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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 31 - Témoignages du 14 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 14 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J'aimerais souhaiter la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le projet de loi C-2 crée un régime d'exemption distinct pour les activités des sites de consommation supervisée au Canada. C'est notre troisième réunion sur le sujet. Je rappelle à ceux qui nous regardent que les réunions du comité sont ouvertes au public et diffusées sur le Web à l'adresse parl.gc.ca. De plus amples renseignements sur l'horaire de comparution des témoins sont accessibles sur ce site web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Pour notre premier groupe de témoins, souhaitons la bienvenue au Dr Jeff Blackmer, vice-président, Professionnalisme médical, et à Jean Nelson, directrice, Services juridiques, tous deux de l'Association médicale canadienne. Feront aussi partie du groupe, par vidéoconférence depuis Vancouver, Tom Stamatakis, que nous avons déjà reçu et qui est le président de l'Association canadienne des policiers, Marilou Gagnon, experte-conseil aux politiques, à la recherche et au militantisme pour l'Association canadienne des infirmières et infirmiers en VIH-SIDA ainsi que Rebecca Jesseman, qui est la directrice du Centre canadien de la lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

Je rappelle aux témoins qu'ils peuvent faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Je vais tenter de vous garder autant que possible à l'intérieur de ces limites. Nous allons commencer par le Dr Blackmer, puis ce sera au tour de M. Stamatakis, de Mme Gagnon et de Mme Jesseman.

Jeff Blackmer, vice-président, Professionnalisme médical, Association médicale canadienne : Je tiens à remercier le comité sénatorial pour cette occasion de contribuer à l'étude du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

L'Association médicale canadienne, ou AMC, représente plus de 80 000 médecins au Canada. D'entrée de jeu, je vous dirai que notre organisme est très préoccupé par le projet de loi C-2, et que nous recommandons qu'il soit remplacé par une loi reconnaissant les avantages démontrés des sites de consommation supervisée. Nous ne croyons pas que des modifications à la loi actuelle soient suffisantes.

La dépendance est un état pathologique grave, chronique et récurrent pour lequel il existe des traitements efficaces. Permettez-moi de le dire clairement : la dépendance n'est pas un style de vie que l'on choisit. Ceux parmi nous qui œuvrent dans le domaine constatent un besoin criant d'approches complémentaires pour lutter contre la toxicomanie, et notamment pour en réduire les préjudices. L'AMC soutient sans réserve les stratégies de réduction des préjudices. La réduction des préjudices est une méthode de soin et de traitement éthique et indispensable sur le plan clinique. Elle vise en l'occurrence à réduire la mortalité et la morbidité malgré l'exposition continue à une substance potentiellement nocive.

Le recours à des stratégies de réduction des préjudices est conséquent avec les obligations éthiques des médecins, telles que détaillées dans le Code de déontologie de l'AMC.

Les sites de consommation supervisée constituent un exemple de moyen de réduction des préjudices susceptible d'améliorer l'accès aux services de santé pour les clientèles difficiles à joindre et vulnérables qui affichent des taux inacceptables de décès par surdose et de maladies telles que le VIH-sida et l'hépatite C. Ces populations mobilisent également des ressources considérables dans les hôpitaux et les services d'urgence. Bon nombre de ces problèmes de santé ne sont pas attribuables à la drogue en tant que telle, mais plutôt aux méthodes d'injection et à l'absence de stérilisation adéquate pour l'équipement utilisé.

Les sites de consommation supervisée répondent également aux besoins des milieux aux prises avec un problème grave d'aiguilles jetées et de consommation dans les lieux publics. D'ailleurs, la plupart de ces sites sont très bien tolérés dans les milieux où ils se trouvent, et cette tolérance grandit avec le temps.

La consommation de drogue est un enjeu médical et social extrêmement complexe, et la collaboration entre les professionnels de la santé et de la sécurité publique et la société en général est absolument essentielle.

Un certain nombre de questions préoccupent tout particulièrement l'AMC.

Premièrement, le projet de loi C-2 va à l'encontre de l'esprit et de l'intention de la décision unanime rendue par la Cour suprême du Canada, selon laquelle l'inaccessibilité éventuelle de services de santé et l'augmentation corrélative du risque de décès et de maladie auquel sont exposés les toxicomanes l'emportent sur tout avantage qui pourrait résulter du maintien d'une interdiction absolue de possession de drogues.

L'adoption du projet de loi C-2 dans sa forme actuelle risquerait de compromettre le renouvellement de l'exemption dont bénéficie Insite aux termes de l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Une telle situation pourrait donner lieu à d'autres litiges coûteux.

Deuxièmement, s'il était adopté, le projet de loi C-2 imposerait de nombreux obstacles de taille aux fournisseurs de soins de santé quant à l'obtention d'une exemption. Alors que la décision de la Cour suprême concernant Insite n'énonçait que cinq critères, le projet de loi C-2 énumère 27 lourdes exigences qui pourraient nécessiter des ressources et des fonds considérables. Nous croyons que le préambule du projet de loi rend compte de l'intention réelle du projet de loi, à savoir que les exemptions ne seront accordées que dans des « circonstances exceptionnelles ».

Le projet de loi ne précise pas comment le ministre évaluera les renseignements présentés et garantira l'impartialité de sa décision. Même si toutes les exigences sont satisfaites, le ministre pourra, à son entière discrétion, statuer sur l'ouverture d'un site.

Troisièmement, le projet de loi C-2 ne permet pas d'atteindre un équilibre entre les objectifs de santé publique et les objectifs de sécurité publique de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Insite est parmi les interventions en santé publique qui ont été les plus étudiées à ce jour; les études réalisées ont été rigoureuses et valides sur le plan scientifique, et elles ont fait l'objet d'examens par les pairs. Elles font état des constats suivants : une réduction du taux global de partage d'aiguilles et de décès par surdose, un meilleur accès aux services de counseling en matière de toxicomanie et une augmentation du nombre d'inscriptions à des programmes de désintoxication, des occasions de prévention du VIH par la sensibilisation et par la mise en contact des toxicomanes avec des services de traitement et de prévention, une réduction du nombre d'incidents d'injection de drogue en public et de seringues jetées dans les lieux publics, aucune hausse du trafic de drogues ni d'autres crimes liés à la drogue, et des économies attribuables à une diminution du risque de maladies infectieuses, à une intervention précoce et à une diminution du recours aux soins d'urgence.

Nous sommes d'avis que les sites de consommation supervisée constituent une composante importante d'une approche médicale et éthique de lutte contre les dépendances et que leur sort doit être régi par des données probantes et non par l'idéologie ou par l'opinion publique. Le projet de loi C-2 doit être remplacé par un autre projet de loi qui reconnaît les avantages démontrés des sites de consommation supervisée.

Merci, monsieur le président.

Tom Stamatakis, président, Association canadienne des policiers : Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité. Je vous remercie de l'invitation que vous m'avez lancée de m'adresser à vous dans le cadre de votre étude sur le projet de loi C-2.

Je sais qu'il ne s'est écoulé que deux semaines depuis mon dernier passage au comité — pour le projet de loi C-377 —, mais pour ceux qui nous écoutent, je tiens à préciser que j'ai le privilège d'être le président de l'Association canadienne des policiers, l'ACP, un organisme qui représente plus de 60 000 agents de première ligne de partout au Canada, tant des civils que des membres assermentés.

Ma déclaration préliminaire de ce matin sera brève, et ce, même si j'ai suivi de près les témoignages présentés ici par d'autres témoins ainsi que l'étude du projet de loi par la Chambre des communes. Le terme « fondé sur des données probantes » semble revenir assez souvent. Ce dont je veux vous faire part aujourd'hui pourra vous donner une idée de mon expérience dans ce domaine et de comprendre pourquoi je suis particulièrement heureux de m'être vu donner l'occasion de vous parler à ce sujet.

J'ai travaillé comme agent, pendant 25 ans, pour le Service de police de Vancouver et je suis actuellement président du Vancouver Police Union, fonction que je cumule avec celle de président de l'APC. Vancouver est la seule ville canadienne qui accueille un site de consommation de drogue supervisée. Je crois que je suis à même de vous donner un aperçu de l'incidence négative que ces sites peuvent avoir sur la sécurité publique des communautés qu'ils servent.

En tant que représentante des intervenants de première ligne de la force policière, notre association considère que le projet de loi C-2 est une mesure législative importante et elle l'appuie sans réserve. Nous estimons en effet que ce projet de loi établit l'équilibre approprié entre le besoin de protéger la santé de la communauté et les préoccupations bien réelles qui ont été soulevées par tous les échelons de la force publique et par la population au sujet des sites de consommation supervisée.

Lors de l'étude par le comité de la Chambre des communes, des opposants au projet de loi ont fait valoir que les conditions proposées supposaient des dépenses considérables, et que les organismes désireux d'ouvrir de nouveaux sites allaient par conséquent avoir beaucoup de difficulté à les respecter.

En tant que policier, je peux comprendre les désagréments que la paperasse et les cadres réglementaires peuvent occasionner. En fait, il arrive parfois que toutes ces exigences rendent le travail presque impossible à effectuer. Je peux cependant affirmer que c'est l'environnement dans lequel les forces de l'ordre travaillent sur une base quotidienne. Nous n'avons pas la possibilité de couper les coins ronds ou d'opter pour la voie la plus facile. Notre travail doit se faire de façon méticuleuse si nous voulons qu'il tienne la route devant les juges, la Couronne, les procureurs de la défense et les intervenants du milieu ainsi que devant une myriade d'organismes de surveillance qui examinent tous les faits et gestes des forces de l'ordre. Je ne crois pas que nous en demandons trop en exigeant que ceux qui veulent travailler avec des drogues illégales et dangereuses se plient à un régime semblable.

Je ne tiens pas particulièrement à me servir de ma comparution ici pour relancer le débat sur les mérites et les inconvénients des sites de consommation supervisée. Cependant, bien que je sois prêt à reconnaître que les promoteurs de ces sites sont des défenseurs ardents et sincères de leurs convictions, mon expérience d'agent ayant patrouillé et travaillé dans le quartier Downtown Eastside me permet d'affirmer que l'ouverture de nouveaux sites d'injection s'accompagne de coûts considérables en matière de sécurité publique, et que ces coûts doivent être pris en considération.

Il faut avant tout reconnaître que les drogues consommées dans ces endroits sont des substances illicites. Un consommateur ne se procure pas sa drogue préférée à la pharmacie. Le simple fait de se procurer de la drogue est un acte criminel. Étant donné la zone grise qui a été créée autour d'Insite dans le Downtown Eastside de Vancouver, nos agents doivent user d'une discrétion hors du commun dans leur travail, mais les revendeurs sont tout à fait disposés et particulièrement prompts à profiter au maximum de cette discrétion.

L'autre vérité déplorable c'est que les consommateurs ne paient pas ces drogues illégales avec leur argent de poche. Ils doivent souvent commettre des actes désespérés et recourir à des comportements criminels pour se procurer l'argent nécessaire pour payer les drogues qu'ils consomment. Cela entraîne une augmentation des vols, des agressions et de la prostitution à proximité des sites où ils iront peut-être se faire une injection.

Tout cela s'accompagne de coûts. Très peu d'observateurs impartiaux pourraient circuler dans le Downtown Eastside de Vancouver et prétendre, au simple coup d'œil, qu'Insite est une réussite phénoménale. Tous les problèmes du quartier ne sont pas attribuables à la présence d'Insite, mais je dirais plutôt qu'ils sont les sous-produits regrettables et inévitables de la poursuite de ses opérations.

Je n'insinue pas que nous devrions tourner le dos à ceux qui sont tombés sous le joug de la dépendance. Il est impossible de faire la liste de toutes les initiatives prises par les services policiers et d'autres organismes du pays pour remédier au problème de la drogue, mais je suis fermement convaincu que nous pouvons tabler sur les programmes qui ont obtenu de bons résultats. Bien sûr, les initiatives pour lutter contre la drogue ont des portées et des modes opératoires qui varient énormément, mais un aspect récurrent de ces initiatives est que la sécurité publique n'est jamais compromise et que la protection des éléments les plus fragiles de nos collectivités est toujours considérée comme étant d'importance capitale.

Malheureusement, le débat entourant Insite et tous les autres sites de consommation supervisée proposés est devenu extrêmement lourd et, dans bien des cas, les gens en ont fait une affaire personnelle. J'ai été le témoin et la cible des réactions de ceux qui n'apprécient guère le fait que je défende le point de vue de nos membres qui s'opposent à ces sites.

Bien que je m'efforce de considérer la question en fonction de leur point de vue, j'aimerais aujourd'hui qu'ils l'envisagent du mien. J'ai arpenté les rues du Downtown Eastside, j'ai parlé régulièrement aux agents à qui l'on confie la difficile et périlleuse tâche de surveiller le quartier, et je peux affirmer sans me tromper que les études qui louent les mérites de la consommation supervisée sur le plan de la santé sous-estiment les coûts que cette pratique occasionne en matière de sécurité publique.

Selon nous, le projet de loi C-2 est une réponse raisonnable à la décision de la Cour suprême du Canada permettant à Insite de poursuivre ses opérations. Les mesures législatives mises de l'avant ne ferment pas la porte à l'ouverture de nouveaux sites de consommation supervisée, mais il fixe les conditions rigoureuses appropriées qui devront être respectées pour l'ouverture de nouveaux sites. Il exige des promoteurs qu'ils sollicitent le point de vue d'un certain nombre d'intervenants, dont les forces de l'ordre, et notre association voit d'un bon œil la démarche adoptée par le gouvernement à cet égard.

En terminant, j'aimerais proposer un amendement au projet de loi. Le paragraphe 56.1(3) fixe les conditions de consultation qui doivent être respectées pour que le ministre puisse autoriser l'ouverture d'un nouveau centre de consommation supervisée. L'alinéa e) indique qu'une lettre pourra être obtenue du chef du corps policier chargé de la prestation de services de police dans la municipalité où le site serait établi.

Bien qu'il s'agisse d'un pas dans la bonne direction, j'estime que le projet de loi devrait aller plus loin.

Le président : Monsieur Stamatakis, je vais devoir vous arrêter là. Cela est en train de devenir une routine pour nous, j'en conviens et j'espère que vous en convenez aussi. Comme nous avons votre exposé par écrit, nous allons passer à notre prochaine présentatrice, madame Gagnon.

Marilou Gagnon, experte-conseil aux politiques, à la recherche et au militantisme, Association canadienne des infirmières et infirmiers en VIH-SIDA (ACIIS) : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de nous donner l'occasion de nous prononcer sur le projet de loi C-2. Notre organisation représente les infirmières et infirmiers de partout au Canada qui œuvrent auprès de personnes vivant avec le VIH ou à risque de le contracter. Plusieurs de ces infirmières et infirmiers possèdent une expérience directe comme employés au centre d'injection supervisée Insite et travaillent en milieu communautaire, clinique et hospitalier auprès de personnes qui consomment des drogues.

Il est clairement démontré que les soins prodigués dans les centres d'injection supervisée s'inscrivent dans le champ de pratique des infirmières et infirmiers. Dans ces établissements, le personnel infirmier travaille directement avec les clients : il crée des liens basés sur la confiance, évalue leurs connaissances et leur compréhension des méfaits potentiels associés à la consommation de drogues injectables, les éduque sur la réduction des méfaits, assure un accès à du matériel propre, prévient les pratiques d'injection à risque, surveille les signes de surdose ou d'anaphylaxie et intervient en cas d'urgence.

Il leur offre également des soins de première ligne, dont le traitement des plaies, ainsi que des services de vaccination, de dépistage du VIH et des infections transmissibles sexuellement et de counseling. Après évaluation, le personnel infirmier aiguille les toxicomanes vers des services de lutte à la toxicomanie et facilite la liaison avec des services difficiles d'accès pour cette clientèle, notamment le logement et l'aide alimentaire.

Les centres d'injection supervisée sont un point de contact entre les prestataires de soins de santé et les toxicomanes. Ces centres ne sont pas de « simples lieux où s'injecter des drogues illégales », et les définir comme tels dénote une conception étroite du travail qui s'y fait. Plus particulièrement, cette conception a donné lieu à un projet de loi qui a bien peu à voir avec la santé, mais plus à voir avec la sécurité publique — ce qui pourrait expliquer pourquoi il a été étudié par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes plutôt que par le Comité permanent de la santé.

Le projet de loi C-2 met davantage l'accent sur la perception des risques pour la santé publique que sur les bienfaits des centres d'injection supervisée, notamment pour la santé, lesquels sont pourtant démontrés empiriquement.

Or, cette approche va à l'encontre de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Insite et pourrait par conséquent priver des consommateurs de drogues de services de santé essentiels qui pourraient leur sauver la vie.

Si le projet de loi C-2 insiste sur la nécessité de consulter, rien ne montre que des consultations ont eu lieu dans le cadre de son processus d'élaboration. Et si le projet de loi C-2 insiste sur la nécessité d'écouter les gens, il fait fi de trois groupes importants : l'ensemble des chercheurs canadiens qui sont à l'origine des solides études sur les sites d'injection supervisée; les prestataires de soins de santé qui y travaillent; et les clients qui les fréquentent.

Dans sa forme actuelle, nous estimons que le projet de loi C-2 crée des obstacles inutiles à l'établissement de soins de santé essentiels qui pourraient sauver des vies en imposant un processus de demande excessif, en accordant un pouvoir discrétionnaire au ministre et en ne faisant aucune distinction entre l'opinion et les données probantes.

Le projet de loi C-2 nuit à la réduction des préjudices partout au pays en restreignant encore plus l'accès aux centres d'injection supervisée, ce qui aboutit à de nombreuses occasions manquées de réduire les méfaits attribuables à la consommation de drogues injectables et de faciliter l'accès aux services de santé pour les toxicomanes.

Le projet de loi C-2 ne reconnaît pas que les centres d'injection supervisée offrent un milieu de travail sûr pour le personnel infirmier. Les infirmières et les infirmiers doivent fournir des soins locaux, même si, pour cela, ils doivent se rendre dans la rue, les ruelles et les chambres d'hôtel. C'est ce qui se produira au Canada si nous n'avons pas de centres d'injection supervisée.

Le projet de loi C-2 soulève des questions d'ordre éthique chez le personnel infirmier, car il doit prodiguer des soins fondés sur des données empiriques, en toute sécurité, avec compassion et compétence, et conformément aux règles d'éthique. Les données provenant de plus de 90 centres d'injection supervisée du monde entier nous indiquent que ces centres fonctionnent.

Le personnel infirmier doit promouvoir le meilleur état de santé et de bien-être possible des patients, ce qui, pour nous, commence par les rencontrer là où ils se trouvent. Le personnel infirmier doit également préserver la dignité des patients, dont le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, ce qui veut dire que les toxicomanes doivent avoir accès à des centres d'injection supervisée. Le personnel infirmier doit promouvoir la justice en appuyant les politiques qui éliminent les obstacles aux soins de santé, qui sont plus équitables et qui visent à résoudre des problèmes sociaux plus vastes.

Le projet de loi C-2 ne nous aide pas à atteindre cet objectif.

C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions, en anglais et en français.

Rebecca Jesseman, directrice, Centre canadien de lutte contre les toxicomanies : Monsieur le président, chers membres du comité, bonjour. Je m'appelle Rebecca Jesseman et je suis directrice par intérim du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, le CCLT. Je suis ici au nom de notre première dirigeante intérimaire, Rita Notarandrea, qui est sincèrement désolée de ne pas pouvoir comparaître devant vous aujourd'hui.

Tout d'abord, j'aimerais remercier les membres du comité de nous avoir invités à discuter du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. À titre informatif, le CCLT a été créé par une loi du Parlement il y a 25 ans pour réunir le gouvernement, les organismes à but non lucratif et le secteur privé dans le but de trouver des solutions communes aux problèmes de toxicomanie. Nous avons le mandat législatif de fournir un leadership national pour réduire les méfaits de l'alcoolisme et d'autres drogues. La mise en valeur de conseils fondés sur des données probantes fait partie intégrante de ce mandat.

Compte tenu des contraintes de temps, mon exposé sera bref. Si vous désirez obtenir de plus amples renseignements sur les points que je vais aborder, vous pouvez consulter notre mémoire présenté le 27 octobre 2014 au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes qui porte sur le même sujet — j'en ai remis un exemplaire à la greffière du comité.

Tout d'abord, comme vous le savez, la toxicomanie constitue un problème de santé et de société complexe qui touche tous les Canadiens. Comme vous le savez peut-être également, seule une minorité de Canadiens consomment des drogues injectables.

Toutefois, la consommation de drogues injectables peut avoir des répercussions disproportionnées sur la santé et la sécurité des gens, ce qui est attribuable, par exemple, à l'augmentation des risques de transmission des virus à diffusion hématogène, de surdose et d'infection des tissus mous. Elle peut avoir un effet sur la façon dont les gens perçoivent la sécurité et le désordre public et, comme l'ont dit mes collègues, elle peut avoir des répercussions considérables sur les ressources consacrées à l'application de la loi et à la santé publique.

Selon les données recueillies, la création de centres d'injection supervisée en vue d'assurer la prestation d'une gamme complète de services peut réduire considérablement les méfaits de la consommation de drogues injectables. C'est dans ce contexte que devraient être envisagés les centres d'injection supervisée — comme faisant partie d'une gamme d'options qui vont de la prévention et de l'intervention précoce au rétablissement, en passant par le traitement.

Selon les données recueillies à l'échelle internationale, les centres d'injection supervisée permettent d'accroître l'accès aux soins de santé et au traitement de la toxicomanie, diminuent le nombre de décès par surdose, réduisent la transmission des infections virales transmissibles par le sang, dont le VIH, de même que les infections des tissus mous, et améliore l'ordre public.

Pour s'assurer qu'un centre d'injection supervisé atteint ces objectifs, il est essentiel qu'il soit établi où c'est le plus nécessaire et de manière à tenir compte des pratiques exemplaires.

Le CCLT appuie donc l'élaboration et la mise en œuvre d'un processus d'examen des demandes fondé sur des données probantes pour l'établissement et l'exploitation de centres d'injection supervisée.

Le CCLT reconnaît également que les initiatives de santé publique et de sécurité comme celle-ci, y compris les programmes d'échange de seringues, les cliniques de méthadone ou les maisons de transition, préoccupent souvent les habitants des quartiers concernés.

Le projet de loi C-2 contient une grande partie des ingrédients nécessaires pour établir les centres aux bons endroits conformément à la recherche et à l'expérience internationales et canadiennes. Toutefois, certains aspects gagneraient à être éclaircis sur le plan de l'interprétation, notamment les normes relatives aux données probantes qui sont proposées pour évaluer les renseignements demandés à l'article 56, les demandes d'exemption.

Le CCLT estime qu'il est nécessaire de clarifier les normes qui seront utilisées afin de déterminer si les objections exprimées par les intervenants constituent des motifs raisonnables pour refuser une demande, ainsi que les critères qui serviront à évaluer la pertinence des solutions proposées pour répondre aux préoccupations des intervenants. Le CCLT souligne l'importance d'examiner le problème complexe de la toxicomanie au moyen d'une approche de la santé publique reposant sur des preuves.

Pour conclure, je vous remercie de votre attention et je précise que le CCLT est prêt à apporter son aide et à fournir de plus amples renseignements à la demande des membres du comité.

C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins des commentaires d'experts qu'ils ont formulés aujourd'hui au sujet de ce projet de loi.

Il est extraordinaire que l'Association médicale canadienne et l'Association des infirmières et infirmiers du Canada adoptent une position aussi ferme.

Ma question est pour les représentants de l'Association médicale canadienne, le Dr Blackmer et peut-être aussi l'équipe juridique dirigée par Mme Nelson.

Docteur, j'ai écouté votre exposé et je suis ensuite retourné à vos observations. Je vous ai entendu dire que le projet de loi devrait être remplacé et je crois que vous avez ensuite ajouté qu'on ne peut tout simplement pas se contenter de l'amender.

Vous avez fait remarquer que l'objectif d'une mesure législative figure habituellement dans son préambule. Vous avez tout à fait raison.

Pouvez-vous expliquer plus en détail au comité pourquoi ce projet de loi ne peut pas être amendé et pourquoi il devrait être totalement supprimé et remplacé par un autre? Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

Dr Blackmer : Merci, sénateur Baker. Au sein de l'association, nous avons discuté de la possibilité de proposer des amendements et tenté de déterminer s'il y avait un moyen de proposer des modifications au projet de loi pour établir un équilibre entre les soins de santé et la sécurité publique. Nous avons jugé que le projet de loi dans sa forme actuelle était tout simplement trop inéquitable du point de vue du fournisseur de soins de santé. Nous n'avons pas réussi à formuler une série d'amendements qui permettrait selon nous de rétablir l'équilibre dans l'intérêt du fournisseur de soins de santé.

C'est la raison pour laquelle nous avons estimé que, à vrai dire, un nouveau projet de loi serait nécessaire. À part cela, nous n'avons pas trouvé de moyen d'atteindre les objectifs des médecins qui travaillent auprès de ces populations.

Le sénateur Baker : Madame Nelson, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet? Vous êtes la juriste de l'association médicale.

Jean Nelson, directrice, Services juridiques, Association médicale canadienne : Merci beaucoup, sénateur Baker. Je vais préciser les propos du Dr Blackmer. Hier soir, j'ai relu l'arrêt Insite. À mon avis, les paragraphes 152 et 153 sont les plus importants.

La Cour suprême s'appuie sur la prémisse voulant que des exemptions soient généralement accordées étant donné que les éléments de preuve et l'analyse de la cour montrent clairement que ces centres sauvent des vies. La cour ajoute ensuite que ce sont ces éléments que le ministre doit prendre en considération lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire.

Toutefois, lorsqu'on regarde l'article du projet de loi C-2 qui porte sur les principes, on constate qu'il ne contient pas cette prémisse fondamentale du paragraphe 152. Le principe fondamental voulant que ces centres assurent la sécurité et protègent des vies n'y figure pas.

Pour donner suite au point soulevé par le Dr Blackmer, on a besoin d'entrée de jeu de cette base solide, car, autrement, tout ce qui en découle ne repose pas sur ce principe très important qui figure dans la décision unanime de la Cour suprême.

Le sénateur Baker : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s'adresse à M. Stamatakis. C'est toujours un plaisir de vous voir. Je pense que nous nous voyons plus souvent depuis que je suis au Sénat que lorsque j'étais à l'Association canadienne des policiers.

Vous connaissez bien le site Insite de Vancouver, et vous nous en parliez souvent lorsque j'étais membre de l'Association canadienne des policiers. D'ailleurs, je crois que vous l'avez mentionné dans votre présentation; est-ce que le site Insite a entraîné une augmentation de la criminalité dans la ville de Vancouver? Est-ce qu'il a augmenté le nombre d'itinérants à Vancouver? Est-ce qu'il a attiré les consommateurs de drogue à Vancouver? Vous avez mentionné aussi que l'ouverture d'autres sites entraînerait des enjeux de sécurité publique. Il faudra établir des normes très élevées pour les nouveaux sites. J'aimerais donc connaître votre opinion sur les normes élevées que vous entrevoyez.

[Traduction]

M. Stamatakis : Pour répondre à votre dernière question, je pense que les normes devraient être élevées. Je crois qu'il est tout à fait approprié de tenir des consultations et de faire participer les forces de l'ordre, y compris le service de police local et les dirigeants des associations de policiers de la région concernée, car ils ont le droit de formuler des commentaires directs au sujet des répercussions. Selon moi, voilà le problème.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, on a complètement sous-estimé et banalisé la question de la sécurité dans ce dossier. En 2003, lorsque cette approche a été proposée, nous ne nous y sommes pas opposés. Nous étions très ouverts aux nouvelles façons de s'attaquer à ce qui constitue un problème chronique.

Il y a de plus en plus de sans-abri à Vancouver. Lorsqu'on marche dans le quartier Downtown Eastside, dans un rayon de cinq coins de rue du centre Insite — sans vouloir tout attribué au centre —, on constate, à mon avis, que la situation est pire aujourd'hui qu'elle ne l'était quand j'ai commencé mon travail de policier il y a 25 ans. Je ne crois pas que les affirmations concernant les gains réalisés sont exactes du point de vue de la sécurité publique. Nous devons réaffecter des ressources dans le quartier Downtown Eastside, et c'est ce que nous faisons depuis l'ouverture du centre. Nous continuons de déployer un nombre disproportionné de nos agents dans ce quartier en raison des crimes qui y sont commis, plus particulièrement des vols, des agressions et du trafic de drogue.

On y trouve tout un marché noir de biens volés, et il s'agit de biens vendus afin d'avoir l'argent nécessaire pour acheter de la drogue. Cela entraîne des coûts énormes en matière de sécurité publique. Il ne faut pas banaliser le problème; il faut le prendre en considération.

Je ne suis pas médecin, et je ne prétends pas l'être. Je n'ai pas d'expertise concernant cet aspect de la question. Ce qui me préoccupe, c'est l'aspect de la sécurité publique, qui a été banalisé tout au long de cette discussion et de ce débat. J'ai lu toute la documentation; j'ai examiné tous les projets de recherche; j'ai tenté de me renseigner afin de comprendre plus clairement les enjeux, et je pense que cet aspect pose certains problèmes.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous de vos exposés. Je crois que la seule chose dont nous n'avons pas parlé, car vous pratiquez des professions de soins, telles que la médecine et l'infirmerie, c'est le patient, celui qui a recours aux services offerts par le centre. Je ne peux pas m'imaginer l'incertitude qui les anime. Je viens de Vancouver; je travaille dans le quartier du centre Insite, et je le connais donc bien. Les gens qui ont recours aux services et ceux qui les aident ne savent pas à quoi s'en tenir.

Pouvez-vous expliquer à quoi doit ressembler leur situation alors qu'ils ne savent pas si ce centre demeurera ouvert?

Je ne sais pas si vous avez écouté les délibérations d'hier, mais on a parlé des surdoses. Si je ne m'abuse, j'ai cru comprendre que personne n'est mort d'une surdose sur les lieux, mais on s'inquiétait pour les patients lorsqu'ils n'étaient plus là, quelques heures plus tard. Y a-t-il eu des décès par surdose qui se sont produits plus tard, ailleurs qu'au centre Insite?

Dr Blackmer : C'est une excellente question. Au Canada, nous avons beaucoup de bons exemples de médecins et d'autres fournisseurs de soins de santé qui travaillent avec ces personnes, les patients les plus vulnérables de notre société qui ont vraiment besoin d'un accès à des soins de santé. Nous savons que la pierre angulaire du traitement de la toxicomanie est de prévenir en premier, de traiter en deuxième et de réduire les méfaits en troisième.

En éliminant certaines possibilités de réduire les méfaits, vous enlevez un pilier fondamental de l'intervention auprès de ces patients très vulnérables. Nous avons de bons exemples de réduction des méfaits qui est attribuable, par exemple, au soutien offert aux cliniques de traitement à la méthadone et aux programmes d'échange de seringues, à l'instar du soutien offert aux centres de consommation supervisée.

Pour les fournisseurs de soins de santé, cela revient à se faire attacher une main dans le dos. Pourtant, nous demandons aux médecins, aux infirmières et à d'autres intervenants de soigner ces personnes. Nous les félicitons. Nous les acclamons parfois comme des héros. Nous leur donnons l'Ordre du Canada. Nous voulons toutefois veiller à ce qu'ils aient tous les outils nécessaires à leur disposition et à ce que les types d'intervention auxquels ils peuvent avoir recours ne soient pas limités.

Vous avez tout à fait raison au sujet des surdoses. Ce genre de centres ne vise pas à les prévenir. Nous savons qu'il y en aura, peu importe si les drogues sont consommées dans un centre ou dans la rue. Ces centres visent à prévenir la mort, et je crois que nous pouvons tous convenir que c'est un objectif louable. Nous savons que cela fonctionne. Quand on regarde les chiffres provenant d'autres villes qui n'ont pas ce genre de centres, la proportion de décès par surdose est plutôt élevée, tandis qu'elle est pratiquement nulle au centre Insite. Nous savons donc que cela fonctionne à cet égard.

Mme Gagnon : J'aimerais que vous me précisiez ce que vous entendez par insécurité. Parlez-vous de l'insécurité avec laquelle les gens devront composer si le centre Insite ne reste pas ouvert?

La sénatrice Jaffer : Ils ne savent pas pendant combien de temps il demeurera ouvert.

Mme Gagnon : Du point de vue des infirmières, la question est de reconnaître la quantité de travail nécessaire pour tisser des liens avec ceux qui ont de la difficulté à faire confiance au système de santé en raison d'un nombre croissant d'expériences négatives, surtout dans les salles d'urgence, l'endroit où les toxicomanes reçoivent habituellement des soins.

J'ai travaillé cinq ans au centre-ville de Montréal, et je sais comment les expériences négatives s'accumulent au point où les gens préfèrent parfois mourir plutôt que de se rendre aux services d'urgence. Lorsqu'on doit composer avec des gens qui ont vécu tout au long de leur vie des expériences négatives auprès des fournisseurs de soins de santé, et qu'on a l'occasion en tant qu'infirmière de rétablir cette confiance pour finalement travailler pendant des mois ou des années avec quelqu'un qui envisage peut-être d'arrêter de consommer des drogues, il faut beaucoup de travail et de mise en confiance pour y arriver.

Les fournisseurs de soins de santé ressentent également de l'insécurité lorsqu'ils pensent à tout le travail et à toute l'énergie nécessaires pour rétablir cette confiance. De manière générale, cette confiance est nécessaire pour avoir le moindre succès lorsqu'on prodigue des soins de santé. On continue de se présenter très tard en souffrant de conditions complexes, y compris l'endocardite, la septicémie et les surdoses mortelles, et, collectivement, en tant que société, nous n'aurons pas réussi à fournir des soins essentiels à ce groupe de personnes.

Le sénateur Plett : Merci, chers témoins. Je tiens à faire écho aux paroles que mon collègue, le sénateur Baker, a prononcées pour appuyer nos associations médicales et le fait qu'elles manifestent beaucoup d'intérêt à l'égard de la mesure législative, étant donné, en particulier, que vous avez fait le serment de tenter de sauver des vies et d'assurer le bien-être des gens au lieu d'accentuer leurs toxicomanies. Par conséquent, je suis vraiment émerveillé moi aussi.

J'ai deux questions à poser à Dr Blackmer et une, à M. Stamatakis.

Docteur Blackmer, vous avez formulé des commentaires élogieux à propos d'Insite et des services qu'il rend. La consommation de drogues a-t-elle diminué à Vancouver? Je ne vous demande pas si le nombre de surdoses a augmenté ou diminué. Je veux savoir si la consommation de drogues a diminué à Vancouver grâce à Insite, et la raison pour laquelle Vancouver a le taux de VIH et d'hépatite C le plus élevé qui soit, malgré la présence d'Insite. J'aurais pensé que sa présence aurait contribué à réduire le taux de VIH, et non à l'augmenter. Et pourtant, le taux de VIH de Vancouver est le plus élevé de toutes les grandes villes canadiennes. Voilà les deux questions que je souhaitais poser, en plus d'une brève question destinée à M. Stamatakis.

Dr Blackmer : Merci, sénateur. À ce que je sache, la consommation de drogues n'a pas diminué depuis l'ouverture d'Insite, mais il est peut-être important de noter qu'à ma connaissance, elle n'a pas augmenté non plus.

En ce qui a trait à la question des maladies infectieuses, vous avez raison; les données ne révèlent pas une réduction du nombre de cas de VIH-sida ou d'hépatite C. Toutefois, je vous ferais observer que ces maladies sont extrêmement complexes. La consommation de drogues injectables contribue assurément à la prévalence de ces maladies, mais d'autres facteurs, liés à des situations sociales, des relations sexuelles non protégées et divers autres facteurs de risque, y contribuent également. Ces taux doivent certainement être mesurés. La population que vous étudiez et qui utilise les services d'Insite est relativement faible, mais ces taux doivent également faire l'objet d'une étude plus approfondie.

Le sénateur Plett : À mon avis, rien n'indique que Vancouver est une ville où les relations sexuelles non protégées et ces autres facteurs de risque sont plus répandus. Le seul aspect de Vancouver qui est unique, c'est son centre d'injection supervisée. Je pense que c'est, en fait, le seul aspect qui rend Vancouver unique en son genre.

Monsieur Stamatakis, selon l'expérience que vous avez acquise à Vancouver, le principal objectif des centres d'injection supervisée, comme Insite, est-il de dissuader les gens de consommer des drogues et d'aider ceux qui souffrent de toxicomanie à s'en sortir, ou leur priorité est-elle simplement de fournir à ces gens des seringues?

M. Stamatakis : Pour répondre à votre question, je dirais qu'on prête une attention disproportionnée à Insite — et cela fait partie de la crainte que j'éprouve depuis de nombreuses années. Le fait est que nous devrions accorder plus d'attention à la prévention, à l'éducation et au traitement. Le traitement devrait, bien entendu, être confié aux professionnels de la santé.

Je peux vous dire qu'à Vancouver, nous ne bénéficions pas d'un programme d'échange de seringues, mais plutôt d'un programme de distribution de seringues. La ville est jonchée de seringues en permanence, et cela représente un risque considérable pour la santé non seulement des membres que je représente, mais aussi de la collectivité en général, en particulier autour des écoles et des terrains de jeux où les enfants se réunissent. La plupart des toxicomanes, en particulier ceux qui sont les plus marginalisés, ne fréquentent pas Insite. Ils s'injectent encore de la drogue dans les ruelles et réutilisent des seringues. Ils continuent de se comporter d'une manière très risquée qui contribue à la détérioration de leur santé.

L'argument que je fais valoir, c'est que ce centre était censé adopter une approche globale pour lutter contre un problème très grave qui sévit dans la ville de Vancouver, et que, malheureusement, il semble avoir commencé à mettre surtout l'accent sur cette seule approche. Je crois que cela a été fait aux dépens de la sécurité publique de l'ensemble de la collectivité, ainsi qu'aux dépens des gens qui ont besoin des genres de services qui ont été décrits aujourd'hui. Ces gens ont vraiment besoin de ces services.

L'une des frustrations que mes membres éprouvent est liée au fait que, dans le cadre de son approche globale, le projet était censé assurer une liaison avec la police. Cela ne s'est jamais produit. Le point de vue des agents de police qui ont été déployés de nouveau dans cette collectivité a été ignoré en grande partie. Je pense que, dans l'ensemble, le centre n'a pas eu les effets bénéfiques auxquels les gens s'attendaient.

La sénatrice Batters : Merci, monsieur Stamatakis. Soyez de nouveau le bienvenu à la séance de notre comité. Je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Le point de vue des agents de première ligne de l'Association canadienne des policiers, qui, comme vous l'avez indiqué, sont au nombre de 60 000, est essentiel à notre examen de cette mesure législative.

En ce qui concerne ce projet de loi en particulier, vous avez acquis, grâce à vos 25 années de service à titre d'agent de police au sein du Service de police de Vancouver, une expérience cruciale de la gestion de cette question exactement à l'endroit où Insite exerce ses activités. Je me demande si vous pourriez nous dire si, selon vous, le projet de loi établit un équilibre approprié.

M. Stamatakis : C'est absolument le cas. Le projet de loi nous donne l'occasion de mener le genre de consultations qui, pour être franc, n'ont pas eu lieu à l'époque où Insite a été établi, et qui devraient se dérouler afin que, non seulement, nous prenions conscience des risques que court le groupe ciblé par Insite, mais aussi que nous examinions les risques que les activités d'Insite font peser sur tous les autres habitants du coin.

Par exemple, de nombreux retraités vivent dans le quartier Downtown Eastside. Il a fallu que nous organisions un projet à la suite de l'autre pour tenter de protéger ces gens dont les ressources étaient brutalement volées par les toxicomanes qui s'efforçaient de se procurer les drogues illégales qu'ils avaient besoin de consommer. En toute honnêteté, la plupart des toxicomanes ne consomment pas ces drogues illégales nocives au centre Insite; ils les consomment dans les ruelles.

J'ai interrogé les membres qui étaient déployés de nouveau dans ce secteur, car j'étais inquiet. Je pensais que quelque chose m'échappait peut-être, que les agents de police qui travaillaient, en fait, dans ce quartier observaient peut-être quelque chose de différent. Seulement 4 p. 100 d'entre eux ont déclaré qu'ils observaient des résultats positifs découlant de l'établissement d'Insite dans ce quartier. Seulement 6 p. 100 d'entre eux croyaient que le centre réduisait le nombre d'injections de drogues en public ou de seringues jetées par terre. Enfin, seulement 1 p. 100 d'entre eux affirmait que le centre avait amélioré la qualité de vie du quartier. La plupart des agents de police disaient qu'ils n'avaient remarqué aucune réduction du harcèlement, de la mendicité, de la vente de drogues dans les rues, du nombre de personnes qui urinent sur la voie publique, de la prostitution et des psychoses provoquées par la drogue.

Tous ces renseignements ont été en grande partie exclus des recherches menées, ou complètement minimisés. Par conséquent, on a une perception faussée de l'incidence du centre.

On devrait assurément confier aux professionnels de la santé la tâche d'établir l'éventail des soins prodigués. Cependant, il faut vraiment qu'ils tiennent compte de la sécurité du public et des répercussions que ces soins auront sur la qualité de vie de tous les habitants d'un quartier où un centre comme Insite pourrait être établi.

La sénatrice Batters : Je mentionne brièvement qu'à la fin de votre déclaration préliminaire de ce matin, vous avez parlé d'une légère modification qui pourrait être apportée au projet de loi C-2. Il va de soi que nous approchons de la fin de la session parlementaire et, compte tenu du solide soutien que votre organisation apporte au projet de loi C-2, je me demande si vous appuieriez le projet de loi, même si cette légère modification n'était pas effectuée en raison de l'échéance très brève et très cruciale que nous devons respecter.

M. Stamatakis : Oui. Nous appuyons le projet de loi. Nous appuyons ce qu'il propose, et cette légère modification n'était qu'une suggestion qui, selon nous, pourrait garantir des consultations encore plus complètes.

Le sénateur White : Je vous remercie tous de votre présence, mais je suis particulièrement reconnaissant à Tom Stamatakis. Je sais que vous comparaissez souvent devant nous par vidéoconférence. Je vais maintenant parler des questions médicales. Je n'ai pas d'expérience à titre de médecin ou de professionnel de la santé, mais je suppose qu'à bien des égards, j'en ai à titre de fournisseur de soins de santé communautaire.

Si vous me le permettez, Tom, j'aimerais parler du nombre de ressources qui, à votre avis, ont été réaffectées après l'établissement d'Insite. Vancouver compte environ 650 000 habitants, alors qu'Ottawa en compte à peu près un million. Si je réaffectais 100 agents de police dans un secteur d'Ottawa, j'observerais une diminution radicale des actes criminels. Pouvez-vous nous expliquer combien d'agents de police ont été réaffectés à la zone d'Insite et l'incidence que cette réaffectation a eue? Bon nombre de gens soutiennent que le nombre de crimes n'a pas augmenté. Je veux vous entendre nous expliquer les raisons pour lesquelles, selon vous, cela ne s'est pas produit.

M. Stamatakis : La criminalité n'a pas augmenté parce que nous avons réaffecté près de 80 agents de police à une zone de cinq pâtés de maisons du Downtown Eastside pour gérer tous les problèmes d'ordre public et les crimes menaçant la sécurité du public qui survenaient dans cette zone, une zone qui est devenue l'épicentre de la consommation de drogues, du trafic de stupéfiants et de tous les crimes liés à ces activités, et qu'il l'est toujours. J'ai mentionné plus tôt les importants problèmes que nous rencontrons dans le centre-ville en raison du marché de biens volés qui est directement lié à la consommation et au trafic de drogues du Downtown Eastside.

Même si la criminalité n'a pas augmenté dans ce quartier, on ne peut pas, selon moi, attribuer ce résultat à la création d'Insite. Il faut l'attribuer au fait que nous avons réaffecté des ressources. Cependant, nous avons également créé d'énormes problèmes dans d'autres parties de la ville, parce qu'il fallait que ces ressources viennent d'ailleurs. Les nouvelles ressources ne découlaient pas de fonds supplémentaires. Il a donc fallu réduire les effectifs d'autres parties de la ville. En fait, dans une partie de la ville, que nous appelons le district quatre, soit le sud-ouest de Vancouver, la criminalité est montée immédiatement en flèche, en particulier les crimes contre les biens. À mon avis, une autre conséquence de la création d'Insite a trait à l'effet que le centre a eu sur un autre quartier.

Le sénateur White : Nous employons l'expression « réduction des méfaits » régulièrement. J'appuie l'image du tabouret à trois pattes. La façon dont je l'appuie est une tout autre histoire, mais convenez-vous avec moi que les méfaits qu'on réduit doivent comprendre ceux qui toucheraient les membres de la collectivité locale, et non les seuls utilisateurs directs du centre?

M. Stamatakis : C'est exactement la raison pour laquelle je témoigne en ce moment et je parle de ce problème depuis de nombreuses années, un problème qui, selon moi, a été ignoré en grande partie. Je répète encore une fois qu'on accorde une attention disproportionnée à un problème très grave qui nécessite beaucoup d'attention, mais qui ne doit pas primer sur la sécurité de l'ensemble de la collectivité.

Le sénateur McInnis : Je vous remercie tous de votre présence.

Monsieur Stamatakis, l'une des difficultés que j'éprouve en ce moment — et nous avons entendu ce que vous aviez à dire à propos des crimes que ces zones attireront. Nous avons entendu ou, du moins, j'ai entendu des points de vue semblables exprimés par l'association des policiers de Toronto et l'association des policiers d'Ottawa. Les forces de l'ordre participeront à la discussion relative au caractère approprié d'un site. Donc, comment vous y prendrez-vous? Un site peut être correct avant d'avoir été choisi, mais vous et les autres dites que le site ne restera pas ainsi, qu'il attirera la criminalité. Alors, comment les forces de l'ordre peuvent-elles objectivement affirmer qu'un site donné est approprié?

M. Stamatakis : Je pense que l'approche que la plupart des organismes d'application de la loi seraient susceptibles d'adopter — et c'est certainement celle que j'adopterais — consisterait à discuter des autres mesures qui doivent accompagner l'établissement d'un centre d'injection supervisée dans un quartier. Quelles autres ressources seront requises pour gérer les problèmes de sécurité publique qui pourraient survenir et nuire à ce quartier? De quelles autres ressources le service de police aura-t-il besoin?

Par exemple, si, en ma qualité d'agent de police, je surveille le Downtown Eastside, et je croise un toxicomane qui, à mon avis, a besoin de soins immédiats, que dois-je faire? Quels sont les protocoles à suivre pour déterminer où je dois déposer cette personne? Comment nous assurons-nous qu'elle sera admise dans un centre de traitement ou un centre de désintoxication d'une sorte d'une autre, si c'est ce qu'elle recherche? L'argument que je fais valoir, c'est que nous devons envisager des solutions à long terme, ce que nous ne faisons pas en ce moment. Les interventions en cas de crise des policiers donnent de bons résultats. Le problème, c'est que nous déposons la personne à un endroit et, quelques heures plus tard, nous devons de nouveau nous occuper d'elle, parce qu'elle a consommé sa prochaine dose ou parce qu'elle a commis un acte criminel afin de se procurer les drogues nécessaires pour sa prochaine dose. La question de la consultation des forces de l'ordre est liée à la question des ressources et aux enjeux plus vastes de la sécurité publique dans ce quartier.

Le sénateur McIntyre : Merci, chers témoins, de vos exposés.

Docteur Blackmer, au cours de votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné que l'adoption du projet de loi C-2 dans sa forme actuelle pourrait empêcher Insite d'obtenir le renouvellement de l'exemption à l'article 56 du projet de loi.

Les représentants du ministère de la Justice prévoient qu'une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale, le processus s'appliquera à tous les demandeurs, y compris Insite. De plus, je crois comprendre que le renouvellement sera assujetti à deux critères supplémentaires : premièrement, l'existence de preuves relatives à toute variation des taux de criminalité à proximité du centre pendant la période où le centre exerce ses activités; et l'existence de preuves relatives aux répercussions des activités du centre sur les gens ou la santé publique pendant cette période.

En gardant cela à l'esprit, ne trouvez-vous pas qu'il est raisonnable qu'un établissement comme Insite réponde à ces critères?

Dr Blackmer : Je crois que ce sont là quelques-uns des critères qui doivent être examinés. Je remarque avec intérêt — et je m'en remets certainement à mes collègues de l'application de la loi et d'autres domaines qui comprennent beaucoup mieux que moi de tels enjeux — que le paragraphe 133 de la décision de la Cour suprême indique qu'Insite a sauvé des vies « sans avoir aucune incidence négative observable sur les objectifs du Canada en matière de sécurité », ce qui ne semble pas cadrer avec certaines des autres observations que nous avons entendues. Des conséquences comme des variations des taux de criminalité — et nous avons entendu certaines explications possibles à cet égard — seraient des facteurs à prendre en considération, tout comme des répercussions sur la santé publique dans les environs du centre et sur la santé des utilisateurs de ces centres.

Par conséquent, bien que je reconnaisse certainement que ces facteurs sont parmi ceux qui doivent être pris en considération, nous continuons d'être préoccupés par le fait que l'approche globale est déséquilibrée du point de vue de son incidence directe sur la santé des personnes qui utilisent ces centres.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup. Cette discussion est très intéressante. Je suis un nouveau membre du comité, mais je me demandais si vous aviez examiné ce que font les autres pays de l'UE, comme l'Angleterre, pour gérer l'héroïnomanie. Avez-vous trouvé dans d'autres pays d'autres exemples de centres comme Insite qui fonctionnent?

Dr Blackmer : Merci. Si vous n'y voyez pas d'objection, madame la sénatrice, je vais répondre brièvement à votre question, et je sais que ma collègue pourrait aussi avoir quelques observations à formuler à ce sujet. Certaines études menées à l'échelle internationale montrent que les installations de ce genre donnent d'excellents résultats. Nous mettons, à juste titre, surtout l'accent sur Insite en ce moment, mais, compte tenu de la prépondérance de la preuve, nous savons que ces centres fonctionnent; le soutien dont ils jouissent dans les collectivités est élevé, et il a tendance à augmenter avec le temps.

La sénatrice Eaton : Il s'agit de centres comme Insite. Vous ne parlez pas de toxicomanes qui peuvent se rendre dans une pharmacie, s'inscrire et obtenir ce dont ils ont besoin, n'est-ce pas?

Dr Blackmer : C'est ce dont je parle. Ce genre de programme existe aussi, particulièrement dans les pays scandinaves, mais ailleurs également. Ils sont habituellement très bien acceptés, et les personnes qui y participent ont tendance à réintégrer la société dans une très grande proportion, qu'on parle d'un retour au travail, d'un retour à la vie de famille ou de tout ce que la personne faisait avant sa dépendance. Il y a de bonnes preuves du succès de ce genre de programme.

Le président : Chers sénateurs, nous avons le temps d'accorder une deuxième série de questions brèves. Je vais commencer par le vice-président, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Très brièvement, je vais poser une question à M. Stamatakis, de même qu'au Dr Blackmer. Ma question à M. Stamatakis est la suivante : vous semblez avoir une opinion divergente de celle de votre chef de police sur le sujet. Je ne sais pas si j'interprète bien la situation, mais vous pouvez peut-être nous expliquer pourquoi cela semble être le cas.

Docteur Blackmer, vous avez affirmé que cela allait occasionner nombre de poursuites coûteuses, selon vous. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. Stamatakis : Oui, j'ai une opinion différente de celle de mon chef de police : de celui-ci, de celui qui l'a précédé et de l'autre encore avant, probablement.

Le sénateur Baker : Pourquoi?

M. Stamatakis : Simplement, c'est parce que je base mon opinion sur mes propres expériences et sur ce que j'entends de la bouche des membres que je représente. Malheureusement, le chef, selon ma lecture de la situation, est nommé par un conseil lui-même nommé par divers groupes (des groupes politiques, peut-être) qui sont probablement beaucoup influencés par différentes choses qui entrent en ligne de compte lorsqu'il est question d'enjeux aussi complexes que celui-ci.

J'ai les mains un peu moins liées.

Le sénateur Baker : Certainement.

Dr Blackmer : Merci, sénateur Baker. Je ne suis certainement pas un juriste ou un professeur de droit, mais si je relis l'arrêt de la Cour suprême, je vois qu'au paragraphe 148, les juges affirment chercher un moyen d'éviter des poursuites. Je pense qu'il y a de nombreux exemples récents où les décisions de la Cour suprême ont mené à différents types d'intervention qui ont causé des litiges.

À notre avis — et je répète que nous avons consulté des avocats —, la façon dont le projet de loi C-2 se présente en ce moment ne respecte pas l'esprit de la décision de la Cour suprême, et nous nous attendons vraiment à ce qu'il donne lieu à des poursuites s'il est adopté, d'après les conversations que nous avons eues avec différentes personnes touchées par cette question.

Nous nous inquiétons aussi de l'inégalité des ressources dont bénéficient les différentes parties. Nous ne parlons pas des gens ou des groupes qui ont accès à des ressources illimitées et qui se battent pour garder le centre Insite ouvert, mais des autres. Il y a là un déséquilibre qui nous inquiète.

Mme Nelson : À ce sujet, dans la décision Morgentaler, la Cour suprême a déclaré que les tribunaux avaient le pouvoir d'agir lorsque des procédures administratives privent des personnes de leur droit d'accès et les exposent à des sanctions pour cela en droit criminel. C'est ce qu'avait déterminé la Cour suprême en 1988 aussi.

La sénatrice Batters : À part M. Stamatakis, y a-t-il d'autres témoins de ce groupe qui vivent actuellement à Vancouver? Non? Très bien, merci.

La sénatrice Jaffer : Aux témoins qui prodiguent des soins de santé à la population, je comprends qu'Insite mène également les gens vers d'autres services dans une perspective à long terme : il aide les gens à se trouver un logement, à obtenir des services de désintoxication, de réhabilitation, et cetera. Pouvez-vous nous parler des services collatéraux qui viennent avec ce genre de centre?

Mme Gagnon : Nous avons beaucoup de données à ce sujet, qui montrent qu'environ 65 p. 100 des gens qui utilisent les services d'Insite ont besoin de soigner des blessures. Il y a beaucoup de blessures à soigner quand on s'occupe de consommateurs de drogue, en général, mais c'est un point de contact qu'on peut vraiment utiliser pour prévenir les infections graves liées à la consommation de drogue par injection et des complications comme le choc septique et l'endocardite, qui nécessitent une hospitalisation prolongée et des soins intensifs.

Nous savons assurément que c'est un aspect très fort.

Nous faisons également de la prévention. C'est un point de contact pour l'immunisation. On peut l'utiliser pour le dépistage de maladies transmissibles sexuellement, du VIH, de l'hépatite C; pour commencer des traitements et amener les gens vers les soins. Pour le VIH, en particulier (je peux en parler, puisque c'est vraiment ma spécialité), lorsque quelqu'un obtient un test positif, il faut vraiment travailler fort à ce moment-là pour que la personne reçoive des soins, surtout si elle fait partie d'un groupe marginalisé ou qu'elle a eu une mauvaise expérience avec les soins de santé en général, parce qu'il faut qu'elle reçoive des soins.

Il y a beaucoup d'activités qui entourent l'éducation et la réduction des méfaits, ainsi que l'accès aux ressources, mais aussi à des connaissances : par exemple, on enseigne aux gens comment préserver la fonction des veines à long terme, comment se faire des injections de manière sécuritaire pour préserver la fonction des veines, c'est très important pour les consommateurs de drogue. Ce n'est pas seulement pour qu'ils puissent continuer de se droguer — si une personne le souhaite, nous serons toujours là pour lui offrir des soins —, mais si un jour, ces personnes ont besoin de soins, il faudra avoir accès à leurs veines, donc c'est un élément important.

Le président : J'essaie de donner la parole à tous les sénateurs.

Le sénateur Plett : J'aimerais poser une seule question à tous les témoins ici présents et qu'ils me répondent à titre personnel plutôt qu'à titre de professionnels. Vous avez évidemment tous un domicile, où que vous viviez. Compte tenu du fait que Tom Stamatakis de l'Association canadienne des policiers et les autres organisations de policiers ont clairement indiqué que ce genre d'établissement engendre une hausse des comportements criminels dans les environs, et non une diminution...

Donc, à titre personnel, en tant que propriétaires, croyez-vous que les citoyens devraient vraiment avoir leur mot à dire dans la décision d'ouvrir ce genre de centre dans un quartier?

Mme Jesseman : J'aimerais prendre une autre tangente et dire que c'est l'occasion d'entamer un dialogue sur les raisons pour lesquelles il y a de la stigmatisation envers les toxicomanes et de sensibiliser les citoyens au fait que la dépendance est une maladie et non un mode de vie choisi, comme mon collègue médecin l'a souligné.

Le sénateur Plett : Bien sûr, ce n'était pas ma question, mais je vous remercie.

Mme Gagnon : J'habite à Hull, et de l'autre côté de la rivière, il y a beaucoup de personnes qui consomment des drogues par injection. Je tiens à souligner que peu importe qu'on ouvre ou non un centre de consommation supervisée, les gens vont continuer de s'injecter des drogues. Il ne s'agit pas de décider si l'ouverture d'un centre d'injection supervisée va avoir une incidence sur les toxicomanes. Il y a des gens qui sont en train de s'injecter de la drogue pendant que nous nous parlons.

Ces centres visent à sauver des vies et à offrir des services de santé essentiels, pas nécessairement à avoir une véritable incidence sur le nombre de personnes qui consomment des drogues injectables.

La consultation citoyenne est une chose, mais la population ne peut pas être consultée de la même manière au sujet de services de santé essentiels qui sauvent des vies qu'au sujet de l'offre de services par un fournisseur à la population générale ordinaire. Je pense qu'il doit y avoir un équilibre, pour reprendre l'argument du Dr Blackmer, et la science et l'expertise doivent ici peser plus lourd que l'opinion publique. Je pense que nous avons entendu M. Stamatakis nous expliquer que les opinions changent et que même au sein des corps policiers, il y a une grande divergence d'opinions.

Le sénateur Plett : Vous devriez faire de la politique.

Mme Gagnon : J'y songe, donc faites bien attention.

Dr Blackmer : Dans son arrêt, la Cour suprême a recommandé de tenir compte de cinq choses, dont l'opinion et l'appui du public. Je pense que nous reconnaissons tous que c'est un facteur important. Mais comme ma collègue l'a dit, ce ne devrait sûrement pas être l'ultime facteur décisionnel.

Mme Nelson : Je lis la décision de la Cour suprême de mes yeux d'avocate. Il est écrit au paragraphe 28 que l'Association des gens d'affaires chinois appuie Insite. Je relis l'arrêt de la Cour suprême. Il y a eu un procès de trois semaines, auquel beaucoup d'experts ont comparu, et c'est sur quoi je fonde mes conclusions et mes constats.

Le sénateur White : J'aimerais revenir à ce qu'a dit Mme Gagnon, si vous me permettez. Vous demandez quel genre d'accès ces personnes auraient aux établissements médicaux grâce à Insite. N'est-il pas vrai que les centres de santé communautaire offrent exactement les mêmes services lorsque ces personnes vont chercher des seringues, lorsqu'elles fréquentent les refuges pour itinérants, lorsqu'elles vont demander des repas? Elles reçoivent exactement les mêmes services que ceux que vous venez de décrire qui sont offerts à Insite.

Mme Gagnon : Je ne dirais pas qu'il s'agit exactement des mêmes services. L'essentiel des services fournis ici vise à permettre aux gens de s'injecter de la drogue tout en ayant accès à des professionnels de la santé.

Le sénateur White : Je parle des blessures, des coupures et des tests de dépistage. Ces personnes vont chercher des seringues dans les cliniques médicales. Elles y reçoivent de toute évidence les mêmes services qu'elles consomment sur les lieux ou non, n'est-ce pas?

Mme Gagnon : La différence, c'est le point de contact. Si les gens viennent s'injecter leur drogue au centre et qu'on commence à établir une relation de confiance avec eux, ils vont revenir pour obtenir des services qu'ils n'iraient peut- être pas chercher autrement, grâce à cette relation de confiance.

Le sénateur White : J'entends constamment le mot « drogue ». Nous ne parlons pas ici de médicaments, mais d'un poison. On ne parle pas de produits conçus et approuvés par une pharmacie. On parle de substances qui tuent les gens, et on va leur permettre de se les injecter dans les veines.

Mme Gagnon : J'aimerais répondre à cela que les gens s'injectent du fentanyl — et j'administrais du fentanyl presque que tous les jours dans ma carrière d'infirmière —, comme ils s'injectent de l'héroïne. Sur le plan chimique, ces substances ne sont pas très différentes de la morphine.

Le sénateur White : Ce n'est pas ce qu'elles s'injectent, toutefois. Ce n'est pas ce qu'elles achètent dans la rue.

Le président : J'aimerais remercier tous nos témoins de leur comparution d'aujourd'hui. Nous vous remercions infiniment de votre contribution à notre étude du projet de loi C-2.

Accueillons le deuxième panel d'aujourd'hui; j'aimerais vous présenter Donna May et Dean Wilson. Nous allons également entendre par vidéoconférence de London, en Ontario, M. Greg Thompson, président de la Urban League of London.

Je vous rappelle également que le temps prévu pour ce panel est d'une heure. Je mentionne aux témoins qu'ils ont chacun cinq minutes pour leur déclaration préliminaire, et nous allons essayer de nous y tenir. Nous allons commencer par Mme May, qui sera suivie de M. Wilson, pour finir avec M. Thompson.

Donna May, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs membres du comité. Je vous remercie d'entendre ma voix ici aujourd'hui; je suis heureuse qu'un comité sénatorial tienne compte de mes opinions et de celles de ma fille décédée, Jac.

Je pense que nous convenons tous que l'expérience vécue par la mère d'une toxicomane et le point de vue d'une toxicomane qui a tout perdu, même la vie, à cause de sa dépendance, est de la plus grande pertinence pour ces audiences.

Je vais commencer par admettre que jusqu'en janvier 2012, mon opinion sur les sites d'injection supervisés aurait ressemblé beaucoup à celle de notre premier ministre actuel et de notre ministre de la Santé. Mon éducation conservatrice m'avait permis d'adopter une opinion et une position qui reposaient, en toute honnêteté, sur absolument aucune éducation ni expérience valables. Si ce n'était d'un appel que j'ai reçu le 9 janvier 2012, je ne serais peut-être jamais sortie de mon aveuglement volontaire pour voir les choses comme elles l'étaient vraiment.

L'appel que j'ai reçu ce jour-là a marqué le début de mon propre cheminement pour comprendre la réalité de la dépendance et m'a forcée à prendre connaissance de données scientifiques irréfutables, de l'épidémiologie fondée sur les statistiques et de la pléthore d'études menées sur le sujet. Tout cela m'a amenée à revoir ma position et à me connecter sur mon cœur, malgré tout ce que ma tête m'avait toujours dit. J'ai alors pu voir la dépendance des yeux d'une toxicomane.

La personne à l'autre bout du fil, ce soir-là, m'a dit que ma fille, Jac, s'était présentée à l'urgence en proie à la maladie mangeuse de chair et qu'elle s'apprêtait à subir une chirurgie pour l'amputation des deux jambes, dans l'espoir que cela lui sauver la vie. On m'a dit alors que sa consommation problématique avait causé chez elle malnutrition et immunodépression grave et qu'on l'avait en fait sortie de la rue, où elle vivait depuis un bout de temps.

À mon arrivée à l'hôpital, j'ai appris que ma fille n'avait pas reçu de traitements à temps et qu'elle perdrait bientôt la vie. Les conditions insalubres qui l'entouraient quand elle s'injectait les additifs utilisés pour couper l'héroïne et les seringues qu'elle partageait avec d'autres quand elle vivait dans la rue étaient autant de facteurs déterminants qui causeraient sa mort. La personne à l'autre bout du fil a également mentionné que chacune de ces situations aurait pu être évitée si elle avait eu accès à un centre d'injection sécuritaire.

À l'âge de 55 ans, j'ai vécu le deuil de ma fille de 34 ans et j'ai dû accepter le fait que j'avais manqué ou rejeté chaque occasion de lui venir en aide, mais qu'il était trop tard désormais.

Comme vous pouvez l'imaginer, cette prise de conscience m'a paralysée. Le pire, toutefois, c'est que je n'avais absolument aucune idée de la façon d'améliorer les choses.

Ma fille, par contre, savait exactement ce qu'il fallait, et elle a eu le courage de me demander de monter aux barricades après sa mort et de parler en faveur de la dépendance et des toxicomanes, d'utiliser sa voix pour les aider. Elle m'a simplement demandé de prendre le temps de comprendre ce que c'était que de souffrir de la maladie qu'est la dépendance et d'en faire part aux autres.

Si j'abusais de votre indulgence, je vous poserais une seule question : si le tabagisme, la consommation d'alcool, de sucre, de sel ou même les pensées négatives ont tous le potentiel de nuire considérablement à la santé, comment se fait-il que nous n'ayons pas besoin de faire mille pirouettes pour prouver l'efficacité des traitements contre le tabagisme, l'alcoolisme, le diabète, les maladies du cœur, la haute pression, l'anxiété ou la maladie mentale? J'aimerais bien savoir ce que vous répondriez à cette question.

Pourquoi est-ce si difficile à voir la dépendance comme un problème médical parmi tant d'autres et qu'est-ce qui justifie qu'on impose des conditions si sévères pour pouvoir ouvrir un site d'injection sécuritaire? Malheureusement, je crois personnellement que la seule différence tient à notre attitude envers le nom de cette maladie.

La perte de ma fille m'a apporté une chose : je reconnais maintenant que je manquais de compassion envers les personnes dépendantes et la dépendance elle-même. Je ne connaissais rien de cette maladie, et cette ignorance ne faisait qu'alimenter ma peur. Mais j'ai bien peur de ne pas être la seule dans cette situation. Ce n'est que quand je me suis permis de remettre en question la façon dont j'avais construit ces fausses croyances et de réfléchir vraiment à leurs fondements que j'ai pu reconnaître à quel point je faisais fausse route.

Je vous demande maintenant de vous ouvrir l'esprit, de repenser à chacune des 27 conditions que le projet de loi C-2 prescrit pour l'examen d'une demande d'ouverture d'un site d'injection sécuritaire. Je vous demande de voir chacune de ces conditions des yeux de ma fille et des yeux de quiconque souffre de dépendance, puis dites-moi que j'ai tort de vous demander de corriger tout le mal qu'imposera le projet de loi C-2.

Dean Wilson, à titre personnel : Je vous remercie de me donner cette occasion. Je me rappelle d'un Canada qui militait pour la paix, pas la guerre; d'un Canada qui investissait dans les universités plutôt que dans les prisons; d'un Canada qui aidait les plus marginalisés à se relever et qui leur disait : « Vous comptez, parce que vous êtes Canadiens vous aussi et que nous ne laissons personne de côté. » Hélas, ce Canada disparaît lentement mais sûrement à coup de projets de loi comme le projet de loi C-2.

En gros, le projet de loi C-2 dit à nos plus démunis d'aller mourir dans le fond d'une ruelle. J'ai fait partie des demandeurs dans les trois procès intentés au sujet d'Insite, et les trois jugements rendus ont donné raison à la science. Insite produit exactement les résultats escomptés.

Contrairement à ce qu'affirme M. Stamatakis, le taux de criminalité a diminué autour du centre, et il y a un plus grand nombre de personnes qui suivent une cure de désintoxication et elles y restent plus longtemps. Je le sais. Je suis passé par là. J'ai souffert de dépendance à l'héroïne et à la cocaïne pendant presque 40 ans avant de mettre le pied au centre Insite et d'entreprendre mon long cheminement vers la sobriété.

Ce qui me dérange, c'est que les gens croient que les protocoles de traitement et de réduction des méfaits sont mutuellement exclusifs. C'est faux. Ils font tous deux partie du même continuum de la santé. Nous aimerions que tout le monde adhère au traitement standard, mais ce n'est pas le cas. Beaucoup de personnes vivent des expériences extrêmement négatives dans le système de santé, et ce sont ces personnes que nous ciblons chez Insite. Beaucoup de personnes résistantes aux traitements classiques s'épanouissent dans notre régime. Je sais que cela semble paradoxal, mais en leur permettant d'utiliser la salle de consommation, nous arrivons à tisser des liens qui permettent aux plus résistants d'adhérer à des protocoles plus classiques.

Je sais que le gouvernement ne croit qu'aux traitements classiques, mais c'est un autre mensonge sur toute la ligne. Le vérificateur général disait dans son dernier rapport sur la drogue que pour chaque dollar dépensé, 95 cents sont consacrés à l'application de la loi, ce qui ne laisse que 5 cents pour le reste, comme les traitements et ces publicités ridicules contre les drogues qui font rire mes enfants. Elles ne me font pas rire du tout, puisqu'il n'y a absolument rien de drôle à la dépendance.

Il est également ironique qu'il ait fallu le centre Insite pour ouvrir le premier nouveau centre de désintoxication et de traitement que je connaisse à Vancouver depuis 25 ans.

Nous avons également les tribunaux de notre côté. Les juges de la Cour suprême ont voté à neuf contre zéro en faveur d'Insite. Il y a parmi eux quatre des juges les plus conservateurs qui soient.

Je me demande bien pourquoi le gouvernement résiste autant à Insite. Est-ce seulement pour des raisons d'idéologie? Si c'est le cas, je vais tenir toutes les personnes concernées personnellement responsables de tous les décès attribuables à l'interruption des services d'Insite.

Nous sommes ouverts depuis plus de 10 ans, et la terre n'a pas arrêté de tourner. En fait, nous avons sauvé des centaines de personnes de la mort par overdose et avons évité des milliers d'infections au VIH et au VHC. Ce résultat seulement nous a permis d'économiser des millions de dollars, et le gouvernement s'enorgueillit de sa responsabilité financière, donc on pourrait s'attendre à ce qu'il appuie un projet qui lui permette d'économiser de l'argent.

Nous avons également la science de notre côté. Sur presque 100 articles examinés par les pairs sur Insite, un seul n'appuie pas le centre, et nous savons maintenant que c'est la GRC qui a payé pour cette recherche, donc je peux difficilement la juger crédible. Nous documentons tout ce qui se passe au centre, et les chiffres nous donnent constamment raison.

Parlons maintenant du projet de loi. Je suis son évolution depuis le tout début. J'étais présent aux premières rencontres organisées par Santé Canada, qui a passé des jours à se demander comment assurer la sécurité de la population tout en offrant ce genre de service. Nous avons interpellé la province de la Colombie-Britannique, la Ville de Vancouver et le Service de police de Vancouver, et nous en sommes arrivés à un consensus qui nous convenait tous. Nous sommes ensuite allés consulter les résidants de Vancouver, qui appuient cette initiative en grande majorité.

Avec le projet de loi C-2, on se retrouve avec trop de chefs dans la cuisine. Il donne voix au chapitre à des gens qui ne sont pas directement touchés par le problème des drogues. Il impose en outre un fardeau indu à ceux qui ont besoin de ces services. C'est justement contre cela que se sont prononcés les neuf juges de la Cour suprême. Je pose donc la question encore une fois : pourquoi le gouvernement au pouvoir s'en prend-il à ce centre si crucial dans la vie des gens?

J'aimerais ajouter en terminant que j'essaie de défendre ici les principes moraux les plus élevés qui soient. J'ai choisi de contribuer à sauver la vie des plus démunis au sein de notre société. En cherchant à voir s'il est déjà arrivé qu'un état pathologique soit criminalisé de la sorte, j'ai pu penser uniquement aux lépreux de l'époque biblique, et nous savons tous qui leur est venu en aide. J'irais même jusqu'à dire que si Jésus était des nôtres aujourd'hui, il appuierait toute initiative pouvant sauver des vies parmi les plus vulnérables.

J'ajouterais même une chose qui n'est pas dans ma déclaration écrite. Les crimes ne sont pas toujours le fait de toxicomanes. Je ne crois d'ailleurs pas que le sénateur Duffy soit toxicomane, mais il est possible que je me trompe.

Greg Thompson, président, Urban League of London : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, bonjour. Je vous prie de m'excuser de n'avoir pu me déplacer jusqu'à Ottawa. J'ai le privilège de prendre la parole devant vous aujourd'hui en ma capacité de président de l'Urban League of London, un organisme sans but lucratif qui chapeaute différentes associations communautaires de la ville. Sans personnel rémunéré, notre organisation est bien ancrée dans la collectivité. Nous misons en priorité sur les moyens à privilégier pour que notre ville puisse compter sur des quartiers sains et dynamiques. Je ne suis pas ici pour débattre des mérites des centres de consommation supervisée au bénéfice de la santé publique. Je n'ai pas d'expertise en la matière, pas plus que d'idées préconçues à ce sujet.

Ceux qui croient que les organisations communautaires comme la nôtre alimentent le syndrome « pas dans ma cour » et qui s'attendent à me voir avancer des arguments irréfléchis à l'encontre des centres d'injection supervisée risquent d'être déçus. Comme la plupart des gens que je connais, je suis tout à fait disposé à reconnaître, s'il existe des données probantes en ce sens, que ces centres sont bénéfiques pour la santé des consommateurs de drogue par voie intraveineuse et qu'il peut être dans l'intérêt public que de tels centres soient accessibles.

Quoi qu'il en soit, ma propre expérience du « Downtown Eastside » de London m'a notamment permis de constater que les fournisseurs de services sociaux ont généralement du mal à s'intégrer à la vie des quartiers et des districts commerciaux de manière à pouvoir défendre au mieux les intérêts de leurs clients et de la population avoisinante.

Beaucoup trop souvent, ces gens bien intentionnés souffrent de ce que j'appelle le « syndrome du traitement ». Ils croient en effet qu'ils n'ont qu'à se préoccuper de voir à ce que leurs clients reçoivent les services qu'ils offrent et que toutes les conséquences pouvant découler de ces services une fois que le client a quitté leur bureau deviennent le problème de quelqu'un d'autre et ne relèvent pas de leur responsabilité. C'est l'une des raisons pour lesquelles santé communautaire n'est pas toujours synonyme de communautés en santé.

Ma ville a été l'une des premières à appliquer des restrictions de zonage aux cliniques de traitement à la méthadone dans le but d'en atténuer les impacts néfastes du point de vue socioéconomique. J'ai discuté avec des centaines d'intervenants communautaires d'un peu partout au pays qui s'efforcent ainsi de trouver le juste équilibre entre les besoins légitimes des plus vulnérables qui doivent avoir accès à de tels services et les préoccupations tout aussi légitimes des résidants locaux qui souhaitent exploiter une entreprise ou circuler librement dans leur quartier sans être exposés à des taux anormalement élevés de comportements asociaux et d'activités criminelles.

Il ne faut pas oublier que les centres d'injection supervisée doivent non seulement se situer à l'emplacement idéal au sein du continuum de services visant à réduire les méfaits des drogues, mais aussi s'installer dans un édifice ayant pignon sur rue plus souvent qu'autrement dans les districts commerciaux des centres-villes.

Il faut noter que le projet de loi dans sa forme actuelle exige du demandeur qu'il consulte la collectivité visée quant aux impacts des activités prévues au centre et qu'il fasse état dans sa demande d'exemption des préoccupations pertinentes qui ont été soulevées et des mesures d'atténuation qui pourraient être prises. Nous ne saurions trop insister sur le fait que cela est loin d'être suffisant.

Les représentants du quartier visé doivent pouvoir participer avec le demandeur au processus d'évaluation des impacts locaux et de détermination des mesures d'atténuation que l'on retrouvera dans le dossier de la demande. Si la demande d'exemption est étudiée avant qu'un emplacement ait été choisi au sein de la municipalité, l'approbation du ministre devrait être conditionnelle à la réception de cette évaluation des impacts sur la collectivité une fois le site sélectionné.

Il peut être difficile et complexe d'en arriver à une collaboration véritable entre deux groupes dont les intérêts sont divergents, mais les résultats sont meilleurs dans presque tous les cas. En rendant obligatoire une collaboration constructive entre les demandeurs et les quartiers touchés, on paverait la voie à une meilleure compréhension des perspectives de chacun grâce à des échanges véritables entre les parties, notamment aux fins de la reddition de comptes. On se retrouverait aussi sur un terrain vraiment propice à la créativité et à l'innovation quant à la façon d'offrir les services dans le respect tant des résidants locaux que de celui qui les fournit et, plus important encore, des clients qui en bénéficient. Si vous donnez aux gens l'occasion d'agir correctement, ils vont bien souvent vous surprendre.

Merci d'avoir permis à notre organisation de participer à vos délibérations.

Le sénateur Baker : Merci à nos trois témoins.

Monsieur Wilson, vous avez indiqué dans votre exposé que vous avez été héroïnomane et cocaïnomane pendant près de 40 ans.

M. Wilson : Oui, sénateur. En fait, plus de 40 ans.

Le sénateur Baker : Plus de 40 ans.

M. Wilson : J'ai 59 ans.

Le sénateur Baker : J'ai visité le centre Insite. Pouvez-vous expliquer aux sénateurs ainsi qu'à ceux qui nous regardent comment ce centre a pu vous aider à surmonter votre problème de toxicomanie?

M. Wilson : Les gens ne se rendent pas compte que le centre Insite est installé dans un édifice de trois étages et que la salle réservée à la consommation n'occupe qu'une petite partie du rez-de-chaussée. Le deuxième étage est entièrement occupé par un centre de désintoxication comptant 24 lits. Au troisième, on retrouve des installations de transition dans l'attente d'un traitement. Lorsque vous terminez la désintoxication et devez attendre quatre mois pour obtenir des traitements, vous pouvez séjourner à cet endroit, ce qui vous évite d'avoir à retourner à votre point de départ et d'ainsi perdre cette dizaine de journées de désintoxication avant d'arriver au centre de traitement.

Comme je me rendais au centre pour les injections — car j'étais à l'époque pour ainsi dire sans-abri quand je ne bénéficiais pas de l'hospitalité temporaire de l'un ou de l'autre —, les responsables savaient que je voulais m'en sortir. Personne ne veut être toxicomane, surtout pas dans le Downtown Eastside.

Ils me répétaient sans cesse : « Dean, tu n'as qu'un étage à monter. » Je leur répondais : « Ouais. J'ai déjà essayé la désintoxication. Cela ne fonctionne pas avec moi. » J'avais amorcé 25 programmes de désintoxication et je n'avais jamais persisté plus de 19 heures.

J'ai essayé à trois reprises au centre Insite. La troisième fois, c'était il y a six ans. Je suis parti de là et je me présente ici aujourd'hui aussi à jeun que vous pouvez l'être.

Le sénateur Baker : Avez-vous déjà été reconnu coupable de possession de l'une ou l'autre...

M. Wilson : Oui, sénateur.

Le sénateur Baker : Ce sont des drogues figurant à l'annexe 1 et le trafic de petites quantités. Il s'agit d'infractions très graves pouvant entraîner l'incarcération à perpétuité et vous avez pu utiliser le centre d'injection supervisée.

M. Wilson : Oui.

Le sénateur Baker : Est-ce que vous vous injectiez la cocaïne et l'héroïne ou est-ce que vous l'inhaliez?

M. Wilson : Je n'aurais pas voulu en perdre dans mon nez. Je me l'injectais directement dans le bras.

Le sénateur Baker : Vous avez donc fait ce cheminement en vous rendant au centre pour passer ensuite à l'étape suivante.

M. Wilson : Eh bien, ce qui se produit lorsqu'on quitte le centre... Pour répondre à votre question de tout à l'heure, nous ne voulons pas que quiconque parte pour aller mourir ailleurs. Nous avons ce qu'on pourrait appeler une « salle de relaxation ». Les clients vont s'y asseoir pendant une quinzaine de minutes, et nous les observons. C'est à ce moment-là qu'un employé du centre vient leur parler, et c'est là que je me disais toujours que je détestais ce processus et que je regrettais de m'y retrouver. Ils n'ont pas cessé de me talonner, et c'est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis que ma mère faisait de même.

Le message a fini par passer. J'ai simplement dit : « Ça y est. Je veux monter à l'étage. » On m'y a accompagné sans tarder.

Le sénateur Baker : Est-ce que vous travaillez maintenant au centre?

M. Wilson : Je ne travaille pas au centre.

Le sénateur Baker : Toutes les condamnations, même en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, doivent être divulguées pour les personnes qui travaillent dans ces centres ou y apportent leur aide.

M. Wilson : C'est exact.

Le sénateur Baker : Que pensez-vous de cette disposition?

M. Wilson : À l'heure actuelle, il y a deux toxicomanes qui peuvent y travailler en tout temps — mais pas nécessairement —, et ce, seulement dans la salle de relaxation. Ils ne peuvent aller nulle part ailleurs dans l'édifice. On s'en sert pour détecter les risques d'overdose, car personne n'est mieux placé qu'un toxicomane pour en repérer un autre qui serait en danger.

Je crois que nous avons besoin de ces intervenants-là au centre. En effet, les gens de Santé Canada m'ont dit en 2002, lorsqu'ils m'ont fait venir à Ottawa pour parler des centres d'injection supervisée, que l'on n'y admettrait jamais qui que ce soit ayant un casier judiciaire ou étant un toxicomane actif, à l'extérieur de la salle réservée à la consommation. Je leur ai dit : « Alors, aussi bien ne pas les ouvrir, car cela ne fonctionnera pas sans l'aide de gens capables de comprendre les toxicomanes. » Je ne veux pas qu'ils soient dans la salle d'injection; ça ne sert à rien. Mais dans la salle de relaxation, ça fonctionne très bien. Les résultats ont été bons pour moi.

Nous obtenons des taux de rétention plus élevés et des durées de séjour plus longues que n'importe quel centre de désintoxication conventionnel dans le Lower Mainland.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos trois invités de leur présence. Ma question s'adresse à M. Thompson.

Monsieur Thompson, vous n'aviez pas l'intention d'aborder la question des sites d'injection supervisée. Toutefois, si l'on souhaite prodiguer des soins de santé en toute sécurité, fondés sur des données empiriques, et offerts avec compassion et compétence, il faut se rendre dans les hôpitaux et les cliniques.

À mon avis, il faut encourager les gens à se faire soigner. On doit sensibiliser la population aux pratiques d'injection sécuritaires et à celles qui comportent des risques importants. Il est important de faire la promotion de l'arrêt de la consommation de drogue et de mettre en place des programmes de désintoxication.

J'aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

M. Thompson : Merci pour la question. Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit, et je peux parler au nom des personnes que je connais.

L'organisation que je représente n'est pas contre le projet de loi C-2. Nous craignons simplement que les dispositions prévues ne soient pas suffisantes pour tenir vraiment compte des impacts de ces centres sur leur voisinage.

Il faut qu'il soit reconnu officiellement que ces cliniques, ces centres d'injection supervisée, se trouvent au cœur de véritables quartiers. Nous voulons que ces quartiers soient inclusifs pour tous. La seule façon d'y parvenir, c'est d'instaurer un climat de confiance entre les fournisseurs de services et les gens du voisinage.

C'est vraiment l'éclairage que je souhaite projeter ce matin sur vos délibérations. Il faut garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas de diaboliser qui que ce soit, et que la possibilité pour chacun de circuler librement dans son quartier est aussi un bienfait pour la santé publique.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous trois pour vos exposés. Ce n'est pas facile d'entendre ces choses-là, et nous vous sommes d'autant plus reconnaissants pour le temps que vous nous consacrez, car c'est une démarche qui est sans doute pénible pour vous également.

Ma première question s'adresse à Mme May. En vous écoutant, je ne pouvais m'empêcher de penser au phénomène de la stigmatisation. Il n'est pas rare que ceux parmi nous que la vie a davantage épargnés arrivent mal à comprendre les difficultés que doivent vivre d'autres personnes. La Cour suprême a établi très clairement qu'il s'agit d'une maladie. Malheureusement, nous sommes nombreux à ne pas voir les choses de la même manière. Vous avez fait tout ce cheminement. À votre avis, que devrions-nous faire pour mieux faire comprendre aux Canadiens qu'il s'agit d'une maladie et qu'il faut cesser de juger les gens qui en souffrent? Quels messages faut-il transmettre?

Mme May : Merci pour votre question, sénatrice Jaffer. Je travaille en ce sens depuis le décès de ma fille. La sensibilisation est vraiment primordiale. J'ai collaboré avec de nombreuses personnes et organisations pour la création d'un programme semblable à l'événement Cause pour la cause de Bell. Il s'agit de sensibiliser tous ceux qui ont eu la chance d'avoir la vie plus facile. Ils n'ont pas eu à composer avec tout ce que j'ai dû endurer.

Dans un premier temps, j'estime essentiel d'amener nos politiciens à reconnaître qu'il s'agit d'une maladie en prêtant une oreille attentive aux citoyens de leur collectivité. Pour être moi-même entrée en contact avec de nombreux députés fédéraux et provinciaux ainsi qu'avec mes conseillers municipaux, je peux vous dire qu'ils préfèrent qu'on ne leur parle pas de cette réalité qu'ils jugent épouvantable. Mais reste quand même qu'aucun parent n'est à l'abri. Et tout ne part pas nécessairement d'une drogue vendue dans la rue. Ce n'est pas ce qui a été à l'origine de la toxicomanie de ma fille. Tout a commencé avec une prescription d'Oxy à la suite d'une chute dans l'escalier du sous-sol. Elle souffrait d'un problème de santé mentale qui n'avait pas été diagnostiqué, et elle a découvert que le médicament apaisait les voix qu'elle entendait dans sa tête.

Pour répondre plus directement à votre question, je dirais toutefois que ce sont les gens comme moi — les mères, les pères, les proches — qui devraient se lever pour prendre la parole. Cela n'a rien d'agréable, je vous prie de me croire. J'ai été jugée et victime de discrimination en raison de la toxicomanie de ma fille. Je suis la mère d'une toxicomane. Ma fille est morte. Je vais lutter jusqu'à la fin de mes jours pour que la situation puisse changer.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Wilson, vous avez pu entendre le policier qui a témoigné avant vous. Il y a une question que je n'ai pas pu lui poser, faute de temps. Le centre Insite n'est qu'une des composantes de la stratégie de lutte contre les drogues à Vancouver, une grande ville aux prises avec de nombreux problèmes qu'il n'est pas toujours possible de régler.

Il a dit que l'on pouvait trouver des aiguilles un peu partout dans la ville. C'est bien sûr le cas, car le centre Insite ne dessert qu'une petite partie de la population au centre-ville. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Wilson : Ce que nous appelons le Downtown Eastside est une portion du centre-ville de Vancouver qui s'étend sur 10 pâtés de maisons. C'est un secteur qui est considéré comme difficile depuis l'époque où l'économie y était florissante avec la présence de mineurs et de travailleurs forestiers, sans compter tous ces hôtels que l'on y trouvait. Tous ces gens sont partis, et le secteur est maintenant considéré comme peu recommandable. Les travailleurs ont été remplacés par des bénéficiaires de l'aide sociale, car c'est le seul endroit où ils peuvent trouver à se loger avec les 375 $ par mois qu'ils reçoivent.

En raison de ces politiques qui ont été adoptées, on se retrouve tout à coup avec tous ces bénéficiaires de l'aide sociale et tous ces toxicomanes qui déménagent dans le même secteur du centre-ville, car c'est le seul endroit à Vancouver et dans tout le Lower Mainland où ils ont les moyens d'habiter. Il va de soi qu'avec l'eau qui nous entoure sur trois côtés et la ville qui commence à gagner du terrain en notre direction, nous devons lutter contre le phénomène de l'embourgeoisement. J'ai d'ailleurs participé au projet Woodward qui a produit de merveilleux résultats.

Comme vous l'avez dit, sénatrice Jaffer, Insite n'est qu'une petite pièce du puzzle. J'aimerais bien que l'on puisse compter sur un plus grand nombre de centres de traitement. À l'époque, j'ai dû attendre pendant des mois pour avoir accès à la désintoxication et aux traitements nécessaires.

Je voudrais bien que les traitements conventionnels puissent être efficaces pour tout le monde, mais ils ne fonctionnent pas pour certains, et ce sont justement ceux-là qui entraînent les coûts les plus élevés pour nos systèmes médical et judiciaire.

Comme je l'indiquais, cela peut sembler paradoxal, mais en leur accordant ce petit quelque chose, c'est comme si on avait pu enfin les rejoindre et leur parler. C'est ce qui est arrivé avec moi, et j'étais loin d'être un cas facile. Pendant 40 ans, j'ai été un toxicomane pur et dur. Si l'on parvient à changer un animal pareil, c'est qu'il y a quelque chose de bon dans le système.

Le sénateur Plett : Merci à nos témoins, et tout particulièrement à Mme May et à M. Wilson. Merci de bien vouloir partager votre expérience avec nous, madame May.

Félicitations à vous, monsieur Wilson, pour avoir vaincu cette terrible maladie.

J'ai une question pour vous, madame May, et je vais faire bien attention en vous la posant. Dans votre exposé, vous avez parlé notamment de tabagisme, d'alcoolisme, de diabète, de maladie cardiaque et d'hypertension artérielle, et des différents traitements offerts. Je fais partie des nombreuses personnes qui souffrent d'hypertension artérielle, et mon médecin s'efforce de régler le problème. Il n'essaie pas simplement de m'aider à survivre malgré tout; il veut faire baisser ma tension artérielle.

Pendant des années, notre collègue, la sénatrice Batters, est intervenue activement auprès de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Elle vient d'ailleurs tout juste de recevoir une prestigieuse récompense pour son travail.

Madame May, nous avons entendu de nombreux témoins nous parler du centre Insite et de l'excellent travail qu'on y effectue, mais il n'y a encore personne, à l'exception peut-être de M. Wilson aujourd'hui dans une certaine mesure, qui nous a indiqué que l'on s'efforçait d'aider les gens à se sevrer de ces drogues.

Ne convenez-vous pas avec moi, madame May, que même dans le cas d'Insite, un endroit où les gens peuvent se rendre sans être jugés pour obtenir une aiguille propre ou différents services, on devrait s'employer en premier lieu à aider les gens à s'affranchir de ces drogues qui créent une forte dépendance?

Mme May : Merci pour votre question. Pour vous répondre, je pourrais vous dire que l'on peut conduire un cheval à l'abreuvoir, mais non le forcer à boire.

Je ne compte plus les fois où j'ai réhypothéqué ma maison, demandé une marge de crédit et vidé mon compte d'épargne pour traîner ma fille jusqu'en désintoxication. Il est arrivé que je l'enferme dans sa chambre en croyant que c'était la meilleure solution pour elle. Nos lois ne me permettaient pas d'exiger qu'elle suive un traitement, et j'estime de toute manière qu'une personne qui n'est pas prête à le faire n'en bénéficiera pas autant qu'elle le devrait.

Je ne sais pas si ma fille aurait fini par accepter de suivre un traitement ou si elle aurait un jour réussi à se sevrer complètement. Il s'est produit dans son existence bien des choses, comme les traumatismes vécus à l'enfance, le décès de son père et mon déménagement à l'extérieur de la ville, qui ont alimenté son angoisse et sa maladie mentale.

Comme je l'indiquais précédemment, l'Oxy lui a permis de se sentir mieux et de pouvoir fonctionner au sein de la société. À un certain moment, son médecin a cessé de lui en prescrire. Elle s'en est alors procuré dans la rue et, lorsque cela est devenu impossible, elle s'est tournée vers le fentanyl. Lorsque le fentanyl est devenu inaccessible en raison de la mise en œuvre du programme de retour des timbres, elle s'est mise à consommer de l'héroïne. C'est une progression qui l'a amenée de plus en plus loin.

Si nous avions eu accès à des mesures appropriées pour le traitement des problèmes de santé mentale et si l'on avait diagnostiqué correctement sa maladie, je ne crois pas que je serais assise devant vous aujourd'hui, et je serais très satisfaite du projet de loi C-2.

Le sénateur Plett : Il va de soi que nous sommes tous conscients du fait que les médecins prescrivent des médicaments beaucoup trop facilement. Je suis certes de cet avis, mais c'est une autre question.

Vous avez indiqué que vous étiez littéralement prête à donner votre vie pour aider votre fille, et je suis persuadé que vous l'auriez fait.

Mme May : C'est ce que je fais actuellement.

Le sénateur Plett : Mais la question demeure entière même si nous devons agir au nom de l'amour — et M. Wilson a utilisé l'exemple de notre Dieu et Sauveur et de l'amour dont il a fait montre. N'êtes-vous pas d'accord pour dire que notre objectif premier doit demeurer l'affranchissement des toxicomanes? Si ce n'est pas possible dans certains cas, tant pis, mais c'est ce que devraient chercher à faire en priorité tous nos services de santé, et j'inclus Insite dans le lot.

Mme May : J'ai passé les six derniers mois aux côtés de ma fille à la regarder mourir. Aurais-je préféré qu'elle soit lucide? Il faut que je sois très honnête avec vous à cet égard. À ce moment-là, non, je n'aurais pas préféré cela. Elle avait des plaies béantes. La cryoglobulinémie et la polynucléose la faisaient souffrir terriblement; ce sont des maladies que les gens qui s'injectent des drogues connaissent. Les limites avaient été dépassées. À ce moment-là, non, je voulais qu'elle continue de consommer. Je ne voulais pas la voir souffrir, tant psychologiquement, en sachant qu'elle allait mourir, que physiquement.

À l'époque où il y avait une chance, peut-être deux ans auparavant, mon objectif était qu'elle soit en santé et qu'elle ne consomme plus, mais ce n'était pas son objectif à elle.

La sénatrice Fraser : Je remercie tous nos témoins. Vous dites tous les trois des choses importantes.

Madame May, il semble que vous aviez une fille remarquable, d'après ce que vous dites à son sujet et sur ses dernières volontés, et que sa mère l'est également.

Mme May : Elle était une grande source d'inspiration.

La sénatrice Fraser : Je crois comprendre que votre fille ne vivait pas à Vancouver?

Mme May : Ma fille vivait partout, en fait. Elle vivait surtout à Sault Ste. Marie lorsqu'elle consommait de la drogue.

La sénatrice Fraser : Elle n'était donc pas là-bas pour...

Mme May : Elle était allée à Vancouver.

La sénatrice Fraser : Elle n'avait pas accès à un centre d'injection supervisée.

Mme May : C'est exact.

La sénatrice Fraser : Elle ne vivait pas près d'Insite. Lui aviez-vous déjà parlé des centres d'injection supervisée?

Mme May : Excusez-moi, voulez-vous dire lorsqu'elle était mourante?

La sénatrice Fraser : Peu importe le moment.

Mme May : Oui.

La sénatrice Fraser : Pensait-elle que l'accessibilité à un centre comme Insite aurait pu faire une différence?

Mme May : Ce qu'elle m'a surtout dit, c'est à quel point elle sentait qu'on la déshumanisait et qu'il n'y avait pas de soutien constant. Une seule personne dans sa vie, qui était du domaine du travail social, a vraiment essayé de l'amener à un point où elle aurait pu obtenir le traitement, le logement et l'argent dont elle avait besoin. Toutefois, une personne qui est sous l'effet de drogues 90 p. 100 du temps ne suit pas de conseils.

La sénatrice Fraser : Je trouve intéressant que vous utilisiez le mot « déshumaniser ».

Mme May : Moi-même, sa famille et la société la déshumanisions.

La sénatrice Fraser : Hier soir, un témoin qui représentait Insite a dit qu'à son avis, l'un des éléments importants d'Insite, c'est que lorsque des toxicomanes s'y rendent, ils ne sont plus déshumanisés et ils ne sont plus considérés uniquement comme des toxicomanes. Sur la base de la grande connaissance que vous avez de ce monde maintenant, pensez-vous que c'est un élément important?

Mme May : Oui, absolument. Rien n'est plus important pour une personne qui souffre d'une dépendance que de pouvoir entrer quelque part et se sentir la bienvenue, de sentir que les gens comprennent ce qu'elle vit, peu importe si sa situation se dégrade ou s'améliore. Concernant toutes les choses que je ne comprenais pas et que je ne cherchais pas à comprendre sur ma fille, un centre comme celui-là aurait pu trouver ce qu'il faut.

Je n'ai que des éloges à faire au sujet d'Insite et des services qu'il fournit, et je ne suis pas arrivée à cette conclusion à la légère. J'ai dû m'informer. J'ai dû le voir moi-même. J'ai dû travailler avec des gens comme Dean, leur poser des questions, leur parler, comprendre en quoi le centre aurait joué, ou aurait pu jouer, un rôle déterminant pour les toxicomanes.

Je ne parle pas de non-consommation. Je parle d'assurer leur sécurité et de les laisser vivre une journée de plus en comprenant que ce sont des humains qui souffrent d'une maladie. Oui, mon objectif est toujours qu'ils ne consomment plus, mais qui d'entre nous ne prend ou ne fait rien? Nous avons tous quelque chose qui améliore notre humeur.

La sénatrice Fraser : On dit que les gens qui font du jogging le font en partie parce que cela les met dans un état euphorique. Pour ma part, je ne fais pas de jogging.

Mme May : Je fais énormément d'exercice.

Le sénateur White : Merci. Mes sincères condoléances.

Mme May : Merci.

Le sénateur White : J'ai une question à poser à Dean, si possible. Vous avez parlé de crimes qui ont été commis par des toxicomanes dans votre collectivité. J'ai entendu des chiffres : 48 crimes par toxicomane par jour et 20 crimes par jour dans le cas de certains toxicomanes.

Combien de crimes par jour vous et les gens avec lesquels vous étiez commettiez pour satisfaire votre dépendance? Le privilège parlementaire s'applique ici, et vous pouvez donc dire ce que vous voulez sans que ce soit retenu contre vous?

M. Wilson : Que ce privilège s'applique ou non, je dis toujours ce que je veux dire.

Je n'ai pas commis beaucoup de crimes, car j'ai toujours eu la capacité de faire des choses et que je suis assez intelligent. J'ai toujours pu faire de l'argent, mais pour bien des gens, ce n'est pas une option. Du côté des femmes, il n'y a qu'un choix : elles vendent leur corps. Pour ce qui est des hommes — je veux seulement dire que lorsque je parle de crimes contre les biens, le crime que j'ai commis, les auteurs de la plupart de ces crimes sont des toxicomanes. Il faut se rendre à l'évidence. Pour ce qui est des infractions majeures...

Le sénateur White : C'est autre chose.

M. Wilson : ..., ce ne sont pas les toxicomanes. Si une personne entre chez moi par effraction, je serai en beau maudit comme n'importe qui. Je ne crois pas que ce soit correct. Comme moi et mon ancien partenaire le disions toujours, si un individu vole une voiture et dit qu'il l'a fait pour obtenir de la drogue, il reste un voleur, évidemment. Or, le fait est que quelque chose le domine et qu'il n'est pas capable d'arrêter. Si nous ne faisons rien à cet égard, il continuera de voler des voitures.

Le sénateur White : Je comprends. Je vous remercie de votre honnêteté. Lorsque nous examinons la question, nous le faisons selon le paradigme que nous avons, soit que les gens commettent des crimes pour se faire de l'argent et acheter des drogues illégalement et les consommer dans un endroit fourni par les soins de santé. C'est ce dont nous parlons, mais il existe d'autres solutions.

Les Nations Unies ont dit de bonnes choses au sujet de la politique en matière de drogue de la Suède, par exemple, et la réduction des méfaits n'en constitue pas un élément principal; elle se fonde sur la prévention, le traitement et l'encadrement. On force les gens qui commettent des crimes à suivre un traitement, et selon les Nations Unies, le taux de réussite est meilleur que le nôtre.

M. Wilson : Soyons honnêtes au sujet de la Suède. Parmi tous les pays du monde libre, c'est en Suède que le taux de consommation de drogues est le plus faible. De plus, on y fournit un traitement sur demande. Si je veux recevoir un traitement, je n'ai pas accès à un service comparable ici, sénateur. Une personne qui veut suivre une cure de désintoxication devra attendre 35 ou 40 jours, et d'ici là, sa situation aura peut-être changé. Il faut attendre au moins trois ou quatre mois avant de pouvoir suivre un traitement.

Le sénateur White : Je comprends. À Ottawa, il faut attendre six mois. En fait, j'examinais la situation en Colombie- Britannique, et la période d'attente avant de subir un traitement varie entre six semaines et quatre mois.

Ainsi, plutôt que de donner un nouveau profil à des agents ou d'en embaucher une centaine, ce qui coûterait 15 millions de dollars — et plutôt que consacrer 3,5 millions de dollars exclusivement au centre d'injection supervisée —, pas pour le reste des installations, qui d'après ce que je comprends, fournissent de très bons services communautaires, n'êtes-vous pas d'avis qu'il vaudrait mieux se servir de ces 18 millions de dollars pour fournir immédiatement des traitements pour toxicomanie en établissement aux gens qui en ont le plus besoin?

M. Wilson : Oui. En toute honnêteté, je pense que nous avons besoin d'accroître le nombre de traitements normalisés donnés. Or, vous savez quoi? Tout comme chez les alcooliques, certains s'y opposeront. Allons-nous les laisser propager le VIH ou le VHC dans nos collectivités parce que nous disons « d'accord, ces gens ne sont pas comme les autres; ils refusent de suivre un traitement, et oublions-les »? Non. Nous devons les inclure dans le même paquet. S'il s'agit d'ouvrir un petit établissement comme celui qui est ouvert depuis 10 ans et que ce n'est pas la fin du monde, alors qu'il en soit ainsi.

Si nous dépensons 3 millions de dollars pour un petit groupe de gens qui coûtent probablement des millions de dollars à nos systèmes de santé et de justice, je pense que ce n'est pas cher payer.

Je ne dis pas que nous devons en ouvrir partout, n'importe comment. Je pense qu'il nous faut examiner la question soigneusement pour déterminer si c'est bon pour la collectivité. Un peu plus tôt, quelqu'un a mentionné que la réduction des méfaits signifie la réduction des méfaits dans la collectivité. J'en suis convaincu. De plus, nous devons tenir compte de tous les membres de la collectivité.

Or, Vancouver a constaté que nous avions besoin d'un moyen différent, car cela ne fonctionnait pas. Maintenant, 76 p. 100 des résidants de Vancouver appuient ce petit bâtiment.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés. Madame May, je vous offre mes condoléances. Je suis sûr que vous avez fait tout ce que vous pouviez pour aider votre fille.

Monsieur Wilson, je suis ravi de voir que vous avez quitté le premier étage d'Insite.

M. Wilson : Moi aussi, et les membres de ma famille également, pour tout vous dire.

Le sénateur McIntyre : On ne sait jamais. Peut-être qu'un jour vous prendrez le relais.

Monsieur Thompson, dans votre mémoire, vous parlez de l'idée de rendre obligatoire une collaboration constructive entre les demandeurs et les quartiers touchés. Comme vous le savez, le projet de loi propose trois types de consultation. Il y a d'abord les lettres des ministres provinciaux responsables de la santé, des agents de la santé publique et des responsables de l'application de la loi dans lesquelles ils expriment leur opinion. Il y a ensuite les consultations tenues avec l'autorité attributive de licences en matière d'activités professionnelles, les médecins, les infirmières et les intervenants communautaires. Enfin, il y a la période de consultation publique de 90 jours, durant laquelle un grand nombre d'intervenants, en particulier ceux qui travaillent et qui vivent dans ces collectivités, seraient consultés.

Croyez-vous que le processus présenté dans le projet de loi C-2 est adéquat?

M. Thompson : Sénateur, je vous remercie de la question. Non, je ne le crois pas, et London non plus. Je pense que bien des groupes locaux partout au pays sont du même avis aussi. Je vais vous expliquer la raison. Nous avons beaucoup d'occasions de consulter les collectivités dans la planification de projets municipaux, mais ce n'est pas toujours efficace. Alors, lorsque j'entends parler d'une période obligatoire de 90 jours pour la consultation des collectivités, je crois que c'est formidable, et le projet d'établissement d'un centre d'injection supervisée serait intéressant pour bien des collectivités de la municipalité, mais les coûts sociaux et économiques sont imposés à une seule collectivité, que j'appelle la collectivité touchée — le quartier environnant direct.

Il ne s'agit pas du tout de ne pas vouloir offrir les meilleurs services possible aux gens les plus vulnérables. Il s'agit de comprendre que tous les établissements de réduction des méfaits existent quelque part et dans un contexte local particulier. Je crois que cela fait en sorte que le demandeur doit essayer davantage de faire participer les gens de l'endroit aux discussions sur la façon dont nous évaluons et réduisons les répercussions. Il ne s'agit pas d'essayer de concevoir des stratégies de réduction des méfaits. Il s'agit de ce qui se passe à l'extérieur.

La sénatrice Batters : Madame May, mes sincères condoléances pour le décès de votre fille. J'espère que ce que vous faites ici et ce que vous continuerez de faire en sa mémoire vous aideront dans votre cheminement.

Monsieur Thompson, vous venez de parler d'un contexte local particulier, et le contexte de votre collectivité de London l'est vraiment. Vous êtes le président de la Urban League of London. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre expérience, concernant la question des centres d'injection supervisée à London?

M. Thompson : Je vous remercie de la question. Bien entendu, à London, nous n'avons pas d'expérience relativement à des centres d'injection supervisée, car nous n'avons que le réseau de lieux que l'on retrouve dans chaque grand centre urbain, comme les services de santé publique, les centres de santé communautaire, et cetera.

La sénatrice Batters : Je peux donc vous poser ma question. Je parle de ce qui s'est passé il y a quelques années. On a discuté d'un lieu qui a été proposé, et j'ai lu un article qui traite de la vive opposition que l'on prévoyait à cet égard. On cite beaucoup vos propos, et je me demande seulement si vous pouvez revenir un peu en arrière et nous dire ce que vous aviez constaté à l'époque, concernant la collectivité de London et de ce que l'on proposait.

M. Thompson : Oui, je crois que c'est mon conseiller municipal qui a fait la remarque à l'époque et qui a politisé une question qui, à mon avis, n'a pas vraiment besoin de l'être d'une façon aussi improductive.

Ce genre de discussions est toujours difficile, et personne, dans n'importe quelle municipalité et n'importe quel quartier, ne peut prédire la façon dont des voisins réagiront à de telles choses. Donc, à dire vrai, dans ce cas, il y a vive opposition parce que la question est sortie de nulle part. On a parlé de certains lieux. Il n'y avait aucun moyen pour les gens de vraiment comprendre les effets, mis à part ceux que nous connaissons concernant les cliniques de traitement à la méthadone et les pharmacies. C'est notre exemple de répercussions.

La question a été politisée et elle est devenue délicate pour tout le monde à London, sans même qu'il n'y ait de règles établies, sans que les gens sachent qui allait exploiter le centre, ce qui le caractériserait et sans qu'ils connaissent vraiment les données scientifiques sur lesquelles reposent les centres d'injection supervisée.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

La sénatrice Batters : J'ai ici l'article de Jonathan Sher, du London Free Press du lundi 14 octobre 2013. En voici un extrait :

Mais si des responsables de la santé publique persuadent leur conseil d'essayer de faire de London la deuxième ville du Canada à offrir un endroit sécuritaire où des héroïnomanes, par exemple, peuvent s'injecter de la drogue, ils trouveront Thompson sur leur chemin.

Selon l'article, vous auriez dit ceci : « [I]l y aura une vive opposition et je serai au cœur de cette tempête aux côtés de bon nombre de gens raisonnables. »

A-t-on déformé vos propos, ou c'est ce que vous aviez dit à ce moment-là?

M. Thompson : M. Sher a déformé mes propos. Nous avons eu cette discussion localement. À ce moment-là, compte tenu de ce que je savais et du fait que je suis responsable d'un quartier et que beaucoup de ses résidants pensent qu'il y a une certaine concentration d'organismes de services sociaux, j'aurais été au cœur de cela. Je ne l'aurais pas dit de cette façon et je crois que nous avons tous évolué depuis; je l'espère.

La sénatrice Batters : Un peu plus loin dans l'article — on ne vous cite pas de façon directe —, l'auteur indique ceci :

Thompson dit qu'il y a une différence entre le quartier de Vancouver Est, qui est devenu le foyer du centre d'injection, et les collectivités de London. Le premier était déjà tellement envahi par des toxicomanes qu'un centre d'injection ne pouvait aggraver sa situation [...]

Encore une fois, s'agissait-il d'une mauvaise interprétation de vos propos?

M. Thompson : Ils ont certainement été pris hors contexte. Il s'agit de discussions que j'ai eues avec M. Sher après la rédaction de l'article.

La sénatrice Batters : S'est-il rétracté ou a-t-il clarifié les choses?

M. Thompson : Je ne crois pas, mais selon moi, à ce moment-là, personne n'a pensé que cela aurait beaucoup d'importance. En tout cas, je ne l'ai certainement pas pensé. Je suis passé à autre chose.

Le sénateur Baker : Madame May, je pense que vous nous avez donné une excellente raison d'appuyer les centres d'injection supervisée. Vous avez exposé clairement les raisons pour lesquelles M. Wilson a tout à fait raison. Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je reviens au témoignage de M. Thompson. On sait que la consommation de drogue est un problème complexe. Il faut qu'il y ait une collaboration entre les professionnels de la santé et la sécurité publique, et la société en général, comme vous l'avez mentionné, doit y participer. Vous avez affirmé qu'un site d'injection, ou un endroit semblable, ne doit pas enlever aux gens du quartier la possibilité de circuler.

Seriez-vous d'accord pour dire que nous devrions établir des normes élevées pour l'exploitation de sites d'injection, comme le mentionnait M. Stamatakis, avant d'en ouvrir d'autres? On parle ici de normes très élevées, en fait.

[Traduction]

M. Thompson : Oui. Nous devons bien réfléchir à la façon de concevoir ce type de centres, s'ils sont implantés. Nous devons faire en sorte qu'ils interagissent avec la collectivité, car ces centres sont presque toujours situés au centre-ville ou dans les quartiers avoisinants, dans les quartiers d'affaires secondaires qui servent habituellement de centres aux quartiers fonctionnels.

Oui, c'est exactement le genre de question qu'il faut se poser. Comment peut-on atténuer les conséquences négatives potentielles? Nous devons y réfléchir. C'est pour cette raison que j'estime qu'une collaboration entre la collectivité locale et le fournisseur de service est très importante.

Le sénateur Plett : Monsieur Wilson, en réponse à la question du sénateur White, vous avez parlé du taux de criminalité. M. Stamatakis nous a dit clairement que 80 policiers ont été réaffectés à un secteur de cinq pâtés de maisons entourant le centre Insite. Je ne suis pas certain de vous avoir bien compris; je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit. Si je suis dans l'erreur, veuillez m'en excuser, mais je ne vois pas comment le centre Insite — même s'il peut probablement aider sur de nombreux plans — peut contribuer à la diminution du taux de criminalité, car les drogues doivent tout de même être achetées. Elles demeurent illégales. Insite ne donne pas de drogues. Il ne donne que les aiguilles. Les drogues doivent donc être achetées.

En quoi cela aide-t-il à réduire le nombre de crimes commis par les toxicomanes? Ils doivent encore trouver l'argent nécessaire, par exemple en se prostituant ou en commettant des vols.

M. Wilson : Je suis heureux que vous me posiez cette question, car je voulais justement dire quelque chose au sénateur White. Sachez que dans le cadre des trois budgets précédents, avant même qu'on parle de l'injection supervisée, le service de police demandait déjà que ces 80 policiers soient réaffectés à cet endroit de toute façon. Il devrait donc se réjouir de l'ouverture d'Insite, car jusqu'alors, la Commission de police avait rejeté sa demande. Ce n'est que lorsque le centre d'injection supervisée a ouvert ses portes que la commission a accepté la demande.

Le sénateur Plett : Veuillez répondre à la question. Comment les gens obtiennent-ils la drogue?

Le sénateur Baker : Il a répondu à la question.

Le sénateur Plett : Il n'a pas répondu à la question.

M. Wilson : Je vous explique quelque chose, sénateur. Cela m'amène à vous parler du second débat. Je suis aussi en faveur des essais de délivrance d'héroïne sur ordonnance. Je travaille aussi beaucoup pour cette cause et nous avons mis sur pied un programme efficace. Grâce à la combinaison de ces deux éléments, les toxicomanes n'auront plus à acheter leur drogue dans la rue. De plus, pour la première fois, quelqu'un s'est soucié des toxicomanes du Downtown Eastside. Ils ont commencé à s'occuper d'eux-mêmes. Je ne sais pas pourquoi et, encore une fois, c'est paradoxal, mais les données scientifiques ont prouvé que les gens ont diminué leur consommation.

Le sénateur Plett : Leur fournir des drogues ne les aidera pas à diminuer leur consommation. Mais je vous remercie de votre réponse.

Le président : Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier tous. Comme l'a dit la sénatrice Fraser tout à l'heure, vous avez été d'excellents témoins et vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus.

Mesdames et messieurs, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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