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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 13 - Témoignages du 4 février 2015


OTTAWA, le mercredi 4 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour étudier les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude des défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications. Nous recevons Richard Rapkowski, conseiller juridique de l'Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films.

Veuillez commencer votre exposé, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. La parole est à vous.

Richard Rapkowski, conseiller juridique, Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films : Mesdames et messieurs les membres du comité, bonsoir. Je suis Richard Rapkowski. Je représente l'Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films, ou l'ACDEF. Je vous remercie de m'accorder de votre temps ce soir. Je vais m'adresser à vous en anglais.

L'ACDEF est un organisme à but non lucratif qui représente l'industrie de la distribution de films et ses membres dans le cadre d'enjeux d'intérêt national. Nous comptons actuellement parmi nos membres d Films, Elevation Pictures, Entertainment One/Les Films Séville, IndieCan Entertainment, Kinosmith, Métropole Films, Mongrel Media, Pacific Northwest Pictures et Search Engine Films.

Les membres de l'ACDEF produisent la grande majorité des longs métrages au pays, y compris des films canadiens et étrangers. En fait, ils produisent deux fois et demie plus de longs métrages au Canada que les six principaux studios combinés.

Les membres de l'ACDEF jouent un rôle essentiel dans la production et la distribution de films canadiens. En tant que distributeurs, nous connaissons très bien le marché du cinéma et les goûts des consommateurs. Nous investissons nos fonds privés dans des films qui, d'après nous, plairont aux consommateurs et présentent un potentiel commercial. Téléfilm Canada s'appuie sur nos décisions en matière d'investissement pour déterminer quels projets cinématographiques recevront des fonds publics.

Par conséquent, les membres de l'ACDEF ont tout intérêt à assurer le succès continu de l'industrie cinématographique canadienne. Nous suivons avec beaucoup d'intérêt tous les travaux comme ceux d'aujourd'hui qui peuvent avoir et qui auront une incidence sur le cinéma canadien.

Comme vous le savez, le cinéma canadien a été confronté à d'énormes défis tout au long de son histoire, en grande partie à cause de notre proximité avec les États-Unis et la domination de grands studios américains dans notre marché. Le gouvernement a réalisé des progrès pour régler ce problème, notamment avec la mise en place en 1988 par le gouvernement conservateur à l'époque de la politique sur la distribution, qui a grandement changé la donne pour bâtir le secteur de distribution de films canadien. Cette politique a été un succès incontestable qui a permis de renforcer notre secteur et de créer une industrie cinématographique canadienne florissante.

Je crois savoir que le comité aimerait connaître la situation générale de l'industrie de la radiodiffusion et des communications au Canada, les défis auxquels CBC/Radio-Canada est confrontée à la suite de l'évolution du secteur de la radiodiffusion, ainsi que le rôle que l'organisation devrait assumer à l'avenir. Vous avez entendu de nombreux témoignages où l'on soulignait les défis associés aux technologies nouvelles et en devenir auxquels doivent faire face les diffuseurs de tous genres. Les pressions sur les modes de diffusion traditionnels font qu'il est de plus en plus difficile pour les diffuseurs de se battre pour gagner les consommateurs, qu'on inonde de contenu qu'ils peuvent regarder sur une multitude de plateformes et de dispositifs. Dans un environnement de la sorte où les consommateurs sont submergés par une multitude de choix, les diffuseurs qui réussissent sont ceux qui parviennent à se démarquer.

À l'ACDEF, nous croyons qu'il est essentiel d'avoir un diffuseur national pour le succès de l'industrie cinématographique canadienne. La Société Radio-Canada réussira si elle adopte une approche qui met en évidence qu'elle est un réseau typiquement canadien unique.

Nous croyons que l'un des éléments clés pour exécuter la mission de CBC/Radio-Canada visant à informer, à distraire et à éduquer les gens dans ce marché très fragmenté et très concurrentiel, c'est que CBC/Radio-Canada doit être perçue par les Canadiens comme étant le véritable diffuseur des films canadiens et être redéfinie comme étant la chaîne qui réunit la télévision et le cinéma canadiens.

Pour ce faire, il faudrait encourager le CRTC à modifier les exigences relatives au contenu de CBC/Radio-Canada et à ajouter une nouvelle catégorie de programmes pour les longs métrages qui est complètement différente de celles des séries télévisées dramatiques et d'autre contenu canadien.

Par l'entremise d'initiatives telles que la politique sur la distribution, d'incitatifs fiscaux et du financement de Téléfilm, le gouvernement a démontré qu'il croit que raconter des histoires canadiennes, et plus particulièrement dans des films, est important et louable. Faire de CBC/Radio-Canada le diffuseur du cinéma canadien est la prochaine étape logique dans la mise en œuvre de cette initiative. À une époque où les habitudes des téléspectateurs sont en train de changer et qu'ils peuvent regarder le contenu sur une multitude d'écrans et de plateformes, un diffuseur national qui présente divers films canadiens captivants sera essentiel au succès continu de l'industrie cinématographique canadienne.

Nous croyons qu'il y a quatre principales raisons pour lesquelles le fait d'obliger CBC/Radio-Canada à diffuser des films canadiens sera avantageux pour le réseau de télévision, le gouvernement et les téléspectateurs canadiens.

Premièrement, cette obligation fera en sorte que les histoires canadiennes soient accessibles aux consommateurs canadiens et aidera CBC/Radio-Canada à réaliser l'un de ses mandats : divertir le public canadien. Le talent canadien n'a jamais été plus visible qu'à l'heure actuelle. L'année 2014 a été l'une des années où l'industrie cinématographique canadienne a reçu le plus d'éloges. L'année dernière, au Festival international du film de Cannes, le nombre record de trois films canadiens étaient en nomination. Le film d'Atom Egoyan The Captive a reçu une ovation debout, l'actrice Julianne Moore a été primée pour son rôle dans le film de David Cronenberg Maps to the Stars, et Xavier Dolan s'est vu décerner le prix du jury pour le film Mommy.

Comme les exemples précédents le montrent clairement, il ne fait aucun doute que le talent canadien est reconnu et souligné sur la scène internationale. Nous croyons que cet énorme succès international est fondamentalement important et divertissant et qu'il serait avantageux pour les Canadiens d'avoir un diffuseur national qui présente et soutient ces œuvres remarquables. Obliger CBC/Radio-Canada à mettre l'accent sur les films canadiens permettra à tous les Canadiens d'avoir accès à ces œuvres phénoménales qui ont déjà été reconnues sur la scène internationale.

Il peut être difficile et dispendieux pour les Canadiens des régions rurales de visionner les films au cinéma. La télévision continue d'être le moyen dont la majorité des Canadiens ont accès au contenu de divertissement, et si CBC/ Radio-Canada accordait une place plus importante aux films canadiens dans sa programmation, tous les Canadiens pourraient voir des histoires canadiennes acclamées sur la scène internationale. Cela contribuerait directement à réaliser le mandat de CBC/Radio-Canada visant à divertir les Canadiens.

Nous croyons fermement au pouvoir des longs métrages et à leur rôle distinct par rapport à celui des productions télévisuelles. C'est un médium qui permet de communiquer des opinions indépendantes et qui donne aux créateurs de contenu la liberté de présenter des scénarios compliqués et intéressants sans les contraintes auxquelles sont confrontés les producteurs de télévision avec leur auditoire chaque semaine. Les longs métrages canadiens sont une forme d'art nuancée qui permet aux créateurs d'exprimer des idées importantes et parfois complexes, et nous croyons qu'ils devraient être accessibles à tous les Canadiens. Quel meilleur endroit pour présenter ce genre de contenu que notre diffuseur national?

Deuxièmement, nous croyons que l'intérêt renouvelé de CBC/Radio-Canada pour les films canadiens aura des retombées économiques pour le réseau de télévision. Comme nous l'avons vu, il peut être difficile, voire impossible, pour CBC/Radio-Canada de concurrencer avec les diffuseurs privés sur le marché ouvert pour s'approprier les émissions de sports professionnels et les émissions américaines qui coûtent cher. Les diffuseurs privés ont prouvé qu'ils réussissent mieux à offrir ces programmes sans compter sur l'argent des contribuables pour le faire. Si elle se démarque comme étant le principal diffuseur des films canadiens et se distingue des diffuseurs privés, la société CBC/Radio-Canada pourra mieux remplir son mandat en présentant diverses histoires aux Canadiens et aux communautés régionales mal desservies, ce que le secteur privé, qui met uniquement l'accès sur le marché, n'offre peut-être pas.

CBC/Radio-Canada sera plus forte si elle reconnaît son caractère distinctif et son rôle de diffuseur public qui soutient la culture canadienne dans l'intérêt des citoyens. CBC/Radio-Canada ne devrait pas faire concurrence aux diffuseurs privés ou mesurer son succès par rapport à leur succès. Elle devrait s'acquitter avec confiance de son rôle distinctif en tant que diffuseur public qui contribue à façonner notre identité nationale et à refléter nos valeurs.

Un autre avantage économique pour CBC/Radio-Canada de diffuser des longs métrages, c'est qu'elle n'a pas à engager d'énormes dépenses pour les créer et les produire. Elle peut laisser les tâches plus risquées liées au financement et à la production du contenu à nos cinéastes canadiens talentueux et expérimentés, qui bénéficient du financement de Téléfilm et des incitatifs fiscaux du gouvernement, puis elle peut sélectionner les films qui risquent d'intéresser le plus ses téléspectateurs. C'est certainement plus économique que d'acheter des émissions américaines ou de sports professionnels coûteuses ou de produire ses propres émissions dramatiques de grande qualité.

Troisièmement, obliger CBC/Radio-Canada à investir dans les films canadiens permettra de mieux dépenser l'argent du gouvernement. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, de nombreuses initiatives gouvernementales existent déjà pour soutenir le cinéma canadien, dont des apports en capital pour les budgets de films versés par Téléfilm Canada et des programmes de crédit d'impôt. Le gouvernement a essentiellement déjà investi l'argent des contribuables dans la création de films canadiens car il croit en l'importance de raconter des histoires canadiennes de la manière unique dont le cinéma peut le faire. Exiger que CBC/Radio-Canada fasse une place dans sa programmation aux films canadiens en tant que volet distinct de son obligation relative au contenu canadien aidera Téléfilm dans son mandat de promouvoir et de développer l'industrie audiovisuelle au Canada et d'augmenter les cotes d'écoute. Les revenus tirés des droits de licence de CBC/Radio-Canada aideront également Téléfilm et le gouvernement à récupérer leurs investissements en utilisant les fonds réservés au contenu dans le budget de CBC/Radio-Canada pour l'acquisition de ces films canadiens dans lesquels les contribuables ont investi. Plutôt que de dépenser les fonds réservés à la programmation pour livrer concurrence au contenu américain, nous proposons que CBC/Radio-Canada aligne ses investissements dans le contenu sur les initiatives de financement du gouvernement existantes.

Enfin, en intensifiant son engagement à l'égard du cinéma canadien, CBC/Radio-Canada pourra plus facilement réaliser le dernier volet de son mandat : éclairer le public canadien. L'industrie cinématographique canadienne crée d'excellents films reconnus sur la scène internationale. En devenant le diffuseur des films canadiens, CBC/Radio-Canada peut aider le public canadien à cibler le meilleur de ce que le milieu cinématographique a à offrir et à promouvoir les films qui sont importants pour la culture canadienne. De cette façon, CBC/Radio-Canada peut créer une réaction en chaîne positive.

Les Canadiens qui ont vu gratuitement à la télévision Mommy, le dernier film de Xavier Dolan, par exemple, sont plus susceptibles d'aller voir ses prochains projets au cinéma, en ligne ou sur la chaîne de CBC/Radio-Canada. Nous avons vu ces succès dans le star-système québécois. Lorsque les consommateurs canadiens sont exposés à nos films de qualité qui sont qualifiés de succès, ils commencent à reconnaître le talent national et à soutenir ces histoires importantes typiquement canadiennes. De cette façon, CBC/Radio-Canada peut servir de catalyseur pour développer davantage notre industrie cinématographique, qui est déjà solide.

À l'ACDEF, nous sommes reconnaissants que les délibérations de votre comité et les mémoires de la majorité des témoins qui comparaissent devant vous portent sur l'écosystème canadien de la radiodiffusion et de la télévision. Je témoigne devant le comité pour rappeler aux honorables sénateurs que les longs métrages canadiens sont un élément important de cet écosystème et que les décisions qui seront prises à la lumière de ces audiences pourront avoir une incidence sur la production et la distribution de films canadiens et sur la création de contenu cinématographique canadien vital.

Malgré tous les problèmes complexes auxquels notre industrie est confrontée, que ce soit du point de vue de la radiodiffusion, de la distribution ou de l'exportation, il y a une chose qui demeure très simple : les contribuables canadiens devraient pouvoir écouter les films pour lesquels ils ont payé sur les ondes de notre diffuseur national. Cette approche sera avantageuse pour CBC/Radio-Canada, pour le gouvernement et, au final, pour tous les Canadiens.

Les membres de l'ACDEF remercient le comité de leur avoir donné l'occasion de venir témoigner. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Plett : Je tiens tout d'abord à m'excuser d'être arrivé un peu en retard ce soir. Ce n'est pas facile de marcher dans la neige. J'aimerais bien blâmer la neige, mais je suis probablement parti un peu trop tard.

Je vous remercie de votre exposé. Je pense que j'étais présent pour la majeure partie de votre déclaration, et j'ai beaucoup aimé entendre ce que vous aviez à dire.

Avant de vous poser ma première question, je dois dire que je me considère comme étant un Canadien ordinaire. J'aime regarder la télévision, les sports et de nombreuses productions canadiennes. Vous avez mentionné trois productions canadiennes. Je sais que vous ne pourrez pas répondre à ma question de façon explicite, mais pourquoi n'ai-je jamais entendu parler de ces trois films alors qu'ils ont été primés? Suis-je vraiment un Canadien ordinaire?

M. Rapkowski : Il est dommage que vous n'ayez pas entendu parler de ces films, et l'un des défis auxquels nous sommes confrontés, c'est la promotion de nos talents. Nous ne semblons avoir aucun mal à le faire sur la scène internationale. Dans le contexte de l'industrie cinématographique canadienne et la distribution internationale, on a affaire à des auditoires captifs de films qui sont à la recherche de contenu de qualité. Pour le Canadien ordinaire, je pense que le problème, c'est en partie que nous créons beaucoup de contenu, mais nous n'en faisons pas suffisamment la promotion auprès du public. C'est précisément la raison pour laquelle CBC/Radio-Canada a un rôle très important à jouer. Cela fait partie de la boucle de rétroaction positive sur laquelle j'essaie d'insister, ce qui a donné d'excellents résultats au Québec. La majorité des Québécois ont entendu parler de Xavier Dolan et connaissent ses films. Dans le Canada anglais, c'est un peu plus difficile. Bon nombre de Canadiens anglais ont entendu parler de David Cronenberg, car ses œuvres connaissent du succès depuis de nombreuses années. Mais connaissent-ils les nouveaux films que ces cinéastes produisent et les éloges qu'ils reçoivent? C'est un défi.

Téléfilm consacre beaucoup de ressources gouvernementales à la promotion des films canadiens sur la scène internationale. Je pense que nous devons mettre davantage l'accent sur la promotion au Canada. En tant que distributeurs de films, nous dépensons la majorité de notre argent sur la promotion des films — presque autant, mais parfois plus que nous en dépensons pour faire l'acquisition du contenu. C'est un marché achalandé. Il y a beaucoup de contenu. Il n'y a plus que les longs métrages à la télévision. Il y a le contenu sur Internet. Il y a YouTube. Le contenu auquel les jeunes auditoires ont accès est ahurissant.

Il est donc difficile de choisir les histoires que l'on diffuse ou non, et celles qui ne sont pas retenues ne sont pas forcément moins importantes. Lorsque les Canadiens auront un aperçu du contenu qu'on a à leur offrir, je crois fermement qu'ils en redemanderont.

Le sénateur Plett : Je n'en doute pas, et si je ne m'abuse, on nous a dit à maintes reprises au comité que les cotes d'écoute de Radio-Canada au Québec sont plus élevées que celles de CBC dans le Canada anglais. On nous a énuméré de nombreuses raisons pour expliquer cet écart, et je crois qu'elles sont valables.

Nous avons reçu un témoin il y a une semaine qui faisait la promotion de l'émission The Book of Negroes. J'ai écouté quatre épisodes jusqu'à présent. J'ai dû les enregistrer, et je n'allais pas commencer à regarder l'émission avant d'avoir enregistré tous les épisodes. J'en ai écouté quatre, puis j'ai appris qu'il y en a encore un ou deux autres. Les diffuseurs ont fait de l'excellent travail pour promouvoir l'émission. Comme vous l'avez dit, vous avez fait la promotion de ces films peut-être au Québec, mais je pense que la promotion est très importante.

Ma prochaine question porte sur les téléspectateurs au pays — il y a ceux au Québec, mais penchons-nous aussi sur les auditeurs dans le Canada anglais. Mon collègue à côté de moi vient de l'Alberta, où 2 p. 100 de la population regarde CBC. Est-il judicieux de consacrer plus d'argent à CBC? Devrions-nous peut-être, comme le sénateur Housakos l'a souvent demandé, prendre une partie des fonds que nous versons à la chaîne CBC et les remettre à Téléfilm Canada ou à d'autres organisations et dire : « À vous de jouer; cet argent qui était réservé à CBC est maintenant à vous. » Je ne sais pas si c'est une bonne idée. C'est la raison pour laquelle nous menons cette étude.

Que pensez-vous des cotes d'écoute? Nous posons sans cesse cette question, et il semble qu'on nous répond chaque fois que les cotes d'écoute ne sont pas si importantes que cela et qu'il faut simplement plus d'argent. Il y a deux jours, des témoins nous ont dit : « Ne parlons pas des cotes d'écoute. Il suffit de donner plus d'argent à CBC/Radio-Canada. » Personne ne semble s'inquiéter des cotes d'écoute.

Aujourd'hui, j'ai déjeuné avec un journaliste de CBC/Radio-Canada, et j'ai appris que les gens là-bas sont obsédés par les cotes d'écoute, à en perdre la tête. Mais en public, ils disent : « Eh bien, vous savez, ce n'est pas si important que cela : 2 p. 100, peut-être. » Nous entendons toujours dire qu'au Québec, les cotes d'écoute sont plus élevées. Oui, c'est bien le cas, mais notre pays est très vaste.

M. Rapkowski : Il y a beaucoup à dire à ce sujet. Nous vivons dans un pays qui se distingue par son vaste territoire et sa diversité culturelle — il y a une foule de régions aux goûts variés. Mais nous formons tous un seul et même pays, et il faut donner aux consommateurs et aux citoyens quelque chose à quoi se raccrocher, quelque chose qui exprime une identité nationale. Je crois que c'est important, et je pense que cela fait partie du mandat de CBC/Radio-Canada.

Ce n'est pas toujours une tâche facile, aucun doute là-dessus. Mais je crois qu'une des façons d'élargir les auditoires, c'est de ne pas essayer de plaire à tout le monde, de ne pas essayer de livrer concurrence aux radiodiffuseurs privés et de ne pas offrir un contenu du simple fait que nous savons qu'il correspond aux goûts des consommateurs — par exemple, du contenu américain, des émissions sportives, certains types de nouvelles. Nous savons que les consommateurs veulent ce genre de contenu, et ils le trouveront ailleurs que sur les ondes de CBC/Radio-Canada. CBC/Radio-Canada peut représenter quelque chose de différent. Elle peut se faire la véritable porte-parole des Canadiens.

Encore une fois, devant la fragmentation et la multiplication des canaux, la seule façon de survivre, c'est d'être distinct, d'en être fier et de créer une image de marque qui symbolise une valeur et qui est à la hauteur — il ne s'agit pas d'énoncer un mandat, pour ensuite prétendre être un diffuseur privé qui court après les commanditaires.

Toutefois, pour mettre en œuvre ce plan, il faut des deniers publics. Bien des Canadiens aimeraient, j'en suis sûr, que le gouvernement accorde moins de fonds à CBC/Radio-Canada parce que ces gens n'aspirent pas vraiment à ce vaste dialogue national. C'est pourtant, à mon avis, une valeur importante. Je ne peux pas parler au nom de tous les citoyens. Je peux parler seulement en mon nom personnel. Selon moi, il s'agit d'une initiative importante, car elle nous permet de trouver un terrain d'entente dans l'ensemble du pays. Sans un radiodiffuseur public, comment peut-on obtenir un tel résultat? On n'y parviendrait pas s'il n'en tenait qu'aux radiodiffuseurs privés, avec leur contenu américain, dénué de vision pour l'identité culturelle canadienne. Cela ressemble beaucoup au réseau ferroviaire national : c'est un investissement qui vaut la peine, car il permet de relier les gens d'un bout à l'autre du pays. De la même façon, on a besoin d'une industrie culturelle qui relie les Canadiens.

Le sénateur Plett : Une dernière question, monsieur le président, si vous me le permettez.

Nous essayons peut-être d'en faire trop; je n'en suis pas sûr. Vous avez mis le doigt sur l'importance de concentrer davantage nos efforts. Vous avez dit que les contribuables canadiens ne veulent peut-être pas que le gouvernement accorde autant de fonds publics à CBC/Radio-Canada. C'est, sans aucun doute, l'avis de la majorité des Canadiens. Mais la question qui se pose est la suivante : souhaitent-ils regarder les émissions de CBC/Radio-Canada? Ce sont là deux questions différentes, et on pourrait obtenir deux réponses différentes.

M. Rapkowski : Je pense bien que oui.

Le sénateur Plett : Je crois que nous voulons tous que le gouvernement utilise moins de deniers publics. Oui, j'aimerais bien que le gouvernement dépense moins, mais suis-je prêt à sacrifier ce que je possède afin d'en arriver là? À mon avis, c'est la question qu'il faut se poser.

Vous faites valoir un bon point lorsque vous dites : « Plutôt que de dépenser les fonds réservés à la programmation pour livrer concurrence au contenu américain, nous proposons que CBC/Radio-Canada aligne ses investissements dans le contenu sur les initiatives de financement du gouvernement existantes. » C'est, à mon avis, un bon argument. Mais vous dites un peu avant : « C'est certainement plus économique que d'acheter des émissions américaines ou de sports professionnels coûteuses ou de produire ses propres émissions dramatiques de grande qualité. »

N'empêche que c'est ce que les gens veulent voir. Le dimanche après-midi à 17 h 30, heure de Winnipeg, ou à 18 h 30, heure d'Ottawa, il n'y avait pas beaucoup de monde qui regardait la CBC. Les gens regardaient plutôt CTV parce qu'on y passait une émission de sports. Alors, le radiodiffuseur public devrait-il abandonner ce créneau ou y aller à fond? Il a perdu Hockey Night in Canada. Est-ce qu'il doit y renoncer complètement? Selon vous, il le devrait.

M. Rapkowski : Je pense que oui. Encore une fois, on ne peut pas plaire à tout le monde. Il y a des créneaux, des collectivités mal desservies. On peut trouver cela surprenant, mais il y a des Canadiens qui ne sont pas obsédés par le hockey et qui sont à la recherche d'un autre contenu. La chaîne radiophonique de CBC/Radio-Canada est un bon exemple. J'en suis un auditeur vorace. Il n'y a pas de publicités, contrairement à la radio de choc du matin des stations de radio privées qui passent des annonces publicitaires. Il y a des gens qui veulent cela. Tous les Canadiens ne sont pas pareils, mais chose certaine, il y a une communauté de gens à la recherche d'un contenu canadien pertinent et réfléchi, qui remplit le mandat de CBC/Radio-Canada : renseigner, éclairer et divertir. Le volet divertissement, c'est facile et ce n'est pas ce qui manque.

Je ne dis pas que les gens doivent prendre une pilule pour savoir ce qui est bon pour eux, mais ce genre de contenu doit être accessible à ceux qui veulent se perfectionner et renforcer leur identité canadienne, surtout dans un pays qui accueille tant de nouveaux immigrants. Il faut qu'il y ait quelque chose à quoi se raccrocher; si les nouveaux immigrants du pays ne font que regarder des émissions américaines, alors comment vont-ils acquérir un sentiment d'appartenance au Canada? Ce contenu doit être disponible.

Cela ne signifie pas pour autant que la qualité doit en souffrir. Selon moi, plus on s'expose à un contenu de qualité, plus on attirera des auditeurs — c'est contagieux. Je reprends l'exemple du film Mommy, qui n'est pas fait pour tout le monde. C'est un film difficile. Il y a des gens qui n'auraient jamais regardé un film comme celui-là, mais une fois qu'ils y sont exposés, ils ont la piqûre; ainsi, ils iraient voir le prochain film de Xavier Dolan et ils seraient disposés à consommer cet autre genre de contenu. Je le répète : si on essaie de ratisser trop large, en essayant de donner un peu de tout à tout le monde, on n'aura aucun auditeur parce que personne ne saura à quoi s'attendre tous les jours. Par contre, si on mise sur une image de marque bien canadienne, je pense qu'on pourra atteindre un auditoire, quitte à ce que ce soit un créneau spécialisé, auquel cas on n'aura peut-être pas besoin d'autant de financement. Mais je pense que le jeu en vaut la chandelle.

Le sénateur Demers : J'aimerais revenir sur un point fort intéressant que le sénateur Plett vient de soulever. En passant, je vous remercie de votre exposé, monsieur Rapkowski.

Ce n'est pas vrai que les radiodiffuseurs ne s'en font pas des cotes d'écoute. En fin de semaine, j'ai commenté deux matchs des Canadiens de Montréal et le lendemain, on n'avait qu'un sujet de préoccupation : les cotes d'écoute. L'autre jour, j'ai participé à une émission sur CBC/Radio-Canada et, là encore, tout tournait autour des cotes d'écoute. C'est d'une importance capitale. Comme le sénateur Plett vient de l'indiquer, nous nous faisons parfois dire que sans financement, il n'y a pas de cotes d'écoute. C'est ce qui compte le plus, car la survie des radiodiffuseurs en dépend. C'est ce qui leur permet de s'adresser à de grandes sociétés, et je ne citerai aucun nom, pour leur dire : « Regardez nos cotes d'écoute ici, pour telle ou telle émission. » Je ne prétends pas que c'est ce que vous avez fait valoir, mais je dis que les cotes d'écoute sont essentielles à la réussite de CBC/Radio-Canada et de tout autre réseau. C'est tout ce dont ils parlent. S'ils ont une mauvaise cote d'écoute, ils sont alors bien mal pris. Je tenais simplement à le mentionner.

La numérisation a changé la distribution cinématographique. Quels effets cette nouvelle technologie a-t-elle eus sur vos membres? Comment cette nouvelle technologie a-t-elle changé la façon dont vos membres traitent avec CBC/ Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés canadiens?

M. Rapkowski : La technologie a évolué tant pour les radiodiffuseurs que pour les distributeurs. Elle a, en quelque sorte, tout mis sens dessus dessous. Autrefois, il y avait deux façons de regarder un film. Ou bien on allait le voir au cinéma, ou bien on attendait qu'il passe à la télévision. Puis, avec l'avènement des vidéocassettes, on a sonné le glas de l'industrie cinématographique parce qu'on s'est dit que tout le monde allait se mettre à regarder des films à la maison. Pourtant, les gens vont toujours au cinéma parce qu'ils veulent sortir de chez eux. On a entendu le même son de cloche avec l'avènement de la numérisation et du piratage. On a annoncé la fin des longs métrages, mais ce n'est pas le cas. Les gens veulent du contenu. En tant que distributeurs, nous nous sommes rendu compte que l'important, c'est de produire un bon contenu. Nous ne nous soucions pas tant de savoir comment les gens accèdent au contenu. Nous voulons surtout produire un bon contenu. Les consommateurs disposent d'une gamme de plateformes et de moyens pour voir ce contenu. Nous voulons le rendre accessible sur toutes les plateformes.

La vérité, c'est que certaines plateformes sont moins lucratives que d'autres pour les distributeurs. Nous faisons beaucoup plus d'argent lorsque les gens paient 17 $ pour aller voir un film au cinéma, que lorsque Netflix nous verse des frais de licence, sachant que cette plateforme permet aux gens de visionner 1 000 films pour 7,99 $ par mois. Donc, la numérisation a changé la donne économique, et c'est difficile. L'industrie est en période de mutation et de réflexion, mais cela n'empêchera pas la production ou la consommation de films. Il s'agit d'une nouvelle donne économique pour nous, les distributeurs. Mais du côté des consommateurs, je ne pense pas que les gens voient moins de films.

Cette situation crée une dichotomie : d'une part, les salles de cinéma sont dominées par des films de super-héros à grand succès et, d'autre part, les gens se sentent plus à l'aise de regarder un contenu de longue durée chez eux. Ils sont disposés à regarder une série pendant 15 heures d'affilée — les épisodes d'une saison complète. Ce n'est pas que les gens regardent moins de contenu ou qu'ils en raffolent moins. Tout ce qui a changé, c'est la façon dont ils y accèdent. Nous nous adaptons à cette nouvelle donne. C'est lent. Il est difficile de garder une longueur d'avance. La technologie étant ce qu'elle est, nous sommes habituellement un peu en retard, mais telle est la nature de l'industrie où nous œuvrons, et sachez que nous travaillons fort pour nous rattraper.

CBC/Radio-Canada a des initiatives numériques considérables et, là encore, l'important est d'assurer la création et la disponibilité du contenu. Je ne pense pas que le moyen d'y arriver compte tant que cela. Pour revenir aux émissions radiophoniques de CBC/Radio-Canada, il faut dire que je les écoute rarement à la radio; j'accède surtout aux fichiers balados à partir de mon téléphone cellulaire. Il n'y a aucune publicité, et le contenu est excellent. Cela me renseigne, me divertit et m'éclaire. Nul besoin d'être à la maison pour regarder les émissions à la télévision ou d'être dans ma voiture pour les écouter à la radio, mais à vrai dire, cela m'importe peu. En tout cas, je suis très heureux de pouvoir les écouter quand je fais du vélo. Alors, pour le reste, il ne s'agit que de canaux ou de moyens de diffusion. C'est le contenu qui compte.

Le sénateur Eggleton : Je crois qu'on fait trop de cas de l'importance des cotes d'écoute en ce qui a trait au radiodiffuseur public. À mon avis, on y accorde trop d'attention. En réalité, les cotes d'écoute ne sont pas si pires que cela. En effet, CBC arrive au deuxième rang, après CTV, en ce qui concerne les cotes d'écoute générales. Elle devance la chaîne Global, qui est une autre entité du secteur privé. Comme vous l'avez signalé, monsieur Rapkowski, les radiodiffuseurs privés se dirigent dans une autre direction. Ils cherchent à faire des profits en diffusant le maximum d'annonces publicitaires. Par contre, le radiodiffuseur public est là, comme son mandat l'énonce, pour renseigner, éclairer, divertir et raconter des histoires canadiennes aux Canadiens. Il ne récolte pas toujours les meilleures cotes d'écoute, mais on parle quand même de cotes d'écoute qui peuvent atteindre 89 p. 100, ce qui n'est pas mal du tout.

Vous êtes ici pour nous parler de films. Je pense que vous avez fait un très bon exposé et vous avez démontré, preuves à l'appui, l'importance de produire des films canadiens. Vous voulez qu'on modifie les exigences actuelles de contenu en ajoutant une nouvelle catégorie vouée aux longs métrages.

N'avez-vous pas déjà la possibilité de diffuser ces films sur les ondes de CBC/Radio-Canada? Pourquoi avez-vous besoin de cette catégorie? Pourquoi CBC/Radio-Canada ne peut-elle pas acquérir d'emblée les films dont vous avez parlé ici?

M. Rapkowski : Elle peut le faire et elle le fait déjà, mais pas autant qu'avant et pas autant que nous le souhaiterions. Les films canadiens seront produits et distribués avec ou sans l'appui de CBC/Radio-Canada. Cela se fait déjà, sans grand appui de la part de CBC/Radio-Canada. Mais je pense que, dans le cas de certains films, il serait utile d'avoir un plus grand appui. Certains films finissent par ne pas être produits parce qu'ils racontent des histoires marginales qui risquent de ne pas être justifiées d'un point de vue purement commercial. Avec un peu de financement public, il serait possible de raconter ces histoires importantes dans l'intérêt des Canadiens. Alors, oui : deux films, c'est bon, mais quatre, c'est bien mieux. Un programme double tous les samedis soirs et un film tous les mercredis soirs — voilà qui serait encore meilleur. Tout revient à l'objectif de CBC/Radio-Canada. S'il s'agit de raconter des histoires canadiennes aux Canadiens, alors c'est bien le cas.

Il est beaucoup plus facile pour CBC/Radio-Canada d'investir dans un film à petit budget; il est peut-être plus facile de produire un contenu peu coûteux. On peut faire proliférer des émissions qui vont peut-être atteindre une plus grande part de l'auditoire et vendre du temps d'antenne à des annonceurs. Cependant, on a beau courir après les recettes publicitaires, cela ne permettra pas de raconter certaines histoires régionales qui pourraient s'avérer très importantes, comme un film qui met en scène des collectivités des Premières Nations et qui raconte une histoire dont les Canadiens ne pourraient pas prendre connaissance autrement. Voilà le genre de films qui pourraient être mis à l'écart. Si CBC/ Radio-Canada n'achète que deux longs métrages par année, parce que c'est tout ce que son budget permet ou parce que c'est le minimum requis comme condition de licence, alors il se peut qu'elle ne fasse que le strict minimum.

Le sénateur Eggleton : Estimez-vous qu'il s'agit surtout d'une question financière? CBC/Radio-Canada affirme qu'elle n'a pas assez d'argent pour acheter plus de films ou pour en diffuser plus sur les ondes? Ce n'est pas comme si c'était une grosse dépense puisque le film est déjà produit.

M. Rapkowski : C'est la course aux cotes d'écoute, si on se concentre sur les recettes publicitaires. Certains de ces films risquent de ne pas obtenir le genre de cotes d'écoute que d'autres types de contenu pourraient récolter. Si on se concentre uniquement sur les cotes d'écoute et la course aux recettes publicitaires, alors on ne voudra pas diffuser ces films. Mais si on ne peut pas compter sur notre diffuseur national, où donc pourra-t-on raconter ces histoires?

Le sénateur Eggleton : S'agit-il d'histoires typiquement canadiennes? Se rapportent-elles vraiment à une histoire canadienne, sans tenir compte des acteurs, des réalisateurs ou de l'endroit où le film est tourné? Par exemple, un film peut avoir été réalisé au Canada. Il peut mettre en vedette des artistes canadiens et un réalisateur canadien. On tournait autrefois beaucoup de films à Toronto, mais ils racontaient des histoires qui se passaient à New York ou dans un autre endroit. Bref, s'agit-il d'histoires véritablement canadiennes?

M. Rapkowski : Il y a toute une gamme de films. Certains sont d'ordre purement commercial. S'il s'agit d'une comédie romantique, l'histoire ne sera pas différente, qu'elle se passe à Toronto ou à New York. Dans certains cas, il se trouve que l'action se passe à Toronto et que le film met en vedette des acteurs canadiens. Voilà donc le genre de films qui occupent une extrémité de l'échelle. Par contre, à l'autre extrémité, il y a des films, comme Atanarjuat, un film autochtone sorti il y a quelques années. C'était en langue autochtone, et il s'agissait d'une histoire importante. Il y a donc les deux extrêmes, mais si on manifeste un bon engouement pour des films et des artistes canadiens et qu'il existe un endroit où les gens peuvent voir toutes sortes de films de ce genre, les téléspectateurs commenceront à reconnaître des acteurs et à comprendre qui ils sont, ce qui leur donnera le goût d'aller voir le prochain film qui met en vedette tel ou tel acteur et qui traite peut-être d'une question nationale de plus grande importance. Mais il y a aussi un fait sous-jacent : l'industrie canadienne du cinéma et de la télévision est une énorme industrie qui procure beaucoup de recettes fiscales au gouvernement. D'après certaines études, chaque dollar dépensé rapporte 4 ou 5 $.

Le sénateur Eggleton : Il y a un avantage économique.

M. Rapkowski : Mais on ne peut pas dire que tous les films canadiens dont on confirme le caractère canadien du contenu sont des histoires canadiennes typiques qui traitent des valeurs canadiennes; ce n'est évidemment pas le cas.

Le sénateur Eggleton : Vous avez dit que « CBC/Radio-Canada sera plus forte si elle reconnaît son caractère distinctif et son rôle de diffuseur public qui soutient la culture canadienne dans l'intérêt des citoyens. CBC/Radio-Canada ne devrait pas faire concurrence aux diffuseurs privés ou mesurer son succès par rapport à leur succès. Elle devrait s'acquitter avec confiance de son rôle distinctif en tant que diffuseur public qui contribue à façonner notre identité nationale et à refléter nos valeurs. » À cela, je dis « amen ».

Le sénateur Demers : En tout respect, j'ai travaillé pour CBC/Radio-Canada, et je le dis sans prétention, je sais un peu ce qui se passe. Elle a vu disparaître environ 400 millions de dollars avec la perte du hockey. C'est une somme considérable. Vous avez indiqué, si j'ai bien entendu, que ce n'était pas si important, mais 400 millions de dollars, c'est beaucoup d'argent. Si on obtient cette somme pour Hockey Night in Canada, on demande moins aux consommateurs.

Le sénateur Eggleton : Vous n'aimerez pas mon commentaire là-dessus.

Le sénateur Demers : Vous pouvez dire tout ce que vous voulez; je vous respecte.

Le sénateur Eggleton : Je ne crois pas que CBC/Radio-Canada devrait être en concurrence avec un radiodiffuseur privé pour la publicité. Je lui retirerais ce volet, comme on l'a fait pour la radio de CBC/Radio-Canada.

Le sénateur Plett : En lui donnant plus d'argent du gouvernement.

Le sénateur Eggleton : Absolument. J'instaurerais une taxe spéciale ou un droit de licence, comme on le fait en Grande-Bretagne.

Le président : Nous en discuterons probablement à notre retour.

La sénatrice Unger : Merci, monsieur Rapkowski. J'ai ici une déclaration que vous avez faite devant le CRTC. Vous dites : « Je comparais aujourd'hui devant le conseil pour souligner que les longs métrages canadiens sont une partie importante d'un écosystème, » — dont vous avez déjà parlé — « et que les décisions qui découlent de ces consultations peuvent avoir une incidence profonde sur la production et la distribution des films canadiens, ainsi que sur la création du contenu canadien des longs métrages. »

Plus loin, dans la même déclaration, vous dites : « En 2011, à peine 3 p. 100 ou 37 millions de dollars des recettes-guichet des cinémas canadiens représentaient du contenu canadien, et en 2012, la proportion est passée à 2 p. 100. »

J'ignore comment une entreprise pourrait survivre. Vous répétez encore et encore à quel point c'est essentiel pour les Canadiens, et pourtant, le nombre de spectateurs diminue.

M. Rapkowski : Veuillez m'excuser d'avoir repris quelques passages de la déclaration que j'ai faite devant le CRTC. Nous parlons de l'auditoire des cinémas. C'est vrai qu'il est difficile de convaincre les consommateurs canadiens d'aller voir les films canadiens. Or, le problème ne se limite pas aux films canadiens; il touche tous les films, même les films américains, à l'exception des superproductions.

Patrimoine Canada a réalisé une étude, récemment, qui a révélé que 90 p. 100 de tous les visionnements de films canadiens se font à la télévision. Encore une fois, cela montre bien qu'il sera difficile d'attirer de vastes auditoires dans les cinémas, alors qu'un nouveau film de la Guerre des étoiles sortira pendant le temps de Fêtes. C'est difficile.

Notre défi, en tant que distributeurs canadiens, c'est de promouvoir nos films, d'essayer d'investir dans des films qui ont un attrait commercial plus vaste et de mettre l'accent sur la sortie de ces films dans les cinémas, mais il existe d'autres modèles de distribution. Nous constatons maintenant que certains films ne sont pas présentés dans les cinémas. Les organismes canadiens de financement exigent parfois que les films soient présentés dans les cinémas pendant une certaine période, mais ils mettent principalement l'accent sur le visionnement à la maison, la vidéo sur demande et la vente des films aux radiodiffuseurs afin que les Canadiens puissent les visionner par ce moyen.

Nous aimerions beaucoup que davantage de gens aillent les voir dans les cinémas, et nous déployons beaucoup d'efforts en ce sens, mais les cinémas éprouvent des difficultés non seulement pour ce qui est des films canadiens, mais aussi pour tous les films, et ce sont les grandes productions qui sont les gagnantes. Cela ne veut pas dire que les gens ne consomment pas le contenu par d'autres moyens, et CBC/Radio-Canada jouerait un rôle très important à ce chapitre.

C'est beaucoup plus difficile lorsque les gens doivent se rendre au cinéma que lorsqu'ils savent que chaque semaine, ils pourront visionner gratuitement à la maison un film de qualité, produit par des Canadiens avec des deniers publics canadiens. Je pense que cela intéressera beaucoup de gens et qu'ils ne voudront pas dépenser 6,99 $ pour écouter ce film en VSD cette semaine-là. Ils savent que c'est une programmation de qualité préparée par de bonnes entreprises de programmation.

La sénatrice Unger : Je vous remercie de votre réponse. Vous avez dit tout à l'heure que CBC/Radio-Canada ne peut plaire à tout le monde; le Canada est un pays vaste et diversifié. Je pense que ce qui est présenté à la radio, notamment, et à la télévision en Alberta ne peut se comparer à ce à quoi ont accès les gens du Québec. Je crois que c'est vrai, et mes collègues pourront me corriger si je me trompe.

Si vous ne pensez pas que CBC/Radio-Canada devrait rejoindre un si vaste auditoire partout au Canada, puisqu'elle ne peut plaire à tout le monde, pourquoi tous les contribuables canadiens devraient-ils payer pour ce réseau? Pourquoi ne pourrait-on pas avoir un système qui permettrait de s'abonner, comme avec PBS? La BBC a des droits de licence, et encore une fois, qu'on me...

Le sénateur Plett : C'est pour le téléviseur même.

La sénatrice Unger : Pourquoi ne pas mettre en place quelque chose de semblable? Les gens qui sont si attachés et qui tiennent tant à CBC/Radio-Canada pourraient payer pour cette chaîne. Je ne veux certainement pas le faire personnellement, et je sais, comme mon collègue l'a souligné, que la plupart des Albertains n'y voient aucun avantage.

M. Rapkowski : Vous donnez comme exemple le réseau PBS. Les consommateurs ne paient pas pour PBS. Il y a des partisans, mais le gouvernement américain n'est pas un grand partisan de PBS. Prenez la BBC, au Royaume-Uni — et je crois que vous vous rendrez tous là-bas pour examiner ce modèle —; les consommateurs ne paient pas pour ce réseau non plus.

Dès qu'on exigera que les consommateurs paient, cela fera fuir un grand nombre d'entre eux. On doit tout de même admettre, et ce n'est pas tout le monde qui le fait, qu'il est important d'avoir une identité nationale, et pas seulement des identités régionales distinctes. Cela ne veut pas dire que l'identité nationale est axée sur le centre du Canada et le Québec, au détriment des provinces de l'Ouest ou des provinces maritimes.

CBC/Radio-Canada devrait peut-être mieux promouvoir le Canada, une vision commune à tous les Canadiens. Je crois que c'est une entreprise louable. Mais ce n'est pas parce que cela ne se produit pas que nous devrions baisser les bras. Il serait peut-être utile que le service régional de l'Alberta soit mieux doté en personnel capable de comprendre les besoins des Canadiens là-bas et d'en tenir compte dans le service. Il est peut-être trop axé sur l'Ontario et le Québec, mais cela peut changer. Le mandat, l'objectif et la vision d'un service offert gratuitement aux Canadiens — et encore une fois, nous avons une importante population d'immigrants au Canada, et si nous n'avons rien que les gens puissent considérer comme un symbole de la culture canadienne, alors ces différences régionales continueront à s'accentuer. Je pense que ce qu'il nous faut, en tant que fédération, c'est quelque chose qui nous unit.

Je dois préciser que ce sont en partie des remarques personnelles et qu'elles ne représentent pas nécessairement les opinions de tous les membres de l'ACDEF — avec qui je n'ai pas discuté de mes points de vue sur ces sujets — et j'admets que j'exprime mon point de vue personnel, en tant que consommateur des émissions de CBC depuis mon tout jeune âge. Je vais devoir répondre aux questions de certains membres de l'ACDEF après la séance.

La sénatrice Unger : Vous ne m'avez toujours pas dit pourquoi tous les Canadiens devraient payer. Les nouvelles sont l'une des choses que les Albertains aimaient regarder. Les gens écoutaient les nouvelles à CBC chaque fois que quelque chose se passait, et aussi la météo, bien sûr. CBC a maintenant réduit le nombre de bulletins météorologiques et de bulletins de nouvelles, et à la télévision également, je présume — je ne l'écoute pas —, en particulier en Alberta.

M. Rapkowski : Vous me demandez pourquoi les Canadiens devraient payer; je dois admettre que c'est en quelque sorte un argument philosophique. Nous payons tous pour les soins de santé, mais certaines personnes voient leur médecin moins souvent que d'autres. Or, nous voulons tout de même que les soins de santé soient accessibles à tous les Canadiens. Nous payons tous pour le transport en commun, mais certaines personnes ne prendront jamais l'autobus. Sur le plan de la démocratie sociale et non des intérêts purement individuels, il faut parfois des institutions sociales qui vont au-delà de l'individualité et qui reflètent la conscience collective canadienne. C'est un point de vue philosophique, je le reconnais.

Le président : Puisque vous avez admis avoir repris quelques passages de la déclaration que vous avez faite devant le CRTC, je vais reprendre l'une de mes remarques. Le Québec, les francophones hors Québec et le reste du pays sont des marchés distincts. J'ai toujours dit qu'avec CBC/Radio-Canada, c'est comme si on tentait de gérer la BBC et la RTF, la Radiodiffusion Télévision Française, en Belgique. Ce sont des marchés tellement contraires, que d'essayer d'élaborer une approche commune de gestion et de marketing... Je vais bientôt poser une question. Il n'est pas dramatique de sacrifier la publicité au Canada anglais, mais au Québec, compte tenu des centaines de millions de dollars que procure à Radio-Canada son importante part de marché... Ce serait une solution pour la CBC, mais pas pour Radio-Canada.

Je suis allé voir votre site web. Vous avez des membres au Québec. Je crois que vous avez vécu à Montréal. Vous avez des membres dans ces deux marchés, dans ces deux communautés. Comment abordent-ils la question? Vous avez parlé de Xavier Dolan. De toute évidence, Dolan peut survivre sur le marché québécois. Il se débrouille fort bien. Or, il est tout de même de plus en plus attiré vers le marché nord-américain. Comment vos membres tentent-ils d'obtenir leur juste part du marché québécois et une part du marché anglophone, au Canada et en Amérique du Nord?

M. Rapkowski : Ce n'est pas facile. Comme nous le savons, ce sont des marchés distincts. Les films et les talents québécois bénéficient tellement d'un vaste appui au Québec que nous parlons vraiment ici de deux modèles différents. Comme vous l'avez dit, le Québec a la capacité de se soutenir par ses propres moyens grâce aux recettes publicitaires.

Je travaille à Entertainment One, une société qui a des bureaux à Toronto et à Montréal. Nous avons une filiale au Québec, Les Films Séville, qui distribue principalement des films québécois au Canada et à l'étranger. Nos modèles d'affaires et nos choix de films diffèrent. Il y a certains films québécois que nous ne distribuons qu'au Québec, parce qu'il n'existe aucun marché pour ce type de films au Canada anglais, et c'est bien ainsi. Tous les contenus n'ont pas le même public. On doit connaître son public cible et créer le contenu en conséquence. Il y a aussi beaucoup de contenu produit au Canada anglais qui n'est pas distribué au Québec. Cela va dans les deux sens.

Encore une fois, on peut considérer que l'Alberta est un peu comparable au Québec. Nous avons des différences régionales dans notre pays, et il est difficile d'avoir un seul contenu qui satisfera tout le monde.

Le président : Il y a quelques semaines, nous avons entendu des représentants d'Entertainment One. Je ne saurais vous dire pour ce qui est de vos autres membres, mais en ce qui concerne votre patron, je pense que son message est à peu près le même que le vôtre, alors à cet égard, je pense qu'il n'y a pas de problème.

Le sénateur MacDonald : Le sénateur Eggleton a abordé quelques-uns des points dont je voulais parler; je vais donc poser quelques questions complémentaires.

J'ai bien aimé l'exposé que vous avez présenté. Vous avez soulevé des questions dont je n'étais pas au courant, notamment le fait que le CRTC n'impose aucune exigence en matière de contenu canadien pour les longs métrages à CBC/Radio-Canada. A-t-on déjà fait cette suggestion au CRTC? Dans l'affirmative, pourquoi l'a-t-il rejetée? Pourquoi n'a-t-il pas voulu que CBC/Radio-Canada serve de véhicule pour les longs métrages canadiens?

M. Rapkowski : Je ne peux vous parler de la décision du CRTC. Nous avons certes fait valoir cet argument lors des audiences de l'initiative Parlons télé. La difficulté vient en partie du fait que les radiodiffuseurs privés, qui ont beaucoup d'influence, essaient de faire en sorte que les exigences en matière de contenu canadien soient les plus souples et les plus générales possible. Auparavant, il y avait une catégorie distincte pour les longs métrages; les diffuseurs assujettis à certaines conditions de licence devaient diffuser une certaine quantité de longs métrages. Les radiodiffuseurs privés, en exerçant des pressions, ont pu obtenir davantage de marge de manœuvre. Je comprends pourquoi ils veulent être en mesure de diffuser des émissions qui fonctionnent bien. S'ils constatent qu'ils obtiennent de meilleures cotes d'écoute avec une série télévisée canadienne très populaire, pourquoi devraient-ils diffuser un long métrage?

Cela me préoccupe moins. Je travaille dans l'industrie du long métrage. J'aimerais beaucoup qu'il y ait une catégorie exclusive au long métrage pour tous les diffuseurs, mais ce sont des entreprises privées qui ont droit... Elles utilisent les ondes nationales et elles font partie d'une industrie protégée; elles ont donc des responsabilités à l'égard des Canadiens. Mais je pense que CBC/Radio-Canada pourrait jouer un rôle différent. Le long métrage n'est pas de la télévision, et j'ai tenté de le souligner dans mon exposé. Je crois que c'est une forme d'art distincte qui découle d'un point de vue plus indépendant. Il n'est pas financé par les radiodiffuseurs. Il s'agit souvent de personnes qui ont créé des scénarios, qui sont des artistes et qui proposent des visions uniques et différentes.

Selon moi, les longs métrages et les productions télévisuelles ont un rôle culturel différent. La différence s'estompe, maintenant que l'on crée des séries télévisuelles de 15 heures qui ressemblent de plus en plus à de très longs films; cela change légèrement. Mais tout de même, les productions télévisuelles sont fondées sur la capacité de créer un auditoire pour la clientèle et les annonceurs; pas les longs métrages. Ce sont des produits culturels qui ont souvent des visions artistiques — mais pas toujours; il y a beaucoup de films qui sont purement de nature commerciale. Je crois toutefois qu'ils sont différents de la télévision, et qu'il convient de le reconnaître.

Le sénateur MacDonald : Vous mentionnez ici, dans ces suggestions, qu'il serait avantageux pour CBC/Radio-Canada, pour toutes sortes de raisons, d'adopter cette approche.

Quand ces propositions ont été faites au CRTC, quelle était la position de CBC/Radio-Canada? Était-elle favorable, neutre ou défavorable?

M. Rapkowski : Ce n'était pas un dialogue. Nous avons fait notre exposé, ils ont fait leur exposé, et chacun a parlé de sa propre...

Le sénateur MacDonald : Vous devez connaître son opinion.

M. Rapkowski : Pour tout dire, je ne crois pas que CBC/Radio-Canada ait traité les longs métrages comme une catégorie distincte, car elle a déjà suffisamment à faire. Elle tente de passer au travers des compressions budgétaires et de la perte de Hockey Night in Canada. Elle ne considère pas comme prioritaire de déterminer combien elle devrait consacrer aux émissions télévisées canadiennes par rapport aux longs métrages canadiens.

J'aimerais beaucoup connaître son opinion là-dessus, mais je ne crois pas qu'elle ait abordé expressément cette question. Encore une fois, tous les diffuseurs qui sont assujettis à des conditions de licence souhaitent avoir le plus de marge de manœuvre possible. Il est naturel qu'on ne veuille pas imposer de restrictions quant à ce que peuvent faire la direction et les entreprises de programmation. Cela ne veut pas dire qu'ils n'utiliseront pas ces conditions et qu'ils ne diffuseront pas des films canadiens. Ils sont libres de le faire. Il n'y a aucune restriction en ce qui concerne les longs métrages canadiens. Je crois qu'ils veulent avoir le plus de latitude possible. Je propose qu'on leur donne un peu moins de latitude, sans toutefois leur imposer trop de restrictions; nous tenons à souligner que les films canadiens sont des projets qui sont appuyés par divers ordres de gouvernement, par l'entremise de Téléfilm Canada et de divers programmes de crédit d'impôt. Il faut boucler la boucle et prévoir un endroit où les gens pourront voir les films, et j'estime que CBC/Radio-Canada, notre diffuseur national, est vraiment l'endroit idéal pour le faire.

[Français]

La sénatrice Verner : Je suis une sénatrice du Québec. À moins d'avoir habité la planète Mars au cours de la dernière année, je ne peux pas voir quel Québécois n'a pas entendu parler de Xavier Dolan et de son film, Mommy. Malgré l'environnement culturel, au Québec, qui est très différent, qu'il y ait moins de compétition et que le Québec soit plus restreint comme marché, il est vrai que ce sont de beaux succès. Vous avez raison d'en parler.

Plusieurs de mes questions ont été posées par mes collègues. Cependant, je vais vous interroger sur l'intervention que vous avez faite, le 19 septembre 2014, dans le cadre des audiences du CRTC intitulées « Parlons télé : une conversation avec les Canadiens ».

Vous y avez dit, entre autres, que vous souhaitiez qu'il soit plus facile de diversifier la programmation en fonction d'auditoires spécialisés et mal desservis, et aussi en fonction de grands auditoires.

Lorsque vous parlez d'« auditoires spécialisés et mal desservis », qu'est-ce que vous avez en tête?

M. Rapkowski : Je vais répondre en anglais.

[Traduction]

L'auditoire se fragmente et devient de plus en plus axé sur des créneaux. L'époque des trois chaînes où tout le monde regardait les mêmes choses est révolue. Certains mettent l'accent sur un type de contenu très précis. Qui plus est, il y a des communautés canadiennes qui sont à la recherche de type de contenu précis. Les Canadiens des régions rurales sont probablement sous représentés dans nos médias. Ce serait bien de tisser des liens entre eux et le reste du pays en diffusant des histoires les concernant. J'ai déjà mentionné les Premières Nations. Il y a du contenu pour elles sur l'Aboriginal Peoples Television Network, mais il n'y a pas beaucoup d'habitants des villes qui consomment ce contenu. Si vous en faites une nouvelle nationale en la diffusant sur CBC/Radio-Canada, je crois que vous constaterez que plus de gens, qui regardent CBC/Radio-Canada pour entendre des histoires canadiennes, seront au fait d'histoires provenant d'autres communautés. Parallèlement, ces collectivités dont les histoires ne sont pas normalement diffusées sur la chaîne nationale en verront davantage, s'identifieront mieux aux autres Canadiens et se sentiront plus proches d'eux.

[Français]

La sénatrice Verner : Pensez-vous que, pour atteindre ces clientèles, il faudra toujours des subventions gouvernementales? Pensez-vous qu'il y a d'autres façons de rejoindre cette clientèle? Non? Il faut surtout passer par des subventions gouvernementales pour ces marchés, je présume?

[Traduction]

M. Rapkowski : Il est difficile de dire que nous pouvons régler tous nos problèmes en investissant des fonds publics. J'en suis conscient. On veut que l'argent soit bien dépensé, et avoir du contenu sur des chaînes que personne ne regarde ne sert aucun intérêt, en particulier lorsqu'il s'agit de fonds publics. Je le comprends bien.

Cependant, dans un milieu très saturé, la seule manière de nous démarquer est d'être à l'aise dans son créneau et de s'y consacrer. Cela ne nécessite pas beaucoup de fonds publics si vous attirez un important auditoire. Vous pouvez en avoir beaucoup pour votre argent en concentrant vos efforts.

Par exemple, si l'on se débarrasse des publicités, comme l'ont proposé bon nombre de gens qui ont témoigné devant la commission, il faudra plus de fonds publics. Encore une fois, c'est une question de point de vue philosophique, à savoir si cela en vaut la peine. Je pourrais vous faire part de mes opinions sur la question, mais je ne suis pas ici pour cela. C'est tout de même un défi. Jouer dans la même cour que les diffuseurs privés et essayer de leur faire concurrence n'a pas porté ses fruits jusqu'à maintenant, et je ne vois pas comment nous pourrions y arriver. Les diffuseurs privés peuvent beaucoup plus rapidement réduire leur main-d'œuvre et réaffecter leurs ressources. Un diffuseur public ne peut pas le faire avec autant de souplesse et n'a pas les ressources pour investir là où il le faut. Il faut mettre l'accent sur ce qu'on peut faire et le faire bien. Je ne sais pas si cela répond entièrement à votre question.

[Français]

La sénatrice Verner : Je pense que ce sera toujours un débat assez large.

Cependant, j'aimerais revenir à ce que le président du comité ainsi qu'un collègue du Québec disaient, à savoir que la performance de Radio-Canada est nettement différente de celle de la CBC. Or, les revenus publicitaires sont essentiels à Radio-Canada. Évidemment, la compétition est différente, mais c'est ce qu'on entend. Cela a été répété à maintes reprises par différents groupes et différentes personnes depuis le début des témoignages entendus à notre comité.

Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : En effet. J'ai parfois l'impression que CBC/Radio-Canada est administrée en Belgique, mais c'est une tout autre histoire.

Bien honnêtement, vos commentaires me laissent quelque peu perplexe. D'un côté, vous expliquez pourquoi CBC/ Radio-Canada ne devrait pas faire concurrence aux diffuseurs privés et que leur mandat est totalement différent.

Or, j'essaie de lire entre les lignes lorsque vous nous dites que CBC/Radio-Canada est une importante institution, que nous devons continuer de la financer et que c'est la meilleure vitrine pour les films et la culture canadienne. D'entrée de jeu, vous devriez crier haut et fort pour demander à la direction de CBC/Radio-Canada d'arrêter de faire concurrence aux diffuseurs privés. Je suis d'accord avec vous. Nous n'avons aucune raison de faire concurrence aux diffuseurs privés au Canada. Les mandats sont radicalement différents. Ce que nous demandons depuis des années à CBC/Radio-Canada de faire, c'est de promouvoir la culture et le contenu canadiens et d'informer les Canadiens, n'est-ce pas?

M. Rapkowski : Tout à fait.

Le sénateur Housakos : Votre industrie est fondamentale en ce sens. Elle est censée être au centre de ce dont CBC/ Radio-Canada devrait faire la promotion : les artistes canadiens, la culture canadienne, les réalisateurs canadiens et les documentaires canadiens. En tant que membre du gouvernement, je crois que nous devrions investir beaucoup plus dans la culture canadienne. À mon avis, nous devons faire preuve d'une grande vigilance, étant donné que nos voisins américains ont une machine culturelle très puissante. Comme mes collègues du Québec l'ont dit, le Canada anglais et le Québec ont des contextes très différents. Le Québec a l'avantage d'avoir moins de concurrence dans son milieu culturel que le Canada anglais. Évidemment, les Québécois consomment et achètent tout ce qui est produit au Québec, parce que leurs options sont très limitées. Au Canada anglais, votre industrie doit être deux ou trois fois meilleure, parce que vous êtes en concurrence avec la crème de la crème.

Voici ma première question. En plus des 100 millions de dollars par année que reçoit l'Office national du film et des 370 millions de dollars qu'investit le Fonds des médias du Canada — dont les trois quarts sont remis à CBC/Radio-Canada —, que diriez-vous d'avoir 4 ou 5 millions de dollars de plus pour les producteurs canadiens de films et de contenu canadiens? Cela aurait-il une incidence sur votre industrie?

M. Rapkowski : L'augmentation des fonds disponibles a toujours une incidence, mais une grande partie des fonds provenant du gouvernement vont actuellement à la production de contenu et ne sert pas à conquérir un auditoire et à rendre disponibles les films. J'avoue qu'on pourrait investir plus de fonds. Les budgets augmenteraient, et la qualité serait peut-être meilleure, parce que certains auteurs talentueux qui ne font peut-être pas autant d'argent ici qu'aux États-Unis décideraient peut-être de rester au pays, étant donné que ce serait plus lucratif pour eux. Les budgets seraient peut-être plus élevés, et nous serions peut-être en mesure d'avoir des productions de plus grande envergure et du contenu qui attirerait des auditoires plus jeunes, friands d'effets spéciaux. Bref, on pourrait investir plus d'argent dans l'industrie de la production, mais je répète qu'il est important d'avoir un endroit pour faire croître notre auditoire. Comme je l'ai dit, il y a une boucle de rétroaction positive. On veut que les gens commencent à reconnaître les vedettes canadiennes. On veut que le public commence à reconnaître les mérites des vedettes et des histoires canadiennes. Les gens en redemanderont lorsqu'ils se rendront compte qu'un tel contenu existe, mais il faut que ce contenu soit disponible.

Le sénateur Housakos : Vous avez mis le doigt sur le nœud du problème en disant que nous avons beaucoup de contenu, mais que nous n'avons aucun endroit pour le diffuser. Est-ce bien ce que vous nous dites?

M. Rapkowski : Il est très difficile de se tailler une place parmi tout le contenu américain qui entre au Canada.

Le sénateur Housakos : Selon ce que vous avez dit, vous ne serez donc certainement pas plus en mesure de vous tailler une place, même si nous investissons davantage dans CBC/Radio-Canada, parce que le diffuseur public présente actuellement une tonne de contenu canadien que personne ne regarde, étant donné qu'il est évidemment en concurrence directe avec des productions américaines que présentent des diffuseurs privés. Croyez-vous que la solution serait que le CRTC réglemente davantage les diffuseurs privés pour les forcer à offrir plus de contenu canadien? Ne serait-ce pas là une meilleure solution ou une solution plus naturelle, si je comprends bien votre argument?

M. Rapkowski : Eh bien, je ne sais pas si la solution est nécessairement de réglementer davantage les diffuseurs privés. Encore une fois, je ne parle peut-être pas au nom de tous les membres de l'ACDEF; je dois donc faire attention à ce que je dis. Les diffuseurs privés sont en concurrence avec des entreprises comme Netflix au sud de la frontière et de nouvelles formes de services par contournement qui ne sont pas obligées d'offrir de contenu canadien. Ils ont déjà de la difficulté à essayer de faire concurrence à ces types de services. D'après moi, si nous exigeons dans la réglementation que les diffuseurs privés offrent plus de contenu qui n'est pas aussi populaire que le contenu américain, cela leur fera mal.

Ce qu'il faut, c'est de trouver un créneau pour faire comprendre aux gens qu'il y a un endroit pour écouter du contenu canadien de qualité et qu'il y a un endroit pour ce faire. Je ne pense pas que les consommateurs canadiens voient actuellement CBC/Radio-Canada comme l'endroit où aller pour regarder de grands films canadiens. Je ne le crois pas. Je pense que les gens considèrent CBC/Radio-Canada comme l'ancien diffuseur de Hockey Night in Canada et la chaîne pour les nouvelles nationales et peut-être certains bulletins de nouvelles régionales. Ce n'est pas l'endroit où trouver du contenu canadien de qualité.

Le sénateur Housakos : Si vous me permettez de vous interrompre, c'est exactement là où je veux en venir. Ce que j'essaie de faire valoir lorsque je parle des 400 millions de dollars, c'est que nous donnons actuellement à CBC/Radio-Canada près de 1 milliard de dollars par année. Selon l'information que le diffuseur public nous a remise jusqu'à maintenant, de 35 à 40 p. 100 du budget sert à la production de nouvelles et de bulletins de nouvelles locales, nationales, et cetera. L'argument que je fais valoir depuis longtemps et que d'autres ont aussi fait valoir au comité, c'est que la présentation de bulletins de nouvelles par le diffuseur public et la concurrence avec d'autres chaînes pour ce qui est des nouvelles ne correspondent pas nécessairement au mandat qui est d'offrir du contenu canadien et de faire la promotion de la culture canadienne.

J'aimerais revenir sur l'argument que j'ai fait valoir, à savoir que CBC/Radio-Canada doit complètement se restructurer. Lorsque les gens veulent voir Canadiana ou la mosaïque culturelle canadienne, ils savent qu'ils iront à cet endroit, et ils ne regardent pas les bulletins de nouvelles locales à CBC, comme ils le font pour trois ou quatre autres chaînes, ou à Radio-Canada, alors qu'ils peuvent le faire sur une ou deux autres chaînes. Ils regardent des documentaires, des films et des productions canadiennes.

Voici en en gros ma question. En ce qui concerne le 1 milliard de dollars affectés à CBC/Radio-Canada et le pourcentage élevé de ces fonds qui servent actuellement à la production de nouvelles, croyez-vous qu'il s'agit d'une utilisation adéquate des fonds en vue de promouvoir la culture canadienne? Devrions-nous restructurer CBC/Radio-Canada? Je ne dis pas qu'il faut mettre la clé sous la porte. Je ne dis pas qu'il ne faut pas donner de fonds à notre diffuseur national. J'ai un collègue qui croit que la solution est de faire un chèque maintenant qu'il est dans l'opposition. Je suis d'accord pour faire un chèque, mais il faut d'abord me convaincre que le modèle est amélioré, réorganisé et restructuré et qu'il permet de remplir adéquatement le mandat du diffuseur public. Ensuite, on pourra parler d'affecter quelques centaines de millions de dollars de plus.

M. Rapkowski : Mon champ d'expertise n'est pas les nouvelles. J'ai clairement dit que, d'après moi, le diffuseur public ne devrait pas mettre l'accent sur des domaines dans lesquels les diffuseurs privés accomplissent déjà un excellent travail et offrent un très bon service aux Canadiens. Les diffuseurs privés mettent-ils l'accent sur d'importants types de journalisme, le journalisme d'enquête, les histoires internationales complexes et les histoires qui peuvent parler du Canada sur la scène internationale et de son rôle dans le monde? Je ne sais pas si les diffuseurs privés le font aussi efficacement que le diffuseur public; en ce sens, il y a peut-être place à plus d'investissements dans les nouvelles canadiennes à CBC/Radio-Canada.

Je répète que je suis dans le milieu cinématographique. Donc, je ne suis pas aussi apte à répondre à vos questions sur les nouvelles. Je l'ai déjà dit et je continue de le marteler. Il ne faut pas essayer de faire concurrence à CTV ou à Global et essayer de toucher à tout. La mission de CBC/Radio-Canada est notamment d'informer, et je suis persuadé que CBC/Radio-Canada a un rôle qui va au-delà du divertissement, de l'information et de la promotion de films, d'artistes et de musique et est plus qu'un programme culturel. Je suis d'avis que le diffuseur public a le rôle d'informer les Canadiens, mais je rappelle qu'il faut le faire en mettant l'accent sur un créneau mal desservi que les diffuseurs privés ne veulent pas exploiter. Cela peut s'expliquer par l'influence d'actionnaires et de grandes entreprises médiatiques, mais il y a des créneaux que les diffuseurs privés ne veulent pas exploiter en vue d'informer le public canadien. Un diffuseur public a peut-être un rôle à jouer en vue d'offrir des services aux Canadiens en fonction du point de vue d'un diffuseur public plutôt que celui d'un diffuseur privé.

Le sénateur Eggleton : Je dois dire que les propos du sénateur Housakos étaient logiques. J'étais d'accord avec lui jusqu'à ce qu'il se mette à parler des nouvelles, mais c'est une tout autre histoire, et ce sera pour un autre jour. J'étais d'accord avec tout ce qu'il avait dit jusqu'à ce point, même l'augmentation des dépenses en culture. Qui l'eût cru!

Devrions-nous être concurrentiels? Oui. C'est l'une des raisons pour lesquelles je parle d'éliminer les publicités. Soit dit en passant, je parle seulement de la chaîne anglaise. Radio-Canada est un service différent qui connaît beaucoup de succès. J'espère que nous n'y toucherons pas. Cette chaîne n'a pas autant de concurrence que CBC. Il y a seulement environ trois chaînes, alors qu'il y en a des centaines du côté anglais, dont beaucoup de chaînes américaines. Je ne sais pas à quel point le CRTC pourrait avoir un certain contrôle sur les chaînes à proximité de la frontière, étant donné que c'est là où vivent la majorité des Canadiens. Les consommateurs canadiens peuvent capter les chaînes de nos voisins américains. Lorsque CBC/Radio-Canada a perdu les publicités provenant de Hockey Night in Canada, il y a eu une grande diminution. Or, le diffuseur public a tout de même encore beaucoup de dépenses. Je crois que leur valeur est discutable. Cela vaut pour CBC et non Radio-Canada. Je ne toucherais pas au diffuseur francophone. De toute façon, c'est peut-être ambitieux à court terme.

J'aimerais discuter avec vous des services par contournement. Vous avez brièvement parlé des services comme Netflix. Le CRTC a décidé de se laver les mains de la tentative de réglementation d'Internet ou d'une plateforme qu'il ne semblait pas arriver à comprendre. Or, ces fournisseurs de services occupent une place importante dans les systèmes de diffusion de divertissements culturels aux Canadiens. Le CRTC devrait-il réglementer les services par contournement offerts sur Internet quant au contenu culturel?

M. Rapkowski : C'est une question complexe à laquelle je n'ai pas de réponse. Il y a beaucoup de points de vue différents sur la question. C'est une question difficile. Il y a bon nombre de raisons pour ne pas réglementer Internet. Cependant, lorsque cela devient une activité commerciale qui fait concurrence à une industrie réglementée, la situation devient très difficile lorsqu'il n'est pas possible de mettre tous les joueurs sur le même pied d'égalité. Nous mettons ainsi des bâtons dans les roues des diffuseurs privés et nous les rendons susceptibles de perdre des parts de marché au profit de joueurs qui ne sont pas réglementés, mais j'avoue que ce serait nous engager sur une pente glissante que de réglementer Internet. J'aurais aimé qu'il y ait une réponse facile à votre question. Il y a de très bons arguments des deux côtés. Je peux me lever un matin et me dire que ce serait une bonne idée et penser le contraire le lendemain. Je n'ai pas de réponse pertinente à vous donner.

Le sénateur Eggleton : Je n'ai pas non plus de réponse.

M. Rapkowski : C'est une question difficile.

Le sénateur Eggleton : Je suis d'accord.

Le président : Chers collègues, comme vous le savez, certains membres du comité se rendront la semaine prochaine au Royaume-Uni pour examiner le fonctionnement de la BBC et le contexte dans lequel se trouve ce diffuseur. À notre retour, le comité accueillera des représentants de la haute direction de CBC/Radio-Canada.

[Français]

Monsieur Rapkowski, merci beaucoup de votre présentation. Nous sommes tous mieux informés que nous l'étions au début. Merci.

(La séance est levée.)


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