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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 32 - Témoignages du 28 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 28 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence, s'est réuni aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue aujourd'hui à mes collègues, aux invités et à ceux qui suivent les procédures du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence.

Je rappelle à ceux qui nous regardent que les réunions du comité sont ouvertes au public et diffusées sur le Web à l'adresse parl.gc.ca. De plus amples renseignements sur l'horaire de comparution des témoins sont accessibles sur ce site web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Pour ce qui concerne notre premier groupe de témoins aujourd'hui, je vous prie d'accueillir Greg Gilhooly, à titre personnel, Catherine Latimer, directrice exécutive de la Société John Howard du Canada, par vidéoconférence de Winnipeg, Monique St. Germain, avocate-conseil du Centre canadien de protection de l'enfance de même que Alain Fortier, président, et Frank Tremblay, vice-président, de Victimes d'agressions sexuelles au masculin.

Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de cinq minutes de Mme St. Germain, suivie de celles de M. Gilhooly, de Mme Latimer, puis, enfin, de M. Fortier et M. Tremblay.

Madame St. Germain, la parole est à vous.

Monique St. Germain, avocate-conseil, Centre canadien de protection de l'enfance : Merci, monsieur le président et distingués membres du comité. Merci d'avoir donné à notre organisme l'occasion de présenter un exposé sur le projet de loi C-26. Je m'appelle Monique St. Germain. Je suis avocate-conseil pour le Centre canadien de protection de l'enfance, un organisme de bienfaisance canadien enregistré dont l'objectif est de protéger tous les enfants. Au départ, notre organisme s'appelait Child Find Manitoba. À l'époque, il soutenait les familles qui vivaient un vrai cauchemar, soit la disparition ou le meurtre d'un enfant, et défendait leurs droits. Au cours des 30 dernières années, nous sommes devenus un organisme qui offre divers programmes et services nationaux visant à réduire l'exploitation sexuelle des enfants, comme cyberaide.ca, une ligne anti-crime nationale canadienne pour déclarer les cas d'exploitation sexuelle d'enfants, EnfantPorteDisparu.ca, un centre de ressources et d'intervention canadien pour les enfants portés disparus, Enfants avertis, un programme d'éducation à la sécurité pour les enfants, et Priorité jeunesse, un programme qui va au-delà de la limite liée à la vérification du casier judiciaire en aidant des organisations à établir des politiques et des procédures concrètes pour aider à prévenir la violence sexuelle.

La portée de nos programmes et services nous aide à interagir avec de nombreux professionnels, qui s'efforcent de protéger les enfants. Grâce à notre travail de triage des déclarations formulées sur le site cyberaide.ca, nous communiquons régulièrement avec les responsables de l'application de la loi et de la protection de l'enfance. Nos programmes éducatifs nous permettent d'interagir régulièrement avec les étudiants, les enseignants et les organisations qui viennent en aide aux enfants. Nous consultons régulièrement des experts en psychologie, en développement de l'enfant et en comportement de délinquants sexuels. Nous travaillons directement auprès des familles d'enfants disparus et auprès de familles qui tentent de s'en sortir une fois la violence mise au jour. Nous faisons un suivi des dossiers qui cheminent dans le système judiciaire et qui concernent l'exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour nous assurer que nos programmes et services tiennent compte des tendances et risques actuels, pour comprendre de quelle façon les victimes sont traitées par les systèmes juridiques, de protection de l'enfance et d'enseignement et là où on peut apporter des améliorations.

Notre organisme appuie le projet de loi C-26. Plus tôt cette année, j'ai comparu au nom de notre organisme devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. J'ai exprimé mon soutien et souligné notre position sur des questions comme les peines consécutives, les modifications apportées aux exigences redditionnelles touchant les délinquants sexuels et la création d'un registre public des délinquants sexuels à haut risque. Plutôt que de répéter ces remarques, je renvoie le comité à ce témoignage. Il y a trois autres composantes du projet de loi C-26 que nous appuyons.

Premièrement, nous approuvons l'augmentation des peines minimales pour les infractions d'ordre sexuel contre des enfants. Notre organisme a un point de vue unique, qui lui permet de comprendre la nature distincte des infractions liées à l'exploitation sexuelle des enfants et des répercussions dévastatrices et à long terme qu'elles peuvent avoir sur les victimes, leur famille et la collectivité en général. Nous savons que chaque cas qui atteint l'étape de la détermination de la peine est important, parce que nous savons trop bien à quel point ces cas représentent seulement une fraction de la violence au pays. Nous savons que les victimes sont habituellement agressées par un proche et qu'elles sont nombreuses à ne pas pouvoir ou vouloir déclarer la violence dont elles sont victimes. Nous savons que les adultes et les autres personnes qui travaillent auprès des enfants ne reconnaissent peut-être pas les comportements problématiques, que la technologie a ajouté une nouvelle couche de complexité à un problème qui était déjà fort complexe et qu'il y a des délinquants qui victimisent de nombreux enfants pendant plusieurs années avant qu'on découvre leurs agissements. Nous sommes témoins des difficultés liées aux poursuites intentées dans ces genres de cas.

Lorsqu'on obtient une déclaration de culpabilité, la durée de la peine imposée est très importante. C'est une façon de dire à la victime qu'elle est importante, que ce qui lui a été fait était mal. La peine dénonce le comportement du délinquant. Elle envoie un message fort à la société au sujet de la gravité de telles infractions. C'est aussi une façon d'empêcher le contrevenant d'agresser d'autres enfants pendant qu'il purge sa peine.

Nous sommes aussi favorables à l'augmentation des peines en cas de manquement aux conditions imposées par le tribunal. Lorsque des conditions sont imposées à un délinquant, la cour tient compte de la nature des infractions commises et du risque posé par le délinquant. Ces conditions sont une tentative pour gérer ce risque et atténuer la possibilité qu'il y ait d'autres victimes. Les conditions ont un objectif, et elles sont extrêmement importantes à la protection continue des enfants. Par conséquent, les peines imposées en réaction à de tels manquements doivent être sévères.

Troisièmement, nous appuyons le changement qui facilitera le témoignage des époux dans les cas de pornographie infantile. La pornographie infantile est la preuve permanente de l'agression sexuelle d'un enfant, et ceux qui en consultent, en possèdent, en produisent ou en distribuent constituent un risque important pour les enfants. L'époux de la personne accusée est parfois la seule personne qui peut fournir au tribunal les renseignements nécessaires pour obtenir une condamnation. Compte tenu du fait que l'objectif principal de la création de l'infraction est de protéger les enfants, il est tout à fait sensé de l'ajouter à la liste des infractions dans le cadre desquels le témoignage de l'époux est admis.

En conclusion, même si nous reconnaissons que les peines criminelles sont seulement une partie de la solution, elles sont une composante importante permettant de mieux protéger les enfants. Le projet de loi envoie un message clair au sujet de la gravité des infractions sexuelles perpétrées contre des enfants et aide à rétablir un équilibre entre les victimes et les délinquants. Merci.

Greg Gilhooly, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité. Je tiens à saluer le gouvernement d'avoir présenté ce projet de loi. Est-il parfait? Je ne crois pas. Permet-il de régler tous les problèmes futurs auxquels nous serons confrontés relativement à ces enjeux? Bien sûr que non, mais, je veux revenir sur le dernier commentaire formulé par Monique. Le projet de loi fait partie d'un ensemble de projets de loi proposés par le gouvernement, et, en tant que victime, je trouve ces projets de loi très importants et je crois qu'ils ramènent le gouvernement du côté des gentils, ne serait-ce qu'en raison des messages véhiculés.

Depuis trop longtemps, nous avons vu l'équilibre pencher d'un côté, puis de l'autre, entre la Couronne et les procureurs, et l'accusé, le criminel, et ses droits. Dans le cadre de cette bataille, une partie se joue. Les victimes sont sur les lignes de côté depuis bien trop longtemps. Les victimes ne sont rien d'autre que des témoins pour notre système de justice ou notre système axé sur les résultats juridiques. Le problème auquel nous sommes confrontés, c'est que les intervenants de notre système se laissent prendre au jeu et deviennent eux-mêmes des défenseurs des droits. Je renvoie précisément à un témoignage d'un avocat criminaliste devant un comité de la Chambre. Il parlait au nom de l'Association du Barreau canadien — notre association nationale des avocats —, et il a parlé du devoir constitutionnel d'un avocat criminaliste et du besoin, du devoir des avocats criminalistes de lutter contre l'État.

Les avocats criminalistes ne devraient pas seulement être des avocats qui représentent les accusés. Ce qui s'est produit dans notre système — relativement à la perception des avocats criminalistes —, c'est qu'on y joue « une partie », au bout de laquelle il y a des gagnants et des perdants et dans le cadre de laquelle on ne se soucie pas des victimes.

Parlant de ma propre expérience aux mains de Graham James, je peux aller regarder des procédures en cours. Je peux aller à la Cour d'appel du Manitoba et rencontrer l'avocat de la Couronne. Cette personne n'est pas mon avocat; cette personne n'a jamais été là pour me représenter et elle n'a pas pris le temps de me parler. C'est un petit détail qui montre le problème du système actuel, problème que le gouvernement tente maintenant de corriger en mettant de l'avant le rôle et la prise en considération du rôle des victimes au moment de déterminer ce qu'il faut faire.

Évidemment, je ne suis pas le genre à dire « enfermez-les et jetez la clé », mais, en ce qui concerne le présent projet de loi et les points de vue qu'il propose sur la façon dont le système doit traiter ceux qui victimisent les enfants, je crois que c'est une autre paire de manches.

Vous allez accueillir M. Spratt dans le prochain groupe de témoins, et il va vous présenter son cours de criminologie 101 et — comme tout bon avocat criminaliste—, il s'élèvera contre toutes les dispositions qui font en sorte qu'il est plus difficile pour lui de représenter ses clients, d'obtenir une victoire dans la partie qu'il joue. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une partie juridique qui a lieu après la perpétration du crime, après que les événements sont survenus, et les dispositions dont nous parlons actuellement portent simplement sur le sort réservé aux criminels. Nous ne parlons pas d'éléments de preuve ni de règles liées à la preuve, nous parlons de ce qu'il faut faire avec les coupables.

Les gens disent que je suis un défendeur des droits des victimes. Eh bien, je vous dis, lorsque vous parlerez à M. Spratt tantôt, considérez-le comme un défenseur des droits des criminels, parce que c'est le rôle qu'il joue dans le système.

Les victimes ne sont rien de plus que des témoins, mais elles devraient être plus que cela, surtout lorsqu'il est question de ceux qui victimisent des enfants.

Je suis d'accord avec 90 p. 100 de ce que fait la société John Howard, mais je ne suis pas d'accord avec ce que fait la Société John Howard lorsqu'il est question des agresseurs d'enfants. Je suis d'accord avec 90 p. 100 de ce que fait M. Spratt au quotidien, mais je ne suis pas d'accord avec son approche à l'égard du projet de loi, ni relativement à cet aspect de la législation.

Je vais conclure en disant simplement que la question de savoir si le gouvernement a visé juste à tous coups avec le présent projet de loi et l'ensemble de projets de loi qu'il a présenté ne m'importe pas en tant que victime. Ce qui est important pour moi en tant que victime, c'est le fort message que le gouvernement envoie depuis un certain temps selon lequel les victimes ont leur place dans la discussion et que le gouvernement a l'obligation de rééquilibrer la lutte en cours dans cette « partie » qui se joue entre la poursuite et la défense. Les victimes comptent. Ce projet de loi aide.

Catherine Latimer, directrice exécutive, Société John Howard du Canada : Je suis très heureuse d'être ici pour vous parler et pour vous transmettre certaines de nos préoccupations au sujet des peines plus sévères prévues dans la Loi sur les prédateurs d'enfants.

Je crois que nous pouvons dire sans nous tromper que nous sommes tous préoccupés par le sort des enfants et que nous voulons tous les protéger contre la violence sexuelle. Pour revenir sur ce que Greg a dit, la Société John Howard est déterminée à défendre des interventions justes, efficaces et humaines aux causes et conséquences des crimes. Nous travaillons en étroite collaboration avec les victimes et nous travaillons aussi avec des délinquants sexuels pour essayer de faciliter leur réinsertion sociale lorsqu'ils réintègrent la collectivité, de façon à ce qu'ils soient moins susceptibles de récidiver. En fait, le taux de récidive des agresseurs sexuels d'enfants est très bas.

Je veux vous exposer nos préoccupations, surtout au sujet de l'approche qui consiste à accroître les peines pour gérer les dossiers des agresseurs sexuels d'enfants, l'un des principaux éléments du projet de loi.

Même si nous sommes d'accord avec l'idée que les personnes qui commettent des infractions criminelles doivent être tenus responsables de façon juste et proportionnelle, compte tenu de leurs méfaits criminels, il est très peu probable que les peines plus sévères prévues dans la Loi sur les prédateurs d'enfants et sa structure des peines rehaussées protégera les enfants en réduisant la prévalence des crimes sexuels dont ils sont victimes.

En 2012, le gouvernement a augmenté les peines liées à de nombreuses infractions dont il est aussi question dans le projet de loi C-26. À ce moment-là, il a fait valoir que cela allait protéger les enfants et reflétait le dégoût de la société pour de telles infractions. Bon nombre de peines maximales ont été augmentées à 10 ans, et les peines minimales ont été augmentées à 90 jours. Il y en a fait un tableau d'ensemble de propositions qui ont changé assorti des peines connexes dans notre mémoire, qui a peut-être été distribué.

Le projet de loi C-26 propose d'accroître encore plus les peines maximales, les faisant passer à 14 ans, et les peines minimales, qui passent à six mois pour bon nombre des mêmes infractions. Même si j'aimerais bien voir les données probantes, il semble peu probable que le point de vue de la société sur la gravité des infractions sexuelles contre les enfants ait beaucoup changé au cours des dernières années, lorsque des peines maximales de 10 ans et des peines minimales de 90 jours étaient jugées adéquates pour un certain nombre d'infractions précises. Le ministre MacKay affirme maintenant que les infractions sexuelles contre les enfants sont en hausse et qu'il faut donc prendre des mesures de dissuasion.

L'augmentation actuelle du nombre d'infractions donne à penser que le fait d'imposer des peines plus sévères n'a pas eu l'effet dissuasif escompté en ce qui concerne les infractions sexuelles contre des enfants. Les données probantes tirées des sciences sociales montrent très clairement que les peines plus sévères n'ont pas d'effet dissuasif, mais le présent projet de loi accroît tout de même à nouveau les peines minimales et maximales obligatoires, et ce, supposément pour protéger les enfants. Le fait de doubler la mise sur une théorie de la dissuasion douteuse ne protège pas nos enfants et entraîne une augmentation des coûts, particulièrement sur les systèmes de justice et les services correctionnels provinciaux.

L'imposition de peines minimales obligatoires risque aussi de violer les droits prévus dans la Charte en menant à l'imposition de peines sévères et disproportionnées. Ce risque est accru par le fait que certaines peines minimales obligatoires seront consécutives.

À la lumière de la réaction publique à l'égard des agresseurs sexuels d'enfants, la Base de données publique portant sur les auteurs d'agressions sexuelles commises sur des enfants qui représentent un risque important et la possibilité que des renseignements au sujet de Canadiens qui voyagent dans des pays étrangers soient communiqués pourraient constituer un risque et être extrêmement préjudiciables pour certaines personnes. Le règlement encadrant le registre et la communication d'information devra être examiné de près; il faut vraiment évaluer l'utilité du registre des agresseurs sexuels d'enfants.

Ce qui a fait l'objet d'évaluation et s'est révélé efficace, ce sont des programmes comme les cercles de soutien et de responsabilité, qui appuient la réinsertion sociale sans criminalité dans le cas des personnes condamnées pour des infractions sexuelles, mais ces programmes perdent leur financement. Les enfants sont beaucoup plus à risque d'être agressés sexuellement par des proches que par des étrangers qui figurent dans des registres. Si nous voulons vraiment protéger les enfants contre la violence sexuelle, il faut mettre l'accent sur la prévention.

En conclusion, les peines criminelles devraient refléter la gravité d'une infraction et le degré de responsabilité du délinquant, mais le fait d'accroître les peines n'empêchera pas ces crimes d'être commis et ne protégera pas nos enfants contre la violence sexuelle. Des investissements dans des initiatives de prévention, de traitement et de réadaptation sont des approches plus efficaces pour protéger les enfants de la violence sexuelle.

[Français]

Alain Fortier, président, Victimes d'agressions sexuelles au masculin (VASAM) : Merci de me permettre de comparaître devant vous aujourd'hui. Je vais commencer la présentation, et M. Tremblay la terminera. Aujourd'hui, nous sommes heureux de vous faire part des raisons qui motivent notre appui sans réserve au projet de loi C-26. Parmi les dispositions du projet de loi, trois d'entre elles attirent principalement notre attention : rendre publique la base de données portant sur les auteurs d'agressions sexuelles qui représentent un risque élevé; l'alourdissement des peines d'emprisonnement minimales et maximales liées à certaines infractions d'ordre sexuel contre les enfants; et l'obligation d'imposer aux contrevenants déclarés coupables d'infractions d'ordre sexuel contre de multiples enfants des peines distinctes.

La semaine dernière, à Québec, plusieurs journaux et émissions de radio ont parlé abondamment d'un pédophile qui demeure près d'une école. Les gens du quartier étaient craintifs et inquiets, parce qu'ils ne pouvaient pas identifier le pédophile. Tous étaient d'accord pour dire qu'ils voulaient avoir accès à un registre des pédophiles. Nous croyons que le registre est un outil essentiel à la prévention et à la protection de la population. Il est faux de dire que le registre empêcherait les pédophiles de se réhabiliter, car le registre traite des pédophiles récidivistes qui, à notre avis, ne peuvent être réhabilités. De plus, laisser sous-entendre que la population veut avoir accès au registre pour se venger, c'est comme annoncer le bogue de l'an 2000. C'est une catastrophe qui n'arrivera pas. Si je ne me trompe pas, ce type de registre existe déjà dans d'autres provinces depuis 2004 et il n'y a aucun cas répertorié de rage contre les pédophiles. Il ne faudrait surtout pas oublier que la meilleure arme des agresseurs, c'est le silence. Grâce au registre, nous venons briser ce cycle. Nous croyons que la population, et moi-même, en tant que père, sommes prêts à accueillir ce type de registre et que c'est maintenant le temps d'accorder la priorité à la sécurité de nos enfants plutôt qu'à celle des agresseurs.

Frank Tremblay, vice-président, Victimes d'agressions sexuelles au masculin (VASAM) : J'aimerais enchaîner avec l'alourdissement des peines d'emprisonnement minimales, ainsi que l'imposition de peines consécutives aux contrevenants déclarés coupables d'infractions d'ordre sexuel contre de multiples enfants. La politique doit maintenant être mise en application. Il est nécessaire qu'il soit permis aux juges d'imposer des peines à la hauteur des fautes commises. Les sentences incompréhensibles et parfois ridicules du point de vue de la population qui discréditent complètement notre système de justice doivent cesser.

Prenons le cas de Mme Tania Pontbriand, 32 ans, qui a eu des relations sexuelles avec un de ses élèves de 15 ans. Elle a reçu 20 mois d'emprisonnement, alors que Luc Bergeron, un autre cas, 47 ans, qui a violé une fillette de 10 ans, a reçu une sentence de sept mois. Notre appui sans réserve au projet de loi C-26 n'est pas seulement idéologique; il est fondé sur une série d'expériences personnelles douloureuses. Il ne vise pas à punir davantage l'agresseur, mais à mieux protéger les victimes et à imposer une sentence adéquate aux prédateurs sexuels d'enfants et à prendre les dispositions requises pour qu'ils la purgent vraiment. Nous devons prendre en considération les enfants agressés et les respecter. La protection de l'enfant, c'est l'esprit du projet de loi C-26. Ce n'est pas seulement une question de mois ou d'années.

Je vais vous donner un témoignage personnel : dans le cas de mon collègue, Alain Fortier, il y a 23 ans, son agresseur a obtenu 90 jours de prison, de manière discontinue. Quant à mon agresseur, Raymond-Marie Lavoie, il a obtenu trois ans d'emprisonnement. La sentence a été portée devant la Cour d'appel et a été ramenée à cinq ans à l'unanimité. Sur une sentence de 60 mois de prison, il a purgé 26 mois pour 13 victimes. On pourrait penser qu'il devrait y avoir une évolution, mais la peine diminue plutôt; 26 mois pour 13 victimes. Dans mon esprit, c'est deux mois par victime. Dans mon cœur d'enfant, cet homme a fait 60 jours de détention pour avoir passé 80 nuits d'amour complètes avec moi. Est-ce qu'on veut maintenir cela? Est-ce que les Canadiens veulent maintenir cela? Des gens viendront peut-être témoigner au comité pour vous dire qu'il est prouvé que les peines sévères ne sont pas dissuasives, mais, honnêtement, j'y crois peu. Je peux toutefois vous certifier une chose : les sentences dérisoires dissuadent les victimes de passer à travers l'enfer du processus judiciaire. Encore une fois, mon collègue Alain Fortier en est la preuve vivante. Il en parle en conférence et il le dit : à la suite de la sentence de 90 jours de son premier agresseur, il a clairement décidé de ne pas dénoncer son deuxième agresseur. Cela avait été trop difficile pour lui. S'il l'avait dénoncé — il en parle avec regret aujourd'hui —, il sait pertinemment qu'il y a au moins une victime qui n'aurait pas été agressée.

En conclusion, si nous voulons augmenter le taux de dévoilement qui est d'environ 10 p. 100, à l'heure actuelle, il faudrait peut-être commencer à faire les choses différemment et à poser des actions en fonction des victimes et de la protection de celles-ci, et non en fonction des agresseurs qui — en passant — sont entièrement responsables de leurs gestes.

Rappelons-nous que l'esprit du projet de loi C-26 est la protection de l'enfant et la protection des enfants qui continuent de vivre dans le corps des grands qui sont anéantis. Lorsque je parle à une victime au sein de notre organisme, je sens que je parle à un enfant lorsqu'il rapporte des faits vécus pendant son enfance. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Merci aux témoins de leurs excellents exposés à l'intention du comité. Vos propos seront très utiles dans le cadre de notre étude du projet de loi. J'ai seulement une question — et je sais que d'autres membres en ont aussi pour nos témoins —, et elle est adressée à Mme Latimer.

Au moment de notre rencontre avec le ministre relativement au projet de loi, le sénateur Joyal s'est dit préoccupé par la constitutionnalité des récentes dispositions mises de l'avant par le gouvernement du Canada. Dans l'arrêt R. c. Nur, qui date du 14 avril 2015 — il y a de cela seulement quelques semaines—, la cour a déclaré invalides les récentes dispositions mises en place par le gouvernement. L'opinion dissidente dans ce dossier — celle de Wagner, Rothstein et d'un autre juge — tenait en une phrase « L'intention du législateur de faire en sorte que les infractions les moins graves fassent l'objet d'une procédure sommaire est cruciale lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la constitutionnalité [...] ». Ce dossier, qui était un dossier moins grave — comme il y en a toujours —, aurait pu être réglé par voie sommaire. Dans le présent projet de loi, même les infractions punissables par voie de déclaration sommaire sont assorties de peines minimales obligatoires. Qu'en pensez-vous?

Mme Latimer : Dès qu'on impose des peines minimales obligatoires, il y aura assurément de l'injustice, puisqu'il y aura toujours des cas où la peine appropriée est inférieure au minimum obligatoire. Les délinquants recevront des peines plus sévères que celles qui auraient constitué une réaction proportionnée à l'infraction.

La loi proposée fera très certainement l'objet d'une contestation et sera très probablement descendue en flammes puisqu'on déterminera qu'il s'agit d'une violation des protections contre les peines cruelles et inhabituelles qui sont disproportionnellement longues, particulièrement lorsque les peines sont consécutives, ce qui peut même être le cas lorsqu'il est question d'infractions punissables par voie de déclaration sommaire. Par exemple, disons qu'un chauffeur d'autobus a tapé sur les fesses de tous les enfants qui sont entrés dans son autobus. Même si l'impact d'un tel comportement n'est peut-être pas majeur, puisque les peines minimales obligatoires qui lui seront imposées seront purgées de façon consécutive, le chauffeur pourrait purger une peine aussi longue que quelqu'un qui a commis une agression sexuelle grave contre un enfant. Cela vient fausser la proportionnalité et l'équité que nous aimons voir dans la législation touchant la justice pénale.

Le sénateur Plett : J'ai des questions pour Mme St. Germain et pour certaines victimes ou toutes les victimes qui sont ici aujourd'hui.

Madame St. Germain, merci d'être là, je suis heureux de vous revoir. Je suis toujours émerveillé par tout le travail fait par votre organisation. Je suis très fier d'avoir eu l'occasion de travailler en collaboration avec vous au cours des dernières années.

Il y a environ un mois, durant la célébration de votre trentième anniversaire, nous avons eu l'occasion d'entendre M. Lyle Miller et sa famille parler de l'expérience traumatisante de leur fils Zack, qui a été enlevé et agressé par Peter Whitmore. Pouvez-vous décrire rapidement l'impact dévastateur que l'événement a eu sur Zack, et en fait, sur toute sa famille et aussi sur la famille de l'autre garçon enlevé avec Zack? De plus, croyez-vous vraiment que, grâce à l'augmentation des peines minimales obligatoires et l'exigence de purger les peines de façon consécutive dans certains cas, les prédateurs d'enfants se verront imposer des peines plus justes, des peines qui reflètent la gravité et la nature haineuse de leurs crimes?

Mme St. Germain : Pour ce qui est du cas de Peter Whitmore, je crois que nous avons déjà témoigné devant le comité au sujet de ce délinquant. Il avait commis de façon répétée des infractions sexuelles contre des enfants. Il avait déjà violé sept enfants avant qu'il ne rencontre l'enfant des Miller. Les peines qui lui avaient déjà été imposées étaient sévères. Cependant, après coup, il violait à répétition les conditions qui lui étaient imposées. Si on pense au projet de loi C-26 et aux peines accrues qui seront imposées en cas de manquements aux conditions, c'est un délinquant pour qui l'augmentation des peines aurait eu un impact important. Selon moi, les policiers le gardaient probablement à l'œil, parce qu'ils savaient qu'il était dangereux, et ils auraient pu l'arrêter en raison de ces manquements. Il accumulait des manquements et il était visé à ce moment-là par l'article 801 — je crois que c'est le bon numéro — qui concerne l'engagement, engagement qu'il a à nouveau violé lorsqu'il a enlevé le garçon de Winnipeg et s'est rendu en Saskatchewan, où il a amené l'enfant.

L'impact sur la famille a été énorme. Notre organisme travaille auprès de cette famille depuis un certain nombre d'années. Ils ont vraiment vécu un calvaire. Et maintenant, ils sont confrontés au fait que l'agresseur est admissible à une libération conditionnelle et qu'il le sera tous les deux ans à l'avenir. Il n'a pas été déclaré délinquant dangereux, parce que le jeune garçon était trop jeune et que sa famille ne voulait pas lui faire vivre cette expérience.

Pour ce qui est du projet de loi C-26, nous croyons que c'est ce genre de délinquants qui seront touchés. Il est encore plus important de prendre en considération que, lorsqu'un délinquant se présente devant un tribunal, ce n'est peut-être pas sa première infraction. Si on lui impose des peines sévères lorsqu'il se présente devant un tribunal, je crois que cela aura un effet dissuasif en ce qui concerne la récidive, mais ce ne sera pas le cas pour tous les délinquants, puisque, bien sûr, certains d'entre eux récidiveront plusieurs fois. Cependant, cela aura assurément un impact sur bon nombre d'entre eux.

Le sénateur Plett : Ma question suivante est destinée à un ou aux trois messieurs. Merci beaucoup d'être là et de nous avoir raconté votre histoire. Lorsque j'entends de tristes histoires comme les vôtres, je suis fier de promouvoir ce texte législatif du Sénat et d'en être le parrain afin que nous puissions commencer à voir des peines justes imposées aux prédateurs d'enfants.

On nous a traités de tous les noms, monsieur Gilhooly, alors je suis content d'être du côté des « gentils » pour une fois. J'espère que nous pourrons gazouiller que je suis du côté des gentils.

Pouvez-vous nous parler précisément — n'importe lequel d'entre vous ou vous trois — de la nouvelle disposition sur les peines consécutives obligatoires si un délinquant est déclaré coupable d'avoir fait plusieurs victimes? Évidemment, Graham James a été déclaré coupable de multiples crimes, et nous avons entendu la même histoire de la bouche des deux autres témoins, ici. En tant que victimes, croyez-vous qu'il est important qu'on tienne compte de chaque enfant dans la peine du délinquant plutôt que de réunir tous les crimes et d'imposer des peines concurrentes?

Le président : Un seul d'entre vous pourra répondre, puisque nous n'avons pas le temps de vous entendre tous les trois.

M. Gilhooly : C'est un aspect du projet de loi qui communique un message important. Sans amendement global du Code criminel, dans lequel il est question de la proportionnalité et de la totalité des peines, il s'agit surtout d'un message qu'on tente de faire passer, mais l'impact réel de ce changement sera limité, puisque les peines seront prononcées de façon consécutive, puis regroupées par l'intermédiaire d'autres dispositions du code.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. J'aimerais revenir à deux déclarations formulées par Mme St. Germain et Mme Latimer. Je vais renvoyer à votre mémoire, madame St. Germain, à la page 3, où vous dites : « Nous savons que les victimes sont habituellement agressées par un proche et qu'elles sont nombreuses à ne pas pouvoir ou vouloir déclarer l'agression dont elles sont victimes. » Madame Latimer, dans votre mémoire, au dernier paragraphe, vous dites ce qui suit : « Les enfants sont beaucoup plus à risque d'être agressés sexuellement pas des proches que par des étrangers qui figurent dans des registres ».

[Français]

Messieurs Fortier et Tremblay, si je comprends bien le but de votre association, c'est de représenter les victimes de prédateurs sexuels au sein des institutions d'enseignement autrefois gérées par des ordres religieux. Les commentaires que les deux personnes précédentes ont faits, vous les appliqueriez à vous-mêmes, à savoir que le danger le plus important est dans l'entourage immédiat des jeunes.

Quelle proposition feriez-vous pour réduire ce danger inhérent dans le milieu familial, des amis de la famille, de l'éducation ou de tous ceux qui approchent les jeunes? Dans le domaine des sports, on en a encore constaté les cas, et j'omets de mentionner les noms pour éviter de devenir graphique. Cependant, il me semble que le grand danger que courent les enfants est dans leur milieu immédiat.

Un projet de loi conçu pour faire face à un danger externe, mais lointain, ne serait pas aussi efficace qu'un projet de loi conçu pour faire face aux problèmes que courent les jeunes dans leur milieu familial ou scolaire. Comment interprétez-vous cette situation?

[Traduction]

Je suis d'accord avec vous : il faut augmenter les peines. Cela ne changera rien au fait que, demain matin, si vous êtes un enfant, vous courez le risque d'être agressé par un oncle, un parent, un voisin, un enseignant à l'école, un entraîneur sportif, et ce, bien plus que d'être enlevé par un inconnu alors que vous jouez dans un parc; le genre d'histoire d'horreur qu'on voit dans les films. Je crois que c'est un problème majeur, selon moi, et je ne suis pas sûr que le projet de loi en tienne compte.

[Français]

Je ne suis pas certain que ce projet de loi aura l'effet recherché dans le contexte du danger tel qu'on le conçoit.

M. Tremblay : La meilleure protection que l'on peut donner aux enfants, l'ayant vécu à titre individuel, est de convaincre l'enfant de tout dire. Nous pouvons ainsi limiter les dommages. Nous ne pouvons pas mettre une cage de verre autour d'un enfant. Ce projet de loi ne codifie pas l'éducation que l'on peut faire auprès des enfants. Les mentalités doivent changer. Il y a une éducation sur la gravité des impacts des agressions sexuelles qui doit être faite. Le projet de loi C-26 fera en sorte que les peines plus sévères s'appliquent tant pour l'oncle, le frère et le grand-père que pour l'étranger, comme dans le domaine des sports, car le prédateur sexuel agit où il y a des enfants. Si je veux manger végétarien, je ne vais pas à la Cage aux Sports.

Les peines plus sévères, pourquoi les demande-t-on? Pourquoi les appuie-t-on? Parce que notre société fonctionne ainsi. Si quelqu'un devant vous a commis l'adultère, demandez à son épouse si la gravité est la même, qu'il l'ait fait 20 fois ou une seule, qu'il ait changé de partenaire à chaque fois. C'est la même chose dans la tête d'un gars de 50 ans qui a été agressé, qu'on se retrouve ou non avec 50 gars de 50 ans. La faute n'est pas la même, et la peine doit être imposée en conséquence de cela.

Est-ce que nous allons mieux protéger nos enfants pour éviter qu'ils soient agressés? Il y a un travail, une éducation qui doit se faire, et la population comprendra que, maintenant, on s'occupe de ce crime. Quand j'étais petit, je voyais les gens se promener avec une bouteille de bière entre les jambes. Aujourd'hui, si on voit quelqu'un faire cela, on veut le battre. C'est la même chose : les choses doivent changer, et il n'est pas acceptable qu'un individu comme mon agresseur, si je réfère à moi-même, ou à plein d'autres types de sentences, s'en tire avec des peines qui ne fonctionnent pas. Les lois doivent refléter notre façon de vivre au Canada.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d'être là. Pour commencer, monsieur Gilhooly, vous êtes aussi un avocat en plus d'être un défenseur des victimes. C'est exact?

M. Gilhooly : C'est exact.

La sénatrice Batters : Vous pratiquez le droit depuis combien de temps?

M. Gilhooly : Depuis 1989.

La sénatrice Batters : Hier, lorsque le ministre MacKay a comparu, j'ai commencé ma question au ministre en affirmant que j'avais trouvé poignant le fait que le projet de loi soit à l'étude devant un comité cette semaine, semaine durant laquelle nous avons appris qu'un prédateur d'enfants condamné notoire, Graham James, a été accusé encore une fois d'agression sexuelle. Lorsque je l'ai dit, j'avais oublié que vous veniez ici aujourd'hui. Je voulais vous le dire à vous aussi, parce que cela vous concerne. Vous et moi avons parlé avant la réunion du comité de l'époque où vous jouiez au hockey et mon lien avec cette époque dans la Ligue de hockey de l'Ouest. Je trouve malheureux que, à ce moment-là, je regardais le match entre les Broncos et les Pats, je me disais que le sujet le plus stressant à l'esprit des joueurs des Broncos, c'était de gagner la partie, et, de toute évidence, ce n'était pas le cas pour certains de ces jeunes joueurs. Je tenais à vous le dire à vous aussi.

Selon moi, vous avez été très clair dans vos commentaires, mais je tiens à confirmer que vous voulez que le projet de loi soit adopté tel quel, puisque, selon vous, il parvient à un équilibre adéquat, même sans amendement, alors il faut s'en servir pour commencer à aider les victimes le plus rapidement possible. C'est exact?

M. Gilhooly : Oui. Je crois que le projet de loi envoie un message clair. Si vous me permettez de préciser quelque chose et de revenir sur la dernière question brièvement — et sur le commentaire de Mme Latimer —, je n'ai jamais entendu parler des victimes. Les peines ne sont pas uniquement là pour empêcher les gens de se réadapter à l'avenir. C'est notre système de justice. C'est le système de justice de tout le monde au Canada, y compris les victimes. Si des peines plus sévères aident les victimes à passer à travers ce processus, alors, adopter le projet de loi est déjà une bonne chose ne serait-ce que pour cela.

Vous pouvez citer des statistiques sur les délinquants sexuels jusqu'à demain matin. J'entends des chiffres : 83 p. 100 ici, 72 p. 100 par là. Eh bien, pendant 29 ans, je ne faisais partie des statistiques de personne. Ces statistiques manquent vraiment de fiabilité. Il s'agit d'un domaine vraiment différent de la délinquance aux termes du Code criminel. Ce n'est pas comme les autres choses dont vous vous occupez.

Lorsque l'Association du Barreau canadien fait venir un avocat de sa section du droit pénal, ce dernier dit au nom de tous les avocats du pays qu'il faut laisser de côté les émotions et que les avocats de la défense sont là pour faire respecter la Constitution et s'assurer qu'on trouve un juste équilibre entre les droits de la Couronne et celle des criminels; en tant que victime, on fait un pas en arrière et on se dit « attendez une minute ». Je suis une victime, je suis un avocat et je suis tout à fait capable de maîtriser mes émotions et de travailler avec mon cerveau juridique en même temps. Je vous propose de retourner la situation. N'excluez pas les victimes parce qu'elles sont trop émotives. Tenez à l'écart ceux qui n'ont pas été des victimes, parce que ces personnes ne comprennent tout simplement pas ce que cela fait et quelles sont les répercussions d'un projet de loi comme celui-ci pour améliorer le sort des victimes.

La sénatrice Batters : Rapidement, madame St. Germain, vous avez formulé un commentaire, et je crois que c'est important de le rappeler. On entend tellement souvent parler de la pornographie infantile qu'on en oublie parfois presque à quel point cela peut être dévastateur. Vous avez dit que la pornographie infantile est la trace permanente de l'agression sexuelle d'un enfant et c'est tellement important de ne pas l'oublier. Merci de votre commentaire sur la raison pour laquelle il est important que cette infraction en particulier soit incluse dans le texte législatif dont on parle aujourd'hui.

Vous avez aussi mentionné le fait que ce projet de loi en particulier, et les changements qu'il propose concernant les manquements aux conditions, auraient changé la donne dans la situation de Peter Whitmore, qui, bien sûr, est une situation désastreuse pour quiconque en parle. Je voulais simplement le dire, mais merci pour les commentaires que vous avez formulés ici aujourd'hui. Vous avez été très utile.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier tous les cinq de vos exposés. Aux trois personnes qui ont déjà été victimes ou qui représentent des victimes, vous avez comparu devant le comité dans le passé, et je suis très loin de comprendre les défis et les terribles conséquences auxquels vous avez été confrontés.

J'ai une question destinée à Mme Latimer de la Société John Howard. Mon problème, en ce qui concerne le projet de loi, c'est que, sur papier, c'est un très bon projet de loi, et je vais probablement l'appuyer. Je veux qu'on l'adopte, mais je connais aussi la réalité, vous savez? Lorsqu'on traite de ce genre de projets de loi, cela me brise toujours un peu le cœur, parce que nous augmentons les attentes. Avant même que l'encre ait séché, quelqu'un le contestera, lorsque cela se produira et que le projet de loi ne sera plus en vigueur, alors les gens qui y auront mis tant d'espoir auront l'impression que c'est le système de justice lui-même qui s'est trompé plutôt que les rédacteurs du projet de loi.

Je veux vous poser une question : nous ne jetons pas la clé. La personne est en prison, que ce soit pendant 5 ou 10 ans. Mon associé principal me disait toujours — il était juge avant — : « On ne jette pas la clé. » Lorsque nous envoyons quelqu'un en prison, nous devons réfléchir à ce qu'il sera devenu lorsqu'il réintégrera la société. Nous ne voulons pas qu'il récidive et qu'il agresse un autre enfant. Je veux que vous répondiez à la question qui suit pour nous : quelle est la situation actuellement? Quelles sont les ressources disponibles pour la prévention et la réhabilitation? Vous avez dit que les investissements dans les traitements et la prévention et la réadaptation constituent une approche plus efficace. Je suis d'accord avec vous. Mais qu'est-ce qui est déjà en place en ce moment pour eux?

Mme Latimer : En général, si des gens sont déclarés coupables et condamnés à une peine de moins de deux ans, ils ne vont probablement recevoir aucun traitement en établissement provincial en raison du manque de ressource et de capacité. S'ils se retrouvent dans un établissement fédéral, c'est donc qu'ils ont été condamnés à des peines de plus de deux ans, et il s'agit habituellement d'infractions plus graves. Si on détermine qu'ils représentent un risque faible... et là, reste à voir de quelle façon on détermine ce en quoi consiste un risque faible ou moyen. Dans le cas de délinquants à risque faible, ils ne bénéficient d'aucun traitement lié à la délinquance sexuelle. C'est seulement les délinquants à risque moyen et élevé qui bénéficient de tels traitements.

Les traitements offerts pour les délinquants à risque élevé peuvent être très efficaces. Les taux de récidive des délinquants sexuels traités sont beaucoup moins élevés que ceux des délinquants non traités. En fait, les deux groupes affichent des taux de récidive assez bas, mais toute récidive dans des cas d'agression d'enfants est grave. Essentiellement, compte tenu des compressions essuyées par le SCC, de façon générale, on a réduit l'accessibilité aux programmes. Le nombre de personnes en prison a augmenté, et je comprends que M. Blaney a parlé de moins de 15 000 hier. Cependant, lorsque j'ai commencé à travailler pour la Société John Howard — il y a trois ou quatre ans —, il y en avait un peu plus de 12 000. La population carcérale a donc augmenté de façon importante. On parle d'à peu près assez de délinquants pour remplir environ quatre établissements de plus, et ce, sans ressources supplémentaires. En fait, il y a moins de ressources. Beaucoup de personnes sont maintenant libérées à la fin de leur peine ou dans le cadre d'une libération d'office, plutôt que dans le cadre d'une mise en liberté sous condition, où l'on peut plus facilement imposer des conditions et fournir une orientation et du soutien aux délinquants qui réintègrent la collectivité.

Il y a des programmes. Le programme de CSR, les cercles de soutien et de responsabilité, a essuyé des compressions alors qu'il permettait de très bien gérer les délinquants sexuels à risque élevé en organisant des cercles de soutien dans la collectivité pour les personnes à risque élevé de récidive.

Ce n'est pas parfait. Ce n'est vraiment pas idéal. Nous pouvons faire bien mieux en ce qui concerne la prévention de la délinquance.

Le sénateur McInnis : Merci. J'ai deux questions rapides. Madame Latimer, ne croyez-vous pas que, pour ce qui est des peines, il faut tenir compte de la culpabilité des délinquants et de la gravité de leur crime?

Mme Latimer : Je suis absolument d'accord avec vous, oui.

Le sénateur McInnis : N'est-ce pas justement la raison pour laquelle on définit des peines minimales obligatoires?

Mme Latimer : Non, parce que, selon moi, les peines minimales obligatoires vont dans le sens opposé. Permettez-moi de vous donner un exemple. Disons qu'un garçon de 15 ans retient les services sexuels d'une travailleuse de l'industrie du sexe âgée de 25 ans. Qui est la victime ici? La travailleuse, la délinquante sexuelle, se verrait imposer la peine minimale obligatoire pour avoir agressé sexuellement d'un enfant. Que ce soit juste ou non, c'est le genre d'exemples hypothétiques ou réels qui seront présentés lorsqu'on contestera la constitutionnalité de cet ensemble de lois devant les tribunaux. Et c'est parce que la peine n'est pas juste. En fait, il y a des raisons pour lesquelles les peines obligatoires minimales ne permettent pas une responsabilisation juste et proportionnelle, ce avec quoi nous sommes absolument d'accord.

Le sénateur McInnis : Elles peuvent le permettre.

Mme Latimer : Il y a certainement des possibilités, des occasions où les peines minimales obligatoires sont trop élevées pour être équitables et proportionnées.

Le sénateur McInnis : C'est fondé sur la culpabilité liée à ce qui s'est passé. Pour ce qui est des mineurs, ce sont les Lois sur les jeunes contrevenants qui s'appliquent.

Monsieur Gilhooly, on a proposé de multiples textes législatifs qui tentent de mettre l'accent sur les criminels plutôt que les victimes, dont, tout récemment, la Charte canadienne des droits des victimes, mais il y a toute une série de textes législatifs. Ne croyez-vous pas que c'est une bonne chose, que, enfin, nous portions la situation des victimes à l'attention du public et des tribunaux et que nous demandions aux victimes de participer?

M. Gilhooly : Je crois que c'est le retour du pendule. Je crois que nous avons adopté une approche très prudente dans le cadre de la rédaction de tous les projets de loi en présence. Nous avons pris l'habitude, en tant qu'avocats et en tant que groupe — et l'Association du Barreau canadien en est l'exemple parfait —, d'examiner ces projets de loi article par article pour voir si les dispositions pourraient violer la Charte et, quand c'est le cas, d'abandonner.

Le problème avec ce processus, c'est qu'au lieu de tenter de régler les problèmes, nous procédons à un repli préventif pour nous assurer que les projets de loi ne feront pas l'objet d'une contestation judiciaire. Selon moi, c'est parfait qu'une loi fasse l'objet d'une contestation en vertu de la Charte. Cela signifie qu'on fait avancer le débat — cette partie —, qu'on avance de plus en plus et qu'on tient compte de plus en plus de choses. Ce n'est pas problématique que la loi fasse l'objet d'un examen en vertu de la Charte. C'est parfait, et tout le monde doit savoir que cette protection est là. Au bout du compte, si les choses tournent mal, un tribunal quelconque, la Cour suprême, s'avancera et dira : « Eh bien, vous allez trop loin. »

Il y a deux tendances en matière de droit constitutionnel. Le simple fait qu'une mesure est contraire à la Charte ne signifie pas qu'elle est inconstitutionnelle. Tout dépend de l'application et du règlement des instances qui relèvent de la législation.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités. Ma question s'adresse à Mme St. Germain. J'ai lu les documents que votre organisme a fait paraître. Vous mentionnez qu'il faut déjouer les nouvelles tactiques de ceux qui s'en prennent aux enfants en utilisant, entre autres, le numérique. Je suis d'accord avec vous. J'ajouterais qu'il faut les empêcher de récidiver.

Est-ce que vous pensez que le projet de loi actuel contribuera à améliorer la situation ou, du moins, permettra d'appuyer les mesures dont votre organisme nous a fait part?

[Traduction]

Mme St. Germain : Selon moi, plus longtemps un délinquant est incarcéré relativement à une infraction... eh bien, il ne peut pas agresser un autre enfant durant son incarcération. Les conditions qui lui sont ensuite imposées au moment de sa libération sont des conditions qu'un juge établira en fonction du niveau de risque perçu.

Le projet de loi permettra aussi de s'assurer que, si le délinquant ne respecte pas les conditions, la peine, que le juge pourra imposer s'il est de retour devant lui, pourra être plus élevée. À cet égard, nous croyons que le projet de loi réussira à bien protéger les enfants. Cependant, je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que les peines et le système de justice pénale ne sont pas nécessairement l'alpha et l'oméga de la protection de l'enfance.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, la prévention est importante; elle l'est vraiment. En tant que société, nous avons appris depuis un certain nombre d'années à comprendre la prévalence et l'impact des infractions sexuelles contre les enfants. Cet apprentissage n'est pas fini, et nos tribunaux ont pris du retard. Il y a beaucoup de bonnes peines imposées. Il y a de très bonnes décisions qui sont rendues, mais, chaque jour, devant les tribunaux partout au pays, il y a des peines qu'aucune personne ne jugerait appropriées compte tenu de la situation. Nous croyons que les peines minimales aident à placer la barre à un niveau jugé approprié, compte tenu des préjudices pour la victime.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Monsieur Fortier, dans votre présentation, vous avez mentionné que, parmi les dispositions du projet de loi, trois d'entre elles attirent principalement votre attention, tout particulièrement celle de rendre publique la banque de données portant sur les auteurs d'agressions sexuelles qui représentent un risque élevé de récidive.

Vous avez également parlé du cycle du silence, en ajoutant que la meilleure arme pour les agresseurs est le silence, et qu'avec la banque de données, nous pourrons briser ce cycle. Cela dit, il est évident que vous voyez un lien entre le fait de briser le silence et celui de rendre publique la banque de données. Pourriez-vous préciser un peu votre pensée au sujet de cette disposition du projet de loi?

M. Fortier : Effectivement. On sait que, en majorité, la manière de fonctionner des agresseurs est de manipuler une victime de telle sorte qu'elle ne parle à personne de son entourage.

En quoi cela concerne-t-il le registre? Quand un pédophile est relâché dans une ville ou une région, souvent les gens ne savent pas d'où vient le pédophile, ce qui permet à ce dernier de recommencer sa vie comme s'il ne s'était rien passé. C'est le cas du pédophile dont je vous ai parlé plus tôt qui est déménagé devant une école. Cette personne aurait pu recommencer le cycle des agressions.

Ainsi, le registre permettra aux parents de voir s'il n'y a pas, dans l'entourage, un pédophile et, le cas échéant, ils pourront se servir de ce registre pour expliquer aux enfants qu'il peut y avoir des gens dans le quartier qui ont fait de mauvaises choses. Cela permettrait de briser le cycle du silence en expliquant aux enfants qu'ils devront faire attention à cette personne. Pour moi, le lien est très clair entre le registre et la capacité de briser le silence, parce qu'on rend publiques les personnes qui ont commis des crimes.

J'aimerais ajouter que nous sommes habitués à la perception de l'agresseur, mais comme le fait le projet de loi C-26, il vaut mieux porter le regard sur la victime. La victime n'est pas la celle qui a choisi de subir l'agression, alors que l'agresseur, lui, a choisi le moment et l'endroit du crime, le nombre de fois qu'il a commis ce crime et pendant combien de temps. Ce projet de loi est donc vraiment important pour protéger les victimes, et le registre est un outil primordial pour être en mesure de le faire. Si nous avions eu le registre dans le cas de Chantal Demers, qui a été assassinée par un récidiviste, à Québec, nous aurions pu éviter ce crime.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à tous les témoins pour vos témoignages.

Madame Latimer, vous dites qu'il faut être humain et juste envers les criminels. Est-ce que vous saviez que toutes les sentences qui sont données dans les cours municipales et provinciales ne sont pas répertoriées dans les statistiques sur la récidive? Que les seules statistiques que l'on a sur la récidive au Canada portent sur les criminels qui reçoivent des sentences de deux ans plus un jour?

Saviez-vous que, selon la dernière étude menée sur les pédophiles, à travers le Canada et les États-Unis, après cinq ans, 48 p. 100 d'entre eux auront récidivé et 70 p. 100 auront été réincarcérés pour d'autres types de crimes?

À Montréal, en 2012, l'augmentation de la criminalité liée à la cybercriminalité sexuelle se chiffrait à plus de 30 p. 100. Depuis cinq ans au Canada, l'augmentation des crimes à caractère sexuel contre les enfants s'élève à plus de 5 p. 100 par année de façon continue. Les agressions sexuelles contre les enfants sont les crimes qui augmentent le plus.

Devant un état de fait aussi dramatique, croyez-vous que ce projet de loi est effectivement inhumain par rapport aux agresseurs d'enfants?

[Traduction]

Mme Latimer : Je crois qu'il y a peut-être des éléments dans le projet de loi qui sont préjudiciables à l'intérêt des jeunes. Par exemple, s'il y a une étroite relation entre l'agresseur et l'enfant, c'est une expérience très perturbante sur le plan émotionnel pour l'enfant. Si l'agresseur est quelqu'un que l'enfant apprécie, ce dernier veut bien sûr que l'activité sexuelle cesse, mais il sait que, s'il en parle et s'il le dit à quelqu'un, son agresseur se verra imposer une peine minimale obligatoire. Plus particulièrement, dans le cas de membres de la famille, cela pourrait pousser le jeune à garder le silence et à ne pas obtenir l'aide que nous voulons lui offrir. Ces éléments constituent un stress supplémentaire pour les enfants déjà fragilisés par l'agression sexuelle. J'aimerais bien que ce ne soit pas le cas, mais on peut facilement remédier à la situation.

On pourrait régler certains des problèmes en proposant des directives touchant l'imposition des peines plutôt que d'imposer des peines minimales obligatoires afin de prévoir une certaine marge de manœuvre dans le système. Nous craignons que l'effet cumulatif ou l'effet des peines soient disproportionnés, ce qui constituerait, selon nous, une injustice et une situation inappropriée. Il ne fait aucun doute que des gens ont souffert. C'est important d'en tenir compte, particulièrement pour ce qui est des services aux victimes et du soutien, des thérapies et des traitements adéquats qu'il faut fournir aux victimes. Encore une fois, je dirais que, au départ, il faut se concentrer sur la prévention des agressions sexuelles contre des enfants. C'est là où nous aimerions que les efforts soient concentrés.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Latimer, notre système de justice a donné à la magistrature, depuis 30 ans, toute cette souplesse pour traiter les pédophiles et les agresseurs sexuels en fonction de particularités. Lorsqu'on regarde les statistiques sur la criminalité, on constate que cela n'a pas fonctionné. C'est le crime qui augmente le plus. C'est la classe de criminels où il y a le plus de récidivistes.

J'essaie de comprendre votre raisonnement lorsque vous dites qu'il faut essayer autre chose que des sentences plus sévères. J'aimerais que vous nous expliquiez votre raisonnement. Je ne comprends pas, dans le cas d'agressions envers des enfants, comment on peut dire qu'il faut assouplir le système, alors que la souplesse a prouvé que la criminalité continue d'augmenter.

[Traduction]

Mme Latimer : Si vous croyez à la dissuasion, c'est-à-dire à cette idée selon laquelle des peines plus sévères ont un effet dissuasif, alors je peux comprendre votre point de vue. Mais, selon les données probantes des sciences sociales accessibles, des peines plus sévères en elles-mêmes n'ont pas d'effet dissuasif, et le fait d'accroître les peines maximales, comme nous faisons dans bon nombre de ces cas — de 10 ans à 14 ans et de 6 mois à 12 mois —, a vraiment un impact minime, qui ne changera pas beaucoup les choses. Cette mesure a peut-être une fonction liée à la justice, mais elle n'aura pas d'effet dissuasif. En outre, il est peu probable qu'elle permette de réduire les niveaux de délinquance sexuelle. Il faut quelque chose de plus concentré.

Selon nous, si vous voulez vraiment réduire la délinquance sexuelle, faire passer les jeunes en premier et prévenir la délinquance sexuelle, c'est non pas en augmentant les peines, mais en adoptant une approche plus générale, qui inclut la prévention que vous y parviendrez. Il faut vraiment mettre l'accent sur la prévention.

Le président : J'ai bien peur que le temps soit écoulé. Je veux remercier tous les témoins de leurs commentaires utiles sur le projet de loi proposé.

Pour ce qui est de notre deuxième groupe de témoins de la journée, veuillez souhaiter la bienvenue à Michael Spratt, membre de la Criminal Lawyers' Association et criminaliste; Paul Calarco, membre de la section du droit pénal, et Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, de l'Association du Barreau canadien; et David Butt, conseiller juridique de la Kids Internet Safety Alliance.

Nous allons commencer par une déclaration préliminaire de cinq minutes de M. Spratt, suivie de la déclaration de M. Butt, puis de Mme Schellenberg et de M. Calarco.

Michael Spratt, membre et criminaliste, Criminal Lawyers' Association : La protection de la société et des enfants est un enjeu qui revêt une importance cruciale, et le projet de loi à l'étude tente de l'assurer, entre autres, grâce à des peines minimales et à un registre public des délinquants sexuels à risque élevé. La question qu'il faut se poser est la suivante : ces mesures permettront-elles vraiment d'atteindre l'objectif important, soit la protection des enfants vulnérables?

Vous avez discuté avec le ministre MacKay et le ministre Blaney hier. J'ai lu la transcription préliminaire, et je crois que j'ai compté de nombreuses mentions de la notion de « dissuasion ». En effet, M. MacKay a dit devant le comité de la Chambre sur les peines minimales obligatoires que la réponse courte, c'est que nous n'en ferons jamais assez pour protéger les enfants vulnérables. Cependant, je n'ai vu encore aucune preuve que les peines minimales et les registres publics permettent de réaliser cet important objectif.

Je vais faire référence à certaines études, et je vais les transmettre à la greffière du comité afin qu'elles puissent vous être distribuées.

Une étude réalisée en 2008 sur les lois touchant la notification liée au registre des délinquants sexuels de New York a révélé que ces lois n'avaient aucun impact sur la réduction de la délinquance sexuelle des violeurs, des agresseurs d'enfants et des autres délinquants sexuels.

Une étude de 2003 portant sur l'enregistrement des délinquants sexuels et les avis communautaires en est venue à la conclusion que les registres et les systèmes d'avis peuvent aussi être problématiques et que, par conséquent, il faut bien les étudier avant de les mettre en place. Cet avertissement est d'autant plus important lorsqu'on constate que leurs mérites proclamés n'ont pas encore été appuyés par des preuves empiriques.

Une étude de 2007 a révélé que, en général, les systèmes d'avis sont plus susceptibles d'avoir un impact négatif sur la sécurité et qu'ils ne permettent pas de réduire les taux de récidive.

De nombreuses études ont remis en question l'utilité des registres. Prenons par exemple la Californie : là-bas, on utilise de moins en moins les registres et on en retire des noms. C'est un enjeu auquel il faut vraiment bien réfléchir. Je tiens à souligner que, durant les travaux du comité de la Chambre, les auteurs de ces études n'ont pas été rencontrés, et leur preuve empirique n'a pas été déposée; on a donc de bonnes raisons d'être préoccupé par le registre public.

Passons à la question des peines minimales obligatoires, un sujet dont j'ai déjà parlé. Le message qu'on communique haut et fort, c'est que les peines minimales et les peines plus longues accroissent notre sécurité. Vous savez probablement maintenant que ce n'est pas vrai, si vous avez consulté n'importe quelle donnée probante ou examiné n'importe quelle étude. Je vous l'ai dit, et d'autres experts vous l'ont dit aussi. Au cours des dernières années, de nombreux experts ont recommandé au gouvernement de faire preuve d'une extrême prudence relativement aux peines minimales obligatoires.

Anthony Doob, un criminaliste très réputé de l'Université de Toronto a témoigné de nombreuses fois. Au cours des 35 dernières années, il a réalisé des recherches sur un certain nombre d'aspects différents du système de justice, notamment sur les dispositions touchant la détermination des peines et les politiques d'emprisonnement. M. Doob a déjà témoigné pour dire que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif sur la délinquance.

Même le service de recherches du gouvernement a été critique à l'égard des peines minimales. Un rapport de 2005 du ministère de la Justice a révélé que les peines minimales ne sont pas un outil de détermination des peines efficace; c'est-à-dire que ces peines limitent le pouvoir discrétionnaire judiciaire sans bénéfice accru en matière de prévention de la criminalité.

Dans l'arrêt Nur, la Cour suprême a récemment étudié la question des peines minimales. Elle s'est rangée derrière M. Doob et a cité certains de ces travaux, constatant que les éléments de preuve empiriques donnent à penser que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif sur la criminalité. Cependant, on entend constamment dire que c'est le cas. Les données probantes sont claires : les peines minimales jouent un rôle limité en matière de prévention de la criminalité, voire aucun. Lorsqu'on regarde l'analyse, à la section 1, la Cour suprême a constaté que le lien entre les peines minimales et la dissuasion était mince. Les peines ne fonctionnent pas et, en plus, elles entraînent des problèmes, comme leur constitutionnalité. On vous l'a dit durant l'étude du projet de loi C-10. Des années plus tard, la Cour suprême l'a confirmé.

Je vais citer une affaire, à laquelle je vais faire référence brièvement. Elle date de 2014 : R. c. S.S., 2014, O.J., 1887, sur Quicklaw ou, si vous préférez la citation neutre, c'est 2014 ONCJ 184. Je vais l'envoyer au comité. Ce cas de l'Ontario traite directement d'une des dispositions du projet de loi, lorsque la peine minimale était de 90 jours. Dans cette affaire, on a soulevé une situation hypothétique raisonnable convaincante, et cela a presque mené à l'invalidation de la loi; et c'est lorsque la peine minimale était de 90 jours. La seule raison pour laquelle la loi n'a pas été déclarée inconstitutionnelle, c'est parce que la situation hypothétique n'a pas été présentée à la cour.

Le président : Pouvez-vous conclure?

M. Spratt : Oui, il me reste 30 secondes alors je vais conclure rapidement.

Je veux aussi vous parler — et j'espère que vous me poserez des questions à ce sujet — d'un impact pratique des peines minimales, c'est-à-dire l'effet pervers qui poussera les innocents à plaider coupable et les coupables à opter pour un procès et l'abandon de la compétence de juges et de tribunaux, qui sont sujet à révision, au profit de celle des procureurs de la Couronne, qui ne le sont pas. Ce sont tous des inconvénients, et, compte tenu de l'absence d'éléments de preuve empiriques sur l'utilité et du prétendu objectif des peines minimales, votre comité devrait être extrêmement préoccupé par leur application dans le cadre du projet de loi.

David Butt, conseiller juridique, Kids Internet Safety Alliance : Je suis conseiller juridique pour la Kids Internet Safety Alliance, un organisme de bienfaisance canadien présent à l'échelle internationale, qui s'efforce de protéger les enfants contre l'exploitation sexuelle en ligne. Notre portée est internationale, en ce sens que nous participons beaucoup au renforcement des capacités afin que les services de police d'autres pays puissent s'adapter à la réalité actuelle et mener les enquêtes complexes liées à l'exploitation en ligne des enfants afin de leur venir en aide. Internet est un monde sans frontières. Par conséquent, l'habilitation des enquêteurs en ligne dans d'autres pays a des avantages directs pour le Canada. Aucune enquête sur l'exploitation en ligne des enfants n'inclut pas d'emblée plusieurs pays, y compris le nôtre.

J'aborde ce projet de loi du point de vue de la défense des enfants, de l'amélioration de leur sécurité sur Internet et du renforcement des capacités pour y arriver. J'aborde aussi le projet de loi du point de vue de mes antécédents professionnels. J'ai été procureur de la Couronne pendant 13 ans. Je me spécialisais dans les cas d'exploitation en ligne des enfants. J'ai aussi passé 13 ans en pratique privée. Durant cette période, j'ai représenté des accusés, des agents de police et des victimes de crime. Par conséquent, j'aime souligner que j'ai un point de vue à 360 degrés sur cette question.

KINSA appuie le projet de loi et les peines minimales obligatoires, non pas parce que les peines minimales obligatoires sont nécessairement une bonne chose, mais parce que des approches mesurées en matière d'établissement de peines minimales obligatoires qui gardent vraiment à l'œil la boussole morale sous-jacente aux peines établies sont une expression salutaire de soutien pour les victimes au sein du système de justice pénale. KINSA appuie aussi l'établissement d'un registre public limité et bien pensé, puisqu'il s'agit simplement du regroupement de renseignements que la police a déjà décidé de communiquer dans l'intérêt public pour en faciliter l'accès. Il n'y a aucune ingérence accrue nette dans la vie privée. C'est simplement un outil qui facilite l'accès à certains renseignements pour des parents et des tuteurs qui veulent avoir accès à l'information en question, mais qui n'ont peut-être pas vu passer un communiqué trois mois auparavant. Pour terminer, KINSA appuie — en tant qu'organisation internationale — les mesures du projet de loi qui visent à améliorer l'échange d'information au sujet des personnes dont le nom figure dans le registre national des délinquants sexuels et qui voyagent à l'étranger.

J'ai été membre du conseil de ECPAT, la plus importante ONG qui s'attaque à l'exploitation sexuelle commerciale dans le monde. L'organisation travaille en étroite collaboration avec les Nations Unies. Durant mon mandat d'administrateur, j'ai compris à quel point le tourisme sexuel était un grave problème. Il s'agit de personnes qui se rendent à l'étranger dans le but d'agresser des enfants dans un pays autre que le leur. Une mesure qui permet aux autorités canadiennes de faire un suivi des déplacements des personnes à risque élevé et de les communiquer est une mesure salutaire. Merci beaucoup.

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci d'avoir invité l'ABC à présenter ses points de vue sur le projet de loi C-26 aujourd'hui. L'ABC est une association professionnelle nationale qui compte plus de 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. Le mandat de l'organisation est d'améliorer le droit et l'administration de la justice. Notre mémoire sur le projet de loi C-26 a été préparé par notre Section du droit pénal, qui représente les avocats de la Couronne et de la défense de partout au pays. Je suis accompagnée par M. Paul Calarco, membre de cette section, un avocat de la défense, qui pratique principalement à Toronto. C'est lui qui vous présentera le gros de notre présentation.

Paul J. Calarco, membre de la Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Merci beaucoup, messieurs et mesdames. La Section du droit pénal de l'ABC appuie les mesures qui visent à améliorer la sécurité des Canadiens, et tout particulièrement les membres les plus vulnérables de notre société. Compte tenu de ce soutien, nous soulignons qu'il est crucial d'utiliser des mesures correctives pour atteindre cet objectif. C'est tout particulièrement important lorsqu'il est question de la protection des enfants. Nous devons éviter toute mesure pouvant exacerber le problème de la violence. C'est un enjeu complexe. Souvent, une mesure universelle et simple n'est pas appropriée. Je vais aborder deux sujets dans le cadre de ma déclaration préliminaire : le registre des délinquants sexuels et les peines minimales obligatoires.

Il y a peu de données probantes qui donnent à penser que les registres des délinquants sexuels — tels qu'ils existent actuellement — permettent de prévenir les agressions sexuelles. C'est ce qu'on peut voir dans les rapports du vérificateur général de l'Ontario et de la Société John Howard cités dans notre mémoire. Le projet de loi C-26 est peu susceptible de prévenir l'exploitation sexuelle. Il est peu probable que ses exigences redditionnelles aient un effet mesurable sur la sécurité publique; ou elles ne seront pas applicables dans le cadre d'affaires à l'extérieur du pays. Il est bien connu et confirmé par les statistiques gouvernementales que, dans 88 p. 100 des infractions sexuelles contre des enfants et des jeunes, l'agresseur est connu de la victime. Un registre des délinquants ne changera rien pour la grande majorité des cas et ne préviendra pas les agressions par des membres de la famille ou des connaissances. Dans le même ordre d'idées, notre mémoire cite un haut gradé de la Police provinciale de l'Ontario dans un affidavit utilisé par la Cour suprême du Canada, dans lequel il souligne que les crimes sexuels sont, dans la plupart des cas, des crimes de situation. Un registre ne préviendra pas ces incidents.

Une des meilleures façons de vraiment assurer la sécurité et la justice au sein de la société est la réhabilitation des délinquants. Une fois réhabilité, le délinquant ne constitue plus une menace pour le bien-être de notre société. De cette façon, l'intérêt national ou social et l'intérêt des délinquants réhabilités sont congruents. Pour favoriser la réhabilitation, prévenir la récidive et promouvoir la réinsertion sociale des délinquants, il faut leur offrir des traitements et du counseling. Cela exige des ressources, mais c'est sans contredit la façon la plus efficace d'assurer la sécurité dans les collectivités. L'approche simpliste, qui constitue à accroître les peines, n'aura pas cet effet et aura probablement l'effet opposé.

Le projet de loi propose la création d'une base de données publique et consultable, affirmant qu'elle aussi renforcera la sécurité publique. Une base de données publique est plus susceptible d'avoir l'effet opposé, soit de pousser les délinquants dans la clandestinité, loin du radar des policiers, loin des traitements et loin de la surveillance, ce qui aura pour effet d'accroître le danger pour les personnes vulnérables. Comme on l'a souligné, les crimes sexuels sont souvent des crimes de situation, et les délinquants non traités sont susceptibles de récidiver et de faire plus de victimes. Cela est tout à fait évitable.

Ce n'est pas assez de dire que la base de données portera uniquement sur les récidivistes à risque élevé. Nous ne savons pas de quelle façon le gouvernement au pouvoir envisage de définir — s'il le fait dans un règlement — cette notion. Les témoignages devant le comité de la Chambre des communes révèlent que la tâche de définir ce en quoi consiste un délinquant à risque élevé sera peut-être laissée aux différents corps policiers. Cela entraînera un manque d'uniformité et de l'incertitude. De plus, des innocents ont déjà été considérés par erreur comme des délinquants, ce qui peut être problématique lorsque des justiciers croient malheureusement qu'il est approprié de se faire justice eux-mêmes. On ne peut pas accepter que de soi-disant vengeurs s'autoproclament bourreaux. Nous citons plusieurs exemples de telles situations aux États-Unis, et il n'y a aucune raison de croire que ça ne pourrait pas se produire au Canada.

La deuxième question concerne les peines minimales obligatoires. La section du droit pénal de l'ABC s'oppose à ces peines et rappelle l'importance de s'appuyer sur le jugement éclairé des juges pour qu'ils imposent des peines appropriées. Les peines criminelles doivent être proportionnelles à l'infraction et au délinquant. C'est une exigence constitutionnelle. Les tribunaux prennent les infractions contre les enfants très au sérieux. C'est un mythe de dire que ceux qui agressent des enfants reçoivent des peines minimales. Il a aussi été bien établi que les peines minimales obligatoires ont peu d'effet dissuasif ou de prévention de la criminalité, voire aucun. Le projet de loi ne fera qu'augmenter les peines minimales obligatoires et, dans certains cas, il les rendra consécutives. Le projet de loi n'aura aucun effet sur les délinquants qui reçoivent déjà des peines au-dessus des peines minimales. Un autre résultat sera que, pour certains délinquants, qui, en raison d'une situation spéciale, auraient dû se voir imposer une peine moins sévère, la peine ne sera pas proportionnée et pourrait même être très disproportionnée. Si on détermine qu'une peine est très disproportionnée, la cour se verra dans l'obligation de casser tout le régime d'établissement des peines, et non pas simplement de rajuster la peine des délinquants touchés. Ce projet de loi est vulnérable sur le plan constitutionnel.

Le président : Je dois vous arrêter ici, monsieur Calarco.

M. Calarco : Merci, sénateur, et j'ajoute que je souscris aux commentaires de M. Spratt.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins. Je veux aussi les remercier de leur travail devant les tribunaux et leur importante contribution au droit canadien.

J'ai une question d'ordre général. Pour commencer — à vous de le vérifier —, je n'ai jamais vu de jugement quant à la peine dans le cadre duquel le juge n'a pas tenu compte de la gamme des peines applicables pour l'infraction — au sein de l'administration et partout au Canada —, pour ensuite appliquer cette gamme de peines en fonction du cas dont il est saisi. Si les juges ne le font pas, les cas font habituellement l'objet d'un appel. Je n'ai jamais entendu parler d'un cas dans le cadre duquel le juge n'a pas tenu compte de la gamme des peines pour ensuite l'appliquer au cas et rendre une décision. S'il ne le fait pas, il y aura un appel.

C'est simplement une observation, et vous aurez peut-être quelque chose à dire à ce sujet. Dans l'arrêt Nur, dont ont parlé M. Spratt et M. Calarco, il y a tout un paragraphe — comme M. Spratt l'a souligné — qui porte sur les données probantes liées aux peines minimales obligatoires. Il y a un mois, la Cour suprême du Canada a dit qu'il ne s'agissait pas d'un facteur de dissuasion. Ces peines n'ont pas d'effet dissuasif. C'est ce qu'a dit la Cour suprême du Canada.

J'aimerais savoir : avez-vous pris en considération les répercussions des peines minimales obligatoires dans le cas des infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité et pour les infractions punissables par mise en accusation, et les peines concurrentes, qui risquent de provoquer une violation de l'alinéa 11f) de la Charte, dont personne ne semble tenir compte, et qui concerne le droit à un procès devant jury? Cette disposition remonte à 1983, et nous avons dit dans la Charte, lorsqu'il est question d'une peine d'emprisonnement de cinq ans, puis il est dit : « [...] ou une peine plus grave ».

Monsieur Spratt, vous avez plaidé devant la Cour suprême du Canada et devant tous les tribunaux ontariens. Croyez-vous que, au bout du compte, quelqu'un regardera tout ça et dira : « Peut-être que, dans le cadre d'une procédure sommaire, quelqu'un sera admissible à un procès devant jury »?

M. Spratt : C'est une possibilité bien réelle, une possibilité dont on n'a pas tenu compte. Cela montre aussi les autres défauts des peines minimales. L'effet des peines minimales devant nos tribunaux, c'est de prolonger les procédures, d'engorger les tribunaux et de créer de l'injustice, peut-être pas une injustice inconstitutionnelle, mais tout de même une injustice dans notre processus judiciaire.

Comme je l'ai déjà dit, un effet pervers des peines minimales, c'est qu'elles peuvent pousser une personne vraiment innocente à plaider coupable à une accusation moindre afin d'éviter une peine minimale. C'est possible parce que la Couronne utilise son pouvoir discrétionnaire pour abandonner certaines accusations ou prendre certains arrangements. Lorsque vous risquez une peine minimale d'un an et qu'on vous offre une peine moindre où vous avez la possibilité de présenter des observations pour obtenir une peine moins sévère, ou encore si la Couronne accepte de s'entendre sur une peine plus clémente, cela peut avoir l'effet pervers insidieux de pousser une personne innocente à accepter un arrangement.

De l'autre côté, si vous êtes vraiment coupable et que vous êtes exposé à une peine minimale obligatoire, vous avez toutes les raisons du monde de refuser toute entente, d'aller en procès et de forcer des plaignants vulnérables, des victimes vulnérables, à venir témoigner. Ce pouvoir discrétionnaire de la Couronne n'est absolument pas sujet à révision. Les procureurs n'ont pas à garder de trace physique de ces arrangements. Il n'y a pas d'appel possible. C'est un pouvoir qui peut être appliqué de façon incohérente. Votre observation est fort opportune. Cela pourrait soulever d'autres enjeux constitutionnels à part ceux dont j'ai parlé, mais l'effet devant les tribunaux pourrait provoquer des problèmes liés à l'alinéa 11b) et toute une gamme d'autres problèmes dont on ne tient tout simplement pas compte dans le projet de loi. Bien sûr, on ne tient jamais compte de ces éventuels problèmes dans les coûts — au moment de définir les coûts des projets de loi —, même si cet exercice d'établissement des coûts a lieu.

Le sénateur Plett : L'Association du Barreau canadien est supposément ici pour représenter 36 000 avocats. M. Gilhooly était ici plus tôt aujourd'hui. Il pratique le droit depuis 1989. Mme St. Germain était ici pour représenter une agence de protection de l'enfance. Ce sont deux avocats, alors je présume qu'ils font partie de l'Association du Barreau canadien. Par conséquent, vous ne parlez peut-être pas pour vos 36 000 membres.

Monsieur Spratt, vous avez dit devant la Chambre des communes, et vous avez répété aujourd'hui que ces peines minimales n'accroissent pas notre sécurité. Vous avez dit que nous savons que ce n'est pas vrai, que vous et d'autres experts nous l'avez déjà dit.

Je ne savais pas que vous étiez un expert. Êtes-vous criminologue?

M. Spratt : Non, mais je lis les études. J'écoute la Cour suprême, et je n'ai encore jamais vu de preuve ni de témoignage avant...

Le sénateur Plett : Mais vous n'êtes pas un expert?

M. Spratt : En criminologie, non.

Le sénateur Plett : Merci. Nous avons débattu des peines minimales obligatoires, et il s'agit d'une tradition de longue date au Canada dans le cas de crimes particulièrement haineux. Vous avez déclaré avant qu'il n'y a pas suffisamment de preuve de juges qui font mal leur travail pour justifier les peines minimales obligatoires.

J'aimerais, en quelque sorte, que vous répondiez simplement par oui ou non. Lorsque vous voyez des cas comme celui de Gordon Stuckless, qui a obtenu une peine de deux ans moins un jour pour le viol répété de 24 garçons et qui était traité comme un délinquant qui en était à sa première infraction jusqu'à ce qu'on l'attrape, ou comme celui de M. Tremblay ou de M. Fortier, qui étaient ici tantôt et qui ont témoigné — l'agresseur de M. Tremblay a agressé 13 victimes et il a obtenu une peine de cinq ans de prison, et l'agresseur de M. Fortier a reçu une peine de 90 jours —, croyez-vous que ces peines étaient justes?

M. Spratt : Je crois que votre question illustre un des problèmes. Le problème, c'est parfois des réponses et des pensées simplistes. C'est pour cela que nous nous rendons devant la Cour suprême, et c'est ce qui mène aux problèmes d'inconstitutionnalité. Il n'y a pas de réponses simples à des problèmes complexes.

Le sénateur Plett : Monsieur Butt, vous avez dit quelque chose d'intéressant devant la Chambre des communes, et je veux vous citer :

Le deuxième problème est la possibilité que les peines minimales obligatoires...

Vous aviez mentionné un premier problème, mais vous parliez ici du deuxième problème :

... que les peines minimales obligatoires viennent supprimer la discrétion judiciaire. Or, selon moi, elles ne la suppriment pas, mais l'ajustent, tout simplement. Les juges ne sont pas formés pour agir sans raisonner et semer des peines minimales de façon machinale. Ils conservent tous les attributs de leur pouvoir discrétionnaire, mais la détermination de la peine doit tenir compte des peines minimales. Il est juste d'accorder suffisamment d'importance au caractère sacré des enfants et à leur intégrité sexuelle, au point de dire aux juges : « Vous avez un pouvoir discrétionnaire, mais vous devez partir de là plutôt que d'ici. »

J'aimerais que vous expliquiez ce commentaire et que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet s'il vous plaît.

M. Butt : Je crois que, en général, on s'entend probablement pour dire que la peine doit être proportionnée au crime. En tant qu'intervenant qui œuvre dans le domaine de l'exploitation des enfants et qui voit les dommages permanents qu'une agression — même « mineure » — peut causer à un enfant, je me questionne sur les genres de peines auxquelles vous faites référence, les moins sévères. Nous demandons : « Qu'est-ce qui se passe ici »? Voici une partie du problème : les juges sont formés — et il n'y a rien de mal dans cette formation — pour s'appuyer sur les précédents. Lorsqu'ils imposent une peine, ils se disent : « Qu'avons-nous fait dans le passé? » Il est là le problème. On regarde vers l'arrière. On ne peut pas avancer si tout ce qu'on fait, c'est regarder dans le rétroviseur. Il faut parfois faire fi des précédents et abandonner un système rétrograde et se dire : « Vous savez quoi? Il faut faire quelque chose et rajuster le système. »

Compte tenu du caractère sacré de l'intégrité sexuelle des enfants, nous devons dire : « Messieurs les juges, nous n'allons pas éliminer complètement votre pouvoir discrétionnaire, mais nous allons établir un minimum. Imposez les peines que vous voulez dans cette fourchette, mais n'allez pas plus bas que ça ».

Dans ce point de vue, je vois les peines minimales obligatoires comme une façon responsable de placer la barre de façon à reconnaître la valeur intrinsèque de la protection des enfants sans éliminer totalement le pouvoir discrétionnaire judiciaire. L'idée, c'est de regarder vers l'avant. Les juges ne peuvent pas corriger eux-mêmes les erreurs, parce qu'ils doivent constamment regarder en arrière. C'est le principe sur lequel s'appuie le système de la common law. Il faut que le Parlement entre en jeu et affirme qu'il veut regarder vers l'avant, être visionnaire et faire quelque chose de différent et de mieux pour les enfants.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous tous d'être là. Ma première question vous est destinée, monsieur Butt. Vous avez parlé de tourisme sexuel. C'est un sujet auquel je me suis intéressée. Je me suis penchée sur ce dossier. J'ai aussi posé une question au ministre hier, mais je n'ai pas eu de réponse. Une des choses que je trouve les plus frustrantes, c'est que nous ne protégeons pas les enfants d'ailleurs contre les Canadiens. On nous a dit plusieurs fois que, si nous n'avions qu'un seul agent de police affecté au Vietnam, au Cambodge ou en Thaïlande, on pourrait changer la vie des enfants. Vous avez donc mentionné le tourisme sexuel. Selon vous, de quelle façon pouvons-nous nous attaquer à ce problème?

M. Butt : À coup sûr, j'appuie la mesure prévue dans le projet de loi. C'est une des façons de gérer ce problème. Cela permet aux enquêteurs d'obtenir auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada et dans le registre national des délinquants sexuels des renseignements au sujet des déplacements à l'étranger d'individus à risque élevé dont le nom figure dans le registre. C'est un élément d'information. À elle seule, une information ne pourra pas tout faire. C'est une première mesure que j'encourage. Je crois que vous êtes sur la bonne voie. Une fois que nous avons cette information, nous pouvons intervenir de façon plus musclée. Si le projet de loi est adopté, nous saurons si quelqu'un, par exemple, se rend en Thaïlande. Nous devons pouvoir dire : « D'accord, nous savons qu'il s'en va là-bas. Nous avons un soupçon. Donnons suite à ce soupçon et voyons ce qui se passe là-bas ». Pour pouvoir y arriver, il faut avoir du personnel sur place, des ressources et des capacités d'enquête, et il faut avoir l'autorisation pour obtenir l'information. Dans le cadre de mon travail, j'ai constaté que d'autres pays comptaient sur d'importantes capacités d'enquêtes internes dans leurs ambassades. Il y a des agents du FBI partout sur la planète — dans les ambassades — qui s'attaquent directement à ce problème. La Police fédérale australienne affecte aussi des gens à différents endroits. Oui, il faut utiliser le genre d'information dont la communication est permise ici et créer une capacité pour pouvoir intervenir.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Spratt et monsieur Calarco, comme vous, je suis favorable au projet de loi. Nous voulons que les gens qui agressent les enfants soient punis sévèrement et qu'ils ne récidivent pas. Ma première frustration, c'est qu'il y a une séparation des compétences fédérales et provinciales. Par conséquent, lorsqu'on pose une question au ministre, il nous dit que ce sont les provinces qui sont chargées des opérations. Pour vous deux qui travaillez tous les jours sur le terrain, ce texte législatif ne fait que ralentir votre travail. Si les peines sont plus élevées, il faut plus d'aide juridique, de salles de cour et de juges qui siègent. Quel est l'impact sur votre travail de ce projet de loi et des autres textes législatifs qui ont été adoptés au cours des deux ou trois dernières années? Je crois comprendre que vous avez une charge de travail accrue, mais, pour ce qui est de l'exploitation efficiente du système de justice, pouvez-vous nous expliquer quels sont les défis?

M. Calarco : Bien sûr. Pour commencer, les mesures prises auront pour effet de ralentir le système de justice pénale, parce que, comme mon collègue l'a dit plus tôt, elles poussent les délinquants coupables à ne pas plaider coupable, à ne pas trouver un terrain d'entente, parce qu'ils savent que, peu importe, ils obtiendront une peine minimale, ce qui retire au juge son pouvoir discrétionnaire. Le juge ne peut pas imposer une peine appropriée. Cette situation créera de l'engorgement devant les tribunaux. Puisqu'il y aura davantage de personnes qui refusent de plaider coupables, il y aura plus de retards, et les délinquants qui méritent d'être punis verront peut-être leurs accusations suspendues en raison de retards indus. On ne consacre pas suffisamment de ressources au système.

De plus, c'est une situation où on ne peut plus imposer la peine idéale, la peine la mieux adaptée au délinquant et la plus favorable à sa réhabilitation, ce qui est absolument vital. Ce genre de projet de loi entraînera des retards, et je crois que plus de vrais délinquants pourront échapper à la justice parce qu'ils ne comparaitront jamais devant un juge, ou, lorsqu'ils se retrouveront devant lui, les accusations seront suspendues. Ce ne sera tout simplement pas une situation positive.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je voudrais aborder en particulier le sujet des sentences minimales. C'est dans les crimes à caractère sexuel contre les enfants que l'on retrouve le taux de récidive le plus élevé de la part des criminels. Après cinq ans, on arrive à presque 50 p. 100 de récidive.

C'est le type de criminalité qui a le plus augmenté au Canada au cours des cinq dernières années. On pense que le message ne passe pas pour une grande partie de ces prédateurs sexuels, un peu comme celui concernant l'alcool au volant. C'est comme une bulle de criminels qui ne comprennent pas encore qu'on ne touche pas à des enfants.

Je regardais les statistiques sur la criminalité et sur l'incarcération pour le Québec. Il y a quatre fois plus de prédateurs sexuels dans les prisons québécoises, toutes proportions gardées, que dans les pénitenciers fédéraux au Québec. Pourquoi? Parce que la majorité des sentences que les juges donnent sont de moins de deux ans. La majorité de ces personnes sont libérées au sixième de leur sentence. Elles récidiveront donc entre trois et quatre mois après avoir commis des agressions sur des enfants. Au Québec, les programmes de traitement liés à la pédophilie et aux agressions sexuelles sont presque inexistants, sauf en Gaspésie où on traite quelques agresseurs sexuels très graves. La majorité ne reçoit aucun service.

À quoi sert-il de donner des sentences minimales ou bonbons, comme trois ou quatre mois de prison, sachant que ces gens ne recevront aucun service durant ce temps? Après trois ou quatre mois, ils sortiront de prison sans doute sans avoir compris le message et récidiveront, pour la plupart, à environ à 50 p. 100.

N'y a-t-il pas lieu de donner des sentences plus sévères de trois, quatre ou cinq ans, où ces personnes se retrouveraient dans un pénitencier fédéral qui serait en mesure de leur offrir de meilleurs services que ceux qui existent dans les prisons? J'essaie de comprendre votre logique qui consiste à garder les sentences les plus basses possible alors que des sentences plus lourdes leur permettraient de recevoir de meilleurs services; sinon, l'incarcération ne sert à rien. J'essaie de comprendre votre raisonnement en ce sens.

[Traduction]

M. Calarco : Pour commencer, nous n'avons pas dit qu'il faut maintenir les peines le plus bas possible. Ce n'est pas ce que nous avons dit.

Deuxièmement, vous avez dit que ces infractions sont continuellement en hausse. Durant ma préparation pour aujourd'hui, j'ai consulté les rapports de Statistique Canada. Dans son rapport Les infractions sexuelles commises contre les enfants et les jeunes déclarées par la police au Canada, 2012, datée du 28 mai 2014, Statistique Canada a dit que le taux a diminué pour une deuxième année consécutive en 2012 et était semblable au taux d'infractions déclarées par la police en 2009. Encore dans un rapport de Statistique Canada datant du 23 juillet 2014 concernant les infractions sexuelles envers des enfants on apprend que le changement en pourcentage de 2003 à 2013 est nul. Ce sont les statistiques du gouvernement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Savez-vous que le taux de dénonciation des victimes est passé de 34 p. 100 à 31 p. 100? Les données statistiques dont vous nous faites part concernent les gens qui ont été condamnés.

Il y a moins de victimes qui dénoncent, et le pire, c'est qu'il y a plus de victimes qui abandonnent leur plainte en cours de poursuite. Ce sont 50 p. 100 des victimes qui abandonneront leur plainte en cours de poursuite. Les données que vous me donnez concernent ceux qui ont été condamnés. Il ne s'agit pas des victimes qui ont dénoncé, parce que les victimes dénoncent de moins en moins, et les criminels sont de moins en moins condamnés. Il faut faire attention avec les statistiques.

[Traduction]

M. Calarco : Je suis d'accord avec le fait qu'il faut faire très attention, sénateur. C'est pourquoi j'ai cité le taux à la baisse d'infractions sexuelles commises contre des enfants déclarées par la police.

Pour revenir au point dont vous avez parlé plus tôt, lorsqu'on détermine la peine à imposer, que ce soit devant un tribunal provincial ou fédéral — on en revient ici au commentaire précédent du sénateur Baker sur la gamme de peines appropriées —, il faut prendre en considération le temps que le délinquant a passé en détention avant le prononcé de la peine. Il faut en tenir compte. Cela pourrait faire en sorte qu'une peine fédérale devienne une peine provinciale.

Sénateur, il n'est pas vrai que des délinquants bénéficient d'une mise en liberté sous condition après avoir purgé le sixième de leur peine dans le système provincial. Dans ma province, en Ontario, la loi sur les services correctionnels dit très clairement que les délinquants sont admissibles après les deux tiers.

Le sénateur Boisvenu : Pas au Québec.

M. Calarco : D'accord, mais, en Ontario, il en est ainsi.

De plus, dans le cas des peines provinciales, on impose aux délinquants une probation qui peut durer jusqu'à trois ans. Par conséquent, on peut imposer soit une peine plus longue, soit une période de surveillance judiciaire plus longue à un délinquant lorsqu'on inclut la probation. Vous devez aussi savoir que les ordonnances de probation ont du mordant. Un délinquant qui viole les conditions de sa probation peut être poursuivi par procédure sommaire ou par mise en accusation. Il y a d'importants incitatifs qui poussent les délinquants à se conformer.

Pour terminer, ce qui est absolument essentiel, c'est ce dont nous avons déjà parlé : il faut des ressources. Ce n'est pas suffisant de dire que ces dossiers doivent être traités par le fédéral ou le provincial. Il faut consacrer des ressources à la réhabilitation, aux traitements et au counseling, et ces services coûtent de l'argent. C'est ce qu'il faut faire pour assurer la sécurité publique.

Le sénateur Joyal : Bonjour. Pour commencer, je veux aborder la question des peines minimales, parce que vous en avez tous parlé. J'aimerais vous lire le paragraphe 114 de l'arrêt de la Cour suprême du mois dernier dans R. c. Nur, et qui porte précisément sur l'effet dissuasif de peines minimales parce que les personnes ici présentes ont des opinions différentes à ce sujet :

La preuve empirique indique que, dans les faits, les peines minimales obligatoires ne sont pas dissuasives.

La Cour suprême cite une étude de Doob and Webster de 2003 et une étude de Tonry, de 2009. La Cour suprême poursuit ainsi :

La preuve empirique [traduction] « est claire : les peines minimales obligatoires d'emprisonnement ne sont pas plus dissuasives que les peines moins sévères, proportionnées.

Cette citation est tirée de l'étude de Doob, publiée en 2001. Le paragraphe suivant, le 115, porte que :

Malgré la fragilité du lien entre la dissuasion et les dispositions qui établissent des peines minimales obligatoires, il existe un lien rationnel entre les peines minimales obligatoires d'emprisonnement et les objectifs de dénonciation et de châtiment.

En d'autres mots, actuellement, selon la Cour suprême du Canada, il n'y a aucun lien entre la dissuasion et les peines minimales. Les peines minimales ont certes un impact sur la dénonciation et le châtiment, mais de dire simplement qu'il y a un lien entre les peines minimales et la dissuasion de la criminalité ne constitue pas une preuve et n'est pas accepté par la cour. Nous pouvons, bien sûr adopter des dispositions ou débattre de dispositions qui établissent tout un système de peines minimales, mais ce système risque de ne pas être maintenu par la cour lorsqu'il sera démontré que l'accumulation des peines minimales pourrait entraîner l'imposition d'une peine disproportionnée, qui serait ensuite renversée par la cour. C'est ainsi que j'ai interprété l'arrêt Nur du mois dernier. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Spratt : Je crois que vous avez tout à fait raison, et c'est ce que les criminologues et d'autres experts ont dit à des comités comme le vôtre depuis un certain nombre d'années. Ce n'est pas suffisant de dire : « Les gens n'obtiennent pas de traitement, alors augmentons les peines à un niveau qui est inconstitutionnel afin qu'ils puissent bénéficier de traitements. » Ce qu'il faut faire, c'est faire un lien entre l'objectif et le texte législatif lui-même. Le fait de dire que ce projet de loi protège le public ou assure notre sécurité est faux et trompeur. Si l'objectif avoué est d'adopter la ligne dure contre les criminels et de miser sur la dénonciation et le châtiment, alors nous pourrions tout de même avoir un débat constitutionnel, mais, au moins, d'un point de vue intellectuel, les bases du débat seraient honnêtes.

Ce qu'il faut faire, si nous voulons vraiment nous assurer que les gens sont en sécurité, c'est de ne pas imposer des peines qui ne respectent pas la Constitution et qui sont vraiment disproportionnées. Même si une telle peine permet à un délinquant d'obtenir un traitement... Il devrait y avoir des traitements dans des maisons de correction et à l'intention des délinquants qui purgent des peines de moins de deux ans. Je suis d'accord avec le sénateur Boisvenu sur ce point. Il n'y a aucun traitement en maison de correction, mais le projet de loi ne corrige pas ce manquement. Le projet de loi n'assure pas notre protection. Nous voyons des programmes — comme les CSR et d'autres programmes très importants qui fonctionnent — se faire retirer leur financement ou le perdre au complet. Il faut être honnête en ce qui concerne l'objectif du projet de loi et son impact, alors nous pourrons avoir une vraie conversation sur son utilité ou prendre des risques constitutionnels pour arriver à ces fins. Tant qu'on ne s'appuie pas sur de telles bases, on se retrouvera devant la Cour suprême dans cinq ans, et cela n'aide personne.

M. Butt : J'aimerais offrir un point de vue légèrement différent sur la même question. Je travaille directement auprès des victimes et je suis le premier à dire qu'il faut en faire plus du côté de la réhabilitation et de la prévention. C'est une erreur de penser en catégories distinctes, de se dire faisons ceci ou faisons cela. Il faut tout faire parce que, franchement, rien n'est plus important que de protéger l'intégrité sexuelle des enfants. Je ne dis pas qu'il faut nier l'importance de la réhabilitation et des traitements, mais j'affirme que, lorsque nos valeurs liées à la dénonciation des crimes sont sens dessus dessous — et la Cour suprême a dit qu'il y avait un lien réel entre la dénonciation — et il faut retrouver un équilibre. Si je vole une banque sans arme à feu et que j'en ressors avec environ 8 000 $ — soit moins qu'une erreur d'arrondissement pour toutes les grosses banques —, je dois m'attendre à purger une peine d'au moins cinq ans. Il n'y a pas de peine minimale obligatoire dans ces cas, mais les tribunaux ont toujours fait du bon travail pour protéger les biens des grandes institutions. Cependant, si je suis un enfant dont la vie est ruinée parce que j'ai été victime d'attouchements par un proche et que ce dernier se voit infliger une probation — en d'autres mots, il retourne chez lui et regarde la télévision —, eh bien, en tant qu'enfant qui souffre, je me dis que quelque chose ne va pas en constatant que le petit vol de banque a valu au braqueur une peine de cinq ans d'emprisonnement. Bien sûr, il faut continuer à assurer la protection en misant sur la prévention et les traitements, mais il faut aussi imposer une peine appropriée pour ces genres de crimes dévastateurs.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Calarco, j'ai un petit commentaire. Vous avez dit qu'il faut s'en remettre aux policiers qui sont les premiers intervenants. J'ai été policier pendant 39 ans, et nous nous en remettions aux procureurs de la Couronne et aux juges; ce n'étaient pas nécessairement les policiers qui décidaient. Monsieur Spratt, je vous ai entendu, vous êtes un habitué de nos comités, alors ma question sera très simple : qu'est-ce qu'on fait avec un récidiviste qui a agressé à répétition des enfants et qui continuera de le faire, parce qu'il est un délinquant incontrôlable? Est-ce qu'on le laisse en liberté en espérant qu'il ne recommencera pas? Les agresseurs sont souvent des gens qui font partie du milieu familial et qui sont très près de l'enfant. Il peut s'agit d'un père, d'un conjoint, et cetera; alors qu'est-ce qu'on fait avec ces gens-là? Vous dites qu'on doit conserver les peines minimales. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

M. Spratt : Un délinquant récidiviste qui a agressé sexuellement à répétition des enfants devrait aller en prison pour longtemps, et c'est habituellement ce qui se passe. Les peines minimales du projet de loi ne s'appliquent pas à ce genre de cas. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Cependant, non seulement les peines minimales prévues dans le projet de loi ne s'appliquent pas aux délinquants récidivistes qui devraient se voir imposer des peines de pénitencier et qui se verront imposer de telles peines, mais le projet de loi pourrait s'appliquer, comme dans la situation hypothétique soulevée dans l'affaire S.S., à un homme de 19 ans — à peine adulte —, qui communique avec une fille de 16 ans et demi, qui est deux années en dessous de lui à l'école secondaire, et qui lui demande de lui envoyer une photo de ses seins. C'est le genre de situations hypothétiques possibles où la peine minimale obligatoire de six mois sera imposée. C'est le genre de situations hypothétiques raisonnables dont on ne peut pas tenir compte. Par conséquent, je suis d'accord avec le fait que la personne que vous décrivez devrait aller en prison pendant longtemps. Quiconque vole une banque devrait aller en prison pendant longtemps, mais la différence importante est la suivante : en cas de vol de banque, si le voleur n'utilise pas de violence, qu'il n'a pas d'arme, qu'il est jeune, qu'il a des problèmes de santé mentale ou qu'il y a d'autres facteurs atténuants, il ira peut-être en prison pendant cinq ans, mais le juge a quand même le pouvoir discrétionnaire de lui imposer une peine moins sévère. Je suis d'accord avec vous : les délinquants sexuels récidivistes, les délinquants sexuels violents et les gens qui posent des actes que nous trouvons tous déplorables devraient aller en prison durant longtemps et bénéficier de traitements. Nous sommes tous d'accord à ce sujet.

Cependant, cet exemple hors normes ne doit pas être utilisé pour diluer les principes constitutionnels, qui peuvent s'appliquer aux personnes dont la situation est beaucoup moins grave. L'exemple de la banque est un bon exemple. Vous pouvez imaginer des situations très graves et d'autres situations où on pourrait croire que cinq ans, c'est trop; tout dépend des circonstances.

C'est tout ce que j'essaie de dire en ce moment. Nous pouvons nous entendre sur l'ensemble — même si je crois que nous sommes en désaccord sur beaucoup de choses —, mais les peines minimales sont problématiques. Elles sont bonnes pour dénoncer, mais elles amènent tout un lot de problèmes supplémentaires.

M. Calarco : Sénateur, cela n'a pas été dit avant devant le comité, mais le Canada a des lois sur le délinquant dangereux et les délinquants à contrôler qui peuvent mener à une incarcération pour une période indéterminée. Par conséquent, dans le cas d'un délinquant récidiviste — une personne très dangereuse — la Couronne peut aussi présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux, et le délinquant pourrait passer le reste de sa vie en prison. C'est l'un des aspects de l'incarcération.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En conclusion, il y a une nette différence entre les délinquants sexuels et ceux qui commettent des vols de dépanneurs ou de banques. Je suis d'accord avec vous que les délinquants sexuels sont atteints d'une maladie qui doit être traitée. Cependant, il ne faut pas oublier que les délinquants sexuels ont tendance à récidiver.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Rapidement, monsieur Spratt, en ce qui concerne la situation hypothétique raisonnable que vous venez de présenter au sujet de l'éventuelle accusation de sextage, je crois que cette situation serait visée par la nouvelle disposition que nous venons d'inclure dans le projet de loi sur la cyberintimidation, le projet de loi C-13. La disposition permettrait aux tribunaux de bénéficier de ce type de pouvoirs discrétionnaires en cas d'infraction et d'accusation moins grave.

M. Spratt : ... le paragraphe 172.1(1) du code, puis on s'appuierait sur le pouvoir discrétionnaire de la Couronne pour laisser tomber l'accusation en faveur d'autres accusations. Je suis d'accord, on pourrait éventuellement gérer cette situation de cette façon, mais cela entraîne aussi certains problèmes.

La sénatrice Batters : Je vais me contenter de votre « Je suis d'accord, on pourrait éventuellement gérer ». C'est pas mal.

Monsieur Butt, vous avez témoigné devant le Comité de la justice de la Chambre des communes le 4 février, et vous avez dit quelque chose d'utile au sujet des peines minimales obligatoires :

Une personne qui vole un pain parce qu'elle est affamée ne devrait pas se voir coller une peine minimale obligatoire. La raison en est que la culpabilité de cette personne est vraiment moralement discutable. Or, lorsqu'il est question du viol intentionnel de l'intégrité sexuelle d'un enfant, il ne peut y avoir de débat moral raisonnable sur la culpabilité de l'auteur avéré de l'infraction.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi, selon vous, des peines minimales obligatoires sont justifiées pour les crimes de nature sexuelle commis contre des enfants, si c'est ce que vous croyez?

M. Butt : Je suis un avocat et j'ai adopté cette position en m'appuyant sur les dires de la Cour suprême du Canada. Nous ne pouvons pas mettre en place un régime qui résulterait en l'imposition de peines tout à fait disproportionnées par rapport au crime. C'est ce que j'essayais de dire.

L'exemple du pain est une situation dans laquelle il y a, techniquement, une infraction, mais où on éprouve réellement de la sympathie; dans cet exemple, on voit bien qu'il faut avoir de la compassion pour le délinquant. Le fait d'imposer au tribunal une peine minimale obligatoire dans une telle situation pourrait faire en sorte qu'il imposerait une peine tout à fait disproportionnée compte tenu de la culpabilité morale du délinquant.

Lorsqu'il est question de la violation de l'intégrité sexuelle d'enfants, on se trouve dans un univers moral tout à fait différent. Il n'y a aucune violence sexuelle contre des enfants qui est justifiable moralement.

De plus — et c'est quelque chose que nous avons vu souvent puisque nous travaillons directement auprès des victimes —, une « infraction très mineure », un « bref attouchement sur un enfant », peut causer des dommages psychologiques permanents. Par conséquent, il s'agit d'infractions qui, même lorsqu'elles sont « mineures », sont très, très susceptibles d'avoir un effet dévastateur permanent.

C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut procéder à un recalibrage en définissant des peines minimales. Regardons les choses en face : les tribunaux sont le fruit d'un système historique dans le cadre duquel l'homme exerçait une domination sur son foyer; les épouses et les enfants étaient des biens. C'est de là que viennent les tribunaux. C'est cette origine qu'il faut abandonner, en changeant fondamentalement notre façon de penser et en disant : « nous mettons les enfants en premier », et même ces infractions « mineures » — puisqu'il a été prouvé qu'elles peuvent causer des préjudices psychologiques à long terme — doivent être traitées comme toutes les autres infractions dont nous reconnaissons déjà très bien la gravité. Il faut changer notre façon de penser.

La sénatrice Batters : Un peu comme appuyer sur un bouton de réinitialisation.

M. Butt : Oui, mais de façon responsable et mesurée. Dans le tableau du sommaire du projet de loi, je ne vois pas d'augmentation astronomique, particulièrement compte tenu du problème du cumul des peines consécutives. Si le saut avait été trop élevé, alors on aurait eu un problème, mais, selon moi, le saut n'est pas trop grand.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos exposés. Ma question concerne le témoignage des époux et le lien possible entre ce projet de loi et le projet de loi C-32, la Loi sur la Charte des droits des victimes.

La Loi sur la Charte des droits des victimes, qui entrera en vigueur en juillet, fera en sorte que les époux seront habiles à témoigner et contraignables à le faire dans tous les cas. Par conséquent, la règle contre le témoignage des époux sera totalement éliminée.

Le présent projet de loi modifie non seulement le Code criminel, mais aussi la Loi sur la preuve au Canada et d'autres lois. Aux termes de la Loi sur la preuve au Canada, le projet de loi s'assurera que les époux des accusés sont habiles à témoigner et contraignables à l'audience dans le cadre de poursuites liées à des cas de pornographie infantile.

Voyez-vous le lien entre ces deux projets de loi? Dans un premier temps, êtes-vous en faveur des amendements apportés à la Loi sur la preuve au Canada concernant le témoignage des époux?

M. Butt : En ce qui concerne les infractions liées à la pornographie infantile, selon mon expérience, dans le cadre de poursuites ou de mon travail auprès des délinquants, les délinquants les plus sérieux amassent de grandes collections et s'échangent activement des images d'agressions d'enfants. En outre, s'ils participent à la création de tels scénarios, alors, évidemment, ils conditionnent activement des enfants et tentent d'avoir accès à eux.

Puisqu'une très grande partie de ces activités criminelles sont faites à partir de la maison, c'est très possible que l'époux d'un prédateur sur Internet soit un témoin très important.

Le sénateur McIntyre : Comme, par exemple, le fait d'avoir un ordinateur commun à domicile?

M. Butt : Exactement. Comme nous le savons, la grande majorité des enfants agressés connaissent leurs agresseurs. Il y a un processus de conditionnement en jeu. À la lumière de ce que nous savons du profil de ces genres de comportements délinquants, l'époux est très souvent dans une position d'offrir des éléments de preuve fiables qui permettront d'aller au fond des choses.

Pour ce genre d'infractions, compte tenu de la façon dont les situations se présentent et de la façon dont ces crimes sont souvent commis, j'y suis favorable.

Si l'objectif est d'inclure de façon générale tous les crimes, alors j'ai beaucoup plus de réserves, mais, dans le contexte des infractions liées à la pornographie infantile, j'y suis favorable.

M. Spratt : Vous pouvez peut-être me rafraîchir la mémoire parce que, même si j'ai témoigné au sujet du projet de loi C-32, je ne l'ai pas examiné en détail avant de venir ici. Cependant, je crois que les amendements de l'autre projet de loi couvrent en grande partie ce genre de choses. Il faut dire que, dans bon nombre d'administrations fondées sur la common law, les règles d'immunité du conjoint ont été complètement éliminées.

Je ne crois pas nécessairement que ce soit une mauvaise chose, ce droit a quelque chose de très ancien. C'est cependant un changement important et quelque chose qui — comme je l'ai déjà dit — doit faire l'objet d'un examen approfondi, parce que c'est une façon d'avoir accès à des éléments de preuve qui se trouvent dans la résidence de quelqu'un. Il y a des avantages et des inconvénients à un tel changement, mais ce n'est pas quelque chose sur quoi je mettrais l'accent dans le cadre du projet de loi ni quelque chose à quoi je m'opposerais avec véhémence. Cependant, c'est une modification que, selon moi, il faut examiner de près, et il n'y a pas eu beaucoup d'études de réalisées à ce sujet.

Le sénateur McIntyre : L'objectif du projet de loi est de protéger les enfants, et je crois que la meilleure façon de le faire est d'incorporer le témoignage des époux dans les cas de pornographie infantile. C'est mon point de vue là-dessus.

M. Spratt : Je ne crois pas que je serais totalement opposé à ce changement. Comme je l'ai dit dans le contexte de la Charte canadienne des droits des victimes, ce serait peut-être une bonne idée de mettre à jour le libellé de la section sur l'immunité et de ne pas seulement parler des époux et des épouses, mais de reconnaître qu'il y a aussi d'autres types de relations auquel cela pourrait s'appliquer.

Le sénateur Baker : Monsieur Calarco, vous avez soulevé un point valable lorsque vous avez dit qu'il existe une désignation de délinquants dangereux aux termes du Code criminel et qu'une telle désignation peut mener à l'imposition d'une peine d'emprisonnement pour une période indéterminée si le délinquant en question est un récidiviste et qu'il constitue un danger pour la société. C'est quelque chose qu'on fait tout le temps.

Monsieur Spratt, n'est-il pas vrai que, parfois, un avocat de la défense qui s'occupe du dossier d'un délinquant dangereux se rangera derrière la Couronne et acceptera que son client soit considéré comme un délinquant dangereux? J'ai lu dans la jurisprudence une de vos affaires, récemment, et, si je ne m'abuse, vous vous êtes récemment rangé derrière l'opinion de la Couronne à ce sujet alors que vous représentiez un délinquant. Est-ce que je me trompe?

M. Spratt : Non, dans ce dossier, j'ai accepté. Il y a un autre cas où mon client satisfaisait à la définition de « délinquant dangereux ». Ensuite, on peut débattre pour déterminer si l'incarcération doit être pour une durée indéterminée, s'il faut imposer une peine d'une durée indéterminée, s'il faut considérer la personne comme un délinquant à contrôler ou s'il convient de lui imposer une ordonnance de surveillance de 10 ans. Je prends bonne note de votre observation à ce sujet. Nous constatons que, dans les tribunaux, les procédures touchant la désignation de délinquant dangereux sont de plus en plus courantes.

À la Cour d'Ottawa, chaque juge provincial est actuellement saisi d'une procédure liée à la désignation de délinquant dangereux. Ces procédures ne sont pas non plus sans problème, parce qu'elles sont très longues. C'est une mesure de dernier recours que d'envisager d'imposer une période d'incarcération d'une durée indéterminée. Mais ce sont des options, comme les engagements préventifs de ne pas troubler l'ordre public et les autres ordonnances. Il y a une myriade d'options que les tribunaux peuvent utiliser pour gérer les situations horribles qu'on rencontre dans les pires cas.

Le sénateur Plett : Monsieur Calarco, j'ai posé à M. Spratt une question plus tôt, et, selon lui, elle était trop simpliste pour qu'on puisse y répondre. Puis, il a répondu un peu de la même façon à une question du sénateur Dagenais. Je vais tenter ma chance avec vous. Si quelqu'un viole 24 jeunes garçons, une peine de deux ans moins un jour est-elle suffisante?

M. Calarco : Je ne crois pas que vous trouverez quelqu'un qui trouve cette peine appropriée. Vous parlez de l'affaire Stuckless. Cette peine a été imposée par le juge Watt après que le prévenu ait plaidé coupable. La Cour d'appel de l'Ontario a ensuite augmenté la peine à cinq ans. C'est exactement le genre de situation où la Couronne aurait dû présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux.

Le sénateur Joyal : Monsieur Calarco ou madame Schellenberg, je veux revenir à un enjeu juridique que vous avez soulevé à la page 10 de votre mémoire, et je vais l'expliquer en termes simples. Le projet de loi propose de réunir diverses infractions sexuelles comme les infractions liées à la pornographie et les agressions, d'éliminer le principe de proportionnalité et, bien sûr, d'établir des peines minimales pour toutes ces infractions. L'accumulation de toutes ces peines, selon moi, risque de créer une peine disproportionnée qui sera renversée par la Cour suprême.

Je lis dans votre mémoire que cette question n'a pas encore été tranchée par la Cour suprême. C'est ainsi que je comprends votre étude de la situation du droit au Canada en ce moment. J'ai soulevé cette question avec le ministre, hier, dans le contexte de l'arrêt Nur. Il semble que le projet de loi s'expose clairement à une contestation pour ce motif. Voulez-vous formuler quelques commentaires à ce sujet? Selon vous, est-ce que mon interprétation du fond du projet de loi est exagérée?

M. Calarco : Sénateur, ce projet de loi sera très probablement contesté. Selon moi, à la lumière de la jurisprudence sur l'établissement des peines de la Cour suprême, il est très probable qu'une contestation réussira.

Il y a une autre chose dont il faut tenir compte : avant qu'un dossier se rende à la Cour suprême, combien de peines disproportionnées seront imposées, compte tenu du fait qu'il faut de cinq à sept ans avant qu'un cas se rende à la Cour suprême? La cour dira : « Vous avez fait tout de travers au cours des sept dernières années. Toutes ces personnes auraient dû se voir imposer une peine dans un cadre très différent ». Il faut y réfléchir.

Compte tenu du droit actuel, la cour a été claire à ce sujet, et je crois que M. Spratt a formulé quelques commentaires à cet égard. Il faut faire très attention avant d'adopter ce genre de projet de loi, qui est très vulnérable à une contestation. Au minimum, il faut l'adapter avec soin en fonction de certaines situations, et ne pas tout simplement accroître la durée des peines, parce que cela ne fonctionnera pas.

La sénatrice Batters : Quelques commentaires ont été formulés — particulièrement aujourd'hui durant l'audience du comité — au sujet de l'impact minimal, selon certains témoins, des peines minimales obligatoires sur un délinquant, que ce soit un membre de la famille ou un ami de l'enfant victime d'un crime sexuel. Plus tôt aujourd'hui, Mme Latimer a indiqué que la victime peut éprouver des émotions contradictoires. Je l'ai écoutée. Monsieur Butt, vous pourriez peut-être répondre. N'est-il pas vrai que tout ce que ces jeunes victimes veulent, c'est la fin de la violence? Elles ne pensent pas à des choses comme des peines minimales obligatoires.

Aussi, monsieur Butt, admettez-vous que, dans ce type d'infraction, si l'agresseur est en prison plus longtemps, il ne peut pas agresser l'enfant dont il pourrait être membre de la famille ou un ami, mais il peut s'en prendre à d'autres enfants durant cette période? Ne protège-t-on pas ces enfants contre un préjudice inimaginable?

M. Butt : Vous avez raison dans les deux cas. Les enfants veulent que la violence cesse. Dans la profession juridique, lorsque les personnes sont en prison et qu'elles ne peuvent pas perpétrer d'infraction, c'est ce que nous appelons un « dissuasif spécifique ». C'est bien reconnu.

Je terminerai ma réponse en disant que j'ai bien hâte de voir une contestation constitutionnelle. Je ne suis pas d'accord pour dire que le projet de loi est vulnérable. J'ai hâte de participer à ce débat.

Le président : Merci à vous tous d'avoir été là aujourd'hui et d'avoir donné de votre temps pour nous aider dans le cadre de notre étude du projet de loi proposé. C'est très apprécié.

Mesdames et messieurs, l'horaire de la semaine prochaine a changé. La Chambre nous a donné l'autorisation de tenir des audiences du comité pendant que le Sénat siège. Nous nous rencontrerons mardi prochain, qui n'est pas une journée habituelle pour nous, à 15 heures. Pour cette occasion, notre témoin sera le commissaire à la protection de la vie privée.

(La séance est levée.)


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