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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 6 - Témoignages du 4 mars 2014


OTTAWA, le mardi 4 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 18 h 37, pour poursuivre son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliment et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

Je m'appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. Avant qu'on ne présente officiellement nos témoins, je demanderai aux sénateurs de se présenter, en commençant par notre vice-président.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Merchant : Je suis Pana Merchant, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Rivard : Sénateur Michel Rivard, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l'Ontario.

La sénatrice Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je remercie énormément les témoins d'avoir accepté notre invitation. Il ne fait aucun doute que vos opinions et vos observations cadreront avec l'ordre de renvoi qui nous a été dévolu par le Sénat du Canada, à savoir que le Comité de l'agriculture et des forêts soit autorisé par le Sénat du Canada à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada. Plus particulièrement, le comité sera autorisé à étudier divers sujets touchant à la santé des abeilles et à recommander les stratégies que peuvent adopter les gouvernements, les producteurs, les intervenants et l'industrie pour assurer la santé des abeilles.

Honorables collègues, je tiens à souhaiter officiellement la bienvenue aux témoins. Nous recevons Lindsay Dault, propriétaire/exploitante de Urban Bee Supplies and Education, de même que Eliese Watson, fondatrice d'Apiaries and Bees for Communities, et Gillian Leitch, membre du Comité des emplacements de la Coopérative des apiculteurs de Toronto.

Le greffier m'informe que la première à prendre la parole sera Mme Dault, suivie de Mme Watson et de Mme Leitch. Après vos exposés, nous vous poserons des questions.

Lindsay Dault, propriétaire/exploitante, Urban Bee Supplies and Education : Je dirige une entreprise qui fournit du matériel d'apiculture, donc je travaille avec de nombreux apiculteurs urbains. Je reçois ainsi beaucoup de rétroaction de partout à Vancouver et dans le Lower Mainland.

J'ai appris que la plupart des abeilles élevées dans les zones urbaines ont tendance à très bien se porter. Elles ne montrent aucun signe de maladie, contrairement à celles des zones rurales.

Ce qui l'explique, c'est qu'elles ont accès à un vaste choix de fleurs. Elles ne sont pas exposées aux pesticides et aux agents fongicides, comme dans d'autres régions. Nombre de mes apiculteurs qui élèvent des abeilles dans les zones urbaines et rurales constatent ces signes du syndrome d'effondrement des colonies. Les abeilles dans ces régions n'ont pas un aussi vaste choix de fleurs, et c'est pour elles soit le festin, soit la famine, c'est-à-dire qu'elles ont soit bien des options, soit rien à manger. Ce serait l'équivalent pour nous de ne pouvoir manger que des bananes pendant trois semaines, puis de n'avoir rien à manger.

Les principaux problèmes chez les abeilles domestiques sont attribuables à la nutrition. Les abeilles ont besoin d'un vaste choix de fleurs pour être en santé et pour lutter contre la maladie. C'est aussi une question de synergie. Si vous avez le rhume et que vous attrapez soudainement une pneumonie, vous risquez d'être vraiment affaiblie par celle-ci. Si les abeilles domestiques sont mal nourries puis attrapent un rhume, cela risque de les tuer. C'est la juxtaposition de ces différents problèmes qui finit par les rendre très malades.

Selon moi, la meilleure chose qu'on puisse faire, c'est de sensibiliser les gens à l'importance de la diversité des options en matière de fleurs, à l'importance de planter différentes fleurs et de promouvoir la biodiversité au sein d'une communauté. Vancouver et d'autres endroits ont très bien réussi, en sensibilisant les résidants à l'importance de planter différentes fleurs pour aider à maintenir la biodiversité.

Les terres agricoles n'ont pas la même biodiversité. Une seule culture recouvre toute la zone cultivable, alors que dans les régions urbaines, les abeilles peuvent s'alimenter à différentes sources. Il est important de fournir une plus grande biodiversité de fleurs.

Je pense qu'il faut également sensibiliser les agriculteurs à l'importance de la santé des abeilles domestiques et des abeilles pollinisatrices pour leurs cultures. Sans elles, sans la nourriture dont elles ont besoin, les cultures ne valent pas autant.

On doit également aussi renseigner les agriculteurs sur l'utilisation des pesticides et leur application en temps opportun, de même que sur la façon de bien les mélanger et les appliquer à leurs cultures, parce que cela a également d'énormes répercussions sur la santé des abeilles, soit les pesticides qu'on trouve dans le sol ou sur les fleurs dont s'alimentent ces insectes.

En gros, nombre des mesures que nous pouvons adopter concernent la sensibilisation, tant des agriculteurs que des résidants des collectivités, ce qui peut faire pencher la balance.

Le président : Merci, madame Dault.

Eliese Watson, fondatrice, Apiaries and Bees for Communities : Bonsoir, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner. J'aimerais remercier le gouvernement du Canada de partager nos préoccupations à l'égard de la santé des abeilles domestiques et des problèmes auxquels sont confrontés tant les producteurs que l'industrie.

En apiculture, nous faisons face à de nouveaux organismes nuisibles et pathogènes de même qu'à une augmentation de leur résistance au traitement. On parle aussi de plus en plus du potentiel croissant de la pollinisation par les abeilles domestiques, tant pour les cultures fruitières que semencières, ainsi que de notre autonomie qui prend lentement de l'ampleur à l'égard des nucléus d'abeilles domestiques et de production de reines.

Je représente aujourd'hui la population croissante d'amateurs et de petits apiculteurs en Alberta et j'aimerais vous faire part de mes stratégies pour maintenir la santé des abeilles domestiques. La sensibilisation croissante au syndrome d'effondrement des colonies et à la perte d'abeilles domestiques commerciales, de même que l'intérêt accru témoigné à l'égard de l'agriculture urbaine ont permis d'accroître considérablement le nombre d'apiculteurs amateurs.

En 2012, l'Alberta comptait le plus grand nombre d'apiculteurs enregistrés depuis 1988. Au cours des 10 dernières années, cette augmentation s'est établie à environ 25 p. 100 et s'est concentrée surtout dans les régions du sud, du centre et du nord-est — soit les régions de la province où on a également constaté la plus grande croissance de la population urbaine. La hausse du nombre d'apiculteurs correspond également à la diminution du nombre de colonies par apiculteur. Bien que cela puisse signifier une tendance vers les opérations commerciales à plus petite échelle, je considère que les données dénotent une augmentation du nombre d'apiculteurs amateurs gérant moins de 10 ruches.

Ma propre expérience appuie cette position. Depuis 2010, Apiaries and Bees for Communities — mon entreprise — a importé plus de 450 colonies pour usage amateur restreint de la région Shuswap de la Colombie-Britannique. On limite ainsi les apiculteurs à deux colonies par achat.

Les amateurs peuvent gérer leurs colonies de façon autonome et durable parce que les profits et les rendements en miel ne sont pas la principale préoccupation. Puisqu'ils peuvent se permettre ce luxe, de nombreux apiculteurs à petite échelle fournissent à leurs ruches des soins conformes à l'éthique et trouvent des façons novatrices et fructueuses d'élever des reines, de réagir aux pathogènes et aux organismes nuisibles dans les ruches, et de créer des systèmes de mentorat et de sensibilisation. J'adhère à ce mouvement.

Cependant, de nombreux apiculteurs amateurs n'ont pas de réseau d'aide et doivent s'en remettre à des sources d'information peu fiables dans les médias sociaux et en ligne, où les renseignements sont souvent discordants et contradictoires. Le manque de ressources au niveau provincial signifie également que ces amateurs s'occupent d'abeilles domestiques sans réglementation ni observation. Ce sont plutôt les municipalités qui sont chargées d'établir des règlements concernant l'apiculture, sans véritable contribution de la part des intérêts apicoles commerciaux ou des organismes provinciaux.

Ainsi, de nombreux apiculteurs commerciaux s'inquiètent vraiment de l'augmentation du nombre d'apiculteurs amateurs qui favorisera la gestion mal informée des ruches sans préoccupation de l'éthique, ce qui causera une propagation des pathogènes et des ravageurs des abeilles communes des colonies d'amateurs vers les colonies commerciales. La dichotomie des intérêts entre les professionnels et les amateurs a paralysé les communications au détriment de l'industrie entière.

Un de mes amis m'a déjà dit que la clé d'un débat, c'est d'aller au cœur du sujet et se demander quelle est la vraie question.

D'après moi, le talon d'Achille du lien entre la gestion par des amateurs et la gestion commerciale, c'est l'accès à l'information. Dans leur pratique de l'apiculture, les amateurs, premièrement, ne connaissent pas les clubs ou les organisations locaux d'apiculture ou n'y ont pas accès; deuxièmement, les clubs dont ils sont membres ou qu'ils lancent ne peuvent s'adapter à la croissance annuelle du nombre d'apiculteurs; troisièmement, les discussions entre les professionnels et les amateurs ne sont pas favorisées de façon significative par les commissions provinciales. Cela est habituellement dû au manque d'organisation des apiculteurs amateurs, ce qui empêche la création de liens et la collaboration, validant ainsi les peurs et les doutes des apiculteurs commerciaux concernant l'état de la situation du groupe d'amateurs.

Je ne crois pas que l'on doive faire plus pression sur les apiculteurs commerciaux. J'estime plutôt que les amateurs devraient être responsables de leurs actions et sont entièrement capables d'établir des liens entre leurs activités et les entreprises commerciales. Après tout, c'est un loisir, pas leur gagne-pain, et ils devraient donc avoir le temps et les ressources pour s'en occuper.

Depuis 2010, j'ai participé à des projets, à des clubs et à des programmes éducatifs amateurs en apiculture au Colorado, dans l'État de New York, au Massachusetts, en Oregon, en Californie et en Arizona. Je me suis penchée sur des questions de densité de la population humaine, d'accès au butinage pour le développement d'abeilles communes en santé et de consultations avec les villes et les collectivités sur la bonne gestion de la réglementation municipale des abeilles.

Grâce à mon expérience auprès d'entreprises commerciales et de petites organisations urbaines d'apiculture, j'ai élaboré une stratégie pour que les discussions stériles entre les apiculteurs amateurs et commerciaux portent fruit afin d'atténuer les risques pour les deux groupes et d'augmenter la capacité de l'industrie et du mouvement urbain d'apiculture de s'adapter. La stratégie comporte six étapes : donner de l'information; offrir un forum de discussion; collaborer; favoriser le mentorat; mettre l'accent sur la communication entre voisins; tabler sur la reproduction. Il y en a une illustration au dos du document que vous avez reçu.

Mes recommandations s'appliquent surtout à la première étape consistant à donner de l'information. J'offre des conseils sur la façon d'atténuer les risques de propager les maladies et les ravageurs, les réussites et les échecs des nouvelles pratiques de gestion, l'augmentation de l'autosuffisance par la connaissance des besoins des autres apiculteurs du voisinage et la réponse à ces besoins.

Premièrement, je pense qu'il nous serait tous utile de créer un comité de discussion national afin que les apiculteurs amateurs et commerciaux échangent l'information. Cela peut comprendre des publications d'instituts de recherche et d'universités, des statistiques et des publications provinciales, de même que des possibilités pour les clubs de communiquer et d'être informés des problèmes et du développement urbain et rural. Notre organisation finance présentement la production d'un site qui pourra être utilisé gratuitement par les apiculteurs du centre et du sud, « The Community Hive », qui a attiré plus de 300 membres depuis 2011, c'est-à-dire plus du tiers des apiculteurs inscrits en Alberta.

Deuxièmement, un programme de planification stratégique devrait être offert aux clubs et aux organisations d'apiculture, lequel comprendrait des outils pour accroître la productivité du programme de mentorat; la réglementation de l'achat de colonies par les membres du groupe auprès de producteurs commerciaux locaux; des lignes directrices pour la création d'ateliers sur la gestion des ruches, la prévention des maladies et leur traitement. Ces programmes pourraient fournir des statistiques sur la santé et la gestion des abeilles communes dans les régions urbaines pour la surveillance provinciale et réduiraient également le nombre de visites des inspecteurs régionaux dans les ruchers urbains tout en permettant de surveiller le mouvement des pathogènes et des ravageurs dans les ruchers d'amateur.

Enfin, les apiculteurs commerciaux qui veulent diversifier leurs activités pourraient établir des liens avec les clubs et les organisations locaux pour offrir des programmes éducatifs, des visites de sites et des ateliers sur le terrain. J'ai bâti mon entreprise sur ce modèle et j'ai connu une croissance de 300 p. 100 en trois ans sans dépendre de la vente ou de la production de miel.

J'ai peur que, sans ce lien général entre les apiculteurs commerciaux et amateurs, les différences entre la pratique et l'opinion en gestion des abeilles limiteront les possibilités de résilience pour l'industrie face à la propagation des maladies et au suivi. Je crois que l'augmentation du nombre d'apiculteurs amateurs et à petite échelle se poursuivra et, si elle est bien gérée, elle pourrait déboucher sur des programmes de reproduction de qualité, une augmentation de la production de colonies de base et l'autosuffisance.

Le Minnesota a suivi ce programme. L'Université du Minnesota a établi des partenariats avec les apiculteurs amateurs, et le programme connaît beaucoup de succès.

En plus de renforcer la demande de l'industrie pour la pollinisation de cultures de fruits et de semences, je crois que les apiculteurs amateurs sont en mesure de travailler dans des laboratoires satellites, pour essayer de nouveaux produits, de nouvelles techniques de gestion des abeilles ou des pratiques de lutte anti parasitaires intégrées, ainsi que recueillir des données ou faire l'échantillonnage de colonies.

Les amateurs peuvent et devraient être perçus comme une ressource pour l'industrie puisqu'ils ont généralement la formation, le temps et l'intérêt pour répondre aux exigences en matière de recherche s'ils sont organisés, reconnus et appuyés par l'industrie.

Merci de m'avoir invitée à vous présenter mes idées. Je suis prête à répondre à vos questions.

Le président : Merci.

Madame Leitch, s'il vous plaît.

Gillian Leitch, membre du Comité des emplacements, Coopérative des apiculteurs de Toronto : Merci de nous donner l'occasion de comparaître devant vous. Nous croyons que le travail du comité est fantastique, et nous vous sommes très reconnaissants d'avoir choisi un point de vue aussi général pour votre étude.

Notre point de vue est également unique. Nous sommes une petite coopérative à Toronto. Nous avons débuté vers 2002. En 1985, Art Eggleton a participé à la création de FoodShare afin de créer un projet d'agriculture urbaine. Cette organisation est maintenant très solide. En 2001, leurs premiers pas en agriculture ont mené à la création de la coopérative des apiculteurs de Toronto. Nous avons maintenant 50 membres.

Comme on l'a déjà dit, les taux de mortalité sont très faibles comparativement à ceux de nos partenaires ruraux, nos collègues apiculteurs des régions rurales. Au cours des cinq dernières années, nous avons eu un taux de mortalité moyen de 15 p. 100. Alors, il est très différent de celui dans les régions rurales.

Non seulement nous sommes des amateurs, mais nos pratiques reflètent qu'il s'agit d'un loisir plutôt qu'un gagne- pain axé sur la production de miel.

De plus, nous avons été très chanceux d'avoir eu des maires visionnaires. En 2003, nous n'utilisions déjà plus de pesticides. Les pesticides utilisés à des fins esthétiques ont été interdits à Toronto cinq ans avant que la province fasse de même.

Malgré cela, l'environnement urbain reste extrêmement dangereux pour les abeilles. Ce n'est pas facile pour elles de butiner à cause des zones industrielles et de la circulation piétonnière. Il y a à Toronto une industrie naissante de toits verts, mais cela aussi présente des risques. Ils sont très attirants pour les abeilles, mais il y a des risques concernant l'effet d'îlot de chaleur au centre-ville. Les abeilles établissent leur habitat sur un toit, mais pendant les grandes chaleurs de l'été, elles ne survivent pas à ces températures intenses. Il n'y a pas nécessairement d'accès à l'eau dans ces milieux. Alors, nous travaillons en étroite collaboration avec des chercheurs sur les abeilles sauvages pour examiner le comportement des abeilles sur ces toits. Est-ce qu'elles descendent au niveau de la rue avant de changer d'endroit? Ces milieux sont assez isolés. Ce sont comme des oasis. Donc, nous faisons beaucoup d'efforts pour que la population participe à l'établissement de liens entre ces endroits.

Je participe à un projet intitulé Homegrown National Park qui est parrainé par la Fondation David Suzuki. Nous visons à aider les propriétaires domiciliaires à repérer les petites zones disparates de leur collectivité et de les relier afin de créer un couloir de pollinisation.

Notre coopérative prend très au sérieux ce genre d'initiative de sensibilisation. Nous nous efforçons de promouvoir des pratiques exemplaires adéquates pour l'élevage des abeilles et nous sensibilisons aussi le grand public au rôle des abeilles dans la situation alimentaire mondiale. Elles font partie intégrante du système alimentaire. Nous n'aurions pas les aliments que nous mangeons, sans les abeilles, et c'est la raison pour laquelle nous faisons des abeilles sauvages notre centre d'intérêt.

Il y a trois aspects pour lesquels les changements nous préoccupent. Le premier a trait au fait qu'en Ontario, nous avons la Loi sur l'apiculture, qui nous restreint à avoir des ruches à plus de 30 mètres des limites de notre propriété. C'est quelque chose de très difficile pour les apiculteurs en milieu urbain. La plupart d'entre nous n'ont pas de propriété suffisamment grande pour se permettre de respecter cette distance de 30 mètres.

Notre coopérative serait beaucoup plus grande. Nous comptons 50 membres. Nous serions d'une taille beaucoup plus grande si nous n'avions pas cet obstacle. Nous serions en mesure d'avoir un bien plus grand nombre de sites au sein de notre coopérative. C'est l'une des limites que nous aimerions voir changer.

Comme je l'ai dit, nous sommes très préoccupés par la situation des abeilles sauvages. Bien que nous ayons d'excellents fourrages à Toronto, bon nombre de nos jardiniers de Toronto sont très conscients de la situation et sèment des plantes favorables à la pollinisation. Mais les abeilles sauvages ont changé au fil de l'évolution de nos plantes indigènes, et nous devons faire de la promotion et de la sensibilisation auprès du public concernant les plantes indigènes et l'habitat des abeilles sauvages, de même que le fourrage qui leur est favorable. Nous sommes très encouragés par le fait que le ministère des Ressources naturelles ait éliminé l'asclépiade de sa liste de plantes toxiques.

Il nous faut des plantes indigènes, nous devons en faire la promotion et informer les gens des raisons pour lesquelles elles sont importantes. Il faut que les fleurs sauvages et les plantes indigènes soient réintroduites sur le bord de nos routes. Nous devons les voir dans les friches. Elles devraient être plantées selon un principe de rotation des cultures. Elles devraient être permises. On veut les voir pousser sur les accotements.

Ce qui nous préoccupe, bien sûr, c'est que nos collègues apiculteurs en milieu rural connaissent ces pertes dramatiques — par exemple, 70 p. 100 de pertes à Durham, en Ontario. Il s'agit de régions où l'on trouve des cultures de maïs et de soja. On envisage donc la piste des néonicotinoïdes, et cela nous fait vraiment peur.

Cela a différentes répercussions sur nous, en tant qu'amateurs. Cela nous empêche de devenir des apiculteurs professionnels. Même si nous avons toute cette aide grâce à des pratiques exemplaires, ces chiffres alarmants nous font peur, et à juste titre. Nous sommes estomaqués de constater que ces néonicotinoïdes ont été détectés dans des plantes indigènes avoisinantes. Les plantes de culture poussent à l'aide de ce produit chimique et l'intègrent, ce qui permet à ce produit chimique d'entrer dans l'ensemble du milieu, y compris le réseau hydrographique. Les abeilles domestiques et sauvages entrent en contact avec cette eau. Elles entrent en contact avec ces néonicotinoïdes présents dans l'eau, mais ceux-ci sont aussi présents dans les plantes indigènes, et il semble donc que cela empoisonne les plantes autres que les plantes de culture. C'est très préoccupant.

Nous avons entendu des histoires de réussite concernant notamment les cultures de bleuets et la nécessité d'avoir davantage d'apiculteurs en mesure d'assurer la viabilité de ces cultures. Nous ne voulons pas que ces agriculteurs se tournent vers les États-Unis pour trouver des apiculteurs qui puissent s'occuper de la pollinisation de ces cultures. Nous serons en mesure de le faire si nous avons la capacité de ne pas nous limiter à de l'apiculture d'amateurs. C'est un autre de nos obstacles.

Nous aimerions vraiment concentrer nos efforts sur la collecte d'information, mais l'une de nos plus grandes préoccupations, c'est que nous souhaitons ne plus voir sur le marché de produit qui n'ait pas fait l'objet de tests pour les abeilles. Pour Monsanto, Bayer et Syngenta, ces produits ont été commercialisés sans même que des tests n'aient été effectués pour savoir s'ils allaient entraîner de la mortalité chez les abeilles, et c'est une grande préoccupation pour nous. Nous aimerions que ces produits fassent l'objet de tests afin que nous ayons davantage de contrôle sur ce qui est mis en marché.

C'est le moment de l'année où les apiculteurs sont très inquiets. Nous sommes extrêmement inquiets du nombre que nous allons avoir au printemps car nous avons connu un hiver terrible en Ontario.

Nous apprécions énormément le fait que vous ayez accepté de nous entendre et que le Sénat ait accepté de nous permettre de comparaître. Cela nous donne beaucoup d'espoir. Merci beaucoup.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup de votre présence, à vous trois. Vos exposés ont été très enrichissants. Ils se penchent sur un aspect de l'industrie que nous n'avons pas encore examiné. C'est important.

Peut-être que quelqu'un pourrait mettre les choses un peu plus en contexte pour moi. Quel est le nombre d'apiculteurs en milieu urbain dans l'ensemble du pays? Je sais que vous ne venez pas tous du même endroit, mais y a-t- il une estimation du nombre d'apiculteurs urbains que nous avons?

Mme Watson : Je peux vous dire ce qu'il en est de l'Alberta. Medhat Nasser est venu comparaître devant votre comité plus tôt en février. C'est notre apiculteur provincial. Lors de l'assemblée générale annuelle de l'Association des apiculteurs de l'Alberta, en novembre, je crois qu'il a dit — et je vous le dirai de mémoire car je ne le trouve pas dans mes notes — que plus de 90 p. 100 des ruches de l'Alberta sont gérées par environ 12 apiculteurs. L'Alberta est la cinquième région productrice de miel dans le monde, et le Canada compte parmi les 20 plus grands producteurs de miel en général. Les dernières années se sont soldées par des rendements plutôt faibles. Je ne sais pas si ce sont des renseignements que l'on vous a donnés.

Afin d'être considéré comme apiculteur commercial en Alberta, il faut avoir plus de 200 à 600 colonies pour être considéré comme apiculteur commercial, mais d'autres provinces considèrent qu'avec 200 colonies, on constitue une entreprise commerciale. Pour nous, amateurs, je dirais qu'environ 25 p. 100 des apiculteurs de notre province possèdent moins de 200 ruches, au moins. Nous comptons 883 apiculteurs enregistrés. Cependant, les chiffres qui parviennent à notre commission portent sur des apiculteurs enregistrés, et le problème, c'est qu'un grand nombre d'amateurs, surtout dans des municipalités où l'apiculture est illégale, ont peur de s'enregistrer auprès de la province. Ils pensent qu'il y a des liens forts entre la Beekeepers Commission of Alberta et la réglementation municipale, et nous savons très bien que cela n'est pas le cas. On craint énormément que ce type de renseignements puisse être diffusé et qu'on puisse leur enlever leurs abeilles. Je pense qu'il y a beaucoup plus d'amateurs dans ma province que l'indique le nombre d'amateurs enregistrés.

Mme Leitch : Je dirais qu'il est certain que nous aurions été en mesure de faire pratiquement doubler le nombre de nos membres chaque année. Nous connaissons une énorme demande, nous recevons un énorme nombre de demandes d'adhésion à la coopérative. Le problème, c'est que nous n'avons pas suffisamment d'emplacements pour avoir suffisamment de ruches pour répondre à la demande d'autant de gens. Au cours des deux dernières années, des gens qui ont tenté de se joindre à notre coop et qui n'ont pas été en mesure de le faire sont partis et ont démarré d'autres associations. Ainsi, il y a la Urban Toronto Beekeepers Association et des groupes comme à l'Université de Toronto, par exemple, qui a son propre groupe d'apiculteurs. Chacun de ces groupes fait de son mieux pour s'assurer que sont diffusés les renseignements justes concernant l'entretien et les pratiques exemplaires. Nous savons qu'un grand nombre de gens prennent l'initiative en ce sens, et cela nous préoccupe beaucoup car cela aura des répercussions sur la santé générale des abeilles.

Mme Dault : À Vancouver, on peut élever des abeilles dans à peu près tous les endroits, d'où le nombre élevé d'apiculteurs urbains dans la province. Je n'aurais pas les chiffres précis. J'ai essayé de me renseigner, sans succès, mais de 70 à 80 p. 100 de nos apiculteurs évoluent en milieu urbain. Ils ont de une à 15 ruches, ce qui est relativement petit. Nous avons très peu d'exploitations de grande envergure.

Le sénateur Mercer : Très bien. Si vous obtenez des chiffres plus fiables selon vous, n'hésitez pas à les envoyer au greffier pour que nous puissions en tenir compte dans cette étude.

Les apiculteurs urbains produisent-ils du miel pour eux ou le vendent-ils à des industriels?

Mme Dault : Je dirais qu'ils en produisent pour eux et qu'ils en vendent à leur famille. C'est généralement le cas des apiculteurs urbains.

Le sénateur Mercer : On pourrait dire une industrie artisanale?

Mme Dault : Oui, il ne s'agit pas de production à grande échelle.

Mme Watson : Cela dépend de la réglementation provinciale sur les ventes à la ferme. Chaque province a sa propre réglementation. En Colombie-Britannique, par exemple, si l'on répond aux normes générales de l'ACIA concernant la réglementation des marchés agricoles, on peut vendre son miel chez un détaillant. Un apiculteur comme Bill Stagg, dans la région de Shuswap, vend son miel au dépanneur du coin. Le détaillant vend son miel pour lui. La réglementation de l'ACIA en Alberta interdit la revente d'un produit à moins qu'il ait fait l'objet d'une inspection de l'ACIA. Il faut prendre des échantillons et assurer un suivi au cas où il y aurait une enquête sur la qualité d'un produit. Ce n'est pas facile. On peut vendre son miel directement soi-même ou au marché, mais pour que je puisse le vendre au marché local, il faut que je réponde aux mêmes critères que les apiculteurs qui vendent à l'étranger ou aux industriels. C'est extrêmement difficile d'avoir une véritable industrie artisanale dans ces conditions. Je sais que la province de l'Alberta souhaite se repencher sur cette industrie artisanale, étant donné l'essor qu'elle connaît et l'intérêt qu'elle suscite.

Le sénateur Mercer : Bien d'autres témoins nous ont parlé de la préparation des abeilles pour l'hiver, et nous comprenons comment cela se fait dans de grandes exploitations. Comment préparez-vous les abeilles pour l'hiver en ville?

Mme Leitch : Nous utilisons un couvre-ruche. C'est très mignon, un peu comme un couvre-théière. Je ne suis pas sûre du matériau à l'intérieur, mais on dirait un gros sac de poubelle noir, fait d'un plastique très épais. C'est un matériau constitué de fibres. On en recouvre la ruche. La housse est munie d'une bouche d'air avec des sciures de bois par-dessus pour enlever l'humidité. La ruche est censée être placée à l'abri du vent. Si elle est sur un toit, elle est exposée au soleil le matin et protégée du vent par un parapet.

Mme Dault : C'est tout à fait différent pour nous. On ne jouit pas du beau temps que vous avez ici.

Le sénateur Mercer : Oui, merci de nous le rappeler.

Mme Dault : Certains ne font rien, d'autres l'enveloppent tout simplement dans un papier noir goudronné pour absorber la chaleur quand il fait beau, ce qui n'arrive pas souvent.

Mme Watson : En Alberta, l'hibernation se fait généralement à l'extérieur. Certains apiculteurs à grande échelle dans la région de la rivière de la Paix font hiverner leurs abeilles à l'intérieur dans des environnements à des niveaux d'humidité et de température contrôlés, mais en général, cela se fait à l'extérieur. Nos hivers sont longs, et le printemps est arrivé très tard au cours des dernières années. L'Alberta a su limiter ses pertes à 30 p. 100 et maintenir une bonne qualité de produits en veillant à ce qu'il y ait assez de miel dans les ruches pour qu'une colonie puisse survivre à un printemps tardif, soit de 65 à 80 livres de miel par ruche. À titre d'apiculteurs artisanaux, nous suivons cette même pratique. Si la ruche est humide, les abeilles meurent pendant l'hiver. L'humidité est un problème étant donné le chinook et le temps doux que l'on connaît parfois en plein milieu d'hiver. Certaines régions de la province connaissent d'autres difficultés. En zone urbaine, nous essayons de gérer nos ruches comme le font les industriels. Dans notre province, nous avons de bonnes pratiques à cet égard.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup. C'est passionnant.

Madame Watson, vous avez dit que nous pourrions avoir de bons programmes d'élevage d'abeilles si on les gérait correctement. Pourriez-vous nous en parler et nous expliquer les nucléus améliorés? D'autres témoins nous ont dit que nous importions beaucoup. Ouvrir la frontière, la garder fermée, cela semble faire polémique. Ce serait bien si on pouvait produire plus d'abeilles au Canada.

Mme Watson : Tout à fait. Je suis très heureuse que vous ayez soulevé cette question, sénatrice Eaton.

On compte essentiellement quelques programmes. À l'Université du Minnesota, Marla Spivak, une apicultrice tristement célèbre de cette institution, a créé l'abeille hygiénique sensible au varroa, également appelée VSH. Il s'agit en gros d'une méthode d'insémination artificielle et d'élevage de reines qui favorise certains traits. La reine ainsi produite essaiera d'éliminer les varroas.

J'ai parcouru certains des autres exposés. Je pense que M. Guzman, tout comme les représentants du centre diagnostic, vous a parlé des varroas et des difficultés qu'ils posent pour les colonies. Ces abeilles sont capables de dénicher des acariens sous la cellule, d'en extraire les larves mortes et d'adopter ainsi un comportement plus hygiénique. Le système immunitaire de l'ensemble de la colonie s'en trouve amélioré.

L'avantage de ce programme, c'est l'équipe appelée Bee Squad, composée des étudiants diplômés qui travaillent au laboratoire au Minnesota. Ils fournissent ces abeilles aux apiculteurs artisanaux et collaborent avec eux. Si vous souhaitez de l'information sur le fonctionnement de ces projets, il s'agit là d'un bon exemple.

Il y a également d'autres programmes sur les abeilles. Je connais notamment Heather Higo qui travaille à l'Université de la Colombie-Britannique. Vous avez probablement déjà entendu le témoignage d'un représentant de cette université. Cela fait déjà trois ans qu'on y fait de la recherche sur les reines chercheuses d'acariens dans l'Ouest du Canada. On les a ramenées au laboratoire pour effectuer des tests. Ces reines ont maintenant été renvoyées aux apiculteurs, et je crois que les résultats de la recherche seront publiés au printemps.

Maintenant, des apiculteurs commerciaux participent directement à la gestion de ces ruches. Selon les échos que j'ai eus du secteur commercial et des exploitations à grande échelle — en Alberta, nous nous occupons des abeilles pendant cinq mois en été —, il peut être extrêmement difficile dans ce cours délai de produire suffisamment de miel, de remplir les formulaires et d'inspecter les ruches pour satisfaire aux critères de la recherche. Prenez par exemple un échantillon d'apiculteurs artisanaux qui vivent dans la même région démographique. Si l'on étudie la gestion de la production des reines avec 20 apiculteurs qui s'occupent de 20 ruches, on peut obtenir des données exhaustives et fiables. C'est intéressant pour les apiculteurs artisanaux de participer à ce gendre d'études.

La sénatrice Eaton : Vous pourriez devenir de petits laboratoires pour les exploitants commerciaux?

Mme Watson : Tout à fait. C'est un projet viable; j'ai vu que cela fonctionne. Dennis vanEngelsdorp, un apiculteur aux États-Unis, a identifié scientifiquement le syndrome d'effondrement des colonies. Il étudie des échantillons et recueille de l'information en collaborant surtout avec des apiculteurs artisanaux.

Si vous avez plus de ressources, les apiculteurs artisanaux pourraient s'organiser et collaborer avec les industriels. Nous pourrions constituer des échantillons pour les chercheurs et faire avancer la science plus rapidement. Il y a plus de 300 apiculteurs dans la région de Calgary. Pour obtenir des abeilles, tous les apiculteurs doivent réussir un examen en ligne et présenter une demande. Après examen de ces demandes par un conseil, des abeilles sont fournies en fonction des compétences de l'apiculteur. Nous savons qu'ils savent s'occuper de leurs ruches. Ces apiculteurs sont également des mentors pour les apprentis. Si ces artisans pouvaient participer à des projets d'envergure avec une vision à long terme, je pense que les résultats seraient très positifs pour tous.

La sénatrice Eaton : Vous avez dit que vous ne donnez pas aux gens autant de ruches qu'ils le souhaitent. Vous les limitez à deux. Pourquoi? N'y a-t-il pas suffisamment de ruches?

Mme Watson : Non, ce n'est pas ça. Nous obtenons toutes nos abeilles de Bill Stagg, de Shuswap. Il y était inspecteur régional ces six dernières années. Nous entretenons de bonnes relations. Donc, je contrôle le marché pour mes apiculteurs. Nous obtenons quatre ruchettes à nucleus sur cadre ou ruchettes de petite taille.

Nous imposons une limite de deux, car je m'intéresse à la tendance relativement au point de saturation des colonies d'abeilles, puisqu'aucun règlement municipal ne régit l'apiculture. Les municipalités sont en croissance, et c'est dans le cadre de mon travail à New York et à Los Angeles que j'ai compris que le problème résiderait dans le fait que l'apiculture sera légalisée, mais que ni municipalités, ni règlements ne pourront régir, contrôler ou identifier les personnes qui possèdent des abeilles, l'endroit où elles se trouvent ou le rendement des ruches. Il peut y avoir saturation des ruchers commerciaux. Il ne peut y avoir qu'un certain nombre d'abeilles pour une superficie donnée, pour la pollinisation des bleuets ou encore du canola. Une fois cette limite atteinte, les autres abeilles ne sont plus occupées à accomplir le travail souhaité par les céréaliculteurs ou les producteurs de fruits.

Je m'intéresse aux points de saturation et à la production de miel. Pour moi, l'important n'est pas simplement de recueillir les données au sujet des demandeurs afin de veiller à ce qu'ils s'en tiennent à deux colonies par apiculteur car je ne crois pas que l'apiculture artisanale urbaine devrait être consacrée à la production commerciale — mais cela nous permet également de tenir une liste de codes postaux et d'observer la production, afin d'avoir une idée de la concentration d'apiculteurs dans les régions. Lorsque nous constatons que la concentration d'abeilles dépasse une certaine limite, que cela pourrait nuire aux pollinisateurs indigènes de cette localité, nos apiculteurs se sont engagés, par contrat, à agir à titre de mentors, et nous faisons en sorte que les demandes d'abeilles leur soient directement soumises. Les gens ne passent plus par nous pour obtenir des abeilles, nous les jumelons plutôt avec un mentor de leur quartier. Nous leur disons : « À quatre portes de chez vous habite un apiculteur. Voici ses coordonnées. Vous devriez y garder des abeilles ensemble. »

Il est important de promouvoir la mentalité de ruches au sein des collectivités, d'utiliser les abeilles en tant que vecteurs pour le développement de l'esprit communautaire dans les municipalités; il s'agit de favoriser la sécurité alimentaire en ayant recours aux abeilles, mais également de disposer de données concrètes au sujet de l'expansion et du développement de l'apiculture au sein des villes où je travaille.

La sénatrice Merchant : J'aimerais remercier les trois femmes qui sont venues témoigner aujourd'hui. Je sais que ce sujet vous enthousiasme. Qu'est-ce qui incite les citadins à devenir apiculteurs amateurs?

Mme Leitch : C'est un lien avec la nature. Ce besoin de rapport avec la nature se fait terriblement ressentir. Dès qu'on s'intéresse à ces petites bestioles, on en apprend également beaucoup au sujet des plantes qu'elles butinent. Il est facile de se rendre à un centre de jardinage et dire : « Je veux ceci, ceci et cela. » Dès qu'on plante des végétaux favorables au pollinisateur, différentes espèces d'abeilles sauvages visitent notre jardin, et c'est passionnant. C'est un lien avec la nature; nombreux sont ceux qui n'ont même pas d'espace vert chez eux et qui tentent de remédier à ce profond manque de lien avec la nature.

Les abeilles sont en train de nous transmettre un message de premier ordre. Elles sont comme les canaris des mines de charbon. Elles nous transmettent un message haut et fort. C'est la même chose dans plusieurs domaines, avec les questions climatiques et tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés, et les abeilles nous transmettent un message clair. Nous commençons à comprendre qu'il nous faut l'écouter. L'apiculture nous aide à rencontrer les gens qui peuvent nous aider à comprendre. C'est une mine de renseignements utiles.

Mme Dault : Je reçois énormément d'appels de gens qui me disent : « J'aimerais bien aider à sauver les abeilles, que puis-je faire? J'aimerais posséder une ruche. Je veux sauver les abeilles. »

La sénatrice Merchant : Je comprends que les motivations sont multiples. Quel est le coût associé à l'établissement d'une colonie d'abeilles?

Mme Leitch : À Toronto, j'estimerais le coût à environ 500 $ par ruche. Nous suggérons normalement d'en installer deux, car c'est plus logique. L'automne venu, si l'une des deux ruches est mal en point, on peut toujours fusionner les deux. Il est pratique de se lancer en apiculture avec deux ruches. C'est une bonne idée de limiter les particuliers à deux ruches. La plupart des environnements ne pourraient probablement pas en soutenir davantage. Pour deux ruches, il faut calculer environ 1 000 $ pour l'achat des vêtements de protection, des outils, des abeilles et des ruches elles-mêmes.

Mme Watson : Lindsay, vous vendez de l'équipement. Est-ce exact?

Mme Dault : Oui. C'est un investissement de départ qu'on n'a plus à faire par la suite. Il ne reste qu'à acheter des abeilles l'année suivante.

La sénatrice Merchant : Et combien coûterait l'entretien, alors, en plus des frais de démarrage?

Mme Dault : De 100 à 250 $ pour une colonie.

La sénatrice Merchant : Par année?

Mme Dault : Oui, mais seulement si l'on perd sa ruche. De nombreuses personnes, surtout en milieu urbain, réussissent à maintenir leurs abeilles en vie d'une année à l'autre.

Mme Watson : Les abeilles sont prolifiques. Lorsqu'elles survivent à l'hiver, et plus particulièrement si elles sont vigoureuses, une même colonie peut être scindée en huit. Je l'ai moi-même fait plusieurs années consécutives. Malheureusement, lorsque l'on perd sa colonie pendant l'année, le coût d'un ensemble de rechange, qu'il nous parvienne par avion — d'Otaki, en Nouvelle-Zélande, par exemple, puisque 98 p. 100 des abeilles en Alberta proviennent de l'étranger — s'élève à 150 $, frais de livraison compris.

L'ensemble comprend environ deux livres d'abeilles placées dans une boîte en bois ou dans un tube, selon qu'elles proviennent de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, une reine en cage et une boîte d'alimentation. Il suffit de remuer les abeilles dans la boîte. Les apiculteurs commerciaux possèdent normalement des rayons, mais les apiculteurs amateurs qui partent de zéro n'ont habituellement pas de rayon ou ont des rayons en devenir, mais le processus est plus lent.

La première année est consacrée à la production de cire et la deuxième année, à la production d'abeilles. La troisième année, on commence à vraiment obtenir du miel. En apiculture, le démarrage d'entreprise ou encore l'innovation sont des projets à long terme, à l'instar de tout élevage d'animaux ou de formes d'agriculture. La gestion du temps fait partie de l'investissement de départ, compte tenu des recettes issues de la production de miel. Il faut environ trois ans avant d'obtenir un rendement des investissements.

La sénatrice Merchant : C'est un sujet qui m'intéresse, car je viens de la Saskatchewan, région agricole. Nous cherchons toujours à intéresser les jeunes à l'agriculture, afin d'assurer la relève. Selon vous, les apiculteurs amateurs urbains sont-ils plutôt des personnes plus âgées, à la retraite, qui ont davantage de temps à y consacrer, ou s'agit-il de jeunes qui s'y intéressent et qui s'y consacreront probablement pendant un peu plus de temps?

Mme Dault : Je crois que tous les groupes d'âge sont représentés. C'est du moins le cas à Vancouver. J'ai vu des gens se lancer en apiculture à 14 ans, d'autres à 65 ans. J'en ai vu de tous les âges. Il n'y a pas de groupe en particulier. Mais les jeunes qui s'y mettent doivent définitivement occuper un bon emploi, car 1 000 $, à 20 ans, ça représente une somme considérable.

La sénatrice Merchant : Il faut aussi un peu de temps.

Mme Dault : Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un grand investissement de temps. C'est surtout l'argent qui pose problème, je crois.

Mme Watson : Personnellement, je crois que l'apiculture représente probablement l'investissement agricole le plus durable pour les jeunes, car il est possible d'être apiculteur et d'être propriétaire d'une seule acre ou de vivre en ville. Habituellement, on gère les colonies sur la terre d'un autre.

Si on se lance en agriculture, qu'il s'agisse d'une méthode diversifiée ou plus moderne, on choisit de le faire à l'échelle communautaire ou à l'aide de compartiments. Souvent, il faut conclure des ententes d'utilisation des terres et des baux, qui sont très chatouilleux. Si on investit cinq ans de travail pour mettre en valeur le sol, et ensuite le propriétaire décide de le faire lui-même, il ne s'agit pas d'un modèle d'affaires durable. Cela peut donc décourager les jeunes agriculteurs d'investir.

Cependant, l'investissement de démarrage d'un apiculteur pour obtenir 200 ruches, en achetant le terrain d'un apiculteur qui prend sa retraite ou le terrain où se situent les ruches... Il faut compter trois ans avant d'obtenir une récolte, mais en élevage ou en agriculture, il faut du temps pour obtenir une production. Ainsi, l'investissement est mobile aussi.

À l'heure actuelle, j'ai moins de 50 colonies, mais si j'investissais pour obtenir de 200 à 600 colonies, je pourrais signer des contrats de pollinisation. Dans l'est, le deuxième producteur de miel du Nouveau-Brunswick a moins de 1 000 ruches. Les producteurs de bleuets et de canneberges offrent 150 à 160 $ par ruche pour la pollinisation.

Je pense qu'il existe de nombreuses possibilités de répondre à cette demande. Votre province est autosuffisante en matière de production d'abeilles domestiques. Je crois que vous importez moins de 20 p. 100 de vos abeilles au moyen de commandes à l'extérieur de la province. Je crois que la Saskatchewan pourrait devenir un modèle durable qui va entièrement à l'encontre du lobby qui, au Manitoba et en Alberta prône d'ouvrir la frontière pour importer des abeilles et répondre à la demande en matière de pollinisation du canola et des fruits.

Je crois que, si nous faisions des efforts mesurés dans ce domaine, nous pourrions devenir autosuffisants et éviter les pathogènes et les maladies. L'industrie de l'apiculture aux États-Unis — et j'ai visité l'ensemble de ce pays pour travailler à des programmes et cerner des problèmes — s'effondre et elle peine à se redresser. Je ne voudrais absolument pas voir s'effriter le potentiel de notre pays en matière de diversification de l'apiculture et de rendement de production tout simplement parce que nous avons été impatients.

[Français]

Le sénateur Rivard : J'aimerais comparer nos réglementations en ce qui concerne l'opération d'une ruche en région urbaine. J'ai entendu Mme Leitch dire qu'en Ontario, on ne pouvait opérer une ruche urbaine à moins de 30 mètres d'une résidence ou d'un chemin public. Ai-je bien compris? C'est bien 30 mètres?

Dans les autres provinces, en Alberta et en Colombie-Britannique, y a-t-il des règlements comparables en ce qui concerne les distances à respecter?

[Traduction]

Mme Leitch : C'est exact.

[Français]

Le sénateur Rivard : C'est la même chose dans chacune des provinces. Cette réglementation émane-t-elle de la province ou des municipalités concernées?

Mme Leitch : Non, seulement en Ontario, je crois.

Le sénateur Rivard : Donc, en Ontario, c'est la province.

Au Québec, tout propriétaire d'une ruche urbaine doit être enregistré auprès du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation. Il y a un ministère de l'Agriculture dans chacune de vos provinces. Est-ce que c'est ce ministère qui contrôle la réglementation? Est-ce que ce sont des inspecteurs qui passent régulièrement?

[Traduction]

Mme Dault : Ils ne passent pas systématiquement du tout dans notre province. Si vous faites la demande, une inspection s'effectuera. Les apiculteurs commerciaux à grande échelle en font l'objet, mais pas ceux dans les petites zones urbaines.

Mme Watson : À ce que je sache, l'Ontario est l'unique province où la commission a imposé des règlements concernant l'emplacement des ruches et les limites. Je n'ai pas entendu parler, du moins dans les provinces de l'Ouest, d'une telle réglementation découlant d'un mandat provincial.

Je sais qu'habituellement les municipalités sont responsables de la réglementation de l'apiculture sur leur territoire. La ville de Toronto, par exemple, relève de la province, tandis que les villes de Calgary, d'Edmonton ou de Vancouver font l'objet de règlements rigoureux à l'intérieur des limites de leurs villes.

En ce qui concerne les inspections, un problème dans notre province, c'est que plus de 85 à 90 p. 100 de nos populations se trouvent dans la région de la rivière de la Paix, c'est-à-dire au Nord. En raison du nombre d'heures d'ensoleillement et des récoltes nécessitant de la pollinisation, presque l'ensemble de nos activités de recherche et d'inspection s'effectue dans le Nord.

Nous ne pouvons pas vraiment recourir aux inspecteurs au besoin. Donc, nous sommes responsables à cet égard. Personnellement, j'effectue des inspections dans ma ville pour assurer la santé des ruches. Le Calgary and District Bee Club a fait la même chose. Le club demande à des membres d'effectuer ces inspections, mais il s'agit de particuliers. Nous sommes tous indépendants.

Mme Leitch : En réalité, nous jouissons d'un bon appui pour les inspections. En dépit de cette règle des 30 mètres, il existe un excellent rapport entre les inspecteurs et l'Association des apiculteurs de l'Ontario. Je crois donc que certains apiculteurs amateurs ne craindraient pas la visite d'un inspecteur même s'ils enfreignent à la règle des 30 mètres.

La plupart d'entre nous sont préoccupés par la santé de nos ruches et ne veulent pas que les maladies se propagent aux autres ruches. Dans l'ensemble — et c'est clairement ce que nous prônons —, les inspections représentent la meilleure solution et elles sont valables.

[Français]

Le sénateur Rivard : On dit toujours que le Québec est une société distincte. C'est également distinct pour les abeilles. Au Québec, on doit avoir une clôture qui mesure au moins 2,5 mètres de haut et la clôture doit être pleine — on ne peut installer une clôture Frost où les abeilles peuvent passer —, et la distance entre les habitations, au Québec, c'est 4,5 mètres et non 30 mètres. Donc, une fois de plus, le Québec est différent, en ce qui concerne les abeilles, bien sûr.

[Traduction]

Mme Dault : C'est la même situation à Vancouver. Je ne connais pas à quelle distance doit être la clôture, mais il faut qu'il y ait une clôture autour de votre terrain, pas une chaîne, mais une sorte de clôture qui l'entoure, ou bien il faut élever la ruche à huit pieds du sol. C'est la même chose.

Le sénateur Robichaud : Madame Leitch, vous avez indiqué que vos membres s'intéressent aux abeilles sauvages.

Mme Leitch : Absolument.

Le sénateur Robichaud : À combien évaluez-vous leur nombre?

Mme Leitch : De formidables recherches s'effectuent à l'Université de Toronto et à l'Université York. Laurence Packer a écrit Keeping the Bees, un merveilleux ouvrage qui présente de merveilleuses recherches. Scott MacIvor, un de ses étudiants à l'Université York et à l'Université de Toronto, effectue des recherches sur des abeilles sauvages. Il existe des ruches sur l'hôtel Royal York. Scott MacIvor a disséminé, dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, des petites boîtes dans lesquelles s'installent les abeilles sauvages. Ces boîtes permettent l'éclosion des abeilles au printemps et l'identification des abeilles en fonction de leur emplacement. Nous savons qu'il existe 150 espèces d'abeilles à Toronto et plus de 400 dans l'Ontario. C'est donc très important pour nous. Ça représente une partie énorme du processus de pollinisation.

Nous voulons certainement éviter la saturation, trop d'abeilles domestiques dans un lieu pour les populations d'abeilles sauvages. Beaucoup de recherches s'effectuent, et nous souhaitons que cela se continue. L'Université de Guelph effectue également beaucoup de recherches. C'est très important pour nous.

Pour répondre à la question que vous avez posée, les gens sont attirés par un sentiment d'interdépendance très fort. Les abeilles sauvages ont évolué avec nos plantes indigènes. En Ontario, et surtout au sein de notre coop, nous cherchons non seulement à informer les gens au sujet des plantes favorables aux pollinisateurs, mais aussi à mettre l'accent sur les plantes indigènes, parce qu'elles ont évolué ensemble. Les conserver revêt une importance capitale.

Mme Watson : En ce qui concerne les pollinisateurs et les abeilles sauvages, il existe deux groupes importants. Il y a les abeilles solitaires, donc les mégachiles — au sujet desquelles vous avez beaucoup appris — les osmies et les bourdons des champs. Ces abeilles s'installent dans des cavités, dans le sol ou dans le bois en décomposition, utilisant des feuilles ou le sol pour établir leur nid. Elles sont excellentes, parce qu'elles n'ont pas tendance à limiter l'emplacement de leur nid en fonction du territoire. Elles sont très résilientes, réussissant à polliniser même s'il y a une pénurie de nectar.

Ces sites fonctionnent également pour les ammophiles ou guêpes solitaires, qui sont carnivores et qui limitent les populations d'aphidés, de sauterelles et de chenilles. Elles sont également moins territoriales en ce qui concerne la nidification. Donc, si au lieu de guêpes ou de frelons à taches blanches, vous avez dans votre jardin une population en santé d'ammophiles ou d'abeilles, vous aurez probablement un écosystème en bonne santé.

J'ai géré une organisation sans but lucratif qui s'appelait le Community Pollinator Foundation pendant trois ans, mais j'ai dû arrêter. J'avais trop de responsabilités diverses lorsqu'il s'agissait d'abeilles. Nous avons mené un projet qui s'appelait le Bumblebee Rescue and Foster Parent Program. Il y a eu un très grand mouvement en Europe en faveur de la recherche citoyenne. Cela ressemble à ce que je recommande pour la production de nucléus et de reines par des apiculteurs amateurs. On travaille en collaboration avec des gens pour obtenir des objectifs et des statistiques. Cela ressemble à des campagnes d'ornithologie amateur. On ferait la même chose chez les abeilles. On a ainsi réussi à trouver de nouvelles espèces ou des espèces en péril dans de nouveaux sites de nidification ainsi qu'à créer des espaces protégés aux États-Unis.

Dans le cadre du Bumblebee Rescue and Foster Parent Program, nous avions une équipe de 12 bénévoles qui se rassemblaient les samedis. Tout au long de l'année, mais particulièrement au printemps et à la fin de l'été, nous avions un forum en ligne où des gens pouvaient remplir des formulaires pour nous indiquer combien ils avaient d'abeilles. Nous avons reçu à peu près 150 appels lors de notre première saison, ce qui nous a permis d'identifier des populations de bourdons, d'abeilles solitaires, de guêpes et d'abeilles domestiques. Nous avons enlevé 56 nids de bourdons en dessous d'escaliers, de piles de compost et de soffites. Nous avons mis ces nids dans des boîtes en bois et les avons ramenés au Mount Royal University où nous travaillions en collaboration avec Robin Owen. Il collabore avec M. Ralph Cartar à l'Université d'Alberta, au Département d'entomologie. Nous avons réussi à obtenir suffisamment d'argent pour embaucher un étudiant pendant l'été afin d'examiner ces échantillons dans le but d'identifier les espèces d'abeilles et d'évaluer leur santé.

Ensuite, les dimanches, on appelait les gens qui s'étaient dits intéressés. Ils venaient nous voir, et on leur donnait une petite boîte en bois pleine de bourdons. Ils les mettaient dans leur jardin et les bourdons pouvaient ainsi terminer leur cycle de vie sans être empoissonnés ou tués.

Ce qui est génial, c'est que la région de Calgary abrite 12 espèces distinctes de bourdons, ce qui représente la plus grande diversité d'espèces de bourdon dans une seule région dans le monde. Il n'existe que 300 espèces de bourdons, et elles se trouvent surtout au nord de l'équateur. Donc, nous avons une occasion unique de faire de la recherche à long terme dans la région de Kananakis — recherche menée par les universités — sur la santé des abeilles et les partenariats en foresterie, les nouvelles exploitations forestières, la succession végétale primaire et secondaire, et de voir comment les bourdons survivent. Grâce aux données découlant de notre recherche sur les bourdons, nous avons découvert des faits très intéressants en ce qui concerne les taux d'émergence.

Je crois que nous pouvons tirer profit de ce mouvement dans les médias et dans la culture générale. Les gens s'intéressent à la nature. Donc, nous devons créer de façon proactive des programmes pour signaler les réussites en ce qui concerne la santé des pollinisateurs et faire en sorte que ça se reflète sur l'industrie, qu'il s'agisse de la pollinisation par les bourdons ou les mégachiles, des serres, de la luzerne, du canola, et cetera.

J'ai dû annuler le programme parce que je n'arrivais plus à le gérer, mais je continue à recevoir des courriels chaque jour de gens qui s'y intéressent. Le canal Discovery en a parlé.

Mme Leitch : Je préciserais qu'en Ontario nous avons une espèce disparue de bourdons. Ça remonte à je ne sais combien d'années, mais c'était un bourdon très commun, le bourdon à taches rousses. Nous ne l'avons trouvé nulle part. Un des chercheurs dans le laboratoire de M. Laurence Packer l'a cherché. C'est une espèce disparue.

Nous avons 150 espèces d'abeilles sauvages, mais nous sommes en train d'en perdre, de façon plutôt draconienne.

Le sénateur Robichaud : On peut acheter des aérosols avec lesquels il suffit de viser.

Mme Leitch : Oui.

Le sénateur Robichaud : Pendant combien de temps l'effet du poison se fait-il sentir dans l'environnement?

Mme Leitch : Je présume que le produit perd son efficacité en séchant. C'est probablement comme le Roundup : sous forme liquide, les effets néfastes se font sentir dès le contact avec l'organisme. Toutefois, une fois sec, il n'y a probablement pas de résidu. Je n'en suis pas certaine.

Mme Watson : Personnellement, je considère que l'utilisation à des fins esthétiques de traitement ponctuel pour éliminer un problème de guêpe ou de fourmi, tant en milieu urbain que rural, n'est pas vraiment un problème pour la santé des pollinisateurs. Il est plutôt question de l'utilisation généralisée et à grande échelle de produits chimiques.

Je sais que, dans les municipalités autour de nous, on utilise dans les fossés un herbicide appelé Restore. Ce produit est interdit dans l'Union européenne. On voit sa présence systémique sur trois générations : digestion et défécation animales, engrais, production végétale et porteurs constants du produit chimique.

Les produits en vente libre pour le contrôle ponctuel des organismes nuisibles ne sont pas le principal problème.

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé de l'absence de diversité florale en certains endroits. On le constate de chaque côté des autoroutes et le long des terre-pleins centraux. Après un certain temps, on rase tout. Avez-vous jamais proposé qu'on plante des fleurs? Les abeilles auraient ainsi beaucoup de plantes à butiner.

Mme Leitch : Absolument. C'est l'un des principaux points à considérer. J'ai indiqué que le ministère des Ressources naturelles a retiré l'asclépiade de la liste des mauvaises herbes nuisibles. Ces plantes ont leur place le long des routes et des champs cultivés. Lorsque le champ n'est pas cultivé, elles y ont leur place. Elles n'ont pas à être dorlotées. C'est leur environnement, c'est là où elles poussent.

Nous avons cependant modifié l'environnement et les avons presque éradiquées. Or, il faut maintenant les rétablir. Ce ne sera pas une question d'argent, parce qu'elles se débrouilleront sans nous. N'empêchons pas la nature de faire son merveilleux travail.

Nous voulons véritablement attirer l'attention sur le fait que ce ne sont pas que les parcs et les jardins privés broussailleux qui comptent. Les monarques seraient ravis de se poser et d'élever leurs petits le long des allées et des routes.

Cependant, dans tous les États-Unis, Monsanto a créé des herbicides à ce point efficaces que même le long des accotements, ces plantes ne poussent pas. Les monarques meurent effectivement de faim. Ils suivent les asclépiades. Lorsqu'elles s'épuisent au sud, ils montent au nord pour en trouver de plus juteuses. C'est pourquoi ils viennent nous voir. Ils viennent jusqu'à nous pour les asclépiades.

Il faut donc absolument cesser de considérer ces plantes comme des mauvaises herbes. Il s'agit d'une vision archaïque découlant des pratiques agricoles. Or, Toronto n'est plus une zone agricole, mais si vous avez des fleurs sauvages ou indigènes dans votre cour d'entrée, votre voisin peut encore vous demander de les faire couper. Il y a des critères de hauteur, et bien d'autres, concernant l'apparence.

Nous devrions accepter la nature, et c'est cet aspect de notre attitude qu'il faut absolument changer.

Mme Dault : Mark Winston a mené une étude sur la culture de canola et a constaté que, lorsqu'un agriculteur plante du canola sur 100 p. 100 de la superficie, cela lui rapporte 27 000 $. Cependant, s'il plante du canola sur 70 p. 100 et laisse les 30 p. 100 restants non cultivés, cette culture pourrait lui rapporter 65 000 $.

Ce n'est pas que nous devions planter bien des végétaux; nous devons tout simplement fournir un environnement viable aux pollinisateurs qui y habitent.

Mme Watson : Je ne sais pas comment la recherche se fait ici — je n'ai pas de statistiques — mais la Xerces Society, à Portland, aux États-Unis, est une société de conservation des invertébrés. Elle a été visée par la loi agricole américaine de 2008. On offre des déductions d'impôt aux agriculteurs industriels à grande échelle qui plantent des haies pour encourager la pollinisation par les invertébrés. Les agriculteurs du littoral est cultivent surtout des petits fruits et engrangent bien plus de profits, non seulement parce que les abeilles indigènes demeurent sur place, mais aussi parce qu'ils peuvent avoir leurs propres ruches et les conserver à l'année, puisque du nectar est disponible tout au long de l'année, sur place.

Le plus gros problème des monocultures, pour la production de miel, c'est que, dès que la floraison est terminée, une pénurie s'installe et les abeilles commencent à manger le miel que les apiculteurs sont censés vendre; il faut donc se déplacer sinon le rendement diminue énormément.

On effectue maintenant beaucoup de recherches sur l'importance des haies et de la monoculture, mais aussi pour reconnaître l'importance des fleurs qui poussent dans les fossés et de la gestion des coupes.

C'est difficile avec la luzerne et le canola — surtout avec la luzerne. Si on peut obtenir trois récoltes plutôt que deux au cours de la saison, dès le premier jour après la floraison, on récolte, qu'il y ait ou non des apiculteurs dans la région. Il est très difficile de travailler avec les agriculteurs. Cependant, les haies semblent être une option tout à fait prometteuse.

Mme Dault : Où j'habite, à Delta, à Vancouver, on offre également cette subvention aux agriculteurs. C'est la seule municipalité du Lower Mainland à le faire, et cette initiative a remporté un franc succès.

[Français]

Le sénateur Dagenais : C'est intéressant de vous écouter. Comme on dit, vous êtes des fleurs, alors cela fait du bien. Il faut le dire.

Le sénateur Robichaud : Et c'est sans abeilles.

Le sénateur Dagenais : Voyez-vous, cela a mis un peu de... Je m'excuse, monsieur le président. C'est mon petit côté sentimental. Cela arrive à l'occasion.

Quand vous comparez la santé des abeilles urbaines à celle des abeilles des grandes exploitations agricoles, constatez-vous des différences dans les maladies?

[Traduction]

Mme Leitch : Je ne sais pas s'il y a une différence entre la menace des organismes nuisibles et les pesticides. Les risques sont semblables.

On connaît le varroa et tous ces autres virus et dangers, mais nous sommes également confrontés au problème des ilots de chaleur. Les abeilles doivent composer avec les zones industrielles, les rues, et cetera. Nos secteurs sont minuscules et rarement interreliés. Une population pourrait être en santé, mais à cause de la saturation, sa taille normale ne peut être atteinte parce qu'elle habite dans une oasis florale au cœur d'un environnement industriel ou inhospitalier.

Nous sommes incontestablement exposés à tous les mêmes risques que les zones non urbaines, sauf pour les néonicotinoïdes. Cela en dit long pour nous. Une année, nos ruches étaient à Guelph, dans une zone rurale, et nous avons connu des pertes bien plus élevées. Cela en dit long sur les énormes répercussions de la prévalence de néonicotinoïdes et d'agents fongicides.

Mme Watson : À mon avis, cela vaut d'un côté comme de l'autre. Évidemment, surtout étant donné que de nombreux apiculteurs amateurs achètent leurs abeilles auprès d'apiculteurs commerciaux ou les importent d'outre-mer, nous sommes exposés aux mêmes pathogènes et organismes nuisibles que les ruchers commerciaux.

Le point positif chez les apiculteurs amateurs, c'est que leurs outils contaminés par des maladies, comme des champignons, ne sortent pas de leur cour. Si cet apiculteur a deux ruches, les abeilles de celles-ci seront les seules à devenir malades et à mourir. Une exploitation commerciale qui compte 200 ruches et plus peut inspecter de 75 à 200 ruches en une journée et demie. On a alors de la difficulté à détecter et à limiter la transmission de maladies dans un rucher commercial. En outre, les répercussions des pathogènes sont beaucoup plus grandes étant donné que les paiements d'hypothèque dépendent du rendement. Voilà les deux points semblables.

Ce qui m'inquiète, c'est une tendance que j'ai fréquemment constatée chez les amateurs — et vous n'aimerez peut- être pas l'entendre — : ils peuvent inspecter leurs ruches plus souvent. Ils peuvent détecter les maladies s'ils savent reconnaître les symptômes. Le problème, c'est que, s'ils ne voient pas les symptômes, ils ignorent que la maladie est là. De nombreuses maladies, surtout des virus, sont transmises dans une colonie par le varroa, qui se trouve dans toutes les ruches. Je dis à tout le monde de s'y faire : vous en avez. Vous n'élevez pas des abeilles, vous élevez des abeilles et des acariens. Il s'agit de petites bêtes qui accompagnent les abeilles.

Le problème de l'atténuation des risques chez les amateurs, ce sont les éclosions de plus large envergure qui déclenchent un signal d'alarme, les tendances du développement de pathogènes dans les ruchers d'amateur, à moins qu'il ne s'agisse d'un club organisé ou qu'il y ait un leader en mesure de cerner ces facteurs et de sensibiliser les autres à ces maladies.

La loque américaine est une bactérie sporulée qui peut survivre sur du vieux matériel pendant 60 ou même 80 ans. Elle résiste à la chaleur et au froid. Il faut irradier le matériel pour s'en débarrasser. Certains types sont même résistants aux antibiotiques. Certains apiculteurs peuvent se retrouver avec la loque américaine et ignorer pourquoi leurs ruches n'ont pas survécu, à moins que d'autres puissent diffuser des renseignements à cet égard et inspecter les ruches, si un inspecteur peut le faire. Dans ce cas, c'est merveilleux. Autrement, il est extrêmement difficile de faire ces deux suivis en parallèle.

Si le taux de survie de leurs ruches est élevé, c'est excellent. Dans ma collectivité, je ne peux vous donner de statistiques fiables sur le véritable taux de survie pour nos apiculteurs. Ils ne répondent pas au sondage en suffisamment grand nombre pour que je puisse vous donner avec certitude un pourcentage.

Nous faisons toujours face aux mêmes problèmes que les exploitations commerciales, mais à des taux différents.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Les milieux urbains ont beaucoup de fleurs de culture parce que les espaces jardins sont restreints, mais des pesticides sont utilisés sur ces fleurs de culture.

Avez-vous remarqué si ces pesticides ont un effet sur la santé des abeilles?

[Traduction]

Mme Leitch : À Toronto, on vit sans pesticide depuis 2003. Bien qu'il faille du temps pour que les gens se conforment à cette interdiction, elle est en place depuis déjà bien longtemps. En outre, l'Ontario ne permet plus les pesticides à des fins esthétiques depuis 2008, si je ne m'abuse. Nous avons réussi à ce que les gens n'y aient pas recours aussi fréquemment. Il convient de faire remarquer, cependant, que Toronto est une ville incroyable où on trouve de merveilleux jardiniers qui assurent une diversité en plantant au moins trois espèces par saison. Ils plantent en massifs et s'amusent avec les formes et les couleurs. Nous avons des abeilles minuscules comme de très grosses. Alors, il nous faut des fleurs adaptées à leur taille.

Cependant, la recherche montre que l'alimentation et les sources de nectar ne sont pas le seul facteur de limitation et que, en fait, l'accès à l'eau et un sol intact sont également importants. De nombreuses abeilles sauvages sont des abeilles solitaires ou qui font leurs nids. Donc, la création et la conservation de l'habitat pour les abeilles sauvages dans les environnements urbains sont particulièrement importantes.

Comme les projets de toit vert vont de l'avant, nous voulons assurer un accès à l'eau et à des zones d'ombre. On ne veut pas attirer toutes ces abeilles avec plein de fleurs, pour ensuite entraîner leur mort au plus fort de la saison, lorsque la chaleur est trop intense pour elles. Voilà ce dont nous devons tenir compte.

Mme Dault : Dans les zones urbaines, les abeilles ont accès à une bien plus grande variété florale. Donc, elles se portent mieux. Même si elles butinent une fleur où on retrouve un pesticide, elles ne seront peut-être pas aussi touchées que les abeilles des monocultures qui n'ont pas une alimentation aussi variée. On constate un taux de mortalité inférieur à d'autres régions, simplement parce que les abeilles sont au départ en excellente santé.

Mme Watson : Le représentant d'Alberta, M. Scott Meers, a fait un exposé lors de la conférence sur la lutte antiparasitaire intégrée qui s'est tenue à Edmonton en janvier. Il a dit que, dans la culture de canola, on pulvérise de 3 à 7 livres de produits chimiques par acre. Désolée, pour le maïs, on compte de 3 000 à 7 000 livres de néonicotinoïdes pulvérisées par acre. En ville, même si on habite dans une collectivité où le traitement ou la pulvérisation à des fins esthétiques est autorisé, les effets à long terme ne seraient pas aussi grands que dans les monocultures.

J'ai constaté des comportements anormaux dans des ruches après des pluies abondantes dans des zones où l'on a recours à Green Drop ou à des traitements à des fins esthétiques; cependant, il s'agissait de situations anormales, où toutes les conditions étaient réunies, en quelque sorte. De façon générale, je n'ai vu aucun signe d'empoisonnement, hormis dans d'étranges conditions.

[Français]

Le sénateur Maltais : Quel goût a le miel produit dans les villes? Est-il aussi bon que le miel produit dans les grandes surfaces? Quand le mettrez-vous sur le marché?

Vous avez parlé d'un taux de 15 p. 100 de mortalité, ce qui est vraiment inférieur à celui des grands producteurs, des grands apiculteurs. Je ne crois pas que vous soyez déficitaire.

Les apiculteurs urbains américains sont-ils couverts par le Farm Bill?

[Traduction]

Mme Watson : Je ne suis pas certaine que la loi agricole américaine s'applique à l'apiculture.

En ce qui concerne la conservation des invertébrés, la Xerces Society a travaillé conjointement en 2008. Je ne sais pas exactement ce qui figure dans la nouvelle loi agricole puisque le sénat américain s'en donne à cœur joie. N'êtes-vous pas contents de ne pas faire partie du sénat américain?

Quant au rendement et au goût, surtout en Alberta, c'est très différent. Le canola fait partie du genre Brassica — c'est-à-dire qu'il fait partie de la famille des choux. Si vous avez déjà traversé un champ de canola ou été sous le vent, vous avez remarqué son odeur âcre. La pollinisation du canola est très difficile à gérer pour les apiculteurs, parce que, une fois les alvéoles de la ruche remplies de miel et operculées — pour que le miel atteigne une teneur en eau de 14 à 21 p. 100, soit la texture parfaite —, le miel de canola cristallisera dans les alvéoles de cire en moins de deux semaines selon la température. Les apiculteurs qui s'occupent de la pollinisation du canola doivent retirer ce miel — avec un extracteur rayonnant — aussi rapidement que possible.

Le miel de canola pur a un goût désagréable, une odeur particulière. Les apiculteurs industriels tendent à mélanger le miel de canola avec celui de mélilot, qui fleurit plus tard en saison. On lui donne ainsi la saveur distinctive du mélilot. On ne sent pas le canola, le trèfle prenant le dessus.

Le pollen et le produit sont d'un jaune doré. J'ai trouvé dans des ruchers urbains du pollen vert, rose, mauve, orange, noir et jaune — une grande diversité. Les abeilles ont tendance à toujours polliniser les mêmes espèces de plantes aux mêmes temps de l'année. On se retrouve donc avec une mosaïque de couleur formée par le pollen dans la ruche. Je peux récolter du miel dans mes ruches au printemps qui sera d'un jaune vif parce que c'est le temps des pissenlits. J'aurai du trèfle, mais à l'automne, j'aurai des couleurs plus variées et riches provenant de plantes qui sont des sources de pollen importantes, comme le chardon et d'autres herbes et plantes montées en graines qu'on trouve dans les zones urbaines. Effectivement, les saveurs sont variées, la couleur est distincte, comparativement à la pollinisation rurale en Alberta.

Le président : Je remercie énormément les témoins de leur présence ici et de leurs exposés. Il ne fait nul doute qu'ils nous ont ouvert les yeux sur un autre aspect de l'industrie, ce qui est très important.

(La séance est levée.)


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