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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 22 - Témoignages du 29 janvier 2015


OTTAWA, le jeudi 29 janvier 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-22, Loi concernant les opérations pétrolières au Canada, édictant la Loi sur la responsabilité et l'indemnisation en matière nucléaire, abrogeant la Loi sur la responsabilité nucléaire et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 8 h 2, pour étudier la teneur du projet de loi.

Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

Je m'appelle Richard Neufeld, je suis le président du comité et je représente la province de la Colombie-Britannique au Sénat. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux membres du public qui sont avec nous et à tous les téléspectateurs du pays. Je tiens à rappeler aux auditeurs que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'elles sont aussi diffusées sur le site web du Parlement, à l'adresse sen.parl.gc.ca. Vous trouverez également plus de détails sur la comparution des témoins en consultant le site web, sous la rubrique « Comités du Sénat ».

J'invite maintenant les sénateurs à se présenter. J'aimerais d'abord vous présenter le vice-président du comité, le sénateur Paul Massicotte, du Québec.

Le sénateur Massicotte : Bonjour.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario, en remplacement du sénateur Wallace, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Bonjour, je m'appelle Pierrette Ringuette, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Patterson : Le retardataire Dennis Patterson, du Nunavut.

[Français]

La sénatrice Verner : Bonjour, je m'appelle Josée Verner, sénatrice du Québec. Je remplace le sénateur Black.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : J'aimerais aussi présenter notre personnel. À ma gauche, Mme Lynn Gordon, la greffière du comité; à ma droite, Mme Sam Banks, qui est analyste de la Bibliothèque du Parlement.

Je tiens en outre à remercier Mme Ceri Au de son travail au comité. Ceri était chargée des services de communication du comité depuis 2009. Pendant tout ce temps, elle nous a aidés à jeter les bases des communications parlementaires numériques, en particulier la création du fil Twitter du comité qui, si vous vous rappelez bien, était le tout premier fil Twitter d'un comité parlementaire et un fer de lance de la présence réussie du Sénat sur Twitter. Ceri a aidé le comité à trouver des façons novatrices de faire connaître son travail aux Canadiens. Je tiens à remercier Ceri de sa contribution à ces importantes initiatives.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à Mme Alida Rubwindi, qui remplacera Ceri. Mme Rubwindi est nouvelle au Sénat, mais elle a acquis beaucoup d'expérience dans le domaine des communications au sein de la fonction publique. Nous lui souhaitons la bienvenue, et nous avons hâte de travailler avec elle.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-22, Loi sur la sûreté et la sécurité en matière énergétique, qui a été présenté en première lecture au Sénat le 18 novembre 2014.

Aujourd'hui, pour la première partie de la réunion, nous avons le plaisir d'accueillir M. John Barrett, qui est président et premier dirigeant de l'Association nucléaire canadienne.

Soyez le bienvenu, monsieur Barrett. Je crois comprendre que vous avez préparé un exposé. Après, nous passerons aux questions. La parole est à vous.

John Barrett, président et premier dirigeant, Association nucléaire canadienne : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à vous entretenir, au nom de l'Association nucléaire canadienne et de l'industrie, de cet important projet de loi.

L'Association nucléaire canadienne est un organisme sans but lucratif fondé en 1960 pour représenter l'industrie nucléaire nationale. Nous militons en faveur du développement et de la croissance des technologies nucléaires à des fins pacifiques.

Nous représentons le spectre complet des technologies nucléaires qui améliorent la qualité de vie des Canadiens, qu'il s'agisse de l'imagerie médicale comme moyen d'accélérer les diagnostics, de thérapies plus efficaces et moins invasives, de la stérilisation des produits pharmaceutiques, des aliments et des fournitures médicales ou de la mise à l'essai des matériaux complexes qui sous-tendent l'ensemble des méthodes de fabrication de pointe.

L'industrie nucléaire produit de l'électricité propre et abordable, sans émission de gaz à effet de serre, une contribution importante pour notre pays dans la lutte contre le changement climatique. En outre, notre industrie est la seule industrie énergétique qui rend compte pleinement de tous ses déchets, déchets que nous stockons aujourd'hui dans les meilleures conditions de sûreté et de sécurité — sans émissions dans l'atmosphère — et que nous envisageons à long terme de contenir et d'isoler dans des dépôts.

Cœur de notre industrie, les centrales nucléaires fournissent environ 15 p. 100 de l'électricité canadienne. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, un seul réacteur compte pour environ 30 p. 100 de la production d'électricité. Les 18 réacteurs de l'Ontario ont répondu l'an dernier à 62 p. 100 de la demande. À titre d'exemple concret, dans cette salle, l'éclairage, le système d'enregistrement et les appareils électriques fonctionnent grâce à une énergie en majeure partie nucléaire. La production se fait au quotidien, peu importe les conditions météorologiques.

La technologie nucléaire fait partie intégrante de l'ingénierie, de la fabrication et de l'innovation canadiennes. Elle débouche sur des savoirs susceptibles d'applications commerciales et qui améliorent la vie des Canadiens.

Certaines énergies sont tirées de ressources naturelles, ce qui ne requiert pas de connaissances scientifiques et techniques poussées. Dans le cas de l'énergie nucléaire, c'est l'inverse : il faut beaucoup de science et d'ingénierie et très peu de ressources naturelles. Une seule pastille d'uranium de 20 grammes produit autant d'énergie que 350 mètres cubes de gaz naturel, 410 litres de pétrole ou 400 kilogrammes de charbon. Huit pastilles d'uranium suffisent à alimenter en électricité une maison de taille moyenne pendant un an.

Comme elle est produite sans charbon, cette électricité propre est une ressource stratégique nationale qui compense en partie nos émissions de gaz à effet de serre. L'électricité nucléaire produite en Ontario et au Nouveau-Brunswick offre donc au gouvernement canadien une certaine latitude par rapport à la réglementation des GES.

La technologie nucléaire contribue grandement à l'économie canadienne. Selon l'association Manufacturiers et Exportateurs du Canada, l'industrie nucléaire emploie directement quelque 30 000 Canadiens et crée indirectement 30 000 autres emplois, par l'intermédiaire de ses fournisseurs de partout au pays.

Beaucoup de Canadiens ignorent que notre industrie est un employeur important au nord de la Saskatchewan. Deux sociétés productrices d'uranium y emploient plus de 5 000 personnes, dont de nombreux Autochtones ou Métis. La société Cameco est le principal employeur industriel d'Autochtones au Canada.

Toujours selon Manufacturiers et Exportateurs du Canada, l'industrie nucléaire génère près de 7 milliards de dollars d'activité économique, exporte 1,2 milliard de dollars de biens et services et paie 1,5 milliard de dollars en impôts au gouvernement fédéral et aux provinces.

La sécurité est au centre de toutes nos activités et est profondément ancrée dans notre culture d'entreprise. Les centrales nucléaires n'ont jamais exposé le public aux radiations. Les transporteurs de matières nucléaires non plus. Chaque année, notre industrie expédie sans incident des milliers de paquets par l'intermédiaire du réseau de transport canadien. Selon la commission des accidents du travail de la Saskatchewan, le taux d'accidents entraînant un arrêt de travail est moins élevé dans le secteur de l'extraction minière de l'uranium que dans les secteurs de l'agriculture, de la construction et dans la fonction publique provinciale.

Nous sommes fiers de n'avoir jamais été poursuivis en vertu de la Loi sur la responsabilité nucléaire. Nous entendons bien ne pas l'être non plus aux termes de la Loi sur la sûreté et la sécurité en matière énergétique.

Notre industrie est favorable au projet de loi C-22 dans la mesure où il protège les Canadiens et améliore notre aptitude à gérer les risques de façon responsable. Lors de l'adoption de la Loi sur la responsabilité nucléaire de 1976, notre industrie a accepté les principes de responsabilité absolue de l'exploitant, de protection financière obligatoire et de responsabilité limitée en termes temporels et financiers. Ces principes font systématiquement partie des lois en matière d'énergie nucléaire aux États-Unis, en Europe et ailleurs.

Avec le projet de loi C-22, le législateur harmoniserait la loi canadienne aux normes internationales modernes. De plus, nos membres apprécient la souplesse dont fait preuve le gouvernement en proposant des instruments financiers en remplacement de l'assurance.

L'industrie nucléaire est tout à fait favorable à la ratification de la Convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires par le Canada. Déjà ratifié par les États-Unis, ce traité multilatéral offre une protection supplémentaire en cas d'incident international et améliorerait la capacité de l'industrie canadienne d'exporter son expertise considérable dans le domaine du nucléaire.

Le 15 janvier, le Japon a signé la Convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires, et en deviendra État-partie le 15 avril. Son adhésion entraîne l'entrée en vigueur de ce traité international, ce qui contribuera grandement à l'établissement d'un régime mondial de responsabilité nucléaire et ouvrira aux fournisseurs nucléaires canadiens des débouchés à l'étranger.

La construction de 71 réacteurs nucléaires dans le monde, dont 5 aux États-Unis et 26 en Chine, offre de belles perspectives sur le marché. Le Canada jouit d'une réputation internationale enviable comme pionnier du nucléaire et chef de file mondial de l'innovation technique, de la rigueur en matière de sécurité et de l'efficacité réglementaire. Nous sommes recherchés en tant que partenaire parce que le secteur nucléaire canadien est synonyme de qualité, d'intégrité, de sûreté et de sécurité.

La Chine le reconnaît. Le mois dernier, la Chine et le Canada ont convenu d'approfondir leur coopération nucléaire. La société nucléaire nationale chinoise a signé une entente de coentreprise avec CANDU Énergie pour trouver des débouchés pour le réacteur CANDU à combustible avancé sur les marchés mondiaux. Ce partenariat commercial international crée des possibilités intéressantes pour la technologie canadienne.

Il y a néanmoins un point sur lequel nous attirons l'attention du gouvernement. Nous aimerions que le ministre augmente le nombre d'assureurs admissibles. Comme nos membres font face à de fortes hausses de primes, nous aimerions profiter des avantages d'une concurrence libre et équitable sur le marché de l'assurance. Il faudra plus de concurrence une fois que le projet de loi sera entré en vigueur.

En somme, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, l'industrie nucléaire canadienne appuie ce projet de loi et encourage le Sénat à l'adopter. Ces modifications, attendues depuis longtemps, rendraient le régime de responsabilité nucléaire canadien conforme aux normes internationales.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions, et ce sera le sénateur Massicotte qui ouvrira le bal.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Barrett, merci d'être venu ce matin. De toute évidence, il s'agit d'une étape de modernisation importante au chapitre de la responsabilité, et l'esprit du projet de loi est typique pour ce qui est des pratiques gouvernementales courantes de nos jours, c'est-à-dire que c'est le pollueur qui paie les dommages infligés. En ce qui concerne votre secteur, c'est-à-dire le nucléaire, le gouvernement propose d'établir un plafond de 1 milliard de dollars. Pourquoi ce traitement spécial? Pourquoi ne pas vous faire assumer la même responsabilité que nous le faisons vis-à-vis des producteurs de pétrole et autres producteurs énergétiques?

M. Barrett : Je vous remercie pour votre question. En ce qui concerne le principe du pollueur qui paie, à ma connaissance, ce principe est accepté depuis longtemps au sein de l'industrie nucléaire, puisque tous les exploitants sont reconnus comme ayant la responsabilité primaire de tout incident, accident ou déversement qui pourrait se produire. Nous avons intégré ce principe dès le départ.

Pour ce qui est du plafond, l'essentiel c'est d'en arriver à une responsabilité qui représente un montant considérable, pertinent et utile qui permet de verser des indemnisations dans le cas d'un incident. Si, à la suite d'un incident, les responsabilités et les frais sont tels qu'il n'y aurait plus de possibilité de production énergétique et que les entités de production fermeraient leurs portes, il y aurait alors atteinte à la capacité de production de l'électricité nucléaire, ce qui, dans le cas de l'Ontario, représente de 62 à 65 p. 100 de l'électricité produite.

Sans le plafond, dans un cas très grave, ce qui serait extrêmement peu probable, mais c'est la raison d'être des assurances, on courrait le risque de fermer l'industrie entière parce qu'elle ne pourrait pas se permettre de telles indemnisations. C'est la façon dont je comprends la logique sous-tendante.

Le sénateur Massicotte : En Ontario, nous avons quelques producteurs d'énergie nucléaire ainsi que des acteurs privés. J'ai du mal à saisir tout cela, pas en raison d'un accident qui se serait produit au Canada, car nous avons beaucoup de chance et nous avons d'excellentes pratiques, mais si l'on regarde ce qui s'est passé au Japon, on peut aisément penser à un accident nucléaire dont les dommages dépassent le milliard de dollars, compte tenu des conséquences. Pourquoi les contribuables canadiens, ou quelqu'un d'autre, paieraient un exploitant privé ou dans certains cas des sociétés provinciales pour leurs accidents? Pourquoi les traiter de façon différente d'une société pétrolière ou gazière présente dans les eaux extracôtières?

M. Barrett : Tout d'abord, sauf votre respect, je suis un peu préoccupé lorsque quelqu'un prend l'accident survenu à Fukushima à titre d'exemple qui s'appliquerait au Canada. La nature de cet accident est trop différente. Les caractéristiques, la qualité et le type de réacteur nucléaire dans ce cas ne ressemblent aucunement au profil des réacteurs CANDU. Les circonstances entourant le tremblement de terre et le tsunami sont complètement différentes.

Là où je veux en venir, c'est le bilan de sécurité de l'industrie nucléaire canadienne, comme je l'ai indiqué dans ma déclaration. Nous n'avons connu aucune mortalité au courant des 60 années de notre existence et nous avons l'intention de maintenir notre record. Notre culture de la sécurité est bien ancrée, les défenses sont solides et, comme vous l'avez probablement déjà entendu de la part de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, c'est elle qui veille au respect de la réglementation et impose son regard sur l'industrie afin de s'assurer qu'il n'y a aucun accident ni incident. Je tente de vous décrire une industrie qui est très sûre et qui ne présente qu'une possibilité extrêmement faible d'accident.

L'indemnisation ne devrait pas dépasser le plafond d'un milliard de dollars, à mon avis, car le risque n'existe tout simplement pas.

Le sénateur Massicotte : Pourquoi êtes-vous contre? S'il est inconcevable que l'indemnisation dépasse le milliard de dollars, vous ne devriez pas être contre des indemnisations illimitées.

M. Barrett : Je vous dirais encore une fois qu'il est naturel de pouvoir décrire l'industrie de façon à dresser des scénarios de risque, c'est-à-dire l'environnement du risque et les indemnisations allant de 75 millions de dollars à 1 milliard de dollars, des indemnisations que l'industrie devra verser et sera tout à fait prête à le faire. Vient alors un point où, si jamais il y avait un accident, nous devrions peser le risque d'un incident et le risque de fermer l'industrie entière, ce qui aurait non seulement une incidence sur les régions environnantes, mais également toute la province et sa production d'électricité. Je reviens à ce point critique.

La sénatrice Ringuette : Monsieur Barrett, merci d'être venu. Je suis du Nouveau-Brunswick, et je sais que l'énergie nucléaire générée par la centrale de Point Lepreau est un élément important des ressources recherchées. Je suis sûre que vous avez effectué votre recherche, et vous connaissez mon point de vue en ce qui concerne le coût des assurances. Je constate que dans votre déclaration, vous recommandez au ministre de faire usage de son autorité pour augmenter le nombre d'assureurs admissibles.

J'en déduis donc qu'il ne s'agit pas d'un marché très concurrentiel, et que le ministre a un rôle à jouer pour ce qui est d'agréer les assureurs avec qui vous feriez affaire. Quel en serait le coût? Prenons l'exemple de Point Lepreau. Qu'en coûtera-t-il à la centrale de Point Lepreau qui devra faire affaire à un seul assureur, comme je le constate en lisant votre document, lorsqu'elle devra assumer une responsabilité qui passera de 75 millions de dollars à 1 milliard de dollars? Qu'en coûtera-t-il à la centrale de Point Lepreau?

M. Barrett : Madame la sénatrice, je vous remercie pour votre question. En ce qui concerne les frais à assumer par la centrale de Point Lepreau, je n'ai pas les chiffres à portée de main et il faudrait que je consulte la centrale et la Société d'énergie du Nouveau-Brunswick pour voir si elles ont des prévisions, ce que je ferai avec plaisir. Je n'ai pas les chiffres ici.

Là où vous voulez en venir, je crois, c'est qu'il y a une hausse des primes d'assurances payées par l'industrie nucléaire. Même si l'on écarte le projet de loi, la hausse se maintient et se situe au-delà de l'indice des prix à la consommation et de l'inflation. Il y a eu une hausse graduelle des primes, même lorsque le plafond se situait à 75 millions de dollars. L'industrie dit qu'elle est heureuse de porter la limite de la responsabilité à 1 milliard de dollars et est prête à prendre les assurances nécessaires. Or, il existe actuellement un genre de monopole pour ce qui est des assurances. Les producteurs doivent faire affaire à une seule association, la Nuclear Insurance Association, et, comme je vous l'ai indiqué tantôt, les primes grimpent. L'industrie est d'avis que s'il y avait un plus grand bassin d'assureurs, il y aurait une meilleure concurrence et on ne connaîtrait peut-être pas une montée aussi dramatique des primes qui doivent être payées, ce qui serait à l'avantage de tous.

C'était l'un des messages les plus importants de l'industrie en ce qui concerne le projet de loi. Nous sommes ravis de constater que le ministre dispose d'une certaine flexibilité. Nous encourageons donc le ministre à exercer son autorité.

Le projet de loi prévoit également la possibilité d'autres types de garanties financières qui s'ajouteraient aux primes pour que les assurances soient en place. C'est utile, mais il y a toujours l'absence de concurrence. Si vous allez faire monter les primes et le plafond de la responsabilité, nous aimerions qu'il y ait davantage de concurrence.

En ce qui concerne les frais chiffrés, il faudrait que je consulte les sociétés productrices sur leurs prévisions.

La sénatrice Ringuette : Le sujet est d'actualité et le ministère en a certainement discuté avec vous et vos membres. Les membres de votre conseil d'administration en ont certainement parlé.

Dans l'industrie nucléaire canadienne, il y a un seul exploitant privé, c'est-à-dire SNC-Lavalin. Pour ce qui est de fournir des garanties afin de réduire la responsabilité, cette société privée ne se trouve pas dans la même position que les gouvernements provinciaux ou le gouvernement fédéral, et ainsi de suite. Dans quelle mesure vos arguments cherchent-ils à réduire les primes payées par SNC-Lavalin, un exploitant privé, en augmentant le nombre d'exploitants qui devront le faire?

Je suis également très préoccupée, car nous avons un certain nombre d'installations universitaires de recherche nucléaire. Quelle en sera l'incidence pour elles? Les universités connaissent déjà énormément de contraintes budgétaires. Or, elles constituent une grande source de recherche et d'innovation pour l'industrie.

Au chapitre des coûts, je vais être très franche, monsieur Barrett : je suis étonnée que vous ne soyez pas en mesure de nous indiquer quels seraient les frais supplémentaires associés à la hausse des primes prévues par le projet de loi.

Le président : Madame la sénatrice, nous allons manquer de temps.

La sénatrice Ringuette : J'en suis bien consciente, monsieur le président, mais je le fais parce que...

Le président : Il faut être juste à l'égard des autres sénateurs.

La sénatrice Ringuette : ... il s'agit d'un problème énorme par rapport à ce projet de loi. J'ai demandé aux exploitants des centrales nucléaires de l'Ontario et de la centrale de Point Lepreau au Nouveau-Brunswick de venir témoigner, et les deux nous ont recommandé le témoin qui se retrouve devant nous qui n'est pas en mesure de répondre à nos questions en ce qui concerne les frais supplémentaires pour l'industrie et les contribuables liés à l'électricité générée par les centrales nucléaires.

Au final, monsieur le président, tout ce que je recherche, c'est une réponse à ma question, c'est-à-dire quelle en sera la hausse au chapitre des coûts.

M. Barrett : Merci, madame la sénatrice. Vous venez de mentionner SNC-Lavalin. Cette société est bel et bien le propriétaire de CANDU Énergie, qui est également le constructeur principal de réacteurs CANDU au Canada. Je crois cependant que vous faites référence à la société Bruce Power. Bruce Power est le fournisseur et l'exploitant qui devra payer les primes d'assurance et serait assujetti au plafond des assurances. En Ontario, les exploitants sont Ontario Power Generation et Bruce Power.

Voilà ce qui m'emmène à mon deuxième point. Dans le cas des réacteurs qui servent à la recherche, vu qu'ils sont construits à échelle réduite et génèrent beaucoup moins d'énergie, le facteur de risque est complètement différent, car celui-ci est fonction des mégawatts générés et de la taille des réacteurs. Puisque le risque associé aux réacteurs de recherche est beaucoup plus modeste, les assurances coûtent moins cher. C'est différent. Je ne suis pas en mesure d'en indiquer le coût, parce qu'il y a divers types de réacteurs de recherche, qu'il s'agisse de celui du Collège militaire royal du Canada ou de l'Université McMaster, et ainsi de suite, mais les coûts seront grandement inférieurs, ce qui permettra à ces acteurs de continuer à effectuer leurs recherches sans subir de pénalités indues.

Pour ce qui est des coûts, et je surveille bien l'heure, je pourrais certainement vous trouver ces renseignements et je le ferai. Il faudrait que je consulte les sociétés, dont chacune se trouve dans une situation différente, pour voir si elles ont des prévisions que nous pourrions fournir au comité.

Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Barrett. Il y a quelques points qui m'intéressent. Tout d'abord, votre engagement vis-à-vis de la sécurité et le bilan que vous nous avez décrit. Il me semble que vous avez utilisé l'expression « culture de sécurité ». Or, on constate que les industries retiennent de plus en plus la notion de vérification de la culture de sécurité. Je sais que l'ONE s'est longuement penché sur ce dossier. L'industrie nucléaire prévoit-elle un processus de vérification de la culture de sécurité de l'industrie nucléaire dans ses processus généraux de vérification?

M. Barrett : Sénateur, je vous répondrais en disant que la Commission canadienne de sûreté nucléaire, l'organisme de réglementation, occupe un très grand rôle dans l'industrie. La commission sert effectivement de vérificateur ou presque. Cependant, j'ignore si la commission utilise des procédures de vérification strictes à ce chapitre. Ce que j'aimerais souligner, cependant, c'est que la commission exige des comptes de l'industrie pour ce qui est de tous les aspects de la sûreté, depuis l'extraction de l'uranium et le transport des isotopes radioactifs servant aux soins médicaux, jusqu'aux grandes centrales. La commission est en tout temps présente et fait respecter les responsabilités de chacun.

C'est donc la base, pour ainsi dire, de la culture de sécurité. La commission, qui a une forte présence, impose une réglementation stricte et veille rigoureusement au respect des engagements. Les exigences en matière de respect sont sévères et sont publiques. Au moindre écart, les acteurs se font dire qu'ils doivent se reprendre et que l'écart sera publié sur le site web. Ce sont des gestes transparents qui renforcent la culture de sécurité.

La culture de sécurité est vigoureuse. Je l'ai constatée sous une autre optique lorsque j'étais l'ambassadeur du Canada auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Je me trouvais dans les locaux de l'agence lorsque l'accident de Fukushima est survenu. Plus tard, un groupe de pays, dont le Canada, a travaillé d'arrache-pied en coulisse afin d'encourager l'agence à élaborer un plan d'action amélioré sur la sûreté généralisée. Je suis en mesure de vous affirmer, car j'y étais, que les dirigeants de l'Association nucléaire canadienne étaient présents, ou bien en personne ou en me donnant des instructions, afin d'encourager l'Agence internationale de l'énergie atomique à assumer une position plus exigeante et sévère sur l'échiquier mondial.

Le résultat était un plan d'action comportant 12 points. Je crois que j'ai irrité certains des hauts fonctionnaires de l'agence, car je les ai talonnés jusqu'à ce que le plan d'action ait été adopté par tous les pays. Je leur disais : « Nous pouvons aller plus loin. Nous pouvons renforcer les normes en matière de sûreté afin que tout le monde fasse des efforts pour les respecter. »

Je me sers de cet exemple pour vous indiquer que nous ne sommes pas uniquement des chefs de file ici au Canada pour ce qui est de la culture de sécurité mais également, comme je l'ai dit dans ma déclaration, que nous avons l'expertise et l'influence qui nous permettent de rendre le monde plus sûr.

Le sénateur Mitchell : Merci.

J'ai peut-être mal compris lorsque vous discutiez du coût des assurances et de qui doit en assumer les frais. Tout d'abord, dites-vous que Bruce Power est la seule société qui doit payer des primes d'assurance, puisque tous les autres acteurs sont des agences gouvernementales? Deuxièmement, que ce soit le cas ou non, quel critère utilise le gouvernement actuellement pour déterminer les sociétés d'assurance qui peuvent offrir ce genre de police, et pourquoi le gouvernement y occupe-t-il un rôle?

M. Barrett : Tous les fournisseurs et producteurs d'énergie doivent souscrire à des assurances. J'ai évoqué l'exemple de Bruce Power pour clarifier les choses, mais je ne voulais pas dire que c'était la seule société. Tous les producteurs, qu'il s'agisse d'acteurs provinciaux comme OPG et Énergie NB, devront le faire également.

En ce qui concerne votre deuxième question, je dirais d'emblée que je ne suis pas expert pour ce qui est de l'industrie des assurances. Vu la nature du risque, il existe la Nuclear Insurance Association of Canada, une association de diverses sociétés qui, au fil des ans, se sont regroupées pour offrir les assurances nécessaires à l'industrie nucléaire. Il faut se rappeler cependant que les grandes sociétés productrices ont probablement un profil de risque très différent, comme je l'ai dit plus tôt, de celui des réacteurs de recherche, beaucoup plus petits. L'industrie a donc vu les primes grimper et grimper, et c'était déjà avant le dépôt de ce projet de loi. Nous présumons donc que les primes continueront à monter pour tenir compte de la responsabilité accrue.

La loi de 1976 — et je vérifierais cela moi-même, juste pour m'assurer de ne pas me tromper — comporte le pouvoir fédéral de qualifier, si vous le voulez, la protection d'assurance, les sociétés qui protègent cela, l'association. Nous demandons donc au gouvernement de qualifier d'autres compagnies d'assurances potentielles, ou entités, de sorte qu'il y ait de la concurrence et, peut-être, des taux moins élevés, comme c'est le cas au quotidien quand nous essayons d'obtenir de l'assurance pour nos voitures ou nos maisons; nous magasinons. On examine le risque, on le pèse en fonction de la culture de la sécurité, et cetera, et on propose une prime inférieure, étant plutôt sûr de ne pas avoir à régler cela, ce qui justifie un meilleur prix.

Le président : J'ai un programme bien rempli, alors je vais vous demander d'écourter les questions et les réponses, de sorte que chaque sénateur puisse poser des questions. Nous passons au sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : Je me demande si le témoin voudra bien nous en dire un peu plus sur la raison pour laquelle la situation de Fukushima ne s'applique pas du tout au Canada. J'imagine que c'est en partie parce que nous n'avons pas de réacteurs nucléaires tout près de l'océan. Est-ce la raison? Pourriez-vous nous l'expliquer, s'il vous plaît?

M. Barrett : Il y a un certain nombre de choses que nous pourrions juger pertinentes. Je vais penser au temps, monsieur le président. Vous en avez déjà mentionné une.

L'accident — vous l'avez sans doute lu — a été causé par un séisme suivi d'un tsunami. Tout comme les réacteurs canadiens le feraient, ceux de Fukushima se sont certainement arrêtés en raison du séisme. Mais il y a eu ensuite le raz- de-marée géant qui a fait tomber les sources d'alimentation électrique, les sources secondaires, qui étaient nécessaires au refroidissement et tout cela.

C'est un réacteur à eau bouillante, et la configuration est différente. Ce que je veux dire, c'est que la technologie canadienne CANDU est différente de celle des réacteurs à eau bouillante de Fukushima. C'est une chose qui est très différente. Les mesures d'arrêt, de défense et de protection et les mesures passives sont importantes, car si vous avez un accident et que vous perdez votre source d'alimentation secondaire qui vous aide à réagir à l'accident, vous vous retrouvez devant un double problème. Si vous avez des sources passives de protection et de défense, il n'y a alors pas de problème. De telles mesures sont intégrées dans les réacteurs canadiens.

Sur le plan sismique, là où les réacteurs canadiens se trouvent, compte tenu de la géologie, la situation est complètement différente.

J'ai mentionné la culture de sécurité. Récemment, le chef de la commission parlementaire japonaise qui a enquêté sur l'accident de Fukushima — l'entreprise de services TEPCO avait mené sa propre enquête... Le gouvernement a mené sa propre enquête, car la Diète du Japon avait dit : « Nous ne sommes pas convaincus qu'ils sont indépendants et suffisamment distants, alors nous allons faire notre propre enquête. » Il est possible de lire ce rapport en ligne. Ils l'ont publié en anglais aussi. Mais le rapport commence par souligner qu'il n'y a pas de culture de la sécurité, qu'il y a trop de collusion entre l'exploitant et l'organisme de réglementation, et cetera. On a donc signalé des situations à TEPCO en 2007, dans certaines de leurs installations, mais ils n'ont rien fait. Cela ne pourrait pas se produire au Canada.

Le sénateur Patterson : En ce qui concerne votre recommandation par laquelle vous pressez le ministre d'utiliser ses pouvoirs pour augmenter le nombre d'assureurs admissibles, cela pourrait se faire en marge de la loi, n'est-ce pas? Vous ne dites pas qu'il faut modifier la loi?

M. Barrett : Non. Vous avez tout à fait raison.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ma question a trait aux déchets radioactifs. Les responsabilités couvrent-elles les dispositions relatives aux déchets rétroactifs? Que faites-vous avec ces déchets rétroactifs?

[Traduction]

M. Barrett : D'après ce que je comprends, oui, l'assurance couvre le cycle entier, à l'exception de l'extraction de l'uranium. Cela relève d'un type d'assurance différent et d'une responsabilité différente. Mais la loi traite des exploitants. Elle couvre donc les exploitants, du transport du carburant jusqu'aux installations, ainsi que l'utilisation du carburant dans les installations, puis l'élimination et la gestion des déchets à la fin du processus. Cela se conjugue à un fonds distinct qui sert à payer le traitement et la gestion des déchets. Ces fonds sont donc déjà payés à l'avance par les entreprises de services.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'aimerais poser une question complémentaire à ce sujet. Les déchets rétroactifs restent-ils au Canada ou sont-ils envoyés à l'étranger? S'ils sont envoyés à l'étranger, en sommes-nous responsables également?

[Traduction]

M. Barrett : Non, ils ne sont pas envoyés à l'étranger pour le moment. Les déchets — le combustible usé étant l'un des principaux éléments des déchets radioactifs — demeurent sur les lieux où ils sont produits. Nous avons sept centrales au Canada, par exemple dans les installations d'Énergie Nouveau-Brunswick et à Chalk River, aux Laboratoires Nucléaires Canadiens Ltée, anciennement l'EACL. Ils restent là.

Le gouvernement a adopté en 2002 sa loi créant la Société de gestion des déchets nucléaires, et cette organisation fait en ce moment l'objet d'un processus. C'est à très long terme, mais cela se fonde sur une très bonne gestion et sur une approche axée sur les communautés en vue de mettre en évidence que nous avons au Canada la responsabilité ultime de traiter ces déchets. Entre autres, nous pouvons les placer dans un dépôt sûr et isolé. Au Canada, comme dans d'autres pays qui se penchent sur la question, il s'agirait d'un dépôt géologique, dans le sol. Cette organisation en fait le traitement technologique et scientifique, mais en même temps, elle mène une consultation très serrée auprès de communautés possibles. Si cela se concrétise, il se pourrait qu'on déplace une partie de ces déchets pour les placer dans un dépôt central, mais il faudra du temps pour l'établir.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup. Monsieur Barrett, vous avez dit appuyer fermement le projet de loi C-22 et la Convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires. Ma question est la suivante. Est-ce qu'il y a un lien entre ces deux choses — le projet de loi et la convention internationale? S'il y en a un, comment les exploitants sont-ils touchés en particulier?

Vous venez de mentionner l'effet de la responsabilité sur les exploitants. Cela s'applique aux exploitants, mais je ne pense pas que cela s'applique aux entrepreneurs. Pourriez-vous tout simplement m'aider à comprendre cela?

M. Barrett : Il n'y a pas de lien particulier entre les deux. Il y a d'un côté la convention, et il y a le projet de loi C-22. Il se trouve que les deux peuvent se faire en même temps, mais ils ne sont pas inextricablement liés.

Là où il y a un lien entre les deux, c'est que cela facilite alors la possibilité d'exporter et de fournir de la technologie et des pièces du Canada, dans notre cas, à des marchés potentiels, car cela atténue les risques que le fournisseur doit entièrement assumer.

Je vous donne un exemple. Cela nous aidera avec les États-Unis, car nous sommes d'accord qu'en cas d'incident, quel qu'il soit, qui se produit au Canada, ce sont les lois canadiennes qui s'appliquent, sur le territoire canadien. Si l'incident se produit aux États-Unis, c'est de leur compétence et c'est la responsabilité des exploitants des États-Unis. Il n'y a donc aucun doute sur le lieu des procédures, le cas échéant, et sur les compétences. Je le répète, cela éclaircit l'arrangement de sorte que le commerce de telles matières puisse se produire entre le Canada et les États-Unis.

Vous avez peut-être lu dernièrement que le président Obama essaie avec l'Inde de résoudre un problème qui touche tous les pays possédant des technologies pouvant être vendues sur un marché indien. Le gouvernement indien a adopté en 2010 une loi qui dit « non, les fournisseurs paient ». De ce fait, les grandes entreprises comme Westinghouse et GE Hitachi et notre CANDU Énergie ne peuvent percer le marché indien parce qu'elles ne peuvent assumer ce genre de risque. L'exploitant pourrait mal utiliser le produit. Vous fournissez un produit. L'exploitant l'utilise mal, et il y a un problème. Le fournisseur devrait payer. Vous voyez comment cela peut entraver toute possibilité d'interaction, à moins que l'exploitant s'en charge.

La sénatrice Seidman : Alors vous dites que la convention atténue ce problème en particulier?

M. Barrett : Elle appuie la solution de rechange, si vous le voulez. En plus de la responsabilité dont nous parlons, cela étend le bassin international dans lequel nous pouvons puiser. Comme le nom l'indique, c'est une réparation complémentaire, peu importe le type d'incident qui se produirait.

Dans le cas de Fukushima, cela s'est produit au Japon. Je me rappelle que l'ambassadeur des Philippines et ceux d'autres pays de la région craignaient des incidences. Qui paierait en cas de demandes de règlement venant d'autres pays? La convention est une façon d'établir une meilleure compréhension, une meilleure possibilité d'avoir une réserve internationale pour réparation qui pourrait servir à couvrir de tels incidents.

La sénatrice Seidman : Est-ce que cela change quelque chose pour des fournisseurs, par exemple, ou pour des entrepreneurs?

M. Barrett : Non.

La sénatrice Seidman : Ou est-ce que les exploitants sont toujours laissés à eux-mêmes en cas d'erreur?

M. Barrett : Les exploitants, oui.

Le sénateur White : Merci beaucoup de votre présence. J'ai deux questions. La première est brève.

S'il y a un accident dans une installation et que le déclassement est requis, il en coûterait de 500 à 800 millions de dollars, si je comprends bien. Est-ce que ces 500 à 800 millions seraient imputés au fonds de 1 milliard de dollars, ou seraient-ils mis de côté par une entreprise, séparément du montant de 1 milliard de dollars? Est-ce que cela fait partie du déclassement?

M. Barrett : Si je comprends bien votre question, vous voulez savoir, s'il y avait un accident en cours de déclassement...

Le sénateur White : Il y a un accident à la centrale de Darlington. Il n'y a pas de déclassement en cours, mais à la suite de l'accident, il va y avoir déclassement. Est-ce qu'on imputerait au montant de 1 milliard de dollars les coûts du déclassement?

M. Barrett : D'après ce que je comprends, non. Cela viendrait du fonds de déclassement qui est là depuis le début. Ce fonds augmente sans cesse.

Le sénateur White : C'est bon. On me dit que nous allons manquer de temps.

Ma deuxième question est la suivante. Aux États-Unis, ils ont ce qu'on appelle une assurance complémentaire. Un certain nombre d'entreprises sont liées, et si on dépasse le milliard de dollars, ou le montant établi aux États-Unis, l'argent va dans une réserve liée à l'entreprise particulière qui a eu le problème. Est-ce que vous verriez cela comme une solution possible à notre problème au Canada, ou comme une réponse aux préoccupations selon lesquelles 1 milliard ne suffit pas? Vous pourriez vous lier aux quatre ou cinq centrales restantes. S'il y avait un accident à Bruce, vous pourriez vous lier à Darlington, EACL, Pointe Lepreau.

M. Barrett : En ce qui concerne la réserve aux États-Unis, parce qu'ils ont plus de 100 centrales, ils peuvent traiter les choses différemment. Au Canada, nous n'avons pas les mêmes nombres, alors ce genre de réserve complémentaire ne fonctionnera pas.

Je ne sais pas s'il pourrait y avoir un lien à l'avenir entre la situation canadienne et la situation américaine — que nous puissions participer à leur réserve ou pas —, mais je ne crois pas que nous ayons ce qu'il faut pour ce genre de réserve au Canada.

Le sénateur White : Le total serait de 5 milliards de dollars. Il y a toute une différence entre cela et 1 milliard de dollars. Il y a cinq centrales? Darlington, Bruce, EACL, Point Lepreau et Québec.

M. Barrett : J'essaie de faire un peu de calcul mental, car d'après ce que je comprends, la réserve des États-Unis est d'environ 12 milliards de dollars.

Le sénateur White : En effet, mais ce n'est pas 1 milliard pour chacune.

M. Barrett : Non, en effet. C'est réduit à cause du nombre, bien entendu, car c'est au prorata en quelque sorte.

Le sénateur White : Mais cela réglerait certaines des préoccupations que d'autres ont soulevées concernant le montant de 1 milliard, qui ne serait pas suffisant.

M. Barrett : Oui, mais on dirait alors que, pour quelque raison que ce soit, maintenant, la limite doit être de 5 milliards. Cela fait grimper le montant.

Le sénateur White : Tout à fait.

M. Barrett : La question est de savoir à quel point il faut dire que c'est la protection nécessaire pour que l'industrie fonctionne bien, paie les primes et règle les montants qu'il faudrait vraisemblablement payer.

Le sénateur White : Vous pensez donc que ce n'est pas une bonne idée.

M. Barrett : S'il y avait un scénario de risque dépassant nettement cela, faudrait-il le couvrir à l'infini?

Le sénateur MacDonald : Merci d'être là aujourd'hui, monsieur Barrett. Je ne vais pas vous parler d'assurance, mais je veux profiter de la présence, ici aujourd'hui, du dirigeant de l'énergie nucléaire au pays. J'aimerais avoir de l'information de votre part au sujet des réacteurs CANDU.

Les réacteurs CANDU sont le fruit d'une technologie canadienne éprouvée, et le dossier de sécurité de CANDU est impeccable au Canada, mais on dirait que depuis quelques décennies, l'industrie ne connaît pas de croissance. On discute beaucoup, de nos jours, du réchauffement planétaire, de l'empreinte carbone et des gaz à effet de serre, mais l'énergie nucléaire répond à tous ces problèmes. Pourquoi n'y a-t-il pas plus de croissance de l'industrie nucléaire au Canada? Est-ce un problème lié au gouvernement, ou bien est-ce parce que l'Association nucléaire canadienne ne s'est pas montrée à la hauteur dans la promotion de sa technologie et de ses solutions?

M. Barrett : Je vous remercie beaucoup de votre question. C'est une grosse question. Pour le temps qu'il reste, permettez-moi d'y répondre par quelques points que j'estime pertinents.

Comme vous le dites, la technologie employée dans le CANDU est éprouvée. Ce sont des réacteurs à eau lourde. Dans les années 1970 et 1980, à l'époque où il y a eu une importante expansion de la technologie nucléaire et des réacteurs à l'échelle mondiale, le réacteur à eau légère, qui était l'option préférée aux États-Unis et au sein des entreprises là-bas — c'est une conception différente —, a vraiment eu du succès pour diverses raisons. Donc, de nombreux pays ont choisi ce genre de réacteur et n'ont pas opté pour les réacteurs à eau lourde. Certains l'ont fait, comme l'Argentine et la Roumanie. La Chine a les deux types. Le marché a donc été envahi par les réacteurs à eau légère. La technologie des réacteurs à eau lourde, bien comprise par les spécialistes, est tout simplement tombée dans une catégorie inférieure sur les plans de la prédominance et de la prévalence.

La construction d'un réacteur s'accompagne de coûts initiaux. Il faut donc un gouvernement hôte qui pense à avoir le réacteur pour 60 à 80 ans. Il sera remis à neuf. Les coûts seront amortis au fil du temps. Avec une telle perspective, ils vont nettement voir l'avantage de ce type de réacteur. Cependant, si c'est une solution à court terme qui est recherchée, les coûts initiaux deviennent alors problématiques.

On reconnaît maintenant de plus en plus que la technologie nucléaire fait partie des instruments que nous avons, dans le monde, pour nous attaquer aux changements climatiques, car comme vous l'avez mentionné, le taux d'émissions est nul. Il y a donc des environnementalistes très en vue qui disent qu'ils n'aimaient pas le nucléaire parce qu'ils n'en savaient pas grand-chose. Maintenant, ils voient cette technologie comme étant un moyen d'atténuer les changements climatiques.

Nous traversons une période de stagnation, mais nous voyons des ouvertures du point de vue canadien. Comme je l'ai dit, de plus en plus de gens affirment qu'il faut que nous fassions quelque chose à propos des émissions de carbone. Si vous regardez les tableaux relatifs à l'orientation de l'Inde et de la Chine, vous constatez qu'il faut des technologies différentes, et celle-ci est la bonne.

L'autre possibilité est de produire des réacteurs plus petits et moins coûteux. Certaines entreprises canadiennes travaillent à cela. Il faut un client qui voudra essayer ces petits réacteurs modulaires pouvant alimenter des communautés d'une façon différente de celle des gros réacteurs comme à Darlington.

Le sénateur MacDonald : Est-ce que ce sont des variantes du CANDU?

M. Barrett : Certains en sont, d'autres pas. Il y a un réacteur à sels fondus. Il utilise un type de carburant différent. Il va produire très peu de déchets radioactifs. Ce sont des technologies de pointe à venir.

Le dernier point que je mentionnerai est encourageant. En effet, comme je l'ai mentionné, les gens de la Société CANDU Énergie qui ont construit les réacteurs CANDU étudient les combustibles avancés. Cela signifie que le réacteur CANDU peut être alimenté par différents types de combustibles. Les Chinois se penchent sur la question, et les Indiens aussi. Ils étudient un élément appelé thorium, un combustible différent de l'uranium; le réacteur CANDU peut être alimenté avec ce combustible, car on peut l'adapter. Il peut également être alimenté par des barres de combustible usé, c'est-à-dire du combustible usagé qui a conservé une certaine quantité d'énergie après avoir alimenté un réacteur à eau légère. Les Chinois envisagent d'acheter et de construire un réacteur CANDU pour chaque trois ou quatre réacteurs à eau légère qu'ils possèdent, afin de récupérer le combustible utilisé dans les réacteurs à eau légère et d'en faire une source énergétique gratuite pour chaque quatrième réacteur. Ce sont donc des domaines qui présentent un certain potentiel.

La sénatrice Ringuette : Vous avez indiqué qu'en 60 ans, il n'y a eu aucun accident au sein de l'industrie nucléaire au Canada.

M. Barrett : Il n'y a eu aucune victime.

La sénatrice Ringuette : Aucune victime. Mais il y a eu des accidents. A-t-on demandé à l'assureur de fournir des fonds de l'assurance?

M. Barrett : D'après ce que je comprends, la réponse est non. Les accidents ont été détectés et réglés très rapidement grâce aux systèmes de sécurité qui sont déjà en place. Ces accidents sont enregistrés. Nous sommes très bien surveillés et tout est documenté.

La sénatrice Ringuette : Je comprends. Jusqu'ici, au Canada, après 60 ans d'activité nucléaire, on n'a réclamé aucun fonds des primes d'assurance responsabilité?

M. Barrett : D'après ce que je comprends, non.

La sénatrice Ringuette : D'accord. Vous avez indiqué que l'accord avec les trois pays signataires vise à faciliter les exportations d'exploitants de centrales nucléaires et de matériel de production énergétique. Qui sont les exportateurs canadiens?

M. Barrett : Au Canada, on peut commencer par CANDU Énergie; SNC-Lavalin est la société mère. C'était autrefois la Division du réacteur d'EACL. Cette société possède la propriété intellectuelle de la technologie CANDU.

La sénatrice Ringuette : Qui d'autre?

M. Barrett : Il y a toute une chaîne d'approvisionnement.

La sénatrice Ringuette : Mais ce ne sont pas des exploitants, et on n'exigerait pas qu'ils prévoient un milliard de dollars en assurance responsabilité et les primes connexes.

M. Barrett : C'est exact.

La sénatrice Ringuette : Donc en ce moment, la seule entité au Canada qui profiterait de cet accord entre les trois pays est SNC-Lavalin, et la prime supplémentaire attachée au milliard de dollars pour chaque exploitation nucléaire au Canada sera probablement réduite considérablement, si on tient compte des facteurs de risque, du nombre d'intervenants dans l'industrie, et cetera. Je parle du milliard de dollars que devrait posséder SNC-Lavalin pour avoir le droit d'exporter.

Le président : Pouvez-vous répondre brièvement à cette question?

M. Barrett : Oui. Je crois que le point important à retenir, c'est que même si CANDU Énergie et SNC-Lavalin construisent la technologie en plus d'en être les propriétaires, ils fournissent ces services aux exploitants. SNC et CANDU sont donc des fournisseurs. Ils fournissent cette technologie, et ils ne sont donc pas visés, contrairement aux exploitants. Qu'il s'agisse d'OPG, d'Énergie NB ou de Bruce Power, ce sont les exploitants. Ainsi, si un incident se produit, on cherchera les responsables. Ils seront responsables, et tous les éléments liés à l'assurance dont nous parlons aujourd'hui s'appliqueront.

Le sénateur MacDonald : Pour revenir au point dont nous parlions plus tôt, vous avez mentionné l'évolution et la mise au point des réacteurs à eau légère aux États-Unis, mais cela n'explique pas vraiment pourquoi ils ont freiné le développement des réacteurs CANDU au Canada. Dans les années 1970, nous avions deux usines d'eau lourde Deutérium du Canada au Cap-Breton. À l'époque, elles étaient florissantes, mais elles ont été mises au rancart et démantelées, car l'industrie n'a pas pris son essor au Canada. Pourquoi l'industrie n'a-t-elle pas pris son essor au Canada comme nous l'avions prévu?

M. Barrett : À mon avis — je ne peux pas parler au nom de nos membres à cet égard —, je pense qu'au début, dans les années 1960 et 1970, on était enthousiaste au sujet de l'énergie nucléaire, car on croyait qu'elle serait la solution à de nombreux problèmes. Elle a d'ailleurs servi de solution à de nombreux enjeux, et j'en ai énuméré quelques-uns au début.

Toutefois, je crois que les Canadiens ne comprennent pas, en général, la mesure dans laquelle les technologies et les industries nucléaires sont actives dans d'autres domaines, par exemple les essais de matériaux. On s'en sert, par exemple, pour tester les puits. On utilise des méthodes d'essai non destructives à l'aide de faisceaux de neutrons, et cetera, pour étudier l'intérieur d'un matériau sans l'ouvrir. On peut vérifier les puits dans les oléoducs et les gazoducs, par exemple, pour s'assurer qu'ils sont en bon état ou vérifier les pales de rotor des moteurs à réaction. On les utilise dans ces types de technologies.

Les dirigeants d'une société m'ont dit qu'ils envisageaient d'utiliser l'eau lourde dans le secteur des produits pharmaceutiques — je ne peux pas expliquer exactement de quelle façon —, car elle possède certaines propriétés utiles. On s'est donc engagé dans cette voie.

Les gens n'ont pas bien compris cela, et l'industrie l'a peut-être mal expliqué. On pense toujours en termes d'énergie, et c'est important. Les lumières sont allumées, mais on tient cela pour acquis. Tout le monde se dit que les lumières sont allumées et qu'on n'a pas à s'inquiéter au sujet de l'électricité, car elle vient d'un petit bout de plastique sur le mur.

De plus, ces réacteurs doivent être remis à neuf, et cela coûte de l'argent. Ils seront hors d'usage pendant environ deux ans et on pourra ensuite les réutiliser pendant 30 ans. À ce moment-là, on peut se dire que ces réacteurs coûtent beaucoup d'argent, mais on oublie qu'on a profité de taux de production d'électricité constants, année après année, peu importe les conditions météorologiques, comme je l'ai mentionné. Qu'il y ait un vortex polaire ou autre chose, les centrales nucléaires continuent de produire de l'énergie. On peut donc devenir complaisant. On se dit qu'il faut produire de l'électricité à partir de sources renouvelables partout. Mais on se dit également que c'est compliqué. Entre- temps, on dispose de cette façon de produire de l'énergie, et on peut se demander pourquoi on ne l'appuie pas. Je crois que nous avons perdu cela de vue.

Il est regrettable qu'il ait fallu le changement climatique pour ramener l'attention sur cette industrie, mais je crois que de plus en plus de gens se disent que ce type d'énergie ne produit aucune émission. Il produit également une très petite empreinte écologique. Par exemple, la centrale de Bruce Power se trouve sur un très petit terrain, et c'est pourtant la plus grosse centrale nucléaire au monde.

Le sénateur MacDonald : Je crois fermement en l'énergie nucléaire.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Barrett, de vos réponses. J'aimerais également remercier les sénateurs d'avoir posé de très bonnes questions.

Je suis heureux d'accueillir, pour la deuxième partie de notre réunion, Paul Barnes, gestionnaire, Canada atlantique et Arctique, de l'Association canadienne des producteurs pétroliers.

Bienvenue, monsieur Barnes. D'après ce que je comprends, vous livrerez un exposé et nous passerons ensuite aux questions. Vous avez la parole, monsieur.

Paul Barnes, gestionnaire, Canada atlantique et Arctique, Association canadienne des producteurs pétroliers : Bonjour. Merci, monsieur le président. Je m'appelle Paul Barnes, et je suis gestionnaire, Canada atlantique et Arctique, pour l'Association canadienne des producteurs pétroliers, parfois appelée ACPP. Notre siège social est situé à Calgary, et nous avons des bureaux régionaux à Vancouver, à Ottawa et à St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador, où je travaille.

L'ACPP représente l'industrie canadienne pétrolière et gazière en amont, c'est-à-dire les sociétés d'exploration, d'exploitation et de production pétrolière et gazière au Canada. Nous vous remercions de nous avoir invités à donner notre point de vue sur le projet de loi C-22, et plus précisément sur les dispositions qui concernent l'industrie du pétrole et du gaz extracôtiers.

L'ACPP appuie le projet de loi C-22, car son objectif général lié à l'accroissement de la responsabilisation afin d'assurer le maintien d'activités sécuritaires et responsables s'harmonise avec l'engagement de l'industrie de mettre en valeur les ressources pétrolières et gazières extracôtières de manière sécuritaire et responsable. Pour l'industrie canadienne du pétrole et du gaz extracôtiers, la sécurité passe avant tout. Avant d'entreprendre une activité extracôtière, l'exploitant s'assure qu'elle est sécuritaire. De même, la protection de l'environnement est au centre de notre travail. Nos opérations dans le secteur extracôtier sont conçues de façon à réduire les risques possibles pour les personnes et pour l'environnement.

Le projet de loi modernisera par ailleurs certains aspects du régime de réglementation de l'industrie canadienne du pétrole et du gaz extracôtiers pour que l'industrie puisse maintenir ses normes de calibre mondial en matière de sécurité et d'environnement.

Le projet de loi C-22 repose sur le principe du « pollueur payeur ». L'ACPP appuie ce principe qui est conforme à d'autres lois fédérales applicables à l'industrie pétrolière et gazière. Celui qui pollue devrait nettoyer les dégâts.

L'un des plus grands changements introduits par le projet de loi est l'augmentation des limites de responsabilité applicables aux activités extracôtières. Il s'agit des limites qu'une entreprise est responsable de payer en cas d'incident. Il est important de faire la distinction entre la responsabilité absolue ou « sans faute » et la responsabilité pour les incidents où il a été démontré que l'industrie a commis une faute ou qu'elle a fait preuve de négligence. Lorsque la faute ou la négligence est prouvée, l'entreprise fautive a une responsabilité illimitée; autrement dit, elle est entièrement responsable des coûts liés au nettoyage. Cela a toujours été le cas au Canada, et le projet de loi n'apporte aucun changement à la responsabilité « avec faute ».

La responsabilité accrue dont il est question est donc la responsabilité absolue, c'est-à-dire le montant qu'une entreprise devra payer en cas d'incident, même si elle n'est pas en faute. Ce montant s'élève à 1 milliard de dollars. Par ailleurs, la somme que les entreprises doivent fournir à l'administration fédérale sous la forme d'instruments financiers variés pouvant être utilisés librement en cas d'incident, au besoin, a aussi augmenté.

Il faut souligner que l'industrie travaille avec diligence pour éviter les incidents, et nous espérons donc ne jamais nous retrouver dans une situation où nous sommes responsables d'un incident. Cela dit, nous comprenons et nous acceptons le raisonnement justifiant l'augmentation des limites de responsabilité absolue.

De même, nous sommes conscients que le projet de loi impose aussi une nouvelle exigence aux entreprises, qui doivent démontrer une capacité financière d'un milliard de dollars avant de mener des activités extracôtières. Nous acceptons aussi le bien-fondé de ces modifications.

Ce que nous souhaitons, toutefois, c'est de pouvoir poursuivre la discussion avec les gouvernements et les organismes de réglementation pendant le processus d'élaboration des lignes directrices et des règlements relatifs à la responsabilité financière. En effet, il serait bon, pour l'industrie, de disposer d'une certaine souplesse dans l'utilisation des divers instruments qui existent aujourd'hui sur les marchés financiers — par exemple les lettres de crédit, les garanties ou le cautionnement — et que les autorités acceptent comme preuve de capacité financière. Nous croyons savoir que les règlements et les lignes directrices à ce sujet sont en cours d'élaboration et nous aimerions qu'ils tiennent compte de nos points de vue.

En ce qui concerne les agents dispersants, comme je l'ai mentionné, le souci de la prévention est au cœur des activités extracôtières de l'industrie. Même si nous veillons avant tout à prévenir les incidents tels que les déversements, il est aussi important d'être prêt à intervenir efficacement dans le cas improbable d'un déversement.

Nous nous réjouissons de voir que le gouvernement fédéral, au moyen du projet de loi C-22, prend les mesures nécessaires pour autoriser l'emploi d'agents de traitement en cas de déversement dans les eaux canadiennes. L'industrie préconise depuis des années l'approbation d'une catégorie d'agents, les agents dispersants, comme contre-mesure viable à utiliser lors des déversements au Canada. Plusieurs rapports et autres examens récents, notamment le Rapport du commissaire à l'environnement et au développement durable de 2012 du Bureau du vérificateur général du Canada, recommandent aussi que le Canada facilite l'usage d'agents dispersants lorsque cela présente un avantage net pour l'environnement.

Les agents dispersants sont déjà couramment utilisés dans d'autres pays lorsqu'un déversement extracôtier se produit. En fait, ils sont la première ou la deuxième méthode privilégiée en cas de déversement dans plus de 75 pays. Les modifications proposées ne visent donc qu'à harmoniser les pratiques canadiennes avec les pratiques exemplaires suivies à l'échelle internationale.

Pour qu'une intervention en cas de déversement soit efficace, il faut avoir accès à une panoplie d'outils pouvant être employés dans le cadre de chaque scénario de déversement. Les agents dispersants et d'autres agents de traitement représentent l'un des types d'outils mis à la disposition des intervenants. Ils renforcent donc notre capacité de réagir efficacement et de gérer les impacts sur l'environnement. Nous serons heureux de collaborer avec les gouvernements lors du processus d'élaboration des règlements concernant l'utilisation des agents de traitement des déversements.

J'aimerais également souligner que le projet de loi soutient l'idée selon laquelle les offices des hydrocarbures extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse sont les mieux placés pour réglementer l'industrie extracôtière au Canada atlantique. L'industrie préconise depuis toujours une structure réglementaire à guichet unique pour les activités extracôtières, c'est-à-dire une structure selon laquelle l'industrie fait affaire avec un organisme de réglementation principal. Cette approche assure non seulement l'uniformité et la clarté du modèle réglementaire, mais elle respecte également l'intention initiale des lois de mise en œuvre de l'Accord atlantique.

Le projet de loi C-22 accorde des pouvoirs supplémentaires aux offices des hydrocarbures extracôtiers dans les domaines de l'environnement, de la santé et de la sécurité, et en fait les autorités responsables de la réglementation dans le cadre de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. À notre avis, ces offices sont les organismes de réglementation les mieux placés pour mener l'évaluation environnementale des activités extracôtières. Pour cette raison, nous sommes heureux de constater que le projet de loi leur confère ce pouvoir. Ce changement assure par ailleurs l'harmonisation entre les offices des hydrocarbures extracôtiers et l'Office national de l'énergie, qui est déjà, conformément à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, l'autorité responsable de la réglementation dans le secteur extracôtier du Nord du Canada.

Le projet de loi accorde également aux offices le pouvoir de rendre publics les rapports environnementaux et d'autres documents. L'ACPP soutient généralement les efforts d'amélioration de la transparence. En fait, dans le rapport que nous publions chaque année sur l'énergie responsable au Canada, l'industrie divulgue volontairement des données sur le rendement de l'industrie en matière d'environnement et de sécurité. Cependant, il convient d'examiner davantage cette question, car le projet de loi ne précise pas quels documents devront être rendus publics. Or, certains renseignements sont délicats sur le plan commercial. Nous souhaitons discuter de ce sujet avec les gouvernements et les offices des hydrocarbures extracôtiers afin d'obtenir plus de précisions sur la publication des rapports environnementaux et d'autres documents.

Le projet de loi C-22 enchâsse par ailleurs dans la loi les pratiques de recouvrement des coûts suivies par les offices. Même si ces derniers recouvraient habituellement les coûts au moyen du financement versé à l'industrie, il s'agit d'une entente informelle entre les exploitants et les offices. Le fait d'enchâsser ces pratiques dans la loi annonce l'élaboration de règlements qui préciseront les taux de recouvrement des coûts, ce qui procurera plus de clarté et de certitude à l'industrie au sujet de cet élément du coût lié aux affaires menées au large des côtes du Canada atlantique.

Pour terminer, je réitère l'appui de l'ACPP à l'égard du projet de loi C-22. En effet, ce projet de loi démontre que le gouvernement est déterminé à protéger la population et l'environnement, ce qui correspond tout à fait à l'engagement pris par l'industrie, qui consiste à mettre en valeur les ressources de manière sécuritaire et responsable. Nous avons hâte de collaborer avec le gouvernement au processus d'élaboration des règlements liés au projet de loi et qui concernent les agents de traitement des déversements, le recouvrement des coûts et la responsabilité financière.

Nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Permettez-moi de vous parler du plafond, car c'est l'un des principaux enjeux du projet de loi. En fait, il y a une responsabilité illimitée pour les membres de l'ACPP. La réglementation précisera les détails, mais une partie du milliard de dollars peut être réglée par votre propre bilan ou une sécurité acceptable, et une partie peut être réglée par l'assurance. Un milliard de dollars ne représente pas une grosse somme pour les activités extracôtières, mais pour un grand nombre d'intervenants, cela peut être le cas.

Vous comptez surtout parmi vos membres de grandes multinationales pour lesquelles cela ne pose pas problème. Est-ce que l'exigence d'un milliard de dollars pourrait être trop élevée pour certaines entreprises canadiennes et avoir ainsi pour effet d'entraver la concurrence et de limiter les avantages économiques pour le Canada?

M. Barnes : La majorité des entreprises canadiennes qui ont des activités extracôtières, comme Husky Energy ou Suncor, sont elles-mêmes de grandes entités. Elles figurent parmi les plus grandes sociétés canadiennes et ont les moyens financiers de respecter les exigences prévues dans ce projet de loi.

Je conviens toutefois avec vous qu'il pourrait y avoir des répercussions sur certaines entreprises plus petites qui souhaitent être actives dans le domaine extracôtier; celles-là n'auront pas nécessairement la capacité financière voulue. Elles ont tout de même un rôle à jouer au sein de l'industrie canadienne, car elles peuvent former des partenariats avec des entreprises plus grandes pour créer conjointement une structure d'activité extracôtière sous une forme ou une autre. Elles peuvent aussi simplement se trouver une niche dans l'industrie extracôtière en faisant par exemple l'analyse des données géophysiques pour le compte de plus grands intervenants capables de forer des puits ou de se livrer à d'autres activités extracôtières et possédant les moyens financiers nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de l'environnement.

Le sénateur Massicotte : Est-ce attribuable à la nouvelle exigence d'un milliard de dollars en garantie d'assurance, ou était-ce déjà le cas auparavant, compte tenu des risques associés à l'exploitation extracôtière et à la technologie requise?

M. Barnes : Ces petites entreprises peuvent certes tenter de faire du forage extracôtier, mais la loi dans sa forme actuelle les empêcherait sans doute de le faire étant donné qu'il leur serait impossible de produire les documents de responsabilité financière requis. Avec cette exigence d'un milliard de dollars dont vous parlez, ce projet de loi leur complique les choses encore davantage.

La sénatrice Ringuette : Monsieur Barnes, vous avez pu entendre notre témoin précédent qui indiquait que l'industrie nucléaire n'avait accès qu'à un seul fournisseur d'assurance pour couvrir cette responsabilité d'un milliard de dollars, et que c'est le ministre qui avait le pouvoir de faire changer les choses. Est-ce que les membres de l'ACPP sont dans une situation semblable?

M. Barnes : Il y a bien des membres de notre organisation qui ont suffisamment d'actifs pour pouvoir s'assurer eux- mêmes. Ils en ont davantage que certaines compagnies d'assurances présentes à l'échelle planétaire. Il y a tout de même différentes grandes compagnies qui assurent bon nombre de nos entreprises et des activités pétrolières et gazières extracôtières partout dans le monde. Il s'agit généralement de grandes multinationales d'assurances auxquelles nos membres ont facilement et fréquemment recours.

La sénatrice Ringuette : Lors d'une réunion précédente tenue cette semaine, notre comité examinait les possibilités de forage extracôtier dans l'Arctique dans le contexte de cette exigence d'un milliard de dollars en assurance.

Comment la situation dans l'Arctique peut-elle se comparer aux activités actuelles de forage au large des côtes de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse pour ce qui est de ce milliard de dollars exigé?

M. Barnes : Le forage dans l'Arctique est assorti de difficultés particulières en raison de différents facteurs comme la présence de glaces et le nombre accru d'heures d'obscurité pendant les mois d'hiver. Il est certes plus difficile de travailler dans l'Arctique qu'au large de Terre-Neuve ou de la Nouvelle-Écosse. Mais le régime de protection est à peu près le même, car c'est la responsabilité absolue qui prévaut dans notre industrie. Ainsi, dès qu'il se produit un incident, que ce soit dans l'Arctique, au large des côtes ou n'importe où ailleurs au Canada, nous assumons tous les coûts associés au nettoyage.

L'organisme de réglementation, c'est-à-dire le gouvernement, doit s'assurer qu'une entreprise possède une capacité financière suffisante avant de la laisser entreprendre des travaux extracôtiers. C'est là que ce milliard de dollars entre en jeu. Que ce soit dans l'Arctique ou sur la côte Est, cela ne devrait pas faire de différence.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Bonjour. Je vous remercie d'être ici. J'aimerais poser deux petites questions. Premièrement, j'aimerais que vous nous apportiez plus de précisions en ce qui concerne l'efficacité des agents dispersants, soit cette nouvelle technologie qui peut être utilisée en cas de déversement. Est-ce très efficace? Quel est le taux d'efficacité observé?

Aussi, j'aimerais savoir si le projet de loi C-22 traite des aspects relatifs à d'éventuels bris ou dommages causés par des pipelines. Y a-t-il des zones grises, par exemple, entre les provinces de l'Atlantique et le Québec? On sait que les pipelines passeront partout. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

[Traduction]

M. Barnes : Certainement. Je vais d'abord parler des agents dispersants.

Les produits dispersants sont un outil extrêmement efficace pour les interventions et le nettoyage à la suite d'un déversement de pétrole. Il suffit de les épandre à l'endroit où il y a eu déversement pour que le pétrole se divise en fines gouttelettes qui peuvent se biodégrader plus facilement. Le pétrole ainsi dispersé peut en quelque sorte s'évaporer plus facilement que s'il demeurait en nappe. En gros, c'est ainsi que fonctionnent les dispersants.

Ils ont été d'une grande efficacité lors de déversements majeurs un peu partout sur la planète, non seulement pour aider au nettoyage, mais aussi pour prévenir les dommages environnementaux pouvant toucher les oiseaux marins et les autres formes de vie existant à la surface de l'eau. En effet, les hydrocarbures ainsi dispersés se retrouvent plus en profondeur.

Ils ont produit des résultats extraordinaires lors du déversement majeur dans le golfe du Mexique où l'utilisation de dispersants sous-marins à la source du déversement a permis une fragmentation plus rapide de la nappe de pétrole avant qu'elle ne remonte à la surface. Ainsi, la biodégradation a pu se faire rapidement.

Les dispersants sont très efficaces et sont utilisés par notre industrie dans 75 pays du monde. Le Canada est le seul pays qui en restreint l'utilisation parmi ceux où on se livre à l'exploitation des ressources extracôtières. Ce projet de loi permettra toutefois de corriger la situation, et c'est pourquoi nous y sommes favorables.

Ce projet de loi ne s'applique pas aux oléoducs. Ceux-ci sont régis par leurs propres lois qui sont assorties de leurs propres régimes de responsabilité.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Y a-t-il des effets secondaires à l'utilisation des agents dispersants?

[Traduction]

M. Barnes : Des effets secondaires?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je parle d'effets pervers. Les dispersants peuvent être efficaces et, comme dans le cas des médicaments, parfois c'est bon pour lutter contre la maladie, mais cela peut causer d'autres effets secondaires. Y a-t-il d'autres effets secondaires connus?

[Traduction]

M. Barnes : À titre d'exemple, d'importantes quantités de produits dispersants ont été utilisées lors du déversement dans le golfe du Mexique, et des études scientifiques ont révélé que cela n'avait pas eu d'effet sur la vie marine. C'est tout de même chose possible. Il y a un risque pour les poissons qui sont exposés aux hydrocarbures et il va de soi que ceux-ci descendent dans la colonne d'eau sous l'effet des dispersants, plutôt que de demeurer en surface. On peut donc exposer aux hydrocarbures une certaine faune marine qui n'aurait rien à craindre si on les laissait à la surface.

Le président : Sénatrice Bellemare, nous allons examiner lors d'une prochaine séance le projet de loi C-46 qui traite des questions de responsabilité liées aux activités terrestres, de la même façon que celui-ci porte sur les enjeux extracôtiers; ce sont simplement deux projets de loi distincts.

Le sénateur Patterson : Je suis étonné d'entendre qu'il y a autant de pays qui autorisent l'utilisation des dispersants. Vous avez dit que c'était la plupart des pays côtiers.

M. Barnes : Oui.

Le sénateur Patterson : Est-ce que cela comprend la France, le Royaume-Uni et les pays baltes?

M. Barnes : Oui, bien que je ne sois pas certain pour ce qui est de la France. Mais parmi ces 75 pays, tous ceux où on met en valeur les ressources pétrolières et gazières extracôtières permettent l'utilisation d'agents dispersants.

Le sénateur Patterson : Dans le même ordre d'idées — et je ne suis pas certain que ce soit pertinent dans le contexte de ce projet de loi, monsieur le président — lors de notre étude sur le transport des hydrocarbures par voie maritime, on nous a dit que le Canada ne permettait pas la destruction par combustion sur place dans des conditions contrôlées. Est-ce que l'ACPP estime que la combustion sur place est une solution en cas de déversement d'hydrocarbures en mer?

M. Barnes : Oui. La destruction par combustion sur place est un autre élément de notre boîte à outils en cas de déversement d'hydrocarbures. C'est assez simple : lorsqu'il y a déversement de pétrole qui demeure à la surface, il s'agit d'y mettre le feu pour qu'il se consume. C'est un outil particulièrement efficace dans des cas où des éléments comme les glaces forment un obstacle naturel. Mais, à ce que je sache, cette technique n'est pas interdite au Canada. Je pense que la destruction par combustion sur place est autorisée au pays.

Le sénateur Patterson : Je trouve cela un peu surprenant par rapport à ce que nous avons entendu lors de nos visites d'étude, et nous allons vérifier tout cela. Mais dois-je comprendre que l'ACPP est favorable à l'utilisation de cette technique?

M. Barnes : Oui. C'est assurément un autre outil dont l'industrie souhaite pouvoir se servir en cas de déversement.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, monsieur Barnes. On a rendu publics ce mois-ci les résultats d'un sondage sur le niveau de confiance des Canadiens à l'égard de notre capacité à réagir en cas de déversement, particulièrement sur l'eau, ce qui est tout à fait pertinent à notre étude.

Si vous voulez bien, j'aimerais vous poser quelques questions au sujet des dispersants. Vous avez déclaré dans votre exposé, comme le Bureau du vérificateur général l'avait déjà fait en 2012, que le Canada permet l'utilisation d'agents dispersants lorsqu'il y a un effet bénéfique net sur l'environnement.

J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet, car je ne sais pas trop ce que les scientifiques pensent de l'utilisation des dispersants, et j'ose espérer que toute décision en ce sens est fondée sur les données scientifiques disponibles. Il y a aussi le fait que nous pourrions devoir les utiliser dans les eaux très froides du Nord, et j'espère qu'il existe des données sur le recours aux produits dispersants en pareilles conditions.

M. Barnes : Vous avez raison. Si ce projet de loi est adopté, les choses vont fonctionner de la manière suivante. La société pétrolière et gazière devra procéder à une analyse de l'efficacité du dispersant chimique que l'on veut utiliser, compte tenu du type d'hydrocarbure qui est produit ou visé par l'exploration. Les résultats de cette analyse seront transmis au gouvernement ou à l'organisme de réglementation pour que l'on puisse déterminer si l'utilisation du dispersant aura un effet bénéfique sur l'environnement ou sera avantageuse dans le contexte où on s'en servira.

À titre d'exemple, les Grands Bancs de Terre-Neuve abritent de nombreuses colonies d'oiseaux marins extracôtiers qui vivent à la surface de l'eau. Ces colonies seraient grandement affectées par un déversement. L'utilisation d'un dispersant en pareil cas permettrait toutefois de fragmenter la nappe de pétrole plus rapidement et de faire en sorte qu'elle ne reste pas à la surface, ce qui protégerait ces oiseaux marins. Dans une situation semblable, l'organisme de réglementation déterminerait sans doute qu'il est préférable pour l'environnement que l'on utilise des agents dispersants.

Dans d'autres cas, il n'y a pas nécessairement d'effet bénéfique. Supposons par exemple qu'il n'y a pas d'oiseaux marins, mais de grandes quantités d'un type de poisson qui vit près de la surface de l'eau. L'utilisation d'un dispersant pourrait être néfaste pour ces poissons. En pareil cas, il n'y aurait pas d'effet bénéfique net pour l'environnement et l'organisme de réglementation n'approuverait probablement pas le recours à un dispersant.

La sénatrice Seidman : Vous parlez beaucoup des « effets bénéfiques », mais j'aimerais bien avoir l'assurance que les risques — autrement dit, les effets nuisibles — sont également pris en compte, et que vous veillez à trouver un juste équilibre entre les risques et les avantages.

M. Barnes : Tout à fait.

La sénatrice Seidman : Vous dites qu'il vous faudrait produire des résultats d'analyse. On parle bien ici d'une analyse scientifique fondée sur les faits?

M. Barnes : Oui. Ce serait une recherche scientifique sur le type de dispersant et la façon dont on l'utilise ainsi que les différentes caractéristiques de l'eau, comme sa salinité et sa température, pour voir dans quelle mesure l'agent dispersant pourrait être efficace dans un tel environnement. Tout cela serait combiné à une analyse scientifique des conditions environnementales pouvant exister au moment du déversement, et notamment de la faune marine présente et des oiseaux pouvant se trouver à proximité. L'exploitant doit compiler tous ces renseignements et les constatations scientifiques qui en découlent pour les soumettre à la vérification du gouvernement qui peut lui-même effectuer des recherches plus approfondies.

Le président : Et ce travail d'analyse s'effectuerait au cours du processus d'évaluation environnementale préalable à toute activité d'exploitation, n'est-ce pas?

M. Barnes : Oui. Ce n'est pas nécessairement dans le cadre du processus d'évaluation environnementale, mais c'est assurément avant qu'un incident puisse se produire. Un exploitant doit entreprendre à l'avance ce travail d'analyse et en soumettre les résultats au gouvernement pour obtenir ce que nous appelons une approbation préalable. L'analyse serait donc entièrement effectuée dès le départ. Les approbations requises seraient obtenues de telle sorte que s'il se produit effectivement un incident, on pourrait avoir recours sans délai aux agents dispersants, lesquels ont un maximum d'efficacité lorsqu'on les utilise dans les quelques heures suivant un déversement.

Le président : Oui, c'est ce que je croyais. Je voulais simplement que tous comprennent bien que vous effectuez cette analyse à l'avance pour avoir une bonne idée de l'effet qu'auront les dispersants dans l'environnement où vous allez travailler.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui. On vient d'entendre que les dispersants sont utilisés dans 75 pays, et je crois que nous nous en sommes servis à quelques reprises au Canada également. Il ne serait pas si difficile de déterminer quels agents dispersants seraient acceptables et lesquels ne peuvent pas être autorisés. Existe-t-il des données scientifiques et des processus qui nous permettraient de dresser une liste semblable assez rapidement?

M. Barnes : Oui, vous avez raison. Il y a à peine plus d'une dizaine de produits dispersants différents disponibles dans le monde. Environnement Canada travaille actuellement à l'élaboration d'un règlement qui fera la liste de ceux qui seront acceptables au Canada.

Le sénateur Mitchell : La question de la sécurité et de la culture de la sécurité est extrêmement importante et pertinente dans ce contexte, tout comme c'était le cas bien sûr pour notre témoin précédent qui représentait l'industrie nucléaire. Nous entendons beaucoup parler de l'industrie pétrolière. L'Office national de l'énergie envisage sérieusement la possibilité de mener des vérifications concernant la culture de la sécurité. Quelle est la position de l'ACPP à cet égard?

M. Barnes : Nous savons effectivement que l'Office national de l'énergie essaie actuellement de voir quel genre d'outil pourrait être utilisé pour mener des vérifications concernant la culture de la sécurité, un travail qui se fait en collaboration avec les deux offices des hydrocarbures extracôtiers. Nous avons grand-hâte d'en savoir plus long à ce sujet, car il n'existe pas pour l'instant à notre connaissance d'outil semblable pour évaluer la culture de la sécurité.

Nous prenons très au sérieux toutes les questions liées à la sécurité. Avant chaque période de travail dans un environnement extracôtier, les employés ont droit à des séances d'information sur la sécurité. Les questions de sécurité sont abordées sans cesse pendant les journées de travail sur place. Les informations sur les incidents qui se produisent sont mises en commun dans l'ensemble de l'industrie pétrolière et gazière, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde. On essaie donc toujours de tirer des enseignements des incidents qui surviennent de manière à pouvoir améliorer la sécurité.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Barnes, merci d'être des nôtres aujourd'hui. J'aimerais moi aussi vous parler des agents dispersants.

Vous me corrigerez si j'ai tort, mais je présume que le type de dispersant utilisé est choisi en fonction de la viscosité du produit qui se retrouve dans l'eau. C'est bien cela?

M. Barnes : Tout à fait.

Le sénateur MacDonald : Il faut voir s'il s'agit de pétrole brut, de brut non corrosif ou de carburant de soute C que nous importons, ou des produits raffinés que nous exportons. Quelles ont été nos expériences dans le cas du bitume? Nous discutons de l'oléoduc Énergie Est de TransCanada, un projet que j'appuie, je tiens à le dire. Je m'inquiète toutefois de ce qui peut arriver avec le bitume dans la baie de Fundy dont les marées sont les plus fortes au monde. Lorsque les eaux se retirent, le fond de la baie est exposé. Ce n'est que du sable et de l'argile.

Que ferait-on en cas de déversement majeur de bitume dans la baie de Fundy lorsque la marée baisse et qu'il n'y a plus d'eau dans laquelle on pourrait épandre l'agent dispersant?

M. Barnes : C'est une excellente question. Je ne sais pas trop. Il n'y a de toute évidence pas d'activité extracôtière dans la baie de Fundy pour l'instant, mais ce serait une bonne question pour les gens de l'industrie du pipeline.

Le sénateur MacDonald : Mais l'industrie du pipeline ne se préoccupe pas trop du bitume qui peut se retrouver dans l'eau. C'est loin de leurs installations. C'est plutôt celui qui est transporté dans la cale des navires. Il y a toute une différence entre le bitume circulant dans un pipeline et celui que l'on retrouve dans la cale d'un navire. On ne cesse de faire valoir — et notre gouvernement n'est pas en reste à ce chapitre — qu'il faut pouvoir acheminer le bitume vers la mer. Il y a toutefois une différence énorme entre les eaux de la baie de Fundy et celles de Point Tupper, où l'on trouve des eaux profondes, libres de glace, offrant un accès direct à l'océan et à toutes ses voies maritimes.

Même si je suis favorable à l'oléoduc projeté, je ne constate pas un engagement très marqué de l'industrie du pipeline à l'égard de ces questions-là. Le fardeau revient à ceux qui produisent le pétrole, qui investissent pour extraire le bitume du sol et le raffiner, ou qui en préparent le transport. Pour l'industrie du pipeline, il suffit de faire transiter le bitume par son oléoduc pour le mener à bon port.

M. Barnes : C'est bien vrai.

Le sénateur MacDonald : Je ne suis pas convaincu que l'industrie du pipeline jouerait un rôle de premier plan dans le choix des moyens à prendre s'il y avait déversement de bitume dans la baie de Fundy.

M. Barnes : Je ne m'y connais pas assez pour pouvoir vous répondre, mais c'est assurément une bonne question.

Le sénateur MacDonald : Je suppose que nous en traiterons lors de nos séances sur l'environnement.

M. Barnes : Oui.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le président : J'aimerais prendre encore quelques instants pour parler des agents dispersants. C'est quelque chose que vous avez peut-être déjà dit. Vous avez indiqué qu'ils sont utilisés dans 75 pays du monde. Depuis combien d'années ou de décennies ces dispersants existent-ils? Est-ce que leur composition a beaucoup changé au cours de cette période?

M. Barnes : Je ne sais pas depuis quand les dispersants sont utilisés dans notre industrie. Je ne peux vous fournir aucune précision à ce sujet. Comme nous le faisons pour tous les autres outils que notre industrie utilise, nous travaillons toutefois sans cesse à les améliorer et à tester leur composition et leur efficacité pour les différents types d'hydrocarbures bruts. C'est un processus continu. Tous les fabricants de dispersants à l'échelle planétaire s'efforcent sans cesse d'améliorer leurs produits en s'appuyant sur des recherches plus poussées.

Le président : D'un point de vue scientifique, vous pouvez donc nous confirmer que ces produits dispersants, sans savoir depuis combien de temps on les utilise, sont adaptés aux technologies nouvelles et à l'évolution des choses; ce n'est pas comme si l'on se servait aujourd'hui du même produit qu'il y a 30 ans.

M. Barnes : C'est exact. Ces produits sont bien plus efficaces aujourd'hui. Il est bien évident que l'on possède maintenant beaucoup plus d'information relativement à leur utilisation. En outre, notre industrie est à même de beaucoup mieux renseigner les fabricants quant aux conditions de l'eau dans les endroits où nous menons nos activités pétrolières et gazières. Je pense par exemple à la salinité ou à la température de l'eau. C'est avec une grande rigueur scientifique que l'on s'emploie à mettre à l'essai différents types d'agents dispersants dans différentes conditions environnementales.

Le président : Pourriez-vous nous envoyer par écrit une réponse quant à savoir depuis combien d'années les dispersants sont utilisés dans ces 75 pays?

M. Barnes : Certainement.

Le président : Je ne sais pas si nous avons besoin des détails pour les 75 pays, mais tout au moins pour une bonne partie d'entre eux afin de nous donner une idée de la durée d'existence de ces produits, de telle sorte que personne n'essaie de faire valoir que c'est un tout nouveau domaine et que nous ne savons pas ce que nous faisons.

Sur ce, je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré et l'information que vous nous avez transmise. Nous avons eu droit aujourd'hui à de bonnes questions et de bonnes réponses. Merci de votre participation, monsieur Barnes.

La séance est levée.

(La séance est levée.)


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