Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 3 - Témoignages du 4 mars 2014
OTTAWA, le mardi 4 mars 2014
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, dans le cadre de son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, nous continuons aujourd'hui notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
[Traduction]
Aujourd'hui nous poursuivons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
[Français]
Nos témoins par vidéoconférence sont de l'Association québécoise de la production médiatique (AQPM). L'Association québécoise de la production médiatique existe sous différentes formes depuis 1966. Elle réunit plus de 130 entreprises de production, ainsi qu'une soixantaine de pigistes professionnels évoluant dans les domaines du cinéma, de la télévision et de la production en ligne.
J'en profite pour vous présenter Mme Claire Samson, présidente-directrice générale et Mme Brigitte Doucet, directrice générale adjointe. Avant de commencer, un sénateur a demandé de faire une déclaration de deux minutes; je vais lui donner la parole.
[Traduction]
Sénateur Plett, vous vouliez faire une déclaration?
Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Oui j'aimerais faire une déclaration. Au terme de cette déclaration, je soumettrai une demande à l'examen du comité. Merci de me laisser cette occasion.
J'aimerais soulever quelques points aux fins du compte rendu, puisque je crois qu'ils sont cruciaux pour notre étude et pour l'examen et l'évaluation du témoignage que nous avons reçu du président et PDG de la Société CBC/Radio-Canada, M. Hubert Lacroix.
Je suis extrêmement déçu que M. Lacroix, à titre de dirigeant de la plus importante société d'État du Canada, refuse de répondre à des questions qui étaient non seulement pertinentes pour notre étude touchant la gouvernance des sociétés, mais également à l'égard des contribuables qui sont les propriétaires de CBC/Radio-Canada et qui ont le droit de prendre connaissance de chaque dollar dépensé par la Société.
L'information qu'il n'a pas pu ou pas voulu fournir au comité comprend notamment : le montant de la prime qu'il reçoit ainsi que celui de la prime des autres membres de la haute direction, les politiques de déplacement, le coût total aux contribuables du voyage des employés de la SRC à Sotchi et notamment celui des billets d'avion, autrement dit, ont-il voyagé en classe affaires ou non, et finalement, en ce qui a trait à ses propres dépenses, pourquoi la Société n'a pas fait rapport des dépenses illégitimes lorsqu'elle les a découvertes, pourquoi ont-elles été cachées aux contribuables et pourquoi la Société n'a commencé à en parler que lorsque Sun Media a divulgué cette information.
M. Lacroix a aussi refusé de parler de la teneur du discours de Peter Mansbridge devant l'Association canadienne des producteurs de pétrole. Par ailleurs, a-t-il facturé les contribuables pour son déplacement et était-il ou non en conflit d'intérêts par rapport au code d'éthique de la Société?
À notre question sur le coût des salaires des cadres de la SRC et des personnalités télévisuelles, il a répond ce qui suit :
Dans l'environnement dans lequel nous travaillons, la divulgation de ces salaires ne contribuerait pas à notre position dans l'environnement dans lequel nous travaillons.
Ce n'est pas une réponse suffisante pour les contribuables canadiens et elle ne devrait pas non plus être suffisante pour le comité. Il y a des questions d'hypocrisie, de transparence et de responsabilité qui demeurent sans réponse et j'estime qu'en tant que Comité sénatorial et qui plus est, à titre de contribuables canadiens, nous méritons mieux.
Comme il l'a dit à l'émission Power & Politics lorsqu'il a remboursé ses dépenses inadmissibles, ceux qui devaient être mis au courant l'ont été. Il ne croit manifestement pas que cela inclut la population canadienne. C'est manifeste dans ses réponses ou son refus de répondre.
Mon dernier point concerne la présentation erronée des faits de la part de la SRC. Par le passé, la SRC a apporté des corrections à sa version en ligne des faits lorsqu'elle avait fait des erreurs, tout en refusant d'apporter des corrections dans les autres moyens qu'elle utilise pour diffuser l'histoire. C'est pertinent à notre étude puisqu'en tant que diffuseur public, il incombe à la SRC de diffuser les nouvelles et de ne pas soumettre les téléspectateurs au sensationnalisme.
Par ailleurs, nous étudions les défis que doit relever la SRC relativement à l'évolution des médias. Par conséquent, il faut examiner les diverses sources médiatiques par lesquelles les Canadiens obtiennent les nouvelles et dans cet environnement changeant, il faut examiner les changements qui ont été apportés, s'il y en a, pour garantir la responsabilité des journalistes.
Lorsque nous faisons face à une représentation manifestement erronée des faits sur tous les médias gérés par la SRC et lorsque les journalistes de la société d'État ont admis leur erreur, le fait d'apporter simplement une correction sur ce qui devient rapidement de vieilles nouvelles en ligne est inacceptable.
Comme je l'ai expliqué, il y a 20 ans les articles en ligne n'existaient pas, de sorte qu'une rétraction publique aurait été la seule façon pour un radiodiffuseur de corriger ses erreurs. Lorsque j'ai demandé à M. Lacroix s'il croyait, en terme général, que c'était la façon appropriée de gérer une situation comme celle-ci et si la SRC avait rajusté ses politiques sur la responsabilité des journalistes pour refléter l'environnement médiatique en évolution, c'était des questions manifestement pertinentes à notre étude et conformes à notre ordre de renvoi.
J'espère que nous ne l'oublierons pas en tant que comité la prochaine fois que M. Lacroix ou tout autre témoin de la SRC fera un témoignage.
M. Lacroix a dit au comité :
Nous affichons des choses. Si vous allez à notre site web, vous verrez que nous affichons constamment des nouvelles sur ce qui se passe à la SRC.
Les choses publiées par la SRC et l'information que M. Lacroix veut bien fournir au comité sont inadéquates. Comme nous le savons bien, tout autre radiodiffuseur public comme la BBC affiche des rapports détaillés de ses dépenses afin que les contribuables puissent voir comment chaque cent est dépensé. La SRC ne semble vouloir se comparer directement avec la BBC que lorsqu'il s'agit de discuter du financement gouvernemental et non pas lorsqu'il est question de leurs politiques en matière de transparence et de responsabilité.
Étant donné la réticence du président de la SRC à répondre aux questions et les nombreuses questions restées sans réponse, je demanderais au comité de songer à inviter le président du conseil d'administration de la SRC, Rémi Racine, pour qu'il témoigne devant notre comité.
Le président : Nous reviendrons aux témoins dès que possible.
La meilleure façon de procéder c'est de faire une proposition au comité directeur et nous irons de l'avant si le comité directeur en juge ainsi. À notre prochaine réunion du comité directeur, votre demande à l'effet de faire comparaître M. Racine sera soumise à l'étude.
Le sénateur Plett : C'est ce que je vais faire, monsieur le président.
Le président : J'aimerais restreindre le débat parce que des témoins nous attendent.
Le sénateur Eggleton : Vous l'avez autorisé à en parler.
Le président : Non, je ne vous empêche pas de parler, monsieur Eggleton.
Le sénateur Eggleton : Je veux bien que l'on invite le président, mais je veux me dissocier des déclarations qui ont été faites et je ne veux pas qu'il soit invité en fonction de ces déclarations.
[Français]
Le président : Maintenant, nous sommes ici pour écouter les témoins. On écoute votre présentation avec beaucoup d'attention.
Claire Samson, présidente-directrice générale, Association québécoise de la production médiatique (AQPM) : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci. Je suis Claire Samson, présidente-directrice générale de l'Association québécoise de la production médiatique et je suis accompagnée de Me Brigitte Doucet, directrice générale adjointe. Je vous remercie de nous avoir invitées pour discuter avec vous des défis que pose à la Société Radio-Canada l'évolution du milieu des communications et de la radiodiffusion.
Nous le ferons bien sûr à la lumière de notre expérience de producteurs indépendants. Ce que je voudrais d'abord souligner, c'est que dans ce nouvel univers multiplateformes, tout tourne autour des contenus.
Une nouvelle plateforme, aussi technologiquement avancée soit-elle, ne connaîtra jamais de succès si elle n'est pas en mesure d'offrir aux consommateurs des contenus attrayants et compétitifs, qu'ils ont envie de regarder ou d'écouter.
Qu'est-ce qui fait le succès de la vidéo sur demande et de toutes les nouvelles plateformes Internet comme Netflix, iTunes Store, Tou.tv, Illico sur demande à volonté, Canal+.ca et j'en passe? C'est le contenu auquel elles donnent accès à la carte ou par abonnement. Ce contenu est principalement composé d'enregistrements sonores, de films et d'émissions de télévision qui, dans leur immense majorité, ont été produits à l'origine pour les plateformes traditionnelles. Même lorsqu'il s'agit d'un contenu inédit et exclusif comme House of Cards ou la plupart des webséries, celui-ci emprunte le plus souvent sa forme au contenu télévisuel traditionnel.
La demande pour le contenu est donc plus forte que jamais, et le défi qui se pose dans ce nouvel univers varie selon la place que l'on occupe dans le processus.
Pour les producteurs canadiens, le défi est de réunir les ressources créatrices, techniques et financières nécessaires pour produire des contenus qui aient un réel pouvoir d'attrait auprès des publics d'ici et d'ailleurs, et une capacité de déclinaison multiplateformes qui fasse qu'ils seront convoités. Pour les diffuseurs au sens large, c'est-à-dire aussi bien les services de programmation réglementés que par Internet, le défi est d'acquérir les droits multiplateformes des contenus les plus convoités, canadiens comme étrangers, au moindre coût possible. Or, ces défis sont conflictuels à maints égards, d'autant qu'ils mettent en présence des entités ayant un pouvoir de marché et une puissance financière sans commune mesure.
D'un côté, il y a les grands groupes de radiodiffusion canadiens privés, qui appartiennent tous à quelques grandes entreprises intégrées de communications, qui contrôlent également la télédistribution, l'accès Internet et la téléphonie mobile. Celles-ci disposent, en conséquence, du pouvoir d'imposer aux producteurs individuels de contenu canadien des conditions d'acquisition de droit qui leur sont nettement désavantageuses. D'où la nécessité qu'a entrevue le CRTC, dans ce contexte de rapport de forces inégal, d'imposer aux grands groupes canadiens de radiodiffusion l'obligation de négocier des ententes commerciales avec les grandes associations de producteurs d'émissions canadiennes. C'est un acquis important qui ne doit certainement pas être remis en question.
De plus, tout comme les multinationales étrangères, les grandes entreprises canadiennes de communications font des pieds et des mains pour que des obligations de contribution au financement du contenu canadien, similaires à celles imposées dans le cadre de leurs activités réglementées, ne soient pas introduites pour leurs services de programmation par Internet ou en tant que fournisseurs d'accès Internet. Avec pour résultat qu'aujourd'hui, des pans entiers et en croissance constante de l'activité de programmation et de distribution de radiodiffusion au Canada passent aux mains d'entreprises qui ne sont assujetties à aucune obligation de financement du contenu canadien, qu'il s'agisse des fournisseurs d'accès Internet ou des services de programmation par Internet, canadiens ou étranger. C'est là, à notre avis, une situation qui devrait prioritairement retenir votre attention. Car si elle n'est pas rapidement corrigée, les ressources disponibles pour la création et le financement de nouveaux contenus canadiens vont s'amenuiser au fur et à mesure que la consommation se déplacera vers les plateformes non réglementées. Il deviendra alors de plus en plus difficile de produire des contenus canadiens attrayants, compétitifs et adaptés au nouvel univers qui reflète notre identité, notre culture ou nos préoccupations. La part d'écoute des produits canadiens ira donc en déclinant sur toutes les plateformes, d'où des difficultés accrues de financement, et ce, dans une spirale sans fin.
Il faut rétablir un juste équilibre concurrentiel et s'assurer que, dans l'esprit de la loi, toutes les entreprises de radiodiffusion, quelle que soit la plateforme utilisée, contribuent de la manière qui convient au financement des productions canadiennes.
Dans cet univers, CBC/Radio-Canada occupe une position assez unique. En effet, à la suite des transactions des dernières années, CBC/Radio-Canada est devenu le seul grand groupe de radiodiffusion pancanadien à ne pas être intégré à une entreprise de télédistribution et de communications. Ne serait-ce qu'à ce titre, sa contribution à la diversité des voix dans le système canadien de radiodiffusion est plus importante que jamais. Toutefois, cela la fragilise aussi, tout comme les restrictions budgétaires qui lui sont imposées. Ceci l'amène parfois à s'écarter de sa mission de service public pour accroître ses revenus commerciaux. Elle demeure néanmoins le seul grand groupe de radiodiffusion à n'être pas motivé par le profit uniquement et à réinvestir tous ses revenus dans son activité statutaire.
Par ailleurs, il nous apparaît impossible de contester le fait que le réseau français de Radio-Canada remplit efficacement le mandat qui lui est confié en matière de financement, de diffusion et de promotion du contenu canadien.
Comme les tableaux que nous avons joints en annexe à notre présentation l'indiquent, en 2012, le réseau français a consacré 98 p. 100 de ses dépenses totales de programmation à des émissions canadiennes, et celles-ci ont accaparé 92 p. 100 de son auditoire total. Il est difficile d'exiger plus.
En outre, de 2002 à 2012, c'est le réseau français de Radio-Canada qui a le mieux réussi à tirer son épingle du jeu et à conserver ses auditoires parmi les trois réseaux généralistes de langue française. De plus, Radio-Canada a réussi à déployer rapidement sa programmation sur les nouvelles plateformes, tant celles qu'elle a créées comme Tou.tv que celles venues de l'extérieur comme Netflix. Elle explore la possibilité d'un Tou.tv payant qui pourrait lui permettre d'accroître ses revenus et de mieux rétribuer les créateurs et producteurs.
Certes, nul n'est parfait et il y a toujours place à l'amélioration. À cet égard, nous regrettons le manque de leadership de Radio-Canada en ce qui concerne la négociation d'une entente commerciale avec l'AQPM afin d'encadrer ses relations d'affaires avec les producteurs indépendants. Depuis des années, la SRC campe sur des positions déraisonnables et semble vouloir atténuer ses problèmes de financement sur le dos des producteurs indépendants.
Nous regrettons également que la SRC ne consacre pas une part plus importante de ses dépenses d'émissions canadiennes de divertissement au financement de la production indépendante. Cela lui permettrait souvent d'accéder au financement complémentaire qu'apportent les producteurs indépendants, comme les fonds propres et les crédits d'impôt, de réduire ses coûts d'émissions et possiblement de réduire sa masse salariale et ses coûts administratifs. Cela étant dit, nous ne croyons pas que, aujourd'hui comme hier, les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion puissent être atteints sans la présence d'un diffuseur public national fort et dynamique. Nous espérons que, dans le contexte des surplus budgétaires importants qui s'annoncent, le gouvernement canadien pourra et voudra lui consentir un financement public pluriannuel, stable et adéquat, afin de lui permettre de relever les défis qu'il doit affronter dans un univers multiplateformes en rapide évolution.
Nous vous remercions de votre écoute et sommes toute disposées à répondre à vos questions.
La présidente : Madame Doucet, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
Brigitte Doucet, directrice générale adjointe, Association québécoise de la production médiatique (AQPM) : Non, pas pour le moment. Merci.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup de votre exposé.
Je suis intéressé par les questions touchant les services de programmation par contournement et la façon dont cela touche plus particulièrement le diffuseur public. Peut-être connaissez-vous, grâce à vos membres, les coûts associés à la production d'émissions de télévision pour un réseau de télévision comparativement aux émissions créées dans le domaine de la distribution numérique, c'est-à-dire ce qui est diffusé sur Netflix ou autres diffuseurs par contournement. Les coûts sont-ils de beaucoup inférieurs? Est-ce une menace au diffuseur public? Selon vous, que devrions-nous faire relativement à la programmation par contournement afin d'apporter une contribution au contenu canadien.
Mme Samson : Pour ce qui est des coûts de production, et plus particulièrement au Québec, le statut de l'artiste, la production télévisuelle et de longs métrages est assujettie à ce que l'on appellerait la législation du travail. Tout se fait dans le cadre d'une convention collective de sorte que les coûts de production seraient les mêmes que vous produisiez pour Radio-Canada ou TVA ou que vous produisiez une série originale pour Netflix, ce qui, à ma connaissance, n'a pas encore été le cas. Les coûts de production ne différeraient pas. Je dirai, toutefois, que si un producteur indépendant de Québec songeait à produire quelque chose exclusivement pour Netflix, comme Netflix n'est pas reconnu en tant que radiodiffuseur au Canada, cela voudrait dire que le producteur n'aurait pas accès aux crédits d'impôt ou au Fonds canadien de télévision. Cela voudrait dire que Netflix devrait assumer 100 p. 100 des coûts de production, et ces coûts seraient plus élevés.
Le sénateur Eggleton : Est-ce que Netflix diffuse en français?
Mme Samson : Il a des émissions en français, mais ce ne sont pas des émissions originales. Ce sont des traductions, surtout d'émissions américaines.
Mme Doucet : Il y a des émissions canadiennes en français, mais elles sont produites — ce n'est pas du contenu original — pour les diffuseurs traditionnels et sont ensuite rediffusées par Netflix.
[Français]
Le sénateur Maltais : Madame Samson, vous avez une très grande expérience concernant l'écoute de la télévision au Québec, en passant par Radio-Canada où vous avez occupé des postes, ainsi qu'à TVA et à TQS. Y a-t-il une très grosse différence entre le coût de production d'une émission produite par Radio-Canada ou par un producteur indépendant tel que TVA ou l'ancienne chaîne TQS? Les coûts sont-ils les mêmes ou y a-t-il une différence relative aux coûts?
Mme Samson : Je vous dirais que c'est assez comparable. Naturellement, le diffuseur qui fait l'acquisition des droits n'a pas accès aux crédits d'impôt provinciaux. Il a donc intérêt à transiger avec un producteur indépendant qui, lui, apporte au budget une contribution relative aux crédits d'impôt provinciaux. De plus, les diffuseurs sont limités dans leur accès au Fonds des médias du Canada, ce qui n'est pas le cas d'un producteur indépendant. Il y a aussi des distinctions à faire en ce qui concerne les ententes collectives. Nous, les producteurs indépendants, avons des ententes collectives qui nous lient avec les différents syndicats de la production et qui peuvent différer des conventions collectives internes de Radio-Canada ou de TVA. On aime bien penser que les nôtres sont un peu plus favorables que lorsque c'est le personnel du diffuseur qui travaille; les coûts sont un peu moindres dans le secteur indépendant que chez les diffuseurs traditionnels.
Mme Doucet : De façon générale, les coûts sont les mêmes que la production soit faite pour TVA ou pour Radio-Canada. Mais selon les genres, Radio-Canada commande souvent des œuvres, par exemple dramatiques, qui sont à plus grand déploiement, donc qui coûtent plus cher à produire par heure. La Société Radio-Canada est quand même réputée et diffuse des œuvres à plus grand déploiement que les diffuseurs privés.
Mme Samson : Oui. Radio-Canada, traditionnellement, a toujours une série ou deux par saison que nous qualifions, nous, de « séries plus », c'est-à-dire qui sont des séries à plus grand budget que les productions maison produites par les diffuseurs.
Le sénateur Maltais : J'ai une dernière question. En ce qui concerne les producteurs indépendants, quel pourcentage de leurs productions sont vendues à la CBC ou à d'autres chaînes anglophones et qui sont essentiellement des productions conçues et fabriquées au Québec?
Mme Samson : Des productions conçues et fabriquées originalement au Québec en français, il y en a très peu. La production francophone québécoise s'exporte très peu encore aujourd'hui. Il y a quelques émissions à succès, mais c'est quand même encore des cas d'exception. Il y a eu un ou deux téléromans développés en français au Québec et qui ont été adaptés au Canada anglais par la CBC, et je pense un par CTV, mais c'est encore des cas d'exception. Ce n'est pas monnaie courante.
Mme Doucet : Par contre, il y a aussi des producteurs qui travaillent directement en anglais pour ces chaînes.
Mme Samson : Bien sûr. Toutefois, si le sénateur pense à la production francophone qui se vend au Canada anglais, des productions traduites, je n'en connais pas; adaptées, il y en a eu quelques-unes. Mais je dois dire que l'inverse est aussi vrai et qu'il y a très peu d'émissions produites au Canada anglais qu'on voit ou qu'on peut regarder en français au Québec.
Le sénateur Maltais : Peut-être allez-vous pouvoir me renseigner; au Québec, il y a quelques années, il y avait beaucoup de productions faites au théâtre de Stratford et achetées par des télédiffuseurs québécois. Elles étaient bien sûr traduites. On ne voit plus cela. Que s'est-il passé, d'après vous?
Mme Samson : Selon moi, c'est à cause des coûts de production qui sont devenus très dispendieux. C'était des captations de spectacles, si je ne m'abuse?
Le sénateur Maltais : Oui, des pièces de théâtre, des classiques.
Mme Samson : Voilà. Je pense que les coûts de captation sont devenus assez imposants. On disait tantôt que, malheureusement, les compressions budgétaires qu'a subies Radio-Canada — qu'on le veuille ou non — l'ont forcée un peu, au fil des ans, à s'intéresser certainement à des émissions susceptibles d'attirer un plus large auditoire, donc de générer un revenu commercial qui allait pouvoir compenser les compressions budgétaires. Malheureusement, ces genres d'émissions, dont la captation de spectacles et les arts de la scène, sont des genres qui prennent maintenant beaucoup moins de place, mais c'est une question d'argent tout simplement. Je pense que l'intérêt du public est présent, même si ce n'est pas autant que pour un téléroman ou un spectacle de variétés, mais c'est essentiellement une question d'argent, de choix et d'investissement.
Le sénateur Maltais : C'est bizarre; les compressions budgétaires ne sont pas si extraordinaires que cela et chaque fois qu'on pose la question, comme on l'a posée à la Société Radio-Canada, lorsqu'elle se sent serrée, c'est la faute des compressions budgétaires. Maintenant, lorsqu'on est pris dans un contexte — tous les gouvernements sont pris dans un contexte —, est-ce qu'on ne doit pas faire mieux avec moins? Est-ce qu'à un moment donné on ne doit pas faire un effort pour faire mieux avec moins?
Mme Samson : J'ai un point de vue plus personnel pour avoir œuvré à Radio-Canada pendant une dizaine d'années et avoir connu les premières compressions budgétaires qui lui ont été imposées. Naturellement, vous avez raison sur le principe, à savoir que lorsqu'on fait face à des compressions budgétaires, qu'elles soient de très grande envergure ou d'envergure raisonnable, il faut certainement faire un examen de nos façons de faire; c'est essentiel. Je pense que dans la conjoncture des compressions budgétaires et de la nécessité pour Radio-Canada aussi de s'orienter et de mettre en place des ressources pour ne pas manquer le virage numérique, je pense que c'est là où il y a eu une cassure. C'est qu'au même moment où Radio-Canada devait faire ses études ou revoir ses façons de faire pour, comme vous le dites, faire plus avec moins et faire mieux avec moins, le défi technologique s'est posé à elle en même temps comme à tous les diffuseurs. Cela a été un énorme défi pour l'ensemble des radiodiffuseurs et pour Radio-Canada aussi avec toutes ses infrastructures de radiodiffusion et de production. Le fait de passer à l'ère numérique a dû nécessiter énormément de ressources et il y avait surtout une pression pour qu'elle joue ce rôle de leader et qu'elle soit visible sur les différentes plateformes; cela a certainement demandé des ressources supplémentaires. S'il n'y avait pas eu de compressions budgétaires, peut-être aurait-elle trouvé à l'interne tous les moyens pour rediriger certaines de ses ressources; mais dans un contexte de compressions budgétaires, on a probablement mis davantage le blâme sur les compressions budgétaires. Toutefois, on oublie souvent de dire que les compressions budgétaires ont été doublées d'un défi supplémentaire pour le radiodiffuseur canadien.
Mme Doucet : Aussi, dans le contexte général au sein duquel le Fonds des médias bénéficie d'un financement qui est le même — il vient de commencer à diminuer, mais il est essentiellement le même depuis longtemps —, une partie des sommes qui servaient à financer la télévision a été octroyée au développement et à l'expérimentation dans le cadre des nouvelles plateformes. Cela diminuait donc le financement consacré à la télévision. Parallèlement à cela, les coûts de production continuent d'augmenter. Dans un contexte global, tout est arrivé en même temps pour Radio-Canada et les autres.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Merci à nos témoins. J'aimerais poursuivre dans la même veine que la dernière question du sénateur Maltais.
Madame Samson, vous avez un curriculum vitae assez impressionnant. Vous y avez déjà fait allusion. Vous avez été directrice générale des communications et directrice générale de la programmation à Radio-Canada, chef des opérations à TQS et vice-présidente des communications à TVA.
Étant donné que nous nous trouvons dans une période de contraintes financières, de réduction du déficit, et cetera, il est inévitable qu'un organisme comme Radio-Canada ait à faire sa part, et son budget a effectivement été réduit. Néanmoins, elle reçoit plus de 1,1 milliard de dollars par année.
Le président, Hubert Lacroix, a dit que Radio-Canada peut continuer à remplir son mandat et à réaliser son plan de 2015 tout en participant au plan d'action de notre gouvernement pour la réduction du déficit.
Si vous étiez toujours à Radio-Canada, étant donné la réduction de son budget, qu'auriez-vous fait à cet égard et comment auriez-vous assuré les Canadiens que nous continuerons à avoir un contenu canadien, et cetera, que vous cherchez désespérément, et avec raison?
Mme Samson : Honnêtement, monsieur, pour répondre à votre question il faudrait que j'aie accès à beaucoup plus d'information au sujet de CBC/Radio-Canada que ce qui est accessible à tout citoyen. J'ai quitté Radio-Canada il y a 15 ou 20 ans et elle a certainement évolué depuis.
Je pense que j'essaierais probablement de réduire les frais généraux un peu plus et que j'aurais relevé le défi numérique d'une manière un peu différente. Mais tant que vous direz à Radio-Canada qu'elle doit continuer à offrir des services dans l'ensemble du pays en anglais et en français, à la radio et à la télévision, la programmation locale et nationale posera tout un défi s'il y a moins de ressources. Je ne dis pas que c'est impossible, mais elle n'a pas non plus beaucoup d'options.
Comme je le disais au sénateur Maltais, les compressions budgétaires sont arrivées à peu près au même moment où Radio-Canada avait des décisions essentielles à prendre en matière de technologie et la question de savoir si ces émissions seraient distribuées sur les nouvelles plateformes. À titre de diffuseur public du Canada, nous nous attendons à ce que Radio-Canada fasse preuve d'un certain leadership dans ces domaines. Il est important qu'un contenu canadien soit disponible sur les nouvelles plateformes et sur Internet. Nous ne voulons pas nous retrouver dans 10 ans avec un Internet sans aucune expression canadienne, mais seulement la culture étrangère. Dans le reste du Canada surtout, si le seul contenu en anglais disponible sur Internet est américain, c'est un défi de taille pour CBC et nous nous attendons à ce qu'elle le relève.
Le sénateur Plett : Merci. J'apprécie cette réponse. Je suis certainement d'accord avec vos premiers commentaires, c'est-à-dire que Radio-Canada devrait peut-être s'efforcer de réduire ses frais généraux, et peut-être les salaires et les primes. Cela contribuerait grandement à réduire un peu ses frais, à tout le moins.
En 2014-2015, Téléfilm Canada a plus de 95 millions de dollars à investir dans les productions canadiennes. Quel était le montant des années antérieures? Le savez-vous? Quelle réduction a subi Téléfilm Canada, étant donné qu'il reçoit encore plus de 95 millions de dollars par année?
Mme Samson : Je n'ai pas ces chiffres en mémoire. Je suis désolée, je ne peux pas vous répondre, monsieur.
Le sénateur Plett : Pourriez-vous nous trouver la réponse et peut-être nous la fournir par l'entremise du greffier et du président?
Mme Samson : Oui, bien sûr, monsieur.
Le sénateur McInnis : Merci de votre comparution.
Je voulais simplement dire, suite à ce que disait le sénateur Plett, que Radio-Canada doit certainement être bonne pour vous au Québec, car elle devance tous les autres sur le plan des revenus de ces chaînes de télévision et de radio. Au Québec, elle doit vous traiter très bien.
Ma question a déjà été posée, mais j'aimerais obtenir un éclaircissement.
Nous avons entendu le témoignage des représentantes de l'Association canadienne de la production médiatique. J'aimerais comprendre ce qu'est votre organisme et vous pourriez peut-être nous dire en quoi vous êtes semblables ou différents. D'après ce que j'ai lu, votre association offre à ses membres un service conseil en ce qui concerne les relations de travail, la fiscalité, le droit d'auteur, et cetera. Pouvez-vous nous dire quelles sont les différences entre votre association et l'Association canadienne de la production médiatique et quelles sont les ressemblances?
Mme Samson : Je dirais, monsieur, que nous avons à peu près la même mission. Nos objectifs sont un peu différents. Au Québec, il y a une loi, la Loi sur le statut professionnel des artistes qui n'a pas vraiment d'équivalent dans le reste du Canada. Nous dirigeons nos affaires de manière un peu différente. Nous avons 14 conventions collectives au Québec, en français et en anglais, avec tous les groupes d'artistes ou d'artisans qui travaillent sur un plateau de télévision ou de cinéma. Cela représente environ 80 p. 100 en termes de notre charge de travail.
Nos associations sont assez semblables. Nous collaborons dans de nombreux dossiers. Par exemple, chaque année, avec Patrimoine Canada, nous produisons un profil de l'industrie canadienne qui présente des faits et des données sur la santé de l'industrie. Nous collaborons beaucoup, et nous sommes donc très semblables.
Le sénateur McInnis : C'est un mot terrible, « lobbyiste », mais de toute évidence...
Mme Samson : Nous sommes aussi cela, monsieur.
Le sénateur McInnis : C'est ce que j'allais dire. C'est à cela que vous me faites penser, car vous traitez avec tous les niveaux de gouvernement, au Québec et, bien sûr, au niveau fédéral. C'est l'un de vos principaux objectifs.
Mme Samson : Nous ne trouvons pas que c'est un mot si terrible, parce que cela fait également partie de nos fonctions, et nous représentons les intérêts de nos membres auprès du Fonds des médias du Canada, de Téléfilm Canada et de la ministre du Patrimoine. Nous comparaissons devant le CRTC au moment du renouvellement des licences de radiodiffusion. Nous faisons la même chose au niveau provincial. Oui, c'est un élément important de notre mandat. Alors, effectivement, nous sommes des lobbyistes et des lobbyistes enregistrés.
Le sénateur McInnis : Je vais réviser les définitions dans ma tête.
Le président : Eh bien, il faut appeler les choses par leur nom, alors je suppose que ce sont des lobbyistes.
[Français]
Le sénateur Maltais : Madame Samson, quel pourcentage du contenu de Radio-Canada, de TVA et de Quatre-Saisons provient de producteurs privés? Quel pourcentage vos producteurs vendent-ils à Radio-Canada?
Mme Samson : Prenons d'abord les diffuseurs francophones québécois. On parle de Radio-Canada, de TVA, de la chaîne V, de Télé-Québec et des chaînes Bell-Astral, anciennement connues comme étant Astral. Si j'élimine les émissions d'information, d'affaires publiques et de sports que les producteurs indépendants ne produisent pas, pour ce qui est des émissions dramatiques, de variétés, des documentaires et des émissions jeunesses aux magazines, les producteurs indépendants produisent, pour l'ensemble des diffuseurs, entre 65 et 75 p. 100 de l'offre télévisuelle.
Mme Doucet : Nous avons un tableau à l'annexe 4 qui indique 60 p. 100 pour TVA et V, et 32 p. 100 pour Radio-Canada.
Mme Samson : Brigitte me souligne qu'à l'annexe 4 des tableaux que nous vous avons remis, on voit le pourcentage des dépenses d'émissions canadiennes. On voit que 65 à 75 p. 100 des émissions canadiennes seraient produites par des producteurs indépendants, selon la chaîne de télévision dont on parle.
Le sénateur Maltais : Quel pourcentage produisez-vous pour Radio-Canada?
Mme Samson : Pour Radio-Canada, la production indépendante d'émissions canadiennes représente 32 p. 100 des dépenses. Cela inclut les émissions d'information et d'affaires publiques. Si j'exclus ces émissions, les producteurs indépendants produisent une bien plus grande partie.
Le sénateur Maltais : Somme toute, si on met de côté les nouvelles, le sport, le football et la météo que vous ne produisez pas, que produit Radio-Canada?
Mme Samson : Elle produit encore un téléroman à l'interne intitulé L'Auberge du chien noir.
Le sénateur Maltais : On en a entendu parler.
Mme Samson : Radio-Canada a une longue histoire de production à l'interne de téléromans à grand succès. Elle produit encore certaines émissions de variété et des magazines quotidiens.
Mme Doucet : Beaucoup de jeux télévisés.
Mme Samson : Certains jeux télévisés sont produits à l'interne. Les grandes séries et grandes émissions de variétés sont confiées à la production indépendante. Elle fait très peu de documentaires, mais en produit toujours quelques-uns. Les documentaires sont en grande partie confiés à la production indépendante.
Le sénateur Maltais : Quel est pour vous le principal producteur indépendant? Qui est votre plus gros client?
Mme Samson : C'est Radio-Canada, monsieur.
Le sénateur Maltais : Et en second lieu?
Mme Samson : Le deuxième plus gros client, en termes de volume, serait la chaîne Astral, maintenant propriété de Bell.
Le sénateur Maltais : Vous n'avez jamais travaillé au niveau des nouvelles?
Mme Samson : Non, très peu. Parfois des émissions d'affaires publiques. Il faut savoir qu'en nouvelles, il y a toute la question de l'imputabilité et des codes journalistiques. Tous les réseaux ont des codes journalistiques et sont imputables des propos éditoriaux ou reportages qui vont en onde. Toutes les chaînes de télévision qui produisent des nouvelles et des émissions d'affaires publiques, en règle générale, produisent leur propre système de nouvelles puisqu'elles en sont imputables et qu'elles doivent répondre à plusieurs normes journalistiques qui leur sont propres et auxquelles les producteurs indépendants n'adhèrent pas.
Le sénateur Maltais : Soyez bien à l'aise avec ma prochaine question, si vous ne savez pas la réponse. Connaissez-vous le budget que Radio-Canada confie aux producteurs indépendants?
Mme Samson : Je ne le connais pas.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Madame Samson, qui finance votre association? Recevez-vous des fonds directement du gouvernement ou est-ce que vous dépendez entièrement des cotisations de vos membres?
Mme Samson : Nous sommes entièrement financés par les membres.
Le sénateur Plett : Cela étant, vous n'êtes pas obligée de répondre à la prochaine question parce qu'elle n'est pas pertinente, mais j'aimerais savoir si vous connaissez la réponse.
Le sénateur White a interrogé le président de CBC/Radio-Canada au sujet de son budget, et en cette période de restrictions, il a reçu une prime de plus de 75 000 $, ce qui est plus élevé que le salaire annuel de la plupart des Canadiens. Et cela, au moment où CBC/Radio-Canada a subi d'importantes compressions budgétaires, mais, apparemment, il y en a qui ont reçu des primes pouvant atteindre 50 p. 100. Étant donné les compressions budgétaires, est-ce que vous versez des primes à vos employés?
Mme Samson : Eh bien, oui, mais rien de comparable.
Le sénateur Plett : Comme vous ne recevez pas directement de subventions gouvernementales, je ne dirai rien de plus.
[Français]
Le président : Nous arrivons à la fin des questions. Le sénateur McInnis en a posée une concernant votre relation avec la Canadian Media Production Association. J'ai posé la question à un autre groupe de lobbyistes, Friends of Canadian Broadcasting. Existe-t-il au Québec l'équivalent de l'organisation de M. Morrison, Friends of Canadian Broadcasting?
Mme Samson : Pas à ma connaissance, Monsieur le président, non.
Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais remercier madame Samson. Vous allez être occupée, semble-t-il, au cours des prochaines semaines.
Mme Samson : Apparemment.
Le président : Nous avons beaucoup apprécié votre présence ici ce matin. Madame Doucet, merci de votre présence. Je déclare le comité ajourné.
(La séance est levée.)