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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 29 - Témoignages du 13 mai 2015


OTTAWA, le mercredi 13 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel), se réunit aujourd'hui, à 16 h 18 pour l'étudier.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Soyez les bienvenus au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Avant d'entreprendre la séance, je voudrais régler une chose. Le sénateur Tannas a fait une déclaration d'intérêts personnels par écrit à l'égard du projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel). Conformément à l'article 15-7 du Règlement, la déclaration doit être publiée dans le procès-verbal du comité.

Cela étant réglé, nous entamons la troisième séance consacrée au projet de loi S-210, dont l'objet est de modifier l'article 347 du Code criminel, pour modifier le taux d'intérêt criminel actuellement défini comme excédant 60 p. 100 par année.

Jusqu'ici, nous avons entendu l'auteur du projet de loi, la sénatrice Ringuette, de même que des universitaires, un juriste et une organisation sans but lucratif. Aujourd'hui, la séance sera subdivisée entre deux groupes de témoins, qui disposeront chacun d'une heure.

Je suis donc heureux d'accueillir le premier groupe, notre premier témoin devrais-je dire, qui représente le Saint John Human Development Council, son directeur exécutif, M. Randy Hatfield. Basé à Saint John, au Nouveau-Brunswick, le conseil cerne les problèmes sociaux et tente d'y répondre grâce à la recherche, à la coordination de l'information et au réseautage. Monsieur Hatfield, nous sommes heureux de vous accueillir. Vous avez la parole.

Randy Hatfield, directeur exécutif, Saint John Human Development Council : Merci beaucoup, monsieur le président. Honorables sénateurs, bonjour. Je vous remercie de votre invitation à comparaître devant vous pour parler du projet de loi S-210, puis, je l'espère, de certaines de ses qualités, pour vous convaincre de la solidité des motifs et des principes qui lui sont sous-jacents et qui justifient son adoption.

Je pense que vous ne serez pas étonnés de mon appui au projet de loi. J'ai, pour cela, deux grandes raisons de le faire : je le considère d'abord comme très pragmatique; ensuite, je pense qu'il arrive à point nommé.

Il est pragmatique dans le sens qu'il s'appuie sur le projet de loi S-19 de 2005, dont votre chambre a fait rapport et qui a passé l'étape de la première lecture à la Chambre. À l'époque, le projet de loi S-19 envisageait de plafonner le taux d'intérêt criminel à 35 p. 100 et il visait aussi à inclure dans ce qui serait considéré comme un taux d'intérêt criminel les frais assumés pour la souscription à une police d'assurance.

Dans les 10 années écoulées depuis, nous n'avons pas vu de changement notable dans le raisonnement utilisé à l'époque. En fait, nous avons plutôt vu survenir des circonstances qui justifieraient que nous prenions le projet de loi S- 19 comme modèle et que nous adoptions le projet de loi S-210. Le premier a tenu compte, tout comme le projet de loi actuellement à l'étude en tient compte, de trois arrêts de la Cour suprême du Canada en matière de droit commercial touchant l'article 347.

Le projet de loi que vous avez sous les yeux n'impose aucune limite aux prêts consentis à des fins professionnelles ou commerciales de plus de 1 million de dollars. Pour les prêts inférieurs à 1 million, il maintient le taux de 60 p. 100. Fait important, il introduit un taux variable de 20 points en sus de celui du taux de la Banque du Canada, en l'occurrence 20,75 p. 100, pour les prêts à des fins personnelles, familiales ou ménagères. Il accorde, d'après moi, une protection immédiate et pratique aux Canadiens à faible revenu.

Fait révélateur, le projet de loi S-210 ne dit rien des prêts sur salaire. Je pense que, dans ce cas particulier, nous arrivons trop tard. Malgré d'autres témoignages selon lesquels nous devrions supprimer la disposition qui autorise les provinces à réglementer les prêts sur salaire, je pense que, depuis 2006 et le projet de loi C-26, les faits semblent montrer qu'elle est là pour un bon bout de temps.

Le pragmatisme du projet de loi S-210 est sa capacité de tenir compte de l'excellent travail accompli il y a une décennie, des jugements rendus depuis par la Cour suprême du Canada et du nombre croissant de travailleurs pauvres qui ont besoin d'être protégés contre les taux d'intérêt excessifs.

Le projet de loi arrive à point nommé, parce qu'il répond à la crise toujours plus grave qui touche les travailleurs pauvres. Je ne saurais assez dire les difficultés que trop de nos voisins affrontent, dans notre pays, du fait de leurs revenus insuffisants, des chances qui leur sont offertes, du poids et du cycle de l'endettement qui est simplement écrasant et dont il est difficile de sortir. J'espère que nous pourrons tous y penser.

Notre conseil a commencé à bien connaître ce dossier lorsque nous avons présenté un mémoire à notre commission provinciale des services financiers et des services aux consommateurs. Le Nouveau-Brunswick sera la huitième province à réglementer les prêts sur salaire. Il arrive très tard dans ce dossier. Malgré l'adoption de lois en 2007 puis l'année dernière pour réglementer les services bancaires sur Internet, les règlements n'ont jamais été promulgués, et, sans règlements, sans cadre réglementaire, les projets de loi sont vraiment comme sur une voie de garage, en attendant leur promulgation.

Au Nouveau-Brunswick, il ne s'est tenu aucune audience au plein sens du terme sur un règlement. La commission a plutôt publié un projet de règlement et sollicité des observations, tandis que le Manitoba en a organisé de vraies en 2013 et que la commission d'examen sur les services publics, en Nouvelle-Écosse, venait d'en tenir, avec convocation de témoins, présentation de preuves matérielles et contre-interrogatoires.

De même, Deloitte, en Ontario, a rédigé un rapport consensuel l'année dernière, dont, je pense, il convient que nous en tenions compte pendant l'étude du projet de loi. Ce rapport, intitulé Strengthening Ontario's Payday Loans Act (renforcement de la loi ontarienne sur les prêts sur salaire), découlait de la réflexion d'un groupe chargé de former le consensus, constitué des représentants de l'ACPS, l'Association canadienne des prêteurs sur salaire, le groupe de pression national, et, aussi, des consommateurs, une large gamme d'intérêts. Dans le chapitre 4 de son rapport, il fait une observation qui, à mon avis, est digne de mention. Il affirme que, en matière de prêts sur salaire, en matière de prêts à court terme, sur de petites sommes, à intérêt élevé, non garantis, le risque le plus grand est de voir apparaître des prêts remboursables par petits versements. Cela, mesdames et messieurs, est en fait un appel à la vigilance. Un certain nombre de services bancaires marginaux ont commencé à offrir ce genre de prêts à tempérament qui font tomber les consommateurs dans un cycle d'endettement qui est tout simplement aussi écrasant que l'industrie des prêts sur salaire elle-même.

Les prêteurs tendent à trouver des moyens de contourner les règles. Un fonctionnaire du Nouveau-Brunswick a assimilé l'industrie des prêts sur salaire et les services bancaires marginaux ainsi que les prêts à tempérament à la tape- la-taupe, vous savez, ce jeu de fête foraine qui consiste à assommer à coups de maillet une taupe sortant d'un trou. Quand une taupe disparaît, il en apparaît sans cesse d'autres. Elles sortent au hasard et elles trouvent toujours le moyen de baisser la tête. C'est ce qui semble se produire souvent quand nous essayons d'imposer un régime réglementaire pour contrôler et limiter ou, du moins, maîtriser les actions des prêteurs.

Le nouveau danger, c'est les prêts à tempérament. J'ai l'impression que le projet de loi nous permettrait de résoudre ce problème. Il est temps que l'État fédéral fasse preuve d'initiative sur cette question particulière.

À l'adoption du projet de loi C-26 à la Chambre des communes, le sénateur Grafstein a parlé du danger d'une mosaïque de règlements, à la grandeur du pays, qui ferait que, selon la province de résidence, un règlement déterminerait le taux d'intérêt et la durée du prêt. Effectivement, quand le Nouveau-Brunswick promulguera son règlement, huit provinces auront assujetti l'industrie du prêt sur salaire à des dispositions variables dans un certain nombre de leurs éléments clés.

Au nom du pragmatisme et de l'opportunité, je vous encourage vivement à vous ranger derrière le projet de loi S- 210. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Hatfield, pour votre déclaration préliminaire. Je tenais à clarifier plusieurs points. D'abord, ai-je raison de penser que vous n'êtes pas un service de prestation de conseils en matière de crédit?

M. Hatfield : C'est exact. Nous sommes un conseil de planification sociale.

Le président : Un conseil de planification sociale. Intervenez-vous directement auprès des consommateurs ou votre action se situe-t-elle davantage sur le plan de la surveillance?

M. Hatfield : Nous agissons à plusieurs niveaux. La planification sociale est parfois un concept difficile à saisir, parce que nous ne sommes pas des fournisseurs directs de services. Nous ne nourrissons pas les affamés, nous n'hébergeons pas les sans-abri et nous n'enseignons pas la lecture aux analphabètes. Notre travail serait comme si nous survolions la collectivité à 30 000 pieds de hauteur pour la surveiller, détecter les lacunes, les manques, et trouver des solutions, imaginer les moyens pour permettre à la collectivité de commencer à s'attaquer à certains de ces problèmes.

Notre incursion récente sur les prêts sur salaire nous a amenés à consulter des organismes de crédit à la consommation, pour signaler notre présence et, en fait, interroger des citoyens qui ont contracté des emprunts sur salaire et qui se retrouvent dans cette spirale d'endettement et, de façon similaire, pris dans des emprunts à tempérament, puis collaborer avec eux. Il y a à peine deux semaines, quelqu'un nous a expliqué cette spirale, qui commence par l'augmentation facile, avec le consentement de l'intéressé, de la limite de crédit et l'imposition de taux d'intérêt qui ne permettent pas vraiment de reconnaître l'état d'endettement ni son remboursement dans un délai raisonnable.

Le président : Vous parlez de cycle ou de spirale d'endettement. Si le projet de loi S-210 devait être adopté, quel en serait l'impact? Qu'arriverait-il, d'après vous, aux consommateurs qui, actuellement, c'est ce que je pense que vous suggérez, sont trompés? Pensez-vous qu'ils cesseront de se procurer les biens qu'ils veulent? Qu'arrivera-t-il, pensez- vous, par suite de la mise en œuvre du projet de loi, s'il était adopté?

M. Hatfield : C'est une excellente question qui exige des précisions préalables, parce qu'elle implique beaucoup de choses.

La spirale de l'endettement créée en raison de l'existence de l'industrie du prêt sur salaire s'installe à la faveur d'emprunts répétés et simultanés. Je sais que, en ce moment, cette industrie n'est pas sous la loupe, mais son existence fait que si une urgence survient et que quelqu'un a besoin de liquidités, il s'adresse à l'un de ces prêteurs et paie un montant calculé d'après les 100 $ empruntés. Dans la province où il est le plus faible, au Manitoba, par exemple, il est de 17 $ pour 100 $. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, où il est le plus élevé, c'est 25 $.

Dans l'Île-du-Prince-Édouard, si on a besoin de 400 $ pour remettre sa voiture en état de circuler, on peut obtenir ce montant, sous réserve de présenter le talon de chèque de sa paie et de montrer qu'on retire un revenu d'emploi. Ensuite, on remplit et on remet un chèque postdaté ou on donne des précisions sur sa banque, pour autoriser, après 14 jours, un débit de son compte de chèques. Ce qui arrive vraiment, c'est qu'on prélève une avance sur son salaire. Alors, après 14 jours, on détient 400 $, mais on doit rembourser 500 $.

Avec les revenus insuffisants d'aujourd'hui, quand il faut rembourser 500 $, on a peut-être aussi un loyer à payer, de la nourriture à acheter et le coût de la vie à absorber. On entre donc dans le cercle vicieux de devoir contracter un autre emprunt.

Si, cette fois-là, on emprunte 500 $, dans 14 jours on en devra 625 $. Cela a tendance à continuer tant qu'on n'a pas atteint le maximum qu'on peut emprunter d'un prêteur sur salaire, parce que, ordinairement, il limite le montant global qu'il consent à prêter entre 30 et 50 p. 100 du revenu net de l'emprunteur. Quand ce seuil est atteint, les emprunteurs tendent à s'adresser à un deuxième prêteur. Et commence ainsi une autre spirale d'endettement avec lui.

On répète donc les emprunts avec un prêteur jusqu'à ce qu'on atteigne le maximum de crédit disponible, puis on passe au suivant.

Le président : Je comprends, mais qu'est-ce que la mise en œuvre du projet de loi S-210 y fera?

M. Hatfield : D'abord, en ce qui concerne les prêts à tempérament, contre lesquels nous avons été prévenus par le rapport consensuel, rédigé non seulement avec la participation de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire, mais aussi celle de groupes de défense des consommateurs, leurs taux d'intérêt qui frisent actuellement les 60 p. 100 subiront une baisse rapide qui les amènera à 20 p. 100.

Les taux d'intérêt seront donc visiblement plus bas et, par conséquent, les montants à rembourser, et les emprunteurs pourront, en fait, commencer à entamer le remboursement du capital et à rembourser le prêt dans un délai raisonnable.

Le président : Pour revenir à votre exemple, celui qui doit emprunter 400 $ pour faire réparer sa voiture a encore besoin de 400 $. Où les obtiendra-t-il, d'après vous? Il ne dira pas simplement qu'on ne peut pas lui imposer désormais assez d'intérêt pour l'empêcher de réutiliser sa voiture.

M. Hatfield : Non. Je pense qu'on commence à offrir aux emprunteurs des produits intéressants. Par exemple, le réseau des caisses Desjardins, au Québec, et la coopérative de crédit Vancity, à Vancouver et en Colombie-Britannique offrent des moyens et des instruments qui permettent de répondre aux problèmes et aux craintes que nous entrevoyons. Au Royaume-Uni, avec le groupe confessionnel servant de garant et de promoteur, nous voyons un exemple de crédit accordé dans des conditions plus raisonnables, qui favorisent le remboursement plus rapide des dettes.

Le président : Ce que j'entends, c'est que si j'ai besoin de 400 $ pour reprendre ma voiture et que mon prêteur actuel n'est pas accessible, il existe d'autres moyens, que je pourrai trouver si je m'en donne la peine. Est-ce ce que vous dites?

M. Hatfield : Cela dépend de la province de résidence. Je peux parler avec compétence du Nouveau-Brunswick, mais je connais moins bien les autres provinces.

La situation tient beaucoup, globalement, au dossier de la pauvreté. Les revenus insuffisants riment avec les spirales d'endettement et les niveaux d'endettement. Il faut tenir compte d'une foule de facteurs si on veut vraiment régler ce problème.

Mais pour répondre directement à votre question, parce que vous l'avez posée à quelques reprises, ce plafond de 20 p. 100 permettra nettement de réduire la dette de l'emprunteur. Nous pouvons jouer avec les chiffres pendant un certain temps, si vous voulez. Lorsque le projet de loi C-26 a été déposé, lorsque le taux de 60 p. 100 a été fixé, je pense que, à l'époque, le taux de la Banque du Canada était supérieur à 20 p. 100. Nous savons donc que son taux, actuellement, est très bas. Si on se fie aux journaux nationaux et à d'autres sources, il est peu probable qu'il augmente notablement à très court terme.

Un taux de rendement de 20 p. 100, c'est assez beau. Je pense qu'il devrait satisfaire les actionnaires.

Le sénateur Tkachuk : Merci de votre exposé, monsieur Hatfield. J'ai un certain nombre de questions à poser. Comme vous êtes un organisme de services sociaux, vous pouvez peut-être nous aider. Les gens sont-ils endettés à cause des emprunts sur salaire, ou bien s'adressent-ils aux prêteurs sur salaire parce qu'ils sont endettés?

M. Hatfield : Eh bien, je pense que le phénomène en dit beaucoup sur l'insuffisance des revenus et les revenus des pauvres. Les gens ont recours aux prêteurs sur salaire parce qu'ils ne peuvent pas joindre les deux bouts, payer les coûts quotidiens de l'appartenance et de la participation à la collectivité.

Le Nouveau-Brunswick compte 750 000 habitants. L'année dernière, pour la première fois, le nombre de décès a dépassé celui des naissances. Nous sommes donc en déficit démographique. L'âge médian de la population se situe à deux ou trois années au-dessus l'âge médian national.

Mais, sur ces 750 000 habitants, on compte en moyenne 40 000 assistés sociaux et 30 000 bénéficiaires et plus de l'assurance-emploi. J'ai lu dans des rapports personnalisés de Statistique Canada que nous aurions le plus haut pourcentage d'actifs au salaire minimum et, dans des rapports officieux, que le pourcentage se situait entre 8 et 11 p. 100.

Entre l'assistance sociale, l'assurance-emploi et un travail à petit salaire, une fraction importante de notre population se démène pour joindre les deux bouts.

Le sénateur Tkachuk : Je comprends. Nous avons un problème du fait que ces personnes n'ont pas d'emploi. Mais pauvreté n'égale pas nécessairement endettement. Pauvreté signifie seulement pauvreté.

Les gens sont-ils endettés à cause des prêts sur salaire, ce qui est en quelque sorte l'argument politique général invoqué ou sont-ils endettés puis s'adressent-ils à des prêteurs sur salaire? La différence est énorme. Parce que si je suis pauvre et que j'ai besoin de 300 $, je m'adresse à un prêteur et je paie 25 $, puis une semaine plus tard, je rembourse les 300 $. Cela s'arrête là. Je risque de ne jamais plus le revoir. Il n'y a rien de mal à cela : on m'a accordé un service qui m'a dépanné, et cela m'a coûté 25 $.

Quel est le problème?

M. Hatfield : Le problème est le cycle, la spirale qui risque de s'installer à la faveur d'emprunts répétés et simultanés. Ce n'est pas seulement les 25 $. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, il en coûte 25 $ par tranche de 100 $. Si vous empruntez 300 ou 400 $, vous remboursez 375 $ sur 300 $, et le terme est de 14 jours. Le projet de loi C-26 a fixé la limite de 1 500 $ en 62 jours comme étant la durée maximale de la convention de prêt dont dispose l'industrie du prêt sur salaire pour se soustraire légalement de l'application de l'article 347, à défaut de limite fixée par la province.

Le sénateur Tkachuk : Relativement aux prêts sur salaire, j'entends l'argument que les frais imposés s'élèvent, comme vous venez de le dire à 25 $ pour 100 $, 200 $ ou 300 $. Je n'ai jamais entendu de chiffres si élevés, mais, néanmoins. On nous a aussi dit, à la dernière séance qui a porté sur cette question, que les profits des prêteurs sur salaire, d'après la recherche qui a été faite — c'était par un autre organisme social des Maritimes — s'élevaient à 16 p. 100, ce qui ne me semble pas exorbitant. Ils semblent raisonnables. Des coûts énormes sont associés aux petits prêts accordés. C'est visible.

Si ce sont vraiment les profits qu'ils font, il est assez difficile d'affirmer qu'ils sont excessifs ou qu'ils écorchent les clients.

M. Hatfield : D'après les témoignages présentés devant la commission d'examen des services publics de la Nouvelle- Écosse, les prêteurs sur salaire tendent à imposer le maximum. C'est un comportement oligopolistique — quelques joueurs sur le marché peuvent en contrôler le montant. Au Manitoba où les frais sont les moins élevés qui soient autorisés par une loi provinciale, 17 $, mon argument et celui que le Human Development Council a fait valoir à la commission, au Nouveau-Brunswick, est que nous devrions inverser l'obligation de la preuve à ce sujet; que les prêteurs sur salaire prouvent ou démontrent qu'ils ne peuvent pas réaliser de profit raisonnable à 17 $.

En Nouvelle-Écosse, ç'a débuté à 31 $ et c'est descendu à 25. Puis, quand c'était, à l'époque, 25 $ — si je me souviens bien, je crois que Money Mart facturait environ 21 $. Dès qu'ils ont été autorisés à demander 25 $, c'est alors que l'effet de plafond a changé et est devenu un plancher.

Voilà certains des enjeux. Vous avez absolument raison. Cela dénote l'absence d'instruments de crédit auxquels pourraient accéder les travailleurs pauvres. Les banques à charte, par exemple, hésitent beaucoup à consentir des prêts de moins de 5 000 $. Elles peuvent émettre une carte de crédit ou ouvrir une ligne de crédit, mais elles chercheront rapidement à augmenter la limite de crédit. Cela traduit l'existence de plus de problèmes de revenu insuffisant et l'absence de moyens de crédit pour permettre aux travailleurs pauvres de rembourser leurs dettes au bout d'une période raisonnable, à un taux d'intérêt raisonnable.

Le sénateur Tkachuk : Par exemple, le retrait de 10 $ au guichet me coûte 1,50 $. Au bureau de change, je paie des frais de 3 $. Près du tiers de mes 10 $. Pour 100 $, il m'en coûte 3 $. Pour 1 000 $, le taux descend encore. Cela montre que pour le prêteur, les frais généraux pour 100 $ sont les mêmes que pour 1 000 $. Les coûts seront relativement plus élevés.

Un témoin qui vous a précédé a dit qu'une province, je ne peux pas me rappeler laquelle, a interdit les prêts sur salaire. Pour les remplacer, il y a maintenant des organismes sans but lucratif, appuyés par l'État fédéral, la province, des dons et des organismes de charité. L'argent est gratuit. Il ne coûte rien aux emprunteurs. Pourquoi n'applique-t-on pas cette solution? Pourquoi ne font-ils pas concurrence à ces prêteurs et n'aident-ils pas ces gens? S'il s'agit de cas qui ont besoin de dons de charité, qu'on laisse aux organismes de charité et aux églises ainsi qu'à l'État la responsabilité de les aider. Pourquoi ne pas simplement les aider et faire cesser leurs activités aux prêteurs?

M. Hatfield : Très intéressant comme remarque. Cela exige un investissement de l'État, des dons de charité, l'engagement et la participation, peut-être de groupes confessionnels, plus de coordination. Je ne peux parler vraiment que du Nouveau-Brunswick. Je pense que nous butons sur un problème de capacité et d'échelle. Dans les Maritimes, c'est une importante question d'échelle.

Au Nouveau-Brunswick, il n'y a pas eu d'audience sur un projet de règlement pour déterminer la structure des taux et la durée des prêts ni obtenir aucun des avantages qu'on peut retirer d'audiences au plein sens du terme. Nous devons nous aligner. Je m'égare un peu, mais, dans les Maritimes, il faut une coordination notable entre les règlements et la loi, pour déterminer la façon de définir cette question d'échelle, de la maîtriser et d'y donner une réponse cohérente.

La sénatrice Hervieux-Payette : Que fait-on lorsque l'emprunteur revient sans cesse et a atteint son maximum et ne le rembourse pas? Est-ce qu'on saisit sa télévision, son iPod, acheté avec une carte de crédit, manifestement? Que lui arrive-t-il? Un gain de loterie est probablement la seule façon de se désendetter. Comment ces agences s'occupent-elles des emprunteurs qui manquent à leurs engagements?

M. Hatfield : Malheureusement, il s'ensuivra une demande de faillite personnelle.

D'après certaines publications que j'ai consultées, quand les emprunteurs font affaire avec un prêteur sur salaire, ils ont épuisé leur ligne de crédit, atteint la limite de crédit de leur carte de crédit et se sont prévalus de toute la protection du découvert que leur accordait leur compte. Les syndics de faillite ont constaté que 5 p. 100 à peine de la totalité des dettes que les débiteurs déclarent quand c'est temps de le faire appartiennent à des prêteurs sur salaire. Ce sont les prêteurs de dernier recours.

Visiblement, le Parlement, dans sa sagesse, a considéré qu'il était convenable de les exempter de l'article 347 et de la disposition fixant le taux d'intérêt criminel, en insistant pour que les provinces mettent en place un régime réglementaire. Si elles le font, alors, bien sûr, elles peuvent fixer la structure des frais pour manquement aux engagements et les peines, les amendes et les frais correspondants.

Ce n'est pas seulement une question d'argent. Il faut ajouter le stress imposé aux consommateurs soumis à ce genre de fardeau financier et dont les revenus sont insuffisants. Il est impossible d'échapper au cercle vicieux des frais imposés de 100 $ pour emprunter 400 $ à un prêteur sur salaire. Il oblige à contracter un autre emprunt, à épuiser ce recours et à contracter un emprunt simultané. Le stress pour les familles et les ménages est énorme; voilà pourquoi j'accueille favorablement le projet de loi S-270, qui fixe le taux à 20 p. 100.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je suis absolument scandalisée par ces frais de 25 $, imposés au bout d'une semaine ou de 10 jours. Seriez-vous satisfait si le taux de 20 p. 100 s'appliquait à un terme d'un an, de sorte que l'emprunteur qui rembourserait sa dette plus tôt verrait le taux proportionné au nombre de jours avant le remboursement?

M. Hatfield : Le projet de loi S-210 est ainsi fait qu'il ne dit rien des prêts sur salaire. C'est un problème que nous devrons accepter et résoudre avec les individus et les emprunteurs, pour les sortir du cercle vicieux dans lequel ils se trouvent.

Le rapport consensuel ontarien a mis en évidence l'apparition d'autres instruments de crédit, particulièrement les prêts à tempérament, qui permettent aux prêteurs sur salaire de contourner les règlements en offrant des prêts de plus de 1 500 $ et des périodes de remboursement de plus de 14 jours. Au début, l'emprunteur est amené à verser un montant mensuel, sur trois ans, qui lui permettra d'obtenir un changement important dans les conditions et de faire les versements. Le problème est que le taux d'intérêt est si élevé que même avec des paiements mensuels, il entame à peine le principal. Ensuite, on lui offre d'augmenter sa limite de crédit : « Ça vous ferait plaisir qu'elle soit relevée de 100 $? » La spirale se poursuit. Voilà le cercle vicieux dans lequel les familles et les individus tombent, qui a beaucoup plus de conséquences pour les familles et les collectivités que le simple montant des dollars en jeu.

Aux États-Unis, on a étudié le secteur des prêts sur salaire. Pour déterminer l'avantage économique net pour la collectivité, il faut tenir compte du fait que ce secteur crée des possibilités d'emploi, qu'il paie des taxes, qu'il loue des locaux et qu'il achète des ordinateurs. Tout cela a été intégré dans les modèles construits par ces études américaines. Dans trois États, notamment, on a pensé qu'il y avait en fait absence d'avantages économiques nets. Imaginez le résultat pour un quartier.

Je peux parler avec un certain degré de compétence de Saint John, parce que nous venons de faire les calculs. La ville compte quatre quartiers. Après le dernier recensement, quand le questionnaire long obligatoire a été délaissé en faveur de l'Enquête nationale auprès des ménages, nous avons perdu notre capacité d'analyse à une petite échelle géographique et celle d'examiner nos quartiers. Mais nous avons pu obtenir cet ensemble de données administratives sur les contribuables par secteur de recensement. Nous les avons recoupées avec nos quatre quartiers. Il est étonnant que nous ayons des taux de pauvreté chez les enfants de 47 p. 100 dans le quartier 3. Dans ce quartier, un enfant sur deux vit dans la pauvreté, et 31 p. 100, dans l'ensemble, vivent au seuil de pauvreté. L'argent sorti des communautés parce qu'il sert aux paiements des intérêts aurait pu être dépensé par les particuliers, les consommateurs ou les familles dans les loyers, l'alimentation, les nécessités de la vie. Au lieu de cela, ils versent des taux énormes d'intérêt qui, bien honnêtement, aboutissent à l'étranger, loin des quartiers et de la collectivité.

Cela dépend de la couleur des lunettes. La position qu'on adopte dépend du point de vue. L'examen de certains des quartiers de ma collectivité révèle qu'ils sont assiégés et j'y constate une prolifération de prêteurs sur salaire. Ils s'établissent près de leur marché. Notre mémoire comporte une analyse par le système d'information géographique. Nous avons localisé les prêteurs sur salaire et, effectivement, ils s'établissent dans les quartiers de travailleurs pauvres à faible revenu. Ils s'établissent à proximité de leur marché. Plus d'une douzaine de ces prêteurs sont regroupés dans le quartier 3 de Saint John.

Des municipalités se sont attaquées à ce problème, par exemple Winnipeg, Calgary et Surrey. Calgary songe à imposer, par des règlements de zonage ou d'urbanisme, une façon de séparer ou de maîtriser la prolifération des services bancaires marginaux.

C'est un problème compliqué. Non, il est complexe. S'il était compliqué, il suffirait d'une formule pour le résoudre. Comme il est complexe, vous introduisez une foule de facteurs et de variables qui en rendent très difficile la solution. Les prêteurs sur salaire, les prêteurs à tempérament et les services bancaires marginaux sont une pièce du casse-tête qui se pose actuellement aux quartiers et aux particuliers des collectivités qui se démènent actuellement pour survivre.

La sénatrice Hervieux-Payette : C'est ma dernière question. Supposons que les prêteurs sur salaire modifient leurs méthodes, qu'ils changent et qu'ils adoptent un comportement social plus décent. Mais pour aider les gens à se sortir d'une situation d'urgence, il y a soit la méthode Desjardins, soit la méthode mafieuse. Je le dis, parce que ces prêteurs pratiquent à peu près ces taux, sauf qu'ils ne sont pas très réglementés.

Diriez-vous que la méthode communautaire, qui consiste à avoir un établissement raisonnable qui sait comment évaluer financièrement les besoins de la collectivité est une meilleure façon de rendre service à ces gens que ces services qui plongent ces gens dans les privations, les difficultés et l'absence d'espoir dans l'avenir?

Si vous dites que le projet de loi, qui plafonne les taux à 20 p. 100, n'est pas nécessairement la solution, quelle serait- elle? C'est ce que nous devons trouver. Comment aidons-nous ceux qui ne gagnent pas assez pour satisfaire leurs besoins fondamentaux et comment les aidons-nous à s'en sortir, quand ils sont pris dans une situation d'urgence?

M. Hatfield : Une réponse à votre question réside dans l'acquisition de compétences financières de base et l'explication, aux intéressés, des conséquences de certaines actions. J'ai été frappé par les propos du sénateur Plamondon, dans les comptes rendus des délibérations de l'étude du projet de loi S-19, qui disait, à l'époque, que nous n'enverrions personne au dépanneur du coin acheter des tomates où elles coûteraient trois fois plus cher qu'à l'épicerie. Il faut de la sensibilisation.

Je crois qu'il est temps de mettre sur pied des programmes d'acquisition de compétences financières de base qui permettraient de montrer des options.

Vous soulevez aussi un autre point intéressant, la loi des conséquences non voulues. Il faut être prudent dans ses souhaits. Si nous voulons des taux d'intérêt faibles, alors, effectivement, on trouvera le prêt usuraire, de style mafieux, plus de prêteurs à gages, un élément criminel. Tel que je le comprends, l'article 347 visait à combattre le prêt usuraire, à lutter contre les éléments criminels qui cherchent à s'introduire dans le système pour accorder de petits prêts non sécurisés aux emprunteurs qui en ont besoin.

Je pense que le problème général vaste est celui de la répartition des revenus, de l'insuffisance des revenus, de l'absence d'un salaire décent par opposition à un salaire minimum, des logements abordables. Cela fait un certain nombre de facteurs à régler.

Ce facteur particulier, pointu, les pratiques des prêts d'argent, les taux d'intérêt et les taux d'intérêt criminels, constitue une pièce du puzzle. Je pense que l'acquisition de compétences financières de base permettrait de répondre à un grand nombre de problèmes. J'aime la méthode communautaire que vous avez proposée. À Saint John, nous avons le Saint John Community Loan Fund, qui accorde de petits prêts non garantis aux entrepreneurs et aux particuliers.

Encore une fois, la question d'échelle dont j'ai parlé limite sa capacité d'aider beaucoup les gens, mais le fond a un programme d'acquisition de compétences financières de base intitulé « Money Matters » (L'argent, c'est important), qu'il offre dans les écoles. Je pense que si nous le lions à certains aspects de l'aide sociale et que si nous faisons connaître aux gens les options disponibles, nous leur offrons un élément de réponse.

Le président : Je dois vous interrompre. Nous avons un certain nombre de questions à vous poser. Vos réponses sont très intéressantes.

Le sénateur Wallace : Je tiens d'abord à souhaiter la bienvenue à M. Hatfield, que je connais assez, après toutes ces années, pour l'appeler par son prénom. Au début de sa carrière, Randy était avocat, et cela paraît dans sa façon de se présenter, mais ce n'est pas un reproche. Il a consacré les 25 ou 30 dernières années de sa vie aux défavorisés et il a accompli un travail colossal. Je le sais pour en avoir été le témoin direct.

Monsieur Hatfield, comme vous l'avez signalé, l'article 347 ne s'applique pas aux prêts sur salaire, mais nous remarquons continuellement qu'un grand nombre des discussions menées pendant les audiences sont liées aux prêts sur salaire. Comme vous le dites, vous constatez que d'autres instruments de prêts sont utilisés pour prêter des fonds aux gens dont la capacité de rembourser est limitée, mais qui ont grandement besoin d'argent.

Vous avez parlé un peu de ce en quoi les conditions de ces prêts pourraient consister, mais je n'ai pas vraiment une bonne idée de leur teneur.

Quelle est en moyenne la somme que ces gens cherchent à emprunter — non pas auprès de prêteurs sur salaire —, et quelles sont les conditions typiques qui se rattachent à ces emprunts? Des garanties sont-elles souvent exigées, ou n'est- ce jamais le cas? Selon votre expérience, comment cela fonctionne-t-il?

M. Hatfield : Je pense que, pour comprendre ce qui se produit, il faut reprendre l'analogie du jeu d'arcade « Whack a mole ». Certains prêteurs demandent des garanties qui reposent sur des biens personnels ou des voitures. C'est là un autre aspect à examiner. Soudainement, la période pendant laquelle vous pouvez emprunter de l'argent pour payer une voiture est passée de cinq années à sept et parfois huit années. Les prêteurs trouveront une façon de contourner les règles et d'offrir de nouvelles perspectives à leur marché.

Sénateur Wallace, les cas que je connais le mieux sont ceux de personnes dont le niveau d'endettement varie de 2 000 à 4 000 $, ce qui les force à emprunter simultanément plusieurs sommes auprès de prêteurs sur salaire ou à se réconforter initialement en négociant des prêts à tempérament d'une durée maximale de trois ans. Ils effectuent alors des versements mensuels qui remboursent à la fois le capital et les intérêts. Cependant, comme les taux d'intérêt de ces prêts sont très élevés puisqu'ils s'approchent du taux d'intérêt maximal actuellement établi à 60 p. 100, la possibilité et la probabilité que ce prêt soit remboursé d'ici la fin de l'échéance sont faibles.

Les autres pratiques, que je qualifierais de déloyales, consistent à offrir aux clients de hausser la limite de leur crédit. On vous dit que vous avez l'occasion de faire passer votre limite de crédit à 5 000 $ et, comme Noël approche, cette idée vous plaît. On constate donc que les gens sont séduits par ce genre d'offres.

L'instrument de crédit que je trouve le plus attrayant existe au Royaume-Uni, et l'église d'Angleterre a décidé d'intervenir. L'archevêque de Canterbury a fait publiquement des déclarations encourageantes à propos du rôle de la communauté religieuse, de la façon dont nous prendrions soin de nos voisins, des quartiers, et cetera.

Il ne s'agit pas d'un problème facile à régler et, lorsque j'ai parlé du côté pragmatique du projet de loi S-210, je voulais dire qu'à mon avis, il fait ce qu'il peut, en tenant compte de ce que nous avons appris au cours des 10 dernières années, ainsi que de l'ampleur et de la portée du problème que nous sommes censés résoudre.

Ce ne sera pas tâche facile et, sénateur, la transcription de votre dernière séance parle d'un taux de 2 p. 100 par mois qui correspond en fait à 28 p. 100. Que faisons-nous ici? Y a-t-il quelque chose de magique à propos du taux de 20 p. 100 ou 35 p. 100 qui a été recommandé dans le projet de loi S-19, ou à propos du taux de 60 p. 100? Je ne suis pas certain qu'il y ait quelque chose de magique à cet égard.

Même en ce qui concerne les prêts sur salaire, je ne tiens pas à ce que nous devenions obsédés par la différence entre 17 $ au Manitoba et 25 $ à l'Île-du-Prince-Édouard, parce qu'il s'agit seulement de quelques dollars de différence. Ce dont nous parlons, c'est du cycle d'endettement qui comprend des prêts à répétitions ou des prêts simultanés et qui peut nous piéger. Lorsqu'on tombe dans ce piège, il est impossible d'en sortir.

Le sénateur Wallace : En ce qui concerne le remboursement par versement que vous avez décrit, nous savons tous qu'il est possible de négocier un prêt hypothécaire ayant un terme de trois ou cinq ans. Cela vous permet de bénéficier d'un taux d'intérêt immobilisé, mais le prêt est amorti sur une période beaucoup plus longue. Et cela a pour effet de réduire considérablement vos coûts mensuels. Bien entendu, comme nous le savons, les intérêts sont calculés dès le départ, mais ils sont répartis sur une plus longue période.

En ce qui a trait aux types de prêts que vous observez, vous avez parlé de termes de trois ans. Lorsque ces conditions sont présentées au client, sont-elles amorties sur une période plus longue, ou la période d'amortissement correspond- elle toujours au terme du prêt?

M. Hatfield : Je crois comprendre que la période d'amortissement correspond à ce que vous avez mentionné en dernier. Je précise encore une fois que les conditions des prêts varient d'une institution à l'autre. Lors du débat à l'étape de la deuxième lecture, la marraine du projet de loi, la sénatrice Ringuette, a dressé une liste des organisations et des entreprises qui offrent maintenant des prêts à tempérament de ce genre, et cette liste semble s'allonger tous les deux ou trois semaines. Il faudrait que je prenne cette question en délibéré et que je vous revienne là-dessus.

Le sénateur Wallace : M. Lee de l'Université Carleton était ici la semaine dernière. Vous semblez avoir examiné la transcription de nos séances. Par conséquent, il se peut que vous ayez lu ses observations.

Il nous a dit qu'il pensait que ces taux d'intérêt ne devraient nullement être régis par le Code criminel. Dans les années 1980, des gens ont soulevé le fait que la question de l'endettement et des emprunts relevait des provinces, et qu'elles devraient s'occuper de ces enjeux, bien que je doute que qui que ce soit soutienne que le taux d'intérêt maximal actuel de 60 p. 100 est déraisonnable. L'argument que M. Lee faisait valoir, c'est que cet enjeu n'est pas de compétence fédérale. Le problème devrait être réglé par chaque province, et nous ne devrions pas lui apporter une solution de fortune en réduisant maintenant le taux mentionné dans le Code criminel. Ce taux devrait plutôt être supprimé du Code criminel.

Avez-vous des observations à formuler à cet égard?

M. Hatfield : Je comprends cet argument. La question est de savoir si le Code criminel est le meilleur moyen de protéger les consommateurs. Je pense que nous devons commencer là où nous nous trouvons en ce moment. Les choses sont comme elles sont.

Ce qui me préoccupe, sénateur Wallace, ce sont les approches disparates que j'observe lorsque je constate que le Nouveau-Brunswick est la huitième province à réglementer les prêts sur salaire et que Terre-Neuve ne tentera même pas de le faire. En effet, j'ai remarqué en décembre dernier qu'après avoir enquêté pendant trois ans, le gouvernement terre-neuvien avait décidé de ne pas intenter des poursuites criminelles. Les politiciens de Terre-Neuve étaient d'avis qu'il était inutile de réglementer les prêts sur salaire parce que le taux d'intérêt criminel était défini à l'article 347 du Code criminel. Toutefois, après avoir mené une enquête approfondie pendant trois ans, ils ont déterminé qu'il n'était pas dans l'intérêt du public de porter des accusations contre les prêteurs sur salaire. Je ne suis pas non plus persuadé que c'est la meilleure façon de procéder.

Le sénateur Black : Monsieur Hatfield, je vous remercie de votre présence. Je souhaite faire écho aux commentaires de mon collègue, le sénateur Wallace. Nous devons vous rendre hommage et vous remercier du travail que vous accomplissez. Vous pourriez pratiquer le droit des sociétés à St. John's, Toronto ou Calgary, mais vous avez choisi de consacrer votre temps et vos compétences évidentes aux gens qui ont besoin d'aide. Je pense que mes collègues approuveraient mes commentaires. Nous vous devons des remerciements, et nous vous sommes reconnaissants des efforts que vous déployez et de votre présence parmi nous aujourd'hui.

Nous souhaitons, bien entendu, faire la bonne chose dans le cas présent. Nous avons certainement entendu parler du problème de la pauvreté au Canada dont vous nous avez entretenus, mais je ne suis pas certain que ce qui est proposé en ce moment peut avoir un effet significatif sur le tissu social très complexe que vous nous avez décrit, et qu'il aura un tel effet.

Permettez-moi, si possible, de vous poser simplement quelques questions. Que se passerait-il si nous recommandions que toute allusion à des taux d'intérêt criminels soit supprimée du Code criminel? Dites-moi quelle incidence cela aurait, le cas échéant.

M. Hatfield : Je ne suis pas certain que le marché ajusterait le taux d'intérêt et que la concurrence dans le marché serait suffisante pour maintenir les taux au niveau requis pour les petits prêteurs sans garantie. Je craindrais que les taux d'intérêt montent en flèche et qu'on profite des gens.

Le sénateur Black : Vous pensez que ce taux intervient vraiment dans le processus de pensée des prêteurs?

M. Hatfield : Je crois qu'il a un effet dissuasif qui empêche les taux d'être encore plus élevés.

Le sénateur Black : Fort bien. Croyez-vous que le taux de 60 p. 100, tel qu'il figure actuellement dans le Code criminel, a un effet dissuasif sur les emprunteurs? Disons que je suis une personne qui a besoin d'argent pour faire réparer ma voiture. Je dois la remettre en état de marche, mais je reconnais que, compte tenu de mes antécédents en matière d'endettement, il se peut que je sois forcé de payer des taux d'intérêt de 59 p. 100. Pensez-vous que je vais m'abstenir d'emprunter de l'argent et commencer à utiliser les transports en commun, ou que je vais emprunter tout de même l'argent? D'un point de vue social, le taux de 60 p. 100 est-il dissuasif et, par conséquent, peut-être une bonne chose?

M. Hatfield : C'est une excellente question, et je ne suis pas certain d'être la personne la mieux placée pour y répondre. Je pense que les gens ont recours aux prêteurs sur salaire ou aux prêts à tempérament par pur désespoir.

Le sénateur Black : Selon vous, c'est leur motivation? Ces gens sont désespérés?

M. Hatfield : Absolument.

Le sénateur Black : Selon leur définition du désespoir.

M. Hatfield : Comme ils choisissent de le définir.

Le sénateur Black : Absolument. Si nous adoptons le projet de loi, quel effet aura-t-il sur les prêteurs? Je saisis l'effet qu'il aura sur les emprunteurs, car je comprends les preuves que vous avez présentées à cet égard. Quel effet pensez- vous qu'il aura sur les prêteurs? Désormais, les taux d'intérêt que je peux imposer en tant que prêteur ne doivent pas dépasser 20 p. 100. Que fais-je?

M. Hatfield : La première chose que vous faites, c'est chercher des moyens de contourner cette règle. Sénateur, je pense qu'il vaudrait mieux poser cette question à un prêteur. Je ne suis pas certain d'être la personne la mieux placée pour répondre à cette question.

Le sénateur Black : Il s'agit de déterminer si la mesure législative serait efficace, ou si elle ne ferait que jeter de la poudre aux yeux.

M. Hatfield : Je ne crois pas qu'on jetterait de la poudre aux yeux en faisant passer de 60 à 20 p. 100 le taux d'intérêt qui s'appliquerait, par exemple, aux prêts à tempérament que contractent ceux qui souhaitent ou qui ont besoin d'effectuer des versements mensuels échelonnés sur une période afin de rembourser le capital emprunté. Je vais devoir laisser les prêteurs s'exprimer.

Le sénateur Black : Je comprends ce que vous dites.

M. Hatfield : Comme je l'ai indiqué, pour une raison quelconque, l'industrie semble non seulement survivre, mais aussi prospérer au Manitoba à raison de 17 $ par 100 $. Nous n'avons pas accès aux bilans financiers, aux taux de rendement ou à des analyses de l'industrie de ce genre, mais j'envisage la situation du point de vue des gens qui touchent des revenus inadéquats et qui cherchent à joindre les deux bouts.

Le sénateur Black : Je comprends complètement votre point de vue, et je vous suis reconnaissant de vos observations.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Vous avez parlé des prêts à tempérament. Vous avez dit que ces prêts étaient en croissance au Canada et que cela accentuait le cycle de la pauvreté. Pourriez-vous m'expliquer ce qu'est un prêt à tempérament? Car on sait que, au Québec, il n'y a pas de prêts sur salaire comme tels. Est-ce qu'il s'agit de prêts obtenus auprès des magasins en fonction de l'achat de meubles, et est-ce qu'ils seraient régis par le projet de loi S-210?

[Traduction]

M. Hatfield : Voilà une excellente question à laquelle je vais tenter de répondre. À ce que je sache, les prêts à tempérament sont offerts par une foule d'entreprises. Easyfinancial est l'une des entreprises qui me passent par la tête. Les conseillers en crédit peuvent aussi en recommander d'autres. Leur nombre semble s'accroître. Ils sont destinés à un marché qui existe et qui comprend les gens qui ne souhaitent pas demander des prêts sur salaire et qui trouvent séduisante l'idée de payer avec le temps un taux d'intérêt et un principal, ainsi que de satisfaire à une obligation. Je sais que l'émission Marketplace de la CBC a diffusé récemment un reportage sur Easyfinancial et sur les prêteurs à tempérament.

Je sais que ces prêts sont un énorme problème chez nos voisins du sud. Il est intéressant de constater combien de problèmes qui voient le jour aux États-Unis et qui finissent par faire l'objet d'une réglementation là-bas migrent vers le Nord et commencent à infecter des collectivités dans les provinces ou les territoires du Canada jusqu'à ce que des efforts soient déployés pour réglementer ce secteur.

Toutes sortes d'instruments sont offerts. Vous avez parlé d'entreprises de meubles et de parcs de voitures d'occasion. Toutes sortes d'entreprises cherchent à garantir comme elles le peuvent les prêts usuraires qu'elles accordent. C'est là un problème dont nous devons nous protéger.

Je ne prétends nullement être un expert en la matière, si ce n'est que nous faisons face à un certain nombre de gens qui sont aux prises avec ces prêts. Comme je l'ai déclaré, je pense que nous devons comprendre que ce n'est pas simplement une question de dollars et de cents. Les répercussions que ces prêts ont sur des personnes, des familles, des quartiers et des collectivités sont profondes. J'aimerais croire que nous avons en ce moment une occasion et une obligation de comprendre que nous ne parlons pas de prêts commerciaux consentis à des clients avertis et conscients des risques, et que lorsqu'on combine un énorme numérateur à un petit dénominateur, on finit par obtenir des taux annuels en pourcentage qui vous stupéfieraient ou qui, en tout cas, seraient difficiles à défendre. Nous excluons ces prêts. Aux termes de la mesure législative, les prêts commerciaux inférieurs à un million de dollars sont exclus. Leur taux d'intérêt maximal de 60 p. 100 sera conservé. Si j'ai bien compris, le présent projet de loi est censé s'occuper des personnes, des familles et des ménages.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ce type de prêt à plus long terme serait régi par le projet de loi S-210. Donc, les prêts à tempéraments de plus de 20 p. 100 seraient rendus impossibles?

[Traduction]

M. Hatfield : Oui, c'est ce que je crois comprendre.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Comment, dans les autres pays, sont régis les taux d'intérêt usuraires? Y a-t-il des taux d'intérêt criminels ailleurs, ou est-ce une notion typiquement canadienne?

[Traduction]

M. Hatfield : Il est inhabituel d'utiliser le Code criminel ou des mesures de lutte contre la criminalité pour réglementer des taux d'intérêt. Quinze États américains plafonnent les taux d'intérêt à des niveaux inférieurs aux 20 p. 100 suggérés par la loi. Je n'ai pas examiné les pays d'Europe. Ils sont trop éloignés pour que leurs lois soient pertinentes pour ma collectivité et ma province. Toutefois, je pense que nous pouvons chercher quelques lignes directrices au sud de la frontière — certainement auprès du Consumer Financial Protection Bureau de l'administration Obama et des mesures qui découlent de la loi Dodd-Frank. Les conséquences de cette loi pourraient présenter des aspects intéressants. Nous devrions peut-être les examiner plus attentivement pendant que les Américains commencent à mettre en œuvre ce régime réglementaire aux États-Unis.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Il y aurait donc une quinzaine d'États américains qui réglementent déjà les prêts à la consommation à des taux... Êtes-vous familier avec les taux? Est-ce qu'ils se situent à environ 20 p. 100?

[Traduction]

M. Hatfield : Dans certains États, ils sont inférieurs à 10 p. 100. En fait à l'étape de la deuxième lecture, la marraine du projet de loi, la sénatrice Ringuette, a fait une énumération assez détaillée des 18 États dont il est question, dont 15 ont des taux d'intérêt inférieurs à 20 p. 100.

Le sénateur Greene : J'aimerais avoir une idée de l'ampleur du problème que nous tentons de régler. Prenons votre collectivité que, manifestement, vous connaissez bien. J'imagine que la population de Saint John s'élève à 200 000, ou 250 000?

M. Hatfield : La région métropolitaine de recensement se chiffre à environ 128 000 habitants, et ce chiffre est demeuré relativement constant au fil des ans. Toutefois, à mon avis, cette RMR dilue vraiment l'histoire de ma collectivité. Je pourrais poursuivre, mais je ne le ferai pas.

Le sénateur Greene : Combien d'habitants de Saint John exprimés en pourcentage bénéficieraient de ce projet de loi?

M. Hatfield : C'est une bonne question, mais je n'ai pas de chiffres précis à vous offrir. Je peux parler des 12 prêteurs sur salaire établis à l'intérieur des secteurs de recensement du quartier no 3, dont la population est de l'ordre de 20 000 à 30 000. Ces prêteurs ont atteint un point de saturation, et leur marché s'en rendra bientôt compte.

Il y a aussi des variations entre les prêteurs sur salaire.

Le sénateur Greene : Donc, de 20 à 25 p. 100 de la population de Saint John, au Nouveau-Brunswick, bénéficieraient de ce projet de loi?

M. Hatfield : Ces pourcentages semblent un peu élevés à première vue. Il est certain que 12 prêteurs tiennent des livres comptables qui satisfont leurs exigences en matière de résultats financiers.

Je peux vous dire que la Ville de Saint John a une mesure de faible revenu — une mesure de faible revenu de 19 p. 100. La RMR dont j'ai parlé plus tôt a un taux d'environ 14,5 p. 100. À première vue, si vous tapez « pauvreté Saint John » dans le moteur de recherche de Statistique Canada, il affichera 14 p. 100, et vous pourriez penser que ce n'est pas trop mal — Winnipeg, Vancouver, Montréal.

Mais pour comprendre ma collectivité, il faut pousser un peu plus loin et tenir compte des municipalités périurbaines. Il y a huit villes au Nouveau-Brunswick, et certaines d'entre elles ont une population de 5 000 habitants. Toutefois, deux petites villes sont contiguës à la ville de Saint John, et elles ont 30 000 habitants. Le noyau urbain de la ville de Saint John contient donc environ 70 000 personnes.

Le sénateur Greene : Je comprends.

Vous dites donc que 7 000 habitants de Saint John seraient touchés de façon positive par cela? J'essaie seulement...

M. Hatfield : Je reconnais vos efforts pour comprendre la portée et l'échelle, mais je n'ai pas de données aussi précises.

Le sénateur Greene : Dans ce cas, quel pourcentage des habitants intégreraient presque cela dans leur quotidien?

M. Hatfield : C'est une bonne question, et nous avons eu de la difficulté à y répondre lors de la présentation que nous avons livrée à notre commission financière dans le cadre de ses efforts pour réglementer les prêts sur salaire. Étant donné qu'ils ne sont pas réglementés, nous ne connaissons pas le nombre officiel de prêteurs sur salaire au Nouveau- Brunswick. Nous ne savons pas combien de prêts sont accordés. Nous ne connaissons pas le nombre de clients récurrents.

Toutefois, nous sommes en mesure d'étudier les provinces voisines et d'extrapoler. C'est pourquoi nous avons examiné la situation du Manitoba en 2013 et celle de la Nouvelle-Écosse en 2015. En Nouvelle-Écosse, notre province sœur, dans une population de quelque 920 000 habitants — comparativement à 750 000 —, les prêts récurrents représentent 52 p. 100 des prêts sur salaire. C'est une industrie de 89 millions de dollars. En 2013-2014, 206 000 prêts sur salaire ont été accordés.

Le sénateur Greene : Vous avez mentionné plus tôt les effets positifs et l'importance de la littératie financière. Avez- vous des outils pour les habitants de Saint John qui ont besoin de ce type d'aide?

M. Hatfield : Oui, nous avons tenté de les intégrer dans quelques programmes d'amélioration de l'estime personnelle. Un réseau d'émancipation des femmes à Saint John offre des programmes de formation aux femmes dans certains de nos quartiers à priorité élevée. Une partie du contenu principal de ce programme de 10 semaines porte sur la littératie financière.

Les Credit Counselling Services of Atlantic Canada...

Le sénateur Greene : Ce programme fonctionne-t-il?

M. Hatfield : J'aimerais répondre par l'affirmative. J'aimerais dire que chaque fois qu'une personne obtient des renseignements et qu'elle est émancipée, c'est-à-dire qu'elle connaît ses choix et qu'elle peut les exercer, cela lui donne de l'espoir. J'aimerais donc penser que le programme fonctionne.

Nous avons effectué quelques suivis et nous avons pris certaines mesures. Ces programmes, surtout celui appelé Question d'argent, sont très bien reçus et font l'objet de bons commentaires de la part des participants.

J'ai rencontré le représentant des Credit Counselling Services of Atlantic Canada, hier, afin de me préparer pour cette réunion. Cette personne m'a dit que 389 sessions étaient planifiées entre le 1er et le 12 mai. C'est un nombre élevé. Je crois que cela traduit de nombreux problèmes liés à l'insuffisance du revenu et aux difficultés financières.

En ce qui concerne les personnes touchées, je ne crois pas qu'il s'agit nécessairement de la personne qui accorde le prêt, mais plutôt l'emprunteur et les membres de sa famille, ses connaissances et ses voisins. Lorsque des gens vivent de chèque de paye en chèque de paye, l'ensemble de la collectivité ou du quartier doit vivre avec les répercussions.

Le sénateur Tkachuk : Je crois qu'il s'agit d'un problème social. Nous tentons de le résoudre avec des mesures législatives qui, à mon avis, ne régleront pas le problème. Le sénateur Gerstein a fait allusion au fait que la personne qui doit réparer sa voiture doit toujours la faire réparer, et elle devra se procurer l'argent quelque part. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi le marché ou les organismes sociaux ou culturels du gouvernement ne comblent pas ce vide pour aider ces gens.

Je vais utiliser l'exemple des jeux de hasard. Selon mon expérience et mes lectures, les jeux de hasard représentent un énorme problème social chez les personnes pauvres. Je sais que partout au pays, des bars ont installé des terminaux de loterie vidéo, des TLV, dans lesquels les gens engloutissent leurs chèques de paie. Ces gens dépensent également de 50 $ à 100 $ par semaine en billets de loterie en espérant devenir riches. Mais ce sont les gouvernements qui font de l'argent.

Autrement dit, c'est un problème social bien plus grave, mais étant donné que les gouvernements font beaucoup d'argent, ils ne veulent pas vraiment le résoudre. Cependant, ils veulent bien résoudre ce problème par la voie législative, et faire passer les prêteurs sur salaire pour d'horribles personnes. Je suis toujours d'avis que ces derniers offrent un type de service nécessaire.

M. Hatfield : Je crois que vous avez raison. En l'absence d'instruments de crédit raisonnables pour les travailleurs pauvres, il y aura toujours des gens prêts à offrir des prêts à intérêts élevés et à court terme.

Toutefois, sénateur, je ne suis pas certain qu'on peut appliquer directement l'analogie avec les jeux de hasard dans ce cas-ci. Encore une fois, vous parlez de problèmes et de programmes sociaux. Ce dossier est extrêmement complexe. Quel volet souhaitez-vous aborder?

Le président : La marraine du projet de loi a une dernière question à vous poser.

La sénatrice Ringuette : Tout d'abord, j'aimerais vous offrir mes excuses. J'assistais à une réunion du Comité sur la justice, car ses membres se penchent sur un autre enjeu très important pour tous les Canadiens. Cela dit, je suis heureuse que vous soyez ici pour nous offrir votre expertise.

Le projet de loi ne vise pas exactement à régler des problèmes sociaux. Il vise une disposition de la loi fédérale en vigueur, c'est-à-dire le taux d'intérêt criminel à 60 p. 100 qui a été fixé il y a 34 ans et qui n'a jamais été révisé. En ce qui me concerne, c'est un taux abusif pour les prêts de famille, et d'autres prêts.

J'aimerais avoir votre avis sur le taux d'intérêt criminel actuel de 60 p. 100 et sur le taux de financement à un jour de la Banque du Canada, c'est-à-dire 0,75 p. 100, majoré de 20 p. 100. À votre avis, s'agit-il d'une amélioration importante pour aider les travailleurs pauvres à lutter contre les taux d'intérêt potentiellement abusifs?

Le président : Je vais vous permettre de répondre brièvement, car je sais que vous avez fourni des réponses très claires au cours de cette réunion. Allez-y.

M. Hatfield : Oui. C'est presque comme l'histoire de Boucles d'or et les trois ours, c'est-à-dire qu'un taux de 60 p. 100 semble beaucoup trop élevé, et 20 p. 100, selon moi, entraîne le problème soulevé par le sénateur Wallace, relativement aux 2 p. 100 par mois. Une série de cartes de crédit et d'autres instruments seront visés par ce projet de loi, et je ne suis pas certain de connaître le chiffre magique. Je suis préoccupé par l'impact du cycle d'endettement créé par des emprunts récurrents et le piège dans lequel des gens se retrouvent prisonniers. Nous pouvons nous argumenter sur les chiffres et nous demander honnêtement si un taux de 60 p. 100 est trop élevé, et personnellement, je crois que c'est trop élevé. En fait, c'est très usuraire.

En ce qui concerne le taux de 20 p. 100, le sénateur Tkachuk a soulevé quelques bonnes questions sur les coûts fixes. C'est une entreprise commerciale, et elle doit obtenir un rendement du capital investi. Nous devons faire bien attention à ce que nous souhaitons. En effet, si nous déclarons illégaux les prêteurs sur salaire ou si nous interdisons leurs activités, qu'est-ce qui prendrait leur place? Qui remplirait ce vide? C'est un équilibre délicat, et il faut tenir compte de plusieurs facteurs.

Pour répondre directement à votre question, je crois qu'un taux de 60 p. 100 est trop élevé. Vous avez prudemment exclu les consommateurs avertis, les clients commerciaux et d'autres transactions commerciales. Nous parlons des familles, des particuliers, des quartiers et des collectivités. Je crois qu'un taux de 20 p. 100 serait adéquat, à moins que quelqu'un prouve le contraire — ce serait presque une inversion du fardeau de la preuve, car une personne devrait présenter les chiffres à l'appui.

Le président : Au nom des membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, j'aimerais vous exprimer toute notre reconnaissance d'être ici aujourd'hui. Nous nous joignons tous au sénateur Wallace et au sénateur Black pour reconnaître les services que vous fournissez à la collectivité et le travail que vous accomplissez. Nous vous sommes très reconnaissants. Merci beaucoup d'avoir comparu aujourd'hui.

Je suis heureux d'accueillir notre deuxième témoin aujourd'hui, Mme Kelley McKeating, FSA, FICA, de l'Institut canadien des actuaires. Situé à Ottawa, l'Institut canadien des actuaires est l'organisme national de la profession actuarielle. Dirigé par ses membres, l'Institut est voué au service de la population par l'entremise de la prestation de services et de conseils actuariels. Bienvenue, madame McKeating. Vous avez la parole.

Kelley McKeating, FSA, FICA, Institut canadien des actuaires : Merci. Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'avoir invitée à vous parler au nom de l'Institut canadien des actuaires, la voix nationale de la profession actuarielle au Canada.

Les actuaires manifestent un intérêt particulier à l'égard de l'article 347 du Code criminel. En effet, les définitions de « taux criminel » actuelles proposées précisent que le taux d'intérêt annuel effectif doit être calculé conformément aux règles et pratiques actuarielles généralement admises. De plus, le paragraphe 347(4), qui ne sera pas modifié par le projet de loi S-210, énonce que la certification par un Fellow de l'ICA peut servir de preuve de l'application du taux d'intérêt annuel effectif en l'absence de preuve du contraire.

Étant donné que l'exigence selon laquelle les actuaires doivent agir de façon indépendante et objective lorsqu'ils agissent à titre d'experts dans des affaires civiles et criminelles, l'Institut limitera ses commentaires aujourd'hui aux aspects techniques des modifications proposées. Il est important de ne pas oublier que le premier principe directeur de l'ICA est de servir tout d'abord l'intérêt public.

D'après ce que nous comprenons des commentaires formulés par la sénatrice Ringuette le 23 avril dernier, l'objectif principal du projet de loi est d'empêcher des personnes en difficulté financière d'aggraver leur situation en empruntant de l'argent à des taux d'intérêt tellement élevés que la dette ne peut pas être remboursée. Le deuxième objectif est de veiller à ce que de grandes entreprises qui souhaitent emprunter de l'argent et qui sont prêtes à payer des taux d'intérêt élevés puissent le faire. Comme vous le savez, ces objectifs seront atteints par la mise en œuvre de trois changements, à savoir l'élimination du seuil de taux d'intérêt criminel pour les transactions de plus de 1 million de dollars, le maintien du seuil actuel de 60 p. 100 pour les autres prêts commerciaux de moins de 1 million de dollars, et pour tous les autres prêts, la réduction du taux d'intérêt criminel de 60 p. 100 au taux de financement à un jour de la Banque du Canada qui, comme vous le savez, est de 0,75 p. 100, majoré de 20 p. 100. La plupart des discussions que j'ai entendues au sein du comité se sont concentrées sur ce dernier changement; c'est donc le premier point que j'aimerais aborder.

L'ICA convient qu'un examen et une diminution du niveau d'intérêt considéré comme étant criminel sont appropriés. Comme d'autres l'ont souligné, le maximum actuel de 60 p. 100 a été fixé en 1981, lorsque l'inflation et les taux d'intérêt étaient très élevés. Par contre, aujourd'hui, les taux d'intérêt sont à des niveaux exceptionnellement bas. Cela dit, nous recommandons de prendre toutes les précautions nécessaires pour veiller à ce que, tout d'abord, les nouvelles définitions soient claires et sans ambiguïté et, deuxièmement, à ce que la formule la plus appropriée pour atteindre l'objectif énoncé soit appliquée. Je serai heureuse de répondre aux questions sur la façon dont ces objectifs peuvent être atteints.

Il faut comprendre que ce ne sont pas seulement les prêts sur salaire dans les provinces où ils ne sont pas réglementés et les cartes de crédit et les frais de service qui seront visés par les nouveaux règlements proposés. Les prêts hypothécaires privés, par exemple, excèdent parfois le taux maximal de 60 p. 100. Les criminels qui font des prêts ont également tendance à imposer des taux d'intérêt très élevés. Même si c'est très rare, des procès criminels ont été engagés en vertu de l'article 347. Dans les procès que je connais, les taux d'intérêt imposés varient de 60,1 p. 100 à presque 800 p. 100.

Comme vous l'avez entendu la semaine dernière, les allégations liées à un taux d'intérêt criminel sont le plus souvent soulevées dans une affaire civile. Par exemple, une personne qui a emprunté de l'argent à un taux d'intérêt élevé peut demander aux tribunaux d'annuler l'entente sur le fondement qu'elle est illégale. Les cas qui se retrouvent devant les tribunaux concernent habituellement des dizaines de milliers de dollars. À moins qu'il s'agisse d'un recours collectif, il est très inhabituel que des poursuites en justice concernent un prêt de seulement quelques centaines de dollars. En effet, l'accès au système de justice est très dispendieux.

En ce qui concerne les deux taux criminels différents, la distinction entre les transactions commerciales et non commerciales n'est pas toujours clairement établie.

Enfin, j'aimerais faire valoir deux points.

Lors de la réunion précédente du comité, des membres du comité ont posé des questions sur les frais et coûts inclus dans le calcul du taux d'intérêt. Les définitions de « capital prêté » et de « intérêt » de l'article 347 sont très précises, et les tribunaux, y compris la Cour suprême, par exemple dans l'affaire Garland c. Consumers' Gas Co., qui remonte à 1998, ont formulé des commentaires sur la façon d'interpréter correctement ces termes.

Je sais également que des membres du comité ont émis l'hypothèse que si l'on tient compte des coûts de transaction fixes d'un prêteur, un taux d'intérêt qui semble élevé pourrait se révéler non déraisonnable. Nous avons effectué un exemple de calcul à l'aide des principes actuariels acceptés pour vous aider dans votre étude. Dans l'exemple qui devrait se trouver devant vous, le rendement effectif au prêteur est de 190 p. 100. Donc, du point de vue du prêteur, le taux d'intérêt est de 190 p. 100. Du point de vue de l'emprunteur, si on ne tient pas compte des coûts fixes, le taux est de plus de 33 000 p. 100.

En raison des contraintes de temps, je vais m'arrêter ici. Je serai heureuse de répondre aux questions sur les aspects techniques du projet de loi et d'expliquer l'exemple plus en détail. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Un exposé clair et concis, à la manière des actuaires.

Mme McKeating : Je tiens à respecter le temps imparti.

La sénatrice Ringuette : Merci. J'ai beaucoup de respect pour le travail que vous faites, car c'est parfois un casse-tête pour moi. Je vous remercie de convenir que le projet de loi doit établir un nouveau taux d'intérêt criminel adéquat ou approprié.

Vous avez dit que nous devions clarifier les éléments commerciaux et non commerciaux du projet de loi. J'aimerais certainement entendre vos suggestions sur les modifications à apporter au projet de loi pour veiller à ce qu'il soit aussi clair que possible, non seulement pour les utilisateurs, mais également pour les tribunaux qui devront potentiellement trancher des questions à cet égard.

Mme McKeating : Je ne sais pas si j'ai une suggestion, mais j'aimerais observer que la distinction n'est pas clairement établie. Je vais vous donner quelques exemples. Le premier concerne le cas d'une personne propriétaire d'une petite entreprise non constituée en société. Si elle contracte un prêt, il n'est pas clairement défini s'il s'agit d'un prêt à des fins personnelles ou commerciales. Je dirige ma propre entreprise. Elle est maintenant constituée en société, mais lorsqu'elle ne l'était pas, mes transactions commerciales étaient effectuées par l'entremise de mon compte bancaire personnel. Même si je m'assurais de tenir des registres distincts, tout le monde ne le fait pas. Une personne peut contracter un prêt privé pour lequel les taux d'intérêt ne sont pas aussi favorables que ceux d'une institution financière, et cette personne affirmera que c'est pour des raisons personnelles, et le plafonnement sera donc celui proposé actuellement, 20,75 p. 100, mais cette personne a réellement besoin de ce prêt pour son entreprise. Ce type de situation s'applique également aux prêts hypothécaires. En effet, vous pouvez affirmer que vous empruntez de l'argent pour une maison qui vous servira de résidence principale, mais vous avez réellement l'intention de l'utiliser pour un logement à revenu. Je crois qu'il est possible que les gens contournent les mesures prises de cette façon et cela contrevient peut-être à l'intention du projet de loi. Je n'ai pas de solution, mais à notre avis, il s'agit d'un problème potentiel.

La sénatrice Ringuette : Selon vous, pourrait-il y avoir une plus grande distinction entre les petites et moyennes entreprises en ce qui concerne la limite de 1 million de dollars, par exemple, les petites entreprises qui emploient jusqu'à 100 personnes pourraient être mises dans la même catégorie que les prêts de famille? Cela aiderait-il en ce qui a trait à la situation dont vous parlez?

Mme McKeating : Je crois qu'il s'agit réellement d'une question de politique publique, et que les actuaires ne forment pas le meilleur groupe pour y répondre. Je crois que lorsqu'on trace une ligne de division et qu'il y a un avantage manifeste à se trouver d'un côté de cette ligne et non de l'autre, les gens vont trouver des façons de se trouver du côté favorable. Par exemple, un prêteur trouvera un moyen créatif d'amener un prêt au-dessus du seuil de 1 million de dollars, même si ce n'est pas le cas en réalité.

La sénatrice Ringuette : Mais les banques font la même chose. Elles demandent aux propriétaires de petites et moyennes entreprises d'offrir leurs biens personnels, leur maison, et cetera, en garantie s'ils veulent obtenir un prêt pour leur entreprise.

Mme McKeating : C'est compliqué. J'ai une carte de crédit d'affaires et une carte de crédit personnelle. Si je ne peux pas payer mon solde au complet chaque mois, et si une carte impose un taux d'intérêt de 21 p. 100 et l'autre de 60 p. 100, je mettrai les dépenses de mon entreprise sur ma carte personnelle et je me rembourserais ensuite. Je ne peux pas répondre avec certitude à cette question, mais c'est une distinction imparfaite, à mon avis.

La sénatrice Ringuette : D'un autre côté, si une carte de crédit d'affaires imposait un taux d'intérêt de 60 p. 100, je ne crois pas que vous l'auriez choisie.

Mme McKeating : Exactement.

La sénatrice Hervieux-Payette : Le droit fiscal fournit déjà une définition de petite entreprise, surtout aux fins de l'impôt. Nous ne pouvons pas légiférer à nouveau un élément qui a déjà été accepté par le gouvernement. Je crois que nous utilisions le même critère que le gouvernement, car les provinces et le gouvernement fédéral ont leur propre définition pour se qualifier pour l'un ou l'autre, étant donné que le taux d'imposition est différent.

Mme McKeating : C'est vrai.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d'être ici. En ce qui concerne l'exemple que vous avez donné, je suis très sensible au point qu'il s'agit d'un problème, et comme le confirment nos antécédents, les membres du comité en ont beaucoup parlé. Pour les prêteurs, il est logique d'imposer une limite de temps pour effectuer une transaction, qu'elle soit de 100 $ ou de 100 000 $. Ils produisent certains documents et fournissent une certaine expertise, et ils espèrent s'en tirer sans faire appel à un cabinet d'avocats, mais ils doivent payer un coût fixe pour conclure l'affaire. Il serait normal, si on souhaite créer un marché, que les coûts des prêteurs soient remboursés. Ensuite, les gens pensent que les intérêts représentent toujours un profit, mais habituellement, ce n'est pas le cas, car l'argent est emprunté à quelqu'un d'autre. Indépendamment de cela, il y a cette notion.

Vous avez donné un exemple dans lequel on peut facilement aller au-delà de 60 p. 100 si on prête 100 $ pour un mois et qu'on impose un coût fixe de 50 $. Que faites-vous dans cette situation? Je crois que nous comprenons le problème. Faites-vous la même chose que dans certaines provinces où la loi permet d'imposer des frais de 15 $ ou 20 $ par transaction plus un certain taux d'intérêt? Que faites-vous avec ce problème?

Mme McKeating : Permettez-moi d'en profiter pour expliquer ce graphique. Étant donné que nous avons lu des transcriptions de discussions précédentes et que nous comprenons que cela vous intéresse, nous avons produit des exemples dans lesquels le prêteur est autorisé à demander des frais de 25 $ sur chaque somme de 100 $ prêtée, et le prêt doit être remboursé en deux semaines. Les coûts de transaction fixes sont de 20 $. Donc, le prêteur paie 100 $ à l'emprunteur et 20 $ sont dépensés en coûts de transaction. En théorie, à la fin des deux semaines, le prêteur récupère ses 100 $, ses coûts de transaction, et 5 $ supplémentaires. Dans ce scénario, en présumant qu'un emprunteur est prêt à recommencer, si les coûts de transaction sont toujours de 20 $ pour chaque prêt de 100 $, ils seront de 40 $ pour un prêt de 200 $, ce qui signifie une escalade des coûts, et dans ce cas, le prêteur fera presque trois fois plus d'argent pendant l'année. À partir des 100 $ initiaux, il gagnera 289 $. Il gagne 190 p. 100 d'intérêt, et c'est le taux de rendement. C'est donc un très bon investissement.

La définition du Code criminel tient compte du point de vue de l'emprunteur. En 1981, la législature a conclu que si un emprunteur devait payer plus que le taux annuel effectif de 60 p. 100, il s'agissait d'un crime.

Dans ce cas, nous n'avions pas assez de place sur la page pour montrer cette colonne de droite, mais si cet emprunteur devait continuer de prolonger sans cesse ce prêt à ces taux d'intérêt, il devrait plus de 33 000 $ à la fin de l'année.

Le sénateur Massicotte : J'aurais pensé qu'un coût fixe et un prêt, peu importe la quantité, étaient plus près de la réalité, si on s'appuie sur la loi provinciale. Dans votre cas, vous dites 15 $ par transaction, par somme de 100 $. Selon la loi provinciale, j'aurais pensé — à Edmonton, il y a une nouvelle loi — que le remboursement aurait dû être à coût fixe plutôt que 15 $ ou 20 $. De plus, si vous voulez le maximum de 20 p. 100, de 30 p. 100, avant qu'il devienne un taux usuraire, vous pouvez rembourser votre coût fixe, et vous n'obtenez pas 50 $ supplémentaires pour chaque tranche de 100 $. Je crois que le calcul est le même qu'il s'agisse de 100 $ ou de 200 $. C'est le même exemple.

Après un mois, vous vous rendrez compte rapidement que vous dépassez le taux de 60 p. 100 prévu par la loi en vigueur. Toutefois, c'est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral n'a pas fait beaucoup avec ce projet de loi, car il reconnaît, pour être juste, que le prêteur a droit au remboursement de ses coûts fixes, et il a le droit de gagner de 15 à 20 p. 100, selon le risque de crédit. Le gouvernement n'a donc rien fait à cet égard.

Mme McKeating : En ma qualité d'actuaire, je crois que j'aimerais savoir si, en ce qui concerne ces 15 ou 20 p. 100, l'objectif du projet de loi est, au bout du compte, de permettre au prêteur de gagner de 15 à 20 p. 100 par année sur ses investissements — ou est-ce par mois? Parce que dans cet exemple, aussitôt qu'un prêt est remboursé, cet argent est prêté à nouveau. Étant donné que l'argent est constamment en mouvement, dans cet exemple, c'est-à-dire la situation où le prêteur triple ses investissements au cours de l'année, il gagne seulement 5 $ sur chaque tranche de 100 $ prêtée toutes les deux semaines. Toutefois, ces sommes s'additionnent, et chaque fois que le prêteur gagne 5 $, il peut les prêter à nouveau.

Le sénateur Massicotte : Et vous feriez valoir, en ce qui concerne l'élément quantitatif...

Mme McKeating : Cela augmente. Dans ce cas-ci, les coûts fixes grimpent en flèche. Ils ne demeurent pas à 20 $. Lorsque vous examinez les flux de trésorerie, même lorsque vous tenez compte de ces coûts fixes, ce n'est toujours pas une mauvaise affaire.

Le sénateur Massicotte : Si vous me demandiez de prêter 100 $ au sénateur Tkachuk et d'évaluer le risque lié au remboursement de sa dette, je dirais que je ne suis pas sûr.

Du point de vue de la quantité, cela ne semble pas déraisonnable. Vous avez raison lorsque vous faites valoir votre point. Cela représente un taux d'intérêt extrêmement élevé, mais si je fais une transaction chaque fois et que j'ai quelques formalités administratives, ce n'est pas déraisonnable. Toutefois, c'est le problème...

Mme McKeating : Si vous commencez avec 100 $ et que vous gagnez 5 $ toutes les deux semaines, en ne tenant compte de rien d'autre, vous avez gagné 130 $ cette année-là, et vous avez plus que doublé votre argent.

Le sénateur Massicotte : Est-ce le même emprunteur chaque fois?

Mme McKeating : C'est sans importance. Aussi longtemps qu'une personne vous donne 5 $ toutes les deux semaines, cela ne vous dérange pas. Vous récupérez vos 100 $ et vous les prêtez à nouveau, et vous ne vous souciez pas de savoir si...

Le sénateur Massicotte : Vous utilisez cette expression. Vous pensez que faire 5 $ de profit est déraisonnable.

Mme McKeating : Je ne juge pas si c'est raisonnable ou déraisonnable, mais c'est la situation.

La sénatrice Ringuette : Je suis fascinée par les chiffres devant nous. Essentiellement, le taux de rendement annuel pour les prêteurs et le taux d'intérêt annuel pour les emprunteurs que vous présentez ici sont fondés sur le taux d'intérêt criminel actuel, c'est-à-dire 60 p. 100.

Mme McKeating : Le taux de 60 p. 100, oui.

La sénatrice Ringuette : Pourriez-vous nous fournir le même type d'analyse afin que nous puissions établir une comparaison avec le taux de 20,75 p. 100?

Mme McKeating : Oui. C'est dans la colonne de gauche. Voulez-vous dire lorsqu'on tient compte des coûts fixes? Je ne suis pas certaine.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Votre deuxième barre sur le graphique, un capital de 100 $, un prêt de 100 $ à 60 p. 100, et vous avez le même prêt de 100 $ à 60 p. 100 qui donne 189 $. Est-ce bien cela?

Mme McKeating : Non, ça donne 160 $.

La sénatrice Ringuette : Alors, qu'est-ce que c'est? Expliquez-moi clairement les 189 $ ici.

[Traduction]

Mme McKeating : C'est un exemple fondé sur les taux provinciaux de prêt sur salaire.

La sénatrice Ringuette : D'accord.

Mme McKeating : Dans l'une des provinces, le taux est de 25 $ sur 100 $, et cela s'applique sur chaque tranche de 100 $. Il y a une illustration sur le site web du gouvernement de l'Ontario où, je pense, ce taux est de 21 $ par tranche de 100 $, et le gouvernement explique que si vous empruntez 300 $, vous devrez payer 63 $ dans deux semaines. C'est ce qui est illustré. Cela s'applique donc à chaque tranche de 100 $.

Dans cet exemple particulier, vous payez 25 $ pour votre prêt de 100 $. Vous recevez donc 100 $ aujourd'hui. Dans deux semaines, vous devrez rembourser 125 $. Si vous devez continuellement prolonger le prêt parce que vous n'êtes pas en mesure de le rembourser, à la fin de l'année, vous aurez une dette de plus de 33 000 $.

Le point de vue de l'emprunteur est illustré à la quatrième barre. La troisième barre est le point de vue du prêteur. Comme l'a dit le sénateur Massicotte, il veut comprendre si c'est profitable pour un prêteur, car manifestement, il a des coûts fixes. Donc, dans ce scénario, j'ai présumé que le prêteur avait des coûts fixes de 20 $ pour chaque tranche de 100 $ prêtée. Cela signifie que si le prêteur prêtait 200 $, il aurait 40 $ en coûts fixes, ce qui est peut-être déraisonnable et non réaliste. Ce serait peut-être toujours 20 $.

La sénatrice Ringuette : Oui, lorsque cela va en diminuant.

Mme McKeating : Mais nous avons présumé que ces coûts augmenteraient, donc les coûts fixes représentent toujours 20 p. 100 du prêt et le profit, le petit élément qui reste, représente toujours 5 p. 100 du prêt. Dans l'exemple du prêt de 100 $, le prêteur reçoit un paiement supplémentaire de 25 $ dans deux semaines, mais il doit payer 20 $...

La sénatrice Ringuette : Les intérêts.

Mme McKeating : ... à son avocat, et cetera, et à la personne qui rédige le contrat. Dans ce scénario, le prêteur se dit qu'il doit payer 120 $, et qu'il récupère ensuite 125 $, ce qui signifie qu'il gagne seulement 5 $. Ensuite, il refait la même chose deux semaines plus tard, et toutes les deux semaines avec tout son argent, et il continue de cette façon.

Dans ce scénario, après l'avoir fait 26 fois, à la fin de l'année, il aurait 289 $, c'est-à-dire ses 100 $ initiaux plus 190 $ supplémentaires qu'il a gagnés de l'excès de ce que l'emprunteur lui rembourse en plus de ses coûts fixes.

La sénatrice Ringuette : Oui, merci.

Le sénateur Wallace : Je vais m'enfoncer avec ma question, mais étant donné que je ne peux pas résister, je vais revenir à votre graphique, madame McKeating.

Le deuxième exemple que vous avez fourni concerne le taux d'intérêt criminel actuel. Vous illustrez une somme de 100 $ empruntée à un taux d'intérêt annuel de 60 p. 100, ce qui signifie 60 $. Le total à rembourser au cours de l'année s'élève donc à 160 $. C'est un calcul fondé sur un intérêt simple annuel, et non sur un intérêt composé. Ce sont les mêmes.

Mme McKeating : Sur une période d'un an, ce sont les mêmes. Oui. Si vous empruntez l'argent le 1er janvier et que vous devez le repayer le 31 décembre à un taux de 60 p. 100, c'est exactement cela.

Le sénateur Wallace : Donc, 60 $ représenteraient les intérêts payés pendant un an. Sur une base mensuelle, ce serait 60 $ divisés par 12 mois. Cela fait donc 5 $ par mois, mais je croyais que vous aviez dit que les frais de 5 $ s'appliquaient toutes les deux semaines, et non tous les mois.

Mme McKeating : Si vous imposez des frais de 5 p. 100 par mois à un emprunteur, à moins qu'il fasse ce paiement, il paiera de l'intérêt sur l'intérêt. Si vous empruntez l'argent à 5 p. 100 par mois, à la fin de l'année, si vous n'avez fait aucun paiement périodique pendant l'année, vous devrez plus de 160 $.

Le sénateur Wallace : D'accord. J'ai peut-être manqué quelque chose. Je pensais que dans l'exemple que vous avez donné, une personne avait contracté un prêt de 100 $ qui devait être remboursé en deux semaines.

Mme McKeating : Oui.

Le sénateur Wallace : Je pensais que vous aviez dit qu'à la fin des deux semaines, il y aurait les frais de transaction de 20 $, plus 5 $, comme vous avez dit. Ces 5 $ couvriraient la prolongation du prêt sur la période de deux semaines. Ai-je tort?

Mme McKeating : Je ne l'explique pas clairement.

La deuxième colonne représente seulement le taux d'intérêt criminel actuel, afin que vous puissiez voir la différence. La première colonne représente la proposition. La deuxième colonne est le taux actuel et le taux qui continuerait de s'appliquer pour quelques transactions commerciales moins importantes. Ces colonnes servent seulement de comparaison. La troisième colonne représente le point de vue du prêteur. L'emprunteur devra rembourser 125 $ à la fin des deux semaines, mais le prêteur considère qu'il ne reçoit pas vraiment 25 $ en plus de son prêt initial.

Le sénateur Wallace : D'accord. Je vais essayer une dernière fois. Dans cet exemple, pour un prêt de 100 $ sur deux semaines, le prêteur gagnera 5 $. Les 100 $ seront remboursés, plus 5 $, plus 20 $ en frais de transaction. Est-ce exact?

Mme McKeating : Ce qui n'est peut-être pas clair, c'est que le prêteur prête ces 5 $ à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Wallace : J'essaie seulement de comprendre le coût d'emprunt pour la personne qui a payé 5 $ pour emprunter 100 $ sur deux semaines.

Mme McKeating : C'est 33 000 p. 100.

Le sénateur Wallace : C'est au-dessus de 60 p. 100, car 5 $ représenteraient 5 p. 100 du mois, mais nous parlons de deux semaines dans ce cas-ci.

Mme McKeating : Eh bien, c'est 25 $ pour l'emprunteur. L'emprunteur reçoit 100 $ et doit rembourser 25 $ deux semaines plus tard, ce qui fait plus de 50 $ par mois. Dans ce scénario, il doit emprunter de l'argent chaque mois pour rembourser le prêt.

Le sénateur Wallace : D'accord. J'abandonne.

Le président : Sénateur Wallace, je crois que nous allons conclure. Vous devrez peut-être rester après la classe.

Le sénateur Wallace : Cela ne fait aucun doute.

Le président : Madame McKeating, vous avez été un témoin fantastique et une excellente enseignante. Vous avez presque donné l'impression que les calculs actuariels sont faciles, et ils ne le sont certainement pas. Ceux d'entre nous qui n'ont pas tout compris pourront suivre votre cours après la réunion. Nous vous remercions d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui.

C'est ce qui termine la réunion.

(La séance est levée.)


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