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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 3 - Témoignages du 4 février 2014


OTTAWA, le mardi 4 février 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 25, pour étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, et je suis président du comité. J'aimerais débuter en demandant aux sénateurs ici présents de se présenter, en commençant par le vice-président.

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je suis le sénateur Maltais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Rivard : Michel Rivard, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, sénateur de l'Ontario.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, le comité poursuit son l'étude sur l'importance des pollinisateurs en agriculture et la mesure à prendre pour la protéger.

[Traduction]

Notre ordre de renvoi du Sénat du Canada stipule que le Comité permanent de l'agriculture et des forêts est autorisé à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada. Plus particulièrement, le comité a été autorisé à étudier ce sujet dans le contexte de l'importance des abeilles dans la pollinisation pour la production d'aliments, notamment des fruits et des légumes, des graines pour l'agriculture et du miel au Canada.

[Français]

En plus, l'état actuel des pollinisateurs, des mégachiles et des abeilles domestiques indigènes au Canada.

[Traduction]

Cela inclut les facteurs qui influencent la santé des abeilles domestiques, y compris les maladies, les parasites et les pesticides, au Canada et dans le monde; ainsi que les stratégies que peuvent adopter les gouvernements, les producteurs et l'industrie pour assurer la santé des abeilles.

Honorables sénateurs, notre premier groupe aujourd'hui se compose des témoins suivants, que nous remercions d'avoir accepté notre invitation. Nous accueillons M. Rob Currie, professeur et chef du Département d'entomologie, à l'Université du Manitoba.

[Français]

Ensuite nous avons le Dr Pascal Dubreuil, vice-doyen, Affaires cliniques et professionnelles de l'Université de Montréal.

[Traduction]

Par vidéoconférence, nous avons M. Ernesto Guzman, professeur et doyen du Honey Bee Research Centre, à l'Université de Guelph.

Le greffier m'informe que nous allons commencer par M. Guzman pour ensuite entendre MM. Currie et Dubreuil.

Monsieur Guzman, veuillez faire votre exposé. Après les trois présentations, nous aurons des questions de la part des sénateurs.

Ernesto Guzman, PhD, professeur et doyen du Honey Bee Research Centre, Université de Guelph : J'aurais aimé être avec vous en personne, mais je voyage beaucoup et ma conjointe ne comprendrait pas. Heureusement, je peux comparaître par vidéoconférence.

Je dirais que les abeilles mellifères jouent un rôle très important, non seulement pour la production de miel, mais aussi pour la production alimentaire. Un tiers de ce que nous mangeons dans les sociétés occidentales est produit grâce à l'effet pollinisateur des abeilles mellifères et autres types d'abeilles. La pollinisation est ce qui permet le transfert de pollen, lequel contient les cellules de reproduction mâles des plantes à fleurs pour pouvoir donner des fruits et produire des récoltes. Elles sont très importantes. Dans le monde, on estime que la valeur de la pollinisation des abeilles dépasse 200 milliards de dollars; alors qu'au Canada, elle représente environ 2 milliards de dollars par an. Les abeilles sont très importantes pour la production d'aliments et de miel.

L'industrie apicole est confrontée à une série de problèmes. Je parle de l'« industrie apicole », car les apiculteurs sont ceux qui doivent faire face aux problèmes de la mortalité des colonies et essayer de trouver des solutions pour rétablir le nombre de colonies avec lesquelles ils travaillent. Nous perdons environ un tiers de nos colonies chaque année, et ce, depuis les six dernières années, non seulement en Amérique du Nord, mais également dans certaines régions d'Europe. Au Canada, plus précisément, nous perdons environ 30 p. 100 — ou un petit peu plus — de nos colonies en moyenne chaque année depuis six ans. C'est du jamais vu. Si vous avez une mauvaise année avec des pertes de 30 ou 40 p. 100, mais qu'ensuite vous avez plusieurs années de pertes projetées de 10 ou 15 p. 100, ce qui est à peu près normal, cela ne poserait pas problème. Mais lorsque vous avez six années d'affilée de plus de 15 p. 100, c'est qu'il y a un problème.

Les apiculteurs font face à ce problème en scindant leurs colonies et en important des abeilles d'autres pays pour essayer de compenser leurs pertes, mais à des coûts très élevés. Je n'ai pas les chiffres pour le Canada, mais pour la province de l'Ontario, si on tient compte de la valeur du miel qui est perdu chaque année et de la valeur de la production agricole perdue, on se retrouve avec un chiffre d'environ 50 millions de dollars par an. Au Canada, toutes ces pertes doivent dépasser plusieurs centaines de millions de dollars.

Ce qui tue les abeilles ne se résume pas à un seul facteur. On peut dresser une liste de 20 à 30 facteurs différents qui ont été mentionnés comme étant potentiellement à l'origine de ces pertes; il s'agit donc d'un problème multifactoriel. La plupart des chercheurs s'entendent pour dire qu'il s'agit d'un problème multifactoriel. Ce n'est pas facile à résoudre. S'il s'agissait d'un seul facteur, nous pourrions le résoudre relativement facilement, mais il en existe plusieurs.

Lorsqu'on dresse une brève liste de ces facteurs, la plupart des chercheurs s'entendent pour dire qu'elle inclut des pathogènes tels que la mite varroa, un parasite qui y vit en suçant le sang, comme le ferait la tique; le champignon de la nosémose, qui s'attaque au système digestif des abeilles; et les pesticides. Voilà qui fait brièvement le tour des plus importants facteurs à la source du problème. Il y en a d'autres, comme la malnutrition des abeilles, les effets climatiques, et cetera. Lorsqu'on est confronté à tous ces facteurs en même temps, il est difficile d'en identifier un qui soit le coupable.

La question que se posent les scientifiques est la suivante : lequel de ces facteurs a le plus de poids? Lequel de ces facteurs est le plus responsable des pertes? Le problème varie en fonction de la saison, de l'année et de l'emplacement.

Je peux vous parler de notre expérience en Ontario. Nous avons réalisé une étude en 2009-2010 pour essayer d'établir un lien entre ces différents facteurs et les pertes subies par les colonies, et nous avons conclu, à la fin de l'étude, que 85 p. 100 des cas de mortalité hivernale en Ontario étaient dus à la mite varroa. D'autres facteurs entraient également en jeu, mais il s'agissait là du facteur numéro un de la mortalité hivernale.

Pendant le printemps, notamment en 2012-2013, nous avons observé un grand nombre de cas de mortalité de colonies et de mortalité d'abeilles causés par des pesticides — association qui n'a pas été faite par nous, mais par l'ARLA de Santé Canada —, en particulier les insecticides néonicotinoïdes. Comme je l'ai indiqué, en Ontario, certains de ces facteurs ont davantage d'influence en hiver, notamment la mite varroa, tandis que d'autres ont plus de poids au printemps, comme les pesticides néonicotinoïdes.

La varroa transmet également des virus qui peuvent entraîner des maladies chez les abeilles. La nosémose, causée par un champignon qui s'attaque au système digestif des abeilles, peut également y contribuer. Tous ces facteurs, parallèlement à l'utilisation des pesticides, peuvent agir en interaction.

Le principal pesticide néonicotinoïde utilisé en Ontario pour enduire les graines de maïs et de soya est le clothianidine. Pour vous donner une idée, le clothianidine est environ 10 000 fois plus toxique pour les abeilles que le DDT. Ce pesticide entre en contact avec les abeilles en passant par le nectar et le pollen qu'elles consomment, même si nous n'avons pas de véritable preuve indiquant que c'est ce qui tue les abeilles. Il entre également en contact avec les abeilles au moyen de la poussière qui s'échappe des machines d'ensemencement. C'était le cas en 2012-2013. Je ne vais pas m'étaler là-dessus, car il y a un rapport de Santé Canada qui en fait état.

En résumé, je dirais qu'un certain nombre de facteurs interagissent pour entraîner cette mortalité chez les abeilles et que ces facteurs varient selon la saison. En hiver, à tout du moins dans la province de l'Ontario, la mite varroa est le facteur prépondérant; tandis qu'au printemps, il semble que ce soient les pesticides néonicotinoïdes.

D'après moi, plusieurs experts de divers organismes et disciplines devraient collaborer afin de réaliser davantage de recherches dans ce domaine et d'élaborer des politiques pour aider les apiculteurs et les agriculteurs. Pour les apiculteurs en particulier, il faudrait faire plus de recherches sur les virus associés au varroa et d'autres pathogènes, ainsi que sur leur interaction avec les pesticides.

Les apiculteurs peuvent contrôler les mites varroa à l'aide des outils dont ils disposent, mais il faudrait accroître le transfert de technologie pour contrer le problème. Quant aux pesticides répandus sur les cultures, ils n'y peuvent rien, puisque ce facteur est en dehors de leur contrôle. Il serait peut-être utile d'entreprendre un examen des pratiques agricoles actuelles.

Voilà qui couvre à peu près tout ce que je voulais dire devant le Sénat.

Le président : Merci, monsieur Guzman.

Nous passons maintenant à la présentation de M. Currie.

Rob Currie, PhD, professeur et chef du Département d'entomologie, Université du Manitoba : Je remercie tout d'abord les sénateurs de l'invitation à comparaître aujourd'hui. Je vous suis reconnaissant de m'avoir invité et donné la chance de vous parler. Pour que vous connaissiez un peu mon expérience, je vous dirai que je suis originaire du Manitoba, où je suis apiculteur depuis la fin des années 1970. J'ai donc vécu la période pré-varroa, mais j'ai aussi connu le varroa, les pesticides, ainsi qu'une variété d'autres problèmes.

Je suis devenu membre de la faculté au Manitoba en 1991. Depuis ce temps, ma recherche porte principalement sur les pertes hivernales, et je m'intéresse particulièrement sur plusieurs aspects associés au contrôle des varroas et d'autres maladies de l'abeille.

Lorsque je me suis lancé dans ce domaine de recherche, je me disais que les choses iraient plutôt bien pour moi, puisque l'hiver n'était pas à la veille de disparaître au Manitoba et que les pertes subies à l'époque, même si elles se situaient dans les 15 p. 100, me semblaient un aspect pouvant être amélioré. De toute évidence, cette recherche est encore plus nécessaire aujourd'hui.

Comme l'a déclaré M. Guzman avec tant d'éloquence, plusieurs facteurs sont à la source de nombreuses pertes que nous constatons dans toutes les provinces canadiennes et dans le monde. Comme il l'a indiqué en parlant du principal coupable, la plupart des chercheurs s'entendraient probablement pour dire que la mite varroa constitue une grosse partie du problème. Nous avons constaté le développement d'une résistance aux acaricides utilisés successivement. Nous avons v utilisé deux composantes qui ont bien fonctionné pour contrôler les acariens. Bon nombre des problèmes que nous constatons, et dont il est question dans une recherche qu'Ernesto Guzman, Stephen Pernal et moi avons publiée, concernent le moment d'apparition de la résistance aux acaricides dans les Prairies et la façon dont cette résistance s'est manifestée à différents endroits et à différents moments. Il existe un rapport assez clair entre la résistance aux acaricides se manifestant à un moment particulier, dans une province particulière, et les pertes subséquentes suivant le développement de cette résistance. Les apiculteurs se procuraient un nouvel acaricide et arrivaient à contrôler les acariens pendant une brève période, et là, les choses allaient bien. À mesure que d'autres problèmes surgissaient, d'autres difficultés se faisaient jour.

Nous utilisons maintenant la troisième série d'acaricides, et j'ai l'impression que les acaricides de remplacement dont nous disposons actuellement ne fonctionnent pas aussi bien que certains autres composés que nous utilisions au début des années 1990. Le fait que nous n'arrivons pas aussi bien à contrôler les acariens signifie que plusieurs autres facteurs de stress mentionnés par M. Guzman qui interagissent avec les colonies, soit les virus, la nosémose, les pesticides utilisés par l'apiculteur et les pesticides utilisés dans l'environnement, deviennent maintenant un problème bien plus grave. Nous devons résoudre tous ces problèmes, à une époque de grande variabilité climatique. Cette dernière peut contribuer au problème, notamment parce qu'elle fait en sorte que le moment où les abeilles disposent d'une bonne alimentation, sous la forme de plantes, est un peu imprévisible. De graves problèmes peuvent en résulter, particulièrement si cela se produit en début d'automne.

Les différences sont considérables. Les structures de gestion apicole diffèrent énormément d'une province à l'autre. En Colombie-Britannique, les apiculteurs tendent à dépendre beaucoup des revenus tirés de la pollinisation. Il en va de même dans l'Est du pays, où ils dépendent souvent des revenus tirés de la pollinisation. Dans les Prairies, à l'exception du Sud de l'Alberta, ils s'intéressent surtout à la production de miel, et les apiculteurs de ma région dépendent presque entièrement de la production de miel comme source de revenu.

Si vous regardez ma région, malgré le fait que j'ai passé le reste de ma carrière à tenter à réduire les pertes hivernales, nous nous sommes distingués par les pertes hivernales les plus élevées au Canada l'hiver dernier. Les pertes au Manitoba se sont élevées à 46 p. 100. Si vous en parlez aux apiculteurs provinciaux et à la plupart des éleveurs d'abeilles, et que vous examinez les données de recherche pour cette année particulière, une bonne partie de ces pertes est probablement associée à des facteurs climatiques et au fait que vers la fin de l'été et de l'automne, il y a eu une pénurie de pollen. Il n'y avait pas beaucoup de couvains pour produire les jeunes abeilles qui forment la population hivernale. Par conséquent, la structure d'âge des populations n'était probablement pas tout à fait ce qu'elle aurait dû être en début d'hiver. À tout cela s'est ajouté un hiver long et rigoureux suivi d'un printemps encore pire, et c'est probablement un facteur important ayant influencé les pertes importantes constatées au Manitoba l'an dernier.

D'autres facteurs, comme la mite varroa, ont sans doute joué un rôle aussi.

Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Selon certaines recherches effectuées dans mon laboratoire, il existe des interactions non seulement avec les pesticides utilisés dans l'environnement — ce n'est pas un domaine dans lequel je travaille —, mais aussi avec les pesticides utilisés dans la ruche. Dans certains cas, la combinaison des facteurs de stress associés au varroa ainsi qu'aux pesticides utilisés dans la ruche peut aussi provoquer la perte de colonies. Il y a bien des aspects dont nous devons tenir compte.

M. Guzman a parlé du rôle de la chloronicotinile en Ontario et au Québec, où elle a posé un problème assez grave. Ce produit ne semble pas être un problème aussi évident au Manitoba ou peut-être dans la plupart des provinces des Prairies. Cela peut être attribuable en partie aux différences considérables entre les quantités de maïs et de soya cultivés dans nos régions. Il se peut aussi que ce soit en raison des façons différentes dont les abeilles sont gérées dans ces deux régions. Nous ne savons pas précisément ce qu'il en est. Il y a eu quelques cas d'apiculteurs qui soupçonnaient l'empoisonnement par les pesticides, et il est arrivé que des chlorocotiniles soient détectées dans le pollen récupéré des ruches. Mais si on regarde l'ensemble du problème, comme le disait M. Guzman, le nombre total de ruches au Manitoba où des problèmes ont été détectés s'élèverait à environ 275 ruches sur 80 000. Si on prend la situation dans son ensemble et cherche à déterminer ce qui a provoqué cette perte de 46 p. 100, il ne semble pas que les chlorocotiniles causent de gros problèmes au Manitoba, du moins au cours de la dernière année.

Pour ce qui est des recommandations, j'estime qu'il nous faut beaucoup d'information sur la façon de mieux gérer les abeilles, de mieux régler ces problèmes et d'identifier tous les facteurs interdépendants afin de pouvoir trouver de bonnes solutions. Les apiculteurs ont besoin de cette information. Ces deux aspects exigent un financement constant et prévisible afin de pouvoir placer des gens et essentiellement les maintenir en poste afin de disposer de personnes compétentes. Lorsqu'on reçoit des subventions une année, qu'on n'en obtient pas l'année suivante et qu'on en a l'autre année, on perd ses gens et il est difficile de les faire revenir et de recommencer. Il nous faut aussi un financement solide et soutenu pour les gens dans les zones d'extension du pays, puisque ce sont eux qui vont transmettre l'information aux apiculteurs. Cela ne comprend pas seulement ceux qui travaillent dans l'industrie apicole et à la vulgarisation sur les abeilles, mais aussi les agriculteurs.

Comme une grande partie de la lutte antiparasitaire intégrée qui se fait pour le maïs, le soja, et même le canola et d'autres cultures dépend des chlorocotiniles, ces produits sont appliqués alors que ce n'est pas nécessaire. Dans de nombreux cas, au Manitoba, il y a peu ou pas d'insectes se trouvant dans le maïs et le soja, par exemple, qui sont vraiment traités par les chlorocotiniles; pourtant, pratiquement chaque graine en contient. Il serait utile de faire une meilleure éducation sur la gestion des cultures.

Voilà mon exposé.

Le président : Merci, monsieur Currie.

[Français]

Dr Pascal Dubreuil, vice-doyen, Affaires cliniques et professionnelles, Université de Montréal : Je vous remercie, monsieur le président, de votre invitation à venir vous parler des problèmes de santé des abeilles. Mon témoignage sera plutôt concentré sur l'agriculture de l'Est du Canada, principalement le Québec, parce que c'est la région que je connais le mieux.

Je suis médecin vétérinaire. J'ai été élevé dans une famille d'apiculteurs. Mon père était apiculteur et il a fabriqué lui- même ses premières ruches à l'âge de 10 ans. Cela fait donc 90 ans qu'il y a du miel Dubreuil dans la région de Saint- Hyacinthe principalement, puis jusqu'au Maine maintenant. J'ai payé mes études en travaillant dans l'entreprise familiale. Mon frère a pris la relève et ses fils prennent la sienne présentement. Nous avons 1100 ruches au Québec. Il ne s'agit peut-être pas de l'ampleur de l'Alberta, mais pour la province de Québec, c'est important. Lorsqu'on est élevé dans ce domaine, on garde toujours l'intérêt. J'ai suivi mon cours de médecine vétérinaire. Je me suis concentré sur les grands animaux.

Pour revenir à l'apiculture au Québec, je me souviens que, dans les années 1960, des pomiculteurs ont demandé à mon père de déménager des abeilles chez eux. Le premier qui nous a rejoints, c'était un M. Ménard de Saint-Paul. Il était conscient que les abeilles sont importantes pour la pollinisation. Je vous dis cela pour vous donner une idée de l'histoire de la pollinisation. J'avais quatre ou cinq ans au moment où mon père a commencé à déménager des abeilles pour la pollinisation des pommes.

Cette entreprise s'est développée de plus en plus. Les agriculteurs ont pris de plus en plus conscience que plus les pépins d'une pomme sont pollinisés, meilleure sera sa conservation durant l'hiver.

Ensuite, mon frère a pris la relève et il a été question de la pollinisation des bleuets au Lac-Saint-Jean. Il a été l'un des premiers à monter au Lac-Saint-Jean. Il a commencé par fournir une centaine de ruches et il en est maintenant à 1 000. Il y a environ 30 000 ruches qui se déménagent dans la région du Lac-Saint-Jean.

Le déménagement des ruches a ensuite servi dans le domaine des canneberges, des fraises, du concombre et même des tomates.

Tout cela pour vous dire que du temps de mon père, on utilisait les abeilles pour produire du miel de consommation alors que maintenant mon frère gagne sa vie principalement avec la pollinisation. Le produit du miel est un à côté, si j'ose dire.

L'apiculture au Québec, c'était relativement simple. Quand j'étais jeune, il fallait contrôler certaines maladies comme la loque — loque européenne ou américaine — qui est une maladie bactérienne; ceci fait, c'était relativement facile, dans les années 1960-1970, de gérer des abeilles ou un rucher.

Dans les années 1990, un parasite est apparu, dont mes collègues ont parlé, qui s'appelle le varroa destructeur. Ce parasite a migré d'Asie, d'Europe, du sud des États-Unis et a monté jusqu'au Canada. C'est là que les problèmes ont commencé à apparaître. Sur le plan des produits qui contrôlent le parasite, il n'y avait seulement qu'un produit homologué au Canada qui s'appelait l'APISTAN où le produit actif était le fluvalinate. Les apiculteurs n'utilisaient qu'un seul produit pour contrôler varroa. Au début, il n'y avait pas de problèmes. Ce produit était relativement efficace et même très efficace puis, avec les années, si je compare cela aux antibiotiques, il entraîne une résistance du parasite.

Quand cela arrive, c'est comme si on démarrait une sélection de varroas qui continuait à se multiplier mais qui devenait résistante au produit. Ils font de la sélection. Si on n'a pas d'autres produits pour contrôler ce parasite on se ramasse avec un problème de résistance.

Dans les années 2003, la résistance est apparue de façon massive et 50 p. 100 des ruches au Québec sont mortes avec un problème de résistance. Le MAPAQ m'a alors appelé parce que j'étais connu dans le monde apicole. On a fait plusieurs projets de recherches sur les différents produits qui pouvaient être utilisés, les acides organiques ou autres et il y a aussi le thymol sur lequel j'ai travaillé beaucoup, et mes recherches ont servi à l'homologation du produit présentement pour le contrôle du varroa.

Lorsque j'étais jeune, on sortait les ruches au printemps. On avait des mortalités de l'ordre de huit, neuf, dix p. 100. Lorsque le varroa est arrivé et qu'on a perdu le contrôle de l'invasion, les mortalités ont augmenté jusqu'à 25 et 30 p. 100. Au Québec, 2003 a été une hécatombe avec 50 p. 100 de mortalité. On continue de rouler à environ 30 p. 100 de mortalité hivernale à cause de ce parasite.

Le défi pour les apiculteurs consiste à contrôler le varroa. Pour ce faire, il faut varier les outils. L'important est d'avoir d'autres outils de contrôle de ce parasite afin d'avoir une rotation des produits dans le but de garder une certaine efficacité.

Nous avons des outils efficaces, mais il devrait y en avoir d'autres, mais il faut absolument que l'apiculteur soit instruit, de manière à contrôler ou à gérer le parasitisme du varroa dans son rucher.

Cela a été mentionné par mes collègues, mais il y a beaucoup d'instructions et de connaissances qui doivent être transmises aux apiculteurs qui n'ont pas encore acquis l'habitude d'avoir un bon contrôle du parasite.

C'est une gestion énorme que les apiculteurs doivent apprendre à faire pour contrôler le varroa.

Si on pouvait contrôler le varroa, on contrôlerait énormément les mortalités au Québec, particulièrement dans l'est du Québec et dans le reste du Canada. Une autre problématique est apparue depuis quelques années, c'est l'utilisation des semences enrobées. C'est un gros problème. On a vécu ce problème. Chaque printemps, il y avait des mortalités dans la période de semence dans les ruches de mon frère. Il m'appelait et me disait de venir voir les abeilles qui mouraient. On prélevait des abeilles, et quand on ne sait pas ce qu'on cherche, on se demande pourquoi les abeilles meurent.

Ce n'était pas des mortalités massives comme on en voit lors d'arrosage d'avion dans les champs de maïs au mois d'août. C'était une mortalité subtile et chronique. On s'est rendu compte que la problématique de mortalité chronique était reliée aux semences enrobées. Il fallait trouver pourquoi les abeilles mouraient à cause de cela.

Il y a le semoir pneumatique. Les semences sont enrobées avec une poussière et les semoirs sont pneumatiques, c'est- à-dire qu'ils marchent sous vide et que les grains de soya ou de maïs sont aspirés et déposés de façon régulière lors des semences. Alors la poussière dégagée par le semoir s'envole au vent et, si on est en bordure de fossés ou de boisés où il y a des fleurs, elle empoisonne les fleurs. Les mortalités viennent principalement de cela.

J'ai des ruches sur le toit de la faculté de médecine vétérinaire à Saint-Hyacinthe, à peu près à un kilomètre du champ de maïs le plus près. Des abeilles sont mortes.

Cela vous donne une idée de la migration de ce nuage de poussière.

Dans le fond, tous les habitants de la ville de Saint-Hyacinthe respirent ce produit comme les abeilles. C'est un problème qui doit aller plus loin que le problème de l'abeille, car on sait maintenant que les poussières qui voyagent causent des problèmes.

Comme ce sont des mortalités chroniques, ce qui est difficile à prouver, c'est que les abeilles ramènent du pollen, du nectar probablement contaminé dans les ruches. L'abeille qui ne meurt pas dans le champ ou dans la ruche rentre le nectar contaminé dans la ruche.

On se rend compte aussi qu'avant, une reine pouvait vivre deux à trois ans, maintenant les reines ne résistent pas. Il y a une rotation de reines incroyables. On se demande où est le problème.

Est-ce que ces produits affectent la fertilité des bourdons et le système génital des reines qui font en sorte que la ponte est affectée ou la fécondation de ses œufs est affectée ou les bourdons sont tout simplement moins productifs du point de vue semence qu'avant. Ce sont toutes les questions que l'on se pose.

Est-ce que c'était associé à ces pesticides? C'est toujours un mystère, mais on pense qu'il peut y avoir des liens.

Pour terminer, on vit avec 30 p. 100 de mortalité d'abeilles dans l'Est du Canada. Si vous aviez des bovins, peu importe l'élevage, dont le taux de mortalité serait à 30 p. 100, vous en entendriez parler. C'est ce que nous vivons actuelle au Canada. Le nombre de ruches au Québec est en baisse. Cela devient décourageant. Année après année, tu travailles pour remonter leur cheptel, par pour produire. C'est difficile dans le monde de l'apiculture de ces temps, au moins dans l'Est du pays où je vis.

Le président : Merci beaucoup, docteur Dubreuil.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Monsieur Dubreuil, vos deux dernières phrases ont bien résumé le cœur du problème. S'il y avait ces niveaux de mortalité chez le bétail ou les porcs, cela ferait les manchettes et tout le monde essaierait de résoudre le problème.

Vous avez tous les trois présenté les chiffres : environ 30 p. 100 des colonies chaque année pendant six ans; jusqu'à 46 p. 100 au Manitoba; et parfois jusqu'à 50 p. 100 au Québec. Est-ce que quelqu'un quelque part a trouvé une solution? Là où il y a le varroa, a-t-on constaté des améliorations? Y a-t-il des bonnes nouvelles ou seulement des mauvaises?

M. Currie : Je pense qu'il y a beaucoup de bonnes nouvelles. Il y a énormément de recherche en cours pour élaborer de nouvelles façons de s'attaquer au problème. Il y a de nombreux programmes de croisement au Canada, en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde pour développer des souches d'abeilles plus résistantes aux acariens, qu'on pourrait utiliser avec les autres techniques de lutte antiparasitaire intégrées afin de contrôler le problème. Au cours des 10 dernières années, nous avons observé des progrès considérables dans certains de ces programmes au Canada pour développer de telles abeilles. Il n'y a pas encore d'abeilles immunisées contre ces parasites, mais nous avons produit un certain nombre d'espèces qui semblent être plus résistantes à l'hiver.

On travaille également beaucoup aux nouveaux acaricides pouvant être appliqués. Vous entendrez plus tard M. Nasr, qui a effectué des essais d'acaricides, et nous en avons fait beaucoup dans mon laboratoire. À l'heure actuelle, il n'y a pas encore d'acaricide équivalent aux deux pour lesquels les parasites ont développé de la résistance ou qui soit aussi efficace que celui utilisé actuellement. Voilà une grave inquiétude qui est évidemment une grande priorité.

On travaille aussi à de nouvelles techniques de contrôle novatrices. Beaucoup examinent une technique appelée interférence ARN, qui est une façon de produire de l'ARN à double brin qui peut permettre de contrôler les acariens et les virus. Nous l'avons fait dans mon laboratoire pour l'un des virus importants, celui qui cause la déformation des ailes. D'autres groupes s'occupent d'autres virus, et un groupe de chercheurs et d'entreprises aux États-Unis se penchent sur la même technique pour un produit qui contrôlera le varroa. Mais cette solution n'est certainement pas pour bientôt.

Une grande partie du travail vise non seulement à trouver une solution miracle pour le varroa, mais également à examiner la question dans le contexte suivant : si on ne trouve pas de solution miracle pour le varroa, essayons de contrôler tous les autres éléments, y compris les pesticides, ceux qui se manifestent dans la ruche et à l'extérieur, ainsi que l'amélioration de la nutrition et de la génétique des abeilles. C'est peut-être ainsi qu'on trouvera une solution. C'est un problème qui comprend plusieurs facteurs, et il en sera de même pour les solutions.

Le sénateur Mercer : Qu'est-ce que le gouvernement du Canada pourrait faire pour appuyer ce processus? Il me semble qu'il y ait beaucoup de bonnes recherches qui se font dans de nombreux domaines. Est-ce que vous vous parlez? Est-ce que vous échangez des informations en cours de route? Est-ce que vous vous volez mutuellement des idées pour vous assurer de faire des progrès? Comme je l'ai dit, M. Guzman a parlé de six ans et de 30 p. 100; c'est très longtemps. Évidemment, il faut remédier à ce problème. Donc, qu'est-ce que nous devons faire?

M. Currie : Nous préférons parler de collaboration plutôt que de vol d'idées; mais c'est effectivement quelque chose que nous faisons. Au Canada, il y a un groupe très soudé de chercheurs qui travaillent dans le domaine de l'apiculture. L'Association canadienne des professionnels de l'apiculture se réunit tous les ans pour parler de ce qui se passe dans le domaine et des solutions possibles. Il y a énormément de recherches collaboratives qui se passent parmi les membres de ce groupe. Il y a également un réseau national de gens qui travaillent sur la question de la pollinisation, notamment du côté des plantes et des abeilles, mais aussi du côté des autres insectes pollinisateurs. Il s'agit du réseau CRSNG- CANPOLIN.

Un grand nombre de témoins que vous avez interrogés, dont Ernesto Guzman, Peter Kevan et moi, sont tous membres de ce groupe. C'était une autre occasion de réseautage qui nous a permis de trouver des solutions collaboratives. Nous collaborons là où c'est possible. Nous essayons de nous pencher sur ce problème ensemble.

En même temps, nous ne voulons pas que les recherches se ressemblent trop d'un endroit à un autre; cependant, un certain chevauchement est nécessaire parce qu'il existe de grandes différences régionales sur le plan de la gestion. Si on se sert d'un acaricide au Manitoba, il pourrait y avoir un effet différent de celui qu'il aurait au Québec. Il faut reproduire les diverses techniques dans les différentes régions pour bien comprendre comment appliquer ces techniques partout au pays.

M. Guzman : J'aimerais bien être sénateur plutôt que chercheur. Je pense que cela rendrait ma femme plus heureuse, mais je ne sais pas.

M. Currie a déjà mentionné tout le travail qui avait été fait ici au Canada et ailleurs. C'est vrai qu'il y a une certaine collaboration ce qui va probablement donner de bons résultats à l'avenir. Pour répondre à la question du sénateur sur ce que le gouvernement du Canada pourrait faire à ce sujet, je pense qu'il pourrait aider en accordant plus de fonds pour la recherche. Avec les sources de financement qui existent actuellement, nous sommes très limités. Nous pourrions faire beaucoup plus si nous avions davantage d'argent pour la recherche.

Le gouvernement du Canada pourrait également faciliter l'élaboration de politiques sur certains facteurs, et pas seulement le varroa. Comme M. Currie et M. Dubreuil l'ont déjà dit, le varroa n'est pas le seul coupable. Ce n'est qu'un des facteurs. Par exemple, les apiculteurs ne peuvent rien faire contre les néonicotinoïdes ou d'autres pesticides. C'est hors de leur contrôle. On pourrait probablement aider les apiculteurs grâce à un meilleur transfert de technologie, en leur indiquant quels produits utiliser pour contrôler le varroa et quand se servir de médicaments contre le varroa. Il n'y a rien qu'ils puissent faire pour contrer les effets de ces pesticides dans l'environnement. C'est un problème qu'on ne peut résoudre qu'avec de nouvelles politiques.

[Français]

Dr Dubreuil : Dans le fond, il y a peut-être l'ARLA qui est l'agence qui approuve les nouvelles molécules. Évidemment, je comprends leur devoir de contrôler ou de s'assurer que les molécules qu'on utilise sont sécuritaires, mais disons qu'une certaine souplesse de leur part pourrait peut-être aider à l'approbation de nouvelles molécules.

Autre chose, ce serait de vérifier, quand on parle des pesticides, comme cela a été mentionné par M. Currie, si on laisse utiliser des pesticides pour les semences ou autres, est-ce qu'on devrait s'assurer de l'emploi judicieux? Est-ce que c'est nécessaire d'employer ces produits? Je sais qu'au Québec, des études ont été faites pour vérifier la nécessité d'utiliser ces semence-là et je vous laisse peut-être fouiller pour en constater les résultats parce que c'est peut-être douteux l'utilisation de ces produits.

Je vous dirais même qu'au Québec, lorsque vous achetez des semences, il est même presque impossible d'acheter des semences non enrobées d'insecticide. Cela peut vous donner une idée du fait qu'il y a direction qui est donnée pour l'utilisation de ces produits et ce, sans savoir exactement la nécessité de les utiliser.

Je pense que M. Currie l'a mentionné tout à l'heure, mais pour l'Est, c'est quelque chose de très important. Est-ce que l'utilisation de ces produits-là est justifiée?

Le sénateur Maltais : Messieurs, merci beaucoup d'être ici. C'est vraiment intéressant de vous entendre et cela contribue sans doute à notre préparation de rapport sur un problème réel qui existe au Canada.

Professeur Dubreuil, je vais m'adresser à vous particulièrement parce que vous êtes une référence au Québec dans le domaine apicole. On peut dire que vous êtes tombé dans le miel étant tout jeune et vous avez continué à faire de la recherche là-dessus. Vous avez dit deux choses qui m'ont frappé. Personne ne nous a parlé jusqu'à maintenant de l'importance de ces grains additionnés de poudre versus les résultats. Est-ce que cela produit une meilleure récolte? Est- ce que cela donne du maïs de meilleure qualité? Et s'il y avait un autre engrais naturel, est-ce qu'on en arriverait au même résultat?

Dr Dubreuil : Évidemment, vous me demandez de répondre sur un aspect de production de céréales, domaine dans lequel je ne suis pas expert. C'est pour cela que mon point de vue de tout à l'heure, c'était de vous suggérer de vous informer auprès des gens qui ont fait des études dans ce domaine pour vérifier les résultats.

Le sénateur Maltais : Vous avez raison. Nous allons donc revenir aux abeilles comme telles.

Dr Dubreuil : Je suis désolé de ne pas pouvoir répondre.

Le sénateur Maltais : Je comprends cela. C'est une question un peu ambiguë. Nous pourrons en parler avec d'autres chercheurs.

Pour en revenir aux abeilles, on dénombre 30 ou 40 p. 100 de perte; cela fait toute la différence entre la faillite et la réussite d'une entreprise, et vous l'avez bien dit. Cependant, je suis intrigué par le fait que vous ayez dit, au début de votre présentation, que votre père ou votre frère faisait de la pollinisation dans les régions du Saguenay-Lac-Saint- Jean, de la Côte-Nord. Nous avons reçu des gens de cette région la semaine dernière, qui nous ont dit que leurs abeilles étaient moins affectées. En vérifiant sur Internet, j'ai constaté que les gens de Terre-Neuve-et-Labrador ne sont presque pas affectés, ni le nord du Québec, la Côte-Nord, le Saguenay Lac-Saint-Jean et même la région du lac Nipissing au Nord de l'Ontario; est-ce que le froid empêcherait ces microbes de se produire? Comment se fait-il que ces régions soient moins affectées?

Dr Dubreuil : Est-ce qu'on parle de mortalité hivernale?

Le sénateur Maltais : Oui.

Dr Dubreuil : La mortalité hivernale, comme Rob le disait tantôt, c'est multifactoriel. C'est difficile de répondre précisément à cette question sans prendre trop de temps. Les mortalités hivernales sont associées à la préparation automnale de la ruche pour l'hiver. Comme Rob le disait, suite à la ponte de la reine au mois d'août, les abeilles qui vont venir au monde au mois de septembre et même octobre vont entretenir la ruche durant l'hiver et vont redémarrer la ruche au printemps. Si vous avez une mauvaise saison apicole en août, si vous avez une sécheresse qui fait en sorte qu'il y aura peu d'entrées de pollen et autres, votre ruche commence déjà à être hypotéquée au mois d'août et les jeunes abeilles qui vont venir au monde vont être en moins bonne condition et en moindre nombre. La ruche sera plus faible.

Je ne réponds pas à votre question à savoir pourquoi le nord serait moins affecté.

Le Sud du Québec est une région céréalière; est-ce qu'on y croise les pesticides? La quantité infime de pesticide qui reste a-t-elle une relation avec la durée et la capacité de l'abeille de passer l'hiver? Les quantités infimes de pesticide interfèrent-ils avec son système? Ce sont toutes des hypothèses possibles. Le système immunitaire de l'abeille est-il affecté? On ne le sait pas. C'est complexe.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Merci, messieurs, d'être venus ce soir. Vous avez parlé tous les trois du besoin d'avoir plus de sensibilisation, une meilleure diffusion de l'information et plus d'information sur la gestion des abeilles. Dans quelle mesure est-ce que les pratiques de gestion des abeilles actuelle font partie du problème?

M. Currie : C'est une question difficile. Les pratiques de gestion des abeilles diffèrent beaucoup selon les objectifs de l'apiculteur. Certains préparent essentiellement leurs ruches pour la pollinisation. Peut-être qu'en Ontario, ils amènent leurs ruches à la côte Est pour la pollinisation des bleuets. Certains en Alberta déplacent leurs ruches pour la pollinisation du canola hybride. Dans d'autres régions du Canada, surtout au Manitoba et en Saskatchewan, les apiculteurs et leurs colonies sont plutôt sédentaires et ne se déplacent habituellement que de quelques dizaines de kilomètres.

Les pratiques de gestion apicole sont très variées, et les apiculteurs ont besoin d'information sur ce qu'il faut faire pour bien gérer leurs colonies dans leur environnement afin d'essayer de contrôler ces parasites et ces organismes nuisibles; ils ont donc besoin de beaucoup d'information pour bien comprendre toutes ces interactions.

Dans certains cas, les pesticides ne sont pas correctement appliqués à la ruche, et cela peut contribuer au problème. Et il se passe parfois des choses que nous ne comprenons pas. Un apiculteur pourrait appliquer un insecticide à la ruche et il pourrait y avoir une interaction avec un fongicide qui est entré dans la ruche par l'entremise des cultures. Parfois, il y a des interactions entre les pesticides qui sont appliqués aux ruches et le stress causé par le varroa. Lors d'une expérience récente, on avait prédit que la meilleure approche serait d'appliquer un traitement précoce pour bien contrôler le varroa. Mais en fait, dans ce cas-là, en Saskatchewan, en automne, c'était la pire chose à faire parce que la combinaison du stress causé par l'acaricide et le varroa a fini par causer plus de dommages que le traitement lui-même.

Comme nous l'avons dit, il s'agit d'une question complexe, et il faut beaucoup d'information sur ces interactions afin qu'on puisse fournir aux apiculteurs de bonnes recommandations applicables aux paradigmes de gestion qui leurs sont propres.

La sénatrice Tardif : Comment est-ce que ces informations sont diffusées actuellement? Comment est-ce que ces informations devraient être diffusées et qui devrait en être responsable?

M. Currie : L'approche actuelle au chapitre de la diffusion des informations comprend plusieurs aspects. Les chercheurs canadiens qui effectuent de la recherche appliquée font des merveilles pour assister aux réunions apicoles et pour présenter leurs résultats. Typiquement, ils présentent les résultats de leurs recherches dans des bulletins apicoles locaux et dans une revue canadienne intitulée Hivelights.

Il faut également compter avec les bureaux et les installations des équipes d'apiculteurs et d'agents d'information provinciales. Plusieurs provinces, comme l'Ontario et la Saskatchewan, ont ce qu'on appelle des équipes de transfert technologique, et ces équipes sont utiles non seulement parce qu'elles diffusent des informations sur la recherche, mais aussi parce qu'elles font de la recherche et en publient les résultats.

Au Québec, il y a des gens comme Pierre Giovenazzo, qui travaillent avec beaucoup d'employés de votre gouvernement provincial et collaborent avec eux; ils sont très doués pour communiquer les informations aux apiculteurs. La communication se fait en grande partie d'une personne à l'autre, et c'est essentiel d'avoir le financement pour maintenir le travail de ces gens.

Le sénateur Robichaud : Vous avez indiqué que les gens dans les provinces transfèrent les connaissances de manière efficace. Est-ce qu'il y a autant de gens aujourd'hui qu'il y en avait par le passé, ou est-ce que leurs efforts ont été réduits d'une manière ou d'une autre?

M. Currie : Dans certains cas, il y a eu une expansion. En Saskatchewan, par exemple, il existe une équipe de transfert technologique dirigée par Graham Parsons. Il n'est pas là depuis très longtemps. Il s'est joint à l'équipe il y a environ deux ans. Il fait une maîtrise dans mon laboratoire en même temps pour avoir une meilleure formation.

Au Manitoba, il y a eu une certaine réduction. Le bureau d'information du gouvernement du Manitoba, par exemple, a mis à pied les inspecteurs qui, par le passé, fournissaient des conseils et des échantillons aux apiculteurs.

La situation peut varier quelque peu d'une province à l'autre. Je pense qu'il faut du financement pour maintenir ces programmes, surtout dans des situations catastrophiques comme celle où nous sommes maintenant. Les équipes de transfert de la technologie sont souvent très vulnérables parce qu'elles reçoivent normalement du financement variable. Elles doivent souvent demander des subventions. D'une semaine à l'autre ou d'un mois à l'autre, elles ne savent pas nécessairement si elles auront le financement voulu pour conserver tout leur personnel. Un financement qui permettrait à ces équipes de créer une situation durable serait utile.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Et au Québec?

M. Dubreuil : Beaucoup de travail a été fait par le gouvernement du Québec, le MAPAQ, pour créer des calendriers ou des approches de traitements. La MAPAQ a fait un excellent travail. C'est rare qu'un gouvernement est louangé, mais je peux considérer que le travail a été très bien fait. Le problème, c'est l'éducation, le transfert et l'appropriation des connaissances par les apiculteurs. Au Québec, il y a environ 700 apiculteurs inscrits, mais il y en a peut-être 80 qui sont de vrais apiculteurs, qui vivent de leurs ruches. Pour ceux qui n'en vivent pas nécessairement, l'importance d'un suivi et le contrôle de leur population peut parfois laisser à désirer. Cela n'aide pas le système.

[Traduction]

Le président : Monsieur Guzman, avez-vous des observations à faire à ce sujet?

M. Guzman : Je voulais seulement ajouter qu'en Ontario, il y a un bon soutien pour les équipes de transfert de technologie. Le problème est que la plupart des apiculteurs élèvent des abeilles comme passe-temps ou à petite échelle, et il est difficile pour les équipes de transfert de technologie de tous les rejoindre. Nous avons besoin de plus de cours, peut-être de plus d'ateliers, pour qu'au moins les renseignements et la technologie qui existent aujourd'hui rejoignent tous les apiculteurs, partout dans chaque province, afin de réduire le taux de mortalité. Il est probablement plus important d'appuyer ces programmes de transfert de technologie, de même que la recherche menée par les chercheurs dans les universités et d'autres établissements, pour qu'ils puissent collaborer avec les équipes de transfert de technologie et créer une courroie de transmission du savoir des chercheurs vers les équipes, puis vers les apiculteurs. Ici encore, il faut augmenter le financement pour accroître le niveau d'activité. Ce que font les équipes de transfert de la technologie et les chercheurs est bon; ils vont dans la bonne direction. Il faut simplement en faire plus.

La sénatrice Eaton : Est-ce que l'apiculture est en mesure de répondre aux demandes de l'agriculture? Nous avons entendu les producteurs de bleuets des Maritimes l'autre jour nous dire que leur culture est maintenant si intensive que la demande à l'égard des ruches ou de la pollinisation par les abeilles est énorme, mais il semble que l'apiculture n'ait pas progressé au même rythme que l'agriculture. Est-ce exact?

M. Currie : Je ne crois pas que cela soit exact. C'est une question économique. Évidemment, chaque personne produit le nombre de ruches qu'il lui faut pour gagner sa vie et dirigera ses efforts là où les avantages économiques seront les plus grands. Les gens dans les Prairies se concentrent sur la production de miel parce qu'ils obtiennent un rendement incroyable dans cette région. Si le prix de la pollinisation est suffisamment élevé, cela tiendra lieu d'incitatif. Si le rendement économique est présent, il y aura plus de ruches.

La sénatrice Eaton : D'autres témoins nous ont dit qu'il semble y avoir une énorme pénurie et qu'ils ont de la difficulté à trouver assez de ruches pour polliniser les champs de bleuets, par exemple. C'est le cas que j'ai à l'esprit. Vous n'avez pas constaté cela? Vous croyez que nous finirons par en savoir assez sur les abeilles pour que la situation soit viable?

M. Currie : Je pense à la culture des amandes aux États-Unis. Lorsqu'ils ont commencé à avoir d'énormes pertes économiques concernant les ruches et des problèmes d'approvisionnement en ruches, les producteurs d'amandes ont compris que les abeilles étaient importantes, et plutôt que de payer 40 $ par ruche pour louer une colonie, ils paient maintenant environ 150 $. Ils trouvent leurs ruches. Ils ont changé leur façon de gérer pour reconnaître la valeur des abeilles, et je crois que si le prix est le bon, les apiculteurs pourront fournir le service. C'est mon opinion.

La sénatrice Eaton : Je n'en sais pas aussi long que vous. Comment l'argent peut-il avoir une incidence sur la santé de l'abeille?

M. Currie : L'argent n'a aucune incidence à cet égard; par contre, il peut toucher la santé du rucher.

La sénatrice Eaton : Comment cela? Survivent-elles mieux à l'hiver?

M. Currie : L'apiculteur peut acheter des abeilles de l'étranger. Il peut gérer ses colonies afin d'obtenir des ruches à nucléus qui passeront l'hiver. Par exemple, si un apiculteur prévoyait un lucratif marché de la pollinisation l'année suivante, il pourrait décider de scinder ses colonies, abandonner la production du miel comme partie intégrante de ses objectifs de gestion et se concentrer sur la création de colonies à nucléus aux fins de pollinisation.

Pour l'instant, le problème vient en partie du fait que les prix ne sont pas exactement suffisants. S'ils s'amélioraient, je pense que la plupart des apiculteurs reverraient leur façon de faire afin de produire davantage de colonies. Mais pour cela, il leur faut un bon rendement sur l'investissement.

La sénatrice Eaton : C'est une idée très intéressante.

Monsieur Guzman, puisqu'on parle de partage de connaissances, nous avons entendu quelques témoins très intéressants de l'Ontario, dont l'un était agriculteur. Il nous parlait de certaines de ses nouvelles pratiques, par exemple, ensemencer le maïs et le soya la nuit ou encore quand il n'y a pas de vent, et informer les apiculteurs qui l'entourent des nuits où il va ensemencer du maïs avec des néonicotinoïdes. Il laisse de plus quelques lopins de terre pour que les abeilles puissent y polliniser de façon naturelle et avoir une alimentation suffisamment diversifiée.

Y a-t-il une rupture entre l'apiculture et l'agriculture? Se parle-t-on? Y a-t-il des choses que les agriculteurs peuvent faire naturellement pour atténuer le problème?

M. Guzman : La simple communication serait effectivement très utile. Les cultivateurs de maïs et de soya ne communiquent pas normalement avec les apiculteurs, car ce ne sont pas leurs clients. Les abeilles ne sont pas louées pour polliniser ces récoltes, donc il n'y a aucune raison de communiquer. Bien entendu, si les agriculteurs pouvaient les aviser de la journée à laquelle ils prévoient ensemencer ou asperger leurs cultures, les apiculteurs pourraient au moins déplacer leurs colonies ou prendre d'autres mesures de précaution. Oui, les communications pourraient être grandement améliorées, mais je pense que le problème réside surtout du côté des agriculteurs. La balle est dans leur camp car, lorsqu'ils ensemencent des graines de soya ou de maïs enrobées de néonicotinoïde, ils le font à l'aide de machines qui produisent une très fine poudre qui devient aéroportée et atteint les abeilles. Apparemment, une partie du problème vient du fait que ces particules contenant les pesticides atterrissent sur d'autres plantes qui sont visitées par les abeilles. Par exemple, au printemps, il y a des pissenlits. Les abeilles dépendent de ces pissenlits pour cueillir du pollen, et les pissenlits qui se trouvent près du soya ou du maïs sont contaminés par cette poussière. Lorsque les abeilles recueillent le pollen contaminé, elles s'empoisonnent du même coup.

C'est bien que l'agriculteur dont vous avez parlé cherche à réduire le risque de contamination des abeilles, mais ce n'est probablement pas suffisant. Je ne peux pas dicter aux agriculteurs ce qu'ils doivent faire, car je ne suis pas expert en agriculture. Je suis plutôt spécisliste de l'apiculture. Vous devriez inviter les agriculteurs à venir vous parler de ce qu'ils croient pouvoir faire pour aider l'industrie apicole. Je l'ai déjà dit : nous avons un énorme problème avec le varroa, mais au moins les apiculteurs ont quelques outils pour lutter contre cet acarien. C'est entre leurs mains.

Par contre, lorsque l'agriculteur plante du maïs ou du soya, l'apiculteur est impuissant, et les agriculteurs devraient au moins aviser les apiculteurs qu'ils feront de l'ensemensement à un moment précis de l'année.

M. Guzman : Les abeilles peuvent butiner dans un rayon de 2 000 mètres, et on ne peut pas les enfermer. Il faut déplacer les ruches.

La sénatrice Eaton : Je veux poser une dernière question. Il y aurait tant de choses que je voudrais vous demander. Est-il vrai que la majorité des abeilles pollinatrices au Canada sont en fait ce qu'on appelle des abeilles domestiques européennes?

M. Guzman : C'est exact. Nos abeilles descendent d'espèces d'abeilles européennes.

M. Currie : Les deux autres espèces domestiquées sont le mégachile et le bourdon.

La sénatrice Eaton : Y a-t-il moyen de les croiser ou de les modifier génétiquement, si vous permettez le terme, afin d'obtenir une espèce plus forte, qui survive mieux à l'hiver?

M. Guzman : Comme l'a dit Rob Currie, nous cherchons effectivement à produire de meilleures abeilles. Mais ce n'est pas facile, car les abeilles domestiques s'accouplent en plein vol, parfois avec des dizaines de mâles. On ne peut pas contrôler ces accouplements. Il y a des programmes d'élevage qui réussissent à développer de nouvelles espèces d'abeilles plus tolérantes aux maladies, mais elles sont toujours très dépendantes des traitements chimiques contre les acariens. On ne peut pas croiser des abeilles domestiques européennes avec d'autres espèces d'abeilles — on n'arriverait pas à obtenir une meilleure abeille de cette façon, du moins pas pour l'instant. Peut-être qu'avec l'avancée de la biotechnologie, on trouvera de nouvelles méthodes pour transférer les gènes d'une espèce à l'autre. Mais nous n'y sommes pas encore.

Le président : Honorables sénateurs, chers témoins, je surveille l'heure et nous avons un deuxième groupe à venir. Or, quatre sénateurs attendent encore de poser des questions. Aussi, le président n'accordera que quatre minutes d'intervention par personne, en commençant par le sénateur Rivard, suivi du sénateur Dagenais et, enfin, de la sénatrice Bellemare. Je demanderais aux témoins d'être brefs dans leurs réponses.

[Français]

Le sénateur Rivard : Ma question sera très brève et je profite de la présence d'un témoin du Québec pour savoir ce qui se fait au Québec. Vous avez parlé du MAPAQ et de l'aide du fédéral pour la recherche sur les abeilles au Québec. Je crois comprendre l'Université de Montréal fait de la recherche.

Vous avez aussi parlé de l'École d'agriculture de Saint-Hyacinthe. Il me semble que le plus gros distributeur de miel au Québec est Miel Doyon. Est-ce que cette entreprise ou votre entreprise familiale investissent dans la recherche pour améliorer la qualité du miel?

Dr Dubreuil : Premièrement, seul le nom Doyon existe aujourd'hui parce que je crois que c'est Billy Bee de Toronto qui a acheté. Pour dire autre chose, chaque année la Fédération des producteurs de miel du Québec est invitée à soutenir des programmes de recherche. Évidemment, l'apiculture n'est pas une production riche et les gens n'ont pas tendance à soutenir la recherche étant donné que ce n'est pas dans leur culture.

Par contre, la fédération elle-même investit d'une certaine façon, que ce soit en argent ou en nature, pour contribuer à des projets de recherche avec la station de recherche de Deschambault.

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au Dr Dubreuil. J'ai eu l'occasion de visiter l'école vétérinaire de Saint- Hyacinthe et je sais qu'elle travaille en étroite collaboration avec l'Europe. Vous me corrigerez si je me trompe, mais les Français semblent avoir des pistes de solution avec des traitements électriques ou chimiques.

Est-ce qu'il y a toujours une collaboration entre vos recherches et ce qui est testé en Europe qui pourrait apporter un semblant de solution au problème de diminution de la population des abeilles au Québec et dans le reste du Canada?

Dr Dubreuil : Les Européens vivent des problèmes similaires aux nôtres. Ils vivent aussi avec des mortalités assez sévères et importantes. Ils en concluent que c'est le contrôle du varroa qui reste la meilleure approche pour essayer de contrôler les principales mortalités. Les Européens vivent les mêmes problèmes d'insecticides mais à différents niveaux, à différentes amplitudes, selon le climat ou la région.

Évidemment tous se parlent. Le monde apicole est un petit monde. Il y a justement Apimondia qui était à Québec il y a deux ans dans le cadre d'un échange parmi la communauté scientifiques.

Le sénateur Dagenais : La lutte au varroa se fait-elle uniquement lorsque les abeilles hivernent ou si elle peut se faire à différentes périodes de l'année?

Dr Dubreuil : On peut le faire au printemps, avant que la miellée commence, pour éviter les résidus ou on peut le faire complètement à la fin de la miellée d'automne, avant l'entrée des abeilles en hivernation, pour débarrasser l'abeille du parasite qui vient interférer avec sa croissance ou avec la naissance de nouvelles abeilles infectées ou parasitées. Les traitements se font au printemps ou à l'automne.

La sénatrice Bellemare : Je ferai tout simplement un commentaire par rapport à ce qui se fait à l'international. Je pense qu'on est devant une problématique où il y a des coûts importants dans certains secteurs. Puis effectivement, la recherche est probablement la priorité pour avoir une idée plus claire des facteurs les plus importants.

Le sénateur Robichaud : Que pensez-vous du fait qu'on puisse transporter des ruches d'une province à l'autre ou même des États-Unis au Canada? Il y a différentes opinions sur le sujet.

[Traduction]

M. Currie : Au Manitoba, de nombreux producteurs déplacent leurs colonies en Colombie-Britannique pour l'hiver, et ensuite les ramènent dans notre province au printemps. Pour ce faire, ils doivent obtenir des certificats d'inspection afin de garantir la santé de la colonie avant de franchir les frontières interprovinciales. À l'échelle fédérale, chaque province a une opinion différente sur le passage transfrontalier des abeilles, à savoir si on devrait leur permettre de se déplacer entre le Canada et les États-Unis. Je n'ai pas d'opinion personnelle là-dessus, car il s'agit plutôt d'une question politique dont je tiens à rester indépendant.

Le président : Messieurs Guzman, Currie et Dubreuil, nous vous remercions beaucoup de nous faire part de vos opinions et points de vue.

Honorables sénateurs, le comité entendra maintenant le deuxième groupe. Nous accueillons Medhat Nasr, PhD, président de l'Association canadienne des apiculteurs professionnels, ainsi que M. Barry Denluck, président de la BC Bee Breeders Association.

Comme vous l'avez constaté, ce dossier suscite beaucoup d'intérêt. Le greffier m'informe que M. Denluck commencera, suivi de M. Nasr.

Barry Denluck, président, BC Bee Breeders Association : Je m'appelle Barry Denluck, président de la BC Bee Breeders Association et apiculteur dans les îles du Sud de la Colombie-Britannique. Je représente aujourd'hui la BC Bee Breeders Association de la Colombie-Britannique. Les membres de notre association sont très reconnaissants de cette occasion qui leur est donnée de vous parler du travail qu'ils font pour améliorer la santé des abeilles domestiques au Canada.

En plus du bref mémoire que je vous ai présenté la semaine dernière, qui contient des données propres à la Colombie-Britannique, je voudrais vous parler de la situation au Canada en général.

L'industrie apicole est composée de trois éléments inextricablement liés, soit la pollinisation, la récolte de miel et la production d'abeilles. Pour être rentables, la pollinisation et la récolte du miel ont besoin d'avoir une bonne réserve d'abeilles. À son tour, la production d'abeilles a besoin que la pollinisation soit saine et que les entreprises de récolte de miel utilisent les abeilles.

Un témoin précédent vous a dit qu'on a besoin de plus de ruches pour polliniser les bleuets sauvages. Les apiculteurs de la Colombie-Britannique s'opposent à ce que l'on crée une solution à court terme consistant à ouvrir les frontières américaines et à autoriser l'importation d'abeilles, et ce, afin de préserver l'état de santé des abeilles canadiennes par rapport à celles dans le reste du monde, comme l'a indiqué M. Silva.

Le Canada a le plus grand territoire de production de nectar du monde. Nous ne sommes pourtant pas le pays qui produit le plus de miel. La vallée du Fraser, en Colombie-Britannique, a développé la culture des bleuets en utilisant moins qu'une ruche par acre disponible pour la pollinisation, alors que les recherches laissent entendre que quatre ruches par acre conviendraient du point de vue économique. En bref, le Canada a absolument besoin d'avoir plus d'abeilles.

Plus précisément, le Canada a besoin d'abeilles qui soient adaptées au climat et à l'environnement propres à ses régions variées. Afin de comprendre l'adaptabilité des abeilles, il faut recourir à la protéomique, la science qui étudie l'expression des gènes dans la production des protéines. Pour obtenir des détails à cet égard, je m'en remets à M. Leonard Foster, de l'Université de la Colombie-Britannique, qui est sans doute la plus grande autorité scientifique en matière de génétique et de domaines connexes, comme la protéomique, en ce qui concerne précisément les abeilles.

Chaque ruche commence avec une reine. Des apiculteurs en Colombie-Britannique et au Canada travaillent à la création d'une abeille adaptée au Canada. Je pense qu'il est tout à fait possible de créer une solution canadienne qui permettrait de fournir des reines de qualité et en quantités suffisantes. Il s'agit d'un moment opportun pour que les apiculteurs du Canada s'unissent pour créer une industrie qui pourra fournir plusieurs centaines de milliers annuellement à notre marché interne. Cela permettrait de favoriser à la fois la santé des abeilles et la viabilité de notre industrie. La BC Bee Breeders Association travaille avec les échelons municipaux, provinciaux et fédéraux afin de faire en sorte que cela se concrétise dans un proche avenir.

Pour conclure, j'aimerais vous remercier, monsieur le président et chers membres du comité, de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui à propos de ce sujet fort important.

[Français]

Le président : Nous allons maintenant entendre M. Medhat Nasr, de l'Association canadienne professionnelle de l'apiculture.

[Traduction]

Medhat Nasr, PhD, président, Association canadienne des professionnels de l'apiculture : Honorables sénateurs, je comparais aujourd'hui au nom de l'Association canadienne des professionnels de l'apiculture. L'association porte un très long nom, mais que veut-il dire au juste? Nous comptons plus de 40 apiculteurs professionnels, chercheurs et employés chargés de la recherche, de la vulgarisation et de la réglementation, y compris quelque 10 apiculteurs réglementaires provinciaux au Canada, un par province, ainsi que des consultants qui s'intéressent aux abeilles.

Il s'agit d'un domaine très circonscrit, mais notre organisation tâche de toujours offrir ses services aux intervenants, qu'il s'agisse d'organismes gouvernementaux, d'apiculteurs ou de cultivateurs, afin de leur fournir de l'aide à propos de tout ce qui concerne les abeilles.

Notre organisation existe depuis 40 ans. Certains de nos membres travaillent à l'université et effectuent de la recherche sur les abeilles. D'autres se chargent du transfert de technologie ou de la diffusion de renseignements. Certains membres s'occupent également de la réglementation en veillant à la santé des abeilles et en effectuant des inspections et de la surveillance. Nous avons des programmes dans chaque province, lesquels sont dirigés par un membre de l'association.

Par exemple, nous avons mis sur pied un comité sur l'importation afin d'examiner les questions relatives à l'importation des abeilles. Ces huit dernières années, j'ai présidé ce comité. J'ai travaillé avec l'ACIA pour que nos règlements correspondent aux besoins et aux exigences de l'industrie, et lui permettent de rester prospère. J'ai eu le privilège d'être élu la semaine dernière à la présidence de l'association. Il s'agit d'une grande responsabilité.

Nous avons également un comité qui se penche sur les produits chimiques. Auparavant, nous nous occupions de tous les produits chimiques dont nous avions besoin pour améliorer la santé des abeilles, ainsi que pour gérer et contrôler les maladies. Nous travaillons main dans la main avec les meilleurs organismes de réglementation et de gestion. Malheureusement, la plupart de ces organismes fédéraux ne sont pas dotés d'un spécialiste dans ce domaine. Ainsi, par exemple, l'Agence canadienne d'inspection des aliments dispose de vétérinaires qui réglementent le secteur des abeilles, mais pour ce qui est de l'expertise dans le domaine des abeilles, ils ont besoin que nos professionnels les aident à comprendre les enjeux et à prendre les décisions. C'est le cas également de l'ARLA, avec laquelle nous collaborons également.

Un de nos groupes travaille dans le domaine de la sensibilisation et un autre veille à l'établissement des priorités de recherche. Nous rencontrons l'industrie aux cinq ans. La semaine dernière, nous avons tenu notre réunion quinquennale nationale à Edmonton. Nous avons rencontré l'industrie pendant une demi-journée afin d'établir nos priorités de recherche pour les cinq prochaines années. Je ne vais pas vous passer en revue tout ce que nous avons fait. Mes collègues, qui ont comparu précédemment, sont allés à ces réunions et ont pris part à l'élaboration de cette liste de priorités.

Je suis venu pour vous dire que nous avons des professionnels pour faire le travail, mais il ne s'agit que d'un côté de la médaille. Les abeilles auront toujours besoin d'agriculteurs et de cultures. À mon avis, à l'heure actuelle, les agriculteurs et les apiculteurs ont de la difficulté à coexister et à comprendre leurs besoins mutuels.

J'aimerais vous parler de mes origines. Je suis arrivé d'Égypte en 1979. J'ai fait mes études en Californie, le centre même de l'industrie apicole mondiale. Je suis ensuite venu au Canada à cause des acariens. On m'a offert un emploi et la citoyenneté pour que je fasse des recherches sur les acariens.

J'ai travaillé dans ce domaine en Ontario pendant 10 ans. Nous avons alors créé un programme de transfert de technologie, qui est devenu le centre de diffusion d'information, en travaillant en collaboration avec les apiculteurs pour qu'ils puissent comprendre le problème. La courbe d'apprentissage a été particulièrement abrupte. Auparavant, on recevait des milliers de colis d'abeilles en provenance de la Californie. On les mettait dans des boîtes et on finissait par avoir 200 à 300 livres de miel, puis on tuait les abeilles à la fin de chaque automne.

La gestion de l'apiculture devait changer. Au cours des 30 dernières années, l'apiculture a cessé d'être saisonnière. Il faut maintenant entretenir les abeilles au cours de l'hiver et de l'été. Il a donc fallu acquérir beaucoup de connaissances en technologie et d'expérience.

Quand je suis arrivé au Canada, j'ai vécu en Ontario pendant 10 ans. Je suis ensuite allé en Alberta, où se trouve l'industrie apicole la plus importante du Canada. Quarante-trois pour cent des abeilles canadiennes s'y trouvent. Quand je suis arrivé en Alberta en 2002, il y avait 195 000 ruches. À l'heure actuelle, l'Alberta en compte 282 000.

Une question revient encore : est-ce que toutes les abeilles sont en santé? La réponse est tout simplement non. Nous faisons face à bon nombre de défis. Je ne vous répéterai pas pourquoi. Mes collègues vous ont énuméré quatre ou cinq facteurs qui sont bien réels. Il faut se poser la question suivante : si nous avons perdu 30 p. 100 d'abeilles chaque année au cours des six dernières années, cela voudrait dire qu'on a perdu 180 p. 100 de nos abeilles et qu'il ne devrait pas y avoir d'abeilles au Canada. C'est le même cas aux États-Unis. Il semble que les apiculteurs aient l'apiculture dans le sang : « J'ai perdu 30 p. 100, donc je dois pouvoir faire 40 p. 100 pour rester en affaires. » Certains d'entre vous ont indiqué un peu plus tôt que si vous perdiez 30 p. 100 de vos abeilles par année, vous devriez maintenant être en faillite. Il s'agit d'un défi et d'un dilemme. Est-ce véritablement une bonne affaire pour commencer une carrière? Non.

J'ai un garçon de 11 ans. Quand il avait cinq ans, je l'ai amené à Disneyland, comme le font de nombreux parents. Lorsqu'il a aperçu Winnie l'ourson, mon garçon s'est approché de lui et lui a dit : « Mon père est un apiculteur ». Winnie s'est approché et il s'est fait prendre en photo avec mon fils. Puis il l'a regardé et lui a dit : « Les abeilles meurent ». Réfléchissant à ces paroles, je me suis demandé : « Y aura-t-il des abeilles pour mon garçon quand il vieillira et pour mes petits-enfants? ». Je suis retourné à la maison les yeux pleins de larmes en me disant que nous devrions faire mieux. Et je pense qu'au Canada, nous pouvons faire mieux.

J'utilise toujours l'exemple de l'Alberta, qui est passé de 195 000 à 282 000 ruches. En 2007, nous avons perdu 45 p. 100 des abeilles en Alberta. Toutefois, nous avons fait front commun pour rétablir les choses. Nous perdons encore des abeilles, mais il faut se demander si le secteur est rentable. Cela dépend de vous. Cette responsabilité est entre vos mains, vous qui nous représentez au sein du gouvernement.

Avons-nous des ressources? Je ne crois pas que nous en ayons assez. Avons-nous des politiques? Malheureusement non, nous sommes toujours en mode réaction.

Nous devons commencer à être proactifs pour aider le secteur à avancer. Accorder 2 milliards de dollars au secteur de l'apiculture, c'est assurer la croissance au Canada. Nous nourrissons la planète.

Croyez-le ou non, depuis septembre dernier, je n'ai même pas passé deux semaines à la maison. Je participe à de nombreuses activités et je parle de ce que nous faisons différemment en Alberta et au Canada en général. Nous avons besoin d'un système.

En fait, la semaine prochaine, je suis invité de nouveau à participer à un sommet sur le varroa organisé par le Département d'agriculture des États-Unis. Je crois être le seul Canadien invité. Lorsque des colonies s'effondrent, on m'appelle pour que je vienne parler franchement aux représentants du département. Nous avons l'occasion de faire du bon travail, et je pense que nous pouvons y arriver.

Merci.

Le sénateur Mercer : Merci, messieurs, d'être parmi nous.

Monsieur Nasr, vous avez parlé de la réussite que vous avez connue en Alberta ou, après la perte de tant d'abeilles, vous avez réussi à reconstituer 282 000 ruches. Comment y êtes-vous arrivé? Comme nous l'avons dit, les gens perdent beaucoup d'abeilles, mais ils se relèvent. Comment avez-vous si bien réussi à recouvrir les pertes?

M. Nasr : Les apiculteurs de l'Alberta sont très compétitifs, et tout commence avec eux. Essentiellement, ils travaillent en collaboration avec le gouvernement et les apiculteurs. Je suis un apiculteur provincial. Je travaille sur trois fronts : la réglementation, la vulgarisation et la recherche. Même si l'Alberta est la première région apicole, il n'y a pas de programme universitaire pour effectuer de la recherche, alors je prends les choses en main. C'est une tâche énorme, mais j'ai la motivation.

En fait, nous avons rencontré les apiculteurs. Nous avons besoin de bons outils. Nos recherches ont révélé que les lanières CheckMite, un antiparasitaire pour le varroa, ne fonctionnaient plus en raison d'une résistance qui s'est développée. J'ai dû mettre ma carrière en jeu afin de travailler avec l'Agence de la réglementation de la lutte antiparasitaire pour obtenir un produit français, un produit désormais disponible ici.

Nous avons travaillé de concert avec l'industrie et embauché un inspecteur. Ces inspecteurse n'en sont plus. Autrefois, ils se rendaient sur le terrrain et travaillaient avec les apiculteurs pour surveiller les parasites et leur expliquer comment changer leurs pratiques. Collez les lanières dans la ruche et cela devrait régler le problème. Non, nous devons prendre des décisions sur le coup, et surveiller et suivre l'évolution de la situation. Nous l'avons fait pendant trois ans. Maintenant, les apiculteurs comprennent que la gestion n'aide pas seulement à la production de miel, mais aussi à la survie des abeilles. Cette expérience pratique a changé les choses du tout au tout dans l'ensemble de l'industrie. Nous avons dépensé 700 000 $ pour ce programme. Je vois qu'il porte ses fruits, comme vous l'avez dit. Chaque année, nous accusons des pertes de 20 p. 100, mais nous produisons des gains de 25 à 30 p. 100; donc, chaque année, il y a une augmentation de 5 à 10 p. 100. Faut-il investir beaucoup d'argent? Oui.

Qu'est-ce qui nous a le plus aidés? M. Currie a parlé des affaires. Nous nous sommes rendu compte que le prix du miel est passé à 2 $ et que les prix de pollinisation ont augmenté. Maintenant, les apiculteurs peuvent recouvrer leurs coûts et gagner leur vie. S'ils ne peuvent pas le faire, ils peuvent aussi bien aller travailler dans les champs de pétrole pour gagner un bon salaire. Nous devons retenir les apiculteurs et assurer la survie des abeilles. Pour continuer, ils ont besoin d'aide concrète et de ressources financières.

La sénatrice Eaton : Monsieur Denluck, dans votre exposé, vous avez parlé du nombre de reines qu'on produisait autrefois en Colombie-Britannique, 20 000, il me semble, en 2005 et 2006, alors que maintenant, on n'y produit que 10 000 reines par année. Pourquoi cette baisse?

M. Denluck : J'ai parlé à un éleveur la semaine dernière. Cet éleveur produisait à lui seul 5 000 abeilles qui étaient envoyées aux apiculteurs des Prairies. Aujourd'hui, il n'envoie plus aucune reine vers l'Est. Il en produit environ 1 000, et les apiculteurs des îles de Vancouver et du Sud les achètent. Plus aucune n'est expédiée vers l'Est.

La sénatrice Eaton : Pourquoi? Il n'y a plus aucune demande?

M. Denluck : La demande est très forte. Je m'en remettrai à Medhat, mais je pense que 220 000 reines sont importées de l'étranger chaque année.

La sénatrice Eaton : Sont-elles meilleur marché?

M. Denluck : Oui. Elles coûtent moins cher. Je reconnais que cette année, les coûts et les frais ont augmenté parce que les lieux de production situés à l'étranger, comme à Hawaii, composent maintenant avec de petits coléoptères qui envahissent les ruches. Le prix tourne maintenant autour de 20 $ US par abeille, soit environ 25 $ CA, incluant l'expédition au Canada, en comparaison à 10 $ CA il y a à peine 5, 6 ou 7 ans. Ces facteurs économiques jouent en notre faveur pour appuyer la production de reines. Le varroa est mieux géré maintenant, et je pense qu'il est temps de relancer la production intérieure d'abeilles au Canada.

La sénatrice Eaton : Étant donné les changements économiques et la chute de la valeur du dollar, croyez-vous que les gens prendront eux-mêmes l'initiative d'entreprendre la production d'abeilles reines ici, au Canada?

M. Denluck : Oui. Des apiculteurs de Colombie-Britannique y travaillent déjà. Je pense que la prochaine étape serait de passer à une production d'envergure commerciale; ainsi, plutôt qu'un apiculteur seul produise 1 000, 2 000 ou 3 000 reines, il faut que quelqu'un fasse l'investissement nécessaire pour en produire 50 000 à 100 000.

La sénatrice Eaton : Il y aurait économie d'échelle?

M. Denluck : Oui, une économie d'échelle. Si on pouvait trouver un apiculteur pour montrer que l'exploitation est viable, je suis convaincu que 10 autres pourraient suivre son exemple.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Nasr, vous êtes président de l'Association canadienne des professionnels en apiculture. Dans le cadre de vos activités, quels sont vos rapports avec le milieu de la recherche?

M. Nasr : Le milieu de la recherche fait partie de notre association. La structure comprend 40 membres. Tous ceux qui font de la recherche sur les abeilles mellifères sont membres de l'Association canadienne des professionnels en apiculture. Il existe une communication et une coopération étroite entre nous. Il n'y en a pas qui essaient de se faire un nom en développant leurs propres idées en secret. Non, nous travaillons en coopération et dans un esprit d'ouverture.

Je félicite notre association. Nombreux sont ceux qui l'envient dans le monde. Un collègue des États-Unis qui a assisté à notre réunion la semaine dernière à Edmonton a dit : « Voilà un modèle que nous devrions suivre », parce que nous répondons aux besoins du secteur. De plus, à titre d'universitaire, il veut publier des travaux de recherches et accomplir quelque chose pour faire progresser sa carrière.

Mon travail porte entièrement sur la recherche appliquée et la collaboration avec les agriculteurs. Je considère toujours que le chaînon manquant fait partie de ce travail. Les chercheurs travaillent beaucoup à des technologies de pointe. Lorsqu'ils doivent en parler aux agriculteurs, ils n'arrivent pas vraiment à communiquer l'information. C'est trop difficile à comprendre. C'est pour cette raison qu'ils travaillent en étroite collaboration dans le cadre de notre programme et du programme de transfert de technologie — et je vois qu'il existe des programmes semblables au Québec —; il est ainsi plus facile pour les apiculteurs d'adopter la technologie. Nous avons tissé des liens étroits avec le milieu universitaire.

Le sénateur Robichaud : Vous avez indiqué que vous avez investi une certaine somme d'argent dans la recherche. Cette somme est considérable, n'est-ce pas?

M. Nasr : Dans notre cas, en Alberta, nous l'avons fait. Cependant, comme l'a souligné M. Currie, il s'agit toujours de financement ponctuel, octroyé d'année en année ou aux trois ans. À défaut de ressources financières constantes et de budget, comme lorsque le syndrome de l'effondrement des colonies s'est produit aux États-Unis, le gouvernement fédéral a dépensé près de 80 millions de dollars pour éclaircir le mystère, et il n'a même pas trouvé la cause. Si je regarde les milliers de dollars dépensés au Canada, cela dépend. Si j'arrive à justifier ou expliquer mon travail, j'obtiendrai de l'argent. D'après moi, nous avons baissé la garde ces cinq dernières années parce que les abeilles n'étaient pas sous les feux de la rampe; ce ne sont pas des vaches ou des cochons. Mais maintenant, enfin, on se dit : « Oh là là, que se passe-t-il? »

Si vous voulez savoir ce qu'il faut faire, le gouvernement canadien devrait envisager de fournir un financement soutenu ou d'utiliser des ressources existantes en disant qu'il s'agit de la priorité. Voilà le message que nous n'avons pas réussi à communiquer au gouvernement fédéral.

Comme l'a indiqué Rob Currie, le programme d'inspection de mon collègue au Manitoba pour surveiller les maladies a fait l'objet de coupures, au moment même où nous perdons des abeilles. Avons-nous une politique nationale? Non.

Le sénateur Robichaud : Dans ce cas, ce comité devrait-il se pencher, dans une certaine mesure, sur l'élaboration de politiques?

M. Nasr : Je suis désolé de vous le dire, mais d'après moi, c'est votre rôle.

Le sénateur Robichaud : C'est bien pour cela que nous sommes en train d'étudier la question.

M. Nasr : Laissez-moi vous dire quelque chose. Je suis au Canada depuis 24 ans et j'ai passé 10 ans aux États-Unis. Sans action et sans surveillance, les politiques et ces belles paroles ne mèneront nulle part. Aux États-Unis, depuis que le syndrome de l'effondrement des colonies s'est produit, le Congrès se réunit chaque année pour vérifier les progrès réalisés. Avant d'allouer l'argent pour la prochaine année, le Congrès doit s'assurer qu'on progresse bel et bien vers des solutions. C'est ainsi qu'il nous faut surveiller nos démarches.

La semaine dernière, j'ai entendu que le Nouveau-Brunswick a besoin de 20 000 ruches pour les 10 prochaines années. Si nous ne développons pas cette industrie dans les Maritimes, nous serons dans le pétrin. La production des bleuets en pâtira. Si nous pensons pouvoir régler le problème en important des abeilles des États-Unis, sachez que ces derniers n'en ont pas assez pour leurs propres besoins en matière de pollinisation. Pour la pollinisation des amandes, il faut déplacer 1,6 million de ruches de toutes les régions des États vers la Californie.

Le sénateur Oh : Ma question ressemble à celle d'avant. Nous sommes à l'écoute et nous savons que nous sommes dans la zone orange maintenant, soit en grand danger. Dans notre rapport, la valeur ou la contribution annuelle des abeilles en agriculture pourrait s'élever jusqu'à 2,3 milliards de dollars. Mais jusqu'ici, tout ce que les chercheurs vous proposent constitue une feuille de route pour voir où nous devrions aller à partir de maintenant. Devrait-on s'adresser au gouvernement fédéral? Quelle serait votre meilleure recommandation pour arrêter tout cela? Comme vous le constatez, le problème empire chaque année.

M. Nasr : Merci de me poser cette question.

Nous avons reçu aujourd'hui une invitation de la part d'Agriculture Canada. Le 25 mars, le ministère a invité les intervenants à songer à l'élaboration d'une stratégie pour aider les abeilles. D'après moi, c'est un bon départ, et les choses ne devraient pas s'arrêter là.

La semaine dernière, nous nous sommes rencontrés. Nous étions une quarantaine dans une salle, en plus des membres du Conseil canadien du miel, et ensemble nous avons développé une stratégie pour les priorités en matière de recherche. C'est encore un autre bon début.

J'espère que cet élan se poursuivra. En obtenant votre soutien et en nourrissant cet effort, nous pourrons en faire quelque chose de plus productif pour notre secteur; voilà donc un bon départ.

La sénatrice Tardif : Monsieur Nasr, je tiens à vous dire comme cela me fait plaisir. Je suis une sénatrice de l'Alberta. Je suis heureuse que vous soyez un apiculteur provincial de l'Alberta. Nous sommes bien chanceux de vous avoir.

Vous avez mentionné dans vos commentaires que les apiculteurs de l'Alberta ont pu surmonter une perte importante de ruches en 2007; vous avez ajouté que vous aviez importé un produit de la France et que vous aviez risqué votre réputation pour faire approuver ce produit et l'importer en Alberta. D'autres provinces peuvent-elles l'importer aussi? Quel est ce produit qui s'est avéré favorable pour votre province?

M. Nasr : En fait, lorsque nous avons compris qu'il y avait un problème, et je savais que ce produit pourrait aider notre secteur à ce moment-là, car les pertes s'étaient déjà répandues à travers le pays. Or, cela exige une autorisation d'urgence, et chaque province doit justifier son propre besoin.

À ce moment-là, étant têtu je suppose, j'ai insisté et on m'a dit de demander l'autorisation pour l'Alberta. J'ai dit pour tout le Canada ou non? En fait, le matin même, l'ARLA m'avait téléphoné en disant : « Allez-y et faites la demande pour l'Alberta et nous verrons comment les choses se passent. » À peine quelques heures plus tard, vu tous les intervenants qui téléphonaient le bureau du ministre, on m'a rappelé pour dire : « Medhat, arrêtez, faites la demande pour tout le Canada. »

L'Association canadienne des apiculteurs professionnels travaille toujours pour le compte de tous les apiculteurs canadiens. Elle ne représente pas les intérêts des provinces respectives. Cela nous a vraiment aidés à collaborer. Nous ne voulions pas favoriser une région du pays par rapport aux autres.

La sénatrice Tardif : Et maintenant ce produit particulier est disponible partout au Canada?

M. Nasr : Oui.

La sénatrice Tardif : D'après vous, devrions-nous avoir des normes nationales dans d'autres domaines?

M. Nasr : Oui, absolument. Nous avons déjà des normes nationales régissant les abeilles importées des États-Unis, et cela malgré une demande qui fluctue d'une province à l'autre. Par exemple, l'Alberta et le Manitoba aimeraient faire venir plus d'abeilles. Le reste du pays avance plus doucement en disant : « Si cela s'avère moins sain ou si cela risque de nuire à la santé et d'accroître le risque, pourquoi le faire? » Nous comptons donc sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments pour évaluer les risques et décider si c'est trop risqué. Il existe des exemples de réussite, mais ça nous prend une stratégie nationale sur la santé des abeilles.

Voilà un nouveau terme que nous devons approfondir : la coexistence. Les agriculteurs aiment utiliser les pesticides pour assurer leurs résultats. Selon les apiculteurs, cela tue leurs abeilles. Il nous faut maintenant trouver un juste milieu, soit utiliser ce produit convenablement sans nuire à notre environnement. C'est ce que nous devons promouvoir : la coexistence. C'est un défi pour nous tous.

La sénatrice Tardif : J'aime bien cette tournure de phrase : se comprendre les uns les autres et le besoin de coexister. Je trouve cette idée très importante.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Monsieur Nasr, vous avez mentionné, dans votre présentation, que malgré la diminution des colonies d'abeilles et les maladies, en Alberta, vous avez quand même réussi à inverser le processus du fait que les colonies d'abeilles, la population a quand même augmenté.

Selon vous, quel est le facteur principal qui a influencé cette augmentation? Est-ce que c'est le changement de fertilisant par les agriculteurs? Est-ce que ce sont les pesticides ou la température?

Parce que si vous avez obtenu du succès, j'imagine qu'il serait intéressant de l'exporter vers les autres régions du Canada afin qu'elles puissent en bénéficier. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

M. Nasr : Comme je l'ai mentionné, tout commence chez les apiculteurs. S'ils sont motivés et qu'ils ont les ressources requises, ils vont travailler. C'est une question d'outils. Comme je l'ai dit tantôt, avec ce changement de produit, nous disposons de meilleurs outils et nous pouvons sensibiliser.

J'ai aussi mentionné qu'ils sont passés de l'apiculture à l'interactivité. S'ils perdent des abeilles, ça les bouleverse et ça les déprime. Ils peuvent jeter l'éponge, mais nous essayons de nous assurer qu'ils sont proactifs dans leur démarche.

Voici l'exemple que je leur donne toujours. En tant qu'être humain, je dois chaque année consulter mon médecin pour mon bilan de santé annuel. Il verra si mon taux de cholestérol est trop élevé ou si ma tension artérielle est trop forte, et cela me donnera une indication des étapes à suivre pour éviter un infarctus. Tout est là. N'attendez pas de faire une crise cardiaque et d'être transporté à l'urgence en espérant que quelqu'un vous aidera là-bas. Il est facile de changer la perspective qu'ils ont des choses. J'en parle continuellement. Peut-être qu'ils aiment mon accent; en tout cas, ils m'écoutent. Nous travaillons ensemble : c'est une question d'éducation, de diffusion de l'information et de confiance.

Voici la question : si je perds ce produit, que nous importons de France aujourd'hui, que nous reste-t-il? Rien. Voilà pourquoi il faut aller de l'avant et avoir cette sécurité.

Les agriculteurs disposent d'une grande variété de pesticides parmi lesquels choisir. Dans notre cas, même les entreprises de produits chimiques ne s'intéressent pas à notre secteur puisque nous sommes trop petits, et que pour eux l'investissement ne vaut pas la peine. Au cours des quatre dernières années, à cause des néonicotinoïdes, et parce qu'on essayait de les convaincre de les utiliser de façon sécuritaire, ces entreprises nous ont dit : « Nous ne sommes pas à la veille de développer un autre produit pour les abeilles, parce que vous êtes toujours en train de nous harceler. » Il faut changer notre façon de faire.

Le sénateur Robichaud : Répétez cela s'il vous plaît.

M. Nasr : Ils ne veulent plus développer de produits pour la santé des abeilles, parce qu'ils sont mécontents du fait que les apiculteurs se plaignent que le maïs, le soja et le canola sont en train de tuer leurs abeilles.

À l'heure actuelle, nous nous retrouvons dans le pétrin. J'ai essayé de collaborer, et nous devons continuer à collaborer afin de montrer que nous ne sommes pas ennemis. Je leur répète toujours : si un agriculteur n'a pas d'abeilles pour polliniser ses bleuets et récolter, il ne pourra pas payer sa facture de pesticides. Il nous faut des abeilles pour la production afin qu'ils puissent payer leurs factures. Voilà le genre de culture qu'il nous faut promouvoir, et je reviens à l'idée de la coexistence. On s'entraide.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Bienvenue à nos deux témoins. Vous avez l'air à avoir une grande expérience à l'échelle internationale.

On a appris, dans certains documents, que les liens, par exemple entre les taux de mortalité des abeilles et les pesticides, sont une hypothèse et que ce n'est pas encore certain. On sait par ailleurs que l'acarien varroa au Québec a fait l'objet d'enquêtes de telle sorte que l'hypothèse est presque confirmée, dans ce cas-là. Selon votre expérience, est-ce que les abeilles ailleurs dans le monde sont aussi attaquées par le pesticide, d'autant plus, comme vous le disiez, que la croissance du maïs et du soya est en accélération? Avez-vous appris de l'étranger des choses qu'on pourrait appliquer au Canada?

[Traduction]

M. Nasr : D'après moi, deux problèmes sont liés aux pesticides et aux néonicotinoïdes, qui ont été utilisés pour cultiver le soja, le tournesol et le maïs. Un problème a été créé par la poussière que dégage le semoir, et ça, je le répète toujours, tue directement les abeilles. La poussière atterrit, et les abeilles y sont exposées, et elles en meurent. Ça c'est clair, parce que les pesticides sont conçus pour tuer. Les entreprises essaient de dire que la poussière ne contient pas suffisamment de produits chimiques pour tuer, et refusent d'accepter ce fait. Cependant, en Allemagne, elles l'ont accepté et ont indemnisé les apiculteurs.

L'autre problème, que j'appelle maintenant un faux débat, c'est la toxicité sublétale. L'abeille est exposée à des doses plus petites, mais n'en meurt pas immédiatement. Elle meurt un mois, deux mois ou trois mois plus tard. Qui est responsable? C'est l'apiculteur, qui n'a peut-être pas arrosé les acariens, et la colonie est morte de faim. La dernière chose qu'on veuille admettre, c'est qu'il s'agit en vérité de la toxicité sublétale. En savons-nous assez à ce sujet? Pas vraiment. C'est le genre de recherche que nous souhaitons entreprendre depuis quatre ou cinq ans pour tirer tout cela au clair.

Travailler avec l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire fait partie de nos responsabilités. Il me semble qu'il ne faut pas seulement évaluer un produit sur la vitesse à laquelle il peut tuer un insecte. Des doses létales de toxicité peuvent tuer 50 p. 100 des insectes. Apportez les insectes, exposez-les, gardez-les pendant 24 heures, et ensuite déterminez quel pourcentage a été tué. C'était l'ancienne façon de faire.

Lorsque j'étais en Californie, nous avons fait beaucoup de recherche sur le niveau de toxicité. Cette question n'est plus assez d'actualité. On parle maintenant du montant de cholestérol consommé chaque jour, qui va augmenter le niveau de cholestérol et donc les chances d'une crise cardiaque. Chez les humains, le cholestérol est donc d'une toxicité sublétale qui fait en sorte qu'on meurt plus rapidement. Nous devons donc évaluer la toxicité sublétale de tous les pesticides sur le marché. C'est devenu un élément clé.

Le sénateur Robichaud : Cette question s'inscrit dans la lignée de vos propos sur la recherche faite sur les pesticides. L'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire a rassuré les producteurs, leur disant que les pesticides pouvaient être utilisés en toute sécurité. Mais on nous a appris la semaine dernière que la recherche, il me semble, datait d'il y a 10 ans. Le temps est donc venu de revoir ces données pour déterminer quels ont été les effets, n'est-ce pas? Les résidus restent là pendant combien de temps? Les résidus s'accumulent dans les ruches. Il est possible que la situation a tout à fait changé, n'est-ce pas?

M. Nasr : Certainement. C'est intéressant. Partout au monde, on commence à réexaminer toutes ces données en vue de déterminer la toxicité sublétale et la toxicité à long terme.

Je voudrais ajouter autre chose : la plupart des recherches cherche à déterminer la sécurité sur un ou deux ans. Cependant, certains pesticides restent dans le sol et la terre pendant quatre ou cinq ans. Ils s'accumulent au fil des ans. Alors, la situation est de plus en plus dynamique. Il nous faut une évaluation des effets secondaires à long terme, tous les 5 ou 10 ans et non tous les 20 ans, parce que la situation change d'année en année. Il faut mieux surveiller la situation.

La sénatrice Eaton : Monsieur Denluck, n'hésitez pas de nous envoyer vos idées. Comment pouvons-nous encourager davantage de recherche en génétique pour nous permettre d'élever des abeilles qui pourraient mieux hiverner dans les diverses régions de notre pays?

M. Denluck : Une réponse courte serait qu'il faut plus d'argent. Nous avons un chercheur de pointe, M. Leonard Foster, qui se penche sur cette question. Le Canada est très grand et comprend des régions très variées. Il faut effectuer la recherche dans plusieurs endroits différents pour trouver un résultat approprié, et c'est ce que nous n'avons pas encore suffisamment fait.

Le président : Je remercie les témoins de leurs opinions et de leurs points de vue.

(La séance est levée.)


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