Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 32 - Témoignages du 27 mai 2015
OTTAWA, le mercredi 27 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projets de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données sur les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence, et le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, afin de procéder à l'étude des projets de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue, chers collègues, invités et membres du grand public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous nous réunissons aujourd'hui afin d'entreprendre notre étude du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données sur les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence. Ce projet de loi propose l'augmentation des peines minimales obligatoires et des peines maximales et modifie les dispositions concernant les peines consécutives et concurrentes pour certaines infractions sexuelles commises contre des enfants. Ce projet de loi établirait également une base de données accessible au public pour les agresseurs sexuels d'enfants posant un risque élevé, entre autres modifications des dispositions législatives en vigueur.
Je rappelle aux personnes qui nous regardent que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'elles sont accessibles en webdiffusion sur le site parl.gc.ca. Vous pouvez trouver plus de renseignements au sujet du calendrier des témoignages sur le même site, à la page « Comités du Sénat ».
Pour commencer notre étude du projet de loi, nous accueillons certains visages familiers. Veuillez accueillir l'honorable Peter MacKay, ministre de la Justice et procureur général du Canada, ainsi que l'honorable Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale ainsi que Nathalie Levman et Matthias Villetorte, avocats, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada, accompagnent le ministre MacKay. Les représentants suivants de Sécurité publique Canada accompagnent le ministre Blaney : Angela Connidis, directrice générale, Affaires correctionnelles, et Ari Slatkoff, chef d'équipe et avocat-conseil, Services juridiques. Nous accueillons également le sous-commissaire Peter Henschel du Service de la police spécialisée, et l'inspecteur Sergio Pasin, officier responsable des Sciences du comportement, Opérations techniques, de la GRC.
Avant de commencer, je voudrais rappeler aux sénateurs que les ministres sont avec nous pour la première heure et que les représentants resteront pour la deuxième heure.
Monsieur MacKay, nous allons commencer par votre déclaration préliminaire. Le ministre Blaney suivra.
[Français]
L'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, monsieur le président, et tous les honorables sénateurs. Je suis très heureux d'être ici avec mes collègues, le ministre Blaney et tous les témoins.
[Traduction]
Monsieur le président, je suis heureux d'être ici afin de discuter, comme vous l'avez mentionné, du projet de loi C-26, Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants. Cet important projet de loi propose un éventail de mesures qui tiendraient les agresseurs sexuels d'enfants responsables des graves crimes qu'ils commettent contre les plus vulnérables des nôtres — nos enfants — et qui aideraient à empêcher les agresseurs sexuels d'enfants de récidiver. Ce projet de loi modifiera à la fois le Code criminel et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. Il entraînera également la création d'une base de données sur les agresseurs sexuels d'enfants à risque élevé, et je vais laisser au ministre Blaney le soin d'aborder cet élément plus en détail, car ces modifications et la base de données sont sa responsabilité.
Hélas, laissez-moi commencer par énoncer une évidence : le nombre d'agressions sexuelles qui se produisent régulièrement au Canada est devenu déplorable. De fait, je suis sincèrement désolé de déclarer que les chiffres augmentent.
Le nombre de cas d'agressions sexuelles contre des enfants signalés à la police — cette catégorie de violence — fait partie des quelques domaines, en fait, où nous avons observé une augmentation en 2013-2014. Il s'agit d'un signal choquant et flagrant indiquant que nous devons tous agir. Plus précisément, en 2013, la police a déclaré que le nombre d'agressions sexuelles contre des enfants avait augmenté de 6 p. 100, alors qu'on avait observé une augmentation de 3 p. 100 en 2012 et en 2011. Ces statistiques proviennent du Centre canadien de la statistique juridique.
De plus, nous savons que des organisations comme le Centre de protection de l'enfance de Winnipeg et son groupe de travail sans but lucratif Cyberaide.ca travaillent en étroite collaboration avec les services de police de partout au pays. Lianna McDonald et les intervenants de cette formidable organisation ont remarqué que les images sexualisées d'enfants âgés de moins de neuf ans, dont la plupart illustrent des actes sexuels explicites, constituent la plus importante catégorie de pornographie infantile et celle qui s'accroît le plus rapidement. En plus de l'augmentation du nombre d'agressions sexuelles contre des enfants que nous observons, nous remarquons également des augmentations correspondantes de l'activité en ligne illustrant des enfants de façon sexualisée.
[Français]
Ce sont des statistiques préoccupantes. Ces chiffres démontrent l'importance de protéger les enfants contre les crimes à caractère sexuel. Pour y parvenir, il faut prévoir une législation robuste. Le projet de loi C-26 répond à cette obligation.
[Traduction]
Afin d'atteindre l'objectif pressant, monsieur le président, le projet de loi C-26 propose un certain nombre de mesures différentes, y compris des augmentations des peines minimales et maximales pour certaines infractions sexuelles commises contre des enfants. Plus particulièrement, toutes les infractions sexuelles hybrides contre des enfants entraîneraient des peines maximales de deux ans moins un jour par procédure sommaire et de 14 ans par mise en accusation.
En outre, le projet de loi C-26 propose des peines minimales obligatoires de 90 jours ou six mois pour les agressions sexuelles punissables par procédure sommaire et de six mois ou un an pour les infractions punissables par mise en accusation. De surcroît, les infractions les plus graves liées à la pornographie infantile — la fabrication et la distribution de pornographie infantile — visées aux paragraphes 163.1(2) et (3) deviendraient strictement punissables par voie de mise en accusation pour des peines minimales obligatoires de un an. Cette proposition permettrait de s'assurer que ces infractions sont toujours traitées très sérieusement. Les effets dévastateurs de la pornographie infantile sur la personne comme au niveau sociétal sont largement reconnus, y compris par la Cour suprême du Canada, dans sa décision R. c. L.M. de 2008. Il va sans dire que ce n'est pas un crime sans victime. Il a un effet sociétal et personnel très corrosif.
Nous savons, d'après la jurisprudence, que les augmentations des peines ont une incidence sur le processus décisionnel judiciaire en faisant comprendre la gravité d'actes criminels particuliers. Comme je l'ai mentionné plus tôt, je crois qu'il incombe au Parlement — l'autorité exécutive — d'envoyer ce message à l'ensemble du pays. De fait, les tribunaux ont pris acte du message puissant envoyé par les récentes réformes de la structure des peines pour les infractions sexuelles contre des enfants. Plus particulièrement, la Cour d'appel de l'Ontario a formulé un commentaire selon lequel les peines accrues indiquent la nécessité de dénoncer et de prévenir les crimes qui supposent la victimisation sexuelle d'enfants. Cette affaire renvoie à R. c. D.M., une décision rendue en 2012 par la Cour d'appel de l'Ontario.
Honnêtement, je suis tout à fait d'accord. Les infractions sexuelles commises contre des enfants méritent d'être dénoncées et d'être prévenues et méritent les efforts de prévention, qui sont en fait les principaux objectifs de détermination de la peine dont doivent tenir compte les juges dans ces affaires. Cela renvoie à l'article 718.01 du Code criminel. C'est ainsi que cela devrait être. Ces infractions causent incontestablement des préjudices irréparables aux enfants. Nous avons eu de nombreuses occasions, au cours des dernières années, de discuter avec des conseillers de la police et des travailleurs sociaux qui s'occupent directement des familles d'enfants ayant été victimes d'agressions sexuelles et de violence. Leur travail et leur témoignage — la preuve empirique — indiquent clairement que les conséquences à long terme sur les enfants sont extrêmement néfastes. Il y a également un lien avec ce que nous appelons un cycle de violence, où certaines victimes deviennent à leur tour des agresseurs.
Alors, monsieur le président, le projet de loi C-26 propose des peines accrues non seulement pour les infractions sexuelles contre les enfants, mais aussi pour les infractions qui constituent des cas de non-respect d'ordonnances de surveillance, c'est-à-dire des ordonnances de probation — article 161 : ordonnance d'interdiction — et des engagements de ne pas troubler l'ordre public. La peine maximale pour non-respect des dispositions des ordonnances de surveillance passerait de 6 à 18 mois, par procédure sommaire, et de deux à quatre ans, par mise en accusation. Les ordonnances de surveillance autorisent les juges à imposer des conditions aux agresseurs sexuels d'enfants soupçonnés d'avoir commis des infractions sexuelles contre des enfants afin de protéger les enfants. Ce dont il est question, c'est d'augmenter la gravité du non-respect des conditions qui sont justement là pour prévenir les agressions ultérieures, pour empêcher, si vous voulez, d'autres agressions de se produire. Lorsque ces conditions ne sont pas respectées — l'exemple classique serait de ne pas être en contact avec des enfants sans surveillance, donc ne pas se trouver dans une cour d'école ou un endroit où il y aura probablement des enfants —, ce qui est suggéré, le principe sous-jacent, c'est que nous traitions ces manquements très rigoureusement.
Quant aux conditions qui pourraient interdire les contacts sans surveillance avec des enfants, l'utilisation d'Internet est un autre exemple classique lorsque nous tentons de décourager certains comportements. Par conséquent, le bris d'une telle condition est un indicateur clair du risque pour les enfants et exige ainsi une sanction appropriée et sévère. Le fait de tenir responsables les personnes qui ne respectent pas les conditions des ordonnances visant à protéger les enfants reflète la nature grave de l'omission de respecter ces conditions, que le bris ait entraîné ou non la perpétration d'une nouvelle infraction. Je suis d'avis que cette conduite en soi est mal, et c'est précisément parce qu'elle a lieu dans un contexte qui rend les enfants à risque.
Il est essentiel de punir la conduite qui pourrait poser un plus grand risque pour les enfants si on veut les empêcher de subir des préjudices et les protéger contre ces préjudices.
[Français]
Pour des raisons similaires, le projet de loi C-26 permettrait de considérer comme une circonstance aggravante pour les déterminations de la peine le fait que l'infraction a été commise alors que le délinquant faisait l'objet d'une ordonnance de sursis ou qu'il bénéficiait d'une libération conditionnelle ou d'office.
[Traduction]
Monsieur le président, chers collègues, le projet de loi C-26 mettrait également fin à ce qu'on appelle parfois familièrement des peines bonbon pour les agresseurs sexuels d'enfants en exigeant que les tribunaux imposent des peines consécutives dans deux situations ou cas particuliers. Le premier est lorsque les délinquants sont condamnés en même temps pour une infraction liée à la pornographie infantile et pour une infraction portant sur un contact sexuel avec un enfant. La loi exigerait donc que les peines soient purgées de façon consécutive. Le deuxième cas est lorsque les délinquants sont condamnés en même temps pour une infraction portant sur un contact sexuel avec un enfant commise contre des victimes différentes. C'est très important : cela laisserait entendre pour toutes les victimes que le crime perpétré contre elles est délimité, qu'il est souligné, dans la peine imposée par le juge.
De nombreux agresseurs sexuels d'enfants commettent des infractions de façon répétée. Encore une fois, il s'agit d'une triste vérité. Cette tendance a été documentée à maintes et maintes reprises dans ces cas, que l'agression soit commise contre la même victime ou contre de multiples victimes. Souvent, ces infractions se soldent par des peines qui sont purgées en même temps. À mon avis, l'imposition de peines concurrentes dans les cas concernant de multiples incidents ou de multiples victimes envoie un message très fort. Les délinquants ne recevraient pas de peines bonbon dans ce genre de cas, mais la jurisprudence montre par ailleurs que, très souvent, c'est le cas. Il s'agit du principe de la totalité — que vous êtes nombreux à connaître, j'en suis sûr —, selon lequel la durée totale des peines imposées ne devrait pas être excessive par leur nature ou leur durée. C'est ce que prévoit actuellement l'alinéa 718.2c) du Code criminel, et il a été appliqué à ces types de cas pour entraîner une réduction de ce qui serait autrement, selon moi, des peines plus appropriées.
Le projet de loi C-26 mettrait fin à cette pratique et renforcerait ainsi les objectifs globaux de la dénonciation et de la prévention qui s'appliquent à ces cas abominables.
Les éléments du projet de loi C-26 liés à la réforme de la détermination de la peine ne s'arrêtent pas là. Ils proposent également la clarification et la codification des règles relatives à la détermination de la peine, de façon générale, afin de préciser davantage les choses et d'assurer le résultat de la détermination de la peine dans les cas concernant des agressions sexuelles commises contre des enfants.
Par exemple, si le tribunal condamne un délinquant pour de multiples infractions en même temps, les modifications proposées l'obligeraient à envisager d'imposer les peines pour des infractions découlant d'un ensemble d'événements ou de circonstances distincts de manière à ce qu'elles soient purgées de façon consécutive. Cette réforme proposée codifierait les règles relatives aux mêmes faits, selon lesquelles des peines concurrentes devraient être imposées et purgées simultanément si au moins deux condamnations découlent d'une même transaction ou d'un même acte criminel continu. À l'inverse, les peines consécutives sont imposées et purgées une après l'autre lorsque les infractions découlent de transactions criminelles distinctes.
Il s'agit d'une explication un peu alambiquée, mais ce que nous sommes en train de dire, en particulier, c'est que nous devons faire ressortir le préjudice causé à chacun des enfants qui a été agressé sexuellement, même dans des situations qui sont difficiles à imaginer, où plusieurs enfants se trouvent en même temps à l'endroit où a lieu l'agression.
Les réformes de la détermination de la peine proposées à cet égard dans le projet de loi C-26 servent à moderniser, à clarifier et à codifier les principes de détermination de la peine actuels et ainsi à faciliter leur application uniforme et cohérente par les tribunaux de partout au pays.
Je veux soulever un dernier point précis, monsieur le président et chers collègues : vous trouverez dans le projet de loi C-26 une proposition, une réforme qui a été incluse et qui permettrait de s'assurer que le témoignage du conjoint est accessible dans les cas de pornographie infantile. C'est que le témoignage du conjoint de l'accusé est très souvent requis pour prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable, par exemple, si la pornographie infantile a été trouvée sur un ordinateur partagé du domicile ou sur un ordinateur qui, au contraire, appartient à une autre personne. Vous saurez que d'autres lois, y compris la Charte des droits des victimes, qui a fait l'objet de vos délibérations, contiennent des dispositions semblables qui visaient à retirer ce qui est communément appelé l'immunité du conjoint qui empêche un conjoint de témoigner. Dans les cas d'agressions sexuelles graves et d'autres infractions violentes, je soutiens qu'il s'agit d'un volet archaïque de notre droit qui laisse entendre qu'un conjoint ne devrait pas témoigner. Il nous ramène à une époque où les épouses — les femmes — étaient considérées comme un bien. Alors, encore une fois, il s'agit d'une tentative de modernisation de nos lois, afin de suivre la cadence d'autres initiatives, dans ce projet de loi et ailleurs, qui ont pour but de protéger les enfants, d'abord et avant tout, et ce devrait être le point de départ.
Je suis très heureux que le projet de loi propose ces réformes d'une manière qui, je le pense, entraînera un changement complet, que ce soit à l'égard du témoignage des conjoints ou à l'égard d'autres types d'infractions violentes qui supposaient ce qui, essentiellement, consistait à empêcher le tribunal d'entendre un témoignage important.
Les efforts déployés par de nombreuses personnes dans ce domaine particulier de la justice pénale sont louables. J'ai mentionné le travail du centre de protection de l'enfance. Je me dois au moins de mentionner l'une des améliorations les plus novatrices que notre pays ait connues, selon moi, c'est-à-dire le travail effectué par les centres de protection de l'enfance, maintenant exploités à 21 endroits, et on a l'intention d'en établir plus, des endroits comme le centre de protection de l'enfance qui porte le nom de Sheldon Kennedy. Je sais que les membres du comité le connaissent bien, ainsi que son bon travail. Les endroits comme Boost, à Toronto, et Sea Star, dans la ville de Halifax, comptent parmi les efforts les plus novateurs et marqués par la compassion que nous ayons vus déployés afin d'atténuer le préjudice que j'ai mentionné plus tôt, que subissent les enfants agressés sexuellement. Cela fait donc partie de cet effort global déployé par notre gouvernement, par le Parlement en général, afin de régler ces situations très graves.
[Français]
Monsieur le président, le gouvernement reconnaît que des mesures législatives ne suffisent pas à elles seules pour régler des questions aussi complexes que celui de l'exploitation sexuelle des enfants. C'est pourquoi nous continuerons à soutenir les centres d'appui aux enfants qui aident les jeunes victimes et les témoins à surmonter les préjudices qu'ils ont subis. Ils offrent également un appui aux victimes au cours de la procédure pénale.
[Traduction]
Au total, le projet de loi C-26 fait partie intégrante des efforts que nous déployons continuellement pour appuyer la protection des enfants, et ses objectifs sont simples, mais cruciaux. Il est de notre devoir à tous de nous assurer que le cadre juridique nécessaire est en place pour protéger les enfants et qu'il continue d'atténuer les risques et les préjudices occasionnés par les personnes qui s'attaquent à nos citoyens les plus vulnérables.
Votre étude de ce projet de loi est grandement appréciée. Je vous remercie à l'avance de vos délibérations.
[Français]
L'honorable Steven Blaney, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Je veux joindre ma voix à celle du ministre MacKay pour vous remercier d'examiner ce projet de loi qui, selon moi, sera sûrement le dernier que j'aurai à vous présenter avant la fin de la présente session. Je voudrais également vous remercier de votre travail dans le cadre de la Charte canadienne des droits des victimes, qui a reçu la sanction royale au mois d'avril. Essentiellement, aujourd'hui, il s'agit d'un projet de loi dans le même ordre d'idées, celui de protéger nos familles et nos collectivités.
[Traduction]
Il faut des mesures plus sévères pour protéger nos enfants contre l'exploitation et la violence sexuelles. Pourquoi? Comme l'a déclaré le ministre MacKay, les taux de crime violent ont diminué au Canada en 2013, mais celui des actes de violence sexuelle contre des enfants a augmenté de 6 p. 100. La police a déclaré plus de 4 200 incidents d'agression sexuelle contre des enfants en 2013 seulement.
Il s'agit d'une grave préoccupation pour notre gouvernement et pour tous les Canadiens.
Afin de nous attaquer à ces problèmes troublants, le ministre MacKay et moi avons présenté la Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants.
[Français]
Le ministre a parlé des sanctions imposées aux personnes reconnues coupables, afin de responsabiliser les délinquants sexuels inscrits. J'aimerais vous parler des mesures qui s'adressent aux personnes reconnues coupables, notamment en ce qui concerne leurs déplacements, le suivi et le registre où elles seront répertoriées.
Je vais également aborder la question du partage d'information amélioré entre l'Agence des services frontaliers du Canada et la GRC.
[Traduction]
Nous avons proposé d'apporter d'importants changements à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, cette loi qui a donné lieu à la création d'une base de données sur les délinquants sexuels condamnés au Canada. La police utilise le Registre national des délinquants sexuels, que gère la GRC, afin d'aider à prévenir les crimes de nature sexuelle et de mener des enquêtes à cet égard.
Il convient de noter que les noms d'environ 37 000 délinquants sexuels sont indiqués dans cette base de données. Et ce qui est encore plus pertinent dans le cadre de notre discussion d'aujourd'hui réside dans le fait qu'environ 25 000 d'entre eux ont été condamnés pour une infraction sexuelle commise contre un enfant.
[Français]
Ces délinquants seront assujettis à des obligations en matière de déclaration. Présentement, tous les délinquants sexuels inscrits doivent déclarer une fois par année leur adresse, leur nom légal, leur lieu d'emploi et leurs activités bénévoles. Ils sont également tenus de déclarer des absences de sept jours ou plus dans le cadre de voyages au Canada ou à l'étranger. Or, dans le cas de déplacements internationaux, ils sont uniquement tenus de déclarer qu'ils seront à l'extérieur du pays pendant sept jours ou plus et d'indiquer les dates approximatives de voyage. Ils n'ont toutefois aucune exigence, à l'heure actuelle, de fournir des renseignements particuliers sur la destination de leur voyage ou sur les séjours de moins de sept jours.
[Traduction]
La situation est préoccupante, et un changement immédiat s'impose. Nous pouvons et nous devons tout faire pour protéger nos enfants de l'exploitation sexuelle, mais cette tâche s'étend également aux enfants du monde entier. Les modifications législatives que nous proposons dans la Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants contribueront à améliorer la responsabilisation des délinquants sexuels condamnés. En même temps, elles permettront aux autorités d'être mieux informées des déplacements de ces délinquants.
[Français]
Avec l'adoption de cette loi, nous allons nous assurer que cette connaissance ne prendra pas fin au moment où ces délinquants sexuels inscrits quittent le pays. En vertu de ce projet de loi, tous les délinquants sexuels inscrits seraient tenus de déclarer leurs dates de déplacement réelles et les adresses ou les endroits où ils résideraient dans le cas de voyages de plus de sept jours à l'étranger. En outre, les obligations en matière de déclaration pour ces délinquants sexuels, condamnés pour des infractions sexuelles commises sur des enfants, seraient encore plus sévères. Ils devront déclarer toute absence dans le cadre d'un voyage à l'étranger, peu importe sa durée, et indiquer les dates précises et les endroits du voyage.
[Traduction]
La loi propose également de combler l'écart actuel dans les échanges de renseignements entre les fonctionnaires du Registre national des délinquants sexuels — qui se trouve à la GRC — et ceux de l'Agence des services frontaliers du Canada. À l'heure actuelle, les fonctionnaires du Registre national des délinquants sexuels ne peuvent pas échanger de renseignements sur les délinquants avec ceux de l'ASFC, autre exemple de la main droite du gouvernement qui ne tient pas compte de ce que fait la main gauche.
La Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants permettra également de s'assurer que les responsables de l'ASFC pourront recueillir des renseignements sur les déplacements de certains délinquants sexuels enregistrés lorsqu'ils reviennent d'un voyage à l'étranger. Ces renseignements seront ensuite échangés avec les fonctionnaires du Registre national des délinquants sexuels; ainsi, nous éliminons les cloisonnements et permettons à la GRC et à l'ASFC d'échanger ces renseignements de nature délicate.
[Français]
Finalement, le projet de loi comprend les fameuses dispositions liées à la création d'une base de données nationale, accessible au public, sur les auteurs d'agressions sexuelles commises sur des enfants, à risque élevé. Cette base de données gérée par la GRC contiendra le nom des auteurs d'agressions sexuelles commises sur des enfants à risque élevé qui ont déjà fait l'objet d'un avis public au sein d'une administration provinciale ou territoriale. Il est important de le préciser, parce qu'il y a eu beaucoup de faussetés qui ont été véhiculées sur le projet de loi. La base de données sera constituée de renseignements qui ont déjà fait l'objet d'un avis public dans une administration provinciale ou territoriale, et visera les personnes reconnues coupables d'agressions sexuelles commises sur des enfants et jugées à risque élevé.
[Traduction]
En conclusion, je n'insisterai jamais assez sur l'importance de ce projet de loi pour ce qui est d'assurer la sécurité des Canadiens. Nous nous attendons à ce que les sénateurs appuient le projet de loi, à l'approche de la fin de la session. Nous avons assurément bon espoir qu'il permettra de mieux protéger les personnes les plus vulnérables de notre société.
[Français]
Le gouvernement croit depuis longtemps qu'il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger les enfants de l'exploitation sexuelle. C'est exactement ce que la Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants nous aidera à faire. Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie de vos déclarations complètes qui ont suscité beaucoup d'intérêt. La liste des sénateurs qui voudraient vous poser des questions est longue. Encore une fois, étant donné la période limitée pendant laquelle les ministres pourront être avec nous, j'encourage les sénateurs à être le plus concis possible. Je demande la même chose à nos témoins. Ce serait très apprécié.
Nous allons commencer par notre vice-président.
Le sénateur Baker : Je vais respecter ces directives et ne poser qu'une question. Mais avant : le ministre Blaney a mentionné que c'était peut-être la dernière fois qu'il comparaît devant le comité au sujet d'un projet de loi présenté au Parlement avant la prochaine élection générale. Je dois dire que, même si je ne suis pas toujours d'accord avec les projets de loi présentés par le gouvernement, ces deux ministres ont fait de l'excellent travail au nom du gouvernement du Canada dans leur portefeuille respectif, surtout le ministre MacKay, qui a peut-être présenté plus de projets de loi que tout autre ministre dans l'histoire du Canada. L'inconvénient, c'est que, si vous accédez un jour à la magistrature, il y a ce qu'on appelle la crainte raisonnable de partialité.
Ma question est simplement de nature générale, et elle concerne l'imposition d'une peine minimale obligatoire pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Je ne pense pas seulement à la contestation possible des peines minimales obligatoires pour ce genre d'infraction, car ce n'est pas nouveau. En fait, je me demande, monsieur le président... vous avez dit qu'il y avait ici une augmentation des peines minimales obligatoires. Je regarde les pages 1, 2 et 3, et je vois une punition obligatoire pour une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité : une peine de 90 jours. Ce n'est pas nouveau. En 2012, le comité a étudié un projet de loi qui faisait passer cette peine de 14 à 90 jours.
Je veux seulement que le ministre MacKay nous donne certaines clarifications à ce sujet et formule un commentaire général sur la peine minimale obligatoire. Pendant qu'il parlait, je pensais non seulement à la contestation constitutionnelle, mais aussi à l'alinéa 11f) de la Charte, selon lequel une personne a droit à un procès devant jury si la peine maximale prévue pour l'infraction dont elle est accusée est un emprisonnement de cinq ans ou plus, ou bien une peine plus grave; y a-t-il ou non un danger que, dans l'avenir, l'accusé ait droit à un procès devant jury dans le cas d'infractions punissables par procédure sommaire.
Alors, je vous pose tout simplement une question générale sur les peines minimales obligatoires pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité.
M. MacKay : Merci beaucoup, sénateur Baker. Comme toujours, vous arrivez aux séances du comité bien préparé. Vous connaissez très bien notre Code criminel, comme de nombreux domaines du droit, et je vous remercie de vos commentaires initiaux élogieux. Je renverrais tout simplement au comité notre gratitude à l'égard du bon travail qu'il fait, particulièrement sur ces questions de droit parfois très complexes.
Je vais m'attirer les foudres des membres du comité de la Chambre des communes pour avoir dit cela, mais je pense que vos délibérations reflètent une expérience exceptionnelle qui rend grand service aux Canadiens, alors je vous en remercie.
En ce qui concerne vos questions particulières, je commencerais tout simplement par souligner les quelque 64 articles du Code criminel qui portent sur des peines minimales obligatoires, certaines desquelles remontent aux origines du Code criminel. Ainsi, même si la notion en soi a fait l'objet d'une grande attention dernièrement, les peines minimales obligatoires existent depuis longtemps.
Certaines personnes nous accuseraient d'en avoir instauré davantage, mais je suis fier de ce fait. Je suis d'avis que, dans la grande majorité des cas où nous avons instauré des peines minimales obligatoires accrues, c'était en réaction directe à des domaines du droit pénal qui concernent des infractions du type à entraîner de graves préjudices personnels : la violence contre une personne ou des situations où on pourrait s'attendre à ce qu'un acte de violence soit commis, surtout lorsqu'il s'agit de l'utilisation d'armes à feu, plus particulièrement des armes prohibées ou à autorisation restreinte.
Les membres connaissent sûrement le récent arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Nur. Même si elle a invalidé des articles du Code criminel qui portaient sur les peines minimales obligatoires, elle a confirmé les peines. De fait, les peines imposées par les tribunaux inférieurs dépassaient les peines minimales obligatoires, et elles renvoient à des hypothèses raisonnables, qui, selon les juges dissidents, étaient déraisonnables. Mais je m'écarte du sujet.
Les questions concernant le procès devant jury découlant des peines accrues ne s'appliqueraient pas dans ce cas-ci, mais je comprends ce que voulait dire le sénateur. Toutes les modifications apportées au Code criminel, y compris celles qui calibrent les peines, doivent être effectuées de façons qui sont compatibles avec les autres articles du Code criminel. Nous nous sommes donné beaucoup de mal pour nous assurer que c'est le cas. En outre, j'avancerais, à titre de commentaire général, que le respect de la Charte est toujours le prisme à travers lequel regarde le ministère de la Justice au moment de déterminer si nous devrions déposer ou non un projet de loi. Il doit être conforme à la Charte, de notre point de vue. Toutefois, il est insensé de laisser entendre que nous pourrions un jour déposer un projet de loi en croyant à tort qu'il ne serait jamais contesté. Aussi sûr que la nuit succède au jour, ces articles feront toujours l'objet de contestations.
Mais j'en reviens à notre préoccupation très réelle à l'égard de l'envoi de messages de dénonciation et de prévention, plus particulièrement en ce qui a trait à des infractions qui supposent l'agression sexuelle d'enfants — la violence est ce qu'elle est — et à leurs effets néfastes sur les collectivités ainsi que sur les personnes. Il s'agit du principe qui sous-tend très clairement le projet de loi, et nous croyons qu'il est rédigé d'une manière qui est à la fois cohérente et conforme aux autres articles du Code criminel et à la Charte.
Le sénateur Plett : Je voudrais répéter les commentaires du sénateur Baker et féliciter nos deux principaux combattants du crime à l'autre endroit. Nous apprécions certainement ce que vous faites. En tant que père et grand-père, je suis fier de parrainer ce projet de loi, ici, au Sénat.
Mais la question que j'adresserai au ministre MacKay concerne le fait que certaines critiques, y compris certains avocats de la défense qui comparaissent à la Chambre des communes et, effectivement, les détracteurs du projet de loi au Sénat, ont déclaré que le traitement des agresseurs sexuels d'enfants n'était pas une assez grande priorité. Personnellement, je ne vois rien dans le projet de loi qui exclurait le traitement. De fait, Sue O'Sullivan, l'ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels, a mentionné que, si le délinquant est incarcéré pour une période plus longue, il a davantage l'occasion de recevoir un traitement dans le cadre de divers programmes qui sont offerts par le Service correctionnel du Canada.
Toutefois, il n'est pas possible de traiter tous les pédophiles. Même le SCC affirme ce qui suit :
D'après les données provenant de l'analyse du programme Clearwater, les pédophiles, même s'ils ont suivi un traitement, posent un risque plus élevé pour la collectivité que les autres délinquants sexuels.
Trop souvent, ces types de programmes de traitement, appelés programmes de prévention des rechutes, traitent la pédophilie comme la toxicomanie.
J'aimerais entendre vos commentaires sur les critiques selon lesquelles on n'accorde pas suffisamment d'attention au traitement. En outre, veuillez décrire la grande priorité du gouvernement en ce qui a trait à la présentation de ce type de projet de loi.
M. MacKay : Comme le sénateur le sait très bien, la grande priorité est la protection du public et des enfants. Il s'agit pour la plupart de sanctions dans le projet de loi.
Pour ce qui est de l'accessibilité générale des programmes de réadaptation des prédateurs sexuels, soit les personnes qui s'attaquent aux enfants — les pédophiles —, il s'agit de la compétence du Service correctionnel du Canada, alors je vais renvoyer la question au ministre Blaney.
Comme commentaire général, je suis d'accord avec l'hypothèse du sénateur selon laquelle la priorité — et il ne s'agit aucunement de minimiser l'importance de la réadaptation —, mais, en réalité, ce projet de loi vise à mettre davantage l'accent sur la condamnation par la société de quiconque ferait du mal à un enfant et aurait recours à certains des moyens les plus insidieux pour s'attaquer à un enfant, comme en les leurrant sur Internet ou en se rendant à des endroits que fréquentent les enfants.
Je me rappelle d'avoir poursuivi un certain nombre de ces causes à une époque où, à mon avis, ces infractions n'étaient pas considérées, de près ou de loin, comme des crimes graves qui ont des conséquences sur les enfants, soit la façon dont nous les percevons aujourd'hui. Tout comme une drogue, dans certains cas, les distorsions cognitives et l'incidence qu'elles ont sur le cerveau d'un enfant qui a subi ce type de traumatisme... Nous savons que ces événements entraînent de graves conséquences à long terme.
Je veux insister sur le fait que c'est pourquoi nous croyons qu'une des choses que nous pouvons faire — parmi tant d'autres —, c'est mettre davantage l'accent sur la prévention et la dénonciation grâce à des peines plus sévères.
M. Blaney : Oui, le but de notre service correctionnel est la réadaptation. Dans le cas des délinquants sexuels, c'est le même but. Ainsi, toutes les administrations correctionnelles du Canada offrent les mêmes services de réadaptation aux personnes reconnues coupables d'infractions sexuelles contre des enfants. Les services de traitement comprennent habituellement du counseling en groupe ciblé sur les facteurs de risque psychologiques. En outre, on utilise des médicaments de façon sélective afin de gérer les compulsions et de réduire les pulsions sexuelles.
Des recherches ont montré que des programmes de traitement complets devraient réduire le taux de récidive sexuelle d'un agresseur d'enfants en le faisant passer de 17 à 10 p. 100 après une période de cinq ans. Il s'agit certes d'un défi que nous tentons de relever.
L'une des choses dont je peux vous assurer, c'est que le Service correctionnel du Canada évalue les délinquants sexuels dès le début de leur peine et que le traitement est offert à ceux dont le risque de récidive est de modéré à élevé. Les délinquants sexuels dont les taux de récidive sont faibles devraient compter pour moins de 3 p. 100 de ceux qui font l'objet d'une intervention correctionnelle générale. Au sein du service correctionnel, je dirais que les 50 p. 100 de délinquants sexuels qui participent à un programme d'intensité modérée et qui ont besoin d'un traitement l'obtiennent. Vingt pour cent de ces délinquants reçoivent un traitement pour délinquants à risque élevé.
En outre, un programme de suivi est mis en place à Sécurité publique une fois que les délinquants sexuels sont libérés. Certains se sont révélés fructueux. Ces programmes sont offerts lorsque les délinquants sont dans nos établissements, et nous observons en fait le succès de certains des programmes postsentenciels qui se sont révélés efficaces pour réduire le taux de récidive. Il s'agit d'un aspect délicat, mais nous travaillons là-dessus, si je puis m'exprimer ainsi.
La sénatrice Fraser : Je vous remercie tous les deux de votre présence, ainsi que les merveilleuses personnes qui vous accompagnent. Comme l'a dit le président : des visages familiers.
Ma question s'adresse au ministre Blaney. Elle concerne le nouveau registre. Aux termes de la loi, le registre actuel obéit au principe selon lequel les renseignements qu'il contient ne devraient être recueillis que pour permettre aux services de police de prévenir des crimes de nature sexuelle ou d'enquêter sur de tels crimes et selon lequel l'accès à ces renseignements devrait être limité.
M. Blaney : Tout à fait.
La sénatrice Fraser : L'objectif étant de protéger la vie privée des délinquants sexuels — après tout, le droit à la vie privée est prévu par la Constitution — et l'intérêt du public dans leur réhabilitation et leur réinsertion sociale en tant que citoyens respectueux de la loi.
Pourriez-vous s'il vous plaît justifier la décision de rendre ce nouveau registre accessible au public? En particulier, pourriez-vous vous attacher au risque que l'existence d'un registre de cette nature, accessible par le public, mène au phénomène du justicier, comme cela s'est passé dans certaines administrations qui ont adopté un tel registre.
M. Blaney : Merci de poser la question, madame la sénatrice. J'aimerais répéter que le registre national des délinquants sexuels sera maintenu. J'ai parlé des données : la base de données contient le nom de 37 000 délinquants qui ont commis une infraction à l'égard d'enfants.
Vous voulez donc savoir pourquoi il faudrait créer une nouvelle base de données publique, ce qui est totalement différent? J'attirerais votre attention, madame la sénatrice, sur le fait que cette information est déjà publique, car, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous n'allons réunir que les informations publiques existantes que l'on a jugées être d'intérêt public et qui, en raison du risque, l'emportent certainement sur toute autre considération que ce soit. Ce risque a été évalué par les forces de l'ordre et par les autorités locales. Évidemment, nous avons déjà entamé des consultations avec ces groupes et nous travaillons de concert avec eux, mais, encore une fois, cette base de données contiendra des informations existantes sur les délinquants sexuels à risque élevé qui s'en prennent à des enfants.
Alors, franchement, en tant que père et en tant que parent, je suis convaincu que nous avons pris une position solide dans ce dossier. Permettez-moi de citer l'ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels, Sue O'Sullivan : « La banque de données accessible au public proposée devrait assurer que les victimes et communautés aient un accès plus uniforme aux renseignements sur les agresseurs sexuels d'enfants qui présentent un risque élevé. »
Le sénateur McIntyre : Je remercie les ministres de leurs exposés.
Je note que la loi s'appelle Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants. Je crois pouvoir comprendre pourquoi. Pensons par exemple à l'infraction consistant à produire et à distribuer de la pornographie juvénile. Depuis leur adoption en 1993, ces infractions ont toujours entraîné des pénalités maximales. Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, ce projet de loi ne se contente pas d'augmenter la peine maximale, faisant passer de 10 à 14 années la peine d'emprisonnement; il propose en outre de faire de ces deux infractions des infractions punissables par mise en accusation. Autrement dit, l'État n'aurait d'autre choix que de procéder par voie de mise en accusation. Il ne pourrait pas procéder par voie sommaire, et je comprends bien cette position.
En vertu de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, l'ancien projet de loi C-10, le Code criminel impose également, pour le moment, des peines maximales pour toutes les infractions sexuelles à l'égard d'enfants. Le projet de loi va plus loin, et je voulais tout simplement que vous mettiez encore une fois en relief les raisons qui motivent ce projet de loi. S'agit-il de mettre davantage en relief le caractère haineux de ces crimes? S'agit-il de mieux refléter la gravité de ces crimes?
M. MacKay : Merci beaucoup, sénateur; en un mot, la réponse est oui aux deux questions.
[Français]
On comprend bien l'impact pour les enfants vulnérables.
[Traduction]
Comme vous l'avez mentionné, tous les gouvernements, franchement, ont déployé des efforts et misé sur toutes les méthodes possibles — la dissuasion, la dénonciation, la réhabilitation — pour mettre fin à cela, cette plaie sociale. Pour faire suite aux commentaires du ministre Blaney sur l'échange de renseignements, nous ne voudrions certainement pas que notre pays soit connu comme un pays qui exporte ses problèmes, mais, malheureusement, il est arrivé que des Canadiens s'en prennent de cette horrible façon à des enfants ailleurs dans le monde. Je pense à une personne qui vient de la même province que moi, la Nouvelle-Écosse. Certains d'entre vous connaissent peut-être son nom, Fen MacIntosh. Je note qu'une personne qui s'en est prise à un certain nombre de joueurs de hockey des ligues juniors, dans l'Ouest, va bientôt obtenir sa mise en liberté, si ce n'est déjà fait. Alors oui, il faut davantage décourager et dénoncer ce type d'activité, cet horrible crime. Il faut empêcher que les victimes ne soient de nouveau victimes, comme c'est arrivé dans certaines circonstances. Pendant les consultations au sujet de la Charte des droits des victimes, nous avons très souvent entendu parler du choc et du traumatisme que vivaient certains Canadiens lorsqu'ils rencontraient, à l'épicerie du coin, dans la rue ou au centre commercial, la personne qui s'en était prise à leur enfant ou à eux-mêmes et qui avait été mise en liberté sans avis approprié.
Alors, au bout du compte, quant à votre question au sujet des raisons pour lesquelles nous faisons cela, c'est pour souligner encore plus clairement chaque fois, le plus souvent possible, qu'il faut vraiment décourager ce comportement, et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, à mon avis — je ne crois pas que quiconque soit en désaccord —, pour protéger les enfants, particulièrement vulnérables, y compris à l'aide de quelques-uns des importants protocoles maintenant en place. Grâce aux organisations sportives, aux guides et scouts, aux Grands Frères et Grandes Sœurs, grâce à tous les organismes du même type, il y a eu dans ce domaine une amélioration marquée, qu'il convient de souligner.
La sénatrice Jaffer : Merci aux deux témoins de s'être présentés. J'ai beaucoup de questions en tête, mais mon temps est limité. Je vais donc insister sur une seule question. Monsieur le ministre MacKay, vous avez abordé la question du tourisme sexuel, et c'est pourquoi je vais encore vous dire que, si nous prenons ces questions au sérieux, nous devrions envisager de mobiliser des agents de police en Thaïlande et au Vietnam, par exemple. Je vous demanderais encore une fois de l'envisager. Pendant que je vous écoutais, je me demandais comment on peut rester insensible aux chiffres que vous avez mentionnés. Vous faites du très bon travail.
Je viens de la Colombie-Britannique, où les tribunaux débordent. Nous n'avons pas les ressources nécessaires pour appliquer toutes les lois que vous adoptez. Si vous augmentez la durée d'une peine, les recours à l'aide juridique augmentent. Le travail des tribunaux augmente. Tout augmente. Les deux juges en chef me disent régulièrement qu'il leur est très difficile de fournir des services opérationnels, avec tous les projets de loi qui sont présentés. Je sais que cela ne vient pas de vous. Je sais que c'est la province qui en est responsable. Je comprends ça. Mais vous jouez un rôle de leader, et je suis certaine que vous ne vous contentez pas de proposer un projet de loi. Vous évaluez l'ensemble de la situation touchant le soutien que vous offrez aux provinces pour vous assurer que les ressources nécessaires aux poursuites, dans ces affaires, sont disponibles.
M. MacKay : Merci beaucoup, sénatrice Jaffer. J'apprécie beaucoup votre commentaire, et je suis d'accord sur le fait que nous assistons à une période d'augmentation inégalée du nombre des poursuites dans certains domaines. C'est certainement le cas pour les tribunaux de la famille. Nous voyons aussi beaucoup d'accusés qui ne sont pas représentés, ce qui a une incidence sur l'efficacité des tribunaux et du procès. C'est pourquoi vous verrez, dans bien des projets de loi, que nous nous efforçons également de simplifier et d'améliorer le mécanisme selon lequel ce processus fonctionne. En ce qui a trait aux ressources, nous avons augmenté le nombre de juges, dans certaines provinces, en fonction des besoins. Je note que le Québec et l'Alberta ont eu droit à des juges supplémentaires à la Cour suprême. Je vous remercie également d'avoir reconnu que l'administration de notre système de justice relève en bonne partie des provinces, même si nous travaillons en très étroite collaboration avec nos partenaires des provinces et territoires à ce chapitre. Vous remarquerez que nous avons pu assurer la stabilité du financement de l'aide juridique, malgré la récession. Il est vrai que, dans certains domaines, on nous demande toujours davantage de ressources, et nous étudions constamment ces demandes en fonction des statistiques liées au temps que cela représente pour les tribunaux, le volume auquel les tribunaux auront affaire.
Je vais laisser le ministre Blaney parler de l'autre aspect, la mobilisation des agents de police. Nous constatons de plus en plus qu'il nous faut travailler en étroite collaboration avec tous les ministères. Le fonctionnement du système de justice du Canada fait l'objet d'une grande admiration. Les autres pays nous demandent souvent l'aide de nos juges et de nos avocats pour augmenter leur capacité. L'Ukraine en est un exemple parfait, l'Afghanistan aussi.
M. Blaney : J'aimerais simplement ajouter, pour faire suite aux commentaires du ministre MacKay, que, comme on en a discuté plus tôt, de nombreuses peines minimales obligatoires de deux ans ont été introduites. Comme vous le savez, les peines de deux ans et plus sont purgées dans un pénitencier fédéral. J'utilise le terme « apocalyptique » quand j'entends dire que, dans un nombre très élevé de nos établissements pénitentiaires, il n'y aurait pour ainsi dire plus aucune place. Selon les derniers chiffres que j'ai en main, qui datent d'hier, il y en aurait moins de 15 000, ce qui représente quand même une légère augmentation, même si nous avons mis en œuvre la loi visant à sécuriser nos rues. Voilà ce que j'aurais à dire en ce qui concerne les services correctionnels.
Nous revoyons nos projections à la baisse, car nos projections d'augmentation ne se sont pas réalisées. C'est la réalité, selon l'information qu'on m'a communiquée.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup à tous les deux d'être venus encore une fois. La Saskatchewan est ma province natale, et c'est pourquoi je trouve qu'il est bouleversant que ce projet de loi spécifique fasse l'objet d'une étude par notre comité la même semaine où un prédateur d'enfants notoire, Graham James, dont le ministre vient de parler, fait l'objet d'autres accusations d'agression sexuelle pour des incidents qui se sont déroulés au début des années 1990, lorsqu'il était l'entraîneur de l'équipe des Broncos de Swift Current, dans la Ligue de hockey de l'Ouest. Cela me bouleverse d'autant plus que, à la même époque, je travaillais pour les Pats, de Regina, de la même ligue, à titre d'organiste. Je connaissais donc un grand nombre de joueurs de cette ligue. Quand j'y pense, c'est triste, car à cette époque, quand j'assistais à un match entre les Broncos et les Pats, je me disais probablement que la seule chose stressante que les joueurs des Broncos avaient en tête, c'était le désir de gagner — nous étions loin de savoir ce qui se passait.
Monsieur le ministre MacKay, pourriez-vous s'il vous plaît nous dire pourquoi vous avez décidé de recourir à des peines consécutives, dans ce projet de loi? Quels messages espérez-vous que ce changement fera passer aux enfants qui ont été victimes de crimes sexuels et aux délinquants qui les ont maltraités et les ont exploités?
M. MacKay : Avant de répondre, j'aimerais vous féliciter publiquement du prix que l'on vient de vous décerner pour votre travail en santé mentale. Je trouve cela remarquable. Cela jette un éclairage très différent sur l'image que certains Canadiens se font du travail important effectué par le Sénat.
Pour répondre à votre question, je crois fermement que les répercussions de cette situation sur un si grand nombre de jeunes justifient sans l'ombre d'un doute ce projet de loi et les autres mesures que notre gouvernement propose, pour réagir collectivement. Sur cette question spécifique des peines consécutives, selon mon expérience — acquises tant au ministère de la Justice qu'à titre d'avocat de la Couronne, qu'avocat de la défense —, il est extrêmement important aux yeux de la victime que la peine soit personnalisée. Cette façon de faire évacue le phénomène de la revictimisation ou de la dépersonnalisation de la peine, en ce sens que la victime a l'impression qu'on n'a pas reconnu le préjudice qu'elle a subi. Les peines consécutives nous permettent d'atteindre ce résultat. Elles permettent à la victime de saisir que la peine a été infligée en fonction de l'acte criminel commis à son encontre. C'est très personnalisé.
Je me rappelle clairement et avec une grande émotion une victime — qui avait été grièvement battue et maltraitée — qui me disait que le style même utilisé par les tribunaux — la Reine ceci, la Reine cela — la consternait : « Ce n'est pas la Reine qui a été agressée. C'est moi. » À titre de participant du système de justice, nous perdons parfois de vue à quel point ce système peut être étrange et intimidant pour une personne qui doit bien malgré elle et sans l'avoir cherché y avoir affaire. Les peines consécutives personnalisent la décision, et c'est un aspect qui importe énormément aux victimes. C'est une façon de reconnaître le préjudice et les souffrances qu'elles ont vécues; dans le cas des peines concurrentes, qui sont purgées en bloc, cette reconnaissance échappe à bien des victimes.
Le sénateur Joyal : J'aimerais m'adresser au ministre MacKay. Le projet de loi comprend de nombreuses dispositions visant à établir des peines minimales ou à en prolonger la durée. Vous le savez très probablement, je crois que vous avez commenté publiquement cette question. Récemment, le plus haut tribunal du Canada a annulé certaines dispositions relatives aux peines minimales et a défini certains critères. Pourriez-vous nous expliquer à quels égards ces critères, et je pense à l'arrêt R. c. Nur, établi par la Cour suprême en relation avec les peines minimales, sont reflétés dans le projet de loi, de façon à résister à une nouvelle contestation éventuelle, comme vous l'avez vous-même mentionné?
M. MacKay : C'est une question pertinente et importante. Le principe des peines minimales obligatoires a cependant été maintenu par la Cour suprême, comme vous le savez, dans le récent arrêt Nur. Dans l'arrêt Nur, décision majoritaire, le tribunal a confirmé que le critère qui doit être respecté, aux termes de l'article 12, et qui consiste à déterminer si la peine infligée n'est pas totalement disproportionnée, a bel et bien été respecté.
Donc, les peines minimales obligatoires spécifiques, dans les affaires Nur et Charles ont été imposées — c'est un critère parfois difficile à respecter, il est important de le mentionner —, le tribunal a reconnu la validité des peines minimales obligatoires pour la lutte contre les crimes violents. Voilà de quoi il est question ici. Les crimes d'ordre sexuel sont des crimes violents des plus perturbants et dont les conséquences sont des plus étendues. Je crois fondamentalement, et je crois que les tribunaux l'ont effectivement reconnu, que la dénonciation par la société des crimes violents est un objectif valable qui se reflète par l'adoption de peines minimales obligatoires.
L'époque est révolue où même les agressions sexuelles que l'on qualifiait parfois de mineures étaient punies par une peine à purger dans le confort de son propre foyer. Cette approche, à notre avis, n'est pas acceptable. C'est pourquoi je crois que ces objectifs ont une importance cruciale quand il s'agit d'agression sexuelle contre des enfants. Je crois que les agressions sexuelles contre des enfants, indiscutablement, comme je l'ai déjà dit, causent un préjudice à long terme, non seulement pour la personne concernée, mais pour la collectivité et l'ensemble de la société du Canada. Les déclarations de la Cour suprême, dans Nur, signifient à mon avis que les peines minimales obligatoires prévues dans le présent projet de loi ne donneront pas lieu à des peines totalement disproportionnées. Elles entraîneraient des peines auxquelles, je crois, la plupart des Canadiens s'attendraient, c'est-à-dire des peines qui ne sont ni cruelles ni inhabituelles, conformément à la Charte, et qui, si elles étaient contestées, se révéleraient tout à fait conformes à la Charte. Je m'attends bien à ce qu'elles soient contestées. Nous nous défendrons avec énergie.
Le sénateur Joyal : Appliquez-vous les mêmes principes aux peines consécutives prévues dans le projet de loi?
M. MacKay : En effet. Les peines minimales obligatoires en question ont été élaborées après un examen minutieux du Code criminel, qui nous a permis de cerner les cas où, à notre avis, la pornographie juvénile ainsi que les attouchements sexuels sur un enfant justifiaient une peine minimale. C'est un point de départ, et le juge a le pouvoir discrétionnaire d'imposer une peine plus lourde, y compris une peine maximale. Dans bien des cas — j'ai parlé plus tôt de Nur et de Charles —, les juges ont déterminé, en se fondant sur les faits qui leur avaient été présentés, que les peines n'étaient ni disproportionnées, ni cruelles, ni inhabituelles. Les tribunaux n'ont pas retenu leur hypothèse.
Le président : Messieurs les ministres, nous nous approchons de l'heure limite qui m'a été imposée. Avez-vous un peu plus de temps? Il me reste trois sénateurs.
M. MacKay : Je vous en prie.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci aux deux ministres, et félicitations pour votre excellent travail. Je suis certain que ce projet de loi sera très bien accueilli par les forces policières.
Il ne faut jamais oublier que les policières et policiers sont également des mères et des pères de famille. À l'occasion, lorsque des accusés reçoivent des peines trop légères et qu'on les arrête à répétition, il y a souvent un danger de récidive.
Avez-vous mesuré l'impact de l'augmentation des peines maximales? De plus, avez-vous jaugé la perception du public en ce qui a trait à cette question?
[Traduction]
M. MacKay : Je vais laisser M. Blaney répondre lui aussi. J'ai récemment participé à des tables rondes de consultation publique, ou simplement discuté avec M. et Mme Tout-le-monde, et aussi avec des parents et des personnes qui, malheureusement, ont été victimisés, avec des gens, dans les centres de protection de l'enfance, et ces discussions suscitent beaucoup d'émotions et sont inspirantes, car tous ces gens essaient de surmonter les répercussions de l'agression sexuelle. C'est une démarche qu'elles sont condamnées à faire à perpétuité. Et, même dans les cas où l'acte criminel a été commis lorsqu'elles étaient très jeunes, elles en portent les cicatrices; les problèmes psychologiques et les problèmes d'estime de soi, elles y feront face toute leur vie.
Pour répondre à votre question, les Canadiens semblent appuyer fermement les mesures visant à envoyer un message clair touchant la dissuasion et la dénonciation. Mais, de manière générale, je crois qu'il est sain pour notre pays de débattre de ce sujet et de prendre des mesures et, au-delà de la présente initiative législative, d'en faire davantage pour aider et soutenir les personnes qui sont devenues des victimes, pour rendre les délinquants responsables et pour enfin sortir de l'époque où ces problèmes restaient cachés à notre vue. Je pense à Mount Cashel. Je pense aux jeunes joueurs de hockey dont a parlé la sénatrice Batters, je pense à bien d'autres cas.
Enfin, je crois que ces mesures donnent à davantage de Canadiens — les parents, les victimes, les enfants — la confiance nécessaire pour parler, sachant que le système de justice pénale va réagir, que la société est plus ouverte et que, dans l'ensemble, les mesures de soutien liées à leur détresse sont plus nombreuses.
Le sénateur McInnis : Ma question ne concerne pas précisément le projet de loi, mais je suis tout à fait d'accord avec ce projet de loi. Monsieur le ministre MacKay, j'ai lu quelque part que vous avez comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne 51 fois, et je soupçonne que le ministre Blaney doit avoir comparu presque aussi souvent. Nous avons étudié ici un certain nombre de projets de loi clés — sur la Charte des droits des victimes, sur la cyberintimidation, la réponse à l'arrêt Bedford rendue par la Cour suprême du Canada —, toute une série de projets de loi, et il y en aura encore.
J'aimerais savoir, avant l'ajournement du Parlement, si, à votre avis, nous avons établi le cadre grâce auquel nous allons rendre nos communautés et nos rues plus sûres.
M. MacKay : Vous êtes vous-même un ancien procureur général, et je crois que vous serez d'accord avec mon évaluation : la justice ne dort jamais, et le travail n'est jamais terminé. Il sera toujours nécessaire et souhaitable d'apporter des changements positifs à notre système de justice pénale. Il y a des gens, non seulement au ministère de la Justice du Canada, mais également dans les ministères provinciaux et territoriaux de la Justice, des gens engagés, des professionnels remarquables, passionnés par la façon dont nous pourrions améliorer notre système de justice.
L'une des améliorations les plus notables qui se sont produites, lorsque je travaillais au sein du système de justice, à divers échelons, concerne le dévouement que l'on met aujourd'hui à soutenir les victimes, les gens qui se sont retrouvés malgré eux, et sans l'avoir cherché, aspirés dans un système et une situation parfois très complexes.
Votre comité sénatorial, comme on l'a souligné un certain nombre de fois, s'est lui aussi beaucoup activé, et nous lui en sommes reconnaissants. Je disais à la sénatrice Baker, juste avant que nous ne commencions nos travaux, que les questions dont nous traitons aujourd'hui sont parmi les moins partisanes que nous ayons jamais vues. Je crois qu'au cours de la présente législature, il s'est pris davantage de mesures positives, proactives et modernes pour améliorer notre système de justice que jamais auparavant dans l'histoire du Canada. C'est peut-être une déclaration audacieuse, mais quand je pense aux lois, aux améliorations, aux travaux de votre comité et du comité parlementaire, je me dis que c'est un domaine de convergence et que nous pouvons tous en être très fiers.
Mais, en effet, il reste toujours du travail à faire.
Le sénateur White : Merci encore une fois aux fonctionnaires et aux ministres.
Ce n'est pas d'hier que nous recourons aux avis publics. En fait, cela fait plus de 10 ans que, avec d'autres, je cherche à améliorer le système des avis publics. Les plaintes du public portent surtout sur leur grande préoccupation, soit qu'un délinquant échappe aux avis publics. Que se passerait-il si une information à laquelle ils devraient avoir accès échappait au commandant ou au chef de police, et qu'il se produisait un événement malheureux?
Ce que nous tentons de faire, ici, c'est de mettre tout cela en forme et de le codifier de façon que le public sache que les renseignements nécessaires sont accessibles; nous n'aurons pas à espérer que l'agent de police fasse ce qu'il doit faire, au bon moment et au bon endroit. Désormais, nous saurons que les personnes qui doivent faire l'objet d'un avis public feront bel et bien l'objet d'un avis public et que nous pourrons accéder à la base de données. C'est en réalité de cela qu'il est question ici.
M. Blaney : Tout à fait, sénateur White. Je vous remercie, car vous êtes un homme d'expérience qui connaissez à fond le milieu de la sécurité publique. J'étais au quartier général d'Ottawa, lundi dernier, et j'ai vu votre photo sur le mur.
De manière plus générale, peut-être, la confiance des Canadiens envers leurs institutions est un principe de notre démocratie.
[Français]
Nous avons l'expression française des « sentences bonbons », et il va sans dire qu'une perte de crédibilité du système judiciaire au sein de la population menace nos institutions et notre démocratie.
Il est clair que les mesures qui ont pour but de resserrer les sentences, notamment en matière de crimes sexuels — pour lesquels la société exige des peines plus sévères —, sont de nature à rétablir la crédibilité de notre système judiciaire et, par le fait même, de nos institutions et de la classe politique en faveur de la démocratie.
Le message de ce projet de loi est très clair : on ne touche pas aux enfants. À ce sujet, comme le dirait mon collègue, le ministre Peter MacKay, je pense que le projet de loi atteint un consensus, et qu'il atteint cet objectif. Par exemple, la représentante de l'ombudsman des victimes et la présidente du Centre canadien de protection de l'enfance sont en faveur du projet de loi.
[Traduction]
Voici notamment — et je terminerai sur ces mots — ce qu'elle a à dire sur la question du registre des délinquants sexuels présentant un risque élevé :
[...] nous appuyons aussi la création d'une banque de données accessible au public concernant les délinquants sexuels à risque élevé. L'Alberta, le Manitoba, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse rendent déjà publics les cas qui présentent des risques élevés. Nous sommes d'avis que la divulgation publique de cette information pourra donner un sérieux coup de main aux familles et aux collectivités qui souhaitent en faire davantage pour protéger les enfants.
Permettez-moi d'ajouter ceci : faisons-le de manière ordonnée, en nous appuyant sur les experts de l'exécution de la loi. Je lis les journaux, et j'ai vu qu'il existait des bases de données constituées et mises sur pied de cette manière. Faisons-le. Ça se fait déjà. Recueillons l'information et faisons-le de manière professionnelle en bons Canadiens, et nous nous sentirons tous mieux au bout du compte.
Le président : Merci à vous deux. Nous apprécions vraiment votre témoignage, en particulier le fait que vous soyez restés un peu plus longtemps. Nous savons que vous avez tous les deux des horaires très chargés.
J'ai présenté plus tôt les fonctionnaires. Ils sont maintenant bien installés, et je vais donc passer tout de suite aux questions, en commençant par le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je n'ai qu'une seule question, je vais laisser le reste de mon temps d'intervention à la sénatrice Fraser.
J'ai posé une question au ministre et il ne m'a pas répondu, mais j'aimerais vous rappeler que la disposition selon laquelle la peine minimale obligatoire serait de 90 jours n'est pas une nouvelle disposition en ce qui concerne les infractions visées par une procédure sommaire, comme le prévoit l'ensemble de ce projet de loi.
Si je dis que, en 2012, le comité a étudié cette disposition, justement, pour faire passer la peine de 14 à 90 jours, est-ce que j'aurais raison? Est-ce que je me trompe? C'est ma seule question.
Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Oui, vous avez raison. La Loi sur la sécurité des rues et des communautés, le projet de loi C-10, a modifié un certain nombre de dispositions relatives aux infractions sexuelles contre des enfants afin de prolonger les peines minimales obligatoires, qui étaient de 14 jours, pour imposer plutôt une peine de 90 jours, et de manière générale, visait à assurer une certaine cohérence des peines minimales obligatoires s'appliquant aux infractions sexuelles visant des enfants, parce que les peines minimales obligatoires ne s'appliquaient pas, jusque-là, à toutes les infractions. Elles s'appliquaient dans certains cas d'infractions visant des enfants, depuis 2005, et aux infractions et agressions sexuelles de manière générale. Le projet de loi C-26 va en effet plus loin.
Le sénateur Baker : Je ne voulais pas savoir tout ce que ce projet de loi changeait. Je voulais seulement savoir si mon information était exacte.
Monsieur le président, j'aimerais que la sénatrice Fraser puisse poser ma deuxième question.
La sénatrice Fraser : Revenons sur la question de la banque de données concernant les prédateurs d'enfants à risque élevé; que signifie l'expression « accessible au public »? Est-ce que cela veut dire que la banque sera accessible sur Internet? Est-ce que cela veut dire qu'il faudra se présenter au poste de police du coin? Allons-nous conserver des données concernant les personnes qui accèdent au registre? Est-ce qu'on trouvera dans ce registre une description des infractions visées? S'agira-t-il d'une description complète ou uniquement le titre légal de l'infraction qui a été commise? Qui décide qu'un délinquant représente un risque élevé et sur quoi cette définition se fonde-t-elle? Quels motifs raisonnables justifieront qu'un nom ou une information soit supprimé du registre? Serons-nous informés des motifs sur lesquels s'appuieront de telles décisions?
Quelques questions de plus : Combien tout cela va-t-il coûter? Est-ce que la GRC disposera de ressources supplémentaires pour gérer cette base de données? Pourrons-nous être certains que cette base de données sera tenue à jour?
J'avais dit que j'avais plusieurs questions. Je n'ai pas de déclaration préliminaire à faire, j'ai seulement des questions.
Comment pourrons-nous être certains que le registre sera tenu à jour? J'imagine que le CIPC a déjà des mois de retard. Qu'est-ce qui nous permet de croire que la situation sera différente, pour ce registre?
Le président : Je crois qu'il y a huit questions, environ. Je sais que vous n'avez pas suffisamment de temps pour répondre à toutes, mais peut-être qu'il sera possible de le faire dans les 45 prochaines minutes. Qui veut répondre?
Peter Henschel, sous-commissaire, Services de police spécialisés, Gendarmerie royale du Canada : Notre intention, c'est que le registre soit publiquement accessible, de façon que les gens puissent consulter les données qui sont affichées en ligne ou d'une autre manière. La définition du risque élevé n'est qu'un des deux critères qui conduisent à rendre ces données publiquement accessibles.
Premièrement, il faut que le délinquant ait déjà fait l'objet d'une divulgation d'intérêt public parce qu'il représente un risque pour la collectivité, et chaque province a une approche qui lui est particulière dans ce domaine. Mais pour le moment, il y a les divulgations d'intérêt public, dont le sénateur White parlait un peu plus tôt, et lorsqu'une divulgation est faite, c'est parce que les autorités estiment que le risque pour le public est suffisamment important pour l'emporter sur les droits à la vie privée d'une personne et qu'il est important que cette information soit publique. C'est le premier critère.
Le second critère, c'est qu'il doit s'agir d'un délinquant sexuel à risque élevé qui s'en prend à des enfants. Pour déterminer cela, nous utilisons un outil appelé l'échelle Statique-99R, outil reconnu servant à évaluer les délinquants sexuels qui s'en prennent à des enfants pour déterminer s'ils représentent un risque élevé. C'est un processus qui se fait en deux étapes.
Il n'y aura pas plus d'information publiquement accessible que ce qui est accessible aujourd'hui. Il sera possible pour chaque Canadien d'aller en ligne pour savoir qui fait actuellement l'objet, essentiellement, d'une divulgation d'intérêt public.
Le président : Nous allons poursuivre sur le même sujet.
Le sénateur Plett : Je n'ai pas non plus de déclaration préliminaire, et je vais poser trois questions, la première aux représentants de la GRC et les deux autres à Mme Levman.
Je m'adresse aux représentants de la GRC; pourriez-vous m'expliquer quelles sont les principales différences entre la base de données sur les délinquants sexuels à risque élevé qui est proposée et le Registre national des délinquants sexuels?
M. Henschel : Le Registre des délinquants sexuels est le registre où figure le nom de toutes les personnes qui ont été reconnues coupables, selon les critères prévus par la loi. Les délinquants doivent s'inscrire eux-mêmes et fournir les renseignements de base touchant leur lieu de résidence. Aujourd'hui, on a ajouté les permis de conduire et les passeports, mais essentiellement, cette base de données contient les renseignements de base touchant les délinquants sexuels qui ont été condamnés. Ce registre sert uniquement aux services de police et aux organismes d'application de la loi et uniquement à des fins d'enquête ou de prévention. Cela ne changera pas. Encore une fois, le registre sera contrôlé de très près, et les lois ont toujours indiqué clairement dans quelles circonstances on pouvait ou on ne pouvait pas l'utiliser. Une personne qui communique des informations ou qui le fait à des fins autres que les fins prévues commet une infraction.
La base de données publique, encore une fois, concerne tous les cas où la divulgation sert l'intérêt public; elle réunit essentiellement en un seul endroit toutes les informations de façon que les gens puissent y avoir accès sans devoir se présenter au poste de police local ou demander une divulgation d'intérêt public. La base sera accessible partout au pays.
Le sénateur Plett : Merci. J'ai deux questions pour Mme Levman, si vous me le permettez.
Pourriez-vous donner un peu plus de détails au sujet du principe de totalité et de son incidence probable sur les peines imposées aux délinquants sexuels qui s'en prennent à des enfants et font de multiples victimes?
Selon votre estimation, les tribunaux ont-ils manqué d'uniformité au moment d'imposer des peines à des délinquants sexuels qui ont fait plusieurs victimes mineures? Est-ce que le présent projet de loi va corriger ce manque d'uniformité?
Nathalie Levman, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci de poser la question. Ce que nous observons, en faisant l'examen de la jurisprudence, c'est que les approches sont différentes quand il s'agit d'imposer une peine pour une infraction sexuelle à l'égard d'enfants. La tendance que nous voyons dans la jurisprudence indique que les tribunaux vont imposer des peines consécutives à des délinquants condamnés à la fois pour des infractions liées à la pornographie juvénile et des infractions liées à des attouchements sexuels sur des enfants. Ce n'est pas exigé par le Code, mais nous voyons bel et bien une tendance qui révèle une certaine uniformité à ce chapitre.
Un domaine où nous voyons que l'uniformité n'est pas aussi grande, ce sont les affaires impliquant de multiples victimes. Nous avons pu dégager deux tendances. D'une part, les tribunaux vont d'une certaine manière traiter ensemble toutes les infractions commises à l'égard de chacune des victimes. Pour ces infractions, les peines seront concurrentes, mais les peines imposées pour des infractions commises contre les autres victimes seront purgées de manière consécutive.
Nous voyons aussi, parfois, le contraire, c'est-à-dire que certaines infractions sont traitées ensemble. Ainsi, les peines infligées pour des infractions liées à la pornographie juvénile, à des attouchements sexuels sur des enfants, peu importe la victime, seraient purgées concurremment, mais de manière consécutive selon le type d'infraction.
Nous ne pouvons pas dire qu'il y ait une grande uniformité à ce chapitre; c'est vrai. Toutes ces considérations sont fondées, comme vous l'avez souligné, sur le principe de totalité, selon lequel les peines infligées ne doivent pas être indûment longues ou sévères. Les juges recourent à ce principe pour déterminer la peine à imposer aux délinquants.
Le projet de loi C-26 obligerait les juges à imposer des peines consécutives à des délinquants condamnés en même temps pour des infractions commises contre de multiples victimes. Donc, il ne serait plus possible que des juges imposent des sentences concurrentes, lorsqu'il y a plusieurs victimes, si le projet de loi C-26 était adopté. Cela supposerait également, si vous voulez, de modifier dans le Code criminel la pratique actuelle qui permet d'imposer des peines consécutives aux délinquants condamnés pour pornographie juvénile et attouchements sexuels sur des enfants, ce qui met en relief le préjudice supplémentaire découlant des infractions liées à la pornographie juvénile.
La sénatrice Jaffer : Ma question est la suivante : d'après ce que je comprends, plus de 80 p. 100 des infractions sexuelles sont commises contre des enfants. Je veux savoir quelle incidence la publication de cette information aura sur les enfants et sur les membres de leur famille. Si c'est au sein de la famille, quelle sera l'incidence particulière sur les enfants? Y a-t-il des études là-dessus?
Angela Connidis, directrice générale, Affaires correctionnelles, Sécurité publique Canada : Je vous indiquerai plus tard si nous avons des études portant précisément sur l'incidence, mais il faut comprendre que le nom du délinquant ne sera pas publié s'il est déterminé que cela peut avoir une incidence sur les victimes. C'est l'un des points de départ.
La sénatrice Jaffer : Cela me rassure, mais comment est-ce interprété? Je ne suis pas. Allez-vous avoir un protocole à suivre concernant le fonctionnement de la base de données...
Mme Connidis : Pour compléter ce que mon collègue a dit tout à l'heure au sujet du choix des noms qui figureront dans la base de données, nous consultons les provinces, car, comme il le disait, la base de données est mise en œuvre à l'échelle du pays, mais de façon légèrement différente selon les provinces. Nous souhaitons avoir une base commune à partir de laquelle établir les critères.
L'échelle Statique-99R en fait partie, mais ce n'est pas le seul critère que nous allons utiliser. La nouvelle Charte des droits des victimes prévoit la possibilité pour les victimes de recevoir de l'information, mais aussi de participer au processus et d'exprimer leur point de vue. Nous nous attendons à ce que les victimes préoccupées par la publication du nom d'un délinquant nous fassent part de leurs préoccupations.
Le sénateur McIntyre : Tout d'abord, merci à tous d'être venus et d'avoir présenté vos exposés.
J'attire votre attention sur l'article 17 du projet de loi, qui porte sur les peines cumulatives. Cet article modifie plusieurs paragraphes de l'article 718.3 du code. Dans la nouvelle version du paragraphe 718.3(4), par exemple, l'expression « le tribunal peut ordonner » est remplacée par « le tribunal envisage d'ordonner ». À l'alinéa 718.3(4)b), qui s'applique lorsque de multiples peines sont imposées en même temps, c'est encore une fois « envisage d'ordonner ». Enfin, je souligne que, dans le nouveau paragraphe 718.3(7), qui s'applique lorsqu'un tribunal inflige, au même moment, des peines d'emprisonnement pour diverses infractions sexuelles commises contre un enfant, c'est « le tribunal ordonne », plutôt que « le tribunal envisage d'ordonner ».
Les critiques du projet de loi ont remis en question le choix d'« ordonner » plutôt qu'« envisage d'ordonner ». Puis-je savoir ce que vous en pensez, s'il vous plaît?
Matthias Villetorte, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Oui. L'intention du libellé actuel de l'article 718.3, « envisage d'ordonner » est d'obliger les tribunaux à envisager d'imposer des peines consécutives et concurrentes dans certaines situations. Les nouveaux paragraphes 718.3(4), 718.3(5) et 718.3(6) accomplissent deux choses. Ils précisent ce qui figure déjà dans le Code criminel à l'article 718.3, mais sur le plan du libellé. Ce qui figure actuellement à l'article 718.3, ce sont des règles qu'on retrouve un peu partout dans le Code criminel et qui datent d'avant la Confédération. Au fil du temps, elles sont devenues compliquées, et il fallait apporter une clarification. Voilà la première chose que les paragraphes proposés accomplissent.
L'autre chose que le paragraphe 718.3(4) accomplit, c'est qu'il codifie certaines règles ayant trait aux peines consécutives et concurrentes. L'une de ces règles, c'est que les tribunaux doivent envisager d'imposer des peines consécutives pour des infractions qui ne font pas partie de la même opération criminelle ou, pour reprendre l'expression utilisée dans le projet de loi, qui ne découlent pas des mêmes faits. Il ne s'agit pas d'une obligation d'imposer des peines consécutives ou concurrentes. Il s'agit pour les tribunaux d'envisager ces situations. La décision d'ordonner que les peines soient purgées de façon concurrente ou consécutive dépend des faits.
Le paragraphe 718.3(7) proposé, qui dit « le tribunal ordonne » prévoit l'obligation pour les tribunaux d'ordonner dans les circonstances en question que les peines soient purgées de façon consécutive, que les peines imposées pour des infractions liées à la pornographie juvénile soient purgées de façon consécutive. Il n'y a pas de choix. Le paragraphe 718.3(4) prévoit cependant que le tribunal puisse expliquer pourquoi il ordonne que les peines soient purgées de façon concurrente.
Le sénateur McIntyre : À votre avis, est-ce que ces paragraphes entrent en conflit avec le principe de totalité de l'article 718 du code?
M. Villetorte : Encore une fois, les nouveaux paragraphes 718.3(4), 718.3(5) et 718.3(6) ne modifient pas la loi en vigueur, mais ils codifient certaines situations. Il n'y a pas d'impératif. Les tribunaux ont la latitude nécessaire pour trancher une affaire en fonction des faits. Les nouvelles dispositions ne modifient pas nécessairement l'interprétation du principe de totalité. Dans le cas du paragraphe 718.3(7), je répète ce que ma collègue, Mme Levman a bien résumé : il s'agit de reconnaître la tendance qui existe à l'heure actuelle. L'application du principe de totalité ne souffrirait pas nécessairement de l'adoption du paragraphe 718.3(7).
Le sénateur Joyal : Je vais simplement nuancer ce que vous avez dit. Le fait est que l'accumulation de peines minimales et la suppression du principe de totalité pourraient faire en sorte que les peines deviennent grossièrement disproportionnées. C'est ce qui fait que le projet de loi risque d'être infirmé par un tribunal.
Chose certaine, je peux imaginer un cas où un délinquant serait coupable de pornographie et où il aurait un lien direct avec des actes de violence contre des enfants. À ce moment-là, je peux comprendre le lien entre les deux infractions. Mais il se peut aussi qu'une personne soit coupable de pornographie juvénile dans une situation où il n'y a pas de lien avec des actes de violence commis contre un enfant dans le contexte d'une autre infraction. En créant un lien entre les deux et en ajoutant, comme je le disais, les peines minimales, c'est là qu'on arrive, je crois, au point où le projet de loi pourrait être contesté devant les tribunaux.
Je ne suis pas contre le fait que nous nous attaquions à la pornographie juvénile et à la violence faite aux enfants, mais je pense que nous devons le faire dans les limites de la Charte, et surtout, de l'article 12 de la Charte. C'est sur ce point que le projet de loi risque d'être infirmé, je crois.
M. Villetorte : Je voudrais d'abord dire que le principe de totalité ne disparaît pas simplement parce que la disposition modifiée prévoit que les peines soient purgées consécutivement. Certains tribunaux — j'ai vu cela surtout en Ontario et en Alberta, par exemple — ne se concentrent pas nécessairement sur l'imposition de peines consécutives et concurrentes lorsqu'ils interprètent le principe de totalité. Il y a ce qu'on appelle l'approche de R. c. Jewell, selon laquelle les tribunaux commencent par établir la peine globale à imposer. Ils en déterminent la totalité, puis ils déterminent les diverses peines qui la composeront et décident également si les peines imposées pour certaines infractions doivent être purgées de façon consécutive ou concurrente.
Vous avez mentionné qu'un lien est établi entre la pornographie juvénile et les infractions sexuelles commises contre des enfants. Cela relève de l'interprétation de la règle de l'événement unique ou de la série d'événements. Dans la situation que vous avez décrite, les infractions n'auraient pas été commises dans le contexte d'une seule opération. Elles auraient été commises distinctement, et non au cours des mêmes faits. Dans ce cas, les tribunaux imposent habituellement des peines consécutives. Ce que nous affirmons ici, c'est que, même dans les cas où les infractions sont commises dans le cadre des mêmes faits, les peines doivent être purgées de façon consécutive, et il s'agit d'insister sur ce qui est reconnu par les tribunaux, par exemple sur ce qu'a fait remarquer la Cour suprême dans R. c. L.M., c'est-à-dire que des peines consécutives sont imposées pour des infractions de contact sexuel avec des enfants et de pornographie juvénile pour tenir compte de la gravité de l'infraction de pornographie juvénile ainsi que de l'incidence qu'elle a, surtout lorsque la pornographie est diffusée par Internet. Il s'agit d'une infraction qui a une longue durée. Je voulais simplement faire ce commentaire par rapport à ce que vous avez dit.
Il y aura peut-être des contestations fondées sur la Charte, mais nous avons examiné la jurisprudence et les peines imposées dans les situations de ce genre, et celles-ci dépassent régulièrement ce qui est proposé dans le projet de loi C-26.
Le sénateur McInnis : Le ministre MacKay a parlé tout à l'heure de l'affaire Fenwick MacIntosh, qui a eu lieu en Nouvelle-Écosse. Cet homme a été accusé d'agression sexuelle, et il a été acquitté parce que l'affaire n'a pas été soumise aux tribunaux assez rapidement. Il a donc pu quitter le pays, il purge maintenant une peine de sept ans d'emprisonnement pour agression sexuelle dans un pays étranger. C'était un touriste pédophile.
Quelles sont nos responsabilités et les ententes que nous avons conclues à l'échelle internationale pour ce qui est de la lutte contre le tourisme sexuel, et qu'est-ce que le projet de loi changera à la situation actuelle, maintenant que la GRC et l'ASFC échangent des renseignements? Pouvez-vous dire quelque chose là-dessus?
Mme Connidis : L'échange de renseignements entre l'ASFC et le RNDS est une mesure très importante dans la lutte contre le tourisme sexuel, car cela nous permet de communiquer de l'information sur des pédophiles présentant un risque élevé qui quittent le pays, de sorte que l'Agence des services frontaliers du Canada soit au courant. L'information figure à leur dossier. Lorsqu'ils rentrent au pays, les agents de l'ASFC peuvent les repérer et mener un interrogatoire et un examen plus poussés afin de s'assurer qu'ils ont fourni les renseignements pertinents lorsqu'ils ont quitté le pays. Nous savons où ils se sont rendus et ce qui s'est passé, et ils doivent rendre des comptes. S'ils n'ont pas respecté la prescription du registre, ils peuvent devoir rendre des comptes à ce chapitre également. Les représentants de la GRC voudront peut-être ajouter quelque chose.
M. Henschel : L'exigence qui existe maintenant pour les pédophiles à risque élevé de préciser à l'avance les endroits où ils vont se rendre à l'étranger nous permet maintenant de communiquer cette information aux autorités locales au besoin. Nous abordons la chose au cas par cas, et nous tenons compte de tous les éléments, du pays en question à la façon dont l'information sera utilisée là-bas, en passant par le fait qu'elle sera traitée adéquatement et par ce que la communication des renseignements suppose. En outre, nous nous demandons s'il y a des raisons de croire que la personne se rend dans le pays en question pour y faire du tourisme sexuel et s'il y a des choses qui, du point de vue de l'enquête ou de la prévention, seraient importantes à communiquer aux autorités locales.
Le fait de disposer de l'information nous permet d'examiner la situation afin de déterminer s'il y a des mesures que nous pouvons prendre proactivement pour contribuer à la protection des enfants dans le pays étranger en question.
Le sénateur McInnis : Y a-t-il des ententes internationales en place pour cela, avec INTERPOL ou quoi que ce soit d'autre?
M. Henschel : Il y a des dispositions et des ententes d'échange d'information de nature générale, et nous avons des directives ministérielles sur l'échange de renseignements. Il y a donc divers mécanismes en place qui déterminent la façon de communiquer l'information.
Sergio, avez-vous quelque chose de précis dans le cas des enfants?
Inspecteur Sergio Pasin, officier responsable des sciences du comportement, Opérations techniques, Services de police spécialisés, Gendarmerie royale du Canada : Oui, il y a aussi le Virtual Global Taskforce, dont le Canada est membre, et auquel participent neuf pays. Son mandat a changé au cours des dernières années, passant de l'exploitation des enfants en ligne exclusivement à ce que nous appelons maintenant les agresseurs sexuels d'enfants transnationaux et que nous appelions auparavant le tourisme sexuel pédophile. Les pays participants collaborent aussi avec des partenaires du secteur privé et échangent des renseignements, mènent des projets, mettent au point des outils technologiques permettant d'enquêter sur les cas, et ainsi de suite. Il y a un noyau. Il y a assurément des ententes entre ces pays.
Mme Morency : Il y a aussi un cadre juridique, en plus de ce qui a déjà été mentionné. Le Canada est également partie au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Le fait d'être partie à ce protocole et à la Convention relative aux droits de l'enfant offre à tous les États parties des possibilités d'entraide juridique, peu importe s'il y a un traité bilatéral entre eux ou pas. Le Canada a aussi conclu des traités bilatéraux avec divers partenaires, alors il y a toujours différentes façons, par les mécanismes juridiques existants, d'offrir de l'aide juridique, en plus de ce qui a déjà été mentionné.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup à tous d'être ici aujourd'hui. J'ai une question à poser aux gens du domaine de la justice et une à poser aux gens de la sécurité publique.
Pour les gens du domaine de la justice, je me demande si vous seriez en mesure de me dire de quelle façon les dispositions de ce projet de loi complètent celles du projet de loi C-13 adopté récemment, le projet de loi sur la cyberintimidation.
Pour les gens de la sécurité publique, vous avez effleuré le sujet dans une réponse antérieure, mais j'aimerais avoir un peu plus de détails. Comment procède-t-on pour déterminer qu'une personne présente un risque élevé, et qui décide?
Mme Levman : Comme vous le savez, le projet de loi C-13 prévoit une nouvelle infraction, la diffusion non consensuelle d'images intimes, ainsi qu'une ordonnance d'interdiction dans le cas où une personne est déclarée coupable de cette infraction et où on craint que cette personne récidive ou fasse quelque chose d'inapproprié sur Internet. Un juge peut rendre une ordonnance restreignant l'utilisation d'Internet par le délinquant.
Il s'agit donc d'une ordonnance très similaire à celle de l'article 161, l'ordonnance d'interdiction découlant d'une infraction sexuelle commise contre un enfant, alors le projet de loi C-26 va garantir l'uniformité des sanctions. Il y a une disposition de coordination dans le projet de loi à cet égard. Le projet de loi C-26 porte sur la pornographie juvénile, et nous savons que, malheureusement, les enfants se livrent parfois à ce qu'on appelle le « sextage », et, bien souvent, les autorités peuvent trouver que la disposition concernant la pornographie juvénile est un peu trop forte dans un contexte de ce genre, alors il serait possible pour un procureur de la Couronne ou pour un agent de police, tout dépendant de la compétence et de la personne qui est responsable de porter les accusations, de choisir l'infraction de diffusion non consensuelle d'images intimes plutôt que de pornographie juvénile dans un cas de sextage.
Mme Connidis : Pour ce qui est de votre deuxième question, concernant la façon dont nous déterminons qui présente un risque élevé, la disposition du projet de loi prévoit que les critères seront établis dans la réglementation. Ces critères sont en train d'être définis en consultation avec les provinces. Il y a eu plusieurs réunions de groupe de travail où on a abordé la question et où on a examiné les critères que les provinces utilisent, l'échelle Statique-99, les facteurs criminogènes des pédophiles à risque élevé et la recherche d'un consensus à l'échelle du pays sur les facteurs qui seront pris en compte dans le registre public. Ceux-ci font évidemment l'objet de consultations publiques dans le cadre du processus réglementaire et seront à la base de la réglementation.
Le sénateur White : Ma première question fait un peu suite à celle de la sénatrice Jaffer, je crois, et elle s'adresse probablement à M. Henschel.
Le système d'avis en place à l'heure actuelle tient déjà compte de la diffusion d'information pouvant avoir été examinée par les tribunaux antérieurement et ne devant pas être diffusée en ce qui a trait à l'identification des victimes, et cette condition doit être respectée avant que les noms soient inscrits dans le système de toute façon. De façon réaliste, donc, nous ne verrons pas dans le système le nom de personnes n'ayant pas déjà été avisées publiquement et dont le cas n'a pas déjà été examiné par les organismes en question. Est-ce exact?
M. Henschel : C'est exact.
Le sénateur White : La seconde question s'adresse à M. Pasin, qui était dans la même troupe que moi à Regina en 1981. Je pourrais vous raconter des histoires.
M. Pasin : Moi aussi.
Le sénateur White : Alors, ne nous lançons pas là-dedans.
J'ai une question concernant la liste de vols prévus. Je sais qu'il y a dans certains pays — je crois que c'est le cas de la Suède — une liste de vols prévus pour les pédophiles.
Est-ce que la GRC ou votre organisation a participé à une étude quelconque concernant le fait de recommander l'adoption d'un programme de ce genre dans le cadre duquel les délinquants sexuels feraient l'objet d'un avis automatique, par exemple, comme dans le cas des listes d'interdiction de vol des autres pays où il y a des risques? Je crois que c'est ma question : avons-nous envisagé de formuler des recommandations à l'intention de Sécurité publique là-dessus?
M. Pasin : Il y a eu des discussions sur le sujet au sein du VGT. Je crois que la question a été abordée au cours de l'avant-dernière séance. La façon d'envisager ces listes varie d'un pays à l'autre. Nous n'avons pas encore adopté une position définitive là-dessus.
Le sénateur White : Cette banque de données serait accessible à nos ambassades et à nos agents d'exécution de la loi affectés aux ambassades étrangères. Elle pourrait aider à contrer le comportement criminel auquel d'autres personnes se livreraient.
M. Pasin : La base de données concernant les pédophiles à risque élevé, oui.
La sénatrice Fraser : Je vais faire la même chose que tout à l'heure. Si le président nous interrompt avant que j'aie obtenu toutes mes réponses, j'aimerais que les personnes qui n'auront pas eu l'occasion de répondre fournissent leurs réponses par écrit au comité. C'est une façon de faire à laquelle nous recourons fréquemment ici et qui aide à régler les problèmes liés au manque de temps lorsque c'est nécessaire.
Simplement pour confirmer, d'après ce que je comprends, l'intention est de rendre accessible en ligne la base de données sur les délinquants à risque élevé. Quel sera le coût lié à cela?
La GRC recevra-t-elle des ressources supplémentaires pour administrer la base de données? Avec ou sans ces ressources supplémentaires, de façon raisonnable, dans quelle mesure pouvons-nous nous attendre à ce qu'elle soit tenue à jour?
Quelle est la description des infractions commises par les délinquants qui figurera dans cette base de données?
Enfin, quels seront les « motifs raisonnables » de supprimer de l'information de la base de données? Qui décidera? Il est écrit que c'est le commissaire, mais c'est toujours ce qui est écrit.
Est-ce que les critères de suppression de l'information seront publics? Pour ce qui est du temps — il faut qu'il y ait un examen après un certain temps — quelle sera la durée de la période?
M. Henschel : L'intention est de rendre la base de données accessible en ligne. Le coût d'application des dispositions législatives par la GRC est de 6,72 millions de dollars sur cinq ans et de 1,17 million de dollars par la suite. Nous allons le faire à partir des niveaux de référence existants.
La réponse à la question suivante est que nous allons le faire à l'aide des ressources existantes, donc sans nouvelles ressources.
La sénatrice Fraser : Bonne chance. Comment allons-nous pouvoir être certains qu'elle sera plus à jour que le CPIC?
M. Henschel : Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que le CPIC n'est pas à jour. Le CPIC est tout à fait à jour. Vous parlez du répertoire national des casiers judiciaires, et je peux vous donner une réponse très détaillée sur l'arriéré du répertoire national des casiers judiciaires.
La sénatrice Fraser : Vous pouvez m'écrire une lettre.
M. Henschel : Le répertoire national des casiers judiciaires a un arriéré important parce que nous passons d'un système sur papier vieux de 100 ans à un système entièrement électronique. C'est une responsabilité partagée, alors il y a un arriéré parce que les services de police nous envoient parfois des choses qui datent de 10, 20 ou 30 ans. Ils continuent de nous envoyer des choses qui viennent de leurs vieux dossiers. Nous avons notre propre arriéré parce que nous essayons de passer d'un système sur papier à un système électronique. Nous avons fourni le service d'identification en temps réel.
Nous sommes actuellement en train de procéder à ce qu'on appelle la « modernisation des renseignements de justice pénale », et ce sera à jour, en ce sens que les services de police pourront mettre les renseignements à jour en temps réel dans les casiers judiciaires.
Il n'y a pas d'arriéré dans le CPIC. Quelles sont les garanties? Nous sommes en train de comparer des pommes avec des oranges. Ce dont nous parlions, c'est de verser dans la base de données ce qui a déjà fait l'objet d'une divulgation dans l'intérêt public.
Une façon simple de le dire, c'est qu'il s'agit de prendre les divulgations qui ont été faites publiquement et de les réunir à un endroit où le public pourra y accéder.
Le président : Nous n'allons pas avoir le temps de répondre aux questions qui restent. Espérons que les fonctionnaires ont pris des notes.
La sénatrice Fraser : Nature des infractions, motifs raisonnables de suppression de l'information et période d'examen.
Le sénateur Plett : Je ne sais pas du tout si ma question figurait dans cette liste ou non, mais permettez-moi de la poser.
Pourriez-vous expliquer plus en détail le type d'avis obligatoire qui existe à l'heure actuelle pour les pédophiles à risque élevé qui quittent le pays, et, plus précisément, quels seront les changements qui seront apportés si le projet de loi est adopté?
M. Henschel : Pour l'instant, il n'y a pas d'obligation, parce qu'il n'y a pas d'exigence. Dans le nouveau projet de loi, il y aura une exigence pour les délinquants sexuels à risque élevé de signaler leur départ du pays et de préciser leur destination, la durée de leur voyage, les endroits où ils s'arrêteront en cours de route et l'endroit où ils séjourneront. S'ils modifient leurs plans en cours de route, ils mettront immédiatement l'information à jour également. Le projet de loi prévoit une nouvelle obligation pour les pédophiles à risque élevé de divulguer ces renseignements avant de partir en voyage.
Le sénateur Joyal : Vous avez expliqué que l'information qui sera recueillie pour déterminer si une personne est un délinquant à risque élevé proviendra de diverses sources et sera prévue par la réglementation, mais qui décidera si une personne est un délinquant à risque élevé? Quelle autorité légale décidera de cela?
Mme Connidis : Je crois que cela reste à déterminer, mais il faudra encore que ce soit d'abord les autorités locales qui rendent la chose publique, puis les critères communs devront être respectés avant que l'information soit versée dans la base de données accessible publiquement.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, qui pourra contester cette décision? Parce que, bien évidemment, cette décision entraînera des conséquences importantes pour ceux dont le nom figurera dans l'ordinateur de la GRC, accessible à tous. Si on affirmait que je suis un délinquant à risque élevé, je voudrais me faire entendre devant les tribunaux. Je voudrais pouvoir contester cette information et expliquer pourquoi je ne devrais pas être désigné comme étant un délinquant à risque élevé. Cela me semble constituer une procédure judiciaire très délicate.
M. Henschel : La désignation de délinquant sexuel à risque élevé, de pédophile, est différente de celles qui vont figurer dans la base de données accessible publiquement.
Le sénateur Joyal : Bien sûr, mais les deux vont avoir beaucoup de conséquences sur le plan juridique.
M. Henschel : C'est vrai. Mais, dans le cas de la désignation de pédophile à risque élevé, si le nom d'une personne doit être inscrit dans la base de données accessible publiquement, des efforts seront déployés pour aviser la personne à l'avance, de sorte qu'elle puisse présenter des observations concernant les raisons pour lesquelles son nom ne devrait pas figurer dans la base de données publique si elle souhaite le faire. N'oublions toutefois pas que, sans égard à ce processus, si les autorités locales ont décidé de procéder à une divulgation dans l'intérêt public, l'information sera déjà publique. Il y aura cependant un mécanisme permettant aux personnes concernées d'adresser des observations au commissaire de la GRC concernant les raisons pour lesquelles leur nom ne devrait pas figurer selon elles dans la base de données accessible publiquement.
Le sénateur Joyal : Et cette décision pourra être portée en appel devant les tribunaux?
M. Henschel : Je dois voir ce qu'en pensent mes amis du ministère de la Justice, mais je présume qu'un contrôle judiciaire est possible, oui.
Le sénateur Joyal : Mon autre question a trait à la déclaration faite par le ministère de la Sécurité publique, qui a dit que ce qui sera rendu public dans la nouvelle base de données accessible publiquement, c'est le nom de personnes « qui ont déjà fait l'objet d'un avis public dans une administration provinciale ou territoriale ». Ce sont les mots que le ministre a utilisés dans son exposé — pas en réponse à une question, mais bien dans le mémoire qu'il a lu.
Qu'entendez-vous par « déjà fait l'objet d'un avis public »? Que veut dire le mot « avis » dans ce contexte? S'agit-il de renseignements concernant le processus pénal? S'agit-il plutôt de ce qui a été publié dans les journaux concernant cette personne? Quelle est la définition d'« avis »?
M. Henschel : Il s'agit des divulgations qui sont faites dans l'intérêt public, et qui, comme je l'ai mentionné, proviennent des autorités locales. Chaque province a son propre mécanisme de divulgation, et ce n'est donc pas uniforme à l'échelle du pays. Cependant, comme le sénateur White l'a dit tout à l'heure, à titre de chef de police, il décidait si... si une personne posait un risque suffisamment important pour la collectivité, il décidait s'il était plus important d'en aviser la collectivité que de protéger la vie privée de cette personne en ne diffusant pas l'information. L'information qui est donc habituellement communiquée, c'est le fait que le délinquant réside dans la collectivité en question.
Le sénateur McIntyre : Ma question concerne l'échange de renseignements sur les délinquants sexuels inscrits entre la GRC et Sécurité publique.
Je sais qu'il n'y a que des contrôles d'entrée et pas de contrôle de sortie au Canada. J'aimerais donc savoir comment la nouvelle loi s'appliquera dans ce contexte.
Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet de l'Initiative sur les entrées et les sorties de l'Agence des services frontaliers du Canada et du département de la Sécurité intérieure des États-Unis?
M. Henschel : Je ne peux rien vous dire au sujet de votre deuxième question, des États-Unis et de la question des entrées et des sorties.
Mais pour ce qui est de votre première question, ce qui va se passer, c'est que nous allons systématiquement aviser l'ASFC; lorsqu'un pédophile à risque élevé nous avisera du fait qu'il part en voyage à l'étranger, nous communiquerons cette information de façon systématique à l'ASFC. Ainsi, lorsque la personne rentrera au pays, donc à l'entrée, l'ASFC pourra prendre les mesures qu'elle jugera adéquates, par exemple vérifier des choses comme les endroits où la personne s'est rendue et si elle a fait ce qu'elle avait annoncé avant de partir.
Le sénateur McIntyre : Vous êtes donc en faveur des modifications qui sont apportées?
M. Henschel : Je pense qu'elles renforceront notre capacité d'agir dans le cas de pédophiles qui voyagent, oui.
La sénatrice Batters : Je veux attirer l'attention des fonctionnaires sur un aspect important du projet de loi qui n'a pas reçu beaucoup d'attention, mais qui pourrait contribuer grandement à la sécurité des Canadiens. Les dispositions dont je parle ont trait à des mesures protégeant les Canadiens contre les personnes reconnues coupables d'agression sexuelle contre des enfants.
Puis-je vous demander d'expliquer, pour le bénéfice des membres du comité et des Canadiens qui suivent l'étude que nous menons, ce que le projet de loi propose sur le plan des sanctions en cas de non-respect d'une ordonnance de probation, d'une ordonnance d'interdiction, d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou d'une ordonnance de surveillance?
M. Villetorte : En ce qui a trait aux ordonnances de surveillance dont vous venez de parler — probation, interdiction, article 161 et engagement de ne pas troubler l'ordre public —, il en rendrait le non-respect punissable par 4 ans d'emprisonnement par voie de mise en accusation et 18 mois par procédure sommaire; dans le cas de l'ordonnance de probation, l'amende imposée passerait de 2 000 à 5 000 $, pour qu'elle corresponde à la peine imposée par défaut lorsque le montant de l'amende n'est pas précisé, et il s'agit de l'article 787. Voilà ce que le projet de loi propose.
De plus, la hausse de la peine maximale, par voie de mise en accusation, ou par procédure sommaire signale en les dénonçant que ces ordonnances sont propres aux infractions sexuelles commises contre des enfants et qu'une infraction aux conditions de ces ordonnances, qu'elles donnent lieu à la perpétration d'une infraction ou non, doit être prise au sérieux.
La sénatrice Batters : Merci.
Le président : Merci à nos témoins. Je vous remercie de votre comparution et de l'aide que vous nous avez fournie ce soir.
La dernière chose que le comité doit faire ce soir, c'est de commencer l'étude article par article du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le projet de loi C-2 crée un régime d'exemption distinct pour l'exploitation de sites de consommation supervisés au Canada.
Avant que nous commencions, je veux informer les membres du comité du fait que des fonctionnaires de Santé Canada sont ici ce soir. Nous pouvons leur demander de répondre à toute question de nature technique que vous souhaiteriez poser. Que voulez-vous faire? Voulez-vous qu'ils viennent s'installer maintenant ou seulement s'il y a des questions? Qu'en pensez-vous?
Le sénateur McInnis : Et vous, monsieur le président, qu'en pensez-vous?
Le président : Mesdames, monsieur, pourquoi ne viendriez-vous pas vous installer? Je vais vous présenter, et nous allons pouvoir accélérer le processus.
Je vous présente Jacqueline Gonçalves, directrice générale, Direction des substances contrôlées et de la lutte au tabagisme, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs, Santé Canada; Greg Lyost, directeur, Direction des substances contrôlées et de la lutte au tabagisme de la même organisation; et Diane Labelle, avocate générale des Services juridiques de cette organisation.
Il ne semble pas déjà y avoir de questions, alors je vais passer tout de suite à l'étude article par article.
Est-il convenu de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-2?
Des voix : D'accord.
Le président : D'accord.
Êtes-vous d'accord pour suspendre l'adoption du titre?
Des voix : D'accord.
Le président : D'accord.
Êtes-vous d'accord pour suspendre l'adoption du préambule?
Des voix : D'accord.
Le président : D'accord.
Êtes-vous d'accord pour suspendre l'adoption de l'article 1, qui contient le titre abrégé?
La sénatrice Fraser : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence.
L'article 2 est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
L'article 3 est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
L'article 4 est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
L'article 5 est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
L'article 6 est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
Le préambule est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
Le projet de loi est-il adopté?
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
Le sénateur White : Ne devrions-nous pas poser une question?
Le président : Est-ce que le comité veut annexer des observations au rapport? Puisqu'il n'y en a pas, est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
Le président : D'accord.
Merci à nos témoins de leur importante contribution à nos délibérations. C'est très apprécié. La séance est levée.
(La séance est levée.)