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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 46 - Témoignages du 10 mai 2018


OTTAWA, le jeudi 10 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 32, pour étudier la teneur des éléments de la section 8 de la partie 6 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui pour poursuivre son examen des éléments de la section 8 de la partie 6 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures présentées à la Chambre des communes le 27 mars 2018.

Avant de donner la parole à nos témoins, je demanderais aux sénateurs de se présenter.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Sénatrice Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Sénatrice Bovey, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l’Ontario.

La présidente : Je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan, et je suis présidente du comité.

Aujourd’hui, dans le cadre de notre étude sur le projet de loi C-74, nous accueillons, par vidéoconférence de Toronto, Marc Rowlinson, adjoint au directeur national, Syndicat des Métallos, ainsi que Chris Roberts, directeur, Politiques sociales et économiques, Congrès du travail du Canada.

J’aimerais remercier les témoins qui comparaissent aujourd’hui et je demanderais à M. Rowlinson de livrer son exposé.

Bienvenue au comité. Monsieur Rowlinson, vous avez la parole.

Mark Rowlinson, adjoint au directeur national, Syndicat des Métallos : Merci beaucoup, sénatrice. Comme il a été mentionné, je suis Mark Rowlinson, adjoint au directeur national du Syndicat des Métallos. Je formule des conseils d’ordre administratif et politique aux dirigeants élus des syndicats du Canada, et je suis le principal responsable des enjeux liés au commerce, à la réforme du droit et à la politique industrielle.

Le Syndicat des Métallos est un syndicat international qui compte environ 800 000 membres partout en Amérique du Nord et environ 220 000 membres au Canada.

Notre syndicat s’intéresse particulièrement aux enjeux commerciaux, car un grand nombre de nos industries principales, notamment l’acier, l’aluminium, la fabrication et les produits de base, sont exceptionnellement exposées au commerce.

Le Syndicat des Métallos reconnaît l’importance du rôle joué par le commerce dans le renforcement d’une économie saine et robuste. Toutefois, nous insistons sur le fait que la politique commerciale du Canada devrait être élaborée en consultation avec les organisations syndicales, les travailleurs et d’autres groupes de la société civile. Nous faisons valoir que la politique commerciale devrait respecter les normes internationales du travail et qu’elle devrait favoriser les intérêts des producteurs, des collectivités et des travailleurs canadiens.

À cette fin, nous invitons régulièrement le gouvernement du Canada à moderniser et à renforcer notre système de recours commerciaux et à le rendre plus responsable et transparent pour les collectivités et les travailleurs canadiens. Pendant des décennies, au Canada, les cas liés aux recours commerciaux concernaient presque exclusivement des intérêts et des producteurs commerciaux privés. Toutefois, au cours des dernières années, notre syndicat a ouvert la voie en proposant des changements à notre système de recours commerciaux.

En 2015, nous avons joué un rôle actif dans le cadre d’une enquête d’intérêt public visant des barres d’armature sous-évaluées et subventionnées en provenance de la Chine, de la Corée et de la Turquie. Dans cette affaire, le gouvernement de la Colombie-Britannique et les producteurs de cette province ont demandé une exemption aux droits qui avaient été imposés par le tribunal du commerce, mais au bout du compte, le tribunal a refusé.

En 2016, en réponse à un processus de consultation lancé par le gouvernement, nous avons milité en faveur de différents changements à apporter dans notre système de recours commerciaux, notamment le droit des syndicats d’être informés des cas de recours commerciaux qui touchent leurs membres, le droit des syndicats de participer pleinement aux cas de recours commerciaux, ainsi que le droit d’initier des recours commerciaux.

En effet, au cours de la dernière année, notre syndicat a activement participé à plusieurs cas de recours commerciaux qui touchent directement nos membres. L’automne dernier, nous avons participé à une affaire concernant des tuyaux d’acier coréens sous-évalués et subventionnés. Dans cette affaire, le tribunal du commerce a souligné que notre intervention illustrait la contribution utile et importante que les syndicats peuvent apporter aux cas de recours commerciaux.

En ce moment, nous participons activement à une affaire qui concerne des produits de tuyaux d’acier vietnamiens sous-évalués, ainsi qu’à une affaire liée au renouvellement des droits visant des tôles d’acier laminées à chaud provenant de la Chine. Dans chaque cas, nous nous efforçons activement de protéger les emplois canadiens des répercussions engendrées par les pratiques commerciales abusives et déloyales.

Notre syndicat sait d’expérience que permettre l’entrée de produits sous-évalués et subventionnés au Canada casse les prix de vente à l’échelle nationale et supplante les produits nationaux, ce qui cause des torts comme des pertes d’emploi et de salaire. Les effets nuisibles sur l’emploi et les salaires engendrés par ce comportement destructif vont bien au-delà des emplois directs dans les usines de fabrication, car ils touchent également les chaînes d’approvisionnement, les économies locales et les collectivités.

C’est pourquoi nous avons été heureux de constater, ces dernières années, que le gouvernement fédéral avait apporté plusieurs changements au système de recours commerciaux et au Tribunal canadien du commerce extérieur.

Tout d’abord, dans le budget de 2017, le gouvernement du Canada a annoncé plusieurs changements qui ont récemment été mis en œuvre par l’entremise de modifications réglementaires. Premièrement, le gouvernement a expressément accordé aux syndicats le droit d’être informés des cas de recours commerciaux, ce qui a permis aux syndicats d’intervenir dans de tels cas. Deuxièmement, le gouvernement a pris des règlements visant à renforcer la capacité de l’ASFC d’enquêter sur les mesures de contournement utilisées par divers producteurs. Il a également pris des règlements visant à accorder le droit d’enquêter sur certaines situations particulières sur le marché, et il a autorisé un nouveau processus lié à des décisions sur la portée. Je peux vous en parler plus en détail si vous le souhaitez.

Deuxièmement, dans le budget de 2018, le gouvernement fédéral a aussi proposé d’apporter des changements au Tribunal canadien du commerce extérieur et ces changements sont directement liés au sujet abordé par votre comité aujourd’hui. Nous appuyons ces mesures qui offriront une plus grande souplesse et davantage de ressources au tribunal du commerce, car de plus en plus, ces affaires doivent être réglées rapidement.

Troisièmement, le gouvernement a récemment créé des comités multilatéraux de surveillance pour l’acier et l’aluminium. Notre syndicat a participé activement à ces deux comités. Ces comités réunissent des hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral, des représentants de l’industrie, des syndicats et des représentants de gouvernements provinciaux qui examinent les risques actuels pour l’acier et l’aluminium, ainsi que les risques liés à la montée du protectionnisme au sud de la frontière. Je serai heureux de vous en parler pendant la période de questions et de réponses.

Enfin, le gouvernement fédéral a récemment annoncé des augmentations budgétaires pour l’Agence des services frontaliers du Canada. C’est le principal organisme responsable d’enquêter sur les produits étrangers sous-évalués et subventionnés qui entrent au Canada. Tous ces changements sont très bien accueillis, et nous les appuyons sans réserve.

Toutefois, à notre avis, il y a encore du travail à faire. Premièrement, les syndicats n’ont toujours pas le droit de lancer des recours commerciaux, et nous croyons qu’il s’agit d’une omission. En effet, les syndicats ont le droit de lancer des recours commerciaux aux États-Unis, au sein de l’Union européenne et en Australie. Nous croyons qu’il est temps de modifier nos lois pour permettre aux syndicats de lancer des recours commerciaux au nom des travailleurs canadiens ici, au Canada.

Le deuxième enjeu qui nous inquiète beaucoup, et j’y ai fait allusion plus tôt, c’est qu’en raison de la montée du protectionnisme au sud de la frontière, nous craignons grandement de voir arriver d’énormes quantités de produits sous-évalués sur le marché canadien, c’est-à-dire des produits sous-évalués qu’on tentera d’intégrer au marché canadien et des produits qu’on tentera ensuite de transborder sur le marché américain, afin de les soustraire aux tarifs actuellement imposés par le gouvernement des États-Unis.

Enfin, nous croyons également que le processus actuel de recours commerciaux, même s’il a été amélioré de façon remarquable au cours des dernières années, doit devenir plus transparent et faire l’objet d’une plus grande exposition publique.

Comme je l’ai souligné dès le début, notre syndicat comprend la valeur et l’importance du commerce, mais tous les échanges commerciaux doivent être réglementés. Il est plus important maintenant que jamais que les pays qui ne respectent pas les règles du commerce et qui s’engagent dans des pratiques commerciales qui peuvent littéralement éviscérer certaines industries canadiennes soient tenus responsables. On doit les obliger à respecter les règles. Si les travailleurs canadiens ne sont pas protégés contre les mauvais joueurs de l’échiquier commercial mondial, ils feront de moins en moins confiance à notre régime commercial mondial. Un processus de recours commerciaux robuste, efficace et inclusif fait partie intégrante d’un bon système commercial.

Merci beaucoup. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Chris Roberts, directeur, Politiques sociales et économiques, Congrès du travail du Canada : Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

Je comparais au nom du Congrès du travail du Canada, le plus grand groupe de travailleurs au Canada. Le CTC sert de porte-parole pour les enjeux nationaux et internationaux de trois millions de travailleurs au Canada. De plus, notre organisme réunit 55 syndicats nationaux et internationaux, 12 fédérations du travail provinciales et territoriales et plus de 100 conseils du travail régionaux d’un océan à l’autre.

En 2015, le Congrès du travail du Canada a participé à l’enquête d’intérêt public lancée par le Tribunal canadien du commerce extérieur — M. Rowlinson y a fait référence un peu plus tôt —, comme le permet la Loi sur les mesures spéciales d’importation. Cette enquête découle d’une plainte formulée en 2014 par les producteurs canadiens de barres d’armature pour béton contre les barres d’armature illégalement sous-évaluées et subventionnées en provenance de la Chine, de la Corée du Sud et de la Turquie.

Après enquête, l’Agence des services frontaliers du Canada a conclu en décembre 2014 que les barres d’armature importées de ces pays avaient illégalement été sous-évaluées et que les barres d’armature chinoises avaient été illégalement subventionnées.

Après une longue audience, en janvier 2015, le Tribunal canadien du commerce extérieur a rendu une décision dans laquelle il a affirmé que ces importations de barres d’armature sous-évaluées et subventionnées avaient le potentiel de nuire à l’industrie nationale. Par conséquent, le tribunal a imposé des droits sur l’importation de ces barres d’armature.

Pendant ces audiences, l’Independent Contractors and Businesses Association of British Columbia, appuyée par le gouvernement de la Colombie-Britannique, a demandé une exemption régionale à l’imposition de droits sur les barres d’armature importées dans la province de la Colombie-Britannique.

Au bout du compte, le tribunal a rejeté cette demande d’exemption régionale pour la province de la Colombie-Britannique. En février 2015, l’ICBA et le gouvernement de la Colombie-Britannique ont demandé la tenue d’une enquête d’intérêt public telle que permise par la loi. Cette enquête a débuté en avril 2015.

La participation du CTC à l’enquête a permis de révéler les éléments opaques et inaccessibles du système de recours commerciaux pour les syndicats. Comme vous venez de l’entendre, traditionnellement, dans le cadre des règles en matière de recours commerciaux du Canada, les organisations syndicales n’ont pas pu déposer des plaintes liées à la sous-évaluation, au contournement des droits ou aux mesures de protection. En effet, les syndicats n’ont pas pu participer aux audiences ou aux mesures administratives subséquentes. En fait, à moins d’être invités par une partie intéressée, telle que définie dans les règles du TCCE, pour servir de témoins, les syndicats n’ont joué aucun rôle officiel au sein du système de recours commerciaux.

En juin 2016, le CTC a formulé une proposition dans le cadre du processus de consultation du ministère des Finances sur les mesures visant à renforcer le système de recours commerciaux au Canada. Comme celle du Syndicat des Métallos, la proposition du CTC demandait expressément des changements qui permettraient aux syndicats de participer pleinement au processus de recours commerciaux. Le CTC a donc été heureux de voir que le Règlement modifiant le Règlement sur les mesures spéciales d’importation et les règles du TCCE publiés dans la Gazette du Canada du 31 mars 2018 accordaient aux syndicats le droit explicite de participer aux enquêtes en matière de recours commerciaux.

À notre avis, ces changements permettent de commencer à aligner les lois en matière de recours commerciaux du Canada avec celles de ses principaux partenaires commerciaux, notamment les États-Unis, l’Union européenne et l’Australie, qui permettent tous aux syndicats de déposer des plaintes liées à des recours commerciaux et de participer pleinement aux procédures de leur système de surveillance du commerce national.

À notre avis, les mesures prises par le gouvernement du Canada permettront d’améliorer la transparence et l’inclusion de notre système de recours commerciaux et surtout le TCCE. Les coûts liés au système de recours commerciaux actuel et sa complexité empêchent un grand nombre de petits producteurs et de petits intervenants de l’utiliser. En effet, les parties intéressées doivent être prêtes et avoir la capacité de dépenser de grosses sommes en frais de consultation économique et juridique, et elles doivent passer des jours et des semaines à préparer des documents et des témoignages. Les grandes entreprises ont le moyen de payer ces choses, mais elles peuvent exclure un grand nombre de petits producteurs et intervenants à moins qu’ils fassent partie d’une coalition d’intérêts.

Selon nous, le TCCE ne devrait pas être géré comme un tribunal privé conçu exclusivement pour entendre des différends commerciaux. Étant donné qu’il est une partie importante du système de recours commerciaux du Canada, le TCCE attire un grand intérêt en matière de politique publique.

Les fonctions du TCCE, telles qu’établies dans la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, consistent notamment à mener des enquêtes et à produire des rapports sur des questions qui lui sont référées pour instruction par le gouvernement du Canada. Le TCCE est aussi responsable de mener une enquête et de faire rapport au gouverneur en conseil sur toutes questions liées aux intérêts économiques et commerciaux du Canada en ce qui concerne les biens ou les services ou toute catégorie de ceux-ci que le gouverneur en conseil réfère au tribunal pour instruction.

Point encore plus important, les importations sous-évaluées et subventionnées qui arrivent sur le marché canadien ont des effets nuisibles non seulement sur les producteurs nationaux, mais également sur leurs employés, leur famille et les collectivités dont la subsistance dépend des emplois et des revenus fournis par l’industrie nationale. Nous accueillons donc favorablement la mesure consistant à permettre expressément aux syndicats de participer aux procédures des recours commerciaux. Nous espérons que cela permettra d’attirer l’attention et de lancer un examen du système de recours commerciaux du Canada et de sa capacité de promouvoir des niveaux élevés d’investissement à l’échelle nationale, d’emploi et de développement économique dans un régime commercial équitable.

Honorables sénateurs, je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La sénatrice Eaton : Apparemment, il manque toujours un ou deux membres au tribunal du commerce. Cela a-t-il des répercussions sur des secteurs comme le bois d’œuvre, une difficulté à laquelle fait face notre pays depuis toujours? Ou lorsque le président Trump nous accorde une exemption pour l’acier, mais qu’il dit qu’on ne peut pas faire le dumping de l’acier, nous ne pouvons pas accepter cet acier et le transborder. Ou je pense que dans l’ALENA, en ce moment, le gros problème concerne les salaires dans l’industrie automobile. Ne tente-t-on pas d’amener les salaires des travailleurs mexicains au niveau des salaires canadiens et américains? Un tribunal plus fort vous aiderait-il à faire cela ou le tribunal n’a-t-il rien à voir avec ces négociations?

La présidente : À quel témoin s’adresse votre question?

La sénatrice Eaton : À tous les témoins qui souhaitent répondre.

M. Roberts : Je dirais que les problèmes auxquels vous faites allusion sont beaucoup plus enracinés dans notre orientation et notre régime commercial international — les accords commerciaux, les instruments qui permettent ou qui empêchent le dumping social fondé sur les salaires peu élevés et les violations aux droits du travail. Les sources de ces problèmes vont bien au-delà de l’administration du TCCE.

Je crois que les changements liés à l’administration du TCCE qu’on envisage d’apporter dans le projet de loi C-74 sont assez simples et anodins. Tant et aussi longtemps qu’ils améliorent l’efficacité et l’administration du tribunal, nous les appuierons et nous ne serons certainement pas contre ces changements. Toutefois, les problèmes auxquels vous faites référence dans vos commentaires vont bien au-delà de ce tribunal particulier et de cet élément de notre système commercial.

La présidente : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Rowlinson?

M. Rowlinson : Je suis d’accord avec Chris, mais j’aimerais ajouter un commentaire.

Le conflit lié au bois d’œuvre — un certain nombre de nos membres viennent du secteur forestier — est réellement un conflit qui prend sa source aux États-Unis, et qui cherche manifestement à s’opposer aux droits imposés au bois d’œuvre canadien importé aux États-Unis. Le tribunal du commerce canadien n’a donc aucune influence directe sur cet enjeu. De la même façon, il n’a aucune incidence concrète ou même de lien direct avec les négociations actuelles de l’ALENA sur les règles d’origine applicables aux véhicules et sur les salaires.

Vous avez toutefois mentionné un troisième problème, à savoir la possible imposition par les États-Unis de droits ou de quotas visant l’acier et l’aluminium canadiens. Dans un tel cas, le tribunal pourrait avoir un rôle important à jouer. L’administration américaine a déjà annoncé des droits applicables aux importations d’acier provenant d’un large éventail de pays — dont la Chine et l’Inde; ils se sont aussi entendus sur des quotas visant la Corée et ainsi de suite. Le risque, c’est que tout l’acier ou l’aluminium subventionné ou sous-évalué qui aurait initialement été destiné au marché américain se retrouve ailleurs, en l’occurrence, au Canada. Autrement dit, une grande partie des marchandises qui étaient auparavant sous-évaluées finiront au Canada. C’est la raison pour laquelle c’est soit une façon d’inonder notre marché, soit, comme je l’ai mentionné, une façon d’éventuellement se soustraire aux droits de douane américains et de pénétrer le marché de nos voisins du Sud.

Donc, oui, nous nous réjouissons des changements apportés au tribunal du commerce, mais il sera essentiel au cours des prochains mois, voire des prochaines années, en fonction du temps pendant lequel ces mesures tarifaires demeureront en place, que le Canada ait le mécanisme de recours commerciaux le plus solide possible pour protéger notre marché contre ce détournement de produits sous-évalués et un possible transbordement dans le marché américain.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous deux. Je pense que vous avez tous les deux dit que les changements apportés au Tribunal canadien du commerce extérieur assureront une plus grande souplesse et permettront de prendre des décisions plus rapidement et plus efficacement. Je ne vais donc pas parler des changements qui ont été apportés.

L’un de vous a dit que les syndicats ne sont pas en mesure de saisir le tribunal du commerce de dossiers au nom des travailleurs. L’un d’eux a dit qu’on n’a aucun recours en cas de violation des droits antidumping, et je me demande donc pourquoi ce n’est pas dans le projet de loi. Pouvez-vous en dire un peu plus à ce sujet?

Vous avez dit que dans l’Union européenne et en Australie — et vous avez nommé d’autres pays, mais je ne les ai pas pris en note —, les syndicats peuvent déférer ce genre de plaintes au tribunal. Je me demande si vous pouvez en dire davantage sur la raison pour laquelle ce serait fort utile pour les exportations du Canada et pourquoi ce serait avantageux pour le tribunal et les Canadiens.

M. Rowlinson : Cela ne se limite pas à l’Union européenne et à l’Australie, car c’est particulièrement vrai aux États-Unis, où les syndicats — y compris le nôtre qui a des membres là-bas — sont autorisés à déférer des affaires au tribunal du commerce. Aux États-Unis, notre syndicat présente des recours commerciaux, ce qui signifie que nous avons une expérience directe du genre d’avantages que ces dossiers procurent à nos membres.

Je vais vous donner un exemple. Au Canada, dans l’industrie sidérurgique, nous n’avons plus de producteur d’acier majoritairement détenu par des Canadiens. Il n’y a que des multinationales. C’est la même chose, dans une large mesure, dans le secteur de l’aluminium. Donc, il n’est pas toujours vrai que les intérêts des travailleurs canadiens sont représentés directement par les producteurs. En ce moment, en vertu de la loi, seuls les producteurs canadiens peuvent déposer une plainte. Par contre, les travailleurs ou leurs organisations ne peuvent pas en faire autant.

Nous sommes d’avis que les syndicats, en tant que représentants des travailleurs canadiens, doivent être en mesure de déposer des plaintes directement lorsqu’il est possible que l’industrie canadienne ait, disons, des intérêts un peu contradictoires, car elle produit elle aussi, bien entendu, de l’acier ou de l’aluminium aux États-Unis, dans l’Union européenne ou même dans le pays que l’on soupçonne de recourir à des pratiques commerciales abusives.

M. Roberts : Je veux seulement ajouter que les syndicats canadiens déposent actuellement des plaintes en vertu d’accords commerciaux internationaux, d’ententes bilatérales entre le Canada et ses partenaires. Le Congrès du travail du Canada a d’ailleurs pris part à une plainte présentée il y a plusieurs années en vertu de l’Accord de libre-échange Canada-Colombie et dont l’examen est en cours.

Je suis d’accord avec M. Rowlinson lorsqu’il dit que les syndicats jouent un rôle important sur le plan commercial, mais aussi en matière de défense de l’intérêt public lorsqu’ils mettent au jour des violations et des décisions stratégiques qui influent sur des relations économiques et commerciales importantes pour des travailleurs et des collectivités du Canada.

La sénatrice Cordy : Vous avez tous les deux parlé du protectionnisme aux États-Unis — l’Amérique d’abord — et de l’effet que cela aura pour les entreprises canadiennes. Nous savons que l’acier et l’aluminium sont actuellement exemptés, mais cela pourrait changer un beau matin à la suite d’un nouveau gazouillis.

Si nous voyons que tous les producteurs d’acier au Canada sont présents sur les marchés internationaux, est-ce que cela fait une différence si nous nous penchons sur les futures politiques protectionnistes des États-Unis, ou la participation dans les entreprises n’est-elle pas importante puisque leur siège est au Canada?

M. Rowlinson : Pour répondre brièvement, il faut tenir compte de toute imposition par les États-Unis de droits ou de quotas visant l’acier canadien — comme vous le savez, l’exemption actuelle ne doit rester en vigueur que jusqu’au 1er juin, et l’administration américaine a clairement indiqué que son application ne sera pas prolongée.

Prenons par exemple Algoma Steel, un producteur canadien. Algoma Steel est principalement détenue par une société indienne et est une sorte de multinationale. À Sault Ste. Marie, l’entreprise produit des plaques en acier, qui sont surtout exportées aux États-Unis, ce qui signifie que cette usine sera directement touchée par des droits ou des quotas américains visant les produits canadiens.

La vérité, c’est que l’industrie sidérurgique nord-américaine est plus ou moins intégrée. Autrement dit, de l’acier traverse la frontière canado-américaine dans les deux sens presque quotidiennement. Des deux côtés de la frontière, nous sommes d’avis — et le gouvernement du Canada en pense sans aucun doute autant — qu’il serait absolument insensé, bien entendu, et qu’il serait contre-productif pour l’industrie de part et d’autre de la frontière que l’administration américaine impose des droits ou des quotas visant l’acier canadien et vice versa. Si jamais cela se produit, les répercussions sur l’industrie canadienne pourraient être importantes.

M. Roberts : Pour étayer ce qui a été dit en réponse à votre question, bien que la participation étrangère dans l’industrie nationale peut nuire davantage aux intérêts des producteurs, des travailleurs et des syndicats dans cette industrie, il est également vrai que les entreprises canadiennes — par exemple dans le secteur manufacturier — exercent aussi des activités à l’échelle mondiale. On ne peut donc pas présumer que les intérêts des travailleurs et des syndicats, par exemple des taux d’emploi et d’investissements intérieurs élevés, sont également prioritaires pour une entreprise canadienne.

C’est pourquoi nous avons besoin de droits distincts et de notre propre moyen de défense, ainsi que de la capacité des syndicats à porter plainte et à défendre les intérêts des collectivités touchées directement dans le cadre du mécanisme de recours commerciaux.

La sénatrice Cordy : C’est un très bon point. Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous deux de votre présence ce matin.

Voici ce que je déduis de vos observations. Tout d’abord, vous semblez tous les deux juger acceptables les modifications proposées; il n’y a pas de problème à cet égard. Vous soulevez toutefois des questions beaucoup plus complexes relativement à d’autres importantes modifications à la loi existante. D’après ce que je comprends, nous devons songer à faire une étude distincte pour moderniser la loi afin de nous assurer qu’elle cadre avec les normes de gouvernance exemplaires d’aujourd’hui. Si j’ai bien compris, c’est ce que vous dites tous les deux. Est-ce une bonne interprétation?

M. Roberts : Nous nous réjouirions certainement d’une étude de ce genre entreprise par votre comité. Je pense que cela refléterait une évolution dans la gouvernance de la politique commerciale au Canada dont M. Rowlinson a fait allusion dans sa déclaration liminaire. Nous observons une participation accrue des syndicats dans les délibérations portant sur la négociation et la renégociation d’accords commerciaux. Nous voyons une communication de renseignements et une divulgation accrues de la part du gouvernement en ce qui concerne ces négociations commerciales. Le mouvement syndical a tout intérêt à ce que la Loi sur Investissement Canada et le régime pour s’assurer que les investissements étrangers directs au Canada sont avantageux en matière d’emplois et de débouchés économiques soient réformés et modernisés.

Je suis donc d’avis que les démarches concernant le tribunal du commerce extérieur font partie d’un plus grand processus de changement et d’évolution, et je crois que le comité est bien placé pour l’étudier.

M. Rowlinson : Je souscris à tout ce que M. Roberts vient de dire, et je suis également d’avis qu’une telle étude serait la bienvenue.

Comme je l’ai mentionné d’emblée, les questions de commerce équitable, pour s’assurer que nous avons la capacité de faire respecter les lois commerciales au pays, ne feront que gagner en importance à mesure que de nouveaux accords commerciaux sont négociés. Bien entendu, la renégociation de l’ALENA bat son plein. Alors que nous voyons un élan protectionniste émerger au sud de la frontière, je pense que nos membres savent qu’il sera essentiel d’avoir des mécanismes ouverts, transparents et inclusifs pour assurer l’application des lois commerciales au pays.

La présidente : Je vois qu’il n’y a plus de questions. Je remercie M. Rowlinson et M. Roberts d’être venus témoigner.

J’ai une observation pour donner suite à la question du sénateur Massicotte. Nous sommes dans une situation difficile, car des négociations commerciales sont en cours. Nous n’avons pas terminé celles qui portent sur l’AECG. L’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste semble à l’avant-plan, mais nous ne savons pas quand il sera prêt. De plus, bien entendu, nous avons l’ALENA. Pour mener une étude du genre, comme vous l’avez dit, sur les tribunaux, devons-nous attendre de voir de quelle façon ces négociations commerciales permettront de façonner le mécanisme approprié à cette fin — et cela va au-delà d’un examen théorique de la situation et des avenues que nous pouvons emprunter — plutôt que de se creuser la tête pour déterminer quel genre de tribunal convient à chaque accord?

M. Roberts : Je pense que mon collègue a très bien expliqué que la politique commerciale est tout simplement dépassée par les événements chez nos principaux partenaires commerciaux et ailleurs dans le monde qui ont d’importantes répercussions directes sur le Canada sous forme de détournement des courants commerciaux, de transbordement et ainsi de suite.

Je dirais que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’attendre que la prochaine vague d’accords commerciaux soit conclue et réglée avant de nous attaquer à bon nombre de ces questions. Elles sont trop importantes et trop urgentes pour être reportées. Pour être franc, je pense que les accords dont vous venez de parler et dans lesquels le Canada s’embarque auront eux-mêmes toutes sortes de répercussions pour les travailleurs et les collectivités du Canada. À notre avis, le plus tôt sera le mieux pour avoir une discussion approfondie, inclusive et ouverte à propos d’un système d’échanges qui va au-delà d’un simple mécanisme de recours commerciaux.

La présidente : Merci.

Monsieur Rowlinson, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Rowlinson : Je suis d’accord avec M. Roberts.

J’estime que, à propos des accords commerciaux dont vous venez de parler, un régime de libre-échange — que ce soit avec l’Union européenne, des pays du Pacifique ou même les États-Unis — doit prévoir des conséquences pour les pays qui ne respectent pas les règles.

Je dirais donc qu’il n’y a pas nécessairement de raison d’attendre la conclusion de toutes ces négociations avant d’examiner le mécanisme de recours commerciaux du Canada afin de s’assurer qu’il est en mesure de protéger les entreprises et les travailleurs du pays contre d’autres pays qui ne suivent tout simplement pas les règles.

Je suis très reconnaissant que votre comité tienne ces audiences et qu’il ait pris le temps de m’écouter aujourd’hui. Merci beaucoup.

La présidente : Monsieur Roberts, monsieur Rowlinson, merci d’être venus témoigner. On a décidé plutôt rapidement de vous entendre sur le projet de loi C-74, mais les questions plus vastes que vous avez soulevées sont pertinentes, et nous vous en remercions.

Chers collègues, nous avons maintenant entendu tous les témoins qui voulaient comparaître. Donc, avec votre consentement, les analystes prépareront un rapport, que nous examinerons la semaine de notre retour. Je ne m’attends pas à ce que ce rapport soit long.

Le sénateur Massicotte : Moins de 25 pages.

La présidente : Non, je dis qu’ils ont une semaine pour le préparer. J’espère que vous le recevrez, et nous aurons plus de temps pour l’examiner. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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