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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 27 - Témoignages du 7 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 7 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 heures, pour étudier les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Je souhaite remercier les témoins d'avoir accepté notre invitation. Nous vous présenterons sous peu.

Je m'appelle Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick, et président du comité. Je vais demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Merchant : Je suis Pana Merchant, de la Saskatchewan.

La sénatrice Tardif : Je suis Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Moore : Je suis Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bonjour, Ghislain Maltais, de la province de Québec.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Je suis Betty Unger, de l'Alberta.

Le sénateur Ogilvie : Je suis Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci. Ce matin, le comité poursuit son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

[Français]

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle important dans l'économie canadienne à travers notre grand pays.

[Traduction]

Le président : En 2012, un travailleur sur huit au pays, soit plus de 2,1 millions de personnes, était employé dans le secteur agricole et agroalimentaire canadien, qui contribue à hauteur de près de 6,7 p. 100 au produit intérieur brut.

[Français]

À l'échelle internationale, le secteur agricole et agroalimentaire canadien était responsable de 3,6 p. 100 des exportations mondiales des produits agroalimentaires en 2012.

[Traduction]

De plus, en 2012, le Canada était le quatrième exportateur de produits agroalimentaires au monde. Le Canada a signé plusieurs accords de libre-échange. À ce jour, 12 ententes sont en vigueur : l'Accord de partenariat global entre le Canada et l'Union européenne est conclu; et des négociations sont en cours relativement à 11 accords de libre-échange, notamment en vue de moderniser l'Accord de libre-échange Canada-Costa Rica. Le gouvernement fédéral a également entamé des discussions préliminaires sur le commerce avec la Turquie, la Thaïlande et les États membres du Mercosur : l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et le Venezuela.

Honorables sénateurs, les témoins de notre premier panel ce matin sont M. Jean Michel Laurin, à titre personnel, ainsi que Mme Kathleen Sullivan.

Merci d'avoir accepté notre invitation et de partager avec nous votre expertise, votre vision et vos recommandations au sujet du mandat donné au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts par le Sénat du Canada.

Le greffier m'indique que c'est M. Laurin qui nous présentera d'abord son exposé, puis ce sera au tour de Mme Sullivan.

[Français]

Monsieur Laurin, la parole est à vous.

Jean Michel Laurin, à titre personnel : Bonjour, c'est avec plaisir que je comparais devant vous ce matin pour discuter de l'accès aux marchés internationaux. Je m'appelle Jean Michel Laurin. Je suis vice-président chez Octane Stratégies, un cabinet-conseil établi à Montréal, à Québec et à Ottawa, qui est en affaires depuis plus de 25 ans. Notre équipe multidisciplinaire offre des services-conseils en relations publiques et gouvernementales, en recherche et analyse économique, en planification stratégique et en acceptabilité sociale.

Je présume que si je suis ici, aujourd'hui, c'est surtout parce que je travaille sur les enjeux liés aux politiques commerciales et à l'accès aux marchés depuis maintenant plus de 12 ans à titre de consultant auprès de diverses organisations. Jusqu'en 2013, j'agissais comme vice-président responsable des enjeux liés au commerce international pour l'Association des manufacturiers et exportateurs du Canada, mieux connue sous son acronyme anglais CME.

Premièrement, mon rôle au sein de l'association consistait notamment à comprendre les priorités commerciales des milliers d'entreprises membres de l'association et des 50 associations sectorielles membres de la Coalition des manufacturiers du Canada. Deuxièmement, il s'agissait de définir les priorités commerciales de l'association, qui étaient, bien entendu, liées aux intérêts des entreprises membres. Troisièmement, je devais travailler avec nos partenaires du gouvernement pour faire avancer nos intérêts.

Parmi les membres de l'association se trouvaient plusieurs entreprises du secteur de la transformation alimentaire ainsi que des entreprises faisant partie de la chaîne de l'agriculture, telles que des fabricants de machinerie agricole.

On pense souvent, à tort, que l'agriculture et le secteur manufacturier sont deux secteurs mutuellement exclusifs. Or, il ne faut pas oublier que la principale industrie manufacturière au Canada est la transformation alimentaire. Ce secteur représentait à lui seul plus de 15 p. 100 des ventes du secteur manufacturier l'an dernier avec des revenus de 95 milliards de dollars. C'est davantage que les secteurs de la fabrication automobile, du raffinage des produits pétroliers, et de l'aéronautique.

Pour compléter mon introduction, j'aimerais partager quelques observations initiales avec vous. La première est que l'accès aux marchés internationaux est vital pour une économie comme la nôtre. En raison de la petite taille de notre marché intérieur, nous sommes condamnés à être libre-échangistes si nous voulons continuer d'améliorer notre niveau de vie et prospérer.

La deuxième observation est la suivante : si nous sommes condamnés à être libre-échangistes, nous avons intérêt à ce que les marchés internationaux soient de plus en plus ouverts et que nos échanges commerciaux soient encadrés par des règles qui sont claires et transparentes, de sorte que nous puissions les faire appliquer de façon efficace.

Depuis maintenant quelques années, le Canada, comme plusieurs de nos partenaires commerciaux, s'est lancé tous azimuts dans la négociation d'accords régionaux et bilatéraux. Le président en a mentionné quelques-uns

C'est là, certes, une excellente nouvelle, et la conclusion d'accords comme celui qui vient d'être négocié avec l'Union européenne mérite d'être soulignée. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que la négociation d'accords comme celui-là et le Partenariat transpacifique était à la base notre plan B. Notre plan A visait à négocier un accord multilatéral avec tous les membres de l'OMC. Les négociations avec l'OMC ont achoppé pour des raisons qui ne sont pas nécessairement liées au Canada, mais je fais partie de ceux qui pensent qu'un pays comme le nôtre peut et doit jouer un rôle plus dynamique pour renforcer le système commercial mondial.

Ma troisième observation est liée au fait que les Canadiens doivent comprendre à quel point il est important, aujourd'hui, de négocier des accords commerciaux globaux. Favoriser le commerce international n'est pas seulement une question de tarifs douaniers, parce que, aujourd'hui, le commerce ne se résume pas à l'échange de produits. Il faut prévoir aussi la diminution des coûts liés au commerce. On parle, par exemple, de différences réglementaires, de paperasserie administrative et de règles qui concernent le commerce des services, de la promotion, de l'investissement, de la mobilité du personnel et des voyageurs d'affaires, pour ne nommer que ceux-là.

Pour terminer, j'espère que votre étude traitera également de la Chine. On parle de la deuxième économie mondiale, de notre deuxième partenaire commercial. Lorsqu'on parle de la Chine, aujourd'hui, j'ai un peu l'impression que c'est comme si on parlait des États-Unis dans les années 1980. Cela soulève les passions, et on l'a vu récemment lorsqu'on parlait de l'application d'un simple traité sur la protection des investissements. Nous devons être en mesure d'avoir un dialogue rationnel au sujet de la promotion de nos intérêts commerciaux auprès de la Chine.

Je vais m'arrêter ici, et je répondrai avec plaisir à vos questions.

[Traduction]

Kathleen Sullivan, à titre personnel : Merci beaucoup, et bon matin. Mon nom est Kathleen Sullivan. J'ai passé les 20 dernières années à travailler pour les secteurs canadiens de l'agriculture et de l'agroalimentaire, notamment à titre de présidente de l'Institut canadien des politiques agroalimentaires, l'ICPA, de directrice générale de l'Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, l'ACCAA, et, plus récemment, en tant qu'experte-conseil indépendante au sein de ma propre entreprise. J'ai acquis mon expérience dans le domaine agroalimentaire dans le cadre de longues négociations à l'OMC, de la conclusion de très importants accords internationaux dont l'Accord économique et commercial global du Canada et de l'Union européenne, l'ACCG, l'Accord de libre-échange Canada-Corée et le Partenariat transpacifique, entre autres. De plus, j'ai eu le privilège de siéger au conseil consultatif du ministre Fast sur la Stratégie commerciale mondiale en 2012 et en 2013.

Aujourd'hui, je travaille comme experte-conseil indépendante dans le domaine du commerce, où je représente des entreprises canadiennes et européennes pour lesquelles j'analyse la politique commerciale du Canada ainsi que les incidences que peuvent avoir les ententes commerciales négociées par celui-ci. Pour ne rien vous cacher, je représente les fabricants de fromages canadiens et européens, ce qui rend les choses intéressantes.

Comme vous l'avez sûrement déjà entendu de la part de plusieurs témoins, le commerce international est essentiel pour de nombreux secteurs agricoles. Aujourd'hui, le Canada exporte des produits agricoles et alimentaires d'une valeur de plus de 44 milliards de dollars, ce qui fait de notre pays le cinquième exportateur de produits agroalimentaires au monde. Malheureusement, il y a quelques années, la Chine nous a damé le pion, de sorte que nous sommes passés du quatrième au cinquième rang.

Selon les estimations, le Canada exporte environ la moitié des aliments cultivés ou produits au pays. Dans quelques secteurs, ce chiffre est beaucoup plus élevé; il y a, par exemple, des années où l'industrie du canola exporte 80 p. 100 de ses produits, et parfois même plus.

Il est important de savoir que pour la majorité des secteurs, le Canada constitue notre plus important marché, et les consommateurs canadiens, notre plus importante clientèle. Toutefois, comme la consommation d'aliments canadiens plafonne, nos secteurs de l'agriculture vont dépendre de plus en plus des marchés d'exportation pour accroître leur production et en augmenter la valeur.

Malheureusement, le commerce est un domaine extrêmement complexe. Pour y connaître la réussite, il faut élaborer une stratégie à multiples volets et investir des ressources de façon continue. Le Canada doit déployer des efforts acharnés pour conserver ses marchés existants. Le Canada n'est pas seul au monde. La concurrence que lui livrent d'autres grands pays exportateurs comme les États-Unis, l'Union européenne et le Brésil, est féroce. Ces exportateurs et bien d'autres pays mènent beaucoup de négociations visant à conclure des accords préférentiels avec nos partenaires commerciaux actuels. Nous l'avons vu récemment, dans le cas de l'Accord de libre-échange avec la Corée du Sud, où l'Union européenne et les États-Unis ont réussi à nous devancer.

En second lieu, tout comme le marché canadien, bon nombre de nos grands marchés extérieurs commerciaux arrivent à saturation. Pour poursuivre sa croissance, le Canada doit trouver de nouveaux marchés d'exportation où il peut vendre ses produits. L'Accord économique et commercial global Canada-Union européenne est un exemple unique où le Canada a réussi à prendre de l'expansion dans un marché établi, mais ceux-ci ne sont pas légion. Voilà pourquoi il faut nous concentrer sur des marchés, comme ceux de l'Asie, où la demande pour les produits que nous fabriquons augmente.

Les barrières non tarifaires sont le troisième grand domaine où il faut concentrer nos efforts. À mesure que les tarifs en agriculture baissent, les pays ont de plus en plus tendance à bloquer l'accès au marché au moyen de barrières indirectes. Ces « barrières non tarifaires » sont une nouvelle forme de protectionnisme. Nous l'avons vu très récemment dans le cas de la réglementation américaine relative à la mention obligatoire du pays d'origine sur l'étiquette. Les barrières non tarifaires sont très difficiles à abattre. Elles prennent une multitude de formes, il est très difficile de s'y attaquer de façon directe dans le cadre d'accords et, quand ces obstacles s'érigent, leur élimination peut prendre des années et coûter des millions de dollars en contestation.

Les secteurs agroalimentaires du Canada peuvent saisir beaucoup d'occasions d'affaires à l'étranger, surtout dans le contexte du très ambitieux programme commercial du gouvernement actuel. Toutefois, pour réussir, les secteurs canadiens de l'agriculture doivent avoir une compréhension solide et stratégique des marchés internationaux, y compris des rouages et des avantages des accords commerciaux internationaux, ainsi que des risques et des effets néfastes des obstacles au commerce que nous imposent nos plus grands partenaires commerciaux.

[Français]

La sénatrice Tardif : Je vous remercie de votre excellente présentation. Vous avez tous les deux parlé des barrières tarifaires. Selon plusieurs témoins, il est important que le Canada parvienne à éliminer non seulement les barrières tarifaires, mais aussi les barrières non tarifaires pour les exportateurs canadiens. Quelles sont les restrictions auxquelles sont soumis les exportateurs canadiens en ce qui concerne l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires sur les marchés internationaux?

[Traduction]

Mme Sullivan : Les barrières non tarifaires prennent une multitude de formes. La plus connue à l'heure actuelle est sans doute la mention du pays d'origine sur l'étiquette aux États-Unis. Il arrive que des pays appliquent certaines exigences réglementaires sur des produits importés qui augmentent les coûts et compliquent la donne pour ces produits par rapport aux produits nationaux. Il y a aussi des cas, par exemple au sein de l'Union européenne et dans de nombreux autres pays — comme la Chine et la Russie — où l'utilisation de stimulateurs de croissance est interdite, même si ces produits ont obtenu des assurances en matière de salubrité de la part d'organismes internationaux.

Il y a des pays qui s'opposent ouvertement aux organismes internationaux ayant formulé les recommandations, même s'ils en sont membres. Il s'agit de situations difficiles à régler, car au bout du compte, même en ayant des accords commerciaux avec différents pays, chacun d'eux se réserve le droit souverain de prendre ses propres règlements, et bien souvent les pays prennent des décisions pour des raisons politiques ou internes, même s'ils vont ainsi à l'encontre des accords internationaux qu'ils ont signés.

Il y a aussi des problèmes quand les procédés utilisés en usine ne sont pas les mêmes dans les deux pays — c'est fréquent dans le secteur de la transformation alimentaire, surtout dans le cas de la viande. Un pays affirmera que les normes du Canada sont moins élevées que les siennes et insistera pour que le Canada procède d'une certaine manière. Dans ces cas-là, le Canada s'efforce toujours d'obtenir une « reconnaissance réciproque ». Nous voulons que l'autre pays reconnaisse que notre réglementation, même si elle semble un peu différente de la leur, atteint le même objectif, soit la salubrité des aliments

[Français]

M. Laurin : Les questions qui concernent les barrières non tarifaires sont toujours complexes. Comme Mme Sullivan vient de l'expliquer, il n'y a qu'un pas, parce que le gouvernement dispose de l'autorité voulue lorsqu'il s'agit de réglementer un secteur en particulier. Dépasser cette limite signifie que l'on commence à appliquer des exigences qui favorisent les producteurs locaux, ce qui nuit aux entreprises étrangères qui souhaitent pénétrer ce marché.

À l'époque où l'on négociait l'accord de libre-échange avec la Corée, on nous disait que les Coréens se faisaient demander d'où provenait leur voiture lorsqu'ils remplissaient leur déclaration d'impôt. C'est le genre de mesures qui viennent encourager... J'ai même entendu dire que dans certains pays, des entreprises exportatrices étaient forcées d'utiliser un port en particulier, alors que ce dernier accusait des retards importants de plusieurs mois.

Donc, il n'y a souvent qu'un pas entre la mauvaise foi et la bonne volonté, c'est-à-dire entre les restrictions d'accès aux marchés et l'adoption de politiques légitimes. Comme l'a mentionné Mme Sullivan, la meilleure solution est de renforcer la collaboration. En général, les deux pays partagent les mêmes intérêts. Dans le cas des produits agroalimentaires, il s'agit de la protection de la santé des consommateurs. Il importe que les autorités réglementaires des deux pays en question s'assoient ensemble et trouvent une façon de reconnaître mutuellement leur processus ou une solution commune qui répondra à leurs exigences.

La sénatrice Tardif : Est-ce que la marque Canada est une stratégie qui favorise l'exportation de nos produits sur les marchés internationaux?

[Traduction]

Mme Sullivan : Il faudrait poser la question pour chacun des produits, mais dans l'ensemble, je crois que oui. Le Canada a une excellente image à l'échelle internationale, tant sur le plan de la qualité des produits que nous fabriquons et que nous cultivons que sur celui de la salubrité. On me le dit souvent dans le cadre de mon travail de réglementation : le Canada est perçu comme ayant l'un des systèmes de réglementation les plus stricts et efficaces au monde. En raison de sa rigueur, il est parfois très difficile, pour les gens qui tentent de faire certifier un produit, de franchir toutes les étapes du système. Toutefois, celui-ci est considéré comme étant l'un des cinq meilleurs sur la planète. La marque Canada est facile à reconnaître; bien des pays s'en disent envieux, car elle utilise la feuille d'érable, un symbole facilement reconnaissable. Bien peu de pays ont un symbole aussi aisément reconnaissable. Il évoque bien des choses chez les gens. Nous ne pouvons naturellement pas nous en remettre uniquement à cela, mais c'est une marque qui se distingue nettement à l'échelle internationale.

M. Laurin : J'ajouterais que cela ne s'applique pas seulement au secteur agroalimentaire. Il en est constamment question dans le secteur de la fabrication. Les entreprises insistent beaucoup sur cet aspect et disent que nous devons continuer à le renforcer, car, de plus en plus, tant dans le secteur agroalimentaire que dans celui des services, tout le monde cherche à se distinguer de la concurrence en apportant une valeur ajoutée, en faisant preuve d'innovation ou en trouvant un meilleur produit que la concurrence. À mon avis, il n'y a pas beaucoup d'entreprises au Canada qui font face à la concurrence en se fondant uniquement sur le prix.

Le poids associé à l'indication « Fait au Canada » permet aussi aux produits ou aux services offerts de se démarquer de la concurrence. Ce point revient constamment lors des tables rondes avec les fabricants et les exportateurs partout au pays. Ceux-ci comptent sur le gouvernement pour développer et faire rayonner cette image de marque

[Français]

Le sénateur Maltais : Je souhaite la bienvenue à nos invités.

Monsieur Laurin, le Canada a signé des accords, et il négocie présentement d'autres traités de libre-échange. Vous disiez en particulier que vous aviez hâte qu'il y en ait un avec la Chine. Dans l'éventualité où tous ces traités fonctionneraient bien — on parle de traités pour le Canada, bien entendu, axés sur l'exportation, parce que nous sommes 36 millions de consommateurs —, est-ce que tous ces traités pourraient représenter un danger pour les marchés intérieurs et les productions intérieures? Le libre-échange veut dire que l'on exporte, mais que l'on achète aussi. Est-ce que les produits qui sont manufacturés pour nous, les Canadiens, et qui sont faits au Canada, pourront demeurer concurrentiels et de haute qualité, comme ils le sont à l'heure actuelle?

M. Laurin : C'est une très bonne question. Je voudrais seulement préciser que je ne fais pas la promotion de la négociation d'un accord de libre-échange avec la Chine. Ce que je dis, c'est qu'il faut tenir une discussion sérieuse sur ce qui pourrait être fait. Est-ce qu'un accord de libre-échange représente la meilleure solution pour faire avancer nos intérêts commerciaux en Chine? Je n'en suis pas certain. Par contre, il est important pour nous de continuer à améliorer notre relation avec la Chine.

Votre question est très bonne. Est-ce que, lorsqu'on négocie des accords de libre-échange, ceux-ci peuvent nuire à notre capacité de production? Vous parlez de notre capacité manufacturière, mais il pourrait s'agir d'autres secteurs également. Je vous dirais que le Canada représente environ 2 p. 100 du marché mondial. Donc, de plus en plus, si les entreprises manufacturières veulent survivre dans un environnement concurrentiel... Le Canada n'est tout de même pas un pays où les coûts sont faibles. Les entreprises canadiennes doivent donc se différencier en offrant des produits et services à valeur ajoutée, et grâce à leur agilité, être capables de répondre rapidement à la demande des consommateurs. Elles doivent se démarquer en faisant de la recherche et du développement et en proposant des solutions novatrices. Plus vous vous spécialisez, plus votre créneau est limité, et plus le marché canadien n'offre pas de potentiel important pour vous.

Je pense que toutes les entreprises manufacturières veulent vendre leurs produits au Canada, mais elles ne peuvent se limiter à cela. Longtemps, notre moyen de subsistance consistait à vendre du côté américain. On s'attend à ce que ce marché, au cours des prochaines années, continue à stimuler la croissance des exportations canadiennes. Cependant, de plus en plus, la tendance à moyen et à long terme, ce sont les marchés émergents. En parlant de l'Asie, il est critique que nos entreprises réussissent à profiter davantage des occasions offertes par les marchés qui s'y trouvent.

Ainsi, je pense que nous sommes condamnés à être libre-échangistes. Dans le cadre de chaque négociation d'accord de libre-échange, nous avons des intérêts défensifs. Il y a des industries qui ont peur ou qui ont des craintes liées aux pertes de production, et au manque de compétitivité de leur industrie par rapport à certaines entreprises à l'étranger. Cependant, généralement, l'autre pays a également des intérêts défensifs, et c'est la beauté d'une négociation. C'est d'être en mesure de concéder tel point, mais de demander, en échange, que l'autre partie nous concède des points pour lesquels nous avons des intérêts. Il y a toujours des intérêts défensifs et offensifs. La beauté de la chose, c'est qu'on réussit à régler ces enjeux-là en négociant un accord qui est tout de même assez large.

Le sénateur Maltais : Je vais vous donner un exemple qui est frappant, soit celui de l'usine du vêtement. Il y a 50 ans, le Canada s'autosuffisait en matière de production de vêtements, et produisait même pour l'exportation des vêtements, des chaussures, des sacs à main pour dames, et tout ce qui touchait la mode. Aujourd'hui, les grandes marques internationales de France, d'Espagne ou d'Italie nous parviennent de la Chine.

Je mentionne en particulier l'industrie du vêtement au Québec qui était très importante. Nous estimons avoir perdu 10 000 emplois dans l'industrie du vêtement et de la chaussure, qui a peut-être été remplacée par autre chose, comme vous allez me le dire. Cependant, est-ce qu'on ne risque pas, à long terme, de voir certains secteurs de production canadienne disparaître complètement, parce qu'ils sont envahis par des produits à moindre prix? C'est arrivé en France, par exemple. Aujourd'hui, on achète du Pierre Cardin fait en Chine ou en Inde. Seul le prix n'a pas changé. Est-ce qu'on peut voir des aspects de notre industrie disparaître, parce que les secteurs ne sont plus compétitifs?

M. Laurin : La réponse courte, c'est non. Il ne s'agit pas de secteurs industriels qui gagneront ou qui perdront. La question, c'est que, à l'intérieur de chacun des secteurs industriels, le type d'activités qui y sera réalisé subira une profonde transformation. L'industrie du textile et du vêtement en est un bon exemple; c'est un secteur qui demande généralement assez de main-d'œuvre, c'est-à-dire que les coûts liés à la main-d'œuvre sont assez élevés au sein de cette industrie, par rapport aux prix de la marchandise. Donc, le type de fabrication qui est lourd en matière de main- d'œuvre a malheureusement quitté le Canada pour des pays comme la Chine. On n'a qu'à regarder les étiquettes de nos chandails, et c'est le cas partout dans le monde maintenant. Généralement les coûts de main-d'œuvre dictent les décisions en matière de fabrication dans ce domaine.

Par contre, il y a des entreprises du secteur du vêtement et du textile au Canada qui se portent bien. Généralement, elles fabriquent le type de matériaux que l'on retrouve dans les habits de pompier, les membranes d'étanchéité, les textiles qui ne sont pas nécessairement portés par des gens, mais dont on se sert dans d'autres secteurs. Cela représente moins d'emplois, il ne faut pas se le cacher, mais il demeure tout de même un secteur du textile du vêtement au Canada qui est beaucoup plus limité, qui est très différent. Dans certains cas, il y a encore beaucoup de design et de distribution qui se font, mais quant à la fabrication, je suis d'accord avec vous, il s'en fait beaucoup moins ici.

Le sénateur Maltais : Une entreprise comme la vôtre, est-ce qu'elle pourrait faire la promotion d'entreprises qui existent dans d'autres domaines? Je pense à Atmosphere, par exemple, au Québec, qui met l'accent sur la très haute qualité, et qui offre des produits qui peuvent être exportés facilement et qui ne sont pas compétitifs à l'échelle internationale, où on ne retrouve pas la même qualité dans les vêtements sportifs et les vêtements d'hiver. Au Bangladesh, il fait moins froid qu'ici, donc on peut se spécialiser dans certains secteurs de vêtements et de fibres, comme vous le dites. Il y aurait là un nouveau créneau pour les entreprises canadiennes.

M. Laurin : C'est un peu ce que j'ai constaté. Je ne suis pas un spécialiste de l'industrie du textile et du vêtement, mais d'après ce que je vois et ce que j'entends de la part des entreprises membres des associations où je travaillais, justement, le type de production qui se fait au Canada s'est beaucoup spécialisé dans des créneaux particuliers où on avait une expertise et où le coût de la marchandise n'est pas lié à la main-d'œuvre manufacturière, mais plutôt à la recherche et au développement, dans l'ingénierie et tout ce comprend le tissu.

Le président : Merci, sénateur Maltais.

[Traduction]

Madame Sullivan, avez-vous autre chose à ajouter quant à ces deux questions?

Mme Sullivan : Non. En tant qu'économiste, la perspective de Jean Michel est plus vaste. Je pense que dans le secteur agricole, le Canada rivalise déjà, sur le marché mondial, avec ses principaux concurrents, et nous avons su montrer que nous n'avons rien à envier à personne. Le Canada ne sera jamais l'un des producteurs agricoles bon marché de la planète. Je crois que la plupart de nos industries ont appris à se spécialiser dans la qualité, car c'est là notre spécialité, même dans le secteur agricole. Nous fabriquons de l'huile de canola. C'est une huile coûteuse, mais de première qualité, offrant certaines propriétés sur le plan de la santé. Le bœuf canadien est considéré comme étant de très grande qualité, mais il est aussi coûteux. Nous ne produisons pas des produits bon marché. À certains égards, nous nous sommes déjà dotés d'un créneau en ce qui concerne l'agriculture, et nous avons assurément montré notre capacité à faire face à la concurrence. Les exportateurs nous livrent déjà une forte concurrence, tant dans les marchés étrangers qu'ici même, au Canada.

La sénatrice Merchant : Des économistes voient ces gros accords commerciaux, comme le Partenariat transpacifique et l'Accord entre le Canada et l'Union européenne, comme étant des accords conclus entre grandes entreprises. Une question se pose : qu'apportent ces accords à la majorité de la population, aux Canadiens, par exemple? Quels avantages le commun des mortels retire-t-il de ces accords commerciaux?

Mme Sullivan : J'ai longuement travaillé sur l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne. J'étais à Bruxelles et à Ottawa pour toutes les rondes de négociations. Mon travail consistait principalement à représenter des agriculteurs, que je ne perçois pas comme étant de grandes entreprises. Presque toutes les fermes au Canada sont encore familiales. Nous nous sommes particulièrement intéressés à deux aspects. D'abord, nous assurer que le Canada négociait un accord permettant aux agriculteurs canadiens d'exporter leurs produits en Union européenne. À cet égard, nous avons réussi. On estime que les exportations agroalimentaires vers l'Union européenne augmenteront de 1,5 milliard de dollars une fois l'accord conclu. L'Union européenne deviendra alors véritablement l'un de nos principaux marchés. Dans le secteur agricole, il y a très peu de marchés d'une valeur de 1,5 milliard de dollars. C'est phénoménal.

L'autre aspect qui nous intéressait dans le cadre de l'accord était de nous assurer que l'accès au marché de l'Union européenne ne serait pas compromis par la mise en place de barrières tarifaires — d'obstacles réglementaires — qui bloqueraient l'entrée des produits canadiens. Cet aspect continuera de faire l'objet d'une lutte constante avec tous les marchés, y compris celui de l'Union européenne, mais il faisait partie des véritables objectifs. Au bout du compte, si nous parvenons à ouvrir un marché d'une valeur de 1,5 milliard de dollars, il s'agira là d'une valeur ajoutée considérable pour les agriculteurs canadiens — c'est-à-dire pour les collectivités rurales et les entreprises de transformation des aliments — quant aux produits expédiés.

De plus, dans certains cas, l'accord ajoute de la valeur aux produits que nous produisons au pays. Prenons l'exemple de la viande. Il faut trouver un marché pour les 150 coupes de viandes provenant d'un animal. Si nous pouvons trouver un marché au sein de l'Union européenne où vendre nos jambons — un produit qui rapporte peu ici, au Canada, mais qui a une grande valeur là-bas — nous vendrons notre production à bien meilleur prix même si nos ventes n'augmentent pas. Il y a des retombées bien réelles pour les Canadiens ordinaires qui découlent d'un accord comme celui-là.

M. Laurin : J'ajouterai simplement qu'en général, plus grande est l'ouverture des marchés, plus grande est la concurrence. Plus grande est la concurrence, plus bas sont les prix. Normalement, la signature d'accords commerciaux et l'ouverture accrue des marchés entraînent un plus grand choix et de meilleurs prix pour les consommateurs. Je dirais aussi que pour l'économie canadienne, dont le marché intérieur, toutes proportions gardées, est plutôt restreint, les accords commerciaux permettent de faire tomber les barrières au commerce à l'étranger ou de réduire les coûts. Le secteur agroalimentaire en est d'ailleurs un parfait exemple. Ainsi, les entreprises peuvent expédier davantage de produits à l'étranger, ce qui permet d'embaucher plus de Canadiens et de créer de meilleurs emplois, plus payants, pour tout le monde.

Il ne faut pas non plus oublier qu'un vaste pan de notre économie, surtout dans le domaine de la fabrication, repose sur des investissements étrangers — des entreprises étrangères qui investissent au Canada et y établissent leurs activités. Ces entreprises peuvent investir partout dans le monde et, de plus en plus souvent, elles choisissent d'installer une usine spécialisée dans une technologie ou un type de produit bien précis. Des accords de libre-échange, comme l'Accord économique et commercial global ou le Partenariat transpacifique, sont déterminants. Imaginons que vous avez une entreprise d'envergure internationale et que vous cherchez à établir vos activités dans un pays. Pour un pays qui tente d'attirer des investissements, disposer d'un accès privilégié, en franchise de droit, aux États-Unis et au sein de l'Union européenne présente un réel avantage.

N'oublions pas que le Canada a conclu l'accord avec l'Union européenne. Nous espérons qu'il sera mis en œuvre le plus rapidement possible. Les États-Unis négocient avec l'Europe à l'heure actuelle. Qui sait quand ils concluront un accord. Si les États-Unis avaient conclu un accord avec l'Union européenne et que nous ne l'avions pas fait, des milliers d'emplois auraient été en jeu. Je crois que le gouvernement doit être proactif sur le plan du commerce, et c'est le cas. Il arrive que nous nous demandions : à quoi cela sert-il? Le hic, c'est que partout sur le globe, d'autres pays sont en train de conclure des accords commerciaux. Si nous ne suivons pas la cadence, nous allons perdre du terrain.

Le sénateur Ogilvie : Madame Sullivan, ma question concerne les obstacles non tarifaires. Je vais d'abord faire une petite mise en contexte, puis je poserai deux questions à ce sujet. La résistance aux antibiotiques est en train de devenir une grande préoccupation à l'échelle mondiale. Selon l'OMS, il s'agit d'une pandémie internationale et le Parlement britannique a qualifié la situation de pandémie de grande envergure.

C'est d'abord des conséquences sur la santé humaine qu'il s'agit, mais je suis convaincu que vous voyez où je veux en venir. La crainte — qui touche particulièrement le Canada —, c'est qu'aucun règlement ne régit l'utilisation des antibiotiques dans nos principaux domaines de production agroalimentaire, à savoir le bœuf, les produits laitiers et la volaille. La situation est particulièrement marquée pour ce qui est de la volaille. Cet usage n'est aucunement réglementé et la quantité d'antibiotiques qui sert soi-disant à stimuler la croissance est énorme.

Je vois que vous hochez la tête. Je suppose donc que je n'obtiendrai pas de réponse à ce sujet, ou que la réponse est non. Les deux questions que je veux vous poser sont les suivantes. Premièrement, avez-vous déjà constaté des restrictions sur les importations imposées à des pays où les animaux reçoivent des antibiotiques de façon non réglementée pour stimuler leur croissance et avez-vous remarqué quelque changement que ce soit chez les producteurs canadiens? Évidemment, cela concerne principalement les secteurs soumis à la gestion de l'offre. Deuxièmement, avez- vous remarqué, dans ces secteurs, une sensibilisation ou une préoccupation relativement à la planification de l'avenir?

Mme Sullivan : Je dirai d'emblée que je ne suis pas une experte des pratiques de production nationale, surtout en ce qui concerne le secteur de la gestion de l'offre. Par conséquent, j'ignore qu'elle est l'orientation adoptée pour l'utilisation des antibiotiques, que ce soit d'un point de vue pratique ou stratégique. Du point de vue commercial, je dirais que nous constatons effectivement que certains pays dans le monde interdisent l'importation de produits dont la fabrication comporte certains additifs, si je puis m'exprimer ainsi. Le principal produit visé est la ractopamine, un stimulateur de croissance. La Chine, par exemple, interdit ce médicament. C'est aussi le cas de l'Union européenne et de la Russie. Il me semble que c'est dans ce domaine que les effets pourraient être les plus considérables d'un point de vue commercial. J'ai certes déjà travaillé au sein de l'Association de nutrition animale du Canada. Il y a plusieurs années, j'ai dirigé cette association commerciale qui représente les producteurs d'aliments pour animaux. Même à l'époque, les questions entourant la résistance aux antibiotiques provoquaient des remous. C'est certainement un sujet qui est dans l'air depuis longtemps.

Le sénateur Moore : Merci à vous deux de votre présence. Monsieur Laurin, avez-vous appelé Kathleen Sullivan Dre Sullivan?

Mme Sullivan : Non, je suis avocate.

Le sénateur Moore : Vous avez parlé des efforts déployés par le Canada pour conclure l'accord avec la Corée du Sud. L'Union européenne et les États-Unis sont arrivés avant nous.

Mme Sullivan : C'est exact.

Le sénateur Moore : Comment cela fonctionne-t-il? Faut-il entrer en contact avec l'autorité compétente de la Corée du Sud? Les autres pays l'ont-ils fait avant nous, ou même après nous? Comment se fait-il qu'ils nous aient devancés?

Mme Sullivan : Jean Michel a parlé de l'OMC. Théoriquement, dans un monde parfait, les pays qui sont favorables au commerce initieraient les pourparlers dans le cadre de l'OMC, car c'est un lieu d'échanges qui crée des règles du jeu équitables à l'échelle mondiale. Le problème avec les accords commerciaux bilatéraux et régionaux, c'est que, bien qu'ils puissent être très avantageux pour nous, ils sont essentiellement une course contre la montre. Auparavant, le Canada, l'Union européenne et les États-Unis exportaient tous les trois vers la Corée du Sud. Prenons l'exemple du porc. Le Canada, l'Union européenne et les États-Unis sont les plus grands exportateurs de porc au monde, le Canada occupant le troisième rang, et nous exportions tous les trois vers la Corée du Sud. La Corée du Sud avait négocié avec l'OMC une série de tarifs douaniers, et nous étions tous assujettis aux mêmes droits. Il y avait donc des droits...

Le sénateur Moore : Le taux des droits était le même?

Mme Sullivan : Il était le même. À l'heure actuelle, 162 pays sont membres de l'OMC. Chaque pays a ce qu'on appelle un « tarif de la nation la plus favorisée » qu'il doit appliquer à tous les autres pays membres de l'OMC, sauf en présence d'un accord de libre-échange. Nous étions donc tous assujettis à des droits de douane, ce qui n'est jamais une bonne chose, mais au moins les droits étaient les mêmes.

En fait, c'est le Canada qui a entamé le premier les négociations avec la Corée du Sud. Bien sûr, l'idée, c'est d'obtenir des droits de douane inférieurs à ceux de nos concurrents pour que nos ventes augmentent. Or, nos négociations sont tombées au point mort, et les États-Unis et l'Union européenne ont entrepris de négocier après nous des ententes distinctes, qu'ils ont conclues. Le Canada est ensuite revenu à la table de négociations et a conclu son accord.

Donc, ce qui s'est produit pour les trois accords, c'est que les droits de douane seront éliminés progressivement sur une longue période, disons sur 15 ans pour le porc, par exemple. Cependant, puisque l'Union européenne et les États- Unis ont conclu leur accord avant nous, nous sommes toujours derrière eux.

Le sénateur Moore : Pourquoi les négociations sont-elles tombées au point mort?

Mme Sullivan : Je suppose que tout le monde pourrait interpréter la situation différemment et je ne faisais pas partie de l'équipe de négociation, mais il y avait deux pierres d'achoppement pour le Canada : le secteur automobile, d'une part, et le secteur agricole, d'autre part. Vous vous souviendrez que, lorsque le Canada a été frappé pour la première fois par l'ESB vers 2003, la Corée a fermé son marché aux produits canadiens. Il y avait beaucoup d'inquiétudes et certains se demandaient s'il fallait négocier un accord commercial avec la Corée, alors que ce pays était allé à l'encontre des normes internationales et avait interdit l'importation de notre bœuf. Pendant de nombreuses années, le Canada et la Corée du Sud se sont trouvés mêlés à un différend assez intense dans le cadre de l'OMC. Une fois ce différend réglé, le Canada a été en mesure de surmonter les préoccupations qui existaient. L'importation de voitures coréennes au Canada inquiétait vivement les intervenants de notre secteur automobile. Nous avons été en mesure de surmonter toutes ces difficultés et nous avons conclu notre accord. Malheureusement, nous avions un retard de quelques années sur les États-Unis et l'Union européenne.

Le sénateur Moore : Le différend réglé grâce à l'OMC avait-il été résolu ou durait-il toujours quand nous avons entrepris les négociations relatives à cet accord commercial?

Mme Sullivan : Il durait toujours quand nous avons repris les négociations avec la Corée du Sud. Cela a été une grande leçon pour le Canada. En effet, si nous voulons effectuer des échanges commerciaux et si le monde mise sur les accords commerciaux régionaux et bilatéraux, nous devons devancer nos concurrents. C'est une situation regrettable.

Le sénateur Moore : S'il y a un différend, quand doit-on se lancer?

Mme Sullivan : C'est une question très difficile.

Le sénateur Moore : Je fais partie du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, aux États-Unis, et je discute sans cesse avec des députés et des sénateurs sur la politique d'étiquetage indiquant le pays d'origine des États-Unis, appelé COOL. Je n'ai pas besoin de vous dire que nous gagnons toutes nos causes. L'OMC doit-elle se réunir sous peu?

Mme Sullivan : Elle se réunira à la fin du mois de mai.

Le sénateur Moore : Je suppose que nous allons gagner encore une fois.

Mme Sullivan : Oui.

Le sénateur Moore : Vous avez toutefois formulé un commentaire intéressant sur le fait que les pays conservaient le pouvoir d'élaborer leurs propres lois pour ce qui est des obstacles non tarifaires. Où la primauté du droit entre-t-elle en ligne de compte? Nous sommes passés par là dans le dossier du bois d'œuvre. Nous avons remporté toutes les décisions, mais les Américains ont quand même pris 5 milliards de dollars aux producteurs canadiens et l'ont donné à nos concurrents américains, en dépit de toutes les décisions des tribunaux. La primauté du droit a-t-elle une importance quelconque?

Mme Sullivan : Voici le défi à relever. Je dis toujours que les accords de libre-échange sont des contrats. Supposons que je négocie un contrat avec vous. Si nous négocions ce contrat ici au Canada et que, malheureusement, l'un d'entre vous manque à sa parole, nous nous adressons aux tribunaux et le juge nous impose une décision quelconque. Cependant, il n'y a pas de tribunal pour le commerce international. Chaque pays est souverain. En matière de commerce international, aucun tribunal ne peut obliger un pays à prendre certaines mesures. Nous nous adressons à l'OMC, qui dispose d'un mécanisme de règlement des différends. Au bout du compte, même si l'OMC se prononce en votre faveur ou en la mienne, elle ne peut obliger aucun d'entre nous à faire quoi que ce soit. Elle peut toutefois autoriser la partie lésée à imposer des sanctions.

Donc, par exemple, si nous avons gain de cause au dernier niveau d'appel dans le dossier de l'étiquetage indiquant le pays d'origine et que les États-Unis ne modifient pas leur loi pour se conformer à la décision, le mieux que nous puissions faire est de riposter. Au final, c'est le seul moyen dont nous disposons. On ne peut pas imposer quoi que ce soit à un autre pays. Soyons réalistes, le Canada n'accepterait pas non plus qu'un autre pays l'oblige à faire quoi que ce soit. Par conséquent, la seule chose qu'on puisse faire est de négocier avec l'autre pays ou de riposter, comme nous l'avons fait par exemple avec l'Union européenne quand elle a interdit l'importation de bœuf traité aux hormones. Nous avons porté la cause devant l'OMC. Nous avons gagné, mais l'Union européenne n'a pas changé ses lois et elle ne l'a toujours pas fait. Elle continue d'interdire l'importation de viande traitée aux hormones. Nous avons riposté en imposant des droits de douane sur ses produits du porc, par exemple, mais la durée de ces mesures est limitée. En définitive, c'est un défaut important de notre système commercial international.

Le sénateur Moore : Vous savez peut-être que nous avons rencontré le personnel du bureau du président du Comité de l'agriculture de la Chambre des communes, qui nous exhortait à riposter. C'est le seul moyen d'attirer leur attention. Essayer de suivre tout le processus législatif prend beaucoup de temps.

J'ai une autre question à vous poser. Au début du mois de décembre, à Washington, nous avons eu la toute première réunion Canada-États-Unis-Mexique au sein d'un groupe parlementaire. Les discussions tournaient autour de la création de notre propre marché nord-américain : une politique favorisant l'achat de produits nord-américains. Compte tenu de votre expérience en matière de commerce international et de négociation avec d'autres pays, que pensez-vous de cette possibilité?

Mme Sullivan : C'est intéressant. Selon moi, les bons gens d'affaires doivent porter plusieurs chapeaux différents. D'un côté, pour ce qui est de notre secteur de l'agriculture et de la transformation des aliments, le marché nord- américain est passablement intégré. Certes, mis à part la politique COOL, la circulation des animaux de part et d'autre de la frontière canado-américaine était assez libre, sous réserve de la situation économique. À certains égards, nous considérons les États-Unis et le Mexique comme nos amis et nos alliés, mais à d'autres égards, ailleurs dans le monde, nous sommes des concurrents féroces. J'imagine que chaque secteur devrait faire sa propre analyse pour déterminer s'il est logique de travailler ensemble dans d'autres marchés. Généralement, les bons concurrents veulent conserver une longueur d'avance sur les autres fabricants du même produit.

La sénatrice Unger : Je vous remercie tous les deux de vos présentations très intéressantes. Ma question est en quelque sorte connexe. Portez-vous parfois votre attention sur le soutien au commerce interprovincial au Canada?

M. Laurin : Pour répondre brièvement : oui. La question m'intéresse. Dans une autre vie, et même maintenant comme consultant, je me suis occupé de commerce interprovincial. Plusieurs associations travaillent ensemble pour tenter d'inciter les gouvernements provinciaux à négocier ou à moderniser, si je puis dire, l'Accord sur le commerce intérieur qui existe depuis 20 ans. Je peux formuler certaines idées sur la voie que devrait emprunter le Canada à mon avis.

Mme Sullivan a mentionné plus tôt que l'un des moyens de résoudre les divergences réglementaires entre divers pays consiste à établir une sorte de reconnaissance mutuelle. L'Union européenne est maintenant composée de 28 pays et la reconnaissance mutuelle existe entre tous ces pays. En gros, si vous essayez de vendre un produit à l'un des pays de l'Union européenne, la France par exemple, et que vous respectez les règlements français relatifs à la vente de ce produit dans ce marché, vous pouvez automatiquement vendre ce produit dans n'importe quel autre pays européen en raison du principe de reconnaissance mutuelle. Essentiellement, cela signifie que si vous pouvez vendre un produit dans un pays, vous pouvez le vendre dans n'importe quel autre. Si un État membre décide d'imposer des restrictions particulières ou un règlement spécial, c'est à lui de prouver qu'il mérite une exception.

Malheureusement, l'union économique canadienne ne fonctionne pas de la sorte. Par conséquent, dans certains secteurs, notamment dans les industries de services, il y a une kyrielle de petites différences parce que chaque province a sa propre sphère de compétence. Par exemple, chaque province a un ensemble de règles différentes en ce qui concerne la réglementation environnementale ou l'industrie du transport. Il y a eu beaucoup de discussions sur la réglementation des valeurs mobilières au Canada. Chaque province a une façon spécifique et distincte de gérer tous ces secteurs. À mon avis, les gouvernements provinciaux ont commis l'erreur d'essayer de régler ces problèmes au cas par cas. À l'époque où je travaillais pour une association étrangère, elles s'adressaient toujours à nous pour demander de leur donner des exemples précis. C'est ce que nous faisions, mais c'est difficile. C'est comme la négociation de l'accord commercial avec l'Union européenne. Si les négociateurs européens nous demandaient de leur donner une liste d'exemples précis... il faut plutôt essayer de créer un ensemble de règles qui s'appliquent dans tous les cas.

Pour ce qui est de l'Accord sur le commerce intérieur, j'estime que nous devrions adopter l'approche européenne, et je sais que plusieurs dirigeants d'entreprise du Canada partagent mon point de vue. Supposons qu'il y aurait un accord de reconnaissance mutuelle. Chaque province reconnaîtrait les normes de l'autre province; ainsi, si un produit peut être vendu dans une province, il devrait être automatiquement possible de le vendre ailleurs au pays, à moins que la province ait une raison valable de demander une exception. Si la province en question voulait qu'il y ait une exception, elle devrait suivre un processus pour la demander. À l'heure actuelle, c'est toujours l'entreprise qui doit essayer d'éliminer cet obstacle. En toute honnêteté, étant donné que le marché canadien est très restreint, toutes proportions gardées, et que certaines économies provinciales sont assez petites, les entreprises décident tout simplement de se tourner vers les États-Unis, car là-bas, les choses sont beaucoup plus simples.

La sénatrice Unger : C'est un véritable problème.

Mme Laurin : C'est un problème, et je dirais qu'il est plus lié aux coûts d'exploitation d'une entreprise qu'à l'accès aux marchés. Je pense que le secteur des valeurs mobilières est un bon exemple. Les sociétés de valeurs mobilières exercent leurs activités partout au pays, et tout le monde conviendra que cela fait augmenter les coûts d'exploitation, sans nécessairement mieux protéger les consommateurs. C'est un peu la même chose dans l'industrie du camionnage. Les catégories de poids, les chargements en poids ainsi que les règlements varient selon la province. En ce qui concerne le secteur de la construction, oui, il y a eu certains progrès pour ce qui est de la reconnaissance interprovinciale des titres de compétence. Nous avons énormément fait pour favoriser la mobilité interprovinciale de la main-d'œuvre. Par exemple, il est encore difficile pour les apprentis de faire leur apprentissage dans une autre province. Prises individuellement, ces petites différences ne représentent pas un grave problème, mais ensemble, elles ont une incidence sur notre compétitivité économique.

La sénatrice Unger : Je vous remercie. J'aimerais revenir sur la dernière partie de l'intervention de Mme Sullivan. Elle a dit que l'industrie agricole canadienne doit très bien comprendre le commerce international sur le plan stratégique, notamment le fonctionnement, les avantages, les dangers et les effets perturbateurs des barrières commerciales.

Cela dit, à votre avis, est-ce que l'industrie agricole du Canada est à la hauteur?

Mme Sullivan : Dans l'ensemble, oui. À mon avis, il est évident que le gouvernement a déployé beaucoup d'efforts pour négocier des accords commerciaux. Je dis toujours que nous avons deux ministres responsables du commerce. Le ministre Fast, et aussi le ministre Ritz, se rendent constamment dans d'autres pays pour participer à des négociations commerciales. Ils cherchent aussi à abattre les barrières commerciales avec de nombreux pays et font la promotion de nos produits. Par ailleurs, certains secteurs de cette industrie sont extrêmement complexes. Le secteur du canola, le secteur des bovins et le secteur du porc ont dû accorder une grande priorité aux échanges commerciaux, car ils se heurtent à diverses difficultés, comme l'encéphalopathie spongiforme bovine et la fermeture des marchés. Le secteur du porc est aux prises avec de nombreuses difficultés. Au Canada, le secteur du canola est presque entièrement axé sur les exportations, et donc, il a dû cibler ses efforts. Il y a aussi d'autres secteurs, comme le secteur des céréales. Nous produisons de nombreuses cultures spéciales; comme elles n'ont pas autant d'ampleur que les autres, il serait probablement souhaitable de se concentrer davantage sur celles-ci. Il est également utile de connaître notre position à l'échelle mondiale, car cela nous aide à savoir que nous nous en sortons bien.

Cela dit, je tiens à souligner un aspect très important. J'ai dit que le Canada était le quatrième exportateur de produits agroalimentaires au monde et qu'il se retrouve maintenant au cinquième rang. Il y a environ 10 ans, je crois que nous nous classions au troisième rang mondial pour ce qui est de la transformation des aliments; aujourd'hui, nous sommes au neuvième rang. Ce n'est pas parce que nos exportations ont diminué. C'est parce que les exportations des autres pays, elles, ont augmenté. Nous ne nous en tirons maintenant pas aussi bien que les autres pays, même si dans l'ensemble, nos exportations augmentent. Il faut encore et toujours se concentrer sur le secteur de la transformation des aliments et voir à ce qu'il demeure concurrentiel et comprenne bien les possibilités d'exportation qui s'offrent à lui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Je vais revenir, évidemment, au Programme des travailleurs étrangers temporaires. Vous savez que le gouvernement a mis en place une loi selon laquelle, au bout de quatre ans, les travailleurs étrangers ne peuvent plus revenir au Canada avant quatre ans. Cette disposition ne concerne pas les travailleurs agricoles saisonniers, mais elle touche par contre les gens qui travaillent dans les abattoirs. Pensez-vous que ces lois posent des défis dans des secteurs d'activités comme le secteur agroalimentaire? On sait que la loi vise à encourager les gens qui viennent travailler ici à devenir des résidents permanents, de même qu'à faire travailler les Canadiens. Ce n'est pas toujours évident de travailler dans un abattoir, et cela n'intéresse pas toujours les Canadiens, mais j'aimerais connaître votre opinion sur ce dossier.

M. Laurin : C'est une bonne question. Malheureusement, l'une des principales contraintes à la croissance des exportations canadiennes est liée à la difficulté de trouver de la main-d'œuvre. Je rencontrais souvent des entreprises qui disaient être en mesure de favoriser la croissance, mais dont le problème était de trouver de la main-d'œuvre au Canada capable de faire croître leurs opérations. C'est l'une des raisons qui incitent certaines entreprises à investir à l'étranger. Par exemple, on va augmenter la production, mais on va le faire aux États-Unis ou à l'étranger où nos clients sont situés, parce qu'on n'arrive pas à trouver la main-d'œuvre au Canada.

Selon mon expérience, pour les employeurs que j'ai rencontrés lorsque je travaillais dans le secteur manufacturier, l'embauche de travailleurs étrangers temporaires était toujours le plan B. Le plan de base est de trouver une façon d'embaucher des Canadiens à des salaires compétitifs. Personne n'aimait avoir recours au Programme des travailleurs étrangers temporaires, mais tout le monde était heureux qu'il existe, parce qu'il aidait à répondre à un besoin qui était bien réel.

Le gouvernement a dû apporter des modifications au programme, et le temps déterminera l'impact qu'elles auront. Je ne suis pas à l'affût des derniers développements par rapport à la mise en œuvre de ces mesures auprès des entreprises, mais ce dossier inquiète beaucoup de gens. Il y a deux catégories de travailleurs; les moins qualifiés et les plus qualifiés. Je connais davantage les programmes qui s'adressent aux travailleurs qui sont très qualifiés. Aujourd'hui, les grandes entreprises ont des mandats à travers le monde et ont besoin d'assurer une meilleure mobilité de leur main-d'œuvre qualifiée. S'il existe un expert dans le monde pour le type de programmation dont vous avez besoin ou pour le type de machinerie que vous voulez vendre à un client qui est situé au Canada, et que cette personne est de nationalité française et que vous voulez qu'elle vienne travailler un an au Canada, il est important que les entreprises puissent déplacer les gens de façon efficace. Dans le cas de la main-d'œuvre moins qualifiée que l'on voit souvent dans le secteur agricole, il est essentiel, selon mon expérience, que les gens aient recours à ce programme, parce qu'ils n'arrivent pas à trouver la main-d'œuvre dans la région.

Le sénateur Dagenais : Madame Sullivan, avez-vous un commentaire à ajouter?

[Traduction]

Mme Sullivan : Je crois savoir qu'il s'agit d'un problème très important pour tous les secteurs de l'industrie agricole, qui ne touche pas seulement les usines de transformation alimentaire, mais aussi les exploitations agricoles. Comme vous pouvez l'imaginer, il s'agit d'un problème particulièrement important dans l'Ouest canadien, car la demande de main-d'œuvre est très élevée dans d'autres industries. Oui, je pense que cela demeure encore l'un des principaux problèmes de la communauté agricole.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos interventions. Nous cherchons à conclure des accords commerciaux avec de nombreux pays, et dans le cadre de ce processus et des négociations relatives au Partenariat transpacifique, un enjeu particulier a été soulevé, soit le fait que nous devrions faire des concessions en ce qui concerne notre système de gestion de l'offre. Qu'en pensez-vous? Estimez-vous que nous devrions faire des concessions, et le cas échéant, quelles seraient les répercussions de ces concessions?

Mme Sullivan : J'ai l'habitude de répondre à des questions sur la gestion de l'offre. Je suppose que la réponse est la suivante : peut-être que oui, peut-être que non. En réalité, dans le cadre des négociations commerciales, ce que vous obtenez est lié de près aux concessions que vous êtes disposé à faire. Il ne reste pas beaucoup de fruits mûrs à cueillir en ce qui concerne le commerce international. La majorité des droits de douane ont été éliminés sur les produits industriels partout dans le monde. C'est vraiment l'agriculture qui demeure en quelque sorte le dernier bastion. Je tiens à préciser que l'agriculture a une très grande valeur pour presque tous les pays. Notre pays n'est pas le seul qui souhaite protéger son industrie agricole; de nombreux autres pays veulent faire de même.

En ce qui concerne les négociations commerciales, nous constatons que le nombre de sujets de discussion est pratiquement épuisé, et ce serait la même chose s'il était question des négociations de l'OMC. Il faudra donc commencer à discuter de sujets délicats qui revêtent une importance particulière pour nous. Si nous voulons continuer de négocier des accords commerciaux, nous devons nous attarder davantage aux sujets délicats. Par contre, nous ne sommes pas tenus de négocier de tels accords.

De plus, pour ce qui est du Partenariat transpacifique, je pense qu'il est essentiel de déterminer à quel point les mesures proposées par les autres pays seront audacieuses. Soyons réalistes : si nous négocions avec 12 pays et qu'ils s'engagent tous à éliminer les droits de douane et à ouvrir chaque secteur, nous n'aurons pas le choix de faire de même si nous voulons faire partie de cet accord commercial. Pour ce qui est du Partenariat transpacifique, à l'heure actuelle, tous les pays ont les yeux tournés vers les États-Unis et le Japon; ils attendent de voir ce que ces derniers vont faire. S'ils proposent des mesures très audacieuses, le Canada n'aura probablement pas le choix de prendre certaines mesures pour libéraliser les échanges dans certains secteurs soumis à la gestion de l'offre s'il veut faire partie de l'accord. Rappelons- nous que la gestion de l'offre va au-delà des droits de douane. Il s'agit d'un système national. Les droits de douane existent pour que l'on puisse essayer de gérer l'offre au pays, mais il s'agit surtout d'un système national. Le fait d'élargir l'accès aux produits laitiers ou de réduire les droits de douane associés à ceux-ci ne détruit pas en soi le système de gestion de l'offre. Par contre, au fil du temps, c'est ce qui se produira, n'est-ce pas? En effet, si on élimine tous les droits de douane et que tous les produits peuvent entrer au pays, c'est ce qui va finir par arriver.

En ce qui concerne le Partenariat transpacifique, je crois que les gens attendent de voir ce qui se passera. Tout le monde essaie de savoir que ce que le Japon et les États-Unis feront et si leurs propositions seront très audacieuses. Le Canada et tous les autres pays devront s'adapter à ce qu'ils proposeront. Ceux qui ne sont pas disposés à s'adapter à leurs propositions pourront toujours se retirer du partenariat. Personne ne peut nous obliger à signer un accord commercial que nous ne voulons pas signer.

La sénatrice Beyak : Aujourd'hui, en vous écoutant, j'ai entendu beaucoup de choses que je n'avais jamais entendues avant. C'est très impressionnant. Je vais revenir à la question que le sénateur Dagenais a posée au sujet des travailleurs étrangers temporaires. Je me demande si vous avez tous les deux des observations à formuler à ce sujet et si vous pourriez nous faire des propositions ou nous faire part de vos connaissances à ce sujet. Je sais que c'est un problème très important, et il semblerait que nous ne savons plus quoi faire pour améliorer la situation.

M. Laurin : Quand vous parlez d'observations, vous parlez par exemple de recherches que nous avons effectuées?

La sénatrice Beyak : Il peut s'agir de comités auxquels vous siégez ou de personnes avec qui vous collaborez au sein d'organisations pour lesquelles vous avez déjà travaillé.

M. Laurin : Rien ne me vient immédiatement à l'esprit. Je ne connais personne qui a effectué des recherches sur le sujet. Peut-être que le greffier pourrait examiner la question?

Le sénateur Oh : Je vous remercie d'être ici avec nous et de nous communiquer ces renseignements. Nous avons signé beaucoup d'accords commerciaux et d'accords de libre-échange pour stimuler les échanges commerciaux. Déployons- nous suffisamment d'efforts pour faire valoir la marque Canada? Le gouvernement du Canada a-t-il établi une bonne stratégie pour promouvoir la marque Canada? Quel que soit le produit qui entre au pays, nous voulons en vendre plus. Nous devons avoir des produits de bonne qualité, autrement, il est inutile de signer des accords de libre-échange et des accords commerciaux s'il n'est pas possible de vendre les produits à l'étranger. Pensez-vous que le gouvernement déploie suffisamment d'efforts pour promouvoir la marque Canada?

Mme Sullivan : Selon mon expérience, j'ai eu la chance d'accompagner plusieurs ministres, et même le premier ministre, lors de certaines missions commerciales et, dans certains cas, de participer à des initiatives liées à la marque Canada. Je pense que le gouvernement canadien déploie beaucoup d'efforts, et je pense que ses initiatives associées à la marque Canada sont très solides, très pertinentes et très efficaces. Il est toujours possible de faire mieux : c'est un fait. Les échanges commerciaux sont complexes. Comme nous l'avons vu, même les marchés qui sont très stables pour nous, comme la Corée du Sud, peuvent disparaître en un clin d'œil si d'autres pays nous devancent. Il faut adopter une approche très stratégique et très souple. Il ne suffit pas de maîtriser parfaitement ce que l'on fait; il faut aussi suivre de très près ce que tous les autres font. D'une certaine façon, tous les efforts déployés ne seront jamais suffisants. Oui, il serait formidable que le gouvernement investisse encore plus d'argent, mais je pense qu'au fond, il faut établir un équilibre pour ce qui est des priorités économiques. De toute évidence, les mesures que le gouvernement prend à l'heure actuelle sont excellentes et très efficaces.

Le sénateur Oh : D'accord. Merci.

Le président : Au cours de la dernière année, des témoins nous ont dit que la force du Canada réside dans la production d'aliments, d'engrais, de combustibles et de produits forestiers, autrement dit, dans nos ressources naturelles. Compte tenu de l'expérience que vous avez acquise en lien avec les accords de libre-échange, estimez-vous que notre stratégie d'accès aux marchés renforce la production des quatre éléments que j'ai énoncés?

Mme Sullivan : Je ne suis certes pas une spécialiste du secteur de l'énergie, mais pour ce qui est des accords commerciaux que nous négocions, je crois que le gouvernement canadien s'est réellement concentré sur l'ouverture de marchés pour les produits agricoles et les produits alimentaires, et je crois qu'il l'a aussi fait pour les engrais.

Je dois dire que le Canada peut compter sur des négociateurs commerciaux de premier ordre. Notre pays compte peu d'habitants, mais il ne fait aucun doute que nos négociateurs commerciaux surpassent ceux des autres pays. Ils nous aident beaucoup lorsqu'il est question d'accords commerciaux. Je me demande ce que Jean Michel a à dire à ce sujet. J'ose croire que l'économie canadienne et ce que nous recherchons dans le cadre de nos négociations commerciales ne se limitent pas à ces quatre éléments. Notre économie est largement fondée sur les ressources.

Les aliments peuvent être une ressource, mais ils peuvent aussi être un produit transformé, comme nous l'avons mentionné. Bien entendu, nous ne devons pas seulement chercher à ouvrir des marchés pour nos produits agricoles; nous devons aussi ouvrir des marchés pour nos aliments transformés. C'est une tout autre approche, car de nombreux pays déploient beaucoup d'efforts pour protéger leur secteur de la transformation, même s'ils peuvent laisser entrer des produits de base. Donc, je pense que nous devons aussi mettre l'accent sur cet aspect.

M. Laurin : Je vais utiliser une analogie et citer Wayne Gretzky : il faut patiner vers l'endroit où la rondelle va se trouver. Je pense que c'est un peu ce qu'il faut faire dans le cas des accords commerciaux. Mme Sullivan a mentionné que ce sont des contrats. Comme ce sont des contrats qui demeurent en vigueur pendant une longue période, il s'agit d'un aspect important. Parfois, nous tenons compte de nos intérêts à court terme lorsque nous essayons de pénétrer le marché d'un autre pays dans un secteur lié aux produits de base, alors que 20 ou 30 ans plus tard, nous voudrons progresser dans la chaîne de valeur. Il est essentiel de traiter ces ressources, et donc, nous devons veiller à ce que nos accords commerciaux tiennent compte de ce fait, car le secteur de la fabrication demeure un élément précis de l'économie.

Le président : Avant que vous nous quittiez, j'aimerais vous poser une dernière question, si vous pouvez y répondre brièvement. Vous pouvez répondre par oui ou par non ou fournir quelques explications. Vous savez que c'est la troisième fois que nous nous adressons à l'OMC en ce qui concerne les règles exigeant la mention du pays d'origine sur l'étiquette. Nous nous attendons à ce qu'une décision soit rendue à la mi-mai, et nous sommes en attente de celle-ci. Pensez-vous que le Canada devrait prendre des mesures de rétorsion?

Mme Sullivan : Oui.

M. Laurin : Oui.

Mme Sullivan : Il n'est pas nécessaire d'en dire plus.

Le président : Honorables sénateurs, chers témoins, merci beaucoup. Vos témoignages ont été très instructifs, et il ne fait aucun doute que nous vous demanderons de revenir témoigner à l'avenir.

Nous allons maintenant passer au deuxième panel. Nous entendrons le professeur Richard R. Barichello, qui enseigne l'économie des ressources et de l'alimentation à l'Université de l'Alberta, ainsi que le professeur agrégé James Rude, qui enseigne l'économie des ressources et la sociologie de l'environnement à l'Université de l'Alberta.

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et d'être ici ce matin.

Le greffier nous informe que M. Rude sera le premier à prendre la parole et que M. Barichello s'adressera ensuite à nous.

James Rude, professeur agrégé, Économie des ressources et sociologie de l'environnement, Université de l'Alberta, à titre personnel : Comme je viens de l'Alberta, il est approprié que je sois du côté gauche ce matin.

Honorables sénateurs, bonjour. On m'a demandé de participer à ce processus en tant que membre du Canadian Agricultural Trade Policy and Competitiveness Research Network, le CATPRN. Malheureusement, puisque le réseau n'est plus financé, je comparais aujourd'hui à titre personnel. Je vais me contenter de parler des conditions permettant d'améliorer l'accès aux marchés. Tout d'abord, j'aimerais vous rappeler que le commerce fonctionne dans les deux sens. Ainsi, il suppose des exportations, mais aussi des importations. Les importations sont nécessaires pour les industries en aval et les consommateurs. Elles offrent davantage de choix. Elles fournissent des disciplines à l'industrie nationale pour que celle-ci soit prête à faire des échanges commerciaux, et au bout du compte, elles améliorent le bien- être de tous.

Dans un témoignage précédent, on a fait valoir que la croissance potentielle des échanges commerciaux viendra de l'Asie, en particulier de la classe moyenne. Mais quel est donc ce potentiel? Et qui est en mesure d'en tirer parti? Mes collègues, MM. Cairns et Meilke du CATPRN, ont mené une étude qui pourrait jeter un peu de lumière sur ces questions. La croissance prévue des importations agricoles est fondée sur les projections du revenu et de la population. Dans le tableau, vous pouvez voir les taux de croissance du Canada, de l'Australie et des États-Unis. Les marchés d'importation sont le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud (BRIC), le groupe des 11 suivants et les pays du G7. Pour les 11 suivants, les seuls pays qui devraient nous inquiéter, ce sont ceux qui participent aux négociations du Partenariat transpacifique, à savoir la Malaisie, le Mexique, le Pérou et le Vietnam. Bien que le BRIC affiche le potentiel de croissance le plus élevé, les 11 suivants ont un potentiel de croissance considérable.

Le hic, c'est que l'Australie et les États-Unis sont mieux placés pour tirer parti de ces marchés, en raison de leur emplacement, de leurs liens historiques et de leur capacité de production.

Que veut dire cibler la classe moyenne au chapitre de la consommation alimentaire? À mesure que les économies se développent, les consommateurs remplacent peu à peu les féculents et le manioc par des céréales, des aliments à haute teneur en protéines et, finalement, par des aliments hautement transformés. Dans son analyse du Partenariat transpacifique, le département américain de l'Agriculture a examiné les taux de croissance de base. Les secteurs où la croissance est la plus rapide, ce sont les secteurs de la viande, des fruits et des légumes. C'est également notre plus grand marché potentiel. Je vous ai remis un tableau sur lequel sont inscrits les droits de douane pour les viandes et les grains qu'appliquent les pays membres du Partenariat transpacifique. Vous constaterez que les droits de douane sont plus élevés pour les pays avec lesquels nous n'avons pas encore conclu d'accord de libre-échange. Généralement, les droits sont un peu plus élevés pour les viandes, cela dépend. Ce constat ne s'applique pas au Japon.

Bien que les droits ne soient pas négligeables, les barrières non tarifaires sont probablement plus importantes. La présence à faible concentration de résidus dans les récoltes et d'hormones dans les viandes constitue un irritant de taille. D'ailleurs, les autres témoins en ont parlé. John Whalley, un autre collègue du CATPRN évalue que les coûts commerciaux ou les coûts de l'exportation et les coûts de transaction sont très élevés. Ils varient entre 50 p. 100 pour la Corée et le Japon, et 80 p. 100 pour la Malaisie, Singapour et le Vietnam. Ces coûts commerciaux sont liés à des problèmes de chaîne d'approvisionnement.

Dans l'analyse commerciale théorique, on insiste beaucoup sur les différences de taille et de productivité des entreprises exportatrices. Je crois que Dan Ciuriak a témoigné sur ces questions au Comité sénatorial des banques et du commerce. Si les grandes entreprises exportatrices se tirent bien d'affaire, c'est parce qu'elles peuvent répartir les coûts commerciaux sur un gros volume de ventes. Les grandes entreprises peuvent gérer leurs chaînes d'approvisionnement parce qu'elles règlent leurs problèmes à l'interne et s'acquittent elles-mêmes des coûts. Les systèmes de manutention en vrac fonctionnent très bien pour l'exportation des grains, mais le manque d'économies d'échelle signifie que les créneaux sont loin de profiter des mêmes avantages. Qu'on le veuille ou non, ce sont les grands commerçants qui profitent des ventes de viandes, de fruits et de légumes aux consommateurs asiatiques de la classe moyenne.

D'autres témoins ont révélé le schisme dans la coordination verticale, surtout sur le plan de la traçabilité dans les étapes antérieures et postérieures au traitement. Le problème, c'est que le secteur agroalimentaire repose de plus en plus sur les demandes des consommateurs qui sont à la recherche de certaines caractéristiques, par exemple du bœuf naturel. Les mécanismes veillant à ce que ces caractéristiques soient conservées tout au long de la chaîne d'approvisionnement sont particulièrement importants.

Je passe maintenant aux négociations commerciales antérieures et actuelles. Il importe de s'assurer de la réussite des négociations commerciales menées récemment. Par exemple, les négociations avec l'Union européenne prévoient un accès préférentiel pour le bœuf canadien grâce à un contingent tarifaire de 50 000 tonnes. Ce bœuf doit toutefois être exempt d'hormones, ce qui exige une traçabilité complète à partir du veau nouveau-né jusqu'aux coupes de bœuf vendues dans les magasins.

Je n'ai vu aucune étude qui compare les coûts de ségrégation additionnels avec les avantages supplémentaires de l'accès préférentiel, mais je doute que les avantages dépassent de beaucoup les coûts. Je pense que nous ne réussirons pas nécessairement à exporter 50 000 tonnes de bœuf.

En ce qui concerne les négociations en cours, il est fort à parier que le Partenariat transpacifique constituera la tribune la plus importante. Bien entendu, la bête noire, c'est la gestion de l'approvisionnement, mais il faut se rappeler que nos partenaires commerciaux ont également des secteurs névralgiques.

Les États-Unis ne voudront pas de marchés complètement libres pour les produits laitiers ou le sucre. Le Japon est bien connu pour ses mesures protectionnistes à l'égard des grains, surtout du riz.

Il est donc probable que l'accès au marché augmentera graduellement grâce à l'élargissement des contingents tarifaires, à l'instar de l'accord conclu avec l'Union européenne. En ce qui concerne la libéralisation des échanges dans le secteur des produits laitiers, j'ai publié des études qui montrent que les producteurs laitiers industriels perdent chaque année 230 millions de dollars à cause d'une réduction de 40 p. 100 des tarifs hors contingent. Il faut situer ce chiffre dans son contexte. Le MAECD et le Japon ont travaillé sur un accord canado-japonais et il ressort de ce dernier que le PIB bénéficierait de gains oscillant entre 4 et 9,3 milliards de dollars. Il faut garder cela à l'esprit. Pour que le Partenariat transpacifique réussisse, le président doit obtenir le pouvoir de négociation et les négociateurs doivent arriver à un consensus.

J'aimerais terminer en disant que lorsque le Canada s'est joint aux négociations de l'accord de libre-échange avec les États-Unis, le marché potentiel était de 17 billions de dollars — en dollars d'aujourd'hui — et comptait 318 millions de personnes.

En ce qui concerne les négociations régionales actuelles — le Partenariat transpacifique, l'AECG, la Corée et l'Inde — le marché potentiel est évalué à 30 billions de dollars et à 2,1 milliards de personnes. C'est donc un terrain de jeu très différent des négociations antérieures.

Le président : Merci.

Richard R. Barichello, professeur, Économie des ressources et de l'alimentation, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci de votre invitation. C'est un plaisir pour moi d'être ici. J'aimerais aborder le sujet d'un point de vue un peu plus global que le professeur Rude. Nos commentaires sont très similaires.

Bien sûr, l'accès au marché international dépend en grande partie de l'abolition ou de la réduction des barrières commerciales dans les marchés étrangers. Auparavant, nous avions accès à ces marchés au moyen d'accords de l'OMC et cela s'est traduit par une bonne croissance de plusieurs marchés.

Mais, comme vous le savez, l'actuel cycle de négociations, celui de Doha, est moribond et les pays se sont plutôt tournés vers des accords commerciaux régionaux, comme ceux dont il vient d'être question — l'AECG plus récemment, l'accord Canada-Corée très récemment et les négociations en cours entourant le Partenariat transpacifique. C'est sur ces accords que porteront mes commentaires.

Un autre point important que vous avez déjà entendu, c'est que ces accords nous donnent non seulement accès à ces marchés en réduisant les barrières commerciales, mais aux marchés de nos partenaires commerciaux. Dans l'industrie, beaucoup de gens ont fait valoir que si nous ne concluons pas ces accords, nos concurrents pourront, au fond, dominer ces marchés.

Un message que j'aimerais faire passer, c'est qu'il est important de conclure ces accords, plus particulièrement le Partenariat transpacifique en cours de négociation.

Quels marchés internationaux? Où le potentiel de croissance du secteur agricole et alimentaire est-il le plus élevé? C'est, en général, sur les marchés où les revenus augmentent le plus rapidement — surtout dans les pays où les revenus étaient très bas et augmentent en flèche. En clair, c'est bien sûr en Asie que le potentiel est le plus élevé, plus particulièrement en Chine, en Asie du Sud-Est et en Inde. C'est également un domaine sur lequel portent mes travaux.

Comme vous le savez peut-être, les revenus augmentent de 6 à 9 p. 100 par an dans cette région. Ce sont tous des pays à faible ou à moyen revenu et très peuplés.

Il faut également se rappeler — et les pays riches l'oublient souvent — que la propension des habitants de ces pays à consommer plus de produits de meilleure qualité est très élevé. Comme James vient de le mentionner, les habitudes alimentaires changent considérablement et les gens ont tendance à consommer beaucoup plus de protéines. D'aucuns diront qu'ils consomment des céréales de meilleure qualité, mais la plupart consomment plus de viande et de produits laitiers.

J'ai quelques données quantitatives. Ce sont celles pour la Chine, mais, d'après les études que j'ai lues, les résultats sont similaires dans d'autres pays asiatiques. Si les revenus augmentent de 10 p. 100, la demande chinoise en produits laitiers augmente de 16 p. 100, celle en bœuf et en mouton de 6 à 9 p. 100, celle en volaille de 7 p. 100 et celle en oléagineux de 10 p. 100. Il s'agit de données de 2010, donc de données relativement récentes.

Les preuves de ce genre de croissance sont nombreuses. Par exemple, au chapitre des échanges commerciaux mondiaux du Canada, le commerce agroalimentaire mondial a triplé au cours de la dernière décennie, avec un taux de croissance annuel de 11 p. 100, grandement influencé par l'Asie. Quant au commerce agroalimentaire canadien, les exportations d'aliments ont augmenté d'environ 9 p. 100 par an au cours de la même période. En ce qui concerne ces taux de croissance, je souligne que lorsque les taux de croissance atteignent deux chiffres, c'est une très belle réussite. Ce n'est pas très courant d'avoir ce genre de croissance. Cela mérite donc d'être souligné.

Voici des exemples très précis : les exportations de canola canadien vers la Chine ont triplé entre 2008 et 2012 pour atteindre 3 milliards de dollars. Je sais que c'est plus rapide que le taux à long terme, mais c'est un taux de croissance de 30 p. 100. La valeur des exportations de légumineuses canadiennes a augmenté de 10 p. 100 par an entre 1990 et 2011. Actuellement, la valeur des exportations de légumineuses atteint 2,7 milliards de dollars. Comme vous le savez, ce n'est pas négligeable du tout. Dans cette catégorie, les légumineuses se classent probablement au troisième rang des exportations.

Le Canada est maintenant le premier exportateur de lentilles et de pois chiches au monde — surtout vers l'Inde. Plus récemment, au cours des deux dernières années, le tonnage exporté de lentilles a augmenté de 24 p. 100 par an et celui des autres légumineuses entre 14 et 15 p. 100.

Il s'agit de taux de croissance vraiment considérables, stimulés surtout par l'Asie. J'aimerais ajouter quelque chose au sujet du marché laitier chinois. Il croît encore plus rapidement. Par conséquent, en ce qui concerne le potentiel, si vous voulez stimuler la croissance au chapitre de l'accès au marché et des exportations, je pense que vous voyez ce qu'il faut faire. J'ai un graphique pour vous montrer certains de ces exemples.

Le Canada possède d'autres avantages. La sécurité alimentaire est un enjeu de taille partout en Asie, surtout en Chine, comme vous le savez peut-être. Le Canada a la réputation d'être écologique et salubre. De son côté, la Nouvelle-Zélande a tout mis en œuvre pour réussir à faire ressortir cette caractéristique dans ses campagnes de marketing. Néanmoins, il y a beaucoup de potentiel pour nous. Je signale également que les petits accords commerciaux bilatéraux sont utiles à nos négociations, mais ce sont les grands accords conclus avec des partenaires de taille, comme le Partenariat transpacifique, qui nous permettront de réaliser les plus grands gains. James a déjà parlé des barrières commerciales existantes et dit que certaines sont importantes, surtout en Inde et, dans certains cas, au Japon et en Chine pour certains produits. Il est important que nous prenions les mesures nécessaires pour pouvoir suivre nos concurrents malgré ces barrières commerciales.

Entre autres, nous avons discuté des renonciations, car il est presque certain que nous devrions renoncer à quelque chose. Bien sûr, nous avons également discuté du secteur de la gestion de l'approvisionnement.

Il faut également se rappeler des solutions de rechange au statu quo dans notre secteur de la gestion de l'approvisionnement. Ce statu quo n'est pas particulièrement attrayant étant donné que la consommation nationale par personne diminue graduellement. La technologie laitière a beaucoup évolué. Le commerce des produits laitiers entraîne une augmentation des importations de ces derniers. Au final, les quotas nationaux de production ont stagné, voire diminué au fil du temps.

En outre, dans les accords commerciaux, l'une des questions, c'est de savoir ce à quoi nous devrions renoncer, comme les derniers intervenants l'ont mentionné. Le Canada a réduit ses quotas de produits canadiens et augmenté les contingents tarifaires. Ce n'est certes qu'un élément parmi tant d'autres, mais cela diminue la production nationale.

En outre, les taux de sortie ont été relativement élevés dans l'industrie laitière, mais ce n'est qu'un autre élément parmi tant d'autres.

Permettez-moi de conclure rapidement en disant que le Canada pourrait tirer des gains énormes de l'expansion du commerce de produits agroalimentaires. Pour saisir les occasions, l'accès aux marchés étrangers est primordial, ce qui signifie que nous devons signer des accords commerciaux avec des pays asiatiques, notamment le Partenariat transpacifique. Nous devrons peut-être faire des compromis pour conclure les accords, pour y avoir accès ou rester signataire. Autrement dit, nous devrons peut-être assouplir certains piliers de notre régime de gestion de l'approvisionnement, même s'il faut faire des rajustements ponctuels.

Ces accords auraient, bien sûr, des retombées pour tous les secteurs de l'agriculture canadienne, sans compter les autres secteurs de l'économie.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie tous les deux de votre présence aujourd'hui et de vos présentations intéressantes. J'aimerais revenir sur la gestion de l'approvisionnement.

Notre témoin précédent, Mme Sullivan, a dit que, lorsqu'on négocie un accord commercial, ce qu'on obtient dépend souvent des concessions qu'on est prêts à faire. Vous semblez tous deux dire que nous devons modifier notre politique de gestion de l'approvisionnement. Voulez-vous dire que si le Canada veut aller de l'avant, il aurait intérêt à faire des concessions, afin de pouvoir participer à de grands partenariats? Est-ce que les avantages liés à la modification du processus de gestion de l'approvisionnement l'emporteraient sur les concessions? Ai-je bien compris?

M. Rude : Je vais essayer de répondre. Prenons l'exemple des produits laitiers. Pour les États-Unis, il s'agit d'un secteur aussi névralgique que pour nous. Les Américains s'inquiètent de voir la Nouvelle-Zélande se mettre à vendre ses produits, et plus particulièrement son beurre. Personne ne s'en fait trop pour le fromage néo-zélandais, par contre. J'imagine qu'on va se retrouver à négocier un nouveau contingent tarifaire...

La sénatrice Tardif : Un contingent tarifaire?

M. Rude : Exactement. C'est quand on établit les droits de douane à un niveau relativement peu élevé — quelques points de pourcentage — pour un volume donné d'importations. Une fois que le volume établi est atteint, les droits de douane deviennent très élevés. Ils peuvent atteindre 300 p. 100 pour certains produits laitiers.

Il est ici question d'assouplir le contingent tarifaire. Il pourrait par exemple être haussé de 17 000 tonnes, pour reprendre l'exemple européen du fromage. De cette façon, le marché ne serait pas complètement ouvert. Autrement dit, on contrôle les échanges commerciaux. Certains produits seraient vendus moins cher. Selon le produit visé, l'industrie canadienne pourrait s'ajuster. Plusieurs avenues sont possibles quand on assouplit un contingent tarifaire. Les producteurs pourraient diminuer leur production afin de maintenir les prix à un niveau constant ou encore, à l'autre extrême, laisser le produit entrer sur le marché, ce qui en ferait diminuer le prix. La réalité pourrait aussi se situer quelque part entre les deux.

À la limite, quand les droits de douane sont assez bas, au lieu de fixer les prix au moyen d'une formule de calcul des coûts de production, on considère le prix à la frontière comme le prix le plus élevé qu'il est possible de facturer.

M. Barichello : Il faut aussi tenir compte de ce à quoi on doit renoncer. Si on regarde les négociations commerciales menées récemment, notamment avec l'Union européenne, le Canada a fait exactement ce que James vient de décrire. Il a augmenté les contingents tarifaires, autrement dit le quota d'importations. Dans le cas de l'accord commercial avec l'Europe, cette mesure visait plus particulièrement le fromage. Par conséquent, il va y avoir plus de fromages européens sur le marché canadien. Pour ce qui est des conséquences sur l'industrie, il va falloir attendre la réponse à la question qui vient d'être posée : cette hausse des importations sera-t-elle compensée par une réduction proportionnelle de la production canadienne? Car dans un tel cas, les prix des produits nationaux demeureraient inchangés.

Bien sûr, il serait toujours possible de ne rien changer à la production canadienne, mais les prix se mettraient alors à descendre. Là aussi, la réalité pourrait correspondre à quelque chose entre les deux. Jusqu'ici, l'industrie a toujours préféré garder les prix inchangés, ce qui veut dire qu'elle réduisait sa production et assouplissait les contingents canadiens dans une proportion comparable. Mais ça demeure un choix, et rien ne nous oblige à suivre cette avenue.

Il faut aussi se demander si ce sera suffisant pour satisfaire nos partenaires commerciaux. Voilà qui nous ramène à la question suivante : à quoi ressemblera l'accord transpacifique? S'agira-t-il d'un accord de type musclé, ou est-ce que chaque pays aura plutôt la possibilité de protéger certains produits de son choix? Dans un tel cas, le Canada aurait toute la latitude voulue pour faire ce que je disais.

Je remarque que, lorsque l'accord entre le Canada et l'Union européenne a été rendu public, l'industrie laitière américaine, qui a toujours été très combative, comme on peut s'en douter, a déclaré que les compromis de ce type étaient inacceptables. Le sujet est venu à l'attention de la presse dernièrement, et bien malin qui pourrait dire s'il s'agit en fait d'une stratégie de négociation ou d'un véritable enjeu.

Je peux seulement dire que l'expérience récente donne à penser que la réaction du Canada sera d'augmenter les contingents tarifaires, quitte à les augmenter seulement pour les pays qui participent aux négociations du partenariat transpacifique.

La sénatrice Tardif : Le Conference Board du Canada a remis au comité un exemplaire de son rapport sur la réforme de la gestion de l'offre des produits laitiers, dont vous être le coauteur, monsieur Barichello. Voici ce qu'on peut y lire :

[...] il est possible d'assurer la croissance du secteur laitier canadien en permettant une réallocation des actifs aux producteurs les plus performants.

Était-il alors question des contingents tarifaires, ou de toute autre chose?

M. Barichello : Dans ce rapport, nous voulions aborder la question des marchés d'exportation qui connaissent une croissance fulgurante. Nous avons voulu démontrer qu'il pourrait être avantageux pour les producteurs de saisir l'occasion qui s'offre à eux et de tenter une percée sur ces marchés. Cela supposerait par contre un changement de cap majeur par rapport à ce qui se fait présentement.

La sénatrice Tardif : Vous parlez de la gestion de l'offre?

M. Barichello : Exact. Il est peu probable que ce régime soit exclu du partenariat transpacifique, même si l'industrie laitière américaine le souhaiterait. Tout ce que nous avons voulu faire, c'est montrer que les producteurs pourraient faire des gains immenses s'ils étaient prêts à faire ce qu'il faut pour affronter les prix mondiaux. Le Canada obtiendrait sans doute une prime vu sa réputation aux chapitres de la qualité et surtout de la salubrité, mais essentiellement, il devrait s'aligner peu ou prou sur les prix mondiaux. Or, c'est beaucoup moins que ce que reçoivent actuellement nos producteurs. C'est difficile d'être concurrentiel à ce prix-là, surtout vu la taille de certaines de nos fermes laitières.

Par exemple, les fermes familiales seraient incapables de soutenir la concurrence à petite échelle. Elles devraient grossir au point de rejoindre les fermes les plus grosses sur le marché.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Évidemment, je vous trouve bien braves de parler un peu de la réforme de la gestion de l'offre. Je viens du Québec et, quand on parle de la gestion de l'offre devant l'Union des producteurs agricoles, il vaut mieux arriver bien armé. Je l'ai vécu, d'ailleurs, pendant une campagne électorale, et j'ai appris ce que c'était que la gestion de l'offre.

Je vais vous présenter un cas. Je ne sais pas si vous êtes au courant que, à l'heure actuelle, la chaîne McDonald's, aux États-Unis, utilise du poulet sans antibiotique. Nous avons une chaîne de restauration au Québec, peut-être que vous ne la connaissez pas, les Rôtisseries Saint-Hubert. C'est une chaîne de restauration qui voudrait s'approvisionner en poulet sans antibiotique. Or, le propriétaire a affirmé, sur la chaîne de Radio-Canada, que la gestion de l'offre était un cartel et qu'on l'empêche de s'approvisionner en poulet sans antibiotique. On a eu la réponse des producteurs de volaille qui sont prêts à lui en vendre, mais cela lui coûtera plus cher. On a assisté à une guérilla dans les médias. Or, celui qui achète le poulet se sent pris avec la gestion de l'offre et y voit un cartel qui l'oblige à payer le gros prix pour s'approvisionner en volaille. Même les producteurs, et j'en connais quelques-uns, m'ont dit de ne pas toucher à la gestion de l'offre. On dirait que, lorsqu'on parle de la gestion de l'offre, il vaut mieux ne pas aller chez un agriculteur.

Alors, j'aimerais vous entendre à ce sujet, parce qu'on n'aura pas le choix, tôt ou tard, de se pencher sur ce dossier.

[Traduction]

M. Rude : J'ai quelques observations à faire. Premièrement, McDonald's mène actuellement un projet pilote en Alberta dans le cadre duquel la chaîne offre elle aussi du bœuf sans hormones. Tout ne se résume pas à la gestion de l'offre. S'il y a une caractéristique que vous souhaitez préserver dans l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, ce n'est pas en bradant les systèmes ou les installations que vous allez réussir. Prenons l'exemple des céréales. À l'époque où la Commission canadienne du blé avait le monopole, si un meunier britannique voulait se procurer un type bien précis de blé, il fallait passer un temps fou à le séparer des autres types de blé, et c'est sans parler du complexe système bureaucratique de rachats. La gestion de l'offre est rarement le seul enjeu en cause. Il y a une limite aux efforts qu'on peut déployer sans obtenir de résultats. La gestion de l'offre fait continuellement l'objet de pressions. Quant à savoir s'il s'agira de la goutte qui fera déborder le vase, je ne sais pas.

Toutes les industries tiennent à certaines caractéristiques plus qu'à d'autres et elles tiennent toutes à maintenir leur intégrité d'un bout à l'autre de la chaîne d'approvisionnement. Et ce n'est pas en bradant des installations qu'elles y parviendront. J'ai justement assisté à une conférence à Red Deer. Il s'agit d'une question qui inquiète beaucoup les industries, qui se demandent comment elles vont remplir leur mandat.

M. Barichello : On entend souvent dire que certains aspects de la gestion de l'offre sont inflexibles. Les critiques proviennent souvent d'un problème bien précis vécu par un acheteur qui n'a pas réussi à obtenir ce qu'il voulait ou qui trouvait les conditions trop strictes. Dans un tel cas, il faut accepter ce qui a été dit par les deux parties en cause. Je ne connais pas les détails de ces ententes, mais disons qu'on entend souvent les gens dire qu'il faut plus de flexibilité. Il y a sûrement plein de façons dont les commissions et les organismes responsables de la gestion de l'offre pourraient devenir plus flexibles. Les pressions sont indéniables, et elles existent depuis un bon bout de temps.

Mais il ne s'agit que d'une des facettes de la question. Chaque commission du pays réagit différemment. Certaines sont plus disposées à expérimenter et se montrent plus flexibles. Certaines provinces ont par exemple décidé de lever les contingents tarifaires, ou à tout le moins de les déplacer. C'est un exemple parmi d'autres. Il ne règle pas le problème de l'acheteur dont vous parliez, je sais bien, mais c'est un exemple de mesure à prendre, qui touche davantage les contingents au niveau des fermes.

En voici un autre : supposons que vous êtes un producteur et que vous avez besoin d'élargir votre quota pendant un bref moment — un an, ou même moins. Vous allez sûrement vous demander pourquoi la location n'est pas une option, n'est-ce pas? Eh bien, parce que c'est interdit à de nombreux endroits. Il n'y a pas de raison particulière, c'est comme ça. Par contre, c'est autorisé en Colombie-Britannique et en Alberta, qui se sont tournées vers cette option.

Bref, ce ne sont pas les moyens qui manquent pour rendre les choses plus flexibles, et ce serait dans l'intérêt de l'industrie de s'y intéresser.

La sénatrice Merchant : Ma question s'adresse à M. Rude, et elle porte sur la relation entre le Canada et les États- Unis. Cette relation s'est-elle améliorée, détériorée ou est-elle demeurée la même depuis les changements apportés à la Commission canadienne du blé? Je crois me rappeler que vous avez déjà écrit quelque chose là-dessus.

Sachant que le gouvernement fédéral a annoncé qu'il allait approuver l'entente conclue avec des investisseurs stratégiques faisant de la Commission canadienne du blé un concurrent privé comme les autres dans le secteur canadien du blé, l'industrie du blé se porte-t-elle mieux maintenant qu'à l'époque où la commission exerçait son monopole? Où en sont nos relations avec les États-Unis? Qu'avez-vous constaté?

M. Rude : C'est très vaste, comme question. Dans l'article auquel je crois que vous faites allusion, je me demandais entre autres si les échanges commerciaux avec les États-Unis allaient grimper en flèche et si, par conséquent, certaines mesures commerciales seraient instaurées. Si les exportations augmentent soudainement, c'est sûr que les agriculteurs de l'autre région vont le remarquer; il est alors possible de se prévaloir des recours figurant dans les lois.

À cause de la récolte exceptionnelle de 2013 et des problèmes qui ont touché le réseau de manutention des céréales, une bonne partie de nos céréales ont pris le chemin des États-Unis. Personne n'a rien dit. Aujourd'hui, je ne sais pas si ce serait pareil, puisque les États-Unis ont eux aussi leur lot de problèmes; il suffit de penser à la Burlington Northern Santa Fe Railway. Tout dépend de la situation, en fait. Choisira-t-on une mesure antidumping ou privilégiera-t-on plutôt les droits compensateurs? On dirait qu'une partie des plaintes ont été satisfaites. Le hic, c'est qu'elles portaient davantage sur l'aspect concurrentiel que sur la Commission canadienne du blé. Elles venaient d'un concurrent qui voulait obtenir un avantage stratégique par rapport à nous.

La sénatrice Merchant : Je ne crois pas avoir rien à ajouter. Et vous, monsieur Barichello?

M. Barichello : Pas vraiment, non.

La sénatrice Unger : Ma question s'adresse surtout à M. Barichello. Vous disiez tout à l'heure que les obstacles commerciaux sont encore élevés en Inde ainsi qu'au Japon. Pourriez-vous nous en dire plus? J'aimerais qu'on m'explique pourquoi les obstacles commerciaux sont plus élevés en Inde qu'au Japon.

M. Barichello : Il faut d'abord se rappeler que, dans chaque pays, il y a des calendriers tarifaires et que les obstacles au commerce varient pas mal d'une marchandise à l'autre. Comme James l'a déjà dit, au Japon, les droits de douane touchant la viande ne sont pas très élevés. Au contraire, ceux touchant le riz figurent parmi les plus élevés du monde. Aux dernières nouvelles, ils avoisinaient les 600 p. 100.

M. Rude : C'est 777 p. 100.

M. Barichello : Je n'ai pas la liste complète avec moi, mais je l'ai consultée encore dernièrement. En Inde, une vaste gamme de droits de douane touchant les produits alimentaires sont relativement élevés; il n'est par exemple pas rare qu'ils atteignent 25 ou 40 p. 100. Parmi nos partenaires commerciaux de l'Asie-Pacifique, si vous acceptez les droits de douane dans les mêmes eaux que ceux que le Japon et la Corée ont imposés au riz, on constate que c'est très élevé. Et on ne parle pas seulement des aliments transformés, pour lesquels les droits de douane sont souvent élevés, mais aussi des produits de première nécessité, pour lesquels ils sont plus élevés que ce à quoi on est habitués.

Pour un pays comme celui-là, il s'agit d'une occasion toute particulière : si nous pouvions conclure un accord commercial avec l'Inde, et surtout si nous pouvions le faire avant nos concurrents, les gains seraient particulièrement intéressants. Il y a de nombreux exemples du même acabit un peu partout dans la région. En Indonésie, qui est le pays que je connais sans doute le mieux, les droits de douane touchant ces produits sont relativement bas, mais les obstacles non tarifaires, eux, sont substantiels. Le bœuf y est interdit. Les Australiens sont toujours mécontents, d'ailleurs. Dans ce cas-ci, il ne s'agit pas vraiment de droits de douane, mais d'un obstacle non tarifaire.

M. Rude : Rappelons-nous, pour commencer, que l'Inde est un pays en développement. N'oublions pas que c'est encore, si je ne m'abuse, le plus grand producteur de blé, à moins que ce ne soit la Chine. Le pays protège sa sécurité alimentaire. Il s'inquiète avant tout des questions liées à la pauvreté, et il s'y trouve des groupes d'opposants qui font beaucoup de bruit. Il y existe, depuis l'accession à l'indépendance, une longue tradition de politiques très protectionnistes qui n'ont été réformées que petit à petit, au fil du temps. Je ne crois pas qu'on puisse comparer les régimes des deux pays. Le Japon, qui a instauré des mesures de protection draconiennes, connaît certains problèmes. L'office japonais de l'alimentation peut créer des distorsions dans ses transactions, mais, comparativement à l'Inde, c'est un marché libre et ouvert.

Le sénateur Moore : Je vous remercie tous les deux de votre présence. J'aimerais revenir sur quelque chose que la sénatrice Merchant a demandé au sujet de la saturation du marché du blé et du grain. Se pourrait-il qu'à l'époque, la situation ait été causée, entre autres, par des agriculteurs qui retenaient leur produit, attendant un bon prix? Mais ils ne l'obtenaient pas, et leur produit vieillissait. Il fallait le mettre en marché.

M. Rude : Non. Je pense que les agriculteurs se sont rendu compte que le prix allait baisser, mais ils ne pouvaient pas acheminer leur produit jusqu'aux marchés. Ce qu'ils ont dû se demander, au cœur de l'hiver, c'est s'il était plus avantageux d'engranger leur grain, au risque qu'il perde un peu de sa qualité, ou de le vendre à rabais, c'est-à-dire d'en obtenir un prix inférieur à celui qui est imposé une fois le produit à destination. Autrement dit, il leur a fallu considérer le coût de renonciation. Selon moi, la situation a été causée par un ensemble de circonstances malheureuses, notamment le retrait de la Commission canadienne du blé comme arbitre devant faciliter la circulation du grain. Elle ne l'a pas fait, mais elle était responsable de l'affectation des wagons.

Les sociétés ferroviaires ont été abondamment critiquées. Mais elles avaient leurs propres difficultés, et l'hiver a été très rude.

Le sénateur Moore : Dans votre exposé, vous dites qu'il est important de se rappeler que nos partenaires commerciaux ont également des secteurs névralgiques. Les États-Unis ne voudront pas de marchés complètement libres pour les produits laitiers ou le sucre. Ont-ils, dans ces secteurs, un régime de gestion de l'offre, même s'il n'en porte peut-être pas le nom?

M. Rude : Oui, ils en ont un. L'industrie du sucre y jouit d'une très grande protection. En outre, comme le sucre coûte cher, c'est un édulcorant à base de maïs qui entre dans la composition de toutes les boissons gazeuses, et les fournisseurs de ce produit veulent être protégés, eux aussi. Le lobby dans ce secteur est donc relativement important.

Pour ce qui est des produits laitiers, je crois que la Californie a mis en place une forme de gestion de l'offre à leur égard. Le Canada et les États-Unis présentent certainement des ressemblances à ce chapitre. Il existe un système d'établissement des prix par catégorie. Les systèmes de mise en marché imposent des restrictions au transport du lait. Là-bas, l'industrie du lait est subventionnée. Ici, elle ne l'est pas directement. Nous avons plutôt des subventions à la consommation.

M. Barichello : Aux États-Unis, les importations de sucre et de produits laitiers sont très contingentées. Je pense que c'est leur principale caractéristique.

Le sénateur Moore : Les importations entre États ou à l'échelle nationale?

M. Barichello : À l'échelle nationale. Tout comme, ici, notre industrie laitière est protégée par des contingents tarifaires, aux États-Unis, l'industrie sucrière compte presque exclusivement sur ces contingents, qui sont, en ce qui la concerne, très serrés. Le marché est donc très restrictif pour ce qui est du commerce international. Notre industrie laitière a déjà ressemblé à celle des États-Unis, mais ce n'est plus le cas. Quant aux prix, ils ont fléchi sur le marché intérieur, mais grimpé sur le marché mondial. En fait, à l'heure actuelle, les États-Unis exportent, sans subventions, sur le marché mondial principalement du lait en poudre. La situation de l'industrie laitière n'est donc pas la même que celle de l'industrie sucrière, et je ne pense pas qu'on puisse établir une analogie avec le système de gestion de l'offre au moyen de contingents nationaux. Des contingents d'importation très serrés s'appliquent cependant au sucre; comme James l'a signalé, dans les deux cas, les lobbies sont très forts.

Le sénateur Moore : Cela revient au même que la gestion de l'offre. Les Américains ont du front de nous dire que nous devrions laisser tomber certains de nos contingents. Ils ne renoncent pas aux leurs, même si leur industrie est fortement subventionnée.

Peu importe. Revenons à ce que vous avez dit, monsieur Barichello. Voyons d'abord vos données concernant la Chine. Elles datent de 2010, donc de cinq ans. D'où viennent-elles? De la Chine? Est-ce pour cela qu'elles sont si anciennes? Avez-vous de la difficulté à obtenir des données?

M. Barichello : Elles sont tirées d'une ou deux études réalisées par des économistes agricoles de la Chine. Évidemment, la recherche prend un certain temps, puis il faut obtenir les données les plus à jour possible. Dans notre milieu, des données sur les caractéristiques de la demande des consommateurs qui datent de 2010 ne sont pas considérées comme très anciennes.

Le sénateur Moore : Ces données vous satisfont donc.

M. Barichello : Oui. Elles vont diminuer à mesure que les revenus vont augmenter. Au Canada, par exemple, elles sont toutes de l'ordre de 0,1 ou 0,2. Quand les revenus augmentent, on en affecte une très petite quantité à l'augmentation de la demande alimentaire. C'est très différent en Chine pour ce qui est de la demande de viande. Quand on organise des barbecues pour les étudiants, on s'assure d'offrir des mets végétariens dans les choix pour les étudiants nord-américains. Nos étudiants chinois ne touchent jamais aux plats végétariens. C'est de la viande qu'ils veulent.

Le sénateur Moore : Passons maintenant à la taille des exploitations agricoles. Vous avez signalé que les entreprises de l'Alberta et de la Colombie-Britannique s'agrandissent et qu'elles sont maintenant beaucoup plus grandes que celles du Québec. Vous avez dit que, d'après nos données, le cheptel doit compter au moins 200 vaches. Qu'est-ce que cela signifie? Que les exploitations du Québec comptent actuellement 200 bêtes ou que ce sont celles de l'Alberta et de la Colombie-Britannique?

M. Barichello : Celles de l'Alberta et de Colombie-Britannique. D'après les données dont je dispose pour 2014, le cheptel moyen en Colombie-Britannique compte environ 165 vaches, et en Alberta, il en compte un peu moins, soit 155.

Le sénateur Moore : Vous dites qu'il en faut 200 pour que les affaires marchent bien?

M. Barichello : Oui. Les coûts diminuent quand l'entreprise grossit. Avec à peu près 200 bêtes, les choses vont bien. Évidemment, avec encore plus, on peut économiser encore quelques sous de plus le litre. C'est ce que cela veut dire

[Français]

Le sénateur Maltais : Messieurs, vous êtes des professeurs en économie, en sociologie spécialisée dans l'alimentation, pourtant, j'ai l'impression que vous faites des affirmations théoriques qui ne sont pas applicables en pratique. En tout cas, moi, je le vois très mal.

La qualité du lait au Canada est la meilleure au monde. Les productions laitières du Canada se concentrent en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Vous avez mentionné la Colombie-Britannique, mais il s'agit de productions minimes, soyons bien honnêtes, de beurre et de fromage.

Vous avez parlé fortement de l'abolition de l'offre et de la demande. Je m'attendais à découvrir, aujourd'hui, non seulement des solutions pour nous permettre de sauvegarder l'offre et la demande, mais également des idées nouvelles, puisque vous êtes des chercheurs en commerce alimentaire. J'aurais aimé que vous mettiez l'accent sur cet aspect.

Je vous invite à livrer le discours que vous venez de tenir ici, devant le comité sénatorial, aux agriculteurs de l'Ontario, du Québec et du Nouveau-Brunswick. Un article de journal nous informe, ce matin, que le Québec, l'Ontario et le Nouveau-Brunswick suggèrent fortement au gouvernement fédéral de ne pas toucher au dossier de l'offre et de la demande. Votre vision va à l'encontre de celle de 65 p. 100 de la population. Votre théorie est sans doute très bonne, mais elle n'est pas applicable en pratique.

[Traduction]

Le président : Messieurs, voulez-vous réagir? Je crois qu'il y a une question dans cette intervention.

M. Rude : D'abord, je ne suis pas sociologue et je trouve ce qui vient d'être dit extrêmement blessant.

Je pense que certaines choses peuvent être faites pour assouplir le système. Ainsi, l'Ontario et le Québec ont un système de contingentement pour l'approvisionnement des usines. L'assouplissement de ce système pourrait probablement permettre le maintien des contingents de production. Il n'y a pas non plus que des avantages pour les producteurs. Si, pour se lancer dans l'industrie agricole, on débourse entre 3 et 4 millions de dollars pour se procurer 100 vaches, ce qui n'est même pas le minimum requis pour réaliser des économies d'échelle, la gestion de l'offre n'est d'aucune aide. Si on œuvre déjà dans le secteur et que tout est déjà en place, il va de soi qu'on ne veut pas renoncer à un mode de vie très sain

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vous arrête, parce que votre théorie ne tient pas la route. La plupart du temps, plus la ferme est grosse, moins la qualité est bonne. Nous sommes allés le vérifier sur le terrain. Une ferme qui tient de 50 à 75 têtes de bétail produit du lait, du fromage et du beurre de meilleure qualité. Dans les grandes entreprises, la qualité diminue au profit de l'argent, alors que la petite ferme familiale exploitée depuis des siècles offre des produits dont la qualité s'améliore de plus en plus. Nous le constatons avec les fromages fins du Québec, alors que nous arrivons à faire concurrence à la France. L'Ontario emboîte maintenant le pas au Québec afin de produire des fromages fins de qualité supérieure à ce qui se produit en Europe. Cependant, cela ne se fait pas dans une ferme de 500 vaches. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président : Messieurs, si vous avez d'autres observations à formuler au sujet des propos du sénateur Maltais, le comité sera heureux de vous entendre.

La sénatrice Beyak : J'aimerais faire appel à votre expérience personnelle, messieurs Barichello et Rude. Vous avez mentionné l'exploitation agricole familiale et parlé d'importation et d'exportation. Nous nous sommes entretenus avec des gens de l'industrie laitière et des marques canadiennes de la propreté, de la beauté et de la qualité qu'on trouve au Canada. Que pensez-vous d'un fromage canadien créé depuis peu et vendu outre-mer? Croyez-vous que les exportations de ce fromage exclusif, qui porte une marque canadienne, Maple Leaf, pourraient contrebalancer la gestion de l'offre dans une certaine mesure?

M. Barichello : Je ne peux rien dire du type de fromage auquel vous faites allusion. Nous avons déjà une bonne variété de fromages qui sont très bien connus. Par exemple, comme le disait le sénateur Maltais, le Québec en produit plusieurs qui sont excellents. Nous avons des cheddars absolument délicieux. Quand je suis dans un marché à l'étranger, je cherche un cheddar canadien de qualité. S'il en existe une nouvelle variété, je l'ignore. D'autres pourraient peut-être en parler.

Nous avons beaucoup de ces attributs très positifs à l'étranger. Qu'on les associe à n'importe quel de nos nombreux produits de fromage, par exemple, ou même à d'autres produits laitiers, comme le yogourt — il n'y a pas que le fromage —, et nous avons des possibilités extraordinaires. À l'heure actuelle, on fait la contrebande du lait en poudre en Chine, à cause des problèmes de contamination qu'on connaît, qui sont survenus il y a quatre ou cinq ans. Les consommateurs chinois ne veulent que des produits laitiers étrangers, et ceux du Canada y sont fort bien perçus. J'ai une étudiante qui cherche à voir si elle peut exporter, encore aujourd'hui, des produits laitiers canadiens en Chine. Je pense donc que les possibilités sont énormes.

Le président : Monsieur Rude?

M. Rude : Quand nos produits se démarquent, notamment sur le plan de la qualité, il est beaucoup plus facile de soutenir la concurrence. Autrefois, avant que le Royaume-Uni se joigne à l'Union européenne, nous exportions du cheddar vieilli. Nous sommes encore reconnus mondialement pour la qualité de ce produit. Il est certain que les produits de petites fromageries québécoises, comme celle d'Oka, sont très estimés. Je pense que nous avons un système qui ne nous permet pas de savoir si nous pouvons ou non affronter la concurrence. Donnez-nous-en la possibilité.

Le président : Je déclare maintenant la séance levée.

(La séance est levée.)


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