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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 39 - Témoignages du 14 février 2018


OTTAWA, le mercredi 14 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 16, pour son étude sur l’impact et l’utilisation de la culture et des arts sur la politique étrangère et la diplomatie et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a eu l’autorisation du Sénat d’étudier l’impact et l’utilisation de la culture et des arts sur la politique étrangère et la diplomatie, et d’autres questions connexes.

En vertu de ce mandat, le comité entendra aujourd’hui des témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence et en personne. Avant de commencer, j’inviterais les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

Le sénateur Dawson : Sénateur Dennis Dawson, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Et je suis Raynell Andreychuk, présidente, de la Saskatchewan.

Je suis très heureuse d’accueillir aujourd’hui, en personne, Greg Hill, conservateur principal Audain de l’art indigène au Musée des beaux-arts du Canada. Également en personne, nous avons Mme Kerry Swanson, présidente du Conseil d’administration du festival du film et des arts médiatiques imagineNATIVE. Et par vidéoconférence, nous recevons M. Clayton Windatt; j’espère que vous m’entendez bien et que la technologie fonctionne. M. Windatt est directeur exécutif du Collectif des commissaires autochtones.

Monsieur Windatt, m’entendez-vous?

Clayton Windatt, directeur exécutif, Collectif des commissaires autochtones : Absolument.

La présidente : Nous allons commencer par vous, puisque nous avons déjà eu des pépins avec le système de vidéoconférence. Je veux en profiter pendant que tout fonctionne.

Je sais que nous vous avons demandé de nous présenter un exposé. Vous avez entre cinq et six minutes; j’espère que ce sera suffisant. Tout complément d’information pourra être transmis au comité. Les sénateurs aiment bien pouvoir poser des questions sur des points précis qui les préoccupent ou les intéressent.

À tous les trois, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du comité. Merci d’avoir accepté notre invitation.

Monsieur Windatt, vous allez briser la glace.

M. Windatt : Merci beaucoup de m’avoir invité. Je m’appelle Clayton Windatt et je suis directeur exécutif du Collectif des commissaires autochtones, un organisme national au service des arts, voué aux artistes, aux conservateurs et aux travailleurs culturels et artistiques autochtones.

L’organisme, qui a vu le jour il y a un peu plus de 12 ans, est présent à l’échelle du pays et a principalement pour mandat de faire la promotion, par divers moyens, d’une meilleure infrastructure pour l’exposition de l’art autochtone auprès des grandes institutions artistiques, et d’un plus grand droit de regard des conservateurs autochtones sur la façon dont leur culture est représentée.

C’est un réel honneur pour moi de prendre part à votre étude. Je vous renvoie au mémoire que nous vous avons remis, qui aborde un large éventail de considérations relatives à l’infrastructure artistique nationale. De nombreux intervenants ont participé à la préparation de ce mémoire et ont permis de colliger les renseignements qui y sont présentés; nous avons pu compter sur la participation active du conseil d’administration du Collectif des commissaires autochtones, composé de 10 artistes et conservateurs autochtones des quatre coins du Canada, et les membres du collectif ont agi à titre de consultants.

Nous nous sommes penchés sur les changements importants qui se sont opérés au Canada en général, surtout au cours des 10 à 25 dernières années. Soulignons d’abord que la quasi-totalité des institutions artistiques mises en place par le gouvernement du Canada sont le fruit de la commission Massey, qui date de 1949. Comme aucun autre grand projet de recherche et développement axé sur la culture n’a été mené depuis, l’infrastructure artistique du Canada est quelque peu désuète et repose sur bien des réalités bureaucratiques qui, disons, ont mal vieilli.

Quant à nos recommandations, nous avons d’emblée déclaré que le droit de revente de l’artiste doit être inscrit dans la loi et inclus de manière explicite dans les accords commerciaux, afin que les artistes canadiens puissent percevoir des redevances à l’étranger. C’est une mesure que Le front des artistes canadiens réclame depuis un bon moment. Nous avons seulement cru bon attirer l’attention sur cette question, surtout parce que des mesures pourraient être prises rapidement, car le cadre nécessaire à leur mise en œuvre existe déjà.

Nous pensons entre autres que le Canada doit adopter une vision globale vouée à la contribution des arts, de la culture et du patrimoine à notre société. Pour que le gouvernement du Canada perçoive ce secteur comme une véritable industrie, peut-être qu’il faudrait instaurer des normes d’emploi dans l’ensemble des institutions artistiques, qu’il s’agisse de grands établissements à but lucratif bénéficiant d’une large clientèle, comme le Centre national des Arts, ou des petites organisations sans but lucratif qui dépendent des subventions municipales, provinciales et fédérales. Il s’agirait ensuite de définir ces conditions d’emploi pour que Statistique Canada, par exemple, soit en mesure de faire le suivi des données et d’illustrer le rôle que joue la culture pour l’économie.

Nous abordons ensuite la question du pluralisme culturel. Les statistiques actuelles montrent que les membres des minorités visibles et les personnes d’identité autochtone représentent plus de 20 p. 100 de la population canadienne.

Or, on commence à peine à reconnaître la nécessité d’inclure des ressources culturelles précises à l’infrastructure artistique. Par exemple, le Conseil des arts du Canada a créé le programme Créer, connaître et partager, que j’applaudis chaleureusement. Aujourd’hui, le tiers de la population ne correspond pas au Caucasien typique, et les cadres vieux de 50 ans ne sont pas adaptés à cette nouvelle réalité. D’autres secteurs du gouvernement, comme Patrimoine canadien, ont déjà pris des mesures en conséquence, ce qui ajoute à l’urgence d’agir.

Cela m’amène aux modèles de gouvernance partagée, que quelques grandes institutions canadiennes ont adoptés depuis peu, le processus de mise en œuvre étant tout juste entamé. Les conseils d’administration et les équipes de gestion reflètent un peu mieux le pluralisme culturel du Canada, mais il faudra prendre des mesures concrètes afin d’encourager ces grandes institutions à mettre en place un effectif pleinement représentatif de notre pluralisme culturel.

Finalement, le point de mire du Collectif des commissaires autochtones sont les droits culturels autochtones. Nous tenons à remercier le gouvernement du Canada d’avoir signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous espérons que le Canada, plutôt que de se contenter d’accepter ces mesures, puisse faire pression pour que ce document fasse partie intégrante du droit international, notamment l’article 31, qui prévoit que les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler et de développer leurs expressions culturelles. Le Canada pourrait devenir la figure de proue d’une telle initiative sur la scène internationale.

La souveraineté autochtone fera partie de la nouvelle approche canadienne face à notre propre population, mais aussi face aux marchés mondiaux. À l’heure actuelle, nous mettons l’accent sur l’inclusion de la culture autochtone aux institutions en place, telles que le Musée des beaux-arts du Canada, que Greg représente aujourd’hui. Il sera aussi très important de créer des institutions à vocation précise, et de mieux soutenir les structures autochtones actuelles.

Je vous ai fourni beaucoup de renseignements, et mon organisme est prêt à répondre à toute question qui aidera le Sénat à faire avancer les choses.

La présidente : Je vous remercie de nous avoir fourni votre mémoire et de nous donner la possibilité de communiquer avec vous au besoin.

Je dois dire à tous nos témoins que nous avons leurs biographies, mais puisque le temps est limité, nous les avons fait circuler, et nous ne les consignons pas, mais nous les présentons ici. Nous connaissons votre parcours. Ce n’est pas que ce n’est pas important; nous connaissons bien l’information, car nous avons les biographies et nous voulons discuter avec vous.

Merci, monsieur Windatt. C’est maintenant au tour de M. Greg Hill.

Greg A. Hill, conservateur principal Audain de l'art indigène, Musée des beaux-arts du Canada : Je voulais mentionner qu’en plus d’être conservateur au Musée des beaux-arts du Canada, je suis un Mohawk — Kanien’kehaka — membre des Six Nations de la rivière Grand, et Canadien français. Mon père est un Mohawk; ma mère est Canadienne française. Je suis le premier conservateur autochtone du Musée des beaux-arts du Canada. Cela fait presque 18 ans que j’y travaille et il y a eu beaucoup de changements au cours de cette période. Je vais simplement parler d’une partie d’entre eux.

Dans une ère de mondialisation croissante, comment le Canada se démarque-t-il dans le monde? En plus de la pluralité culturelle résultant de l’immigration qui le caractérise, le Canada compte des populations d’Autochtones dont les langues et la culture ne se trouvent nulle part ailleurs que sur ces terres, ce qui en fait un endroit unique dans le monde.

À une époque où les échanges s’intensifient, il est important de ne pas l’oublier. Il est possible de réduire le risque que l’homogénéisation des cultures entraîne la perte de la spécificité culturelle si l’on soutient et renforce ce qui fait du Canada un endroit unique au monde.

C’est ce qui se produit dans les arts visuels, avec la multitude d’expositions d’art internationales dans le monde — les nombreuses expositions qui ont lieu dans le cadre de centaines de biennales et de triennales qui sont essentielles pour promouvoir un type d’art qui met en lumière la différence culturelle pour un vocabulaire visuel universel.

La façon dont le Canada fonctionnait auparavant et la façon dont il peut fonctionner maintenant pour soutenir les peuples et les cultures autochtones envoie un message clair dans le monde. Je crois qu’en ce qui concerne l’art autochtone, la diplomatie culturelle peut servir à communiquer non seulement ce message, qui rend le Canada unique dans le monde, mais également le message que le Canada est une nation accueillante qui respecte les droits des individus de partout de vivre librement et de se définir — en tant que personne, membre d’un groupe ou membre d’une nation.

Comment peut-on le faire?

Je vais parler de quelques projets qui sont en cours au Musée des beaux-arts du Canada et de quelques idées dont nous pourrions discuter en profondeur.

Nous travaillons actuellement à la prochaine exposition récurrente qui sera présentée au Musée des beaux-arts du Canada, un vaste événement consacré à l’art contemporain autochtone. Il y a des Autochtones partout dans le monde. Nous avons préparé une exposition qui présentera des œuvres d’artistes autochtones de partout, et nous invitons les gens à venir au Canada pour la voir.

Cette première exposition a été présentée en 2013. Elle s’appelait « Sakahan ». C’est un mot algonquin qui signifie « déclencher quelque chose », de sorte que puisque nous nous trouvons sur terres algonquines, nous avons privilégié l’utilisation d’un nom en algonquin pour l’exposition et l’exposition récurrente.

La prochaine mouture de cette exposition, dans ce modèle sur cinq ans, sera présentée à l’automne 2019; s’il vous plaît, veuillez en tenir compte.

Je pense que cela contribue, entre autres, à l’atteinte de l’objectif d’établir le Musée des beaux-arts du Canada en tant que centre d’étude et de promotion de l’art autochtone. Cette exposition est unique au monde, et j’espère que vous aurez l’occasion de le constater vous-mêmes en novembre 2019.

De plus, en 2017, le Musée des beaux-arts du Canada a donné un nouveau nom aux salles d’art canadien où est exposée la collection permanente qui raconte au monde l’histoire des arts visuels au Canada. Elles ont été rebaptisées « salles d’art canadien et autochtone ».

On y fait une très grande place à l’art autochtone — de l’art autochtone qui remonte à des milliers d’années, soit avant même que le Canada existe, à celui d’aujourd’hui — pour communiquer non seulement l’idée que cette histoire de l’art autochtone fait partie de l’histoire des arts visuels au Canada, mais aussi le fait que le Canada compte toujours des artistes autochtones qui maintiennent ce lien avec les traditions culturelles du passé et les présentent aujourd’hui.

De plus, la quatrième édition de la Biennale canadienne est en cours au Musée des beaux-arts du Canada. Cet événement a lieu tous les deux ans. On y présente une sélection d’œuvres acquises au cours des deux dernières années et on en fait une exposition pour le public. Il s’agit en quelque sorte d’un modèle de transparence, mais il s’agit aussi de présenter une grande exposition et de montrer au public ce que le musée a acquis pour ses prochaines collections.

La Biennale canadienne a toujours inclus des œuvres d’artistes autochtones et il en sera de même dans l’avenir. Il s’agit maintenant d’une occasion d’exposer non seulement des œuvres d’artistes canadiens qui ont été acquises au cours des deux années précédentes, mais aussi des œuvres d’artistes étrangers. Même si le mandat de la Biennale a été élargi, je dirais qu’on inclut encore davantage d’œuvres d’art autochtones.

Comme vous le savez peut-être, le Musée des beaux-arts du Canada participe grandement à la production et à la présentation d’art canadien à la Biennale de Venise. Cette année, l’artiste qui a été sélectionné est Zacharius Kunuk, d’Isuma, une maison de production vidéo. L’équipe de Zacharius Kunuk et Norm Cohn a été choisie, et c’est la première fois qu’un artiste inuit est sélectionné pour la Biennale de Venise.

De grandes choses se passent, et j’aimerais lancer des idées dont nous pourrions discuter.

Il est important de soutenir davantage les projets qui sont lancés dans le monde et qui font la promotion de l’art autochtone du Canada. J’ai parlé de « Sakahan » et de certaines autres expositions. Je crois qu’il faut appuyer davantage le travail du Conseil des arts du Canada et les initiatives qu’il prend pour créer un réseau mondial de conservateurs autochtones. De l’excellent travail a produit de grands résultats pour le Canada quant à la mise sur pied de ces réseaux internationaux, et il y a des expositions et des résidences d’artistes dans différents pays.

Cela nécessite un soutien continu, tout comme c’est le cas pour la collection unique d’art autochtone qui se trouve au ministère des Affaires autochtones et du Nord. C’est vraiment un joyau au sein du gouvernement fédéral, une collection qu’on a commencée dans les années 1960 et qu’on a continuée jusqu’à aujourd’hui. Le Canada pourrait l’utiliser sur le plan diplomatique pour promouvoir l’art autochtone à l’étranger.

Enfin, et j’insiste là-dessus, cela recoupe ce que Clayton a mentionné plus tôt au sujet de la souveraineté autochtone. Il est nécessaire de créer un centre culturel autochtone dirigé par les autochtones qui appuie les nombreuses cultures autochtones sur ces terres.

Dans le contexte d’une diplomatie culturelle, un centre comme celui-là pourrait servir d’ambassade autochtone en quelque sorte; on diffuserait alors un message d’inclusion et de diversité selon lequel le Canada peut être cet endroit.

La présidente : Merci. C’est maintenant au tour de Mme Swanson.

Kerry Swanson, présidente, conseil d’administration, imagineNATIVE Film + Media Arts Festival : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invitée. Je me présente. Je m’appelle Kerry Swanson, présidente du conseil d’administration d’imagineNATIVE et consultante indépendante à Toronto. Je viens du Nord de l’Ontario, et du côté de mon père, ma famille est membre de la Première Nation des Cris de Chapleau et de la Première Nation de Michipicoten. Ma longue histoire avec imagineNATIVE a commencé en 2004. J’ai aussi été directrice du festival.

ImagineNATIVE en est maintenant à sa 19e année. Il s’agit du plus grand festival de films et d’arts médiatiques autochtones au monde. Nous présentons chaque année des œuvres d’artistes autochtones du Canada et d’ailleurs dans le cadre de notre festival, à Toronto, et tout au long de l’année dans une foule de tournées et de programmes de partenariat, dont bon nombre sont internationaux.

Nous visons l’excellence et l’innovation. Il s’agit d’un organisme de bienfaisance enregistré dont la mission est de faire mieux connaître la diversité des perspectives autochtones.

Je vais vous parler de notre travail à l’échelle internationale, en espérant vous inspirer et vous informer sur ce qui se passe dans la collectivité.

Depuis le tout début, imagineNATIVE promeut le recours à une diplomatie culturelle du point de vue des Autochtones. La collectivité autochtone est fondamentalement une collectivité internationale ayant en commun des histoires coloniales, des visions du monde et des connaissances qui créent des liens sociaux. L’organisme imagineNATIVE a participé à la mise en valeur du potentiel de ces liens pour l’établissement d’un cadre mondial pour les contenus produits par des Autochtones et la création d’un réseau de créateurs et de distributeurs autochtones à l’échelle mondiale.

Par l’intermédiaire d’imagineNATIVE, le Canada est au centre d’un réseau international de créateurs, producteurs et donateurs autochtones qui font de la coproduction, collaborent à la présentation d’œuvres, mettent en commun leurs connaissances et se soutiennent les uns les autres au-delà des frontières.

Du fait du succès de ses structures organisationnelles et de ses pratiques exemplaires, imagineNATIVE appuie la création de deux nouveaux festivals du film autochtone en Australie et en Nouvelle-Zélande, de même que la création d’un réseau de festivals du film autochtone international.

Nous sommes le principal fournisseur de contenu autochtone aux festivals du film dans le monde, ce qui fait en sorte que le Canada a d’énormes possibilités sur la scène internationale.

L’un des plus importants partenariats internationaux d’imagineNATIVE, c’est celui qu’il a établi avec le Festival international du film de Berlin, qu’on appelle aussi la Berlinale. Ce partenariat dure depuis plus d’une décennie. L’organisme imagineNATIVE a joué un rôle clé dans la création d’une vitrine bisannuelle pour les Autochtones tous les deux ans à la Berlinale permettant aux cinéastes autochtones de partout dans le monde de présenter leurs films à l’un des plus importants festivals du film dans le monde.

En outre, imagineNATIVE participe tous les ans au Marché du film européen, où il fait la promotion de contenus canadiens autochtones dans l’un des plus grands marchés du film au monde. Nous présentons le programme annuel Reel Kanata, en partenariat avec l’ambassade du Canada à Berlin, qui en est à sa sixième année.

C’est un très bon exemple de ce qu’imagineNATIVE pourrait accomplir avec d’autres pays pour renforcer davantage son approche autochtone en matière de diplomatie culturelle. C’est déjà en cours. Il y a un mois à peine, notre directeur général s’est rendu à Helsinki, où il a présenté un programme de courts métrages autochtones. L’événement était organisé par l’ambassadrice canadienne en Finlande et permettait de voir le travail de collaboration entre des Lapons et des Autochtones canadiens.

Voilà quelques exemples de ce que nous accomplissons sur la scène internationale. Au cours des 18 dernières années, nous avons présenté des films et des vidéos de Premières Nations, de Métis et d’Inuits au Brésil, en Argentine, au Chili, au Népal, à Taïwan, en Suisse, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne, en Scandinavie, en Russie et ailleurs. Cependant, mis à part le Conseil des arts du Canada, il existe peu de sources de financement pour les présentations et les échanges internationaux. Auparavant, imagineNATIVE avait accès au programme Routes commerciales, qui permettait d’amener des acquéreurs et des conservateurs sur la scène internationale. La disparition de ce programme a été considérée comme une grande perte. Les ressources limitées que nous avons pour la présentation d’œuvres à l’étranger fait en sorte que nous sommes loin de pouvoir répondre aux demandes que nous recevons d’autre pays.

Lorsque nous avons commencé ce travail il y a presque 20 ans, il existait peu d’occasions de présenter des œuvres autochtones. Nous assistons maintenant à une croissance fulgurante du contenu autochtone et un désir sans précédent de gens de partout dans le monde de voir les perspectives et les talents incroyables des artistes autochtones. Cela ne fera que s’accroître dans un secteur qui croît à une vitesse exponentielle avec des innovations comme la réalité virtuelle et la réalité augmentée, dont imagineNATIVE est déjà un important diffuseur.

À partir des fondations établies par le festival, des gens de différents pays ont eu l’occasion d’en apprendre sur la beauté, la richesse et la complexité du Canada directement du point de vue des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Ils ont appris des choses sur la dure réalité de notre histoire coloniale et des faits actuels, de même que sur l’histoire de nombreuses nations qui s’étend sur des milliers d’années. Ils ont appris que notre identité nationale est plus riche, profonde et ancienne qu’ils ne l’avaient imaginé.

Le sénateur Murray Sinclair a dit que les arts médiatiques constituent un mécanisme essentiel à la réconciliation. Nos propres expériences nous indiquent que c’est vrai. Le cinéma et le contenu numérique permettent de comprendre la vraie histoire du Canada du point de vue des Premières Nations. Ce n’est qu’en tenant compte de cette histoire que nous pouvons, en tant que nation, favoriser la solidarité et la prospérité. Le gouvernement actuel dit qu’il sait que c’est vrai. En prenant un engagement concret au sujet d’un changement générationnel pour les peuples autochtones, le Canada a la possibilité d’être un chef de file sur le plan de la diplomatie culturelle à une époque où c’est plus que jamais nécessaire.

Le processus de réconciliation du Canada pourrait nous placer dans une situation qui nous permettrait d’imaginer un avenir nouveau pour notre pays. Et si nous pouvons rêver d’un avenir commun qui nous inclut tous, cela en dit long sur la santé, la vitalité et le leadership de notre nation, non seulement ici, mais dans le monde.

Si le gouvernement du Canada veut intégrer les perspectives autochtones dans sa politique étrangère internationale de façon sincère, nous sommes prêts. Nous serions ravis de collaborer avec vous à l’élaboration ou au soutien de stratégies qui reconnaissent la valeur des connaissances et des approches autochtones. Merci.

La présidente : Merci. Je vous remercie tous les trois d’avoir présenté vos points de vue. Des sénateurs veulent vous poser des questions. Je vais tout d’abord céder la parole à la sénatrice Bovey.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie tous de votre présence. Monsieur Windatt, je crois que vous avez bien décrit la situation en parlant des changements importants. Je crois honnêtement que les progrès accomplis concernant la représentation des voix des autochtones sur la scène culturelle du Canada ont été très importants ces dernières années. Je suis ravie qu’un artiste inuit représente le Canada à la Biennale de Venise, et, bien entendu, Rebecca Belmore avait cette installation merveilleuse à Venise il y a quelques années.

Évidemment, pour aller plus loin à l’échelle internationale, nous devons avoir une base solide à l’échelle nationale.

Monsieur Windatt, vous avez parlé du droit de revente de l’artiste. Malgré tout le respect que je vous dois, pour que cela se réalise sur la scène internationale, ne faut-il pas que ce droit existe aussi au Canada, de sorte que lorsqu’un collectionneur vend une œuvre qu’il a achetée d’une autre personne, elle obtient une partie de la valeur de revente? Une œuvre peut être achetée à 25 ou 30 $ et être vendue à 35 000 $. Je me demande seulement si on s’attend à ce que cela se produise sur la scène internationale avant que cela n’existe à l’échelle nationale.

M. Windatt : Je répondrais que, dans certains pays, il existe des droits de revente. Le Canada est l’un des pays qui n’en a pas inscrit dans la loi.

Je ne suis certainement pas la personne la mieux placée pour parler du droit de revente pour les artistes. J’ai des connaissances à ce sujet, mais j’invite fortement le Sénat à consulter le Front des artistes canadiens — ou CARFAC — et Mme April Britski, qui mène la charge pour l’adoption d’une loi sur le droit de revente pour les artistes au Canada.

Je pense qu’il s’agit davantage d’un signal. Si nous établissons cela dans notre propre pays, cela nous permet d’en faire la promotion et de l’inclure lors de négociations commerciales. Ainsi, après la signature de ces accords commerciaux, d’autres pays auront aussi des recours pour percevoir des redevances pour les œuvres de nos artistes.

La sénatrice Bovey : Cela m’amène à une question d’ordre général pour M. Hill et Mme Swanson. Je pense qu’il est extrêmement stimulant de voir cette pluralité culturelle. Je suis toutefois préoccupée par le risque de perte des distinctions culturelles, dont vous avez parlé, monsieur Hill.

Pour l’avenir, quelles mesures doit-on prendre, en nous appuyant sur les réalisations des 10 dernières années dont vous avez parlé? Vous avez évoqué la perte du programme Routes commerciales et les répercussions sur la diffusion d’œuvres canadiennes.

Selon vous, quelles recommandations devrions-nous présenter à Affaires mondiales ou au gouvernement du Canada quant à la création des mécanismes nécessaires à l’expression culturelle du Canada? Doit-on de nouveau avoir des attachés culturels partout, ou non? A-t-on besoin d’autres mécanismes pour promouvoir les partenariats? Le programme Routes commerciales doit-il être rétabli? Que recommandez-vous? Voilà ce que nous cherchons à savoir.

Mme Swanson : Nous serions évidemment favorables au rétablissement du programme Routes commerciales, mais il s’agissait d’une très petite enveloppe pour favoriser les échanges. Il nous permettait uniquement d’assurer la participation des programmeurs et des conservateurs au festival, puis ces gens poursuivraient ensuite leurs efforts dans leur collectivité.

Du financement nous permettant d’établir des partenariats et d’entretenir ces relations ne pourrait certainement pas nuire. De telles occasions sont rares, actuellement. Par exemple, nous n’avons personne qui s’occupe exclusivement de l’établissement de partenariats internationaux de ce genre. Ces relations ont simplement été établies spontanément, de façon ponctuelle. Donc, il serait bien d’avoir une stratégie permettant vraiment aux organismes d’investir dans la diffusion des œuvres dans d’autres pays et dans l’établissement de partenariats.

M. Hill : À mon avis, lorsqu’on envisage l’établissement de nouveaux cadres de collaboration avec les peuples autochtones, au sens diplomatique, il conviendrait peut-être de reconnaître d’entrée de jeu qu’on parle de nations au sein d’une nation. La diplomatie culturelle est essentiellement un enjeu entre le Canada et les nombreuses nations qui existent au pays. De ce point de vue, cela revient à reconnaître la souveraineté de diverses nations autochtones au Canada, ce qui nous permet ensuite de progresser, en partenariat. On se trouve ainsi à appuyer considérablement la rhétorique actuelle du gouvernement relativement à l’établissement d’une nouvelle relation ou d’un nouveau partenariat avec les peuples autochtones.

Pour l’avenir, partant du principe de partenariat, des délégués de diverses Premières Nations pourraient faire des présentations conjointes avec le Canada, par l’intermédiaire des Affaires étrangères, ce qui renforcerait l’idée de l’établissement de nouvelles relations entre le Canada et les peuples autochtones du Canada.

La sénatrice Bovey : Je pense que beaucoup d’autres veulent poser des questions; je vais donc m’arrêter pour le moment.

La présidente : Je vais inscrire votre nom pour le deuxième tour.

La sénatrice Bovey : Oui, je vous en prie.

Le sénateur Dawson : Je vais poursuivre sur le sujet de la revente. Si les murs de cette salle pouvaient parler, considérant la qualité des œuvres qu’on y trouve, la valeur qu’elles ont acquise... Elles sont là depuis longtemps, et elles ne seront certainement pas revendues. Toutefois, si c’était le cas, les artistes ne retireraient rien de l’augmentation de la valeur de leur œuvre.

Si l’objectif est de promouvoir les arts du Canada en général et, en particulier ce qui se trouve dans cette salle, dans votre cas, nous devons protéger la valeur de revente. Nous devons veiller à ce que vous obteniez un pourcentage. Je suis convaincu que cela ne s’applique pas seulement à l’échelle internationale — je suis d’accord avec vous là-dessus —, mais pour quelles raisons devrions-nous en faire la promotion si vous n’obtenez pas votre juste part de cette valeur?

Je pense que cela devrait faire partie de vos priorités, monsieur Windatt. Même si cela s’écarte légèrement de votre mandat, si nous voulons promouvoir une présence canadienne sur la scène internationale, nous devrions en protéger la valeur. J’aimerais avoir vos commentaires à tous les trois sur la valeur de revente et sur ce que nous pouvons faire pour la protéger.

Mme Swanson : Prenons l’exemple de l’Union européenne, où cela existe déjà. Les artistes canadiens sont déjà perdants parce que lorsque leurs œuvres sont revendues dans des pays de l'Union européenne, ils ne peuvent obtenir des droits de suite, même dans des pays où la loi exige le versement de redevances aux artistes lors de la revente de leurs œuvres. De tels modèles existent aussi ailleurs. Clayton pourrait ajouter quelque chose à cela, car il connaît mieux ce domaine que moi.

M. Windatt : Je réfléchis à des cas de revente importants qui se sont produits au Canada, pour vous donner un exemple. Je pense au tableau de Tony Urquhart, The Earth Returns to Life, un des exemples utilisés par le Front des artistes canadiens, dont le prix initial était de 250 $ et qui a été récemment revendu au prix de 10 000 $. Avec un taux effectif de 5 p. 100 applicables à la revente, l’artiste n’aurait reçu qu’un montant supplémentaire de 375 $, ce qui est tout de même supérieur au prix de vente initial de l’œuvre.

La question est donc de maintenir certaines normes quant à la valeur de l’art. Je sais qu’il existe une multitude d’opinions sur l’approche adoptée à cet égard au Canada, car les gens estiment que cela aura, en fin de compte, une incidence sur le prix des œuvres, ce qui sera le cas, mais comme Kerry l’a indiqué, beaucoup de pays ont déjà agi en ce sens. À moins que le Canada n’emboîte le pas, nous n’aurons personnellement aucun recours pour suivre la situation, ici comme ailleurs.

Je pense que c’est une question de valorisation de nous-mêmes, ce qui se rapporte essentiellement à la valorisation de nos artistes. J’espère que c’est ce que vous retiendrez de mes observations sur les droits de revente pour les artistes. Si nous réclamons une surveillance, une évaluation et une prise en compte d’une multitude d’aspects liés aux arts, à la culture et au patrimoine, c’est parce que nous accordons à tous ces aspects une grande valeur et que nous voulons qu’il en soit ainsi pour tout le monde.

Le sénateur Dawson : Je pense qu’il s’agit là d’un excellent exemple d’une recommandation que nous pourrions faire, mais qui ne fait pas partie du mandat des Affaires étrangères. Cela dit, il est évidemment dans l’intérêt des Canadiens que nous envoyions un message sans équivoque dans notre rapport sur la valeur de revente. Je répète que cette salle est un excellent exemple à cet égard.

Je suis certain que si vous alliez dans diverses ambassades canadiennes partout dans le monde, vous verriez des œuvres d’art de grande valeur. Si ces œuvres étaient revendues, vous ne recevriez aucun pourcentage de cette appréciation fort décente.

Le sénateur Oh : Quel est votre budget annuel destiné à la promotion des arts à l’échelle locale, nationale et internationale?

Mme Swanson : Le Conseil des arts du Canada a récemment augmenté considérablement le financement d’imagineNATIVE. Nous avons actuellement un budget d’environ 1,5 million de dollars. Nous avons un budget de cet ordre depuis deux ans seulement; auparavant, il était sous la barre du million de dollars. Donc, nous avons exercé nos activités pendant 16 ou 17 ans avec un budget de moins d’un million. Une bonne partie de ce financement est ciblée sur des projets précis, majoritairement au Canada.

Par rapport au festival annuel de Toronto, aux tournées canadiennes et à notre travail communautaire, le pourcentage que nous consacrons aux activités internationales n’est pas très grand; c’est très modeste, en fait. Je n’ai pas le chiffre exact, mais je dirais que c’est environ 20 000 ou 30 000 $. Donc, nous consacrons peu de fonds aux activités à l’échelle internationale. Nous recevons une subvention du Conseil des arts du Canada pour l’envoi d’une délégation à Berlin, pour l’European Film Market, mais il s’agit de financement pour un projet très précis. Notre budget pour les activités internationales est très petit.

Le sénateur Oh : À ce jour, combien de délégations avez-vous envoyées à l’étranger pour promouvoir l’art autochtone canadien?

Mme Swanson : Je pense que c’est la troisième ou quatrième fois qu’une délégation est envoyée à l’European Film Market. C’est la première fois que nous participons. Il s’agit d’un partenariat avec d’autres pays. Donc, divers pays collaborent pour l’envoi d’une délégation autochtone internationale à la Berlinale.

Nous venons d’envoyer des gens du festival. Habituellement, le directeur général s’y rend seul et cherche à établir des partenariats avec des festivals de film de divers pays. Il s’agit donc habituellement d’envoyer une seule personne et de présenter des films, mais il arrive que les artistes soient aussi invités dans d’autres pays.

Le sénateur Oh : Quel pourcentage l’artiste reçoit-il lorsqu’une de ses œuvres est vendue pendant une exposition?

Mme Swanson : Cela dépend. Les artistes qui n’ont pas de distributeur gardent la totalité du montant, tandis que ceux qui ont un distributeur lui versent un pourcentage. Le festival ne perçoit aucune redevance pour la vente des œuvres. Ça ne fonctionne pas ainsi; en fait, c’est le contraire. Nous payons les artistes pour qu’ils présentent leurs œuvres là où nous allons. Notre mandat est de payer les frais des artistes. Peu importe où nous allons, nous payons une redevance aux artistes pour la présentation de leurs œuvres.

Le sénateur Oh : Monsieur Hill?

M. Hill : Il convient de souligner que le Musée des beaux-arts du Canada et imagineNATIVE ne sont pas des sociétés commerciales. Notre rôle est de promouvoir les artistes. Nous ne vendons pas nos œuvres. À titre d’exemple, le Musée des beaux-arts du Canada acquiert une œuvre pour que l’ensemble de la population canadienne puisse en profiter indéfiniment. Nous achetons des œuvres pour les intégrer à la collection et pour les conserver; elles ne sont pas à vendre.

Par conséquent, l’idée d’appuyer les artistes en vendant leurs œuvres ne fait pas partie de l’équation. Cela dit, je pense que la question des droits de revente pour les artistes est un enjeu d’une grande importance qui touche tout particulièrement les artistes autochtones. Comme nous le savons, les artistes en arts visuels se retrouvent dans la tranche des Canadiens ayant le revenu le plus faible, et la situation des artistes autochtones de cette catégorie est encore plus précaire.

Il convient donc d’intégrer à la diplomatie culturelle du Canada un important principe : un artiste doit pouvoir bénéficier de la revente de l’œuvre d’art qu’il a créée tout autant que le propriétaire qui la revend avec un profit considérable. Nous parlons d’un petit pourcentage. Le Canada ne devrait pas se traîner les pieds dans ce dossier. Il doit être parmi les chefs de file et affirmer l’importance et l’appui qu’il accorde à cet enjeu, afin d’être un modèle. À mon avis, ce serait une forme de diplomatie culturelle que nous serions tous prêts à appuyer.

Le sénateur Oh : À combien s’élève votre financement annuel pour l’acquisition d’œuvres autochtones? Cela contribue considérablement à aider les artistes autochtones.

M. Hill : En effet. Le gouvernement fédéral établit un crédit distinct réservé aux acquisitions du Musée des beaux-arts du Canada. Ces fonds — 8 millions de dollars — sont répartis entre les divers secteurs du Musée des beaux-arts du Canada. Ces dernières années, la moyenne des dépenses pour l’acquisition d’œuvres d’artistes autochtones pour la collection est d’environ 500 000 $. Ces chiffres sont quelque peu abstraits; il convient de les examiner en fonction du contexte. Par exemple, 1 million de dollars pour imagineNATIVE permet de faire beaucoup de choses, et avec 2 millions de dollars, on peut en faire deux fois plus. En comparaison, étant donné l’énorme budget dont dispose le Musée des beaux-arts du Canada, la plus importante institution culturelle consacrée aux arts visuels au pays, 1 million de dollars a moins d’incidence. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il y a plus d’argent, on peut en faire plus. Lorsqu’il est question d’accroître les budgets, et c’est ce dont nous parlons, plus on finance les institutions culturelles, plus les retombées économiques sont grandes.

La présidente : Je ne sais pas si l’un d’entre vous voudra répondre à la question. L’enjeu de la revente me laisse perplexe; j’en sais peu à ce sujet. La tendance actuelle est-elle de dire que l’artiste devrait recevoir un pourcentage chaque fois qu’une œuvre est revendue? Supposons qu’un artiste émergent en Saskatchewan se présente à ma porte pour me vendre une œuvre au prix de 25 $. C’est le montant qu’il demande, alors c’est ce que je paye. Ensuite, si je souhaite la revendre, je devrais garder mes reçus, par exemple, de façon à démontrer, au moment de la revente par l’intermédiaire d’une galerie d’art, que cela vaut maintenant 150 $. Je dois donc considérer que ce prix comprend un montant qui sera versé à l’artiste. Cela ressemble au suivi relatif aux droits d’auteur. Quelqu’un parmi vous a indiqué — Mme Swanson, je crois — que certains pays le font déjà ou songent à le faire. Est-ce bien cela? C’est ce que je voulais savoir.

Mme Swanson : Oui; je crois que l’Union européenne le fait déjà pour les arts visuels. N’est-ce pas le cas?

M. Hill : Cela existe à divers endroits dans le monde. Je suis loin d’être un spécialiste dans ce domaine, mais c’est un petit pourcentage de la valeur totale, soit 5 p. 100, selon le chiffre que j’ai entendu à maintes reprises. Cela dit, cela correspond exactement à ce que vous décrivez. Lorsqu’une œuvre est revendue, l’artiste reçoit un pourcentage.

Mme Swanson : C’est une redevance, exactement comme dans le secteur de la musique et d’autres domaines.

La présidente : C’est un système de redevances. Très bien. Donc, c’est un aspect que nous devrions aussi examiner.

M. Hill : La valeur d’une œuvre augmente au fil de la carrière de l’artiste, alors qu’il produit d’autres œuvres. En principe, l’artiste devrait pouvoir aussi en bénéficier.

La présidente : Je m’interroge là-dessus, car nous parlons d’art et de culture, et nous avons toujours de la difficulté à définir ce qu’est la diplomatie culturelle, un aspect auquel nous devons revenir. Nous sommes donc encore dans l’incertitude quant aux définitions et à leur portée. Je tenais toutefois à préciser, aux fins du compte rendu, que nous devrons examiner cet aspect pour déterminer les avantages et les inconvénients sur le plan de la politique étrangère, ce qui est essentiellement ce que nous étudions. Je vous remercie.

Je crois que vous avez une question complémentaire, sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Oui, sur cet enjeu. Je ne suis pas un spécialiste; j’apprends. Comme j’ai beaucoup à apprendre, vous pourriez être ici pour un moment.

Cela dit, pour ce qui est la question de la revente, j’ai un peu de difficulté à comprendre. J’aimerais que cela se concrétise. J’aimerais bien acheter une œuvre d’Emily Carr; c’est une bonne idée. Toutefois, je ne sais pas comment cela fonctionnerait, car si j’achetais une œuvre d’art en sachant que j’aurais une obligation au moment de la revente, je devrais la payer moins cher, puisqu’on augmenterait le coût net. Comment peut-on faire un suivi? À mon avis, cela ressemble davantage à une rente qu’à une garantie ou quelque chose du genre. Pour l’artiste, la bonne et la mauvaise nouvelle, c’est qu’habituellement, la valeur de ses œuvres augmente après son décès. Qu’en est-il alors en cas de revente? L’argent va-t-il à la succession?

Mme Swanson : Je ne pense pas que nous puissions répondre à toutes les questions sur cet enjeu. C’est certainement quelque chose qui nécessiterait... Je suis désolée, Clayton; allez-y.

M. Windatt : Cela s’applique essentiellement au moment du transfert de propriété, et non au moment de l’achat. Cela vise plutôt le moment de la répartition d’une succession ou d’une vente aux enchères, ou le transfert à un négociant. Cela devient alors important.

J’ai vraiment aimé l’exemple que vous avez donné concernant un artiste qui vous demande d’acheter son œuvre pour 25 $ — dont la valeur augmente à 150 $ — et l’idée de faire un suivi à cet égard. Il suffit de multiplier cela par quelques milliers d’œuvres pour voir que cela représente beaucoup de formalités administratives pour le transfert de sommes minimes. J’ai toutefois l’impression que cela est davantage conçu pour un marché précis, soit celui où une œuvre est achetée au prix de 100 $ auprès d’un artiste en émergence, puis revendue 10 000 ou 20 000 $ quelque 10 ou 20 ans plus tard. Cet artiste émergeant ne profite aucunement de sa propriété intellectuelle. Dans 90 p. 100 des cas, l’artiste conserve le droit d’auteur sur l’œuvre visuelle. Les cas où l’achat d’une œuvre originale entraîne le transfert du droit d’auteur sur cette œuvre sont très rares.

Donc, essentiellement, c’est lié à la Loi sur le droit d’auteur et à notre perception des choses, et c’est davantage conçu pour le marché de l’art. On parle ici de choses qui valent des milliers et non des centaines de dollars. Elles valaient peut-être des centaines de dollars au début, mais lorsqu’on arrive au point d’exercer une surveillance, on parle essentiellement de milliers de dollars. C’est comme si on disait : « Voulez-vous assurer une œuvre d’art que vous avez payée 25 $? » La plupart des gens répondraient que cela ne vaut pas la peine. Toutefois, les propriétaires d’une œuvre d’art qui portent attention à la hausse constante de sa valeur assurent l’œuvre contre le vol ou la destruction pour protéger leur investissement. Donc, en réalité, l’idée est que les œuvres d’art prennent de la valeur au même titre qu’une action ou une obligation. En réalité, l’enjeu dont nous discutons, c’est que l’absence d’une telle mesure nuit au marché canadien de l’art.

La présidente : Merci. Je pense que c’est un aspect que nous devrons examiner attentivement.

La sénatrice Bovey : De notre côté, nous devons le souligner et, comme M. Windatt l’a indiqué, c’est une question de droits d’auteur. Nous savons que la Loi sur le droit d’auteur est revue. Je pense que cela nous reviendra sous une autre forme, ailleurs.

La présidente : Peut-être dans un autre comité, avec le sénateur Dawson.

La sénatrice Bovey : Le commerce et le commerce international sont des aspects importants. Nous signons des accords commerciaux internationaux; quelle est la part des arts dans tout cela?

La sénatrice Cordy : C’était une de mes questions, en fait, et je suis heureuse que beaucoup l’aient soulevée. J’étais assise là, et je pensais : « Suis-je la seule à ne pas comprendre? » C’est donc une bonne chose que toutes ces questions aient été posées.

Voici la question que je me pose : combien de nos ambassades intègrent les arts et la culture dans la politique étrangère du Canada? Cela arrive-t-il? L’ambassade canadienne de Washington a une galerie d’art à l’étage inférieur. On y présente des œuvres d’art canadiennes; c’est de toute beauté. Je suis allée à l’ambassade de Paris où on avait tenu, une semaine auparavant, un salon du livre pour présenter la littérature canadienne. Est-ce que toutes les ambassades font de telles activités? Est-ce seulement quelques ambassades? Cela dépend-il de l’ambassadeur en poste?

M. Hill : Je peux parler de mes expériences au Musée des beaux-arts du Canada et des partenariats qui ont suscité une participation et un intérêt croissants ces dernières années parmi les ambassades. Je pense notamment à « Sakahan », une exposition du Musée des beaux-arts regroupant près de 200 œuvres de 89 artistes de 16 pays. Nous avons fait venir au Canada des artistes de divers pays pour qu’ils présentent leurs œuvres ici, ce qui a suscité un vif intérêt au sein des ambassades. Vous avez donné deux exemples d’ambassades canadiennes qui appuient la culture et en font la promotion à l’étranger. Je pense que c’est fréquent. La promotion de la culture à l’étranger fait partie de leur mandat.

J’espère que le comité sénatorial conclura que le Canada se doit d’appuyer cela de manière plus sentie et, en particulier, d’inclure les artistes autochtones dans la promotion de l’art canadien à l’étranger. Cela fait partie de ce qui distingue le Canada sur la scène mondiale. Il existe plusieurs exemples de mesures que nous prenons en ce sens, et nous pourrions en faire beaucoup plus.

Mme Swanson : Les ambassades le font de façon ponctuelle, mais ne semblent pas avoir une approche stratégique commune. Nous avons collaboré avec quelques-unes d’entre elles, mais ce serait formidable d’avoir une stratégie globale visant à inclure l’art autochtone et favoriser l’établissement de tels partenariats dans l’ensemble du réseau. Ce n’est pas difficile à mettre en œuvre; il suffit d’y mettre la volonté et l’argent nécessaire. Les œuvres existent, les artistes sont prêts, et il serait très facile d’agir de façon stratégique.

M. Windatt : Je suis tout à fait d’accord là-dessus. Je n’ai pas beaucoup parlé des projets auxquels le Collectif des conservateurs autochtones travaille actuellement. Nous collaborons avec notre ambassade à Washington, qui a sollicité notre appui et des recommandations pour diverses mesures. Nous avons donc échangé des renseignements et encouragé diverses collaborations. À la fin de son exercice financier, l’ambassade a trouvé les ressources nécessaires pour qu’une délégation spéciale puisse se rendre à Washington le mois prochain pour promouvoir la collaboration en matière de conservation d’œuvres autochtones entre le Canada et les États-Unis. Une délégation de six personnes se rendra là-bas le mois prochain. Nous sommes tout à fait disposés à apporter notre aide, mais au début, nous n’avions pas de ressources réservées à cette fin.

Je suis convaincu qu’une initiative axée sur la représentation des Autochtones inciterait beaucoup d’ambassades, partout dans le monde, à rejeter le statu quo et à essayer de trouver dans ces régions, sur le terrain, des gens qui pourraient établir des liens avec les gens de nos régions. Des Autochtones du Canada présents dans divers marchés mondiaux d’art indigène, ce serait formidable.

La sénatrice Cools : Je consultais ce document; je viens de me rendre compte que c’est celui de notre témoin, M. Clayton Windatt. Au troisième paragraphe, intitulé « propriété intellectuelle », on lit une affirmation qui, à mon avis, pourrait nous motiver :

Le « droit de revente de l’artiste » doit être inscrit dans la loi et inclus de manière explicite dans les accords commerciaux, afin que les artistes canadiens puissent percevoir des redevances à l’étranger.

Je pense que cela mérite qu’on s’y attarde davantage. On indique ensuite ce qui suit :

Cette lacune freine considérablement le marché de l’art canadien et requiert que le Canada prenne l’initiative dans la protection de la propriété intellectuelle.

Eh bien, c’est écrit noir sur blanc. Voilà quelque chose que nous pourrions faire.

La présidente : C’est exactement ce que nous disons. C’est un tout nouveau domaine que nous devons explorer. Nous verrons où cela nous mènera.

Le sénateur Massicotte : Lorsqu’on pense à la raison d’être du Conseil des arts du Canada, notamment, on constate que la diplomatie culturelle est son principal objectif. Ce qu’ils disent, c’est qu’il est dans l’intérêt des gouvernements de dépenser de l’argent, et de le dépenser ailleurs, à l’extérieur du pays. Essentiellement, ils ne cessent de dire que leur objectif, leur raison d’être, est de présenter le Canada sous un jour favorable, mais aussi de démontrer qu’il se distingue des autres pays. Autrement dit, on vise sciemment, et à juste titre, à apporter un éclairage positif sur les aspects qui font la spécificité de la société canadienne. L’art autochtone vient facilement à l’esprit. Étant donné votre expertise, quelles autres caractéristiques — favorables, bien entendu — de notre pays devrions-nous faire connaître à l’étranger? Y a-t-il d’autres suggestions?

La présidente : Si vous n’avez pas réfléchi à cet aspect, vous pourriez répondre plus tard. Vous œuvrez au sein d’une institution plus axée sur l’art autochtone, monsieur Hill; vous aurez peut-être un commentaire à ce sujet. Je pense que nous avons traité de l’importance de l’art autochtone au sens large.

M. Hill : Je travaille au Musée des beaux-arts du Canada à titre de conservateur principal de l’art indigène; la promotion de cet art est au centre de mes activités. Nous devons savoir d’où nous partons, où nous en sommes actuellement, et où nous voulons aller à l’avenir. Il n’y a pas si longtemps, le Musée des beaux-arts du Canada ne présentait aucune œuvre indigène. Ce n’est qu’en 1986 que le musée a fait l’acquisition d’une première œuvre d’un artiste autochtone contemporain pour sa collection.

Vous voulez savoir ce qu’on peut faire pour promouvoir le Canada en général. Je pense que mon rôle — mon devoir — est de promouvoir l’art autochtone, car il a trop longtemps été réprimé. Ce n’est que maintenant que nous avons la possibilité de profiter des nombreuses occasions qui ont été négligées par le passé.

Pour revenir à ce que je disais plus tôt, ce qui distingue le Canada par rapport aux autres pays du monde, ce sont ses artistes autochtones et les cultures autochtones qui font partie intégrante du pays. Je tenais à le répéter.

La présidente : Monsieur Windatt, le temps est écoulé. Votre commentaire sera-t-il bref?

M. Windatt : Oui. À mon avis, un des aspects à promouvoir, outre l’art autochtone, ce sont les relations avec les Autochtones, ce qui revient à promouvoir le leadership autochtone dans diverses communautés. Le Canada pourrait favoriser davantage la participation des dirigeants, des conservateurs ou des artistes autochtones aux discussions sur des enjeux qui ne sont pas propres aux Autochtones. Je parle ici d’enjeux où les peuples autochtones ne sont pas seulement au centre des discussions, mais de situations où des autochtones dirigent des initiatives visant à guider la population du pays.

La présidente : Merci. Je pense que c’est une excellente conclusion.

Je tiens à remercier nos trois témoins. Cela a été très instructif. Nous essayons de définir la portée de notre étude, qui est très large. C’était intentionnel; nous avions songé à la restreindre, mais il semble que nous ne cessons de l’élargir, ce qui n’est pas mauvais en soi. Le comité aura simplement plus de difficulté à présenter des recommandations réalisables au gouvernement et aux Canadiens.

Si vous avez d’autres observations ou renseignements que vous jugez utiles pour notre étude, je vous prie de nous les faire parvenir. Vous avez manifestement souligné que la présence de l’art autochtone au Canada est un facteur important de notre politique étrangère, et nous continuerons d’étudier cet aspect.

Monsieur Windatt, je vous remercie d’avoir comparu par vidéoconférence. Monsieur Hill, madame Swanson, merci d’être venus aujourd’hui.

Permettez-moi de présenter notre deuxième groupe de témoins. Par vidéoconférence de Los Angeles, où la météo est meilleure qu’ici en ce moment, même si nous voyons une amélioration, nous avons Mme Tonya Williams, directrice générale, présidente et fondatrice du Reelworld Film Festival. En personne, à Ottawa, nous accueillons Mme Louise Imbeault, présidente de la Société nationale de l’Acadie. Bienvenue à toutes les deux.

Je m’adresse maintenant à notre invitée qui témoigne par vidéoconférence. Je veux juste m’assurer que l’équipement fonctionne. Nous avons encore eu quelques difficultés techniques, mais j’espère que tout est rentré dans l’ordre.

Vos biographies ont été transmises au comité. Il n’est pas nécessaire d’en faire la lecture; cela nous laissera plus de temps pour vos exposés et les questions.

Bienvenue, mesdames. Je cède maintenant la parole à Mme Williams, qui fera un bref exposé.

Tonya Williams, directrice générale, présidente et fondatrice, Reelworld Film Festival : Merci beaucoup, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis honorée d’avoir été invitée à contribuer à ce débat.

Je suis arrivée au Canada en 1970 à l’âge de 12 ans. L’une des premières choses que font la plupart des immigrants en arrivant au pays, c’est d’allumer la télévision. Pour nombre d’entre eux, c’est une façon d’apprendre l’anglais, mais ils en apprennent aussi sur la culture et les valeurs du pays. Ce que j’ai constaté quand j’étais petite, c’est qu’il n’y avait personne à la télévision qui me ressemblait ou qui ressemblait à mes parents. C’est une expérience éprouvante que de se sentir invisible dans la collectivité.

Ce n’est que quelques années plus tard, en 1977, lorsque j’ai obtenu un contrat pour une campagne nationale de promotion du lait, qui comprenait des publicités à la télévision, sur des panneaux publicitaires et dans les magazines, que je suis devenue un visage connu. Les gens m’arrêtaient partout et je remarquais la fierté dans les yeux des autres Canadiens de race noire qui se sentaient enfin les bienvenus dans le pays que bon nombre d’entre eux habitaient depuis des décennies.

Si le Canada souhaite devenir un pays plus accueillant pour les immigrants et les entreprises internationales, il est essentiel qu’il montre au reste du monde les collectivités diversifiées qui le composent, et il n’y a pas meilleur moyen de le faire que par les émissions de télévision et les films. Or, nous devons veiller à ne pas présenter des stéréotypes négatifs de la diversité du Canada. C’est un danger qui nous guette et qui pourrait nous attirer des réactions négatives.

En juin dernier, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déployé une nouvelle politique étrangère, qui était divisée en cinq points. J’ai été encouragée de voir que le premier point sur la liste était le suivant :

Le Canada fera de sa diversité un exemple pour le reste du monde; il défendra les persécutés et les marginaux.

Elle dit que le Canada établira la norme quant à la façon dont les femmes, les gais et les lesbiennes, les personnes transgenres, les minorités raciales, ethniques, culturelles, linguistiques et religieuses, et les Autochtones sont traités dans le monde. C’est une déclaration très claire.

Le quatrième point sur sa liste était que la nouvelle stratégie de développement international féministe du Canada réorienterait les plans de sorte que nous puissions lutter contre la pauvreté dans le monde en nous centrant sur les femmes et les filles.

Cela me semble être des directives très claires que nous pourrions utiliser pour forger notre diplomatie culturelle. Le Canada, à lui seul, peut atteindre ces objectifs. Nous devons réunir les organisations et les initiatives du Canada qui se centrent sur ces enjeux et élaborer une stratégie pour montrer que le Canada est un joueur mondial clé dans la promotion de ces plateformes.

L’histoire du Canada est riche et nous devrions encourager nos cinéastes à explorer cette histoire et les nombreuses cultures, religions et races qui font du Canada ce qu’il est aujourd’hui. À mon avis, cela nous aiderait à améliorer la diplomatie internationale.

On ne peut nier la valeur de la danse, de la musique, des romans, des peintures, des sculptures, de la poésie ou des compagnies de théâtre du Canada, qui voyagent à travers le monde, et la façon dont ils ont influé sur les perceptions positives du monde à l’égard du Canada. On ne peut pas non plus nier que les films, émissions de télévision ou vidéos du Canada touchent un grand nombre de personnes de la façon la plus rapide qui soit. Ces publicités pour le lait dont j’ai parlé m’ont propulsée sur la scène nationale, mais c’est l’émission The Young and the Restless, dans laquelle j’ai joué pendant 20 ans, qui m’a propulsée sur la scène internationale. Quelques semaines après ma première apparition à l’émission, j’ai reçu des milliers de lettres de partout dans le monde, et bon nombre des personnes qui m’écrivaient étaient elles aussi des personnes de couleur, comme moi, qui vivaient dans des pays qui n’accueillaient pas aussi bien leurs collectivités. C’est pourquoi il faut veiller à utiliser nos programmes télévisuels pour accroître notre art et notre diplomatie culturelle à l’échelle internationale.

Souvent, lorsque les gens me demandent d’où je viens et que je leur réponds que je viens du Canada, ils restent bouche bée un instant et sont perplexes; ils me demandent s’il y a beaucoup de gens de race noire au Canada. Je leur explique que nous avons une imposante population non seulement de gens de race noire, mais de toutes les collectivités racialisées, et qu’en fait le Canada est considéré comme étant l’un des pays les plus diversifiés du monde. Il semble que le reste du monde ne sache pas cela, et on n’a qu’à regarder les arts, la culture et les programmes que nous envoyons à l’étranger pour comprendre pourquoi il en est ainsi. Le contenu canadien que l’on envoie à l’étranger pour montrer qui nous sommes est très peu diversifié.

Les histoires que nous créons ne visent pas uniquement le public canadien; elles voyagent partout dans le monde et se rendent parfois jusqu’aux régions les plus éloignées. Ainsi, les gens d’ailleurs peuvent avoir un aperçu de qui nous sommes, de ce que sont nos valeurs et nos croyances. Nos histoires peuvent en faire beaucoup pour changer les valeurs des autres pays également. L’American Association of Black Women Physicians m’a rendu hommage l’année dernière. On m’a dit que le personnage que je jouais à la télévision, qui était médecin, a encouragé un plus grand nombre de femmes de race noire à étudier la médecine. C’est tout un impact sur un auditoire.

Je jouais également un personnage dont le mari était atteint du VIH, sans qu’elle le sache. Cela a ouvert les yeux de beaucoup de gens dans les années 1990, alors qu’on croyait encore que seuls les homosexuels pouvaient contracter le virus. Nous avons reçu le Red Ribbon of Hope présenté par l’académie à Los Angeles parce que nous avions informé et éduqué notre auditoire au sujet de cet enjeu important. Nous pouvons sauver des vies par les messages que nous transmettons dans nos histoires. Il n’y a pas meilleure façon d’utiliser l’art et la culture.

Les films peuvent exposer les gens à une culture, à un pays qu’ils ne verront peut-être jamais. Ainsi, ils établissent un lien avec le monde et les autres ne sembleront plus être des étrangers, mais plutôt des membres de la famille.

En 2000, alors que je travaillais dans l’industrie du divertissement du Canada et des États-Unis depuis plus de 20 ans, j’ai mis sur pied une initiative pour combler ce qui m’apparaissait comme un vide au Canada. Comme ils ne trouvaient pas de travail ici, les artistes de diverses cultures quittaient le pays en masse pour se rendre aux États-Unis. J’ai donc créé le Reelworld Film Festival. Son seul objectif était de faire connaître et de promouvoir les artistes émergents du cinéma, de la télévision et des médias issus des collectivités autochtones et racialisées et de créer des possibilités de développement. Nous avions beaucoup de talent, mais très peu de gens au Canada — et encore moins ailleurs dans le monde — le savaient.

Au cours des 18 dernières années, nous avons eu de la difficulté à survivre, mais ce qui nous garde en vie, c’est l’espoir de ces artistes de nous voir persévérer. Bon nombre d’entre eux nous ont dit que le festival Reelworld avait joué un rôle important dans leur réussite. Ils voyagent maintenant partout dans le monde pour présenter leurs œuvres. Ce sont des ambassadeurs des arts canadiens. Ils ont changé la perception à l’égard du Canada de nombreuses façons.

La ville de Toronto à elle seule compte 120 festivals de films. Il y a des milliers de festivals partout au Canada, mais nous n’en faisons pas la promotion à l’échelle internationale. Il faudrait qu’il y ait plus d’échanges entre les festivals : des échanges de techniciens, de cinéastes, d’acteurs et de producteurs entre les provinces du Canada et aussi avec les autres régions du monde.

Vous dites vouloir accroître la diplomatie culturelle internationale, mais cette diplomatie doit prendre racine ici, au Canada. Nous avons besoin de plus de ressources pour faire croître notre industrie ici, de sorte que vous puissiez en tirer profit ailleurs dans le monde. De nombreuses initiatives créées par des particuliers avec leurs propres fonds ont profité au gouvernement du Canada, mais ces petites initiatives ont besoin de votre aide.

Sans aucun financement du gouvernement, le festival Reelworld a réussi à faire voyager sa programmation vers d’autres pays comme l’Ouganda, Zanzibar et certaines îles des Caraïbes. J’ai été témoin de l’impact de nos histoires canadiennes sur la sensibilisation des gens aux droits de la personne et j’ai vu à quel point nos valeurs canadiennes étaient bien perçues et accueillies dans le monde. Cela ajoute à la valeur de notre diplomatie internationale. Il faudrait aider les festivals de films canadiens à faire rayonner davantage leur programmation dans d’autres pays.

Nous ne pouvons pas établir notre diplomatie internationale uniquement par l’entremise du commerce et des finances. J’ai entendu les autres témoins et les sénateurs dire que le Canada se centrait sur des pays primaires comme le Royaume-Uni, l’Australie, la France, l’Allemagne, la Chine, l’Inde et les États-Unis. Il est important d’y consacrer certains efforts, mais personne n’a parlé des pays africains ou des Caraïbes, alors qu’un très grand nombre de Canadiens sont issus de ces pays.

Voilà ce que j’aimerais voir : une délégation canadienne qui se rendrait en Chine pour y présenter les arts et la culture des communautés africaines, caribéennes, latino-américaines et moyen-orientales du Canada. On ferait ainsi preuve d’une diplomatie internationale exceptionnelle. Étant donné le piètre bilan de la Chine en matière de respect des droits de la personne, il n’y aurait pas meilleur moyen d’avoir une incidence positive que de célébrer les différences et la diversité du Canada. Nous pouvons aussi être le gros poisson dans un petit pays qui a peut-être soif d’arts et de culture.

Si vous voulez parler d’accroître les revenus du Canada, j’ai souvent eu à convaincre des réalisateurs et producteurs hollywoodiens de divers groupes ethniques de tourner leur film au Canada parce que nous avons de nombreux acteurs et techniciens diversifiés sur le plan racial. Peu de gens le savent et je crois que nous perdons des emplois à cause de cela.

Lors d’une séance précédente, la sénatrice Bovey a posé une superbe question : « Comment choisit-on sa voie parmi toutes les formes d’art, que ce soit le ballet, la polka ou la danse moderne? » Voici ma réponse simple à cette question : cela n’a pas d’importance. Tout ce qui compte, c’est la diversité raciale. Laissons les danseurs de toutes les races du monde danser la polka s’ils le veulent. Laissons le ballet être le reflet de la diversité qui est propre au Canada. Ce serait extraordinaire et cela laisserait une impression durable dans les pays qui ne tolèrent pas leur propre diversité.

En ce qui a trait à l’affectation des ressources, je veux que vous compreniez que chaque fois que le gouvernement parle des arts et de la culture, un sentiment de peur s’installe chez tous ceux qui travaillent dans le domaine parce que très souvent, c’est synonyme d’une réduction des dépenses dans notre secteur. Il est difficile de bâtir une industrie forte lorsque, année après année, les politiques du gouvernement nous tiennent dans une situation financière précaire. Nous ne savons jamais si nous allons obtenir notre financement pour une année donnée, alors il est difficile de planifier à long terme lorsque les fonds sont distribués parcimonieusement année après année. Il arrive aussi parfois que les groupes artistiques ne reçoivent aucun financement certaines années.

Ce qui me préoccupe également, c’est que le mot « diversité » englobe pratiquement tout ce qui n’est pas blanc et anglophone. Si vous nous disiez que 10 p. 100 des fonds seraient consacrés à la diversité, ce serait un véritable cauchemar pour les gens qui font partie de cette catégorie. En gros, ce que vous diriez, c’est que 10 p. 100 de gens qui ne sont pas d’origine ethnique différente recevraient 90 p. 100 des fonds et que toutes les autres diversités, que ce soit la race, l’ethnicité, la langue, l’incapacité, le sexe, la religion — chacun d’entre nous — se battraient pour les 10 p. 100 restants. Bien sûr, mes chiffres ne sont pas exacts, mais vous comprenez ce que je veux dire. Il faut examiner attentivement la façon dont on affecte les ressources et veiller à ce qu’elles soient réparties de façon à peu près égale dans tous les secteurs.

Nous n’avons pas le temps d’en parler ici, mais nous avons un problème avec les exigences associées aux subventions. Elles prennent beaucoup de temps et les mesures sont très difficiles à gérer pour les petites organisations émergentes.

Dans un autre ordre d’idées, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais l’un de nos réalisateurs de race noire, Clement Virgo, originaire de la Jamaïque, est le créateur de l’émission Greenleaf de la chaîne Oprah Winfrey Network, qui a été mise en nomination dans trois catégories aux NAACP Image Awards d’Hollywood, à l’occasion desquels j’ai reçu un prix en 2000 et en 2002. Il a aussi réalisé et produit la minisérie The Book of Negroes, qui a été un immense succès national et international. Il faut célébrer cela au Canada.

Saviez-vous que notre syndicat des acteurs, l’ACTRA, organisait un événement annuel où il présentait un prix d’excellence? J’ai été la lauréate de ce prix en 2005; Sandra Oh l’a reçu en 2008 et Molly Parker l’a reçu cette année. Il y a tant de talents canadiens et nous n’en faisons pas assez pour les promouvoir. Heureusement, il y a l’Allée des célébrités canadiennes et il faudrait aussi en faire la promotion massive à l’échelle internationale.

Je n’ai tout simplement pas le temps en six minutes — et j’ai dépassé le temps qui m’était accordé — de vous transmettre toutes mes pensées et mes idées sur ce que l’on pourrait faire pour améliorer notre diplomatie internationale. Il faudrait collaborer avec certaines entités, et il faudrait la participation de nos célébrités canadiennes qui vivent partout dans le monde. Il faudrait une stratégie de marketing qui serait déployée en phases, en ligne et par l’entremise de concours. Il faudrait qu’elle soit amusante en rassembleuse et il nous faudrait être des penseurs audacieux et créatifs, et sans réserve. Ce serait un heureux mélange de stratégistes politiques, qui utilisent le côté gauche de leur cerveau, et de libres penseurs, qui utilisent le côté droit de leur cerveau.

À une certaine époque dans l’industrie du divertissement, on pouvait développer un projet pour la télévision, le cinéma, le théâtre ou la radio seulement, mais aujourd’hui, l’objectif est de rayonner sur toutes les plateformes. Cela devrait aussi être notre objectif. J’adore l’idée de la sénatrice Andreychuk voulant que les arts et la culture comprennent aussi la cuisine et le sport, par exemple. Il ne faut pas se restreindre. Mieux vaut créer un tout attrayant que d’avoir de petits éléments épars.

L’une des raisons pour lesquelles la diplomatie internationale des États-Unis fonctionne si bien, c’est que les Américains s’intègrent aux pays des autres. Pensons aux émissions canadiennes. Les États-Unis sont propriétaires d’ABC, de CBS, de NBC et de nombreux autres réseaux auxquels se fient nos citoyens. Il est difficile de faire concurrence à ces émissions et à ces budgets. Où sont nos réseaux dans les pays étrangers? Nulle part. Les États-Unis investissent à long terme pour obtenir des avantages politiques et diplomatiques dans d’autres pays.

Avez-vous déjà regardé un film qui se déroulait à New York, à Paris ou au Royaume-Uni et remarqué les rues, les immeubles et les repères qui distinguent clairement l’endroit? Vous avez dit vouloir créer une meilleure campagne de promotion de l’image de marque. La première étape, c’est de créer des films et des émissions de télévision qui se déroulent dans des villes canadiennes, pour en faire un autre personnage de l’histoire. Il n’y a pas meilleure image de marque que cela. On n’a pas besoin de placarder la feuille d’érable pour être canadien. On n’a qu’à montrer la Tour du CN, nos rues et leur vie nocturne, le Bell Lightbox du TIFF à Toronto, les chutes Niagara, tous les merveilleux immeubles et panoramas du Canada. Si on le montre assez souvent, les gens feront le lien avec le Canada, comme on le fait avec Big Ben ou la tour Eiffel.

Les productions internationales qui viennent au Canada font tout ce qu’elles peuvent pour faire oublier qu’on se trouve au Canada. On utilise le Canada pour imiter New York ou Chicago. Pourquoi les histoires ne peuvent-elles pas se dérouler ici?

Merci beaucoup.

La présidente : Merci. Ces six minutes ont duré plus longtemps que prévu, mais vous avez couvert tellement de terrain et abordé tant de sujets que j’ai cru bon de ne pas vous arrêter. Je crois que votre message n’aurait pas eu le même impact si nous n’en avions entendu qu’une partie.

Nous allons maintenant écouter la déclaration liminaire de Mme Imbeault. Espérons que nous aurons ensuite suffisamment de temps pour poser des questions.

[Français]

Louise Imbeault, présidente, Société Nationale de l’Acadie : Honorables sénatrices et sénateurs, membres du comité, je vous remercie chaleureusement de m’accueillir ici aujourd’hui au nom de la Société Nationale de l’Acadie.

La question de la diplomatie culturelle est un axe fondamental de la politique étrangère canadienne. Elle s’avère de la plus haute importance pour le peuple acadien, ses industries culturelles et artistiques et leur rayonnement à l’échelle internationale. Comme vous le savez peut-être, à titre personnel, je me sens aussi concernée par les arts, la culture et le patrimoine. J’ai consacré la quasi-totalité de ma vie professionnelle à défendre la culture acadienne et francophone au Canada, d’abord en tant que journaliste, puis en tant que directrice de Radio-Canada Acadie. Mon aventure se poursuit avec la maison d’édition Bouton d’Or Acadie, qui apporte sa petite contribution pour faire connaître la littérature francophone acadienne sur l’ensemble du territoire.

L’Institute for Cultural Diplomacy définit la diplomatie culturelle ainsi :

[...] une approche qui utilise l’échange des idées, des valeurs, des traditions et d’autres aspects de la culture ou de l’identité, soit pour renforcer les relations, accroître la coopération socio-culturelle ou promouvoir les intérêts nationaux.

La Société Nationale de l’Acadie, en tant que fière porte-parole du peuple acadien sur les scènes atlantique, nationale et internationale, a vite compris l’importance des arts et de la culture, et ce, depuis sa création en 1881, il y a 135 ans.

En effet, la culture fait partie intégrante de notre identité acadienne et canadienne. Plus encore, elle propage nos valeurs nationales d’une manière que les échanges économiques seuls ne peuvent réaliser. C’est pourquoi aujourd’hui je tiens à vous réitérer l’intérêt d’investir dans la diplomatie culturelle et de pérenniser des revenus stables afin que nous puissions continuer de faire rayonner le Canada à travers toute sa richesse, notamment sa richesse culturelle.

De plus, intégrée stratégiquement et systématiquement à la politique étrangère canadienne, « la culture peut servir à influencer l’opinion publique étrangère et, par le fait même, à obtenir l’appui à l’égard des politiques étrangères d’un pays ». C’est une composante plus douce, mais non moins cruciale et transversale de la diplomatie.

La diplomatie culturelle se pratique depuis des siècles, mais la mondialisation, les communications numériques et la multiplication des contacts entre les cultures ont projeté la richesse identitaire, artistique, patrimoniale et intellectuelle du Canada au devant de la scène. Avec un peu de recul, il est même évident que nous, Acadiens et Acadiennes, en avons beaucoup tiré profit, notamment pour créer et entretenir des partenariats, bâtir notre réputation et promouvoir nos produits et nos intérêts culturels sur la scène internationale. La promotion des arts et de la culture ouvre effectivement des portes à toutes sortes de relations et d’exportations, et pas seulement culturelles.

La diplomatie culturelle se trouve au centre du projet national acadien depuis plus d’un siècle. En tissant des liens avec la francophonie, notamment avec le Québec et la France, nous avons fondé nos premiers journaux, écoles et collèges. Nous avons importé des manuels scolaires en français lorsque ceux-ci faisaient cruellement défaut. Nous nous sommes projetés collectivement sur la scène internationale, à compter des années 1960, au moyen d’ententes, d’échanges et de collaboration dans les domaines universitaires, professionnels et artistiques. Plus récemment, les 25 dernières années ont donné lieu à des progrès formidables. Soulignons, entre autres, les cinq éditions du Congrès mondial acadien créé en 1994; l’établissement de partenariats entre la Société Nationale de l’Acadie et la Louisiane, le Québec, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Belgique; l’adhésion de la SNA à l’Organisation internationale de la Francophonie; et la création de la Stratégie de promotion des artistes acadiens sur la scène internationale (SPAASI) et de l’Office de la mobilité internationale en Acadie (OMIA).

Plus important encore, le désir de rayonnement international de l’Acadie contemporaine a coïncidé avec le tournant culturel de la diplomatie canadienne. De 1995 à 2005, les valeurs et la culture constituaient l’un des trois piliers de la politique étrangère du Canada, aux côtés de la croissance économique, ainsi que de la paix et de la stabilité mondiales. L’année 2005 marque toutefois le début du déclin de la diplomatie culturelle canadienne. Des projets jusqu’à lors financés par le gouvernement fédéral, notamment le projet Routes commerciales et le Programme de diplomatie ouverte (PDO), ont été abolis, ce qui a influé sur notre épanouissement artistique, culturel et communautaire.

Cela dit, nous sommes heureux de l’intérêt que porte le gouvernement actuel à la question de la diplomatie culturelle. À ce propos, nous nous réjouissons de la nomination récente d’un attaché commercial aux affaires culturelles à l’ambassade du Canada en France, dont les retombées se font déjà ressentir à la Société Nationale de l’Acadie, particulièrement en ce qui concerne la Stratégie de promotion des artistes acadiens sur la scène internationale. La promotion efficace des artistes acadiens sur la scène internationale dépend directement du développement commercial des produits culturels canadiens en Europe.

Je conclus en précisant à quel point l’Acadie de l’Atlantique a également contribué à étoffer la diplomatie culturelle canadienne au cours des 25 dernières années, notamment en participant à de nombreux festivals et événements internationaux. Il me semble que cette forme de diplomatie repose essentiellement sur deux bases complémentaires : d’une part, l’appui du gouvernement aux milieux associatif, culturel et artistique en sol canadien et, d’autre part, le renforcement des moyens, notamment des moyens financiers, auprès d’organismes faisant rayonner le Canada dans le monde comme le fait la Société Nationale de l’Acadie dans les pays avec lesquels nous entretenons des affinités culturelles, commerciales et diplomatiques. L’instauration de pratiques collaboratives vouées au développement culturel international entre le gouvernement, la société civile et le milieu culturel serait un bon moyen de rejoindre ces deux pôles.

Enfin, comme nous l’avons suggéré à la ministre du Patrimoine canadien, il y a quelques mois, la SNA souhaite que soient institués de nouveaux partenariats entre Patrimoine canadien et Affaires mondiales Canada afin que nous puissions contribuer activement au développement et au rayonnement des arts, de la culture et de la dualité linguistique au cœur de la politique diplomatique canadienne. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci. Nous avons entendu deux très bons exposés, des exposés exhaustifs. Au début, je n’étais pas convaincue qu’ils étaient compatibles, mais je pense maintenant qu’ils l’étaient. Vous avez chacune vos points de vue.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de vos exposés.

Madame Williams, vous avez souligné quelque chose de très intéressant, soit le fait que nous ne recevons pas de films de l’Afrique ou des Caraïbes, ou que ces films ne sont pas portés à notre attention. Cela m’a fait penser que les films indiens en provenance de Mumbai — les films de Bollywood, comme on les appelle — ont subi une transformation d’envergure pour faire en sorte d’être lancés partout dans le monde la même journée.

Une fois par année, je vais voir un film de Bollywood et le cinéma est bondé. Comment expliquer un tel succès?

En Afrique, il y a le Nigeria qui tourne autant de films que Bollywood, sauf qu’on ne voit jamais ces productions dans les cinémas grand public. Alors, que fait l’Inde que les pays africains ne font pas? La diaspora indienne et la diaspora africaine forment pourtant de vastes communautés partout dans le monde.

Mme Williams : D’une certaine façon, il y a des similitudes entre les deux, mais aussi des différences. L’Inde est un seul pays et l’Afrique est un continent constitué de nombreux pays différents. C’est la même chose pour les Caraïbes : on prend ces pays pour un tout, mais ils ne sont pas toujours d’accord ou ils n’acceptent pas toujours de travailler et de collaborer les uns avec les autres, alors la dynamique est différente de celle qui prévaut en Inde, où il s’agit d’un tout.

En Inde, lorsqu’un film est lancé, c’est l’Inde tout entière qui y a droit. Croyez-moi, si quelqu’un lance un film au Nigeria, cela ne signifie pas qu’il sera nécessairement applaudi en Afrique du Sud ou au Kenya. Ils se demandent pourquoi leurs films ne circulent pas à l’extérieur du pays. Le soutien n’est pas aussi assidu lorsque les pays sont plus ou moins ignorés.

Ce que j’ai dit avait plutôt à voir avec les communautés raciales diversifiées du Canada qui proviennent des diasporas africaine, caribéenne ou indienne et qui produisent des films canadiens. Je ne me soucie pas tellement des films que ces autres pays nous envoient. Ce qui m’intéresse, c’est ce que nous faisons pour amener nos films à eux. Je ne parle pas de l’idée de faire un film indien qui serait destiné au marché de l’Inde. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est ce que nous faisons pour amener un film canadien de facture raciale diversifiée à ces communautés.

La sénatrice Ataullahjan : Nous avons vu que les pays de l’Asie du Sud produisent des films au Canada, avec des acteurs canadiens, et que ces films remportent un certain succès. Ils se débrouillent relativement bien.

La raison pour laquelle j’ai évoqué le Nigeria, c’est qu’on y produit vraiment beaucoup de films. D’autre part, je tenais à souligner que les pays de l’Asie du Sud font des films au Canada, surtout à Toronto. C’est une belle réussite.

Mme Williams : Les films sont-ils réalisés dans un décor canadien, voire torontois, le cas échéant? Le spectateur est-il censé croire que l’histoire se déroule en Inde ou à Toronto?

La sénatrice Ataullahjan : À Toronto. Ce sont des Indiens ou des Pakistanais d’origine canadienne qui jouent les rôles principaux, mais les scénarios portent sur des histoires canadiennes ou sur la vie de ces gens au Canada.

Mme Williams : Je ne veux pas monopoliser la conversation, mais, à titre d’exemple, je connais Richie Mehta, qui a fait ses débuts dans le cadre du Reelworld Film Festival et qui s’est ensuite rendu en Inde. L’Inde dispose d’une infrastructure qui lui a permis d’obtenir du financement pour tourner un film au Canada, puis de l’envoyer là-bas.

À Nollywood, au Nigeria, cette infrastructure n’existe pas. Dès que le film est terminé, il doit sortir dans la semaine qui suit, sinon il se fera pirater. C’est formidable que Nollywood existe, mais il n’y a là-bas aucune infrastructure semblable.

Vous serez surpris d’apprendre qu’il y a beaucoup de Nigérians qui font des films à Winnipeg et en Alberta, et que ces films fonctionnent pas mal bien à petite échelle. J’estime que nous n’encourageons pas suffisamment cette production et que nous ne faisons pas de notre mieux pour appuyer la diffusion de ces films à l’étranger. Nous avons une infrastructure, mais ce n’est pas le cas pour ces autres pays.

La sénatrice Bovey : Je tiens à vous remercier toutes les deux. Je trouve vos propos inspirants, et je crois que vos observations sont tout à fait alignées sur le sujet de notre étude.

J’aimerais varier en vous invitant à vous tourner vers le passé pour un instant. Beaucoup de gens ont parlé de la perte du programme Routes commerciales et des attachés culturels. Vous avez toutes les deux émis des idées sur l’incidence des arts et de la culture sur notre travail diplomatique et sur l’importance que ces pratiques revêtent à cet égard.

En prévision de l’avenir, que nous recommanderiez-vous de recommander quant à la façon de soutenir cette dynamique? Devrions-nous demander le retour du programme Routes commerciales ou y a-t-il quelque chose de mieux que nous pourrions proposer? D’autres idées nous viendront-elles avec le temps? Devrions-nous avoir des attachés culturels partout, plutôt que seulement à certains endroits, ou existe-t-il de meilleures façons de matérialiser les partenariats et les occasions favorables dont vous avez toutes les deux parlé?

[Français]

Mme Imbeault : Je vais répondre en français, parce que c’est plus facile pour moi.

[Traduction]

Mais j’aimerais aussi répondre en anglais.

[Français]

Ce qui est difficile à comprendre dans toute la question de la promotion des arts et de la culture canadienne à l’étranger, c’est le fait qu’à l’étranger, ils ont aussi des arts et de la culture. Alors, pour se faire une place, il faut y travailler et il faut y investir. C’est ce que les Routes commerciales avaient commencé à faire. Elles ont commencé à investir dans certains pays proches de nous, soit par le truchement de la langue ou de la culture, pour que nos artistes puissent être d’abord connus et que, tranquillement, cela devienne un investissement rentable.

On a un peu de difficulté à le comprendre, parce qu’il est difficile de se faire une place. On a parlé, plus tôt, au sujet des artistes autochtones, mais il y a toutes les autres formes d’art. Il n’y a pas que les arts visuels. Il y a la musique, le théâtre, la littérature. Il faut que, dans toutes ces formes d’art, nos artistes puissent rayonner à l’étranger. Il faut leur donner les moyens de le faire. Ils doivent être dans le pays, être bien encadrés, être bien structurés et avoir des occasions de voyager. Cela se fait en partenariat avec le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les associations qui représentent les artistes ou les intérêts des communautés.

Ce n’est peut-être pas la même formule que celle des Routes commerciales qu’il faut réinstaurer, mais il faut établir des partenariats avec les différentes instances gouvernementales. Il faut que Patrimoine canadien et Affaires mondiales Canada communiquent et travaillent ensemble. Cela ne peut pas se faire en vase clos.

[Traduction]

Mme Williams : J’ajouterais que cela ne fait pas vraiment de différence si nous retournons aux anciens projets ou si nous nous en remettons à ceux qui viendront. Ce que vous devez comprendre, c’est que lorsque vous cherchez à obtenir des subventions pour un organisme qui s’occupe des arts, c’est comme si vous visiez une cible en mouvement. Vous devez tirer en espérant de faire mouche. Pour une année donnée, telle subvention se concentre sur tel ou tel aspect. Vous focalisez donc toute votre énergie là-dessus et vous préparez tous vos documents en fonction de cela, y compris les documents complémentaires. Il faut engager des rédacteurs spécialisés dans les demandes de subvention. Tout cela est coûteux pour nous. L’année suivante, la subvention n’est plus la même, elle est devenue quelque chose d’autre. Il vous faut donc retourner à la table à dessin et revoir la façon de soumettre votre demande.

Chaque année, c’est la panique, puisqu’il faudra lire toute la documentation appropriée et adapter notre présentation à la rhétorique du moment ou aux objectifs demandés cette année-là. Bref, quel que soit le type de financement que vous mettrez au point, ce serait vraiment formidable que la cible reste en place. Cela nous éviterait des pertes de temps considérables.

Parfois, je me retrouve à préparer des documents d’appui dont nous n’avons pas besoin. On nous dit : « Il nous faut tel ou tel document d’appui maintenant. » C’est extrêmement stressant. Nous sommes présentement en train de préparer trois demandes de subvention. Nous sommes trois. Une personne doit se focaliser là-dessus et elle est constamment en train de nous poser des questions, et il faut toujours répondre dans les délais prévus. Les délais sont toujours très courts, une semaine ou deux. C’est stressant.

La sénatrice Bovey : Comme j’ai déjà été dans ce milieu, je connais ce stress et ce phénomène des cibles mouvantes. Vous avez tout à fait raison. Il y a des mots à la mode et ils changent régulièrement. J’entends dire qu’un investissement constant et cohérent de la part des gouvernements permettra une planification plus efficace pour accéder à la scène internationale. C’est quelque chose que je peux très bien concevoir.

L’autre chose que je voulais vous demander, c’est ceci : quel rôle les ambassades du Canada du monde entier devraient-elles jouer qu’elles ne jouent peut-être pas encore? Je sais que ces ambassades diffèrent d’un endroit à l’autre, mais que croyez-vous qu’elles devraient faire pour diffuser aussi profondément que possible les arts canadiens sous toutes leurs formes, de manière à créer des retombées concrètes pour la société canadienne dans son ensemble?

Je me fais constamment demander combien les arts rapportent. Oui, il arrive que cela rapporte quelques dollars, mais ce que nous en retirons est beaucoup plus grand que cela, et beaucoup plus difficile à mesurer.

Nous aimerions avoir votre aide. Que faut-il que nos ambassades fassent pour aider nos organismes artistiques et nos artistes à réussir le mieux possible?

[Français]

Mme Imbeault : J’ai signalé plus tôt que, par exemple, à l’ambassade du Canada à Paris, on a maintenant un attaché commercial aux affaires culturelles. Je pense que c’est un modèle qui donnera des résultats. Il faut tabler là-dessus, mais il faut que ce soit un peu plus large.

Quand on parle d’attaché commercial, on pense aux profits. Il est normal de penser ainsi, mais il faut aussi penser au rayonnement. On ne fera pas de profits du premier coup, on n’aura pas de grandes ventes. On a parlé plus tôt des ventes de tableaux. Il y a les tableaux des grands maîtres, mais il y a aussi les tableaux de tous nos artistes qui travaillent chaque jour et qui ont besoin aussi de gagner leur vie.

Il faut que nos ambassades servent de lieu de rencontre entre les pays dans lesquels les ambassades sont situées et les artistes canadiens qui vont à l’étranger. Il y a beaucoup plus d’échanges qu’on le pense, mais ils ne sont pas toujours répertoriés ou connus. Il faut faire l’inventaire de cela et parrainer ces activités.

Des Canadiens et des Canadiennes se rendent dans les salons du livre partout dans le monde, présentent leurs films dans des festivals à travers le monde ou font de la danse. Il faut vraiment les parrainer et les appuyer pour que ce ne soit pas simplement des aventures d’un jour, que ce ne soit pas qu’un seul spectacle en France ou à Londres, mais plutôt une tournée dans les pays qui nous concernent. Cela fait partie de l’identité du Canada. C’est ainsi que le Canada s’est défini. On est capable de vendre toutes sortes de choses dans les autres pays, mais les arts et la culture nous définissent.

[Traduction]

Mme Williams : J’aimerais ajouter quelque chose. Je suis à Los Angeles depuis 1987, alors j’ai croisé beaucoup de consuls généraux au fil des ans, et j’ai été invitée à de nombreux événements. Ce que je remarque, c’est que l’intérêt à cet égard fluctue d’un consul à l’autre. À un moment donné, il y a eu un consul qui était très enthousiaste à l’égard de l’industrie du divertissement et du grand écran. Alors, il a créé un répertoire de talents. C’était fantastique, sauf que le répertoire a été jeté aux oubliettes lorsque le consul a quitté son poste.

Alors, cette chose en ligne qu’on avait créé et qui avait tout un succès vient de prendre fin. Aussi, ce consul organisait constamment des événements au consulat. Cela permettait en outre de faire connaître cet immeuble que nous avons, ici, à Los Angeles. Cependant, je n’ai assisté à aucun événement au consulat au cours de la dernière année.

Il y a eu un autre consul, il y a plusieurs années, avec lequel nous avions organisé un événement « real world. » Beaucoup de gens des médias avaient été invités. Nous voulions qu’ils comprennent ce concept fantastique dans toute sa diversité. Il y avait des films et des cinéastes canadiens et une pléthore d’invités, dont Sandra Oh et Adam Beach. Une foule de Canadiens de talent était sur place. Encore une fois, c’était une manifestation à occurrence unique. Quelles que soient les politiques que vous mettez au point, elles sont constamment en train de changer, et c’est pourquoi la constance est déficiente.

Imaginez ce qui arriverait si la cérémonie des Oscars avait lieu quatre années de suite, puis disparaissait pendant deux ans, puis revenait pendant trois ans avant de sauter une année. C’est le fait de pouvoir dire que c’est la 90e édition qui rend ces prix si importants.

Devrait-il y avoir des gens dans tous les pays? Je ne sais pas si cela va nécessairement aider la cause. Cela ne peut pas faire de mal que d’essayer, mais vous allez vous rendre compte que chacun a ses passions. Certaines personnes accordent plus d’importance au cinéma, mais il y a aussi les livres et la danse. C’est beaucoup demander à une seule personne de se tenir au courant de toutes les plateformes et de traiter de la même façon avec chacune d’elles. Du reste, je ne crois pas que vous allez pouvoir vous permettre une équipe, sauf si vous réservez cela aux pays les plus importants. Quelqu’un pourrait alors s’occuper de la littérature pendant que son collègue s’occupe de la chose cinématographique. Comme on dit dans le métier, tout dépend de votre budget de production.

La présidente : Il ne nous reste plus beaucoup de temps.

Madame Imbeault, je viens de l’Ouest canadien, mais en grandissant, j’ai connu le fait acadien au Canada. Je crois que derrière le fait acadien, il y a une collectivité qui se comprend, se préserve et se défend. J’ai l’impression que, dans une vaste mesure, ce mouvement prend racine dans la population. Les collectivités elles-mêmes étaient très conscientes de leur place au sein du Canada et de ce qu’elles devaient faire pour se mettre au monde, si je puis m’exprimer ainsi. Je pense que vous avez fait un travail admirable.

À mon sens, la main gouvernementale n’a pas nécessairement grand-chose à voir là-dedans. Il s’agit plutôt d’un peuple qui a compris ce qu’il lui fallait pour se préserver. Certains gouvernements ont mis l’accent sur la culture, d’autres non. Il y a eu des gouvernements qui ont choisi quelles formes d’art et quelle culture ils allaient appuyer. Comme le disait Mme Williams, c’est « l’année de telle ou telle chose » et tout à coup, vous vous mettez à recevoir des subventions. J’avais l’habitude d’aider les ONG et je leur disais : « Dites-moi ce que vous voulez faire et je vais trouver une façon de présenter cela conformément aux idées à la mode au sein du gouvernement à ce moment-là. » Vous n’aurez pas à changer ce que vous faites, mais le rapport donnera l’impression que vous avez effectivement changé de cap. Alors, c’est un aspect non négligeable.

Le gouvernement a mis l’accent sur la culture, mais aussi sur le commerce — le commerce comme moteur des emplois, de l’économie, et cetera. Nous ne savons pas encore ce que cela va donner. Nous attendons, car le gouvernement a été conseillé par certains experts.

Cet apport du commerce pourrait-il être une façon positive d’encourager nos communautés culturelles et d’y investir autrement que par le simple octroi de subventions? Aurions-nous intérêt à miser davantage sur les facteurs fondamentaux qui leur permettraient de tendre vers l’autonomie? Je ne sais pas si l’une de vous deux veut se risquer là-dessus. Je crois que c’est l’un des aspects que nous allons devoir examiner.

[Français]

Mme Imbeault : Madame la présidente, vous avez parfaitement raison. La résilience des Acadiens est venue du fait que nous savions qui nous étions, quelle langue nous parlions et quelle place nous voulions occuper au pays. Toutefois, nous voulons grandir aussi, tout comme le reste du Canada veut grandir. À ce moment-là, il faut regarder à l’extérieur de nos frontières pour cibler un public plus grand.

C’est pourquoi je voulais répondre à la question posée précédemment. Vous seriez étonnés de ce dont nous sommes capables. Les arts et la culture, ce sont aussi nos mœurs et nos coutumes. C’est ce qu’on mange, c’est ce qu’on fait. À Nantes, il y a quelques années, il y a eu une rencontre où on a présenté la fable du bœuf et du homard. Les gens de la région ont été invités à venir déguster du bœuf de l’Ouest et du homard de l’Atlantique, tout en assistant à des prestations d’artistes. Vous seriez étonnés des résultats. C’est un peu en ce sens que nous allons continuer, probablement, en jumelant les choses que nous sommes capables de faire avec nos ressources naturelles et la création artistique.

Vous avez raison, on ne peut pas vivre seulement d’amour et d’eau fraîche, il faut que les arts et la culture vivent. On peut les jumeler, car, effectivement, le Canada cherche à développer à l’étranger sa capacité commerciale. Je vous ai donné cet exemple, qui s’est tenu une fois, mais on peut le reproduire dans le cadre d’un événement qui jumelle la culture à l’agriculture ou aux ressources naturelles.

[Traduction]

Mme Williams : Tout le monde essaie constamment de faire le lien avec l’argent, de savoir comment les arts et la culture font progresser le commerce. Quelqu’un pourrait dire : « Comment puis-je gagner ma vie en jouant à la roulette à Las Vegas? » Avec les arts, on ne sait pas ce qui peut arriver. On ne sait pas comment l’auditoire va réagir; on ne sait pas ce qui fera réagir le monde en général. Chaque production, chaque œuvre est un coup de dé. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’un immeuble que l’on peut regarder. C’est tout simplement impossible.

Malgré cela, malgré le fait que c’est quand même impossible, les Américains y consacrent énormément d’argent, parce que c’est dans le grand jeu qu’ils trouvent leur compte. Ils ne considèrent pas chaque production ou chaque petite chose comme une occasion de gagner ou de perdre. Bien entendu, il y a le système des studios, ce qui n’existe pas au Canada. Lorsque vous avez un studio, vous pouvez encadrer les artistes émergents, guider leurs pas, puis laisser le service de marketing faire son travail et tout le reste.

Au Canada, les réalisateurs doivent tout prendre sur leurs épaules. Ils doivent mettre au point des plans de mise en marché, alors qu’ils n’ont pas d’expérience là-dedans. Ils ne connaissent pas tous ces autres domaines. On devrait leur laisser la chance d’être les artistes qu’ils sont et leur permettre de grandir dans un milieu qui prend soin de ces autres aspects.

Prenez la question de la créativité. Regardez ce qui s’est passé avec un film comme Get Out. Y a-t-il meilleur exemple de petit film afro-américain ayant connu un succès monstre? Le réalisateur lui-même ne sait pas comment cela a pu se produire. Le film a décollé et il est maintenant en nomination pour un Oscar. C’est phénoménal. Un réalisateur novice, un type issu du monde du stand-up… Ce sont les réussites réjouissantes que nous espérons tous. Toutefois, ces réussites ne se produisent pas toutes seules. Elles ont été nourries par des groupes de personnes. Alors, si vous avez l’intention d’investir de l’argent, il faudra trouver une façon de jumeler les talents émergents avec des personnes qui ont beaucoup d’expérience et d’éloquence. Ces personnes doivent encadrer les artistes, les accompagner. Les artistes doivent comprendre qu’ils bénéficieront d’un vrai mentorat qui, d’une certaine façon, pourrait s’étendre sur des années. Je sais que c’est ce que Norman Jewison a fait avec Clement Virgo. Il est resté des années pour aider ces personnes à devenir les vedettes qu’elles sont maintenant. Je ne pense pas que nous ayons cela.

La présidente : Merci. Nous avons dépassé le temps dont nous disposions, et je vous remercie beaucoup toutes les deux d’être restées avec nous. Vous avez porté beaucoup de choses à notre attention et vous avez parlé de l’expérience canadienne d’une variété de points de vue. Notre travail consistera à donner de l’air et de l’espace à toutes les choses qui importent pour la communauté des arts et de la culture au Canada, et ce, dans toutes les régions et pour toutes les disciplines. Parfois, lorsque nous arrivons à la fin d’une séance, je me dis, non sans une certaine appréhension, que nous nous retrouvons avec un bagage plus lourd que celui que nous avions en commençant, mais c’est l’expression de l’une des richesses de notre pays et c’est avec elle que le comité doit composer.

Je sais que vous nous avez donné quelque chose qui alimentera notre réflexion et nos débats. Certaines de vos observations vont assurément trouver place dans notre étude. Cela dit, comme nos délibérations étaient télédiffusées, je crois que la population canadienne en général a aussi pu tirer parti de ce que vous nous avez dit aujourd’hui.

Sur ce, madame Imbeault et madame Williams, je vous remercie de vos approches très différentes et de l’importance que vous accordez à cette vaste discussion canadienne sur la culture et la diplomatie. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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