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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 10 - Témoignages du 5 novembre 2014


MONTRÉAL, le mercredi 5 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour poursuive son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité permanent des transports et des communications ouverte. Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Aujourd'hui, notre premier témoin est M. Jean-François Lépine.

Avant de commencer, j'ai eu la demande, si vous me le permettez, messieurs et mesdames les sénateurs, pour que Radio-Canada puisse capter des images pendant la séance. Est-ce que quelqu'un en fait la motion?

Le sénateur Demers : Oui, je la fais.

Le président : Le sénateur Demers en fait la motion.

Monsieur Lépine, la parole est à vous.

Jean-François Lépine, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de m'accueillir. Je vais faire mon petit préambule en français mais, je le dis tout de suite, je pourrai répondre aux questions qui me seront posées en anglais. Je peux répondre en anglais aussi.

Si je suis ici aujourd'hui, c'est d'abord parce que vous m'avez invité, mais aussi parce que, après 42 ans de vie dans cette entreprise extraordinaire, je suis extrêmement attaché à cette institution et à son avenir, même si je l'ai quittée officiellement l'an dernier pour faire autre chose.

C'est une institution qui, à mon avis, est au cœur de la culture du peuple canadien et québécois. Jusqu'à la fin de ces 42 ans, j'ai toujours donné mon avis. J'ai voulu intervenir pour influencer la croissance de l'entreprise, pour influencer la qualité de ses services, et ce, jusqu'à la fin.

Je le raconte même dans un livre que je viens de publier. J'ai même porté ma candidature à la direction du réseau français de Radio-Canada quand il y a eu une vacance récemment au moment du départ de Sylvain Lafrance. J'estimais qu'il fallait que j'exprime jusqu'en haut lieu dans l'entreprise comment, à mon avis, il fallait procéder pour sauver celle-ci. Je crois que son avenir est menacé et je le crois encore plus en voyant les plans de restructuration qui sont actuellement en cours dans l'entreprise.

Je crois, et je vais essayer de l'exprimer au cours de mon témoignage, qu'il faut, de la part de Radio-Canada, dans le contexte de crise financière qu'on connaît, réorienter la production et les effectifs de l'entreprise vers ses fonctions essentielles qui sont, principalement la production et la diffusion de contenus. Je vais m'expliquer là-dessus, si vous m'en donnez l'occasion. Donc, il y a des réformes à l'intérieur qu'il faut faire pour transformer cette entreprise et pour la moderniser.

Je crois aussi, de la part du public canadien et de vous, les hommes et les femmes politiques, qu'il faut faire pression. Il faut faire tout ce qu'il faut pour augmenter le financement de cette société d'État qui a, comme je l'ai dit, une importance capitale au sein de notre société. Il importe aussi d'assurer une pérennité de cette contribution à son financement, incluant une indexation, pour que Radio-Canada puisse envisager son avenir d'une façon un peu certaine avec une sécurité financière dans un monde où l'économie des médias est en pleine transformation.

Si on veut vraiment avoir une télévision, une radio publique et un contenu public sur le Web qui soient libres, innovateurs et inspirants pour la société canadienne, il faut absolument assurer, de la part du gouvernement et des fonds publics, la pérennité de cette entreprise.

C'est le choix, d'ailleurs, que vous avez probablement devant vous, quand on discute de l'avenir de Radio-Canada dans le contexte médiatique actuel. À mon avis, c'est ainsi que cela se pose.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, j'ai été journaliste pendant 42 ans à Radio-Canada. J'ai été, pendant près de 10 ans, journaliste correspondant à l'étranger.

Je tiens à vous dire que j'ai participé à une expérience absolument exceptionnelle qui, malheureusement, dans la foulée de toutes les compressions et de la gestion actuelle de Radio-Canada, a pris fin.

Mais, pendant toutes mes années à l'étranger, j'ai travaillé comme correspondant bilingue pour la CBC et Radio-Canada. Je peux vous dire que c'est une expérience qu'aucun réseau de télévision publique du monde entier, actuellement, ne vit et n'expérimente.

J'ai également travaillé pour deux salles de rédaction : Toronto et Montréal. C'était un système qu'on avait inventé pour rationaliser nos opérations.

Je me souviens de Peter Jennings, de ABC, un Canadien d'origine, qui était fasciné chaque fois qu'il nous entendait, sur le terrain, parler à notre présentateur francophone, et par la suite, nous retourner immédiatement et faire le même topo pour notre collègue du réseau anglais.

C'était une expérience absolument unique qui, à mon avis, était un peu le symbole de tout ce que peut être le Canada quand il est dynamique, intéressant et ouvert.

Et c'était, selon moi, une des plus brillantes initiatives de Radio-Canada sur le plan budgétaire, puisque la même personne, en travaillant pour deux réseaux, évitait la multiplication des camions de Radio-Canada qu'on évoque trop souvent, qui arrivent tous en même temps au même endroit.

Je le raconte aussi dans un livre que je viens de publier. Ce fut une expérience culturelle absolument extraordinaire : faire face à deux salles de rédaction à Montréal et à Toronto, ainsi qu'à deux esprits qui ne sont pas toujours semblables, et essayer de faire un amalgame de tout cela pour produire un reportage destiné à être diffusé dans les deux langues à la grandeur du Canada.

C'est d'abord un privilège parce qu'on a droit à une audience absolument exceptionnelle. Mais je pense que c'était une expérience de partage culturel qui était absolument unique.

Ensuite, brièvement, j'ai participé à la création de plusieurs émissions qui ont eu de grands succès à Radio-Canada dont Enjeux, Zone libre, et, la toute dernière, Une heure sur terre, qui est la seule émission de télévision hebdomadaire entièrement consacrée à l'information internationale dans l'histoire de Radio-Canada et de la CBC.

Malheureusement, j'ai vécu à travers ces années toutes les compressions de Radio-Canada. Aujourd'hui, on a peut-être l'équivalent en dollars de ce que nous avions en 1990 en termes de contribution gouvernementale. Vous savez que les coûts et la demande ont augmenté en flèche depuis ces années. Et, donc, le budget de Radio-Canada est dans l'état catastrophique que l'on connaît.

J'ai donc connu toutes ces vagues de compressions. Je pourrais vous en parler si cela vous intéresse, mais je pense qu'on est arrivé à un point, aujourd'hui, où il y a un drame dans le financement de l'entreprise.

Pour compenser les baisses de fonds publics, on a été forcé d'aller graduellement au cours des dernières années vers le secteur commercial, soit les revenus publicitaires. Cela a beaucoup nui à Radio-Canada dans la mesure où la direction a voulu, au cours de ces années, commercialiser davantage sa production. Je crois que c'était néfaste pour Radio-Canada.

Ainsi, le niveau d'indigence relativement aux budgets de Radio-Canada nous a forcés à faire toutes sortes de choses.

À titre d'exemple, il y a cette idée au réseau français de Radio-Canada de mettre fin à l'émission Une heure sur terre et à Dimanche magazine, et de réduire de façon extrêmement importante la couverture internationale que nous assumions depuis des années. Cette tradition remonte à des gens aussi connus que Pierre Nadeau, qui s'en attriste lui-même d'ailleurs aujourd'hui.

Malgré tout ce que dit Radio-Canada, il y a eu, à cause de ces compressions, une décision de limiter notre couverture internationale parce que cela coûte plus cher.

Au chapitre des cotes d'écoute, puisqu'on parle aussi de revenus commerciaux, vous le constaterez vous-mêmes, la nouvelle internationale est moins populaire et plus difficile à vendre au public. Bref, on en est arrivé à sacrifier des choses aussi importantes.

Je vous rappelle que M. Lacroix, le grand patron de Radio-Canada, se promenait dans toutes les chambres de commerce du pays et citait Une heure sur terre, pendant des années, comme étant un exemple typique de ce que Radio-Canada peut faire de mieux. Et de ce que Radio-Canada, télévision publique aussi, peut faire de mieux.

De toute évidence, il faut de l'argent. Et il faut une volonté pour produire une émission consacrée entièrement à l'information internationale.

Je vais m'arrêter ici pour l'instant. Vous avez tous un exemplaire de mon livre. Je parle des solutions que j'envisage à l'interne pour rationaliser Radio-Canada et faire en sorte que celle-ci se concentre davantage sur le contenu, la production et la diffusion de contenu plutôt que sur d'autres fonctions moins essentielles, je vous présente un petit diagramme du Service des communications internes et externes de Radio-Canada, pour montrer l'importance qu'il a. Et je pourrai vous expliquer pourquoi je vous le montre.

En terminant, j'aimerais vous lire un extrait de mon livre intitulé Jean-François Lépine : Sur la ligne de feu, qui résume vraiment ma pensée sur l'avenir de Radio-Canada, dans lequel j'écris, à la page 438 :

À moins d'une révolution dans une entreprise de presse comme le réseau français de Radio-Canada, et compte tenu de la diminution graduelle de son financement, des fonctions essentielles pour un service public, comme celles de l'ouverture sur le monde déjà très handicapées par les transformations récentes, ne pourront pas survivre. Or, à la lumière des récentes décisions, il n'y aura pas de révolution à Radio-Canada mais une décroissance inévitable.

La direction, sous la gouverne de Hubert Lacroix, a choisi de faire porter par tous les secteurs de l'entreprise et au secteur de la production de contenu, en particulier, le poids des compressions budgétaires. On envisage même un repli vers une diffusion concentrée sur le Web. Contrairement à une tradition qui a toujours perduré depuis la création de Radio-Canada, autant Lacroix lui-même que son conseil d'administration ont renoncé à se battre pour convaincre le gouvernement fédéral d'augmenter sa contribution au budget de l'entreprise.

Le président : Monsieur Lépine, je donne la parole au sénateur Plett.

[Traduction]

La province de Québec est heureuse que la première question lui soit posée par notre collègue du Manitoba, même si cinq honorables membres du comité viennent de la province de Québec.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Je suis en effet heureux d'être à Montréal aujourd'hui, et j'étais heureux d'y être hier, car nous avons pu assister à un événement sportif important juste au bout de la rue. Certaines personnes l'ont aimé plus que d'autres.

Je vous remercie d'être ici, monsieur. Aux fins d'éclaircissement, vous avez travaillé pour Radio-Canada et non pour la CBC, est-ce exact?

M. Lépine : Oui.

Le sénateur Plett : Vous avez parlé du mandat de Radio-Canada. Son mandat ressemble-t-il beaucoup à celui de la CBC, à l'exception, évidemment, des nouvelles en français?

M. Lépine : Oui, je crois que leurs mandats sont semblables, mais au cours des ans, en raison du marché dans lequel nous évoluons ou produisons notre contenu, je pense que nous avons emprunté deux voies différentes. Par exemple, le réseau francophone, qui produit plus ou moins dans un contexte plus vaste anglophone, a traditionnellement produit beaucoup plus de drames, de séries dramatiques et de contenu culturel en ce qui concerne les œuvres de fiction que le réseau anglophone. Mais en ce qui concerne le journalisme et les informations, nous faisons plus ou moins la même chose.

Comme je l'ai dit plus tôt, j'ai été embauché par le réseau francophone, mais j'ai eu l'expérience formidable de diriger des bureaux bilingues, où nous étions les seuls journalistes qui produisaient pour les deux réseaux. Nous avons eu d'excellentes discussions, et je pourrais vous raconter des histoires captivantes au sujet du travail que j'ai fait avec tous mes collègues du réseau anglophone. Nous avions le même objectif, nous avions les mêmes types de penchants culturels liés à l'indépendance d'esprit et à une vision du monde parfois très différente de celle de nos collègues américains, car nous étions différents. Je dis toujours que si nous jugeons nécessaire que nos ambassadeurs à l'étranger découvrent le monde avec leurs propres yeux, c'est-à-dire leurs yeux de Canadiens, il est essentiel que les médias canadiens voient également le monde avec leurs propres yeux.

Mais je crains que, en raison des problèmes budgétaires qu'éprouve la CBC, nous soyons en train de fermer peu à peu les fenêtres qui donnent sur le monde extérieur. Je dis toujours qu'une maison qui n'a pas de fenêtres est sombre et sent le renfermé.

Le sénateur Plett : Manifestement, les radiodiffuseurs privés sont très préoccupés par les cotes d'écoute. Si elles ne sont pas assez élevées, ils ne font pas d'argent.

Nous avons parlé des codes d'écoute de la CBC à de nombreuses reprises, et à notre avis, elles ne sont pas aussi élevées qu'elles le devraient. Je suis un ardent défenseur de la chaîne, et je regarde les nouvelles à The National au lieu de les regarder sur une autre chaîne et pourtant, il semble que les cotes d'écoute de The National sont les moins élevées parmi les principaux réseaux. Mes collègues m'ont dit que les cotes d'écoute de Radio-Canada étaient assez élevées et que le réseau était certainement concurrentiel, mais ce n'est pas vraiment le cas pour le réseau anglophone.

Nous avons posé la question à Toronto, et on nous a dit que The National livrait concurrence aux autres réseaux dans un mauvais créneau horaire et que si Peter Mansbridge était en onde en même temps que Lisa LaFlamme, les cotes d'écoute seraient plus élevées. Eh bien, dans ce cas, je ne sais absolument pas pourquoi on ne lui donne pas un créneau horaire différent, si cela peut améliorer ses cotes d'écoute.

Avez-vous des commentaires sur la façon d'augmenter les cotes d'écoute en attribuant un créneau horaire différent à un programme? Serait-ce efficace?

M. Lépine : Je ne suis pas un expert du marché du Canada anglophone, et je ne connais pas les effets qu'aurait un créneau horaire différent. Toutefois, je crois que si vous combinez les cotes d'écoute du réseau principal et les cotes d'écoute du réseau de nouvelles 24 heures, et des différentes émissions, The National s'en tire très bien face à ses concurrents. C'est une question de gestion interne à la CBC.

Tout ce que je peux dire, c'est que vous avez raison d'affirmer que la pénétration ou la part du marché de la CBC au Canada anglais est beaucoup moins élevée que la part du marché du réseau français dans le Canada français, mais cela est attribuable à de nombreux éléments différents. Par exemple, une partie importante du marché au Canada anglais est occupée par les réseaux américains. Nous n'avons pas ce problème au Québec.

Le sénateur Plett : Aujourd'hui, vous avez parlé à quelques reprises des contraintes budgétaires, et notre gouvernement et les gouvernements précédents ont certainement effectué des compressions budgétaires. Nous avons hâte de visiter les installations de Radio-Canada demain, et nous avons également visité celles de Toronto, d'Halifax, d'Edmonton et de Winnipeg.

À Toronto, nous avons un énorme édifice de 10 étages au centre-ville, et on tente de lui trouver un acheteur. On loue actuellement certaines parties de l'édifice. Manifestement, quelqu'un a cru que nous avions besoin de 10 étages lorsqu'il a été construit. Quelle partie de cet espace avez-vous besoin aujourd'hui? Quelle partie répondrait à vos besoins? On m'a parlé de cinq étages, c'est-à-dire la moitié.

Lorsque nous parlons de compressions budgétaires, ne revient-il pas à la CBC — et nous déterminerons si c'est la même chose pour Radio-Canada — de faire quelque chose au sujet de cet espace supplémentaire et de compenser, peut-être, les 115 millions de dollars dont nous parlons?

M. Lépine : Vous pouvez aborder la situation sous différents angles. Je constate qu'un grand nombre de nos studios de Montréal ne sont pas occupés, car nous n'avons plus le nombre d'employés pour remplir ces studios. À mon avis, c'est dramatique. Nous savons comment utiliser l'équipement, mais il faut pouvoir embaucher les gens qui l'utiliseront et produiront du contenu original. Cette situation illustre les problèmes budgétaires auxquels nous faisons face.

Toutefois, vous avez raison, en raison de l'évolution de la technologie, par exemple, et des différentes méthodes de travail, je crois que nous pouvons rationaliser l'occupation de l'espace. À Montréal, nous faisons face à un énorme défi. En effet, la tour a été bâtie en 1970, avant les contraintes budgétaires, et la conception de la construction était également très différente. Je ne sais pas à quelle étape ce projet se trouve maintenant, mais nous essayons de vendre l'édifice et de construire un nouvel édifice plus efficace et mieux adapté à la nouvelle technologie. Je crois que c'est l'une des préoccupations de la gestion de la CBC. Je crois qu'on est disposé à le faire.

Je ne connais pas grand-chose au sujet du problème de Toronto, mais je sais qu'à Montréal, l'édifice n'est plus efficace et il contient trop d'espace inutilisé. Mais je vous dis également que cela reflète la situation dramatique dans laquelle se trouve l'entreprise. Nous avons de moins en moins d'employés qui travaillent dans le cadre de nos activités principales, c'est-à-dire la production et la diffusion de contenu.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur.

S'il y a une deuxième série de questions, monsieur le président...

Le président : Je suis toujours généreux avec la première personne qui pose des questions, et s'il s'agit d'un invité, c'est encore plus important, mais je vous demande d'abréger vos questions et vos réponses, afin que nous puissions finir à temps. Tout comme le domaine de la radio et de la télévision, nous avons des échéanciers.

[Français]

Le sénateur Demers : Merci beaucoup, monsieur Lépine, pour votre présentation. Je vais à Radio-Canada depuis plusieurs années. Et pour avoir été, il y a environ deux semaines, dans l'édifice de Radio-Canada à l'angle de Papineau et René-Lévesque, c'est vrai qu'il y a beaucoup d'espace et qu'il y a peu de gens.

En 2013, l'Université d'Oxford a mené une étude. En raison des changements économiques, est-ce que, selon vous, il y a encore de la place pour le service public?

M. Lépine : D'abord, je pense qu'il y a encore beaucoup de place pour le service public. Il n'y a qu'à voir, par exemple, le modèle de télévision publique qu'est la BBC, sa rentabilité et son efficacité ainsi que la croissance qu'elle connaît.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, la télévision financée par les deniers publics, ou la radio financée par les deniers publics, ou le Web financé par les deniers publics, c'est un choix qu'une population se donne, soit de confier à des gens le soin de faire une production qui soit différente de celle qui est influencée par les commerciaux, par la publicité.

Vous savez que Radio-Canada a choisi, au cours des dernières années, de se tourner vers l'information locale et de fermer l'information internationale parce que c'est plus rentable et cela coûte moins cher.

Est-ce qu'on veut une télévision publique qui nous ouvre sur le monde? Je parle seulement de l'information. C'est, encore une fois, un choix. Je pense que cela a sa place, au contraire.

Je peux vous donner des exemples de télévision publique qui sont extrêmement dynamiques, même dans le contexte très difficile de l'économie des médias.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup pour votre réponse. Aujourd'hui, la technologie a vraiment changé. C'est complètement différent au niveau du journalisme.

Au cours des 42 ans que vous avez passés à titre de journaliste, monsieur Lépine, comment voyez-vous le futur journaliste? À titre d'exemple, s'il se passait un évènement quelconque il y a 10 ou 15 ans, on l'apprenait le soir.

Maintenant, s'il se passe quelque chose, 15 secondes plus tard, on est au courant. L'information est diffusée rapidement. En ce qui concerne les évènements qui se sont passés récemment à Ottawa, ma fille, qui est institutrice au Texas, l'a su en l'espace de 20 minutes.

Au moment où on se parle, comment voyez-vous l'avenir en 2014 et à long terme?

M. Lépine : Votre question tombe bien et est intéressante. À mon avis, le journalisme est en train de traverser une période extrêmement critique de son histoire, à cause, entre autres, de la vitesse des communications. Il y a toutes sortes d'analyses qui se font de la situation, mais il y a de plus en plus un réflexe de la part des journalistes d'être dans la meute, soit qu'on se précipite vers la nouvelle, on la traite puis on la jette, et on passe à une autre.

Il y a dans notre métier beaucoup de questionnements sur tout cela, notamment l'influence des réseaux sociaux, de Twitter et les autres, sur le métier qu'on exerce lorsqu'on couvre un événement.

Vous l'avez sans doute constaté à Boston, quand il y a eu la bombe au marathon. Les médias ont déraillé et des informations diffusées par la police sur les médias sociaux ne se sont pas avérées.

Bref, pour répondre à votre question de façon plus personnelle, cela montre encore une fois à quel point c'est important dans une société d'avoir des médias qui ont une capacité de recul et qui ont davantage de moyens pour résister à la mode et aux pressions de la vitesse, entre autres.

Voilà l'importance, encore une fois, d'une télévision publique qui est dotée de moyens particuliers.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup, monsieur Lépine.

La sénatrice Hervieux-Payette : Si on devait garder une télévision publique, quels sont, à votre avis, les pays à l'heure actuelle qui ont un juste équilibre entre la télévision publique et la télévision privée?

Par exemple, en Allemagne, la Deutsche Telekom est dotée de budgets impressionnants. Il y a les autres pays européens également. Il faut regarder à l'intérieur des pays de l'OCDE.

J'aimerais avoir une vue d'ensemble. Selon moi, en tant que politicienne et individu, il est essentiel, conformément à la démocratie, d'obtenir des informations de qualité.

Alors, j'aimerais avoir votre vue sur la façon d'aborder la question du privé versus du public, et sur l'information qui est diffusée au public.

M. Lépine : Pour ne citer que quelques exemples qui sont très proches de nous, l'Australie a une télévision publique qui est extrêmement intéressante et dynamique, dans un contexte où il y a une concurrence très forte de la télévision et de la radio privées.

J'ai cité le cas de la BBC, qui est très intéressant aussi. Il faudrait, si on a le temps, parler du type de financement de la BBC, que je souhaiterais voir adopter pour une société comme Radio-Canada. On pourra en parler tout à l'heure.

Mais j'aimerais vous citer un exemple très particulier, parce que je l'ai vécu dès les premières secondes où j'ai commencé à travailler comme correspondant à l'étranger. Je partageais à Pékin les bureaux avec mon collègue de la Norwegian Broadcasting Corporation, NRK.

La Norwegian Broadcasting Corporation, à l'époque, dans un petit pays d'à peine 4 millions, 4,5 millions d'habitants, avait autant de correspondants dans le monde que Radio-Canada et la CBC combinées.

Il y avait à Pékin un correspondant de l'Aftenposten, qui est un grand quotidien norvégien. Encore une fois, pour un petit pays comme la Norvège, celle-ci a un pourcentage de journaux quotidiens par habitant qui est très élevé.

Si on va en Scandinavie, en Suède et en Norvège, par exemple, les télévisions publiques sont financées à raison de 80 $ à 90 $ par année par citoyen. Au Canada, c'est environ de 29 $ à 28 $.

Encore une fois, cela montre l'attachement de ces sociétés, dans un contexte identique au nôtre, à cette idée qu'il faille avoir peut-être une télévision plus indépendante de l'influence commerciale.

Il ne faut pas se faire d'idée. Les commanditaires ont une influence sur la programmation. Et le fait qu'on se finance sur le marché des commerciaux davantage qu'avec des fonds publics influence la production de notre contenu.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je faisais une référence justement à un petit pays, parce que l'Australie, ce n'est pas non plus une puissance internationale.

Est-ce que, justement, le fait d'avoir une profondeur et surtout une analyse des faits locaux et internationaux, n'a pas un rôle important à jouer? Pas seulement sur la démocratie, mais sur la culture de ce peuple, de son développement et la façon de penser de ses citoyens.

M. Lépine : C'est ce que je crois. Radio-Canada, qui avait beaucoup de moyens à l'époque, a marqué l'histoire du Québec par sa contribution à l'épanouissement de la culture québécoise, d'abord à la radio et ensuite à l'explosion à laquelle on a assisté au moment de la création de la télévision.

Il y a des centaines de comédiens qui ont appris leur métier en travaillant à Radio-Canada, en produisant du contenu culturel original, qui était le reflet de cette société dans laquelle nous vivions.

Ce n'était pas tout à fait le cas du côté du réseau anglais parce qu'il pouvait plus facilement acheter du contenu culturel provenant des États-Unis. La barrière de la langue n'y était pas. Mais pour le réseau français et pour la société québécoise, l'apport a été absolument crucial.

Radio-Canada avait les moyens à l'époque, et elle l'a encore aujourd'hui, malgré le fait que la production soit influencée par le besoin d'aller chercher des revenus commerciaux.

Radio-Canada est en mesure encore aujourd'hui, ne serait-ce que d'avoir une Marie-Ève Bédard au Moyen-Orient, de pouvoir encore se payer cela. Je pense que c'est très important. Nos concurrents de TVA ne peuvent pas ou n'ont pas fait le choix de payer cette ouverture sur le monde.

Je valorise les télévisions publiques qui s'avèrent être un choix de société. J'ai dit tout à l'heure que l'institution fait partie intégrante de la culture du peuple canadien et, à mon avis, c'est fondamental de la préserver en ce sens. J'ai toujours dit que l'Office national du film était une institution absolument fondamentale.

Le sénateur Housakos : Bienvenue, monsieur Lépine. C'est un plaisir d'entendre quelqu'un d'aussi expérimenté que vous dans l'industrie.

CBC/Radio-Canada est une société dotée d'un conseil d'administration, d'une administration, d'une raison d'être et d'une stratégie commune. Depuis plusieurs mois, au début de cette étude, j'ai rapidement constaté à quel point la réalité est très différente dans le marché.

On a un marché franco-canadien et un marché anglo-canadien. On a une cote d'écoute au Québec et dans le Canada français pour Radio-Canada. C'est un secteur très compétitif. On a une cote d'écoute pour CBC anglais, qui est catastrophique.

Et puis on fait face à des compressions budgétaires en raison de la réduction des revenus qui rentrent à cause de la publicité significative dans le Canada anglais à la CBC. La situation est meilleure à Radio-Canada.

Les besoins sont très différents. Le moment est-il venu pour le gouvernement d'envisager de diviser cette entité en deux? Il y aurait une entité qui répondrait aux besoins du Canada français et une autre qui répondrait aux besoins du Canada anglais?

M. Lépine : C'est une question très intéressante à laquelle je ne pense pas avoir de réponse. Toutefois, j'aimerais vous dire une chose : ces temps-ci, quand je vais à Radio-Canada, je suis étonné d'entendre quelque chose que je n'entendais jamais.

Encore qu'on s'est plaint pendant quelques années que le réseau anglais de Radio-Canada avait une part du budget plus importante que le réseau français. Et, moi, je me suis battu, avec succès d'ailleurs, pour que les budgets des deux divisions, française et anglaise, se ressemblent de plus en plus. Qu'on produise en français ou en anglais, cela coûte la même chose, peu importe notre marché. On est arrivé à cet équilibre au fil des ans.

Au moment où on vit une crise financière exceptionnelle, qui menace, à mon avis, la survie de nos fonctions, il y a des gens dans l'entreprise qui commencent à dire, surtout chez les employés que, étant donné que Radio-Canada anglais a perdu le hockey et tous les revenus publicitaires en découlent, nous, au réseau français, on subit des compressions dont on devrait être épargné par rapport à notre gestion des choses, à notre situation.

Selon moi, cela représente un danger. Je vous l'ai dit. Lorsque j'ai fait l'expérience des bureaux bilingues, j'ai cru beaucoup à cet échange qu'on pouvait avoir, même sur le plan culturel.

Vous le savez, entre les francophones et les anglophones, il y a des différences culturelles. C'est normal. J'ai toujours dit que le partage de ces différences culturelles fait la richesse de notre pays. Le danger que je vois au fur et à mesure que nos moyens diminuent, c'est qu'il y ait cette espèce de volonté inconsciente de la part des deux réseaux de se séparer.

En ce qui concerne l'expérience des bureaux bilingues qui n'existent plus, c'est principalement le réseau anglais de Radio-Canada qui a décidé de l'abandonner. Elle est plus coûteuse à opérer en termes de temps. Donc, on est en train de s'éloigner les uns des autres. Et, à mon avis, c'est dommage.

Donc, à la faveur de ces difficultés, si on en est arrivé à la réflexion que vous avez, c'est que la réalité nous amène maintenant à poser de telles questions. Mais, je ne crois pas qu'on devrait en arriver là. Encore une fois, si on réfléchit à une télévision et à une radio publiques qui reflètent notre pays et sa culture, je pense qu'on doit intensifier — et d'ailleurs, on ne le fait pas assez — les échanges entre le réseau anglais et le réseau français.

Le sénateur Housakos : Depuis plusieurs années, CBC/Radio-Canada subit des compressions budgétaires. Ce n'est pas nouveau. Le présent gouvernement a fait des compressions importantes et le gouvernement précédent en a fait aussi, de façon encore plus sévère.

À votre avis, depuis les 10 ou 15 dernières années, est-ce que le réseau français se trouve pénalisé davantage que le réseau anglais lorsqu'il s'agit de réorganiser leur structure?

M. Lépine : Je serais curieux de voir les chiffres, mais je vais vous raconter un peu quelle était la réaction que j'entendais.

Ce dernier coup, le fait qu'on ait perdu des revenus très importants à la CBC, je pense qu'on écope au réseau français, plus qu'on ne le devrait. La direction a décidé de compenser cette perte à travers tout le réseau. Et c'est là qu'on se pose la question à savoir si on devrait séparer les budgets?

Je crois qu'on en est arrivé à des décisions de ce type étant donné qu'on a de moins en moins de moyens. Mais, en même temps, au cours des dernières années, à cause de pressions de l'intérieur, on en était arrivé entre les deux réseaux à avoir un plus grand partage des ressources, ce qui est un peu absurde, parce qu'on avait moins de ressources que le réseau anglais de Radio-Canada.

Le réseau anglais de Radio-Canada avait un plus grand public cible que nous. Au fil des ans, on s'est battu pour obtenir un peu la même part des ressources et on y est arrivé.

Donc, on se pose encore maintenant d'autres questions de ce genre, à savoir si on doit souffrir au réseau français quand les pertes de revenus se font au réseau anglais.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Lépine. Je vous félicite pour la publication de votre ouvrage. Je crois qu'il est important que les personnes qui ont une expérience réelle du milieu participent au débat public de façon structurée. On peut débattre, évidemment, des commentaires.

M. Lépine : Tout à fait.

Le sénateur Joyal : Cela fait partie du débat public. Mais, au moins, il y a des aspects importants du débat public qui sont soulevés dans des publications comme votre ouvrage et celui de M. Saulnier et d'autres personnes.

Je crois que c'est important pour la vitalité, et surtout, en ce qui concerne le réalisme avec lequel il faut envisager la situation. Il me semble que dans le débat actuel, il y a une chose qu'il faut retenir au départ. Et je n'ai pas perçu, dans le discours public tenu par la direction de Radio-Canada, que l'on fait droit suffisamment au statut particulier de Radio-Canada dans la télévision canadienne.

Il n'en demeure pas moins, comme l'a dit M. Housakos tantôt, et sûrement que M. Demers pourrait en témoigner également, que Radio-Canada représente le centre nerveux de la culture d'expression française au Canada. Il n'y a aucun doute dans mon esprit.

Elle la représente à plusieurs niveaux. Vous avez parlé tantôt du théâtre. On peut parler des films et de la chanson. On peut parler de tous les arts du divertissement possibles et imaginables.

Mais Radio-Canada a aussi eu un rôle déterminant à jouer dans l'éducation populaire. La mission de Radio-Canada est triple par rapport à sa loi constitutive : éduquer, informer et divertir.

Quand on tient compte de ce que Radio-Canada représente pour le public francophone, pour les personnes d'expression française au pays, ce ne sont pas seulement des Canadiens français, il y a aussi des Canadiens anglais qui sont bilingues et qui utilisent les services de Radio-Canada. À mon avis, il faut définir différemment l'importance de sa mission au sein du Canada anglophone.

Il faut connaître un peu l'histoire de Radio-Canada et du pays pour s'en rendre compte. Dans le cadre du débat actuel, on n'est pas parti d'une telle prémisse. On a fait une opération comptable. Il faut faire des compressions de 300 millions de dollars. Alors on coupe la poire en deux : 150 millions de dollars d'un côté et 150 millions de dollars de l'autre.

Et puis, évidemment, avec les coupures récurrentes, on est arrivé au point où Radio-Canada ne peut plus remplir sa triple mission, comme elle l'a fait par le passé. Il va falloir qu'elle se déleste de certaines responsabilités. Et on croit comprendre que le divertissement va dorénavant être sous-contracté dans le privé. La fermeture du Costumier en est un bon exemple. Radio-Canada ne produira plus de séries télévisées, alors que c'était son centre d'excellence jusqu'à présent.

Au chapitre des informations, comme vous venez de le dire, Radio-Canada réduira ses budgets de représentation à l'extérieur. Toute la partie des nouvelles étrangères sera anémiée.

Et, en ce qui concerne l'éducation, Radio-Canada a un rôle à jouer que la télévision privée n'a pas : transmettre les réalités du pays partout dans les communautés minoritaires et à travers le pays; alors que la télévision privée ne va que là où les publicitaires vont trouver un marché.

À mon avis, on a fondamentalement dénaturé la façon dont Radio-Canada doit remplir sa mission, selon ce que prévoit la loi. Ce qu'on fait, à toutes fins pratiques, c'est de laisser la loi de côté et de privatiser progressivement Radio-Canada.

Est-ce que, en pratique, on ne devrait pas reconnaître dans la loi amendée, le rôle particulier que joue historiquement Radio-Canada et le service essentiel qu'elle représente pour les Canadiens d'expression française?

M. Lépine : Je pense que la loi l'exprime, mais je pense qu'il faut qu'il y ait, de la part des représentants du peuple, une manifestation de ce soutien de façon non équivoque.

À mon avis, au fil des ans, et encore plus aujourd'hui, même dans les déclarations publiques des hommes politiques actuellement au gouvernement, il n'y a pas de manifestation ou de volonté de préserver ce rôle unique, en particulier, vous l'avez dit, au sein de la société canadienne française. Cela est inquiétant, selon moi.

Alors, d'où les deux pôles de ma réflexion quand je parle de solution. Je pense qu'il faudrait assurer à Radio-Canada un financement stable et progressif pour tenir compte des augmentations du coût de la vie.

Il faudrait songer à une formule différente de financement. On l'a d'ailleurs évoqué dans le passé, comme dans le cas de la BBC en Angleterre, soit une taxe qui est perçue sur l'achat d'appareils de télévision ou de radio et qui est versée au budget de la BBC.

Cela crée pour la BBC une indépendance par rapport au pouvoir politique parce que le budget n'est pas voté chaque année. C'est une taxe qui a été établie, que certains ont cherché à contester au fil des ans, mais qui fait que la BBC a une indépendance beaucoup plus grande et qu'elle peut donc assumer ce rôle que vous évoquiez.

Vous avez parlé des communautés éloignées du Canada, entre autres les communautés amérindiennes. Le saviez-vous? C'est un fait. Quand on fait des reportages au Canada ou des émissions sur les Amérindiens, sur les Autochtones, les cotes d'écoute sont systématiquement catastrophiques pour une raison inconnue.

Quand on fait des reportages sur l'Afrique, il y a une sorte de perception de la part du public qui est négative sur ces sujets-là. On ne s'y intéresse pas.

Si on est une télévision privée et qu'on s'oriente en fonction des revenus commerciaux, qu'est-ce qu'on fait? On va négliger les reportages sur les Amérindiens.

À Radio-Canada, c'est notre rôle et c'est passionnant de le faire. C'est un exemple qui illustre bien le rôle d'une télévision publique par rapport à une télévision commerciale.

Encore une fois, je ne méprise pas les télévisions commerciales. Mais est-ce que nous devons nous doter d'une télévision, d'une radio et d'un contenu web public qui fait la différence à cause de tout ce qu'on vient de dire?

Le sénateur Joyal : Comme on dit à Tout le monde en parle, je vais vous poser la question qui tue...

Le président : Il n'y a pas de musique, malheureusement, et il n'y a pas de vin non plus.

Le sénateur Joyal : Si vous aviez été dans les souliers de M. Lacroix, qu'est-ce que vous auriez fait différemment? J'oserais dire, devant l'incontournable, soit de d'avoir à faire face à des compressions budgétaires importantes sur une base quotidienne, qu'est-ce que vous auriez fait de différent?

M. Lépine : Encore une fois, il y a deux aspects à cette réponse. La première réponse, vous l'avez vous-même évoquée. Le conseil d'administration tel qu'il est composé actuellement, et je vous signale, pour la première fois dans l'histoire, ne compte personne venant des milieux culturels canadiens ou des milieux des médias et des journalistes, alors que c'était une tradition. C'est important.

Donc, je ne crois pas que le conseil d'administration tienne à ce point, dans ses délibérations, dans ce qu'il dit, dans ce qu'il nous communique, à ce rôle important de la télévision publique. Et je n'entends pas dans les propos de M. Lacroix cette volonté de vendre cette mission unique aux Canadiens.

Je vous l'ai dit, il se servait d'Une heure sur terre, comme d'un modèle de ce que la télévision publique peut faire, mais au hasard des compressions, il a renoncé à cette mission.

Le deuxième aspect de ma réponse et, j'ai voulu le proposer à la direction de Radio-Canada quand j'ai été candidat au service français, et j'en parle dans mon livre. Je pense qu'on est rendu au point où — si on renonce à demander un financement plus grand —, plutôt que de couper dans tous les services comme on le fait actuellement, on doit s'orienter carrément vers nos fonctions essentielles. Quand on coupe carrément, on coupe la production, le contenu, d'où les studios vides. Et on n'y arrivera pas. On ne survivra pas si on coupe dans la production de contenus. C'est l'essentiel.

Alors, c'est pour cela que je vous ai montré l'organigramme du Service des relations publiques et des communications de Radio-Canada. Cent cinquante personnes seulement pour le réseau français de Radio-Canada. Deux étages de l'édifice consacrés essentiellement à cette fonction, dont à peu près 35 p. 100 de cadres.

Lorsqu'on arrive à un tel débat à Radio-Canada, il faut se dire : « Est-ce qu'on ne peut pas contracter ce service à l'extérieur pour le quart du prix? »

Surtout quand on voit, par exemple, la campagne que ce service a menée quand on a voulu supprimer le mot Radio-Canada de toutes nos chaînes et on a dû reculer. Il y a peut-être aussi, à ce niveau, des questions à se poser.

Le président : Merci, monsieur Lépine.

[Traduction]

Je demande aux sénateurs de se limiter à une question pendant la deuxième série de questions.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Je me demande seulement comment fusionner mes trois questions en une seule.

Pour revenir à la radiodiffusion publique comparativement à la radiodiffusion privée, j'aimerais faire suite aux commentaires du sénateur Joyal, sauf qu'au lieu de parler de ce que M. Lacroix aurait pu faire autrement, j'aimerais parler de ce que le gouvernement aurait pu faire autrement. Vous avez mentionné le manque de volonté du gouvernement. Je répondrais que les 1,1 milliard de dollars versés par année démontrent que le gouvernement a toujours une certaine volonté, car c'est un financement énergique et stable.

Voici ma question : croyez-vous qu'il soit acceptable qu'un radiodiffuseur public obtienne 1,1 milliard de dollars en financement et qu'il tente ensuite d'obtenir des contrats de publicité, en faisant concurrence aux radiodiffuseurs privés qui n'obtiennent pas ce financement? Nous devons rédiger un rapport. Seriez-vous d'accord pour suggérer que les radiodiffuseurs publics obtiennent seulement des fonds publics et qu'ils n'aient pas besoin de faire de la publicité? Ou devrait-on faire moitié-moitié? Où allons-nous? À un certain moment, nous devons prendre une décision — ou le gouvernement doit le faire. Ce que je trouve le plus insultant, ce n'est pas que nous ayons un radiodiffuseur public, et ce n'est pas que l'argent des contribuables soit dépensé, mais que l'argent des contribuables soit dépensé et que le radiodiffuseur tente ensuite d'obtenir des recettes publicitaires, en faisant concurrence à un radiodiffuseur privé.

M. Lépine : Cela a toujours été un gros dilemme pour la CBC. Toutefois, nous utilisons de plus en plus la publicité en raison des réductions budgétaires que nous avons subies au cours des années, ce qui ne contribue pas à résoudre le débat.

Le sénateur Plett : La société contrevient-elle à son mandat?

M. Lépine : C'est principalement ce que j'essaie de dire. Je crois que lorsqu'on compte autant sur la publicité, il est tentant d'être plus commercial, ce qui n'est pas le mandat de la CBC. C'est un dilemme auquel fait face la CBC/Radio-Canada. Je crois qu'idéalement, nous devrions compter sur le financement public, et peut-être en partie sur ce que nous appelons une commandite de prestige, c'est-à-dire une forme de commandite liée aux séries, mais il ne s'agit pas d'un projet purement commercial. On devrait avoir un mélange de tout cela.

Oui, c'est une question très importante. C'est pourquoi j'ai dit que nous devrions compter sur une perspective de financement. Vous dites que nous recevons un milliard de dollars par année. Vous savez peut-être qu'en tant que radiodiffuseur public, nous recevons probablement la contribution la moins élevée par habitant dans le monde. Encore une fois, lorsqu'on choisit d'avoir un radiodiffuseur public, il faut fournir le financement nécessaire.

[Français]

Le président : Monsieur Lépine, si vous me le permettez, je vais demander à quatre de nos sénateurs de poser leur question.

M. Lépine : Oui.

Le président : Les quatre.

M. Lépine : Parfait.

Le président : Vous pourrez leur répondre à la toute fin. Vous aurez le mot de la fin en même temps. Il nous reste environ neuf minutes. La sénatrice Hervieux-Payette, le sénateur Housakos, le sénateur Joyal, puis le sénateur Demers poseront leur question. Madame Payette, vous avez la parole.

La sénatrice Hervieux-Payette : Un des grands arguments qu'on entend ces jours-ci, c'est que les nouvelles technologies ont affecté tellement Radio-Canada qu'on doit changer toute la programmation. On va procéder autrement à cause de nouveautés, et j'appelle cela de la quincaillerie.

Selon vous, doit-on orienter Radio-Canada vers les nouvelles technologies et ensuite penser au contenu, ou doit-on commencer avec le contenu pour ensuite aller vers les technologies?

M. Lépine : C'est une question très intéressante.

Le sénateur Housakos : On voyage beaucoup ici au pays et une chose qu'on entend souvent et partout chez les Franco-Canadiens au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, c'est que Radio-Canada est très centré à Montréal. Pouvez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet?

Aussi, j'aimerais aborder la question de la gouvernance de CBC/Radio-Canada. À titre de membres du comité, nous en sommes venus à la conclusion que la SRC n'est pas suffisamment transparente. On utilise souvent la BBC comme comparaison. Le site web de la BBC indique tous les détails de ses dépenses jusqu'au dernier sou. On aimerait connaître votre opinion sur la question de la transparence.

Le sénateur Joyal : Je suis tenté de vous poser une autre question qui tue, si vous n'êtes pas mort à la première, à propos de l'indépendance de Radio-Canada. L'ouvrage de M. Saulnier pour lequel j'ai lu des extraits, remet en cause la relation —

[Traduction]

Je vais utiliser une expression anglaise, car je crois qu'elle décrit bien la réalité : la position at arm's-length de Radio-Canada, c'est-à-dire son indépendance.

[Français]

Est-ce que vous croyez, en tant que journaliste chevronné à Radio-Canada, que la société doit garder cette relation d'éloignement salutaire à l'égard du pouvoir politique? À votre avis, est-elle remise en cause?

Bon, il peut y avoir à l'occasion des sautes d'humeur. Je crois qu'en politique comme dans tous les autres domaines, cela peut arriver. Mais, est-ce que, d'après vous, le statut d'indépendance de Radio-Canada est remis en cause dans le contexte de l'opération qu'elle vit au quotidien? Ou, si on doit mieux le redéfinir dans la loi, qui pourrait faire l'objet d'amendements au cours des prochains mois?

Le sénateur Demers : Monsieur Lépine, j'aimerais vous poser une question. Vous semblez dire qu'une grande part du budget qui étouffe Radio-Canada au niveau francophone vient du côté anglophone.

Avez-vous des statistiques à ce sujet? Nous avons des statistiques francophones au Québec, à Saint-Boniface et un peu partout au Canada.

Pour ce qui est des cotes d'écoute francophones versus les cotes d'écoute anglophone, avez-vous des chiffres? Si on ne veut pas prendre de l'argent, le gros morceau de la tarte, il va falloir aider les francophones aussi, sur le plan financier, je veux dire.

M. Lépine : Je ne pourrais pas vous donner de précisions. Mais je pense qu'en termes réels pour les grands journaux comme The National, nos cotes d'écoute sont souvent identiques, sauf que Radio-Canada anglais est dans un marché beaucoup plus grand.

Le sénateur Demers : Absolument.

M. Lépine : D'où l'importance moindre dans son marché. Et c'est ce qui est probablement la difficulté de la CBC actuellement.

Alors, notre marché à nous c'est quoi? C'est peut-être 8 millions de francophones. Le reste, c'est le marché anglophone.

Et, comme je le dis, en termes de cotes d'écoute, on a souvent les mêmes résultats en chiffres réels. Donc, on a une pénétration dans notre marché cible beaucoup plus importante. Maintenant, le détail des chiffres, je ne l'ai pas. Donc, c'est la première chose.

Si je prends les éléments peut-être à reculons. L'indépendance de Radio-Canada; c'est pour cela que je disais, moi, que l'indépendance, actuellement, est extrêmement menacée.

Mon ami Alain a fait une étude détaillée de tout cela. Il a fait l'histoire des relations entre le pouvoir politique, tous les partis confondus, à travers toute une série d'époques. Il y a même des moments qu'il a racontés où je suis directement impliqué. Il y a eu souvent une volonté de briser le arm's length, comme on dit, de la part du gouvernement, quand celui-ci était insatisfait.

Je pense qu'on a atteint, et c'est la démonstration qu'il fait, au cours des derniers mois, un degré d'interventionniste de la part du gouvernement, ne serait-ce qu'avec la vitesse des compressions mais aussi des interventions qu'il documente directement comme son propre renvoi en tant que directeur de l'information.

Donc, on a vraiment menacé cet équilibre. Et je pense que la loi, si elle évoluait, devrait le définir encore plus. Si on choisit, encore une fois, de maintenir cette idée d'une télévision publique qui doit, justement, si on ne veut pas qu'elle soit dépendante des fonds commerciaux et qu'on veuille lui donner cette indépendance qui va lui permettre de s'épanouir, il faut lui laisser son indépendance.

C'est pour ça que j'évoquais le type de financement de la BBC, qui est beaucoup plus systématique et difficile à remettre en question parce qu'il est automatique. C'est une taxe qui est perçue sur des achats.

Ceci m'amène à la transparence. Je peux vous dire qu'en tant qu'ancien employé qui a contribué à gérer des émissions, la transparence même entre la direction de Radio-Canada et ses propres employés est à un niveau critique depuis plusieurs années.

Il y a un manque de transparence de la part de notre propre gestion. Vous ferez des études, et vous verrez que l'importance de la gestion dans l'entreprise a pris des dimensions exceptionnelles depuis ces dernières années, comme s'il y avait une méfiance entre les employés et la gestion.

Mais il y a, effectivement, un manque de transparence interne. Alors, j'imagine que cela se reflète aussi pour le gouvernement qui veut en savoir davantage.

Pour ce qui est du réseau français de Radio-Canada, qui est perçu dans les régions du Canada comme étant très montréalais, effectivement, ça a toujours été un problème.

C'est très difficile pour nous de ne pas avoir la tentation, parce que le gros des effectifs est concentré au Québec. Même au sein du Québec, les gens de la Gaspésie trouvent qu'on ne parle pas assez d'eux. Cela a toujours été un dilemme.

J'imagine qu'au sein du réseau anglais, c'est un peu la même chose. Les gens de Terre-Neuve doivent se plaindre. Mais c'est le drame d'avoir un pays géographiquement à ce point divisé.

Toutes les télévisions ont ce problème. En France, les régions se plaignent de ne pas être assez reflétées, ne pas avoir de reflet. Je pense que c'est un problème de tous les organismes de presse de la planète et surtout quand ils sont établis dans les grands centres, forcément.

Et puis, enfin, vous savez dans l'argumentaire de la direction actuelle, on dit presque qu'il n'y a plus d'avenir. Et c'est vrai que le modèle économique des télévisions généralistes, des grandes chaînes traditionnelles est très fortement remis en question.

Aux États-Unis, on se demande s'il faut encore faire des bulletins de nouvelles dans la programmation des grandes chaînes, alors que ce sont précisément ces bulletins qui ont fait l'histoire du grand journalisme américain. Alors, il y a un questionnement de ce côté.

Mais, une fois de plus, beaucoup d'autres personnes vont venir vous le dire aujourd'hui et demain. Il y a des gens qui sont dans l'univers de la production de contenu. C'est une erreur de dire que la télévision n'a pas d'avenir.

Vous savez qu'on l'a dit, quand la télévision est née, que la radio n'aurait plus d'avenir. Regardez l'effervescence que connaît la radio au Canada, aujourd'hui.

Même à Radio-Canada, nos cotes d'écoute sont très fortes à la radio. Les deux radios de Radio-Canada sont extrêmement respectées à travers toutes leurs chaînes.

Donc, c'est une erreur de dire, parce que c'est plus facile, qu'il faut abandonner la télévision, qui coûte trop cher, et qu'il faut aller sur le Web.

Vous savez que dans les régions du Québec, il y a des comités consultatifs de Radio-Canada. Il y a un directeur de collège, du Cegep, qui m'a dit récemment qu'il avait assisté à une réunion où Louis Lalande disait aux gens : « Nous allons être un producteur de contenu sur le Web qui va être unique au monde. »

Et le professeur avait cette réaction en disant que c'était comme si on disait à quelqu'un : « Je te coupe les jambes, mais tu auras une très belle chaise roulante. »

Alors, je trouvais que cette remarque était très bonne. Faire l'erreur de s'en aller sur le Web entièrement, et en vitesse. Je pense qu'il faut s'adapter, effectivement, aux médias. Il faut faire du contenu pour aller chercher les gens. M. Lacroix parle toujours de ces jeunes qui s'alimentent à d'autres médias. Oui. Mais, encore une fois, 75 p. 100 de la population s'alimente encore à la télévision et à la radio.

Et ce n'est absolument pas négligeable. C'est un instrument de communication extraordinaire. C'est un véhicule de diffusion de la culture qui est fantastique.

Et je pense qu'il faut faire attention, dans le contexte actuel, à être trop rapide sur les conclusions faciles.

Le président : Je remercie mes collègues de leur collaboration. Monsieur Lépine, je vous remercie pour votre témoignage. Je dois vous dire que de temps en temps quand vous parliez de Radio-Canada, vous disiez « nous ».

M. Lépine : C'est intéressant. Cela démontre l'attachement que j'ai pour elle.

Le président : Nous continuons notre étude sur l'avenir de Radio-Canada. Il y a maintenant un groupe de cinq personnes alors que nous n'en avions qu'une seule auparavant. Nous devions commencer à 14 heures, et comme nous avions l'occasion d'entendre M. Lépine, nous avons devancé le début de la séance pour lui donner la chance de s'exprimer.

Mais nous avons beaucoup de demandes et nous avons essayé d'y répondre en créant des groupes. Étant donné que certains d'entre vous ont déjà comparu devant notre comité pour représenter les régions, nous vous avons offert de faire une présentation commune.

Je vais être plus ferme en ce qui concerne le temps alloué pour les réponses, mais je le serai davantage pour les questions afin que vous ayez l'occasion d'être entendus.

Qui souhaite prendre la parole en premier?

Pierre Maisonneuve, porte-parole, Tous Amis de Radio-Canada : Vous voulez que je commence en raison de mon âge?

Le président : C'est du temps d'antenne que vous perdez.

M. Maisonneuve : Quel est le temps d'antenne pour les interventions?

Le président : Le greffier vous a dit de cinq à sept minutes chacun, mais vous n'êtes pas obligés de l'utiliser.

M. Maisonneuve : J'ai pris ma retraite de Radio-Canada il y a deux ans, en 2012. Je suis journaliste depuis 50 ans. À l'époque, c'était M. Pearson qui était premier ministre du Canada et M. Lesage qui était premier ministre au Québec. J'ai travaillé 41 ans à Radio-Canada.

Depuis mon départ, j'ai eu de nombreuses demandes pour donner des conférences sur Radio-Canada, en commençant avec les retraités de Radio-Canada. Je fais partie de l'université du troisième âge de l'Université de Sherbrooke. Tous les mois, je donne deux conférences sur Radio-Canada.

Le sénateur Joyal : J'espère que vous êtes rémunéré.

M. Maisonneuve : Oh! Vous savez, l'université du troisième âge, ça ne paie pas beaucoup, mais c'est très agréable d'avoir un auditoire pour parler de Radio-Canada ou d'autre chose. À Radio Ville-Marie où j'anime une émission, c'est du bénévolat. Mais on aime le métier, et quand on le fait une fois, on le fait pour toujours.

Je vous entendais, monsieur Joyal, poser des questions à mon ancien collègue Jean-François Lépine. Vous m'avez inspiré, après coup. Le titre de ma conférence est : « Radio-Canada, la plus grande université populaire de notre histoire. » Est-ce encore vrai? Et si oui, pour combien de temps? D'abord, j'ai commencé ma conférence avant d'accepter d'être le porte-parole de Tous Amis de Radio-Canada. Alors, je suis un peu en conflit d'intérêts quand je donne ma conférence parce que j'ai une grande inquiétude. Et je remonte aussi loin que Radio-Collège où j'avais vu un jour une caricature qui disait : « Nous n'avons pas besoin d'aller à l'école, nous avons Radio-Collège. » Parce que Radio-Collège a été une école de formation populaire, et c'est dans toute l'histoire de Radio-Canada.

Mon père, qui était un menuisier-charpentier, écoutait Point de mire. C'est à peu près le seul moment où on devait garder le silence à la maison, avec Le Téléjournal, et la lutte. On était 10 enfants. Il y avait beaucoup de bruit dans la maison. Donc, c'était vraiment une université populaire où tous les gens ont appris.

Dans une tournée que je fais à l'occasion, je me suis retrouvé en Acadie. Je me suis retrouvé à Ottawa. Je me retrouve dans les régions du Québec. Où serait la culture acadienne sans Radio-Canada? Là, je ne parle pas que de l'information, je parle dans l'ensemble. Où seraient les artistes acadiens? Où serait Zachary Richard? Il serait peut-être en Louisiane, chantant en anglais seulement.

Selon moi, Radio-Canada est un service extrêmement essentiel sur le plan culturel qu'on ne peut qu'être inquiets de ce qui se passe actuellement.

Pour ma part, Radio-Canada a été, en quelque sorte, mon université. Quand j'ai commencé dans le métier, il n'y avait pas de faculté de journalisme, on apprenait sur le tas. Après sept ans dans le privé, je rêvais de travailler à Radio-Canada et j'y suis allé.

Et en 41 ans, j'ai été reporter, chroniqueur à l'éducation, intervieweur, rédacteur en chef aux affaires publiques, animateur à la radio et à la télévision, dans les émissions Actualité, Présent, Découverte, Enjeux...

Le président : Je vais vous demander de donner une chance aux traducteurs.

M. Maisonneuve : Oh! Excusez-moi.

Le président : On a d'excellents traducteurs, mais ils ont quand même une limite.

M. Maisonneuve : Alors, Maisonneuve à l'écoute, à RDI, Maisonneuve en direct, à la Première Chaîne. Tout cela, dans la tourmente des débats linguistiques, constitutionnels, politiques, avec trois grands référendums, dans une société divisée, avec la responsabilité de traduire la réalité des uns et des autres, malgré les pressions et les critiques.

Produire une information libre, comme l'a exigé Marc Thibault, dans une note de service en 1976 dans laquelle il disait : « L'essence de notre travail de journaliste, c'est pour une information libre, car Radio-Canada ne peut être, d'aucune manière, utilisée comme outil de propagande au profit de qui que ce soit. Nous sommes une entreprise de presse, nous devons assumer les impératifs d'une information libre. »

En 41 ans de carrière, j'ai eu l'occasion d'assumer cette information libre en recevant les gens de toute tendance. Si nous avons vécu des événements comme deux référendums extrêmement difficiles, surtout au Québec, et si le lendemain il n'y avait pas eu de coups de fusil, je pense c'est parce que Radio-Canada a permis à tous de pouvoir exprimer leur façon de penser.

Je recevais des gens du Oui et du Non. Les gens du Oui me disaient que j'étais pour le Non; les gens du Non me disaient que j'étais pour le Oui. Un jour, Alfonso Gagliano a fait faire des enquêtes sur les journalistes qui devaient interviewer des ministres fédéraux. Dans le cadre d'une enquête qu'il a menée sur moi aussi, il disait : « Il est correct, mais si vous allez à son émission, soyez prêt, parce qu'il sera prêt. » C'est sans doute le plus beau compliment qu'on ait pu me faire.

Donc, si Radio-Canada n'existait pas, il faudrait l'inventer. C'est de plus en plus un diffuseur, de moins en moins un producteur. À mon avis, c'est une erreur majeure et pas seulement pour l'information, car on pourrait décider de se replier uniquement sur l'information. Tout devient information.

Prenez l'exemple d'une émission comme 30 Vies, qui aborde des problèmes sociaux importants de façon différente, ce qui peut avoir une influence sur les journalistes dans leurs besoins d'enquête.

Forcée de renoncer à son statut de grande productrice, Radio-Canada pourrait-elle encore offrir son expertise comme elle l'a fait par le passé? Est-ce que Radio-Canada pourra être un leader comme l'a déjà été?

Il reste l'information. Personne ne peut déployer ses équipes, partout dans le monde, comme le fait Radio-Canada. Historiquement, de la Grande Guerre, la Deuxième Guerre mondiale à aujourd'hui, Radio-Canada a été présente dans tous les grands conflits et on a eu ce regard sur le monde.

Alors, le problème fondamental, ce n'est pas un problème de plateforme, c'est un problème de contenu. Les plateformes, quand on les a, on peut diffuser le contenu sur les différentes plateformes.

Mais quand on propose que la diffusion libre soit abolie pour faire de Radio-Canada un réseau spécialisé sur le câble, est-ce que cela correspond à la mission de Radio-Canada?

Radio-Canada doit redevenir le grand producteur qu'il a été pour que les gens aient autre chose à consommer que des Occupation double et pour qu'ils rêvent encore à une Course autour du monde qui nous a donné tant d'excellents réalisateurs et de grands cinéastes.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Maisonneuve.

Madame Montpetit?

Isabelle Montpetit, présidente, Syndicat des communications de Radio-Canada : Bonjour. On est ici pour parler des défis de Radio-Canada dans un contexte d'évolution du milieu des médias. Je suis présidente du Syndicat des communications de Radio-Canada. Je représente essentiellement les gens qui sont en ondes et qui préparent le contenu qui est présenté en ondes.

Donc, je travaille à Radio-Canada depuis 1993. J'ai déjà vu Radio-Canada s'adapter à beaucoup de changements. Quand je suis arrivée, on venait de renoncer aux films en télévision, puis on passait à la cassette vidéo. Aujourd'hui, on est au CD et je travaille pour le Web maintenant.

Donc, Radio-Canada a toujours su s'adapter aux changements et elle doit continuer à le faire; ce n'est pas nécessaire de débattre là-dessus. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que Radio-Canada a une mission qui lui a été confiée par la Loi sur la radiodiffusion, soit d'informer, d'éclairer et de divertir. Elle doit le faire, entre autres, en informant les régions, en tenant compte de leurs besoins et en faisant la promotion de la culture.

Donc, c'est ce qu'elle fait. Je fais présentement une tournée des régions pour rencontrer les membres de mon syndicat et on parle de culture. Dans toutes les régions, il y a des artistes qui sont nés grâce à Radio-Canada, des gens comme les sœurs Boulay, Lisa Leblanc. Le Quatuor Alcan, qui est connu partout dans le monde aujourd'hui, nous dit qu'il a pris la décision de se créer parce que Radio-Canada lui offrait la possibilité de diffuser des concerts. Donc, c'est un groupe musical, un quatuor à cordes régional, qui a été porté par Radio-Canada.

Radio-Canada informe. Il y a une grande partie de l'information, partout au Canada, dans les deux langues officielles, mais aussi dans huit langues autochtones. Le service Radio-Canada International qui a été décimé dans les précédentes compressions, porte un regard canadien sur l'actualité dans plusieurs langues : le chinois, l'arabe, l'espagnol, le français et l'anglais. Il y a déjà eu beaucoup plus de langues, mais il y a eu une diminution en raison des compressions, au fil des ans.

La mission d'éclairer est beaucoup portée par les émissions d'affaires publiques, ce qui est unique à Radio-Canada. Ailleurs qu'à Radio-Canada, où diffuse-t-on des émissions, comme Découverte ou Les années lumière, qui nous renseignent chaque semaine sur la science?

On diffuse une émission sur l'agriculture à la télévision de Radio-Canada, qui a un grand succès d'écoute. Il n'y a aucune autre télévision qui se permet de le faire.

Enfin, il y a la mission de divertir. Radio-Canada a déjà été un grand producteur de séries de fiction. Malheureusement, encore une fois, au fil des ans, ça s'est étiolé et il y a toute une expertise qui s'est dissipée.

Donc, comme vous le savez, on a connu des compressions, sans cesse, depuis les années 1990. Dans le document qu'on vous a remis, je vous ai dressé une liste de tous les changements qui ont eu lieu depuis 2009 en raison des compressions.

On arrive à une nouvelle étape, aujourd'hui, avec la décision de la haute direction de Radio-Canada, de lancer son plan stratégique de 2020. On entre dans un cycle de compressions, maintenant, qui n'est pas dicté par de nouvelles compressions fédérales. Ce sont des compressions qui sont décidées à l'interne, pour faire des transformations.

Donc, on a annoncé 100 millions de dollars d'ici 2020. Jusqu'à 1 500 postes seront abolis pour faire une transition vers des nouvelles plateformes. Mais, on oublie la mission de Radio-Canada et il n'en est jamais question dans le cadre de cette transformation. On parle de tuyauterie.

Et on ne sait pas comment se fera cette transition, cette ouverture vers le numérique. Qui va la faire? Qu'est-ce qu'on va présenter comme contenu? Donc, on est dans un grand flou autour de la mission de Radio-Canada, dans un tel contexte.

À titre d'exemple, on vient d'annoncer l'abolition des 400 premiers postes dans le cadre de cette stratégie. Ces compressions touchent surtout la région de Moncton. C'est la capacité du peuple acadien d'exister, de s'informer sur lui-même, qui va être affectée.

On a aboli des postes de médiathécaires, qui s'occupent d'archiver les contenus de Radio-Canada, qui appartiennent à tous les Canadiens. Grâce au travail des médiathécaires, on peut les conserver, on peut les consulter, on peut avoir la mémoire du Canada disponible pour les Canadiens. Et on a largement coupé dans ces postes.

La mission de conserver la mémoire du Canada ne pourra plus être remplie comme auparavant, notamment en ce qui concerne le Costumier.

Il y a la Maison de Radio-Canada, à Montréal, aussi. La direction veut vendre la tour actuelle et faire construire un autre bâtiment dont on deviendrait locataire. Au départ, il devait y avoir quatre studios de télévision, maintenant il n'y en aura qu'un.

Ces installations, qui représentent une infrastructure qui appartient aux Canadiens, est détruite sans que les Canadiens soient consultés, sans qu'il y ait de débats là-dessus. C'est la haute direction qui le fait, dans le secret.

Ce qui m'amène à la gouvernance, il y a eu des questions, tout à l'heure, là-dessus, mais Radio-Canada est une société d'État qui est assez secrète dans sa façon de fonctionner. Les gens sont nommés par le gouvernement, sans appel public. L'administration est assez secrète aussi. On n'a qu'à regarder les procès-verbaux du conseil d'administration qui sont publiés sur le Web, mais ils sont largement caviardés. Donc, il y a peu de comptes qui sont rendus aux Canadiens.

Et il y a la proximité avec le pouvoir, dont on a entendu parler récemment aussi, qui est troublante, pour une société d'État qui doit être au service des citoyens et non au service de l'État. On n'est pas une télévision d'État ou un média d'État, nous sommes un média public qui doit servir le citoyen.

Donc, nous, avec la campagne Tous Amis de Radio-Canada, ce qu'on demande, c'est un moratoire sur les compressions pour pouvoir faire un débat sur l'avenir de Radio-Canada. Vous le commencez ici le débat, mais nous, on pense que ça devrait être un débat beaucoup plus large que celui-là, sur le financement, sur la gouvernance et sur la programmation de Radio-Canada. On croit que Radio-Canada devrait recevoir un financement augmenté, stable et pluriannuel, de l'ordre de 40 $ par année, par Canadien, alors qu'il est de 29 $ actuellement, ce qui est un des plus bas au monde.

Le président : Merci, madame Montpetit. Est-ce que vous présentez un mémoire commun?

Nathalie Blais, conseillère à la recherche, Syndicat canadien de la fonction publique : Non.

Le président : Non. Allez-y, le plus rapidement possible.

Mme Blais : Alors, monsieur le président, sénateurs et sénatrices, merci de nous recevoir. Permettez-moi d'abord de présenter notre équipe. Mon nom est Nathalie Blais, je suis conseillère au service de la recherche du Syndicat canadien de la fonction publique.

Avec moi, pour cette présentation, la présidente du Syndicat des employé(e)s de bureau et professionnel(le)s de Radio-Canada, Mme Isabelle Doyon; et M. Michel Labrie, qui est vice-président national du Syndicat des technicien (ne)s et artisan(e)s du réseau français de Radio-Canada.

Nous représentons quelque 1 700 employés de la SRC, dans tout le Québec et à Moncton, dont certains sont avec nous aujourd'hui pour assister à vos travaux.

Le SCFP estime que les raisons qui ont mené à la création de Radio-Canada sont toujours d'actualité. Dans les années à venir, un diffuseur public fort sera plus que jamais essentiel pour faire contrepoids à l'affluence de nouvelles et d'émissions de partout sur la planète.

Radio-Canada est nécessaire pour offrir aux Canadiens une programmation alternative à celle des diffuseurs privés; une information fiable, indépendante de tout intérêt commercial ou politique et des émissions répondant à des besoins particuliers, comme ceux des minorités linguistiques, même lorsque ce n'est pas rentable.

Toutefois, Radio-Canada fait face à d'importants défis de financement qui menacent la mission qui lui a été confiée par le Parlement. Radio-Canada se trouve à un tournant historique. Si rien n'est fait rapidement, notre diffuseur public disparaîtra, car sa direction et son conseil d'administration ont entrepris d'en privatiser des pans entiers.

Les compressions supplémentaires annoncées, la semaine dernière, prévoient notamment la vente du Costumier de Radio-Canada, la plus imposante collection de costumes en Amérique du Nord. Cette décision est le prélude à l'abandon de toute production d'émissions de divertissement à l'interne et à la disparition prochaine de 11 des 12 studios montréalais du diffuseur public.

La direction de Radio-Canada fait le calcul qu'il sera plus avantageux de confier la production de ses émissions à des producteurs privés. Il faut dire que le crédit d'impôt fédéral et les autres sources de financement public des producteurs indépendants sont en augmentation depuis des années.

L'enveloppe accordée à Radio-Canada par le gouvernement, quant à elle, n'a cessé de diminuer, depuis le début des années 1990. En dollars constants, les crédits parlementaires du diffuseur public ont même atteint un plancher historique.

Pourtant la mission confiée à Radio-Canada est toujours la même : celle d'offrir une large programmation, principalement canadienne, qui renseigne, éclaire et divertit, dans les deux langues nationales, d'un bout à l'autre du pays, en tenant compte des besoins particuliers des régions et en favorisant l'expression culturelle. Aucun diffuseur ou producteur privé de télévision n'a les mêmes obligations.

Le gouvernement doit reconnaître l'étendue et la complexité de la mission de Radio-Canada et doit lui accorder le financement nécessaire pour la réaliser. En diminuant constamment les sommes qui lui sont consacrées — ne serait-ce qu'en refusant de les indexer selon le coût de la vie —, le gouvernement fédéral pousse Radio-Canada à recourir davantage aux revenus publicitaires et commerciaux. Cette dynamique dénature le diffuseur public et le détourne de sa mission, en le rendant de plus en plus semblable aux réseaux de télévision privés.

Isabelle Doyon, présidente, Syndicat des employé(e)s de bureau et professionnel(le)s de Radio-Canada : Compte tenu de la transformation numérique de l'industrie et de l'instabilité du marché publicitaire, Radio-Canada a plus que jamais besoin de stabilité.

Uniquement pour l'année financière 2014-2015, le diffuseur public aura procédé au licenciement de plus de 1 000 travailleurs pour équilibrer son budget déficitaire. Radio-Canada ne peut pas faire d'emprunt pour ses opérations courantes.

Ses employés lui servent donc carrément de marge de crédit pour faire face à des imprévus de plus en plus fréquents. Cette situation ne peut pas durer.

Devant la fluctuation de toutes ses sources de revenus, Radio-Canada procède à la réduction de son personnel à une vitesse excessive. Cela met en péril la mission du diffuseur public, son expertise et sa capacité à se transformer pour répondre aux besoins des Canadiens sur plusieurs plateformes.

On peut en effet se demander de quelle façon Radio-Canada arrivera à maintenir une programmation de qualité à la radio et à la télévision tout en ajoutant les services numériques, alors que la taille de son personnel et l'organisation du travail changent constamment.

La consommation d'information se fait maintenant autant à la radio qu'à la télé et sur les plateformes numériques. Le diffuseur public doit donc produire davantage de contenu en simultané alors qu'il n'a plus les moyens de conserver son personnel. C'est un non-sens.

Radio-Canada doit préserver ses acquis malgré la transformation en cours. Les syndicats SCFP de Radio-Canada sont conscients de la nécessité d'innover sur de nouvelles plateformes. Il faut cependant éviter que ce virage numérique soit fait trop rapidement, de la mauvaise façon ou pour les mauvaises raisons.

La situation actuelle est malsaine. La preuve en est que les difficultés budgétaires de Radio-Canada ont déterminé, en grande partie, les priorités du plan quinquennal 2015-2020. Ce plan prévoit la privatisation de toute la production, à l'exception des émissions d'information, ainsi que la vente des actifs immobiliers et de transmission. La stratégie mise en place transfère au secteur privé des actifs de Radio-Canada sans que les citoyens aient l'assurance que cela se fera à leur avantage.

En misant sur le recours exclusif à des producteurs indépendants, Radio-Canada n'aura aucun contrôle sur les coûts de production. Sans studio pour accueillir ces producteurs, il y a fort à parier que Radio-Canada verra le prix de ses émissions augmenter.

Cette stratégie compte également sur l'obtention de subventions du Fonds des médias du Canada qui pourraient diminuer ou disparaître. Le financement offert par le FMC à la production indépendante fluctue en fonction de différents facteurs, comme les abonnements aux câblodistributeurs et les cotes d'écoute.

Cette année, Radio-Canada a vu l'enveloppe qui lui est octroyée diminuer de 7 millions de dollars par rapport à l'an dernier. Donc, rien ne garantit que le diffuseur public fasse des économies en fermant des studios et en démantelant ses équipes de production.

Une chose est certaine, cependant, les contribuables, eux, paieront plus cher. Lorsque Radio-Canada a recours à la production indépendante, les Canadiens doivent assumer non seulement le coût de l'émission, mais également la marge de profit du producteur privé et le montant de la subvention.

Michel Labrie, vice-président national, Syndicat des technicien(ne)s et artisan(e)s du réseau français de Radio-Canada : Par ailleurs, puisque la disparition des studios est reliée au partenariat public privé, PPP, de la Maison de Radio-Canada, il sera impossible de revenir en arrière une fois le projet enclenché.

Le contrat en PPP liera les parties pour les 30 prochaines années. Radio-Canada n'aurait donc plus d'alternative si l'évolution de l'industrie faisait en sorte qu'il soit plus avantageux de produire à l'interne.

De plus, dans son plan de 2015-2020, Radio-Canada dit vouloir réduire son empreinte immobilière pour investir davantage dans la programmation. L'objectif est louable, mais nous doutons que le recours à un PPP permette réellement au diffuseur public de faire des économies.

Des études ont démontré que les projets immobiliers réalisés en PPP coûtent plus cher à financer. En France et en Grande-Bretagne, on a même racheté certaines infrastructures construites en PPP, afin d'économiser.

En gérant lui-même le projet de transformation de la Maison de Radio-Canada à Montréal ou en le confiant à la Société immobilière du Canada, nous estimons que le diffuseur public économiserait au bas mot 2 p. 100 sur le taux de financement.

Cette solution a-t-elle été envisagée? À Radio-Canada, on nous dit qu'un recours à la Société immobilière ne serait pas rentable. Sur quelle base repose cette conclusion? Nous l'ignorons.

Radio-Canada n'a d'ailleurs jamais justifié son recours à un PPP pour réaménager ses locaux montréalais. Impossible d'en savoir plus via l'accès à l'information : des centaines de pages de documents fournies par Radio-Canada ont été censurées. L'avantage économique de procéder avec un modèle PPP plutôt que traditionnel reste donc à démontrer.

Bref, le plan 2015-2020 de Radio-Canada contient des initiatives qui ont toutes les allures d'une privatisation, ce qui nous inquiète au plus haut point. En ayant davantage recours à la production indépendante et en devenant locataire pour ses bureaux, ses studios et ses équipements de transmission, le diffuseur public n'aura bientôt de public que le nom.

Même le signal de Radio-Canada pourrait être privatisé si le CRTC accepte sa proposition de fermer ses émetteurs télé. Il faudrait alors absolument être abonné à une entreprise privée de câblodistribution pour avoir accès à la programmation du diffuseur public.

Les orientations de la haute direction et du conseil d'administration de Radio-Canada mettent en péril la mission du diffuseur public et la place unique qu'il occupe dans le système de radiodiffusion.

Quoi qu'en pense son président, Radio-Canada n'est pas une entreprise comme les autres. C'est un service public essentiel qui appartient à la collectivité. Il a pour objectif d'offrir une programmation variée, novatrice et s'adressant à tous les Canadiens, peu importe la plateforme de diffusion utilisée.

Il a aussi pour mandat d'informer et d'éclairer les citoyens sur l'actualité, qu'elle soit locale, nationale ou internationale.

Le plan mis de l'avant par Radio-Canada pour 2015-2020 devrait non seulement être rentable économiquement, mais aussi culturellement et socialement. Toutefois, au rythme où vont les choses, le SCFP craint que Radio-Canada ne soit vidée de sa substance prochainement et que l'on invoque par la suite son manque de pertinence pour mettre fin à ses activités.

Le gouvernement doit assurer ses responsabilités en finançant adéquatement le diffuseur public, pour lui permettre de réaliser son mandat dans l'intérêt de tous les Canadiens. Il doit aussi s'assurer que le conseil d'administration n'est pas seulement formé de gestionnaires, mais également de personnes qui ont une connaissance approfondie de l'industrie des communications.

Radio-Canada est un important service public. Il faut le développer et préserver ses acquis, plutôt que de le démanteler.

Le président : Merci beaucoup à nos cinq témoins.

J'ai déjà quatre sénateurs qui désirent poser des questions, le sénateur Plett, la sénatrice Hervieux-Payette, le sénateur Demers, le sénateur Housakos et le sénateur Joyal.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je vous remercie d'être ici.

Madame Doyon, vous avez mentionné à quelques reprises que la CBC congédiait de nombreuses personnes. « Congédier », c'est ce que la CBC a fait à M. Ghomeshi; « mettre à pied », c'est ce qu'elle fait à 1 500 personnes, et c'est une différence importante. La société ne congédie pas 1 500 personnes, elle les met à pied.

Je voulais seulement apporter cet éclaircissement, et si c'était l'interprétation, je suis satisfait.

[Français]

Mme Doyon : Oui, c'est une erreur d'interprétation. Les gens reçoivent des avis de postes excédentaires et ils finissent par perdre leur emploi.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

Vous représentez tous des syndicats.

Le sénateur Joyal : À l'exception de M. Maisonneuve.

Le sénateur Plett : Désolé.

M. Maisonneuve : Je suis à mon compte.

Le sénateur Plett : D'accord, mais vous représentez tous des organismes qui, je présume, ont un service des RH. J'aimerais donc savoir, pour ma première question, comment votre service des RH traite les plaintes liées au harcèlement sexuel en milieu de travail. Comment déterminez-vous si une plainte est légitime, et combien de plaintes de harcèlement sexuel contre une personne faudrait-il pour que vous — ou votre service des RH — preniez des mesures?

[Français]

Mme Doyon : Je vais laisser répondre ma collègue, Nathalie Blais, puisque je n'ai qu'une adjointe, étant donné qu'on est juste deux personnes à temps plein. Je vous remercie.

[Traduction]

Mme Blais : Lorsque vous faites référence à notre service des RH, que voulez-vous dire? Parlez-vous du service des RH de la CBC?

Le sénateur Plett : De la CBC ou de votre syndicat s'il a un service des RH. Je présume que s'il y avait une plainte de harcèlement sexuel, et que vous étiez la représentante ou la dirigeante syndicale, quelqu'un vous dirait de déposer une plainte contre une certaine personne. Que ferait votre syndicat ou votre service des ressources humaines dans ce cas?

[Français]

Mme Blais : Le syndicat, normalement, devrait faire une enquête pour tenter de déterminer ce qui s'est passé et discuter avec l'employeur aussi. L'employeur va faire son enquête de son côté, alors que le syndicat va faire la sienne et il y aura une décision qui sera prise, mais après avoir consulté les gens qui entourent la personne qui fait la plainte, ainsi que ceux qui gravitent auprès de la personne qui est accusée ou contre laquelle il y a des allégations, et après avoir rencontré aussi les personnes qui sont impliquées dans la situation.

Donc, il faut toujours intervenir parce qu'il y a toujours quelqu'un qui souffre dans ces situations, mais il n'y a pas de solution unique. Il faut vraiment écouter les gens et tenter de déterminer ce qui s'est passé, et ensuite, l'employeur a une décision à prendre.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Et vos mesures seraient prises assez rapidement en ce qui concerne l'enquête?

[Français]

Mme Blais : Dès qu'un syndicat est avisé, normalement, il doit intervenir.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Quelqu'un d'autre aimerait répondre, ou est-ce similaire? D'accord.

Mme Blais : Pouvez-vous lire en français?

Le sénateur Plett : Non, mais je peux certainement obtenir de l'aide.

Mme Blais : Je peux vous envoyer un CD.

[Français]

Le président : On peut le faire traduire, si vous le déposez auprès du greffier.

Mme Blais : Oui, je pourrais déposer un CD qu'on a produit, qui explique bien de quelle façon on doit intervenir dans ce type de situations.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je vous en serais reconnaissant.

Vous avez peut-être entendu parler de M. Ghomeshi, ou peut-être pas, et je comprends que l'affaire n'est certainement pas liée à votre syndicat. Toutefois, j'aimerais poser une question sur M. Ghomeshi et sur certains des événements qui se sont produits.

Le président : Sénateur, si votre question est liée au processus ou à la CBC, je comprends, mais je crois que la personnalisation sort un peu du cadre de notre mandat.

Le sénateur Plett : Eh bien, c'est certainement lié à la CBC.

Le président : La première question était assez claire; vous parliez du processus.

Le sénateur Plett : Eh bien, je crois que la deuxième question l'est également, monsieur le président, et si vous avez l'impression qu'elle ne l'est pas, vous pouvez demander au témoin de ne pas répondre, mais j'aimerais la poser.

Le président : D'accord.

Le sénateur Plett : Vous avez peut-être entendu dire qu'une faculté de l'Université de Western Ontario décourageait ses étudiants en journalisme d'effectuer des stages à Q, en raison de la réputation de M. Ghomeshi. De plus, une ancienne stagiaire à Q — et ces stagiaires font peut-être partie de votre syndicat — a décrit son expérience de travail là-bas et elle a indiqué que tout le monde était au courant du comportement de M. Ghomeshi. Elle en a discuté dès son retour chez elle après un stage non rémunéré de six semaines à Toronto. La première question que lui a posée le Directeur des émissions d'actualité de CBC Radio — c'est donc lié à la CBC — dans sa ville natale a été : « Jian Ghomeshi a-t-il tenté de coucher avec vous? » Tous les employés de la CBC présents dans la pièce ont éclaté de rire. Elle a dit qu'ils étaient manifestement au courant de son comportement.

Avez-vous un commentaire à cet égard?

[Français]

Mme Blais : Je pense que c'est une question que vous devriez poser à Radio-Canada.

[Traduction]

Le sénateur Plett : D'accord.

Le président : Le sénateur a donc eu la chance de poser sa question, et les témoins ont eu la chance de ne pas devoir y répondre.

Le sénateur Plett : D'accord.

Le président : Sénatrice Hervieux-Payette.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Pouvez-vous indiquer le pourcentage de gestionnaires qui ont été remerciés de leurs services dans les dernières mises à pied et le pourcentage de gestionnaires, en général, par divisions ou sections chez Radio-Canada? Votre prédécesseur a parlé, à un moment, de 35 p. 100, ce qui me semble très élevé par rapport à ce qui se fait dans le secteur privé, premièrement.

Deuxièmement, qui a participé au développement du plan stratégique et est-ce qu'il y a eu l'assistance de firmes extérieures, c'est-à-dire KPMG ou d'autres firmes de planification stratégique? Est-ce qu'il y a eu aussi des discussions de réaménagement de l'espace de la Maison de Radio-Canada?

N'en déplaise à mon collègue, une bâtisse construite il y a 40 ans, normalement le prix est amorti et on paie seulement pour l'entretien. On pourrait réaménager l'espace, pour optimiser le rendement de cette bâtisse. J'aimerais avoir vos réponses à ces questions.

Mme Montpetit : Je peux essayer de répondre, puis mes collègues compléteront, au besoin. En ce qui a trait au pourcentage de gestionnaires, Jean-François Lépine parlait particulièrement du département des Communications, mais l'organigramme de Radio-Canada est excessivement complexe et c'est difficile d'avoir des réponses à de telles questions. On les a déjà posées et on n'arrive pas à avoir des réponses claires. On sait que les gestionnaires reçoivent des primes au rendement et M. Hubert Lacroix l'a déjà confirmé qu'il n'avait pas l'intention de les supprimer.

Pour ce qui est du plan stratégique actuel, je ne sais pas s'ils ont fait appel à des firmes externes. On nous dit que des employés ont été consultés, mais on ne sait pas lesquels. Le précédent plan avait été fait avec l'aide d'une firme externe dont je ne me souviens pas le nom.

La sénatrice Hervieux-Payette : Et le réaménagement de l'espace? Dans la bâtisse actuelle, réaménager l'espace pour une meilleure utilisation et peut-être procéder à louer certains espaces?

Mme Montpetit : En fait, le problème de la Maison de Radio-Canada, de la façon dont on nous le présente, c'est qu'elle a besoin d'énormément de travaux, elle a été négligée pendant des années. Il y a des infiltrations d'eau. La capacité électrique n'est pas suffisante. Je crois qu'ils considèrent que d'investir pour réparer, ça serait trop coûteux. C'est ce qu'ils nous disent. Mais nous, on est des syndicats, on représente les employés, on n'a pas accès à beaucoup d'information sur la gestion de Radio-Canada.

Mme Doyon : Juste pour rajouter à ce qu'a dit ma collègue, en ce qui a trait au nombre de gestionnaires, on n'a jamais été en mesure d'avoir le nombre de gestionnaires à Radio-Canada. La quantité d'organigrammes est faramineuse et, qui plus est, même nous, on a de la misère à avoir nos chiffres, quand nos gens reçoivent des avis de postes excédentaires, on se fait dire 32, comme ça nous est arrivé au printemps dernier, puis finalement ça se reflète par 70 postes qui sont supprimés. Donc, c'est difficile pour nous, à ce niveau.

En ce qui a trait au plan stratégique, le plan stratégique de 2010-2015 a été fait à 75 p. 100 à l'extérieur de Radio-Canada, et Hubert Lacroix se disait heureux de mentionner que le plan 2015-2020 a été fait à 75 p. 100 à l'intérieur, avec l'aide de 150 employés — comme le disait ma collègue, on ne sait pas lesquels — et 25 p. 100 à l'externe. On ne connaît pas le nom de la firme non plus.

En ce qui a trait à la MRC, la Maison de Radio-Canada, encore là on a un problème de transparence. On a fait une demande d'accès à l'information et on a reçu plus de 400 pages de documentation censurée, dans lesquelles on a trouvé quelques bribes. Il est juste ici le document, on a quelques trucs, mais ce n'est pas assez, ce n'est pas suffisant pour nous aider à nous faire une idée de la direction qu'ils prendront et pourquoi ils ont pris de telles décisions.

La sénatrice Hervieux-Payette : Merci.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup pour votre présentation. Vous avez parlé, madame Doyon, de l'organigramme. Dans mes fonctions précédentes, il y avait un organigramme et des employés. Toutes les personnes de cet organigramme se devaient de solidifier la préparation et le plan de match, si vous voulez.

Comment en sont-ils arrivés là? Ce n'est pas d'aujourd'hui, ce n'est pas une situation nouvelle en 2014. Est-ce qu'il a manqué de gestion? Est-ce qu'il a manqué de vision? Est-ce que le plan de match n'était pas à point?

Vous gérez et vous représentez les employés. À un certain moment, il y a quelqu'un qui doit être responsable. On parle d'argent. Quelqu'un disait tantôt que le gouvernement n'a pas donné assez d'argent. Je pense qu'on a donné plus d'argent, si on a bien les chiffres, je pense que c'est 1 milliard 200 millions de dollars. Est-ce que c'en vaut plus? Parce que vous avez mentionné tantôt que c'est 29,00 $ ou peut-être que vous demanderez 49,00 $, éventuellement, par personne.

Est-ce que vous avez analysé comment et à quel moment en sont-ils arrivés à la possibilité actuelle — et je dis bien le mot possibilité — d'une disparition et qu'encore plus d'employés perdront leur emploi?

Mme Doyon : En ce qui a trait aux organigrammes de Radio-Canada, nous avons fait l'analyse il y a deux ans, lors des annonces de coupures par le gouvernement, du nombre de cadres en l'an 2000 versus le nombre de cadres à l'an 2012, pour certains secteurs. Vous comprendrez que faire toute l'étude nous aurait pris quelques mois, voire des années. Mais il reste qu'en ce qui a trait au nombre de cadres, ils étaient beaucoup plus nombreux en 2012 qu'en 2000. Mes propres chiffres — parce que je ne peux pas représenter ma collègue — c'est qu'au début des années 2000, on représentait environ 650 employés permanents et quelques temporaires, sans considérer les temporaires sur appel. Mais aujourd'hui, sans les annonces de la semaine dernière, on était à 450.

Le sénateur Joyal : C'est réduit à combien?

Mme Doyon : La semaine passée, on s'est fait annoncer 27 postes supplémentaires, dont trois à Moncton. Vous comprendrez qu'on se demande comment le travail est fait et par qui. Nos problèmes de juridiction sont davantage avec les superviseurs immédiats qui partent avec les tâches d'administration pour faire le travail.

M. Maisonneuve : Monsieur Demers, quand j'ai commencé à Radio-Canada, on avait un superviseur et on travaillait avec notre affectateur et notre chef de pupitre. Maintenant, Radio-Canada a doublé l'encadrement en information, à la salle des nouvelles. Il faudrait voir le nombre de personnes qui sont à une réunion de production, pour produire le bulletin de nouvelles de la journée ou les bulletins de nouvelles. Bien sûr il y a plus de bulletins de nouvelles qu'il n'y en avait, bien sûr il y a une information continue. Mais on a accru considérablement l'encadrement. Ce qui fait qu'à mon avis, l'affectateur ne peut plus faire son travail comme il le faisait, parce que c'est quelqu'un d'autre qui prend les décisions. Le pupitre ne peut plus régir son bulletin de nouvelles, parce que c'est quelqu'un d'autre qui prend les décisions. À ce moment-là, ce qui se passe, c'est que tous les gens sont en attente d'une décision.

D'autre part, sur l'utilisation de la Maison de Radio-Canada, il s'est produit un phénomène particulier parce qu'il y a beaucoup d'entrepreneurs privés qui sont venus produire pour Radio-Canada et qui occupent des espaces à Radio-Canada.

Je me souviens qu'avec mon collègue Charles Tisseyre, on avait le plaisir d'avoir une loge; je faisais une émission quotidienne, et lui, une émission hebdomadaire, on la partageait. Un jour, on nous a dit : « Non, vous n'avez plus le droit à la loge, parce qu'il y a un entrepreneur privé qui a besoin de loges pour pouvoir loger ses clients ou ses invités. »

Alors, il y a tout un mélange dans cette boîte de Radio-Canada, où on ne sait plus qui fait quoi et on ne sait plus qui est permanent, qui est temporaire, qui est surnuméraire, qui appartient aux producteurs privés; on ne le sait plus. C'est ça la situation actuelle de Radio-Canada.

Le sénateur Demers : Excellente réponse. J'ajoute que ça coûte encore beaucoup plus cher, car, comme vous le mentionniez, il y avait deux personnes, alors qu'il y a en maintenant dix. Personne n'a de réponse.

Le sénateur Housakos : C'est une conversation intéressante jusqu'à maintenant. Toute l'industrie de la télédiffusion a eu des compressions. Tout le domaine journalistique, depuis les cinq ou dix dernières années, a subi une baisse de revenus importante, a vécu des coupures.

Vous êtes des gens qui représentent plusieurs travailleurs et travailleuses, qui œuvrent chez CBC/Radio-Canada. Vous avez aussi, j'imagine, des membres qui travaillent pour les entreprises privées. Est-ce qu'il y a eu des coupures similaires, au même niveau, chez les compétiteurs comme LCN, TVA, et Bell, par exemple?

Mme Blais : Je peux parler un peu pour TVA, parce qu'on représente les gens de TVA. À ma connaissance, c'est plutôt une croissance de l'emploi dans le domaine journalistique, qu'on remarque, notamment avec l'arrivée de LCN, ensuite TVA Sports, et auparavant, Argent. Il y a eu vraiment une croissance, peut-être de l'ordre de 50 à 100 p. 100. Entre 1997 et 2012, je vous dirais 100 p. 100 d'augmentation à peu près du personnel journalistique.

Le sénateur Housakos : Parfait. Maintenant, si c'est le cas, et je vous crois, comment expliquer la situation de Radio-Canada qui commence avec une avance d'un milliard de dollars de subventions par année, par rapport à ses compétiteurs? Quand une société commence avec un milliard de dollars, elle détient une longueur d'avance sur son compétiteur. Comment une entreprise qui commence avec un tel avantage, à la fin de l'exercice, peut-elle être forcée de faire des coupures et de réduire le nombre de ses employés, en comparaison de ses compétiteurs?

En même temps, on voit les cotes d'écoute de ses compétiteurs, eux ont une croissance forte et une cote d'écoute un peu plus élevée que celle de la Société Radio-Canada? Comment expliquez-vous cela?

Mme Montpetit : Radio-Canada est une société d'État qui a un mandat, une mission, notamment de couvrir les régions, de diffuser en langues autochtones. Il y a le service international. Il y a beaucoup d'obligations que Radio-Canada a que d'autres diffuseurs n'ont pas nécessairement.

Entre autres, il y a certains marchés qui sont couverts seulement par Radio-Canada. Ce qui est paradoxal, parce que dans le moment Radio-Canada est à la recherche de revenus. Sa principale préoccupation actuelle c'est d'augmenter ses revenus. On a une radio qui fonctionne très bien. La radio de Radio-Canada est parfaitement dans le mandat de Radio-Canada.

Le sénateur Joyal : Mais, elle est coupée quand même.

Mme Montpetit : Bien, c'est ça. Mais elle ne rapporte pas d'argent. Ils coupent à la radio, pour financer possiblement la télé. Les bulletins de nouvelles ont été raccourcis, voire éliminés. Depuis 2009, il y a des bulletins de nouvelles régionaux qui sont disparus. Il y a des émissions régionales de radio qui sont disparues.

La fin de semaine, auparavant, chaque région avait son émission du matin. Comme à Montréal, nous avons Joël Le Bigot, mais en région, chacun avait son émission. Maintenant, c'est Joël Le Bigot, l'émission de Montréal, qui est partout au Québec. Ce qui montre que Radio-Canada est dans une logique qui ne devrait pas être la même que celle des diffuseurs privés.

M. Maisonneuve : Je répondrais qu'il y a un 1 milliard 200 millions de dollars pour Radio-Canada. Il y a 1 milliard 200 millions de dollars pour les producteurs privés et la télévision privée. C'est donnant-donnant, sauf que les responsabilités ne sont pas les mêmes, que je paie par les crédits d'impôt, par Téléfilm Canada, par la SODEC, au Québec.

Mais le mandat de Radio-Canada est différent. Les gens ont de la difficulté à l'imaginer, surtout quand ils perçoivent qu'il y a beaucoup de monde pour couvrir un événement. Mais il y a toutes les communautés amérindiennes qui reçoivent des émissions en langue amérindienne, il y a le territoire et toutes les régions à couvrir. Le producteur privé n'a pas la même obligation de produire ces émissions. Radio-Canada c'est une multitude de salles de rédaction et de lieux de production, tant en anglais qu'en français.

On reçoit souvent l'argument de comparer le 1 milliard 200 millions de dollars, comme étant un avantage indu à Radio-Canada. Mais l'autre avantage est aussi chez les producteurs privés. Quelqu'un issu d'un organisme international a dit : « Il n'y a pas au Canada de télévision privée; il n'y a que de la télévision subventionnée. » Les propriétaires sont privés d'un côté et, de l'autre côté, les propriétaires sont publics. C'est ça la réalité.

Mme Blais : Est-ce que je pourrais ajouter quelque chose juste avant que vous passiez à un autre sujet?

Le président : Oui.

Mme Blais : Il y a l'aspect, évidemment, pancanadien de Radio-Canada, mais il y a aussi le fait que le budget est accordé pour les 12 prochains mois, contrairement à une entreprise comme TVA qui va planifier sur 10 ans de rentabiliser le hockey de la LNH, par exemple, à Radio-Canada on doit année après année, s'assurer qu'on ne fait pas de perte. Alors qu'une entreprise privée va se donner la latitude de dire : « Bon, bien, je pars LCN et pendant cinq ans, je sais que je vais être déficitaire, mais au cours des cinq années suivantes, je vais me rattraper. »

Radio-Canada n'a pas une telle possibilité. D'après notre analyse, présentement ce sont les employés qui absorbent ce choc. Si on veut fermer le budget et qu'il soit équilibré, on doit se départir des employés parce qu'on a une mission à remplir et on ne peut pas couper ailleurs.

Le sénateur Housakos : Est-ce que vous considérez que, présentement, Radio-Canada et la CBC dépensent une trop grande part de leur budget à la production des nouvelles? Il y a de 40 p. 100 à 45 p.100 de leur budget annuel qui y est affecté. Il y a un autre 30 p. 100 de leur budget qui est alloué aux productions radio qui ont une excellente cote d'écoute, soit dit en passant. Et ensuite, il reste juste 30 p. 100 ou 25 p.100 pour la production de contenu canadien pour les artistes, pour développer des programmations canadiennes.

À mon avis, je ne pense pas que le mandat de la CBC et de Radio-Canada soit de dépenser 45 p. 100 de leur budget pour les nouvelles. Je ne crois pas que leurs nouvelles soient plus canadiennes que les nouvelles de Bell CTV ou de SHAW ou plus canadiennes que ce que je vois sur LCN ou TVA. Est-ce que vous êtes d'accord avec ce commentaire?

Mme Montpetit : Oui, je peux répondre à votre question. Radio-Canada, normalement, devrait diffuser un contenu qui s'adresse aux citoyens. La mission d'informer, elle s'adresse au citoyen afin qu'il joue son rôle dans notre démocratie et qu'il comprenne les enjeux du monde dans lequel on vit. Il ne devrait pas y avoir d'obligation de rentabilité pour Radio-Canada sur cette mission d'informer.

Jean-François Lépine parlait tout à l'heure que lors de reportages sur les Autochtones, il n'y a alors pas de succès d'écoute. De même, les reportages sur l'Afrique ne sont pas nécessairement des sujets qui vont générer des grosses cotes d'écoute, mais le traitement de ces sujets fait partie de la mission de l'audiovisuel public de traiter ces sujets. Il y aurait plusieurs autres sujets qu'on pourrait citer.

Je crois au contraire que c'est dans la mission de Radio-Canada. De toute façon, c'est dans la loi, la mission d'informer, c'est dans la loi constitutive de Radio-Canada. Je pense que c'est important d'avoir une information qui est détachée des obligations commerciales.

M. Maisonneuve : Personne d'autre, en français, que Radio-Canada ne couvre le monde comme on l'a couvert dans toute l'histoire de Radio-Canada. Il y a des coûts à cela. Mais est-ce qu'on doit être absents de la Syrie, du Liban? Est-ce qu'on doit être absents de l'Europe? Est-ce qu'on doit être absents de l'Asie?

J'ai fait un recensement, pour la conférence que je fais, de tous les grands correspondants qu'on a eus et c'est la seule ouverture qu'on a sur le monde.

Bien sûr, un quotidien comme La Presse va envoyer, à l'occasion, des journalistes magnifiques. Mais seule Radio-Canada a toujours couvert pour la population en français et pour nous qui avons couvert le monde. Je pense qu'on a besoin de savoir ce qui se passe ailleurs, par nous-mêmes.

Pendant la guerre du Vietnam, on était à la merci des Américains. Parfois, on avait les Français qui nous envoyaient des reportages. Mais jamais Radio-Canada n'a failli à sa mission d'être sur place, même si c'est évident que ça coûte cher.

Le sénateur Joyal : Monsieur Maisonneuve, la perception qui a été créée, je dis que c'est une perception, c'est qu'en voulant se débarrasser de la télé, c'est un peu comme si on se disait que la télé est devenue, passez-moi l'expression, comme la voiture à cheval : on peut s'en débarrasser puisqu'on a maintenant des bolides. Et le bolide c'est l'Internet, c'est la webcaméra.

Est-ce qu'en fait ce n'est pas un truc publicitaire? Parce qu'en pratique, la télé, elle va toujours demeurer. À mon avis, regarder une émission sur un écran d'ordinateur et la regarder sur votre écran, quelle qu'en soit la dimension, ça reste de la télédiffusion sur écran. Vous allez choisir finalement le médium en fonction de ce dont vous voulez bénéficier.

En présentant la transformation de Radio-Canada comme étant absolument inévitable, un peu comme on le fait pour les médias écrits, vous voyez la transformation de La Presse, du Devoir. On dit que les journaux en papier, c'est fini, d'ici deux ans il y en aura plus. Tout le monde va être sur la tablette numérique. Mais dans le cas de la télévision, on n'est pas exactement dans le même contexte. En voulant faire l'analogie avec le journal écrit, est-ce qu'en fait, on n'est pas en train de tromper le monde?

M. Maisonneuve : Je vous dirais que ce qui m'a inquiété le plus dans les déclarations du président de Radio-Canada, c'est quand il a proposé que Radio-Canada se retrouve uniquement sur le câble, un signal uniquement sur le câble et que les gens aient à payer pour y avoir accès : Pay as you go. Si vous voulez écouter Radio-Canada, vous payez.

Cela a été entériné, en quelque sorte, par le premier ministre actuel qui a dit qu'il était d'accord avec ce genre de choix. Ceci étant dit, je ne fais pas de politique. Mon rôle n'est pas de faire de la politique, mais ça me préoccupe.

C'est-à-dire que toutes les personnes qui n'ont pas les moyens de se payer Radio-Canada, ce sera peut-être minime, je ne le sais pas, seront privées de Radio-Canada. Alors qu'à mon avis, ça a toujours été un diffuseur pour l'ensemble de la population.

Mais que Radio-Canada produise du contenu, que je l'écoute sur mon téléphone cellulaire, à mon téléviseur ou en enregistrement, l'important est d'avoir accès au contenu. C'est Charles Sirois qui disait : « Celui qui va contrôler le contenu quand la vitesse va le permettre va avoir une longueur d'avance sur tout le monde. »

Pourquoi Radio-Canada devrait-elle se retirer de produire du contenu qu'on pourrait diffuser sur n'importe quelle plateforme? J'ai une petite-fille de 14 ans, elle joue avec ses pouces, elle va faire de l'arthrite un jour, mais elle écoute beaucoup de choses avec son téléphone et ses autres appareils.

Mais ça ne veut pas dire qu'elle ne doit pas avoir accès aux émissions jeunesse que Radio-Canada pouvait produire. Ce n'est qu'un support, mais faut-il encore qu'on soit là.

Et ce qui est le plus important et dont on ne parle pas, c'est qu'on n'a jamais eu autant besoin de Radio-Canada. Quand je faisais de la radio privée, nous avions partout des salles de rédaction avec des journalistes qui couvraient le terrain. Il n'y a plus de salles de nouvelles dans les radios privées. Il n'y a que des chroniqueurs, des commentateurs. Je les appelle les nouveaux prédicateurs qui nous disent comment on doit penser et comment on doit agir.

En ce moment, nous avons besoin de Radio-Canada qui va continuer à faire une information par des reportages avec des reporters qui ont cette mission d'informer. On a fait des référendums où on avait la responsabilité d'aller chercher à gauche et à droite, des Oui et des Non, pour savoir comment les gens pensaient.

Il n'y a plus de salle de rédaction en électronique qu'à l'occasion des bulletins de nouvelles, mais il y a beaucoup de commentateurs. Le personnage le plus important dans une campagne électorale au Québec, actuellement, c'est Jean Lapierre. Jean Lapierre fait du commentaire. C'est le personnage qui a le plus d'influence dans une campagne électorale. Si on n'est pas là, c'est ce qui va se passer. Plus encore, si Radio-Canada n'est pas là pour le contenu, il va se passer un phénomène particulier.

Je me souviens de la naissance de Télé-Métropole et de la première émission de télévision, d'ailleurs, qui était un match de baseball des Royaux de Montréal, au stade Delorimier, en juillet 1952. Dans mon village, j'ai pu entrer là où le seul gars avait un poste de télévision.

Télé-Métropole a commencé, on nous présentait des productions américaines mal traduites, mal synchronisées. C'est parce que Radio-Canada a apporté une concurrence avec des séries, des émissions importantes, que la télévision privée s'est mise à produire pour aller chercher des cotes d'écoute.

TVA a un excellent réseau de fictions qui sont présentées maintenant, ce qui n'était pas le cas auparavant. Faites disparaître Radio-Canada de la production et on verra le résultat.

On a, dans le livre blanc, une statistique qui démontre que si Radio-Canada n'existait pas, la majorité des émissions, des dépenses pour la télévision au Canada, seraient étrangères. Les émissions seraient étrangères en plus grand nombre que la production canadienne. Excusez-moi d'avoir pris plus de temps.

Le président : Je vous ai laissé aller et on finit exactement à l'heure prévue. Vous avez un commentaire de la fin?

Mme Blais : Oui, j'aimerais juste répondre au sénateur Joyal. Je pense que vous avez raison qu'on induit les gens en erreur quand on compare la télé aux journaux. D'abord, il y a une plus grande part de la publicité qui va aux journaux, qui est transférée vers Internet, que c'est le cas pour la télé.

D'autre part, l'écoute télévisuelle et l'écoute sur les plateformes mobiles ou Internet, ça s'ajoute. En fait, les gens ne consomment pas sur Internet pour remplacer la télé, ils vont ajouter.

Nous étions à une consultation en septembre dernier, au CRTC, sur l'avenir de la télévision. Personne ne s'entend exactement sur la direction que ça va prendre. Donc, il faut être assez prudent. Se départir de 11 des 12 studios à Montréal, c'est très dangereux à notre avis parce que ce sont des infrastructures qui peuvent permettre, comme le disait M. Maisonneuve, de mettre du contenu justement sur les nouvelles plateformes numériques. Pour nous, c'est un non-sens de se départir de ces infrastructures.

Le président : Monsieur Maisonneuve, madame Montpetit, madame Doyon, madame Blais, monsieur Labrie, merci beaucoup pour vos témoignages.

[Traduction]

Honorables sénateurs, accueillons maintenant nos prochains témoins, c'est-à-dire M. Arnie Gelbart, président-directeur général et producteur de Galafilm Inc. et, à titre personnel, M. Marc Raboy, titulaire de la Chaire Beaverbrook en éthique, médias et communications de l'Université McGill.

Qui aimerait livrer son exposé en premier?

[Français]

Arnie Gelbart, président-directeur général et producteur, Galafilm Inc. : Je peux vous parler en français ou en anglais, comme vous voulez.

La sénatrice Hervieux-Payette : En français; on est la majorité ici.

M. Gelbart : C'est un peu notre marque de commerce. On est producteurs indépendants. M. Maisonneuve vous en a parlé, des méchants producteurs indépendants. On produit en français et en anglais pour Radio-Canada et toutes les autres chaînes canadiennes ainsi qu'internationales.

On s'est spécialisé dans le passé dans la fiction, dans les documentaires, et ainsi de suite. Et je voulais plus particulièrement vous parler un peu de notre expérience.

En produisant des émissions canadiennes, de l'histoire canadienne, c'est un peu ce qui a été notre marque de commerce de faire des émissions qui racontent l'histoire du Canada d'une façon excitante et intéressante, alors on a fait des émissions sur toutes les guerres auxquelles le Canada a participé. On a fait la série sur les Autochtones qui s'appelait Chiefs, les Chefs, des biographies de grands chefs amérindiens. Et, évidemment, on a fait des émissions sur l'histoire du Canada. Et une des choses où on avait une ouverture qui n'existe plus, c'était les diffuseurs incluant Radio-Canada qui encourageaient ce genre d'émissions.

Pour faire des émissions sur l'histoire du Canada aujourd'hui, il y a une toute petite place à Radio-Canada ou à la CBC, mais aucune place dans le système commercial. Même s'il y a une chaîne « Histoire » qui existe, c'est une chaîne « Histoire » qui ne fait pas d'histoire et ne fait certainement pas de l'histoire canadienne.

On a toujours trouvé, sans être trop missionnaires, qu'on avait quand même le rôle plaisant et important de raconter l'histoire du pays d'une façon novatrice et intéressante pour un public canadien. Je crois que c'est important que ces émissions qui racontent l'histoire du Canada s'adressent aussi aux immigrants et nouveaux immigrants au Canada. Ce sont des gens qui viennent de cultures extrêmement profondes et qui ont une riche histoire, ils arrivent dans un pays où on ne leur raconte pas l'histoire de ce pays. Ils sont ici un peu dépourvus, et se demandent ce qu'est l'histoire de ce pays dans lequel ils sont venus, qui ne semble jamais parler de son passé ni rapporter des histoires qui sont souvent très glorieuses.

Nous travaillons à la fois pour la télévision publique, soit Radio-Canada, on voit ce qui s'y passe et on s'en désole. Radio-Canada a été — et peut continuer à l'être — la pépinière qui a créé tous les talents qui maintenant travaillent dans les chaînes privées. À l'époque, il n'y avait pas d'universités qui faisaient de la formation. Les gens étaient formés beaucoup à la CBC et à Radio-Canada.

Je suis arrivé ici un peu plus tôt, je voulais entendre les autres présentations, et c'est vrai que la CBC et Radio-Canada portent une partie de la responsabilité de ce qui leur arrive aujourd'hui.

Je pense qu'il faut aussi dire les vraies choses et celles-ci étant que les politiques dans ce pays ou les politiciens de ce pays ne se sont pas occupés et n'ont pas pris des décisions qui donnaient la possibilité à la CBC et à Radio-Canada de se développer correctement. Ce fut une espèce de partie de football où on se lançait le ballon parce qu'il y a certaines personnes de tous les partis qui n'étaient pas particulièrement heureuses de Radio-Canada, à une certaine époque.

Vous connaissez, évidemment, la situation au Québec au moment des référendums, entre autres. Mais pour la population, il y a eu à ce moment une mission éducatrice qui a été extrêmement importante et qu'il ne faut pas oublier.

Je pense qu'à la veille de cette nouvelle ère du numérique, on a besoin d'une institution comme Radio-Canada, même si je travaille pour toutes les chaînes, soit une institution publique dont le premier mandat est de servir les citoyens et non les consommateurs.

Le débat a changé, et même au CRTC, comme si c'était que les gens qui écoutent la télévision ou la radio, ce ne sont que des consommateurs. Les consommateurs, avant d'être consommateurs, ils sont citoyens. Il faut répondre aux besoins éducatifs, mais aussi de divertissement. Il faut avoir un gestionnaire de contenu qui ne peut être qu'un gestionnaire public qui fait le triage de l'information qui devient si énorme qu'on n'arrive plus à comprendre ce qu'elle veut dire.

Ce qui est troublant, c'est que si on s'en va dans une situation où Radio-Canada/CBC n'est que sur les plateformes, premièrement, l'information essentielle dont a besoin le citoyen va se perdre. C'est tellement vaste et il n'y a personne qui rassemble cela d'une façon cohérente.

On a aussi besoin des diffuseurs, même si ce ne sont pas d'énormes cotes d'écoute, on a besoin de diffuseurs qui vont raconter et qui racontent l'histoire du Canada; non seulement l'histoire, mais l'histoire qui se fait au quotidien du Canada selon son évolution.

Ce que je peux vous dire, c'est que les diffuseurs privés ne s'en préoccupent pas et il n'y a que Radio-Canada qui pourra le faire.

[Traduction]

Marc Raboy, titulaire de la chaire Beaverbrook en éthique, médias et communications, Université McGill, à titre personnel : Merci. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, et merci de m'avoir invité à présenter mon point de vue. J'aimerais seulement souligner que je ne suis lié en aucun cas à M. Gelbart. Je suis ici à titre personnel, en tant qu'universitaire et chercheur.

J'aimerais mettre l'accent sur deux enjeux, c'est-à-dire le financement et la gouvernance. Dans mon exposé, je parlerai essentiellement du modèle de financement, et je ferai également quelques commentaires sur la gouvernance.

J'observe le système canadien de radiodiffusion depuis le milieu des années 1980. J'ai rédigé une thèse de doctorat ainsi qu'un livre sur l'histoire de la politique canadienne de radiodiffusion. C'était pendant la Commission Caplan-Sauvageau et, déjà à cette époque, on s'inquiétait de la place de moins en moins importante qu'occupait CBC/Radio-Canada au sein du système. CBC/Radio-Canada a déjà été considérée comme le pivot de la radiodiffusion canadienne et, à partir des années 1980, et plus tard au cours de cette décennie, on a amorcé un virage important, comme M. Maisonneuve l'a indiqué dans son exposé, c'est-à-dire qu'on a réaffecté une partie du financement public au secteur privé, particulièrement dans le développement d'une nouvelle industrie de production indépendante et aux radiodiffuseurs privés, par l'entremise de Téléfilm Canada et d'autres organismes gouvernementaux.

Évidemment, il y avait un contexte politique, mais essentiellement, la réalité est que la somme qui était autrefois consacrée à CBC/Radio-Canada, avant le milieu des années 1980, est désormais répartie dans tout le système. Chose certaine, cette façon de faire avantage d'autres sociétés, mais au détriment de CBC/Radio-Canada.

Pendant les années 1990, j'ai commencé à suivre ce qui se faisait sur la scène internationale en matière de radiodiffusion publique et, en 1995, j'ai coordonné une étude sur 16 pays, pour le compte de l'UNESCO, qui a débouché sur un livre intitulé Public Broadcasting for the 21st Century. Dans le cadre de mes travaux, j'ai remarqué deux choses qui, selon moi, sont toujours d'actualité. Tout d'abord, l'importance que continue d'avoir la société de radiodiffusion publique à l'échelle mondiale, non seulement dans les démocraties développées, mais aussi en tant que modèle à suivre pour les démocraties émergentes de l'époque et d'aujourd'hui.

Ensuite, à mon plus grand désarroi, j'ai commencé à remarquer une certaine consternation au sein des observateurs internationaux de radiodiffusion publique à l'égard du Canada, puis — et je le dis avec un sentiment de tristesse — au cours des années 1990, le Canada est passé d'un pays modèle pour ce qui est de la radiodiffusion à un pays qui multipliait les erreurs à ce chapitre, selon l'avis de nombreux spécialistes de partout dans le monde.

De 2001 à 2003, j'étais l'un des deux experts externes qui a siégé au Comité permanent du patrimoine canadien, présidé par Clifford Lincoln, qui a produit le soi-disant rapport du comité Lincoln, qui était considéré à l'époque — et qui l'est encore aujourd'hui par beaucoup de gens — comme étant le plan d'action pour l'avenir de la radiodiffusion canadienne. Il constitue un excellent point de référence pour plusieurs enjeux auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.

Le comité Lincoln a confirmé que CBC/Radio-Canada était un instrument essentiel pour la promotion et le maintien de la culture canadienne, et c'est quelque chose qui revient souvent dans les témoignages que vous avez recueillis. Le comité Lincoln a également recommandé que le Parlement accorde à CBC/Radio-Canada un financement pluriannuel stable et accru, de sorte qu'il puisse remplir son mandat adéquatement. Plusieurs autres témoins vous en ont parlé et, à mon avis, il est important de ne pas l'oublier.

Cela dit, je tiens à dire qu'il ne s'agit pas uniquement d'avoir plus d'argent de la part du gouvernement; il faut trouver le modèle de financement adéquat. La firme de consultants McKinsey & Company a réalisé une excellente étude à ce sujet en 1999. Dans le rapport qu'elle a publié sur les radiodiffuseurs publics du monde entier, elle a défini le modèle de financement nécessaire au succès à long terme d'un radiodiffuseur public. Tout d'abord, le financement devrait être libre de toute influence indue du gouvernement ou autre influence. Il devrait être prévisible à moyen terme et suffisamment important pour permettre aux radiodiffuseurs publics de livrer concurrence aux chaînes commerciales. Il devrait également être suffisamment simple et équitable pour être administré avec un minimum de controverse politique.

Maintenant, la firme a également relevé quelque chose qui peut paraître évident aujourd'hui, et c'est le fait que le financement d'un radiodiffuseur public à partir des recettes fiscales n'est pas toujours une mesure très populaire. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les gouvernements sont prudents lorsqu'il en est question.

Sachez qu'il y a d'autres modèles de financement que le modèle canadien. Comme vous le savez, CBC/Radio-Canada est financée, d'une part, par une subvention annuelle parlementaire et, d'autre part, par des revenus commerciaux provenant de la publicité.

L'étude de McKinsey a conclu que la meilleure façon d'atteindre les objectifs de radiodiffusion publique se faisait dans le cadre d'un « régime de droits de licence », dont vous avez sûrement entendu parler. En gros, c'est le modèle de la British Broadcasting Corporation, ou BBC, également utilisé par de nombreux autres pays partout dans le monde, où chaque radio et chaque téléviseur vient avec une licence que l'utilisateur doit renouveler tous les ans, à un tarif établi tous les 10 ans dans le cadre d'une entente entre le radiodiffuseur et le gouvernement.

De cette façon, le financement de la radiodiffusion publique est exempt de toute ingérence politique, et permet aux radiodiffuseurs de planifier sur une période de 10 ans. C'est un régime qui est toujours utilisé par la BBC et la plupart des pays d'Europe, ainsi que le Japon.

Dans bien des cas, les systèmes dont nous voudrions nous inspirer — comme la BBC, NHK au Japon, et la radiodiffusion publique suédoise — sont financés de cette façon.

J'aimerais vous donner quelques statistiques. Au Royaume-Uni, le droit de licence actuel est de 145 livres sterling par année — autrement dit, environ 265 $ canadiens — par téléviseur, ce qui génère un total de plus de 6 milliards de dollars, qui est entièrement versé à la BBC. Par conséquent, la BBC est en mesure de fonctionner sans publicité.

Au Japon, NHK bénéficie d'un budget sensiblement équivalent, soit près de 7 milliards de dollars, encore une fois généré exclusivement à partir d'un droit de licence, qui varie entre 140 et 250 $ de notre monnaie, par ménage, selon le type de transmission, que ce soit par les ondes ou par satellite, et ainsi de suite.

En Suède, le droit de licence est fixé à 220 euros, ce qui représente 310 $ canadiens. Les radiodiffuseurs disposent d'un budget important comparativement au financement dont bénéficie CBC/Radio-Canada. Encore une fois, cela leur permet de demeurer en dehors du marché de la publicité commerciale.

Au Canada, si on fait un calcul rapide, supposons que 12 millions de ménages payaient un droit de 150 $, cela générerait 1,8 milliard de dollars par année, et équivaudrait à près de 40 cents par jour par ménage. C'est une solution parmi d'autres.

Si on s'y oppose au Canada — et vous pouvez vous imaginer pourquoi —, c'est en raison du tollé que cette mesure susciterait au sein de la population si le gouvernement annonçait du jour au lendemain qu'il allait imposer un droit de licence de 150 $ aux fins de la radiodiffusion.

J'espère que vous ne trouverez pas cette idée farfelue et que vous la considérerez au même titre que l'immatriculation d'une voiture. Je viens tout juste de payer 320 $ pour renouveler l'immatriculation de ma voiture pour un an. Je ne m'interroge pas sur l'utilisation que j'en fais; je la paye et c'est tout. Je suis sûr que la majorité des Canadiens font de même et considèrent que cela fait partie des coûts de la citoyenneté.

Chose certaine, il faudrait énormément de volonté politique, et probablement un consensus de tous les partis, pour introduire un régime comme celui des droits de licence pour le financement du radiodiffuseur public. Toutefois, je vous propose d'y réfléchir, si vous voulez adopter une solution durable à long terme à l'éternelle question du financement de notre radiodiffuseur public.

Maintenant, j'aimerais vous parler brièvement du modèle de gouvernance. On m'a dit que ce sujet avait été abordé plus tôt par un autre témoin, que je n'ai pas eu l'occasion d'entendre. On a beaucoup parlé — et même critiqué — de la relation qu'entretient CBC/Radio-Canada avec le gouvernement, qui est censée être une relation indépendante. Sans entrer dans les détails, je dirais que cette relation étroite avec le gouvernement est profondément enracinée dans le système, d'une part, en raison du modèle actuel de financement et, d'autre part, en raison du processus de nomination.

Encore une fois, il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Le comité Lincoln a fait une proposition intéressante à cet égard, lorsqu'il a recommandé que, dans l'intérêt d'une meilleure reddition de comptes et d'une plus grande indépendance, les nominations au conseil d'administration de CBC/Radio-Canada devraient être faites par plusieurs sources, et que le président de la société devrait être recruté par le conseil et devrait lui rendre des comptes, à l'inverse du système actuel.

Encore une fois, on peut s'inspirer des modèles ailleurs dans le monde. Au Royaume-Uni, par exemple, le directeur général de la BBC, l'équivalent du président de CBC/Radio-Canada, est embauché par le conseil d'administration et doit lui rendre des comptes.

En Afrique du Sud, il y a une vaste consultation populaire pour nommer les membres du conseil. En Australie, les employés de l'Australian Broadcasting Corporation détiennent un siège au conseil, et il y a un conseil consultatif des citoyens qui soumet des idées et qui formule des recommandations sur la programmation, de même qu'une tribune qui permet à la population de s'exprimer.

Le président : Monsieur Raboy, nous allons maintenant enchaîner avec la période de questions; j'ai déjà quatre sénateurs sur ma liste.

M. Raboy : Excellent. Je peux m'arrêter ici. Je serais heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le sénateur Housakos : Monsieur Gelbart, merci pour votre témoignage. Est-ce qu'un radiodiffuseur public national est la seule méthode pour assurer l'avenir de la culture canadienne?

[Traduction]

M. Gelbart : Probablement, mais nous n'avons pas trouvé quelle serait l'autre solution. En réalité, les radiodiffuseurs commerciaux vendent un auditoire aux annonceurs. Ils ont toujours procédé ainsi, et c'est tout à fait normal. Leur principal intérêt est de produire des émissions qui seront vues par le plus grand nombre de téléspectateurs possible. Toutefois, ils ne se soucient pas des émissions qui pourraient intéresser certains citoyens, c'est-à-dire le type d'émission qui ne s'adresse peut-être pas à un large auditoire, mais qui reflète les valeurs de la société et propose de nouvelles idées. Toutes les grandes réussites auxquelles on a assisté aux États-Unis, comme la chaîne Discovery, découlent d'une idée qui a vu le jour à la chaîne PBS. PBS a commencé à présenter des documentaires il y a de nombreuses années; quelqu'un a pris cette idée et a lancé la chaîne Discovery.

Est-ce le seul moyen? Non. La culture canadienne est également diffusée sur d'autres chaînes. Par contre, les préoccupations et le mandat de ces chaînes ne sont pas ceux de CBC/Radio-Canada. L'une des choses dont on ne parle pas, c'est la Loi sur la radiodiffusion, en vertu de laquelle la CBC/Radio-Canada doit s'acquitter de certaines obligations. Un juge de la Cour fédérale de l'Ontario, dans l'arrêt Windsor, qui concernait CBC/Radio-Canada, a déclaré que la société ne pouvait continuer de remplir son mandat conformément à la Loi sur la radiodiffusion, avec un budget toujours à la baisse, sans que le gouvernement, peu importe de qui il s'agit, le redéfinisse...

Le sénateur Joyal : La décision fait actuellement l'objet d'un appel.

M. Gelbart : C'est exact, mais selon ce juge, pour ce que vaut son opinion, on ne peut pas continuer de réduire le budget de CBC/Radio-Canada, et c'est ce qu'on fait depuis 20 ans — sans modifier son mandat.

Le sénateur Housakos : Monsieur Gelbart, je comprends ce que vous dites, n'empêche qu'il y a deux côtés à la médaille. J'appuie le mandat de CBC/Radio-Canada, qui consiste à promouvoir la culture canadienne et à développer et à diffuser l'art canadien, et cetera.

Certains témoins qui ont comparu devant le comité ont fait valoir le point de vue contraire. La CBC et Radio-Canada, comme je l'ai dit plus tôt, sont deux entités distinctes, avec deux différentes parts de marché. Le mandat de la CBC n'est pas de dépenser la moitié de l'argent des contribuables pour présenter des bulletins de nouvelles, couvrir l'actualité sur la Colline ou les événements locaux — comme le font quatre ou cinq autres radiodiffuseurs privés canadiens — au détriment, particulièrement ces dernières années, de documentaires, de films, de productions, de jeux et d'émissions canadiennes, locales et nationales. Je suis donc en faveur d'accorder une subvention accrue à quiconque veut promouvoir nos communautés culturelles, nos artistes, nos acteurs, et ainsi de suite.

Voici donc ma question : à l'heure actuelle, la CBC est-elle la plateforme qui fait la promotion de nos arts et de nos communautés culturelles et qui propose du contenu canadien aux Canadiens? Vous avez dit plus tôt que vous ne pouviez pas seulement juger par les cotes d'écoute, mais vous le pouvez, puisque c'est le moyen de savoir si l'argent des contribuables est dépensé au bon endroit. C'est la raison pour laquelle j'ai invoqué l'argument de Radio-Canada. Les Québécois et les Canadiens francophones ont soif d'une programmation canadienne en français et ont à cœur les émissions de jeux et les émissions locales produites par Radio-Canada.

Ont-elles les meilleures cotes d'écoute? Non. Sont-elles numéro un parmi les sociétés privées? Non. Toutefois, en tant que parlementaire, cela me permet de dire : « Attendez un instant, nous allons dépenser moins ici et davantage là. »

Voici donc ma question — et vous venez de ce milieu — la CBC est-elle la plateforme qui fait la promotion de la culture canadienne?

M. Gelbart : La CBC peut-elle être améliorée? Devrait-elle être mieux gérée? Tout à fait. Ses problèmes perdurent depuis longtemps, mais aucun gouvernement ne semble avoir pris le taureau par les cornes en disant : « Qu'attendons-nous de la CBC? Quel devrait être son contenu? Les nouvelles devraient-elles représenter 45 p. 100 de son contenu? Devrait-on diffuser davantage ce type d'émissions? » Étant donné la crise du financement et la perte de la Soirée du hockey, il serait peut-être temps de tenir ce débat. Vous êtes probablement les mieux placés pour alimenter ce débat, au niveau politique, étant donné que la CBC est financée par l'État, mais de façon générale, il conviendrait d'entreprendre une discussion sur ce que devrait être sa mission et la façon de s'en acquitter. Est-ce qu'elle remplit bien sa mission?

Prenons les attentats qui sont survenus à Ottawa il y a deux semaines. Vers qui tout le monde s'est-il tourné? Vers quel réseau les Américains se sont-ils tous tournés? CBC. Les gens n'ont pas suivi ce qui se passait à Ottawa à CTV. Pourquoi? Grâce à des gens expérimentés comme Peter Mansbridge. Le New York Times a dit : « C'est ainsi que nous devrions couvrir l'actualité aux États-Unis », parce que cela n'a pas été fait de façon hystérique; tout était vérifié d'abord. On ne précipitait pas les choses; tant qu'on ne savait rien, on ne disait rien.

Par conséquent, la chaîne continue d'être un modèle dans un marché très différent, parce qu'il ne faut pas oublier que nous vivons à côté d'un éléphant, avec tout ce qui franchit la frontière. Combien de chaînes américaines captez-vous? Je ne sais pas si vous vivez à Ottawa ou à Montréal. Le marché est différent, et on ne peut pas s'attendre à rejoindre une aussi grande partie de l'auditoire que le réseau francophone au Québec, où il y a seulement deux joueurs.

Le sénateur Plett : Je vais revenir à votre dernière remarque, et ensuite poser une question très simple à ce sujet. Ensuite, je poserai quelques questions sur le fait d'exiger une redevance.

Vous avez absolument raison. J'ai regardé la CBC pendant les événements qui se sont produits à Ottawa. Il se trouve que j'étais en déplacement à Halifax avec les autres membres du comité. Je n'étais donc pas à Ottawa, alors j'ai regardé la CBC pour m'informer de ce qui se passait. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je regarde le National, et la plupart de mes bulletins d'information politiques sur les ondes de la CBC. Quoi qu'il en soit, les indices d'écoute de ces émissions ne sont pas élevés. Pourquoi ne sont-ils pas élevés, si elles sont si bonnes? Comme vous le dites, tout le monde veut les regarder. Pourquoi donc leur indice d'écoute se trouve-t-il constamment en troisième place?

M. Gelbart : Elles ne sont pas en troisième place. Pour une fois, toutes ses émissions ne sont pas en troisième place. Voilà le problème. D'habitude, tous ceux qui se font une idée de la CBC sont ceux qui regardent les bulletins de nouvelles et les émissions d'affaires publiques — ces émissions dont vous parlez —, mais la CBC diffuse beaucoup d'autres genres d'émissions. Regardez-vous les émissions populaires qui passent en après-midi? Regardez-vous Dragon's Den? La CBC fait beaucoup plus que cela; il s'agit d'une chaîne généraliste. Elle suit l'ancien modèle, selon lequel une chaîne de télévision diffusait des émissions de toutes sortes, qui ne se limitait pas aux documentaires ou aux émissions d'enfants, mais qui diffusait toute une gamme d'émissions. Selon ce modèle, des émissions d'enfants passent le matin, d'autres émissions passent en après-midi pour les gens qui sont à la maison et, ensuite, des émissions dramatiques sont diffusées en soirée. La chaîne doit satisfaire à une audience diversifiée.

Le sénateur Plett : D'accord. Je comprends ce que vous dites. Cependant, à mon avis, la seule façon de mesurer le succès d'une société de radiodiffusion, c'est de regarder son indice d'écoute. Pour mesurer le succès d'une chaîne de télévision privée, voilà ce que l'on regarde à la fin de l'année. Par conséquent, il doit exister une façon de mesurer le succès. Selon moi, qu'il s'agisse de la CBC ou de toute autre chaîne de télévision, c'est de cette manière qu'on le mesure.

Monsieur Raboy, la question des redevances a été soulevée à quelques reprises ici au comité, et d'autres témoins ont déjà recommandé d'adopter cette approche.

Quand vous parlez d'une redevance de radiodiffusion, voulez-vous dire qu'il faudrait en payer une au moment où l'on achète un appareil de télévision et où on le branche aux services d'un câblodistributeur? Cela ne serait pas seulement pour la CBC/Radio-Canada. Comment est-ce que la CBC/Radio-Canada en bénéficierait, s'il s'agit d'une redevance générale pour toutes les émissions que je regarde?

M. Raboy : Eh bien, si nous prenons l'exemple de la BBC, en vertu d'une entente conclue entre le gouvernement et la BBC, 100 p. 100 de cette redevance est versée à la BBC, quelles que soient les émissions que regarde la personne payant la redevance, indépendamment du fait qu'elle regarde exclusivement la BBC ou non. Voilà comment la société de radiodiffusion publique est financée au Royaume-Uni.

Évidemment, il existe des variations. Prenez l'exemple de la Suède, où la radiodiffusion publique est assurée par plus d'une société : une partie de la redevance va à la télévision, une partie à la radio et une autre partie, à la radiodiffusion éducative. Essentiellement, voilà à quoi se résume votre question, à mon avis; il s'agit d'une redevance payée par l'utilisateur, qui est versée exclusivement à la société de radiodiffusion publique. Les chaînes de radiodiffusion privées continuent d'être financées de la même façon que c'est le cas aujourd'hui.

Le sénateur Plett : Si j'étais le gouvernement en place, je ferais cela le premier jour de mon mandat, dans l'espoir que tout le monde l'aurait oublié quatre ans plus tard.

M. Raboy : Oui.

Le sénateur Plett : C'est un concept différent. Je ne suis pas certain qu'un gouvernement voudrait faire cela.

M. Raboy : Pourrais-je ajouter quelque chose à ce sujet?

Le sénateur Plett : Oui.

M. Raboy : À mon avis, le Canada se trouve dans une position intéressante à l'heure actuelle du fait que, bien sûr, les pays où la chaîne de télévision publique est financée par une redevance sont obligés de se rendre à l'évidence que, dans 30 ans, les gens ne regarderont peut-être plus la télévision. Je veux dire, mes étudiants ne regardent pas la télévision, ils ne possèdent pas de télévision. Qui donc va financer cela? À l'heure actuelle, on envisage de nouveaux modèles et, au Canada, nous pourrions fort bien être en mesure de pouvoir sauter d'étape et de passer directement à ce nouveau modèle quand il aura été mis au point. Voilà pourquoi, c'est le bon moment de commencer à penser à cela.

Le sénateur Plett : Monsieur le président, je ne poserai pas ma question sur la gouvernance maintenant. J'aimerais la poser plus tard, si j'ai le temps de le faire.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce que le canal Historia ne voudrait pas transmettre les émissions que vous produisez?

M. Gelbart : Non. Ils ne commentent pas. Je vais prendre l'exemple de History, si vous regardez leur programmation, la plupart des émissions sont du style de Ice Road Truckers, AskMen, ce sont des émissions qu'ils ont achetées aux États-Unis. C'est des grands volumes. C'est très bien fait. C'est des réalités, mais ça n'a rien à voir avec l'histoire. Ils ont fait CSI, et le CRTC leur a dit : « Mais, écoutez, ce n'est pas de l'histoire, cela ». Ils ont répondu : « Bien oui, il a eu les tours qui ont été démolies à New York, et c'est CSI New York, alors c'est de l'histoire. » Le CRTC les a renvoyés. Ils leur ont dit de changer leur programmation.

Il faut faire les émissions. Il faut investir dans les émissions, il faut les choisir dans un premier temps et c'est ce qu'ils ne font plus.

La sénatrice Hervieux-Payette : Dans la mission éducatrice de Radio-Canada, ce que vous faites entre directement dans ce créneau.

M. Gelbart : Oui, c'est les seuls acquis. Parce que nous sommes à produire une grande émission de deux heures sur la Première Guerre mondiale, mais c'est la seule grande émission qui est faite par CBC/Radio-Canada pour commémorer la Première Guerre mondiale.

Quand on pense que la BBC a fait 300 heures d'émissions pour parler de la Première Guerre mondiale, et l'effet de la Première Guerre mondiale sur la Deuxième, et ainsi de suite.

Nous avons eu la chance de faire une émission qui raconte la participation du Canada à la Première Guerre mondiale. Il n'y a personne d'autre que la CBC et Radio-Canada qui investirait dans ce genre de série, aujourd'hui.

La sénatrice Hervieux-Payette : Monsieur Raboy, vous nous avez donné le coût des licences. En fait, quand on paye chaque mois environ 30,00 $ pour avoir accès à Internet, on paye déjà un montant pour avoir accès à notre ordinateur. On ne peut pas dire que sur Internet, ce sera gratuit tandis que sur la télé, on va payer. On paye déjà un montant.

D'une part, êtes-vous satisfait avec la transparence de la gouvernance de Radio-Canada?

Je siège au Comité des finances nationales, et ce n'est pas le seul organisme où c'est obscur. Je dois dire qu'il y a beaucoup d'organismes fédéraux qui sont assez obscurs.

Si on est pour aller dans cette direction, sans mettre un autre processus technocratique en place, comment verriez-vous la collecte de ce montant de 150 $? Comme mon assurance-médicaments, maintenant, au Québec, si je n'en avais pas chez mon employeur? C'est que, chaque année, quand je fais ma déclaration de revenus, il y a 150 $ qui vont à la télé.

Je veux juste savoir comment on peut l'installer parce que c'est une position qui, moi, me plaît beaucoup et qui assurerait une pérennité. Mais, en même temps, je pense que ce qui fait peur aux politiciens, en plus d'être populaire évidemment avec les gens, c'est la question de l'administration elle-même, de la collecte de ce montant.

M. Raboy : Je pense que d'abord c'est une question de volonté politique. Si la volonté politique y était, les solutions viendraient par la suite. Comme vous le suggérez, il y a une possibilité, c'est de l'intégrer à la déclaration d'impôt.

Comme point de départ, et il faut se rappeler que ça remonte à bien longtemps, mais au début, quand la télévision était la nouvelle technologie, c'était relativement simple, les gens achetaient leur téléviseur pour la première fois et puis c'était enregistré. Un peu comme l'automobile. C'est pour cela que je fais cette analogie.

Je pense que c'est vraiment une question de volonté politique. Et, actuellement, comme vous savez, le CRTC est à faire une enquête très importante sur l'ensemble du système avec tous les frais qui sont payés, les frais cachés, les frais transparents et les frais qu'on ignore, même. Mais ça monte déjà à quelques centaines de dollars par mois que les Canadiens payent pour leur service en communications. Je pense qu'il faudrait regarder le tout, finalement.

Votre autre question concerne la transparence. Je n'ai pas le même niveau de connaissance que certains autres témoins qui sont venus ici, mais je pense qu'il y a effectivement un problème de transparence à Radio-Canada, à plusieurs égards, qui est un peu liée à la question de gouvernance, de la manière dont le conseil est nommé.

Le sénateur Joyal : Monsieur Gelbart, dans la décision de la Cour fédérale, le dossier impliquant des citoyens de Windsor, Le Commissaire aux langues officielles du Canada et Dr Karim Allellal c. CBC/Radio-Canada, je voulais vous mentionner que, personnellement, après avoir lu le jugement de l'honorable juge Martineau, je souscrivais aux principes d'interprétation que la cour a énoncés, reconnaissant les droits des minorités linguistiques à avoir accès à un diffuseur public canadien.

Mais vous le savez peut-être, le gouvernement a décidé d'en appeler devant la Cour d'appel fédérale. Je crois que c'était il y a environ trois semaines. Le gouvernement remet en cause la décision rendue par le juge Luc Martineau de la Cour fédérale, le 8 septembre 2014.

Ce n'était pas la question que je voulais vous poser, bien que je vous remercie d'avoir soulevé la question. Je trouve que cette décision est importante, parce qu'elle soulève la responsabilité sous-jacente de Radio-Canada à l'égard des minorités de langues officielles qui sont couvertes par la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

À mon avis, Radio-Canada est lié par cette obligation; on verra ce que les tribunaux en diront en appel. Je crois que c'est un des éléments essentiels de la redéfinition éventuelle du mandat de Radio-Canada.

Votre position m'a d'abord étonné, puisque vous êtes une entreprise privée, si je comprends bien. Le nom de votre firme, Galafilm Inc. d'ailleurs l'indique très bien. Je pensais, en voyant votre nom comme témoin, que la première chose que vous diriez allait être que vous étiez heureux de l'orientation de Radio-Canada de maintenant sous-contracter dans le secteur privé pour l'achat d'émissions, puisque vous en produisez vous-mêmes. Je me suis dit : « Voilà quelqu'un qui va venir faire la louange du nouveau modèle de Radio-Canada. » Or, en vous écoutant, j'arrive à la conclusion que non, vous avez une conception, je dirais, du statut du citoyen qui commande la présence d'un diffuseur public.

Est-ce que je vous interprète bien en soutenant que votre conception de l'intérêt public passe avant celle des intérêts privés de la firme dans laquelle vous travaillez?

M. Gelbart : Je ne pense pas qu'ils sont en contradiction l'un avec l'autre. Toutefois il faut reconnaître qu'on a un système de diffusion formidable qui a été bâti pendant longtemps.

Radio-Canada en fait partie, en a fait partie et devrait continuer à en faire partie. Un ancien vice-président de Radio-Canada, qui a dû quitter son poste, voyait que le privé fait très bien, on travaille avec le privé. On aime le privé, c'est certain, ils répondent à la demande. Mais il y a quelqu'un qui doit être là pour créer les émissions sur lesquelles eux ne veulent pas miser, soit des nouvelles idées ou des nouvelles façons de faire, et ainsi de suite. C'est là que Radio-Canada et la CBC peuvent agir et ont toujours agi. Dans l'avenir numérique qui s'en vient, encore ça va être le laboratoire de comment tout cela va s'intégrer. Parce que la télé ne va pas disparaître. On entend beaucoup de choses. Par exemple, le virage pris par le président de Radio-Canada, je pense, constitue une énorme erreur parce qu'il ne regarde pas les données ni ce que les études aux États-Unis indiquent que 92 p. 100 du marché, c'est la télé traditionnelle. Cela veut dire que les gens regardent à 92 p. 100.

Oui, les jeunes n'ont pas de télé. Qu'est-ce qu'ils regardent sur leur tablette? Ils regardent des émissions qu'ils auraient pu regarder sur leur télé. Mais il faut les produire, et c'est le problème : qui produit ces émissions? Qui fait ces contenus?

Le sénateur Joyal : C'est cela.

M. Gelbart : Ce n'est donc pas la tuyauterie qui compte, c'est le contenu. Je pense que Radio-Canada et la CBC peuvent être et devraient être aussi le laboratoire de ce grand virage technologique.

Il y a un énorme chambardement, c'est une chance incroyable, mais ce n'est pas en coulant ou en se débarrassant de la télévision traditionnelle maintenant. De prendre un tel virage maintenant, c'est beaucoup trop prématuré parce qu'on ne sait pas où s'en vont les choses.

Le sénateur Joyal : L'autre commentaire que vous avez fait qui m'a surpris, et je vais vous citer ce que j'ai pris en note, vous dites que « Radio-Canada porte une partie de la responsabilité de ce qui leur arrive aujourd'hui. »

Pouvez-vous élaborer un peu plus, parce que c'est un jugement qui est extrêmement sérieux.

M. Gelbart : Le fait qu'ils ne sont pas transparents — vous êtes à Ottawa et moi je lis les journaux comme tout le monde — mais on sait que tous les gouvernements ont toujours eu de la misère à savoir comment Radio-Canada est gérée, comment ils gèrent leur financement.

C'était un gros problème et Mme Sheila Fraser a essayé de rentrer là-dedans. Ils n'ont jamais pu avoir une réponse. C'est soit tellement brouillon ou trop compliqué, mais Radio-Canada ne s'est pas illustrée en n'étant pas transparente avec ses finances. Par exemple, le chiffre que vous me donnez de 45 p. 100, je ne le connaissais pas. Vous avez sans doute votre source et je l'accepte.

Radio-Canada aurait dû être transparente, elle en serait bien servie maintenant, au lieu d'être cette forteresse où l'on ne peut pas savoir ce qui se passe à l'intérieur.

Le sénateur Joyal : Est-ce que c'est la principale critique ou s'il y en a d'autres que vous leur adresseriez?

M. Gelbart : La télévision et les médias, ce sont les moyens les plus puissants, les moyens universels de communication aujourd'hui.

Le sénateur Joyal : Mais au départ, il reste quand même qu'ils sont dans une position privilégiée de parler au public.

M. Gelbart : Oui.

Le sénateur Joyal : D'une certaine façon, les politiciens sont en conflit d'intérêts lorsqu'ils abordent cette question.

M. Gelbart : Non, mais la Loi sur la radiodiffusion en fait partie, c'est une loi du Parlement, et je pense qu'ils doivent regarder cela. Qu'est-ce qu'ils veulent faire? Que ce soit en 1990 ou maintenant, qu'est-ce qu'ils veulent faire de Radio-Canada?

Qu'on ait ce débat sur ce que Radio-Canada amorce aujourd'hui, et dont on discute présentement. Quelle devrait être leur responsabilité? Comment ils la gèrent? Est-ce qu'ils la gèrent avec responsabilité? Combien de nouvelles ils devraient faire? Combien de culture canadienne? Et comment c'est financé.

Parce que les exemples donnés par M. Raboy font référence à des choses que je connais un peu, mais le système britannique n'est plus fonctionnel. Je ne sais pas si vous le savez, mais quand on achetait une télévision, il fallait acheter une licence, et puis il y avait un camion qui se promenait dans les rues de Londres pour vérifier qui avait un signal.

Avec la technologie d'aujourd'hui, ils ne peuvent plus le faire. Le système japonais qui a été instauré après la guerre, c'était une contribution volontaire. Il y a environ cinq ou six ans, il y a eu un scandale à la NHK et les gens ont dit qu'ils ne paieraient plus.

Ce n'était pas la loi, c'était vraiment volontaire. Les Japonais étant des Japonais, ils payaient, parce que c'est une société de ce genre. À un certain moment, il y a eu un énorme scandale où quelqu'un a volé des sommes importantes, et 10 p. 100 des gens qui ont dit qu'ils ne paieraient plus. Donc, NHK a dû vivre avec cela.

Alors, le système le plus facile, c'est celui que nous avons. Quelque part, il faut que le gouvernement décide quel sera le mandat de Radio-Canada, combien ça devrait coûter et comment ça devrait augmenter avec l'inflation, et ainsi de suite.

Il faut qu'il y ait des gens à l'interne, au niveau des gouverneurs et du président, qui vivent à l'intérieur de ce système qui est redessiné et refaçonné pour l'ère qui s'en vient.

Le sénateur Joyal : Monsieur Raboy, selon votre opinion ou votre évaluation, est-ce que le arm's-length relationship que Radio-Canada ou la CBC devrait avoir avec le gouvernement exigerait qu'elle soit redéfinie et mieux perçue dans le texte de loi même de Radio-Canada?

M. Raboy : Si le arm's length doit être mieux défini?

[Traduction]

Le sénateur Joyal : En d'autres mots, est-ce que la relation entre la CBC/Radio-Canada et le gouvernement devrait être mieux définie dans le libellé de la loi habilitante de la Société CBC/Radio-Canada?

[Français]

M. Raboy : Non, pas nécessairement. Je pense que c'est bien défini. Moi, je serais plutôt partisan d'une modification du système de nomination, par exemple.

De plus, je pense que le fait que le budget de Radio-Canada dépende d'une décision annuelle essentiellement du gouvernement au pouvoir et que cela fasse partie d'une discussion annuelle avec le Conseil du Trésor au sujet du budget fédéral dans son ensemble, à mon avis, politise outre mesure tout le processus et rend un peu hypothétique le niveau du arm's length. Ce n'est pas la définition dans la loi qui fait défaut. Je pense que la loi est impeccable à ce sujet-là. Le problème, c'est la pratique.

Le sénateur Joyal : C'est, finalement, la discrétion budgétaire annuelle qui vous apparaît être la cheville la plus difficile de Radio-Canada?

M. Raboy : Absolument.

[Traduction]

Le président : Il nous reste cinq minutes, et trois sénateurs ont encore le droit d'intervenir dans la seconde série de questions. Je vais leur demander de poser leur question, et vous pourrez terminer votre réponse dans vos observations finales.

Le sénateur Plett : Ma question donne suite à ce que le sénateur Joyal a demandé.

Le gouvernement est responsable de la gestion de l'argent des contribuables. Les sociétés de radiodiffusion publiques utilisent l'argent des contribuables. Par conséquent, le gouvernement est responsable du radiodiffuseur public et, d'une manière ou d'une autre, il va être chargé de mettre en place le conseil d'administration. Si cela se fait par l'entremise d'un comité de candidatures, c'est le gouvernement qui en nommera les membres; peut-être que cela assurera un peu plus d'indépendance. Toutefois, si nous utilisons l'argent des contribuables, le gouvernement en place aura toujours le dernier mot, quoi que l'on dise au sujet de la nécessité de veiller à ce qu'ils soient indépendants.

Il s'agit peut-être davantage d'une observation, mais auriez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Le président : Je vous demanderais de prendre note des trois questions et de répondre à la fin.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Tantôt, nous parlions de la question de la quote-part des marchés. Selon votre intervention, nous avons plusieurs marchés. Radio-Canada est le seul diffuseur qui couvre tous les marchés, soit les immigrants, les minorités linguistiques, les Autochtones, les différents groupes d'âges, enfants et autres. Quand on couvre tous les marchés, il devient difficile de faire concurrence avec ceux qui se spécialisent dans les marchés les plus lucratifs pour les diffuseurs privés.

Ainsi, est-ce que la quote-part des marchés doit être la base permettant de décider si un diffuseur public a sa raison d'être ou pas?

Le président : Et, finalement, sénateur Housakos.

Le sénateur Housakos : Ma question est la suivante : Il est certain que le diffuseur CBC/Radio-Canada couvre différents milieux et diverses régions du pays que le secteur privé ne couvre pas, et c'est la même chose pour Radio-Canada français. Elle va dans certaines régions du Québec que le secteur privé ne touche pas. Mais, tout même, sa cote d'écoute est beaucoup plus forte que celle de CBC anglais. Ma question concerne plus spécifiquement la CBC, qui a une cote d'écoute horrible, si on la compare à ses compétiteurs au Canada anglais.

Il y a une réduction de ses subventions année après année, mais pis encore, il y a une importante diminution de ses revenus. Récemment, elle a perdu une icône culturelle au Canada, soit l'émission Hockey Night in Canada. Ma question est la suivante : sommes-nous moins Canadiens dans le Canada anglais que nous l'étions il y a 20 ou 30 ans? Parce que je ne vois pas de corrélation entre ce qui se passe dans le Canada anglais et ce qui se passe ici, avec Radio-Canada, en milieu francophone.

[Traduction]

Ma dernière question porte sur la redevance. Peu importe comment vous faites le calcul, monsieur Raboy, à l'heure actuelle, les ménages canadiens paient 100 $ par année à la CBC/Radio-Canada en contribuant au Fonds des médias, au moment de faire les déclarations d'impôts. Cela revient à environ 100 $ par ménage. Quant au modèle de la BBC, récemment, j'ai vu des résultats de sondages effectués par Whitehouse Consultancy, selon lesquels 51 p. 100 des citoyens du Royaume-Uni seraient en faveur de l'abolition de la redevance. Elle suscite donc beaucoup de controverse là-bas aussi, et les avis sont très partagés sur la question de savoir si les contribuables ont les moyens de payer la redevance.

Je suis d'accord avec vous, il faut changer de modèle, et nous essayons de voir quels changements concrets devraient être apportés.

Le président : Vous avez donc le dernier mot. Je vous invite à répondre aux questions et aux remarques.

M. Gelbart : Oui, en définitive le gouvernement sera responsable, parce que c'est lui qui nommera les consultants qui, à leur tour, nommeront les membres du conseil d'administration. Toutefois, cela a déjà été fait au Royaume-Uni. Il existe une façon de faire, mais il s'agit d'un processus public, et tout le monde aura un mot à dire à ce sujet — même si cela n'est pas une question partisane comme cela a parfois été le cas au Canada. Voilà seulement une remarque d'ordre général.

[Français]

Est-ce que la CBC et Radio-Canada en font trop? Parce que c'est un diffuseur que nous appelons généraliste, est-ce que cela fait partie de la définition de ce que Radio-Canada devrait faire? Par exemple, est-ce qu'elle devrait abandonner les émissions de jeunesse qu'elle a formées? Vous connaissez l'importance au Québec d'une émission comme Bobino et bien d'autres. À un certain point, cela a été abandonné. C'est le public de demain. Qui a pris cette décision et pourquoi? Cela n'a jamais été discuté publiquement, mais il est scandaleux d'avoir abandonné des émissions de jeunesse à Radio-Canada ainsi qu'à la CBC.

[Traduction]

Il ne faut pas oublier qu'ils sont dans un marché différent de celui du Canada anglais. La CBC vise un marché différent que Radio-Canada, où il existe seulement deux grands joueurs, soit Radio-Canada et TVA.

Au Canada anglais, il faut tenir compte de deux facteurs. Premièrement, il y a beaucoup plus de réseaux et, deuxièmement, les anglophones sont beaucoup plus en concurrence avec les réseaux américains que ne le sont les Québécois. Quand vous regardez les faits, je pense que leur part du marché se situe maintenant à 8 ou 9 p. 100. Ce n'est pas si désastreux que cela, compte tenu des circonstances. Si la CBC était mieux gérée et bénéficiait de suffisamment de financement, amassé de la bonne façon, elle pourrait soutenir la concurrence de beaucoup des autres chaînes.

Le président : Monsieur Raboy, une dernière remarque.

M. Raboy : Premièrement, sénateur Plett, en ce qui concerne l'approche visant à assurer l'indépendance sur le plan de la gouvernance, le simple fait que le président devrait rendre des comptes auprès du conseil d'administration, plutôt qu'auprès du premier ministre, changerait énormément les choses — certainement du point de vue de la perception d'une indépendance, voire même dans les faits.

En ce qui concerne la redevance, en fait, je crois que la formule de financement fait aussi partie du problème sur le plan de l'indice d'écoute et de la popularité des émissions de la CBC. Étant donné que la société dépend excessivement des revenus publicitaires, elle se trouve en dernière place dans la concurrence avec le secteur privé pour une part de l'auditoire. Évidemment, la CBC devrait viser la plus grosse part possible de l'audience — mais pas nécessairement de l'argent des contribuables. Voilà le problème. Voilà pourquoi la CBC n'a pas réussi à se distinguer des autres chaînes.

Prenons la radio, par exemple, et le fait qu'il n'y a pas de publicités sur Radio 1. Quand vous allumez la radio, vous savez que vous écoutez une station de radio de CBC. À la télévision, vous ne le savez pas nécessairement, parce que toutes les émissions se ressemblent.

Le président : Monsieur Gelbart et monsieur Raboy, merci beaucoup pour vos présentations.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous prie d'accueillir nos derniers témoins du jour, de TV5 Québec Canada.

[Français]

Mme Suzanne Gouin est la présidente et directrice générale et M. Benoit Beaudoin est le directeur des Nouveaux médias.

Merci, madame Gouin, monsieur Beaudoin. J'expose mon conflit d'intérêts : J'ai eu le plaisir de siéger au conseil d'administration de TV5 Québec Canada, il y a de nombreuses années. Je suis un admirateur, cela fait partie de mes bulletins de nouvelles tous les soirs.

Madame, vous avez une présentation à nous faire; je vous donne la parole.

Suzanne Gouin, présidente-directrice générale, TV5 Québec Canada : Alors, la première présentation que nous allons vous faire concerne Francolab, à la demande du comité. Alors, sans plus tarder, je vais demander à M. Beaudoin de vous faire cette présentation que vous avez reçue au préalable.

Ensuite, je serai ravie de répondre à vos questions sur TV5 Québec Canada et ses deux chaînes : la chaîne TV5 et la chaîne UNIS.

Benoit Beaudoin, directeur, Nouveaux médias, TV5 Québec Canada : Merci, Suzanne.

Bonjour tout le monde. Donc, vous avez reçu la présentation. Je vais plutôt vous raconter la petite histoire de Francolab puis vous dire un peu où on se dirige avec cette plateforme qui nous apporte beaucoup de bonheur et de belles rencontres à travers le Canada auprès des professeurs.

Donc, Francolab est née, en fait, d'une volonté de fournir, aux professeurs canadiens de français langue seconde et d'immersion en français, nos contenus avec des accompagnements pédagogiques. Les professeurs demandaient beaucoup de contenu, de matériel avec une teneur canadienne et des sujets canadiens. La notion d'authenticité en enseignement du français langue seconde est une notion de base.

Donc, on s'est rendu compte rapidement que, en ce qui a trait au domaine numérique, les projets qui étaient proposés aux professeurs avaient tous une teneur internationale et très peu de contenu canadien. On a commencé ce projet vers 2010 avec Ça bouge au Canada qui est un site qui propose toutes sortes de vidéos, de ressources sur 10 grandes régions canadiennes avec un accent sur l'activité physique, et ce, afin de cibler des jeunes à 14 à 20 ans.

On a constaté que c'est exactement ce que les professeurs désiraient. Ainsi, on a commencé à faire la tournée des congrès, à organiser des groupes de discussion, et cela nous a permis de créer une plateforme. Donc, Francolab.ca est une plateforme de ressources qui est consacrée à l'enseignement du français d'immersion, du français langue seconde et, de plus en plus, à des contenus qui permettent l'enseignement du français langue maternelle.

Ainsi, ce sont des ressources qui permettent le perfectionnement et qui tirent avantage de la production de contenu télévisuel, numérique et interactif que TV5 sait si bien faire.

Se sont ajoutés, depuis, des projets sur les légendes et les contes canadiens, ainsi que des projets qui touchent l'immigration au Canada, toujours sous l'angle de l'apprentissage du français, mais aussi avec des ressources complémentaires qui permettent à des professeurs d'avoir des amorces qui partent du quotidien des apprenants.

Par la suite, on a évolué vers des projets qui sont beaucoup plus sophistiqués, dont les deux derniers que vous voyez dans la présentation. Dans l'air du temps est un projet important sur la chanson canadienne francophone du début du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, à partir de 30 chansons, on a créé le contenu de 180 activités interactives.

Plus que jamais, on peut permettre l'auto-apprentissage avec cette plateforme. Les apprenants peuvent aller en laboratoire, mais aussi, tout simplement, à la maison et sur leur tablette, vivre l'expérience par eux-mêmes. Quant au professeur, il trouve un module de suivi des apprentissages extrêmement sophistiqué qui lui permet d'organiser des cours autour des activités que nous proposons.

Et, finalement, nous sommes en production, en ce moment, d'une plateforme assez audacieuse qui s'adresse aux enfants de 6 à 9 ans et qui est notre Francolab Junior. On est encore en train de songer au titre. Cette plateforme est à l'essai, en ce moment, dans des écoles du Québec et de l'Ontario. On a de très bons résultats. Je peux vous dire que, depuis hier, on a débuté la mise à l'essai des cinq capsules et de l'application pilote.

Donc, il s'agit d'une série télé de capsules de trois minutes. Il y aura 41 épisodes. À cela s'ajoute une application iPad qui reprend les contenus de ces courtes fictions et qui permet aux enfants, justement, autant à la maison qu'en classe, de parfaire leur français, et ce, à la base. On vise ainsi de nouveaux francophones à l'école primaire, soit au tout début de l'école primaire.

Cela va nous permettre, avec Francolab Junior, d'offrir un portefeuille de contenus aux professeurs de français partout au Canada qui est varié et riche.

Aussi, je veux préciser qu'on a une collection d'émissions de télé qui offrent des accompagnements pédagogiques. Donc, chaque année, on ajoute de nouvelles émissions à ce répertoire. On négocie des droits. C'est l'un des enjeux importants de Francolab. On travaille avec des avocats, des spécialistes du droit qui permettent l'utilisation de ces contenus sur une très longue période. Un diffuseur fonctionne sur une base de trois à cinq ans. Ici, on vise sept à dix ans pour que les professeurs puissent l'intégrer au programme.

Il y ainsi un savoir-faire qui s'est développé depuis quatre ans, des contenus, une couverture assez large des besoins des apprenants et des enseignants. On est très satisfait et très bien arrimé au chapitre des ressources, tant au niveau du développement des programmes de TV5 que de la distribution sur les différentes plateformes. Voilà.

Le président : Merci, monsieur Beaudoin.

Madame Gouin, voulez-vous ajouter quelque chose sur TV5?

Mme Gouin : Oui, peut-être pour les membres du comité. Alors, TV5 Québec Canada est une entreprise canadienne qui a été fondée il y a déjà plus de 25 ans en vertu de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes. Nous sommes donc un organisme à but non lucratif.

Cette entreprise gère le signal TV5 au Canada et a obtenu, en août 2013, de la part du CRTC, l'autorisation de lancer une nouvelle chaîne dont le nom est UNIS, qui est axée sur les réalisations et les aspirations des communautés francophones canadiennes.

Cette chaîne a été lancée le 1er septembre dernier. Elle n'a donc que deux mois d'existence. Elle est maintenant offerte à tous les Canadiens à travers le Canada avec la chaîne TV5 en distribution obligatoire auprès des télédistributeurs qui ont 20 000 abonnés et plus.

La chaîne UNIS est une chaîne à contenu généraliste, sans bulletin de nouvelles ni de sports, car, lorsque nous avons déposé notre projet au CRTC, il était important que cette nouvelle chaîne offre une valeur ajoutée aux communautés francophones, Radio-Canada et RDI étant déjà offerts aux services de base, partout au Canada.

Dans la mesure où l'essentiel de la programmation de Radio-Canada et de RDI qui est axée sur la représentation des communautés francophones vivant en milieu minoritaire relevait principalement du secteur de l'information, nous ne voulions pas faire double emploi.

Nous avons donc écarté rapidement l'idée d'avoir une salle de nouvelles, car cela requiert des budgets de fonctionnement qui sont extrêmement importants et cela aurait grugé véritablement tous les budgets de fonctionnement de la nouvelle chaîne.

En examinant l'éventail des émissions produites par les services de Radio-Canada, il s'agissait d'émissions qui étaient produites à l'interne. On pense ici aux émissions Découverte, Les coulisses du pouvoir, La semaine verte, La facture, Second regard, vraiment toutes des émissions qui relevaient majoritairement du service de l'Information de Radio-Canada.

Somme toute, il y avait assez peu de documentaires ou d'émissions de divertissement qui étaient réalisés par des producteurs indépendants issus eux-mêmes des communautés francophones en situation minoritaire. Alors, pour assurer véritablement une réelle et forte valeur ajoutée à notre programmation, nous avons articulé notre projet autour de trois engagements fondamentaux.

Le premier, la totalité de notre programmation originale canadienne sera réalisée par des producteurs indépendants et abordera toute la gamme des émissions documentaires et de divertissement. Et, nous nous sommes engagés aussi dès la troisième année à ce que la majorité des dépenses liées aux émissions originales canadiennes combinées de TV5 et de la chaîne UNIS soient consacrées à l'acquisition d'émissions qui reflètent la situation des communautés francophones en situation minoritaire ou établies en régions, ou qui sont produites par des producteurs indépendants établis dans ces communautés.

Troisièmement, nous nous sommes engagés, et cela est fait depuis presque un an maintenant, à ouvrir trois bureaux régionaux qui sont situés à Moncton, à Toronto et à Vancouver et à nous doter d'un comité consultatif constitué de membres des communautés francophones qui pourrait nous appuyer dans l'élaboration de nos grilles de programmation.

La valeur ajoutée de TV5 et d'UNIS découle fondamentalement de ces trois objectifs : Faire en sorte que les membres des communautés francophones en situation minoritaire produisent et créent une gamme variée de différentes catégories d'émissions qui s'adressent à leur communauté, comme à l'ensemble des Canadiens et qui, éventuellement, grâce à notre partenariat avec TV5Monde, pourra être offerte sur les antennes de cette chaîne internationale.

Nul autre diffuseur canadien n'a pris d'engagement d'une telle ampleur en faveur des communautés francophones en situation minoritaire. Or, cette chaîne qui a été lancée le 1er septembre dernier, donc à peine 13 mois après la décision du CRTC, compte déjà, dans sa première année de diffusion, plus de 220 heures de contenus originaux. Les dépenses liées à la production originale, dès la première année, représentent 13 millions de dollars, soit le double des exigences que le CRTC nous avait imposées sous la forme de conditions de licence.

Alors, c'est un portrait très sommaire, mais j'espère qu'il met bien la table à des questions que vous pourriez avoir.

Le président : Sénatrice Hervieux-Payette.

La sénatrice Hervieux-Payette : Quel est le lien de TV5 Canada par rapport à TV5 en général, qu'on écoute, quand on sort du Canada, et ailleurs? Est-ce qu'ils font partie de votre conseil d'administration ou s'agit-il simplement d'une relation d'affaires? Choisissez-vous ce que vous voulez pour établir le contenu qui va être diffusé au Canada? Quelle est la relation entre TV5Monde et TV5 Canada?

Mme Gouin : Alors, c'est véritablement un partenariat d'affaires où nous faisons des échanges d'émissions. TV5Monde nous procure un bassin d'émissions internationales qui proviennent de la France, de la Belgique et de la Suisse grâce à des partenariats de chaînes publiques, et d'Afrique aussi. De notre côté, nous offrons à TV5Monde un portefeuille d'émissions canadiennes pour les antennes de TV5Monde.

En termes de précisions, le directeur général de TV5Monde a un siège d'observateur au conseil d'administration de TV5 Québec Canada, de même que j'occupe un siège d'observateur au conseil d'administration de TV5Monde.

La sénatrice Hervieux-Payette : Qui finance autant TV5 Canada que la nouvelle station UNIS?

Mme Gouin : Le financement de TV5 Québec Canada, de l'entreprise, parce que c'est véritablement une entreprise qui a deux chaînes, la chaîne TV5 et la chaîne UNIS, provient presque à 80 p. 100 des revenus de télédistribution. Ensuite, à peu près 10 p. 100 des revenus proviennent de la publicité, et 7 p. 100 des revenus proviennent de contributions des gouvernements du Québec et du Canada, dans une proportion d'environ 60/40, soit 40 p. 100 du gouvernement du Québec et 60 p. 100 du gouvernement fédéral.

La sénatrice Hervieux-Payette : L'Ontario n'en fait pas partie?

Mme Gouin : Non.

La sénatrice Hervieux-Payette : Aucunement? C'est surprenant. Lorsque vous avez décidé de vous diriger dans de tels créneaux, est-ce que vous avez consulté des minorités linguistiques pour choisir les trois créneaux que vous avez décidé d'utiliser dans la station UNIS?

Mme Gouin : Alors, lorsque nous avons choisi les orientations de programmation, avant même de déposer le projet au CRTC, nous avions réalisé, auprès des francophones partout au Canada, des groupes de discussion où nous avons rencontré des francophones, mais aussi des francophiles.

Pour nous, il est très important d'évoquer l'importance des francophiles qui, à travers le Canada, inscrivent de plus en plus leurs enfants dans des classes d'immersion en français. Certains membres sauront sûrement qu'il y a jusqu'à deux ans d'attente pour entrer dans une école d'immersion dans certaines provinces canadiennes. Donc, pour nous, il était très important d'aller toucher ce bassin de population. Dans l'ensemble du pays, nous avons réellement consulté et sondé les francophones et les francophiles sur leurs attentes en termes de programmation. Or, les gens nous disaient véritablement qu'ils voulaient du documentaire, du divertissement, des jeux, et aussi beaucoup d'émissions pour enfants. Toute la question des émissions pour enfants joue un rôle extrêmement important dans l'apprentissage de la langue et dans le maintien de la culture francophone.

Alors, pour nous, tous ces éléments ont véritablement servi à faire en sorte d'alimenter notre direction en termes de grille de programmation pour la nouvelle chaîne UNIS.

La sénatrice Hervieux-Payette : Dans le cadre de cette audience que nous menons sur Radio-Canada, croyez-vous que le modèle de conception de votre station pourrait être utilisé? C'est-à-dire, afin que l'on puisse consulter, à travers le pays, un vaste public au moyen de groupes dans plusieurs villes; bien que notre comité fasse partie de la consultation, je parle de citoyens ordinaires qui ne sont pas des spécialistes comme vous, qui viendraient parler de leurs attentes au sujet d'une radio ou d'une télévision publique.

À l'heure actuelle, il semble qu'on ait fait un plan stratégique, mais que la population, dans son ensemble, n'ait pas vraiment été consultée.

Mme Gouin : Je ne connais pas les moyens de Radio-Canada, mais il est clair que, pour nous, pour démontrer le sérieux de l'approche que nous avions au CRTC, il est certain que nous devions avoir fait cette consultation. De la même façon que, en cours de route, d'ici la fin de l'année financière dans laquelle nous sommes actuellement, nous ferons encore une nouvelle consultation auprès des gens qui aiment écouter la télévision et qui sont des adeptes de la chaîne pour savoir si nous répondons bien à leurs attentes et de quelle façon nous pouvons nous améliorer. Cela est très important.

Il faut aussi dire que, compte tenu du comité consultatif que nous avons créé en décembre 2013, ces gens sont aussi nos oreilles auprès des différentes communautés desquelles ils proviennent pour nous faire savoir l'intérêt, les sujets qui les préoccupent, mais également le type de contenu qu'ils veulent retrouver à l'antenne de la nouvelle chaîne UNIS.

Le sénateur Demers : J'ai bien écouté et j'aime beaucoup votre objectif selon lequel vous voulez fournir des ressources éducatives et du matériel audiovisuel authentique. Depuis sept ou huit ans, je visite de nombreuses écoles. J'ai parlé avec beaucoup de professeurs et de directeurs d'école. Ils sont excellents, mais ils sont débordés. Il y a beaucoup de jeunes qui sont en classe, mais le pourcentage d'analphabètes au Québec est de 47 p. 100, et chez les Autochtones, c'est de 59 p. 100. Au Canada anglais, c'est de 41 p. 100. C'est énorme.

Puis, il ne s'agit pas uniquement de gens de 50 ans et plus. Il y a énormément de jeunes. Votre entreprise propose une façon simple de perfectionner son français. Cela ne peut qu'aider les jeunes, leur procurer une facilité pour mieux apprendre, en écoutant l'audiovisuel et ainsi de suite, en vue de s'améliorer, parce qu'il y a les baby-boomers, si je peux m'exprimer ainsi, qui nous quittent éventuellement; ils commencent déjà.

Il est primordial que nous jeunes aient une très bonne éducation en se perfectionnant à lire et à écrire. Alors, je crois qu'on doit aider les jeunes à s'améliorer, dans le futur, nos jeunes Québécois et les francophones à travers le Canada.

Mme Gouin : Vous avez parfaitement raison, sénateur Demers. Pour nous, étant donné notre mission en matière de francophonie canadienne et internationale, parce que nous voulons aussi faire rayonner la francophonie canadienne sur la scène internationale, il est primordial également d'avoir une obligation par rapport aux francophones et aux francophiles canadiens.

Étant un organisme à but non lucratif, comme nous n'avons pas à verser un dividende à un actionnaire à la fin de l'année, il nous est apparu évident que, dans le cadre de cette mission de promouvoir la francophonie, créer des ressources comme Francolab, les mettre gratuitement à la disposition des professeurs et des étudiants qui veulent partager ces ressources avec leurs classes, pour nous, cela nous semblait véritablement une chose normale à faire.

Je dois saluer le travail de Benoit qui, lorsque je lui ai parlé de ce projet, a vraiment embrassé le projet. Si on est capable aujourd'hui d'arriver avec un projet comme Francolab Junior, qui s'adresse aux plus petits, je pense que c'est parce qu'on a vraiment à cœur une détermination à faire en sorte que le français, qui est l'une des langues fondatrices de notre pays, puisse rejaillir véritablement partout à travers le Canada.

Le sénateur Demers : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Joyal : Je serais porté à faire un commentaire : si on ne vous avait pas, il faudrait vous inventer. Lorsque vous mentionnez les francophones, les minorités francophones et les francophiles, quant aux minorités francophones, on sait que, globalement, elles représentent environ un million de personnes. Les francophiles, vous les estimez à combien? En d'autres mots, quel serait votre auditoire optimal?

Mme Gouin : Au Canada, la population francophile se chiffrerait — et là, malheureusement, à cause de Statistique Canada, il est un peu difficile d'obtenir un chiffre exact — entre 1 million et 2 millions de personnes.

Le sénateur Joyal : Entre 1 et 2 millions?

Mme Gouin : Entre 1 et 2 millions de francophiles à travers le pays.

Le sénateur Joyal : Donc, votre auditoire optimal est d'environ 3 millions de personnes, entre 2,5 et 3 millions de personnes.

Mme Gouin : De plus, si vous me le permettez, monsieur Joyal, je vous dirais que le projet de la chaîne UNIS, pour moi — puisque le Québec fait partie du Canada —, représenterait un potentiel d'environ 10 millions, parce que, si on inclut le Québec, où les anglophones sont majoritairement francophiles, je vous dirais qu'on aimerait rejoindre le potentiel de 10 millions de francophones et de francophiles du Canada.

Le sénateur Joyal : Je comprends que la programmation que vous diffusez doit avoir été réalisée par des producteurs qui sont établis dans les communautés francophones. Est-ce que les producteurs du Québec, par conséquent, sont exclus?

Mme Gouin : Pas du tout. Alors, ce qu'on a fait et ce qu'on a présenté au CRTC, c'est qu'on a dit que, d'abord, la production serait faite par des producteurs indépendants. Ensuite, de façon graduelle, parce qu'il n'existe pas un bassin énorme de producteurs à l'extérieur du Québec, on augmentera de façon sensible, annuellement, le pourcentage qui sera octroyé à la production indépendante à l'extérieur du Québec.

Ce qu'on a demandé aux producteurs du Québec, c'est de tourner, mais pas au Québec, et de nous présenter les réalisations et les aspirations des francophones de partout à travers le Canada, avec parfois un visage du Québec. Je vous parlerais de l'émission Ma caravane au Canada, qui va à la découverte des francophones de partout.

Ainsi, on est allé à Terre-Neuve. On était à Vancouver la semaine dernière. On est allé aussi en Beauce, parce que la Beauce fait partie d'une région qui n'est peut-être pas aussi bien connue, même des gens de Montréal.

Alors, pour nous, la mission, c'est véritablement d'offrir à tous les francophones une découverte de cette francophonie qui est parfois méconnue à travers le pays.

Le sénateur Joyal : Vous diffusez de quelle heure à quelle heure?

Mme Gouin : Nous diffusons 24 heures par jour.

Le sénateur Joyal : Vingt-quatre heures par jour. Donc, vous devez avoir des reprises?

Mme Gouin : Oui, c'est clair. Pour la chaîne UNIS, on fonctionne sur un modèle de chaîne spécialisée. C'est-à-dire qu'on fonctionne sur une boucle de 8 heures qui est en reprise trois fois, avec une petite différenciation en ce qui a trait à la programmation pour enfants.

À cause de la demande très forte qui nous a été faite en matière de programmation pour enfants, celle-ci est assez importante le matin. Au retour des classes, en après-midi, on remet deux heures de programmation pour enfants.

Cela nous permet, en respectant les fuseaux horaires de l'Ouest et de l'Est, d'avoir un bassin assez large de contenu qui touche les jeunes partout à travers le pays.

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'il y a un lien entre le fait que vous diffusez des émissions originales pour enfants et le fait que Radio-Canada ait abandonné la production d'émissions pour enfants?

Mme Gouin : Pas du tout. Il est clair que le projet de la chaîne UNIS est un projet qui complète l'offre de Radio-Canada. Pour nous, Radio-Canada est un diffuseur public qui a des antennes partout au Canada, avec des moyens qui lui sont propres.

La chaîne UNIS est une chaîne spécialisée avec des moyens qui sont moindres. Notre offre — et c'est pour cela que nous avons choisi d'offrir des documentaires, un peu de production pour enfants, ainsi que des émissions de divertissements — vise véritablement, à la mesure de nos moyens, à aller à la rencontre des communautés partout au pays.

Le sénateur Joyal : Avez-vous un lien organique avec Radio-Canada, en particulier avec ses antennes régionales? On parlait de Moncton tantôt, ainsi que d'autres régions telles que Windsor et Edmonton, par exemple. Avez-vous, comme je dis, un lien organique, un lieu où vous vous rencontrez pour échanger vos informations, planifier votre programmation, et cetera?

Mme Gouin : Non. Nous sommes vraiment deux entreprises indépendantes. Il était important pour la chaîne UNIS d'établir, dès le départ, une ligne éditoriale qui lui soit propre. Cela ne veut pas dire que, à l'avenir, il n'y aura pas de collaboration avec Radio-Canada, mais je pense qu'avant d'aller vers des collaborations, il était important de mettre en ondes des contenus et une identité propre à cette chaîne pour éviter que les télédistributeurs aillent se plaindre au CRTC que l'offre était une offre identique à celle de Radio-Canada. Il s'agissait de dire que c'était une nouvelle chaîne qui était complémentaire à l'offre actuelle qui se retrouvait partout au pays.

Le sénateur Joyal : Comment se fait le financement de la production? Est-ce que vous êtes le seul bailleur de fonds de la programmation ou est-ce que le producteur peut aussi faire appel au Fonds des médias du Canada?

Mme Gouin : Oui.

Le sénateur Joyal : Comment, en général, se fait le montage financier de l'émission moyenne?

Mme Gouin : Sensiblement, c'est comme pour toutes les entreprises qui sont en production. Alors, vous avez la part du diffuseur, vous avez la part du producteur. Vous avez l'appel au fonds. Vous avez aussi les crédits d'impôt qui sont primordiaux. Il peut arriver que, parfois, dans certaines émissions, il soit impossible d'avoir accès au fonds. À ce moment-là, on finance une plus grande partie de la production.

Il est clair qu'il y a les revenus de redevances que nous recevons, la publicité. On fait aussi énormément d'efforts pour aller chercher de la commandite, pour s'assurer qu'on ait le plus grand nombre de revenus. En fait, il était très important, pour la nouvelle chaîne UNIS, que nous respections les standards que nous avions mis de l'avant pour la chaîne TV5. Or, l'un de ces grands standards, c'est la qualité.

Si vous regardez nos deux chaînes, vous pouvez être très fiers de la qualité des contenus et de la production. Ce n'est pas de la télévision communautaire. C'est véritablement de la télévision faite par des professionnels.

Le sénateur Joyal : Quel est le budget total de la chaîne UNIS?

Mme Gouin : Étant donné que le CRTC a octroyé la distribution obligatoire aux deux chaînes, les redevances sont payées par les télédistributeurs pour les deux chaînes. Il s'agit d'une même redevance de 28 ¢ dans le marché francophone et de 24 ¢ dans le marché anglophone, qui est remise pour les deux chaînes.

On dispose donc d'un budget global pour TV5 et pour UNIS, soit un budget conjoint pour les deux chaînes d'environ 36 millions de dollars.

Le sénateur Joyal : À combien se chiffrerait le budget de la chaîne UNIS au sein de ces 36 millions de dollars?

Mme Gouin : Malheureusement, monsieur Joyal, je ne peux pas vous répondre, parce que toutes les obligations du CRTC sont faites en fonction des deux chaînes. Alors, on n'a pas fait de budgets séparés pour les deux chaînes. Tout est vraiment en fonction des deux chaînes. Je vous dirais même qu'on porte tous les chapeaux TV5/UNIS; sauf certaines personnes qui sont affectées à certaines fonctions très précises, tout le monde fonctionne et opère les deux chaînes dans ses tâches.

Le sénateur Joyal : La contribution moyenne à la production d'émissions se situerait entre combien et combien du montant, par exemple?

Mme Gouin : Pour vous donner une idée, dans l'année qui vient, en fonction de la façon dont le CRTC nous a imposé les conditions de licence, celles-ci doivent être liées aux revenus de l'année précédente. Ainsi, nous aurions donc dû nous fonder sur les revenus de 2013-2014 et, à ce moment-là, nos obligations auraient été autour de 10 millions de dollars.

Ce que nous avons décidé de faire au lancement de la chaîne, c'est d'y aller en fonction de ce que seront nos revenus à la fin de 2014-2015. Donc, nous avons déjà engagé, en termes de licence stricte, 13 millions de dollars de production. Vous pouvez donc vous imaginer l'impact que ceci peut avoir au niveau de tous les autres déclenchements qui sont susceptibles d'être provoqués par ces 13 millions de dollars de licence. Il y a là un impact considérable sur la production indépendante au Canada, en français.

Le sénateur Joyal : Un producteur qui fait appel à une contribution de TV5, ce serait à l'intérieur de quel ordre de grandeur? Serait-ce 20 p. 100 du budget proposé, 30 p. 100? Qu'est-ce que cela représenterait, en moyenne?

Mme Gouin : Je vous dirais que, habituellement, ce serait entre 20 p. 100 et 30 p. 100.

Le sénateur Joyal : Entre 20 p. 100 et 30 p. 100.

Mme Gouin : Oui, selon le type de projet.

Le sénateur Joyal : Oui, bien sûr. Et, combien de projets avez-vous financés depuis votre mise en ondes?

Mme Gouin : Nous avons financé 220 heures de programmation originale pour cette première année. Comme c'est la première année, cela veut donc dire que nous avons commissionné, depuis août 2013, 220 heures de programmation originale. De plus, comme nos obligations en termes de contenu canadien sont extrêmement élevées, nous avons donc, pour la chaîne UNIS, fait l'acquisition de contenu canadien qui avait déjà été diffusé. En termes d'acquisition stricte, je vous dirais que les chiffres se situent à 4 millions de dollars pour meubler la grille de programmation de la chaîne UNIS.

Le sénateur Joyal : Quelle forme de suivi faites-vous pour pouvoir vous présenter au CRTC et démontrer que vous avez satisfait aux objectifs auxquels vous vous étiez engagés? J'imagine que vous vous préparez, puisque vous devrez demander le renouvellement de votre licence, et ainsi de suite.

Mme Gouin : Comme je m'amuse souvent à le répéter à mes équipes, nous sommes en train de préparer le prochain renouvellement de licence.

Le sénateur Joyal : Oui, on fait toujours ça. Radio-Canada fait de même.

Mme Gouin : Exactement.

Le sénateur Joyal : Tous les diffuseurs le font.

Mme Gouin : Exactement, on n'a pas le choix. Alors, je peux vous dire que, de toute façon, nous produisons un rapport annuel qui doit être remis au CRTC et qui doit, spécifiquement par rapport à nos conditions de licence, indiquer où nous en sommes rendus à ce sujet.

Ainsi, le CRTC est très au fait de toutes nos activités par rapport à nos obligations, qu'il s'agisse du comité consultatif, de la création des bureaux régionaux, ou encore, de façon plus importante, de la production de contenus originaux qui sont réalisés par les producteurs à l'extérieur du Québec ou de ceux qui sont réalisés en région à l'extérieur de Montréal.

Le sénateur Joyal : Est-ce que je peux encore poser une dernière question?

Le président : Allez-y.

Le sénateur Joyal : Il n'y aurait pas un élément de distorsion dans votre existence qui ferait en sorte que Radio-Canada se sente moins responsable de refléter les réalités des communautés minoritaires de langues officielles, puisqu'elle pourrait se dire que, maintenant, il y a UNIS, il y a TV5 Québec Canada, et donc, qu'elle peut être moins présente, parce qu'il y a quelqu'un d'autre, finalement, qui offre un service de qualité?

Est-ce que, en fait, ça ne serait pas un calcul que Radio-Canada pourrait faire?

Mme Gouin : J'espère que non, parce que, pourquoi les francophones en milieu minoritaire n'auraient pas droit à plus d'une chaîne, à plus de deux chaînes, à plus de trois chaînes qui reflètent leurs réalisations et leurs aspirations?

Si on regarde la situation du groupe minoritaire anglophone, ici, au Québec, est-ce que l'offre qui leur est faite en anglais est d'une chaîne, de deux chaînes?

Le sénateur Joyal : Non, ils ont accès à plusieurs chaînes.

Mme Gouin : Alors, pourquoi faudrait-il limiter, pour les francophones en milieu minoritaire ou les francophones de partout au Canada, le nombre de chaînes qui leur seraient accessibles?

Le sénateur Joyal : Je fais ce raisonnement, parce que, comme vous le savez, Radio-Canada, enfin, pour la situation de la station de Windsor, s'est retrouvée devant la Cour fédérale. L'un des aspects du jugement du juge Martineau, qui a rendu la décision qui est en appel actuellement, c'est que Radio-Canada pourrait être tentée de démontrer qu'il y a déjà un autre service présent dans la région et que, par conséquent, son obligation d'offrir un service plus complet n'est pas aussi absolue qu'elle l'était alors qu'elle était le seul diffuseur en région.

Non pas que je sois opposé à votre existence, mais je pense que l'accessibilité de ce que vous offrez, qui m'apparaît de bonne qualité d'autant que je puisse en juger, pourrait avoir cet élément de distorsion dans le mandat national de Radio-Canada.

Mme Gouin : Moi, je suis certaine que, si jamais Radio-Canada avait des intentions comme celles-là, ce comité et d'autres comités s'empresseraient véritablement de demander à Radio-Canada de continuer d'offrir les services auxquels tous les francophones ont droit à travers le Canada.

Le sénateur Joyal : Merci, monsieur le président.

Le président : Simplement pour clarifier, quand vous parlez de la chaîne UNIS, vous avez raison, Radio-Canada n'est pas dans le portrait. Mais, quand vous tombez sur TV5, dans votre relation TV5 Québec Canada et TV5Monde, vous avez Radio-Canada comme partenaire.

Mme Gouin : Radio-Canada est un partenaire administrateur de TV5Monde, mais elle ne siège pas au conseil d'administration de TV5 Québec Canada. Il s'agit vraiment de deux structures corporatives distinctes. Radio-Canada et Télé-Québec font partie de la structure corporative de TV5Monde en Europe, mais ne sont pas membres du conseil d'administration de TV5 Québec Canada.

Le président : Cependant, vous entretenez tout de même des relations avec eux concernant les bulletins de nouvelles?

Mme Gouin : Oui. Il y a un comité mixte composé de Radio-Canada, de Télé-Québec et de TV5 qui, ensemble, travaillent à offrir les meilleurs émissions francophones d'ici à notre partenaire TV5Monde, qui fait sa sélection d'émissions canadiennes. C'est par notre intermédiaire que les bulletins de nouvelles, et entre autres, ceux de Radio-Canada, sont offerts par nos lignes satellites et envoyés à TV5Monde de façon quotidienne.

Le président : Je voulais clarifier que, par rapport à la chaîne UNIS, ils ne jouent pas de rôle, alors que, par rapport à TV5, ils sont un peu plus présents. Sénateur Housakos, ensuite vous, monsieur. Vous avez une question complémentaire? Allez-y.

Le sénateur Joyal : J'ai oublié une question. Vous l'avez mentionné, mais sans le préciser : quelle est l'importance des émissions que vous avez produites qui ont été rediffusées par TV5Monde?

Mme Gouin : Les émissions spécifiques de TV5 Québec Canada ou bien les émissions de tous les partenaires canadiens?

Le sénateur Joyal : De tous vos partenaires canadiens?

Mme Gouin : Je n'ai pas les chiffres précis, mais je vous dirais que le pourcentage des émissions canadiennes qui se retrouvent sur les grilles de TV5Monde est d'environ 9 p. 100. Cependant, je pourrais transmettre au greffier, demain, la précision du pourcentage exact.

Le sénateur Joyal : D'accord. Merci bien.

Le sénateur Housakos : Est-ce que vous considérez Radio-Canada comme un compétiteur? Mon autre question porte sur le mandat de Radio-Canada qui est, il me semble, d'offrir des services aux groupes minoritaires linguistiques à travers le Canada. Or, vous faites cela, d'après ce que je peux voir, d'une façon formidable. Est-ce qu'il y a une raison pour laquelle ce domaine a été laissé libre pour vous? Il me semble que Radio-Canada ait laissé ce terrain complètement libre, et que vous êtes en train de combler ce besoin.

Mme Gouin : Je ne suis pas capable de répondre pour Radio-Canada. C'est vraiment à Radio-Canada que vous devriez poser la question. Véritablement, nous, ce que nous avons offert comme proposition au CRTC par rapport à l'offre francophone qui était disponible à l'extérieur du Québec, c'est l'offre d'un contenu, d'arriver avec une offre de contenu qui soit très complémentaire en termes de contenu de programmation, mais aussi d'origine de production.

De plus, en demandant au milieu de la production indépendante située à l'extérieur du Québec d'offrir un bassin aussi important de contenus originaux, l'ambition que nous avons, sénateur, c'est de créer une nouvelle relève de producteurs francophones et de jeunes francophones qui pourront, partout au Canada, travailler dans leur langue à continuer à produire des histoires que tous les Canadiens voudront regarder.

Le sénateur Housakos : Est-ce que vous avez des compétiteurs dans ce domaine, présentement?

Mme Gouin : Toutes les chaînes sont nos compétitrices. Puis, je vous dirais que, comme chaîne de télévision, aujourd'hui, la compétition, ce n'est pas uniquement les autres chaînes, c'est aussi tous les services de contournement, tous les sites web. Actuellement, la compétition, elle est féroce.

Cependant, quant à l'offre et à la façon de consommer les contenus, la télévision demeure le véhicule par excellence. Je pense que TV5 et UNIS garderont ce pouvoir d'attraction d'agrégateur de contenu francophone. Nous disposons d'une marque très forte vers laquelle les gens se tournent pour avoir des services et des émissions de qualité. Je pense que nous sommes ce phare qui permet véritablement aux téléspectateurs et aux consommateurs de contenus de venir s'approvisionner à nos deux chaînes.

Le sénateur Housakos : Merci beaucoup.

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'on peut penser que vous allez sur le Web également, que vous serez accessible?

Mme Gouin : Tous nos produits sont offerts sur le Web.

Le sénateur Joyal : Tous vos produits sont sur le Web.

Mme Gouin : Oui. C'est Benoit, à titre de directeur des produits numériques, qui s'en occupe.

Le sénateur Joyal : Également pour les émissions de Francolab?

Mme Gouin : Oui. Tout est sur le Web.

Le sénateur Joyal : Tout est sur le Web.

Mme Gouin : Oui. En même temps, dans certaines proportions, nous faisons très attention. Il faut vraiment prendre en considération le fait que nous ne pouvons pas mettre toute notre grille sur le Web, parce que, à ce moment-là, pourquoi les télédistributeurs nous verseraient une redevance?

Le sénateur Joyal : Pourquoi achèteraient-ils votre distribution?

Mme Gouin : Exactement. Donc, nous sommes très sensibles à l'offre qui se retrouve sur Internet. Nous faisons une offre de rattrapage qui est restreinte. Nous avons des ententes de collaboration de distribution de nos contenus avec les télédistributeurs. Cependant, nous sommes extrêmement minutieux sur les pourcentages de nos contenus qui se retrouvent sur le Web pour nous assurer que la relation d'affaires, qui est primordiale dans le cas de TV5 et de la chaîne UNIS, soit maintenue avec des collaborations que nous faisons avec les télédistributeurs.

M. Beaudoin : Si je peux ajouter quelque chose, c'est que nous rediffusons certaines émissions, ce qu'on appelle en rattrapage, sur le Web. Nous offrons aussi des collections d'archives d'émissions anciennes ou d'émissions qui portent sur une thématique. Nous transférons certains droits à Francolab dans le cas des accompagnements pédagogiques.

Ce que nous faisons aussi énormément, c'est de développer du contenu original avec les producteurs de la chaîne UNIS pour offrir une expérience interactive. Les règles du Fonds des médias du Canada stimulent le développement de projets multiplateformes afin d'offrir un contenu francophone sur le Web aussi bien qu'à la télé.

Ainsi, un producteur qui désire venir chercher une licence télé chez nous et à obtenir un financement public va, en général, faire une proposition de contenu convergeant, de contenu interactif, et on l'accompagne dans cette voie. Donc, cela permet qu'une série télé puisse être accompagnée d'une série web, d'une plateforme interactive, d'un jeu ou d'une application mobile.

Alors, ce savoir-faire, nous travaillons à le mettre en œuvre à l'extérieur.

Mme Gouin : Et à le développer.

Le sénateur Joyal : Vous ne recevez pas de financement du ministère du Patrimoine canadien?

Mme Gouin : Oui.

Le sénateur Joyal : Oui.

Mme Gouin : Alors, quand je disais que presque 8 p. 100 ou 9 p. 100 de notre financement provenait des gouvernements du Québec et du Canada, dans le cas du gouvernement fédéral, c'est par l'intermédiaire de Patrimoine canadien.

Le sénateur Joyal : C'est par l'intermédiaire de Patrimoine Canada que vous recevez votre financement?

Mme Gouin : Oui.

Le sénateur Joyal : Donc, il s'agit d'un vote dans le budget global de Patrimoine canadien?

Mme Gouin : Effectivement.

Le sénateur Joyal : D'accord. Merci bien.

Le président : Madame Gouin, monsieur Beaudoin, merci beaucoup de votre présentation.

Chers collègues, merci pour votre collaboration. Nous allons clore la séance. Je vous rappelle que, demain matin, à 9 h 00, nous commençons avec l'Institut sur la Gouvernance d'organisations privées et publiques.

Le sénateur Joyal : Puisqu'on a la possibilité d'avoir un représentant de la Bibliothèque du Parlement, il faudrait vérifier la référence exacte de la décision de la Cour fédérale dont on a fait mention dans la cause des citoyens de la ville de Windsor, et la date de la décision de la Cour fédérale.

Je ne l'ai pas sous la main, évidemment; malheureusement, je ne l'ai pas apportée. Cependant, il faudrait peut-être, demain, avoir la référence exacte et la date de la décision du ministère de la Justice d'en appeler de la décision.

Le président : Nous allons le faire rapidement avant que les bureaux ne ferment à Ottawa. Merci, à demain matin, 9 h 00.

(La séance est levée.)


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