Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 8 - Témoignages du 7 octobre 2014


OTTAWA, le mardi 7 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour poursuivre son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité des transports et des communications ouverte.

Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications. Notre témoin est Marie-Linda Lord, chercheure et vice-rectrice aux affaires étudiantes et internationales de l'Université de Moncton.

J'invite Mme Lord à faire sa présentation qui sera suivie par une période de questions de la part des sénateurs.

Marie-Linda Lord, chercheure et vice-rectrice aux affaires étudiantes et internationales, Université de Moncton : Messieurs les sénateurs et mesdames les sénatrices, je veux d'abord vous exprimer mon appréciation d'avoir le privilège de me présenter devant vous et de pouvoir échanger avec vous au sujet de la Société Radio-Canada. Comme vous le savez, c'est un sujet qui m'intéresse en ma qualité de chercheure universitaire depuis plusieurs années.

Je tiens à préciser que, lorsque je parle de la Société Radio-Canada, je vise exclusivement le réseau de langue française et non la CBC. Il est certain qu'il s'agit de la même société qui chapeaute, dans les faits, deux entités autonomes et indépendantes l'une de l'autre, que ce soit la télé, la radio, le site web, et cetera.

Ma présentation abordera aujourd'hui deux enjeux principaux. Je soulèverai une première question, à savoir où sont les régions au réseau national de la SRC. Ensuite, j'aborderai l'importance pour les Canadiens d'avoir accès à un réseau public digne de ce nom.

La Société Radio-Canada a été créée en 1936. À titre de radiodiffuseur public national, elle a pour mandat, et je cite :

[...] d'offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit, et cela, en reflétant la globalité canadienne et en rendant compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions.

Cet extrait est tiré de la Loi sur la radiodiffusion de 1991, que vous connaissez.

Pour mieux centrer les besoins régionaux, la Société Radio-Canada a créé des stations régionales partout au Canada d'où sont diffusés des téléjournaux régionaux, des émissions de radio et la mise à jour d'un site web régional. Pour ce qui est de la programmation nationale, que ce soit la télé ou la radio, nous le savons toutes et tous, elle est Montréal- centriste, c'est-à-dire que la production et le contenu des émissions dites nationales émanent et parlent très abondamment de Montréal.

Comme le dit l'ancienne journaliste de la Société Radio-Canada Acadie, la Québécoise Marjorie Pedneault, dans un essai publié la semaine dernière, en Acadie, intitulé Le nombrilisme québécois — je vous en offrirai un exemplaire, monsieur Dawson — et je cite :

Les ondes de télévision française publique sont devenues la propriété de Montréal et des réseaux de langue française, notamment du réseau de la Société Radio-Canada.

Les francophones à l'extérieur du Québec représentent 14 p. 100 des francophones du pays : ont-ils leur part au réseau national de Radio-Canada? Poser la question, c'est y répondre. Depuis sa création, la Société Radio-Canada n'a jamais respecté son mandat national. Elle a, par ailleurs, contribué avec succès au projet de société québécoise à l'aide de sa couverture québécoise.

Imaginez ce qu'il en serait si les mêmes efforts avaient été investis pour la francophonie canadienne à travers le pays, si les membres de cette francophonie avaient eu la chance de se parler, de se voir, d'échanger, de poursuivre un projet collectif en profitant de cet espace public qu'est un réseau national de télévision et de radio. Les silos régionaux auraient davantage été décloisonnés. Imaginez ce que serait la francophonie canadienne aujourd'hui. Vous en conviendrez, c'est un rendez-vous manqué avec l'histoire avec un grand H.

Cependant, il n'est jamais trop tard pour bien faire et cela m'amène à mon deuxième point. La Société Radio- Canada fait face à plusieurs défis. Le PDG de la société effectue actuellement une tournée du pays pour parler de l'avenir de la SRC. Il était, notamment, à Moncton la semaine dernière. La Société Radio-Canada de langue française doit se redéfinir et devenir ce qu'elle aurait toujours dû être : un réseau national de télé et de radio.

La loi de 1991 doit être révisée et devenir plus claire, plus précise quant au rôle et aux responsabilités du diffuseur public. La Société Radio-Canada de langue française est un réseau canadien et non québécois.

Dans leur couverture et leur programmation, la télé et la radio de la Société Radio-Canada doivent impérativement changer de cap et devenir canadiennes. Il faut que le CRTC veille à ce que la Société Radio-Canada respecte son mandat d'offrir des émissions qui reflètent la réalité canadienne et offre une vitrine à la diversité canadienne. Soyons clairs, pour que cet objectif soit réalisable, il faut détacher la tête du réseau de la station de Montréal. La tête du réseau doit être assurée ailleurs au pays. La station de Montréal doit devenir une station régionale.

En conclusion, les francophones du pays ont droit à un réseau public national au même titre que tout autre Canadien, y compris les Québécois.

Pour ce faire, le gouvernement fédéral doit assurer un financement adéquat et spécifique au réseau de langue française dans le respect de la Loi sur les langues officielles et des services qui en découlent.

Je vous remercie de votre attention. Je suis tout à fait disposée à répondre à vos questions.

La sénatrice Verner : Bonjour et bienvenue, madame. Simplement pour prendre au passage votre dernière phrase, la tête du réseau ailleurs qu'à Montréal, où la verriez-vous?

Mme Lord : Il faudrait la sortir du Québec et la mettre dans la francophonie canadienne. Le premier endroit auquel on pourrait penser, c'est Ottawa, qui est au centre du pays et est située dans un milieu francophone minoritaire, qui serait aussi à l'affût de toutes les autres institutions et instances fédérales qui y sont et qui œuvrent déjà au plan national. Il y aurait un climat, un environnement qui privilégierait un changement de culture. C'est un changement de culture qu'il doit y avoir au sein de la Société Radio-Canada nationale. Il faudra que des efforts soient investis. Il faut que la tête du réseau quitte Montréal. On le voit, c'est clair, toutes les études l'affirment à répétition. Nous avons dépassé le monde de la perception, car il s'agit d'une réalité. C'est pour cette raison qu'il faut absolument apporter un changement en ce qui concerne la tête du réseau.

La sénatrice Verner : J'aimerais aborder l'étude que vous avez réalisée en 2009 et dans laquelle vous avez conclu que, au fond, le bulletin anglophone comportait davantage de nouvelles régionales que le réseau francophone de la Société Radio-Canada. C'est assez paradoxal tout de même.

Lorsque M. Hubert Lacroix a comparu devant le comité le 26 février dernier, le sénateur Mockler lui a posé une question sur la volonté réelle de la SRC de mettre un terme à la « montréalisation » des bulletins télévisés du réseau français et, plus particulièrement, du téléjournal. À ce moment-là, M. Lacroix lui a répondu que, grâce à la nomination de Michel Cormier, qui est un Acadien, combinée à la multiplication des plateformes numériques permettant de diffuser davantage de nouvelles, tout cela ferait en sorte qu'on puisse davantage répondre aux besoins de la communauté acadienne, notamment dans l'Est du pays.

Il s'est écoulé cinq ans depuis la publication de votre étude; si vous faisiez la même recherche aujourd'hui, en tenant compte de la nomination de Michel Cormier et de la refonte récente du Téléjournal mentionnées par M. Lacroix, pourriez-vous conclure que les choses se sont améliorées depuis 2009?

Mme Lord : À peine. Nous sommes tous conscients aussi de l'erreur magistrale commise en juin dernier. Michel Cormier s'est rendu à Moncton pour présenter des excuses, mais cela n'a pas été tout à fait bien reçu par la communauté, pour vous dire la vérité. Je dirais aussi, à la défense de Michel Cormier — qui est un ancien collègue, ayant été dix ans journaliste à la Société Radio-Canada en Atlantique —, que c'est lui en mettre beaucoup sur les épaules. On ne peut s'attendre à ce que tout un service de l'information, de culture montréalaise depuis ses débuts, change du jour au lendemain, parce qu'on y nomme un Acadien à sa tête; un Acadien, d'ailleurs, qui a tout de même vécu à l'extérieur du pays et, surtout, à l'extérieur de l'Acadie durant plusieurs décennies, parce qu'il était correspondant à l'étranger.

C'est également une question de culture. Je reviendrai à votre question, mais je vous donne un exemple qui est vécu quotidiennement : lorsque vient le temps d'annoncer l'heure à la radio de Radio-Canada, il s'agit toujours de l'heure de Montréal. Pourquoi les patrons et les employés ne sont-ils pas sensibilisés au fait qu'ils s'adressent à un pays qui s'étend de l'Atlantique au Pacifique? Ils sont dans une bulle québécoise, ils sont à Montréal. Ils ne reçoivent aucun commentaire, aucun reproche, aucun redressement. Il y a des décennies que c'est ainsi. On n'a pas le souci de considérer le fait qu'il s'agit d'une diffusion nationale. Pour revenir à mon étude, c'est là que l'on constate la culture, et que les réflexes ne sont pas développés du tout.

J'ai passé, justement, un peu de temps, hier soir, avec un journaliste national de Radio-Canada, un de mes anciens étudiants, et il me rappelait une entrevue avec Michel Désautels que j'avais donnée à la suite de l'étude publiée en 2009. M. Désautels me disait qu'il n'avait pas six heures par jour à dépenser ou à perdre pour trouver un francophone noir à Halifax, par exemple, pour parler, entre autres, de l'élection du président Obama. Je lui ai appris que le président du Conseil des arts d'Halifax ou de la Nouvelle-Écosse était un noir francophone et qu'il y a des Noirs francophones dans toutes les grandes villes canadiennes, et que, comme la Société Radio-Canada a des stations régionales dans toutes les grandes villes canadiennes, il était très facile d'appeler ses propres collègues dans les différentes stations régionales. De plus, les gens dans les stations régionales, partout au pays, connaissent très bien leur communauté. Ils savent qui sont les intervenants, les acteurs sociaux, et cetera. Ils n'ont pas le réflexe de faire appel aux professionnels de leur propre station régionale. Il aurait été facile — et c'est un exemple qu'on donne dans l'étude — de trouver quatre jeunes francophones noirs à travers le pays, comme l'a fait la CBC, dans quatre villes du pays. Il aurait pu y avoir quelqu'un du Québec, pas nécessairement de Montréal, mais de Québec, de Trois-Rivières ou de Sherbrooke, et trois autres personnes d'ailleurs, mais on ne fait pas cet effort. Ils croient que cela prend du temps, mais ils n'ont jamais essayé non plus. Ils connaissent très mal la francophonie canadienne et ils nous croient bien moins nombreux que nous le sommes. Ils ont le préjugé de croire que nous sommes moins dynamiques que nous le sommes réellement, alors que nos communautés sont très vibrantes, d'autant plus que la réalité francophone de nos communautés est très différente de celle du Québec, puisqu'elles vivent en milieu minoritaire. Dès la levée du lit, nous sommes au front linguistique. C'est clair! On peut dire qu'on est un peu une forteresse pour le Québec. C'est un peu ça, la réalité.

La sénatrice Verner : Comme ancienne ministre des Langues officielles, je suis bien d'accord avec vous, les communautés francophones hors Québec sont vibrantes et pleines d'énergie. En tant que Québécoise, c'est un aspect que j'ai découvert lorsque j'ai été nommée ministre, car on ne se pose pas la question de savoir si on aura un enjeu linguistique à affronter en se levant le matin. Ceci étant dit, c'est un commentaire qui m'appartient.

Puisque Radio-Canada évolue dans une conjoncture complexe et changeante en matière de radiodiffusion et de télécommunication, croyez-vous que la communauté acadienne trouve vraiment son compte en matière d'information régionale grâce à la multiplication des plateformes numériques évoquées, entre autres, par M. Lacroix pour faire contrepoids au bulletin télévisé traditionnel comme le Téléjournal en fin de soirée? Souvent, à la fin de la soirée, on a déjà tout vu sur les différentes plateformes.

Mme Lord : J'apprécie beaucoup votre question, parce qu'elle va me permettre d'aborder un point sur lequel la Société Radio-Canada montre très peu de bonne volonté, à savoir que les Acadiens, par exemple, voudraient recevoir des nouvelles acadiennes. L'enjeu n'est pas là, car nous avons une station régionale qui le fait. Nous voulons des nouvelles canadiennes. C'était un peu cela, l'étude. Lorsqu'on écoute une station de la CBC ou que l'on consulte son site web pour avoir des nouvelles, on a des nouvelles du Canada. Nous voulons recevoir des nouvelles du Canada. C'est ça, le problème. On ne veut pas faire du nombrilisme. C'est ce qu'a créé la Société Radio-Canada nationale : un nombrilisme montréalais puis régional, dans les régions. Chez moi, je ne vois que l'Acadie si je regarde des émissions locales ou la plateforme web. C'est une bonne source d'information, ce n'est pas là la question. Par contre, je n'entends jamais parler des Franco-Albertains ou des Franco-Manitobains, et il ne s'agit pas seulement des francophones, mais des enjeux aussi qu'il peut y avoir en Saskatchewan. Nous sommes des citoyens canadiens également, et la Société Radio-Canada ne nous donne pas cela. Nous n'avons pas l'information dont nous avons besoin pour être de bons citoyens canadiens, je crois. Il faut faire beaucoup d'efforts pour aller chercher l'information ailleurs. Voilà pourquoi on demande à la Société Radio-Canada de le faire, parce qu'elle est un diffuseur public financé, en grande partie, par l'argent des contribuables. La SRC est donc redevable et imputable au peuple canadien, alors qu'elle ne respecte pas le mandat qui lui a été donné. C'est pour cela qu'on est critique au sens où on l'est aujourd'hui, car on a des attentes tout à fait légitimes. La Société Radio-Canada doit répondre au gouvernement fédéral par l'intermédiaire de Patrimoine canadien, et c'est pour cela qu'on est en droit de demander un meilleur réseau national. Nous ne l'avons pas. On nous a mis en silo. On nous rétorque que nous avons nos informations nationales et nos émissions régionales; c'est bien, mais dès que je sors de ma région, ce que j'ai, c'est Montréal. Ce n'est pas cela être Canadien.

À la CBC, ce n'est pas comme cela. J'ai fait l'exercice d'écouter la radio de CBC pendant toute une semaine et j'ai constaté que ses émissions se promènent d'un bout à l'autre du pays continuellement. Les intervenants viennent de partout, sans compter ceux qui viennent de l'international. On entend toutes sortes d'accents, on entend toutes sortes d'histoires qui viennent du Canada. Faire le même exercice à Radio-Canada ne donne pas le même résultat du tout.

D'ailleurs, dans le livre que je remettrai à M. Dawson, tout à l'heure, qui est un essai et non pas une étude scientifique, l'ancienne journaliste Marjorie Pedneault nous donne l'exemple de la tuerie malheureuse des policiers à Moncton en juin dernier. Dans les studios de Montréal, des agents de la Sûreté du Québec analysaient les tactiques de la GRC pour pouvoir traquer le tueur d'un point de vue québécois. Ça ne se passait pas au Québec, mais bien au Nouveau-Brunswick!

C'est toute cette culture qu'il faudrait changer, et ce n'est pas une mince tâche. C'est possible. Il s'agit qu'il y ait des directives, qu'on retire la tête du réseau de Montréal, qu'il y ait vraiment un mot d'ordre et un changement d'attitude. Il faut rappeler aux gens qu'ils sont Canadiens, qu'ils s'adressent au pays au complet.

On parle des francophones, mais il y a aussi beaucoup de francophiles qui sont intéressés, qui regardent et écoutent Radio-Canada. Le réseau ne s'adresse pas exclusivement aux francophones.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci, madame Lord, de témoigner devant nous. Avant de vous poser des questions, j'aimerais apporter une correction à une déclaration que vous avez faite. Ottawa n'est pas le centre du Canada; c'est mon petit village de Landmark au Manitoba qui l'est. Cela ne fait aucun doute.

Mme Lord : Nous sommes d'accord.

Le sénateur Plett : Merci.

La circonscription de Provencher au Manitoba est aussi la plus grande circonscription francophone hors Québec. J'en suis originaire. C'est vrai qu'il y a beaucoup de francophones dans ma région.

Je pense que dans l'ouest du Manitoba, nous avons la même opinion de CBC que vous avez de Radio-Canada : il n'y en a que pour Toronto. Voilà pourquoi ceux d'entre nous qui habitent dans l'Ouest — la sénatrice Unger pourrait certainement en témoigner — ne savent pas non plus ce qui se passe dans bien des régions du pays. Votre opinion de Radio-Canada est celle de bien des gens à l'égard de la CBC dans son ensemble.

Comme vous l'avez mentionné, la CBC/Radio-Canada est censée offrir plus de contenu canadien. Elle est censée être un diffuseur national alors qu'elle semble être régionale. Loin de moi l'idée de monter aux barricades pour la CBC/ Radio-Canada, mais elle connaît des difficultés, notamment celle de ne plus diffuser La Soirée du hockey, qui générait des revenus énormes. Maintenant qu'elle a perdu cette émission, comment pouvons-nous continuer à lui demander d'offrir plus de contenu canadien, d'être un diffuseur national et de rejoindre tout le monde au Canada?

Il est clair que, par le passé, la CBC/Radio-Canada était l'un des seuls diffuseurs à se rendre dans bien des régions du pays — dans le Nord, par exemple — et que ce n'est plus le cas. Nous avons la télévision par satellite, Internet et toutes ces choses.

Compte tenu de ses sources de revenus, comment devrait-elle s'y prendre pour être comme vous suggérez qu'elle soit? Je ne crois pas qu'un gouvernement quel qu'il soit ait envie de lui verser plus de financement, alors elle doit s'arranger avec les moyens qu'elle a, et peut-être même moins. Comment peut-elle continuer à faire ce que vous suggérez?

Avec l'avènement d'Internet, la CBC/Radio-Canada est-elle toujours pertinente dans la société d'aujourd'hui? Des collègues sénatoriaux et des témoins nous ont dit que Radio-Canada semble être plus pertinente au Québec que le reste de la CBC l'est à l'extérieur de cette province. Qu'en pensez-vous?

[Français]

Mme Lord : Concernant la question des revenus, oui, ils ont fait un gros coup avec Hockey Night in Canada. Cependant, je crois que l'enjeu n'est pas une question d'argent; il y a des gens qui ne seront pas d'accord avec moi, mais c'est aussi une question de programmation, de faire des choix prioritaires pertinents pour une programmation nationale.

Radio-Canada a quand même du succès au Québec et elle est pertinente pour le Québec. Dernièrement, on lui fait souvent le reproche d'avoir imité le modèle privé et de faire concurrence au réseau de télévision TVA. D'ailleurs, TVA est en tête des cotes d'écoute. La question de la course aux cotes d'écoute explique l'un des problèmes auxquels la Société Radio-Canada fait face. Celle-ci a décidé de se définir en termes de cotes d'écoute. Les revenus publicitaires représentent un enjeu, c'est vrai, mais cela provoque un détournement majeur du mandat de Radio-Canada qui devrait être un diffuseur public. Il doit y avoir une redéfinition à ce chapitre. On ne devrait pas demander à un diffuseur public d'être lié à ce point aux cotes d'écoute. Cette problématique frappe surtout Radio-Canada et non pas la CBC. À la CBC, c'est différent.

Bref, le défi des revenus existe, mais il s'agirait de repenser la programmation. Radio-Canada s'est beaucoup diversifiée et offre plusieurs différentes plateformes maintenant. Il faudra sans doute faire des choix.

Je pense à des stations du côté francophone comme ARTV, qui est une chaîne spécialisée, et Explora, également. Est-ce dans le mandat de la Société Radio-Canada d'offrir des chaînes spécialisées? La question se pose, parce que plusieurs chaînes spécialisées sont offertes maintenant par câblodistribution. On a laissé faire Radio-Canada dans ce domaine. Était-ce nécessaire? La question se pose : la SRC s'est-elle trop diversifiée au lieu de se concentrer sur ce qu'elle a à faire comme diffuseur public?

Le Canada est un pays démocratique multiculturel, et il aurait avantage à se doter d'un bon diffuseur public, d'autant plus qu'il est voisin des États-Unis dont la culture de masse est un bulldozer, on le sait. Il y a des modèles inspirants dans le monde. On peut penser à la BBC, en Grande-Bretagne, et à d'autres pays qui ont aussi des réseaux nationaux efficaces et pertinents pour leur population.

Sur le Web, on retrouve beaucoup de contenus de nos jours. Certains contenus sont accessibles un peu partout sur la planète, mais pas tous. J'ai essayé moi-même dans certains pays, mais il y avait des choses que je ne pouvais pas voir sur Radio-Canada, car c'était fait par des maisons de production et non par la Société Radio-Canada. Tout de même, cela devient une vitrine pour mieux connaître le Canada à l'étranger. C'est pour cela que la Société Radio-Canada est importante également, pour jouer ce rôle de vitrine à l'étranger.

Maintenant, est-ce encore pertinent? Vous m'avez posé la question. Ma réponse est oui. Il le faut. À la suite d'études comparatives entre la Société Radio-Canada et la CBC, on constate que la situation n'est pas parfaite à la CBC non plus; c'est tout de même moins scandaleux qu'à Radio-Canada. Pour avoir accès à du contenu canadien, il faut envoyer des messages très clairs et dire aux dirigeants de la Société Radio-Canada qu'ils ont un mandat national et qu'ils doivent le respecter. C'est comme cela que Radio-Canada deviendra plus pertinente. Les Canadiens veulent se voir, je crois.

Si je peux me le permettre, je vais le dire ici — et ce n'est peut-être pas tout le monde qui le sait —, je suis la présidente du conseil d'administration de TV5 Québec-Canada et de la nouvelle chaîne Unis, une chaîne franco- canadienne en ondes depuis un peu plus d'un mois maintenant, en distribution obligatoire à travers le pays, octroyée par le CRTC et qui permet aux communautés francophones de se voir. J'ai fait l'exercice dernièrement — mon téléviseur est ouvert comme jamais — de vérifier ce qui s'y passe et, en une semaine, j'ai vu tout le Canada. Je suis allée en Colombie-Britannique, en Alberta et au Manitoba. Je suis allée en Ontario et au Québec — aux îles Mingan. Je suis allée en Nouvelle-Écosse et en Acadie. Quand voit-on cela à Radio-Canada? À la CBC, on voit un peu plus le Canada qu'à Radio-Canada. Les moyens financiers d'Unis sont évidemment inférieurs à ceux de la Société Radio-Canada; cela prouve donc que c'est possible. Il est certain que la chaîne Unis n'offre pas de bulletins de nouvelles, car l'information et les salles de rédaction coûtent énormément cher, et il n'y a pas de couverture sportive non plus. D'ailleurs, en termes de qualité de l'information, Radio-Canada pourrait avoir un mandat très précis pour les citoyens canadiens.

C'est l'un de ses rôles, et Radio-Canada s'est déjà démarquée pour la qualité de l'information. On pourrait lui demander encore plus d'imputabilité dans ce secteur, car elle pourrait développer un créneau très intéressant pour les citoyens canadiens.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Vous avez parlé d'autres pays et de leurs diffuseurs publics. Avez-vous mené des études pour voir comment Radio-Canada ou la CBC dans son ensemble se compare aux BBC du monde entier ou à d'autres diffuseurs?

[Français]

Mme Lord : Non, pas d'études comparatives. Les budgets de la BBC sont beaucoup plus élevés que ceux de Radio- Canada.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Merci pour tous vos commentaires. Vous avez, en fait, répondu à deux de mes questions.

J'aimerais simplement dire que, à titre de résidente d'Edmonton, je suis d'accord avec mon collègue qui fait valoir que Winnipeg serait beaucoup plus centrale que Montréal pour y installer la tête du réseau que vous avez suggéré de déplacer.

Pour ce qui est de comparer la CBC à la BBC, il y a un exemple que j'aimerais mentionner. Je pense qu'il remonte à la dernière fois que les Oilers ont participé aux séries éliminatoires de la coupe Stanley. Mon conjoint et moi étions en Europe, et j'ai allumé la radio par curiosité. À mon grand étonnement, j'ai trouvé des parties du match et les résultats sur les ondes de la BBC. Ce fut une très agréable surprise.

Je me demandais si vous pouviez vous prononcer maintenant sur le journalisme citoyen et sur la façon dont les informations sont diffusées mondialement, ce qui, selon moi, change la donne.

J'ai un autre commentaire : par habitude, j'écoute les nouvelles de la CBC le matin en me rendant au travail. J'ai été ébaubie de les entendre parler de l'Alberta et de Fort McMurray; ils ont dit que l'UE a étiqueté le pétrole extrait des sables « pétrolifères »; pour changer, on n'a pas parlé de sables « bitumineux », de pétrole sale. C'est une bonne nouvelle pour moi et pour Edmonton.

Pourriez-vous vous prononcer sur ce nouveau type de journalisme?

[Français]

Mme Lord : C'est un sujet qui m'intéresse. J'ai beaucoup étudié les mutations en journalisme. Le grand changement a commencé avec l'apparition de CNN et l'information continue 24 heures sur 24. On a créé un animal qui a toujours faim. Par conséquent, on est obligé d'avoir constamment de l'information. Qu'il s'agisse de Newsworld, de RDI- Réseau de l'information, de CTV ou de TVA, tout le monde a désormais sa chaîne d'information continue. Ce phénomène a créé une rapidité sans précédent. Il faut toujours produire, il faut toujours nourrir l'animal et lui donner de l'information. Les conséquences se sont fait sentir sur l'éthique journalistique et la vérification des faits. On retrouve désormais beaucoup de témoignages et de perceptions.

Il y a deux ans, une journaliste était venue m'interviewer à l'arrivée de nos étudiants internationaux, à l'Université de Moncton. Elle s'était entretenue avec un étudiant international, qui était à Moncton depuis quelque temps, et lui avait demandé combien d'étudiants internationaux arrivaient chaque automne. L'étudiant avait alors fourni un chiffre erroné, mais cette donnée avait été diffusée par Radio-Canada.

J'ai alors demandé à la journaliste pourquoi elle n'avait pas vérifié auprès de nous le nombre d'étudiants. Nous recevons moins d'étudiants que ceux-ci ne pourraient le percevoir. La journaliste m'a répondu qu'il s'agissait de la perception de l'étudiant, et qu'il faut que les gens connaissent les perceptions. J'ai souligné le fait que j'ai été journaliste pendant 10 ans, que j'ai enseigné le journalisme 22 ans et que j'ai toujours enseigné le journalisme factuel. Ils ont donc retiré le reportage et ont ensuite donné les faits.

Le phénomène est généralisé, et cet exemple en illustre plusieurs autres. Le problème se situe au niveau de la qualité journalistique et, à mon avis, nous en souffrons tous.

Pour en revenir au rôle de Radio-Canada, la SRC a longtemps été la référence journalistique au pays et même à l'étranger. Elle avait une excellente réputation. On pourrait donc, effectivement, exiger beaucoup plus pour ce qui est de l'éthique. Il faudrait probablement revoir certaines pratiques journalistiques.

La situation est difficile dans le monde actuel. Il y a Twitter, Facebook, et un tas de choses se disent sur ces réseaux sociaux. Si on revient à la tuerie de Moncton, vous vous souviendrez qu'on était mieux informé grâce à Facebook et à Twitter. J'ai été informée par Facebook le soir même plutôt que par Radio-Canada. Les autres chaînes étaient là, mais pas Radio-Canada.

Quant aux pratiques journalistiques, il pourrait certainement y avoir un dialogue avec Radio-Canada pour être différent, ne pas faire comme les autres et s'assurer que la qualité y soit comme auparavant. Encore une fois, celle-ci a adopté des pratiques qui misent sur les cotes d'écoute et l'importance d'attirer les auditoires au-delà de la préoccupation de la qualité. On pourrait tenir à ce sujet tout un débat et un dialogue avec les dirigeants de Radio- Canada.

Je ne sais pas si je réponds à votre question, mais c'est aussi un enjeu, effectivement.

La sénatrice Charette-Poulin : Merci, madame Lord, d'être avec nous aujourd'hui.

J'ai été vice-présidente de la radio et de la télévision régionale française à Radio-Canada de 1983 à 1988. J'ai connu la tête des services régionaux, qui n'était pas à Montréal, mais à Ottawa. M. Juneau avait fait une restructuration très importante, qui était retournée à l'ancienne structure en 1988.

Vous avez su, de façon extrêmement claire et passionnée, nous rappeler la base même de la radio et de la télévision publique au Canada, et je vous en remercie. Les enjeux et les défis qui existaient pour le Canada, dans les années 1930, demeurent encore aujourd'hui, à cause des distances géographiques et des différences linguistiques et culturelles.

Quelle est la responsabilité du conseil d'administration? Le conseil d'administration et ses membres représentent toutes les régions du pays. Quelle en est donc la responsabilité? Où est la volonté collective de bien remplir son mandat selon la loi habilitante, la Loi sur la radiodiffusion? Avez-vous rencontré le conseil d'administration?

Mme Lord : Je suis bien contente que vous parliez du conseil d'administration. Non, je n'ai jamais rencontré le conseil d'administration. Je n'ai jamais rencontré en personne, non plus, le PDG, M. Lacroix. Je me pose effectivement la même question que vous, et je me la posais encore ce matin.

J'ai examiné à plusieurs reprises la composition du conseil d'administration et de quel milieu viennent ses membres. Il ne s'agit pas seulement de la région, de l'origine géographique, mais aussi du milieu professionnel. Or, il ne semblait pas y avoir là des gens qui puissent avoir des connaissances suffisantes pour comprendre les subtilités culturelles et le rôle d'un diffuseur public.

Je connais le rôle des conseils d'administration, car j'en fais partie. Les questions financières sont toujours d'importance primordiale. Ensuite on passe aux questions liées aux ressources humaines. Souvent, les conseils d'administration n'ont pas les connaissances nécessaires, car ils ne comptent pas parmi leurs membres des professionnels du quotidien, pour bien comprendre ce qui se passe dans la boîte en matière de planification stratégique, ce qui est important, aussi, pour un conseil d'administration. C'est là que le conseil d'administration de Radio-Canada pourrait jouer un rôle.

La CBC et Radio-Canada sont une même entité et, déjà, cela pose problème, ce qui est le cas en ce moment. On peut avoir le même conseil d'administration pour les deux entités, mais on pourrait aussi prévoir deux planifications stratégiques : une pour la CBC et une autre pour Radio-Canada, parce que les besoins sont différents. Les défis démographiques ne sont pas les mêmes. Avec la population francophone, il y a une concentration au Québec. Pour la CBC, il y a une minorité au Québec. Le défi est donc inversé. Présentement, la planification stratégique couvre l'ensemble des deux. Il en faudrait absolument deux, et il faudrait même deux budgets. Il est possible pour un conseil d'administration de voter deux budgets distincts.

En ce qui concerne les compressions budgétaires à la suite de la perte de Hockey Night in Canada, on constate que Radio-Canada écope des pertes de la CBC. Cela pourrait être rectifié. Le conseil d'administration pourrait prendre ce genre de décision. Qui est là pour expliquer aux membres du conseil d'administration, par exemple, ce qu'est la francophonie canadienne? Ce n'est pas parce que l'on vient d'un milieu minoritaire que l'on comprend nécessairement ce que cela veut dire. Ce n'est pas parce que mon père est pilote d'avion que je sais piloter un avion.

Il n'y a personne qui est qualifié au plan sociologique ou socioculturel qui connaît également les médias et qui comprend ce que sont la radio, la télévision, l'espace public et les impacts d'être visibles et entendus dans un espace public.

Lorsqu'on parle de visibilité, si l'on n'est pas vu à la télévision, c'est ne plus exister, à l'heure actuelle. De nos jours, il y a les réseaux sociaux. On a toujours dit que, avec Internet — et les Netflix de ce monde, qui font parler d'eux tous les jours dernièrement dans les quotidiens ou ailleurs —, il y aurait une diminution de l'écoute de la télévision, alors que c'est exactement le contraire qui est en train de se produire au Canada. Les Canadiens regardent la télévision plus que jamais, parce que les médias sociaux restent des milieux de diffusion pour faire la promotion de la programmation télévisuelle. On y parle beaucoup des émissions, des vedettes ou d'autres nouvelles, et cetera, et c'est exactement l'effet contraire de ce qu'on avait annoncé, et qui en serait une conséquence. C'est la même chose en ce qui concerne la fréquentation des salles de cinéma. Selon un article que j'ai lu la semaine dernière, la fréquentation des salles de cinéma a augmenté. Le cinéma s'est adapté à la nouvelle réalité en ajoutant beaucoup plus d'effets spéciaux.

Pour revenir à la question du conseil d'administration et à sa composition, il est bien qu'il y ait des gens d'affaires, des avocats et des comptables, mais, à un moment donné, il faut qu'il y ait des gens qui puissent expliquer les réalités d'un diffuseur public et l'importance d'avoir un espace public avec toute la question de la visibilité et de la prise de parole. C'est très important.

La sénatrice Charette-Poulin : Dites-vous que le conseil d'administration devrait avoir deux sous-comités, un pour Radio-Canada et un pour la CBC? Un pour les services en français et un autre pour les services en anglais?

Mme Lord : Certainement. En ce qui concerne la planification stratégique, certainement.

La sénatrice Charette-Poulin : Depuis plusieurs années, et mes collègues y ont fait référence, la radiodiffusion publique est graduellement devenue plus dépendante des revenus commerciaux.

Mme Lord : C'est cela.

La sénatrice Charette-Poulin : Comme vous l'avez dit, elle est donc plus dépendante du calcul mathématique des cotes d'écoute. Si vous aviez à donner des recommandations au conseil d'administration ou au gouvernement pour diminuer cette dépendance sur les revenus commerciaux pour que le service unique d'une radio et d'une télévision publiques demeure vraiment public pour les Canadiens et Canadiennes, que feriez-vous, avant tout?

Mme Lord : Ma première recommandation serait de revoir de fond en comble la programmation. Il serait certainement possible, avec les moyens actuels, d'avoir une programmation beaucoup plus canadienne qui ne coûterait pas nécessairement plus cher.

Certains diront que je rêve en couleur, mais je peux vous l'affirmer, car je constate l'expérience toute nouvelle vécue avec la chaîne Unis, qui dispose de beaucoup moins de moyens que Radio-Canada, et qui réussit à diffuser des émissions qui viennent de partout et pour lesquelles les équipes doivent voyager, et cela coûte cher, voyager. Déjà, Radio-Canada fait appel à de nombreuses productions de firmes privées. C'est déjà le modèle d'affaires de la chaîne Unis.

Radio-Canada devrait retrouver sa personnalité. Elle s'est mise dans un mode d'imitation de réseaux privés, tels que celui de TVA, auquel elle se confronte continuellement. Nous sommes habitués au modèle de qualité de Radio-Canada. C'est un choix que la SRC devra faire, au lieu de tenter de tout faire tout en essayant d'offrir une programmation nationale de qualité. Certaines choses qui sont faites présentement devront probablement être revues à la baisse.

La sénatrice Charette-Poulin : Avez-vous eu l'occasion de comparer l'investissement de différents gouvernements dans le monde, par habitant, en matière de radiodiffusion publique? Par exemple, combien les gouvernements du Royaume-Uni, de la France ou de l'Australie, entre autres, où les radiodiffuseurs publics existent, investissent-ils par habitant comparé au gouvernement canadien?

Mme Lord : Au Canada, le ratio par habitant est à la baisse. Cela diminue, alors que dans le cas de la BBC, au Royaume-Uni, où il y a deux fois notre population, le gouvernement investit beaucoup plus par habitant.

[Traduction]

La sénatrice Charette-Poulin : Est-ce que la Bibliothèque du Parlement pourrait nous fournir une étude comparative sur les données concernant l'investissement par habitant au Canada par rapport à d'autres pays où la radio et la télévision publiques existent?

Le président : Elle l'a déjà fait.

La sénatrice Charette-Poulin : Oh, elle l'a déjà fait.

[Français]

Le président : Nous vous en enverrons une copie.

Le sénateur Housakos : Bienvenue, madame Lord. Votre témoignage a été très apprécié. Vous n'êtes pas le premier témoin à nous dire que les besoins de la CBC anglaise et ceux de la Société Radio-Canada française sont tellement différents et qu'ils sont maintenant gérés par la même administration.

Vous avez remarqué que ce sont deux entités qui ont des défis différents, mais qui travaillent en suivant une stratégie commune. On n'a pas encore bien compris ce qu'était la stratégie de Radio-Canada. On cherche encore à savoir où elle va.

Êtes-vous d'accord avec le fait que le gouvernement devrait commencer à étudier la possibilité de créer deux entités avec deux conseils d'administration indépendants, une pour répondre aux besoins des francophones canadiens, et l'autre, aux besoins des anglophones canadiens?

Mme Lord : Il est certain que cela pourrait être une option, mais on sait aussi que le partage des services de la CBC et de Radio-Canada permet des économies. Dans les stations régionales, elles partagent les mêmes locaux et studios. Une économie se fait à cette échelle. Par ailleurs, cela est peut-être moins important, mais en ce qui concerne les correspondants à l'étranger, certains aspects pourraient demeurer tels quels. Ces correspondants sont souvent bilingues et font les reportages pour les deux entités pour les bulletins de nouvelles.

Il est possible de conserver un conseil d'administration et une entité, mais il faudrait prévoir deux planifications stratégiques et des budgets distincts pour que l'un ne subisse pas les conséquences de l'autre. Dans le cas de la dernière situation financière, c'est ce qui s'est produit. Radio-Canada écope en raison d'une perte de revenus importante pour la CBC. C'est ce qui ne fonctionne pas, et cela a des conséquences sur ce que Radio-Canada peut offrir à la francophonie canadienne.

Je ne suis pas dans les chaussures des dirigeants, mais je ne crois pas que le gouvernement voudrait nécessairement multiplier les instances. Je ne crois pas que nous soyons à la bonne époque pour le faire.

C'est bien de dire que le Canada a des diffuseurs publics dans les deux langues, mais à l'intérieur de la gouvernance elle-même, il pourrait y avoir une division, sous un même chapeau. Cela rend le diffuseur public plus fort, et c'est à l'image du Canada. Il faut une certaine séparation en ce qui a trait au fonctionnement et à la gouvernance, certainement, mais pas une division complète. C'est mon opinion.

Le sénateur Housakos : Pour le Canada anglais, il y a un problème profond par rapport à la CBC, parce que les cotes d'écoute n'y sont pas. Le plus grand défi pour la CBC est de savoir pourquoi les Canadiens ne sont pas intéressés. Pour ce qui est du Canada français, il y a un besoin profond, et Radio-Canada ne répond pas à ce besoin.

Que peut faire le gouvernement fédéral pour régler cela? Il y a une distance à longueur de bras entre l'administration de la CBC et le gouvernement. Lorsque nous avons visité le Manitoba, nous avons entendu dire que, en dehors du Québec, il y avait une population qui avait un besoin important et qu'il n'y avait pas beaucoup d'options pour les francophones hors Québec.

À part le fait de verser de l'argent année après année, y a-t-il d'autres solutions que le gouvernement fédéral pourrait mettre en œuvre pour répondre à cette communauté qui est partout au Canada?

Mme Lord : La différence fondamentale concernant le succès de Radio-Canada par rapport à la CBC c'est le star- système du Québec qui est lié à la concentration de sa population. Le Québec s'est créé des institutions qui ont pu soutenir un star-système. On parle de journaux à potins, de vedettes, entre autres. Cela fonctionne très bien pour créer des vedettes. Cependant, au Canada anglais, cela ne s'est pas produit. Pourquoi les gens souhaitent-ils regarder la télévision? C'est parce qu'ils y voient leurs vedettes dans les émissions dramatiques, les séries télévisées, les films québécois qui y sont présentés et les galas, entre autres, à Radio-Canada, liés à l'industrie du disque, du théâtre, de l'humour et du cinéma. On les voit tous, et tout cela maintient un star-système qui intéresse les gens. On constate toute l'influence du star-système de Hollywood aux États-Unis. Cela fonctionne très bien, c'est même mondial.

Le Canada anglais n'a pas réussi à créer son star-système. C'est une conséquence directe sur le manque de popularité de la CBC. On n'a pas créé de vedette canadienne du côté anglais. Radio-Canada a très bien réussi à le faire, et avec la venue de TVA et d'autres instances qui ont participé, elle a eu un impact réel, considérable sur le projet de société québécoise. Cela a été un succès. La concentration de la population sur un territoire plus petit que celui du Canada a contribué à cette réalité également, mais c'est vraiment la raison qui explique la popularité de Radio-Canada au Québec. De plus, lorsqu'on examine les populations insulaires, la Grande-Bretagne, le Japon et le Québec, ce sont trois populations dans le monde parmi celles qui regardent le plus leur télévision. Le Québec est comme une île de par son identité linguistique. Il a un comportement insulaire. Cela s'accompagne d'autres traits insulaires, mais le Canada n'aura pas une réaction semblable. On revient à la question du star-système; quand on écoute une émission comme Tout le monde en parle, le dimanche soir, à Radio-Canada, le star-système y est en primeur toutes les semaines et on l'entretient, et cela fonctionne. C'est une émission d'heure de grande écoute. Le dimanche soir est maintenant le soir où on regarde le plus la télévision. Il s'agit d'un changement des comportements d'écoute télévisuelle. Ce n'était pas le dimanche soir auparavant. Cependant, on comprend qu'il s'agit d'un contenu très montréalais et très québécois, et certainement pas national, encore une fois, parce que c'est le star-système québécois qu'on y retrouve.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur le président, de me permettre de poser une question, étant donné que je ne suis pas membre du comité. C'est un plaisir et c'est un sujet qui me tient à cœur. J'ai quelques questions.

M. Lacroix était dans la région de Moncton récemment pour rencontrer des intervenants des parties prenantes. Avez-vous été invitée à partager votre opinion?

Mme Lord : Non, je n'ai pas été invitée. Donc, je n'y étais pas.

Le sénateur Mockler : Souvent, les Canadiens ont accès aux émissions de télévision et aux films sur plusieurs plateformes. Vous en avez parlé comme s'agissant des téléviseurs conventionnels, des ordinateurs, des téléphones intelligents, des tablettes, et cetera.

Croyez-vous que Radio-Canada est défavorisée, étant donné qu'elle n'a pas ce genre de mécanismes ou d'infrastructures en place?

Mme Lord : C'est là que Radio-Canada peut offrir quelque chose de plus spécifique et d'original. Il ne faut pas croire qu'il faut faire tout ce que tout le monde fait. Les gens aiment la diversité, et c'est là que Radio-Canada peut prendre une place différente et jouer un rôle différent en sa qualité de diffuseur national. C'est là aussi que Radio- Canada a essayé de faire comme les autres et s'est éloignée de son mandat en ayant des chaînes de télévision spécialisées. D'autres ont des licences pour le faire, comme Canal D, Historia et VRAK TV. Ce sont des chaînes spécialisées.

Radio-Canada devrait se concentrer son mandat, et ce serait mieux pour tout le monde. Il faut faire attention. Ce n'est pas parce que les autres le font qu'on doit le faire. Je ne crois pas que ce soit le rôle d'un diffuseur public. Un diffuseur public peut trouver sa voix, connaître exactement sa mission et ses objectifs et cerner les besoins et les attentes auxquels il doit répondre. Offrir. Finalement, c'est un service aux Canadiens, et il ne faut jamais l'oublier.

Le sénateur Mockler : Je prends toujours le temps de vérifier ce que les gens d'expérience ont dit au sujet de leur expérience à Radio-Canada et à la CBC.

En 2012, l'ex-président du CRTC a déclaré, dans une entrevue, qu'Internet et la téléphonie sans fil ont privé les organismes fédéraux et de réglementation des armes dont ils disposaient pour protéger l'identité culturelle.

À la lumière de ce commentaire, quel rôle les radios communautaires pourraient-elles jouer à l'intérieur de cette boîte?

Mme Lord : À quelle boîte faites-vous allusion?

Le sénateur Mockler : À Radio-Canada.

Mme Lord : La question des radios communautaires est une question que j'ai étudiée également. Le succès des radios communautaires est inégal à travers le pays.

Dans certaines régions, elles ont eu un succès fulgurant. On peut penser à l'Acadie. Notamment, dans le sud-est, dans la grande région de Moncton, il y a 20 ans cette année, est née une radio, la Radio Beauséjour, un succès sans précédent à travers le pays. Les trois quarts de l'auditoire possible écoutent cette radio communautaire. Aucune radio au pays n'a un tel impact sur un auditoire. Pourquoi cela a-t-il été un succès? Les raisons sont fort simples.

Les dirigeants avaient été visionnaires. Ils ont osé dire : « Nous allons embaucher des gens qui vont parler au micro avec l'accent local. »

À l'époque, dans cette grande région à minorité francophone, Radio-Canada était présente depuis longtemps, mais avec l'accent « radio-canadien », qui est très loin de l'accent acadien du sud-est du Nouveau-Brunswick et du chiac. À CJSE, on a dit non. On n'embauchait même pas des gens de Caraquet pour aller en ondes. Ce fut vraiment des gens du Sud-Est.

Aujourd'hui, l'auditoire de cette radio communautaire est composé de gens qui avaient toujours écouté non pas Radio-Canada, mais les stations anglaises de radio. Les auditeurs ont bifurqué vers la radio française, parce qu'ils se sont entendus, alors qu'ils ne s'étaient jamais entendus de leur vie. À Radio-Canada, ils ne s'entendaient pas. On revient toujours à cette question de visibilité et de s'entendre.

Les auditeurs entendaient enfin leur accent. On permettait même certaines émissions de marché aux puces. D'ailleurs, on a fait des études sur cette question à l'université. Les gens téléphonaient et pouvaient s'exprimer comme ils le voulaient. On les avait mis à l'aise. On pouvait entendre « J'ai un washer et un dryer à vendre ». Pour ne pas froisser la personne qui avait appelé, l'animateur répondait « Vous avez un washer et un dryer à vendre? Donc, madame a une laveuse et une sécheuse à vendre. » Nos études de l'époque ont révélé que, au fur et à mesure que ces personnes appelaient, les mots se francisaient. On a fait une francisation, ou une reformulation qui francisait les gens. L'impact est donc réel, parce qu'on s'est mis près des gens, ce que Radio-Canada, en Acadie, n'avait pas réussi à faire, étant donné, entre autres, les directives de Montréal.

Je parle des cotes d'écoute de cette station. Il existe une autre station dans le nord-est du Nouveau-Brunswick qui jouit d'une très bonne cote d'écoute et qui a vraiment un impact sur son milieu. Comme les populations francophones sont parfois en petit nombre dans d'autres régions du pays, en regardant les données, on pourrait croire que l'impact n'est pas réel. Quand on examine toute la programmation et qu'on voit ce que font les bénévoles, on constate que des groupes et des gens sont à l'écoute. Ce n'est pas le nombre qui compte. On interpelle des acteurs sociaux qui peuvent s'entendre et communiquer. Cela devient un espace public.

Il est régulièrement question du fait que Radio-Canada pourrait réserver une place aux radios communautaires. Il y a déjà eu des projets où les deux travaillaient ensemble. En Acadie, on peut penser, par exemple, au Radiothon de l'Arbre de l'espoir, qui vise à recueillir de l'argent pour le centre d'oncologie et pour aider les survivants du cancer et les personnes qui subissent des traitements à l'hôpital de langue française de Moncton. On diffusait ensemble le radiothon. Radio-Canada avait commencé, puis les radios communautaires se sont ajoutées. On a fait ce partenariat, parce que les radios communautaires avaient un impact sur les communautés que Radio-Canada n'avait pas.

C'est un exemple, et il y en a eu d'autres. Alors, oui, la porte pourrait certainement être ouverte car, dans certaines régions, les radios communautaires ont un impact plus grand que Radio-Canada, pour ce qui est de la radio.

Le président : Avant de céder la parole à la sénatrice Charette-Poulin pour une dernière question, j'aimerais souligner qu'une réunion du comité directeur se tiendra immédiatement après la réunion.

[Traduction]

À la réunion de demain, nous entendrons le témoignage d'un représentant de la Guilde canadienne des médias.

[Français]

La sénatrice Charette-Poulin : Madame Lord, comme vous n'avez pas eu l'occasion de faire vos recommandations au PDG, M. Lacroix, si vous aviez trois recommandations à formuler pour atteindre l'objectif dont vous avez parlé au tout début, soit celui d'augmenter la présence et la visibilité des régions dans les émissions diffusées nationalement, radio et télé, quelles seraient-elles?

Mme Lord : En voilà déjà une, car c'est une recommandation en soi que de faire une place aux régions dans la programmation nationale.

La sénatrice Charette-Poulin : Et comment?

Mme Lord : Comment? Le processus peut être simple. Les stations régionales sont déjà présentes. Il suffirait d'avoir des émissions, ou une même émission, dans laquelle on puisse obtenir des nouvelles de l'Alberta, du Manitoba, du Québec, de régions du Québec — car les régions du Québec sont plutôt absentes également — et de la Nouvelle-Écosse.

Il y a des enjeux communs. On n'a qu'à penser aux écoles. Les ressources sont là et la production est déjà existante.

Lorsque j'étais journaliste à Radio-Canada, la CBC avait un système d'alimentation de nouvelles. Les bulletins de Radio-Canada, dans les régions, étaient produits à partir des régions. Alors qu'à Montréal, ils étaient produits à Montréal pour tout le monde. On réservait donc peu de place aux régions. On pouvait entendre à la CBC des reportages qui venaient des autres provinces, même si le bulletin était préparé à Moncton, parce que les ressources y étaient.

À Radio-Canada, on n'a jamais créé ce système d'alimentation en commun, permettant, par exemple, de savoir qu'il y a un enjeu francophone au Manitoba. Prenons un exemple qui est près de moi, celui de l'Université de Saint- Boniface. Aujourd'hui, la majorité des étudiants de cette institution sont soit des jeunes anglophones issus de l'immersion ou des étudiants internationaux. Moi, qui suis à Moncton, je suis intéressée par cette question. Cet enjeu peut aussi intéresser les gens qui sont en Alberta, à la Faculté Saint-Jean. Toutefois, on ne peut savoir cela. Je suis convaincue que Radio-Canada couvre cet enjeu localement. Pourquoi ne pas le diffuser à l'échelle nationale?

Les ressources sont en place, donc il serait facile de le faire. Il faut toutefois une volonté. Or, la volonté n'y est pas, parce qu'on pense que les Québécois ne sont pas intéressés. C'est mal penser des Québécois. C'est beaucoup les réduire dans leur curiosité et leur capacité de comprendre des enjeux qui se déroulent à l'extérieur du Québec. À mon avis, les Québécois n'ont pas envie de parler ou d'entendre parler exclusivement du Québec.

Ce n'est qu'un point, et les ressources sont disponibles. Ce serait une première recommandation.

Pour ma deuxième recommandation, je reviens à la question qu'il faut déplacer la tête. Il faut quitter Montréal et déménager. Montréal devrait être une station régionale et non une station nationale.

Je dois réfléchir à ma troisième recommandation. Radio-Canada devrait se concentrer sur ce qu'elle a à faire. Elle ne doit pas multiplier, comme elle l'a fait au cours des dernières années. On aurait dit qu'elle posait des gestes désespérés. Je comprends que la SRC a de gros défis. Le fait d'avoir d'autres chaînes, comme ARTV et Explora, signifie des redevances des câblodistributeurs. Elle doit alors y consacrer des énergies qui ne sont pas mises ailleurs. En plus, elle doit soutenir, superviser et gérer le tout. Lorsqu'on pense qu'il s'agit d'une même instance, avec la CBC qui fait la même chose — peut-être d'une autre façon —, on dilue les énergies plutôt que de les concentrer. Ce serait ma troisième recommandation.

Le président : Madame Lord, je suis sûr que vous verrez dans nos recommandations éventuelles un reflet de plusieurs des points de vue que vous avez émis ici ce matin. Au nom des membres du comité, je vous remercie beaucoup.

(La séance est levée.)


Haut de page