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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 18 - Témoignages du 28 octobre 2014


OTTAWA, le mardi 28 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 2, pour entreprendre son étude sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Français]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité. Je demanderais à tous les sénateurs de se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, sénatrice de la Saskatchewan.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, sénateur du Québec.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, sénateur de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l'Ontario.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le président : Je vous remercie, honorables sénateurs. Il s'agit de notre première réunion depuis les événements tragiques de la semaine dernière.

[Traduction]

Avant que le comité commence ses travaux, je propose que nous observions un moment de silence à la mémoire de l'adjudant Patrice Vincent et du caporal Nathan Cirillo.

Observons une minute de silence, s'il vous plaît.

(Les sénateurs observent une minute de silence).

Merci.

Le comité entreprend ce soir son étude sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

[Français]

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle très important dans l'économie canadienne. En 2012, un travailleur sur huit au pays, ce qui représente plus de 2,1 millions de personnes, était employé dans ce secteur auquel il a d'ailleurs contribué.

[Traduction]

Notre contribution représente environ 6,7 p. 100 du produit intérieur brut du Canada. À l'échelle internationale, 3,6 p. 100 des exportations mondiales de produits agroalimentaires provenaient du secteur agricole et agroalimentaire canadien en 2012. La même année, le Canada se classait au cinquième rang des principaux pays exportateurs de produits agroalimentaires dans le monde.

[Français]

Pour notre premier témoin, nous accueillons ce soir, du Conference Board of Canada, M. Jean-Charles Le Vallée, chercheur principal du Centre pour l'alimentation au Canada.

[Traduction]

Monsieur Le Vallée, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à venir témoigner devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, à qui le Sénat du Canada a confié un nouveau mandat.

Je vous invite maintenant à nous présenter votre exposé. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

[Français]

Cela étant dit, monsieur Le Vallée, vous avez la parole. Encore une fois, je vous remercie de votre présence.

[Traduction]

Jean-Charles Le Vallée, chercheur principal, Centre pour l'alimentation au Canada, Conference Board du Canada : Merci de m'avoir invité. Je vais sauter mon introduction et vous parler d'abord du Centre pour l'alimentation du Conference Board du Canada.

Depuis 2011, nous travaillons à l'élaboration d'une stratégie alimentaire canadienne; cette stratégie est disponible en ligne. Je vous laisserai des copies papier et j'enverrai à Kevin une copie électronique par courriel. En trois années de travail, nous avons rédigé 20 rapports de recherche, organisé trois sommets nationaux de l'alimentation et tenu de nombreuses consultations au pays auprès de milliers de Canadiens. Nous avons élaboré une stratégie dont la feuille de route comporte cinq thèmes principaux : prospérité de l'industrie, saine alimentation, salubrité des aliments, sécurité alimentaire et durabilité environnementale. Si vous le voulez, pendant que je parle, je peux faire circuler ce document.

Nous avons lié ces cinq thèmes à huit objectifs, soixante-deux résultats souhaités et des centaines d'actions, qui sont énumérés dans la stratégie. Par ailleurs, nous entrons maintenant dans une nouvelle phase, soit celle de l'Observatoire canadien de l'alimentation, où nous surveillons les progrès du Canada dans le secteur de l'alimentation. Nous présenterons un rapport sur la stratégie, notamment sur l'accès aux marchés alimentaires internationaux. L'étude de votre comité tombe à point pour nous, car nous pouvons aider à orienter ces travaux. J'espère que ces documents pourront vous guider dans la formulation de vos recommandations et la rédaction de votre rapport.

Avant d'aborder la question des priorités en matière d'accès aux marchés, qui constitue le thème du rapport, je voudrais vous situer un peu dans le contexte.

Nous sommes un organisme indépendant et sans but lucratif. Nos recherches sont fondées sur des données probantes. Ces données nous ont guidés dans l'élaboration de cette stratégie. Nous avons constaté que partout — pas seulement au Canada —, les prix, la qualité et la saine alimentation sont importants pour les consommateurs. Il faut en tenir compte lorsqu'on se penche sur l'accès aux marchés à l'intérieur des autres marchés.

Or, le marché est au ralenti au Canada. En Amérique du Nord — et en général —, je dirais que les plus grandes possibilités de croissance dans les marchés intérieurs sont liées aux nouveaux Canadiens. Ils engagent beaucoup plus de dépenses pour la nourriture et ils demandent beaucoup plus de variété, ce que nous n'avons pas nécessairement. Ce sont là des possibilités de croissance pour l'industrie.

Et surtout, ces possibilités sont beaucoup plus importantes à l'étranger. Voilà pourquoi j'ai dit que votre étude tombait à point, car nous devons nous concentrer davantage sur l'accès aux marchés étrangers. Ici, nous avons une croissance lente, mais dans les pays en développement, en particulier en Asie, la croissance est accélérée.

On constate également que les consommateurs de ces pays s'enrichissent et vivent de plus en plus en milieu urbain. Les données des Nations Unies révèlent que 80 p. 100 d'entre eux vivront en milieu urbain en 2030. Sur le plan de l'accès aux marchés, cela représente des marchés importants pour les denrées et les produits canadiens.

Nous devons aussi comprendre que le changement dans les habitudes alimentaires ne se produit pas seulement au Canada, mais aussi à l'étranger. Comme les gens vivent de plus en plus en milieu urbain, ils réclament une plus grande variété d'aliments, de poissons et de protéines de viande, que nous produisons dans notre pays. Ils demandent aussi des aliments prêts à manger et transformés; on constate donc un accroissement de la demande pour une grande variété d'aliments que nous produisons.

Les échanges commerciaux augmentent déjà et continueront d'augmenter. En choisissant d'examiner cette question, le Sénat a pris une très bonne décision.

En outre, la salubrité des aliments est l'une de nos forces, au Canada. Je tiens à mentionner, en passant, que je suis en train de rédiger un rapport de classement dans lequel 17 pays membres de l'OCDE sont évalués sur leur rendement en matière de salubrité des aliments. Ce rapport sera publié dans les prochaines semaines. Je n'en dirai pas davantage à ce sujet avant sa publication.

Maintenant que nous avons un peu de contexte, je voudrais vous donner une orientation à partir des travaux liés à la stratégie et des éléments probants que nous avons recueillis. Nous constatons, en fonction de la demande et de la croissance, qu'il nous faut réorienter le secteur de l'alimentation à l'étranger vers des économies et des marchés à croissance plus rapide, dont la Chine.

Un autre élément — qui ne concerne pas seulement le secteur agricole, mais aussi celui des pêches — est important : il faut mettre davantage l'accent sur la valeur, encore plus que sur le volume et les marchandises en vrac, et adapter les produits et produits à valeur ajoutée à la croissance durable et aux marchés à créneaux. C'est essentiel si nous voulons nous concentrer sur une croissance plus forte pour notre secteur au pays.

L'innovation est un autre secteur d'investissement sur lequel nous devons concentrer nos efforts. Si nous voulons adapter ces produits, nous devons innover. Évidemment, nous pouvons assurer une certaine croissance à moindre coût grâce à des économies d'échelle et à des gains d'efficacité. Toutefois, ce sont là des éléments traditionnels, et je dirais que nous sous-investissons. Nous devons mettre davantage l'accent sur l'innovation alimentaire.

Parallèlement, nous devons demander l'amélioration de la traçabilité des aliments. Nous n'avons pas d'aussi bons résultats sur ce plan que d'autres pays, en particulier les pays européens; nous avons donc du travail à faire pour améliorer notre rendement à ce chapitre. Pour percer de nouveaux marchés et élargir nos marchés existants, la traçabilité est un outil fantastique, qui sert l'intérêt public et l'intérêt privé. Les consommateurs y attachent de l'importance et veulent savoir d'où proviennent les produits. Cela permet d'atténuer les risques liés à la salubrité des aliments. C'est donc une autre voie que nous devons emprunter parallèlement à l'innovation.

Maintenant que nous avons le contexte et une certaine orientation, penchons-nous sur la question des priorités en matière d'accès aux marchés. J'ai essayé de faire un résumé de nos nombreux rapports, mais étant donné que nous avons 20 rapports de recherche, il m'est impossible de tout résumer en quelques minutes. Ce qu'il est important d'examiner, ce sont les facteurs qui touchent l'ensemble des produits, comme la protection relative aux produits soumis à la gestion de l'offre et ses conséquences sur les autres produits non soumis à la gestion de l'offre. Il y a des possibilités pour les secteurs alimentaires du porc et du bœuf et les exportateurs, par exemple, mais nous sommes touchés par les mesures de protection et les droits tarifaires élevés pour d'autres produits.

Tous les pays soutiennent d'une certaine façon leur secteur agricole. Il est dans l'intérêt de tout le monde de continuer à promouvoir la libéralisation du commerce; nous la défendons dans un rapport sur le commerce que j'enverrai à Kevin pour que vous le consultiez. Ce rapport donne plus de précisions sur le pourquoi et le comment. Nous devons réduire les barrières commerciales et non commerciales et négocier, dans le cadre d'accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux, l'accès à de nouveaux marchés et l'accès élargi aux marchés existants, dont celui des produits laitiers. Il y a d'énormes possibilités de croissance dans le secteur laitier, pas nécessairement pour le lait de consommation, mais pour les produits laitiers transformés, comme le fromage et le yogourt. Ces produits suscitent énormément d'intérêt. Le marché extérieur est en croissance et de nombreux pays asiatiques en profitent, mais pas nous, en raison de notre structure de gestion de l'offre.

Nous avons préparé un document sur la gestion de l'offre, que j'ai ici en version papier, si vous souhaitez le consulter. Il semble que ce soit gagnant-gagnant. Je dirais qu'il n'est pas seulement question des droits tarifaires élevés, car on propose des idées relativement aux redevances et à la valeur comptable du contingent à racheter sur une période de 10 ans, par exemple. Ce sont des idées proposées dans le document sur la gestion de l'offre. Cela a une incidence sur l'accès aux marchés du Canada, car c'est ce que je voulais dire quand j'ai parlé des facteurs touchant l'ensemble des produits qui influent sur les possibilités dans le secteur de l'alimentation. Il y a des interrelations, pas seulement au sein du sous-secteur, qui ont une incidence sur l'ensemble des produits.

Nous avons des tarifs élevés non seulement pour les produits soumis à la gestion de l'offre, mais aussi pour le bœuf, le veau, le blé et l'orge. Dans la plupart des cas, concrètement, ils ne sont presque jamais utilisés. Il est donc facile de les éliminer.

Voilà les quatre ou cinq éléments prioritaires sur lesquels le comité pourrait mettre l'accent, selon moi, compte tenu des éléments probants que nous avons recueillis jusqu'à maintenant. Nous poursuivrons nos travaux en ce qui concerne l'observatoire. Je vois que mon temps de parole est écoulé; je tiens à remercier les membres du comité de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. Je serai heureux de répondre aux questions en français.

La sénatrice Merchant : Merci beaucoup, et bienvenue. Premièrement, vous avez dit que le Canada subventionne l'agriculture. Cela fait augmenter les coûts dans l'ensemble du pays en raison des dépenses fiscales et des prix des produits soumis à la gestion de l'offre, et vous avez parlé des œufs, du bœuf, du blé et de l'orge, je crois. Combien les Canadiens paient-ils de plus que la valeur réelle de ces produits dans un marché mondial non subventionné et non protégé?

M. Le Vallée : Pour le Canada, l'OCDE parle, je crois, de 276 $ par famille par année.

La sénatrice Merchant : Deuxièmement, au sujet des barrières non tarifaires, votre organisme a-t-il une opinion sur la mention du pays d'origine sur l'étiquette et les produits génétiquement modifiés? Les gens ont tendance à faire confiance uniquement à leurs propres responsables de la salubrité des aliments. La mention du pays d'origine sur les étiquettes fait augmenter les coûts liés à la séparation des produits, à l'étiquetage et au volume de présentation, et fait obstacle au libre-échange en balkanisant la commercialisation des produits alimentaires. Vous avez parlé de la traçabilité, et cela constitue peut-être une dépense supplémentaire.

M. Le Vallée : Oui.

La sénatrice Merchant : Vous vous rappellerez sans doute qu'il y a quelques années, 1 grain de triticale sur 10 000 dépassait la limite, ce qui nous a causé beaucoup de problèmes en Europe il y a six ou huit ans.

Que pensez-vous de ce type de barrières non tarifaires? Si vous estimez que c'est sérieux, que devrait faire le gouvernement pour empêcher que la paranoïa des Européens et des Japonais n'atteigne l'Amérique du Nord et le monde entier et se répercute sur la production alimentaire et le prix des aliments, ce qui aura une incidence sur la pauvreté dans le monde et la capacité de nourrir les personnes démunies?

M. Le Vallée : La question porte principalement sur les barrières non commerciales.

La sénatrice Merchant : Oui.

M. Le Vallée : Nous ne nous sommes pas penchés sur les aliments génétiquement modifiés, par exemple, parce que nous n'avons pu trouver d'éléments probants indiquant qu'il s'agit d'une préoccupation majeure, et Santé Canada semblait traiter adéquatement cette question. Nous n'avons pas effectué d'autres recherches à ce sujet aux fins de notre stratégie.

Quel est l'autre exemple que vous avez mentionné?

La sénatrice Merchant : J'ai parlé de la traçabilité.

M. Le Vallée : Les données probantes que nous avons recueillies jusqu'à maintenant indiquent que l'investissement en vaut le coût, car les économies à long terme sont intéressantes. Les coûts pourraient être partagés entre le public et le privé. Le secteur privé contribuerait davantage, mais il est dans l'intérêt public, en situation d'extrême urgence, de pouvoir retracer la source du problème dans la chaîne d'approvisionnement. C'est un outil supplémentaire dont nous pourrions nous servir en cas d'alerte à l'intoxication alimentaire.

En ce qui concerne les démunis, dans le cadre de la stratégie, nous n'avons pas examiné le problème de la faim dans le monde. La stratégie concernait la sécurité alimentaire au Canada, et je crois qu'actuellement, de 8 à 12 p. 100 des ménages sont touchés par l'insécurité alimentaire, selon les données de Statistique Canada. Il y a du travail à faire. Sur le plan de la gestion de l'offre, le prix du lait est plus élevé pour eux. Il y a donc une forme d'insécurité relativement au lait, si l'on veut, en particulier pour les ménages à faible revenu, mais comme pour la TVH, nous n'avons pas de mécanisme pour les soutenir ou leur verser les fonds nécessaires pour cela.

Selon nous, il s'agit d'une stratégie très exhaustive qui traite d'un vaste ensemble de questions qui doivent être examinées parallèlement. Pour les examiner ensemble, il nous faut l'appui de toutes les parties intéressées. Il faut également que le gouvernement fédéral participe et qu'il joue un rôle de premier plan.

La sénatrice Merchant : Les personnes démunies ne peuvent se permettre d'acheter le meilleur produit, et c'est ce qui me préoccupait. Les plus riches peuvent se permettre d'acheter les produits biologiques, qui sont séparés des autres produits sur les tablettes.

M. Le Vallée : Oui, les produits-créneaux.

La sénatrice Merchant : Mais je me demandais simplement quelle était la stratégie pour s'attaquer au problème plus vaste de la faim dans le monde.

M. Le Vallée : Comme je l'ai dit, nous ne nous sommes pas penchés sur la question de nourrir le monde. Toutefois, pour ce qui est de nourrir les Canadiens, nous savons que les parents seuls, en particulier les mères, sont les ménages les plus touchés par l'insécurité alimentaire. Les bénéficiaires de l'aide sociale dépensent davantage pour la nourriture; leur panier a beaucoup plus d'importance par rapport à leurs dépenses totales, et cela a une incidence. Ces personnes réduiront leur consommation de nourriture si les coûts du transport, du logement ou des services publics augmentent. Ils mangeront moins; cela a donc une réelle incidence.

Or, nous avons des produits à bas prix et nous pouvons faire des choix. Il y a des aliments très sains à de très bas prix. Il en coûte très peu pour du riz et des haricots, par exemple. Ce sont des denrées de base, mais il y a d'autres options. L'idéal, c'est que les gens trouvent du travail et touchent un salaire leur permettant de diversifier leur alimentation.

Le sénateur Oh : Merci. Le Canada négocie actuellement quelques accords de libre-échange, comme le PTP, avec des pays de l'Asie-Pacifique. Quelles sont vos attentes concernant le secteur agricole par rapport à ces négociations?

M. Le Vallée : J'aurais aimé pouvoir vous répondre, mais nous n'avons suffisamment pas d'information pour bien évaluer ces accords. Nous pourrions soutenir que nous n'avons pas besoin d'attendre après le partenariat transpacifique. Nous pouvons poursuivre la négociation d'accords de libre-échange bilatéraux ou régionaux. Une des recommandations que j'ai formulées plus tôt était de continuer la libéralisation du commerce. C'est dans l'intérêt du pays. Je ne peux pas encore dire quelles seront les retombées du partenariat transpacifique parce que je n'ai pas les renseignements nécessaires pour vous répondre.

[Français]

La sénatrice Tardif : Vous avez indiqué, dans votre présentation, que la traçabilité est un élément important.

M. Le Vallée : Oui.

La sénatrice Tardif : Pouvez-vous me dire de quelle manière les besoins de traçabilité sont pris en compte dans le cadre des différents accords de libre-échange?

M. Le Vallée : Je ne connais pas le lien entre les deux. Je peux vous donner de l'information sur le secteur, mais pas en lien avec les discussions ou les accords de libre-échange. La traçabilité, c'est plus nouveau. Dans le cas de l'ALENA, cela n'a pas été considéré, parce que ce n'était pas un élément très connu à l'époque. L'intérêt pour la salubrité des aliments s'est accentué avec le temps, plus particulièrement après la crise de la vache folle et celle de l'E. coli. Les consommateurs le demandent davantage, et les pays, pour leur intérêt industriel, incluent de plus en plus ces éléments. On n'a pas étudié le lien entre la traçabilité et les accords commerciaux. Je ne peux donc pas vous répondre. J'en suis désolé.

La sénatrice Tardif : Avez-vous étudié les accords commerciaux qui ont été signés? Je crois qu'il y en a 12 au Canada à l'heure actuelle.

M. Le Vallée : Non. On a modélisé les bénéfices selon différents scénarios de croissance faible, modérée ou élevée. On parle de TPP aussi; nous en avons discuté avec le sénateur Oh plus tôt. Nous avons simulé des résultats possibles. Nous avons des données, mais ce sont des estimations. À vous de voir si cela reflète bien le développement de la stratégie. Je n'ai pas de données concrètes qui refléteraient un impact réel.

La sénatrice Tardif : Selon vos estimations, certains accords seraient-ils plus bénéfiques que d'autres pour les agriculteurs ou dans d'autres secteurs?

M. Le Vallée : Dans l'ensemble, chaque accord est bénéfique, mais on ne compare pas l'un avec l'autre. On n'a pas fait cela.

La sénatrice Tardif : D'accord. Je vous remercie, monsieur le président.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Merci de votre exposé. Ma question porte sur le partenariat transpacifique et peut-être sur l'accord économique et commercial global, l'AECG. D'après mes lectures, il semble que le Conference Board du Canada préfère les accords bilatéraux aux accords multilatéraux, en fonction de leur complexité. Est-ce exact? Devrions-nous seulement négocier des accords de libre-échange bilatéraux? Quelles sont vos recommandations?

M. Le Vallée : Je dirais que tous les accords commerciaux servent les intérêts du pays. Le Canada est un acteur de moyenne envergure, ce qui signifie que les accords multilatéraux sont intéressants pour lui. C'est dommage que le cycle de Doha soit au point mort, car ces négociations servent non seulement les intérêts du Canada, mais aussi ceux du reste du monde, car elles portent sur de nombreux éléments très intéressants, comme l'élimination des subventions à l'exportation, la réduction des droits de douane et les contingents tarifaires.

Dans le cadre de notre travail, nous ne disons pas que les accords bilatéraux sont préférables aux accords multilatéraux, mais nous reconnaissons que la négociation d'accords multilatéraux est au point mort. Nous disons seulement que vous devez vous concentrer sur ce que vous pouvez négocier maintenant, à savoir des accords régionaux et des accords bilatéraux.

Le sénateur Enverga : Une autre chose que j'ai remarquée, c'est que le Conference Board du Canada semble dire que le système de gestion de l'offre du Canada constitue un obstacle plus important que les droits de douane. Est-ce exact? Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Le Vallée : Je ne peux pas apprécier les différences et dire lequel est le plus important. Ce que nous avons indiqué dans notre travail, à l'aide de données probantes et de résultats d'enquêtes et d'examen visant le secteur, c'est que la gestion de l'offre a des répercussions. Nous avons recommandé des réformes et donné des directives sur la voie à suivre dans l'éventualité où le secteur déciderait de les mettre en œuvre.

À notre avis, tout le monde y gagne. La consolidation se poursuivra. Cette approche se fonde sur l'équité et l'efficacité, en mettant davantage l'accent sur les grandes fermes qui peuvent rendre possible cette efficacité et percer dans ces marchés émergents.

Le sénateur Enverga : Qu'envisagez-vous pour l'avenir? Quelle est la priorité? Par où doit-on commencer?

M. Le Vallée : C'est ce que j'ai dit dans mon exposé. Il n'y a pas de priorité. Nous devons régler toutes ces questions maintenant. À quoi bon attendre et accorder la priorité qu'à l'une d'entre elles? Je vous recommanderais de revoir les droits de douane au même moment où vous travaillez avec le secteur soumis à la gestion de l'offre. Vous pourriez même prendre des mesures visant divers produits pour lesquels une certaine stratégie est nécessaire. Le canola fait l'objet d'une bonne stratégie, tout comme d'autres produits. Le secteur des pêches n'est pas concerné ici, mais je dirais qu'il a également besoin d'une stratégie. Ce n'est pas le seul secteur qui a besoin d'un certain soutien, d'une certaine orientation, et dont les membres doivent collaborer avec les intervenants de la chaîne d'approvisionnement de même qu'avec le gouvernement pour établir une voie à suivre.

Le sénateur Enverga : En conclusion, compte tenu de toutes les négociations en cours et de tous les accords que nous tentons de conclure, j'aimerais vous demander quel est le risque pour l'industrie canadienne de l'agriculture et de l'agroalimentaire de l'ouverture de nos marchés dans le but d'avoir accès à d'autres marchés?

M. Le Vallée : Il est moins intéressant pour nous de conclure ces accords lorsque les autres pays n'ouvrent pas leurs frontières. C'est également dans notre intérêt lorsqu'ils suppriment des obstacles et réduisent leurs droits de douane. Tout le monde y gagne quand tous les pays participent dans le cadre d'un effort concerté. Nous pouvons faire preuve de patience et poursuivre les négociations pour tirer parti d'un meilleur accès aux marchés.

Je crois que c'est difficile compte tenu des nombreux intérêts politiques liés au secteur de l'alimentation dans la plupart des pays. Des groupes de pression puissants ne veulent pas nécessairement que les choses changent. On exerce toutefois des pressions pour que des changements soient apportés, et c'est ce qui se produira avec le temps. Nous devons simplement être prêts à faire face aux changements, nous préparer, comme nous l'avons fait pour le secteur soumis à la gestion de l'offre.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Monsieur Le Vallée, vos propos sur la gestion de l'offre m'inquiètent. Notre économie rurale, soit au Québec, au Nouveau-Brunswick ou ailleurs, en dépend largement, dans bien des cas. Les producteurs de lait, on les voit lorsqu'on se promène le long du Saint-Laurent. Vous dites que ce qui pourrait arriver, c'est qu'il n'y ait que de grandes fermes.

Si, comme vous le recommandez, on s'éloigne du système de la gestion de l'offre — et je suis en désaccord avec vous — que va-t-on gagner? On va vider les régions rurales pour les envoyer en ville et avoir du lait meilleur marché. Toutefois, les producteurs de lait vous diront que leur lait est de qualité supérieure et ne contient pas d'hormones, comme c'est le cas ailleurs.

Lorsque vous dites que l'on y gagne, je me demande où on y gagne. On n'a pas un produit de qualité supérieure et on va vider nos petites paroisses.

M. Le Vallée : La proposition est un cheminement. Si le secteur décide de se réformer — et le rapport suggère que la réforme est nécessaire pour que le secteur puisse croître et accéder à des marchés internationaux — on est gagnant. Le secteur grandira et, oui, il y aura davantage de fermes plus grandes. Il y aura également plus d'embauche, plus de production, plus d'efficacité, et le prix sera réduit pour le consommateur canadien également.

Le sénateur Robichaud : Lorsque vous dites « si le secteur décide », qui sont les joueurs du secteur qui vont décider?

M. Le Vallée : Il y en a beaucoup. Nous n'en sommes pas.

Le sénateur Robichaud : Non, mais le secteur, normalement, n'est pas impliqué comme il aimerait l'être lorsqu'on négocie des ententes de libre-échange. Si vous prenez le secteur de la production du lait, il a de sérieuses réserves.

M. Le Vallée : Nous avons parlé à des gens de différents groupes. Nous portons un jugement et le rapport est équilibré en ce sens pour refléter ce que nous avons entendu. Nous ne sommes ni pour ni contre. Nous sommes là pour recommander, informer, guider et conseiller. Notre rapport est ici, d'ailleurs, et je peux vous le laisser.

Le sénateur Robichaud : Oui, s'il vous plaît.

M. Le Vallée : C'est un cheminement pour contrôler ce changement et éviter le chaos, parce qu'il y a beaucoup de pression en faveur du changement, même à l'interne.

Le sénateur Robichaud : Vous dites n'être ni pour ni contre.

M. Le Vallée : Oui.

Le sénateur Robichaud : J'ai cru comprendre, dans votre présentation, qu'il faudrait s'éloigner du système de gestion de l'offre.

M. Le Vallée : Le fait d'avoir un système de gestion de l'offre a un impact sur d'autres produits agroalimentaires au pays en ce qui concerne l'accès aux marchés internationaux. J'ai dit qu'il y avait un lien entre les différents produits. Si on veut permettre à d'autres exportateurs d'accéder à d'autres marchés internationaux, certains pays vont mettre de la pression pour que l'on modifie le système de gestion dans notre pays.

Nous savons que cette pression existe et nous avons recommandé une façon de faire. Toutefois, nous ne sommes pas un acteur. Nous sommes là pour informer. Nous pouvons suivre, aider, conseiller et faire d'autres analyses, au besoin, si le secteur le demande. Nous avons produit un rapport qui est différent des autres et nous proposons des solutions.

Le sénateur Robichaud : Ce sont des solutions qui sont acceptables au secteur en question.

M. Le Vallée : Il y a des gens du secteur qui sont ouvertement en faveur et qui nous ont appuyés.

Le sénateur Robichaud : On pourrait en parler davantage. Je ne voulais pas être en confrontation avec vous. Toutefois, on prend les choses à cœur lorsqu'on parle de la gestion de l'offre dans le domaine de l'agriculture.

M. Le Vallée : Bien sûr, et j'ai déjà eu cette conversation.

Le sénateur Dagenais : Le Sommet mondial de l'alimentation propose une définition de la sécurité alimentaire, selon laquelle il faut produire en quantité suffisante, mais aussi produire des aliments de qualité.

M. Le Vallée : Oui.

Le sénateur Dagenais : La population canadienne doit avoir accès à des aliments de qualité. La qualité de ces aliments pourrait-elle être affectée compte tenu de notre participation à divers accords commerciaux?

M. Le Vallée : Cela devrait augmenter. La qualité est la même, normalement, pour les produits importés — elle est même parfois meilleure. Ces produits sont parfois plus frais que les produits locaux; d'autres fois, ce sont les produits locaux qui sont plus frais. Tout dépend de la saison.

Nous importons beaucoup de fruits et de légumes des États-Unis, que nous ne pouvons pas produire nous-mêmes, de même que le vin et la bière. Nous importons plusieurs produits dont nous ne sommes pas producteurs. Nous en produisons, mais pas assez pour nourrir l'ensemble de la population.

Pour certaines choses, le commerce international libre est nécessaire au consommateur canadien. La qualité est intégrée dans les standards et les normes qui font partie du système de contrôle de la qualité.

Le sénateur Dagenais : Ces accords vont-ils aussi faciliter l'uniformisation des règles sanitaires?

M. Le Vallée : C'est une bonne idée, et on l'encourage. J'aimerais voir cela, oui.

Le sénateur Dagenais : Vous aimeriez le voir, mais est-ce que cela vous rassure?

M. Le Vallée : Il y a un appel de la part de différents acteurs pour cela également, des gens qui peuvent mener une action directement liée au changement vers l'uniformisation. Selon les données dont on dispose, l'idée de l'harmonisation et de l'uniformisation est bonne. Cela inclut la traçabilité, et nous sommes d'accord.

Le sénateur Maltais : Monsieur Le Vallée, parlons de la traçabilité. Le Conference Board du Canada donne des avis. C'est son rôle depuis toujours. Ces avis sont, pour la plupart, forts judicieux.

Vous êtes-vous penché réellement sur la traçabilité, ou avez-vous simplement repris le langage des différents traités? Vous êtes-vous penché sur le fond de la traçabilité?

M. Le Vallée : Nous croyons l'avoir fait en profondeur. Nous avons fait une nouvelle étude. Notre méthode inclut une revue des textes disponibles, dont on reprend les données, d'ailleurs. Le rapport est nouveau et différent. Nous travaillons aussi avec l'Université de Guelph et Sylvain Charlebois.

Le sénateur Maltais : Que l'on connaît très bien, d'ailleurs.

M. Le Vallée : Il est coauteur avec moi du rapport, ce qui constitue un palmarès mondial de la salubrité alimentaire, y compris la traçabilité. Lui-même a produit un rapport, le mois dernier, sur la traçabilité, dans lequel il compare le Canada au monde entier. Nous avons intégré dans notre stratégie des éléments pour augmenter la performance du pays, car nous accusons un certain retard en ce moment sur d'autres pays, notamment les pays européens.

On a du travail à faire. Le phénomène n'est plus nouveau, ici. L'industrie est définitivement intéressée par cette question. Il y a un intérêt grandissant, et on constate que l'adoption de cette question se poursuit.

Le sénateur Maltais : Vous dites que nous accusons un léger retard sur les pays européens. Je suppose que vous parlez des pays de la communauté européenne?

M. Le Vallée : Oui.

Le sénateur Maltais : On se prépare à mettre sur pied un traité de libre-échange avec la communauté européenne. Vous êtes-vous penché sur les produits en provenance de l'Union européenne? Je ne parle pas des produits cultivés à l'intérieur des pays de l'Union européenne. La communauté européenne importe beaucoup de produits des anciens pays de l'Est. C'est ainsi que les Français se sont retrouvés avec du cheval dans leur lasagne. Cet incident a fait le tour du monde. Quelle garantie avons-nous que les pays de l'Union européenne ne nous passeront pas des produits provenant des pays de l'Est que nous ne pourrons pas retracer?

M. Le Vallée : On n'a pas étudié la question du commerce intérieur de l'Europe ni les produits importés de ces pays. En règle générale, ces pays disposent d'un système de contrôle de qualité, et nous le reconnaissons. Par conséquent, nous leur faisons confiance.

Le sénateur Maltais : Le Canada est un grand territoire peu peuplé où l'on ne compte qu'environ 36 millions d'habitants.

Nous sommes donc appelés, au cours des 50 prochaines années, à jouer un rôle plus important sur le plan de l'alimentation mondiale. De là nos traités avec l'Europe, l'Asie et l'Inde, inévitablement, parce qu'il est dans la nature de l'homme de ne pas se laisser mourir de faim. Si les pays les plus populeux manquent de nourriture de base, ils convoiteront nos territoires.

Jusqu'à quel point le Canada peut-il développer son secteur agricole tout en s'assurant que les emplois payants demeurent chez lui et que, en même temps, il serve la communauté internationale par sa capacité de production? Avez- vous étudié cette question au sein du Conference Board?

M. Le Vallée : Il s'agit de tendances, mais on n'a pas de chiffres exacts. Je dirais qu'il s'agit d'une tendance grandissante. Le Canada peut nourrir davantage de gens, peut jouer un plus grand rôle et sera sollicité pour jouer un plus grand rôle. On est prêt, en grande partie, à le faire. Peut-on apporter des améliorations? Oui, c'est pour cela qu'on a présenté une stratégie permettant de guider ce cheminement, pour pouvoir répondre à la demande qui viendra de l'international.

Le sénateur Maltais : Vous êtes-vous penché sur les OGM?

M. Le Vallée : Dans quel sens?

Le sénateur Maltais : Je ne crois pas que le Canada soit un grand producteur d'OGM, mais on sait que certains pays le sont. Est-ce que cela peut devenir un problème qui nous rendrait non compétitifs? Je vous donne l'exemple de la culture du maïs aux États-Unis, où l'on recourt beaucoup à cette méthode de culture. Cela sera-t-il accepté partout dans le monde ou les gens préfèreront-ils retourner à la façon traditionnelle de cultiver le maïs?

M. Le Vallée : Je n'ai pas fait d'étude à ce sujet.

Le sénateur Maltais : Avez-vous une opinion?

M. Le Vallée : J'ai une théorie, fondée sur la demande. Si le consommateur ne veut pas de ce produit, il est sûr que cela sera avantageux pour ceux qui ne le produisent pas.

La sénatrice Bellemare : Merci pour votre présentation. Avez-vous fait des prévisions sur les récents traités de libre- échange quant à l'impact qu'ils auront sur l'emploi au Canada et dans les différentes provinces?

M. Le Vallée : Spécifiquement en matière d'emploi, non.

La sénatrice Bellemare : En matière d'emploi dans le secteur agricole, les traités de libre-échange créeront-ils plus ou moins d'emplois, car il peut y avoir une culture plus intensive, mais qui ne créera pas nécessairement plus d'emplois?

M. Le Vallée : Oui. En théorie, l'intensification peut créer plus de machinerie et moins d'emplois, mais si nous sommes capables d'accroître nos secteurs pour transformer ces produits à l'interne, nous créons plus d'emplois également. Ce sont les choix que nous ferons au sein de notre industrie qui favoriseront ou non l'augmentation de l'emploi.

Je travaille avec le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture. Nous sommes en train de développer un modèle d'offre et de demande pour le marché agricole au Canada. D'ici un an, nous aurons une idée, à savoir combien de gens sont employés, quels sont les types de métiers, quelle est la demande à partir de maintenant et pour l'avenir. Je pourrai mieux vous répondre ultérieurement, peut-être pas nécessairement en ce qui concerne les traités internationaux, mais au moins en ce qui a trait au secteur national.

La sénatrice Bellemare : Dans le secteur agricole, comme vous le dites, il y a la gestion de l'offre et de la demande au sein de plusieurs sous-secteurs, comme les produits laitiers, le fromage, et cetera. Au Québec, on le sait, les gens y tiennent. Les Canadiens aussi tiennent à leurs produits. Peut-être ai-je simplement une mauvaise perception, mais quand ce sera indiqué « vient de », on aura peut-être des réticences, et quitte à payer plus cher, on achètera un produit canadien. Avez-vous étudié cette question des préférences?

M. Le Vallée : Nous avons fait plusieurs études en lien avec ce que nous avons appelé l'alimentation saine. Nous avons examiné la consommation au Canada. Un autre rapport présente une étude sur les produits locaux et les marchés publics. Nous avons fait également une autre étude, que je peux envoyer au comité, sur l'alphabétisation alimentaire des Canadiens. Cela nous a donné un portrait de la demande, des préférences et des tendances. Oui, il y a de l'intérêt pour les produits d'ici. Pour certaines provinces, c'est très important. Les Québécois, par exemple, mangent plus de fruits et de légumes, parce qu'ils mangent plus souvent à la maison et parce qu'ils préparent eux-mêmes, plus que dans n'importe quelle autre province, leurs repas à la maison. Cela a un impact sur les préférences et les produits locaux. Nous voyons donc que c'est plus élevé. En Colombie-Britannique, c'est élevé. Cela varie selon les provinces, la culture. Je vous fournirai avec plaisir les données exactes à ce sujet.

La sénatrice Bellemare : Vous ne voyez pas les préférences des Canadiens comme étant un frein à l'augmentation des accords de libre-échange qui touchent l'agriculture?

M. Le Vallée : À moins que ce soit très bien précisé. Le consommateur veut plus d'information. S'il y a des OGM dans le produit, il veut le lire sur l'étiquette.

La sénatrice Bellemare : L'étiquetage va devenir de plus en plus important dans ce secteur.

M. Le Vallée : C'est pour cela que l'on parle d'alphabétisation. En faisant notre rapport, nous avons découvert que ce n'était pas tous les Canadiens qui étaient en mesure de lire les étiquettes ou les chiffres. Le manque d'alphabétisation et de notions de calcul est inquiétant. Ils ne peuvent pas calculer les apports énergétiques.

La sénatrice Bellemare : Il y a beaucoup d'éducation à faire. Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Vous avez mentionné que certaines réformes devraient être annexées aux accords commerciaux au moment des négociations. Je me demandais si vous pouviez nous dire quelles devraient être ces réformes.

M. Le Vallée : De toute évidence, si elles sont liées à un accord, ces réformes ne devraient pas être mises en œuvre avant qu'il ne soit conclu. Le processus de ratification viendra après. Il y a toute une marche à suivre.

Cependant, comme je l'ai laissé entendre plus tôt, nous avons des droits de douane élevés sur le bœuf et le veau, et ces droits ne sont plus utilisés. Nous ne remplissons pas les quotas, et nous sommes donc libres de les supprimer sur-le- champ, ou de nous en servir comme monnaie d'échange. Ce ne serait pas difficile, car ils ne nous sont d'aucune utilité. Il faut donc procéder au cas par cas. Je ne suis pas un expert en accords commerciaux, mais il me semble que, en général, il est intéressant d'utiliser judicieusement ces atouts.

C'est la même chose pour ce qui est de la gestion de l'offre. Je crois que des changements auront lieu. Les autorités font des pressions, tout comme de nombreux acteurs du domaine. Nous avons proposé une voie à suivre. Ces réformes seront-elles mises en œuvre dans le cadre d'accords commerciaux? C'est difficile à dire, mais ce sera probablement le cas compte tenu des pressions qui seront exercées et des changements que nous devrons apporter lorsque ces accords seront signés.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Est-ce que vous nous laissez ce rapport?

M. Le Vallée : J'en ai une copie électronique.

Le sénateur Robichaud : Le greffier m'a fait parvenir un sommaire.

Je reviens à la question de la gestion de l'offre. Les Canadiens et les Canadiennes ont mis en place un système qui leur permettait de vivre convenablement en recevant pour leurs produits un prix de revient approprié. Cela n'a-t-il pas de l'importance, parce que vous dites que l'industrie se transformera en grandes entreprises?

J'ai regardé récemment un reportage à la télévision où l'on parlait des producteurs de volaille au Canada et du contrôle de la qualité. On y montrait une entreprise aux États-Unis où on trouvait je ne sais pas combien de cages. C'était tellement grand qu'il n'y avait pas assez de personnes pour retirer les poulets qui étaient morts et la qualité de leurs produits était nettement inférieure.

Ne devrait-on pas tenir compte de la qualité de nos produits et ne pas la sacrifier pour permettre aux importateurs ou exportateurs d'accéder au marché international?

M. Le Vallée : On ne sacrifie pas la qualité.

Le sénateur Robichaud : C'est ce que vous dites, mais ce n'est pas ce que vous prônez.

M. Le Vallée : Non, je n'ai pas dit cela. On ne sacrifie pas la qualité. C'est un point fort. Nous sommes reconnus mondialement au chapitre du rendement, de la génétique et de la qualité de nos produits. Ce sont des points forts pour accéder au marché. C'est ce que veulent les consommateurs. Ils sont prêts à payer le prix pour des produits de bonne qualité qui viennent du Canada. Tout le monde y gagne.

Il y a de la consolidation qui se fait en ce moment. Il y en aura encore.

On ne parle pas de fermes à 3 000 vaches. Ce sera tout de même une entreprise familiale. Notre modèle ne prévoit pas de grosses fermes comme en Californie ou dans le système américain.

Le sénateur Robichaud : Éventuellement.

M. Le Vallée : Je ne crois pas. Je peux seulement vous informer de ce que je sais. Les modèles de scénarios que nous avons proposés et le document que vous avez en mains démontrent qu'il y a moyen d'accroître ce secteur. En ce moment, le marché dans ce secteur stagne. Il ne prend pas d'expansion, parce que notre croissance est faible. On ne peut pas exporter, et pourtant, la demande à l'étranger pour ces produits continue de croître. Comme le sénateur Maltais le disait, nous allons demander au Canada si nous pouvons instaurer un système semblable à celui des Australiens où le consommateur, au départ, paie un surplus pour aider les producteurs à atteindre leurs quotas. On élimine ainsi le système, mais cela va prendre du temps. On peut faire en sorte que le processus soit moins long.

Si on prend la valeur comptable, cela représente de 3 à 4 milliards. On peut accélérer le processus en le payant dès le départ. C'est pourquoi nous proposons dès maintenant des changements pour être mieux préparés à faire concurrence sur le marché international, tout en respectant le modèle de l'entreprise qui est largement familial.

Le sénateur Robichaud : J'ai des réserves et j'en aurai probablement encore pendant longtemps, parce que, chez nous, nous vivons surtout de la pêche. Les pêcheurs de homard sont à la merci d'un marché qui ne leur porte aucune attention. À mon avis, ils sont exploités. Ils ont eu plus de chance cette année, parce que le homard était en abondance. Je ne veux pas que la même chose arrive à ceux et à celles qui bénéficient d'une stabilité et qui peuvent accéder à une certaine sécurité à long terme, pour eux-mêmes et pour leur famille.

M. Le Vallée : Oui. Ce sont deux systèmes de production très différents. La pêche est très aléatoire aux ressources naturelles de l'océan. À la limite de l'aquaculture, c'est plus stable. Comme la population de vaches ne change pas autant que celle des poissons, c'est un secteur plus stable et plus sécuritaire.

Le sénateur Robichaud : Je comprends que les systèmes sont différents. Je dis simplement que c'est inquiétant pour les familles qui risquent, à un moment donné, de perdre leur sécurité.

M. Le Vallée : Nous avons publié un rapport sur la pêche et l'aquaculture au Canada en décembre dernier. Nous avons dressé un portrait du secteur et indiqué quelles seront les voies de l'avenir.

L'aquaculture est le secteur qui va prendre le dessus, contrairement à la pêche sauvage. On voit le secteur de la pêche à la morue revenir un peu.

Le sénateur Robichaud : Pas beaucoup.

M. Le Vallée : Non, mais le rapport propose des recommandations pour traiter les questions de l'intégration du secteur. Nous essayons aussi de permettre à des joueurs de travailler ensemble le long de la chaîne alimentaire et d'accéder à du capital et à des marchés de transformation pour aller chercher la plus-value dont j'ai parlé plus tôt et réduire les risques. C'est un bon modèle. J'ai de l'espoir pour ce secteur et celui des produits laitiers.

Le sénateur Robichaud : On parle d'aquaculture, et on en fait beaucoup chez nous. J'aimerais proposer aux aquaculteurs d'intégrer un système de gestion de l'offre afin qu'ils reçoivent vraiment la valeur de leur produit. C'était un commentaire.

La sénatrice Bellemare : J'aimerais obtenir un dernier commentaire de votre part. Y a-t-il des contradictions avec ceux qui proposent de poursuivre l'autonomie alimentaire et les traités de libre-échange ou y a-t-il une convergence?

M. Le Vallée : Qu'est-ce que vous entendez par autonomie?

La sénatrice Bellemare : Je fais référence à l'autonomie alimentaire.

M. Le Vallée : La souveraineté alimentaire?

La sénatrice Bellemare : Oui, c'est-à-dire d'être autonome.

M. Le Vallée : On ne peut pas. Pour les fruits et les légumes, il y aura une hausse des prix. Lorsque l'offre diminue, le prix augmente. Or, la demande est grande. D'ailleurs, on ne mange pas suffisamment de fruits et de légumes.

En ce qui concerne la consommation de fruits et de légumes, Statistique Canada rapporte une consommation de cinq portions de fruits et de légumes par jour, alors que le Guide alimentaire canadien en recommande sept pour les personnes âgées de 14 ans et plus. Seulement 40 p. 100 des Canadiens consomment cinq portions par jour.

La sénatrice Bellemare : Ce que vous dites, dans le fond, c'est que c'est utopique.

M. Le Vallée : Cela peut favoriser la résilience. Il est important d'avoir un système local. S'il y a urgence et qu'on ne peut pas s'approvisionner en aliments de l'étranger, on peut compter sur des systèmes locaux qui peuvent fournir de façon transitoire des aliments à une population locale pendant un certain temps. Il est bon d'avoir cela sur place, et nous l'avons. Nous ferons des choix alimentaires, peut-être réduire notre consommation, mais, dans l'ensemble, les Canadiens surconsomment aussi. C'est une tout autre question.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Au moment où nous tentons de négocier des accords de libre-échange, pendant nos démarches, nous savons que d'autres pays négocient leurs propres accords. À votre avis, quel est notre principal concurrent? Devrions-nous nous adapter à notre concurrent ou plutôt au pays avec lequel nous tentons de collaborer?

M. Le Vallée : Nos principaux concurrents changent en fonction des produits. Dans certains cas, nous sommes des chefs de file, notamment pour ce qui est du canola ou de certaines légumineuses et d'autres types de produits, et même pour la moutarde, l'orge, l'avoine et certaines autres marchandises.

Nos plus grands pays concurrents sont les États-Unis, l'Union européenne, le Japon et l'Australie, selon le produit. C'est dans l'intérêt de tous ces pays de collaborer et de réduire les barrières commerciales.

Le sénateur Enverga : Devrions-nous mettre l'accent sur nos concurrents ou sur les besoins des pays avec lesquels nous tentons de collaborer?

M. Le Vallée : Il est important de collaborer avec les pays qui nous offrent d'importants débouchés et qui ne sont pas nos concurrents. J'ai dit tout à l'heure que les États-Unis, par exemple, ne nous offrent pas de grandes possibilités de croissance, contrairement aux marchés émergents. Il est donc important de percer ces marchés et de poursuivre les négociations pour les rendre plus accessibles à nos produits.

Le sénateur Enverga : Merci.

[Français]

Le président : Monsieur Le Vallée, y a-t-il des études sur les impacts économiques qui sont disponibles, ou avez-vous quelque chose entre les mains concernant les percées dans les nouveaux marchés ou l'accès à de nouveaux marchés, advenant le cas où la gestion de l'offre ne serait pas disponible au Canada?

M. Le Vallée : Le rapport que j'ai remis au sénateur Robichaud comprend des scénarios qui répondent à cette question. Je ne connais pas les chiffres par cœur, mais il y a des éléments de réponses dans le rapport.

Le président : Quant aux énoncés que vous nous avez présentés ce soir, avez-vous pris le temps de discuter avec les producteurs qui font partie du système de la gestion de l'offre?

M. Le Vallée : Nous avons échangé avec beaucoup de secteurs, y compris le secteur de la gestion de l'offre : produits laitiers, volailles, œufs. Nous avons tenu des consultations avec eux et les avons interviewés à l'occasion. Nous les écoutons et nous nous faisons une idée. Nous analysons ce qui se dit et nous nous basons sur les données pour évaluer ce qui est dans l'intérêt du pays.

Le président : Au nom du Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts, nous vous remercions d'être venu partager votre point de vue avec nous.

Honorables sénateurs, nous allons faire une pause afin de laisser le temps au deuxième groupe de témoins de s'installer.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

Le président : Honorables sénateurs, nous commençons la deuxième partie de cette séance du Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

De l'Institut canadien des politiques agro-alimentaires, nous accueillons M. Ted Bilyea, président du conseil d'administration, et M. David McInnes, président-directeur général. Messieurs, merci à vous deux d'être venus témoigner. Le greffier m'a dit que M. McInnes fera la déclaration. Les sénateurs poseront ensuite des questions.

Monsieur McInnes, vous avez la parole.

[Français]

David McInnes, président-directeur général, Institut canadien des politiques agro-alimentaires : Bonsoir et merci d'avoir donné l'occasion à l'Institut canadien des politiques agro-alimentaires, l'ICPA, d'être présent à cette première journée d'audience et de présenter les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux et leurs implications.

L'ICPA est un catalyseur de recherche indépendant, sans but lucratif, sans parti pris et non gouvernemental dédié au succès du secteur agroalimentaire canadien.

[Traduction]

Ce soir, nous mettons l'accent sur la question suivante : « Que peut faire le secteur agroalimentaire canadien pour profiter pleinement de la mondialisation accrue de la production et de l'approvisionnement alimentaires? » Il faut aller bien au-delà de la conclusion d'accords commerciaux et établir des liens entre les politiques, les stratégies visant les chaînes d'approvisionnement et les mesures de prévoyance sur le marché. Nous présentons cinq principes pour faire valoir ce point.

Nos observations s'appuient sur un article que nous avons publié le mois dernier et qui s'intitule Mise à profit des accords commerciaux pour assurer la réussite dans les marchés mondiaux. J'aimerais saluer les autres auteurs, John Weekes, Bennett Jones et Al Mussell, qui travaille maintenant pour Agri-food Economic Systems.

Il s'agit de nos premiers travaux, et nous en aurons davantage à dire lorsque nous aurons terminé notre étude approfondie de la stratégie commerciale au début de 2015.

J'aimerais maintenant vous parler des principes.

Premier principe : le succès des exportations repose sur la négociation opportune d'un accès préférentiel pour les échanges commerciaux. Le Canada travaille fort pour élargir l'accès au marché de son secteur agroalimentaire. Cela ne fait aucun doute. Toutefois, dans un contexte de libéralisation du commerce, les pays se font concurrence pour devenir les premiers à profiter d'un accès libre, ou du moins préférentiel, aux grands marchés mondiaux. Nous le savons depuis longtemps. Pendant la majeure partie du XXe siècle, le Canada a bénéficié d'un accès préférentiel considérable au sein du monde commerçant grâce au tarif de préférence britannique.

Après l'avoir perdu, nous avons obtenu un accès aux États-Unis par l'entremise de l'Accord de libre-échange canado-américain, qui a ensuite été supplanté par l'ALENA. Pendant les périodes concernées, le secteur agricole et l'industrie de la transformation des aliments ont pris beaucoup d'expansion.

Le Canada s'apprête maintenant à conclure un accord commercial avec la Corée du Sud, mais les États-Unis ont déjà négocié un accord bilatéral avec ce pays, ce qui nous a coûté cher. Nous avons pris une décision stratégique et choisi de ne pas conclure d'accord en 2008, ou vers la même période, lorsque l'occasion s'est présentée. Le Canada a toutefois battu les États-Unis en signant un accord avec l'Union européenne.

Deuxième principe : la réussite des négociations sur un accès préférentiel repose sur la capacité de cerner la principale préoccupation d'un pays en matière d'alimentation et sur l'établissement d'un avantage commercial profitable pour tous en tenant compte de cette préoccupation. Prenons par exemple le Japon, où la sécurité alimentaire est considérée comme une question cruciale. L'autosuffisance alimentaire du Japon est passée de 70 p. 100 avant 1970 à moins de 40 p. 100 à l'heure actuelle. Le vieillissement des agriculteurs, la situation démographique, la prédominance des petites exploitations agricoles et la diminution de la production agricole en sont les principales raisons.

La réduction des droits de douane et l'amélioration de l'accès sont les résultats escomptés dans toutes les négociations, mais l'objectif stratégique à long terme est, ou devrait être, le positionnement du Canada en tant que fournisseur de produits alimentaires d'envergure et fiable du marché japonais. Le Japon devrait se montrer très intéressé par cette solution d'approvisionnement à long terme. Pour que ce soit possible, nous croyons qu'il faut harmoniser en conséquence nos chaînes d'approvisionnement, comme les facteurs de production, les producteurs, les transformateurs, les distributeurs et les secteurs de soutien nécessaires. La conclusion avec le Japon d'un accord bilatéral reposant sur ce principe pourrait nous indiquer la marche à suivre pour le Partenariat transpacifique.

Troisième principe : le succès des exportations nécessite une grande compréhension du consommateur étranger. Beaucoup de consommateurs achètent leurs aliments en fonction du prix, mais ils s'attendent également à quelque chose d'autre qui transforme les chaînes d'approvisionnement mondiales et les pratiques alimentaires au Canada et à l'étranger : la confiance. Les consommateurs se posent de plus en plus souvent ce genre de questions. « Qu'est-ce qui est dans ma nourriture? » « Est-ce sécuritaire? » « Comment cet aliment a-t-il été produit? » « Est-ce que cela nuit aux écosystèmes? » « Quel est le traitement des animaux? » « D'où vient ma nourriture? » Dans certains segments de marché, ces facteurs l'emportent facilement sur le prix. J'ai fait circuler la figure 1, qui représente diverses pressions exercées, pour que les membres du comité puissent y jeter un coup d'œil.

Des entreprises et des producteurs font la promotion de ces caractéristiques. Les chaînes d'approvisionnement établissent des normes mondiales et nationales, qui doivent être appliquées du champ du producteur ou de l'océan à l'assiette du consommateur. Ces normes comprennent entre autres des exigences en matière de qualité, d'éthique et de durabilité environnementale, et les gouvernements y donnent suite. Pensons par exemple à la restriction imposée par l'Union européenne pour les stimulateurs de croissance et aux mesures prises par d'autres gouvernements pour réduire la teneur en gras trans et en sodium des aliments. Ce ne sont que deux exemples parmi beaucoup d'autres.

Pour respecter ces exigences, il est nécessaire d'élaborer et de soutenir des pratiques de traçabilité et de gouvernance. On serait porté à croire que les Canadiens se classeraient parmi les meilleurs dans ce dossier et qu'ils négocieraient stratégiquement ce genre de protocoles dans leurs accords commerciaux. Par exemple, dans le secteur bovin, le Canada a des mesures obligatoires que les Américains n'ont pas pour assurer la traçabilité de la ferme à l'abattoir.

Quatrième principe : le succès des exportations repose également sur une démarche ininterrompue visant à nous démarquer. Ce principe se rapporte au point que je viens de soulever. Nous pouvons nous démarquer grâce à nos pratiques de gouvernance. Cela englobe aussi notre image de marque. Par exemple, le Japon et la Corée du Sud sont considérés comme des marchés de choix pour nos exportations d'ingrédients alimentaires. Nous sommes réputés pour notre eau propre, notre sol fertile, nos grands espaces et nos ingrédients nutritifs, ce qui devrait être à notre avantage. La tâche consiste à appuyer systématiquement ce genre d'attributs de la marque. Notre capacité de recherche et développement doit jouer un rôle dans le cadre de nos efforts pour démontrer le caractère nutritif de nos ingrédients ou leur faible teneur en résidus par rapport à ceux d'autres producteurs. La stratégie commerciale du Canada doit l'aider à se démarquer des États-Unis de manière à contrebalancer leur avantage d'échelle. Il faut que nos clients étrangers demandent nos ingrédients et nos aliments en raison de ce qu'ils ont à offrir.

Cinquième principe : pour être concurrentiel dans le monde en évolution du commerce, il faut essentiellement avoir une vision systémique. Nous avons un diagramme pour nous aider à faire valoir ce point. Il s'agit de la figure 2, qui a été distribuée aux membres du comité. Elle fournit une vision intégrée du commerce, de la politique intérieure et de considérations stratégiques sur le plan commercial. Vous trouverez ces renseignements dans le rapport dont j'ai parlé au début de mon intervention.

Quand on parle d'accords commerciaux, on accorde beaucoup d'attention à l'élimination des droits de douane. La conclusion d'un accord ne représente pourtant qu'une seule étape. Les entreprises doivent également composer avec des barrières non tarifaires et d'autres exigences réglementaires, stratégiques et juridiques provenant des normes des chaînes d'approvisionnement, comme je l'ai déjà dit. De plus, pour assurer le succès des exportations, il faut savoir cibler le bon segment de marché avec le bon produit. Bref, pour que le Canada tire parti de la mondialisation croissante de la production et de l'approvisionnement alimentaires, une approche stratégique intégrée est nécessaire.

Nous aimerions conclure notre exposé en ajoutant que nous devons avoir une vision à long terme. Pour de nombreuses bonnes raisons, le secteur agroalimentaire du Canada sera grandement motivé à résoudre ses problèmes immédiats d'accès au marché, mais la politique commerciale a des retombées pendant plusieurs générations. Les accords qui sont actuellement négociés établiront les règles pour des décennies à venir. Nous devons clairement énoncer nos objectifs à long terme. Nous croyons que l'intérêt du monde entier pour le secteur agroalimentaire canadien augmentera. Les pays et les chaînes d'approvisionnement mondiales voudront de plus en plus souvent s'assurer un accès à des sources fiables d'aliments et d'ingrédients à valeur ajoutée. Nous n'avons pas toutes les réponses aujourd'hui, mais nous devons décider de quelle façon nous optimiserons pleinement notre capacité à l'avenir. Il faut que cela fasse partie du dialogue.

La sénatrice Tardif : Merci de votre exposé intéressant et instructif. Il était excellent.

Je vais revenir à la question de la traçabilité. Vous avez parlé de l'importance de la confiance, notamment envers nos exportations. Je viens de l'Alberta et je connais les répercussions que la maladie de la vache folle a eues sur nos marchés, par exemple au Japon. Je suis persuadée que le problème est maintenant réglé et que nous exportons de nouveau des produits vers ces pays, mais, pendant au moins 10 ans, cette maladie a énormément nui à la confiance des consommateurs envers nos produits et notre image de marque.

Vous avez mentionné que la traçabilité du bœuf canadien est assurée de la ferme à la table. Dans d'autres secteurs, quelle est l'opinion des producteurs canadiens sur cette pratique? Est-ce que tout le monde y est favorable? S'entend-on généralement pour dire que c'est la voie dans laquelle le Canada devrait s'engager? Est-ce un fait généralement accepté?

M. McInnes : À vrai dire, nous avons réalisé il y a quelques années une étude plutôt approfondie sur le système alimentaire bovin du Canada, comme nous l'avons appelé. Nous nous sommes adressés à de nombreux acteurs du domaine et avons réalisé environ 80 entrevues pour nous faire une certaine idée de la situation et recueillir des données. L'opinion de bien des gens change. Il ne fait toutefois aucun doute que le coût de la traçabilité est souvent assumé par le producteur ou le fermier, pour ne nommer que deux maillons de la chaîne d'approvisionnement.

Néanmoins, on reconnaît de plus en plus que les consommateurs, les détaillants et même les producteurs conviennent que d'avoir de tels renseignements est utile en vue de rassurer les consommateurs finaux et les marchés d'exportation en ce qui concerne la manière dont l'animal a été élevé et dont le produit a été préparé. Nous constatons une grande transformation.

Nous avons déjà mentionné que les Canadiens ont en fait une longueur d'avance sur les Américains. C'est très important, parce que cela démontre la manière dont nous tirons profit de la communication aux consommateurs de renseignements sur les profils génétiques et l'alimentation du bétail en vue de gagner une plus grande part du marché.

Il arrive parfois que ces grandes transformations prennent du temps à se faire, à être assimilées et à être bien comprises. Nous sommes sur la bonne voie, et c'est encourageant.

La sénatrice Tardif : En ce qui concerne les OGM, comment les autres perçoivent-ils le Canada? Le Canada continue d'en utiliser. Par exemple, il y a des produits de blé génétiquement modifié. Il y a un créneau, mais le marché européen est certainement très hésitant à avoir des produits canadiens qui ont été génétiquement modifiés. Comment prévoyons- nous que la situation évoluera?

M. McInnes : Contrairement à l'industrie du bœuf, nous n'avons pas réalisé une étude exhaustive sur cette question. Nous avons, par contre, commencé à examiner la question des échanges, pour le dire ainsi, ou des débouchés commerciaux. Lorsque nous pensons à un monde commerçant et à la position que nous voulons occuper, nous reconnaissons qu'il y a des accords, des barrières non tarifaires et des règles pour percer un pays; ensuite, il y a évidemment des débouchés et des obstacles liés à la chaîne d'approvisionnement et au marché, qui sont des éléments qui font vraiment partie du diagramme que je vous ai distribué plus tôt.

En ce qui concerne les OGM, parmi les problèmes qui sont soulevés, nous verrons probablement certains utiliser de plus en plus des enjeux technologiques délicats comme argument pour restreindre les exportations canadiennes à l'étranger. Je présume que c'est inévitable, compte tenu de la nature et de la progression des technologies et de l'étroit examen des composantes des produits. En ce qui concerne l'opposition aux OGM ou des opinions sur la question, nous voulons vraiment être un meilleur pays commerçant, et je crois qu'il faut plaider auprès des pays et des autorités pour avoir des évaluations des risques qui se fondent sur des données scientifiques en vue de conserver notre accès au marché. Cet enjeu est important pour le Canada, si nous voulons être suffisamment agiles pour répondre aux divers défis des marchés.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, messieurs, pour le document que vous nous avez présenté. Il est très bien fait. On s'y retrouve, car plusieurs facteurs nous tiennent à cœur dans notre étude, dont on parle d'ailleurs depuis au moins trois ans au sein du Comité de l'agriculture et des forêts. Une telle étude vient nous réconforter et nous confirme que nous n'avons pas parlé dans le vide et que nos travaux ont été utiles. C'est vraiment intéressant.

J'aimerais soulever deux points. Vous avez parlé de l'exportation au Japon. Il y a 25 ans, le Canada n'exportait pas de crabe des neiges nulle part. Il s'est développé un marché au Québec et au Nouveau-Brunswick et, aujourd'hui, 80 p. 100 des prises sont vendues au Japon. Les Japonais ont toutefois leurs exigences. Ils disposent de leurs propres inspecteurs dans chacune des usines. Cela a eu pour effet que, pour le consommateur canadien, le crabe est maintenant hors de prix, à moins d'être situé près de l'usine. Au supermarché, vous allez payer le prix du Japon — et c'est normal. Le producteur, aujourd'hui, en profite, et je suis bien content pour lui. La ressource est encore très bonne. Les transformateurs et les pêcheurs y trouvent leur compte et tout le monde fait de l'argent. Bravo!

J'ai deux questions concernant les barrières interprovinciales. Nous vivons dans une fédération, au Canada, qui compte dix provinces et trois territoires. Nous avons des barrières interprovinciales. Peut-on un jour aspirer à l'abolition de ces barrières? Si on abolit ces barrières, il faudra uniformiser les services d'inspection. La Colombie- Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador n'ont pas les mêmes normes d'inspection. Elles ne sont pas mauvaises, mais elles sont différentes. Si on veut être un pays compétitif sur le plan international, il va falloir faire un et non douze, car les traités de libre-échange sont signés par le gouvernement canadien. Il reviendra aux provinces de se mettre sous le grand chapeau du gouvernement canadien. Les barrières tarifaires et les services d'inspection sont très importants si nous voulons nous assurer que nos produits sont de qualité et répondent aux normes de nos acheteurs.

Je soulèverai un dernier petit point. Nous avons constaté certains faits au Canada. Le consommateur moyen est de plus en plus difficile. Je ne parle pas des gens riches ou des gens extrêmement pauvres. Je parle du consommateur moyen. Il est devenu fort exigeant et cette tendance risque de s'accentuer avec le temps.

Comment le consommateur va-t-il se comporter lorsque les produits étrangers, qu'ils viennent de l'Asie ou de l'Europe, arriveront chez nous? Le consommateur aura un choix illimité dans les épiceries. Comment va-t-il se comporter? Quelles seront ses nouvelles exigences au cours des 25 prochaines années?

[Traduction]

M. McInnes : Vous posez là de bonnes questions. Sénateur, permettez-moi de répondre en premier à votre question sur les barrières commerciales interprovinciales. Nous reconnaissons également que c'est un aspect très intéressant. Nous savons que beaucoup de choses se passent à ce sujet. Beaucoup est fait au pays pour traiter de cette question. Nous sommes justement en train d'évaluer un projet de recherche en vue de peut-être réaliser des travaux en vue d'essayer de comprendre les barrières commerciales interprovinciales.

Voici la question que nous avons soulevée à la suite des progrès réalisés au sujet de l'AECG ou l'Accord Canada- Union européenne. En tant que pays, que faisons-nous actuellement en vue de nous préparer à l'inévitable adoption formelle de l'accord pour concurrencer les sociétés européennes qui viennent au Canada? Cette question nous a menés à nous interroger sur les barrières commerciales interprovinciales.

Lorsque le projet sera complété — et j'imagine que j'essaye de me faire réinviter à témoigner devant votre comité à ce moment —, nous pourrions revenir vous voir pour vous faire part de nos résultats, si nous allons de l'avant avec le projet.

Pour ce qui est des consommateurs, c'est un domaine fascinant. Le graphique que nous vous avons montré se veut un aspect frustrant et une incroyable possibilité pour les entreprises de la chaîne d'approvisionnement, parce que les consommateurs sont exigeants. Cela varie en fonction du segment de marché et de la catégorie d'âge. De nos jours, c'est le gluten. Demain, ce sera peut-être le sucre. Il n'y a pas si longtemps, c'était le sel et le gras trans. Quelle sera la tendance de demain? Ces changements qui semblent être des tendances deviennent en fait le courant majoritaire. Nous cherchons des moyens d'avoir la possibilité de tirer profit de ces occasions et d'être concurrentiels. Nous pensons que le secteur de la transformation des aliments et les producteurs, par exemple, ont l'occasion de cibler certaines de ces caractéristiques.

Ted Bilyea, président du conseil d'administration, Institut canadien des politiques agro-alimentaires : Si vous le permettez, il y a deux autres points importants que vous avez soulevés et dont j'aimerais vous parler pour des raisons stratégiques.

Comme dans l'exemple que vous avez utilisé au sujet du crabe, j'ai en fait vendu du crabe en France et au Canada avant qu'il soit vendu au Japon. Le crabe a ensuite été exporté au Japon, et nous y avons également participé.

Le point important, c'était qu'il y a toujours des consommateurs dans le monde qui sont prêts à payer plus que les Canadiens pour un produit. Nous devrions nous habituer à ce concept; c'est ce qui se passe aujourd'hui dans l'industrie du porc. Notre meilleur porc est en fait exporté, et j'y ai contribué. C'est aussi la réalité pour bien d'autres produits, et cela ira en s'accroissant. Voilà pour le premier point.

Ensuite, lorsqu'il est question des importations en Europe et en Asie, l'élément clé qu'il ne faut pas perdre de vue est ce que les consommateurs en penseront. On présume à la base que les consommateurs seront au courant que le produit est importé. Je suis dans le milieu depuis 40 ans. Lorsque je vais à l'épicerie, je me pose des questions lorsque j'achète des produits. Je constate que l'adresse sur l'emballage est en fait celle de l'épicerie. Dans bien des cas, je n'ai absolument aucune idée de la provenance du produit. Votre question est très importante aux yeux de l'industrie alimentaire canadienne; je n'ai pas vraiment de réponse simple à vous donner, mais nous avons en fait dit aux Américains : « Nous respectons votre droit de connaître la provenance de vos aliments. Nous n'aimons tout simplement pas la manière dont vous le faites. » C'est notre argument juridique.

Il en va de même pour les Canadiens. Tous les Canadiens ont le droit de connaître la provenance de leurs aliments, mais le problème actuel est que nous ne le savons pas. Je fais ce commentaire en passant, mais je crois que vous touchez un point intéressant.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Ma question sera courte. Quelle est l'attitude des consommateurs en général? Comment réagissent-ils à l'environnement? Vous parlez ici de l'empreinte carbone, de l'empreinte hydrique, des résidus chimiques, de l'emploi des pesticides et des herbicides. Est-ce que les gens ont commencé à accorder de l'attention à ce qu'on emploie pour la production des aliments?

[Traduction]

M. McInnes : Merci, sénateur. Selon moi, la question est très complexe dans un sens; quand les consommateurs vont à l'épicerie, nous savons qu'ils considèrent comme important le développement durable, par exemple. Par contre, en fin de compte, c'est le prix qui motivera bon nombre de consommateurs. Les gens présument que les aliments sont salubres et de qualité, mais c'est le prix qui motivera leur achat.

Cela étant dit, de plus en plus de consommateurs veulent connaître la provenance de leurs aliments. Dans les épiceries, il y a des sections pour les produits de la pêche durable. Il y a récemment eu des cas très médiatisés de restaurants qui ne servent que certains types d'aliments qui ont été produits en souscrivant à certaines pratiques éthiques ou en n'ajoutant pas certains additifs. Nous constatons que des chaînes d'approvisionnement, des détaillants et des acteurs du secteur de la transformation des aliments essaient d'être concurrentiels; ils tentent de tirer profit de certaines caractéristiques pour essayer d'attirer les consommateurs.

Comme dans le cas de certaines tendances, la réponse marginale au début devient de plus en plus le courant majoritaire. Par conséquent, les chaînes d'approvisionnement mondiales et les marchés financiers se demandent comment les entreprises en question s'assurent d'avoir un approvisionnement en ingrédient fiable. Prenons l'exemple de l'huile de palme en provenance de l'Asie du Sud-Est. La communauté internationale examine très attentivement l'exploitation durable des forêts de palmiers et ce qui se passe dans les forêts tropicales.

Dans les magasins, dans nos achats de café produit à l'ombre et dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, les achats sont de plus en plus motivés par le développement durable et d'autres pratiques. C'est donc là pour rester.

Du point de vue du Canada, comment générer une telle possibilité en fonction de ces facteurs? Des entreprises et des chaînes d'approvisionnement doivent avoir la réponse. Cela rappelle certains de nos travaux et la question qui a été posée plus tôt au sujet de la traçabilité dans l'industrie du bœuf. Pour nous permettre d'être suffisamment agiles pour intervenir, il faut aller bien au-delà de l'entreprise. L'intervention doit se faire dans la chaîne d'approvisionnement. Les consommateurs veulent connaître le ranch ou l'élevage où l'animal a été élevé et son parcours jusqu'à l'épicerie.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Dans un environnement de libéralisation des échanges commerciaux, il est certain que les compagnies qui fabriquent les produits cherchent à attirer les consommateurs, et cela crée de la concurrence sur les marchés étrangers. J'aimerais entendre votre opinion sur les défis auxquels sont confrontés les acteurs agroalimentaires, en ce qui a trait surtout à l'accès aux marchés de l'exportation.

[Traduction]

M. McInnes : Il y a probablement de nombreuses manières de vous répondre. Je vais vous donner un élément de réponse, puis mon collègue, Ted, pourra compléter le tout.

Nous venons de terminer une étude assez importante sur la compétitivité dans le secteur de la transformation des aliments au Canada. Dans cette étude, nous avons notamment constaté deux données très intéressantes. C'est le secteur le plus important de l'industrie de la fabrication dans l'économie canadienne; il surpasse les secteurs combinés de la fabrication automobile et de la construction aérospatiale. C'est le plus important secteur de l'industrie de la fabrication dans l'économie canadienne. Or, c'est un secteur qui connaît des déficits commerciaux record. Dans le secteur secondaire, notre déficit commercial avoisinait le milliard de dollars en 2004, mais il se chiffre maintenant à 6,8 milliards de dollars.

Le secteur de la transformation des aliments est important, parce qu'il utilise environ 40 p. 100 de la production agricole du Canada, et la proportion est encore plus grande au Québec et en Ontario, où plus de 65 p. 100 de la production agricole est transformée.

Voilà un problème de compétitivité bien ancré.

En tant que pays commerçant et consommateurs, nous choisissons nos aliments pour diverses raisons. Nous ne sommes pas contre les exportations, parce que nous consommons divers types d'aliments. Comment générer des marchés d'exportation en vue de créer des canaux vers les marchés pour nos producteurs agricoles et notre secteur de la transformation des aliments? D'après nous, si nous essayons de le faire en faisant concurrence aux énormes usines américaines qui profitent de leur taille et de leur efficacité pour offrir de meilleurs prix que nous, je présume que notre déficit commercial ira en s'empirant.

Nos travaux nous ont permis de conclure que cela met en lumière l'importance de l'avantage d'avoir des produits différenciés dont nous avons parlé plus tôt. Comment pouvons-nous constamment avoir des produits différenciés pour que les consommateurs japonais et européens, par exemple, voient vraiment la valeur des aliments canadiens et des ingrédients qui entrent dans la composition du secteur de la transformation des aliments?

M. Bilyea : Comme vous le savez très bien, de nombreuses barrières se dressent devant les Canadiens qui essayent de percer certains marchés. Il est important de comprendre que certaines barrières disparaîtront avec le temps et que d'autres sont là pour longtemps.

En ce qui concerne les barrières qui sont là pour longtemps, nous devons commencer à nous demander si le marché est important et repenser notre stratégie, le cas échéant. Comme David l'a dit, au Canada, notre problème est la taille de la production, en particulier dans le secteur de la transformation des aliments, mais également dans le cas de la majorité des produits agricoles, à l'exception du canola. Si nous voulons faire concurrence au secteur américain qui jouit d'un tel avantage, nous devons trouver des caractéristiques pour nous démarquer. Nous devons prendre une autre direction et annuler l'effet de la taille.

Il faut annuler cet avantage. Nous pouvons utiliser certaines barrières commerciales d'autres pays comme tremplin; nous pouvons passer par-dessus la barrière, parce que nous avons pris des mesures en ce sens, mais les entreprises qui ont une production à grande échelle ne le feront pas. C'est trop dispendieux. Cela bouleverserait trop leurs systèmes. Ces entreprises ne le feront pas. Cela ouvre donc un marché pour le Canada.

Il ne fait aucun doute que ce qui s'est passé en Chine concernant le bœuf est le meilleur exemple et l'exemple le plus facilement compréhensible qu'il m'a été donné de voir. C'était un calcul très simple; nous avons imposé que nos animaux aient des identifiants en raison de l'ESB qui nous permettaient d'assurer la traçabilité de la ferme à l'abattoir. Lors de nos négociations avec la Chine, les autorités chinoises cherchaient évidemment des manières d'empêcher l'importation massive soudaine de bœuf, et elles ont trouvé un moyen. Elles nous ont dit qu'en raison des problèmes de santé nous devons démontrer que nous avons un système obligatoire en place pour assurer la traçabilité de la ferme à l'abattoir.

Nos négociateurs commerciaux ont judicieusement accepté cette requête, parce que nous le faisions déjà. Par contre, il est intéressant de souligner que cette décision a grandement ralenti notre concurrent américain qui produit à grande échelle, parce que les Américains n'avaient pas de mesures nationales obligatoires permettant d'assurer la traçabilité à partir de la ferme.

En dépit de toutes les critiques à ce sujet, cette forme de traçabilité nous permet maintenant de générer des revenus, parce que nous avons légalement accès au marché chinois. Ce n'est pas le cas des Américains. Voilà un exemple.

Le sénateur Enverga : Votre exposé m'a beaucoup appris. Les étapes que vous avez mentionnées sont des éléments dont nous devrions toujours tenir compte.

D'après ce que je comprends de vos étapes, la FDA n'est que la première étape. L'Institut canadien des politiques agro-alimentaires recommande-t-il d'avoir une stratégie de commercialisation distincte pour chaque produit agroalimentaire que nous exportons? Recommandez-vous des stratégies de commercialisation, comme de l'eau potable de bonne qualité pour les vaches ou un beau pâturage vert? Présentez-vous des recommandations?

M. McInnes : Malheureusement, nous n'avons pas étudié chaque marché et chaque produit. Dans le document que nous avons publié la semaine dernière et auquel j'ai fait allusion dans nos commentaires, nous avons proposé une évaluation qui serait réalisée par les chaînes d'approvisionnement ou les entreprises, voire les gouvernements, dans le marché en vue d'en comprendre les combinaisons de barrières, de règles et de possibilités d'accès. Nous avons essayé de partir d'un concept de base, à savoir que les accords commerciaux sont essentiels au Canada et que beaucoup est fait ici, mais il reste encore beaucoup de pain sur la planche avant que le produit arrive sur les tablettes et y demeure. Nous avons proposé un projet d'évaluation.

Ce n'est que notre premier élément, et nous aurons peut-être d'autres idées. En fait, nous irons en Chine dans deux ou trois semaines pour essayer d'avoir une compréhension beaucoup plus approfondie de la manière d'avoir plus de produits alimentaires canadiens sur les tablettes dans cet immense pays. Nous espérons en tirer des idées qui nous seront utiles à cette fin.

Le sénateur Enverga : Il était question des aliments transformés il y a quelques instants. Étant donné que le Canada est un pays multiculturel, comment pouvons-nous tirer profit de cette caractéristique dans l'industrie de la transformation des aliments? Avez-vous présenté des recommandations, ou y avez-vous réfléchi?

M. McInnes : Nous y avons pensé, en fait. Dans nos travaux sur les aliments transformés qui sont parus en juin, nous avons reconnu l'importance de notre société multiculturelle. Il y a différentes façons d'aborder la question.

Nous avons notamment parlé du grand nombre d'étrangers qui viennent étudier au Canada et qui repartent chez eux après leurs études. Ils ont chacun le potentiel d'être des ambassadeurs pour le Canada de bien des façons, notamment en faisant connaître nos aliments et boissons. Comment pouvons-nous exploiter ce filon? Comment pouvons-nous faire en sorte qu'ils encouragent les autres pays à obtenir plus d'aliments canadiens? C'est possible, compte tenu de la croissance du commerce électronique et du commerce de détail en ligne, ressources auxquelles les gens font appel pour acheter les produits à la source s'ils n'arrivent pas à les trouver facilement où ils sont.

Comme nous le savons tous, dans certaines de nos grandes villes, et même dans bien des villes, les communautés multiculturelles sont des foyers d'innovation. Quand j'étais jeune, je me souviens du moment où les bagels sont entrés dans le marché. On ne connaissait pas le pain naan, mais maintenant, bien sûr, on en voit partout. Pensez au pain naan; pensez au pain pita. L'influence ethnique dans les assiettes et les possibilités qu'elle offre aux transformateurs et aux producteurs sont à la hausse. Il suffit de parcourir les rayons des supermarchés pour le constater.

C'est un marché très important. La question est de savoir comment il faut s'y prendre pour accéder au marché mondial. C'est à ce stade que l'on retourne à la ferme et que l'on pense aux ingrédients, à leur valeur nutritive et à la viabilité de leur production. On commence ensuite à faire fond sur l'image de marque des aliments produits au Canada et on a quelque chose. Partout au pays l'on trouve des exemples d'entreprises créées pour exploiter ces possibilités, notamment dans le secteur des légumineuses. Peut-être qu'on peut le faire davantage.

M. Bilyea : J'ajouterais quelque chose concernant les aliments transformés. David vous a dit à quel point ces aliments comptaient en général pour la santé de l'agriculture canadienne, les produits primaires. Ils représentent une part importante du marché pour ces produits de la ferme.

Cependant, j'ai remarqué que les entraves à l'exportation sont encore plus importantes pour les aliments transformés que pour les matières premières, ce qui pose problème. Lorsque je regarde la liste de priorités pour notre Secrétariat à l'accès aux marchés — j'inviterais le comité à la consulter — elle est très limitée. Elle ne contient presque pas d'aliments transformés. En gros, on vise à éliminer les entraves à l'exportation des marchandises sans devoir envisager d'en faire autant pour les aliments transformés.

Les industries canadiennes des aliments transformés ne peuvent croître que si elles trouvent un marché à l'extérieur du Canada, alors nous devons nous concentrer là-dessus.

À titre d'exemple, le Canada peut exporter ses produits du porc en Chine s'ils sont surgelés, mais pas s'ils sont cuits. Cela élimine une très grande quantité des produits que nous pourrions exporter. Au Canada, certaines personnes ont investi dans la production de divers types de mets chinois contenant du porc et du bœuf, mais elles ne peuvent les exporter parce que, une fois que les aliments sont apprêtés, ils ne peuvent être approuvés. Je recommande que l'on se penche aussi sérieusement sur cette question.

Le sénateur Oh : Messieurs, vous faites probablement partie des meilleurs. Votre étude sur le marché mondial de l'alimentation est tellement détaillée. Comme la Chine est notre deuxième partenaire commercial, pourriez-vous nous dire quelle est, selon vos recherches, la valeur actuelle de nos exportations d'aliments vers ce pays?

M. Bilyea : Je n'ai pas cette information avec moi.

M. McInnes : Malheureusement, je n'ai pas cette information à portée de la main, mais peut-être que nous pouvons vous revenir là-dessus.

Le sénateur Oh : Si vous pouviez, ce serait génial.

Pouvez-vous aussi prédire les exportations d'aliments potentielles vers la Chine dans 5 ou 10 ans? C'est un marché de taille que le Canada pourrait viser selon moi. Notre marque Maple Leaf se vend partout en Asie, surtout en Chine, pour la salubrité et la qualité de ses produits alimentaires. Ils admirent le Canada et ses produits; si vous arrivez à les mettre en marché, ils se vendent toujours.

M. Bilyea : La réponse simple est que nous aurions beaucoup de mal à fournir des produits du Canada du côté de la transformation et, en fait, à part le canola, nous aurions du mal à fournir quelque produit que ce soit qui importerait à ces consommateurs. Même si une ville venait en ligne et disait vouloir des produits canadiens, dans une demi-douzaine de nos détaillants, il serait impossible de les fournir. La demande est si importante. La transition de détaillant traditionnel à détaillant en ligne est si marquée que j'ignore qui peut arriver à répondre à la demande.

Le marché est grand aujourd'hui, mais nous n'avons vu que la pointe de l'iceberg. Un changement s'est opéré sur les sept ou huit dernières années en Chine — avant, seulement 1 p.100 des gens achetaient des aliments importés contre maintenant près de 30 p. 100, surtout dans les villes côtières. Nombre d'entre eux, vous le savez probablement mieux que moi, rapportent ces aliments lorsqu'ils rentrent de voyage, en particulier les aliments pour bébés. Il est très courant pour les gens de faire leur propre importation en Chine. Le Canada pourrait exploiter ce filon très aisément. L'ennui, c'est que nous devons nous organiser systématiquement pour pouvoir desservir ce marché. Nous aurons donc besoin d'avoir des produits différenciés. La valorisation de la marque à petite échelle importe beaucoup aux Chinois, mais nous allons devoir le faire sur une échelle suffisamment grande pour prendre notre place sur le marché.

L'avantage que nous avons aujourd'hui est qu'aucun détaillant chinois ne détient même 1 p. 100 de parts du marché. Pensez à cette situation du point de vue du Canada. Quelle différence. Les Canadiens n'ont qu'à trouver deux ou trois détaillants qui détiennent 1 p. 100 de parts du marché et ils seront tranquilles. Ils sont nombreux.

Le sénateur Oh : Du moment que le pays d'origine est le Canada, les produits se vendent.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Votre présentation est tout à fait enthousiasmante. La vision que vous nous proposez pour l'agriculture a une portée très positive. Lorsqu'on vous écoute, le problème de la gestion de l'offre disparaît pratiquement, car si on s'attaque à différencier nos produits, le produit des ventes augmentera et, si on vend davantage, on n'a plus besoin de protéger nos revenus, puisqu'ils sont liés à la taille de nos ventes.

Je trouve cela très intéressant comme vision, mais cela repose sur une analyse plutôt systémique de ce qui se passe, parce que le secteur agricole est en profond changement. En effet, si on extrapole, compte tenu de l'augmentation de la richesse dans plusieurs pays, les gens vont vouloir goûter et consommer de bons produits, des produits différents. Le secteur agricole va peut-être connaître une croissance alors que, pendant des années, c'était le contraire sur le plan du pourcentage du PIB et en matière d'emplois. La curiosité des papilles gustatives façonnera un secteur tout à fait différent des années 1930.

Cela étant dit, cette approche systémique repose également sur des ressources humaines éduquées, sur un système d'éducation qui valorise les connaissances du milieu de l'agriculture. Je vois beaucoup de choses à faire sur le plan de la politique publique pour mettre en pratique cette vision, parce que c'est une vision possible, mais il est également possible que cela ne se réalise pas si on ne met pas les choses en place.

J'aimerais entendre votre opinion sur les conditions liées à la mise en oeuvre de cette vision par rapport aux universités, aux écoles, à la formation de la main-d'œuvre et à la recherche et au développement.

[Traduction]

M. McInnes : Merci pour votre question et votre commentaire. En fait, nous constatons que le système scolaire commence à vraiment s'intéresser à notre travail. À titre d'exemple, si vous alliez sur le site web d'Agriculture en classe, qui est une initiative fédéro-provinciale, vous verriez qu'on utilise le concept de nos systèmes alimentaires comme cadre pour apprendre aux enfants d'âge scolaire comment penser au secteur alimentaire.

Pendant de nombreuses années, la plupart ou la totalité d'entre nous pensaient que le secteur alimentaire consistait en une chaîne qui allait de la production à la vente au détail. C'est certainement le cas, mais c'est beaucoup plus : la recherche et le développement; le milieu de l'éducation qui forme les étudiants aux emplois techniques; et les rôles des institutions financières, des gouvernements fédéral et provinciaux et des administrations municipales en ce qui concerne le zonage, la réglementation, et cetera, à l'appui du secteur. La liste s'allonge.

Cette initiative, dont nous étions ravis qu'elle soit sélectionnée, sert de cadre pour dire aux enfants que s'ils envisagent une carrière dans le secteur agroalimentaire, ils ne doivent pas penser qu'aux rôles traditionnels, mais voir plus grand.

J'ai mentionné l'étude sur la fabrication d'aliments. En outre, nous avons pour la première fois travaillé avec diverses écoles de commerce au pays, de Halifax à la Colombie-Britannique, pour essayer de comprendre pourquoi certaines entreprises sont aussi florissantes malgré le déficit commercial, les défis et autres facteurs que nous savons être difficiles. Pourquoi certaines entreprises réussissent-elles si bien? Pour la première fois, nous sommes conscients d'avoir exploité l'énergie de diverses écoles de commerce pour examiner un certain nombre de ces entreprises. Certaines de ces écoles prennent les analyses de cas que nous avons élaborées pour créer de nouveaux programmes scolaires.

Alors on prend des mesures. Le concept des systèmes donne l'occasion de lancer une nouvelle discussion. Je reviens à la question du sénateur Maltais concernant les entraves au commerce interprovincial. Quel que soit le défi auquel nous sommes confrontés, nous devons en discuter. Lorsque nous pensons à la réussite du secteur agroalimentaire et à ses enjeux, nous avons besoin que tous les joueurs se réunissent pour cerner les obstacles qui nuisent à la réussite du système alimentaire. Comme je l'ai mentionné, les administrations municipales doivent être consultées, même si on ne semble pas leur accorder la même place qu'aux autres ordres de gouvernement dans la discussion. Nous avons besoin de tenir compte, par exemple, de la façon dont les ministères de la Santé, de l'Environnement, du Commerce international, des Finances et autres, qui touchent tous au système alimentaire, contribuent au fonctionnement de ce système, et parfois y nuisent ou l'améliorent.

Je pense que la question est plus vaste et plus complexe, mais en réalité, le système par lequel la nourriture arrive dans nos assiettes tous les jours est assez complexe. Les entrepreneurs du secteur ressentent parfois une grande frustration, car ils semblent incapables de régler les problèmes. Une vision légèrement différente change la discussion.

Le président : Sur ce point, Walmart, Costco et d'autres grandes chaînes en Amérique du Nord présentent un nouveau type de marchandisage des produits alimentaires. Ont-ils tenu compte des comportements des consommateurs au plan alimentaire? Ont-ils contribué à accroître la production agroalimentaire au Canada?

M. McInnes : Je laisse à Ted le soin de répondre à la question sur la production. Il faudrait que j'y pense, mais il est clair que les grands joueurs essaient vraiment de répondre aux demandes des consommateurs, tout comme tout autre détaillant au pays, en essayant de comprendre ce qui attire les gens au magasin pour acheter de la nourriture. Quelques- uns des grands joueurs prennent pas mal d'initiatives, entre autres, pour assurer la viabilité. Il s'agit de mandats internationaux, alors ils ne se limitent pas à leurs activités au Canada. C'est un facteur dont il faut tenir compte lorsque nous pensons à la façon de commercialiser les produits au Canada. Ted, avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Bilyea : Je préfère ne pas me prononcer sur une entreprise en particulier.

Le président : S'il vous plaît, abstenez-vous.

M. Bilyea : À ma connaissance, tous les détaillants s'efforcent dans la mesure du possible de trouver leur propre créneau pour servir les consommateurs. L'un des problèmes qu'ont les grandes entreprises comme elles est de trouver suffisamment de produits pour remplir leurs tablettes. C'est sur ce point qu'elles éprouvent des difficultés. Nombre d'entre elles ont mis en place des programmes canadiens assez vigoureux, par exemple, dans les fruits et légumes l'été, et le bœuf et le porc. Le poulet et les produits laitiers sont faciles à gérer parce qu'ils sont tous canadiens, sauf en ce qui concerne les quotas d'importation. Ils les ont tous envisagés parce qu'ils savent qu'ils fonctionnent — ils attirent les consommateurs.

La question est de savoir comment remplir le magasin en entier. C'est un problème à l'heure actuelle, car nous avons moins d'animaux qu'à tout autre moment de ma carrière. Voilà un des problèmes avec lequel ils doivent composer.

La sénatrice Beyak : Messieurs, je reprends les très bons mots de la sénatrice Bellemare. Votre présentation était positive, instructive et excellente.

J'ai écouté les autres sénateurs parler de leurs préoccupations concernant l'industrie laitière et j'ai entendu la même chose, mais j'ai aussi entendu des points positifs. Y a-t-il une façon pour votre entreprise d'envisager de produire un fromage typiquement canadien? Il y a de bons fromages dans le monde entier, mais selon moi, le fromage canadien est le meilleur. Y a-t-il une marque que chaque producteur pourrait confectionner pour qu'il soit connu dans le monde entier pour son bon goût et pour que l'on crée une économie d'échelle?

M. McInnes : J'aime le fromage canadien. Nous n'avons pas étudié cette question en tant que telle et nous n'avons pas encore étudié la question de la gestion de l'offre, bien qu'elle ait été soulevée par les fabricants d'aliments dans le cadre de notre examen de la fabrication des aliments. Ils ont formulé divers commentaires.

Votre question s'applique à bien des types d'aliments et de boissons au pays. Tout est dans la façon d'exploiter la marque. Je ne veux pas partir sur une tangente parce que cela ne répond pas directement à votre question. Je ne me suis pas penché sur ce sujet en particulier.

M. Bilyea : Je pense que c'est une excellente idée. On n'a pu faire autrement que remarquer que deux très grandes entreprises du secteur agroalimentaire canadien à la croissance très rapide sont des entreprises laitières. Elles sont en voie de devenir des géantes canadiennes sur la scène internationale. Leurs dirigeants seraient de très bonnes personnes à qui adresser cette question en raison de leur savoir-faire dans ce domaine. Ces entreprises croissent très rapidement et sont de calibre mondial.

Fait assez intéressant, le Canada n'exporte peut-être pas de produits laitiers, mais nous avons réussi à produire deux excellentes grandes entreprises laitières.

J'ajouterais une autre note positive concernant les produits à offre réglementée.

À ma connaissance, nous n'avons absolument aucun problème avec le Japon dans le dossier des produits laitiers. En fait, le Canada et le Japon ont bien des préoccupations communes et, si je devais classer les accords commerciaux les plus prometteurs pour le Canada — et cela fait cinq ans que je le répète, et je l'ai répété pendant tout le débat entourant le PTP — le Japon est le pays vers lequel nous devrions tourner notre attention. En ce sens, il n'y a pas de problème. Les Canadiens font front commun pour accéder à ce marché, et nous devrions nous concentrer entièrement sur lui.

J'ai une chose à ajouter : c'est un phénomène intéressant, mais je connais une entreprise qui est fin prête à exporter du lait du Canada à la Chine, seulement du lait entier, et qui l'ait peut-être déjà fait. La question est simplement de savoir si le consommateur est prêt à payer un prix au moins aussi élevé que les Canadiens, quel que soit le prix mondial du lait. Ils l'importent par cargo aérien, et il s'agit entièrement d'une relation de confiance. Je ne dis pas que l'on pourrait développer tout le marché chinois de cette façon, mais nous devons reconnaître que le monde change de façon quelque peu imprévisible. Nous devons en être bien conscients. Je pense que la confiance est primordiale.

Je pense que nous allons finir par trouver une solution avec les industries à offre réglementée, mais ce ne sera que dans un forum très neutre dans lequel les plus grands esprits de cette industrie et des secteurs de la transformation et de l'exportation pourront se réunir et réfléchir à ce que cela signifie. Comment explique-t-on que, au cours des cinq dernières années, le prix mondial du lait est monté en flèche à deux occasions et qu'il a presque atteint le prix de soutien au Canada les deux fois? Qu'est-ce que cela nous dit? Il a baissé un peu, mais par deux fois, il est monté au point où nous pouvions presque, en théorie, l'exporter à notre prix de soutien. Je parle très souvent à mes amis de l'industrie. Je les taquine et leur dit : « Que feriez-vous s'il était vraiment à ce prix-là? Vous prendriez de l'expansion. »

La sénatrice Beyak : Exactement.

[Français]

Le sénateur Maltais : Dans le tableau que vous nous avez distribué, on voit un petit encart très intéressant. Une fois qu'on aura produit et exporté beaucoup, comment se portera notre écosystème au Canada?

[Traduction]

M. McInnes : Est-ce que vous pourriez répéter?

[Français]

Le sénateur Maltais : Lorsqu'on aura produit davantage qu'on le fait présentement, lorsqu'on aura exporté et atteint le seuil maximal d'exploitation de nos terres, n'y aura-t-il pas un danger ou un signal d'alarme auquel on devra être à l'écoute, puisque la surexploitation des sols est un danger connu?

[Traduction]

M. McInnes : Je connais nombre de producteurs qui excellent dans la gestion de la terre et s'enorgueillissent de la façon dont ils gèrent leurs ressources naturelles. Je pense que plus il y aura de technologie, de sensibilisation et de rapprochement avec le consommateur, plus il y aura de producteurs comme ceux-là.

En fait, pour en revenir, peut-être, à l'origine de la question, c'est-à-dire que l'on ne s'intéresse qu'au volume, les possibilités du Canada pourraient aussi résider dans la valeur et la façon dont nous ajoutons de la valeur à ces produits et ingrédients.

Je vais revenir aux légumineuses. Nous avons énormément de terres pour en produire à la grandeur du pays, et vous entendrez peut-être les témoignages de représentants de ce secteur au cours de vos prochaines réunions. Ils trouvent aussi des façons de prendre la protéine en poudre, de l'appliquer et de s'allier avec l'industrie des pâtes et d'autres secteurs pour accroître la teneur en protéines des pâtes. Nous devons avoir une perspective globale de la valeur de ce que nous produisons et des possibilités que nous avons au stade de la transformation; sans accroître le nombre d'acres que nous cultivons, cette méthode pourrait être une façon raisonnée d'ajouter de la valeur à nos produits.

M. Bilyea : J'aimerais dire quelque chose brièvement. Je pense que vous abordez un sujet très délicat, car, dans le cadre de notre stratégie, nous avons énoncé que nous croyons fondamentalement que l'agriculture doit être durable.

L'une des questions avec laquelle, à mon avis, vous allez devoir composer — pas nous, mais vous — est la suivante : si la famille est propriétaire des terres pendant une longue période, elle les entretient. Elle ne fera rien pour mettre son avenir en péril, car le sol est son avenir. Nous sentons la pression exercée par des intérêts étrangers qui veulent acheter des terres au Canada, car elles leur sont si précieuses. Je pense que votre travail touche plusieurs questions auxquelles il est très important de réfléchir. Ce commentaire est en plein dans le mille. Je ne connais aucune famille agricole qui s'efforcera de causer du tort à ses terres. C'est la dernière chose qu'elle ferait. Son rôle consiste essentiellement à gérer l'eau et le sol.

Le sénateur Maltais : Merci.

Le président : Messieurs Bilyea et McInnes, il est clair que vous avez donné le ton de bien des façons avec votre présentation de ce soir. Elle était très instructive et nous referons sans aucun doute appel à vous, surtout lorsque vous reviendrez de Chine, pour que vous puissiez nous faire connaître vos vues et nous dire ce qui nous attend dans nos échanges avec ce grand pays.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je remercie MM. McInnes et Bilyea. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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