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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 32 - Témoignages du 2 juin 2015


OTTAWA, le mardi 2 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 15 h 3, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous sommes réunis aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence. C'est la troisième séance que nous consacrons au projet de loi C-26.

Je rappelle à ceux qui nous regardent que les audiences du comité sont ouvertes au public et sont également diffusées sur le site web www.parl.gc.ca. Vous trouverez d'autres renseignements sur les horaires des témoins sur le même site web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Nous accueillons Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, qui fait partie de notre premier groupe de témoins. M. Therrien est accompagné par Patricia Kosseim, avocate principale et directrice générale, Direction des services juridiques, des politiques et de la recherche. Nous allons commencer notre séance en écoutant la déclaration préliminaire de M. Therrien. Monsieur, vous avez la parole.

[Français]

Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Honorables sénateurs, mes remarques aujourd'hui porteront principalement sur les modifications proposées dans le cadre du projet de loi C-26, à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels (LERDS) et sur la création de la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé.

Bien que les tribunaux canadiens aient reconnu que le droit à la vie privée est un droit quasi constitutionnel, il ne s'agit pas d'un droit absolu. Dans certains cas, il peut être restreint pour atteindre d'autres objectifs de société, comme le renforcement de la sécurité publique et la protection des membres les plus vulnérables de notre société. Cependant, lorsqu'il est question de porter atteinte à la vie privée, nous devons tout d'abord vérifier si ces atteintes sont nécessaires et susceptibles d'être efficaces, si elles sont proportionnelles aux avantages que l'on prévoit en retirer et s'il n'existe pas d'autres mesures moins intrusives qui pourraient être utilisées pour atteindre le même objectif.

La LERDS a reçu la sanction royale en 2004 et impose d'importantes obligations aux délinquants sexuels reconnus coupables, y compris l'obligation de s'enregistrer au poste de police, de fournir de l'information à jour quant à leur lieu de résidence et d'autres renseignements personnels. Ces obligations ne sont pas imposées aux autres délinquants qui ont purgé une peine.

Lors de ses comparutions antérieures devant les comités parlementaires dans le cadre de l'étude de la LERDS, le Commissariat à la protection de la vie privée a soulevé des questions relatives à l'efficacité de ce système d'enregistrement. En 2009, nous avons recommandé qu'une évaluation officielle de l'efficacité de la législation et du registre soit effectuée par un tiers. À notre connaissance, aucune évaluation financée par l'État n'a été réalisée. Par contre, les évaluations qui ont été menées à partir de l'expérience des États-Unis révèlent qu'il existe très peu, voire pas du tout, de faits qui prouvent que les lois sur l'enregistrement et la notification sont efficaces lorsqu'il s'agit de réduire le taux de récidive sexuelle ou le nombre d'infractions sexuelles signalées.

[Traduction]

La Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé prévoit la création d'une banque de données accessible au public contenant de l'information sur les personnes coupables d'infractions à caractère sexuel sur des enfants et qui posent un risque élevé de commettre des crimes de nature sexuelle. Bien que cette information se limite à l'information qu'un service de police ou une autre autorité publique a rendue publique, en la rendant disponible dans une base de données nationale, on augmenterait grandement le nombre des personnes qui y ont accès.

Au CPVP, nous sommes préoccupés par le fait que, selon les études que nous avons lues, la proposition de créer une base de données sur les délinquants sexuels à risque élevé ne constituerait pas une réponse proportionnée ni efficace au problème bien réel que l'on tente de résoudre. Cela tient en partie au fait que les organismes d'application de la loi ont déjà accès à l'information concernant les délinquants sexuels inscrits, par l'entremise du registre national des délinquants et d'autres bases de données comme le CIPC. Comment, alors, cette base de données publique augmenterait-elle la probabilité d'arrestations ou réduirait-elle le risque de récidive? Nous n'avons vu aucune preuve de tels résultats.

Il existe par contre des études qui appuient l'idée que les lois qui réduisent la protection de la vie privée des délinquants sexuels rendent leur réadaptation et leur réinsertion sociale plus difficile. En fin de compte, cela pourrait faire augmenter le taux de récidive.

Une base de données accessible au public risque aussi d'encourager les gens à se faire justice eux-mêmes, comme on le reconnaît sur les sites web provinciaux sur les délinquants dangereux, par exemple celui de l'Alberta, et de pousser les délinquants à rechercher la clandestinité de peur de se faire attaquer ou harceler. Des faits indiquent qu'aux États-Unis, des bases de données semblables ont conduit au meurtre de délinquants sexuels qui avaient été mis en liberté dans la collectivité.

Soyons clairs : nous éprouvons de l'empathie pour les victimes des délinquants sexuels et nous sommes conscients de la gravité du problème qu'on tente de résoudre par l'adoption de ce projet de loi. Nous invitons toutefois le comité à étudier soigneusement l'efficacité que pourrait avoir cette proposition.

Je vous remercie de votre attention et serais heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur.

Le sénateur Plett : Merci d'être venus. J'aimerais vous poser deux questions. La première porte sur le fait que le gouvernement accorde la priorité à ce projet de loi et à d'autres projets de loi qui traitent des droits des victimes. En fait, la grande priorité de notre gouvernement est la sécurité et le bien-être des Canadiens respectueux des lois, en particulier la protection de nos citoyens les plus vulnérables, nos enfants, et notre principale préoccupation n'est pas de nous demander s'il est gênant pour un délinquant sexuel de voir son nom diffusé dans la population.

Si de nouveaux renseignements personnels étaient maintenant rendus accessibles à la population, il faudrait bien sûr en tenir compte. Mais ce n'est pas ce que nous faisons. Nous sommes tout simplement en train d'élargir la portée de ce mécanisme pour que tous les Canadiens aient le même accès à l'information concernant les délinquants sexuels à risque élevé qui s'en prennent aux enfants.

Pouvez-vous répondre à cette remarque?

M. Therrien : Bien sûr. Comme je l'ai mentionné, je reconnais que le projet de loi a pour but de protéger les victimes. Les préoccupations sur lesquelles nous attirons votre attention ne concernent pas vraiment le souci du confort des délinquants, même si les délinquants, comme tous les Canadiens, ont des droits en matière de vie privée — mais notre principale préoccupation touche l'efficacité de la mesure en question, qui est de rendre publics pour tous les Canadiens, comme vous le dites, des renseignements personnels touchant les coordonnées des gens qui ont déjà été déclarés coupables d'infractions sexuelles.

Je comprends le but recherché. Je vous invite à vous demander s'il est efficace. Existe-t-il des éléments qui démontrent qu'un système de ce genre a été ou est efficace dans les pays où il a été mis en place? Nous avons examiné très soigneusement ces études et nous n'avons pas trouvé d'études qui le démontrent.

Le sénateur Plett : Je ne vais pas insister sur ce point. Je vais juste ajouter une observation à ce que vous avez dit. Votre rôle en tant que commissaire à la protection de la vie privée consiste toutefois davantage à éviter qu'il soit porté atteinte aux droits des citoyens et non pas à vérifier si un certain projet de loi est efficace. Votre rôle consiste à éviter les atteintes à la vie privée.

M. Therrien : En fait, il est évident que la publication de données personnelles concernant les contrevenants revient à divulguer des renseignements personnels. Cette mesure soulève donc des questions de vie privée. Voilà une première chose.

Cela veut-il dire qu'il ne faudrait pas le faire? Nous répondons qu'il y a des cas où la divulgation de renseignements — opération que l'on peut qualifier de restriction au droit au respect de la vie privée, voire dans le pire des cas, de violation des droits en matière de vie privée — peut être justifiée, pourvu que cela soit fait de façon efficace et proportionnée.

C'est là le lien que j'établis entre l'efficacité de la mesure et la question de savoir si la mesure justifie que l'on restreigne les droits en matière de vie privée. Dans ce cas-ci, d'après nos recherches — vous disposez peut-être d'autres études, mais d'après ce que nous avons lu —, il n'existe aucune preuve démontrant que ce genre de mesure, qui existe déjà dans d'autres régions, comme aux États-Unis et dans certaines provinces canadiennes, a permis d'atteindre l'objectif qu'elle propose.

C'est la relation que j'établis entre les restrictions en matière de protection de la vie privée et l'efficacité des mesures qui peuvent avoir cet effet.

Le sénateur Plett : Merci. Une dernière brève question. Vous avez dit à la Chambre des communes, et vous y avez fait allusion ici dans vos commentaires encore une fois cet après-midi, que ce genre de base de données accessible au public — et je crois que c'est une citation — « risque... de pousser les délinquants à rechercher la clandestinité de peur de se faire attaquer ou harceler. » Cela me semble être un faux-fuyant.

Comment peut-on faire rechercher la clandestinité à un délinquant sexuel qui s'en prend aux enfants? J'aurais tendance à penser qu'ils veulent se faire oublier le plus possible et je me demande si vous pouvez expliquer cette comparaison?

M. Therrien : Cela touche encore une fois l'efficacité de la mesure. Je pense, et corrigez-moi si je me trompe, qu'un des buts du projet de loi est de protéger les victimes de crimes, en particulier celles de crimes sexuels. Il en découle par conséquent qu'il faut bien sûr examiner la question de savoir si cette mesure va vraiment permettre d'atteindre ce résultat.

Il a été documenté que la publication des coordonnées des délinquants sexuels peut amener les délinquants sexuels à rechercher la clandestinité, pour ne pas faire l'objet de harcèlement, de commentaires ou même pire. D'après certains chercheurs — et je ne suis pas un spécialiste de la criminologie —, cela a pour effet de compromettre les possibilités de réadaptation. Autrement dit, cela aggrave le danger que ces gens font courir à la société.

Je vous demande de prendre en compte ce genre d'études.

Le sénateur Plett : S'il y a un deuxième tour de questions, monsieur le président, j'aimerais poser une autre question.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Comme vous l'avez mentionné dans votre présentation, nos tribunaux canadiens reconnaissent que la vie privée n'est pas un droit absolu, mais bien un droit quasi constitutionnel. Dans certains cas, ce même droit peut être restreint dans une société comme la nôtre. Autrement dit, on peut l'encadrer, par exemple, dans le cas du renforcement de la sécurité publique et lorsqu'il s'agit de protéger nos enfants des délinquants sexuels à risque élevé. Dans une telle situation, ne pensez-vous pas que la LERDS et la banque de données font exception à la règle et ne portent pas atteinte à la vie privée, étant donné que ces lois sont nécessaires à la sécurité du public?

M. Therrien : En termes d'objectifs, je serais d'accord qu'une loi qui a pour objectifs et effets de protéger le public, et qui est efficace dans ce sens, peut imposer une limite raisonnable au droit à la vie privée. Comme vous m'avez entendu le dire, la plus grande partie de mes préoccupations ne vise pas l'équilibre entre les objectifs. Il y a un objectif de protection de la vie privée qui peut être mis de côté, et un autre objectif de sécurité publique peut l'emporter sur la protection de la vie privée en théorie. Cependant, dans le cadre de l'analyse qui est faite lorsqu'on examine n'importe quelle mesure qui vise à limiter le droit à la vie privée, il s'agit de se demander si l'objectif le plus important — dans ce cas-ci, la protection des enfants —, est assorti d'une mesure précise qui est efficace pour réaliser cet objectif. Je ne suis pas un criminologue ni un scientifique dans le domaine, mais je suis à la recherche de ce que les scientifiques disent sur ces questions, et je ne vois pas de preuve selon laquelle ce genre de mesures est efficace. Théoriquement, oui, le droit des victimes pourrait l'emporter, mais il faut se demander si, au-delà de la théorie, en pratique, la mesure fonctionne. La science à laquelle j'ai eu accès ne semble pas démontrer que ce genre de mesures est efficace pour réaliser un objectif légitime et important.

Le sénateur McIntyre : Il est vrai qu'il faut faire l'équilibre entre le droit à la vie privée et la sécurité publique; je suis entièrement d'accord. Cependant, dans le cas présent, il me semble que la sécurité du public, surtout pour les jeunes enfants, doit primer. C'est mon point de vue.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Merci au témoin pour son exposé et pour la façon exceptionnelle dont il a présenté sa position.

Permettez-moi de vous poser simplement une question générale. Il y a plus de 3,6 millions de Canadiens qui ont un casier judiciaire. Plus de trois millions de Canadiens ont un casier judiciaire. Ce chiffre augmente, s'il est exprimé en pourcentage de la population, et cela comprend les hommes, les femmes et les enfants. C'est pourquoi je ne sais pas quel serait le nombre des Canadiens qui ont un casier judiciaire et qui auraient, disons, plus de 18 ans. J'imagine que le chiffre correspondant à ces personnes de 18 ans ou plus serait supérieur à 15 p. 100 de la population canadienne qui possède un casier judiciaire.

Pensez-vous qu'il soit utile de publier les noms de toutes les personnes qui ont un casier judiciaire? Vous avez déclaré ici que les études démontrent qu'avec ce projet de loi, la divulgation dans la population du nom des membres de ce groupe particulier de personnes ne se traduira pas par une diminution des infractions sexuelles rapportées, ne réduira pas le taux de récidive des délinquants sexuels. Si ce n'est pas l'effet qui sera obtenu, alors quel pourrait être l'objectif réel de la publication de tous ces renseignements? Qu'est-ce qui empêcherait le gouvernement au pouvoir d'étendre cette divulgation à toute personne qui a un casier judiciaire? Qu'en pensez-vous?

M. Therrien : J'ai lu certaines études qui indiquent — et cela me paraît conforme au bon sens — que, plus il y a de personnes dont les casiers judiciaires sont inscrits dans une base de données publique, moins cette information devient efficace, parce que, si l'on veut adapter son comportement sur ce que l'on voit dans cette base de données, il est bien évidemment plus difficile de savoir qui se trouve dans son quartier pour quel genre de crime et quel est le genre de danger que ces personnes représentent et comment se protéger. Lorsque le nombre des personnes dont les renseignements personnels figurent dans une base de données augmente, l'efficacité du processus diminue.

Pour compléter le tableau, je dirais que, pour ce qui est de cette base de données particulière, le nombre des délinquants sexuels est bien entendu beaucoup plus faible. Je reconnais que la présentation du projet de loi qui vous est soumis rendra publics les noms et des renseignements concernant les délinquants sexuels à risque élevé et que ce chiffre est encore bien plus faible. Je dirais que, oui, si l'on inclut des millions de personnes, le processus est moins efficace. Nous ne connaissons pas le nombre exact des personnes qui seraient qualifiées de délinquants sexuels à risque élevé, mais je pense que nous parlons d'un très petit nombre de personnes.

Le sénateur Baker : Pensez-vous que les noms, adresses, numéros de téléphone et renseignements personnels au sujet de toutes les personnes dont nous parlons sont déjà disponibles à tous les policiers au Canada s'ils ont accès à une connexion électronique et au CIPC, le Centre d'information de la police canadienne ou au SIRP, le Système d'incidents et de rapports de police, ou aux autres bases de données électroniques qui existent?

Je sais que le Québec, où le sénateur Dagenais représentait tous les policiers au palier provincial, a sa propre base de données, qui est également reliée au CIPC. Comme vous le savez, tous les organismes d'application de la loi ont de toute façon déjà accès à ces renseignements.

M. Therrien : C'est ce que je crois savoir. La perfection n'existe pas de sorte que je ne sais pas si cela fonctionne toujours parfaitement, mais je peux dire que les corps policiers ont, d'une façon générale, accès à cette information. Bien sûr, il est très important que, pour protéger le public, y compris les victimes d'infractions sexuelles, les policiers disposent de cette information, parce qu'ils peuvent intervenir et réduire le danger que ces personnes représentent.

Le sénateur Baker : Voyez-vous des cas où quelqu'un se trouverait dans une situation légale, dans son intimité, qui est normalement protégée par l'article 7 de la Charte, droits fondamentaux, justice fondamentale, qui empêcherait d'étendre cette liste à d'autres domaines? Pensez-vous qu'il y aurait des domaines où cela irait à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés pour ce qui est du droit à la protection de la vie privée?

Je comprends lorsque vous dites que le droit à la vie privée n'est pas un droit absolu, mais pensez-vous que cela puisse entraîner, dans un cas donné, la violation des droits d'une personne, ce qui pourrait sans doute empêcher par la suite d'intenter des poursuites pénales contre cette personne?

M. Therrien : Eh bien, le genre d'analyse que nous vous proposons intéresse à la fois les décideurs, les législateurs ainsi que les tribunaux.

Dans la mesure où la divulgation de renseignements au sujet d'un délinquant pourrait compromettre la liberté ou la sécurité d'un ancien délinquant sexuel, par exemple, si le délinquant faisait l'objet d'agression physique, de mauvais traitements ou de meurtre, dans le pire des cas, ce que nous avons vu aux États-Unis, cela déclencherait l'application de l'article 7. Le tribunal serait ainsi amené à effectuer le genre d'analyse que je vous propose à vous, les législateurs. La mesure est-elle proportionnelle? Est-elle nécessaire? Est-elle proportionnée?

Il est concevable que le tribunal estimerait que la divulgation de cette information, avec les risques de mauvais traitement qui déclencherait l'application de l'article 7 de la Charte, pourrait déboucher sur un jugement déclarant ce projet inconstitutionnel. Cela dit, je crois savoir que le registre ontarien a été contesté et que le tribunal a jugé qu'il était conforme à la Constitution.

Dans le domaine constitutionnel, il est rare qu'il n'y ait qu'une seule bonne réponse. Je dis simplement qu'un tribunal examinerait tous ces différents aspects, y compris l'efficacité, la proportionnalité et la nécessité de la mesure et pourrait déclarer inconstitutionnel le projet de loi.

Le sénateur McInnis : Merci d'être venu. Je suis très content de vous revoir.

Nous ne sommes pas en train de parler, si je peux m'exprimer ainsi, des criminels ordinaires. Nous parlons de délinquants sexuels à risque élevé qui s'en prennent aux enfants et qui risquent de récidiver.

Votre travail n'est pas facile, mais j'ai l'impression que votre verre est à moitié vide lorsque vous regardez cette situation et que vous dites « Prouvez-moi qu'il est à moitié plein ». C'est un défi auquel vous devez faire face.

Dans ce cas-ci, je n'accepte pas votre point de vue, parce que je crois que si j'étais un père ou une mère, j'aimerais savoir qui a commis des infractions pour que je puisse prendre mon enfant par la main et l'amener à l'école, dans le cas où ces personnes seraient dans le quartier, et le protéger. C'est important. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas d'accord avec vous.

Je ne suis pas non plus d'accord sur le fait — et vous me corrigerez si je me trompe — que vous avez effectué une recherche portant sur les États-Unis d'Amérique où il peut y avoir des précédents, mais avez-vous parlé à notre GRC? Avez-vous parlé aux membres des services correctionnels? Avez-vous parlé aux gens de justice ici au Canada?

Lorsqu'un projet de loi est présenté, il vient de groupes qui souhaitent introduire des changements. Il pourrait venir du ministère ou des services de police. Il se pourrait que la police sache par expérience que ce genre de mesure est efficace.

Pourquoi faire de la recherche aux États-Unis et pas ici au Canada? Dites-moi si vous avez parlé à ces personnes, parce que ce projet de loi n'est pas tombé du ciel. Ses auteurs ont dû disposer de certains éléments établissant que cela serait une mesure efficace pour protéger nos jeunes contre les personnes qui risquent de récidiver.

M. Therrien : Merci, sénateur. Je le répète encore une fois, je comprends et accepte totalement l'objectif recherché qui consiste à protéger les enfants et les citoyens en général contre toute activité criminelle, en particulier, et peut-être spécialement, contre les activités criminelles de nature sexuelle.

La question que je vous pose est celle de l'efficacité. La population est-elle mieux protégée avec un projet de loi comme celui-ci, qui a pour effet de rendre publics les renseignements concernant les délinquants sexuels, et qui risque d'avoir pour effet d'amener ces personnes à rechercher la clandestinité et d'augmenter le risque qu'elles récidivent?

On peut penser qu'un citoyen prendrait des mesures pour protéger son enfant à cause des renseignements qu'il a obtenus sur Internet. Mais les gens qui ont étudié des systèmes semblables n'ont pas fourni de telles preuves, et cela ne se limite pas aux États-Unis, je le signale en passant. Comme vous le savez, il existe évidemment dans un certain nombre de provinces canadiennes des registres semblables à celui qui est proposé ici, de sorte que nous ne nous trouvons pas devant un domaine inconnu. Il existe des études qui portent sur l'efficacité ou le manque d'efficacité d'une telle mesure, dans les provinces canadiennes, en plus de ce qui a été fait aux États-Unis.

Je n'ai pas parlé directement à la GRC, mais je sais qu'un membre de la GRC qui était responsable du Registre national des délinquants sexuels a déclaré, devant un comité permanent de la Chambre en 2009, qu'à cette époque, le registre n'avait pas permis de résoudre des crimes lorsque le délinquant était inconnu. Il y a des études qui le prouvent, du moins, pour ce qui est de la GRC au Canada. Aux États-Unis, je vous ai transmis les études que j'ai trouvées.

Bien évidemment, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il faut protéger les enfants et les citoyens en général. Mais je ne vois aucun élément qui établisse que ce projet de loi permettra d'atteindre cet objectif. Il semble surtout qu'il existe des preuves qui démontrent que ce genre de mesure risque d'aggraver le problème par l'effet dont je vous ai parlé, qui est de faire entrer les délinquants dans la clandestinité, de réduire l'efficacité des programmes de réadaptation et d'avoir peut-être ainsi l'effet opposé à celui que vous recherchez, à savoir réduire le nombre des crimes.

Le président : Vous n'êtes pas venu dire aujourd'hui que le projet de loi ne respectait pas la Loi sur la protection des renseignements personnels? Est-ce bien cela que vous affirmez?

M. Therrien : Non. Je dis que, sur le plan des orientations, avant d'adopter cette mesure, il serait peut-être souhaitable de savoir si elle est nécessaire et efficace. Si le projet de loi est adopté, il aura une existence indépendante. En théorie, il ne porte pas atteinte à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le président : Il serait visé par l'article de votre loi qui traite de l'intérêt public, je pense. Les seuls renseignements que la base de données peut contenir sont les renseignements que les services de police ou les autres autorités publiques ont déjà rendus accessibles au public. En outre, il est prévu qu'il sera possible d'interjeter appel à l'égard de la divulgation de ces renseignements. Je comprends votre position, votre argument au sujet de l'efficacité et de la proportionnalité, mais je tiens simplement à préciser que vous n'êtes pas venu ici pour soutenir que ce projet de loi est contraire à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

M. Therrien : Ce n'est pas ce que j'affirme. Mais pour ce qui est de la divulgation antérieure, je vous rappelle que c'est une chose qu'un service de police rende public ce genre d'information localement, mais que c'en est une autre que de placer ces renseignements dans une base de données nationale, sans que nous sachions pendant combien de temps ces renseignements seront conservés dans cette base de données. Je crois que la divulgation prévue ici donnera accès aux renseignements à davantage de personnes pour des périodes plus longues. C'est pourquoi cette mesure aura pour effet d'augmenter les risques d'atteinte à la vie privée.

Le président : Le délinquant a toutefois toujours la possibilité d'interjeter appel.

Le sénateur White : C'est la raison pour laquelle je voulais que mon nom figure sur la liste. Aujourd'hui, les services de police, lorsque c'est un avis destiné à la collectivité, s'il s'agit du Service de police de Toronto, placent ces renseignements sur leur site web et n'importe quel Canadien peut y avoir accès. Ils ne retirent ces renseignements que s'ils estiment que la menace a été réduite ou que la personne a quitté la collectivité, ce qui se produit fréquemment. J'essaie de comprendre quelle est la différence. Je sais qu'il y a une différence, mais du point de vue de la divulgation et de la vie privée, je dirais que cela ne met aucunement en danger le respect de la vie privée, même du point de vue d'un argument constitutionnel ou dans l'optique d'un appel devant la Cour suprême. Je ne vois pas quelle est la différence entre les avis destinés à la collectivité dans les grandes villes et cette base de données. J'ai effectué ce genre d'avis plus d'une douzaine de fois. Je ne pense pas que cela soit très différent.

M. Therrien : C'est donc une question de degré. Combien de personnes ont accès à cette information...

Le sénateur White : Tous ceux qui sont sur Internet.

M. Therrien : Entre...

Le sénateur White : C'est bien là l'argument; tous ceux qui sont sur Internet peuvent voir cette information parce que la divulgation est publique, n'est-ce pas?

M. Therrien : Si cette information est affichée sur Internet, vous avez raison.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Le sénateur Baker faisait allusion à mon passé de policier. J'aimerais vous en parler, justement, pour vous montrer comment on fait face à la situation sur le terrain.

Premièrement, comme vous l'avez mentionné, les délinquants sexuels à risque élevé doivent s'enregistrer à un poste de police. J'ai vécu la situation pendant 25 ans. Ils venaient s'enregistrer vers 16 heures, le samedi après-midi et, souvent, les conditions qui leur étaient imposées exigeaient qu'ils se conduisent bien, qu'ils gardent la paix, qu'ils conservent la même adresse, qu'ils soient à leur domicile de 22 heures à 7 heures le matin et, de plus, qu'ils ne se trouvent pas près d'un parc ou d'une école où se trouvent des enfants.

Le problème est que nous avions deux autopatrouilles pour 12 municipalités. À moins que les gens nous appellent, nous ne pouvions pas suivre les délinquants sexuels. Nous n'en étions malheureusement pas capables. Comme il s'agissait de petites municipalités, quelquefois le délinquant sexuel avait été identifié dans le village, les gens le connaissaient et, souvent, c'étaient les citoyens qui nous appelaient pour nous dire qu'il se trouvait près de l'école ou d'un parc.

Le fait que ces délinquants figurent dans une base de données qui peut être publique non seulement protégera les enfants, mais aidera aussi les policiers. Je puis vous dire que les policiers n'ont pas les effectifs nécessaires pour assurer la surveillance de ces personnes. Le service des libérations conditionnelles n'a pas non plus, bien souvent, le personnel suffisant. J'ai vécu cette situation à plusieurs reprises. Malheureusement, lorsque ces personnes comparaissent en cour, elles prennent avec un grain de sel les conditions imposées par le juge, sachant très bien que, même si elles ne les respectent pas, il n'y a pas assez de policiers pour les surveiller, et ce, même dans une grande ville comme Montréal. Or, en région, où il n'y a que deux autopatrouilles pour 15 municipalités, nous ne pouvons pas les surveiller. Nous nous en remettons davantage aux appels du public qu'aux individus — à moins, par chance, de tomber sur l'individu au moment où on patrouille la petite municipalité.

Je considère donc ce projet de loi très utile pour les forces policières, et tant mieux s'il aide le public. Il ne s'agit pas de vols de dépanneurs. On parle de délinquants sexuels dangereux. Souvent, ils sont devenus dangereux, parce qu'ils récidivent.

J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Je vous ai donné une situation très concrète sur la façon dont les choses se passent sur le terrain.

M. Therrien : Je comprends très bien que les policiers n'ont pas des effectifs illimités. Conceptuellement, du moins, la présence de renseignements au sujet de délinquants sexuels dans une base de données pourrait mener à leur identification. Vous avez une expérience pratique sur le terrain que je ne remets pas en cause. Comme je l'ai précisé à plusieurs reprises, je ne suis pas un criminologue ni un scientifique spécialisé en la matière. Toutefois, des gens ont écrit sur le sujet. Il y a aussi cette personne de la GRC, qui avait un rôle de gestion du registre, en 2009, qui a donné des preuves.

Je n'ai pas d'intérêt personnel d'un côté ou de l'autre. J'examine la question sous l'optique des intérêts en cause. Je dis que la protection du public, si c'est fait de façon efficace, peut l'emporter sur la protection de la vie privée. Je vous demande simplement de vous poser des questions sur l'efficacité. Vous avez l'expérience personnelle pour juger de l'efficacité d'une telle mesure.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci de m'avoir confirmé il y a un instant que le registre ontarien a été déclaré constitutionnel. Voilà une information qui nous est utile.

L'information qui se trouve dans la base de données et qui serait divulguée avec ce projet de loi est déjà accessible au public grâce aux bases de données provinciales. Si j'ai bien compris, le projet de loi permet la normalisation et la diffusion de cette information au moyen d'une base de données nationale plutôt qu'au moyen des bases de données provinciales seulement, selon leur disponibilité. C'est pourquoi je pense que cela pourrait supprimer la plupart des préoccupations que vous avez mentionnées ici. Je me demande comment vous réagissez à cela. À l'heure actuelle, il y a des provinces qui lancent des alertes dans la province au sujet de cette information. Grâce à cette loi, l'information serait plus accessible à l'échelle nationale.

Lorsqu'elle a témoigné devant le comité de la Chambre des communes, Sue O'Sullivan, l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, a déclaré :

Notre bureau a constaté que la plupart des collectivités au pays ont adopté des processus relatifs aux avis d'intérêt public concernant les délinquants à risque élevé. Dans certaines provinces, ces avis sont affichés sur des sites web publics. La banque de données accessible au public proposée devrait faire en sorte que les victimes et les collectivités ont un accès plus uniforme aux renseignements sur les agresseurs sexuels d'enfants qui présentent un risque élevé.

Je me demande comment vous réagissez à cette information.

M. Therrien : J'en reviens à la question de l'efficacité — je n'ai trouvé aucune étude qui démontre qu'une telle mesure a pour effet de réduire la récidive et, par conséquent, d'améliorer la sécurité de la population. Ce sont les études qui semblent exister. Il y a des études qui montrent que ce genre de registre peut inciter les délinquants à rechercher la clandestinité, ce qui crée ainsi un risque sur le plan de la récidive.

C'est la recherche que j'ai trouvée. Le sénateur Dagenais possède une expérience concrète dans ce domaine. Je vous invite à examiner ces études et à décider si cette mesure est efficace et proportionnelle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous au courant qu'en 2006, la Cour suprême a déterminé que, lorsqu'on libère un criminel dangereux, les renseignements relatifs à ses crimes et à la ville où il va habiter sont des renseignements de nature publique?

M. Therrien : On parle de criminels qui ont été catégorisés comme étant criminels?

Le sénateur Boisvenu : Dans le cas d'un délinquant sexuel qui représente un risque de récidive élevé, la Cour suprême a déterminé, en 2006, qu'il s'agissait de l'information de nature publique et que les provinces pouvaient la rendre publique.

Les exemples sont l'Ontario et la Colombie-Britannique qui, depuis 2006... Par exemple, à Cornwall, l'an dernier, un prédateur sexuel a été libéré et était considéré comme dangereux. La police a publié sa photo en première page dans le journal en citant ses conditions de remise en liberté, le niveau de dangerosité et les crimes commis. Le Québec, en 2006, a pris une décision contraire, en disant qu'il allait protéger les prédateurs sexuels dans leur réinsertion au détriment de la protection du public. Le ministre Dupuis avait expliqué aux corps policiers que la Cour suprême avait déterminé qu'ils pouvaient rendre cette information publique. Le Québec a pris une décision contraire à celle de l'Ontario en choisissant de ne pas rendre publique cette information. Est-ce que vous étiez au courant de cette décision?

M. Therrien : Je ne suis pas au courant de ce jugement en particulier. J'imagine que, ce qui est en cause, c'est évidemment les condamnations qui ont lieu devant les tribunaux dont les auditions se déroulent publiquement. Je vois le lien entre le caractère public des auditions des tribunaux de juridiction criminelle et le résultat, c'est-à-dire une condamnation. Je vois cela. Je ne suis pas au courant du jugement de la Cour suprême auquel vous faites allusion, mais si on prend pour hypothèse que les décisions sont basées sur ce concept, il y a tout de même une différence entre le fait que le renseignement soit public ou accessible à un certain nombre de personnes relativement limité.

Le sénateur Boisvenu : Lorsque la photo est publiée dans le journal et est accompagnée du nom de la ville et de l'arrondissement où demeure le délinquant sexuel, des crimes qu'il a commis et des conditions de sa remise en liberté, est-ce que vous considérez qu'il s'agit de renseignements de nature publique?

M. Therrien : Le résultat du procès est public. Donc, un corps policier peut rendre public ce résultat, il peut y avoir une photo. Cela dure un certain temps.

Le sénateur Boisvenu : Je parle du moment de la libération, plusieurs années plus tard, comme le cas à Cornwall — où est-ce que c'est huit ans plus tard — où, lors de la remise en liberté du délinquant, les policiers ont publié sa photo dans le journal en indiquant son niveau de dangerosité et les conditions de sa remise en liberté. Cette décision du corps policier de Cornwall existe depuis 2006, il y a presque 10 ans, et aucun organisme public n'a contesté les corps policiers qui le font. L'Ontario le fait depuis 2006, et la Colombie-Britannique également; le Québec est la seule province à ne pas le faire depuis la décision de la Cour suprême.

J'essaie de comprendre : que l'on ait un registre public des prédateurs sexuels dangereux ou bien que les policiers rendent l'information publique, est-ce que vous ne croyez pas qu'il s'agit du même type d'information en termes d'accessibilité?

M. Therrien : Au moment où les journaux publient ce genre de renseignements, cela a un effet important en ce qui concerne la notoriété de l'individu dans la population, j'en conviens. Cependant, la base de données rend accessible ce renseignement pendant une période plus longue, potentiellement indéterminée, et à davantage de gens. Ce qui est en cause, c'est de sous-peser — et c'est à vous de le faire— les objectifs de sécurité publique, la nature publique du renseignement dans une certaine mesure, et s'il y a lieu d'encadrer la publication de ces renseignements de sorte que la réhabilitation soit faite dans l'intérêt de la société qui peut désirer voir le taux de récidive diminuer.

Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous au courant qu'en Ontario, avant de rendre public le nom d'un prédateur sexuel, la décision est prise par un comité qui est formé d'un criminologue, d'un psychologue et d'un thérapeute? Êtes-vous au courant qu'il s'agit vraiment d'une décision prise de façon très encadrée?

M. Therrien : Je n'étais pas au courant de cela en particulier. Je note que dans le projet de loi, il est question de publier seulement des renseignements au sujet de criminels qui sont à haut risque, ce qui est un concept semblable.

[Traduction]

Le président : J'ai un intervenant pour le deuxième tour.

Le sénateur Plett : Peut-être avons-nous déjà tout dit à ce sujet, mais j'essaie de réfléchir au commentaire que vous avez fait à quelques reprises concernant le fait que cela risque d'amener ces prédateurs sexuels à rechercher la clandestinité. J'estime que, si un prédateur sexuel vit près de chez moi, que mes petits-enfants viennent me voir et que je les envoie jouer sur un terrain de jeu, j'ai le droit de savoir qu'il y a un prédateur sexuel qui habite à côté de chez moi. Vous laissez constamment entendre que, si nous agissons ainsi, cela va inciter cette personne à rechercher la clandestinité. Pour moi, cela veut dire qu'elle sera en fait chassée de ma collectivité. Je crois que c'est peut-être positif qu'elle décide pour cette raison de quitter ma collectivité.

Mon premier objectif, et c'est le principal, est de protéger mes enfants, mes petits-enfants et les enfants de mes voisins. Mon deuxième objectif est... et on m'a déjà accusé d'avoir dit que je ne me souciais pas de la réadaptation. Ce n'est pas vrai. Mais pour moi, ce n'est qu'un objectif secondaire. L'objectif principal est la sécurité de la population canadienne.

Vous ne disposez d'aucune preuve — vous avez déclaré à plusieurs reprises que vous aimeriez avoir des preuves établissant que cela donne de bons résultats. Nous ne le saurons pas tant que cette loi n'aura pas été en vigueur pendant un certain temps et nous pourrons alors vérifier si elle donne de bons résultats. Mais il est évident que des études ont été effectuées et qu'elles montrent que c'est la voie à suivre. Vous ne semblez pas disposer de renseignements disant que ce n'est pas la voie à suivre. Vous mettez simplement en doute l'intérêt de cette mesure.

Ne voudriez-vous pas savoir qu'il y a un prédateur sexuel qui habite à côté de chez vous?

M. Therrien : Je dis deux choses sur le plan des preuves : premièrement, d'après les études que j'ai lues, il n'existe aucune preuve démontrant que ce genre de système — les registres — sont efficaces.

Le sénateur Plett : Y a-t-il des preuves démontrant qu'ils ne sont pas efficaces?

M. Therrien : J'y arrive. Deuxièmement, si vous permettez aux contrevenants d'être libérés dans la collectivité en bénéficiant d'un certain anonymat, il y a des preuves indiquant qu'autoriser les contrevenants à participer à des programmes — il y en a un qui s'appelle le CSR, le Cercle de soutien et de responsabilité.

L'important est qu'en bénéficiant d'un certain anonymat, il y a des études qui démontrent que les délinquants peuvent recevoir des services dans des centres comme...

Le sénateur Plett : Et ils ne peuvent pas recevoir ces services autrement?

M. Therrien : ... qui ont un taux de réussite, je lis, qui se situe entre 70 et 80 p. 100.

Je ne suis pas ici pour défendre les délinquants sexuels. Je suis venu ici pour parler des lois qui permettent de véritablement atteindre les objectifs qu'elles se fixent. Premier point : il n'existe aucune preuve que ces registres sont efficaces. Deuxième point : il semble qu'il existe des preuves indiquant que la libération de contrevenants en leur accordant un certain niveau d'anonymat, ce qui serait plus difficile avec un tel registre, voudrait dire qu'ils ne peuvent bénéficier de ces genres de programmes, qui ont apparemment un très fort taux de succès.

Je ne défends pas les délinquants. Je vous demande simplement de réfléchir à ce qui est le plus efficace pour protéger la population en vous fondant sur des preuves. J'ai lu certaines études. D'autres ont une expérience pratique. Je vous demande d'examiner ces divers aspects.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je veux m'excuser de mon retard; c'était vraiment involontaire.

Vous avez indiqué dans votre mémoire que des faits indiquent aux États-Unis que des bases de données semblables ont conduit au meurtre de délinquants sexuels. Le projet de loi dont nous sommes saisis n'est pas du tout comparable au projet américain, où on donne l'adresse civique, le numéro de téléphone et le numéro de la plaque d'immatriculation. Ici, nous allons nous limiter à l'arrondissement. Êtes-vous au courant que depuis 2006, au Canada, depuis qu'on rend l'information publique dans les médias, il n'y a eu aucun cas d'agression contre des prédateurs sexuels, alors qu'il y en a eu aux États-Unis, parce qu'on y donne l'adresse civique du prédateur sexuel? Donc, le niveau de risque est effectivement plus élevé.

Lorsque vous écrivez dans votre mémoire qu'il s'agit de bases de données semblables, nous ne nous trouvons pourtant pas dans la même catégorie en ce qui concerne l'information que nous rendrons publique, n'est-ce pas?

M. Therrien : C'est possible. Effectivement, donner l'arrondissement est moins susceptible de révéler l'adresse exacte du domicile de l'individu. En Alberta, dans le site web semblable qui rend publics les renseignements au sujet de délinquants sexuels, il y a un avis qui est adressé à la population et qui dissuade les gens de se faire justice eux-mêmes.

Le sénateur Boisvenu : Évidemment.

M. Therrien : Cela m'indique que, selon le gouvernement de l'Alberta, il y aurait un certain risque que la population veuille se faire justice elle-même. Tant mieux si le registre canadien donne moins de détails que celui des États-Unis. Mais, il y a un niveau de risque, et ce n'est pas un risque théorique, puisque le gouvernement de l'Alberta a cru bon de publier cet avis sur son site web.

Le sénateur Boisvenu : Des criminels se sont fait battre en prison, comme à l'extérieur, même avant la mise en œuvre du registre que nous avons au Canada. Entre vous et moi, ce n'est pas le registre qui va provoquer cela.

[Traduction]

Le président : Voilà qui termine cette partie, monsieur Therrien et madame Kosseim. Je vous remercie d'être venus et d'avoir présenté vos témoignages.

Les deux témoins de notre prochain panel vont comparaître par vidéoconférence : Sheldon Kennedy, premier directeur du Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre de Calgary, en Alberta; et tout près de Richmond Hill, en Ontario, Ellen Campbell, présidente-directrice générale et fondatrice du Canadian Centre for Abuse Awareness. Nous allons commencer par entendre une déclaration préliminaire de cinq minutes présentée par M. Kennedy, qui sera suivie par la déclaration de Mme Campbell. Monsieur Kennedy, vous avez la parole.

Sheldon Kennedy, premier directeur, Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre : Je vous remercie de m'avoir invité.

J'écoutais ce qui se disait et j'entends toujours beaucoup de choses et de données concernant les délinquants lorsqu'il s'agit d'agressions sexuelles. J'aimerais en fait revenir aux conséquences qu'ont ces crimes pour les victimes. Je crois que c'est parfois ce que nous évitons, les répercussions de ces crimes sur les victimes. Je crois que si nous réussissons à comprendre cet aspect, nous prendre les décisions appropriées.

Je vais simplement vous donner un exemple de ce que nous faisons à Calgary au centre de défense des droits des enfants; nous faisons enquête sur tous les crimes d'agressions d'enfants dans cette ville, et 68 p. 100 des affaires sur lesquelles nous enquêtons sont des agressions sexuelles commises sur des enfants. En deux ans, nous avons fait des enquêtes sur 3 000 cas d'agressions sexuelles dans la ville de Calgary. Dans 47 p. 100 des cas, les agresseurs étaient des personnes qui s'occupaient des enfants, et 93 p. 100 de ces enfants connaissaient leurs agresseurs. Lorsque nous prenons en charge ces enfants, nous constatons qu'ils souffrent tous de troubles de santé mentale. Ils ont des problèmes de dépendance, des pensées suicidaires, et la liste est longue.

Je voulais simplement vous donner quelques chiffres provenant d'études que nous avons retracées au sujet des répercussions qu'a ce genre de crime sur les enfants, parce que, bien souvent, ils subissent des dommages invisibles. Pour ce qui est de l'éducation, 30 p. 100 des enfants maltraités obtiennent moins souvent un diplôme d'études secondaires. Ils ont trois fois plus fréquemment été congédiés l'année précédente. Pour ce qui est de la santé mentale, ils souffrent plus souvent de dépression grave qui dure plus longtemps et ils rapportent quatre fois plus souvent avoir des idées d'automutilation et des idées suicidaires que ceux qui n'ont pas fait l'objet d'agression sexuelle. De plus, 37 à 50 p. 100 des enfants maltraités souffrent de TSPT, et près de 100 p. 100 des enfants maltraités font état de symptômes partiels de TSPT. Arrivés à l'âge adulte, ils ont quatre fois plus de contacts que les autres avec les services de santé mentale. Pour ce qui est de la revictimisation, ils risquent d'être victimisés à nouveau physiquement ou sexuellement au moment où ils terminent leurs études secondaires de trois à cinq fois plus fréquemment que les autres. Ils risquent 26 fois plus que les autres d'être sans abri. Crime : ils risquent quatre fois plus que les autres d'être arrêtés comme jeunes délinquants et deux fois plus, comme adultes.

Une des grandes études qui a été menée dans le cadre d'une recherche sur les expériences défavorables des enfants aux États-Unis a démontré que le fait d'être agressé physiquement, agressé sexuellement ou de grandir dans une maison où il y a de la violence familiale multiplie le risque de perpétration ou de victimisation par la violence familiale arrivé à l'âge adulte, et pour les enfants qui connaissent ces trois types d'agression, le risque augmente de 3,5 fois pour les femmes et même davantage pour les hommes.

De plus, 72 p. 100 des personnes qui participent à un programme de désintoxication rapportent des antécédents de maltraitance sexuelle ou physique. Soixante-quinze pour cent de ces personnes avaient été maltraitées pour la première fois lorsqu'elles étaient enfants. Les agressions sexuelles et physiques au cours de l'enfance sont associées de façon significative avec une augmentation de 15 p. 100 des diagnostics médicaux, avec une augmentation de 16 p. 100 des symptômes médicaux et une augmentation de 19 p. 100 pour la dépression et de 22 p. 100 pour la colère. La santé des enfants qui ont été agressés est moins bonne que celle de 90 p. 100 de la population en général.

Je voulais brosser ce tableau parce que nous oublions bien souvent les conséquences que subissent les victimes. Je crois que bien souvent dans la société, nous regardons les victimes de ces crimes et leur disons : « Prenez-vous en main et allez de l'avant! » Ce n'est pas possible. Nous avons toujours travaillé sur les symptômes de ces problèmes. Nous sommes toujours intervenus à partir du moment où ces gens se retrouvaient dans la rue. Nous sommes toujours intervenus au moment où ces personnes étaient dépendantes. Nous sommes toujours intervenus quand ces personnes étaient envoyées en prison. Nous n'avons jamais essayé de lutter contre les causes profondes de leur situation.

À Swift Current, en Saskatchewan, nous venons de nous occuper d'un enfant de 12 ans qui a été agressé sexuellement. L'auteur de l'infraction, Ryan Chamberlin, vient de plaider coupable et a été condamné à cinq ans de prison. Il avait déjà été déclaré coupable en 1998 d'avoir agressé un enfant de cinq ans. Ryan Chamberlin travaillait dans les écoles, pour des organismes qui offraient des services à la jeunesse et il était un membre bien intégré de cette collectivité. Je crois qu'un des aspects très importants est que les délinquants sexuels profitent de l'indifférence et de l'ignorance de la société. Je pense que, pour la plupart des citoyens, la personne qui s'en prend aux enfants est quelqu'un qui se cache derrière les arbres et qui surgit à l'improviste, qui porte une cagoule, et cetera, mais ce n'est pas la réalité. Les délinquants sexuels font partie de la société et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour protéger nos enfants et donner aux collectivités la possibilité de savoir qui sont ces personnes. Merci.

Le président : Merci, monsieur Kennedy.

Ellen Campbell, présidente-directrice générale et fondatrice, Canadian Centre for Abuse Awareness : Merci. Sheldon, je suis tout à fait d'accord avec toi. Je suis heureuse de voir que tu parles des victimes et que tu examines le cas des victimes. J'ai été agressée sexuellement lorsque j'étais enfant et mon agresseur a vécu chez nous pendant deux ans. Il a commis ces crimes contre ma sœur et moi. J'ai eu trois maris, deux avortements et je me suis retrouvée en psychiatrie.

Je vois trop de personnes. Je travaille avec les adultes et je les vois. Tout comme l'a mentionné Sheldon, ce sont des personnes dont la vie est brisée. Une autre statistique est que 95 p. 100 des hommes en prison ont été agressés sexuellement et que 85 p. 100 des femmes qui se retrouvent en prison ont été sexuellement agressées lorsqu'elles étaient enfants.

Nous appuyons le Martin Kruze Memorial Fund. Lorsque Martin a révélé ce qu'il avait vécu, nous avons appris qu'il connaissait la personne qui l'avait agressé. Je me suis souvent demandé ce qui se serait passé si ce projet de loi, le projet de loi C-26, avait été en vigueur lorsque Martin a fait savoir ce qui lui était arrivé? Il aurait pu espérer qu'on fasse quelque chose. Mais il s'est suicidé parce que les lois étaient trop indulgentes. Gordon Stuckless a été condamné à deux ans de prison moins un jour. En appel, il a été condamné à cinq ans de prison, mais il a été libéré dans la collectivité après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Nous avons besoin d'une base de données pour que les gens sachent où se trouve Gordon Stuckless — non pas son adresse, mais dans quelle collectivité il vit, pour qu'ils puissent se sentir en sécurité, parce qu'il y a davantage d'enfants qui ont été agressés.

Holly Jones est un autre exemple. Nous avons travaillé avec Maria Jones alors que 200 agresseurs vivaient dans son secteur. Si sa mère l'avait su, elle ne l'aurait probablement pas laissé rentrer seule chez elle le soir et passer devant la maison de son agresseur.

Je suis extrêmement favorable au projet de loi C-26. Je voudrais que les peines minimales et maximales soient aggravées. Actuellement, les juges n'utilisent pas les peines en vigueur de sorte que, si nous les augmentons, ils vont peut-être les aggraver. C'est le seul espoir que nous ayons.

Nous avons préparé un rapport appelé Martin's Hope qui contient 60 recommandations au sujet des lois visant à protéger les enfants et ces 60 recommandations sont tout à fait conformes à ce que propose le projet de loi C-26. C'est ce que souhaitent les travailleurs de première ligne — les policiers, les travailleurs sociaux, les agents des sociétés d'aide à l'enfance, les organisations comme le centre Sheldon Kennedy. C'est ce que veut la population. Je vous invite vivement à aller de l'avant avec ce projet.

Quant à la base de données, j'ai entendu la dernière discussion. Je pense vraiment que nous devons avoir une base de données qui soit plus accessible à la population. Je reconnais qu'il n'est pas nécessaire qu'elle fournisse l'adresse exacte des délinquants, mais au moins qu'elle mentionne le quartier où ils vivent. Je ne pense pas que cela les incitera à rechercher la clandestinité. Je reconnais également que je veux savoir s'il y a un délinquant sexuel qui habite à côté de chez moi et je veux savoir combien il y en a dans ma collectivité.

Je pense toujours qu'ils peuvent obtenir de l'aide, mais il faut également savoir que certains pédophiles, comme Graham James, ne répondent pas à la thérapie. Il y en a un certain nombre, qui, je le crains, ne peuvent pas faire grand-chose. Il faut donc que ces délinquants à risque élevé soient emprisonnés pendant des périodes plus longues et dans des institutions à sécurité maximale.

Chaque fois que je comparais devant vous, j'ai peur de me répéter encore une fois : surveillance électronique. Cela a donné d'excellents résultats aux États-Unis. Il y a d'excellentes études qui y sont favorables. Cela coûte 150 000 $ par an de garder un prisonnier dans un établissement. La surveillance électronique coûterait beaucoup moins cher et je pense que cela ferait disparaître un bon nombre de préoccupations que nous avons à l'égard des pédophiles qui se trouvent dans nos collectivités. Merci.

Le président : Merci, madame Campbell. Nous allons commencer les questions avec le parrain du projet de loi, le sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Je vous remercie tous les deux d'être ici aujourd'hui. Sheldon, félicitations pour votre médaille de l'Ordre du Canada. Vous avez grandement mérité cette distinction et je tiens à vous en féliciter. Merci à tous les deux pour avoir eu le courage de venir ici aujourd'hui et de nous avoir parlé des cas que vous avez connus.

Je me demande, Sheldon, si vous pourriez me dire, du moins, j'aimerais que vous nous parliez de la disposition qui prévoit des peines consécutives pour un délinquant qui a abusé de multiples victimes. Ayant été victime vous-même, vous savez qu'il est important de tenir compte de chaque enfant ou chaque victime. Il est trop souvent arrivé, par le passé, que ce ne soit pas le cas avec les peines concurrentes. En ce qui vous concerne, votre agresseur, Graham James, a été déclaré coupable de crimes multiples. Pourriez-vous nous parler un peu de l'importance de tenir compte de chacune des victimes pour la détermination de la peine?

M. Kennedy : Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir décerné l'Ordre du Canada. Je l'apprécie vivement.

Il est absolument crucial de tenir compte des crimes commis contre chaque victime. Dans mon cas, tous les crimes ont été regroupés. Et c'est ainsi que cela m'a été présenté : tous les faits ont été regroupés et on lui a imposé la peine qu'on estimait raisonnable en échange d'un plaidoyer de culpabilité.

Si je comprends bien ce projet de loi, nous essayons ici de donner l'assurance aux victimes qu'elles peuvent porter plainte, qu'elles seront écoutées et qu'elles ne seront pas victimisées une nouvelle fois. L'accent sera mis sur la victime. C'est absolument essentiel. Il a fallu un revirement à 180 degrés pour aborder ces crimes en fonction non plus du criminel, mais de la victime.

Je pense au procès de Graham James. De nouvelles accusations viennent d'être portées contre lui. Je vais aller à Swift Current, le 19 juin, encore une fois, pour le procès de quelqu'un qui avait assuré, lors de sa première condamnation, n'avoir rien d'autre à se reprocher. Ce sera la troisième fois que nous irons assister au procès de Graham James. Ses crimes seront également jugés en même temps et en totalité.

Si l'on considère le nombre de vies que cette personne a bouleversées, j'ai du mal à accepter que ces crimes soient jugés en même temps et en totalité sans que la victime ne puisse vraiment se faire entendre.

Le sénateur Plett : Merci. Madame Campbell, le comité a entendu à de nombreuses reprises un avocat du nom de Michael Spratt, qui a souvent témoigné contre les peines minimales obligatoires. En fait, il a dit que rien ne prouvait que les juges prenaient des mauvaises décisions.

Vous avez fait allusion à Gordon Stuckless, et je lui ai mentionné ce même nom, il y a quelques jours, quand je lui ai demandé s'il pensait que la peine infligée à Stuckless était appropriée pour les crimes qu'il avait commis. Il a répondu que la question était trop simpliste et qu'elle ne méritait pas une réponse simpliste.

J'aimerais que vous me donniez une réponse simpliste. Croyez-vous que les juges ont prononcé les bonnes ou les mauvaises sentences par le passé?

Mme Campbell : Je suis convaincue qu'ils n'ont pas prononcé les bonnes sentences. Tous les travailleurs de première ligne étaient du même avis. Même maintenant, avec les peines minimales obligatoires, les juges n'imposent pas vraiment le minimum. Ils arrivent à contourner la loi.

Encore une fois, quel message cela envoie-t-il à une victime? Quel message cela a-t-il envoyé à Martin quand Gordon Stuckless s'en est tiré avec deux ans de prison? S'il y avait eu une peine minimale de cinq ans, je pense que Martin serait encore en vie. Je me suis occupée de plus de 100 hommes du Maple Leaf Gardens qui ont été victimes d'agressions sexuelles. Si vous posez la question à n'importe quel d'entre eux, ils vous diront qu'ils veulent une peine minimale obligatoire d'au moins cinq ans.

Pour revenir sur ce qu'a dit Sheldon, quel message cela envoie-t-il quant à la valeur de la victime? Il faut être une victime ou voir ces victimes pour vraiment se rendre compte de l'importance des peines minimales.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup. S'il y a un deuxième tour, monsieur le président, j'y participerai.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Bien entendu, vous jouez un rôle très important dans ce domaine. Sheldon, vous êtes le premier directeur du Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre, et madame Campbell, vous êtes la présidente-directrice générale et fondatrice du Canadian Centre for Abuse Awareness.

Sheldon, vous avez mentionné, dans votre déclaration, que la société est, en général, indifférente à l'égard de la situation actuelle en ce qui concerne les crimes sexuels contre les enfants. J'adresse ma question à vous deux. À quel point est-il crucial de sensibiliser et de conscientiser la collectivité au problème des délinquants sexuels? Sheldon, voulez-vous commencer?

M. Kennedy : Oui. C'est absolument crucial. Si vous prenez l'ensemble des organismes du pays au service des sports et de la jeunesse, une grande proportion d'entre eux exige une vérification du casier judiciaire. C'est difficile à obtenir à cause du manque d'uniformité d'une région à l'autre.

Qu'est-ce que notre société essaye de faire? Notre objectif est de renforcer les capacités dans ce domaine. Comment y parvenir? Le moyen de renforcer nos capacités consiste à soigner les traumatismes de façon éclairée et à faire comprendre à nos travailleurs de première ligne l'impact de ce genre d'infractions. Pourquoi la ministre, Mme Ambrose, a-t-elle annoncé qu'environ 100 millions de dollars seraient consacrés à la formation des travailleurs de première ligne? C'est pour qu'ils prêtent vraiment attention aux conséquences pour les victimes, car pour être un médecin de famille, une infirmière, un jeune policier ou un enseignant, vous n'avez pas besoin de suivre une formation dans ce domaine.

Dans 93 p. 100 des cas, l'enfant connaît le prédateur. Dans 40 p. 100 de ces cas, c'est un parent ou une personne qui prend soin de lui; cela a lieu à la maison. L'endroit le plus sûr pour ces enfants dans la collectivité pourrait être le cours de piano, la patinoire de hockey ou le milieu sportif. Il faut que nous puissions donner aux bénévoles et aux membres de la communauté la possibilité de comprendre et de savoir — et une base de données pour vraiment le savoir — qui se trouve dans leur entourage et à quelle situation ils sont vraiment confrontés.

Mme Campbell : Je suis d'accord avec Sheldon. Je reviens, une fois de plus, sur le cas de Holly Jones, qui rentrait de l'école. Il y avait dans son voisinage 200 délinquants sexuels, mais sa mère l'ignorait. Quand Gordon Stuckless est sorti de prison, là encore, si les gens l'avaient su — il a recommencé.

D'après ce que j'entends dire, et je travaille beaucoup auprès des victimes ainsi que des travailleurs de première ligne, les gens veulent des collectivités sûres et ils veulent savoir. Si vous teniez un référendum sur cette question, un grand nombre de gens diraient qu'ils veulent savoir qui se trouve dans leur voisinage. Je suis maintenant grand-mère et je voudrais certainement le savoir.

Je suis également convaincue que leur adresse exacte n'est pas indiquée, cela ne veut pas dire que les délinquants vont se réfugier dans la clandestinité. Néanmoins, les gens se sentent en sécurité s'ils savent qui se trouve dans leur voisinage et qu'ils peuvent prendre des mesures pour protéger leurs enfants.

Le sénateur McIntyre : Merci. Deuxième tour, s'il vous plaît.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Je vous ai très bien compris. À titre de policiers, nous avons besoin de l'aide du public. Les prédateurs sexuels sont souvent des gens qui sont en position d'autorité, que ce soit parmi les scouts, les moniteurs de parc ou les entraîneurs de hockey. Cela peut aussi être le père, le conjoint, donc des membres de la famille. Ainsi, n'eût été une dénonciation du public, les policiers n'auraient jamais su qu'il y avait un prédateur sexuel qui se trouvait dans telle organisation ou dans tel quartier. Vous l'avez bien exprimé tous les deux, et je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que vous avez besoin de les dénoncer. Les policiers ont besoin que vous dénonciez, parce que ce ne sont pas les corps policiers qui sauront qu'un scout ou qu'un entraîneur de hockey est un prédateur sexuel; ce sont les gens qui font partie du groupe qui vont aviser les policiers.

Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

[Traduction]

M. Kennedy : Au Child Advocacy Centre de Calgary, nous voyons ce genre de crime comme une responsabilité collective. La seule façon dont nous inciterons les victimes à porter plainte en toute confiance est d'avoir une approche uniforme. Il faut une base de données uniforme.

La base de données n'est pas la seule solution, mais la façon dont elle est établie actuellement et dont le Code criminel est formulé jette la honte sur les victimes. On ne comprend vraiment pas l'impact de ce genre d'agression non seulement sur la victime, mais aussi sur sa famille et la collectivité. Si nous regardons ce que cela coûte à la société, c'est énorme. Nous avons le service de lutte contre la maltraitance des enfants du Service de police de Calgary au Child Advocacy Centre. Son personnel compte sur le public pour obtenir des renseignements. Il compte sur les gens pour lui apporter des renseignements au sujet de ces individus.

Par conséquent, quand nous parlons du risque que les délinquants se réfugient dans la clandestinité, en réalité, ils opèrent déjà dans la clandestinité. Nous devons donc créer un climat de confiance dans nos collectivités pour que les gens les dénoncent et puissent poser des questions et obtenir des réponses.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Monsieur Kennedy, merci infiniment pour le travail formidable que vous avez accompli pour toutes les victimes de ces crimes horribles. La façon dont vous avez su triompher de ces épreuves est vraiment une source d'inspiration.

Comme nous en avons discuté brièvement avant de commencer aujourd'hui, je vous ai regardé jouer au hockey junior, en Saskatchewan, il y a bien des années, et j'espère vous rencontrer en personne un jour afin de pouvoir vous serrer la main et vous remercier pour tout ce que vous avez fait.

Je voudrais vous fournir l'occasion, devant notre comité sénatorial, de vous adresser aux gens qui suivent la télédiffusion de notre séance ou qui en liront la transcription. Il y a peut-être, quelque part, un enfant qui a subi l'horreur d'une agression sexuelle ou quelqu'un qui peut l'avoir subie par le passé. Je voudrais savoir ce que vous diriez maintenant à ces victimes, ou ce qu'un centre comme le vôtre peut faire pour les aider?

M. Kennedy : Je vous remercie. Je peux parler au nom du Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre, car lorsque les gens franchissent notre seuil, ils savent que nous allons les prendre au sérieux. Nous avons le service de lutte contre la maltraitance des enfants du Service de police de Calgary qui compte 30 enquêteurs. Nous avons 4 pédiatres, 20 psychologues et 35 travailleurs des services à l'enfant et à la famille. Nous avons un membre de la GRC et un membre du bureau du procureur de la Couronne qui travaillent tous en équipe et qui ont la possibilité d'échanger des renseignements dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Le but du Child Advocacy Centre est de faire en sorte que les victimes ne soient pas victimisées une nouvelle fois et de les aider à s'en sortir pendant qu'elles sont encore des enfants afin de ne pas les retrouver dans la rue, de ne pas les retrouver dans nos centres de traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme, ou encore en prison. Toute notre action est orientée vers une intervention précoce et la prévention.

Nous faisons 150 enquêtes par mois. Je peux dire aux gens qui viennent à nous, ou qui me racontent ce qui leur est arrivé, que nous les croyons. Nous les croyons, et je pense que c'est là l'essentiel. Je crois que leur plus grande crainte est qu'on ne les croira pas et que le système ne les soutiendra pas. Lorsqu'ils dénoncent leur agresseur, les crimes qu'il a commis sont regroupés et la peine qui lui est infligée est globale, ce que je trouve honteux, vraiment honteux.

À mon avis, plus vite nous comprendrons l'impact de ces agressions sur nos enfants — nous faisons peut-être des enquêtes sur la maltraitance des enfants, mais il s'agit d'un problème de santé mentale. Les traumatismes vécus dans la petite enfance sont à l'origine de plus de 80 p. 100 des problèmes de santé mentale dans notre pays. Nous n'en parlons jamais de cette façon, mais je pense qu'il faut le faire, car nous perdons un trop grand nombre d'enfants. Il est grand temps de déployer notre énergie à protéger nos enfants et à punir les coupables et les criminels. Je crois que tout est là. Pourquoi est-ce une décision difficile à prendre alors que nous savons quels sont les effets de ces agressions sur les enfants et leurs familles?

La sénatrice Batters : Exactement. Merci.

Le sénateur McInnis : Merci beaucoup à vous deux pour ce que vous avez fait et mis en œuvre, les centres que vous dirigez.

Sheldon, tout le personnel détaché auprès de votre centre y travaille-t-il à temps plein? Vous pourrez répondre dans un instant, car je vais également poser une question à Mme Campbell.

Madame Campbell, selon le rapport de 2013 de Statistique Canada, les agressions sexuelles contre les enfants ont augmenté de 6 p. 100 cette année-là, alors que normalement, il s'agit de 3 p. 100 par année, malheureusement. Est-ce parce que la GRC et la police manquent de moyens ou parce que les centres comme les vôtres ont diffusé davantage d'information et que les gens hésitent moins à dénoncer les agressions? À quoi attribuez-vous cela?

Sheldon, je reviens à vous. À propos de votre centre, vous avez mentionné au début de votre déclaration qu'on accordait beaucoup d'attention à la réadaptation du délinquant. Vous avez parlé de façon claire et directe de la réadaptation des victimes et des effets catastrophiques que ces crimes ont eus sur elles, sur le plan de la scolarité, de l'emploi et de la façon dont elles mènent leur vie. Faisons-nous suffisamment d'efforts? On peut toujours essayer de résoudre un problème avec de l'argent, mais parfois, cela ne marche pas. Y a-t-il d'autres choses que nous devrions faire à part fournir des ressources financières?

M. Kennedy : Pour répondre à votre première question, oui, tous ces spécialistes travaillent au même endroit. Nous sommes exactement en face de l'hôpital pour enfants. Nous avons 115 personnes qui travaillent à temps plein dans notre centre et comme je l'ai dit, tout leur travail est axé sur la réadaptation.

Nous savions, en mettant ce projet sur pied, qu'on allait probablement nous considérer comme la capitale des agressions sexuelles, au Canada. Selon une étude, le taux d'arrestation des délinquants sexuels est de moins de 3 p. 100.

Je pense que nous assistons à un changement radical de mentalité. Les conversations que nous avons et les décisions qui sont prises sont très différentes de ce qu'elles étaient en 1997. Quand je regarde ce que nous avons accompli ici, je me dis qu'il faudrait en faire une pratique courante. Quand nous voyons 110 personnes, venant de six systèmes gouvernementaux différents, travailler ensemble avec des protocoles d'entente entre tous les organismes sur la façon de travailler ensemble, c'est une question de méthode. Il ne s'agit pas d'accorder de l'argent frais; il faut redéployer les ressources financières. Nous cherchons à transformer rapidement la vie des enfants. Tout repose sur une intervention précoce et la prévention.

Pour ce qui est du financement, je ne crois pas que ce soit la seule solution. Je crois qu'il y a suffisamment d'argent consacré à ce domaine. Je crois qu'il faut intégrer notre modèle dans la pratique courante. Il faut que cela devienne la façon d'aborder le problème. C'est la façon dont nous travaillons auprès des enfants. C'est ainsi que nous comprenons le problème.

Un peu partout au Canada, les victimes d'agression sexuelle doivent souvent aller à quatre ou cinq endroits différents pour faire une dénonciation. Elles viennent chez nous, elles nous disent ce qu'elles ont subi, nous faisons notre travail, ce qui représente des mois et parfois des années d'efforts, et à partir de là, l'enfant bénéficie immédiatement d'une thérapie.

Avant, c'était comme si on voulait réparer une jambe cassée en se fiant au quart de la radiographie. Les différents services ne pouvaient pas communiquer entre eux pour discuter des renseignements dans l'intérêt de l'enfant. J'estime qu'il s'agit d'utiliser plus efficacement les outils que nous avons déjà et de renforcer les capacités de la collectivité en informant nos enseignants, nos infirmières, nos médecins de famille et nos jeunes policiers et en leur donnant les outils voulus pour qu'ils soient mieux en mesure de faire face à ce genre de crimes.

Le président : Madame Campbell, voulez-vous répondre au sujet des chiffres de Statistique Canada?

Mme Campbell : Oui. J'ai plusieurs choses à dire. Premièrement, il y a maintenant une meilleure sensibilisation. Je me souviens d'avoir organisé, il y a 22 ans, la première conférence nationale pour les victimes d'agression sexuelle pendant l'enfance, et qu'il y a eu à peu près 300 participants, mais seulement quelques hommes. Je constate que beaucoup plus d'hommes dénoncent maintenant ces agressions et je pense que cela se répercute sur les statistiques, car ils n'ont plus honte. Sheldon a mentionné la honte. Maintenant que nous en parlons, que des victimes dénoncent leur agresseur et que des gens comme Sheldon le font, la honte disparaît et les victimes se sentent plus en confiance.

Néanmoins, je crois aussi qu'il y a une augmentation des agressions d'enfants à cause de la propagation de la pornographie sur Internet. Nous savons qu'elle est omniprésente; elle est en augmentation. Je pense que cela augmente aussi l'incidence de ces types de crimes.

Il est merveilleux que Sheldon ait ce centre pour les enfants, mais ce qui m'ennuie, c'est qu'il y ait si peu de services pour les adultes, surtout les hommes. Nous sommes un centre d'orientation et de ressources. Nous avons quelques groupes d'hommes et nous avons organisé 16 conférences sur la victimisation masculine, mais malheureusement, quand les hommes décident de faire le pas, de prendre le téléphone pour révéler ce qui leur est arrivé alors que personne d'autre, dans leur famille, n'est au courant, ils doivent attendre six mois à un an pour obtenir des services de counseling gratuits. La plupart d'entre eux n'ont pas les moyens de se payer ces services et doivent donc se faire inscrire sur une liste d'attente ou participer à un groupe, mais même les groupes sont complets.

Il y a une pénurie de ressources financières pour le counseling des adultes. C'est systématique. Si un père a été victime d'abus sexuel pendant son enfance, Sheldon pourra le confirmer, c'est toute la famille qui est touchée. Il vit maintenant avec un conjoint avec qui il ne peut pas communiquer; il y a des problèmes d'intimité dans le couple et probablement des problèmes d'alcool. C'est un problème familial, tout comme l'alcoolisme. Les traumatismes remontant à l'enfance perturbent la famille.

Il est merveilleux que nous rejoignions davantage les enfants, mais nous ne faisons pas assez pour les adultes. J'ai peur que les statistiques augmentent encore. Je reçois de plus en plus d'appels d'hommes victimes d'agressions sexuelles et ce n'est pas près de s'arrêter. Leur nombre ne diminue pas.

Le sénateur Baker : Une très brève question. Tout d'abord, merci à tous les deux pour vos excellents exposés.

Madame Campbell, vous avez mentionné, tout à l'heure, quelque chose qui m'a sidéré. Si j'ai bien compris, vous avez dit que dans les cas où une peine minimale obligatoire est prévue, les cas dont nous parlons ici, les juges n'imposent pas le minimum. Bien entendu, comme d'autres personnes qui nous écoutent, je ne comprends pas comment ils arrivent à le faire.

Mme Campbell : Je connais au moins un cas, à Toronto, de juge qui n'a pas imposé la peine minimale. Je me ferais un plaisir d'obtenir ces renseignements et de vous les transmettre. Je n'ai pas les détails sous la main, mais les juges n'aiment pas qu'on leur dise qu'ils doivent imposer des peines minimales ou maximales; ils veulent plus de liberté. Ils n'aiment vraiment pas avoir à appliquer ces peines. Je sais que la résistance de leur part est bien réelle, mais je vais me faire un plaisir d'obtenir ces renseignements et de vous les communiquer.

Le sénateur Baker : Nous l'apprécierions vraiment. Merci beaucoup.

Mme Campbell : C'était à Toronto.

Le sénateur Baker : Merci.

Le président : Comme nous avons commencé tard, vous allez pouvoir poser une ou deux questions supplémentaires.

Le sénateur Plett : Juste une question que j'ai posée plus tôt aujourd'hui au Commissaire à la protection de la vie privée. Je ne sais pas si vous l'avez écouté, mais dans son témoignage, il a insisté sur le fait que nous n'avions pas suffisamment de preuves de l'efficacité du registre, par exemple.

Madame Campbell, vous avez fait allusion, au début de votre exposé, au fait que des criminels se réfugient dans la clandestinité, et j'essaie de réfléchir à cette situation. Je voudrais que vous me disiez — et peut-être pourriez-vous répondre à cela tous les deux — si vous ne pensez pas que la victime a le droit, en fait la collectivité a le droit de savoir quand un prédateur d'enfants, un délinquant sexuel, une personne qui a maltraité des enfants, vient s'installer dans le voisinage?

Je veux le savoir. Si mes petits-enfants sont chez moi, je veux savoir qui vit à côté ou dans l'appartement voisin. Je regrette si cela offense le délinquant, si cela porte atteinte à sa vie privée, mais je pense que les droits de la victime l'emportent.

Pourriez-vous me donner chacun une réponse en 30 secondes?

Mme Campbell : Je n'ai peut-être pas été très claire. Je suis entièrement d'accord avec vous. Je ne veux pas d'un pédophile à côté de chez moi. Je veux savoir qui vit dans le voisinage.

Les gens disent que cela va inciter les criminels à se cacher. Comme l'a dit Sheldon, ils se cachent déjà. Cet argument n'est pas vraiment valide à mes yeux. Ce n'est pas un argument suffisamment convaincant. Je veux savoir et je suis donc désolée si je ne me suis pas exprimée clairement.

Le sénateur Plett : Merci. Sheldon, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Kennedy : Si la majorité des organismes sportifs du pays exigent des vérifications du casier judiciaire, c'est parce que nous devons savoir qui travaille auprès de nos enfants. Il y a, je pense, une bonne raison à cela, et nous le savons, parce que les délinquants que nous voyons chez nous et ailleurs cherchent les organismes qui ne vérifient pas les antécédents et dans lesquels ils peuvent s'insérer. Nous devons faire tout en notre pouvoir pour faire savoir qui sont ces délinquants aux collectivités, aux voisins et aux organismes qui travaillent auprès des enfants.

Une des principales réactions que nous entendons est : « Nous n'en avions aucune idée; je ne peux pas croire qu'il ait fait cela. » Ce n'est pas comme si ces délinquants avaient une cible sur le dos. Ce sont des gens qui s'intègrent dans la communauté où ils occupent des postes où on ne les soupçonnerait jamais. Je crois essentiel que nous soyons avertis de leur présence.

Le sénateur Plett : Si vous le permettez, je vais faire une observation sur laquelle je vais conclure. Ce n'est peut-être pas une consolation, mais suite aux terribles abus que vous avez subis, vous accomplissez aujourd'hui un travail remarquable auprès des victimes. Merci infiniment.

Le sénateur McIntyre : Je crois que vos deux centres travaillent en équipe avec vos partenaires qui sont principalement des agents de la Couronne, des policiers, des centres de santé communautaires, des centres de santé mentale communautaires, des travailleurs du service à la famille, et cetera.

Il semble donc important que vous ayez du personnel spécialement formé dans vos deux centres pour vous occuper plus efficacement des victimes de sévices contre des enfants et de crimes sexuels. Pouvez-vous nous parler un peu plus du personnel spécialisé, de l'importance d'avoir du personnel spécialement formé? Monsieur Kennedy?

M. Kennedy : Je peux certainement en parler. Pour ce qui est du renforcement des capacités, les seules personnes qui reçoivent vraiment une formation sur les sévices sexuels sont celles qui décident de se lancer dans ce domaine. Ce qui a été mis en place par l'entremise du ministère fédéral de la Santé, les 100 millions annoncés par la ministre, Mme Ambrose, vont être consacrés à des soins tenant compte des traumatismes subis.

Les soins tenant compte des traumatismes subis reposent sur une compréhension de l'impact des traumatismes sur les enfants, des effets que cela a sur eux. Encore une fois, il s'agit de ne pas s'attaquer uniquement aux dommages extérieurs. Si nous voulons mettre un terme au cycle de l'itinérance, de la toxicomanie et de la criminalité, nous devons aider les enfants à s'en sortir avant qu'ils n'en arrivent là. Suffisamment de recherches ont été faites sur le cerveau par la Norlien Foundation, l'Alberta Family Wellness Initiative pour comprendre l'impact des traumatismes et leur lien direct avec la toxicomanie, l'anxiété et les troubles mentaux.

Nous n'essayons pas de former des étudiants au doctorat dans toute la province ou tout le pays ou dans nos collectivités; nous essayons de faire comprendre l'impact des traumatismes afin qu'un jeune policier de Vauxhall qui mène une enquête sache comment procéder, de concert avec le travailleur social et le médecin.

C'est comme pour les enseignants. Quand vous étudiez pour devenir enseignant, vous n'avez pas à suivre de formation dans ce domaine. Je pense que les écoles pourraient être souvent les lieux les plus sûrs pour nos enfants. Il faut donc créer un climat de confiance et donner aux gens la capacité de comprendre la situation, y faire face et peut-être l'examiner d'un peu plus près. Je pense qu'au lieu de demander : « Qu'est-ce qui ne va pas? », il faut demander : « Que t'est-il arrivé? »

La sénatrice Batters : Madame Campbell, tout à l'heure, vous avez répondu à une question en disant que vous receviez de plus en plus d'appels d'hommes. Je tiens à dire à qui en revient le mérite. Selon moi, c'est dû en grande partie aux efforts de Sheldon Kennedy, car il a fait œuvre de pionnier à cet égard. Venant du monde du hockey, milieu machiste par excellence, il fallait être extrêmement brave pour faire ce que vous avez fait et dénoncer votre agresseur. Merci beaucoup à tous les deux de ce que vous faites quotidiennement pour les victimes.

Le sénateur White : Un des avantages de la base de données est qu'elle permettra de faire une recherche. Nous parlons souvent des avis au public qu'utilisent les services de police. Je sais que M. Kennedy sera d'accord avec moi. Lorsque les enfants voyagent avec des groupes sportifs et sont hébergés pour la nuit, les bénévoles de l'équipe ou de l'organisme ont fait l'objet de vérifications, mais que souvent, les personnes qui se trouvent dans les maisons où nous déposons nos enfants pour qu'ils y passent la nuit ne sont pas soumises aux mêmes vérifications.

Je dirais — si je me trompe, dites-le-moi — que ce genre de base de données permettrait aux parents qui s'inquiètent à l'idée que leurs enfants passent la nuit à l'extérieur lorsqu'ils participent à un tournoi de hockey, de faire une recherche sur le nom de la personne qui les héberge et de tout autre adulte qui se trouvera dans la maison. Cela permettrait aux parents de protéger leurs enfants de façon proactive au lieu d'espérer que tout se passera bien. N'êtes-vous pas d'accord?

M. Kennedy : Je suis absolument d'accord. Je pense que ce travail serait fait s'il était facilité. Je crois qu'une base de données comme celle-là faciliterait les choses.

Nous revenons tout juste de la conférence de Sport Canada à Ottawa, et c'était le sujet de discussion : comment faciliter les choses?

J'estime que nous devons faire le maximum pour empêcher que les prédateurs d'enfants aient accès à nos enfants et c'est en suivant leurs déplacements dans notre pays.

Le sénateur White : D'abord et avant tout, notre objectif est de protéger les enfants. J'essaie de formuler une question, mais je dirais que peu m'importe la vie privée des individus qui profitent de nos enfants.

Je n'ai pas de question. Excusez-moi.

Le président : Je pense que les témoins seront d'accord. Voilà qui termine notre audience d'aujourd'hui.

Au nom du comité, madame Campbell et monsieur Kennedy, merci infiniment de votre comparution et de votre témoignage d'aujourd'hui. Je pense que je dois vous adresser, au nom de tout le monde ici, un gros merci pour le travail important que vous faites dans nos collectivités.

Nous allons lever la séance. Nous commencerons nos audiences sur le projet de loi C-12 demain après-midi, à 15 h 30.

(La séance est levée.)


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