Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 12 - Témoignages du 11 mai 2015
OTTAWA, le lundi 11 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi, puis le comité poursuit son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique, ainsi que son étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte. Je suis la sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta, et j'ai le privilège d'être présidente de ce comité. Je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.
La sénatrice Poirier : Bonsoir. Je suis Rose-May Poirier, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, de la ville de Québec.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.
La présidente : Honorables sénateurs, aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, pour discuter de trois sujets qui nous intéressent.
Durant la première partie de cette réunion, le commissaire parlera de son rapport de 2014-2015 qu'il a déposé à la Chambre des communes et au Sénat le jeudi 7 mai. Ensuite, il nous fera part de ses commentaires au sujet de notre étude sur les meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde.
Dans environ une heure, nous prendrons une courte pause et le commissaire nous fera part de ses commentaires au sujet du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).
Avant de donner la parole à M. Fraser, j'aimerais présenter les membres de son équipe qui l'accompagnent. Nous recevons Mme Mary Donaghy, commissaire adjointe, Direction générale des politiques et des communications, ainsi que Mme Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe, Direction générale de l'assurance de la conformité. Je vous souhaite tous la bienvenue.
J'invite M. Fraser, notre commissaire, à faire sa présentation. Ensuite, comme vous le savez, les sénateurs vous poseront des questions.
Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci beaucoup, madame la présidente.
[Traduction]
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, bonsoir. Je suis heureux de me présenter aujourd'hui devant ce comité afin de discuter des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde, dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique. Il s'agit d'un enjeu qui me préoccupe depuis le début de mon mandat, et je vous remercie de me consulter à ce sujet. Comme vous le savez, j'ai déposé mon rapport annuel la semaine dernière, et je me ferai un plaisir de répondre aux questions à ce sujet également. C'est un rapport plus court et plus ciblé que d'habitude, qui met l'accent sur l'immigration. Il est plus ciblé et il paraît au printemps en raison des élections qui s'en viennent.
[Français]
Nous vivons dans un monde concurrentiel fondé sur le savoir, où la connaissance des langues offre un avantage économique indéniable. Ainsi, la connaissance du français et de l'anglais, nos deux langues officielles, devient encore plus pertinente. Les Canadiens et Canadiennes se démarquent grâce à leurs compétences linguistiques.
[Traduction]
Par conséquent, il va de soi qu'investir dans l'apprentissage de nos langues officielles, c'est investir dans la compétitivité du Canada, tant à l'échelle nationale qu'internationale. Beaucoup de jeunes Canadiens qui travaillent aujourd'hui à l'étranger ont commencé par apprendre nos deux langues officielles. L'apprentissage des deux langues officielles peut être un point de départ non seulement vers le bilinguisme, mais également vers le multilinguisme.
[Français]
Dans ce contexte, le Canada doit offrir un véritable continuum de possibilités d'apprentissage de nos langues officielles, de la petite enfance jusqu'aux études postsecondaires. Cela permettrait à la fois de renforcer la dualité linguistique canadienne comme valeur fondamentale et d'ouvrir un monde d'opportunités pour les jeunes Canadiens.
[Traduction]
Il existe de nombreux programmes visant à favoriser l'apprentissage de la langue seconde et ils varient selon les provinces. Chose certaine, le succès de nos programmes d'immersion n'est limité que par les ressources que les gouvernements consentent à y accorder.
[Français]
L'immersion francophone est l'une des expériences éducatives les mieux réussies de l'histoire du Canada. On dit d'ailleurs qu'il s'agit du programme de langue le plus populaire jamais répertorié dans la littérature sur l'enseignement des langues. Nous célébrerons l'an prochain le 50e anniversaire du premier programme d'immersion qui a été mise en œuvre à Saint-Lambert, au Québec, par le professeur Wallace Lambert.
[Traduction]
Il reste encore toutefois quelques défis à surmonter pour accroître la maîtrise des deux langues officielles parmi les jeunes Canadiens et les nouveaux arrivants. En voici quelques-uns.
Il y a beaucoup moins de programmes d'immersion au niveau universitaire qu'aux niveaux primaire et secondaire — les jeunes doivent parfois renoncer à poursuivre leurs études dans leur langue seconde lorsqu'ils entrent à l'université.
[Français]
Beaucoup de parents qui veulent inscrire leurs enfants dans les programmes d'immersion française doivent y renoncer, faute de place ou de financement.
Le contingentement, les files d'attente nocturnes et les systèmes de loterie continuent de miner l'inscription aux programmes d'enseignement en langue seconde dans de nombreuses régions.
[Traduction]
Ceci étant dit, des milliers de diplômés de programmes d'apprentissage de la langue seconde ont poursuivi leur cheminement et utilisé les compétences acquises pour devenir effectivement bilingues. Les diplômés des programmes d'immersion veulent que leurs enfants étudient en immersion. Par ailleurs, de nombreux arrivants ont exprimé un fort sentiment d'appartenance au Canada simplement du fait que leurs enfants ont appris les deux langues officielles.
[Français]
Cependant, pour favoriser leur pleine intégration au sein de leur nouvelle communauté d'accueil, les nouveaux arrivants doivent avoir accès à des ressources qui leur permettent aussi d'apprendre ou de perfectionner leur langue seconde. Le fait d'encourager les immigrants et leurs enfants à apprendre les deux langues officielles et d'offrir un meilleur soutien aux parents allophones qui s'intéressent à ces programmes favorise une intégration harmonieuse à la société canadienne.
[Traduction]
Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership et engager les provinces dans la création d'un véritable continuum d'apprentissage de la langue seconde allant de la petite enfance jusqu'au niveau postsecondaire, renforcé par des programmes d'été et des programmes d'échange, et menant jusqu'au marché du travail. Offrir des possibilités d'apprentissage tout au long de ce parcours est de loin la meilleure façon de favoriser la maîtrise d'une nouvelle langue.
[Français]
Dans le cadre d'études et de rapports annuels récents, j'ai formulé des recommandations concrètes pour favoriser l'apprentissage d'une langue seconde et accroître le nombre de Canadiens et de Canadiennes qui parlent nos deux langues officielles. J'ai le plaisir de vous les rappeler ici.
Je recommande de prendre les mesures qui s'imposent pour doubler le nombre de jeunes Canadiens qui participent chaque année à des échanges linguistiques de courte ou de longue durée aux niveaux secondaire et postsecondaire. Il s'agirait d'une façon exemplaire de marquer le 150e anniversaire du Canada.
[Traduction]
Je recommande de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, ainsi qu'avec les établissements d'enseignement postsecondaire, pour augmenter le nombre de programmes qui offrent aux étudiants la possibilité de suivre des cours dans leur seconde langue officielle.
[Français]
Je recommande également d'offrir une aide financière aux universités afin que celles-ci élaborent et mettent en œuvre de nouvelles initiatives destinées à améliorer les possibilités d'apprentissage en langue seconde des étudiants.
[Traduction]
Sur ce point, madame la présidente, j'aimerais conclure ma présentation. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions et à celles de vos collègues.
[Français]
La présidente : Nous allons maintenant passer à la période des questions, mais j'aimerais savoir de quelle façon vous désirez que l'on procède. Si je comprends bien, nous aurons des questions par rapport aux meilleures pratiques, mais, s'agissant de votre rapport annuel, aurez-vous une présentation à nous faire ou désirez-vous simplement laisser les questions ouvertes?
M. Fraser : Je pourrais faire une présentation de façon spontanée sur le rapport annuel, mais, puisque notre temps est assez limité pour couvrir les trois sujets, il serait peut-être plus utile de procéder autrement. Que préférez-vous? Personnellement, je crois qu'il serait plus efficace que je restreigne mes remarques à l'étude que vous êtes en train de faire.
Le sénateur Maltais : Le rapport annuel, monsieur le commissaire, je n'ai pas eu le temps de le lire. Il est arrivé à mon bureau à 14 h 45. Je ne peux donc pas en discuter.
M. Fraser : Voulez-vous que j'en fasse un sommaire?
Le sénateur Maltais : Si vous le voulez bien.
La présidente : Le temps presse. Dans une heure nous devons passer à la prochaine partie. Ce que nous pourrions faire, c'est poser des questions par rapport à votre présentation sur les meilleures pratiques. Si nous voyons qu'il reste encore du temps, avant de passer à la deuxième partie, nous pourrons parler du rapport annuel.
M. Fraser : Vous pourrez me poser des questions sur les faits saillants, par exemple, et je serai heureux de vous les décrire.
La présidente : Vous pourrez le faire après les questions.
M. Fraser : Oui.
La présidente : Merci. La première question sera posée par la vice-présidente du comité, la sénatrice Fortin- Duplessis.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Nous allons commencer par les meilleures pratiques.
Monsieur le commissaire, croyez-vous qu'une politique pancanadienne favoriserait l'apprentissage des deux langues officielles à tous les paliers d'enseignement? Pensez-vous qu'une telle politique soit nécessaire aux niveaux primaire et secondaire?
M. Fraser : Je crois qu'il est très important de se doter d'une espèce de cascade où le plus grand employeur du Canada, qui est le gouvernement fédéral, envoie un message très clair aux universités soulignant le fait que le gouvernement fédéral a besoin d'employés bilingues et qu'il est de la responsabilité des universités d'offrir des occasions d'apprentissage. Il faudrait, par la suite, que les universités envoient un message similaire aux étudiants, aux parents et aux écoles secondaires selon lequel elles valorisent le fait que les étudiants prennent des cours plus exigeants dans leur langue seconde.
J'ai parlé à des étudiants en immersion qui m'ont dit que leurs professeurs leur ont suggéré de ne pas prendre l'examen d'immersion, mais plutôt de prendre l'examen de français de base, car il est plus facile et qu'ils auraient ainsi la chance d'obtenir une meilleure note, puisque c'est tout ce qui intéresse les universités. Souvent, les étudiants prennent la décision à l'âge de 14 ans à savoir s'ils vont continuer de suivre des cours de langue seconde. Je ne pense pas que l'avenir du bilinguisme au Canada doive reposer uniquement sur les épaules d'étudiants de 14 ans.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Selon vous, quels sont les facteurs sociaux qui contribuent à l'apprentissage?
M. Fraser : Vous savez, il y a maintenant 15 ans, le conseil des écoles publiques d'Edmonton a constaté un déclin des inscriptions aux cours d'immersion. Il a fait une étude pour en comprendre les causes et a découvert toute une série de facteurs qui déterminent le succès ou l'échec d'un programme d'immersion lorsqu'il s'agit d'attirer et de retenir les étudiants. Les facteurs comprennent le soutien des parents et du directeur de l'école, et l'appui professionnel de la part des professeurs. Le climat de l'école et son appui sont un facteur dans le cas d'une école mixte. Également, il faut prévoir un processus d'évaluation des compétences linguistiques des étudiants qui va au-delà du processus d'évaluation en classe. Les étudiants et, de façon plus importante, leurs parents doivent connaître leur niveau de compétence réel dans la langue seconde.
À cette époque, la commission scolaire avait mis en œuvre ces recommandations. Elle a demandé à la Commission de la fonction publique la permission d'utiliser les tests de langue seconde prévus pour les fonctionnaires. Les étudiants ont très bien réussi. Cependant, par la suite, la Commission de la fonction publique a décidé qu'il était illégal pour eux d'utiliser ce test à l'extérieur de la fonction publique. Une personne de la commission scolaire m'a dit ceci : « On est une commission scolaire canadienne avec des étudiants canadiens qui vont vouloir vivre au Canada; on a voulu un test canadien, et lorsque ce n'était pas possible, on a utilisé un système français. » Ils ont donc utilisé ce système et cela fait partie de leur succès. Je crois qu'il est généralement reconnu que la commission des écoles publiques d'Edmonton a le système d'immersion le plus réussi au Canada. D'autres commissions scolaires examinent les éléments qu'elle a mis en place pour suivre son exemple.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous venez de parler du fait que, à Edmonton, il y avait du personnel qualifié. Selon vos études, êtes-vous en mesure de nous dire s'il y a du personnel qualifié dans toutes les autres provinces?
M. Fraser : Non, et il s'agit d'un défi réel pour le système. Il y a une pénurie, particulièrement dans les écoles des régions éloignées des grandes villes. On voit des exemples d'écoles ou de certaines sections de Canadien Parents for French qui font leur propre version du film La grande séduction pour attirer et retenir des professeurs qualifiés en immersion.
Toute une génération de professeurs a pris sa retraite, et nous devons faire face au problème maintenant. Certaines universités se spécialisent dans la formation des professeurs en immersion. Au Campus Saint-Jean, on m'a dit que c'est l'un des domaines où le taux de chômage des diplômés est de 0 p. 100. Tous les diplômés obtiennent des postes. Je crois qu'il en va de même pour l'Université Sainte-Anne, un centre de formation pour les professeurs en immersion des Maritimes.
Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur Fraser. Bienvenue, mesdames. Nombre de témoins sont venus nous rencontrer et appuient votre rapport en affirmant que la meilleure façon d'apprendre une deuxième langue est par l'immersion.
Je viens du Québec. Malheureusement, on nous a dit que, au Québec, on avait énormément de difficulté à organiser des stages de formation linguistique. Lorsqu'on demande aux professeurs, à la fin de l'année, de travailler une, deux ou trois semaines de plus, leur réponse est non, parce que le syndicat l'interdit.
Comment peut-on pallier ce problème? Vous avez parcouru le Québec et le Canada. J'imagine que le problème ne se pose pas uniquement au Québec. Faire travailler les enseignants à l'extérieur de leur convention collective est une initiative plutôt compliquée, n'est-ce pas?
M. Fraser : C'est toujours un défi. J'ai remarqué une chose, avant même de devenir commissaire, et je n'ai aucune indication que la situation ait changé. Il est plus facile pour un enseignant en Ontario de faire un échange avec un professeur de l'Australie qu'avec un professeur du Québec. Il est également beaucoup plus facile pour un professeur du Québec de faire un échange avec un professeur de la France qu'avec un professeur de l'Ontario.
Il y a eu toute une série d'ententes France-Québec sur les échanges. J'ai l'impression qu'il est devenu coutume de signer des ententes dans le cadre des rencontres entre premiers ministres. On a élargi le nombre de professions qui permettent les échanges organisés entre le Québec et la France.
J'applaudis cette mesure, mais je pense que nous pourrions envisager de créer un système semblable à celui qui existe en Ontario dans d'autres provinces anglophones, et en Australie, où deux professeurs échangent leur classe et leur résidence pendant toute la durée d'une année scolaire. Il n'y a pas de frais d'hébergement ni de coût salarial. Seul le transport doit être pris en charge. Avec une certaine volonté, nous pourrions mettre en place un dispositif semblable entre le Québec et d'autres provinces.
Le sénateur Maltais : Il y a un écart entre le Québec et les autres provinces. Au Québec, on étudie deux ou trois ans au collège, tandis qu'ailleurs, les études secondaires se terminent après la 12e année. Depuis quelques années, je m'aperçois que — je l'ai d'ailleurs vécu avec mes enfants —, de la première à la dernière année du secondaire, le programme de langue seconde, soit l'anglais, s'est nettement amélioré. Cependant, lorsque les étudiants arrivent au cégep, ils tombent dans le néant. Lorsqu'ils entrent à l'université, 80 p. 100 des manuels sont en anglais. C'était le cas pour mes trois enfants, qu'il s'agisse de la médecine, du génie ou de la gestion.
Je ne sais pas pourquoi, mais on prétend que, à la fin du secondaire cinq, les élèves sont censés être bilingues. Il est impossible d'être parfaitement bilingue après avoir reçu à peine quelques heures d'enseignement par semaine.
Comment pallier cette lacune? C'est un grand problème pour les jeunes. Le taux de décrochage dans les universités québécoises est élevé, parce ce que les manuels sont en anglais. On n'étudie pas le génie ni la comptabilité en français. Dans certains domaines, cela peut aller. Cependant, dans d'autres domaines, on retrouve des programmes nord- américains et canadiens. Tous les manuels sont en anglais, ce qui défavorise ces jeunes lorsqu'ils entrent à l'université.
M. Fraser : Je m'aventure sans doute un peu hors de mes compétences, mais, à mon avis, il est important d'offrir des occasions d'apprentissage aux jeunes. Ils doivent être au courant que, dans certains cours, les manuels sont en anglais. De plus, il faut leur faire profiter des occasions d'apprentissage à l'extérieur des classes.
C'est ainsi que j'ai appris le français. J'avais une certaine base, comme tout étudiant du secondaire en Ontario. C'est en travaillant l'été au Québec comme étudiant à l'université que j'ai appris à maîtriser le français.
Selon moi, c'est une voie à suivre. Certains programmes existent, mais c'est assez limité. Vous avez entendu des témoins de SEVEC selon lesquels de plus en plus d'étudiants souhaitent faire partie d'un programme d'échange étudiant et qu'il y a des postes à combler.
Le sénateur Maltais : J'ai une toute dernière question à vous poser. Nous avons reçu des représentants du Conference Board récemment, et ils prêchent en faveur du bilinguisme, à juste titre.
N'y aurait-il pas moyen — je n'ai pas pensé à leur poser la question — de mettre à profit les échanges étudiants par l'entremise du Conference Board, puisque ce dernier regroupe de nombreuses entreprises? Mes trois enfants ont profité d'échanges étudiants en travaillant pendant l'été en Alberta, en Colombie-Britannique, à Kapuskasing, et cetera. C'est grâce à ces échanges qu'ils ont appris l'anglais.
M. Fraser : Effectivement.
Le sénateur Maltais : Le Conference Board pourrait-il — j'ai des remords de ne pas leur avoir posé la question — nous aider en ce sens?
M. Fraser : Je ne peux pas parler au nom du Conference Board, mais je crois que le gouvernement fait un effort en vue d'établir des partenariats avec le secteur privé ou avec des fondations. Par exemple, il y a des commanditaires dans le cadre des Prix du gouverneur général pour les arts du spectacle. On cherche à convaincre des commanditaires de participer à ce genre d'exercice. Cependant, là aussi, je réponds de façon spontanée, car cela ne fait pas partie de nos études ni de nos recherches. En outre, cela n'irait pas à l'encontre d'autres initiatives menées par le passé.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, monsieur le commissaire, de votre présentation.
Vous avez eu l'occasion à trois reprises d'exprimer vos idées devant notre comité sur les meilleures pratiques à suivre, soit deux fois en 2013 et une fois en 2014. Décidément, cette étude vous tient à cœur. Dans l'un de vos rapports, vous indiquez que le commissariat effectuera un sondage d'envergure nationale sur les opinions et la perception des Canadiens sur le bilinguisme et la dualité linguistique.
Ma question est la suivante : quand ce sondage sera-t-il réalisé et qui y répondra?
M. Fraser : Nous avions prévu de mener ce sondage au cours de la dernière année de mon mandat. Nous tenons actuellement des discussions suivies concernant nos priorités budgétaires. Je ne peux pas vous donner de garantie, mais il est possible que mon successeur se charge de ce sondage lorsqu'il entrera en fonction dans un an et demi. Nous sommes à décider si ce sondage aura lieu l'an prochain ou si c'est mon successeur qui héritera de ce projet. Donc, le sondage sera réalisé soit à la fin de mon mandat ou au début du mandat de mon successeur. Comme nous tenons des discussions sur le budget, à l'heure actuelle, je ne puis vous donner de date exacte.
Le sénateur McIntyre : À la suite des études que vous avez menées, le bilinguisme français-anglais au Canada est-il stable ou en déclin?
M. Fraser : Selon les chiffres, le bilinguisme — francophones et anglophones y compris — demeure stable, et se situe à environ 17 p. 100.
Nous constatons une légère augmentation du bilinguisme chez les francophones et une légère diminution chez les jeunes anglophones, ce qui me préoccupe un peu.
Le sénateur McIntyre : Dans le même ordre d'idées, comment peut-on expliquer les différences dans le maintien des acquis en matière d'apprentissage d'une langue seconde chez les anglophones et les francophones?
M. Fraser : Un ambassadeur de la France m'avait dit, il y a plusieurs années, que ce qui l'a enchanté au Canada, c'est que le français est une langue d'ambition. Au Québec, c'est l'anglais la langue de l'ambition, de l'échange international, et du commerce. C'est la langue de Hollywood et celle utilisée le plus souvent sur Internet.
Dans certaines régions du Canada, ce n'est pas toujours évident. Ce qui se produit souvent, même pour les enfants qui ont fait leurs études en immersion au niveau primaire, c'est que lorsqu'ils arrivent au secondaire, ils se retrouvent devant des choix de spécialisation. Souvent, les programmes spécialisés ne sont pas offerts dans les écoles d'immersion; l'immersion devient une spécialisation en soi. Si on veut apprendre une spécialisation en technologie, en robotique — car il y a des programmes spécialisés dans le domaine des sciences —, il faut quitter le programme d'immersion. Je crois que c'est l'un facteur.
Un autre facteur c'est que, tel que je l'ai indiqué dans ma déclaration, je suis un grand admirateur du système d'immersion. Cependant, l'un des effets du succès de l'immersion est qu'il draine le respect et les ressources consacrés aux cours de français de base. Il y a une croyance selon laquelle la seule façon d'apprendre le français est de suivre un cours d'immersion. Le cours de français de base est donc un cours de seconde classe, souvent dévalorisé.
Il y a des écoles où le professeur de français de base n'a même pas de salle de classe; il a un chariot et il se promène d'une classe à l'autre. Autant on valorise l'immersion, autant ce programme va monopoliser les meilleurs professeurs de français de base.
J'ai parlé à une étudiante qui, pour des raisons de spécialisation, a fait son éducation primaire en immersion et est ensuite allée à l'école élémentaire en anglais, à Toronto. Je lui ai demandé comment elle trouvait le cours de français de base, et elle m'a répondu que les élèves parlent mieux le français que le professeur.
C'est un phénomène. L'envers de la médaille de l'excellence du programme d'immersion est la conséquence accidentelle de dévaloriser le système où la majorité des étudiants prendront des cours de français de base, qui sont importants à la maîtrise d'une langue seconde. Je suis un produit de ces cours de français de base. L'immersion n'existait pas lorsque j'étais à l'école.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Merci infiniment, monsieur le commissaire.
Vous nous avez présenté dans votre exposé trois recommandations que vous aviez déjà inscrites dans vos rapports. De toute évidence, vous les présentez parce que vous jugez bon de les répéter; elles sont importantes?
M. Fraser : Oui.
La sénatrice Seidman : J'aimerais vous interroger à ce sujet, si vous me le permettez. Votre deuxième recommandation est la suivante : « Je recommande de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, ainsi qu'avec les établissements d'enseignement postsecondaire, pour augmenter le nombre de programmes qui offrent aux étudiants la possibilité de suivre des cours dans leur seconde langue officielle. » Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par là?
M. Fraser : Quand je suis entré en poste, je souhaitais essayer de voir comment les universités en situation de langue majoritaire pouvaient améliorer leur offre de cours dans l'autre langue officielle. Nous avons effectué une étude, et nous avons découvert qu'il existe divers programmes et échanges, mais qu'ils sont relativement méconnus. Il faut vraiment les chercher; on leur fait peu de publicité. Quand nous avons présenté cette étude à l'Association des universités et des collèges du Canada, leurs membres ont très bien réagi, mais ils nous ont dit : « Nous serions ravis de le faire, à condition d'avoir plus d'argent. » Je pense que toute discussion sur l'éducation en vient assez vite aux questions d'argent.
Le gouvernement fédéral contribue déjà considérablement à l'apprentissage d'une langue seconde et à l'éducation dans la langue en situation minoritaire, mais je crois qu'il y a des façons dont le gouvernement fédéral, à titre d'employeur, pourrait envoyer un message aux universités. L'exemple que je donne toujours, c'est que si les écoles d'architecture ou de génie n'offraient pas une formation adéquate à leurs diplômés, les firmes de génie et d'architecture seraient assez promptes à aller voir les dirigeants de ces institutions pour leur dire : « Écoutez, vous ne donnez pas à vos étudiants ce dont nous, les employeurs, avons besoin. » Je pense que le gouvernement fédéral a la responsabilité de lancer un message. Les sous-ministres se sont fait dire clairement qu'ils sont les recruteurs en chef du gouvernement fédéral dans leur domaine respectif et qu'ils devraient faire passer le message aux universités de leur région où ils recrutent des candidats. Pour les affaires étrangères, le message est assez clair. Les gens savent que s'ils veulent devenir diplomates canadiens, ils doivent parler les deux langues officielles du Canada. Il n'est toutefois pas nécessairement aussi clair, si l'on s'intéresse aux ressources naturelles et qu'on envisage de travailler pour le service météorologique, par exemple, que la langue devrait nécessairement faire partie de la formation reçue.
J'ai été sidéré de découvrir à quel point il y a peu de programmes d'administration publique qui comprennent un volet de formation linguistique. C'est presque comme si les dirigeants de ces institutions se disaient : « Nous n'avons pas à nous en soucier, parce que le gouvernement fédéral va former ces personnes si elles vont travailler pour lui. »
Comme je suis certain que différents témoins vous l'ont dit, plus on est jeune, mieux c'est pour apprendre une langue, et c'est vrai aussi pour les jeunes adultes. J'ose dire qu'il est beaucoup plus facile pour un étudiant d'apprendre une langue seconde à l'université, et que cela coûte bien moins cher, que ce ne l'est pour un bureaucrate de 45 ans.
La sénatrice Seidman : Tout est encore une question de continuum.
M. Fraser : Oui.
La sénatrice Seidman : Cela me fait penser à une autre difficulté dont nous avons entendu parler. Il semble que les jeunes, les jeunes anglophones qui essaient d'apprendre le français dans le reste du pays, pas au Québec, commencent à décrocher vers l'âge de 14 ans. Au Québec, c'est le contraire. Les anglophones améliorent leur français à l'adolescence et pendant la vingtaine. Peut-être ont-ils plus accès à ce continuum.
M. Fraser : Je pense que cela dépend simplement du milieu de vie. L'un des énormes avantages de l'expérience de l'apprentissage en immersion mené à Saint-Lambert, au Québec, c'est que quand ces étudiants quittaient la salle de classe et marchaient vers l'arrêt d'autobus, ils se trouvaient en milieu francophone. Quand un étudiant fréquente une école d'immersion, même à Ottawa donc imaginez ce que c'est à Prince George, dès qu'il quitte la salle de classe pour entrer dans le corridor, et je ne parle même pas des terrains de jeu et de la rue, la langue apprise n'est plus présente dans sa vie.
La sénatrice Seidman : Exactement. C'est donc une partie de la difficulté, le milieu social et culturel.
Vous parlez de cours dans la seconde langue officielle à l'université, mais qu'en est-il au primaire et au secondaire? Plutôt que d'offrir simplement une classe de 45 minutes en français, on pourrait enseigner les maths en français, peut- être même quelque chose d'autre, pour que les étudiants puissent appliquer ce qu'ils apprennent, non?
M. Fraser : C'est justement le principe de l'immersion, et il y a toutes sortes de façons de l'appliquer.
Il y a une nouvelle formule qui gagne en popularité depuis quelques années, c'est l'idée d'une année de français intensif, où pendant toute l'année, je pense que c'est habituellement en sixième année, il y a vraiment un effort intensif pour que l'élève fasse toute son année en français, puis continue selon un ratio de 50-50 ou 70-30. Mais même quand un élève participe à un programme d'immersion, une fois qu'il arrive à l'école secondaire, beaucoup de programmes sont offerts en anglais seulement. Tout dépend de la commission scolaire et de l'école, mais je pense qu'il est rare qu'il y ait un système d'immersion qui permette à l'élève de passer 100 % de son temps dans sa seconde langue du début à la fin.
Par ailleurs, comme je l'ai déjà dit, dans beaucoup de commissions scolaires, il y a des écoles qui se spécialisent et qui offrent des programmes spéciaux, en sport par exemple, en technologie, en robotique, et dans ce contexte, les élèves qui ont fait leur primaire et le début de leur secondaire en immersion diront : « Vous savez, j'aimerais beaucoup continuer en immersion si je pouvais suivre ce programme spécial en technologie ou en robotique en immersion, mais c'est l'orientation que je veux prendre. »
Il y a un autre aspect que je trouve important au niveau post-secondaire, c'est que tous les élèves qui ont passé 11 ou 12 ans en immersion — ce n'est plus 13 ans, mais 11 ou 12 ans — arrivent soudainement à l'université, où l'on ne leur offre aucun cours. Il y a l'Université de Calgary, qui offre un certain nombre de cours, environ six par trimestre, dans l'autre langue, et la liste de ces cours change chaque trimestre, justement pour permettre aux élèves des programmes d'immersion de poursuivre leur apprentissage linguistique.
L'Université d'Ottawa est l'une des rares universités à offrir un véritable programme d'immersion postsecondaire, et elle innove de deux ou trois façons que je n'ai pas observées dans d'autres programmes. Elle offre un programme de mentorat, grâce auquel un étudiant plus âgé accompagne un étudiant de première année. Donc si cet étudiant prend un cours de physique en français, par exemple, pour toutes les deux heures de laboratoire et de cours magistral, le mentor offre une heure de tutorat pour vérifier que l'étudiant comprend bien les concepts et le vocabulaire. Les étudiants ont aussi l'option, s'ils craignent de perdre une bourse ou que leurs notes ne soient pas assez bonnes parce qu'ils suivent certains cours en français, de demander une note qualitative (satisfaisant ou non satisfaisant) pour l'un de ces cours. Évidemment, ils ne peuvent pas s'en prévaloir pour tous les cours, mais s'ils suivent un cours vraiment difficile et qu'ils craignent que leur note ne soit pas aussi bonne que s'ils l'avaient suivi dans leur langue maternelle, ils ne seront pas pénalisés pour autant.
C'est l'un des obstacles pour les étudiants, même pour ceux qui sont issus des programmes de langue française si leur école se trouve dans une région à forte prédominance anglophone. Plus on s'éloigne d'un environnement majoritairement francophone, plus l'école de langue française ressemble à une école d'immersion. Les étudiants ont parfois l'impression, lorsqu'ils sortent de ces écoles, que leur français n'est pas vraiment assez bon pour suivre des cours à l'université.
[Français]
La présidente : Étant donné que plusieurs personnes veulent poser des questions, j'encourage des questions et des commentaires aussi brefs que possible.
La sénatrice Poirier : Monsieur le commissaire, quelle est la proportion des personnes de langue maternelle française au Canada qui sont bilingues comparativement aux personnes de langue maternelle anglaise? Avez-vous des statistiques?
M. Fraser : La proportion varie plus ou moins d'un recensement à l'autre, mais environ 48 p. 100 des francophones sont bilingues. Donc, environ 60 p. 100 des francophones au Canada sont unilingues, et il y en aurait environ 4 millions. Quant aux anglophones, je crois que 6 p. 100 sont bilingues, ce qui correspond environ à 2,5 millions d'anglophones bilingues au Canada.
La sénatrice Poirier : Donc, c'est 6 p. 100 comparativement à 48 p. 100. Est-ce bien cela?
M. Fraser : Oui.
La sénatrice Poirier : J'étais curieuse de connaître votre opinion, car, étant donné que le Nouveau-Brunswick est considéré comme étant une province officiellement bilingue, cela ne veut pas dire que tous ses habitants sont bilingues. Cela signifie que les services doivent être offerts dans les deux langues officielles.
Il y a une ou deux semaines, un groupe d'anglophones de chez nous a fait des pressions, parce qu'il croyait qu'il ne bénéficiait pas des mêmes droits concernant certains postes pour lesquels le bilinguisme est toujours exigé. À votre connaissance, est-ce que le nombre de programmes offerts aux francophones pour l'apprentissage d'une deuxième langue est égal au nombre de programmes offerts aux anglophones?
M. Fraser : Je n'ai pas chiffré cela en termes de programmes, mais je dirais qu'à certains niveaux, les occasions d'apprentissage existent pour tous ceux qui ont accès à la radio ou à la télévision.
Au Canada, on a la chance d'avoir accès à l'autre langue officielle à l'aide d'un bouton ou d'un cadran. Si on veut vraiment améliorer sa langue seconde, on peut tout simplement ajuster la radio dans la voiture. Toutefois, en ce qui concerne le nombre spécifique de programmes, je n'ai pas ce chiffre.
La sénatrice Poirier : C'est bien ce que je pensais. Les occasions d'apprendre une deuxième langue sont les mêmes pour les deux langues.
J'ai une dernière question. On a beaucoup entendu dire, de la part des témoins qui ont comparu à nos séances de comité, qu'il y avait des variations d'une province à l'autre en ce qui concerne le nombre d'heures d'étude en classe qui est requis pour apprendre une langue seconde, le niveau auquel on devait commencer son apprentissage, ou le fait que l'étude soit obligatoire ou non après un certain nombre d'années scolaires. D'après vous, il s'agit d'un défi.
Quelles suggestions auriez-vous pour aider à relever ce défi de sorte que l'approche soit plus uniforme dans la façon d'enseigner la deuxième langue pour mieux préparer les étudiants afin qu'ils soient sur un même pied d'égalité avec les autres lorsqu'ils entament leurs études postsecondaires?
Avez-vous idée du nombre de provinces qui seraient intéressées? Je sais qu'il s'agit d'une compétence provinciale, mais y a-t-il quelque chose que l'on puisse faire pour ramener tout cela ensemble?
M. Fraser : Lorsque je m'adresse aux visiteurs étrangers, je leur dis souvent que les Pères de la Confédération ont décidé que tous les outils importants seraient entre les mains du gouvernement fédéral, comme la défense, les grands outils de l'économie, par exemple, et que les éléments secondaires, triviaux, comme l'éducation et la santé, seraient entre les mains des provinces.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, la population canadienne a eu une option différente de celle des Pères de la Confédération. Souvent, les conflits fédéral-provinciaux résident dans cette division des responsabilités selon laquelle tous les gouvernements reconnaissent que la population croit que les questions de santé et d'éducation sont d'une grande importance. Ainsi, tous les gouvernements veulent jouer un rôle à cet égard.
Lorsqu'on fait face à la réalité du fédéralisme canadien, le pouvoir du gouvernement fédéral de dicter la façon de faire est assez limité dans le domaine de l'éducation. On peut offrir des incitatifs, discuter des meilleures pratiques, offrir des bourses, ou organiser un système d'échange. En résumé, il y a toute une série d'initiatives que l'on peut prendre, qui ne concernent pas la salle de classe, mais dès qu'il est question de l'école, de l'enseignant et de la salle de classe, il s'agit pleinement de la compétence provinciale.
La sénatrice Chaput : Monsieur le commissaire, depuis plusieurs années, vous proposez des solutions et offrez des suggestions de meilleures pratiques d'apprentissage d'une langue seconde. Dans votre rapport de 2009-2010, vous aviez proposé de bonnes pratiques et des secteurs prioritaires qui pouvaient être des facteurs de réussite de l'apprentissage. Aujourd'hui, en 2015, ces bonnes pratiques et ces secteurs prioritaires que l'on retrouvait dans votre rapport de 2009 sont-ils toujours de mise? Y en aurait-il d'autres à ajouter? Sont-ils applicables et pertinents pour les deux communautés de langues officielles, qu'il s'agisse d'apprendre l'anglais au Québec ou le français à l'extérieur du Québec?
M. Fraser : Oui, les meilleures pratiques continuent de s'appliquer. Je n'ai pas de nouveauté à ajouter à cette liste. En ce qui concerne les différences qui existent, il faut reconnaître qu'il est plus facile pour un étudiant francophone en situation majoritaire ou minoritaire d'avoir accès à l'anglais populaire dans son milieu que pour un jeune anglophone dont la communauté francophone n'est pas nécessairement à proximité. Toutefois, il y a beaucoup de municipalités, de villes ou de villages où vivent des communautés minoritaires. J'ai déjà encouragé des écoles d'immersion à établir de meilleurs contacts avec des écoles françaises. Dans certains cas, il y a une collaboration, ou certainement des voies de collaboration possibles pour organiser des spectacles, des concours oratoires ou d'autres événements de nature culturelle, ou encore pour partager ses lectures, mais il faut reconnaître que la question de l'espace francophone est souvent plus difficile à trouver si on vit loin du Québec.
La sénatrice Chaput : Brièvement, si je comprends bien, M. le commissaire, il est plus difficile pour le jeune anglophone d'apprendre le français n'importe où au Canada?
M. Fraser : Oui. Il y a une présence internationale de l'anglais grâce au cinéma, à la télévision, au sport international, ou à toutes sortes d'éléments culturels qui exercent un pouvoir d'attraction sur les jeunes. Cela ne veut pas dire qu'il est impossible pour le jeune anglophone de trouver ces éléments culturels, mais il faut plus de détermination de sa part.
La sénatrice Chaput : Je comprends. Merci, monsieur le commissaire.
La sénatrice Jaffer : Merci, commissaire Fraser, de votre présentation. Comme vous le savez, je suis de la Colombie- Britannique.
M. Fraser : Oui.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : D'où je viens, dans ma province, Ottawa semble vraiment parfois très loin, et nous avons notre propre culture. Parfois, quand j'arrive ici, j'ai l'impression d'arriver d'un autre pays; nous sommes très différents.
Nous avons donc des besoins différents. Au sujet des immigrants et des allophones, je peux vous dire que les gens avec qui je travaille et que je côtoie veulent du français. Mais seulement pour vous donner un petit exemple, quand mon petit-fils a voulu une place dans une école d'immersion française, ma belle-fille a présenté des demandes à 13 écoles. Il n'a toujours pas obtenu de place. Au bout de trois mois, il a réussi à obtenir une place sur une liste d'attente. Il y a de l'intérêt en Colombie-Britannique. Le besoin d'écoles d'immersion française est très grand dans ma province, même si nous sommes loin d'Ottawa.
Au sujet du leadership nécessaire pour ces trois choses ou de ce que le gouvernement doit faire, puis-je souligner avec le plus grand respect qu'il faudrait d'abord nous poser la question la plus importante, c'est-à-dire « qui sommes-nous? »
[Français]
Qui sommes-nous en tant que Canadiens? Pour moi, la dualité est vraiment importante.
[Traduction]
Dans ma province, par exemple, les gens vont nous demander pourquoi nous voulons apprendre le français. Il y a des Panjabis et des Chinois, et leurs langues d'origine sont enseignées aussi. Le rôle le plus important que le gouvernement fédéral devrait jouer, particulièrement pour ceux qui viennent de si loin, c'est de se demander qui nous sommes, et nous devrions davantage mettre l'accent sur les langues, sur la nécessité de parler les deux langues. Ce qui arrive, c'est que nous parlons des immigrants, mais les gens qui sont nés ici et qui vivent ici ne s'approprient souvent pas les deux langues. On parle des immigrants, mais ils ne font qu'apprendre des gens qui les entourent.
Je pense que le gouvernement fédéral a un rôle de leadership très important à jouer pour souligner l'importance des deux langues dans tout le pays. J'aimerais entendre ce que vous en pensez.
M. Fraser : Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Permettez-moi de renchérir sur ce que vous dites au sujet de l'intérêt pour l'immersion en Colombie-Britannique. Il y a quelques années, j'étais en Colombie-Britannique, et le père d'un personnage très connu en Colombie-Britannique me disait avec fierté que son fils, son gendre et lui étaient restés debout toute la nuit pour faire la file à tour de rôle pour que sa petite-fille obtienne une place en immersion. Il y a une partie de moi qui s'est dit : « Ne sommes-nous pas dans un pays démocratique? Comment se fait-il que cette personne très importante n'obtienne pas d'accès spécial pour ses enfants au programme d'immersion? » Une autre partie de moi s'est dit qu'il est extraordinaire que ce soit ainsi que se répartisse l'accès à une ressource éducative importante. Si c'était la façon dont on pouvait avoir accès à l'enseignement de l'algèbre ou de la trigonométrie, on crierait immédiatement au scandale et on dirait que la région souffre d'une offre déficiente en matière d'éducation si l'on décide au hasard de la qualité de l'éducation de nos enfants. On distribue les places dans les écoles comme on distribue des billets pour un spectacle des Rolling Stones, et je pense que cela indique clairement quels sont les effets des plafonds financiers.
Il y a un chercheur en Colombie-Britannique, dans les années 1980, qui avait prédit que si l'immersion continuait de gagner en popularité au même rythme que pendant les années 1980, il y aurait un million d'élèves en immersion en 2000. Eh bien, le financement a été gelé et il reste assez stable à 300 000 $ depuis. Ces places limitées sont donc distribuées au hasard, selon la règle du premier arrivé, premier servi. Et il n'y a pas que les places dans les programmes d'immersion qui sont limitées. Nous avons vu dans l'affaire de l'école Rose-des-vents que la commission scolaire a dû s'adresser à la Cour suprême pour pousser le gouvernement de la Colombie-Britannique à reconnaître son obligation de répondre à la demande croissante et d'offrir un accès vraiment équitable à l'éducation.
Il y a une décision de la Cour suprême qui est attendue cette semaine au Yukon, où le gouvernement territorial a répondu aux demandes d'agrandissement d'une école de langue française en plein essor que si l'on en expulsait les élèves qui n'y ont pas droit selon l'article 23, il ne serait pas nécessaire d'agrandir l'école. Il sera intéressant de voir si la Cour suprême suivra sa propre tradition d'interpréter l'article 23 de façon généreuse.
Bref, la demande est là, elle augmente, et l'offre semble rester pas mal la même, puisque les commissions scolaires offrent de la résistance.
Il y a une réalité qui entre en ligne de compte : il n'existe pas de droit constitutionnel à l'apprentissage d'une langue seconde. La Constitution protège le droit des membres de la minorité d'avoir accès à des écoles dans la langue minoritaire.
Je suis totalement d'accord avec vous pour dire que la façon la plus efficace de favoriser l'apprentissage de la langue seconde est de rappeler l'importance des deux langues pour l'identité du Canada, pour que ce soit une inspiration plutôt qu'une obligation. Je pense que les élèves et leurs parents répondent bien à cette inspiration.
L'une des raisons pour lesquelles beaucoup de familles immigrantes à qui je parle veulent tellement que leurs enfants apprennent une seconde langue, c'est qu'elles ont l'impression que leurs enfants vont devenir plus Canadiens de ce fait. Je pense qu'il ne faut pas sous-estimer la puissance du message que le Canada a envoyé en nommant deux gouverneures générales de suite arrivées au Canada à titre de réfugiées et membres d'une minorité visible : Adrienne Clarkson, qui s'était jointe à la communauté anglophone, et Michaëlle Jean, qui s'était jointe à la communauté francophone. Elles avaient toutes les deux décidé en grandissant que pour être des participantes à part entière à la vie publique du pays, elles devaient devenir non seulement compétentes, mais éloquentes dans les deux langues officielles. Quand elles sont devenues gouverneures générales, l'une et l'autre, nous avons envoyé un message extrêmement puissant aux diverses régions du pays selon lequel c'est un aspect essentiel du succès et de l'identité du Canada.
La sénatrice Jaffer : Merci.
[Français]
La présidente : Monsieur le commissaire, la sénatrice Fortin-Duplessis aimerait vous poser une question concernant votre rapport annuel dans le cadre de cette partie de notre réunion. Il ne nous reste que quelques minutes.
Le sénateur Maltais : J'aurais une brève question complémentaire à poser à M. le commissaire, après la sénatrice Fortin-Duplessis.
La présidente : Si monsieur le commissaire accepte de rester un peu plus longtemps.
M. Fraser : Tout à fait.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur le commissaire, dans votre première recommandation, au point 5, vous mentionnez ceci, et je cite :
5. Élaborer des outils et des incitatifs durables à l'intention des employeurs canadiens pour favoriser le recrutement et la sélection de travailleurs d'expression française et bilingues à l'extérieur du Québec et ainsi pallier les retards qu'ont connus les communautés francophones en termes d'immigration.
Lorsque vous avez émis cette recommandation, vous aviez sûrement en tête une idée du type d'outils et d'incitatifs durables qui sont souhaités. Pourriez-vous nous en donner un exemple?
M. Fraser : Les employeurs ne sont souvent pas assez conscients du rôle important que jouent les employés bilingues au sein de leur entreprise ou ne savent pas à quel point les immigrants peuvent mieux servir leur entreprise. Trop de dirigeants d'entreprise ne connaissent pas le programme Destination Canada, où il est possible pour les employeurs de visiter des foires d'emploi en Europe et d'avoir un lien direct avec des employés immigrants potentiels. Même si ce programme a été restreint, je crois qu'il s'agit d'une voie encore très valable pour établir ces contacts.
On pourrait penser également à des incitatifs plus précis liés à des bénéfices fiscaux. Les budgets contiennent souvent toutes sortes de petits incitatifs fiscaux pour les employeurs. Mon premier emploi en journalisme a été favorisé par un incitatif fiscal pour l'employeur. Cela ne requiert pas énormément de fonds. Bref, nous devons améliorer les communications entre employeurs et immigrants potentiels.
Le sénateur Maltais : Monsieur le commissaire, votre commissariat adresse beaucoup de demandes aux différents ministères fédéraux, chaque année. Nombre de cadres et de sous-ministres trouvent que vos formulaires de demande sont très compliqués. N'y aurait-il pas moyen de les simplifier un peu tout en obtenant la même information?
M. Fraser : C'est une bonne question, et j'en prends note. Nous tentons toujours d'améliorer nos procédures. Nous apprécions beaucoup la collaboration des sous-ministres et des ministères. Ces personnes ont à cœur d'offrir une bonne performance. Elles veulent que leur ministère respecte ses obligations linguistiques.
Je vais examiner les procédures pour voir s'il y aurait une simplification possible. Nous procédons en ce moment à la mise à niveau de notre système informatique, toujours dans l'espoir de simplifier plutôt que de compliquer notre façon de travailler. Toutefois, il est parfois compliqué de simplifier.
Le sénateur Maltais : D'autant plus que nous venons d'adopter une loi visant à réduire la paperasse. Ce sera donc un suivi.
La présidente : Monsieur le commissaire, nous vous remercions de votre présentation et de vos recommandations dans le cadre de notre étude. Nous vous félicitons pour votre dernier rapport. Malheureusement, nous n'avons pas eu la chance d'approfondir notre discussion sur le rapport que vous avez présenté le 7 mai dernier. Certains d'entre nous ne l'ont reçu qu'à la fin de la semaine dernière.
J'ai constaté également que le rapport contient une section importante sur l'immigration, un autre sujet d'importance pour notre comité. Si nous avons le temps plus tard, nous pourrons y revenir. Sinon, nous y reviendrons à une date ultérieure.
M. Fraser : Tout à fait.
La présidente : Pour la deuxième partie de cette réunion, le commissaire aux langues officielles présentera ses commentaires au sujet du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public), parrainé par la sénatrice Chaput.
Pour nos téléspectateurs, j'aimerais vous présenter de nouveau nos témoins. Nous accueillons ce soir le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser. Il est accompagné de Mme Mary Donaghy et de Me Johane Tremblay. Bienvenue à tous.
Monsieur le commissaire, veuillez nous présenter votre rapport.
[Traduction]
M. Fraser : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, bonsoir. Je voudrais d'abord vous remercier de me donner l'occasion de vous présenter ma position sur le projet de loi S-205 déposé par la sénatrice Chaput. J'appuie ce projet de loi qui vise à moderniser la partie IV de la Loi sur les langues officielles.
[Français]
Vous avez reçu mon mémoire qui énonce plus en détail mon analyse du projet de loi. Ma présentation se limitera donc à en souligner quelques points saillants.
D'abord, je crois qu'il est effectivement nécessaire de moderniser la partie IV de la Loi sur les langues officielles, et ce, pour au moins deux raisons.
[Traduction]
La première, c'est que le critère relatif à la spécificité des minorités n'a pas été retenu dans le Règlement d'application de la partie IV (adopté en 1991), et ce, malgré l'importance que le ministre de la Justice de l'époque, le très honorable Ramon Hnatyshyn, accordait à ce critère. Lors de sa comparution devant le comité législatif responsable d'étudier la Loi sur les langues officielles de 1988, il avait exprimé l'avis suivant :
Certaines caractéristiques de cette population, telles que ses institutions religieuses, sociales, culturelles ou d'enseignement (...) donnent — mieux que le font les chiffres seuls — une bonne indication de sa vitalité et de ses possibilités.
[Français]
La deuxième raison, c'est que les critères numériques prévus au paragraphe 32(2) de la loi et utilisés dans le règlement pour définir la demande importante ne permettent pas de tenir compte de toutes les personnes qui utilisent la langue de la minorité dans la sphère privée ou publique. Par exemple, l'application des critères actuels a pour effet d'exclure au moins trois catégories de personnes de l'évaluation de la demande importante. Ce sont des personnes dont la première langue officielle parlée n'est pas la langue de la minorité, mais qui parlent la langue de la minorité au foyer, comme cela peut être le cas d'un certain nombre de couples exogames, de nouveaux arrivants et de francophiles ou d'anglophiles, ou qui parlent la langue de la minorité dans leur milieu de travail, ou qui reçoivent leur éducation dans la langue de la minorité.
[Traduction]
J'aimerais maintenant attirer votre attention sur une des dispositions du projet de loi qui a suscité davantage de discussions au sein de votre comité. Il s'agit de l'article 5 qui vise à modifier le paragraphe 32(2) de la Loi sur les langues officielles.
Il faut comprendre que l'objectif du paragraphe 32(2) n'est ni de définir qui est un francophone ni de déterminer qui devrait être inclus dans les communautés francophones minoritaires. Il ne s'agit pas non plus de déterminer qui est un anglophone au Québec, ni d'évaluer l'effectif des communautés d'expression anglaise au Québec.
[Français]
Cela dit, les critères numériques prévus au paragraphe 32(2) pour évaluer la demande potentielle des services dans la langue de la minorité devraient être inclusifs et pertinents, tout en tenant compte de l'objet de la partie IV de la loi. Ainsi, ce ne sont pas toutes les personnes qui peuvent communiquer dans la langue de la minorité francophone ou anglophone qui choisiront de recevoir des services publics dans la langue de la minorité. Toutefois, les personnes qui utilisent la langue de la minorité dans la sphère privée ou publique pourraient faire ce choix. Cela serait clairement le cas des trois groupes de personnes mentionnés plus haut.
[Traduction]
Pour conclure, ce troisième projet de loi déposé par la sénatrice Chaput est tout aussi important et nécessaire que l'a été le projet de loi S-3 adopté en 2005 afin de modifier la partie VII. En effet, le projet de loi S-205 contribue à réaliser l'objectif de la partie IV tout en permettant aux minorités de langue officielle de consolider leur identité, de se développer et de s'épanouir.
Je vous remercie. C'est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions et à celles de vos collègues.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur le commissaire, mesdames Tremblay et Donaghy, soyez les bienvenus.
On a entendu à maintes reprises qu'il est nécessaire de moderniser la Loi sur les langues officielles et son règlement, ceux-ci n'ayant pas été modifiés depuis 1992. La question que je vais vous poser est plutôt technique : en ce qui concerne le volume de travail et les délais d'enquête, avez-vous, à l'heure actuelle, les ressources nécessaires afin de mettre en œuvre ces modifications proposées par la sénatrice Chaput?
M. Fraser : Vous savez, ce n'est pas moi qui écris le règlement ou qui le modifie. J'ai un rôle de prestation de conseils, de surveillance et d'enquête. Ma responsabilité est de déterminer quel serait l'impact des projets de loi sur la dualité linguistique et la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ce n'est pas nous qui allons rédiger le règlement. Nous appuyons ce projet de loi pour les raisons que j'ai énumérées, et il y a plusieurs éléments que je trouve extrêmement importants, en plus de ceux que je viens de vous souligner dans ma déclaration : comment peut-on souligner l'importance du public voyageur dans ce rapport, et, également, mettre fin aux règles strictement numériques, surtout en termes de pourcentage.
J'ai toujours pensé que le fait d'utiliser des pourcentages pour définir les droits de la minorité était injuste, parce que cela laisse la croissance de la majorité définir les droits et les services de la minorité, même si la minorité croît.
En 1991, lorsque ce règlement a été présenté et modifié, le taux d'immigration n'était pas aussi élevé qu'il l'est maintenant. Depuis, dans le cadre du taux d'immigration, seulement 2 p. 100 des immigrants à l'extérieur du Québec sont francophones. Plus nous continuerons d'utiliser un pourcentage pour définir l'accès aux services et aux droits, plus les communautés minoritaires seront défavorisées.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci. S'il reste du temps, j'aimerais poser une question au deuxième tour.
La sénatrice Chaput : Monsieur le commissaire, j'aurais une question sur ce que je considère comme étant la clé de ce projet de loi : la vitalité institutionnelle.
Il y a une communauté active qui s'est donné des institutions. D'après moi, c'est l'un des critères principaux dont le gouvernement devrait tenir compte pour évaluer la demande potentielle. Quelle est votre opinion sur ce sujet? J'aimerais que vous expliquiez au comité comment vous percevez le critère de vitalité institutionnelle.
M. Fraser : Je pense que le critère de la vitalité institutionnelle est extrêmement important. Tout d'abord, avec ma prédécesseure, et dans le cadre de mon mandat, nous avons fait une série d'études sur la vitalité de communautés en situation minoritaire, et nous avons trouvé que l'élément de vitalité institutionnelle était extrêmement important.
Cela répond peut-être aux inquiétudes que j'ai pu sentir derrière la question de la sénatrice Fortin-Duplessis. Il n'est pas plus difficile de trouver des institutions que de calculer le pourcentage. Est-ce qu'il y a une école? Un centre communautaire? Des médias communautaires? D'autres institutions de la communauté? Une association d'avocats, de gens d'affaires? Ce sont tous des éléments qui révèlent l'existence et la vitalité d'une communauté.
Un autre élément important du projet de loi est l'exigence de consultation. Le dialogue qui en résulte pourrait établir efficacement cette vitalité institutionnelle.
La sénatrice Chaput : Si nous en avons le temps, j'aurais une autre question à poser au deuxième tour.
Le sénateur Maltais : Commissaire Fraser, nous nous sommes connus à une autre époque, dans un autre Parlement, en pleine crise linguistique. Ici, le projet de loi S-205 vise à protéger les minorités. À l'inverse, au Québec, nous devions protéger la majorité. Nous avons été défaits trois fois de suite en Cour suprême. Il a fallu invoquer la disposition de dérogation avec la Loi 178 et l'améliorer avec la Loi 86.
N'avez-vous pas peur que le projet de loi S-205 vienne heurter de front la loi linguistique du Québec et la Charte de la langue française, et qu'on s'enlise encore dans des débats juridiques interminables et coûteux?
M. Fraser : Non, pas du tout. Je ne pense pas que l'avenir de la langue française dépend de la fermeture des bureaux fédéraux en région au Québec. L'un des témoins du Conseil du Trésor a parlé des 84 points de service évalués en termes de recensement; or, aucun de ces points de service fédéraux ne serait fermé au Québec. Par exemple, si on modifie les critères liés au pourcentage ou les chiffres liés à la vitalité institutionnelle, cela n'influe pas sur la prestation de services à Montréal.
Là où il y a une certaine assurance de la continuité des services, c'est au niveau des services offerts dans les bureaux fédéraux. Je ne parle pas des institutions provinciales. La Charte de la langue française n'est aucunement touchée par ce projet de loi. Ce sont des bureaux de poste, des centres de services fédéraux qui seraient évalués dans leur continuité selon l'existence ou la non-existence d'institutions communautaires.
Si la communauté de Thetford Mines disparaît, par exemple, il n'y aura pas de services à dispenser. Cependant, si une communauté conserve la vitalité de ses institutions, je pense qu'elle a le droit de continuer à recevoir les services qui existent déjà.
Le sénateur Maltais : Vous savez fort bien que la Charte de la langue française protège ces petites communautés. Quant à la langue anglaise, trouvez-moi une province qui a trois universités anglophones, plusieurs collèges et écoles financés par l'État, et qui représente 20 p. 100 de la population.
M. Fraser : Mon argument ne porte pas sur le système d'éducation au Québec. Cependant, la Charte de la langue française ne s'applique pas aux institutions fédérales, et il ne s'agit pas de changements dans la prestation de services aux communautés fragiles et vulnérables.
Le sénateur Maltais : Le projet de loi S-205 n'améliore en rien ces services au Québec, puisqu'ils existent déjà.
M. Fraser : Effectivement. Ce que le projet de loi veut garantir, c'est qu'ils continuent d'exister. Prenons l'exemple de Sherbrooke. Si Sherbrooke continue à croître au rythme actuel, ou si une industrie s'implante dans la région, il est tout à fait possible que la communauté anglophone conserve sa taille actuelle, qui est assez petite.
Dans les Cantons-de-l'Est, la communauté est dispersée sur un territoire qui a la superficie de la Belgique. Cependant, si la communauté francophone croît plus rapidement que la communauté anglophone, cette dernière risque de perdre la prestation des services offerts dans les centres de services du gouvernement fédéral. Cela n'a rien à voir avec la Charte de la langue française.
Le sénateur Maltais : Écoutez. Je n'ai rien contre les communautés francophones, bien au contraire, je suis un défenseur des communautés francophones hors Québec.
Au Québec, c'est l'inverse, c'est la majorité. Commissaire Fraser, je me souviens fort bien que, lors de l'adoption de la Loi 178, plusieurs éditorialistes de journaux anglophones prédisaient la mort de l'Université Bishop, à Sherbrooke, alors que Bishop ne s'est jamais aussi bien portée de sa vie.
C'est le cas également pour les universités Concordia et McGill. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'amélioration à apporter. Cela peut se faire fort bien à l'intérieur de la présente loi au Québec. Nous avons consulté plusieurs personnes au Québec dans le cadre de l'étude du projet de loi S-205, selon lesquelles le projet de loi heurte de plein fouet la Loi 86.
M. Fraser : Dans quel sens? Je ne vois vraiment pas le lien avec la Charte de la langue française.
Le sénateur Maltais : La première fois que vous êtes venu témoigner, je vous ai posé une question à savoir ce que représentait pour vous un nombre suffisant. Vous m'avez dit alors qu'il était très difficile de répondre à cette question. Un nombre suffisant pour donner des services dans une autre langue que la langue de la majorité, qu'est-ce que c'est?
M. Fraser : Cela a été établi par la Cour suprême dans un contexte scolaire. La Cour suprême a statué qu'il n'y avait pas de chiffre absolu permettant de le déterminer de façon précise, mais que s'il y a suffisamment d'anglophones pour ouvrir une école ou un centre communautaire, pour assurer la vitalité institutionnelle, ce n'est pas la croissance de la majorité qui doit mener à l'élimination des services existants.
La présidente : Sénateur Maltais, vous pourrez poser votre dernière question au deuxième tour.
Le sénateur Maltais : Je serai très bref, madame la présidente.
Monsieur le commissaire, vous n'avez pas vécu de crise linguistique au Canada. Nous en avons vécu une au Québec.
M. Fraser : J'étais au Québec au moment du débat sur la Loi 101.
Le sénateur Maltais : Oui, je m'en souviens.
M. Fraser : J'ai passé tout l'été de 1977 au sein d'une commission parlementaire à écouter le débat sur la Loi 101, la Charte de la langue française. J'étais à St. Andrew's lorsque le premier ministre René Lévesque avait offert la réciprocité aux autres provinces. J'ai suivi cela de très près.
Le sénateur Maltais : Vous savez donc ce qui est arrivé avec la Loi 101. Le Québec a été débouté en Cour suprême, il a fallu intervenir avec la Loi 178, et c'est ce qui a fait le plus mal au cœur des Québécois, parce que pour protéger les dispositions de la Loi 101, il a fallu invoquer la clause nonobstant, c'est-à-dire suspendre la charte canadienne et la charte québécoise pour légiférer afin que le français demeure la langue de la majorité.
Je ne veux pas que le Québec soit replacé dans le temps par une autre crise linguistique. Le gouvernement subit suffisamment de pression pour modifier et remodifier la Loi 86 et, à mon avis, le projet de loi S-205 constitue une porte d'entrée à une contestation juridique.
M. Fraser : En toute sincérité, je ne vois pas comment ce projet de loi pourrait être en contradiction avec la Charte de la langue française. Ce serait la continuité des services déjà existants. Je vais demander à ma conseillère juridique, Mme Tremblay, de nous donner son opinion. Peut-être que je me trompe.
Johane Tremblay, directrice et avocate générale, Commissariat aux langues officielles : Je n'ai absolument rien d'autre à ajouter. Je pense que le commissaire a très bien répondu à la question. En fait, nous partageons l'opinion selon laquelle il n'y a aucun conflit avec la Charte de la langue française.
Le sénateur McIntyre : Monsieur le commissaire, j'attire votre attention sur votre rapport concernant les Plans et priorités de 2015-2016. Dans ce rapport, vous indiquez que le commissaire travaillera à trouver des solutions au problème lié à l'offre active et à la prestation de services de qualité égale en français et en anglais aux membres du public.
En quoi consistera exactement ce travail, et est-ce que vos démarches iront dans le même sens que le projet de loi S- 205?
M. Fraser : J'avoue que je n'avais pas fait le lien. Toutefois, nous avons entamé les démarches liées à cette étude sur l'offre active. De façon régulière, malgré le fait que cela fasse partie des obligations clairement exprimées dans la loi, nous croyons qu'il s'agit d'un élément où les institutions fédérales présentent des lacunes.
L'offre active, c'est le fait de dire : « Hello, bonjour » ou « Bonjour, hello » à un comptoir de services, et cela ne fait pas partie de la culture de services de la majorité des institutions fédérales. Nous avons souligné cette question pendant des années et, par la suite, nous avons fait des recommandations.
On dit souvent que le fait de répéter la même chose et de s'attendre à un résultat différent, c'est faire preuve de stupidité ou de folie. Nous allons tenter de savoir pourquoi les institutions fédérales ont de la difficulté à intégrer cette obligation au sein de leur culture de services.
Il y a certaines exceptions, toutefois. Avant les Jeux olympiques, certaines institutions, comme Parcs Canada, ont fait l'effort d'expliquer à leurs employés la nature de l'offre active et la façon de la rendre, même lorsqu'on ne parle pas les deux langues. On essaie donc d'aller au fond des choses — cette année est l'exception —, et on remarque que, depuis un certain nombre d'années, il y a une tendance à la baisse en ce qui concerne le nombre de plaintes.
Nous avons décidé de faire une étude pour déterminer si la situation était semblable à celle que d'autres bureaux de l'ombudsman avaient vécue. Nous avons communiqué avec 22 bureaux d'ombudsman et avec d'autres agents du Parlement, des bureaux d'ombudsman au Canada et à l'international. J'ai remarqué, lorsqu'on m'a donné une mise à jour de l'état de cette étude, que tous ceux avec qui nous avions communiqué ont été non seulement très généreux de leur temps et de leur participation, mais aussi très intéressés par le résultat final. Tout le monde veut savoir ce qu'on a découvert. Lorsqu'on voit une tendance, des répétitions, on se demande pourquoi. C'est la raison pour laquelle nous ferons cette étude sur l'offre active et sur l'évaluation de la prestation de services.
Dans un an, je déposerai mon dernier rapport annuel. J'ai pensé que la première question que vous me poseriez l'an prochain serait celle-ci : « Monsieur le Commissaire, vous avez été en poste pendant 10 ans. Avez-vous fait mieux? Est- ce la stagnation ou le recul? »
Pour pouvoir répondre à cette question, il fallait faire une réévaluation des institutions et revoir les observations faites en début de mandat. Nous allons donc faire des observations sur 32 institutions. Il y en aura 17 cette année, et le reste ira à l'an prochain, afin de faire une comparaison en guise de conclusion. Je m'attends à ce que certaines institutions aient fait du progrès, que d'autres présentent des résultats qui seront plus ou moins les mêmes, et qu'il y ait du recul dans certaines institutions. Je spécule, ici. Je ne crois pas qu'il y aura un élément universel, à savoir que la situation s'est améliorée partout ou s'est détériorée partout. J'ai remarqué que dans certaines institutions, il y a vraiment eu un engagement de la part de la direction d'améliorer la situation, alors que dans d'autres, il y a des problèmes récurrents, où je m'attends à ce que les résultats soient les mêmes que ceux que nous avions obtenus au début de mon mandat.
La présidente : Merci. Avant de passer au deuxième tour de questions, j'aimerais vous poser une question, monsieur le commissaire, si vous me le permettez.
Ma question concerne la fermeture de certains bureaux fédéraux à la suite du recensement de 2011. À la suite de cet exercice de révision de l'application du règlement, il y a eu perte de désignation linguistique pour 74 bureaux fédéraux. Si le critère de la vitalité institutionnelle avait été utilisé plutôt qu'une statistique arbitraire, est-ce que ces bureaux auraient pu garder leur désignation linguistique?
M. Fraser : C'est difficile à dire sans avoir fait l'analyse de tous ces points de services, mais on peut penser qu'un certain nombre desdits bureaux auraient gardé leur statut. Cependant, c'est difficile à dire de façon définitive sans avoir fait une analyse institutionnelle, comme le prévoit le projet de loi.
La présidente : Croyez-vous que, pour le public voyageur, le projet de loi S-205 exigerait un accès public à des services dans les deux langues officielles dans les grands centres de transport? Croyez-vous que ce soit essentiel?
M. Fraser : En un mot, oui, mais je vais m'expliquer. Il y a deux éléments centraux liés à la prestation de services et deux cibles de la politique linguistique qui sont, d'une certaine façon, foncièrement différentes. D'abord, il y a des gens qui habitent dans un espace où des mesures sont nécessaires pour assurer la vitalité de cette communauté. Ce sont des mesures qui appuient une collectivité.
Ensuite, il y a le voyageur. Le voyageur est souvent un individu, ou parfois une famille, qui se retrouvent seuls et dans une situation vulnérable. C'est le voyageur qui utilise un réseau de transport, mais qui doit aussi utiliser d'autres réseaux. Par exemple, il peut s'inscrire en arrivant à l'aéroport à l'aide d'une machine électronique ou même sur Internet avant de se rendre à l'aéroport. Ces services sont très importants pour l'individu, mais ils n'aident pas nécessairement la communauté. L'individu en voyage a un besoin d'information, surtout si la situation change, pour savoir si les vols sont annulés ou s'il y a une tempête de neige. Les règlements qui existent actuellement dans les aéroports qui reçoivent un million de passagers ou plus sont vraiment désignés en fonction des besoins du voyageur qui doit recevoir des renseignements dans sa langue.
Il faut toujours considérer ces deux concepts, le réseau linguistique et l'espace linguistique. Le système des transports est le grand réseau canadien qui facilite nos déplacements et nos communications et qui permet aux Canadiens de voyager partout au Canada sans avoir l'obligation d'apprendre la langue de la majorité dans la région visitée. Il s'agit souvent de points de contact où ces personnes peuvent savoir qu'elles auront les renseignements dont elles ont besoin dans leur langue.
Je me souviens avoir parlé à un animateur de télévision très critique de mon rôle en tant que commissaire aux langues officielles, quant à la Loi sur les langues officielles et aux obligations linguistiques. Il m'a dit, quand je l'ai croisé dans la rue : « Je dois vous avouer que, lors d'un congrès à Québec, dans le taxi me menant à l'aéroport, j'avais un sentiment de soulagement en sachant je pourrais y être servi en anglais. » Pour moi, cela confirmait mon impression que le voyageur de langue minoritaire se sent vulnérable et cherche ses ressources linguistiques dans les réseaux de transport.
La présidente : Croyez-vous que le projet de loi S-205 répond à ces besoins?
M. Fraser : Oui. Il souligne les deux éléments importants : le public voyageur et l'espace communautaire.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma question s'adresse à Me Tremblay. Selon les juristes qui ont témoigné, le gouvernement doit prendre des mesures pour se conformer à la jurisprudence et respecter les obligations constitutionnelles de la Charte canadienne des droits et libertés. Êtes-vous d'accord avec eux pour dire que le projet de loi S-205 contient les mesures nécessaires pour accomplir ceci, c'est-à-dire se conformer à la jurisprudence et respecter les obligations constitutionnelles?
Mme Tremblay : Merci beaucoup pour la question. Effectivement, le projet de loi S-205 permettrait d'une part au gouvernement de tenir compte davantage du caractère réparateur des droits linguistiques qui sont garantis par la charte. Ce que j'entends par caractère réparateur, c'est que les droits linguistiques doivent permettre aux communautés minoritaires du pays de se développer et de s'épanouir.
Les modifications apportées par le projet de loi visent justement à faire en sorte que la vitalité institutionnelle des communautés soit le critère principal pour définir la demande importante. Cela contribue certainement à renforcer l'identité de ces communautés. S'il y a plus de bureaux fédéraux qui offrent le service dans les deux langues, cela fait partie d'éléments qui contribuent à la vitalité des communautés de langues officielles, et cela rejoint donc l'aspect réparateur des droits linguistiques.
L'autre aspect qui, à mon avis, est très important dans le projet de loi S-205, c'est le principe de l'accès à des services de qualité égale qui a été défini par la Cour suprême dans l'affaire Desrochers, dont la fondation est l'obligation de tenir compte des besoins des communautés lorsque le gouvernement développe, met en place et offre des services.
Clairement, le projet de loi impose au gouvernement l'obligation de consulter les communautés sur la qualité des services offerts dans les deux langues officielles. À cet égard, le caractère réparateur des droits linguistiques et l'accès à des services de qualité égale — deux principes reconnus par la Cour suprême au cours des 10 dernières années, mais avant que le règlement ne soit adopté, en 1991 — sont au cœur de ce projet de loi et expliquent les raisons pour lesquelles le commissaire y donne son appui.
La sénatrice Chaput : Comme vous le savez, je suis la marraine du projet de loi S-205, et j'aimerais vous dire à quel point je suis reconnaissante que le Sénat du Canada nous ait permis de tenir ce débat politique. Je crois sincèrement que c'est en discutant et en débattant des dossiers que l'on arrive à mieux comprendre les réalités de chacun, parce que le Canada est un vaste et grand pays.
J'aimerais aussi mentionner que je suis très sensible aux préoccupations de certains de mes collègues que j'ai écoutés très attentivement. Je les remercie pour leur courage et leur honnêteté à partager avec nous ce qui les préoccupe le plus au sujet de ce projet de loi.
Monsieur le commissaire, dans la mise en œuvre du projet de loi S-205, qu'il soit amendé ou non, croyez-vous qu'il serait possible de créer des règlements entièrement différents pour l'une ou l'autre des provinces, à tout le moins pour les provinces majoritairement anglophones d'un côté et, ensuite, pour la province majoritairement francophone, qui est le Québec?
M. Fraser : Tout est possible. On vit dans un système de fédéralisme asymétrique. Je vous soumets l'exemple de l'éducation confessionnelle; Terre-Neuve et le Québec ont mis fin à leur système confessionnel alors que l'Ontario continue avec le sien. On est dans un pays extrêmement asymétrique, et je crois qu'il est possible de tenir compte des craintes exprimées par le sénateur Maltais. Si ces changements représentaient une menace — je crois fondamentalement que ce n'est pas le cas —, je ne crois pas que la mise en œuvre du projet de loi doit être totalement uniforme.
Ce qui est important concernant l'exigence de consultation et l'obligation qui est stipulée actuellement dans la partie VII de la Loi sur les langues officielles, c'est que le gouvernement fédéral a l'obligation de tenir compte des besoins spécifiques des communautés, et la décision Desrochers stipule explicitement que la notion de qualité égale ne signifie pas une traduction des services conçus par la majorité. Il faut, en fonction de la partie IV de la Loi sur les langues officielles — pas la partie VII —, que les institutions fédérales tiennent compte de la nature spécifique et des besoins spécifiques de la communauté.
Je ne vois rien dans ce projet de loi qui aille à l'encontre de ces principes qui ont déjà été établis dans la loi et dans les décisions de la Cour suprême. Je donne la parole à Me Tremblay, qui pourrait ajouter quelque chose.
Mme Tremblay : J'ajouterais simplement que, pour développer le nouveau règlement, ou même si le gouvernement décidait de revoir le règlement et tenait compte justement du critère de la vitalité institutionnelle des communautés, il devra fort probablement consulter les communautés de chaque province et territoire pour déterminer quels serait les indicateurs de vitalité pertinents qui pourraient même varier d'une province à l'autre.
La province du Nouveau-Brunswick, étant la seule province officiellement bilingue, est tout de même différente des autres et, alors, la mise en œuvre d'un règlement, de modifications au règlement actuel, pourrait amener effectivement des résultats différents en raison de cette réalité et des besoins particuliers de chacune des communautés minoritaires de langues officielles.
La sénatrice Chaput : Si le projet de loi S-205 utilisait le critère de l'utilisation de la langue au lieu de la connaissance, comment pourrions-nous évaluer un tel critère? Pouvez-vous nous donner un exemple de ce qui serait différent et de la façon de l'évaluer?
M. Fraser : Je crois qu'il y a certains calculs qui sont disponibles. Par exemple, la question de la langue de travail fait partie d'un des éléments de recensement.
J'ai noté, par exemple, que dans votre communauté, à l'Université Saint-Boniface, le recteur Gabor Csepregi n'est pas considéré comme un francophone. Sa langue maternelle est le hongrois, mais il travaille en français. Je ne sais pas quelle langue il parle à la maison.
Le vice-recteur à l'enseignement et à la recherche est Peter Dorrington. Sa langue maternelle est l'anglais. Toutefois, il travaille en français. Le connaissant, je suis convaincu qu'il exige un service en français. L'ancien doyen des arts et de la faculté des sciences est Ibrahima Diallo, dont la langue maternelle est le wolof. Ce sont trois personnes qui travaillent en français, mais qui ne sont pas considérées francophones, en vertu du règlement actuel. Or, il est plus que probable que ces personnes demandent des services en français. C'est un exemple anecdotique pour illustrer comment ces gens ne sont pas considérés, à l'heure actuelle, comme des francophones. Toutefois, la tâche serait très facile, selon les données du recensement.
Pour les gens qui étudient en français, c'est un peu plus difficile. Cela exigerait une consultation avec les ministères de l'Éducation, ou en examinant le nombre d'écoles françaises ou d'immersion dans le secteur.
La sénatrice Chaput : Si je comprends bien, monsieur le commissaire, les données du recensement qui existent déjà suffiraient pour répondre à un tel critère, si jamais on adoptait cette approche?
M. Fraser : Je crois que oui, en partie. Dans le cas des gens qui utilisent le français ou la langue de la minorité au travail, il s'agirait de l'enquête nationale des ménages, qui fait partie du recensement. Dans le cas de ceux qui étudient en français, c'est un peu plus difficile, car les données ne se trouvent pas dans le recensement. Toutefois, il y a d'autres façons d'y arriver.
La présidente : Je vois qu'il n'y a pas d'autres questions. Aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Fraser : Je crois que nous avons fait le tour du dossier.
La présidente : Au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier de votre présence, ici, aujourd'hui. Je vous remercie aussi de votre engagement et de votre participation, non seulement aujourd'hui, mais pour l'ensemble de votre travail dans le dossier des langues officielles.
(La séance se poursuit à huis clos.)
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(La séance publique reprend.)
La présidente : Honorables sénateurs, je propose l'adoption d'un nouveau budget pour le Comité sénatorial permanent des langues officielles :
Que, nonobstant l'approbation par le comité, le 9 mars 2015, d'une demande de budget d'étude spéciale de 166 872 $, pour l'exercice se terminant le 31 mars 2016, le comité retire cette demande;
Que la demande du budget d'étude spéciale suivante, pour l'exercice se terminant le 31 mars 2016, soit approuvée en vue d'être soumise à l'examen du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration : pour une dépense générale de 500 $.
Honorables sénateurs, puis-je avoir une motion visant l'adoption de ce nouveau budget?
La sénatrice Fortin-Duplessis : Je propose l'adoption de cette motion.
La présidente : La sénatrice Fortin-Duplessis propose l'adoption de cette motion, appuyée par la sénatrice Chaput.
Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : Oui.
La présidente : Je vous remercie. La motion est adoptée.
(La séance est levée.)