandant Paul Strachan, président, Association des pilotes d'Air Canada : Merci beaucoup, monsieur le président et honorables sénateurs. Nous sommes heureux d'être ici pour, nous l'espérons, vous aider dans vos débats en vous exposant la façon dont nous percevons certaines nouvelles questions concernant l'industrie du transport aérien au Canada. Vous avez nos documents. Je ne vais pas vous lire notre mémoire, préférant plutôt en souligner six grands aspects, mais nous serons évidemment heureux de traiter toute autre question que vous jugerez pertinente à votre étude.

Il y a une recommandation que nous tenons à adresser au gouvernement du Canada, soit la nécessité d'assurer la coordination entre les différents ministères fédéraux et, pour cela, d'adopter une politique nationale en matière de transport claire traitant de l'ensemble des industries aéronautiques et du transport aérien en tant que véritables éléments de l'économie canadienne.

Nous allons vous parler de notre compagnie aérienne, mais elle n'est bien sûr pas la seule. Air Canada emploie directement quelque 24 000 personnes d'un océan à l'autre, puisque ses employés sont partout, de Victoria à St. John's. Quand on songe à l'activité économique secondaire découlant des opérations d'Air Canada, on pense forcément à des organisations ou à des sociétés comme Consolidated Fuel, Cara et NAV CANADA, ainsi qu'aux aéroports bien sûr et à toutes sortes de retombées économiques dues à des relations commerciales directes avec notre employeur dont les activités économiques secondaires représentent des dizaines de milliers d'emplois au Canada. Si l'on englobe les activités indirectes, celles du niveau tertiaire, les chiffres sont encore plus impressionnants. Ce que je veux dire, c'est que l'empreinte économique de cette compagnie aérienne est énorme. Elle est plus importante, par exemple, que celle des trois fabricants automobiles mis ensemble, du moins pour ce qui est de ses répercussions sur un pays comme le nôtre, caractérisé par un vaste territoire. Nous ne nous limitons pas à relier des centres d'affaires. Nous transportons le courrier, des détenus, toutes sortes de passagers et de marchandises entre deux points et desservons un grand nombre de collectivités éloignées que nous relions ainsi au reste du pays.

Nous avons constaté que notre industrie est aux prises avec certaines difficultés à cause de problèmes de coordination des activités entre différents ministères fédéraux. Permettez-moi de vous donner un exemple.

L'un de nos vols prestigieux est le 2873 qui assure la liaison aller-retour Toronto-Francfort. Il est assuré par un Boeing 777 qui transporte généralement quelque 360 passagers. Il quitte Toronto en soirée, vers l'heure du dîner, pour atterrir à Francfort en matinée. Puis il décolle de Francfort quelques heures plus tard pour Toronto où il arrive en après-midi. Le plus souvent, sur les quelque 360 passagers transportés, 250 prennent des correspondances pour se rendre ailleurs et se retrouvent ainsi sur le réseau de la Lufthansa en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique ou ici, au Canada, bien sûr pour l'ensemble du territoire et aux États-Unis.

Pour Air Canada, ce vol est très important et il reçoit bien sûr toute l'attention voulue. Les agents de régulation des vols planifient soigneusement la route à suivre pour veiller à optimiser le temps de vol afin que l'avion arrive à l'heure et assure les correspondances. En Europe, les gentils contrôleurs d'Eurocontrôle et des divers autres centres de contrôle aérien par lesquels le vol transite veillent à nous donner les routes les plus directes possible de même que les niveaux de vol que nous demandons pour bénéficier des meilleurs vents possible. À bord, les pilotes gèrent bien sûr leur vol en fonction d'informations en temps réel et de ce qu'ils constatent. De nombreuses organisations agissent de concert pour veiller à ce que l'avion arrive à temps à destination.

Tous ces organismes déploient ainsi énormément d'efforts et font un excellent travail pour amener l'appareil à Toronto. Même s'il y a eu une tempête de neige à Toronto, le GTAA aura fait un excellent travail pour faire dégager les pistes et permettre ainsi à l'avion d'arrêter à la porte avec plus ou moins 10 minutes de retard sur l'horaire. Les portes s'ouvrent et les passagers se précipitent pour aller prendre leurs correspondances. Or, voilà que ce jour-là, les douaniers ont décidé d'examiner les passeports dans la passerelle, bloquant du même coup les gens à bord, puis dans la passerelle avant de les resoumettre à un nouvel examen des passeports dans le hall des arrivées. Nos passagers manquent leurs correspondances. Cela nous coûte cher. Cela coûte cher à l'économie canadienne, parce que les gens ne veulent plus passer par nos plaques tournantes. Cela ne peut pas fonctionner ainsi. Il nous faut coordonner nos activités. Ce n'est là qu'un exemple montrant que les gens de la sécurité publique doivent coordonner leurs efforts avec Transports Canada afin de permettre à notre industrie de faire ce qu'elle est censée faire. Quand tel n'est pas le cas, les répercussions sont ressenties dans toute l'industrie.

Il y a aussi des problèmes associés au marché du travail que nous avons mentionnés au gouvernement et à propos desquels nous formulons des recommandations. Il y a, surtout, la question du recours accru à des pilotes étrangers pour soutenir les compagnies de vols nolisés pendant la saison de pointe, en hiver. Avant, cela se faisait par le truchement d'ententes de réciprocité conclues avec les affréteurs, suivant une relation tout à fait symbiotique consistant à accueillir des pilotes étrangers pendant la saison hivernale, tandis que des pilotes canadiens allaient travailler en Europe durant la saison estivale, surtout au Royaume-Uni, mais ailleurs aussi, pour prêter main-forte aux compagnies là-bas. Grâce à ce genre d'accord, les deux parties étaient gagnantes. Il n'y avait pas de mise à pied pendant la saison basse, ni d'un côté ni de l'autre de l'Atlantique, et tout fonctionnait bien. Or, on constate que cette réciprocité contractuelle n'existe plus.

Permettez-moi de vous donner un autre exemple. D'après les renseignements que nous avons obtenus, cet hiver, la compagnie Sunwing embauchera plus de 200 pilotes étrangers pour tous ses vols affrétés si bien que la compagnie comptera plus de pilotes étrangers que de pilotes canadiens. Ça pourrait se comprendre nous n'avions pas un bassin de pilotes canadiens dans lequel puiser, mais nous avons des réserves ici. Nous avons des pilotes canadiens qui ne demandent pas mieux que de faire ce travail et qui n'ont pas accès à ces emplois parce qu'ils n'ont pas les annotations sur type exigées pour les avions exploités. Dans ce cas-là, il s'agit du B-737 de nouvelle génération, le 737NG. Il faut d'abord comprendre comment fonctionnent les licences canadiennes de pilote de ligne. Elles sont valables pour pratiquement n'importe quel avion exploité dans le monde, sauf pour les avions à réaction de hautes performances et pour les hélicoptères, à moins que la licence ne comporte une annotation spéciale en ce sens, et pour la navette spatiale. À part ça, un pilote de ligne est jugé compétent pour piloter n'importe quel appareil. Cependant, pour tout aéronef de masse supérieure à 12 500 kilos, il faut détenir une annotation de type et avoir été formé sur le type d'appareil en question. Les annotations apparaissant sur la licence permettent au pilote de prendre les commandes de n'importe quel aéronef pour lequel il est annoté et sur lequel il a été formé. Dès l'instant que vous recherchez spécifiquement des pilotes ayant la qualification 737NG, vous excluez tous les titulaires d'une licence canadienne de pilote de ligne qui n'ont pas l'annotation en question, ce qui permet aux exploitants d'affirmer qu'il n'existe pas de main-d'ouvre canadienne disponible pour combler leurs besoins et qu'ils doivent donc faire appel à de la main-d'ouvre étrangère. En réalité, ils veulent éviter d'avoir à assumer les coûts de formation des Canadiens, même s'il s'agit de pilotes dûment licenciés et parfaitement qualifiés pour faire ce travail. La seule chose qui les en empêche, c'est qu'ils n'ont pas reçu la formation.

Je ne sais pas, mais j'ai l'impression qu'au final, ces exploitants ne facturent pas moins aux voyagistes pour transporter leurs clients, mais ils épargnent les coûts de formation des pilotes qui ne sont pas négligeables.

En règle générale, ces annotations coûtent 25 000 à 40 000 $, selon le type d'appareil. Toutefois, dans le passé, afin de se protéger, les exploitants ont demandé aux pilotes ayant suivi une formation à leurs frais sur un nouveau type d'appareil de s'engager à travailler pour eux pendant une certaine période afin de pouvoir récupérer l'investissement, ce qui est tout à fait raisonnable. Cette possibilité n'existe même plus aujourd'hui.

Alors, quand une compagnie comme Skyservice fait faillite, des pilotes canadiens se retrouvent au chômage ou quittent le métier purement et simplement parce qu'ils ne sont pas capables de trouver un emploi quand ils ne s'expatrient pas pour obtenir un travail payant ailleurs. La plupart d'entre eux se retrouvent dans les pays du Proche-Orient ou d'Asie-Pacifique, mais dans tous les cas ils aboutissent là ils peuvent trouver un emploi. En définitive, l'industrie canadienne subit une importante fuite des cerveaux. Ce sont des ressources humaines et des compétences qui quittent le pays. C'est une perte de capital humain pour le Canada. Nous parlons ici de compétences et d'expérience de travail uniques qu'on trouve dans des petites collectivités. Nous sommes quelque 6 000 ou 7 000 à l'échelle du Canada à faire ce travail. En perdant tout ce capital humain, nous perdons un incroyable bassin de connaissances, de compétences, d'expérience et de jugement.

Je vais vous donner un exemple. J'ai été formé dans l'armée. Il en coûte plus d'un million de dollars aux Forces canadiennes pour former un pilote. Ensuite, chacun continue de se perfectionner. Nous nous renouvelons en permanence. Notre industrie n'arrête pas d'évoluer. Notre travail change en permanence. C'est ça qu'on perd. On perd les revenus fiscaux de ceux qui, autrement, paieraient des impôts pour les bons emplois qu'ils occupent au Canada. Comment les remplace-t-on? Par des pilotes étrangers qui viennent s'installer aux commandes de nos avions et sur qui le gouvernement du Canada ne prélève aucun impôt. En outre, nous provoquons la stagnation de la main-d'ouvre dans notre industrie. Il n'y a pas de possibilités d'avancement, comme le fait, par exemple, de passer sur des avions plus complexes ou de devenir commandant de bord, et nous finissons par fermer la porte aux jeunes qui veulent travailler dans cette industrie. Nous estimons que c'est une mauvaise politique publique qu'il conviendrait d'examiner au plus tôt.

La sécurité dans les aéroports nous préoccupe encore. Depuis notre poste de pilotage, nous avons un point de vue particulier sur tout ce qui se passe dans les aéroports. Nous sommes les témoins des opérations au sol. Nous sommes les témoins des opérations côté piste. Nous voyons ce qui se passe dans l'aérogare, ce qui se passe du côté de la sécurité. Et bien sûr, nous sommes au fait de ce qui se passe à bord de nos avions. À l'occasion de l'examen de l'ACSTA, nous avons adressé , des recommandations au ministre d'État Merrifield dans un livre blanc qui reprenait d'ailleurs un grand nombre des recommandations du rapport Spawn de la GRC, du vérificateur général et d'un ancien membre de votre comité, le sénateur Kenny. Il y a encore des problèmes. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement a décidé de ne plus tout miser sur le contrôle des passagers, qui consiste à éviter les événements fâcheux à bord, pour s'intéresser davantage à la détection des comportements, technique qui vise à éviter que des individus indésirables montent dans nos avions. Voilà, selon nous, ce à quoi il faut désormais s'intéresser — obtenir de bons renseignements, miser sur un bon travail de police et bien coordonner les activités. Arrangeons-nous pour éviter que les personnes mal intentionnées montent à bord et il ne sera plus ensuite nécessaire d'être aussi préoccupés par d'autres choses. Cela ne revient pas à dire qu'il faut délaisser le reste, mais jusqu'ici, nous ne nous sommes pas suffisamment intéressés aux personnes mal intentionnées.

Nous demeurons préoccupés par ce qui se passe du côté piste, c'est-à-dire par la question de l'accès aux pistes dans nos aéroports. Nous pensons qu'il est grandement temps que le gouvernement examine cette question. Encore une fois, nous nous attendons à ce que quelque chose de gros se produise de ce côté et il faut s'intéresser à la situation et rapidement.

La règle régissant les temps de vol et le temps de service dans le Règlement de l'aviation canadien que nous avions fortement recommandée est en cours d'implantation. Le Canada est à la traîne derrière la communauté internationale dans sa façon d'appréhender la physiologie humaine et les réalités auxquelles nous, pilotes, sommes confrontés. Imaginez un graphique représentant les heures de service réglementées; sur un repère orthonormé divisé en 24 heures le long de l'axe des X et en temps de service le long de l'axe des Y, vous verriez que la courbe présente un profil caractéristique. Le CAP 371 au Royaume-Uni tient compte des heures effectuées de nuit. Ainsi, les pilotes n'ont pas le droit de travailler aussi longtemps de nuit que s'ils entament leur service à la mi-journée. Les lignes directrices de l'EASA, en Europe, reprennent le même modèle. L'AFA et la PRM aux États-Unis ont fait la même chose. Tout cela rejoint notre convention collective parce que les pilotes d'Air Canada ont mis le paquet pour obtenir des dispositions relatives en matière de temps de vol, de temps de service et de périodes de repos. Nous ne pensons pas qu'il devrait incomber aux différentes organisations de pilotes, qui n'ont pas toutes le même pouvoir de négociation, de régler des questions d'ordre réglementaire. En fait, dans les normes de l'OACI, il est fortement recommandé que les États membres adoptent des règlements prescriptifs fondés sur des constats scientifiques, et il existe énormément de données scientifiques sur le phénomène de fatigue. .

Dans les autres pays, la courbe est caractéristique. La réglementation canadienne, elle, est très différente parce que notre courbe correspond à une ligne plate. Les deux pilotes d'un même équipage peuvent être appelés à se présenter au travail n'importe quand dans une période de 24 heures et devoir effectuer 15 heures de service d'affilée. Nous pensons que cela pose un grave problème de sécurité. Nous nous réjouissons de constater que le gouvernement a lancé le Comité consultatif sur la réglementation aéronautique canadienne dont il a prolongé le mandat jusqu'à la fin de l'année. Nous avions prédit qu'il y aurait des divisions entre les parties prenantes en fonction, grosso modo, des secteurs représentés. Je veux parler ici de l'opposition entre les compagnies aériennes à horaires réguliers et les compagnies aériennes d'affrètement, les organisations d'évacuation médicale aérienne, les sociétés d'hélicoptères et l'aviation d'affaires. On commence à percevoir ce genre de divisions qui risquent de paralyser tout le processus. Il aurait fallu agir il y a déjà longtemps, car la dernière fois où l'on a modifié le règlement, c'était il y a 25 ans et, même à cette époque, ce n'avait été qu'une révision de surface.

Cet enjeu est très important en ce qui nous concerne. Nous croyons et espérons que le gouvernement du Canada verra à quel point il est nécessaire d'agir de façon concrète dans le cas de la réglementation.

D'autres sont venus vous parler des loyers exigés par les aéroports. Pour que notre industrie demeure concurrentielle, il va falloir s'aligner davantage sur notre concurrence. Nous sommes en train de perdre des revenus que récupèrent les aéroports du sud voisins du Canada, parce que les passagers sont prêts à y aller en voiture. Là-bas, les billets d'avion sont moins chers. De nos jours, une grande partie des coûts de l'industrie est constituée par les droits d'amélioration des aéroports, par les surtaxes au titre de la sécurité et par d'autres droits additionnels. On pourrait presque parler de saintes taxes imposées à l'industrie. Elles nous font très mal. Le problème n'est peut-être pas entièrement lié aux loyers imposés par les aéroports. Ces loyers sont payés par les contribuables canadiens, mais les autorités aéroportuaires que nous avons créées sont des quasi-bastions qui agissent de façon incohérente. Ces organismes disposent de pouvoirs d'imposition quasiment illimités et ne rendent aucun compte. Leurs activités ne sont régies par aucune politique nationale. J'aimerais demander à certains d'entre eux de me dire quelle part constitue la contrepartie des loyers et quelle part va au service de la dette.

Les banques sont ravies de prêter de l'argent à ces organisations qui ont un tel pouvoir d'imposition. Je soupçonne que beaucoup de beaux aéroports que nous avons construits un peu partout au Canada ont coûté très cher. En dépit de ce que nous avons investi dans les aérogares, on est loin d'avoir fait la même chose du côté des pistes. À Ottawa, il y a récemment eu des problèmes sur une des pistes, parce qu'elle n'est pas assez longue. Dès qu'elle est mouillée ou contaminée par de la neige ou de la glace, il est difficile de s'y poser. Je veux parler de la 2507. Il n'y a pas si longtemps, trois avions sont sortis de piste. Voilà où, d'après nous, il conviendrait de réinvestir les droits imposés à notre industrie; il faudrait réinvestir notamment dans tout ce qui permet aux aéroports d'être pleinement fonctionnels et qui nous aide à assurer les correspondances. Nous n'avons pas besoin de belles aérogares dans la mesure où les passagers n'ont pas à y passer toute la journée. Le voyageur veut transiter le plus vite possible dans ces endroits, ce qui veut dire qu'il faut construire une autre piste et se doter de moyens pour favoriser le déplacement des voyageurs, des avions et des marchandises. Faisons en sorte que nos aéroports soient fonctionnels. Pour cela, il faudra que le gouvernement fédéral fixe ses orientations. Il faudra adopter une directive générale confirmant à tout le monde que cette industrie doit pouvoir travailler. C'est là une de nos grandes recommandations.

Enfin, je vais vous parler d'un aspect sur lequel nous avons travaillé afin de nous préparer à cette réunion. Nous sommes sans doute l'une des seules professions au pays qui ne soit pas autoréglementée. Pourtant, il y a des pilotes qui travaillent pour les organismes de réglementation et qui remplissent des fonctions tout à fait uniques ou propres à notre métier. C'est un peu comme être médecin, avocat ou ingénieur. Nous sommes parmi les rares à être outillés pour formuler des commentaires et j'ajouterai que ceux d'entre nous qui travaillent pour la société mère, Air Canada — c'est-à-dire ceux qui desservent l'ensemble du pays — sont parmi les meilleurs au monde dans ce qu'ils font. Dans le courant de ma carrière, j'ai eu le bonheur de côtoyer des gens de haut calibre, des gens forts, intelligents, dévoués, déterminés, qui sont des spécialistes de leur domaine. Nul autre qu'eux n'est capable de déterminer ce qu'il convient de faire et de ne pas faire et ce qu'il faut changer; nul autre qu'eux ne détient de telles connaissances et n'a une telle discipline. Nous pensons qu'il conviendrait de regrouper tous les pilotes du Canada sous l'égide d'un collège indépendant, un peu à la manière du Collège des médecins et des chirurgiens ou des associations du barreau des différentes provinces. Ce serait peut-être une façon rentable pour le gouvernement de se décharger d'une partie de ses fonctions de réglementation pour tout ce qui a trait aux normes d'émission de licences et à la formation des pilotes. C'est une initiative que nous appuyons. Nous avons la ferme intention d'être prêts dès que le gouvernement voudra bien s'asseoir avec nous pour voir comment s'y prendre.

Voilà quels étaient mes six points. Je suis heureux de parler de ces questions et d'autres qui concernent l'industrie aujourd'hui. Merci, honorables sénateurs.

Le sénateur Eaton : Je suis une inconditionnelle d'Air Canada que j'emprunte hebdomadairement.

Vous avez vous-même soulevé cette question en parlant de sécurité et de cloisonnement, et j'ai, pour ma part, posé la même question à d'autres groupes de témoins, notamment à des représentants d'Air Canada et de WestJet, pour savoir pourquoi ils ne veulent pas siéger aux conseils des autorités aéroportuaires. Voyez-vous une autre façon de favoriser l'échange d'information? Il est possible que je fasse fausse route, mais quand on songe à la gouvernance des aéroports — est-ce que vous siégez aux conseils, est-ce que les compagnies aériennes y sont représentées, et les gens de la sécurité? — on voit bien que nos autorités aéroportuaires ne représentent aucun de ces secteurs. Comme vous le disiez, ce sont des entités à part. Comment vous y prendriez-vous pour abattre ces cloisons qui semblent paralyser la plupart de nos grands aéroports?

M. Strachan : Je crois que les autorités aéroportuaires ont essayé de donner suite aux préoccupations des intervenants de l'industrie. Je pense, par exemple, à celle de Vancouver et à tous les changements qu'elle a mis en ouvre depuis une des grandes tempêtes de neige. L'aéroport a tourné à demi-régime pendant plusieurs jours. L'autorité aéroportuaire a pris des mesures pour améliorer sa capacité opérationnelle, elle a investi dans des infrastructures, a acheté de nouveaux équipements de déneigement et de déglaçage. Les cloisons ne sont pas véritablement un obstacle, ce ne sont pas des murs de brique. Les autorités écoutent tout de même une grande partie de ce que nous leur disons.

Ce qu'il manque, c'est une orientation ou une politique globale à l'échelon fédéral indiquant la voie à suivre. Ce qu'il manque le plus dans le cas des autorités aéroportuaires, c'est la responsabilisation. Il faut que ces organismes répondent auprès de certaines agences.

Le sénateur Eaton : Vous l'avez dit vous-même — nous avons toutes ces merveilleuses aérogares et nous continuons d'en construire. On sait que ces dettes-là, c'est du solide. Les banques le savent parce que le gouvernement du Canada est derrière. Les autorités aéroportuaires ne rendent pas de comptes aux compagnies aériennes, ni à vous-mêmes.

Je n'arrête pas de le rabâcher et je suis consciente de parler un peu dans le vide, mais si Air Canada et WestJet étaient à la table, ils pourraient réclamer la construction d'une autre piste plutôt que d'une aérogare ou demander qu'on ne perturbe plus leurs trois vols en provenance de Francfort avec 900 passagers dont certains vont rater leurs correspondances parce qu'un organisme officiel n'a jamais dit qu'il était à la recherche d'un individu. Si c'était ainsi, vous pourriez progresser. Il ne semble pas exister de communications de base régulières dans ces organismes pourtant très gros.

M. Strachan : Je suis entièrement d'accord. Ça ne pourrait qu'aider si nous pouvions être partie à la gouvernance.

Le sénateur Eaton : Au moins, vous avez une voix.

M. Strachan : Nous consultons régulièrement les autorités aéroportuaires, mais nous n'avons pas de présence légitime au niveau de la gouvernance.

Pour être honnête, je dois dire que je me suis servi de l'exemple de l'intervention douanière pour montrer que les problèmes de liaison entre les ministères vont bien au-delà de ce à quoi on pourrait immédiatement penser. On m'a dit — et comme cela n'a rien de scientifique, rien n'est prouvé — que les douanes inspectent occasionnellement les titres de voyage des passagers dans la passerelle même à cause d'une de nos lois bizarroïdes qui dit qu'une fois la passerelle franchie, toute personne peut faire une demande d'asile. Voilà une particularité de l'immigration.

Si c'est vrai, c'est stupide. Il faut changer la loi. Pourquoi s'arracher les cheveux en ce qui concerne l'industrie? Si la loi ne fonctionne pas, rendons-la fonctionnelle. C'est là que doit intervenir la coordination entre les ministères fédéraux. Il demeure que ça ne nous ferait pas de mal de siéger au conseil d'administration des autorités aéroportuaires.

Le sénateur Eaton : Tous ceux que nous avons accueillis à ce comité nous ont parlé de la même chose, du cloisonnement. Ils ne veulent pas siéger aux conseils des autorités aéroportuaires, mais ils estiment devoir être entendus.

M. Strachan : J'estime que c'est le ministère des Transports qui devrait, sans doute, être l'interlocuteur désigné à l'échelon fédéral. Si ces aéroports devaient rendre des comptes au gouvernement fédéral, nous serions sans doute en meilleure position de contrôler une partie de ce qui se passe.

Toutefois, cette question s'adresse au gouvernement du Canada. Je suis juste venu faire état d'un problème. Le problème c'est que les aéroports fonctionnent comme s'ils étaient des entreprises.

Le sénateur Eaton : Oui, mais ils ne sont pas en prise avec les clients.

M. Strachan : Pour commencer, je suis en désaccord avec la notion même. Ce sont des facilitateurs, ils offrent des infrastructures. Ils appuient l'industrie, mais ils ne sont pas eux-mêmes l'industrie. Ils vont chercher des rentrées pour l'économie locale, mais ce ne sont pas les aéroports qui attirent les gens dans nos collectivités, ce sont les compagnies aériennes. C'est à cela que servent les aéroports. J'ai un peu l'impression qu'on a attelé la charrette avant les boufs, dans ce cas.

Le sénateur Zimmer : La semaine dernière, nous avons accueilli un témoin qui nous a dit exactement la même chose, c'est-à-dire que 90 p. 100 des droits perçus ne vont pas à l'infrastructure, aux pistes ni à quoi que ce soit d'autre. Ils sont versés au Trésor. Quelqu'un, au Canada, a-t-il une idée des sommes dont on parle? C'est impossible à savoir.

M. Strachan : Je suppose qu'il faudrait poser la question au ministre des Finances.

Nous sommes d'accord pour dire que les revenus prélevés sur cette industrie devraient être réinvestis dans l'industrie. Je pense que l'organisme de réglementation, lui aussi, est en position délicate; il traverse une période difficile. Il n'a peut-être pas suffisamment d'effectifs et ne reçoit peut-être pas de directives suffisamment claires pour être efficace dans son action.

Peut-être qu'il faudrait commencer par réinvestir une partie des droits et des taxes prélevées dans un projet qui permettrait de pouvoir compter sur un organisme de réglementation compétent et efficace, faisant office, on peut l'espérer, d'intermédiaire entre les ministères fédéraux.

Il y a six semaines environ, j'ai assisté à une conférence du Réseau des cadres supérieurs sur la sécurité aéronautique du Canada. Tout le gotha de l'industrie aéronautique s'y trouvait : tous ceux qui ont un nom étaient là. Transports Canada a posé la question suivante : quel est notre rôle, que devrait-il être et comment pourrions-nous aider l'industrie? C'est précisément ce que j'ai dit : soyez une courroie de transmission entre les ministères fédéraux. Pour cela, il faut pouvoir s'appuyer sur une politique et des principes directeurs qui doivent émaner du gouvernement fédéral.

Le sénateur Greene : Vous fréquentez des aéroports un peu partout dans le monde et vous avez donc ce genre d'expérience. En règle générale, estimez-vous que votre expérience des aéroports canadiens se compare à celle que vous avez des aéroports américains ou européens? J'aimerais vous entendre nous parler des services que vous recevez dans ces aéroports.

M. Strachan : Je vais laisser M. Perkins essayer de vous répondre. Il a beaucoup fait de vols internationaux.

Commandant Gerry Perkins, Comité des affaires extérieures : J'ai volé partout dans le monde et j'ai fréquenté beaucoup de ces aéroports. Comme tout le monde, je constate des problèmes dans les grands aéroports canadiens. Par exemple, les aéroports de Londres et de Francfort offrent les mêmes services à l'intérieur des aérogares, de belles aérogares où il y a beaucoup de Starbuck et de librairies, mais il est plus facile d'y évoluer. Grâce à leur multitude de pistes toujours ouvertes, les pilotes et les compagnies aériennes ont plus de facilité à décoller et à atterrir. Ces aéroports font transiter beaucoup plus de passagers par heure à bord des gros avions que Toronto ou Vancouver.

Même aux États-Unis, surtout dans les aéroports que je fréquente le long de la côte Est, jusqu'en Floride et à Atlanta, en Géorgie, les terrains sont fantastiques. On voit tout de suite que les Américains ont investi beaucoup d'argent. On n'y a pas les délais que nous avons à Toronto.

On nous autorise à l'approche vers les aéroports de Floride à 150 ou 200 milles de la destination. À Toronto, il arrive qu'on passe au-dessus du lac Simcoe, à huit minutes de se poser, et qu'on ne nous ait pas encore attribué une des deux pistes en service. Les Américains ont investi beaucoup plus d'argent dans les pistes, lors de la construction de leurs aéroports, que les Canadiens.

M. Strachan : Il y a un autre aspect réglementaire qui est lié au contrôle de la circulation aérienne. Je crois que le manuel des opérations du contrôle de la circulation aérienne en vigueur au Canada est beaucoup plus restrictif que celui utilisé aux États-Unis.

Toronto nous en donne un parfait exemple. On compte maintenant trois pistes est-ouest à Pearson et seulement deux nord-ouest-sud-ouest. Ce sont celles qui, quand on arrive du nord ou du sud, nous amènent à survoler Mississauga ou Brampton.

Et puis, il y a une météorologie particulière à Toronto, l'été comme l'hiver. Il arrive très souvent, au passage d'un front froid avec son concert de tempêtes de neige et d'orages, qu'on soit en présence d'un phénomène frontal très marqué accompagné de très fortes chutes de neige ou d'éclairs obligeant à l'interruption des opérations.

Derrière un tel front froid, le gradient de pression se resserre et le vent s'intensifie. Il commence alors à souffler un fort vent du nord-ouest. Le ciel est complètement dégagé et l'on pourrait alors penser possible d'exploiter ces conditions idéales pour rattraper les retards accumulés, mais ça n'est pas le cas parce qu'il faut alors utiliser les pistes nord-sud. Elles ne sont pas suffisamment espacées pour permettre des atterrissages ou des décollages en parallèle et donner lieu au même nombre de mouvements horaires que celui enregistré sur les pistes est-ouest.

Souvent, nous utilisons les pistes est-ouest et devons évoluer par vents de travers. Les conditions de vol ne sont pas véritablement dégradées, mais c'est un aspect dont il faut tenir compte sur le plan de la sécurité quand vient le temps d'atterrir. Peu importe, nous exploitons les pistes est-ouest autant que faire se peut afin de maintenir le rythme des mouvements aériens.

Il n'est pas possible de lutter contre les phénomènes météorologiques, il faut composer avec eux. Une fois le front passé, un violent vent nord-ouest se met à souffler. S'installe une tempête de ciel bleu qui devrait permettre de rattraper les retards, mais c'est impossible.

À Toronto, ces pistes sont distantes d'environ 3 500 pieds. A priori, je pourrais vous dire qu'il est possible, aux États-Unis, de faire poser simultanément deux avions sur des pistes parallèles qui sont beaucoup moins distantes qu'à Toronto. C'est le cas de Boston, Newark, Philadelphie, Minneapolis, San Francisco, St. Louis et de bien d'autres aéroports américains.

Parfois, nous devons effectuer des approches aux instruments, selon une procédure que nous appelons PRM, soit au radar de précision. Les Américains trouvent différentes façons de permettre aux avions de se poser à leurs aéroports. Il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne pouvons pas faire la même chose ici. Il faudrait commencer à faire pareil.

S'il faut investir dans des infrastructures, alors faisons-le. S'il faut modifier nos procédures d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne, alors faisons-le, parce ce que c'est logique pour l'industrie.

Le sénateur Merchant : Ces derniers temps, le public voyageur a commencé à se demander si Air Canada est un service essentiel. Vous qui représentez l'industrie aérienne, que répondez-vous?

M. Strachan : Je pense que la compagnie est essentielle pour ce pays. À l'heure où nous parlons, elle est absolument essentielle. Elle est un pilier de notre économie. C'est un actif national. Il faut s'en occuper. Ça m'attriste quand je songe à ce qui est arrivé à cette compagnie aérienne ces 10 dernières années. Nous avons connu l'un des actes terroristes les plus catastrophiques de l'histoire de l'humanité, un acte qui a touché cette industrie plus que n'importe quelle autre.

Puis, peu après, au Canada nous avons connu la plus importante pandémie depuis la poliomyélite qui a surtout touché la principale plaque tournante de cette compagnie. Comme on pouvait s'y attendre, Air Canada a connu une crise de liquidités et elle a été obligée de se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Les investisseurs qui sont intervenus dans ce processus n'avaient pas envie d'exploiter une compagnie aérienne. Ils ont injecté des fonds toxiques qui ont peu à peu empoisonné cette compagnie aérienne qui s'est retrouvée dans une profonde détresse. L'argent a fini par tout régir, par entraîner une cession d'actifs, comme d'anciennes filiales que nous détenions à part entière dans le transport du troisième niveau, à l'instar de Jazz, ou encore par causer la vente du meilleur programme de fidélisation en vigueur dans le monde à l'époque, Aeroplan.

Le service de maintenance d'Air Canada, depuis rebaptisé Aveos, soit les services techniques, a été détaché d'Air Canada pour une fraction de sa valeur marchande, comme on a pu le constater quand ces mêmes actifs ont ensuite été vendus séparément. Et bien sûr, les financiers ont empoché la différence. Puis, ils sont partis.

Ces milliards de dollars d'actifs ont alors non seulement été retirés à Air Canada, mais ils ont aussi été retirés au pays. On parle ici de la richesse qui avait été accumulée par trois générations de Canadiens. Cela fait 75 ans que nous étions là et, avant, nous avions été une société d'État.

Personnellement, j'estime que la très grande partie de ces actifs était publique. Il nous avait fallu longtemps pour bâtir cette richesse au sein de l'organisation et voilà qu'elle n'est plus là. Ce n'est pas viable. On ne peut continuer à récompenser ceux qui viennent décapiter nos industries.

Le sénateur Merchant : Poursuivons dans la même veine. Si un groupe d'employés d'Air Canada fait grève, d'abord, vous n'êtes pas la seule compagnie aérienne au pays. Il y en a d'autres. Si Air Canada ne vole pas, les voyageurs trouveront d'autres façons d'arriver à destination. C'est ça que je veux dire par service « essentiel ». J'ai l'impression que vous avez abordé ma question sous un angle légèrement différent.

Si je ne peux emprunter Air Canada pour aller de Regina à Ottawa, je pourrais peut-être me reporter sur WestJet, parce que ça me fait plaisir de prendre WestJet. Des gens se déplacent pour affaires et ils doivent immédiatement parvenir à destination.

Le sénateur Greene : Je veux faire un rappel au Règlement. Cette question est hors sujet. Nous sommes ici pour parler du rapport que nous préparons et les questions de conflits industriels n'en font pas partie.

Le sénateur Merchant : Ces messieurs ont dit qu'ils représentent l'industrie aérienne et qu'ils étaient prêts à répondre à n'importe quelle question.

Le président : Au début, j'ai dit que nous allions parler des questions en rapport avec notre étude. Je sais qu'ils vous ont proposé de répondre à toutes les questions que vous poseriez, mais je pense que nous devons d'abord nous intéresser aux questions devant être traitées dans notre rapport. Si nous avons suffisamment de temps à la fin, alors vous pourrez aborder d'autres sujets.

Le sénateur Merchant : Je veux savoir ce qui se passe du côté des conventions collectives des autres compagnies aériennes. L'autre jour, nous avons accueilli des représentants de Jazz.

Si, en cas de grève, il est impossible de prendre l'avion, qu'arrive-t-il du côté des conventions collectives? Est-ce que tout le monde fait grève?

Est-ce une question que je peux poser?

Le président : Oui, très brève.

Le sénateur Merchant : Je ne sais pas ce qui se passe. Vous avez Jazz.

M. Strachan : Voulez-vous savoir si, à supposer que nous fassions grève, les autres unités de négociation se mettraient automatiquement en arrêt de travail?

Le sénateur Mercer : Est-ce que les gens de Jazz se mettraient aussi en grève?

M. Strachan : Non, ce sont deux choses complètement différentes.

Le sénateur Merchant : Ils continueraient de voler, même si toutes les lignes d'appoint travaillent pour vous?

M. Strachan : Oui.

M. Perkins : Je voudrais répondre à la question que le sénateur a posée au sujet de la notion de service essentiel. Dans deux, peut-être trois pays au monde, il est possible de voler pendant cinq heures sans jamais sortir des frontières nationales. Nous sommes un vaste territoire et j'estime que ce service est essentiel.

J'ai entendu dire que nous avions 24 000 employés. J'ai entendu dire que notre réseau de soutien frise le quart de million de personnes. Beaucoup d'emplois dépendent du fait que nous pouvons décoller tous les matins à 7 heures. Oui, je crois que c'est essentiel.

Si Air Canada se met en grève, il y a bien sûr d'autres possibilités de voyager. Il y a toujours d'autres possibilités, mais personne n'a un réseau aussi vaste que le nôtre. Rares sont les pays de notre taille à ne compter que sur une compagnie aérienne. Aux États-Unis, il y a des dizaines de compagnies aériennes qui exploitent des avions à réaction de la catégorie transport, tandis qu'Air Canada n'en a qu'une seule. Il y a WestJet, mais cette compagnie offre un service différent du nôtre. Si nous arrêtions de voler, nous nous retrouverions avec une crise sur les bras, car il serait presque impossible de faire voyager les gens d'un bout à l'autre du pays et, notamment, de ramener les députés à Ottawa depuis leurs circonscriptions réparties sur tout le territoire.

Le sénateur Cochrane : Merci beaucoup pour vos exposés.

Je veux parler de sécurité. Parlez-moi de l'analyse des comportements, dont vous parliez tout à l'heure, appliquée au personnel qui a accès au côté piste. Vous disiez être préoccupé par plusieurs choses dans le fait que ces gens-là ont régulièrement accès au tarmac. Ils chargent ou déchargent les bagages ou guident les avions au stationnement ou au refoulement.

Qu'est-ce qui vous préoccupe? Qu'est-ce qu'il y a de mal avec ces gens-là? Le contrôle du personnel au sol pose-t-il problème? On ne contrôle pas fiabilité de ces employés avant de les embaucher? Ont-ils librement accès aux avions si bien que n'importe quoi pourrait arriver, ce qui veut dire que notre sécurité est menacée? L'Association des pilotes a-t- elle fait part de ses préoccupations aux autorités aéroportuaires?

M. Strachan : Tout le personnel des aéroports est contrôlé. Nous subissons tous un contrôle de fiabilité. Je ne sais pas jusqu'à point il est sérieux. Je me demande dans quelle mesure les différents ministères fédéraux communiquent entre eux. J'ai quitté les forces aériennes il y a 15 ans avec une autorisation de sécurité très secret et, le lendemain on me traitait a priori comme un coupable. Il a fallu que je me resoumette à tout le processus, parce que je n'étais plus pilote militaire, que je n'étais plus qu'un pilote civil.

Le personnel est contrôlé, mais je ne pourrais pas vous dire dans quelle mesure la procédure est sérieuse.

Ce que nous voudrions voir davantage, c'est que le personnel au sol soit régulièrement contrôlé, chaque fois qu'il entre dans une zone d'accès restreint ou qu'il en sort, afin de voir s'il ne transporte pas d'articles interdits. Nous savons que des éléments criminels ont infiltré nos aéroports. Ils y sont encore aujourd'hui. L'année dernière, je crois que les douanes ont saisi pour plus de 10 milliards de dollars de narcotiques en valeur de revente. Nous savons que ces éléments criminels trafiquent dans nos aéroports. Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour se dire qu'un individu pourrait être animé d'intentions beaucoup plus dommageables que le trafic de drogue.

C'est une mise en garde. Il en a déjà été question, surtout dans le rapport SPAWN de la GRC.

Le sénateur Cochrane : C'est là que se trouve le problème, n'est-ce pas? À l'entrée des aéroports, au niveau des contrôles.

M. Strachan : Nous estimons que c'est un des aspects auxquels nous n'avons pas suffisamment accordé d'attention. Nous avons consacré beaucoup de temps, d'efforts et d'argent à éviter qu'il se passe quoi que ce soit de regrettable à bord des avions et nous avons tous été témoins de ces longues files devant les postes de contrôle. Nous connaissons tous ces nouveaux appareils de radioscopie, les scanners comme on les appelle, et c'est fort bien. C'est bien que nous ayons fait tout cela, mais il y a aussi le cas des personnes mal intentionnées.

Nous félicitons le gouvernement d'avoir lancé un projet pilote à Vancouver. C'est un très bon pas dans la bonne direction, mais ça n'a rien de nouveau. D'autres pays appliquent depuis toujours les mêmes techniques. Je pense spontanément à Israºl qui, bien sûr, n'a pas le choix. Certes, ce genre de contrôle est plus facile, parce que la compagnie israélienne est exploitée à partir d'un seul aéroport et qu'il n'y a qu'un seul point d'accès menant à la zone contrôlée où doit se faire l'observation.

Ici, au Canada, ce n'est pas le cas, nous avons des centaines d'aéroports. Il est beaucoup plus difficile pour nous de faire la même chose, mais on ne peut pas simplement faire fi de la situation. Cela concerne principalement le personnel au sol, mais pas le PNT ou le PNC. Nous devons veiller à connaître tous les personnels de l'aéroport, qu'ils travaillent pour une compagnie aérienne, une société d'avitaillement, un traiteur ou que sais-je encore, et nous devons savoir ce qu'ils transportent. Tout indique que nous ne faisons pas du très bon travail de ce côté.

Le sénateur Cochrane : Cela ne vous satisfait pas.

M. Strachan : Non.

Le sénateur Cochrane : Votre association a-t-elle fait état de ses préoccupations?

M. Strachan : Oui. Comme je le disais, nous avons soumis un livre blanc à M. Merrifield qui était alors ministre d'État aux Transports il y a deux ans environ. Nous avons officiellement transmis nos préoccupations et nos recommandations.

Le sénateur Cochrane : Parlons des pilotes étrangers qui viennent travailler ici d'après ce que vous nous avez dit. Nous avons ici un excédent de pilotes qui ne peuvent piloter de 737NG parce qu'ils n'ont pas la licence nécessaire pour cela.

M. Strachan : C'est parce que leur licence n'est pas annotée en conséquence.

Le sénateur Cochrane : Et que faut-il pour obtenir cette annotation? Le pilote doit-il suivre une formation supplémentaire d'une année environ?

M. Strachan : Cela dépend du genre d'appareil qu'il a piloté auparavant. Moi, j'ai volé sur Boeing 767 et quand j'ai demandé mon annotation Boeing 757, il m'a suffi de suivre un cours théorique d'une journée. Il y a beaucoup de points communs entre ces deux types d'appareils et il ne m'a pas été nécessaire de suivre une formation poussée. Si je n'avais pas été sur Boeing, ça aurait été différent. Il aurait fallu que je suive tout le cursus, ce qui veut dire environ une semaine à une semaine et demie de cours théoriques pour apprendre tous les systèmes de l'appareil, puis quelques jours pour apprendre les procédures d'exploitation de l'avion en situation normale. Puis, on va faire du simulateur pour répéter les opérations en conditions normales et apprendre les opérations d'urgence dans des scénarios très réalistes. Une fois cette formation terminée, on passe à la phase d'initiation en ligne qui consiste à piloter l'appareil aux côtés d'un commandant de bord formateur. Enfin, on subit ce qu'on appelle un contrôle en ligne ou une évaluation opérationnelle et c'est après ça que la licence est annotée pour le type d'appareil en question.

Le sénateur Cochrane : Et cela dure quoi, environ six mois?

M. Strachan : Non. En général, il faut un mois entre le début du cours et la fin sur simulateur, durée à laquelle il faut ajouter l'initiation en ligne qui peut s'étaler sur deux ou trois semaines, au maximum. Cette phase d'initiation n'est pas très longue.

Le sénateur Mercer : Je vais enchaîner sur les questions du sénateur Cochrane.

Vous avez dit qu'il faut environ un mois. Je cherche une solution à ce problème. Nous avons beaucoup d'emplois à offrir au Canada qui sont actuellement occupés par des gens qui ne sont ni immigrants ni néo-Canadiens. Ce sont des gens qui viennent faire le travail pendant un temps, puis qui s'en vont.

À cette période de l'année, ils ne restent même pas aussi longtemps chez nous que les ramasseurs de pommes dans la vallée d'Annapolis.

La solution consisterait-elle à trouver une façon de rassembler la compagnie aérienne, l'Association des pilotes et le gouvernement pour financer cette opération? C'est cela qu'il faut faire? On parle de problème, mais pas de solution.

M. Strachan : Si le gouvernement pouvait débloquer des fonds, cela permettrait aux exploitants d'assumer une partie des coûts. Ce ne sont pas des coûts insignifiants. Notre compagnie aérienne forme ses propres pilotes sur les types d'appareils que nous avons. Air Transat offre des formations ouvertes. WestJet est sans doute le meilleur exemple avec ses quelque 1 200 pilotes qui sont tous sur 737NG. Je peux vous assurer que très peu d'entre eux, s'il y en a un seul, détenaient une annotation 737NG avant que WestJet ne la leur donne.

Afin de protéger l'investissement très important que représente la formation d'un pilote pour un exploitant, il n'est pas déraisonnable que celui-ci exige un certain engagement de la part du pilote pour pouvoir récupérer une partie de son investissement. C'est ce qui m'est arrivé quand je suis rentré à Skyservice. On m'a qualifié sur A330. Cette formation m'a pris environ un mois. Elle a coûté très cher à la société et c'est pour cela qu'elle m'a demandé de signer pour quatre ans avec elle. Cette obligation de 40 000 $ a été progressivement réduite à zéro, mois après mois, jusqu'au terme des quatre années. C'est ainsi que l'exploitant peut protéger son investissement tout en permettant aux Canadiens de bénéficier de la formation offerte et d'acquérir, à l'interne, les compétences dont nous avons besoin.

Le sénateur Mercer : Vous parlez sans cesse de montants non négligeables, et j'ai l'impression que le gouvernement n'arrête pas de financer la création d'emplois et la formation dans d'autres secteurs. Je me dis que si l'industrie, les syndicats et le gouvernement pouvaient s'entendre, il leur serait sans doute possible de partager les coûts. Il demeure que je n'ai aucune idée de ce que représentent les coûts en question. Si on voulait vous qualifier sur 737NG, combien en coûterait-il pour que vous ayez tous deux cette annotation?

M. Perkins : Comme nous le disions, tout pilote titulaire d'une licence canadienne de pilote de ligne peut s'installer aux commandes d'un avion. Il lui suffit de suivre un cours. J'en connais qui ont suivi cette formation pour des sommes variant entre 10 000 et 15 000 $, disons maximum 20 000 à 30 000 $. On parle donc d'une fourchette de 10 000 à 20 000 $. S'il n'était pas aussi facile pour les compagnies d'embaucher des pilotes étrangers, elles seraient contraintes d'assumer ces coûts et de former elles-mêmes les pilotes de ligne canadiens qui sont au chômage au Canada, qui ont des licences canadiennes de pilote de ligne valides en poche, qui sont prêts à travailler, qui attendent d'obtenir un emploi et qui sont contraints de s'expatrier. Les économies que ces compagnies réalisent ne sont pas véritablement répercutées sur le public voyageur. Les compagnies s'affranchissent simplement de la nécessité d'assumer les coûts de formation de leurs pilotes.

Le sénateur Mercer : Ce que je veux dire, c'est que si l'on offrait des stimulants aux entreprises, si l'on invitait les syndicats à participer, on parviendrait peut-être à régler ce problème et à retenir une partie des pilotes ici. Tous ceux qui resteront ici paieront des impôts et ainsi de suite.

M. Strachan : Il est évident que ça ne ferait pas de mal. La plupart des compagnies aériennes trouvent une façon de le faire. Il n'y a que quelques compagnies, celles dont nous parlons, qui ne semblent pas vouloir assumer ce genre de dépense. Comme je le disais, je ne pense pas qu'au final la différence se fasse sentir sur le prix du billet.

Le sénateur Eaton : Pour en revenir à sa question sur les pilotes, si vous constituez une association de pilotes pour encadrer votre profession, insisteriez-vous alors pour vous occuper de toute la formation des pilotes afin de la normaliser à l'échelle du Canada?

M. Strachan : Ce serait là un projet à très long terme. Nous pourrions l'entreprendre. Les partenaires logiques dans ce genre d'entreprise seraient les avionneurs — ceux qui fabriquent les avions — parce que les appareils appartiennent à une même famille. Ce serait l'idéal. Si tous les pilotes volaient de la même façon, il serait plus facile de contrôler les pratiques et de s'assurer que tout le monde fait la même chose. Nous passons beaucoup de temps pour nous assurer que tout le monde fait effectivement la même chose.

Le sénateur Eaton : Ce serait comme une association médicale. Vous fixez les normes et tout le monde doit correspondre à ces normes. Comme ça, les pilotes pourront voler pour n'importe qui. C'est cela?

M. Strachan : Oui.

Le sénateur MacDonald : Commandant Strachan et commandant Perkins, merci de vous être déplacés. Je suis heureux de vous revoir. Je veux revenir sur un aspect soulevé par le sénateur Eaton. Vous parliez de l'instauration d'un collège de pilotes. Il est intéressant que vous ayez fait la comparaison avec les professions médicales et légales. En vérité, quand on est passager d'un avion, on remet sa vie entre vos mains. J'en suis toujours conscient quand je me trouve à bord d'un avion et nous volons beaucoup, nous les sénateurs. S'agissant de ce collège de pilotes, existe-t-il des organisations semblables dans d'autres pays et comment fonctionnent-elles? Y a-t-il un modèle que nous pourrions reprendre et appliquer ici?

M. Strachan : Le plus proche auquel je puisse penser est le modèle mexicain. Au Mexique, il y a un collège de pilotes de ligne. Nous pourrions apprendre beaucoup de ce qu'ils font. Ça fonctionne bien là-bas. C'est logique. Personne n'est mieux en mesure de s'occuper d'un tel programme que les gens qui trempent quotidiennement dans le milieu. Comme je le disais, nous ne sommes pas nombreux.

Le sénateur MacDonald : A-t-on déjà essayé d'établir un tel collège au Canada? A-t-on déjà pris ce genre d'initiative et, sinon, pourquoi pas?

M. Strachan : Notre organisation a injecté des fonds de démarrage pour financer des philanthropes qui voulaient faire ce genre de chose afin de déterminer le type de structure dont nous aurions besoin, le type de gouvernance à mettre en place et l'interface à réaliser avec Transports Canada. Il est évident qu'il faudrait instaurer une certaine interface avec le ministère. Il y a bien sûr tous les aspects concernant le personnel, comme les licences, la formation, la discipline et toutes sortes de choses, mais il y a aussi les responsabilités en matière de réglementation qu'il ne conviendrait sans doute pas de confier à un collège.

Nous avons lancé le processus et beaucoup de représentants de divers groupes de pilotes au pays travaillent sur ce projet à l'heure où l'on se parle.

Le sénateur MacDonald : Vous estimez que le moment est venu de réaliser cette idée?

M. Strachan : Oui.

Le sénateur MacDonald : Le commandant Perkins a parlé des vols internationaux et de la fréquentation d'aéroports étrangers. Prenons la chose par l'autre bout, concentrons-nous sur le Canada et les aéroports qui ne font pas partie du Réseau national des aéroports. Je me rends à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Y a-t-il des différences palpables dans les niveaux de service ou de sécurité? Y a-t-il quelque chose qui vous frappe comme étant systématiquement différent quand vous allez vous poser à ces aéroports?

M. Perkins : Pas a priori. Je me suis très souvent posé à Sydney, en Nouvelle-Écosse, mais pas récemment. Tous les aéroports n'ont pas souffert de la manière que nous avons décrite en parlant de certains. On peut, par exemple, penser à celui de Calgary où l'on vient d'entreprendre un vaste projet de construction d'une voie de circulation commune et éventuellement de deux pistes. Ces aéroports ne sont pas touchés de la même façon — ce sont juste les grands, comme ceux de Toronto et de Vancouver qui le sont. Comme M. Strachan l'a dit tout à l'heure, on construit de magnifiques aérogares, mais on ne dépense rien dans les secteurs importants, c'est-à-dire dans tout ce qui assure le mouvement des voyageurs. À Ottawa, par exemple, il faudrait d'autres pistes afin d'accroître le trafic voyageur. Je ne peux pas vraiment vous parler des petits aéroports, parce qu'il y a longtemps que je n'en ai pas fréquenté.

Le sénateur MacDonald : C'est dans les grands aéroports qu'on constate les principales limitations sur le plan des infrastructures.

M. Strachan : C'est là où les problèmes sont les plus importants. Il y a des disparités dans les niveaux de service entre Sydney et Toronto, que ce soit dans le type de services offerts, les heures d'ouverture des douanes, les heures de fonctionnement de la tour, la taille de l'aérogare ou la rapidité d'intervention des services d'urgence. Il y a des différences. Le gros du trafic aérien est concentré dans nos grands aéroports, c'est-à-dire à Montréal, Toronto, Vancouver et Calgary. Ce sont eux qui nous posent le plus gros problème.

M. Perkins : Il y a aussi un effet en cascade. Quand ça ne fonctionne pas à Toronto, il y a un impact sur les vols à destination de Halifax, puis un impact sur les vols à destination de Sydney.

M. Strachan : Vous avez raison. Le vol de St. John's en attente à Toronto peut avoir été retardé par un problème à LAX, c'est-à-dire à Los Angeles. Le vol initial peut avoir été retardé à Los Angeles ou à Vancouver avant d'arriver à Toronto. Après cela, on essaie de rattraper la situation.

M. Perkins : Et puis, il n'y a pas que les pistes qui comptent. Ainsi, il ne sera jamais nécessaire de disposer de plus d'une piste à Sydney, du moins pas de mon vivant.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je ne sais pas si, chaque fois que je vais à Toronto, il y a toujours des vents du Nord-Ouest, mais j'ai effectivement l'impression qu'il vente toujours à Toronto.

Votre association représente les pilotes d'Air Canada; n'est-ce pas?

M. Strachan : Oui; les pilotes qui opèrent les avions d'Air Canada comme les avions de type Boeing 777 et de type Embraer.

Le sénateur Boisvenu : Chaque entreprise a son association de pilotes?

M. Strachan : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Il n'y a donc pas, pour les problèmes comme ceux des pilotes venant de l'extérieur et votre horaire que vous dites problématique, de lieu commun où l'on peut discuter de ces sujets avec toutes les entreprises?

[Traduction]

M. Strachan : Y a-t-il un forum pour ce genre de débat?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu'il y a des négociations communes concernant des problèmes communs?

[Traduction]

M. Strachan : Oui, nous communiquons avec les autres groupes de pilotes pour parler de ce genre de choses. Dans le dossier des pilotes étrangers, je ne vous dirai pas que je représente directement les intérêts des pilotes d'Air Canada. Nous ne sommes pas directement touchés par ce problème. Toutes les associations de pilotes au Canada ne sont pas aussi bien représentées et toutes ne disposent pas d'autant de ressources que la nôtre. J'espère que, dans ce cas en particulier, je m'exprime au nom des pilotes en général et de la profession de pilote au Canada, et que je parle aussi dans l'intérêt public. Il s'agit également d'une question de politique publique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si vous vouliez mettre de l'avant ce genre d'association parapluie, vous pourriez alors plus facilement traiter de ces sujets avec l'ensemble des gens et dans un contexte plus rapide?

[Traduction]

M. Strachan : Vous songez à une sorte de fédération? Il en est également question. D'ailleurs, je vais bientôt rencontrer mes homologues des autres associations de pilotes pour précisément parler de cette question.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma dernière question concerne la sécurité dans les aéroports. J'ai été un peu surpris, lorsque je suis arrivé au Sénat, de constater qu'il existait la police du Sénat, la police de la Chambre des communes et que la GRC était présente en dehors des bâtiments.

Dans un aéroport, il y a la sécurité portuaire et, entre l'arrivée du passager et la douane, vous avez la sécurité au niveau des douanes, ainsi que la sécurité municipale en dehors de l'aéroport. Est-ce que tout ce monde-là se parle?

[Traduction]

M. Strachan : Nous sommes en faveur d'une approche stratifiée en matière de sécurité. Tout ne peut pas s'articuler autour d'un seul point desservant un secteur particulier. Il y a, d'un côté, les indésirables et, de l'autre, les événements fâcheux. À Tel-Aviv, le système de sécurité s'enclenche dès qu'un passager pénètre dans le périmètre de l'aéroport. Les gens sont observés dès l'instant où ils quittent le stationnement pour rentrer à pied dans l'aérogare. La sécurité peut les prendre à part pour les interroger en jouant aux « bons flics, méchants flics » pour voir si deux compagnons de voyage se contredisent. Les agents vous évaluent sur la base de leur vaste expérience qui leur permet de repérer précisément ceux ou celles qu'il convient d'isoler et à qui il faut porter une attention spéciale. Tout comme nous, ils sont à la recherche de certains objets. En fait, il y a à bord de chaque avion d'El Al, la compagnie nationale israélienne, un agent de sécurité. Tout cela coûte cher, nous en sommes conscients.

Nous nous disons qu'avec l'ACSTA, il existe un nouvel organisme fédéral qui a effectué un bon travail en ce qui concerne la prévention des événements fâcheux. Cependant, pour ce qui est de l'identification des comportements dangereux et de la coordination du renseignement et du travail de police, nous estimons que cette responsabilité devrait être confiée à un organisme d'application de la loi. Il est question de resserrer les contrôles dans le cas des opérations au sol pour l'accès au côté piste. Pour cela, il faut disposer de pouvoirs d'arrestation et de détention, sans quoi il n'est pas possible d'appréhender qui que ce soit. Le personnel de l'ACSTA n'a aucun pouvoir pour appréhender qui que ce soit. On peut penser que, si l'on repérait une personne représentant une véritable menace, on voudrait l'intercepter, mais le personnel de l'ACSTA n'est pas en mesure de le faire. Il y a bien des policiers dans tous les aéroports, mais ils interviennent dans les cinq minutes suivant un appel. Le temps qu'ils arrivent sur place et le suspect a disparu. Les services policiers coûtent plus cher et nous en sommes conscients, mais il faut parfois savoir investir.

Le sénateur Martin : J'ai aimé votre exposé. Vous avez été convaincant dans la façon de présenter votre position et votre point de vue tout à fait uniques. Je suis souvent dans les avions, comme beaucoup autour de cette table. Pour me rendre ici, il faut que je fasse au moins cinq heures de vol. Au point 4, vous parlez de la fatigue des pilotes. Ça me préoccupe et je suis certaine que la sécurité des passagers est votre principale préoccupation.

Vous avez dit que nos règlements ne sont pas conformes à ce qui se fait dans le reste du monde et pourtant, la conformité est quelque chose d'essentiel. Vous avez également dit qu'un processus est actuellement en cours. Cela suffira-t- il pour l'instant? Je sais que les processus prennent du temps, qu'il ne faut pas se tromper et qu'il faut tenir compte d'aspects multiples pour modifier des règlements. Cependant, que pourrions-nous faire d'autre ou que faut-il faire d'autre? Il y a plusieurs autres choses qui me préoccupent, comme le manque de pistes et le fait qu'à certains égards il n'y peut-être pas beaucoup de possibilités. Comment pensez-vous que cela va se régler et estimez-vous que ce sera fait à temps?

M. Strachan : J'espère que, la volonté politique aidant, on se rendra compte qu'il faut faire quelque chose et qu'il faut changer la situation. Nos différences par rapport à d'autres pays sont flagrantes. Nous avons recommandé une rationalisation du processus. Nous n'étions pas ravis que cela soit confié au Comité consultatif sur la réglementation aérienne canadienne à cause des nominations par cooptation. Il y a des divisions entre les industries et les gens commencent à faire barrage. Les intérêts économiques s'opposent aux intérêts en matière de sécurité. C'est ainsi. C'est la réalité. Il faut le reconnaître maintenant.

Nous espérions que ce processus serait rationalisé parce que le comité va formuler des recommandations au Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne qui est l'organisme chargé d'adopter les nouveaux règlements. Après recommandation, il appartiendra au CCRAC d'apporter des modifications au Règlement de l'aviation canadien.

Nous sommes sûrs que quelque chose va changer, parce que nous ne lâcherons pas tant que tel n'aura pas été le cas. Si ce processus ne donne rien, vous allez entendre parler de moi.

Le sénateur Martin : Quand ce processus a-t-il été amorcé?

M. Strachan : Il y a 15 ou 18 mois.

Le sénateur Martin : En général, cela prend 18 à 24 mois?

M. Strachan : Je crois que le mandat est expiré et que les parties ont convenu de le prolonger jusqu'à la fin de l'année. Je suppose qu'il faut s'attendre à une recommandation au début de l'année et qu'ensuite il faudra un certain temps pour accoucher de quelque chose de concret. Il n'y a rien de nouveau là-dedans. La plupart des autres pays font la même chose depuis longtemps. A priori, je n'imagine pas un seul autre pays au monde où les dispositions réglementaires relatives aux heures de vol, aux durées de service et aux temps de repos soient aussi dures pour les pilotes qu'au Canada. C'est une honte nationale. C'est une honte pour nous et pour l'industrie. Changeons cela; il y a longtemps que cela aurait dû être fait.

Le sénateur Martin : Vous dites que la courbe est plate, que les deux pilotes assurent les mêmes temps de service, mais les plages horaires sont-elles décalées?

M. Strachan : Non, ça n'est pas prévu. Dans le cas des vols long-courrier et très long-courrier, on ajoute des pilotes. Par exemple, sur un vol Toronto-Tokyo il y a trois pilotes. Sur un Toronto-Hong Kong, il y en a quatre. C'est alors moins fatigant pour eux qu'un Toronto-Tokyo à trois. Il m'est arrivé de m'endormir sur le trottoir à Narita parce que j'étais très fatigué après un vol à trois pilotes, mais je n'ai jamais eu l'impression que je n'étais pas capable de fonctionner à pleine capacité sur un vol Toronto-Hong Kong. C'est toujours beaucoup mieux à quatre. Les temps de repos sont plus longs, parce qu'on est plus nombreux. Ça fait toute une différence.

Je ne veux pas être alarmiste. Ça fait longtemps que nous travaillons comme ça. Nous sommes excellents dans ce que nous faisons. Cela, on le doit aux professionnels et au dévouement des gens qui sont aux commandes. Nous sommes très jaloux de ce que nous faisons, nous le protégeons avec grand soin et nous en sommes fiers. S'il est une chose que les décideurs n'ont pas à redouter de cette organisation, c'est que nous ne jouons jamais sur des problèmes techniques ou de sécurité pour exercer nos fonctions de représentation à l'échelon politique au sein de l'association. Nous n'utilisons pas ce genre de levier pour déterminer notre programme d'action. Quand j'interviens auprès d'un décideur public, c'est parce que je suis intimement convaincu qu'il y a un intérêt sur le plan de la politique publique et que mes intérêts coïncident avec ceux de la politique. On pourrait parler d'intérêt personnel éclairé, mais nous veillons très jalousement à cet aspect-là parce que nous risquerions de perdre instantanément notre crédibilité s'il en était autrement.

M. Perkins : Il va falloir se pencher sur ces questions de temps de service en vol parce qu'il n'y a pas beaucoup d'emplois qui obligent quelqu'un à faire l'aller-retour Toronto-Hong Kong en deux jours et demi. On traverse de nombreux fuseaux horaires, on vole pendant 15 heures, à l'aller comme au retour, on doit dormir à des heures bizarres en pleine journée après être arrivé à destination, on se repose à peine et il est temps de rentrer. Vous pilotez entre 6 000 et 7 000, ce qui, en soi, est très exigeant.

Le sénateur Eaton : L'écrasement de l'avion d'Air France entre le Brésil et l'Europe était-il, selon vous, dû à la fatigue ou à l'incompétence des pilotes ou à autre chose?

M. Strachan : Il y a quelque chose qui me chatouille dans cet incident, et je vais vous dire quoi. Nous avons considérablement amélioré la sécurité au sein de notre industrie parce que nous avons favorisé la culture des déclarations volontaires par les pilotes, en cas d'erreur personnelle, ou chaque fois qu'une menace est identifiée. Nous nous appuyons sur un excellent système de compte rendu volontaire en vertu duquel les pilotes ayant eu des difficultés ou ayant commis une erreur transmettent volontairement l'information aux services de sécurité des vols de leur compagnie. Ces renseignements sont ensuite communiqués aux associations de pilotes, mais, malheureusement, les compagnies ne sont pas toujours transparentes. Nous n'arrêtons pas de les solliciter, mais elles ne nous transmettent pas l'information. Les données de sécurité sont maintenant communiquées par SMS et l'efficacité de ces messages textes nous préoccupe aussi dans la façon dont ils sont utilisés par l'industrie aérienne.

Récemment, le caractère sacré et la confidentialité de l'information divulguée volontairement par les pilotes ont été remis en question. Aujourd'hui, tout le monde veut prendre connaissance de ces informations. Un tribunal a exigé de nos pilotes de déposer leurs comptes rendus de sécurité aérienne. Le contenu des enregistreurs du poste de pilotage et de données de vol de l'avion d'Air France accidenté a été divulgué dans le cadre d'une poursuite au civil. Cela me préoccupe beaucoup, parce que nous avons réalisé d'énormes progrès sur le plan de la sécurité au sein de l'industrie grâce à la culture de transparence que nous avions promue et aussi parce que les pilotes ne se sentent pas menacés quand ils révèlent ouvertement ce qui leur est arrivé afin que d'autres puissent en bénéficier. Nous avons fait un travail remarquable à cet égard. Regardez les statistiques. Notre industrie est très sûre grâce au dévouement de beaucoup d'entre nous qui se sentent interpellés. Et voilà que toutes ces données sont rendues publiques dans le cadre de litiges, à cause de notre société hyperjudiciarisée au sein de laquelle tout le monde veut tout savoir. On va, dans le cadre d'un procès au civil qui durera deux ou trois ans et peut-être attribuer des responsabilités, examiner à la loupe les décisions prises par deux types, parfois en une fraction de seconde, si bien que désormais le travail des pilotes est peut-être menacé. Si nous faisons ça, nous allons revenir à ce qu'était la sécurité des vols il y a 30 ou 40 ans, parce que plus personne ne fera de comptes rendus.

Pour régler ce genre de problème, il faut adopter une disposition législative; il faut assortir ce système de protection pour qu'il serve aux fins visées, c'est-à-dire assurer la promotion et l'amélioration de la sécurité de l'aviation plutôt que de faciliter les poursuites au civil.

Le sénateur Eaton : Cela revient-il à dire qu'après un accident comme celui d'Air France, qui a été tragique pour tout le monde, y compris pour les pilotes, on ne peut prononcer de verdict d'erreur de pilotage ou conclure à la défectuosité de l'équipement? Cela veut-il dire qu'on ne peut pas rendre de tels verdicts?

M. Strachan : C'est bien sûr possible, mais à quelle fin? Que fera-t-on de ce constat? Supposons qu'il soit établi que l'accident ait été provoqué par une panne mécanique, que le dérèglement de la profondeur de droite ait induit un mouvement de roulis et que le pilote n'ait pas correctement réagi en mettant du manche dans le sens opposé, que l'avion ait adopté une assiette inhabituelle, qu'il y ait eu perte de maîtrise en vol et que tout cela ait provoqué un événement catastrophique. Allons-nous utiliser cette information pour poursuivre les héritiers du pilote décédé ou allons-nous la faire circuler parmi les autres pilotes afin que tout le monde puisse tirer des enseignements de ce qui est arrivé et que, si quelqu'un se trouvait dans la même situation, il puisse, lui, éviter une catastrophe? J'estime, personnellement, que c'est là la seule façon utile d'utiliser cette information.

Le sénateur Eaton : Je suis d'accord avec vous. On peut toujours rendre un verdict, mais vous ne devez pas permettre de litiges, vous ne devez pas vous retrouver devant les tribunaux.

M. Strachan : C'est cela. Il faut garder cette information pour les intéressés qui vont l'utiliser de façon constructive. C'est ainsi que l'information continuera de circuler.

Le président : Commandant Strachan et commandant Perkins, merci pour votre exposé très intéressant qui nous a présenté un point de vue différent par rapport à ce que nous avons entendu précédemment. Comme vous allez sans doute suivre nos travaux, si vous désirez nous faire parvenir d'autres commentaires, n'hésitez pas à communiquer avec le greffier. Merci beaucoup pour votre exposé.

M. Strachan : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


Haut de page