Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 18 - Témoignages du 11 juin 2013
OTTAWA, le mardi 11 juin 2013
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-52, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada (administration, transports aérien et ferroviaire et arbitrage), se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, pour en faire l'étude.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous poursuivons ce matin notre étude du projet de loi C-52, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada (administration, transports aérien et ferroviaire et arbitrage).
Au cours de la première heure, nous entendrons le témoignage de Catherine Cobden, vice-présidente exécutive de l'Association des produits forestiers du Canada; de Robert Godfrey, directeur des politiques et relations gouvernementales de l'Institut canadien des engrais; de Ian MacKay, conseiller juridique de l'Institut canadien des engrais; et de Richard Phillips, directeur exécutif des Producteurs de grains du Canada.
Mme Cobden va commencer. Nous écouterons ensuite l'exposé de M. Godfrey, puis de M. Phillips. Puisque le temps est limité, je vous ferai signe.
Catherine Cobden, vice-présidente exécutive, Association des produits forestiers du Canada : Merci de nous recevoir. Je représente les expéditeurs de produits forestiers d'un océan à l'autre. Notre industrie compte 230 000 employés, majoritairement du milieu rural, qui sont répartis entre quelque 200 collectivités rurales d'un bout à l'autre du pays. Nous sommes ravis d'avoir la chance d'être ici aujourd'hui.
Les entreprises de produits forestiers fabriquent du bois d'œuvre, des pâtes et papiers ainsi qu'une grande variété de produits. Nos activités sont responsables d'une très grande part de l'économie rurale et d'une part non négligeable du marché ferroviaire, soit 20 p. 100 environ.
Nous exportons beaucoup. Malgré notre base rurale, nous expédions aux quatre coins du globe. Quelque 85 p. 100 de notre production aboutit à l'étranger. Que nous exportions en Chine, en Inde, en Europe ou aux États-Unis, nous avons besoin d'un réseau de transport fiable et rentable pour réussir sur ce marché mondial hautement concurrentiel.
Le projet de loi C-52 est le premier pas important d'un long cheminement visant à corriger le déséquilibre des forces du marché dont souffrent quotidiennement les expéditeurs au pays. En 2011, le Comité d'examen des services de transport ferroviaire de marchandises a habilement documenté l'emprise du transport ferroviaire sur le marché. Je suis persuadée que les sénateurs connaissent le rapport, qui explique les raisons cruciales pour lesquelles des initiatives telles que le projet de loi C-52 sont importantes pour la prospérité économique future du Canada.
Les membres de l'Association des produits forestiers du Canada sont d'avis que le projet de loi C-52 nous fait avancer en ajoutant un élément à notre boîte à outils, qui nous permet de tirer parti des relations commerciales avec les sociétés ferroviaires. Nos membres croient en l'économie de marché, mais ne peuvent malheureusement pas en bénéficier puisque le transport ferroviaire, un élément économique essentiel à nos affaires, n'est pas basé sur le libre marché. C'est donc uniquement pour régler ce déséquilibre commercial que les membres de l'Association des produits forestiers du Canada vous demandent de réagir fermement sur le plan législatif.
Pour ce faire, nous croyons qu'il faut absolument améliorer le projet de loi C-52 de façon à ce qu'il corresponde aux intentions du gouvernement, à savoir mettre en place des mesures pratiques qui appuient les relations commerciales. Il faut pouvoir améliorer l'efficacité et la fiabilité du réseau ferroviaire, ce à quoi le projet de loi contribuera si les amendements que nous sommes sur le point de proposer sont adoptés.
Sans les amendements proposés, nous croyons que le projet de loi C-52 pourrait finir par nuire aux expéditeurs. Ce point est d'une importance capitale. Même si elles ne sont ni complexes, ni difficiles, ni nombreuses, les modifications que nous allons présenter amélioreront considérablement le projet de loi.
Je crois que vous entendrez demain soir le témoignage de la Coalition des expéditeurs par rail, qui ont six amendements à proposer. Nous sommes d'accord sur ces recommandations, mais trouvons que trois d'entre elles sont prioritaires. Permettez-moi de les passer en revue.
Tout d'abord, l'emploi de l'expression « conditions d'exploitation » dans le projet de loi est une source de complications, d'incertitudes et de difficultés pour les expéditeurs. Nous vous recommandons vivement de la remplacer par le terme « conditions » dans l'ensemble du projet de loi pour ne pas compromettre les efforts que nous ou le gouvernement déployons afin de rééquilibrer les relations commerciales.
En deuxième lieu, il faut éliminer l'exigence voulant que l'arbitre tienne compte des questions de réseau. La suppression de cette disposition évitera que l'arbitrage ne soit détourné de son véritable objectif, qui est de régler les problèmes de services inadéquats offerts aux expéditeurs. Encore ici, conserver ce passage pourrait porter atteinte à la définition de la portée. Celui-ci crée une incertitude et ne nous semble pas équitable étant donné que nous n'avons pas l'information sur l'ensemble du réseau.
En troisième lieu, nous proposons d'ajouter un article distinct définissant « arrangement adéquat et convenable » et « obligations ». Cette recommandation ne devrait pas être compliquée, mesdames et messieurs les sénateurs, puisque les chemins de fer et les expéditeurs en ont déjà convenu lors d'autres procédures auxquelles nous avons participé, comme l'Examen des services de transport ferroviaire des marchandises et le processus dirigé par M. Dinning. Les chemins de fer et les expéditeurs sont entièrement d'accord sur les éléments à inclure dans la définition « d'obligations ».
Si les définitions ne sont pas clairement énoncées dans la loi, elles risquent d'être érodées par des procédures judiciaires lourdes. Nous vous avons remis un document officiel qui décrit en détail les trois recommandations et où vous trouverez beaucoup de précisions. Puisque le temps file, je ne vous ai présenté qu'un survol de celles que nous trouvons essentielles, mais je vous invite à consulter notre mémoire.
Au-delà de la tâche essentielle d'amender et d'adopter le projet de loi, nous devons rester vigilants et veiller à ce que les règlements d'application soient mis à la disposition des expéditeurs dès que possible. Ces règlements nous donnent les outils dont nous avons besoin pour nous assurer que la loi est appliquée efficacement. Les règles concernant la résolution des différends en sont un exemple et doivent être plus claires, tout comme les sanctions administratives monétaires. Nous étions ravis que ces mesures soient incluses au projet de loi, mais en ignorons complètement le fonctionnement. Comme vous le savez, les détails sont importants à la mise en œuvre d'un projet de loi aussi complexe. Nous demandons donc instamment au gouvernement de publier les règlements dès que possible.
En raison du service peu fiable que nous subissons depuis des années — les expéditeurs et les membres de l'Association des produits forestiers n'ont pas ce problème depuis trois mois seulement —, nous demandons également un suivi accru, des rapports publics et une obligation de rendre des comptes à tous les niveaux. Ainsi, tant les expéditeurs que les sociétés de chemin de fer devront veiller à l'amélioration des services ferroviaires.
Compte tenu de l'importance capitale des enjeux économiques, on ne peut plus permettre aux chemins de fer de trouver des prétextes pour justifier leur mauvais rendement. Nous croyons qu'il est tout à fait légitime que Transports Canada prenne les devants en matière de transparence, et nous travaillerons fort pour atteindre cet objectif.
En résumé, nous croyons que le projet de loi est préférable au vide juridique, mais essayons tout de même de faire adopter des recommandations essentielles et des amendements dont la portée est importante, malgré leur simplicité. Nous croyons que le projet de loi sera une solution applicable et pratique grâce à ces amendements.
Merci de votre attention.
Robert Godfrey, directeur, Politiques et relations gouvernementales, Institut canadien des engrais : Je suis le directeur des Politiques et des relations gouvernementales de l'Institut canadien des engrais. Je suis accompagné de Ian MacKay, notre conseiller juridique en transports.
L'Institut canadien des engrais, ou ICE, représente les fabricants élémentaires d'engrais à base d'azote, de phosphate, de potasse et de soufre, ainsi que les principaux distributeurs canadiens en gros et au détail. Nos membres produisent plus de 25 millions de tonnes métriques d'engrais par année, dont plus de 75 p. 100 sont exportées. Notre industrie est axée sur les ressources et fait énormément appel aux chemins de fer pour acheminer ses produits jusqu'aux marchés d'ici et d'ailleurs, et jusqu'aux États-Unis. Nos clients ultimes sont les agriculteurs, et la livraison efficace de nos produits en temps opportun est essentielle à l'approvisionnement alimentaire de l'Amérique du Nord et du monde entier.
L'ICE veut que le projet de loi C-52 soit adopté sans délai. Même si nous faisons front commun avec nos partenaires de la Coalition des expéditeurs par rail qui vous ont présenté six amendements, et que nous avons l'impression que la collaboration de la coalition vous a clairement permis de comprendre les attentes pratiques des clients des marchandises transportées par voie ferrée concernant la mesure législative, celle-ci doit aller de l'avant.
Pendant le débat à la Chambre, nous pensions qu'au moins un des six amendements serait accepté, mais puisque ce n'est malheureusement pas le cas, nous avons maintenant l'impression de manquer de temps. Les membres de l'ICE tiennent à ce que la mesure législative soit adoptée et ont hâte de mettre à l'essai ses dispositions. Il revient à votre comité d'intervenir pour que ce soit fait avant le congé d'été. Nous ne voulons pas perdre nos acquis.
Nous sommes d'avis que la version actuelle du projet de loi constitue un pas dans la bonne direction, ce qui est mieux que rien. Nous considérons qu'il s'agit là d'une étape cruciale vers un équilibre commercial entre les chemins de fer et les clients des marchandises dans le milieu des transports. Le projet de loi accordera à nos membres le droit de conclure un accord de service avec les chemins de fer et établira un processus d'accord au cas où les négociations commerciales échouaient. Il s'agit bel et bien du filet de sécurité que nous demandions.
Le projet de loi C-52, Loi sur les services équitables de transport ferroviaire des marchandises, est encourageant aux yeux de l'ICE. Nous avons félicité le gouvernement lorsqu'il l'a présenté. Cela dit, il reste des aspects préoccupants, que nous ne manquerons pas de surveiller. Nous en parlons dans le document que nous vous avons soumis, mais j'aimerais insister sur deux d'entre eux pour le compte rendu.
Même s'il n'y a pas de limite aux aspects qui peuvent être réglés au moyen de négociations commerciales, le projet de loi fixe une limite majeure concernant l'arbitrage. En fait, la portée des accords de service est limitée aux « conditions d'exploitation » sans couvrir l'ensemble des aspects de la relation commerciale entre un expéditeur et un chemin de fer. Si les accords de service se limitent aux conditions d'exploitation, l'arbitre ne pourra pas examiner un certain nombre de modalités importantes qui apparaissent habituellement dans les accords commerciaux. C'est illogique puisque l'expéditeur ne pourra pas avoir recours à l'arbitrage pour tous les enjeux de son choix. Les accords commerciaux n'établissent aucune distinction entre les conditions d'exploitation et les autres modalités.
D'autre part, les parties doivent avoir droit au règlement des différends pendant la durée de l'accord de service. Or, le projet de loi ne permet pas à l'arbitre d'inclure un processus de résolution au cours de cette période. Il aurait été possible d'équilibrer la reddition de comptes entre les expéditeurs et les transporteurs ferroviaires en modifiant l'article 169.31 proposé. Sans cet amendement, l'ICE craint que la mesure législative ne règle que la moitié du problème.
Dès l'entrée en vigueur du projet de loi, l'ICE vérifiera son efficacité et réglera les problèmes de service qui ont motivé l'examen des services ferroviaires en premier lieu. Nous considérerons en particulier les deux principaux points qui intéressent davantage nos membres. Premièrement, les chemins de fer respectent-ils les engagements — les conditions de service — qui ont fait l'objet de négociations ou d'un arbitrage, ou devons-nous ajouter le règlement des différends pendant la durée d'un accord de service? Deuxièmement, ces accords de niveau de service englobent-ils la circulation transfrontalière, comme c'est le cas pour nos expéditions d'engrais?
Nous présenterons nos constatations à l'occasion de l'examen de la LTC en 2015, ou avant. L'ICE veut toutefois aujourd'hui que ce projet de loi soit adopté sans délai. Je demande expressément au comité et à tous les sénateurs d'adopter le projet de loi pour que nous commencions à l'utiliser et à mettre ses dispositions sous la loupe le plus tôt possible.
Je vous remercie. Je serai ravi de répondre à vos questions.
Richard Phillips, directeur exécutif, Les producteurs de grains du Canada : Bonjour. J'aimerais attirer votre attention sur un document qui contient un certain nombre de photos. Je ferai mon exposé en me servant des photos. J'aimerais donc que vous les regardiez à mesure, s'il vous plaît.
Je suis le directeur exécutif des Producteurs de grains du Canada. Nous représentons plus de 50 000 producteurs au Canada — ou comme nous aimons le dire, 50 000 bons producteurs, car nous nous débrouillons fort bien ces dernières années. Plus de 90 p. 100 de nos producteurs dépendent des exportations ou du prix à l'exportation, et nous exportons plus de 60 p. 100 des principales céréales du pays.
Presque tous les agriculteurs vivent trop loin des eaux, ou des principaux marchés américains pour pouvoir utiliser le transport par camion. Le transport sur rail constitue donc une partie essentielle de l'infrastructure dont les agriculteurs ont besoin.
Je vais vous parler des répercussions qu'un mauvais service a sur les exploitations agricoles. Sur la première photo, on voit une cellule à grain dans un banc de neige. La suivante illustre le moment où on enlève la neige. La compagnie céréalière a appelé l'exploitation pour lui dire qu'un train passera le mercredi suivant et pour lui demander de nettoyer les cellules à grain et de mettre les céréales dans le silo. En hiver, il faut également déneiger la cour pour faciliter l'accès à l'infrastructure.
J'ai également la photo d'un agriculteur dans un tracteur rouge. Il doit enlever la neige pour pouvoir monter dans son camion.
La photo suivante illustre le chargement des grains en hiver, et l'on peut voir l'aspirateur à grains utilisé à cet effet. Il ne s'agit pas seulement de démarrer quelque chose; parfois, il fait -20 ou -30 degrés à l'extérieur et il faut sortir la veille pour préparer l'équipement, les carters d'huile, et s'assurer que tout fonctionne bien afin de pouvoir transporter le grain. On enlève toute la neige et on se prépare à livrer les grains.
Sur la photo suivante, il y a une moissonneuse-batteuse. Il peut arriver à un agriculteur de recevoir un appel au moment de la récolte. On lui demande s'il est possible de livrer le grain et on lui dit que le train est en route. Beaucoup d'agriculteurs n'ont peut-être pas assez de camions — en fait, c'est le cas de presque chacun d'entre eux — pour récolter et transporter le grain de la moissonneuse-batteuse et acheminer le grain au silo. L'agriculteur doit donc décider s'il transporte le grain jusqu'au silo ou s'il continue sa récolte. C'est un choix qu'il doit faire.
Sur la photo suivante, on aperçoit un camion qui charge un semoir pneumatique. Au printemps quand un agriculteur reçoit un appel, il se pose la question suivante : est-ce que je transporte le grain au silo ou est-ce que je continue l'ensemencement? Encore une fois, l'agriculteur n'a pas assez d'équipement pour faire les deux, ou souvent, il n'a pas assez de personnel.
La photo suivante illustre la situation qui peut se produire : on y voit une série de camions stationnés près d'un silo. Il est arrivé à plusieurs reprises qu'on nous dise ceci : « Le train arrivera mercredi, alors préparez-vous — transportez le grain au silo par camion. » Toutefois, le train n'arrive pas et on se trouve à côté du silo. Quoi faire? On s'installe dans la file, et si c'est la période d'ensemencement ou de récolte, il faut décider soit d'attendre que le train arrive, soit de retourner à la maison, de décharger le camion et de continuer la récolte ou l'ensemencement. Ce sont des décisions qu'il faut prendre.
Il faut parfois engager quelqu'un. Dans les cas où l'exploitation comprend aussi du bétail, il faut que quelqu'un nourrisse les animaux pendant que l'agriculteur transporte le grain.
Ce sont des coûts qu'entraîne un service ferroviaire de mauvaise qualité. Nous sommes les producteurs. Le personnel de M. Godfrey nous envoie l'engrais, nous produisons les grains et nous les exportons partout dans le monde.
Je voulais revenir à la question du prix à la production pour que vous puissiez constater les effets sur les agriculteurs canadiens.
Voici ce que nous souhaiterions voir se réaliser. Il y a ici une photo d'une longue file de wagons porte-rails. Ce que nous voulons, c'est avoir un bon service. Les wagons sont pleins; 100 wagons chargés qui se dirigent vers nos clients.
Bref, nous espérons qu'il y aura des amendements, comme l'a soulevé Mme Cobden; et nous voulons qu'il y ait un processus de règlement des différends, comme M. Godfrey l'a dit. Nous souhaitons également un autre changement, et nous pourrons en parler davantage plus tard : il faut assurer une surveillance efficace à partir de maintenant. Il sera important de vérifier si les nouvelles mesures législatives contribueront à l'amélioration des services.
Nous croyons tous fermement que les six amendements amélioreraient grandement le projet de loi. Il sera important d'évaluer si le projet de loi donne les résultats que nous voulons ou auxquels nous nous attendons. Nous pourrons ensuite dire si nous avions raison ou tort — si le service s'est amélioré et si les compagnies de chemin de fer font du bon travail.
J'ai déjà dit qu'il est possible de communiquer avec Postes Canada à tout moment pour savoir où est notre colis. Je me demande pourquoi les compagnies de chemin de fer ne peuvent pas trouver un train, alors que Postes Canada peut trouver un colis. Pourquoi ne peuvent-elles pas m'informer que le train n'arrivera pas avant quatre heures pour que je puisse déterminer à quel moment je devrais charger le camion?
Je termine mon exposé en disant ceci : qui dit service de qualité, dit augmentation des profits pour les agriculteurs, ce qui contribue à leur bonheur. Je serai ravi de répondre à vos questions.
Le président : Je suis convaincu qu'un sénateur posera la question aux compagnies de chemin de fer demain.
Il reste 40 minutes et il y a six sénateurs. Je demande aux sénateurs de poser des questions brèves, et je demande aux témoins de nous donner des réponses concises.
Le sénateu r Mercer : Je propose que nous demandions à Postes Canada de prendre la relève. C'est un très bon argument.
Vous nous placez devant un dilemme en quelque sorte. Supposons que nous voulions tous apporter vos six amendements — il se peut que nous ne nous entendions pas là-dessus, mais supposons que c'est le cas. Monsieur Godfrey, vous dites souhaiter que le projet de loi soit adopté avant que nous ajournions pour l'été. C'est une mission impossible. Si nous acceptons les amendements, nous ne pourrons probablement pas faire rapport du projet de loi à la Chambre avant la semaine prochaine. Cela signifie que nous devrons nous lancer dans le processus d'amendements. Si nous acceptons les amendements et qu'ils sont adoptés par le Sénat, eh bien, vous savez quoi? Le projet de loi devra être retourné à la Chambre des communes. Les députés seront partis depuis longtemps, ce qui signifie que vous n'y gagnerez rien. Je voulais seulement remettre un peu les pendules à l'heure.
Les expéditeurs s'entendent en général au sujet des amendements proposés — et je crois comprendre que nous recevrons un autre document demain, ou peut-être plus tard aujourd'hui, et d'autres documents. C'est étonnant. Puisque tout le monde s'entend, et nous n'avons pas posé la question aux représentants des chemins de fer concernant les amendements, mais nous pouvons le faire, pourquoi à cette étape-ci n'avons-nous pas les amendements? Avez-vous une réponse à me donner, ou devrais-je poser la question aux députés de la Chambre des communes?
D'accord. Je ne veux pas vous mêler à des problèmes politiques. Je vais poser une question à M. Phillips.
Je suis également membre du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je connais donc un peu les enjeux — et je veux vraiment dire « un peu ». Vous avez parlé du nombre insuffisant de camions nécessaire pour livrer le grain au moment voulu, lorsqu'on vous le demande. Si je comprends bien la situation, un assez grand nombre de camionneurs de l'Ouest canadien ne travaillent que dans le Nord de l'Alberta, pour l'industrie des sables bitumineux, ce qui vient compliquer les choses. Nous avons fait une étude sur la main-d'œuvre, et nous avons découvert que la partie sud des Prairies a perdu beaucoup de camionneurs compétents, qui sont partis dans le Nord de l'Alberta en raison des prix. Est-ce toujours le cas?
M. Phillips : Oui. Ils siphonnent la main-d'œuvre de partout au Canada, dont l'Atlantique. Beaucoup de gens s'en vont là-bas. De nos jours, il faut que l'exploitation agricole compte suffisamment d'employés ayant les permis qu'il faut pour conduire les camions. Si l'on conduit le camion soi-même, il faut qu'une personne puisse faire fonctionner les moissonneuses-batteuses. On parle de machines valant un tiers de million de dollars, et on ne peut pas demander à une personne de faire le travail si elle n'est pas formée. Il est toujours difficile de trouver du personnel qualifié.
Le sénateur Mercer : Enfin, vous avez parlé d'un examen du processus. Parmi les critiques que j'ai faites, j'ai dit que le projet de loi n'inclut pas d'examen obligatoire. Je sais que la loi fera l'objet d'un examen en 2015, et je parlerai de certains de ces aspects au gouvernement à ce moment-là. Toutefois, j'aurais pensé qu'un examen aurait lieu plus rapidement.
Vous avez parlé de surveillance. Quelle serait la façon de procéder et comment le ministère serait-il informé des constatations, à votre avis?
M. Godfrey : L'ICE compte environ 46 membres, ce qui inclut toute la chaîne d'approvisionnement. Les fabricants retirent le produit — par exemple, la potasse est retirée du sol; il y a l'azote, qui sert à la fabrication; ou on fait venir le produit de l'étranger et il est distribué à des vendeurs de produits agricoles, qui les vendent aux agriculteurs de M. Phillips.
Ils utilisent le réseau d'approvisionnement des chemins de fer tous les jours. Ce sont les troupes sur le terrain qui sont en mesure d'informer mon association. Nous compilons ensuite les renseignements et les envoyons nous-mêmes au ministère. Nous croyons que lorsque viendra le moment de l'examen de l'Office des transports du Canada, ce sera sur la table. C'est en partie la raison pour laquelle nous demandons l'adoption du projet de loi maintenant, car nous voulons pouvoir mettre à l'essai les dispositions qu'il contient. Nous voulons sa pleine application, de sorte que nous puissions le mettre à l'épreuve sur le terrain et faire part de nos conclusions au ministère en 2015, dans le cadre de l'examen de la LTC auquel vous avez fait référence, et lui donner des données concrètes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de vos témoignages très intéressants et très instructifs.
On nous a dit que ce projet de loi a pris des années pour arriver à un consensus entre les grandes entreprises et les fournisseurs. Avez-vous participé aux consultations qui ont eu lieu durant toutes ces années?
[Traduction]
Mme Cobden : J'aimerais dire que nous avons été consultés pendant des années, et en fait, nous avons les documents relatifs aux consultations. J'y ai fait référence dans mon exposé pour ce qui est du travail qu'a fait le Comité d'examen des services de transport ferroviaire de marchandises en 2011 et des consensus dans le rapport de Dinning.
Je sais que nous ne sommes pas arrivés à nous entendre sur tous les aspects, mais nous avons trouvé des terrains d'entente à certains égards et nous nous demandons pourquoi ils ne figurent pas dans le projet de loi. Par exemple, j'ai parlé précisément du fait que nous nous sommes entendus sur des paramètres clés, comme les temps de séjour, l'approvisionnement pour les wagons, leur état, et j'en passe, mais le projet de loi n'illustre pas encore les détails dont nous avons convenu. Nous sommes très inquiets, car au fil du temps, les choses s'étioleront davantage.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : N'êtes-vous pas d'accord qu'on partait de loin par rapport à l'emprise des grandes entreprises sur la gestion des chemins de fer? Croyez-vous qu'il s'agit là d'un bon pas en avant, qui fera en sorte qu'on en franchisse un autre dans trois ou quatre ans? La réalité de l'industrie est une réalité de pouvoir. Ne vient-on pas de franchir une étape importante qui fera en sorte que dans trois ou quatre ans, on pourra en franchir une autre qui irait dans le sens de vos recommandations? L'entente actuelle entre les fournisseurs et les propriétaires ne fait-elle pas en sorte que nous avançons?
[Traduction]
Mme Cobden : Je ne sais pas à qui vous posez la question. Je peux commencer.
Le sénateur Boisvenu : Je la pose à M. Godfrey.
M. Godfrey : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi n'est-il pas un bon pas en avant qui fera en sorte que, peut-être dans trois ou quatre ans, on franchira un autre? En affaire, tout avoir est souvent impossible. On essaie d'en avoir une partie pour faire en sorte que lors de la prochaine joute, on ait sur la table des éléments qui rejoignent les attentes? Ma question est claire. Ne s'agit-il pas là d'un bon pas en avant qui fera en sorte que vos coûts de transports pourront être en réduction?
[Traduction]
M. Godfrey : Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous croyons que c'est un pas dans la bonne direction. Nous ne pensons pas que le projet de loi règle tout. C'est pourquoi les gens du milieu de l'expédition ont collaboré et ont proposé six amendements, qu'ils ont présentés au comité permanent de la Chambre. Seulement, aucun de nos amendements n'a été apporté au projet de loi. Les membres de l'ICE pensent maintenant que nous manquons de temps, malheureusement. Nous allons prendre l'initiative et surveiller la situation de près.
Le sénateur Greene : Pourriez-vous me dire pourquoi le mot « exploitation » ne convient pas? Pour bien comprendre, j'aimerais savoir quels autres mots sont importants mis à part celui-là.
Ian MacKay, conseiller juridique, Institut canadien des engrais : Nous croyons que l'emploi de l'expression « conditions d'exploitation » dans le projet de loi fera en sorte que les discussions entre la compagnie de chemins de fer et l'expéditeur ne porteront que sur le service fourni. Généralement, dans une entente commerciale, toute sorte d'autres conditions régissent les autres renseignements commerciaux — crédit, facturation, force majeure, et cetera. D'ordinaire, ce sont des conditions contenues dans une entente commerciale qui, à notre avis, seront exclues par l'utilisation de l'expression « conditions d'exploitation ».
Le sénateur Greene : Toutefois, les problèmes d'exploitation sont les problèmes les plus importants, n'est-ce pas?
M. MacKay : C'est l'essentiel de n'importe quelle relation entre l'expéditeur et la compagnie de chemin de fer, mais ces autres éléments sont également importants.
Mme Cobden : Puis-je ajouter un commentaire? Je pense qu'une fois qu'on entre dans le cadre juridique, par exemple lorsqu'on lance le mécanisme de règlement des différends, s'il fallait qu'un seul de nos souhaits soit exaucé, nous choisirions d'abord d'éliminer le mot « exploitation ». Je ne crois pas que cela serait trop difficile dans le cadre d'une étude article par article. Chaque fois que vous voyez le mot, éliminez-le.
Pourquoi? Parce que si vous utilisez ce mot, vous allez créer un processus juridique laborieux, et je pensais que la raison d'être du projet de loi était justement d'éviter les processus de réglementation juridique laborieux. Par contre, dans ce cas-ci, on va seulement favoriser la création d'un grand nombre de motions avant de pouvoir se pencher sur la grande partie de ces outils.
Le sénateur Greene : Les problèmes que vous avez avec le CN, et cetera, ne sont-ils pas en grande partie des problèmes d'exploitation?
Mme Cobden : Voici un exemple concret : si les wagons n'arrivent pas, nous ne pouvons pas, par exemple, offrir le meilleur rendement économique à nos actionnaires en raison de l'approvisionnement en wagons et de leur disponibilité. C'est aussi grave que cela dans certains cas.
Le sénateur Greene : N'est-ce pas un problème d'exploitation?
Mme Cobden : Oui. Toutefois, une fois que vous entrez dans le cadre juridique, vous décidez de lancer un processus de règlement de différend. Cela ne satisfait pas à la nature de...
Lorsque vous parlez de « conditions d'exploitation », ce que vous créez — et je vous demande d'y réfléchir —, c'est un processus juridique beaucoup trop laborieux. Est-ce ce que vous voulez créer? Une fois dans la loi, voici ce qui se produit : on passe d'une motion à l'autre. Avant de pouvoir résoudre un problème et de reprendre les activités, il faudra consulter avocat après avocat.
Pourquoi? Parce que le mot « exploitation » entraîne l'incertitude. En effet, le mot n'est pas défini et il n'y a aucun précédent jurisprudentiel lié à cette loi sur lequel les avocats peuvent s'appuyer. C'est un vaste cadre qui entraînera un processus extrêmement dispendieux. Je croyais que nous voulions trouver —« nous » représente les expéditeurs, les gouvernements et les compagnies de chemin de fer — une solution qui n'était pas si dispendieuse.
Le sénateur Greene : Je vais argumenter, mais c'est seulement pour mieux comprendre. Je pensais que le mot « exploitation » limitait le processus de règlement de différends aux problèmes d'exploitation, étant donné qu'ils sont les plus importants.
Mme Cobden : Si vous voulez garder le mot « exploitation », je vous conseille de proposer plus d'amendements. Par exemple, il faudra lui donner une définition et des paramètres précis, car sans un tel cadre, on crée de l'incertitude et cela entraîne un processus juridique laborieux. Je présume que vous avez des options.
Le sénateur Greene : C'est intéressant. Merci.
La sénatrice Unger : Si le projet de loi est adopté, il est prévu qu'un arbitre élabore une entente de services raisonnable et équitable sur le plan commercial entre l'expéditeur et la compagnie de chemin de fer en tenant évidemment compte des intérêts des deux parties.
Faites-vous confiance aux compétences de l'arbitre pour élaborer une entente de services raisonnable et équitable sur le plan commercial? Sinon, pourquoi?
M. MacKay : J'ai un commentaire au sujet du projet de loi. Il contient un grand nombre de détails, de complications, de particularités, et cetera, dont l'arbitre devra tenir compte. Ce qui a surpris les expéditeurs lorsqu'ils ont vu le projet de loi C-52 pour la première fois, c'est le grand nombre de détails. Chacun de ces détails devra être interprété et appliqué par l'arbitre pendant l'arbitrage. Les six amendements proposés par la Coalition des expéditeurs par rail visent à simplifier certains de ces détails complexes.
Oui, les arbitres feront cela, mais ce ne sera pas facile.
La sénatrice Unger : Pensez-vous que l'amende de 100 000 $ pour chaque situation qui sera infligée aux compagnies de chemin de fer sera suffisante? Est-elle trop élevée, ou pas assez?
Mme Cobden : Je peux certainement répondre à cette question. Nous sommes reconnaissants de l'introduction du RSAP dans le projet de loi, c'est-à-dire les sanctions monétaires. Toutefois, ce que nous ne savons pas, et j'espère qu'on nous le dira bientôt, c'est comment fonctionnera le RSAP.
En tant qu'expéditeurs de produits forestiers, nous n'avons pas d'opinion sur la valeur de l'amende. Elle semble assez importante. Ce que nous trouvons important, c'est dans quelle mesure on obligera les compagnies de chemin de fer à respecter cela. Nous aimerions qu'on mette en place un processus transparent qui dirait au monde, ou aux Canadiens que cela intéresse, à combien de compagnies s'applique le RSAP.
Ce n'est pas différent des lois environnementales où l'on impose des sanctions à une entreprise qui pollue. Nous aimerions que le gouvernement s'engage à nous donner une idée de la fréquence à laquelle on a recours au RSAP dans l'ensemble. C'est une autre façon de nous aider à déterminer si le processus fonctionne, et de nous aider à déterminer la gravité du problème. Cela contribue à la transparence. Nous n'avons pas vraiment de problème avec la valeur de l'amende, mais plutôt avec le processus par lequel on rend ces renseignements publics.
La sénatrice Unger : À quel point était-il difficile de négocier une entente de services avec une compagnie de chemin de fer et combien de fois deviez-vous recommencer? Combien de fois cela a-t-il échoué?
Mme Cobden : Je peux parler de mon expérience personnelle à cet égard. J'ai mené les négociations et je dirai, avec respect, que nous avons fait tout notre possible pour conclure des ententes de services avant de demander une loi à cet égard. L'APFC a même lancé un processus avec l'une des compagnies de chemin de fer. Je crois que j'ai le droit de la nommer, mais je m'en abstiendrai, au cas où.
Nous avions un processus commercial dans le cadre duquel j'ai mené une équipe de négociation composée de six entreprises membres de l'APFC qui négociaient une entente de services concernant l'industrie forestière avec les compagnies de chemin de fer, dans le but d'éviter ce processus législatif.
Comme je l'ai mentionné dans mes commentaires, le secteur privé ne recherche pas vraiment les activités législatives, comme vous le savez bien. Toutefois, dans ce cas-ci, cela a été un échec retentissant. Des ententes ont échoué, et c'était extrêmement difficile et complexe. Ce processus a en fait envenimé les relations, ce qui est très dommage. Nous sommes sortis de ce processus encore plus convaincus que nous avions besoin de cette loi. C'est très difficile.
M. Godfrey : L'ICE est également en négociations depuis 2006, surtout avec deux importants chemins de fer de classe I, afin de résoudre un différend commercial, car bien franchement, nous ne voulions pas en arriver à l'adoption d'une loi. Nous pensions pouvoir trouver une solution commerciale pour les amener à négocier les conditions commerciales. Nous avons échoué. Les compagnies avaient l'impression d'être en mesure de s'occuper de nos membres.
Nos membres ont de bonnes relations avec un grand nombre de ces compagnies de chemin de fer, surtout certains de nos membres les plus importants, mais un grand nombre d'expéditeurs intermédiaires et « captifs » ont eu des problèmes et des difficultés avec les services qu'ils ont reçus au cours des dernières années. C'est pourquoi nous nous sommes joints à la Coalition des expéditeurs par rail et c'est pourquoi je suis ici aujourd'hui.
J'aimerais répéter qu'il est maintenant temps que le comité adopte le projet de loi, afin que nous puissions mettre ces dispositions à l'essai.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Godfrey, je crois que vous avez dit clairement que vous vouliez que le projet de loi soit adopté maintenant et qu'on le mette en œuvre pour voir comment il fonctionne. Vous auriez aimé apporter des amendements, mais peut-être plus tard.
J'aimerais soumettre ce problème de mise en œuvre aux deux autres témoins. Si le comité recommande un amendement au projet de loi, par exemple qu'on élimine le mot « exploitation », et que le Sénat recommande la même chose, cela signifie que le projet de loi est renvoyé à la Chambre des communes. Lorsqu'il sera renvoyé à nouveau au Sénat, la Chambre des communes aura cessé ses travaux pour l'été. Elle pourrait même ajourner cette semaine, par exemple, et nous poursuivrons nos travaux pendant une ou deux semaines, et peut-être jusqu'à l'été.
D'une façon ou d'une autre, la Chambre aura suspendu ses travaux et le projet de loi devra retourner à la Chambre si nous l'amendons, ce qui signifie à la mi-septembre s'il n'y a pas de prorogation, car il y a des rumeurs au sujet d'une prorogation à l'automne, ce qui pourrait signifier que ce sera plus tard. La question est donc de savoir s'il est préférable d'utiliser ce que nous avons en ce moment, le mettre à l'essai et peut-être y revenir plus tard, si nécessaire, pour y apporter des amendements. Cela pourrait être dans deux ans. Nous pouvons aussi nous demander s'il est préférable de le perfectionner dès le premier essai.
Mme Cobden : Si on s'engageait à faire avancer le projet de loi dès la reprise des travaux de la Chambre, je crois que les expéditeurs, qui se contentent depuis des années de mauvais services — et je n'ai pas eu l'occasion de parler de cela à mes membres, mais je me fie à mon intuition — pourraient attendre deux ou trois mois, car ce n'est pas comparable à des années d'attente, pour pouvoir avoir des améliorations importantes, comme l'élimination du mot « exploitation »; mais il faut que cela s'accompagne d'un engagement à faire avancer le projet de loi.
Comme je l'ai mentionné, nous aimerions mieux avoir le projet de loi dans sa forme actuelle que de le voir mourir au Feuilleton. Si on s'engage à le faire avancer dans le processus, je crois que nous prendrions le temps, c'est-à-dire deux ou trois mois, d'apporter des changements aussi importants, ainsi que les deux ou quatre autres changements proposés par la coalition, bien sûr.
M. Phillips : La plupart des entreprises céréalières préféreraient aussi qu'on amende le projet de loi. Il y a des rumeurs concernant un remaniement du Cabinet, et la réalité, c'est que nous pourrions assister à une prorogation de la Chambre à l'automne et risquer de perdre le projet de loi. Si nous devons le perdre, cette version est mieux que rien. Par contre, si nous pouvons le faire passer par toutes les étapes du processus, comme l'a dit Mme Cobden, nous préférons avoir les amendements.
M. Godfrey : Vous avez exprimé les préoccupations de mes membres. Nous appuyons ces six amendements, et nous aurions mieux aimé qu'ils soient apportés au projet de loi dans le comité permanent de la Chambre. Cela ne s'est pas produit, et maintenant, nous avons peur de perdre le projet de loi, et nous vous demandons donc de l'adopter.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Bienvenue à vous tous. Aujourd'hui je remplace mon collègue, le sénateur Leo Housakos.
Ma question s'adresse à M. Phillips. J'ai été estomaquée d'apprendre que les wagons n'arrivaient pas à temps pour transporter vos produits, le grain, et cetera.
Avez-vous identifié la raison pour laquelle les wagons n'arrivent pas à temps? Qu'est-ce que les compagnies de chemins de fer donnent comme excuses pour ne pas être à temps? L'idée d'une contravention serait bonne dans les cas où il y a manquement, mais savez-vous pourquoi ils ne sont pas là en temps?
[Traduction]
M. Phillips : Nous leur avons également posé cette question à de nombreuses reprises, et nous avons reçu un grand nombre d'excuses en réponse. Certaines de ces excuses sont valables. Pour être juste envers les compagnies de chemin de fer, il peut parfois se produire des avalanches en hiver et cela ralentit les trains qui passent par les montagnes. Toutefois, nous soupçonnons qu'il est plus probable que la compagnie ait simplement détourné les locomotives et les employés pour aller chercher un autre produit pour lequel un expéditeur a peut-être offert plus d'argent que les expéditeurs de grains. Je crois qu'il y a un peu de cela, et que les compagnies affectent les ressources à d'autres produits de temps en temps. Si les représentants des entreprises céréalières étaient ici, ils vous diraient qu'ils ont entendu toutes les excuses possibles, et qu'aucune d'entre elles n'est vraiment convaincante.
Pour aller plus loin, cela signifie que si vous êtes une entreprise céréalière et que vous vendez votre grain à un moulin à farine au Japon, vous devez payer une amende importante si vous ne livrez pas le grain à temps. Si les entreprises céréalières reçoivent un mauvais service, elles calculeront que si elles doivent payer une sanction de 1 $ par boisseau, elles paieront donc 1 $ de moins par boisseau à l'agriculteur pour compenser le risque. Cela revient donc à l'exploitation agricole. Au bout du compte, ce sont les agriculteurs qui paient pour les problèmes liés au chemin de fer. C'est dommage, et nous n'avons jamais entendu de bonnes excuses à cet égard.
Le sénateur Mercer : Je suis curieux. Plus tôt dans votre exposé, vous avez fait référence à Postes Canada : vous avez dit que les employés de Postes Canada ne savent pas où le train se trouve, et ils ne savent pas non plus où se trouvent la plupart de leurs wagons. J'ai de la difficulté à comprendre cet argument. J'aime les amendements. J'aimerais proposer les amendements et j'aimerais qu'ils soient appliqués au projet de loi pour l'améliorer, mais j'ai de la difficulté à faire cela. Je constate que tous les membres de la Coalition des expéditeurs par rail se disent : « Oui, nous voulons tout cela, mais si nous ne pouvons pas l'avoir, nous accepterons ce mauvais projet de loi plutôt que d'attendre un bon projet de loi en courant le risque de devoir tout recommencer à l'automne s'il y a une prorogation. » Pourriez-vous m'aider, monsieur Phillips?
M. Phillips : Oui. Je crois que nous avons peur de perdre le projet de loi.
L'autre point que nous voulons faire valoir en mentionnant sans cesse ces amendements, c'est que si nous devons revenir dans trois ans, car cela n'a pas fonctionné, nous voulons que vous vous rappeliez que nous étions ici et que nous avons dit que ces amendements étaient nécessaires. C'est l'un des points les plus importants que nous voulons que tout le monde se souvienne à la Chambre et au Sénat et parmi les députés de l'opposition. Nous voulons que vous vous souveniez de cela.
J'aimerais mentionner une autre chose. Vous pouvez former des coalitions, mais rassembler tout le monde et les faire adopter le même point de vue n'est pas facile. Notre coalition existe depuis des années, et nous représentons environ 90 p. 100 des revenus du transport de marchandises par rail du CN et du CP. Si 90 p. 100 de vos clients ne sont pas contents, devinez où est le problème? Ce n'est pas du côté des expéditeurs.
M. MacKay : Vous devez voir les choses dans leur ensemble. Ce que les expéditeurs cherchent à obtenir, c'est le droit de conclure une entente commerciale avec la compagnie de chemin de fer qui prévoit une responsabilité commerciale en cas d'interruption de service, et nous déciderons entre nous ce que nous pouvons faire. Ils veulent aussi pouvoir parvenir à une entente par arbitrage lorsque c'est impossible de parvenir à une entente avec la compagnie de chemin de fer, tout en tenant compte du monopole que ces compagnies exercent. Ces deux choses sont dans la loi dans la vue d'ensemble. Ce sont les détails qui ont compliqué les choses.
Le sénateur Mercer : Le diable est dans les détails, comme vous le savez. Contrairement à nos collègues de la Chambre des communes, nous pouvons garantir que nous serons ici pendant un certain nombre d'années. Par exemple, la plupart des sénateurs dans cette pièce seront ici en 2015. J'aimerais certainement, en présumant que nous n'amendons pas le projet de loi et en présumant que nous l'adoptons, que la coalition communique activement avec les membres du comité et nous tienne au courant des développements, même s'il n'y a aucune disposition à cet égard dans le projet de loi. Cela nous aiderait, et lorsque vous reviendrez et que vous nous direz que vous nous aviez prévenus, nous ne serons pas surpris.
M. Godfrey : Je dirais que ce processus a rendu la coalition plus forte et plus intégrée que jamais. Nous serons là, faites-moi confiance.
Le président : Merci, madame Cobden, monsieur Godfrey, monsieur MacKay et monsieur Phillips. Vous aurez probablement l'occasion de nous parler davantage puisque des membres de votre coalition participeront à notre deuxième table ronde.
Nous sommes heureux d'accueillir, pour la deuxième heure, Greg Cherewyk, directeur exécutif de Pulse Canada, de même que le président de la Western Canadian Shippers' Coalition, Ian May et son conseiller juridique, Allan Foran.
Greg Cherewyk, directeur exécutif, Pulse Canada : Je vous remercie de me recevoir. Je suis le directeur exécutif de Pulse Canada.
Pulse Canada représente environ 30 000 cultivateurs de légumineuses de même que plus de 130 membres commerciaux, qui transforment et exportent les légumineuses dans plus de 180 pays. Nous occupons une place importante dans le commerce mondial, puisque nombre de nos cultures y occupent 40 p. 100 du marché. C'est une industrie importante dans le secteur de l'agriculture.
Mes collègues de la Coalition des expéditeurs par rail vous ont parlé de l'importance des six modifications que nous proposons. Je ne répèterai pas leurs propos, mais j'insisterai sur ce que dit Pulse Canada depuis le début du processus. Pour favoriser les accords qui placent la barre plus haute et pour permettre aux entreprises canadiennes de stimuler notre économie fondée sur les exportations dans le but de maximiser leur capacité de production et de commercialisation sans avoir à passer par des procédures judiciaires coûteuses, le projet de loi doit être clair et précis, et présenter des directives permettant aux compagnies de chemin de fer et aux expéditeurs de comprendre le cadre qui régit la négociation des accords. Dans les cas où ils ne parviennent pas à conclure des accords dans le contexte commercial, le projet de loi doit orienter les parties et l'arbitre, et offrir un renfort législatif juste et économique.
Si le comité et la Chambre sont d'avis que le projet de loi répond à ces critères et permet aux expéditeurs de négocier des accords qui améliorent la clarté et la prévisibilité des services, comme l'a fait valoir le secrétaire parlementaire du ministre de l'Agriculture Pierre Lemieux en Chambre le 30 mai, alors nous devons veiller à atteindre cet objectif. Comment le saurons-nous, et que pourrons-nous faire si nous n'atteignons pas nos objectifs?
Lors de la dernière réunion du Panel consultatif sur l'industrie d'EDC, l'importance de la prévisibilité et de la fiabilité de la chaîne d'approvisionnement, et la nécessité d'établir des mesures d'évaluation du rendement efficaces ont occupé une place importante dans la discussion. Warren Everson de la Chambre de commerce du Canada a fait valoir que la réduction tarifaire et les accords commerciaux ne constituaient pas en soi une stratégie de développement des marchés. C'est également l'opinion qu'a exprimée Peter Hall, économise en chef à EDC, lorsqu'il s'est adressé aux membres du Partenariat du commerce et des exportations de la Saskatchewan le 29 mai. Il a dit que les indicateurs économiques clés montraient une importante croissance économique, ce qui allait accroître la confiance des consommateurs et entraîner des conditions favorables au sein de l'économie mondiale. Toutefois, pour faire suite à la discussion tenue lors de la réunion du Panel consultatif, il a demandé si nous avions suffisamment de ressources pour accomplir les tâches qui se présenteraient et, le cas échéant, si nos infrastructures de transport étaient suffisantes pour acheminer nos produits vers les marchés.
La capacité des infrastructures physiques est une chose, mais la capacité des réseaux de chemins de fer à fournir les services nécessaires pour suivre la croissance est une autre question pertinente aux fins de notre discussion. Comme nous le rappelle constamment un de nos membres, il faut préparer un plus gros gâteau, et non se contenter d'en changer les portions.
Pour aller de l'avant, on ne peut pas tout simplement dire que les résultats du premier trimestre de cette année étaient « suffisants » ou, pour utiliser le langage de la loi, « convenables ». Encore une fois, l'hiver a frappé le Canada, et une compagnie de chemin de fer a justifié son mauvais rendement dans certains secteurs, alors qu'elle a connu des déplacements record dans d'autres. Est-ce que l'hiver est le seul responsable de cette défaillance du rendement et de la capacité insuffisante dans les domaines de l'agriculture et de la foresterie, ou est-ce que le redéploiement des locomotives, de l'équipage et des wagons pour le transport de grands volumes de pétrole brut par rail y est pour quelque chose?
Les revenus de transport du pétrole brut par rail de la compagnie ont connu une hausse de 300 p. 100 au cours de ce trimestre. Lors de sa rencontre avec le comité de la Chambre, Shauntelle Paul du CN a rappelé qu'il fallait neuf mois pour former un conducteur sur la ligne de chemin de fer, mais six mois ou plus pour obtenir les wagons. Dans ce contexte, le renforcement de la capacité de pointe doit faire partie du plan, parce qu'il ne faut pas seulement viser le pétrole brut, l'agriculture ou la foresterie, mais aussi l'industrie minière, les engrais, les voitures, et cetera.
Tout cela pour dire que les ententes de service peuvent jouer un rôle important en vue d'assurer une capacité adéquate pour favoriser la croissance et offrir les services connexes. En fait, les investissements dans la capacité de production dépendent grandement de la fiabilité et de la régularité du transport ferroviaire. Les six modifications proposées par la CER visent l'atteinte de ces objectifs. Jusqu'à présent, on a dit que le projet de loi C-52 permettrait de le faire. Toutefois, pour savoir s'il est allé assez loin, il faudra voir si des ententes sont conclues, mises en œuvre et appliquées, et, de façon plus importante, si elles donnent lieu à une amélioration mesurable et continue pour les entreprises qui stimulent l'économie du Canada. Donc, comment le saurons-nous et que pourrons-nous faire si nous n'atteignons pas nos objectifs? J'aimerais qu'on réponde à cette question.
La seule façon de savoir si nous avons atteint nos objectifs sera d'obtenir des renseignements exacts, objectifs et crédibles sur le rendement du système et des indicateurs de rendement clés pour les entreprises qui produisent et commercialisent ce que le Canada a à offrir. Est-ce que les commandes de wagons sont planifiées et remplies chaque semaine, en fonction du calendrier? Est-ce que l'état des wagons est acceptable pour l'acheminement des produits vers le port? Est-ce que les changements dans la planification sont communiqués à l'avance? Est-ce que les temps de déplacement sont réguliers ou très variables? Est-ce que notre rendement est bon dans tous ces domaines, et est-ce que le nombre de déchargements au port augmente? Enfin, est-ce que les engagements importants dans chacun de ces domaines sont confirmés par des ententes qui offrent aux entreprises des services de transport ferroviaire fiables et prévisibles?
Si les députés qui ont accepté à l'unanimité le projet de loi en Chambre sont d'avis qu'il devrait être adopté sans les modifications proposées, alors ils croient qu'il donnera lieu à des ententes efficaces et à des améliorations mesurables dans tous les domaines. Si le Sénat est d'avis que le projet de loi devrait être adopté tel quel, cela signifie pour vous qu'il créera des conditions propices aux changements mesurables souhaités par les entreprises canadiennes. Si le gouvernement est d'avis que le projet de loi permettra aux expéditeurs d'améliorer leur niveau de service et d'accroître leur capacité concurrentielle au sein du marché mondial, alors il sera prêt à mesurer les progrès et à apporter des ajustements, au besoin, dès 2015, en vertu de l'examen de la Loi sur les transports au Canada.
Pulse Canada travaillera avec ses homologues des secteurs de l'agriculture et de l'expédition, par l'entremise de la CER, en vue de favoriser le développement et la mise en œuvre du système de mesure. Nous serons prêts, en temps voulu, à proposer des mesures réglementaires ou législatives pour renforcer la loi.
Tout comme les intervenants de la chaîne d'approvisionnement logistique, nous devons nous concentrer sur l'amélioration continue de nos opérations, afin d'atteindre la combinaison idéale de solutions commerciales et législatives pour les entreprises qui exigent une plus grande prévisibilité et fiabilité du système de transport.
Merci.
Ian May, président, Western Canadian Shippers' Coalition : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je suis accompagné aujourd'hui d'Allan Foran, de la société d'avocats Aikins Law de Winnipeg.
Les membres de la Western Canadian Shippers' Coalition sont des expéditeurs de marchandises en vrac, qui se fient grandement aux services de transport ferroviaire pour réaliser leurs activités. Ils dépendent des chemins de fer, et dépensent collectivement plus de 2 milliards de dollars par année pour le transport ferroviaire. En raison de cette dépendance, les membres de la coalition accordent une grande importance aux mesures de protection des expéditeurs contenues dans la Loi sur les transports au Canada et les connaissent très bien. Elles comprennent les plaintes sur le niveau de service et l'arbitrage de l'offre finale. Ainsi, ils s'intéressent particulièrement à l'efficacité des mesures établies en vertu du projet de loi C-52 et de leur incidence possible sur les dispositions actuelles de la loi.
Comme M. Cherewyk les a déjà présentées, je ne répèterai pas les six modifications. Vous savez que nous les appuyons, et je laisserai les autres en débattre. Nous croyons que ces modifications amélioreraient grandement l'efficacité du projet de loi.
Je crois que nous nous devons d'expliquer pourquoi nous sommes prêts à accepter un projet de loi qui ne nous plaît pas. Vous avez entendu certaines explications; je vous en donnerai une autre plus tard.
Comme notre groupe est diversifié, vous remarquerez que chacun de mes collègues a une opinion différente au sujet des propositions les plus pertinentes. Vous constaterez également que nous appuyons tous l'ensemble des modifications; vous l'avez déjà entendu, et vous l'entendrez encore. Ces modifications ont été élaborées sur plusieurs mois, selon les conseils des avocats spécialisés en transport les plus expérimentés au pays. L'un d'eux se trouve à mes côtés. Un de nos membres a offert les services de son conseiller juridique, qui connaît très bien ces mesures. Ainsi, on vous fera part de l'inquiétude qu'a suscitée la façon dont le processus a été géré par le comité de la Chambre.
Je le répète, il nous a fallu six mois pour élaborer ces modifications avec l'aide des avocats les plus expérimentés du pays. Nous les avons conçues et étudiées, et en avons longuement débattu, et elles représentent le changement minimal requis pour rendre le projet de loi efficace. Les avocats qui ont travaillé à ces modifications ne sont pas des théoriciens; ce sont des vétérans de l'arbitrage de l'offre finale et des plaintes sur le niveau de service qui comprennent les réalités de ce milieu, où des millions de dollars sont en jeu.
Il importe de comprendre la façon dont les compagnies de chemin de fer appliquent la loi fédérale. Nos transporteurs nationaux n'ont pas l'habitude de respecter l'esprit de la loi; ils n'en font que suivre la lettre. Un conseiller juridique des expéditeurs a présenté ce point de vue au comité permanent de la Chambre, mais il n'a pas été retenu. Par exemple, la discussion sur le coût éventuel d'une entente sur le niveau de service a dégénéré en blagues au sujet des frais excessifs d'avocats.
Cette question est très pertinente pour la communauté des expéditeurs, puisque le coût des recours contre les comportements monopolistiques des compagnies de chemin de fer nuit grandement à l'obtention de services adéquats au pays. Il s'agissait alors d'utiliser une terminologie nouvelle et floue par les rédacteurs du projet de loi C-52, qui donnait le feu vert aux avocats des compagnies de chemin de fer pour présenter des motions, contester des décisions, interjeter appel et prolonger de façon générale le processus, augmentant ainsi les coûts.
Pour que la loi soit efficace, elle doit être adoptée au bon moment, avoir des conséquences financières que l'on puisse assumer et être simple. L'utilisation d'un nouveau libellé vague produira l'effet inverse.
M. Foran a des données sur la nature litigieuse du CN et du CP, de même que des renseignements sur les effets préjudiciables de la loi sur les mesures de protection des expéditeurs. Les compagnies de chemin de fer n'ont rien ménagé pour affaiblir les recours législatifs. Depuis 1966, il y a eu plus de 50 contestations judiciaires associées aux recours en vertu de la Loi sur les transports au Canada. Certaines ont été renvoyées à la Cour suprême du Canada par le gouverneur en conseil étant donné l'orientation que prenaient certains recours.
En particulier, l'idée qu'il faut tenir compte d'autres obligations que les compagnies de chemin de fer doivent assumer envers les expéditeurs s'éloigne beaucoup des obligations prévues aujourd'hui en vertu de la Loi sur les transports au Canada. Non seulement l'expéditeur demande un service dont il a besoin, mais il lui sera difficile de contester les connaissances et les activités des compagnies de chemin de fer.
Selon nous, il faut rétablir la prédominance des besoins des expéditeurs en matière de prestation de services sur ceux des compagnies de chemin de fer.
Lorsque les chartes des chemins de fer ont été établies au pays, elles étaient très simples et très claires. Les articles 113 à 116 de la loi — les dispositions sur le niveau de service — le montrent clairement. En résumé, les compagnies de chemin de fer sont tenues de transporter les biens qui sont offerts, et elles exigent des frais raisonnables pour ce faire. Ce sont les deux principes en place depuis plus de 100 ans. Au fil du temps, les contestations des compagnies de chemin de fer ont affaibli ces dispositions de la loi; c'est pourquoi nous nous voyons aujourd'hui forcés d' établir des lois sur les niveaux de service.
Nous comprenons qu'il n'est pas raisonnable de vous demander d'approfondir un projet de loi qui a été approuvé à l'unanimité par la Chambre. Nous appuierons toutefois officiellement le projet de loi C-52, même sans ces modifications, mais nous ne tolérerons pas qu'elles soient ignorées. Nous appuyons le projet de loi pour ce qu'il représente, c'est-à-dire une reconnaissance du déséquilibre commercial dans le domaine du transport ferroviaire. Il importe que cette reconnaissance soit consignée de sorte que nous puissions nous en servir pour établir une loi efficace en cas d'abandon du projet de loi.
Cela étant dit, il n'y a pas de raison d'adopter ce projet de loi sans d'abord nous assurer que toutes les mesures possibles ont été prises pour veiller à ce qu'il remplisse sa fonction.
Vous avez peut-être vu les publicités télévisées du gouvernement du Canada désignant les industries primaires comme l'épine dorsale de l'économie canadienne. Il est donc essentiel de faire tomber les obstacles qui nuisent à ces industries. La dominance des compagnies de chemin de fer en est un.
Lors de l'audience du Comité permanent des transports, de l'infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes, la majorité des membres ont jugé les témoignages du personnel de Transports Canada plus crédibles que ceux des expéditeurs. On a coutume de contre-interroger les témoins dans les cas d'arbitrage mettant en cause la crédibilité des parties.
Étant donné l'importance que revêt le projet de loi C-52 pour l'économie canadienne, nous vous demandons respectueusement d'emprunter aux stratégies d'arbitrage et de convoquer de nouveau le personnel de Transports Canada en même temps que le conseiller juridique qui a conseillé les expéditeurs au sujet de ce projet de loi. Cela vous permettra de poser des questions qui pourraient s'avérer déterminantes pour établir si les demandes des expéditeurs ont quelque mérite que ce soit. Les parties ne peuvent pas toutes deux avoir raison.
Merci de m'avoir écouté. Mon collègue et moi serons heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Eggleton : J'aimerais savoir pourquoi ces six recommandations n'ont pas été proposées par le comité. Vous avez raison, monsieur May : nous devrions convoquer les fonctionnaires de nouveau pour répondre à cette question. Néanmoins, pouvez-vous nous donner des indices sur les raisons qui ont poussé le ministre, le gouvernement ou le comité à les rejeter?
M. Cherewyk : Je vais tenter d'expliquer pourquoi l'un des amendements n'a pas été retenu.
L'un des amendements que la coalition appuyait en bloc était celui qui visait à clarifier et à étoffer les obligations des compagnies de chemin de fer en matière de service. Ces obligations dont Mme Cobden a parlé sont actuellement définies aux termes de l'article 113. De façon générale, on en parle comme de « l'obligation de fournir des installations convenables ». La collectivité des expéditeurs aurait souhaité que cette définition plutôt désuète soit clarifiée et étoffée, qu'elle soit adaptée à la réalité du XXIe siècle. Elle aurait en outre voulu que la formulation de la loi soit modernisée et que les obligations des compagnies de chemin de fer en matière de service — les choses qu'elles font déjà — soient dûment codifiées, et que ces codes soient inclus dans la définition des obligations de service consignée dans la loi.
Nous croyons que ceux qui se sont opposés à cette modernisation de la loi — tant pour la clarté que pour la définition — ont fait une application erronée du concept d'exclusion implicite. Nous avons entendu cela à quelques reprises. Ce concept veut que l'affirmation d'une chose signifie l'exclusion de celles qui n'ont pas été dites. Par conséquent, on s'inquiétait du fait que l'énumération des obligations de service des compagnies de chemin de fer empêcherait de quelque façon un expéditeur de revendiquer ultérieurement une obligation de service additionnelle qui n'aurait pas figuré dans la liste élaborée en 2013.
Cependant, le droit actuel et le libellé même de ce texte de loi nous fournissent des façons d'échapper à l'exclusion implicite. Pour simplifier, il y a moyen de dire que les choses qui sont sur la liste ne sont pas les seules qui pourraient y être. La formulation que nous avons utilisée — qui se retrouve dans cette loi et dans d'autres textes de loi — est « sans restriction de la portée générale du terme ».
Voilà l'une des raisons pour lesquelles l'un des amendements que nous proposions a été défait. C'était à cause de cette opposition et de ce conseil juridique donné au ministère alléguant qu'il tentait de protéger les expéditeurs d'eux- mêmes.
M. May : Si cela vous intéresse, j'ai une autre question encore plus machiavélique.
Le sénateur Eggleton : Je vous en prie.
M. May : Durant la période qui a précédé la rédaction du projet de loi, le président-directeur général du CN a fait beaucoup pour signifier qu'il s'opposait à ces modifications législatives. Il a été très présent dans les journaux, il a écrit des articles et a même prononcé publiquement des allocutions à ce sujet. Sa position était très claire. J'ai pris la peine de passer en revue tout ce qu'il avait dit et écrit là-dessus, et je me suis aperçu que tout ce qu'il avait demandé s'est retrouvé intégralement dans le projet de loi.
D'un point de vue conceptuel, ce projet de loi est dans une certaine mesure une pilule difficile à avaler pour Transports Canada. Le ministère a l'habitude de rechercher l'équilibre. Or, l'introduction d'un déséquilibre appelle un autre déséquilibre pour contrebalancer. Le ministère n'a pas vu les choses sous cet angle et ne les voit toujours pas ainsi. Ce ne sont que des suppositions, mais je crois qu'il estime que l'existence même de ce projet de loi a suffi à contrebalancer ce qui avait été accordé à la compagnie de chemin de fer dans ce contexte. Nous ne voyons pas les choses du même œil.
À vrai dire, si vous insistiez un tant soit peu, nous vous dirions que ce projet de loi, par ses détails, favorise davantage les compagnies de chemin de fer que les expéditeurs.
Le sénateur Eggleton : Je ne sais pas si vous avez entendu la question que j'ai posée au dernier groupe d'experts, mais nous sommes maintenant dans la position où nous devons choisir entre l'adoption immédiate et sans amendements de ce projet de loi ou, si amendements il y a, le retardement du processus, ce qui nous mène à l'automne prochain. Est-il plus judicieux de tabler sur quelque chose tout de suite ou d'attendre d'avoir la bonne formule, quitte à retarder l'adoption?
M. May : Mon père m'a dit qu'il est important de bien faire les choses que l'on fait. Nous ne sommes pas prêts à faire cela au risque de perdre le projet de loi, car il s'agit d'une étape tellement importante pour nous. Je ne sais pas comment vous envisagez l'avenir. Si nous avons des raisons de penser que le projet de loi risque d'être abandonné, alors nous nous y accrocherons de toutes nos forces, mais si c'est une simple question d'en retarder l'adoption, je crois que vous devinez ma réponse.
M. Cherewyk : Comme quelqu'un de beaucoup plus brillant que moi l'a déjà dit — quelqu'un qui passe pour celui qui a révolutionné le système de production de Toyota —, ceux qui ne sont jamais mécontents ne font jamais de progrès. Cela fait peut-être partie de notre travail d'être mécontents, mais, comme je l'ai dit dans mon exposé, nous devons aussi rester axés sur l'amélioration en continu. Lorsque l'on considère tous les aspects de ce projet de loi qui doivent selon nous être améliorés, je ne crois pas que ceci soit bien différent.
Évidemment, nous aimerions tous pouvoir dire « faites la bonne chose du premier coup ». Mais la vérité est qu'il faudra que ce processus accouche de quelque chose, et que ce quelque chose devra tenir compte des besoins de tous les intervenants de la chaîne d'approvisionnements. Comme je l'ai dit, nous devons être vigilants et nous assurer que le projet de loi nous permet d'atteindre les objectifs souhaités. Pour cela, nous devons disposer des mesures adéquates et veiller à ce que des ententes efficaces nous permettant de gagner du terrain aient été mises en œuvre.
Le sénateur Mercer : Au final, il n'y a de toute façon que les avocats qui font de l'argent avec ça, lorsqu'ils se mettent à discuter. Sauf le respect que je vous dois, monsieur Foran, mais c'est là votre champ d'expertise.
Je ne répèterai pas les questions que j'ai déjà posées, mais je voudrais parler d'une chose. La population du globe atteindra les neuf milliards en 2050. L'une des choses que notre pays peut faire à cet égard est d'aider sur le plan de l'alimentation, mais nous ne pourrons pas faire cela si nous ne sommes pas en mesure de transporter les produits de la ferme à l'assiette, où qu'elle se trouve. Voilà la vraie question.
Je voudrais parler des produits de légumineuses; nous avons déjà reçu quelqu'un de l'industrie céréalière. La difficulté d'expédier des produits de légumineuses vient du fait que, si les dates limites ne sont pas respectées par les compagnies de chemin de fer et de navigation — on parle surtout de Vancouver, bien que j'aimerais en voir passer plus par Halifax —, la qualité se détériore, les prix baissent et notre capacité de donner un coup de main pour nourrir neuf milliards d'êtres humains s'en trouve réduite.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui se passe avec Pulse Canada et nous faire part de l'analyse du risque que vous faites à cet égard, si nous ne parvenons pas à conclure des ententes de bonne tenue? Cela est de toute évidence un risque pour les agriculteurs. Il y a un risque pour les expéditeurs, un risque pour les courtiers qui écoulent ces produits à l'étranger, mais il y en a aussi un pour les personnes qui ont besoin de cette nourriture.
M. Cherewyk : Je vais répondre à cela selon deux points de vue.
Notre défi aujourd'hui consiste à acheminer nos produits jusqu'à nos acheteurs dans les plus brefs délais, avec constance et fiabilité. Nous avons tous entendu cela auparavant : nous n'avons pas cette marque; au jour d'aujourd'hui, ce n'est pas notre promesse de marque que d'assurer un approvisionnement constant et fiable. En fait, nous obtenons des notes médiocres en ce qui concerne la satisfaction de nos clients quant à l'approvisionnement. Cela a changé au fil des ans. Nous n'avons pas toujours été au bas de l'échelle, mais les choses ont changé au cours des 10 ou 15 dernières années. Notre service à la clientèle doit être prolongé, et nous offrons des termes plus longs en ce qui concerne les fenêtres de livraison.
Cela nous rend évidemment moins concurrentiels par rapport à certains autres exportateurs qui arrivent à offrir des temps de transit et des fenêtres de livraison plus étroites.
À l'heure actuelle, toutes les étapes de la chaîne d'approvisionnement sont à risque, à partir de la conclusion de la vente jusqu'au moment où le produit entre dans le port. Et notre chaîne d'approvisionnement n'a rien de particulier : le produit est chargé dans un train-bloc, puis transporté jusqu'au port. Nos chaînes d'approvisionnement sont composées de trains-blocs pour le vrac, d'expéditions en wagons complets, d'expéditions intermodales; les produits sont mis en sacs dans les champs et expédiés par conteneurs jusqu'au port et transférés à des conteneurs maritimes. Notre activité commerciale est réellement multimodale. De plus, une activité de la sorte qui a le chemin de fer comme point central doit composer avec une foule de variables qu'elle ne contrôle pas.
Ce que nous avons tenté d'obtenir avec l'accord sur les niveaux de service et ce que nous recherchons dans des accords efficaces sur les niveaux de service est de faire en sorte que l'axe central de notre chaîne d'approvisionnement soit prévisible et fiable. Lorsque nous commandons des conteneurs, nous voulons être certains qu'ils seront là à l'heure dite et qu'une fois sur les rails, ils se déplaceront sans faute et de façon prévisible du point A au point B. Nous serons ainsi en mesure de mieux gérer toutes les autres relations en aval, toutes ces autres relations avec nos partenaires de la chaîne d'approvisionnement qui ne sont pas réglementés et qui échappent absolument au contrôle de nos membres expéditeurs.
Il y a une pénalité toutes les fois que nous ne respectons pas une obligation contractuelle, mais l'atténuation des risques à l'échelle du pays a aussi une grande incidence. Par exemple, un mauvais appariement de la main-d'œuvre et du travail à faire, c'est-à-dire lorsque vous retenez les services de travailleurs et que les trains ne sont pas au rendez- vous, ces coûts doivent être assumés par l'expéditeur. Les droits de stationnement des wagons, les coûts de détention des conteneurs, les coûts pour les navires disparus, les surréservations et tous les autres coûts pour vos fournisseurs de service, l'ajout d'une prime de risque aux frais qu'ils vous facturent, tout cela s'additionne pour donner ce que M. Phillips a nommé « l'effet plancher pour l'agriculture ». Cela prend naissance dans la chaîne d'approvisionnement, mais l'effet trouve son chemin jusqu'au producteur. C'est la réalité de l'instant présent qui frappe à la porte.
Il y a quelques années, nous avons fait des analyses de rentabilité et des analyses de pertes de revenu selon lesquelles le manque de fiabilité du système ferroviaire canadien de transport des marchandises se traduisait par des pertes de 14 millions de dollars dans le transport des lentilles seulement.
Quand les grandes multinationales s'interrogeront sur la possibilité de s'installer au Canada pour accroître leur capacité de traitement, l'un des aspects les plus importants sera pour elles de savoir si elles peuvent compter à long terme sur un système ferroviaire de transport des marchandises constant et fiable. Ces derniers temps, nombre d'entre elles ont essayé de voir s'il était possible de conclure des accords sur les niveaux de service, afin de les aider à établir si des usines de transformation à grande échelle étaient faisables dans l'Ouest canadien. Elles s'intéressent à ces accords pour étayer les processus décisionnels quant à leurs plans futurs d'expansion de leur capacité de transformation.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je pense que tout le monde partage votre point de vue sur le fait qu'il aurait pu y avoir des amendements additionnels pour améliorer le projet de loi. Je crois que le projet de loi va dans la bonne direction et créera un nouveau rapport de force entre les expéditeurs et les propriétaires des chemins de fer.
Est-ce que ce nouveau pouvoir de relation entre vous et les propriétaires de chemins de fer va avoir un impact à la baisse sur vos coûts de transport de marchandises?
[Traduction]
M. Foran : Monsieur, je crois savoir pour l'avoir entendu que certains commentaires ont été faits au sujet des avocats, mais sérieusement, deux choses : premièrement, ce projet de loi a été conçu pour permettre aux petits expéditeurs et aux expéditeurs de taille moyenne d'établir une relation commerciale avec les compagnies de chemin de fer, et pour leur donner un certain poids à cet effet. Les amendements proposés concrétisent cette volonté. Sans cela, il y aura une augmentation des coûts, et cette augmentation découle de ce processus. Certaines avenues ont été sondées : peut-on se débarrasser des avocats? Peut-on se débarrasser des experts-conseils? Peut-on rendre cela moins procédural? Les choses qui sont proposées ici sont conçues pour faire en sorte que les petits expéditeurs puissent effectivement réussir. Sans cela, je crois que les coûts vont augmenter.
Il faut aussi regarder les choses en fonction de l'ensemble du système. Étant donné la façon de faire des compagnies de chemin de fer — rechercher des sources de revenus, établir la marge de manœuvre dont elles pourront disposer et voir quels accords seront conclus dans différents secteurs —, nous craignons que les coûts soient refilés aux autres expéditeurs dans différents secteurs. C'est la raison pour laquelle nous cherchons à nous doter d'une loi efficace et robuste qui permettra à tous les expéditeurs de dire : « Non, ça ne se passera pas comme ça! »
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Les chemins de fer ont de l'âge. Ils datent quand même de plusieurs décennies, et il n'y a pas eu de projets majeurs sur le plan canadien pour les améliorer. Si on regarde comment l'Ouest canadien s'est développé sur le plan de la production des matières premières et de l'ensemble des biens produits dans l'Ouest, est-ce qu'il n'y a pas, à la base, un problème d'infrastructures des chemins de fer par rapport à l'évolution de l'économie et à l'évolution des infrastructures? Est-ce qu'il n'y a pas aussi un déséquilibre?
[Traduction]
M. May : Monsieur, malgré ma réticence, je ne suis pas de votre avis. Je crois que les trois ordres de gouvernement ont assurément dépensé des sommes considérables pour le port du grand Vancouver.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je parle surtout des chemins de fer. Je ne parle pas des infrastructures portuaires où il y a eu des investissements, mais plutôt des chemins de fer par rapport aux lieux de production, aux endroits où sont nos ressources naturelles pour les amener aux ports. Je parle plus des chemins de fer à ce moment-ci.
[Traduction]
M. May : Je comprends cela. Je vous parle des infrastructures qui mènent au port. Oui, cela a fait partie du plan du gouvernement pour surmonter le marasme économique, la récession. Je ne crois pas que l'entretien des infrastructures soit un problème. J'estime que le fait que les itinéraires ne changent pas et qu'il n'y aura pas de nouvelle compagnie de chemin de fer pour faire concurrence est problématique. Dans l'ensemble, je pense que les compagnies ferroviaires entretiennent bien leurs actifs. C'est l'une des raisons pour lesquelles ils prétendent devoir exiger ces frais des expéditeurs, l'entretien d'un chemin de fer étant très coûteux, mais je persiste à croire qu'ils font du bon boulot à cet égard.
M. Cherewyk : Je voudrais attirer votre attention sur la copie des résultats du premier trimestre du CN, où la compagnie indique que le flux de trésorerie disponible est de l'ordre de 800 à 900 millions de dollars. Par comparaison, notre flux de trésorerie disponible doit maintenant assumer les coûts d'un programme de dépenses en immobilisations — augmenté d'environ 100 millions pour atteindre 2 milliards de dollars pour l'année —, qui nous permettra de bonifier nos infrastructures afin d'augmenter la résilience de notre réseau dans le corridor à haute circulation de l'ouest.
Je crois que les revenus sont au rendez-vous ainsi que le réinvestissement dans les infrastructures.
La sénatrice Unger : J'ai une question similaire à celle qu'a posée le sénateur Boisvenu. Est-ce que la construction de nouveaux pipelines pour le transport des produits pétroliers bruts pourrait alléger la demande sur les compagnies de chemin de fer et faire de la place pour le transport des produits agricoles et forestiers? Cela permettrait-il de diminuer la pression?
M. Cherewyk : Comme je l'ai dit, je ne pense pas que nous voulions que le débat porte sur le transport de pétrole brut par rapport à celui de produits forestiers ou d'engrais. La vision pour le Canada doit tenir compte de toutes les marchandises. Elle ne doit pas être restrictive.
Oui, il y a eu une hausse très marquée de la demande pour le transport de pétrole brut. Comme je l'ai mentionné, la compagnie de chemin de fer n'a pas la capacité de réagir aux hausses soudaines de la demande. Elle ne maintient pas un tel niveau de capacité de pointe. À très court terme, nous avons l'impression que vous envisagez de répondre à une demande émergente comme celle-ci en détournant et en affectant des ressources, mais à long terme, il faut assurer le service pour toutes les marchandises et le faire efficacement.
La sénatrice Unger : Ce n'est pas une relation d'affaires normale. Deux chemins de fer et beaucoup d'expéditeurs sont concernés. Je me questionne sur leur capacité de répondre à vos besoins. Vous avez parlé assez souvent du CN. J'aimerais aussi entendre des commentaires sur le CP. S'agit-il d'un plus petit transporteur? Quelle sorte de services offre-t-il?
M. Cherewyk : Nous mesurons le rendement dans notre secteur, et la part qui revient au CP est la plus importante. Je peux donc vous en parler, particulièrement pour ce qui est de l'année dernière.
Nous sommes tous au courant du changement apporté à la haute direction du CP. Les grands titres de nos jours portent principalement sur les efforts visant à contrôler les coûts et à optimiser les actifs. On n'entend pas beaucoup parler du service à la clientèle dans le cadre de ces discussions, ce qui, dans les faits, commence à avoir des répercussions sur le rendement.
Un des éléments dont j'aimerais parler est une chose que nous suivons d'assez près. Il s'agit du plan du CP pour répondre à la demande. Chaque semaine, quand des wagons sont commandés, un plan est remis pour indiquer que si vous en avez demandé 10, vous en recevrez, disons, huit le mardi. Ce plan est essentiel dans une industrie comme la nôtre, car il aide à déterminer ce qui doit se passer tout au long de la chaîne d'approvisionnement. On réserve de l'espace sur les navires pour les conteneurs, des moyens de transbordement au port. On communique avec des transitaires et différents partenaires en aval. Le plan est essentiel.
Pendant le premier trimestre de 2012, le plan du CP indiquait qu'on allait recevoir 90 p. 100 de ce qu'on avait commandé, tandis qu'au cours du dernier trimestre, de janvier à mars, il s'agissait plutôt de 23 p. 100. Imaginez-vous en train d'essayer de mener vos activités quand on vous dit que vous allez recevoir 23 p. 100 de ce que vous avez commandé.
Du point de vue de la planification logistique, le plan et la visibilité sont essentiels. Il s'agit là d'un changement important que nous avons observé au CP pendant la dernière année. Par souci d'équité, je dois dire que les services qu'ils ont offerts étaient supérieurs à ce qu'ils avaient promis, mais cette situation crée tout de même de graves perturbations dans une chaîne d'approvisionnement lorsqu'on ne peut pas se fier à ce que l'on est censé recevoir et qu'il faut atténuer le risque encouru en faisant d'autres plans auprès de tous les intervenants concernés.
Dans la mesure où le CN et le CP sont capables de traiter les affaires que nous leur donnons et que nous continuerons de leur donner, nous pouvons nous contenter de regarder le rendement de l'année dernière. En effet, certains pourraient dire que tout au long de 2012, dans le but d'esquiver la réglementation, ils ont vraiment redoublé leurs efforts pour ce qui est de l'efficacité du service. Ils ont même affiché trimestriellement leurs revenus, ce qui témoigne de l'efficacité du service au CN, en particulier, et ils ont été capables de le faire dans notre industrie. Ils ont été en mesure de répondre à plus de 90 p. 100 de la demande. Une quantité record de marchandises a été déchargée dans les ports. Sont-ils capables d'y arriver en canalisant leurs ressources et en tenant compte des indicateurs liés au service? Ils ont montré pendant cette courte période qu'ils peuvent le faire. Nous nous attendons à ce qu'ils continuent dans cette voie et à ce que ce soit établi dans des accords sur les niveaux de service.
La sénatrice Unger : À quel point assurent-ils de bonnes communications avec leurs expéditeurs? Est-ce que cela pose un problème?
M. Foran : Avant que vous abordiez le sujet, me permettez-vous d'ajouter des précisions concernant votre dernière question? Ce que je veux dire concerne les six points dont vous avez entendu parler ce matin, et il s'agit d'une des modifications à la loi. Vous avez posé des questions sur la demande et sur la capacité du chemin de fer. À l'heure actuelle, selon la loi, l'Office des transports du Canada peut ordonner au chemin de fer de construire des infrastructures, d'acheter des biens et d'élargir le programme. Le projet de loi ne contient pas de mesures en ce sens. En fait, il prévoit l'inverse. Il semble rationner le service.
Nous proposons une modification selon laquelle les besoins opérationnels des autres expéditeurs ne seraient pas pris en considération quand on évalue les siens. Ainsi, les membres des organismes de M. May et de M. Cherewyk ne seraient pas en compétition, mais plutôt en mesure de dire : « Écoutez, mes besoins sont ce qu'ils sont; je n'y peux rien; il faut que ce soit transporté par rail. » Il nous semble que cette mesure stimulerait l'économie du pays. Éliminer l'obligation de tenir compte des besoins des autres expéditeurs est une des six modifications.
C'est ce que je voulais ajouter à ce sujet avant votre question pour M. May.
La sénatrice Unger : Ma question concernait les communications. En général, jusqu'à quel point assurent-ils de bonnes communications avec les expéditeurs?
M. May : Cela dépend. Comme M. Cherewyk l'a souligné, pendant la période qui a précédé la préparation du projet de loi, ils se sont montrés sous leur meilleur jour. En fait, les expéditeurs ont rencontré leurs représentants et des discussions constructives ont eu lieu. Je ne sais pas si cela a permis d'améliorer beaucoup le service, mais les échanges sont certainement meilleurs qu'ils ne l'étaient. C'est maintenant l'inverse qui se produit, du moins dans le cas du CP, tandis que le CN semble retrouver peu à peu ses vieilles habitudes.
Au fait, pendant la période à laquelle M. Cherewyk faisait allusion, quand Pulse et d'autres producteurs de grains et producteurs agricoles s'en sortaient bien, l'industrie forestière se faisait avoir. Il est important que vous compreniez la façon dont fonctionnent les chemins de fer. Ils déterminent la taille de leurs flottes de manière à ce que leur capacité ne soit pas de 100 p. 100, mais inférieure. Je ne sais pas exactement jusqu'à quel point. Il s'agit peut-être de 90, de 85 ou de 95 p. 100. C'est une façon très efficace de faire de l'argent, et c'est le but. Ils s'assurent ainsi que tout leur équipement est utilisé parce qu'on en a toujours besoin. Malheureusement, ce sont les expéditeurs qui en payent le prix. La dernière fois que j'ai vérifié, c'est l'industrie des ressources qui pilotait le pays, pas le chauffeur de taxi qui transporte les biens jusqu'aux navires.
Ici, les rôles sont inversés. Le pouvoir n'est pas détenu par les bonnes personnes, et le projet de loi devrait aider à corriger la situation. Est-ce qu'il est parfait? Non.
Cela dit, si vous le permettez, j'aimerais aborder un autre point, et je vais demander à M. Foran de nous en parler. Je sais que je m'impose un peu, mais c'est un aspect du projet de loi qui pourrait compliquer encore davantage la vie des expéditeurs. Il s'agit de l'arbitrage de l'offre finale, dont les dispositions du projet de loi à ce sujet constituent à leurs yeux le résultat des dernières réflexions du Parlement.
M. Foran : Nous craignons que les particularités de ce nouveau remède n'empiètent sur le très large éventail de solutions qu'offre actuellement l'Office des transports du Canada. En effet, l'ajout du mot « exploitation » pourrait avoir une conséquence imprévue si l'on garde la référence aux besoins d'un autre expéditeur. Vous pourriez influencer par inadvertance ce que fait actuellement l'Office, ce qui consiste, selon moi, à examiner les besoins spécifiques de l'expéditeur qui lui a présenté une plainte liée au service. Cela nous préoccupe, sénateur.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Messieurs, merci de comparaître devant notre comité et de donner votre point de vue.
Ma question s'adresse à M. Cherewyk. Si j'ai bien compris, vous croyez que nous n'avons pas actuellement les infrastructures nécessaires dans le transport pour répondre à une économie florissante et en pleine expansion.
Je vais vous questionner sur un des articles dans le projet de loi. Je crois comprendre que vous supportez le projet de loi mais un peu à contrecœur. S'il est adopté, un des articles stipule qu'un arbitre établirait une entente de service commercialement juste et raisonnable entre un expéditeur et une compagnie de chemin de fer en tenant compte des intérêts des deux parties.
Croyez-vous qu'un arbitre soit capable d'établir une entente de service commercialement juste et raisonnable? Dans le cas contraire, pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
[Traduction]
M. Cherewyk : J'aimerais revenir à un de mes tout premiers commentaires sur l'importance de préciser davantage ce qu'on entend par les obligations de service d'un chemin de fer. Un de nos expéditeurs nous rappelle continuellement que lorsqu'on donne une responsabilité à quelqu'un, on veut que les modalités du contrat soient claires et bien définies, tandis que quand c'est nous qui sommes responsables, on veut que ce soit le plus vague et général possible.
De toute évidence, les expéditeurs voulaient que ce soit clair et bien défini parce qu'il était selon eux très important de rétablir un certain équilibre dans la façon dont les deux parties sont redevables de leur rendement. À l'heure actuelle, les chemins de fer ont le pouvoir unilatéral d'établir des tarifs; je les ai ici en avant de moi. Celui-ci est intitulé « Passeport 2013 — Services optionnels ». Il définit sur de nombreuses pages ce qu'un expéditeur doit faire quotidiennement quand il travaille et communique avec le chemin de fer pour commander de l'équipement ou annuler des commandes. Dans tous les cas, une amende peut être imposée si les consignes ne sont pas respectées. Les conditions des tarifs établis par les chemins de fer pour gérer leurs liens avec les expéditeurs sont clairement définies. Les expéditeurs voulaient que ce soit la même chose en ce qui concerne les modalités de leurs ententes avec les chemins de fer.
Un arbitre peut-il établir une entente de service commercialement raisonnable et juste? C'est ce que nous espérons, et nous avons ressenti le besoin de créer les conditions qui soutiendraient une telle entente en donnant à l'arbitre des précisions et des conseils par rapport à la définition dans la loi. À défaut de quoi, nous courons le risque d'obtenir des décisions qui ne répondent pas aux attentes des deux parties.
J'appuie le projet de loi dans sa forme actuelle, mais j'aimerais souligner que, selon moi, nous accordons tous une importance particulière à ce que le libellé du projet de loi soit clair et précis pour encourager la conclusion d'ententes commerciales. Nous ne voulons pas donner plus de latitude à l'OTC, mais plutôt inciter deux parties à mettre au point les détails d'une entente dans un environnement commercial.
Le président : Monsieur Cherewyk, monsieur May et monsieur Foran, je vous remercie au nom du comité.
J'aimerais aviser les membres que nous accueillerons demain soir deux groupes d'experts : le premier est formé de témoins du port d'Halifax, de l'Association canadienne de transport industriel et d'une coalition d'expéditeurs ferroviaires; et le deuxième comprend des témoins du Canadien Pacifique, du Canadien National et de l'Association des chemins de fer du Canada.
Merci et à demain soir.
(La séance est levée.)