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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 19 - Témoignages du 11 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 11 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à la 35e séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la deuxième session de la 41e législature. Le Sénat a donné mandat à notre comité d'examiner la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité.

[Français]

Mon nom est Mobina Jaffer, je représente la Colombie-Britannique au Sénat, et je suis présidente de ce comité.

[Traduction]

Avant de commencer, je vais demander à tous les membres du comité de se présenter à tour de rôle, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto, en Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario.

La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, de Toronto.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto.

La présidente : En 2000, les Nations Unies ont reconnu une réalité importante : les guerres et les conflits ont des effets différents pour les femmes. Avec l'adoption de la résolution 1325 des Nations Unies par le Conseil de sécurité, il est devenu incontestable que les conflits armés ont des répercussions distinctes et disproportionnées sur les femmes.

La résolution souligne l'importance d'une pleine participation active des femmes, dans des conditions d'égalité, à la prévention et au règlement des conflits ainsi qu'à la consolidation et au maintien de la paix. Elle enjoint les États membres à faire en sorte que les femmes participent pleinement, sur un pied d'égalité avec les hommes, à tous les efforts visant à maintenir la paix et à favoriser la paix et la sécurité. Elle invite instamment tous les acteurs à accroître la participation des femmes et à prendre en compte la parité des sexes dans tous les domaines liés à la consolidation de la paix.

L'obligation pour chaque pays d'établir un plan d'action national est selon moi un élément clé dans la concrétisation de cet engagement. On ne saurait trop insister sur l'importance de ces plans d'action nationaux. Ils font en sorte que chaque pays a des comptes à rendre, non pas aux autres États, mais bien à ses propres citoyens.

Grâce à ces plans d'action nationaux, chaque pays doit répondre de son engagement dans le contexte de la résolution 1325 des Nations Unies et des autres résolutions en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité, dans les limites de ses propres responsabilités. Chaque pays est ainsi assujetti aux normes les plus élevées qui soient et ne peut plus justifier ses lacunes en comparant sa situation à celle d'un autre État.

[Français]

C'est seulement lorsque nous nous y engagerons que nous aurons véritablement un processus de paix compréhensif et équitable, et c'est précisément au moyen de ce processus de paix compréhensif et équitable que nous serons en mesure d'assurer une paix stable, mais surtout durable.

[Traduction]

Il s'agit donc d'un engagement non seulement souhaitable, mais aussi nécessaire.

Je me réjouis à la perspective d'entendre nos deux témoins d'aujourd'hui qui connaissent très bien la résolution 1325 des Nations Unies.

Je veux souhaiter la bienvenue à Jacqueline O'Neill, directrice de l'Institute for Inclusive Security; et Sanam Naraghi-Anderlini, cofondatrice de l'organisme International Civil Society Action Network. Je ne connais personne qui pourrait nous parler mieux que ces deux femmes de la résolution 1325.

C'est un grand privilège pour nous de vous accueillir encore une fois toutes les deux. Je veux aussi profiter de l'occasion pour souligner le fait que vous acceptez toujours volontiers de mettre votre expertise à la disposition de notre comité. Nous vous en remercions.

Comme ces deux femmes travaillent à Washington, elles vont comparaître par vidéoconférence. Bienvenue à toutes les deux.

Jacqueline O'Neill, directrice, Institute for Inclusive Security : Bonjour à tous les membres du comité et merci, madame la présidente. C'est avec plaisir que je comparais encore une fois devant vous. Je veux vous remercier de votre intérêt qui ne se dément pas pour ces questions importantes. Comme je suis moi-même Canadienne, je suis toujours ravie de voir le Parlement canadien s'intéresser à ce dossier. Le travail de notre organisation vise principalement les plans d'action nationaux un peu partout sur la planète, et nous savons à quel point il est primordial que les parlementaires supervisent la mise en œuvre de ces plans d'action. Je me réjouis donc de vous voir prendre cette initiative.

L'an dernier, le gouvernement du Canada a mandaté notre organisation pour mener une évaluation indépendante du plan d'action national du Canada. J'ai pensé vous présenter ce matin les six principales recommandations que nous avons formulées à la suite de cette évaluation pour ensuite répondre à vos questions sur tous les sujets qui vous interpellent. Le gouvernement nous a autorisés à parler de nos conclusions et à vous faire part de ces recommandations. Je suis très heureuse de pouvoir le faire ce matin.

Notre première recommandation au gouvernement concernant son plan d'action national visait le renforcement des mesures de suivi et d'évaluation. Le Canada a amorcé le processus dans une position plutôt avantageuse, car son plan d'action était l'un des seuls au monde à être assorti d'un cadre de suivi et d'évaluation dès son adoption. Non seulement avait-on établi des indicateurs, mais on y désignait en outre quelles institutions seraient chargées de recueillir les données nécessaires au titre de ces indicateurs.

Il y a toutefois encore lieu d'améliorer les choses à ce chapitre. À cet effet, nous avons d'abord recommandé de fixer des points de référence et des objectifs clairs pour les différents indicateurs, de telle sorte que chacun sache bien où l'on se situe et quelles cibles sont visées en fonction de différents paramètres.

Le plan canadien souffre aussi actuellement de l'absence de ce qu'on pourrait appeler des indicateurs de résultats. Il s'agit en quelque sorte de mieux connaître les impacts de quelques-unes des activités prévues. On ne s'intéresse donc pas uniquement à l'activité comme telle, mais aussi à ses justifications et à ses résultats.

Dans le même ordre d'idées, il conviendrait également de prévoir des indicateurs de qualité. Comme la plupart de ceux établis ailleurs dans le monde, le plan d'action national du Canada cherche d'abord et avant tout à comptabiliser le nombre de personnes qui suivent une formation, le nombre d'heures d'atelier et toutes sortes de données quantitatives semblables, mais s'intéresse beaucoup moins aux répercussions de ces activités. Dans certains cas, il vaut mieux ne pas se limiter à les comptabiliser, mais utiliser toute une série de mesures procurant un point de vue différent.

En deuxième lieu, nous avons recommandé la diffusion régulière de rapports simplifiés traitant à la fois des difficultés éprouvées et des succès obtenus. Je sais que votre comité préconise vivement la publication de rapports annuels par le gouvernement dans les délais impartis. Nous avons aussi recommandé que le rapport soit simplifié et même abrégé. Pour en avoir vous-mêmes pris connaissance, vous savez à quel point ces rapports peuvent être longs. Une foule d'activités font l'objet d'un suivi dans les mises à jour que nous recevons. Cela nous fournit bien une indication de l'éventail des actions qui sont entreprises, mais il est très difficile de voir si des progrès sont effectivement réalisés et de savoir ce qu'il en est exactement grâce à ce rapport.

À notre avis, pour pouvoir vraiment tirer des enseignements de la mise en œuvre de notre plan d'action national, il faut comprendre que la simplicité donne parfois de meilleurs résultats. Ainsi, il est peut-être préférable de ne pas chercher à rendre des comptes au titre de tous les indicateurs pour se concentrer sur la présentation visuelle claire de comparaisons annuelles pour certains d'entre eux seulement.

Troisièmement, nous avons recommandé que l'on consulte la société civile de façon plus régulière et plus prévisible. Comme vous le savez, le plan d'action national du Canada ne prévoit pas de rôle précis pour la société civile. Il n'y a rien d'inscrit dans le plan lui-même. Le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement a entrepris différentes consultations. Nous avons ainsi appris que les citoyens estimaient important d'établir un calendrier de consultation avec préavis suffisant pour permettre à la société civile de s'exprimer.

Je suis heureuse de pouvoir vous dire que nous avons organisé en décembre dernier à Washington la National Action Plan Academy, un symposium auquel a participé une délégation canadienne composée de représentants du gouvernement et de la société civile. Devant les huit autres pays représentés, la délégation canadienne s'est engagée à tenir des rencontres semestrielles à dates fixes entre les instances gouvernementales et la société civile.

La quatrième recommandation visait la création d'une tribune pour la mise en commun des pratiques les plus efficaces des différentes organisations. On pourrait en apprendre bien davantage en sachant ce qui se fait de mieux dans les différents ministères et organisations comme la GRC, le ministère de la Défense nationale et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Cela peut aller du simple dîner-causerie informel au sein d'un ministère jusqu'à une cérémonie annuelle de remise de prix pour les employés et les services qui se sont distingués.

Suivant notre cinquième recommandation, il faudrait désigner parmi les cadres supérieurs des gens qui sont capables de faire ressortir l'importance de ces questions. On nous répète sans cesse qu'il est primordial de démontrer que l'intégration des femmes relève bel et bien de la responsabilité de la haute direction. À titre d'exemple, on pourrait profiter des rencontres interministérielles entre sous-ministres pour présenter régulièrement des mises à jour au sujet de la mise en œuvre du plan d'action national du Canada. Les chefs de mission pourraient aussi être tenus de faire rapport de cette mise en œuvre lors des réunions annuelles tenues à Ottawa.

Notre sixième recommandation visait la confirmation de l'engagement du Canada en faveur de son plan d'action national à titre de directive stratégique. Bien des gens nous ont dit qu'ils considéraient surtout qu'il s'agissait d'orientations générales, plutôt que d'un mandat ou d'un impératif à proprement parler. Il serait donc important que les hautes instances rappellent régulièrement que c'est bel et bien une directive. Cela pourrait se faire au moyen de messages diffusés à intervalles réguliers, peut-être chaque année, par les différents ministres à l'intention de l'ensemble de leurs employés. Il est important que cela vienne du sommet de la hiérarchie. Il n'y a pas eu de communication officielle au sujet du plan d'action national depuis sa diffusion initiale. Il serait donc primordial que l'on fasse ce rappel chaque année et, dans la mesure du possible, au début d'un exercice de planification stratégique ou budgétaire.

Je vais m'arrêter là en vous répétant que je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci.

Sanam Naraghi-Anderlini, cofondatrice, International Civil Society Action Network : Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître devant vous. C'est toujours un plaisir pour moi. Merci, madame la présidente.

J'aimerais en revenir aux aspects fondamentaux de la question. Il y a une dizaine de jours à peine, j'étais à Erbil dans le Kurdistan irakien où j'ai pu constater à mon grand désarroi à quel point l'écart est important entre la réalité sur le terrain et les grands discours qui accompagnent tout le processus des plans d'action nationaux. Je vais vous donner quelques exemples de ce que j'ai pu y observer.

J'ai participé à une rencontre régionale organisée par l'un de nos partenaires en Irak. On y avait rassemblé des femmes provenant de tout le monde arabe, et notamment de l'Irak, de la Syrie, du Liban et de la Lybie. Il était encore une fois manifeste que les femmes sont très actives sur le terrain et que même les agences des Nations Unies et les grandes organisations internationales affirment désormais ne plus être en mesure d'accomplir leur travail sans le concours local de partenaires au sein de la société civile alors même que ces organisations civiles souffrent d'un manque criant de ressources. En Irak même, après 20 années de crises successives, les organisations locales qui s'emploient à aider directement, entre autres, les personnes déplacées à l'intérieur du pays ne reçoivent aucun soutien. Une grande partie des ressources déployées ne se rendent toujours pas jusqu'à ces organisations auxquelles on demande pourtant de mettre en œuvre les programmes.

J'ai rencontré deux jeunes filles de l'âge de la mienne qui s'étaient échappées après avoir été kidnappées par l'EIIS, vendues et violées à répétition. Il est décourageant de constater qu'à l'issue de toutes nos discussions au sujet de la violence sexuelle dans les zones de conflit, on puisse en faire aussi peu dans ce contexte particulier, malgré toutes les preuves à notre disposition, pour venir en aide à ces victimes et aux autres que ne manquera pas de faire l'EIIS. Elles sont profondément traumatisées. Il n'y a que très peu, voire pas du tout, de soutien psychologique, lequel est pourtant absolument essentiel si nous voulons effectivement nous employer à faire le nécessaire en priorité.

J'ai visité un camp pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Nous avons pu y entendre les mêmes histoires qui se répètent depuis 20 ans. Les niveaux de violence fondée sur le sexe y sont incroyablement élevés, les femmes accomplissent le gros du travail dans le camp, et les filles ne vont pas à l'école parce que l'on craint qu'elles soient victimes de harcèlement en s'y rendant. Même les solutions les plus simples — les pères pourraient les accompagner ou il pourrait y avoir un autobus — ne sont pas mises en œuvre, notamment parce que les organisations locales responsables ont des ressources limitées et que la communauté internationale n'est tout simplement pas présente pour offrir l'aide requise.

Il y a aussi toutes sortes de problèmes plutôt simples, comme l'absence de serviettes sanitaires pour les femmes séjournant dans ces camps. Voilà maintenant 20 ans que nous discutons de ces questions, 15 ans depuis l'adoption de la résolution, et les mêmes problèmes ne cessent de se répéter.

J'ai aussi rencontré des femmes qui sont sur la ligne de front dans la lutte contre l'expansion de l'extrémisme. J'ai ainsi pu parler à deux veuves d'origine sunnite, bien qu'elles ne tenaient pas vraiment à parler de leur appartenance ethnique. Elles avaient aidé six soldats à se cacher de l'EIIS, avaient utilisé leurs propres ressources pour leur fournir de fausses pièces d'identité et les avaient conduits jusqu'à des points de contrôle à partir desquels ils avaient pu se retrouver en sécurité. Ces deux femmes poursuivent maintenant leurs activités en visitant les points de contrôle pour indiquer aux soldats et aux miliciens relevant du gouvernement la façon dont ils doivent traiter les civils. Nous parlons de la réforme du secteur de la sécurité et de l'importance d'une perspective d'ensemble, mais nous ne portons pas vraiment attention aux citoyens locaux qui agissent ainsi sur le terrain sans disposer des ressources dont ils auraient besoin.

Après 15 ans d'efforts dans ce dossier, nous connaissons bien les paramètres techniques. Les contacts nécessaires ont été établis entre les instances internationales et les activistes locaux. Nous savons dans une large mesure ce qu'il convient de faire et ce qui peut être réalisé, mais il est grand temps de réorienter les projecteurs vers les actions concrètes qui permettent vraiment de changer les choses.

Je vais vous soumettre en terminant une recommandation. Notre réseau a conçu le Better Peace Tool, un guide pratique à suivre pour les gouvernements et les agences des Nations Unies qui sont favorables à l'intégration des femmes aux processus de paix dans une perspective d'égalité entre les sexes. Nous avons divisé la démarche en étapes simples afin que chacun puisse voir ce qui peut être fait au moment des discussions préalables, lorsque les pourparlers sont déjà en cours et, surtout, quand vient le temps de la mise en œuvre.

Cet outil est le fruit de vastes consultations auprès des gouvernements, de la société civile et des agences internationales. Nous voulions aller au-delà de la rhétorique entourant cette résolution pour établir une norme de pratique. On ne pourra plus se contenter de dire qu'un tel pays s'est doté d'un plan d'action national ou qu'une telle agence appuie la participation des femmes. Nous devons déterminer dans quelle mesure les actions menées et les normes de pratique en usage permettent d'atteindre les objectifs visés. Notre outil est un produit très simple s'inspirant de multiples consultations qui permet de savoir comment s'y prendre. C'est selon nous la démarche qu'il convient d'adopter en considérant ce qui se passe dans chaque secteur.

Sous l'égide de l'OTAN, nous avons un collègue qui a créé l'organisation Gender Force. Ce groupe s'emploie à prévenir la violence sexuelle dans les zones de conflit. Il y a des initiatives en place au niveau local par le truchement d'organisations internationales, et nous devons pouvoir les arrimer aux processus des différents gouvernements pour en revenir à l'essence même de la résolution 1325 qui misait sur un partenariat entre la société civile, les gouvernements et les Nations Unies. Si nous voulons vraiment obtenir des résultats concrets, j'estime que ce partenariat tripartite est plus important que jamais.

Je vais m'arrêter là. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup.

Je vais poser les premières questions. Vous avez toutes les deux passé beaucoup de temps dans des zones de conflit et savez à quel point il est important que les forces armées puissent compter à la fois sur des hommes et des femmes. Je trouve extrêmement inquiétant que le ministre Kenney et le chef d'état-major de la Défense souhaitent réduire de 25,1 p. 100 à 17,6 p. 100 les cibles de représentation des femmes au sein de nos forces militaires. Voici à cet effet ce qu'a déclaré Mme Sinclair, la sous-ministre adjointe et responsable des politiques au ministère de la Défense nationale lors de sa comparution devant le comité l'an dernier concernant la proportion de femmes déployées lors d'opérations de maintien de la paix :

En ce qui concerne les objectifs, je dois avouer que nous n'en fixons pas. Pour la meilleure des raisons. En effet, les forces armées sont tout à fait intégrées, et le déploiement du personnel se fonde sur le mérite, les compétences et l'expérience. Bien franchement, le sexe n'a rien à y voir.

C'est une déclaration qui m'a beaucoup dérangée. Je lui ai parlé par la suite pour lui donner la chance de s'expliquer à l'occasion d'une nouvelle comparution devant nous.

Vous possédez toutes les deux une très vaste expérience de ces questions et j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'importance d'une représentation significative des deux sexes au sein de nos forces militaires pour traiter des enjeux touchant les femmes, la paix et la sécurité.

Mme O'Neill : Je suis tout à fait en faveur de l'établissement de cibles, car j'estime qu'elles sont essentielles pour corriger le déséquilibre actuel.

Quant au dernier point que vous soulevez, nous avons besoin d'hommes et de femmes au sein de nos forces de sécurité, pour traiter non seulement des enjeux touchant les femmes, la paix et la sécurité, mais des questions de sécurité d'une manière générale. Trop de gens croient qu'il nous faut des femmes dans les forces armées pour composer avec les problèmes de femme. Je n'ai aucune idée de ce qu'on entend exactement par là. Sanam et moi-même faisons d'ailleurs souvent valoir que cette notion de problèmes de femme ne correspond à rien de concret. Il y a des problèmes communautaires, des problèmes de sécurité, des problèmes économiques, des problèmes de stabilité et des problèmes liés à l'insurrection et à l'extrémisme violent. Il faut donc d'abord et avant tout reconnaître que la présence de femmes et d'hommes au sein des forces de sécurité est essentielle pour assurer la stabilité et la sécurité des communautés au sens large, plutôt que seulement des femmes.

Par ailleurs, il y a actuellement un déséquilibre à ce chapitre. Les hommes sont proportionnellement beaucoup trop nombreux au sein de nos forces de sécurité. Nous devons exprimer clairement notre volonté de mettre fin à ce déséquilibre, car nous ne pouvons pas nous permettre de tolérer une inertie des organisations en la matière. J'estime que l'établissement de cibles à cet égard est une étape essentielle pour montrer l'importance que revêt cette question pour nous. Ce n'est pas une chose que nous devons faire uniquement pour les femmes. Il ne s'agit pas d'abaisser nos normes ou nos critères de mérite dans la sélection des candidats aux postes à combler. C'est simplement que nous sommes conscients des avantages qui découlent de la présence de femmes et d'hommes au sein des forces de sécurité. C'est un objectif important à nos yeux et nous allons prendre des mesures proactives pour y parvenir. Je suis donc tout à fait en faveur de l'établissement de cibles.

Mme Naraghi-Anderlini : J'abonde dans le même sens que Mme O'Neill à ce sujet. De plus, je pense qu'il faut songer à ce qui se passe lorsque nous déployons des effectifs dans des zones de conflit ou dans le cadre de missions de maintien de la paix. Si nos forces de maintien de la paix se composent uniquement d'hommes, leurs interactions avec la communauté vont être extrêmement limitées. Comme vous le savez, il y a également eu de nombreux cas d'exploitation sexuelle par des forces de maintien de la paix à l'encontre de populations déjà fortement traumatisées. Nous savons que lorsque des femmes sont intégrées à ces missions, cela change totalement la dynamique, le contexte de travail et la justification de l'intervention.

Il y a certaines raisons d'ordre pratique. Il nous faut reconnaître l'importance d'une telle mesure qui inspire confiance. Il faut notamment s'interroger sur les raisons pour lesquelles les femmes ne veulent pas joindre les rangs des forces armées. Est-ce que nos efforts de rayonnement sont suffisants? Est-ce que nos institutions sont propices à l'intégration des femmes de telle sorte qu'elles s'y sentent en sécurité et qu'elles sachent qu'elles bénéficient des mêmes possibilités d'avancement que les hommes? Il s'agit de voir dans quelle mesure nos institutions sont disposées à adapter leurs cadres de travail au quotidien pour qu'hommes et femmes puissent s'y côtoyer en toute équité.

Pour ce qui est des cibles à établir au sein des forces de maintien de la paix, au Canada comme ailleurs, voilà 15 ans que nous réclamons que l'on augmente le pourcentage de femmes dans les forces policières et militaires qui sont déployées dans le cadre de telles missions. Chaque fois que nous formulons des revendications en ce sens, on nous répond qu'il est impossible de trouver suffisamment de femmes. Nous rencontrons pourtant des policières, d'anciennes militaires et des femmes qui ont fait partie de groupes armés dans différentes régions du globe, et toutes ces femmes seraient tout à fait aptes et disposées à participer à des efforts de maintien de la paix, mais c'est une chasse gardée masculine. Les conditions sont meilleures pour les hommes, notamment pour ce qui est des avantages sociaux, ce qui montre bien que l'on ne tient pas nécessairement à y accueillir des femmes.

Il est donc absolument essentiel de se fixer des cibles à atteindre. Nos hautes instances devraient notamment exercer des pressions sur ceux qui veulent déployer des troupes dans le cadre d'une mission de maintien de la paix de l'ONU, ou de n'importe quelle autre mission en fait, en leur imposant une proportion de femmes de 25 à 30 p. 100. Il faut qu'il y ait des incitatifs en même temps que des conséquences pour les pays qui ne sont pas prêts à se conformer à cette exigence. Il est tout simplement préférable de pouvoir compter sur un équilibre et une diversité des forces, surtout lorsqu'on intervient dans des contextes où les menaces pour la sécurité peuvent émaner de différentes sources. Et il m'apparaît absurde de ne pas retrouver au sein des forces de sécurité la même diversité qui caractérise une société.

La présidente : J'aurais bien des questions à vous poser à ce sujet, mais je vais d'abord laisser la parole à mes collègues en débutant avec la vice-présidente du comité, la sénatrice Ataullahjan.

La sénatrice Ataullahjan : Merci pour les exposés que vous nous avez présentés.

En 2010, notre comité a produit un rapport sur l'engagement des femmes afghanes et le rôle qu'elles jouent dans le processus décisionnel. Les femmes occupent 27 p. 100 des sièges au Parlement, mais seulement 13 p. 100 de ceux du conseil de paix, alors qu'elles comptent pour seulement 1 p. 100 des effectifs policiers.

En quoi la situation s'est-elle améliorée en Afghanistan? Nous apprenions récemment que des femmes vont de l'avant pour entreprendre des pourparlers avec les talibans. La seule qui a voulu s'identifier est Shukria Barakzai qui, quelques mois auparavant, avait survécu à un attentat suicide. En quoi la situation des Afghanes s'est-elle améliorée?

Mme O'Neill : Il y a eu certes des progrès et des reculs. Il y a deux femmes qui ont accepté de s'identifier dans le cadre de ces pourparlers, soit Shukria Barakzai et Fawzia Koofi, que vous connaissez sans doute. Elle a aussi brigué les suffrages à la présidence de l'Afghanistan lors des avant-dernières élections.

On note de lents progrès dans certains secteurs, notamment grâce à la mise en œuvre du plan d'action national pour les femmes en Afghanistan. Nous avons contribué à ce processus triennal auquel ont participé 18 instances gouvernementales distinctes dont la collaboration a permis d'établir différents objectifs et de concevoir une stratégie. Celle-ci s'appuie sur un large éventail de mesures dont certaines sont particulières à l'Afghanistan. On a ainsi demandé aux imams de profiter de la prière du vendredi pour discuter des questions touchant les femmes, la paix et la sécurité ainsi que de l'intégration des femmes au processus décisionnel jusqu'au niveau local.

Nous avons également collaboré avec des femmes membres du Haut conseil pour la paix à l'échelon provincial, comme vous l'avez indiqué, pour leur donner les moyens de s'engager à fond dans le processus. Le Haut conseil de paix a actuellement pour mandat de négocier la paix avec les talibans. Les échanges tenus la semaine dernière ne relevaient pas du processus mis en place par le gouvernement pour le Haut conseil de la paix, notamment pour ce qui est des provinces. Nous nous employons à faire en sorte que les femmes membres de ces conseils puissent y siéger au même titre que leurs collègues masculins, et que l'on y tienne compte de leurs droits et de leurs priorités.

Mme Naraghi-Anderlini : J'allais parler de la situation générale dans la région, mais il convient de se demander de quelle région il est question exactement. Nous voyons en effet cette menace omniprésente des mouvements extrémistes s'étendre à partir de l'Afghanistan et du Pakistan en passant par toutes ces provinces et anciennes républiques comme le Tadjikistan.

Il est intéressant de noter que nous observons certaines avancées quant à la perception des femmes par les talibans. Grâce à tous les arguments et les efforts déployés au fil des ans, nous constatons certains progrès en ce sens qu'ils se disent maintenant prêts à discuter avec des femmes et à travailler avec elles dans des dossiers bien concrets.

Reste quand même que le contexte général en matière de sécurité est problématique. C'est une réalité que nous ne devons pas perdre de vue. Il est primordial de veiller à ce que les échanges intervenus à Oslo ne deviennent pas un élément isolé. Il faut plutôt miser sur ces efforts pour aller plus loin de telle sorte que les femmes afghanes puissent participer à part entière à toutes les discussions touchant la sécurité. Depuis longtemps, elles sont un peu comme le canari dans la mine, un mécanisme d'alerte avancée qui nous indique où de nouvelles menaces voient le jour et à quel endroit la situation se détériore. Elles n'ont pourtant jamais eu leur mot à dire lorsque la communauté internationale prend des décisions qui concernent leur avenir.

J'ose espérer que ce qui est arrivé à Oslo la semaine dernière marque le début d'une ère nouvelle où les femmes auront voix au chapitre de façon plus systématique sur les tribunes internationales comme à l'échelon local, où elles sont déjà très actives.

Je ne crois pas que l'on puisse sous-estimer les risques associés à l'expansion de la menace extrémiste. Nous devrions tous nous en inquiéter vivement.

La sénatrice Nancy Ruth : Madame O'Neill, j'aurais une question au sujet du rapport que vous avez produit pour le Canada. Comme vous le savez peut-être, une femme qui parlait de harcèlement sexuel dans l'un de nos collèges militaires a dû quitter la classe sous les huées des élèves officiers. Il y a ensuite des informations qui ont été diffusées à cet effet. Dans vos discussions avec les dirigeants des Forces armées canadiennes, vous a-t-on indiqué que la formation relative à la résolution 1325 pouvait aller jusqu'au niveau de nos officiers d'instruction dans les collèges militaires?

Mme O'Neill : C'est ce que nous avons appris. Nous n'avons pas examiné l'incident dont vous parlez, car il est postérieur à notre évaluation. Nous avons constaté de nombreux progrès d'importance en matière de formation, tant au sein de la GRC qu'au ministère de la Défense nationale.

Malheureusement, et cela nous ramène à l'importance des indicateurs, si nous avons pu apprendre que les activités de formation étaient nombreuses, y compris au niveau que vous mentionnez, nous n'avons par contre pas pu évaluer la qualité de cette formation, et nous ne disposons d'aucun outil nous permettant de le faire. On nous a indiqué que la formation portait notamment sur les questions liées aux agressions sexuelles, à un climat de travail sain au sein des Forces et aux modes d'engagement de nos militaires auprès des collectivités où ils sont déployés un peu partout sur la planète.

Cependant, comme il nous était impossible d'évaluer les changements d'attitude ou de comportement résultant de cette formation en l'absence de mécanismes permettant une telle évaluation, nous ne savons tout simplement pas dans quelle mesure cela a pu améliorer les choses.

Mme Naraghi-Anderlini : J'ajouterais que c'est un problème que nous avons pu observer dans bien des pays du monde, y compris les États-Unis. On se targue d'offrir de la formation sur l'équité entre les sexes ou les droits de la personne, mais il faut avouer très honnêtement qu'une simple demi-heure sur le sujet est totalement inutile à l'intérieur d'un programme de formation qui peut durer une semaine ou 10 jours, voire davantage. On se demande maintenant qui va vouloir nous permettre d'examiner le contenu de cette formation, de voir par qui elle est offerte et comment on y aborde les enjeux liés à la protection des populations et aux services à leur offrir. Comment pourra-t-on vraiment intégrer le tout au cœur du mandat que doit remplir une force de sécurité ou un corps policier? Nous comprenons bien que ce sont les résultats qui importent, mais nous n'avons pas les moyens de savoir comment le processus est conçu.

La sénatrice Nancy Ruth : Ai-je raison de présumer que les militaires qui suivent une formation sur l'utilisation d'une arme à feu ont la chance de s'entraîner avec celle-ci? À la suite des cours théoriques portant sur les questions qui nous intéressent ici, y a-t-il un effort de concrétisation dans la pratique ou quant aux comportements subséquents au sein même du collège?

C'est une question hypothétique à laquelle vous n'êtes pas tenues de répondre.

Quoi qu'il en soit, il semble bien que peu de choses aient changé au Canada depuis le témoignage d'Elissa Goldberg concernant cette demi-heure de formation il y a bien des années déjà. Je trouve cela plutôt décourageant.

Mon autre question porte sur une situation qui pourrait se produire à la suite d'une guerre, si jamais cela devait arriver à nouveau. Le Canada a vendu un grand nombre de modules de logement ATCO en Irak après les guerres menées par Bush. Les gens de notre ministère ou nos responsables du commerce international n'ont toutefois imposé aucune condition selon lesquelles le premier groupe d'unités de logement aurait dû être réservé aux femmes avec des enfants, le deuxième groupe aux familles avec enfants et le troisième à tous ceux qui restent. Avez-vous pu constater à l'échelle planétaire un mouvement des gouvernements nationaux qui s'engageraient dans des relations commerciales sur la base d'une préférence accordée aux femmes et aux enfants?

Mme O'Neill : Je n'ai rien vu de pareil.

Et vous?

Mme Naraghi-Anderlini : Non.

La sénatrice Nancy Ruth : J'espère que le Canada adoptera une approche semblable dans le cas de la Syrie. J'y vois une mesure positive qu'un pays pourrait prendre dans une situation d'après-guerre.

Mme O'Neill : J'aimerais revenir à votre question précédente concernant la formation. Vous allez entendre tout à l'heure le témoignage de Beth Woroniuk du réseau 1325. Elle était l'une des représentantes de la société civile à l'occasion de notre symposium National Action Plan Academy. Elle a notamment fait valoir en décembre que les collègues gouvernementaux au sein de la GRC et des ministères de la Défense nationale et des Affaires étrangères devraient permettre aux représentants de la société civile d'observer les activités de formation. En l'espèce, il s'agissait d'une formation dispensée aux agents de la GRC avant leur déploiement dans le cadre de missions de maintien de la paix à l'étranger. La GRC s'est engagée à fournir son programme de cours aux représentants de la société civile, à les convier à venir les observer avant d'en faire la critique. Il serait très intéressant que vous demandiez à Beth si l'on a effectivement donné suite à cet engagement, et, le cas échéant, qu'est-ce qui a pu être observé.

Votre argument concernant la mise en pratique est également fort intéressant. Bien souvent nous voyons une formation théorique qui s'inscrit dans un vaste programme touchant les droits de la personne ou un autre sujet, sans toutefois que l'on en intègre les enseignements à d'autres aspects du travail. Nous avons essayé de déterminer dans quelle mesure nous pouvions avoir accès aux simulations, aux exercices et aux jeux de guerre que les forces armées américaines utilisent notamment avec leurs élèves-officiers. Nous avons pu constater que les femmes étaient très peu représentées dans la très grande majorité de ces simulations et exercices, et qu'elles y figuraient presque toujours dans un rôle de victimes ou de membres très passives de la collectivité.

Votre comité pourrait peut-être notamment recommander que l'on se serve de ces simulations et de ces exercices auxquels participent les élèves-officiers et d'autres membres des forces militaires pour mettre en pratique les enseignements théoriques dispensés.

Mme Naraghi-Anderlini : Pour ce qui est d'une éventuelle recommandation en faveur d'une préférence accordée aux veuves et aux enfants pour le logement, il y aurait peut-être un élément que vous devriez prendre en considération. Avant de mettre en place une telle mesure, il faudrait entrer en contact avec les organisations de la société civile syrienne — et nous nous ferions un plaisir de vous faciliter les choses — qui travaillent activement au sein des collectivités pour leur demander s'ils estiment que cela pourrait fonctionner. En effet, la dernière chose que l'on souhaite faire, c'est de placer ces veuves dans une situation encore plus risquée en leur octroyant un privilège avant que les hommes l'obtiennent eux-mêmes. Il faudrait donc trouver la meilleure façon d'atteindre l'objectif visé, à savoir de leur procurer un logement sans les exposer à un risque plus élevé. Si vous le désirez, nous pouvons vous mettre en contact avec différents intervenants syriens qui sont actifs dans ce secteur.

La sénatrice Nancy Ruth : C'est une excellente idée.

La présidente : Je vais poursuivre les questions que j'avais débutées tout à l'heure.

Comment les Forces armées canadiennes devraient-elles définir et mesurer le succès du programme des femmes, de la paix et de la sécurité? Vous avez beaucoup travaillé toutes les deux avec notre gouvernement, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Par ailleurs, comment peut-on prévenir et éliminer la discrimination envers les femmes dans les forces armées?

Mme Naraghi-Anderlini : Je crois qu'il y a des complications particulières dans le cas des forces armées étant donné qu'il s'agit bien évidemment d'un milieu machiste et très masculin. Si nous voulons vraiment intégrer les femmes à nos forces armées, nous devons entendre ce qu'elles ont à dire au sujet de différentes questions. Qu'en est-il de la culture institutionnelle? Dans quelle mesure se sentent-elles en sécurité? Quels dispositifs et mécanismes sont en place en cas de harcèlement? Il s'agit de voir essentiellement si elles se sentent en sécurité. Y a-t-il reddition de comptes?

Par ailleurs, voilà maintenant 20 ans que nous demandons à des femmes d'un peu partout sur la planète de nous donner leur perception du concept de sécurité, et il en ressort que leur perspective en la matière est assez générale. On ne pense pas seulement aux armes et engins de guerre, mais plutôt à toute une gamme de questions entourant la sécurité dans la collectivité, comme la salubrité de l'eau. C'est une constatation tout à fait pertinente dans les contextes où il y a conflit ou déploiement de forces. Les aspects liés au développement et les causes sous-jacentes du conflit qui y prennent racine ne sont pas vraiment pris en compte; on met beaucoup plus l'accent sur l'aspect militaire.

Si nous voulons qu'un plus grand nombre de femmes intègrent les forces armées afin d'y transformer vraiment les choses, ce qui correspond d'après moi au but visé dans ce contexte, alors nous devrions prêter une oreille attentive aux points de vue qu'elles peuvent exprimer quant aux priorités qui devraient évoluer au sein des forces de sécurité.

C'est particulièrement significatif dans le contexte de la tendance actuelle qui caractérise les efforts pour contrer l'extrémisme violent. L'orientation est tout à fait militaire. On s'emploie essentiellement à traquer ceux qui se radicalisent. Dans le cas plus particulier des femmes, on s'intéresse uniquement aux rares filles et jeunes femmes qui joignent les rangs de l'EIIS et s'en vont en Syrie.

Lorsque nous essayons de faire comprendre aux gens à Washington comme ailleurs qu'il est important d'entendre le point de vue des femmes du pays quant à la façon dont les forces sont démilitarisées, quant à leur engagement auprès des forces de sécurité et des communautés, quant aux besoins fondamentaux qu'elles perçoivent et à leurs attentes auprès de la communauté internationale, c'est comme si nous parlions dans le vide.

La présence des femmes doit être plus importante. Je pense qu'une plus forte présence permettra d'améliorer la façon dont nous intervenons dans le cadre de la lutte contre l'extrémisme violent. Toutefois, nous devons également nous préparer, car une présence accrue des femmes nécessitera une grande transformation des institutions.

Mme O'Neill : Je partage tous ces points de vue, et j'aimerais répondre à votre question : comment les Forces canadiennes devraient-elles définir et mesurer le succès du programme sur les femmes, la paix et la sécurité?

Il y a quelques données relatives aux institutions dont nous pouvons tenir compte. Tout d'abord, il faut vérifier le pourcentage réel de femmes dans les forces armées, puis aller bien plus loin. Quel est le taux de maintien en poste des femmes, particulièrement en fonction des échelons? Est-ce qu'il y a une forte concentration aux niveaux inférieurs, mais un nombre croissant de femmes qui quittent les forces? Comme le disait Sanam, examinons-nous la situation en nous demandant quelles sont les raisons?

Il s'agit d'examiner les niveaux de service dans les différents volets des forces armées, de la GRC également, de vérifier le nombre de femmes qui occupent des postes à des échelons supérieurs et de retenir l'idée de masse critique. À mon avis, nous constatons que nous ne pouvons pas simplement vouloir intégrer quelques femmes de plus dans un milieu largement dominé par les hommes et nous attendre à ce qu'elles s'expriment au nom de toutes les femmes, se comportent de la façon dont nous croyons qu'elles devraient se comporter et représentent les points de vue des femmes, par exemple. Nous devons comprendre que tout comme les hommes, les femmes forment un groupe diversifié, et qu'il nous en faut un plus grand nombre pour obtenir l'ensemble des avantages que procure une force plus diversifiée.

Nous pourrions examiner certains aspects pour mesurer le succès du programme au sein des forces. Bien entendu, la façon dont les forces se comportent dans le cadre de leurs activités a des répercussions. À cet égard, il s'agirait de déterminer dans quelle mesure leurs relations avec les populations civiles sont constructives, que ce soit au Canada ou dans les théâtres d'opérations, et à quel point la définition de la sécurité évolue.

Comme le disait Sanam, la définition plus vaste de la sécurité qui ne se limite pas à la protection contre les chars d'assaut et les fusils doit évoluer pour être davantage axée sur la sécurité des collectivités, tant à la maison qu'ailleurs. Cela ne correspond pas toujours au mandat des membres des forces, mais il s'agit pour eux de comprendre que les collectivités qu'ils servent ont une notion différente de la sécurité. Je sais qu'il nous faut un ensemble mesures pour évaluer les progrès réalisés au sein des forces et leurs répercussions. Nous n'avons pas pu le faire dans le cadre de notre évaluation, soit examiner les répercussions du plan d'action national dans les collectivités auprès desquelles les Forces canadiennes et les diplomates travaillent dans le monde.

La présidente : Et pour ce qui est de la discrimination?

Mme O'Neill : J'aimerais dire deux choses à ce sujet. Premièrement, nous ne réglerons pas les problèmes de discrimination ou les problèmes liés à ce que vivent des femmes dans les forces armées à moins que nous comprenions bien leur contribution à la mission de base ou au mandat de nos forces armées et que nous comprenions bien les différents avantages de leur présence pour les services, les avantages qui améliorent la mission de ces services, qui augmentent leur capacité d'accomplir nos objectifs canadiens dans le cadre d'opérations militaires. Nous savons que nous avons besoin de cette diversité. Nous entendons toujours des gens des plus hauts échelons se demander pourquoi c'est nécessaire. Ce n'est pas que nous devons le faire parce que nous avons un mandat ou parce qu'une résolution a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous devons faire voir aux gens les raisons pour lesquelles nous avons besoin des femmes, et non seulement des femmes, mais de la diversité à divers égards, d'une force qui représente les collectivités qu'elle aide.

Deuxièmement, nous ne pouvons pas accepter que la culture d'une institution, quelle qu'elle soit, ne puisse pas changer. Il nous faut comprendre qu'il existe des moyens de changer cette culture de l'intérieur, et il ne faut pas considérer que la culture d'une force militaire se définit nécessairement comme patriarcale, dominée par les hommes. Il y a des exemples de transition dans le monde, et il nous faut comprendre que nous devons changer cette culture et qu'il est possible de le faire.

La présidente : Comme vous le savez, je m'intéresse à la question des femmes, de la paix et de la sécurité depuis longtemps. Compte tenu de la présence de jeunes femmes nord-américaines, canadiennes et européennes dans les zones de conflit, je crains que l'on porte moins attention aux femmes dans les zones de conflits qu'aux femmes de nos pays qui se rendent dans ces zones. Je crains vraiment que dans nos pays, le programme sur les femmes, la paix et la sécurité soit absorbé par le débat sur l'extrémisme. Voulez-vous toutes les deux nous dire votre point de vue à ce sujet?

Mme Naraghi-Anderlini : Je crois que c'est ce que j'essayais de dire également. Il y a une forte distorsion dans le temps, l'attention et les ressources que nous consacrons à déterminer les possibilités — on parle surtout de jeunes filles. Elles ne sont vraiment pas aussi nombreuses qu'on le pense. C'est inquiétant, et les médias exagèrent l'importance réelle de la situation. Nous portons beaucoup d'attention aux ressources, ce qui a divers effets néfastes, à mon avis.

Premièrement, nous transformons ces filles en héroïnes aux yeux de nombreuses autres filles qui se demandent quoi faire et qui pensent pouvoir attirer l'attention si elles le veulent. Elles risquent de les imiter.

Deuxièmement, le message que nous envoyons, c'est qu'à moins de vous radicaliser, à moins de vous mettre à commettre des actes violents, nous nous fichons de vous, de ce que vous êtes et de ce que vous faites.

Troisièmement, l'une des meilleures façons de réduire le nombre de jeunes femmes qui convergent vers le territoire de l'EIIS, c'est de les informer sur le travail que les Syriennes et les Irakiennes, entre autres, font sur le terrain et sur ce qu'elles ont à dire au sujet de l'islam, de ce qui se passe et de leurs besoins. À l'heure actuelle, les recherches montrent que bon nombre de ces filles éprouvent un sentiment d'injustice. Elles sentent qu'elles ont besoin de faire quelque chose parce que c'est un conflit terrible et qu'elles veulent apporter leur contribution. Cela part d'un bon sentiment, mais elles croient que rejoindre les rangs de l'EIIS est la seule façon d'aider.

Enfin, nous devons commencer à voir ces jeunes filles non pas comme des coupables, mais bien comme des victimes de la traite de personnes et de l'exploitation sexuelle. Elles se font piéger en ligne de la même façon que les victimes de pédophiles et d'autres personnes; essentiellement, on crée un réseau pour qu'elles puissent se joindre à ces groupes. Une fois qu'elles sont là-bas, elles ne peuvent plus partir. On leur interdit de le faire. Voilà que nous les transformons en criminelles ici. Nous devons présenter un tout autre discours sur les jeunes femmes qui s'en vont là-bas.

En ce qui concerne la discrimination dans les forces armées, l'une des plus importantes tâches dont le Canada, les pays européens et d'autres pays doivent s'acquitter est celle de s'assurer que nos institutions — que ce soit les forces armées, le gouvernement ou le milieu de l'enseignement, par exemple — reflètent vraiment la diversité de notre société. Si les immigrants de deuxième et de troisième génération constatent que la force militaire n'est constituée que d'hommes blancs, ils n'auront pas de sentiment d'appartenance. Ils ne sentiront pas nécessairement qu'ils ont un devoir. Nous assurer que nos institutions reflètent la diversité de notre société est essentiel pour prévenir le type de conflits qui ont lieu actuellement.

Mme O'Neill : Il est fascinant de voir, et c'est décourageant à divers égards — en particulier dans cette ville —, ce qu'on dit sur la lutte contre l'extrémisme violent. Sanam a fait allusion à cette fascination, à cette obsession pour les combattants étrangers. Je pense que s'il y a un aspect positif à cela, c'est qu'on se rend compte que les femmes jouent un rôle important d'une façon ou d'une autre.

Il y a eu un moment où bien des gens, que ce soit des groupes d'insurgés ou d'autres gens, pensaient que les femmes n'avaient tout simplement pas d'importance et qu'elles ne feraient que souscrire au plan défini pour elles. Ce que nous constatons ici, c'est que les femmes doivent être ciblées par un message, ce que fait l'EIIS en exploitant leur volonté de lutter contre l'injustice, d'avoir un objectif plus large, de servir une collectivité et de créer ce soi-disant État islamique qu'il fait passer comme quelque chose qu'il n'est pas. En définitive, ces personnes prennent des décisions et exercent une influence d'une manière ou d'une autre.

S'il devait découler quelque chose de cette obsession, il faut que ce soit le constat que si nous ne ciblons pas les femmes avec un message, l'EIIS et d'autres groupes le feront. À tout le moins, c'est une amélioration par rapport à l'idée selon laquelle les femmes n'ont en quelque sorte pas d'importance.

La sénatrice Ataullahjan : Je veux vous poser des questions sur la Birmanie. Nous entendons parler de la violence et des violations des droits de la personne. Je sais que vous travaillez un peu dans la région. Pouvez-vous me dire à quel type de programme vous participez et quelle est la situation des droits des femmes dans ce pays, surtout la situation des Rohingyas?

Mme O'Neill : Je ne suis pas en mesure de parler de ce sujet en profondeur. Nous collaborons avec un petit nombre de femmes de la Birmanie, du Myanmar, qui participent très activement aux négociations de paix, en essayant de veiller à ce qu'il y ait des femmes à toutes les étapes ultérieures des négociations de paix. À l'heure actuelle, il y a environ 19 cessez-le-feu, et des femmes, en particulier, soulignent l'importance du point de vue et de l'influence des femmes sur la définition des conditions du cessez-le-feu. Je ne peux cependant pas parler plus généralement de la situation des femmes en Birmanie.

Mme Naraghi-Anderlini : Je pense que c'est tout ce que nous savons.

Bien entendu, il y a également la question de la situation des musulmans et la façon dont elle est gérée, et de toute évidence, on ne fait pas les choses convenablement. Il est également important de se demander ce qui arrivera à ces gens. Si nous les laissons et que la question de leur situation en Birmanie — la reconnaissance qu'ils sont Birmans — n'est pas réglée, il leur arrivera autre chose.

Cela revient à ce que j'ai dit tout à l'heure au sujet de la propagation de l'extrémisme : nous ne vivons plus dans un monde dans lequel nous pouvons oublier les collectivités et dire qu'elles n'ont aucune importance, car des groupes se sont mobilisés et exploitent cette grogne et l'amènent dans une autre direction. Il ne faut pas l'oublier.

De plus, d'un côté, nous voyons une avancée intéressante pour ce qui est de l'inclusion des femmes dans les processus de paix en Birmanie, et il se passe des choses extraordinaires aux Philippines. D'un autre côté, il y a la fragilité de ces processus et ce que des acteurs internationaux font par inadvertance. Par exemple, récemment, aux Philippines, les États-Unis menaient une opération militaire contre des terroristes. Ils ont essentiellement mis en péril 17 années consacrées à un processus sur le cessez-le-feu et à des négociations.

Nous devons vraiment être conscients du travail qu'effectue la collectivité et de la fragilité du processus, de sorte qu'en tant qu'acteurs internationaux, nous ne causons pas du tort par inadvertance dans la poursuite de nos objectifs dans certaines de ces régions.

La sénatrice Hubley : Je vous remercie de vos exposés.

Madame O'Neill, vous nous avez présenté six recommandations concernant le Plan d'action du Canada. Avez-vous constaté des changements dans ce plan, et si oui, pourriez-vous nous en parler un peu?

Mme O'Neill : Nous n'avons pas pris connaissance des mesures que le gouvernement a prises pour donner suite à ces recommandations. Nous attendons de voir son prochain rapport. Mme Woroniuk, qui témoignera plus tard, pourra vous donner plus de détails sur les progrès qui ont été réalisés.

Évidemment, nous avons constaté certaines améliorations, notamment ce dont j'ai parlé plus tôt au sujet de l'International Civil Society Action Network, qui a été invité à examiner le programme de formation et les pratiques en place au sein de la GRC, ainsi que de la tenue de réunions régulières entre le MAECD et l'organisation. Ce sont les deux principales améliorations que nous avons observées, mais nous ne nous attendons pas à voir d'autres changements ou indicateurs tant qu'on n'annoncera pas un nouveau plan d'action national ou une mise à jour du plan actuel. Je crois que ce plan prend fin en 2016. Nous nous demandons si un nouveau plan sera présenté ou si on procédera à une mise à jour ou une révision du plan. Ce serait l'occasion de réexaminer toute la question des indicateurs.

Par ailleurs, ce que nous n'avons pas vu encore et que nous aimerions voir, c'est la diffusion des déclarations venant des plus hauts échelons des différents ministères. Encore une fois, je ne crois pas que cela ait eu lieu, mais cela pourrait se faire rapidement.

La sénatrice Nancy Ruth : J'aimerais revenir sur ce qui a été dit à propos des militaires qui ne comprennent pas toujours les avantages d'une présence féminine au sein de l'armée.

Au Canada, et dans bien d'autres pays occidentaux et nordiques, on a mis l'accent sur l'importance de la présence des femmes au sein des conseils d'administration. On a rédigé des projets de loi partout, et on entend parler de mesures punitives dans le domaine des valeurs mobilières. Est-ce que cela a eu une incidence sur la hiérarchie militaire, puisqu'il a été démontré que la présence de femmes à des postes de direction améliorait la prise de décisions, les profits et le rendement? Est-ce que vous avez observé cela dans les pays qui ont cette question à cœur? Sinon, pourriez-vous commencer à poser ce genre de questions dans le monde entier?

Mme O'Neill : Certainement.

La Norvège est probablement le pays qui a établi les liens les plus solides entre les deux : les femmes au sein des entreprises et les femmes au sein de la fonction publique. Les Norvégiens considèrent avantageux d'avoir des femmes au sein des entreprises. Ils parlent de l'incidence économique que la participation des femmes à différents échelons a eue sur leur PIB.

On est souvent réticent à tirer des leçons d'autres secteurs, ce que je ne comprends pas d'ailleurs. Lorsqu'il s'agit de négociations de paix, les gens nous demandent constamment des preuves. Où sont les pourparlers inclusifs de paix? S'il y en avait, on pourrait s'en inspirer, mais pour l'instant, le mieux qu'on puisse faire, c'est tirer des leçons d'autres situations semblables.

Vous avez indiqué qu'il ne manque pas d'études en sciences sociales révélant que les groupes mixtes prennent de meilleures décisions. Les groupes strictement composés d'hommes ou de femmes prennent de moins bonnes décisions, peu importe le QI des membres de ces groupes. Je ne crois pas qu'on ait établi ce lien au sein des forces armées, mais c'est quelque chose qui doit absolument être fait. Je ne serais pas étonnée qu'on examine la question dans des académies militaires partout dans le monde.

Mme Naraghi-Anderlini : En ce qui a trait aux conseils d'administration, je vois cela de deux façons. L'exemple de la Norvège est très important, non seulement en raison de la manière dont elle parle de son PIB, mais aussi parce qu'elle a établi de nombreuses politiques très efficaces à l'intention des mères qui travaillent et des familles. L'idée de favoriser les familles à double revenu devrait être examinée par les autres pays, y compris notre position. Ils ont une mauvaise planification familiale, des problèmes relatifs aux congés de maternité et aux services de garde, et cetera, alors ils ont mis en place les infrastructures nécessaires pour permettre aux femmes d'être efficaces.

Si l'on considère la question des femmes au sein des conseils d'administration, il faut s'assurer que ce n'est pas uniquement de belles paroles et que c'est bel et bien mis en pratique, même par les femmes qui prônent l'équité. J'ai vérifié les conseils d'administration des entreprises au sein desquelles nous avons des défenseurs, et les femmes ne représentent même pas 30 p. 100 des membres. Je dis simplement que nous devrions prêcher par l'exemple.

Au bout du compte, nous devons être conscients que les militaires, de façon générale, sont formés pour faire la guerre. Nous parlons de « défense », mais il y a un élément de guerre, alors si les femmes arrivent en disant qu'il faut faire les choses différemment ici et là, il y aura forcément de la résistance. On se trouve à changer des milliers d'années de culture. Nous devons néanmoins exercer des pressions et changer cette culture.

La sénatrice Nancy Ruth : En parlant de culture, j'aimerais soulever une autre question, que la sénatrice Jaffer a abordée tout à l'heure, au sujet des femmes qui entrent dans les forces armées. Depuis neuf ans, je m'intéresse aux sondages entourant l'hymne national du Canada et la possibilité de lui redonner un caractère plus englobant afin qu'il tienne compte de toutes les races et tous les gens. Selon les résultats du sondage, il est intéressant de constater que les gens de moins de 35 ans ne voient pas le problème du tout, et que ces résultats sont demeurés les mêmes lors du dernier sondage réalisé en avril dernier avant le vote tenu à la Chambre des communes.

C'est un problème ici. Est-ce un problème dans les autres pays où vous êtes allée? Si oui, dans quelle mesure cela peut-il avoir une incidence sur les forces armées, la GRC ou les autres services de police, compte tenu des valeurs que vous préconisez?

Mme O'Neill : Je suis contente que vous en parliez. C'est une réalité qui m'a surprise au début, mais que je trouve maintenant triste.

On s'adresse souvent à nous après les discussions, et une fois à West Point, une jeune femme nous a dit : « Ce n'est pas un problème pour nous. Je comprends pourquoi on avait besoin de féministes dans les générations précédentes. Il y a certes quelque chose à faire, mais nous avons une femme candidate dans la course à la présidence des États-Unis, alors ce n'est pas si mal. »

Ce que je remarque souvent, en partie à cause du problème dont Sanam a parlé, c'est que lorsque les gens arrivent dans la mi-trentaine, ils constatent à quel point la carrière qu'ils ont choisie ne permet pas de concilier travail et famille — certains choix qu'ils ont dû faire pour continuer dans l'armée — et ils commencent à réaliser l'importance de ces changements institutionnels.

Par exemple, en Bosnie, nous avons travaillé avec le gouvernement cette année pour réviser son plan d'action national. Ils ont changé les exigences relatives au personnel militaire bosnien déployé à l'étranger dans le cadre de missions de maintien de la paix. La participation à des missions internationales est une source de fierté, mais pour y prendre part, dans ce pays, les militaires devaient avoir cumulé sept années de service consécutives. Les femmes estimaient qu'elles étaient désavantagées parce qu'elles ne pouvaient pas prendre de congé de maternité. Par exemple, si elles travaillaient pendant six ans, partaient en congé de maternité, puis réintégraient les forces, elles devaient recommencer à zéro. Par conséquent, dans leur nouveau plan d'action national, on exige désormais une période cumulative de sept années.

Ce qui est problématique, c'est que les jeunes ne reconnaissent pas les obstacles institutionnels auxquels ils devront faire face plus tard dans leur carrière, parce qu'ils voient que 50 p. 100 des étudiants dans leurs cours d'ingénierie ou de médecine à l'université sont des femmes. Ce n'est que plus tard dans leur carrière, vers l'âge de 35 ans, qu'ils verront de quelle façon ils seront touchés par ces obstacles.

La sénatrice Nancy Ruth : Dans quelle mesure cela aura-t-il une incidence sur les politiques de l'armée, s'il s'agit des personnes qui seront promues et ainsi de suite?

Mme O'Neill : Ce qui est bien, à mon avis, c'est qu'on se retrouve avec beaucoup de recrues au départ qui ont fait le choix de se diriger vers ces carrières moins traditionnelles. Toutefois, je crois que vous devez absolument écouter les femmes au sujet des changements qui sont nécessaires pour leur maintien en poste au sein des forces. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ferais du maintien en poste l'un des indicateurs clés, particulièrement chez les femmes âgées entre 30 et 45 ans, afin de déterminer à partir de quel moment elles commencent à partir. Ensuite, on observe une pénurie importante de femmes aux échelons supérieurs.

Mme Naraghi-Anderlini : Pour établir une comparaison, il y a quelques années, je parlais avec quelqu'un de chez Ernst & Young, et cette société avait mis en place une politique pour tenter de régler les questions de disparité entre les sexes aux échelons les plus élevés. Tous étaient unanimes : au début, la proportion est de 50-50, et lorsque les gens atteignent la trentaine, la proportion passe à 40-60, puis l'écart se creuse davantage par la suite. On parle ici de 12 p. 100. Lorsqu'on a examiné la situation de plus près, on a constaté que les femmes en poste étaient célibataires et n'avaient pas d'enfant ou que leurs conjoints s'occupaient principalement des enfants à la maison. Si nous supposons qu'un grand nombre de femmes se marieront et devront prendre soin de leurs enfants ou de leurs parents, les institutions pour lesquelles elles travaillent ne sont pas favorables aux familles. C'est un aspect qu'il ne faut pas négliger.

D'un autre côté, il y a quelques années, j'ai fait des travaux de recherche en Afrique du Sud. On avait mis en place un important processus de réforme du domaine de la sécurité parce qu'on voulait rendre le secteur plus diversifié et représentatif de la société, non seulement des femmes, mais aussi de tous les différents groupes ethniques. Je me souviens d'avoir interviewé un homme qui m'a dit : « Pour que les gens se sentent bien, vous devez être attentifs à leurs besoins. Nous avons des gens ici qui doivent s'absenter pendant trois semaines lorsqu'il y a des funérailles dans leur famille. Cela ne fait pas partie de notre politique habituelle, mais nous nous sommes ajustés et nous voulons que les gens sentent qu'on respecte leurs pratiques culturelles traditionnelles et qu'ils demeurent en poste. » C'est le même principe pour les femmes. Il faut réellement y songer.

À vrai dire, nous menons une étude à l'heure actuelle pour le compte du PNUD sur la disparité entre les sexes, et nous remarquons que les gens croient à tort que les femmes qui ont des enfants n'occuperaient pas tel ou tel emploi. D'une part, ce n'est pas vrai, et d'autre part, nous constatons que beaucoup d'hommes se plaignent de leurs postes et de leurs conditions de travail parce qu'ils ont des enfants dont ils doivent prendre soin. Par conséquent, les fausses impressions donnent lieu à des politiques erronées.

La sénatrice Andreychuk : J'aimerais apporter une précision. Vous avez fait une déclaration que j'ai trouvée troublante. Vous avez dit que nous enseignons à nos militaires à faire la guerre. Je ne partage pas du tout votre avis. On les forme pour qu'ils nous protègent et défendent notre sécurité. Évidemment, il est possible qu'ils doivent participer à une guerre. Ce n'est pas ce que vous avez dit. Par conséquent, il est important d'avoir une juste perspective.

Je fais partie de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Nous avons entendu la personne responsable des questions des femmes au sein de l'OTAN au sujet des progrès réalisés par tous les pays de l'OTAN. Je pense qu'il pourrait être très utile de faire témoigner cette personne afin qu'elle fasse le point sur le travail de l'OTAN, qui est l'une des principales organisations à assurer notre défense. Je dirais que ce serait très pertinent parce qu'il s'agit d'une situation difficile.

Lorsque nous envisageons la question dans le contexte de notre sécurité, les femmes deviennent encore plus importantes puisqu'elles font partie de la société que nous essayons de protéger. C'est préférable que de s'attarder à l'envers de la médaille, comme nous le faisons lorsque nous partons en guerre. Si nous faisions ce que la représentante a dit, ce serait beaucoup plus utile pour le Canada et pour d'autres. Voilà ce à quoi travaille l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, ou OTAN.

La présidente : Mesdames O'Neill ou Naraghi-Anderlini, souhaitez-vous commenter les propos de la sénatrice Andreychuk?

Mme Naraghi-Anderlini : Ce que nous constatons depuis 10 à 12 ans, c'est que bien des armées dont nous parlons sont présentes dans diverses régions d'un monde mélangé. Elles sont censées maintenir la paix, mais elles participent aussi aux combats. Nous constatons donc une participation de plus en plus fréquente à la guerre, ce qui entre en ligne de compte.

Certains diront que c'est pour assurer la sécurité à la maison, mais je travaille avec des gens sur le terrain qui doivent composer notamment avec les drones et les bombardements de nos armées occidentales. La perception de la présence de l'armée dépend de l'endroit où l'on se trouve.

Comme je l'ai dit, je suis tout à fait d'accord sur le fait que les femmes et la diversité sont absolument essentielles au sein des forces, et surtout des forces policières, dans toutes sortes de milieux où nos deux forces évoluent au pays, mais également lorsque nous envoyons des soldats de la paix aider les communautés à l'étranger. Mais il faut selon moi reconnaître qu'à ce jour, les armées ont toujours été à majorité masculine, et qu'au cours des 10 dernières années, bien des pays occidentaux ont participé constamment aux combats — y compris l'OTAN en Afghanistan. Le rôle n'est pas très bien défini. Il ne s'agit pas du rôle de maintien de la paix traditionnel que nous constations autrefois dans bien des régions du monde.

C'est tout ce que je voulais dire. Je suis désolée si vous n'êtes pas d'accord.

Mme O'Neill : Pour ce qui est de la question sur l'OTAN et le Canada au sein de l'Organisation des Nations Unies, ou ONU, et ailleurs, je pense qu'un des volets les plus encourageants du plan d'action national canadien est qu'il fait valoir que le pays peut et doit défendre certaines valeurs au sein de ces organisations multilatérales. Je crois que certains des indicateurs mesurés dans le cadre du plan ne donnent pas vraiment une bonne représentation de l'influence que nous pouvons avoir, et avons eue dans certains contextes internationaux.

Je raconte souvent que le Canada a été le premier pays à inscrire les femmes, la paix et la sécurité au programme du G8. Lorsque nous avons été l'hôte du sommet du G8, nous avons mis le sujet à l'ordre du jour, et il y a toujours sa place. Voilà qui oblige tous les pays du G8 — désormais le G7 — à s'attarder à la question des femmes, de la paix et de la sécurité.

Le Canada a déclaré devoir faire valoir les valeurs canadiennes dans ces organisations multilatérales, ce qu'il a intégré à son plan. Je pense que nous avons la possibilité de vérifier l'influence positive que nous pouvons exercer dans ce genre d'organisations, et d'aller encore plus loin, puisque les autres veulent tirer des leçons des pratiques exemplaires canadiennes, et que nous en avons un grand nombre à partager. Je pense que nous pouvons vraiment miser sur ce domaine et le considérer comme une force du plan. La question est peut-être plus difficile à mesurer, mais elle est fort importante, surtout pour un pays de la taille et de l'influence du Canada.

La présidente : Au nom du comité, je tiens à vous remercier toutes les deux. Vous êtes particulièrement occupées, mais vous trouvez toujours du temps pour notre comité, même à la dernière minute. Vous nous avez permis d'en apprendre davantage sur ce qu'il advient de la résolution 1325, et nous avons hâte de travailler avec vous ultérieurement. Merci beaucoup.

Nous accueillons maintenant la représentante d'ONU Femmes, Nahla Valji, conseillère en politiques et responsable du secteur Paix et sécurité, qui comparaît par vidéoconférence à partir de New York.

Nahla, nous sommes ravis que vous soyez avec nous aujourd'hui, vous qui êtes une autre Canadienne travaillant au sein du système onusien. Vous avez déjà témoigné, et nous vous remercions de votre présence.

Nous allons également entendre le témoignage de Beth Woroniuk et de Jessica Tomlin, les représentantes du Réseau Les femmes, la paix et la sécurité. Tout ce que je sais à propos de la résolution 1325, je l'ai appris de Mme Woroniuk. Je suis ravi que vous soyez vous aussi présentes. Nous aurons beaucoup de questions à vous poser.

Nous allons commencer par l'exposé de Mme Valji.

Nahla Valji, conseillère en politiques et responsable, secteur Paix et sécurité, ONU Femmes : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui à discuter avec vous.

Je tiens à remercier le gouvernement canadien. Comme vous le savez, le Canada est à la tête du groupe des amis de la résolution 1325 à l'ONU, et il dirige depuis un an et demi un groupe distinct d'amis de l'étude mondiale sur la mise en œuvre de la résolution 1325. Le Conseil de sécurité a confié le mandat de cet examen à ONU Femmes, qui doit étudier la mise en œuvre de la résolution 1325 au cours des 15 dernières années. Nous devons évaluer où nous en sommes à l'heure actuelle, quels ont été les obstacles et les défis à la mise en œuvre, et quelle direction nous devons prendre pour la suite des choses.

Il a été incroyablement utile pour ONU Femmes que le Canada joue un rôle de premier plan et forme un groupe d'amis. Ces efforts nous ont servi de tribune pour consulter les États membres, recueillir des commentaires et obtenir l'aide dont nous avons besoin depuis un an et demi afin de faire avancer le projet. Voilà donc pourquoi je tenais à commencer par dire merci.

Cette année est importante pour le programme sur les femmes, la paix et la sécurité puisque la résolution 1325 a été adoptée il y a 15 ans, soit en 2000. Il y a eu six résolutions subséquentes sur les femmes, la paix et la sécurité au Conseil de sécurité. Nous avons également diversifié et approfondi le programme normatif.

En 2013, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, ou CEDAW, a adopté sa recommandation générale 30 la journée même de l'adoption de la résolution 2122. Il s'agit d'un outil de reddition de comptes extrêmement important puisque le CEDAW est un des traités ayant été ratifiés par le plus grand nombre de pays. Son programme va au-delà de la mission du Conseil de sécurité, et s'attarde davantage aux efforts de prévention et de rétablissement aussi.

Il s'agit également d'une année importante au sein du système onusien. Nous réalisons trois examens simultanés sur la paix et la sécurité, en plus d'un examen sur les femmes, la paix et la sécurité. Bien entendu, le système onusien entreprend l'examen de quelque 30 missions de paix avec un budget de 9 milliards de dollars. Aussi, le volet le plus visible de l'ONU dans certains pays est actuellement à l'étude, de même que la structure de consolidation de la paix du système onusien. Nous réalisons donc ces trois examens simultanés sur la paix et la sécurité. ONU Femmes a toujours soutenu qu'il n'aurait dû y avoir qu'un examen. Nous devrions nous attarder aux cycles des conflits et de la fragilité, de même qu'à la participation des femmes à l'égalité entre les sexes dans ce contexte. Or, nous nous retrouvons avec ces trois groupes.

Nous avons aussi le programme pour l'après 2015, les objectifs de développement durable, ou ODD, et le Sommet mondial sur l'aide humanitaire, qui se tiendra l'année prochaine. C'est une année importante pour l'ONU, mais encore plus pour l'ensemble de la communauté internationale. Le moment est véritablement propice à la réflexion; nous avons l'occasion de songer à la façon d'aborder certaines difficultés que nous rencontrons actuellement à l'échelle mondiale.

Pour ce qui est de la paix et de la sécurité, nous traversons actuellement une période où les cycles de la fragilité et des conflits relancent les hostilités, comme je l'ai dit. La montée de l'extrémisme violent constitue peut-être actuellement la plus grande menace à la paix et à la sécurité.

Nous constatons la présence de conflits à long terme de plus en plus établis. Nous avons les plus grandes populations déplacées des 70 dernières années, soit depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces personnes demeureront en moyenne plus de 20 ans loin de chez eux. Nous rencontrons de nouvelles difficultés et menaces à la paix et à la sécurité. Compte tenu du contexte des urgences, du conflit humanitaire, de la fragilité et de l'extrémisme violent, nous devons vraiment repenser nos outils, nos démarches et ce que nous faisons différemment pour réagir à ce nouveau cadre.

Je crois que la résolution sur les femmes, la paix et la sécurité est un des outils que nous devons réévaluer concrètement pour voir comment il peut nous aider à instaurer une paix durable et assurer une réelle sécurité.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu des preuves de plus en plus évidentes du rapport entre la participation des femmes et notre efficacité dans le milieu de la paix et de la sécurité. Nous savons par exemple que le fait d'augmenter le nombre de femmes responsables de la paix au sein de nos troupes rehausse la crédibilité de nos forces de maintien de la paix. Les femmes nous donnent accès à certaines communautés et à de nouvelles sources d'information. Leur présence favorise le signalement des crimes fondés sur le genre, nous donne accès aux alertes rapides, et diminue l'incidence de l'exploitation sexuelle et des agressions sexuelles. Pourtant, le système onusien compte moins de 3 p. 100 de femmes responsables de la paix après 15 ans. Cet aspect du programme a donc rencontré une vive résistance au cours des 15 dernières années.

En outre, nous constatons de plus en plus que la participation des femmes, l'égalité entre les sexes et le renforcement du pouvoir des femmes contribuent concrètement à prévenir la propagation de la radicalisation et de l'extrémisme violent. Je crois que le milieu international et le Conseil de sécurité l'ont de plus en plus remarqué au cours de la dernière année. Nous constatons que les extrémistes violents cherchent souvent à faire reculer les droits des femmes et à briser l'égalité entre les sexes. En revanche, nous devons veiller à ce que tout le monde favorise le renforcement du pouvoir des femmes, puisqu'il s'agit d'une protection contre la radicalisation. Nous avons des preuves à ce chapitre.

Nous avons de plus en plus de preuves quant au rôle que jouent les femmes dans la reprise économique suivant un conflit, dans la croissance accélérée, dans la stabilité des collectivités, et dans l'augmentation des dividendes de la paix. Grâce à l'étude mondiale à laquelle nous travaillons depuis un an, nous avons désormais des données empiriques sur la corrélation entre la participation des femmes au processus de paix, la conclusion des pourparlers, la mise en œuvre des ententes, et le maintien d'une paix durable.

Nous avons essentiellement de plus en plus de données empiriques et sans équivoque nous démontrant que la participation et l'inclusion des femmes sont au cœur de notre efficacité opérationnelle, en tant qu'organisation internationale de la paix et de la sécurité.

Qu'est-ce que cela veut dire? Quelle direction devons-nous prendre pour mettre à profit cet outil à notre disposition?

Tout d'abord, il faut arrêter de considérer la question comme un programme complémentaire. Nous devons cesser de croire que c'est une case que nous pouvons cocher si jamais nous avons plus de ressources, une volonté politique ou un désir de le faire, souvent après coup ou des années plus tard. La question doit être au cœur de l'ensemble de nos efforts relatifs à la paix et à la sécurité.

Dans le cadre de l'étude mondiale, nous avons constaté que la question du financement constitue un des plus grands obstacles. Le Comité d'aide au développement, ou CAD, de l'Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, nous a commandé une étude sur le financement en matière de paix et de sécurité. Il semble que moins de 2 p. 100 des fonds octroyés à la paix et à la sécurité servent à combler les besoins des femmes et à encourager leur participation.

Je dois dire qu'à ce chapitre, le Canada est un des meilleurs pays de l'OCDE, puisqu'il s'assure de tenir compte des genres dans le financement en contexte de conflit et de crise. Mais du reste, il s'agit d'un obstacle important du côté du financement.

Parmi les autres obstacles, il y a notamment la cohérence de la volonté politique. Nous devons cesser de considérer la question comme étant complémentaire, de sorte que nous favorisons la participation des femmes dans certains contextes, alors que nous acceptons ailleurs l'excuse de la résistance culturelle, qui revient souvent. Le financement de la volonté politique, la réforme structurelle du système des Nations Unies et de la communauté internationale, et le développement de l'expertise permettant de faire avancer le programme sont seulement quelques-uns des volets qui ressortent de l'étude mondiale, et qui feront l'objet de recommandations soumises en octobre dans le cadre de l'examen de haut niveau.

Chez ONU Femmes, nous avons commencé à tendre la main aux États membres pour leur faire connaître certaines des conclusions et des recommandations, de sorte que nous ayons après octobre un programme de transformation n'ayant rien à voir avec celui des 15 dernières années. Il faut véritablement et concrètement s'engager à faire avancer le programme, et le considérer comme un outil permettant d'aborder le contexte mondial actuel de paix et de sécurité, plutôt que comme un simple programme complémentaire ou une simple case à cocher tel que c'est le cas depuis 15 ans.

La présidente : Merci beaucoup, madame Valji.

C'est maintenant au tour de Mme Woroniuk, du Réseau Les femmes, la paix et la sécurité.

Beth Woroniuk, membre du comité directeur, Réseau Les femmes, la paix et la sécurité — Canada : Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour tout le monde. J'aimerais remercier le comité de me donner la chance de comparaître aujourd'hui. Je suis membre du comité directeur du Réseau Les femmes, la paix et la sécurité — Canada.

Comme vous le savez peut-être, notre réseau comprend plus de 60 organisations canadiennes et personnes, y compris le MATCH International Women's Fund.

Nous poursuivons deux objectifs. Le premier consiste à promouvoir et à surveiller les efforts du gouvernement du Canada visant à mettre en œuvre et à appuyer les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Le deuxième est d'offrir à la société civile canadienne une tribune d'échange et d'action sur ce thème. Nous sommes des bénévoles sans bureau et sans budget.

Dans mon intervention d'aujourd'hui, je vais aborder trois grands sujets : les réalisations positives; les préoccupations constantes; et les priorités d'action.

Nous sommes heureux d'annoncer qu'il y a eu certaines réalisations positives depuis notre comparution l'an dernier. Comme Jacqueline O'Neill l'a mentionné, le réseau tient actuellement des réunions semestrielles avec le groupe de travail interministériel sur les femmes, la paix et la sécurité, présidé par le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.

Pour ce qui est de la deuxième réalisation positive, que Mme O'Neill a également mentionnée, nous sommes heureux de constater que la GRC a invité notre réseau à observer une partie de l'instruction préalable au déploiement et à formuler des conseils sur les améliorations à y apporter. Nous avons eu plusieurs séances d'information avec la GRC, et nous nous réjouissons de travailler avec elle sur cette question importante.

En troisième lieu, nous félicitons le gouvernement de sa déclaration récente sur la réponse de l'ONU à l'égard des gestes d'exploitation sexuelle et d'agressions sexuelles perpétrés par des responsables militaires et civils du maintien de la paix. La société civile surveillera le mandat et la composition de l'examen externe indépendant, annoncé récemment par le secrétaire général de l'ONU, pour veiller à ce qu'il s'agisse vraiment de l'examen impartial, indépendant et vaste dont nous avons besoin de toute urgence, et à ce qu'il porte sur la réaction de l'ensemble du système onusien devant l'exploitation sexuelle et les agressions sexuelles.

Malgré ces progrès, nous avons encore des préoccupations majeures et continues en raison des lacunes qui subsistent du côté des positions et des actions du Canada en ce qui a trait aux femmes, à la paix et à la sécurité.

Tout d'abord, nous sommes encore frustrés de l'absence de rapports réguliers soumis dans un délai raisonnable à propos du plan d'action national du Canada. Comme vous le savez, le rapport d'avril 2013 à mars 2014 n'est pas encore publié. Même s'il était publié demain, les informations qu'il présenterait ne seraient vraiment plus à jour.

Nous n'avons pas vu non plus l'examen de mi-parcours mené l'an dernier. Mme O'Neill l'a mentionné. En fait, c'était la première fois aujourd'hui que nous entendions les recommandations issues de ce rapport.

Avec ces retards, nous ne savons pas quels progrès ont été faits, s'il y en a eu, par le gouvernement du Canada à l'égard de ces engagements importants.

Aussi, nous sommes déçus par l'inaction du Canada dans deux grands dossiers. Il y a premièrement l'absence de financement de toute la gamme de services en santé sexuelle et reproductive, y compris les services entourant les grossesses forcées, un besoin reconnu par la résolution 2122 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Deuxièmement, le Canada n'a pas signé le traité sur le commerce des armes. L'inaction du gouvernement sur ces deux fronts vient miner les efforts déployés pour remédier aux différents problèmes liés à la paix et à la sécurité.

Nous sommes par ailleurs déçus par la lenteur du gouvernement et du ministère de la Défense nationale à réagir aux recommandations formulées par la commission présidée par la juge Marie Deschamps, qui s'est penchée récemment sur les agressions sexuelles au sein des Forces armées canadiennes.

En conclusion, nous aimerions mettre l'accent sur les priorités suivantes. Premièrement, il faudrait donner plus d'attention à l'engagement du Canada dans la prévention des conflits et mieux soutenir la participation des femmes à la résolution des conflits. Vous aurez remarqué que ce point a été soulevé par ONU Femmes, ainsi que par les témoins du premier groupe. Le but n'est pas de faire en sorte que la guerre soit sécuritaire pour les femmes, mais plutôt de contribuer à un règlement pacifique des conflits armés. Nous pressons le gouvernement d'offrir un soutien ferme et continu afin d'inclure les femmes aux négociations et aux efforts visant à résoudre les nombreux conflits qui secouent actuellement le monde.

Deuxièmement, le Canada devrait fournir d'importantes contributions financières aux organisations de femmes locales pour les aider à bâtir leur leadership et à soutenir leur participation à tous les aspects de la consolidation de la paix, de la prévention des conflits, des négociations de paix et de la reprise économique. Nous ne pouvons que réitérer le point de vue exprimé par Sanam Naraghi-Anderlini, soit que ces organisations doivent fonctionner avec très peu de ressources, malgré les responsabilités incroyables qui reposent sur elles. Cela implique également d'offrir du soutien pour le lancement imminent du cadre d'accélération des OMD. Ma collègue, Mme Tomlin, va vous en parler plus longuement.

Pour la troisième et dernière priorité, nous aimerions mettre en lumière un problème émergent dont on parle peu, c'est-à-dire la violence sexuelle contre les travailleurs des organisations humanitaires. Des recherches menées par un des membres de notre réseau ont révélé que très peu d'études avaient été faites à date sur la question et qu'il existait peu de statistiques à cet égard, malgré le fait que c'est un crime largement reconnu sur le terrain. Le Canada devrait exiger des politiques de tolérance zéro pour toutes les organisations recevant de l'aide humanitaire et voir à l'établissement de systèmes internationaux plus stricts de prévention et de responsabilisation en matière d'agression et d'exploitation sexuelles.

Nous tenons à remercier les sénatrices et sénateurs de nous avoir invités à comparaître devant le comité aujourd'hui, et nous serons heureux de collaborer avec lui de nouveau. Avec le quinzième anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité cet automne, et tous les importants processus qui ont cours à l'échelle internationale, 2015 sera une année importante. Nous espérons qu'elle marquera un nouveau chapitre et qu'elle verra de véritables progrès dans la mise en œuvre des objectifs derrière la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU concernant les femmes, la paix et la sécurité.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci.

Nous allons maintenant entendre Mme Tomlin, qui n'en est pas à sa première comparution devant le comité. C'est toujours un plaisir de vous recevoir.

Jessica Tomlin, directrice générale, MATCH International, Réseau Les femmes, la paix et la sécurité — Canada : Merci beaucoup, madame la présidente, et bonjour à tous. Merci au comité de m'avoir invitée à comparaître devant lui aujourd'hui.

Je m'appelle Jessica Tomlin et je suis la directrice générale du fonds pour les femmes de MATCH International. Comme bon nombre d'entre vous le savent, nous soutenons les mouvements pour les droits des femmes depuis 40 ans. Nous administrons le seul fonds canadien consacré à l'avancement des femmes à l'échelle internationale, et nous tâchons d'acheminer plus de ressources directement aux organisations communautaires dirigées par des femmes et qui offrent des services aux femmes et aux filles.

Nous soutenons des organisations dans 25 pays à l'échelle du globe, et c'est pour cela que mes commentaires d'aujourd'hui vont surtout porter sur le rôle crucial que jouent les organisations pour femmes à l'égard du large spectre d'activités qui touchent à la paix et à la sécurité des femmes.

Il y a deux ans, le fonds MATCH a lancé un appel mondial de propositions pour connaître la situation des organisations pour femmes du monde entier, bon nombre se trouvant dans des pays déchirés par les conflits. Nous avons reçu près de 1 000 propositions, et la grande majorité, 75 p. 100 d'entre elles, demandaient du financement pour lutter contre la violence faite aux femmes. Conflit ou non, cette problématique est encore omniprésente et est celle qui freine le plus les femmes dans la pleine réalisation de leurs droits. C'est un peu plus d'un millier de propositions que nous avons reçues, et quelque 3 millions de dollars en demandes de la part d'organisations pour femmes travaillant précisément dans des pays en situation de conflit. Nous avons pu en financer sept. Je suis ici aujourd'hui pour parler au nom des 159 autres.

La dernière fois que je me suis adressée au comité, en mars 2014, j'ai mentionné que les revenus annuels moyens des organisations communautaires locales pour femmes étaient de 20 000 $. Ce chiffre a chuté considérablement en Afrique subsaharienne, soit à 12 000 $.

Aujourd'hui, permettez-moi d'ajouter que 48 p. 100 de ces organisations n'ont jamais reçu de financement de base pour leurs besoins quotidiens. La moitié d'entre elles n'ont pas d'argent pour allumer les lumières, avoir une connexion Internet, et encore moins pour embaucher du personnel. Il n'est donc pas surprenant qu'une organisation sur cinq doive prendre la décision crève-cœur de fermer ses portes pour toujours. Cela arrive régulièrement.

Ce sont pourtant des organisations qui ont un effet plus que positif sur les femmes en situation de conflit. Quand le manque de fonds les pousse à fermer leurs portes, les femmes n'ont plus accès à des services importants. Ce sont ces femmes qui subissent les contrecoups des conflits violents, et ils se présentent sous bien des formes, toutes plus hideuses les unes que les autres : mariage forcé précoce, traite de personnes, viol et autres formes de violence extrême. J'implore le comité de voir le travail que font les femmes sur le terrain comme un élément essentiel de la négociation d'accords de paix. Je vais l'illustrer rapidement en vous donnant des exemples d'organisations pour femmes que nous soutenons actuellement et qui travaillent dans des situations de conflit.

Durant les manifestations en Ukraine en 2014, les organisations pour femmes étaient celles qui fournissaient l'effectif des lignes d'aide et les bénévoles aux cliniques médicales improvisées. Ce sont aussi ces organisations pour femmes qui travaillent fort pour freiner la montée de la traite de personnes, car en Ukraine, 1 personne sur 10 connaît une femme qui en a été victime depuis le début du conflit.

En Ouganda, une organisation que nous finançons, du nom d'Akina Mama wa Afrika, veille à ce que les femmes de la région des Grands Lacs soient incluses aux processus de négociation de la paix. Cette année, l'Association panafricaine a révisé la mise en œuvre de la Déclaration de Kampala, et 90 p. 100 des recommandations de l'organisation ont été adoptées par le gouvernement ougandais.

Dans un sondage mené en 2011 en République démocratique du Congo, 1,7 million de femmes ont dit avoir été victimes de viol, la plupart du temps par des combattants armés. Les sages-femmes d'une organisation pour femmes du Sud-Kivu ont rapporté qu'un grand nombre des femmes enceintes qu'elles avaient suivies portaient l'enfant de leur violeur. Étant donné la position unique occupée par les sages-femmes dans la collectivité, l'organisation les a formées pour qu'elles puissent offrir des services de traumatologie aux survivantes de viol enceintes.

En Colombie, la violence sexuelle est très répandue et elle a été utilisée par toutes les parties au conflit comme stratégie de guerre. Une étude récente indique que 98 p. 100 de ces crimes restent impunis. Les groupes de femmes ont travaillé sans relâche pendant des années pour faire adopter une loi qui protège les survivantes et qui améliore l'accès à la justice. Cette nouvelle loi a été adoptée l'an dernier seulement.

Même si elles bénéficient d'un appui considérable, et qu'elles peuvent intervenir comme bien peu le peuvent, ces organisations sont encore les ressources les plus sous-financées dans l'effort international de paix et de sécurité. En avril 2015, le Canada a annoncé 5,5 millions de dollars supplémentaires pour lutter contre la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre dans les régions fragiles et minées par les conflits.

Je cite le dernier rapport d'étape du gouvernement sur le plan d'action du Canada :

L'autonomisation des femmes au regard des processus décisionnels, y compris en ce qui a trait à la résolution de conflits, constitue le cœur de la politique étrangère du Canada.

Cet engagement est bien entendu le bienvenu et il s'agit d'un engagement nécessaire. Cependant, parmi toutes les organisations qui bénéficieront des 5,5 millions de dollars, pas une n'est une organisation de défense des droits des femmes. Je veux dire par là qu'on ne finance aucune organisation communautaire dirigée par des femmes et qui travaille pour les femmes et les filles. On ne peut pas favoriser l'autonomie des femmes en refusant d'accroître le soutien direct aux femmes et aux organisations pour femmes dans les zones de conflit.

Je répète que le Canada doit prendre un engagement marqué et à long terme envers les organisations de femmes locales, car elles constituent un élément essentiel à l'établissement d'accords de paix durables.

En conclusion, j'aimerais affirmer mon soutien à l'instrument d'accélération mondial pour les femmes, la paix et la sécurité; les choses vont bon train et l'instrument devrait être lancé en automne prochain. Ce n'est là qu'une des manières dont nous pouvons acheminer aux femmes dans les zones de conflit le financement dont elles ont tellement besoin. Outiller ces organisations, c'est assurer un processus de paix plus prometteur et veiller à la sécurité de la population.

Merci beaucoup de m'avoir accordé votre temps et votre attention aujourd'hui. Je serais très heureuse de répondre aux questions des sénateurs.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton est notre première intervenante.

La sénatrice Eaton : Je m'adresse à l'ONU. Avons-nous des données ou des recherches qui indiquent pourquoi les femmes ne sont pas très nombreuses à se joindre aux forces militaires? Je comprends que les femmes militaires se butent à divers obstacles, qui nous ont été expliqués par les témoins précédents, mais avons-nous des données qui nous montrent vraiment pourquoi les femmes sont moins enclines à joindre les rangs des forces policières et militaires et des Casques bleus? Si oui, que nous apprennent ces données?

Mme Valji : Merci beaucoup de poser la question.

Quand on cherche à savoir pourquoi il y a si peu de femmes dans les Casques bleus, on se rend compte que deux obstacles sont à blâmer. Il y a premièrement les barrières concrètes associées au service militaire national. On remarque qu'il y a encore moins de femmes déployées par les pays qui contribuent aux efforts de maintien de la paix que le taux de participation des femmes aux services militaires nationaux. Les femmes doivent surmonter toute une gamme d'obstacles pour se joindre aux services militaires nationaux, et bon nombre d'entre eux sont de nature institutionnelle et culturelle.

ONU Femmes a récemment mené le premier projet-pilote de formation des femmes militaires, qui s'est échelonné sur deux semaines. L'idée était de créer un bassin de femmes militaires prêtes à être déployées rapidement dans les forces de maintien de la paix, notamment pour intervenir auprès de la communauté et disséminer les informations d'alerte précoce, prendre part aux enquêtes sur les crimes fondés sur le genre, et cetera. Cette formation de deux semaines a en plus permis de bâtir une communauté de pratique au sein des participantes, qui échangeaient leurs expériences à propos du harcèlement, des agressions, des obstacles à l'intérieur de leurs forces militaires nationales, mais aussi des obstacles que posait leur déploiement à la mission de maintien de la paix.

Certains pays qui déploient des troupes aux efforts de maintien de la paix affirment qu'il leur coûte plus cher de déployer des femmes, mais je ne crois pas que cet argument tienne la route. Ils ont cependant raison de souligner que les Nations Unies n'ont pas d'installations distinctes sur le terrain pour faciliter le déploiement des femmes; il n'y a pas, par exemple, d'espaces sécuritaires, d'installations sanitaires, et ainsi de suite.

Nous envisageons entre autres la possibilité d'offrir un programme d'incitatifs monétaires afin qu'un plus grand nombre de femmes militaires soient déployées aux missions de maintien de la paix. Nous versons une prime aux missions de maintien de la paix déployées rapidement vers des zones dangereuses et aussi pour des effectifs assurant l'équilibre hommes-femmes, et cela aide également au sein des forces militaires nationales.

La sénatrice Eaton : En fait, je voulais commencer au début. Y a-t-il autant de femmes que d'hommes qui souhaitent entrer dans l'armée et la police dans des pays comme le Canada et les États-Unis? Avons-nous des données à cet égard?

Mme Valji : Je ne connais pas les données pour le Canada. Nous pourrions certainement nous informer sur ce sujet.

Il est également difficile de trouver des données sur le sexe pour les armées nationales dans le reste du monde. C'est manifestement, entre autres raisons, parce que les pays hésitent souvent à divulguer ce renseignement pour des raisons de sécurité.

Selon mon expérience, ces données ne sont certainement pas les mêmes. Nous constatons qu'une série de mesures, qu'il s'agisse de quotas, de mesures spéciales temporaires, de réformes institutionnelles, et cetera, sont nécessaires pour accroître ces nombres. Elles diffèrent également selon le pays, le service de police et l'armée.

Nous avons augmenté de façon importante le nombre d'agentes de police, y compris dans les troupes de maintien de la paix, mais nous n'avons pas réussi à augmenter leur nombre dans l'armée et les troupes de maintien de la paix de chaque pays.

Mme Woroniuk : Je crois que c'est une question que vous devriez poser aux représentants de la GRC et du ministère de la Défense nationale lorsqu'ils comparaîtront devant le comité, mais nous savons certainement que le nombre de femmes qui servent actuellement dans ces deux institutions est très bas et que les progrès sont faibles ou très lents. Je présume que cela reflète le nombre de personnes qui choisissent ces carrières au départ.

La sénatrice Eaton : J'essaie de déterminer les causes fondamentales.

Mme Woroniuk : Une jeune femme qui a suivi la couverture médiatique de plusieurs événements récents, notamment l'enquête Deschamps et l'incident qui s'est produit au Collège militaire royal et auquel la sénatrice Nancy Ruth a fait référence, pourrait remettre en question sa décision de faire carrière dans l'armée.

La sénatrice Eaton : J'aimerais ajouter que chaque cadavre que nous voyons revenir de l'Afghanistan ou d'une zone de conflit pourrait décourager les hommes d'entrer dans l'armée.

Je comprends votre point de vue. Il serait intéressant d'avoir des données sur les raisons pour lesquelles les femmes n'entrent pas en grand nombre dans l'armée.

Merci.

La sénatrice Ataullahjan : Madame Valji, j'ai l'impression que la situation des femmes et des filles ne changera pas si on ne modifie pas l'attitude des hommes et des garçons. A-t-on déployé des efforts axés sur les hommes et les garçons? La récente campagne du mouvement pour l'égalité des sexes HeForShe a attiré beaucoup d'attention. Toutefois, nous avons observé la réaction de certains hommes au discours d'Emma Watson. Elle a reçu beaucoup de critiques, et certaines étaient assez violentes. Cette campagne a-t-elle été liée aux efforts pour la paix et la sécurité?

Mme Valji : Oui. En fait, nous collaborons étroitement avec notre bureau principal pour faire progresser la campagne HeForShe et l'intégrer à nos travaux liés à la paix et à la sécurité. Nous cherchons en partie à lier la campagne HeForShe à des mesures concrètes. Nous avons créé des mesures concrètes axées sur les principaux acteurs des efforts visant la paix et la sécurité, et elles peuvent être mises en œuvre pour faire avancer les programmes sur les femmes, la paix et la sécurité.

Je crois que l'engagement des hommes et des garçons est extrêmement important, mais je pense que vous avez également souligné un point notable lorsque vous avez parlé des réactions au discours d'Emma Watson. Comme je le disais, pendant que la communauté internationale est confrontée à la menace croissante posée par l'extrémisme violent, nous sommes moins portés à examiner la montée du conservatisme à l'échelle mondiale et la régression des droits des femmes. Tous ces éléments sont liés les uns aux autres, et l'attention est détournée de la montée du conservatisme que nous observons chaque année à l'ONU pendant la Commission de la condition de la femme, c'est-à-dire une régression des droits des femmes et des filles qui, je crois, s'intègre dans une régression des droits des femmes et des filles à l'échelle mondiale contre laquelle nous devons vraiment nous protéger. Oui, il faut obtenir la participation des hommes et des garçons, qu'il s'agisse de représentants des gouvernements, de diplomates ou de soldats du maintien de la paix. Les travaux d'ONU Femmes sont grandement axés sur la formation préalable au déploiement des soldats du maintien de la paix, sur la prévention de la violence sexuelle, et sur la recherche de champions individuels nécessaires pour faire progresser cette initiative.

La sénatrice Ataullahjan : En parlant des soldats du maintien de la paix, il y a constamment des allégations d'agression sexuelle pendant les activités de maintien de la paix de l'ONU, et récemment dans des activités liées à la distribution de nourriture et de médicaments en Haïti. Comment cela s'est-il produit? La résolution 1325 ou des résolutions connexes sur les femmes ont-elles été intégrées à la formation des soldats du maintien de la paix? Qu'a-t-on fait pour résoudre ce problème? Cette culture de l'agression sexuelle semble suivre les forces de maintien de la paix de l'ONU partout où elles se rendent.

Mme Valji : Il faut se pencher sur plusieurs enjeux dans ce cas-ci.

En ce qui concerne la République centrafricaine, à l'époque, il ne s'agissait pas de troupes de l'ONU, mais plutôt de troupes françaises. Toutefois, si vous suivez la trajectoire des événements signalés, des efforts ont été entrepris en ce qui concerne la lenteur et le caractère inadéquat des réponses, et cetera, par l'entremise des enquêtes menées par MINUSCA dans le pays, et récemment, le secrétaire général a également lancé une enquête relativement à cette affaire.

Je crois que ces enjeux sont beaucoup plus structuraux. Comme vous l'avez souligné, des scandales de cette nature semblent se produire de façon récurrente. Je pense que nous pouvons établir un lien avec les femmes, le maintien de la paix et la sécurité, car nous savons que dans les endroits où il y a davantage de femmes soldats du maintien de la paix, les incidents liés à l'exploitation et à la violence sexuelle diminuent. Une culture institutionnelle différente accompagne la participation et l'intégration des femmes. Je crois que c'est l'un des domaines concrets que nous devons envisager de faire progresser.

Toutefois, l'enquête, les signalements et les réponses sont des éléments qui nécessitent une action beaucoup plus concertée. Je sais que le général Dallaire a dirigé l'initiative Code bleu, et a demandé la mise sur pied d'une commission internationale d'enquête sur l'exploitation et la violence sexuelle au sein de l'ONU. C'est l'un des éléments découlant de l'étude globale sur la résolution 1325, à savoir qu'il faut mettre en place un mécanisme beaucoup plus cohérent, par exemple l'élimination de l'immunité dont profitent les soldats du maintien de la paix ou la tenue d'enquêtes indépendantes.

La sénatrice Andreychuk : J'aimerais continuer de parler des enjeux liés au maintien de la paix. Dans le cadre de la résolution 1325, nous nous concentrons sur nos propres pays, et je crois que c'est important, mais ce qui me préoccupe le plus, ce sont les zones de conflit et les femmes qui se trouvent dans ces régions.

Dans le cadre de mon travail, on a beaucoup discuté du fait que les femmes n'ont pas l'occasion, dans certains de ces pays, d'être des soldats du maintien de la paix, et ce n'est pas seulement attribuable à tous les autres obstacles auxquels sont confrontées les femmes dans l'armée. En effet, les soldats du maintien de la paix reçoivent plus d'argent que ceux des forces locales nationales; les membres des groupes traditionnels en font donc davantage partie et les femmes sont moins en mesure d'avoir accès aux postes liés au maintien de la paix. Vous avez dit qu'elles font une différence lorsqu'elles sont présentes, et j'ai tendance à être d'accord avec vous, mais il y a tout simplement des obstacles sur le plan financier. Pourriez-vous formuler des commentaires à cet égard?

Deuxièmement, j'ai suivi cette question, mais je ne l'ai pas suivie de très près, et nous devons fonder des institutions et mener des efforts de sensibilisation, notamment en Afrique. Le Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix devrait offrir un solide volet sur les femmes dans les zones de conflit, et des femmes qui ont vécu dans ces conditions devraient diriger les programmes, car elles savent mieux que les intervenants de l'extérieur ce qu'il est nécessaire d'accomplir sur le terrain. Pourriez-vous formuler des commentaires sur les progrès accomplis dans le cadre de ces initiatives?

Mme Valji : Merci, madame la sénatrice, d'avoir posé la question.

En ce qui concerne les obstacles financiers, c'est absolument vrai, et l'une des recommandations concrètes découlant de l'étude globale qui pourraient vraiment profiter de l'appui de pays tel le Canada est la question des mesures incitatives financières pour les pays qui fournissent des troupes. Comme je le disais, nous payons un surplus aux pays qui fournissent des troupes qui acceptent de se déployer plus rapidement et dans des régions plus dangereuses, et cetera. Nous devons maintenant prévoir un surplus pour les troupes qui présentent un équilibre entre les sexes. Nous devons prendre des mesures qui incitent les pays qui fournissent des troupes à accroître le nombre de femmes déployées. Cela encouragera également les armées nationales à recruter davantage de femmes. C'est un moyen concret de résoudre ces obstacles financiers, mais également par l'entremise de mesures incitatives financières.

En ce qui concerne le Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix, je suis tout à fait d'accord. Au cours des deux dernières années, ses représentants ont entretenu des liens avec le Bureau de la représentante spéciale du secrétaire général chargée de la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits armés. Le système de l'ONU a collaboré systématiquement avec ses représentants pour offrir de la formation aux troupes de l'UA, en particulier, sur la prévention en matière de violence sexuelle.

Je suis tout à fait d'accord avec vous, et je pense qu'il faut confier la direction de ces initiatives à davantage de femmes touchées par ces conflits. Toutefois, nous avons découvert que la formation opérationnelle nous permet également d'être plus efficaces. Par exemple, la formation sur la prévention de la violence sexuelle offerte par ONU Femmes aux soldats du maintien de la paix a été conçue par le général Patrick Cammaert, un ancien commandant de la force dans l'Est de la RDC. Elle a été conçue par l'armée et pour l'armée. Nous avons observé qu'elle est mieux suivie et mise en œuvre lorsqu'elle est conçue de cette façon. Mais je crois que cette initiative doit être combinée à une plus grande participation des femmes touchées par les conflits, afin qu'elles puissent également observer les conséquences et les objectifs de la formation au bout du compte.

La présidente : Madame Valji, je suis notamment préoccupée par les jeunes femmes de l'Occident qui se rendent dans les zones de conflit et qui deviennent le point d'intérêt plutôt que les femmes dans les zones de conflit. Vous avez expliqué très éloquemment la façon dont l'autonomisation des femmes permet d'atténuer la radicalisation. Pourriez-vous approfondir ce sujet?

Mme Valji : Absolument. Nous constatons que dans les endroits où il y a une plus grande égalité entre les sexes, il devient plus difficile de radicaliser les jeunes hommes dans un certain programme qui vise à faire régresser les droits des femmes et l'égalité entre les sexes. Il est plus difficile de faire accepter à des jeunes hommes un programme visant l'oppression s'ils ont été élevés dans des collectivités où leur mère et leurs sœurs sont éduquées, et où des femmes sont actives dans la sphère politique. Mais il est plus difficile de socialiser des jeunes hommes à l'égalité entre les sexes lorsque cela ne correspond pas à leur propre expérience. C'est la première chose. Il s'ensuit que lorsque nous parlons de prévention, nous devons envisager d'avoir recours à ce type d'outil concret.

Je conviens tout à fait que l'attention est axée sur le recrutement des femmes des pays occidentaux. C'est l'un des défis auxquels nous avons fait face. Nous constatons qu'on se concentre de plus en plus sur les femmes, la paix, et la sécurité et l'extrémisme violent, mais on se concentre en grande partie sur le recrutement dans les pays occidentaux, plutôt que de se concentrer sur le travail accompli par les organisations de femmes sur le terrain pour prévenir la radicalisation et lutter contre ce fléau.

Mais nous devons cerner les facteurs déterminants, même en ce qui concerne le recrutement des femmes en Occident, car ils mènent aux éléments fondamentaux de ce programme. Cela représente une lacune. Les facteurs d'attirance et de répulsion liés au recrutement diffèrent selon les contextes et les groupes. C'est une lacune qu'ONU Femmes tente actuellement de combler en menant des recherches sur les facteurs d'attirance et de répulsion liés au recrutement. Comment intégrons-nous cela dans les messages de lutte contre la radicalisation? Et comment intègre-t-on cela dans le processus de déradicalisation des soldats qui reviennent au pays?

Comme mes deux collègues l'ont dit, je crois que nous devons nous concentrer beaucoup plus sur les organisations de femmes, et sur les femmes de la société civile qui sont sur le terrain et qui accomplissent ce travail concrètement jour après jour, qu'il s'agisse de traiter les traumatismes des survivants d'agression sexuelle, de documenter les événements, de mettre en œuvre des mesures de prévention, de sonner l'alarme — ce sont nos intervenantes de première ligne.

J'aimerais profiter de cette occasion pour remercier mes collègues d'avoir mentionné le Global Acceleration Instrument on Women Peace and Security. Cette initiative sera lancée en octobre, en même temps que l'examen de haut niveau du Conseil de sécurité. Il s'agit d'une initiative mixte de la société civile de l'ONU et des États membres. Le Canada a joué un rôle de chef de file dans les efforts liés à l'élaboration de cette initiative. Il s'agit de fournir concrètement les ressources, l'expertise et la capacité nécessaires aux organisations de femmes sur le terrain ainsi qu'un soutien aux pays en crise en vue de la mise en œuvre de l'initiative sur les femmes, la paix et la sécurité, surtout pendant les périodes d'interruption du financement qui se produisent pendant les crises et les conflits.

Comme je l'ai dit, moins de 2 p. 100 de notre financement est consacré aux initiatives sur les femmes, la paix et la sécurité dans ces contextes de crise, et c'est tout simplement insuffisant pour nous permettre de prendre les mesures nécessaires pour instaurer une paix durable.

La présidente : Merci beaucoup.

Madame Tomlin et madame Woroniuk, le Canada est très respecté dans les zones de conflit. On respecte le travail accompli par le Canada là-bas, et c'est toujours le cas aujourd'hui. Toutefois, ma frustration est causée par le fait que nous avons perdu l'avance que nous avions prise dans le programme sur les femmes, la paix et la sécurité en l'an 2000 et pendant les années suivantes. Je trouve très frustrant que nous n'ayons même pas de plan d'action national depuis 2013, et même ce plan a été établi après de nombreuses demandes de notre comité. Que se passe-t-il?

Mme Woroniuk : Je suis d'accord.

Nos membres nous disent, lorsqu'ils voyagent autour du monde, que le Canada était autrefois un acteur très important sur la scène mondiale et locale. En effet, nous avions des programmes autrefois financés par l'ACDI qui appuyaient les initiatives en matière de droits de la personne et les organisations de femmes dans différents pays. Ces subventions ont été supprimées il y a quelques années. Les gens se demandent maintenant où est passé le leadership du Canada.

Nous entendons dire que le gouvernement a entrepris des initiatives concernant des mesures précises au G8, comme Mme Tomlin l'a mentionné, c'est-à-dire qu'il a annoncé le financement d'initiatives de prévention en matière de violence sexuelle et de conflits, mais ce programme ne semble pas profiter d'une approche globale et cohérente sur le leadership, les ressources et la protection des droits des femmes.

En ce qui concerne le plan d'action national, il sera exécuté jusqu'en 2016, mais nous observons constamment des retards importants en ce qui concerne la production de rapports à cet égard. Comme je l'ai mentionné dans notre exposé, nous attendons toujours le rapport sur la période couvrant jusqu'à mars 2014. Nous ne savons donc pas, de façon cohérente, ce qui se passe et ce qui a été accompli et nous ne connaissons pas les résultats. En tant qu'organismes de la société civile, nous sommes souvent tenus un peu à l'écart au sujet de ce qui se passe et de la façon dont le gouvernement remplit ses obligations prises dans le plan d'action national.

Mme Tomlin : J'aimerais seulement ajouter qu'à mon avis, il faut favoriser et renforcer les mouvements de femmes. Nous avons d'incroyables recherches longitudinales qui laissent croire que les mouvements de femmes représentent la première ligne de défense à plusieurs égards, notamment lorsqu'il s'agit des efforts pour la paix et la sécurité. À mesure que les cycles de financement deviennent de plus en plus imprévisibles et axés sur les projets et les indicateurs, il faut tenir compte de la façon dont les organismes de femmes fonctionnent, souvent avec un jardin communautaire, un centre d'hébergement de femmes, un programme de sensibilisation et une séance de counseling pour les hommes, le tout sous un même toit, même si ces organismes n'ont parfois pas suffisamment d'argent pour payer le loyer. Cela se produit tout le temps. Il est parfois très difficile, pour ces organismes, d'agir comme d'autres ONG internationales ou comme d'autres acteurs plus importants peuvent le faire; par conséquent, ces organismes de femmes ont grandement souffert. Au bout du compte, je crois que cela influe beaucoup sur la durabilité d'un mouvement de femmes. Je ferais valoir que cela fait peut-être partie du problème actuel, car c'est très difficile depuis la dernière décennie.

La présidente. : Nous sommes grandement préoccupés par le fait que nous n'agissons pas aussi rapidement qu'autrefois en ce qui concerne l'initiative sur les femmes, la paix et la sécurité, surtout lorsqu'il s'agit des plans d'action nationaux. Nous avons demandé au MAECD et au ministère de la Défense nationale de nous expliquer ce qui se passe, et nous espérons que leurs représentants comparaîtront bientôt. Nous leur communiquerons vos préoccupations.

J'aimerais remercier Mme Valji, d'ONU Femmes, Mme Woroniuk, du Réseau Les femmes, la paix et la sécurité, et Mme Tomlin, de MATCH International. Vous vous libérez toujours pour nous aider dans nos travaux, et nous vous en sommes grandement reconnaissants. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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