Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 12 - Témoignages du 20 avril 2015
OTTAWA, le lundi 20 avril 2015
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte. Je m'appelle Claudette Tardif, je viens de l'Alberta, et j'ai le privilège d'être la présidente de ce comité.
Avant de débuter, je demanderais aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, de la ville de Québec.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, de Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.
La présidente : Bienvenue à nos invités. Au cours de cette 41e législature, les membres de ce comité examinent les politiques linguistiques et l'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.
Le but de cette étude est d'examiner les politiques existantes, les défis et les bonnes pratiques qui favorisent l'apprentissage d'une deuxième langue dans les pays où il y a deux ou plusieurs langues officielles. Le comité, dans le cadre de son étude, examine à la fois la perspective canadienne et la perspective internationale.
Les témoins de notre premier groupe nous parleront de la promotion des langues officielles dans le contexte canadien et des échanges linguistiques et culturels.
Nous avons le privilège d'accueillir M. Michael Hudon, coordonnateur de projets et des communications de la section manitobaine de l'organisme Canadian Parents for French; Mme Danielle Lamothe, directrice générale de l'organisme Le français pour l'avenir; et Mme Deborah Morrison, directrice générale de la Société éducative de visites et d'échanges au Canada, la SEVEC.
J'inviterais M. Hudon à faire sa présentation. Il sera suivi de Mme Lamothe et de Mme Morrison. Par la suite, les sénateurs poseront leurs questions.
Michael Hudon, coordonnateur de projets et des communications, Canadian Parents for French — Manitoba, French for Life : Bonjour. D'abord et avant tout, j'aimerais dire que je suis très content d'être ici, ce soir, et j'espère que mon témoignage sera à la hauteur de vos attentes. Je suis le travail de votre comité, et je sais que grâce à vos questions, je pourrai partager avec vous l'essentiel de mon expérience.
Je vais tout d'abord me présenter; je vous ferai ensuite part de mon cheminement ainsi que du projet French for Life. Finalement, je suggérerai des idées dont nous pourrons discuter au fur et à mesure de mon témoignage.
Je viens du Manitoba et je suis diplômé en immersion française. Ce sont mes parents qui ont pris la décision de me placer en immersion, et c'est une décision qui est très courante. À l'époque, ce n'était pas important pour moi, je n'aurais pas pris cette décision par moi-même. Mais au cours des années, j'ai eu souvent l'occasion d'utiliser le français, beaucoup plus que je n'aurais pu l'imaginer lorsque j'étais à l'école et que j'apprenais la langue.
J'aimerais partager avec vous quelques-unes de mes expériences. Quand j'avais 18 ans, j'ai effectué un échange universitaire avec la France. C'était vraiment une occasion inattendue, et j'ai été surpris de constater que je pouvais réussir et jusqu'à quel point ce programme m'a donné des compétences de base pour réussir. Ensuite, le fait de voir que je pouvais réussir m'a ouvert beaucoup de portes.
[Traduction]
Je ne sais pas si cela vous concerne, mais vous rappelez-vous votre crise de la vingtaine au cours de laquelle vous ne saviez pas ce que vous vouliez faire? Lorsque j'ai eu la mienne, j'ai pris ma Suzuki Sidekick et je me suis rendu sur la côte Est du Canada.
[Français]
Je suis resté avec mon pote jusqu'à ce que j'aie dépensé tout mon argent. Gone. En revenant chez moi, j'ai traversé un petit village appelé « Mont-Tremblant ». Que c'était beau! J'ai stationné ma voiture et je me suis dit : « Moi, je vais travailler ici cet hiver. »
[Traduction]
Comme je l'ai dit, je n'avais pas un sou, je ne pouvais donc pas me permettre d'aller à l'hôtel. Je faisais du camping sauvage sur le bord de la route.
[Français]
C'était en novembre et il faisait vraiment très froid. Puisque j'avais appris le français, cela m'a pris deux jours, non seulement pour trouver un emploi, mais aussi pour trouver un endroit où vivre.
[Traduction]
Ce n'était pas non plus n'importe quel emploi. J'étais serveur au bar de l'hôtel Fairmont, les choses ont donc bien fonctionné pour moi. J'ai pu rencontrer des gens extraordinaires et faire de la planche à neige à peu près tous les jours. Pour moi, c'était un rêve.
[Français]
C'est en revenant au Manitoba que j'ai commencé à travailler pour l'organisme Canadian Parents for French. Cet emploi m'a offert plusieurs opportunités. J'ai participé à un projet de la Société franco-manitobaine appelé « À vélo pour mon drapeau ». Nous étions un groupe de 30 personnes rassemblées pour célébrer le 30e anniversaire du drapeau franco-manitobain. On a voyagé à vélo de Winnipeg jusqu'à Ottawa. C'était vraiment bien. J'ai aussi eu l'occasion de faire du bénévolat aux Jeux de la francophonie canadienne, ainsi qu'un autre voyage à vélo dans le cadre de l'événement « Vélo Santé-Prairies », pour promouvoir l'accès à des services en santé en français.
Plus tard, j'ai participé au programme Odyssée. J'étais moniteur de langues, à Tracadie-Sheila, au Nouveau- Brunswick, où j'aidais les jeunes francophones à apprendre à parler l'anglais. Ensuite, je suis revenu au Manitoba pour travailler dans une école d'immersion, encore comme moniteur de langues, pour aider les jeunes anglophones à apprendre le français.
Je peux maintenant dire que le français fait partie de ma vie de tous les jours, et c'est grâce aux occasions qui m'ont été offertes d'utiliser cette langue dans la vraie vie, à l'extérieur de l'école.
[Traduction]
French for Life est un outil de promotion pour les étudiants manitobains, leurs parents et les enseignants. Il a été créé en 2007 à partir de renseignements fournis par des spécialistes de l'immersion et des cours de base en français. Il comporte trois volets principaux : des exposés en classe destinés aux élèves et aux parents, des vidéos et des brochures promotionnelles, de même qu'un site web.
Il est animé par Canadian Parents for French, c'est donc un projet de cette organisation qui est rendu possible grâce à du financement du French Second-Language Revitalization Fund, dans le cadre d'un accord fédéral-provincial. Il n'existerait pas sans ce partenariat. Pour nous, Manitobains, c'est un outil précieux pour l'enseignement du français langue seconde. Rien qu'au Manitoba, il permet de financer plus d'une centaine de projets, pas seulement en ville, mais dans des collectivités de partout dans la province. Il est vraiment important, au Manitoba, d'aider les communautés rurales et nordiques à avoir accès à des programmes de qualité.
Au Manitoba, le nombre d'inscriptions en immersion française connaît un record sans précédent, et c'est quelque chose de très positif pour nous. J'ai personnellement donné des centaines d'exposés à des milliers d'élèves inscrits à des programmes d'immersion française et de français de base. Ces exposés sont toujours très en demande. Ils visent tout d'abord à encourager les élèves à s'efforcer d'apprendre la langue. Ce n'est pas quelque chose qui se fait tout seul. Il ne suffit pas d'aller à l'école et de s'asseoir sur une chaise. Ces étudiants doivent décider que c'est important pour eux et prendre des mesures concrètes pour réaliser ce rêve.
Cela met aussi en relief les véritables occasions qui existent dans le monde pour ceux qui feront ce choix et permet à ces étudiants de saisir ces occasions tout au long de leur vie.
Maintenant, dans ce contexte, French for Life œuvre aussi auprès des parents. La décision de faire instruire votre enfant dans une langue que vous ne comprenez pas peut être très difficile pour les parents. Ils ont des questions. French for Life est une occasion de collaborer avec les parents, de répondre à leurs questions et de s'assurer qu'ils sont à l'aise avec cette décision.
Ce qui importe pour nous au Manitoba, c'est de nous assurer que nos élèves ont accès à des programmes de qualité. Si les parents et les élèves ne sont pas convaincus que leur enseignement va leur permettre de participer à la culture de la langue qu'ils apprennent, ils vont abandonner. C'est très simple. Selon John Ralston Saul : « La langue est un sac rempli de culture. Sans culture, le sac est vide. » C'est important.
Au Manitoba, depuis récemment, nous favorisons une approche de l'apprentissage de la langue axée sur la communication. Dans ce contexte, on met peut-être davantage l'accent sur la capacité d'entretenir des conversations authentiques qu'on le faisait auparavant. C'est pour nous une priorité, car cela donne à la langue une dimension réelle.
La promotion est importante et c'est ce que fait French for Life. Le fait que ces programmes soient offerts ne signifie pas forcément que les étudiants vont les suivre. Ils pourraient préférer regarder la télé tout simplement parce que ce sont des adolescents, et ce n'est pas un problème. Cependant, c'est une bonne idée d'aller leur parler et d'être authentiques avec eux; cela les incite à vraiment participer à ces programmes.
[Français]
Je vais m'arrêter là, et nous poursuivrons cette conversation. Merci. Je vous cède maintenant la parole.
La présidente : En effet, nous pourrons revenir avec des questions pour poursuivre la conversation.
Danielle Lamothe, directrice générale, Le français pour l'avenir : Le français pour l'avenir s'engage à faire la promotion de la langue française chez les jeunes de la septième à la douzième année. Avant le niveau de la septième année, ce sont surtout les parents qui prennent les décisions. À partir de la septième année, l'enfant commence à avoir un mot à dire dans son éducation, et c'est là que se concentrent nos efforts.
Nous avons quatre programmes qui incarnent les objectifs de l'organisme Le français pour l'avenir. Ensemble, ils touchent plus de 20 000 adolescents chaque année au Canada.
Le premier programme s'intitule Les sessions franconnexions. Il se compose d'une trousse d'outils offerte gratuitement aux professeurs qui s'engagent à offrir une session franconnexion à leurs élèves. La trousse peut être adaptée au niveau du français des élèves ainsi qu'à la durée désirée de la session déterminée par le professeur. La session peut durer une journée complète ou un petit bloc de 30 minutes.
Une session franconnexion offre plusieurs possibilités. La trousse comprend des jeux-questionnaires sur des thèmes variés, comme le hockey ou les expressions françaises. Elle contient les témoignages de personnes bilingues sur leur projet de bilinguisme, des affiches avec un plan de leçons, plein de suggestions d'activités et des idées pour impliquer la communauté dans l'événement qui se déroule à l'école.
Pendant l'exercice financier 2014-2015, près de 400 sessions franconnexions ont eu lieu dans les écoles canadiennes. Ce nombre est divisé entre les écoles d'immersion et de français cadre. Certaines sessions se déroulent dans des écoles francophones, mais ce programme ne vise pas les francophones autant que les francophiles. Il peut s'agir d'un groupe intime de 25 jeunes ou de mégasessions, comme celle qui s'est tenue dans la région de Durham à laquelle ont assisté des centaines de participants. C'est une façon simple pour le professeur et l'école de mettre en valeur le français et de sortir la langue de la salle de classe et, au-delà des règles de grammaire, de célébrer la langue française pour vivre un moment en français.
Le deuxième programme dont je vais vous parler est celui des forums locaux, qui se déroulent dans 16 villes canadiennes et accueillent en moyenne 200 élèves par forum. Le forum se déroule pendant une journée complète, entièrement en français. Il réunit des élèves en immersion et leurs pairs francophones ainsi que des jeunes des programmes de français-cadre. Il y a des spectacles, des ateliers divers sur une variété de sujets et des matchs d'impro. Des classes de Zumba ont été offertes en français, et on a entendu les témoignages de personnes bilingues.
Le but du forum est de créer un espace francophone où on sort le français, encore une fois, de la salle de classe. Les objectifs sont de bâtir des ponts entre les francophones et les francophiles, de faciliter le dialogue et d'encourager les jeunes à poursuivre leurs études en français.
Nous offrons aussi un programme que nous appelons le Concours national de rédaction. Chaque année, nous recevons plus de 400 rédactions sur un thème choisi. Le thème change d'année en année. Les participants doivent écrire une rédaction dans le but de se partager une bourse de plus de 200 000 $ offerte par huit universités canadiennes. Les bourses visent des programmes de langue française ou d'immersion française. Elles sont d'une valeur de 1 000 $ à 12 000 $, à l'Université d'Ottawa, pour quatre ans. L'objectif, encore une fois, est d'encourager les jeunes à continuer leurs études en français au niveau postsecondaire.
Notre programme le plus petit, mais celui dont nous croyons qu'il a le plus grand impact, est celui du Forum national des jeunes ambassadeurs (FNJA). Ce programme rassemble 30 jeunes de la 11e année et se tient dans une ville différente chaque été. Ce forum offre une formation en communication et en leadership. Toutes les dépenses sont assumées par Le français pour l'avenir. Le FNJA se déroule sur cinq jours et a pour but de former des ambassadeurs de la langue française. Les jeunes sont des francophones et des francophiles issus de programmes d'immersion et de français cadre. Ils viennent de tous les coins du pays et représentent la mosaïque canadienne. En 2014, 30 p. 100 de nos participants parlait le français comme troisième ou quatrième langue.
Ensemble, ces jeunes vivent une semaine intense remplie d'ateliers, de détente et d'activités culturelles. Au cours de la semaine, ils suivent des formations en communication et en art oratoire. Ils discutent des enjeux du bilinguisme officiel au Canada, ils assistent à une simulation parlementaire et goûtent vraiment à la culture francophone de la communauté qui les accueille. Le tout se vit en français. Cet été, le programme se tiendra à Moncton, au Nouveau- Brunswick, du 12 au 17 août.
Avant de quitter le FNJA, chaque participant doit s'engager à au moins trois activités qu'il ou elle organisera dans sa propre communauté pour promouvoir la langue française. À ce jour, les anciens ambassadeurs ont organisé des sessions franconnexions dans leurs écoles et ont fait des présentations en salle de classe au sujet de leur propre expérience. Ils ont rédigé des articles qui ont été publiés dans leurs journaux locaux et écrit des lettres à leurs députés. Un ambassadeur de 2012, en Alberta, a même organisé une ligue francophone de quidditch. Ces activités sont vraiment liées à leurs passions et au contexte de leurs propres communautés.
Nous sommes convaincus que ces jeunes sont les meilleures personnes pour faire la promotion de la langue française. Quand un jeune ambassadeur de 17 ans entre dans une salle de classe et parle du bilinguisme, le message est reçu différemment par les jeunes que lorsqu'il vient d'un professeur ou d'un adulte qui les encourage à continuer leurs efforts.
Avec ces quatre programmes uniques et distincts, Le français pour l'avenir réussit à rejoindre un grand nombre de jeunes Canadiens. Cependant, malgré ses succès, la communication avec les professeurs et les jeunes qui se qualifient pour nos programmes n'est pas facile. Les règles et les défis changent d'une province à l'autre, et même d'une communauté à l'autre.
Grâce à des partenariats importants avec d'autres associations, tels l'Association canadienne des professeurs d'immersion, l'Association canadienne des professeurs de langues secondes et Canadian Parents for French, nous pouvons améliorer notre portée, mais il nous reste beaucoup de travail à faire pour nous assurer que notre message et les opportunités que nous pouvons offrir sont bien communiqués à travers le pays.
Deborah Morrison, directrice générale, Société éducative de visites et d'échanges au Canada : Merci de me donner l'occasion de vous présenter le travail de la SEVEC, tout particulièrement le rôle qu'elle joue en soutenant et en favorisant l'apprentissage d'une langue seconde au Canada.
[Traduction]
La SEVEC a été formée en 1981 par suite de la fusion de deux organismes d'échange de longue date, dont le plus ancien a vu le jour en 1936. Aujourd'hui, bien que la SEVEC ne soit pas le seul organisme d'échange national pour les jeunes, c'est le plus important, sachant qu'il fait voyager jusqu'à 4 500 jeunes et leurs accompagnateurs et que c'est celui qui met le plus l'accent sur les échanges linguistiques. Environ 45 p. 100 de nos groupes et 60 p. 100 du nombre total de jeunes participants prennent part à des échanges bilingues. Les voyages à Québec pendant les deux semaines du carnaval représentent la troisième période la plus active pour notre organisation, sachant qu'en moyenne un tiers de tous les participants de la SEVEC s'y rassemblent chaque année.
La proportion de ceux qui sont intéressés par les échanges linguistiques et les demandes pour y participer sont demeurées stables. Tous les ans, la SEVEC reçoit un nombre de demandes de 35 à 40 p. 100 supérieur au nombre de places qu'elle a à offrir. Je reviendrai sous peu à la question des groupes aux besoins desquels il est impossible de répondre.
Contrairement à beaucoup de programmes d'échange, la SEVEC favorise l'appariement de groupes de jeunes pour des échanges réciproques, ce qui suppose que deux groupes de 10 participants ou plus doivent recevoir leurs groupes associés pendant une semaine et être reçus par l'autre groupe à un autre moment. Généralement, ces échanges sont organisés par des enseignants, bien que nous collaborions aussi avec des organisations communautaires, notamment Canadian Parents for French. Vous pouvez en mesurer toute l'importance pour la dualité linguistique au Canada.
On attribue à Albert Einstein la citation suivante : « L'apprentissage est l'expérience. Tout le reste est juste de l'information. » Au cours de vos audiences, vous avez entendu un grand nombre de témoins vous parler de la nécessité de donner aux apprenants d'une langue seconde un objectif appliqué afin de les motiver à poursuivre leurs études. Vous avez aussi entendu parler de la nécessité de créer un environnement d'apprentissage authentique où ils peuvent améliorer leurs compétences linguistiques, plus particulièrement à l'oral. La SEVEC offre une immersion de base, pendant deux semaines au lieu d'une seule, dans le cadre d'une relation qui évolue et se développe sur plusieurs mois avant l'échange en tant que tel. Ces échanges permettent de tisser des liens affectifs forts qui changent non seulement la perception de l'importance de l'apprentissage d'une deuxième langue, mais qui favorisent aussi une profonde compréhension et une profonde affinité avec les valeurs et les besoins des collectivités de langue seconde auxquels ils se joignent.
Ce qui est intéressant au sujet de l'expérience qu'offre la SEVEC, c'est qu'elle ne bénéficie pas seulement aux jeunes apprenants : elle a des répercussions plus générales sur la collectivité, les familles qui reçoivent les élèves, les autres élèves de leurs écoles, et souvent les employés et bénévoles qui appuient les activités entreprises dans les collectivités. Tout le monde a donc l'occasion de mettre ses compétences en langue seconde à l'épreuve et tout le monde en tire quelque chose. Les jeunes sont entourés de gens motivés à favoriser l'enseignement d'une langue seconde. Ils voient d'autres jeunes se faire comprendre dans leur deuxième langue, et ce, même s'ils s'expriment de façon malhabile, ce qui leur donne le courage et la confiance de continuer à essayer eux-mêmes. Au fil du temps, les deux groupes et ceux qui les appuient cessent d'être un groupe anglophone et un groupe francophone et fusionnent pour devenir un seul groupe d'échange.
[Français]
Depuis quelques années, l'émergence des médias sociaux ajoute un élément important aux communications avant, durant et après les échanges. Nous savons tous que l'anglais est la langue dominante dans les médias sociaux, mais, selon nos observations, les communications dans les médias sociaux sont suffisamment informelles pour que nos jeunes participants se sentent à l'aise de les essayer. Les liens ainsi établis, et durant une longue période après l'échange, leur donneraient la motivation de poursuivre l'apprentissage de leur langue seconde.
[Traduction]
La SEVEC offre un modèle et un outil efficaces en enseignement linguistique. Je vous ai donné certaines données sur ses répercussions à long terme dans le mémoire que je vous ai transmis. Le plus important problème que connaît la SEVEC est que nous ne faisons pas plus d'échanges et que nous n'entrons pas en contact avec tout le monde. À titre d'organisation, nous avons récemment examiné les tendances et pouvons confirmer qu'un grand nombre des obstacles que nous connaissons reflètent ceux qui ont été cités par d'autres témoins ici.
Tout d'abord, les échanges, particulièrement au niveau de l'école secondaire, connaissent une diminution. Les commissions scolaires sont de plus en plus strictes concernant un grand nombre de questions, mais l'obstacle le plus difficile à surmonter est la nécessité pour les élèves de passer le nombre d'heures requis en classe afin de répondre aux normes provinciales. Même dans le cas de commissions scolaires qui sont prêtes à appuyer les échanges, il faut un enseignant disposé à effectuer des tâches administratives supplémentaires et à s'acquitter de responsabilités de supervision. La SEVEC cherche à élargir sa capacité de fournir plus de formation et d'aide aux nouveaux enseignants, ceux qui ont moins d'expérience, par l'entremise de vidéos, de webinaires et de mentorats.
[Français]
Parfois, même si nous avons des groupes motivés et prêts à partir, nous avons de la difficulté à leur trouver des groupes avec lesquels les jumeler. Plus précisément, la SEVEC a de la difficulté à servir les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Un bon nombre de nos communautés francophones cherchent des occasions de faire un échange avec des écoles francophones du Québec, mais la majorité de ces écoles veulent seulement être jumelées avec des écoles anglophones. On aurait l'occasion d'aider à renforcer nos communautés de langues officielles en situation minoritaire et d'encourager un plus grand nombre d'échanges bilingues avec des communautés francophones situées à l'extérieur du Québec. Nous constatons cependant une certaine résistance chez les organisateurs, car ils ont peur que le niveau du français au sein de l'immersion française ne soit pas du même calibre en raison de la prédominance de l'anglais, même au sein de ces communautés.
[Traduction]
La SEVEC se penche aussi sur la possibilité d'offrir des échanges virtuels, surtout aux jeunes élèves de la troisième à la septième année qui ne sont pas encore admissibles à un voyage subventionné par notre programme. Cela permettrait aux élèves d'être connectés par Skype, tableaux blancs électroniques ou d'autres technologies disponibles en classe afin de participer à des projets qui leur permettent d'échanger des renseignements concernant leurs collectivités et leurs cultures et de collaborer à des projets qui ont trait à un objectif commun de leur programme. Ce type de programme pourrait donner des avantages considérables aux enseignants d'une deuxième langue qui cherchent à ajouter une dimension culturelle authentique à leur programme d'enseignement en classe.
Comme vous l'avez entendu à maintes reprises, les neuvième et dixième années marquent un point tournant où les étudiants vont devoir décider entre poursuivre l'apprentissage de leur deuxième langue ou suivre d'autres cours. C'est aussi le moment auquel on leur présente littéralement un monde d'autres possibilités de voyages et d'échanges. C'est parfois même un défi de convaincre leurs enseignants qu'une expérience au sein du Canada même devrait être en tête de liste.
Pour s'adapter à cette situation, la SEVEC a commencé à élaborer une stratégie pour créer des échanges plus thématiques axés sur l'exploration de questions mondiales, comme la justice sociale, l'environnement et le développement communautaire, dans un contexte canadien. Je vois cela comme une stratégie doublement efficace pour nos échanges linguistiques et une excellente occasion pour les élèves en immersion de suivre différents cours dans leur langue seconde. Les élèves pourraient se rencontrer et discuter d'intérêts ou de thèmes communs, qui pourraient être associés à un cours distinct de leur cours de langue.
Enfin, cela renforcerait l'idée que la connaissance d'une deuxième langue fait de nous de meilleurs citoyens du monde, ce qui pourrait être un autre argument déterminant pour encourager les élèves à poursuivre l'apprentissage de leur langue seconde.
[Français]
En conclusion, nous croyons que les échanges linguistiques offrent une expérience d'apprentissage unique qui permet de transformer l'optique des jeunes par rapport à l'apprentissage d'une langue seconde afin qu'ils ne considèrent plus cet apprentissage simplement comme une chose qu'ils doivent faire pour l'école, mais comme une chose qu'ils ont envie de faire pour eux-mêmes.
[Traduction]
Nous savons que les investissements fédéraux dans ce type d'initiatives seraient accueillis à bras ouverts par les Canadiens. Dans une étude menée plus tôt cette année par la SEVEC en vue de mieux comprendre ce que pensent les Canadiens des voyages et des échanges pour les jeunes, plus de 95 p. 100 des répondants se sont dits favorables à tout effort destiné à aider les jeunes à voyager et à mieux découvrir leur pays, 87 p. 100 des répondants croyaient que c'était une bonne façon d'apprendre une autre langue et 71 p. 100 des répondants affirmaient que le fait de voyager ailleurs au pays devrait faire partie des exigences de leur éducation formelle. Il est intéressant de constater que les Québécois étaient particulièrement favorables à ce dernier point : 93 p. 100 d'entre eux se sont dits d'avis que cela devrait être une exigence. La moitié de tous les répondants estimaient que le gouvernement fédéral devrait être le principal bailleur de fonds.
Bien que ce serait extraordinaire de penser que l'on pourrait offrir cette expérience à chaque enfant canadien au cours de son éducation, nous savons qu'il est plus pratique d'explorer d'autres manières de reproduire ce type d'expérience de façon plus localisée et abordable. La meilleure façon d'améliorer l'enseignement d'une langue seconde, selon nous, est de rendre cette langue plus pertinente, en offrant des expériences authentiques qui illustrent l'importance de comprendre sa propre collectivité et d'être plus engagé comme citoyen. Je pense que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle clé à ce chapitre en appuyant ce type d'activités d'immersion intercommunautaire en créant des outils, en développant des réseaux en ligne, en formant les enseignants et en s'engageant à appuyer les programmes de voyage et d'échange.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
Nous allons commencer la période des questions avec la vice-présidente du comité, la sénatrice Fortin-Duplessis, suivie de la sénatrice Poirier.
La sénatrice Fortin-Duplessis : À tous les trois, je vous souhaite la bienvenue. Vos mémoires sont très intéressants en ce qui concerne le travail important que vous faites. Je vais poser une première question à M. Michael Hudon, de French for Life.
Votre organisme fait la promotion de l'enseignement du français langue seconde partout au Manitoba, tant pour les programmes d'immersion que pour les programmes de français de base. Selon vous, les programmes de français langue seconde sont-ils suffisamment visibles? Y a-t-il eu beaucoup d'inscriptions aux programmes de français ces derniers temps?
M. Hudon : Je pense que nous faisons un grand effort pour veiller à ce que tous les parents soient au courant des programmes qui existent au Manitoba. Avec French for Life, en particulier, nous avons un programme de promotion dans le cadre duquel nous produisons même des affiches. Cela dirige les gens vers le site web où ils peuvent s'informer quant aux programmes disponibles pour leurs enfants. Cet aspect est important dans le cadre de la promotion des programmes.
Nous sommes heureux que le taux de participation à l'heure actuelle soit très élevé, le plus élevé de l'histoire du Manitoba en ce qui a trait aux programmes de français langue seconde. Maintenant, nous nous tournons surtout vers les nouveaux Canadiens. Nous voulons faire en sorte que ceux-ci se sentent à l'aise d'inscrire leurs enfants dans un programme de français langue seconde.
La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai une autre brève question à vous poser. Quels sont les outils dont ont besoin les professeurs pour offrir des programmes de français langue seconde de façon efficace et stimulante?
M. Hudon : Il est important pour eux, comme on l'a mentionné, de donner à leurs enfants des expériences authentiques. Souvent, il faut aller à l'extérieur de la salle de classe pour faire vivre aux étudiants de belles expériences. Au Manitoba, le Festival du Voyageur est le plus grand festival francophone de l'Ouest canadien. C'est une occasion unique pour les professeurs de faire participer leurs étudiants à cette activité de grande valeur.
Il y a aussi le Cercle Molière, qui est une troupe de comédiens francophones. Lorsque les élèves vivent de telles expériences, la langue française devient plus vraie. Ce n'est pas seulement une question académique, mais aussi une question de culture et de vie.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Madame la présidente, j'aurais une brève question pour Mme Morrison. Puis-je la poser?
La présidente : Oui, allez-y.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Madame Morrison, j'ai écouté avec attention la façon dont vous fonctionnez au sein de vos deux principaux programmes. Est-ce que vous avez mis des mécanismes en place pour évaluer les habiletés et les compétences acquises par les étudiants lors de ces échanges?
Mme Morrison : Malheureusement, non. Nous effectuons des sondages et, immédiatement après, nous avons des échanges. Les élèves ont mentionné que j'ai amélioré mon français, mais il ne s'agit pas d'une méthode formelle. Je vous ai remis le sondage à long terme que nous avons réalisé. À mon avis, il est important d'instaurer des mécanismes pour mesurer les résultats du programme après l'échange, à savoir si les élèves font le choix de poursuivre leurs études postsecondaires. À l'heure actuelle, nous n'avons pas de tels mécanismes en place.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vous remercie.
La sénatrice Poirier : Ma première question s'adresse à M. Michael Hudon. Vous avez parlé du défi de s'assurer de faire la promotion de la langue française auprès des jeunes pour qu'ils comprennent l'importance et les avantages d'apprendre cette deuxième langue, comme vous l'avez fait. Vous avez aussi parlé des parents et des étudiants. Est-ce que vos efforts sont surtout axés sur les parents, afin qu'ils inscrivent leurs enfants en immersion française dès leur entrée à l'école, ou sur les étudiants au moment où ils doivent choisir ou non de continuer l'apprentissage d'une deuxième langue?
M. Hudon : Nous accordons la priorité autant aux parents qu'aux étudiants. Nous informons les parents au sujet des programmes dès que leurs enfants entrent à la maternelle.
Cependant, nous croyons que vers la septième année, les enfants sont capables de prendre leurs propres décisions. Il y a quelques années, nous avons réalisé un documentaire avec des Manitobains intitulé French for Opportunities and Careers, qui explique l'utilité du français dans leur vie quotidienne. Ce documentaire s'adressait aux élèves de la septième à la neuvième année pour les encourager à continuer l'apprentissage du français au niveau secondaire.
Il s'agit d'une période de transition très importante. Ce documentaire visait à encourager les élèves à continuer l'apprentissage du français pendant toute leur vie. Il s'agit d'une étape de transition importante.
La sénatrice Poirier : Cela m'amène à ma deuxième question, qui s'adresse à Mme Lamothe. Vous avez dit que de la première à la septième année, ce sont les parents qui choisissent ou non d'inscrire leurs enfants dans une école d'immersion française. Lorsque l'étudiant arrive en septième année, c'est lui qui choisit ou non de continuer. Les étudiants qui n'ont jamais été inscrits en immersion française ont-ils la possibilité d'apprendre le français une fois qu'ils ont atteint la septième année?
Mme Lamothe : Cela dépend de la province ou de la commission scolaire. L'apprentissage d'une langue seconde représente un défi qui est différent d'une province à l'autre, que ce soit en Alberta ou en Ontario, et cetera. Nous n'avons pas d'influence sur les programmes offerts par les commissions scolaires et les ministères de l'Éducation. Nous avons comme mission d'appuyer les jeunes et les professeurs. Je me souviens d'une jeune femme, une nouvelle Canadienne, qui a été ambassadrice l'an dernier. Elle est arrivée au Canada lorsqu'elle était en huitième année. Elle a fréquenté une école anglaise à Toronto. Or, elle est passionnée du français. Elle a créé un club de français dans son école, et elle parle incroyablement bien. Quand un jeune est passionné, il fournira tous les efforts demandés.
Évidemment, il s'agit d'une jeune fille exceptionnelle qui est animée d'une passion pour le français, et nous n'avons pas d'influence sur les programmes offerts par les commissions scolaires.
La sénatrice Poirier : Je présume qu'un étudiant qui a été en immersion pendant toute la durée de son secondaire doit, une fois son diplôme en main, maîtriser la langue française aussi bien que M. Hudon. Avez-vous des statistiques qui montrent combien d'étudiants poursuivent l'apprentissage du français au collège ou à l'université et qui indiquent si ceux-ci ont bien réussi ou s'ils ont eu des difficultés?
Mme Lamothe : Il s'agit vraiment d'une question dont nous discutons avec les autres associations avec lesquelles nous avons des partenariats, parce qu'il est très difficile de recueillir des données. Même les conseils scolaires ont de la difficulté à nous dire combien de jeunes, parmi ceux qui étaient en immersion, ont choisi des programmes d'immersion dans le cadre de leurs études postsecondaires.
Le jeune n'a pas l'obligation de dire à son ancienne école secondaire où il est allé faire ses études postsecondaires. C'est l'une des questions dont on discute souvent avec le réseau français langue seconde, à savoir comment faire pour obtenir plus de renseignements. Comment peut-on savoir ce que font les jeunes? Ont-ils entamé une carrière en français? Cela a-t-il été utile pour eux ou non? On ne le sait que lorsqu'on fait des sondages. Il est clair que le fait de parler deux langues n'a jamais fait de tort à personne, mais il serait utile d'avoir des statistiques.
La sénatrice Poirier : Avez-vous des statistiques qui montrent qu'un élève qui fréquente une école d'immersion ou qu'un parent qui décide d'inscrire son enfant dans une école d'immersion le fait parce qu'il a connu une expérience similaire dans son entourage? Y avait-il un côté familial francophone, des relations avec des personnes francophones de naissance, et cetera?
Mme Lamothe : Je sais que Canadian Parents for French a fait des analyses en Alberta et en Colombie-Britannique, où se trouvent les taux les plus élevés d'immersion française, et que ces taux continuent d'augmenter. Ce sont souvent les nouveaux Canadiens qui font ce choix. Ce n'est probablement pas parce que ces personnes ont eu une expérience francophone. Ils sont venus dans un pays où il y avait deux langues officielles et ils ont décidé que leurs enfants parleraient les deux langues. On a beaucoup de difficulté à obtenir ces renseignements.
La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.
La présidente : Vouliez-vous ajouter quelque chose en réponse à la question de la sénatrice, monsieur Hudon?
M. Hudon : Au Manitoba, nous avons un programme d'immersion tardif. Les élèves peuvent entrer dans le programme en septième année. Cela n'existe pas de façon développée. Lorsque je travaillais à l'école, c'était dans un programme d'immersion tardif, mais il n'y en a qu'un seul au Manitoba, je crois. Il y a aussi des écoles qui essaieront d'accueillir les élèves dans la mesure du possible. Si on veut vraiment intégrer les nouveaux Canadiens dans le programme d'immersion française, le fait d'encourager les commissions scolaires à offrir le programme d'immersion tardif serait une façon plus efficace. C'est important, parce que ce sont les nouveaux arrivants qui veulent participer à ce programme, mais si leurs enfants ont déjà 10 ans, c'est trop tard pour eux, et c'est bien dommage.
Le sénateur McIntyre : Merci à vous trois pour vos présentations.
Monsieur Hudon, je comprends que les activités de promotion de votre organisme s'adressent à la fois aux élèves, aux parents, aux enseignants et aux immigrants. Parlez-nous un peu de ces activités de promotion. Est-ce que ces activités sont toutes semblables ou existe-t-il une différence entre une activité par rapport à une autre?
M. Hudon : Chez French for Life, nous ne créons pas forcément nos propres programmes pour les élèves, mais nous voulons nous assurer que les élèves participent aux programmes qui existent. Nous sommes surtout là pour nous assurer que tout le monde a l'information nécessaire afin d'encourager leur participation.
Nous informons les élèves au sujet des programmes d'échange qui existent pour eux et des charges éducatives et de travail. Par exemple, au Manitoba, nous avons un programme d'échange d'une durée de six mois entre le Manitoba et le Québec. Un élève visite le Québec pendant trois mois et ensuite un élève du Québec vient au Manitoba pendant trois mois.
Ce qui est intéressant, c'est que, après trois ans, le degré d'amélioration est vraiment incroyable. Nous avons travaillé avec le gouvernement du Manitoba pour faire la promotion de cet échange et, après deux ans, le niveau de participation a augmenté de 4 à 23 élèves. Cela démontre à quel point l'idée de la promotion est importante pour la participation. Au bout du compte, c'est ce que l'on veut faire avec les élèves. C'est un bel exemple.
En ce qui a trait à l'immigration, nous avons créé le document LIFE (Linking Immigrants to French and English) in Manitoba. L'idée était de donner aux nouveaux arrivants un aperçu des programmes qui existent au Manitoba. On a créé ce document en anglais et en français. On pourrait peut-être dire qu'il devrait être en chinois, en portugais et en espagnol. Dans le cadre de vos travaux, il vaudrait peut-être la peine d'examiner si la méthode liée à la demande de fonds pour ce genre de projet accorde trop d'importance à l'anglais ou au français, pour ne pas rater la cible que l'on veut vraiment atteindre avec les nouveaux arrivants au Canada. Je vous encourage à explorer cette idée.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Hudon. Madame Lamothe, je comprends que deux programmes ont été mis sur pied par votre organisme : les Forums locaux et le Forum national des jeunes ambassadeurs. Êtes-vous satisfaite des résultats atteints par ces deux initiatives mises sur pied par votre organisme?
Mme Lamothe : On voudrait toujours accueillir plus de jeunes et rejoindre toujours un plus grand nombre de participants. C'est dans le cadre des forums locaux qu'a pris naissance Le français pour l'avenir. C'était l'idée des fondateurs, dont John Ralston Saul. Il y a eu tout d'abord un forum à Toronto, puis on a commencé ensuite à en rajouter. Cependant, lorsqu'on accueille 200 jeunes, on doit les nourrir et avoir une salle pour les recevoir. Cela coûte très cher. On aimerait en faire encore et encore. Cette année, on en a organisé 16. Cependant, si on ne peut convaincre les compagnies du secteur privé qu'ils ont vraiment intérêt à appuyer ce genre d'organisme, on ne pourra jamais offrir cette expérience à plus de jeunes.
C'est un peu décevant, parce qu'on sait qu'il y a des villes où on pourrait rassembler 200 jeunes. Il y a des endroits où il y a plein de jeunes dans les programmes d'immersion. On en a un à Vancouver, et maintenant trois en Alberta. L'expérience est très belle pour ceux qui peuvent y assister. Les professeurs sont vraiment satisfaits. Toute la rétroaction que nous recevons nous indique que c'était une belle expérience, mais comment l'offrir à un plus grand nombre? C'est la même chose dans le cas du Forum national des jeunes ambassadeurs. Il y a 30 jeunes, mais nous payons pour tout : les déplacements, l'hébergement, les repas. Nous aimerions pouvoir le faire pour plus de 30 jeunes. Il serait génial de pouvoir rassembler 60 jeunes qui pourraient faire la promotion du français partout au pays dans le cadre de cette activité, mais cela coûte cher. Patrimoine canadien nous appuie énormément, et c'est vraiment bien, mais il y a une limite à ce qu'on peut faire. Il est vraiment difficile d'encourager le secteur privé à appuyer de tels efforts.
Le sénateur McIntyre : Madame Morrison, votre société travaille-t-elle en partenariat avec d'autres organismes? Existe-t-il des programmes d'échange destinés aux enseignants de langue seconde?
Mme Morrison : Non, pas en ce moment, mais je crois que c'est une bonne idée. On voudrait travailler avec les enseignants pour les sensibiliser au processus d'échange. La meilleure façon pour ce faire est de créer un échange pour les enseignants.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Collaborez-vous avec d'autres organisations?
Mme Morrison : Oui.
Le sénateur McIntyre : Lesquelles?
Mme Morrison : Canadian Parents for French organise constamment des groupes. Nous collaborons avec les Guides, les Scouts et les Cadets.
[Français]
La plupart du temps, la majorité des organisateurs sont des enseignants.
La sénatrice Chaput : Ma première question s'adresse à Michael Hudon. Vous avez répondu tout à l'heure à la question de l'un de mes collègues, et vous avez dit qu'il serait bon que le comité, dans le cadre de son étude, se penche sur la question de la promotion dans d'autres langues. Nous étudions présentement les meilleures pratiques en matière d'apprentissage d'une langue seconde et, évidemment, nous parlons des deux langues officielles du Canada.
Lorsque vous avez mentionné d'autres langues, par exemple le mandarin, était-ce pour faire de la promotion auprès des parents nouveaux arrivants qui parlent le mandarin et qui pourraient ainsi, dans leur langue, être au courant de ce qui se passe en termes d'apprentissage du français pour leurs enfants? Est-ce là ce que vous vouliez dire?
M. Hudon : C'est tout à fait cela. Il s'agit simplement de veiller à ce que les parents comprennent bien les enjeux liés à la question d'une éducation bilingue pour leurs enfants. Si on communique uniquement en anglais ou en français avec ces parents-là, ils ne pourront pas forcément bien comprendre, bien saisir ce qui est offert. Finalement, il est important que ces parents soient à l'aise avec cette décision. Il ne s'agit pas simplement d'inscrire leurs enfants dans un programme. Les parents appuient leurs enfants tout au long du processus, et ils peuvent retirer leurs enfants du programme n'importe quand. S'assurer que les parents sont bien informés est très important pour le succès du programme et, oui, peut-être que nous pourrions communiquer avec eux dans leur langue.
La sénatrice Chaput : Ma prochaine question s'adresse à Mme Lamothe. Madame Lamothe, je me suis fort intéressée à votre Forum national des jeunes ambassadeurs. Vous avez déjà été interrogée à ce sujet. Qu'arrive-t-il une fois que le forum est terminé, alors que ces jeunes sont emballés et pleins d'enthousiasme? Pouvez-vous garder contact avec eux? Deviennent-ils des bénévoles pour votre organisme?
Mme Lamothe : Comme je l'ai mentionné, en tout temps, les jeunes s'engagent à au moins trois activités. Pendant l'été, les jeunes suivent la formation et, par la suite, pendant l'année scolaire qui suit la tenue du forum, ils sont ambassadeurs pour Le français pour l'avenir.
Au cours de cette première année, nous sommes en contact constant avec eux, parce qu'ils nous parlent de la séance qu'ils vont faire et qu'ils ont besoin de matériel. Ils doivent nous transmettre les détails une fois qu'ils ont réussi leur activité et, ensuite, on doit assurer un suivi auprès d'eux pour leur demander où ils en sont avec leurs engagements. Alors, lors de la première année, il y a une communication presque constante. On a un petit groupe Facebook où les jeunes partagent leurs idées, leurs succès et leurs défis. Ils sont assez actifs, surtout après le premier semestre, avant qu'ils commencent à faire leur demande d'admission à l'université.
Il y a aussi un comité consultatif de jeunes qui est formé d'anciens ambassadeurs. Il y a donc un certain groupe d'ambassadeurs avec lequel on mène une communication annuelle. On demande à ces jeunes ce qu'ils pensent d'un thème pour le concours de rédaction, par exemple, et ils nous donnent leurs idées. Aussi, chaque année, parmi les animateurs, il y a toujours cinq à six animateurs qui nous aident à organiser les activités, et on essaie d'avoir au moins deux anciens ambassadeurs qui jouent le rôle d'animateur.
On a fait des sondages parmi les anciens ambassadeurs. On sait qu'au moins 60 p. 100 des anciens ambassadeurs ont suivi des cours en français à l'université. Cependant, après la première année, cela demeure vraiment leur choix, et il y en a qui disparaissent.
La sénatrice Chaput : Vous n'êtes pas en mesure de les joindre, parce qu'ils disparaissent du portrait?
Mme Lamothe : Oui. On a des adresses courriel, mais les jeunes ne s'en servent pas. Certains sont heureux de nous aider dans toute activité, et d'autres, non.
La sénatrice Chaput : Ma dernière question s'adresse à Mme Morrison.
[Traduction]
Vous avez parlé des échanges virtuels. Je pense que c'est un nouveau programme, si je vous ai bien compris.
[Français]
Est-ce pour les élèves ou est-ce aussi pour les professeurs et, peut-être à un moment donné, pour les parents?
Mme Morrison : Cela s'adresse d'abord aux élèves plus jeunes que ceux de notre groupe. Nous savons qu'il y a des enfants qui amorcent leur apprentissage d'une langue seconde en troisième année. Il y a peut-être là des opportunités, et nous recevons déjà des demandes de la part des enseignants. Peut-on trouver une jumelle pour faire un échange virtuel, parce qu'on n'a pas le temps ou la compétence de créer un échange réel? Aussi, dans le cadre des défis vécus avec les enseignants, nous voudrions créer des activités en ligne pour créer un réseau plus fort pour les enseignants et les mentors de nos programmes dans le but de faciliter le travail pour tous les organisateurs d'échange. Cette année, nous avons créé un portail pour les parents.
Lorsque j'ai intégré la SEVEC l'année dernière, j'ai constaté qu'il n'y avait pas beaucoup de communications avec les parents. Comme mes collègues l'ont mentionné, c'est vraiment important. Si nous avons accès aux parents, nous pouvons en apprendre davantage sur l'expérience des enfants. Nous avons commencé ces activités seulement cette année.
La sénatrice Chaput : Ce serait l'une de vos recommandations?
Mme Morrison : Oui, absolument.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma question s'adresse à nos trois témoins et fait suite aux commentaires qu'ils ont faits tout à l'heure, et aussi à la question posée par la sénatrice Chaput.
Savez-vous s'il y a des demandes pour l'apprentissage d'une autre langue que les deux langues officielles du Canada?
M. Hudon : Sur le plan de la pédagogie, maintenir sa langue première est vraiment important à l'apprentissage d'une langue seconde. Pour les nouveaux arrivants, il ne s'agit pas simplement d'oublier la langue maternelle. Au Manitoba, un crédit peut être obtenu dans le cadre du programme de crédit des langues ancestrales, qu'on appelle un « heritage language credit », pour démontrer que l'on conserve sa première langue.
J'aimerais rajouter qu'au Manitoba, nous offrons également des programmes bilingues en allemand et en ukrainien, là où ces communautés sont en grand nombre. Il y a aussi des programmes de langue seconde pour le japonais et l'espagnol. Donc, oui, cela existe.
Le sénateur Maltais : Je vais tout d'abord faire deux commentaires, et j'aurai ensuite une question qui s'adressera à vous trois.
Monsieur Hudon, il est difficile de croire que vous avez fait des études en français en France, puisque vous n'utilisez pas d'anglicismes, alors que les Français en utilisent beaucoup. Tous ceux qui ont voyagé en France peuvent le confirmer. La preuve, aujourd'hui, c'est qu'il y a un petit gars de Saint-Raymond-de-Portneuf, David Thibault — il n'y a pas plus francophone —, qui participe à la plus grande émission de découvertes françaises — à Paris, s'il vous plaît —, et qui s'appelle comment? The Voice. Au Québec, on a une émission semblable, mais elle s'appelle La Voix. Donc, on utilise chez nous la langue indigène, comparée à la langue de Molière.
Madame Morrison, vous avez parlé de la difficulté qu'éprouvent les écoles de faire des échanges, et je vous comprends. Vous savez, préparer les échanges, c'est du travail. Ce n'est pas indiqué à la page 27 de la convention collective. Au Québec, il y a des échanges. Tout comme la sénatrice Fortin-Duplessis, je demeure dans la ville de Québec. On n'a qu'à se promener dans le Vieux-Québec, pendant la saison estivale, pour voir des classes de jeunes jumelés avec des francophones, qu'il s'agisse de guides ou de scouts, ce sont tous des jeunes âgés de 12 à 16 ans. Ne vous adressez pas à l'école, mais plutôt aux comités de parents, aux clubs Kiwanis ou aux clubs Richelieu, dont vous obtiendrez des réponses positives. L'école, ne l'oubliez pas, ferme le 23 juin, et après, on n'en parle plus. À compter du mois de janvier, ne leur demandez pas de faire du travail supplémentaire pour organiser des échanges, car c'est beaucoup trop de travail pour eux.
Je vais terminer avec une question qui s'adresse aux trois témoins. On est le 20 avril 2015. Dans chacune de vos villes respectives, quelle serait la motivation pour un jeune de 14 ans de s'inscrire à une école française? Qu'est-ce que vous lui diriez pour le motiver?
La présidente : Veuillez préciser si vous parlez d'un programme d'immersion de français langue première ou de français langue seconde.
Le sénateur Maltais : J'appelle cela « français tout court », et je demande à madame quelle motivation elle doit fournir à un jeune pour qu'il s'inscrive à un programme d'immersion ou autre pour apprendre une langue seconde, qui est le français, dans son cas.
Mme Morrison : Je peux répondre, parce que j'ai étudié en français, mais j'ai fréquenté des écoles anglophones toute ma vie. J'ai suivi des cours, mais c'est seulement quand j'ai trouvé du travail à Montréal, dans le secteur culturel, où il fallait que je parle français pour comprendre la culture, l'histoire, et tout cela, que j'ai appris le français en tant qu'adulte.
J'avais à l'époque une enfant de 4 ans, et c'est avec elle que j'ai commencé à suivre des cours de français, parce que je ne voulais pas qu'elle ait les mêmes difficultés que moi.
Le sénateur Maltais : Je vous arrête. Je ne veux pas connaître votre motivation à vous...
Mme Morrison : Oui, vous voulez savoir quelle est la motivation de ma fille. C'est là où je veux en arriver. Ce n'était pas un choix qu'elle a fait, quand elle était jeune, mais c'est devenu un choix quand nous avons déménagé du Manitoba à Ottawa. C'est à ce moment qu'elle a pris sa décision. Comme je l'ai dit, la raison était simplement qu'elle voyait dorénavant la vie à l'échelle mondiale, globale. Elle savait bien que le fait de maîtriser deux langues n'était que la première étape; il fallait qu'elle apprenne ensuite une troisième et une quatrième langue. Elle a compris qu'il était préférable de continuer à suivre des cours en français et en espagnol, parce qu'elle voulait vraiment être capable de communiquer partout dans le monde.
Le sénateur Maltais : C'est une citoyenne du monde. Et vous, madame Lamothe, qu'est-ce que les jeunes vous donnent comme motivation pour suivre des cours de français en immersion?
Mme Lamothe : J'ai rencontré un jeune garçon de 14 ans au Club canadien de Toronto. J'étais assise à ses côtés. Il s'appelait Michael et avait fait son éducation en immersion française. Lorsqu'il est arrivé en neuvième année, il a voulu s'inscrire à l'école française, parce qu'il voulait parler français avec ses amis. Il n'avait évidemment jamais fréquenté une école française à Toronto. Il avait donc pris la décision de fréquenter une école française. Il a dû passer des tests et des entrevues, et il a été accepté. Sa motivation était qu'il voulait se retrouver dans un milieu francophone. Il voulait vivre cette expérience.
Les jeunes ont des motivations différentes. Pour un, c'est un film qu'il a vu, pour un autre, c'est un voyage qu'il a fait, ou c'est une personne qu'il admire. La motivation est différente pour tout le monde.
C'est pour cette raison qu'il est de notre intérêt de leur donner un bel aperçu de tout ce qui est disponible au Canada, de ce qu'ils peuvent faire comme choix. Il y a des concours de rédaction. Il y a plein de jeunes qui veulent aller à l'Université d'Ottawa ou à l'Université Sainte-Anne, mais ils ne savent même pas qu'ils peuvent obtenir une bourse, parce qu'on ne réussit pas à communiquer cela à tout le monde. Il faut vraiment leur donner toute l'information nécessaire afin qu'ils puissent faire leurs choix par la suite.
Le sénateur Maltais : Monsieur Hudon, les jeunes n'ont pas tous la même détermination que vous avez eue. Aujourd'hui, quelle est la motivation des jeunes qui s'adressent à vous pour apprendre le français?
M. Hudon : Les jeunes sont motivés par le fait qu'il y a le monde entier à explorer, et que le fait d'apprendre cette langue ouvre les portes sur ce monde.
Plus spécifiquement, on parle de l'amitié, ici. C'est ce qui est important. Ils veulent pouvoir parler avec les gens, nouer des amitiés qui vont durer toute leur vie. Je pense que, pour eux, au-delà de la carrière, au-delà d'une étude sur les habiletés cognitives des gens, c'est l'amitié qui inspire les jeunes à s'engager en ce sens.
Le sénateur Maltais : En terminant, je voudrais vous féliciter tous les trois, parce que ce n'est pas un travail facile que celui que vous faites. Motiver les jeunes est un défi quotidien. Vous devriez peut-être changer le nom de votre organisme pour l'appeler « French for the World » au lieu de « French for Manitoba », parce que le français dans le monde ne se porte pas aussi bien qu'on ne le croie. Le plus mauvais exemple que l'on a nous vient du pays de Molière.
La présidente : Au nom des membres du comité, j'aimerais vous remercier tous les trois pour votre participation aujourd'hui. Les organismes que vous représentez font un énorme travail pour la promotion des deux langues officielles de notre pays. Merci pour le travail que vous faites pour agrandir l'espace francophone pour nos jeunes Canadiens et Canadiennes.
Honorables sénateurs, dans le cadre de la deuxième partie de notre réunion, nous discuterons des avantages économiques du bilinguisme. Nous avons le plaisir d'accueillir des représentants du Conference Board du Canada. Nous recevons M. Alan Arcand, codirecteur du Centre d'études municipales, et M. Pedro Antunes, économiste en chef adjoint et directeur général de la Division des prévisions et de l'analyse. Bienvenue à vous deux.
En juin 2013, le Conference Board a publié une étude intitulée Le Canada, le bilinguisme et le commerce. J'inviterais M. Arcand à faire sa présentation, après quoi les sénateurs poseront des questions.
[Traduction]
Alan Arcand, codirecteur, Centre d'études municipales, Le Conference Board du Canada : Tout d'abord, merci de m'avoir donné la possibilité d'être ici aujourd'hui. Je vais vous parler brièvement de l'étude que vous venez de mentionner, mais avant cela, je tiens à mentionner ceux pour qui nous avons préparé ce rapport, les bailleurs de fonds de l'étude. Les trois organisations sont RDÉE Canada, la Corporation d'employabilité et de développement économique communautaire, le CEDEC, et Industrie Canada.
La question clé examinée par l'étude était la suivante : quels sont les principaux avantages du bilinguisme? Notre article avance l'argument que le principal avantage du bilinguisme est l'accroissement du commerce.
Si vous examinez la théorie économique au cours des derniers siècles, il est communément admis chez les économistes que des avantages découlent du commerce. Les pays qui font du commerce sont plus prospères que ceux qui n'en font pas. En outre, la documentation montre aussi que les pays qui ont une langue commune sont plus susceptibles d'entretenir des échanges commerciaux entre eux que les pays pour lesquels cela n'est pas le cas.
En gros, si vous tentez de faire une transaction avec un pays dont vous ne parlez pas la langue, vous avez trois possibilités. Vous devez apprendre l'autre langue, l'autre doit apprendre votre langue, ou vous devez embaucher un traducteur. Tous ces coûts, si l'on considère le reste équivalent, tendent à réduire le commerce.
Essentiellement, notre article s'intéresse au lien entre le commerce et la langue. Grâce à une analyse empirique, nous voulions déterminer si la connaissance de la langue française au Canada favorise le commerce bilatéral entre le Canada et d'autres pays francophones.
Aux fins de cette étude, nous avons divisé le pays en groupes : les provinces où au moins 30 p. 100 de la population parlent l'anglais et le français, et les provinces et les territoires qui ne respectent pas ce seuil. Essentiellement, deux provinces respectent le seuil de 30 p. 100 pour ce qui est de la connaissance des deux langues officielles : le Québec et le Nouveau-Brunswick. Le reste des provinces forme l'autre groupe. Nous avons un Canada bilingue et ce à quoi nous faisons référence dans le rapport est un Canada moins bilingue.
Les données commerciales montrent clairement que le Canada bilingue fait davantage de commerce avec les pays francophones que le Canada moins bilingue. En effet, en 2011, 3,4 p. 100 des exportations du Canada bilingue — c'est- à-dire le Québec et le Nouveau-Brunswick — étaient dirigées vers des pays francophones, et ce, par rapport à 1,7 p. 100 pour le Canada dans son ensemble. Même chose pour les importations, 10,6 p. 100 des importations du Canada bilingue provenaient de pays francophones, et ce, par rapport à 4 p. 100 pour le pays dans son ensemble. En d'autres mots, les exportations du Canada bilingue vers les pays francophones sont deux fois plus élevées que la moyenne nationale et les importations du Canada bilingue provenant de pays francophones sont 2,5 fois plus élevées que la moyenne nationale. Les données permettent de tirer ces conclusions claires.
En fonction de ces chiffres, on pourrait formuler l'hypothèse suivante : la connaissance du français stimule le commerce entre le Canada bilingue et d'autres pays francophones. Nous avons mis à l'épreuve cette hypothèse en utilisant un outil auquel on a souvent recours dans la documentation sur le commerce international : le modèle de gravité. On l'appelle ainsi parce qu'il s'inspire de l'équation de gravité. Je ne vous décrirai pas ici l'équation, mais deux facteurs déterminent la force de gravité : la taille des objets et la distance entre les deux objets. Quand on remplace ces données par des données de commerce international, il est intéressant de constater qu'on obtient une relation semblable. Le niveau de commerce entre deux pays est donc très lié à la taille des économies des deux pays et à la distance qui les sépare. Plus les économies des pays sont grandes, plus on y fera de commerce, et plus les pays sont rapprochés, plus le commerce sera élevé.
Toutefois, la documentation a aussi démontré que d'autres variables ont des répercussions sur le commerce entre les pays. Une autre de ces variables qui revient souvent dans la documentation, c'est la langue. La documentation a démontré à maintes reprises que la langue parlée entraîne des répercussions positives sur le commerce. Les pays où l'on parle la même langue font davantage le commerce entre eux que les pays où ce n'est pas le cas.
Il existe essentiellement deux barrières au commerce : la distance et la langue.
L'équation de gravité révèle exactement la même chose. Pour un Canada bilingue, la variable de l'équation correspondant au français comme langue parlée est statistiquement considérable, tandis qu'elle ne l'est pas pour le reste du Canada. Notre équation concorde avec la documentation selon laquelle la langue française joue un rôle important dans un Canada bilingue et dans le cadre de sa relation avec d'autres pays francophones.
L'équation de gravité démontre que le commerce d'un Canada bilingue avec les pays où l'on parle français est d'environ 65 p. 100 plus élevé en raison de l'utilisation du français. La connaissance du français fait bondir de 65 p. 100 le commerce avec les pays francophones.
Une méta-analyse de la documentation révèle des conclusions semblables. Elle permet de conclure qu'en moyenne, une langue commune entre deux pays fait croître le commerce de 44 p. 100. Pour ramener ces données en chiffres en prenant l'exemple de 2011, les exportations et importations entre le Canada bilingue — le Québec et le Nouveau- Brunswick — et d'autres pays francophones étaient, en moyenne, de 3,3 milliards de dollars plus élevées en raison de la connaissance du français.
Ces résultats ne sont bien sûr pas étonnants. La documentation est claire : la langue commune constitue un facteur déterminant du niveau de commerce entre les pays. Le commerce bilingue constitue un mécanisme dont un pays peut tirer profit comme c'est le cas pour le bilinguisme canadien.
Le président : Merci beaucoup.
Monsieur Antunes, vous voulez ajouter quelque chose?
Pedro Antunes, économiste en chef adjoint et directeur général, Division des prévisions et de l'analyse, Le Conference Board du Canada : Oui, j'aimerais ajouter quelques points. Alan et moi travaillons ensemble au Conference Board du Canada.
[Français]
Je peux parler en français. On travaille ensemble; on a fait plusieurs recherches sur le bilinguisme, sur l'apport de la langue française à l'économie. C'est un aspect qui est très important. C'est un gain définitif que l'on voit pour les provinces qui sont bilingues, qui sont capables d'augmenter leur commerce avec ces pays. Ce n'est qu'un avantage du bilinguisme, bien sûr. Je dirais qu'une autre façon d'examiner cette relation, c'est de voir le capital humain dans ce qu'on appelle la fonction de production. Le capital humain, en parlant les deux langues, est augmenté grâce au bilinguisme. Il y a plusieurs liens statistiques : on voit que les gens bilingues ont un niveau d'éducation plus élevé. Cependant, si on prend simplement le bilinguisme, c'est un ajout au capital humain, au potentiel de l'économie, et cela amène une prospérité plus grande comparée à une région qui ne serait pas bilingue.
La présidente : Merci beaucoup. C'est fort intéressant. C'est certainement une perspective qui vient apporter une autre perspective aux travaux du comité.
La sénatrice Fortin-Duplessis : À tous les deux, soyez les bienvenus. Je constate que vous faites beaucoup plus que des prévisions économiques. Dans vos recherches et publications, vous englobez tous les facteurs socioéconomiques nécessaires pour qu'une ville devienne dynamique, prospère et attrayante pour attirer les nouveaux débouchés et la main-d'œuvre qualifiée. Qu'est-ce que vous avez remarqué chez les municipalités qui avaient une forte population bilingue; est-ce qu'il y avait des tendances particulières dans leur région? Y a-t-il un impact important sur les emplois qui sont créés, la moyenne des revenus et la stabilité des emplois?
[Traduction]
M. Arcand : Bien entendu, notre article portait sur les avantages d'un commerce accru. Il est aussi clair dans la documentation qu'au niveau individuel, comme le disait Pedro, l'apprentissage d'une langue seconde fait partie de l'accumulation de capital humain. Il est évident que les Canadiens qui parlent les deux langues ont tendance à gagner des salaires plus élevés.
Pour ce qui est de l'attrait, cela me rappelle un autre rapport qui illustrait que l'un des avantages du bilinguisme au Nouveau-Brunswick est qu'il attirait certaines industries dans la province. Par exemple, le secteur des centres d'appels a très bien fonctionné au Nouveau-Brunswick grâce à son statut bilingue. C'est un domaine concret dans lequel on voit de réels avantages.
[Français]
M. Antunes : Quand on examine la croissance économique — vous avez parlé des villes —, c'est très important. Le moteur de la croissance économique se situe maintenant dans la ville. Il est très important d'examiner cet aspect. Si on s'arrête aussi aux secteurs et aux industries qui ont réussi au cours des 10 dernières années, je sais qu'on mentionne souvent le secteur manufacturier et le secteur des biens, mais c'est vraiment dans le secteur des services que se situe la croissance économique depuis 10 ans et plus. On a perdu de 500 000 à 600 000 emplois dans le secteur manufacturier dans le cadre de la restructuration, mais on a fait des gains presque équivalents au Canada dans le domaine des services professionnels. Ce sont des emplois bien payés et qui sont liés à ce qu'on appelle la « knowledge economy », ou l'économie du savoir. Pardonnez mon anglicisme, vous allez me prendre pour un Français. Cela revient à la capacité du capital humain, qui inclut le français.
Nous abordons les gains dans un autre document que l'on nous a demandé d'examiner, celui de MM. David Campbell et Pierre-Marcel Desjardins. Ils y parlent des industries de la finance et de l'assurance qui ont pris pied au Nouveau-Brunswick grâce au bilinguisme. L'initiative provient des entrepreneurs eux-mêmes qui désirent avoir accès à cette main-d'œuvre pour pouvoir offrir leurs services au public. Là où il y a eu des gains dans le cas des compagnies d'assurance, c'est dans le marché externe, de même que pour les secteurs financiers. Cela est très important comme moteur économique pour le Canada; c'est là que nous sommes compétitifs, que nous avons eu de la prospérité au cours des dernières années. Il faut clarifier cela, il faut être conscient de ces impacts.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci.
La sénatrice Poirier : Merci d'être ici tous les deux.
[Traduction]
Ma première question s'adresse à M. Arcand. Je suis curieux : tout au long de notre étude, nous avons longuement parlé de l'immersion française, de l'enseignement et de l'apprentissage d'une langue seconde ou du français pour nous assurer de pouvoir répondre à une bonne partie des besoins des Canadiens à l'avenir. Je viens du Nouveau-Brunswick, province qui est officiellement bilingue. Je souhaite me tourner vers le secteur des entreprises. Dans votre étude, vous parlez de son importance pour le commerce et pour gagner des salaires plus élevés. Vous avez parlé de trois ou quatre initiatives qui pourraient encourager les gens à apprendre une langue seconde. Or, au Nouveau-Brunswick, le gouvernement offre toutes sortes de programmes pour que les adultes sur le marché du travail puissent apprendre une langue seconde.
Savez-vous s'il y a eu une augmentation, ces 10 dernières années, dans le milieu des affaires ou de l'industrie pour permettre aux entreprises d'être en mesure d'offrir ce même genre d'initiative à leurs employés adultes, notamment ceux qui voudraient s'orienter vers le secteur des services plutôt que celui de la fabrication — comme vous l'avez mentionné plus tôt — afin de leur donner une deuxième chance d'acquérir une langue seconde?
M. Arcand : Notre étude n'entre pas dans ce niveau de détail. Je sais que des recherches donnent ce genre de chiffre. Pedro a dit que dans le secteur des services, lorsqu'on ventile les données par secteur, l'importance d'une langue commune augmente au fur et à mesure que le secteur gagne en complexité. Un des sujets dont on discute au Conference Board du Canada est qu'il faudrait se concentrer davantage sur l'exportation des services. Or, la documentation disponible montre que la langue commune est encore plus importante dans le secteur des services. La communication dans une langue commune avec un autre pays prend encore plus d'importance dans le secteur des services que dans le secteur des biens dans nos industries traditionnelles. En ce sens, certes, la langue commune est importante; et il sera encore plus important à l'avenir d'avoir une main-d'œuvre bilingue.
La sénatrice Poirier : Mais vous ne savez pas si les entreprises ou les industries offrent plus de cours de langue qu'il y a 10 ans.
M. Arcand : Non.
M. Antunes : En général, je crois que nous n'avons pas été très forts pour orienter les jeunes vers les perspectives d'emploi, et cetera. Nous avons une main-d'œuvre trop rare dans certaines parties du pays, dans certaines régions et dans certains secteurs, tandis que nous avons trop de jeunes qui n'arrivent pas à trouver leur place sur le marché du travail. C'est peut-être un problème de langue.
Nous avons entendu une partie du panel précédent. On a longuement discuté des motivations des jeunes. Je crois que nous négligeons l'éducation des jeunes de toutes sortes de façons, y compris en ce qui touche leurs compétences linguistiques.
En ce qui concerne le développement linguistique des adultes, je ne crois pas que la situation ait changé.
La sénatrice Poirier : Les employeurs ou le secteur privé peuvent-ils faire quoi que ce soit pour motiver les jeunes à devenir bilingues, par exemple en leur donnant de l'information sur la différence salariale? Y a-t-il quoi que ce soit que le secteur privé puisse faire pour promouvoir le bilinguisme?
M. Antunes : Je ne pense pas que l'industrie devrait être tenue responsable. Il est vraiment difficile de savoir qui devrait en être responsable. Je pense que le secteur privé devrait être motivé par le fait que sa main-d'œuvre est mal préparée pour la croissance. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de nouveaux entrants dans le marché du travail, mais parce qu'il est difficile de remplacer le nombre de personnes qui partent à la retraite.
Nous savons que 1,2 p. 100 de la main-d'œuvre part à la retraite chaque année. Lorsqu'on regarde les statistiques sur l'emploi, on constate que l'emploi croît de 1 p. 100, et à cela s'ajoutent les 1,2 p. 100 de personnes qui doivent être remplacées pour cause de départ à la retraite.
Le secteur privé est motivé à trouver des travailleurs qualifiés, et je ne sais pas s'ils sont particulièrement motivés par le bilinguisme. Cela ferait partie de l'étude sur la qualité de la main-d'œuvre.
Autre question : les employeurs sont-ils disposés à investir aujourd'hui pour un retour sur l'investissement dans trois ou quatre ans seulement, le temps que leur employé se qualifie, et ensuite faire concurrence à d'autres entreprises pour embaucher cet employé? C'est un lourd investissement pour une entreprise, et je ne crois pas qu'elle soit disposée à le faire.
La sénatrice Poirier : Concernant le nombre de personnes qui quittent le marché du travail, ces derniers mois, il a été dit que, pour la première fois de l'histoire du Nouveau-Brunswick, il y a eu plus de décès que de naissances l'année dernière. C'est effrayant.
M. Antunes : C'est le taux d'augmentation naturel pour l'ensemble des provinces de l'Atlantique. C'est l'autre facteur très réel pour les provinces de l'Atlantique.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, messieurs. Le Conference Board du Canada est un organisme très écouté au Canada et dans le monde des affaires. Je viens du monde des affaires, et je sais fort bien que, lorsque le Conference Board du Canada donne un avis, ce n'est pas négligeable.
Je vais parler particulièrement du Québec. C'est la seule province où la langue officielle est le français, mais c'est aussi la seule province dont au-delà de 40 p. 100 de la population est bilingue. La raison en est bien simple, si on veut faire du commerce, on ne le fera pas avec Saint-Pierre et Miquelon. On va le faire avec l'Ontario, avec les provinces maritimes, avec les États limitrophes de la Nouvelle-Angleterre, qui sont anglophones en très grande partie, quoique dans ces endroits, on est toujours surpris.
Le monde des affaires est un monde en ébullition et, lorsque vous avez dit plus tôt que nous avions perdu de 500 000 à 600 000 emplois dans le secteur des produits manufacturiers, je crois que c'est normal. La grande industrie doit un jour se moderniser, et la population ne diminue pas pour autant, elle augmente.
L'avenir se situe plutôt dans les types de services que vous avez nommés. Au Québec, entre autres, nous offrons des services reconnus à l'échelle internationale, comme l'aéronautique, la pharmacologie, la création artistique et le marketing.
Les nouvelles générations se dirigent de plus en plus vers les nouveaux créneaux qui s'offrent à eux. Nous nous apprêtons à signer un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Cela ne nous aide pas vraiment, puisque la langue de l'Union européenne est l'anglais. Le président deviendra fou en raison du nombre de langues, malgré le fait qu'il soit brillant. Je crois que les jeunes du Québec l'ont compris dans une grande majorité, quoiqu'il y ait toujours des réticences au sein de petits bastions de nationalisme aigu dont on ne devrait même pas parler, parce que ce n'est pas là l'avenir.
Croyez-vous que, au cours des 10 prochaines années, l'industrie des services sera appelée à croître et qu'elle puisse devenir un atout pour le Canada?
M. Antunes : Absolument. En fait, nous croyons que c'est une tendance qui se poursuivra. Il s'agit des secteurs que vous avez mentionnés, et d'autres secteurs comme l'ingénierie, l'architecture, les projets d'infrastructure et le secteur minier. Il y a des secteurs traditionnels dans lesquels nous sommes très compétents. Souvent, les gens pensent que ces anciens secteurs, comme le secteur minier et la foresterie, sont du « vieux-tech », mais ce n'est pas vrai. Ce sont des secteurs qui attirent beaucoup de capital et ce sont des secteurs « high-tech ». Il en est de même pour le secteur manufacturier. Il ne faut pas oublier qu'on peut concurrencer dans le secteur manufacturier. Cependant, ce n'est pas le secteur manufacturier qui est dense en matière de main-d'œuvre, mais plutôt le secteur manufacturier dont la main- d'œuvre est composée d'experts en robotique ou en statistique qui examinent les lignes de production. C'est l'économie du savoir, comme je l'ai mentionné.
Oui, c'est là qu'on peut concurrencer. Vous avez mentionné le libre-échange avec l'Europe. Cette entente de libre- échange est différente des autres, parce qu'il ne s'agit plus de barrières tarifaires sur les biens qui s'ouvrent et qui se démantèlent, mais bien des connaissances, de la possibilité de transférer le savoir-faire, des compétences des gens, d'avoir des gens dont les compétences sont reconnues dans les deux régions de sorte qu'on puisse travailler sur des contrats de service en Europe. C'est vraiment la voie de l'avenir pour le Canada.
Le sénateur Maltais : Avec l'entente de libre-échange Canada-Europe ou Canada-États-Unis ou avec d'autres pays, lorsqu'on voit arriver des bureaux de multinationales européennes qui s'installent soit à Montréal ou à Toronto, des entreprises françaises, des entreprises allemandes comme ABB, entre autres, qui choisissent le Québec, parce que la technologie de pointe peut se faire dans les deux langues, croyez-vous que ce soit un atout pour le Québec?
M. Antunes : Oui, absolument. Encore une fois, ce n'est pas une question qu'on a examinée précisément dans le rapport qu'on a fait.
Il y a beaucoup de nuances à faire dans vos propos. C'est en fait ce qu'on appelle l'investissement direct, et c'est très important. On a fait beaucoup de recherches à ce sujet qui démontrent les liens avec la productivité canadienne. Quand il y a de l'investissement, on apprend des investisseurs qui viennent d'autres pays. Nous apportons aussi nos connaissances dans d'autres pays de commerce, et nous sommes en mesure d'augmenter la compétitivité et la productivité de nos entreprises. Le problème de productivité est un problème qui est bien connu au Canada. Nous ne sommes pas très forts en matière de productivité par rapport à certaines régions, surtout les États-Unis. Ces liens sont très importants et, oui, il y a des bénéfices à dégager. M. Arcand a parlé tantôt de l'importance de la langue, de bien comprendre la langue dans des secteurs qui sont pointus, compliqués, techniques, et cetera. Cela devient de plus en plus difficile. Lorsqu'on échange du pétrole et du blé, peut-être que ce n'est pas aussi complexe, mais lorsqu'on parle d'informatique et d'aérospatial, il est important d'avoir une langue commune.
Le sénateur Maltais : Je vous remercie. C'est très gentil.
La sénatrice Chaput : Il est important de reconnaître la contribution économique du français au Canada. C'est plus qu'important. On ne peut pas faire autrement que d'y arriver.
Messieurs, comment avez-vous choisi les indicateurs pour mesurer la contribution économique du français au Canada? Comment êtes-vous arrivés à accorder la priorité à certains de ces indicateurs? Par la suite, comment avez- vous accompli votre travail? Cette question me fascine.
M. Antunes : Nous nous sommes penchés sur différents aspects. L'un d'eux concerne le commerce. C'est le rapport que M. Arcand vous a présenté.
La sénatrice Chaput : Oui.
M. Antunes : Nous avons aussi fait d'autres études, dans le passé, sur la contribution des entreprises francophones et des PME gérées par une personne francophone. Ce rapport porte vraiment sur le commerce, et c'est important. M. Arcand a parlé d'une contribution qu'on peut calculer selon différentes méthodes. On le voit clairement dans le secteur du commerce des provinces bilingues, le chiffre mentionné était de 3,3 milliards.
Nous sommes en mesure de quantifier ces impacts, à savoir dans un monde virtuel où il n'y aurait pas de bilinguisme, quelle serait la perte pour une région donnée. Il est très difficile de comparer une région bilingue à une région unilingue aujourd'hui. Il faut faire l'analyse en considérant toutes les autres variables. On se croit très scientifique en économie, et on l'est un peu moins qu'en sciences pures, mais il y a encore moyen de contrôler certaines variantes, comme M. Arcand l'a présenté, pour isoler l'impact du bilinguisme.
La sénatrice Chaput : Vous avez pris en considération les petites et moyennes entreprises et, deuxièmement, ces petites et moyennes entreprises qui ont été des histoires à succès en français au Canada, si je puis employer ce terme. Est-ce bien sur cette base que vous avez élaboré votre étude?
M. Antunes : Oui. Il y a aussi une autre étude. Je n'ai pas tous les détails avec moi, mais, effectivement, il s'agissait d'examiner un peu ces aspects.
[Traduction]
Si vous souhaitez intervenir, allez-y.
[Français]
C'était une autre étude qui comparait, en fait, la force économique domestique de la francophonie au Canada. Dans cette étude, on a examiné les entreprises et les gens qui y travaillent pour mesurer leur contribution à l'économie canadienne.
La sénatrice Chaput : Avez-vous fait des recommandations?
M. Antunes : Dans ce cas, on est très analytique et quantitatif. Dans le document que nous vous avons présenté aujourd'hui, nous constatons l'impact positif du bilinguisme. Le Conference Board se penche sur une économie domestique qui est moins forte qu'elle ne l'a été dans le passé. Nous cherchons à trouver des moyens de continuer à augmenter notre qualité vie et notre revenu. L'une des façons de continuer à faire croître notre économie, notre richesse et notre revenu, c'est le commerce. Il y a beaucoup d'avenues dans le commerce. D'autres opportunités se présentent aussi grâce au commerce. Certains pays en voie de développement connaissent une croissance très rapide, et il ne faut pas ignorer ces régions, qu'elles soient francophones ou non. Peut-être aurait-on avantage à considérer ces pays à forte croissance économique. Le bilinguisme est une partie importante de cette opportunité globale.
La sénatrice Chaput : Si je vous demandais de cerner une mesure concrète justement pour accroître les retombées économiques, serait-ce possible? Disons que l'on vise nos jeunes. Vous serait-il possible de me donner une mesure concrète?
M. Antunes : Augmenter le bilinguisme n'est pas facile à faire, mais si on le faisait, du jour au lendemain, on aurait des retombées économiques positives. Une façon peut-être plus rapide ou plus facile d'augmenter le bilinguisme et le commerce serait au moyen de l'immigration. On a besoin de travailleurs et de compétences.
En termes de bilinguisme, il est difficile de voir le lien direct, car la démarche est à long terme. On a parlé tantôt de l'investissement pour amener quelqu'un à parler français. Il y a des retombées, mais il faut du temps et de la patience.
La présidente : J'aurais une question complémentaire à celle de la sénatrice Chaput. Croyez-vous que les employeurs sont suffisamment informés, par exemple, des constatations de votre étude?
M. Antunes : La plupart de nos clients sont de grandes entreprises au Canada. Nos liens avec ces grosses entreprises sont bons, et nous les informons très bien.
En ce qui concerne le commerce, un secteur où l'on voit beaucoup de retombées, de croissance et de potentiel est celui des petites et moyennes entreprises. Ces entrepreneurs sont, en général, dans une course pour rester en affaires, et c'est très difficile. Ont-ils le temps de s'informer autant que les grosses entreprises? Je ne le crois pas. Sont-ils aussi informés quant au rapport que M. Arcand vient de produire? Je crois que non. C'est pourquoi nous déployons beaucoup d'efforts auprès des médias et des comités. Plusieurs de nos rapports sont disponibles gratuitement sur notre site web. Notre objectif est d'améliorer le Canada afin qu'il soit plus complétif. Nous voulons que nos entreprises soient gagnantes à l'échelle mondiale.
La présidente : Je vous encourage certainement à faire davantage la promotion de ce type d'information. Par exemple, avec le nouveau système d'immigration Entrée express, on accorde beaucoup d'importance au rôle que devront jouer les employeurs pour trouver de la main-d'œuvre. Si on valorise davantage une main-d'œuvre bilingue pour le pays, il faut sensibiliser les employeurs des petites et moyennes entreprises.
La sénatrice Chaput : J'ai une question supplémentaire. Cette étude a été commandée par des organismes, n'est-ce pas? Ou bien est-ce vous qui avez décidé de l'entamer? Je croyais que le Réseau de développement économique et d'employabilité du Canada avait un lien avec cette étude. Ai-je raison?
[Traduction]
M. Arcand : Cette étude a été demandée et financée par trois organisations, RDÉE Canada...
La sénatrice Chaput : Ce rapport leur a été remis?
M. Arcand : Oui, ils l'ont reçu.
La sénatrice Chaput : Il me semble qu'ils ont ou qu'ils devraient avoir la responsabilité de faire connaître le rapport à leurs membres, n'est-ce pas?
M. Arcand : Je présume que c'est ce qu'ils ont fait.
[Français]
La présidente : Je note qu'une étude a été faite également au Nouveau-Brunswick à cet effet, dans laquelle on a déterminé que la connaissance de deux langues est bonne pour les affaires. Je crois que ce rapport de la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick va un peu dans le même sens que votre rapport.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Premièrement, je pense qu'il est important de faire remarquer que le Conference Board du Canada a reconnu l'apport économique des deux langues officielles du Canada d'un certain nombre de façons au fil des ans.
Monsieur Arcand, vous êtes l'auteur de l'étude intitulée Le Canada, le bilinguisme et le commerce. Il y a deux ans, le Conference Board du Canada avait présenté votre étude à Industrie Canada, au RDÉE, et cetera. Ma question donne suite à celle de la sénatrice Chaput : votre étude a-t-elle été bien accueillie?
M. Arcand : Elle semble avoir été bien accueillie, oui.
Le sénateur McIntyre : Avez-vous eu de la rétroaction après l'avoir publiée?
M. Arcand : Non, pas de rétroaction précise, mais nous avons organisé un événement de lancement voilà deux ans. Le rapport semble avoir été bien accueilli, d'après les échos que j'en ai eus. Il a même été cité dans d'autres études, dont un rapport économique important en France dernièrement. C'était une bonne nouvelle, j'imagine. Les bailleurs de fonds auraient une meilleure idée de la durée de vie de cette étude après que nous la leur aurions présentée.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Il est vrai que la connaissance du français stimule le commerce avec les pays francophones, par exemple au Nouveau-Brunswick, ma province, et au Québec. Le bilinguisme accroît les échanges commerciaux bilatéraux. Il est vrai que parler la même langue stimule le commerce.
Cependant, au-delà de tout cela, il me semble que la contribution économique du français dépasse les frontières de l'espace francophone. Gardant cela en tête, seriez-vous d'accord avec moi pour dire que le français contribue aussi à notre identité culturelle et nationale, monsieur Antunes?
M. Antunes : Oui, bien sûr. On a une science — j'y réfère toujours comme étant une science —, qui est très imparfaite, car on capte et on quantifie ce qu'on peut. Les résultats sont toujours présentés en dollars et, souvent, on se prête à des critiques. Dans la plupart de nos études, nous mentionnons qu'il y a d'autres bénéfices au-delà de ce qu'on peut capter dans nos modèles et dans nos analyses.
Bien sûr, le français fait partie de notre identité et de notre culture, et je pense que nous en tirons une certaine fierté. En économique, on essaie de mesurer ce qu'on appelle « utility », c'est-à-dire le bien-être du consommateur. Il y a beaucoup de variables intangibles qui jouent là-dedans. D'après mon expérience, je pense que le français et la fierté des deux langues sont très importants pour ceux qui ont pris le temps et ont fait l'effort de l'apprendre.
La présidente : Est-ce qu'il y a d'autres questions de la part des sénateurs? Messieurs, vouliez-vous ajouter d'autres commentaires qui n'ont pas été posés en tant que question?
M. Antunes : Je pourrais mentionner quelque chose. Dans les autres réunions, on a parlé de l'attrait des deux langues pour les étudiants. On a examiné l'impact sur ce qu'on appelle une exportation de services, c'est-à-dire lorsqu'un étudiant d'un autre pays vient au Canada pour étudier dans nos universités, qui manquent d'étudiants. Vous en êtes peut-être au courant : la plupart des universités cherchent des étudiants. Il y a cet impact de combler une place dans l'une de nos institutions éducatives qui est très avantageux.
Cependant, il y a aussi des retombées indirectes importantes de ces échanges-là. C'est une autre chose dont on n'a pas discuté. Les retombées économiques générées par les étudiants internationaux ont des multiplicateurs très forts, très importants pour le pays.
Le sénateur McIntyre : Avec votre permission, j'aurais une autre question. Le mois dernier, une autre étude a paru au Nouveau-Brunswick, intitulée Deux langues, c'est bon pour les affaires, une étude réalisée pour la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick. L'étude a illustré les avantages économiques du bilinguisme au Nouveau- Brunswick. Est-ce que vous êtes au courant de cette étude?
M. Antunes : Oui, en fait, j'ai souvent travaillé avec monsieur David Campbell. Oui, on est au courant de l'étude.
Le sénateur McIntyre : Donc, l'étude emboîte un peu le pas à votre étude.
M. Antunes : Elle ne quantifie pas tous les aspects, mais elle en illumine d'autres que le commerce. Dans cette étude, on parle effectivement du commerce. On parle aussi du bénéfice interprovincial; non seulement du commerce international, mais du commerce interprovincial également. De plus, il est question aussi de ces intangibles, comme les étudiants qui viennent étudier ici, et le potentiel d'immigration. C'est un peu le travail que M. Arcand a fait aussi. Une ville ou une région qui est diverse a tendance à être attrayante pour l'immigration. Cela est important.
On est d'accord. La question touche à des aspects qu'on n'a pas nécessairement quantifiés, mais qui donnent une perspective plus large. Cela ajoute au débat.
Le sénateur McIntyre : L'étude a démontré que le bilinguisme facilite les liens commerciaux et les activités touristiques.
M. Antunes : Absolument, oui. L'étude parle beaucoup du tourisme avec le Québec. Il faut comprendre que si on augmente le bilinguisme un peu partout, le Québec ne peut que fournir tant de touristes par année. Si on est en mesure d'aller chercher des touristes d'autres pays, telle la France, je pense qu'au Québec et au Nouveau-Brunswick, on a aussi ces liens.
La présidente : Enfin, je tiens, au nom du comité, à remercier MM. Arcand et Antunes. Merci d'avoir partagé votre expertise et votre expérience avec nous et d'avoir réalisé cette étude si importante. Honorables sénateurs, nous allons nous réunir à huis clos pendant quelques minutes seulement.
(La séance est levée.)