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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 30 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour effectuer l’étude article par article du projet de loi.

Le sénateur Paul J. Massicotte (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour. Je suis le sénateur Massicotte et je suis le vice-président de ce comité. Soyez les bienvenus.

[Français]

Nous nous réunissons aujourd’hui pour continuer notre étude du projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

[Traduction]

Je suis heureux de souhaiter la bienvenue au comité à Mme Laura Gheorghiu, associée, Gowling WLG LLP (Canada) ainsi qu’à M. Toby Sanger, directeur général, Canadiens pour une fiscalité équitable. Merci d’avoir accepté notre invitation.

Sans plus tarder, je demanderais aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba. Soyez les bienvenus.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, et bienvenue à nos deux invités, qui ont aussi des liens avec ma province.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, sénatrice du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le vice-président : Permettez-moi de rappeler aux sénateurs et aux témoins que leurs observations et leurs questions devraient être précises et concises, le but étant de couvrir le plus de matière possible dans le temps qui nous est imparti. Nous sommes impatients d’entendre vos exposés et vos réponses à nos questions. Nous allons commencer par Mme Sanctions.

Laura Gheorghiu, associé, Gowling WLG (Canada) LLP, à titre personnel : Je suis avocate fiscaliste. Je donne des conseils en matière de structure fiscale à un certain nombre de multinationales qui investissent au Canada ainsi qu’à des entreprises canadiennes qui investissent à l’étranger.

Je tiens à remercier le comité de me donner l’occasion de commenter le projet de loi C-82 et l’instrument multilatéral qu’on y évoque.

Je tiens également à souligner que toutes les déclarations, observations et opinions que j’exprimerai aujourd’hui ne sont que les miennes. Je les formule à titre personnel et non au nom de Gowling WLG.

Comme d’autres vous l’ont déjà dit, certaines dispositions de l’instrument multilatéral sont problématiques pour les entreprises canadiennes et susceptibles de décourager l’investissement étranger au Canada. Toutefois, je tiens à préciser que l’instrument multilatéral s’applique également dans l’autre sens, puisqu’il soumet les entreprises canadiennes à des problèmes semblables lorsqu’elles investissent à l’étranger.

Mes observations d’aujourd’hui se focaliseront sur deux sujets de préoccupation particuliers. Premièrement, la présentation à l’article 7 du critère des objets principaux comme condition préalable à l’obtention de l’avantage d’une convention — des dispositions qu’il convient de lire en parallèle avec l’amendement à l’article 6 du préambule — soulève une incertitude importante en ce qui concerne le développement à la fois actuel et futur du Canada.

Étant donné qu’il n’y a pas de règles sur les droits acquis, il semble que le critère des objets principaux s’appliquera aux structures fiscales qui ont été mises en place avant l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral. Il s’agit donc d’une loi rétroactive à l’égard des placements qui étaient par ailleurs conformes à la législation et à la jurisprudence en vigueur au moment de leur création, ou même sanctionnés par elles. Comme le critère des objets principaux n’est pas un critère clair, il n’y a pas de mesures particulières que les investisseurs peuvent prendre pour se protéger contre son application. C’est pourquoi le critère des objets principaux ne devrait pas s’appliquer aux structures déjà en place au moment de l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral.

De plus, bien qu’il s’appuie sur des critères similaires, le critère des objets principaux va un peu plus loin que la règle générale anti-évitement. En effet, la règle générale anti-évitement ne s’applique que lorsque l’impôt est l’objet principal d’une opération, alors que le critère des objets principaux s’applique lorsque l’impôt en est l’un des objets principaux.

Comme on peut s’attendre à ce que tous les placements prudents tiennent compte des coûts fiscaux, il est possible que le critère des objets principaux soit resserré dans de nombreux cas où l’impôt n’était pas le principal moteur de la décision de placement.

Par exemple, les fonds de capital-investissement et d’autres instruments de placement collectif misent souvent sur le regroupement d’investissements étrangers au Canada. Comme les investisseurs de ces fonds proviennent de divers pays, lesdits fonds doivent avoir recours à une société de portefeuille dans un pays intermédiaire pour stabiliser la retenue d’impôt sur les dividendes et autres revenus du Canada. Les investisseurs n’ont pas de contrôle sur le choix du pays intermédiaire, mais, comme pour tous les investissements, ils tiennent compte des taux d’imposition effectifs du pays où ils comptent investir.

Bien que l’Agence du revenu du Canada ait donné l’assurance qu’elle respecterait les décisions fiscales antérieures concernant les instruments de placement collectif, il subsiste un risque important que le critère des objets principaux soit invoqué pour refuser à ces investisseurs les avantages de la convention.

De plus, lorsque le critère des objets principaux s’applique, un investisseur qui procède par le truchement d’une telle structure est moins bien loti que s’il avait investi directement au Canada. Le Canada n’a pas soulevé de réserve à l’égard du paragraphe 7(4) de l’article 7 de l’instrument multilatéral pour permettre à l’autorité compétente de regarder l’investisseur par-delà l’intermédiaire et de lui accorder la dispense disponible aux termes de la seule convention conclue entre l’investisseur et le Canada. Bref, l’introduction du critère des objets principaux rendra ces types d’investissements au Canada plus incertains et réduira donc l’accès aux capitaux étrangers.

On ne sait pas non plus comment le critère des objets principaux interagira avec la règle générale anti-évitement. Le ministère des Finances est d’avis que le critère des objets principaux devrait s’appliquer en premier, et que la règle générale anti-évitement devrait venir ensuite, pour peu qu’ait subsisté un avantage issu d’une convention. C’est le second passage du rouleau compresseur.

Étant donné que le critère des objets principaux est encore plus rigoureux que celui de la règle générale anti-évitement, il n’est pas clair comment l’on pourrait ne pas satisfaire au critère des objets principaux et être quand même astreint à la règle générale anti-évitement, à moins que cette dernière ne vise un avantage fiscal différent de celui prévu dans la convention, par exemple, un avantage en vertu des lois fiscales du Canada lui-même. Si tel est l’objet du projet de loi C-82, le libellé du paragraphe 4(2), où il est question d’exception en cas d’incompatibilité, devrait être clarifié.

Le deuxième sujet de préoccupation que j’aimerais aborder concerne l’article 8 de l’instrument multilatéral. Cet article vise la réduction de 25 à 5 p. 100, en vertu d’une convention fiscale, du taux de retenue d’un dividende lorsque le dividende est versé à une société qui, au moment du paiement, détient au moins 10 p. 100 des voix du payeur du dividende.

L’article 8 refuse le taux réduit de retenue prévu par la convention, à moins que les actions n’aient été détenues pendant une période de 365 jours qui comprend la date de paiement du dividende. La période de retenue vise à faire en sorte que les sociétés non résidentes ne puissent acquérir des actions à court terme pour bénéficier du taux réduit prévu par la convention fiscale.

L’article 8 est un exemple de règle anti-évitement qui, dans la pratique, a des conséquences non voulues, et je veux l’utiliser pour illustrer pourquoi il est si important pour le Canada d’être prudent lorsqu’il soulèvera d’autres réserves au sujet des dispositions facultatives de l’instrument multilatéral.

Le problème avec l’article 8, c’est que la période de retenue peut chevaucher la date de l’opération de sorte qu’un payeur de dividendes ne sait pas toujours si le critère sera respecté au moment où il est tenu d’effectuer la retenue.

Une société canadienne qui verse un dividende à un bénéficiaire non lié qui ne satisfait pas au critère de la période de retenue a un choix difficile à faire. Elle peut retenir 25 p. 100, ce qui expose l’actionnaire à des coûts et des délais supplémentaires quant au remboursement de la retenue excédentaire et fait de la société canadienne une option de placement moins intéressante que celle d’une société dans un pays qui n’applique pas cette règle. Par ailleurs, afin d’être concurrentiel, le payeur canadien peut retenir l’impôt à la source au taux inférieur et s’exposer au risque d’une retenue d’impôt additionnelle et de pénalités si l’actionnaire ne respecte pas le critère de la période de retenue.

Voilà qui met fin à mes observations liminaires. Je serai heureuse de répondre à vos questions. Je vous remercie.

Toby Sanger, directeur général, Canadiens pour une fiscalité équitable : Monsieur le président, distingués membres du comité, bonjour. Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à cette séance. J’en suis vraiment ravi.

Ce projet de loi est fort complexe, et je félicite le comité d’avoir entrepris cette étude. Mes excuses aux traducteurs. Je m’éloigne un peu du texte.

Nous avons un projet de loi qui modifie quelque 75 conventions fiscales qui ont toutes leurs particularités propres. Il y a ensuite une liste de réserves que le gouvernement fédéral a déposée auprès de l’OCDE à ce sujet, et il y a eu une note subséquente du ministère des Finances qui va changer cela. C’est donc l’ensemble du procédé qui est compliqué, mais il y a aussi d’autres couches. Je vous félicite donc de vous être attaqué à une chose d’une telle complexité.

Je suis économiste, je ne suis ni comptable fiscaliste ni avocat fiscaliste, et le domaine visé par le projet de loi n’est pas simple.

Tout d’abord, comme vous le savez sans doute, l’évitement fiscal et l’évasion fiscale à l’échelle internationale constituent un problème énorme. Le Fonds monétaire international, qui est loin d’être un organisme farfelu ou marginal, estime qu’en 2013, les gouvernements du monde entier ont perdu plus de 600 milliards de dollars américains de revenus en raison de la translation de l’impôt que les sociétés pratiquent à l’échelle internationale. Si vous traduisez en dollars canadiens ce que pourraient être les pertes de cette année, les gouvernements du monde entier accusent un manque à gagner qui s’approche probablement de 1 000 milliards de dollars. Peu importe le moyen que vous utilisez ou l’étendue de votre richesse, c’est beaucoup d’argent.

Le FMI estime que les pays de l’OCDE perdent en moyenne 1 p. 100 de leur PIB en impôts sur les sociétés au profit d’un transfert de bénéfices par divers moyens, ce qui, pour le Canada, équivaudrait à environ 20 milliards de dollars. Cela semble élevé, mais même en prenant certaines des estimations les plus conservatrices, les pertes de recettes pour les gouvernements canadiens seraient d’au moins 8 milliards de dollars par année. C’est beaucoup d’argent. Cela pourrait payer beaucoup de services publics.

Je sais que ce sont des estimations, mais elles semblent réalistes. Cameco Inc. est le plus important pays producteur d’uranium coté en bourse au monde. L’Agence du revenu du Canada l’a récemment poursuivie en justice pour 2 milliards de dollars, somme qui ne portait que sur des impôts que la société avait réussi à éviter au moyen d’un transfert de leurs bénéfices à une petite filiale en Suisse. C’est en partie parce que nos lois sont si faibles que Cameco a gagné la dernière ronde. L’ARC a interjeté appel, mais il reste que c’est 2 milliards de dollars pour une seule entreprise.

Aussi énormes que soient ces pertes de revenus, elles ne sont pas le seul problème en la matière. Il s’agit également d’une question fondamentale d’équité fiscale. Les plus grandes multinationales du monde sont les mieux en mesure d’éviter l’impôt grâce au système actuel et, par conséquent, d’obtenir un avantage fiscal injuste par rapport aux petites et moyennes entreprises. Cette dynamique contribue à une concentration accrue des entreprises. Nous avons vu le cas de Google, d’Apple et d’autres sociétés qui s’en tirent avec des taux d’imposition très bas.

Cela contribue également à réduire la concurrence, ce qui est mauvais, mauvais pour tout le monde.

Cela contribue également à faire avancer la corruption dans différentes parties du monde. Certains pays africains subiraient plus de pertes du fait des transferts de bénéfices et des mouvements financiers illicites que ce qu’ils reçoivent en aide internationale au développement. La corruption est liée aux pays du secret bancaire.

Le projet de loi C-82 permet au Canada et à d’autres pays de mettre en œuvre efficacement des changements radicaux à leurs nombreuses conventions fiscales bilatérales. Il s’agit, en général, d’un pas dans la bonne direction. C’est un moyen efficace d’ajuster de façon constante les milliers de conventions fiscales bilatérales qui ont été signées entre les pays afin de mettre en œuvre un certain nombre de mesures du processus de l’OCDE concernant l’érosion de la base et le transfert des bénéfices, aussi connu sous le nom de BEPS.

Jusqu’ici, 88 pays ont signé l’instrument multilatéral et 25 l’ont déjà ratifié. Le Canada a indiqué que 75 de nos 93 conventions fiscales seraient couvertes par ce régime. Grâce à l’ensemble de mesures généralement cohérentes qu’il met de l’avant, l’instrument multilatéral limitera la pratique du chalandage fiscal, mais ne l’éliminera pas. Le préambule inclus et le critère provisoire des objets principaux dont a parlé ma collègue pourraient s’imposer comme des règles anti-évitement fiscal strictes pour ceux qui ont recours à des pays comme le Luxembourg ou les Pays-Bas, qui ont déjà ratifié l’instrument multilatéral.

Toutefois, le Canada a une liste assez longue de réserves à l’égard de cet instrument, y compris des dispositions qui n’ont pas été adoptées dans le cadre de cette convention et qui concernent les entités trop transparentes et les entités hybrides. D’autres pays peuvent avoir des dispositions similaires ou différentes. Il faudra composer avec un patchwork à plusieurs niveaux.

Pour une raison quelconque — je ne sais pas laquelle —, nous n’avons pas inclus nos conventions fiscales avec la Suisse ou l’Allemagne. Ces conventions ne sont pas visées par ces dispositions; elles ne figurent pas sur la liste. Je comprends que des négociations sont en cours, mais lorsqu’il s’agit de conventions fiscales, ce sont des échanges qui peuvent prendre passablement de temps. Par exemple, l’instrument multilatéral n’aurait pas empêché l’évitement fiscal pratiqué par Cameco.

Il y a aussi beaucoup d’autres façons pour les entreprises multinationales d’éviter les impôts qui ne seront pas visés par cette mesure, y compris l’utilisation du financement par emprunt et de la propriété intellectuelle pour transférer les bénéfices.

Bien que ce projet de loi et d’autres initiatives du BEPS soient positifs, leur portée est limitée. Christine Lagarde, la chef du Fonds monétaire international, a récemment déclaré que l’architecture actuelle de l’impôt international des sociétés est fondamentalement dépassée, que la facilité avec laquelle les multinationales semblent pouvoir éviter l’impôt a miné la confiance dans l’équité du système fiscal global et que nous devons repenser en profondeur la fiscalité internationale.

Ce sont des paroles fortes de la part de la tête dirigeante d’une organisation comme celle-là. Pas plus tard que cette semaine, les représentants de 129 pays ont discuté de propositions pour une réforme fondamentale de notre régime international d’imposition des sociétés. Le système des prix de transfert de pleine concurrence qui sous-tend notre régime international d’impôt des sociétés est en place depuis environ 100 ans. Il est tellement fragmenté, complexe et inefficace que les grands pays du monde entier passent maintenant par dessus au moyen de différentes mesures fiscales, notamment pour imposer les grandes sociétés numériques en fonction de leurs revenus, de leurs ventes ou d’autres mesures de l’activité économique.

Les États-Unis ont mis de l’avant ce que l’on appelle l’impôt GILTI ou l’impôt BEAT. Le Royaume-Uni a taxé les services numériques. La France a proposé certaines choses. Beaucoup de pays font un bond en avant par rapport à l’ensemble de cette initiative de l’OCDE en matière de BEPS. Le gouvernement canadien n’a pas encore préconisé de réformes, ce qui est dommage parce que nous avons une expérience remarquable à offrir en la matière. Le système que nous avons mis en place au Canada pour répartir le revenu imposable des sociétés entre les provinces aux fins de l’impôt — au moyen d’une formule fondée sur les ventes et la masse salariale — est simple et direct, et il nous sert très bien depuis plus de 50 ans. La plupart des gens ne savent pas qu’il existe parce qu’il ne prête vraiment pas à controverse.

Le groupe des pays du G24 propose quelque chose de similaire, ainsi qu’une imposition unitaire des entreprises multinationales, ce qui les empêcherait de se servir de leurs filiales ou de sociétés affiliées pour éviter de payer de l’impôt.

Je pense que nous avons une idée de la complexité de la législation fiscale, surtout lorsqu’il s’agit de conventions fiscales entre différents pays. J’espère que le gouvernement canadien appuiera fermement cette démarche, de même que les propositions visant à établir un impôt minimum mondial sur les sociétés afin d’éviter que nous nous retrouvions avec une course vers le bas perpétuelle relativement à l’impôt sur le revenu des sociétés.

En ayant un ensemble de règles claires de ce genre, on pourrait également dissiper des préoccupations concernant la compétitivité fiscale et la perte d’investissements étrangers. En conclusion, je vous prie d’appuyer le projet de loi dans sa forme actuelle, même s’il n’est qu’un pas dans la bonne direction et que nous devons aller plus loin afin d’élaborer un système international d’imposition des sociétés plus fonctionnel. Ce système n’a pas besoin d’être très compliqué. En fait, nous devrions nous efforcer de le rendre moins compliqué. Nous avons besoin de règles du jeu équitables et simples à l’échelle mondiale, afin qu’il y ait moins d’occasions d’échapper aux impôts et que le système soit plus équitable pour toutes les parties concernées. Merci beaucoup.

Le vice-président : Je vous remercie tous les deux.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci, monsieur Sanger, de votre présentation. Ma question s’adresse à vous. J’ai lu votre article, qui s’intitule Bay Street and Tax Havens: Curbing Corporate Canada’s Addiction, et plus particulièrement le chapitre intitulé « Canada’s cozy relationship with tax havens ». Ce que vous dites, si je comprends bien, c’est que plusieurs accords en matière de coopération fiscale que le Canada et d’autres pays ont signés deviennent des prétextes pour différents pays et différentes entreprises d’échapper à la fiscalité dans leur pays respectif. Iriez-vous jusqu’à dire qu’il vaut mieux ne pas signer ces traités et prendre des mesures uniquement par rapport aux exemples de taxation que vous nous avez donnés, ou est-ce que vous considérez quand même que ces traités ont un impact suffisamment positif pour que le Canada continue de négocier de tels traités, tout en prenant d’autres mesures en vue de mieux contrôler l’évasion fiscale?

[Traduction]

M. Sanger : Je vous remercie beaucoup de votre question. Un certain nombre de ces conventions sont très problématiques, ainsi que certains accords d’échange de renseignements fiscaux, tout simplement parce qu’elles permettent la double non-imposition. Elles étaient censées avoir été mises en place pour éliminer la double imposition, mais elles ont permis la double non-imposition. Voilà le problème que le projet de loi, ou la convention multilatérale, est censé régler d’une certaine façon. Le projet de loi permettra d’éliminer certaines de ces échappatoires, mais pas la totalité d’entre elles.

Ces conventions fiscales continueront d’être problématiques à d’autres égards. Nous avons observé un certain nombre de pertes fiscales, et je pense que nous en observerons d’autres liées aux paradis fiscaux. Il y a des exemples de gens qui ne paient pas d’impôts, et ces gens ont les moyens d’en payer.

La sénatrice Saint-Germain : Reconnaissez-vous qu’en ayant une convention de ce genre, le Canada sera en mesure d’améliorer la gestion de la circulation et le respect des lois fiscales?

M. Sanger : Oui, j’en conviens. C’est un pas dans la bonne direction.

La sénatrice Saint-Germain : Ce n’est pas suffisant, mais c’est une mesure positive?

M. Sanger : Ce n’est pas suffisant, et je crois que d’autres mesures doivent être prises. Comme la directrice générale du FMI l’a indiqué, nous devons passer à un système international d’imposition des sociétés fondamentalement réformé.

La sénatrice Coyle : Madame Gheorghiu, hier, nous avons entendu les témoignages de représentants de Bennett Jones qui nous ont signalé que le processus de ratification se poursuivrait avec la mise en œuvre de l’IM, qui entrera en vigueur si nous approuvons le projet de loi. Comme vous l’avez mentionné, madame Gheorghiu, certains aspects de cette mise en œuvre dissuaderont des entreprises d’investir dans des projets canadiens. Hier, nous avons parlé principalement de projets d’exploitation des ressources.

Vous avez dit que vous partagiez cet avis, et vous avez déclaré que ces effets dissuasifs s’appliqueraient également à certaines entreprises canadiennes qui investissent à l’échelle internationale. Ai-je raison jusqu’à maintenant?

Mme Gheorghiu : Oui.

La sénatrice Coyle : Une partie du problème est liée à la règle du critère des objets principaux et au fait que des droits acquis ne sont pas autorisés. Ai-je raison jusqu’à maintenant, selon vous?

Mme Gheorghiu : Oui, c’est exact.

La sénatrice Coyle : Je veux simplement m’assurer que je comprends vos préoccupations.

Dans un article que vous ou votre entreprise avez écrit, il est mentionné que :

La règle du critère des objets principaux a fait l’objet de critiques parce qu’elle cause une certaine incertitude relativement à ce qui constitue l’un des « objets principaux » d’un montage ou d’une transaction. Il est également difficile d’interpréter l’objet d’une disposition donnée de la convention fiscale...

... et voici ce que vous dîtes...

..., bien que le libellé du préambule de la prochaine convention fiscale, qui figure dans l’IM, puisse faciliter son interprétation dans une certaine mesure.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que l’article veut dire à ce sujet? Comment cela pourrait-il dissiper les préoccupations concernant la règle du critère des objets principaux?

Mme Gheorghiu : Cela cadre avec une série d’affaires juridiques, dont la dernière concernait Alta Energy l’année dernière, qui ont révélé qu’aucun objet de la convention ne prévenait l’utilisation abusive de la convention ou le chalandage fiscal, et c’est la raison pour laquelle le préambule indique précisément que nous avons pour objectif de prévenir cela.

La sénatrice Coyle : C’est très clair.

Mme Gheorghiu : Toutefois, si nous examinons la règle du critère des objets principaux, nous constatons qu’elle comporte trois parties, même si je ne suis pas entrée dans les détails. Comme vous dites que la convention apporte un avantage fiscal, ce qui est le cas — vous obtenez une réduction du taux d’impôt retenu à la source sur les dividendes, par exemple — et que l’un des principaux objectifs de la mise en place de cette structure est l’obtention de cet avantage fiscal, tous les gens examinent ce que la convention peut leur apporter. Cependant, la dernière partie du texte de l’IM indique que cet avantage n’est pas octroyé, à moins que le contribuable puisse démontrer que l’octroi de cet avantage — la réduction du taux d’impôt retenu à la source sur les dividendes, par exemple — cadre avec l’objet de la convention, que ce soit l’objet de l’article en question ou de la convention en général. Cette démonstration incombe au contribuable, ce qui constitue un fardeau différent de celui imposé par le critère de la RGAE. Dans le cas de la RGAE, le gouvernement doit démontrer que l’avantage ne respecte pas l’objet de la disposition, alors que, dans le cas de la règle du critère des objets principaux, ce fardeau incombe au contribuable. Le contribuable doit démontrer que, lorsque le gouvernement a négocié la convention pour réduire le taux d’impôt retenu à la source sur les dividendes, son intention était que cette disposition s’applique au cas en question. Vous devez lire ensemble la disposition et le préambule qui est censé couvrir les situations répréhensibles où vous auriez investi uniquement dans le but d’obtenir une réduction du taux d’impôt retenu à la source sur les dividendes. Toutefois, il n’est pas toujours facile de déterminer les buts d’un investissement étant donné qu’ils peuvent être nombreux, tout comme il peut être difficile de déterminer le but d’un article particulier ou la logique derrière cet article. Donc, il ne s’agit pas uniquement de la convention en général. L’article lui-même a une raison d’être.

La sénatrice Coyle : Merci. Comme M. Sanger, je ne suis pas une avocate ou une comptable fiscaliste. Dans le cas présent, le Canada et d’autres pays du monde entier tentent d’éliminer certaines échappatoires de leur système fiscal d’une façon efficace. Vous représentez certaines des entreprises qui ont pratiqué légalement le chalandage fiscal. Ces entreprises cherchent des États où les conventions comportent certaines échappatoires qui leur permettent de payer moins d’impôts et d’être plus profitables. C’est le milieu des affaires, et c’est ce que vous devriez faire, si vous cherchez à générer des revenus pour vos actionnaires. Cependant, nous savons que c’est un problème à l’échelle mondiale, ainsi qu’un problème canadien.

Nous sommes maintenant saisis d’un instrument comportant certaines des dispositions auxquelles nous avons souscrit et qui, selon les témoignages de M. Sanger et d’autres intervenants, contribuent en partie à éliminer certains de ces vides juridiques qui permettent le chalandage fiscal et à réduire ainsi les options disponibles. Le Canada n’est pas le seul pays problématique — le seul endroit où des gens cherchent ce genre d’échappatoires —, mais d’autres partenaires participent à cette initiative. Est-ce que je brosse le tableau d’une façon équitable?

Naturellement, nous allons entendre des commentaires négatifs de la part des gens qui représentent les intérêts de ces entreprises, parce que cette convention aura des conséquences en matière d’impôt pour ces entreprises. Nous voulons trouver un juste équilibre. C’est la raison de notre présence ici. Nous voulons que le Canada et ces autres États reçoivent les impôts qui leur sont dus, sans créer simultanément un énorme obstacle à la circulation des capitaux d’investissement.

Ce que nous, et nos partenaires de l’OCDE qui ont conçu cet instrument, tentons d’accomplir grâce à l’IM, c’est l’établissement de cet équilibre.

Nous avons entendu certaines personnes dire que cette mesure ne va pas assez loin, et cela s’est produit à quelques reprises. Nous avons entendu M. Sanger et un universitaire, hier, exprimer la même chose à l’aide de mots différents. De plus, nous avons entendu des membres de l’industrie, comme vous-mêmes, dire que le problème n’est pas seulement jusqu’où la mesure va, mais aussi la façon dont elle va aussi loin, n’est-ce pas? Et il y a une distinction à cet égard.

Le vice-président : Y a-t-il une question à l’horizon?

La sénatrice Coyle : C’est une importante...

Le vice-président : Nous sommes tous d’accord.

La sénatrice Coyle : Je m’efforce d’en venir au fait. Nous ne sommes pas tous fiscalistes. Le problème, c’est l’établissement d’un équilibre qui est profitable pour l’ensemble des Canadiens — ce qui nous préoccupe —, y compris ceux qui touchent des revenus d’investissement, ceux qui sont employés par ces entreprises et tous les autres qui bénéficient des services financés par les impôts. Nous demandons à chacun de vous de nous aider à faire valoir là où le juste équilibre devrait se trouver dans ce projet de loi.

M. Sanger : Si je peux me permettre, j’aimerais répondre à cette question et aussi à certaines des critiques qui ont été formulées à propos de l’incidence que la mesure législative aura sur les investissements actuels et à venir.

Même si tous ces différents niveaux sont encombrants, c’est une façon d’apporter ces changements qui est élégante et efficace d’un point de vue administratif. En outre, comme bon nombre de pays souscrivent à cette convention, il est très facile de réfuter certaines des critiques.

Tous les pays qui souscrivent à la convention apportent ces changements. Je veux dire, à quelques exceptions près. Toutefois, la règle du critère des objets principaux est le minimum auquel ces pays doivent adhérer, tout comme le préambule, je crois. Si tous ces pays souscrivent à cette règle, les critiques concernant son effet sur les investissements sont... Cela élève la barre pour tous.

Je suis moins inquiet à propos de la possibilité que le Canada soit fiscalement désavantagé dans ces secteurs. Oui, les gens ont investi dans ces secteurs en s’attendant à obtenir un certain rendement fondé sur les règles fiscales, mais il y a beaucoup d’incertitudes dans le monde. Je veux dire, le prix du pétrole et du gaz nature fluctue sans cesse, et cela affecte de nombreuses choses.

De nombreuses incertitudes et de nombreux risques existent. La ratification de cette convention est en cours depuis environ cinq ans, et il faudra un certain temps avant qu’elle entre en vigueur. Il y a toujours une certaine incertitude, entre autres en ce qui concerne la façon dont les tribunaux appliqueront cette convention. Mais, dans l’ensemble, c’est une façon tout à fait efficace et équitable de prendre certaines mesures pour faire avancer les choses.

Mme Gheorghiu : Si je pouvais ajouter quelque chose à cela, j’aimerais vous rappeler qu’il a été mentionné plus tôt que les conventions fiscales ne servaient pas uniquement à favoriser l’évitement fiscal. Souvent, elles nous permettent d’investir d’une façon sécuritaire, en ce sens que nous savons quel sera le résultat de notre investissement. Il est important de ne pas oublier que, même lorsque je reçois des dividendes d’une entreprise française, je sais que le taux d’impôt retenu à la source sur les dividendes s’élève à 15 p. 100, conformément à la convention fiscale que la France a conclue avec le Canada. C’est une chose sur laquelle je peux compter, en tant que contribuable.

Le deuxième point à ne pas oublier, c’est que, même si tous les pays adhèrent à la même disposition, s’il y a une certaine incertitude quant à la façon de l’interpréter, cette incertitude peut faire pencher la balance en faveur de certains pays par rapport à d’autres pays. Par exemple, examinez l’Union européenne et ses règles fiscales. Si l’on examine les règles qui visent à lutter contre les dispositifs hybrides et qui sont censées être harmonisées dans tous les pays de l’Union européenne, on constate que chaque pays met en œuvre ses propres règles et sa propre réglementation à cet égard. Ces règles sont très souples et, par conséquent, certains pays pourraient encore tirer parti de la façon dont ces mêmes règles peuvent être interprétées. Le libellé de la règle du critère des objets principaux est le même partout, mais il n’y a aucune façon fixe de l’interpréter. Nos tribunaux pourraient être plus stricts à cet égard que les tribunaux du Luxembourg ou d’ailleurs. Voilà l’argument que nous souhaitions faire valoir.

Lorsque des règles existent — et souvenez-vous que l’IM est seulement un petit outil —, le prix de transfert est plus adéquat que l’IM pour régler certaines questions liées à l’endroit où les fonds doivent être imposés. Tout ce que l’IM peut vous dire, c’est si vous avez droit à une réduction du taux d’impôt retenu à la source sur les dividendes ou à une exonération pour redevances ou pour gains en capital — à laquelle s’ajoutent quelques mesures supplémentaires en vertu de la convention — ou si nous allons vous refuser ces avantages. Toutefois, si vous ne déclarez aucun revenu au Canada, la convention fiscale n’entre pas en jeu. La question est alors de savoir où vous devriez déclarer ces revenus. L’IM est un petit outil, mais nous voulons nous assurer qu’il est utilisé correctement.

J’ai abordé de nombreux enjeux au cours de ma déclaration préliminaire afin de souligner qu’il y a quelques applications auxquelles nous pourrions ne pas souhaiter adhérer et que nous devons cerner ces enjeux. J’ai pris la parole au cours de nombreux colloques, j’ai parlé avec un grand nombre de praticiens, et il s’avère que nous ne sommes pas à l’aise avec la façon dont certains de ces aspects devraient fonctionner. Cela dure depuis cinq ans, et nous ne sommes toujours pas à l’aise, ce qui signifie que nos clients et d’autres personnes ne sont pas non plus à l’aise à cet égard. Nous ne voulons pas vivre ce genre d’incertitude au Canada.

Le sénateur Boehm : Madame Gheorghiu, monsieur Sanger, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui. Je souhaite maintenant mettre l’accent sur le règlement des différends. Lors de négociations internationales entre des pays, les mots prononcés qui semblent les plus durs sont toujours « arbitrage obligatoire contraignant », mais, parfois, il s’avère qu’ils n’ont pas beaucoup de mordant en fin de compte. J’aimerais savoir ce que vous pensez du mécanisme qui interviendra dans le cas présent.

Je sais que le Canada a choisi d’adopter l’approche du soi-disant « arbitrage des propositions finales », c’est-à-dire l’approche qui figure dans notre convention fiscale avec les États-Unis, je crois. Mais je sais aussi, monsieur Sanger, que lorsque vous avez témoigné à l’autre endroit, c’est-à-dire à la Chambre des communes, vous avez déclaré que cette disposition manquait vraiment de transparence.

Les dispositions en question sont les articles 18 à 26, et j’aimerais vraiment connaître vos deux points de vue sur les avantages et les inconvénients de l’approche de l’arbitrage des propositions finales et sur la question de savoir si, dans le cas présent, cette solution d’arbitrage obligatoire contraignant fera l’affaire ou s’il s’agit simplement d’un autre petit pas franchi dans le cadre de ce cheminement. Au bout du compte, l’arbitrage obligatoire contraignant peut aboutir à une décision qui n’est suivie d’aucune mesure.

M. Sanger : C’est une bonne question. Je n’ai pas soulevé la question de l’arbitrage obligatoire contraignant précédemment. Ce n’est pas une partie obligatoire de l’instrument multilatéral, l’IM, mais le Canada y a néanmoins souscrit. Les préoccupations à cet égard sont liées à un manque de transparence. Nous avons vu d’autres tribunaux internationaux y avoir recours.

Je pense que certains pays en développement sont particulièrement préoccupés par cet arbitrage parce qu’ils ne sont pas bien représentés dans certains de ces processus et qu’ils préféreraient que ces processus soient transparents. Je suis désolé, mais, comme je ne suis pas fiscaliste, je n’ai jamais géré ces dossiers, et je ne suis pas en mesure d’en parler en détail. Toutefois, je pense qu’en général, il est préférable pour ces pays que ces différends soient réglés de façon ouverte et transparente. Mais ils peuvent pencher d’un côté ou de l’autre, n’est-ce pas?

Je ne suis pas entièrement certain des raisons qui nous ont poussés à inclure cette approche dans l’instrument, mais il y a certaines inquiétudes à cet égard.

Mme Gheorghiu : Il ne faut pas oublier que la portée de ces dispositions est limitée. Ce ne sont pas tous les différends relatifs à la convention qui peuvent faire l’objet d’un arbitrage. Par exemple, si une personne se fait refuser des avantages en vertu d’une convention par application du critère des objets principaux, c’est-à-dire si elle est imposée dans un pays et qu’elle se fait imposer ensuite dans l’autre, elle ne peut pas soumettre la question à l’arbitrage. Elle ne peut que s’adresser aux tribunaux, et si les tribunaux rendent une décision en sa défaveur puis que l’autre pays ne veut pas la rembourser, c’est tant pis. Il y a d’autres situations dans lesquelles ce n’est pas possible non plus. Je pense que la justification, c’est que c’est peut-être plus efficace que d’essayer de contester les faits. Pour le contribuable, cependant, cela constitue un risque. Soit on fait la meilleure offre possible, soit on risque de ne rien obtenir du tout. Je pense que c’est une autre forme d’aide, parce que comme nous l’avons dit, on peut ne pas se sentir à l’aise de dépendre exclusivement des tribunaux pour obtenir un allégement dans certains pays.

Quand on envisage de modifier des conventions, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre. Si nous acceptons une modification, l’autre partie peut aussi utiliser ces règles, mais n’a peut-être pas un appareil judiciaire aussi solide que le nôtre. Pour cette raison, l’arbitrage peut rassurer un peu les investisseurs en leur offrant un mécanisme de règlement des différends un peu plus impartial.

Le vice-président : J’aimerais poser une question à Mme Gheorghiu, si vous me le permettez. Reprenons l’exemple que vous avez donné un peu plus tôt, dans lequel l’Agence du revenu du Canada confirmerait qu’elle respectera toute décision en matière d’impôt qui lui est présentée. Vous avez dit, toutefois, qu’il y a des transactions sur lesquelles il ne peut pas y avoir de décision de ce type. Comme la règle générale anti-évitement ne s’applique pas et compte tenu de ce qu’on trouve dans cette convention, vous avez dit que ce serait injuste pour les investisseurs qui utilisent le Canada comme intermédiaire pour investir dans les ressources naturelles, l’immobilier ou autre chose.

Quelle serait la solution? Que voudriez-vous changer dans l’entente pour que ces personnes soient traitées équitablement? Quelle est la solution?

Mme Gheorghiu : Pourriez-vous reformuler votre question?

Le vice-président : Pour le problème que vous avez évoqué dans votre explication sur le manque d’équité, comme la règle générale anti-évitement n’équivaut pas exactement à l’application du critère des objets principaux, quelle solution verriez-vous pour que votre client soit imposé de façon équitable?

Mme Gheorghiu : Je dois apporter une précision. Les responsables des Finances ont affirmé qu’ils respecteraient les décisions antérieures dans la mesure où il ne leur semblerait pas que les contribuables essaient de tirer un bénéfice de la convention. C’est un peu comme de dire oui et non à la fois. Pour tous les autres, à l’avenir, on dit essentiellement qu’il y aura deux possibilités. On pourra d’abord essayer de se prévaloir du critère des objets principaux, puis si cela ne fonctionne pas, on pourra tenter d’évoquer la règle générale anti-évitement. On peut toutefois se questionner sur le temps qu’on veut laisser traîner un différend et l’ampleur de la preuve qu’il faudra fournir.

L’une des solutions serait de limiter l’application de la règle générale anti-évitement aux cas où il a été déterminé que le critère des objets principaux ne s’appliquait pas à l’avantage fiscal, et comme je l’ai déjà mentionné, ce serait un amendement possible au paragraphe 4(2) du projet de loi à l’étude.

Le vice-président : Vous parlez du projet de loi ou de la loi fiscale?

Mme Gheorghiu : Le projet de loi accorde la préséance à la loi d’interprétation, qui comporte un article 4.1 prescrivant que la règle générale anti-évitement s’applique sans égard aux dispositions des conventions. Bien sûr, un autre projet de loi pourrait éventuellement venir limiter la portée de la loi d’interprétation et de cet article 4.1, en particulier.

Le vice-président : D’après les témoignages que nous avons entendus, comme vous le savez, il y a un impôt sur le gain en capital qui s’applique dans les domaines de l’immobilier et des ressources naturelles. Par conséquent, on nous a demandé de reconnaître un droit acquis pour les gains actuels, et vous avez vous aussi évoqué l’idée de droits acquis. Autrement dit, nous devrions imposer un plafond pour protéger les gains accumulés de l’application des futures règles, compte tenu de l’incertitude qui plane. Seriez-vous en faveur de cela aussi ou n’est-ce pas nécessaire?

Mme Gheorghiu : Je sais à quoi vous faites allusion. Quand quelqu’un investit dans l’immobilier ou dans l’exploitation minière au Canada...

Le vice-président : Ou dans le bois d’œuvre.

Mme Gheorghiu : Oui. C’est le genre d’actif pour lequel les non-résidents sont imposés quand ils s’en départissent. C’est un secteur d’activité en effervescence, et nous imposons les investisseurs dans ces cas, alors qu’ils en sont exemptés en vertu de certaines conventions, notamment au Luxembourg et aux Pays-Bas. La décision rendue dans l’affaire Alta Energy Luxembourg portait justement sur cette question, et il y en a eu toute une série d’autres auparavant.

Dans ces cas, c’est logique. Mon argument est plus général, je dis qu’il faudrait protéger davantage les droits acquis, au moins dans les contextes où les investisseurs se sont fiés à une convention pour investir et dans les secteurs où nous voulons continuer d’encourager ce genre d’investissement. Ce serait très utile de permettre à ces entreprises de geler la valeur de leurs actifs aujourd’hui. Il y en a des exemples dans la législation financière canadienne. Toutes nos règles sur les gains en capital comportent une exemption pour une journée spéciale, en 1972, où tout a été gelé et nous avons commencé à appliquer l’impôt sur les gains en capital.

Nous avons le savoir-faire, nous avons de l’expérience, et ce serait utile de le refaire. Évidemment, c’est une solution ponctuelle parce qu’à l’avenir, les investisseurs ne pourront plus bénéficier de ces conventions, mais au moins, on ne changerait pas les règles à mi-parcours pour ceux qui ont déjà investi.

Le vice-président : Les Canadiens ou les législateurs ne devraient-ils pas s’offusquer du fait que la règle du passage par le Luxembourg a été adoptée en réponse à une modification apportée à la Loi de l’impôt sur le revenu en 2012 et que par conséquent, elle a beaucoup gagné en popularité.

Vous dites qu’il faudrait protéger les gains de ces investisseurs par un droit acquis, mais n’oublions pas qu’ils ont choisi de passer par le Luxembourg pour se soustraire à l’objectif de notre propre Loi de l’impôt sur le revenu d’imposer ces revenus. Vous dites que nous devrions protéger les investisseurs et leur reconnaître un droit acquis pour ces gains, ce qui ferait diminuer les recettes fiscales du Canada. Or, ils avaient aussi pour but d’éviter l’impôt au Canada. Ne devrions-nous pas nous offusquer du fait que nous suivions leurs règles et qu’ils profitent encore de ce mécanisme pour réduire leur impôt?

Mme Gheorghiu : Ils n’en profitent pas tant qu’ils ne vendent pas, parce que le gain n’est réalisé qu’au moment de la vente. Ils ont planifié et organisé leurs affaires ainsi. Nous avons une jurisprudence abondante qui atteste que les contribuables, au Canada, sont autorisés à planifier leurs affaires pour économiser de l’impôt. C’est notre loi, mais non seulement il y a la loi, il y a aussi toute une jurisprudence qui oriente le droit canadien. Si c’est la loi au Canada, est-il juste de changer les règles? Ce serait correct de décider de modifier ces règles à partir de maintenant et d’y inclure le critère des objets principaux et un préambule, comme vous l’avez mentionné, pour préciser clairement que nous ne le permettrons plus.

Nous ne pouvons pas changer tout ce qui a été décidé pendant toutes ces années, nous ne pouvons pas changer le passé, parce que ce n’était pas les règles à l’époque. Si ces règles n’étaient pas acceptables, il n’y aurait pas tant de personnes qui auraient accepté cette structure.

Le vice-président : Cela doit faire 15 ou 20 ans que nous avons adopté la règle générale anti-évitement. Nous n’avons alors accordé de droits acquis pour aucune transaction. Nous avons simplement laissé la règle générale s’appliquer à toutes les transactions, comme nous l’avons jugé bon à ce moment-là. Pourquoi ferions-nous les choses différemment dans le contexte actuel?

Mme Gheorghiu : Il y a beaucoup de jurisprudence selon laquelle cette règle générale ne n’appliquait pas aux conventions, et il y a eu une modification rétroactive là aussi. Il ne faut pas oublier que la règle générale anti-évitement s’applique très rarement. Il y a tout un processus en place pour faire en sorte que nous ne l’appliquions pas tout le temps. Nous ne savons pas encore si la structure sera la même pour le critère des objets principaux, pour que les vérificateurs ne le soulèvent pas plus souvent dans leurs évaluations. Même si cette règle s’appliquait en théorie, nous déterminions de manière beaucoup plus sélective quand elle s’appliquait vraiment.

Le vice-président : Merci beaucoup. Je pense que cela vient clore la période de questions. J’aimerais demander à tous les sénateurs de rester encore un peu, parce que nous avons besoin de discuter quelques minutes à huis clos avant de procéder à l’étude article par article.

Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le vice-président : Honorables sénateurs, nous reprenons la séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, pour terminer notre étude du projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

[Français]

Le comité a entendu plusieurs témoignages et est maintenant prêt à passer à l’étape de l’étude article par article du projet de loi.

[Traduction]

Honorables sénateurs, est-il convenu de procéder à l’étude article par article du projet de loi C-82?

Des voix : D’accord.

[Français]

Le vice-président : Si, à un moment donné, l’un d’entre vous ne sait pas exactement où nous en sommes, veuillez me demander des précisions. Nous devons faire en sorte de savoir toujours exactement où nous en sommes dans notre étude article par article.

[Traduction]

Pour ce qui est des rouages du processus, je rappelle aux sénateurs que, lorsque plus d’un amendement est proposé concernant un même article, ces amendements doivent être présentés suivant l’ordre des lignes du texte à modifier.

Si un sénateur s’oppose à la totalité d’un article, il ne doit pas proposer une motion visant à supprimer l’article au complet, mais plutôt voter contre son adoption.

Je vous rappelle également que certains amendements proposés peuvent avoir des répercussions substantielles sur d’autres parties du projet de loi. Il serait donc très utile qu’un sénateur qui propose des amendements indique au comité les autres articles du projet de loi sur lesquels son amendement pourrait avoir une incidence. Sans cela, il pourrait être très difficile pour le comité de prendre des décisions cohérentes.

Si des sénateurs ont des questions concernant le processus ou le bien-fondé de quoi que ce soit, je les invite à invoquer le Règlement. La présidence écoutera alors les arguments et rendra une décision une fois qu’elle aura convenu que nous avons suffisamment discuté de la question de procédure.

Le comité est le maître de ses travaux dans les limites établies par le Sénat, et il est possible d’interjeter appel d’une décision de la présidence en demandant à l’ensemble du comité si cette décision doit être maintenue.

[Français]

Honorables sénateurs, en tant que vice-président, je ferai tout en mon pouvoir pour faire en sorte que ceux qui souhaitent prendre la parole puissent le faire. Néanmoins, pour ce faire, je dois pouvoir compter sur votre collaboration. Je vous demande à tous de bien vouloir penser à vos collègues et de tenir des propos aussi pertinents et aussi brefs que possible.

Enfin, je tiens à rappeler aux honorables sénateurs que, en cas d’incertitude quant au résultat d’un vote par oui ou par non, ou d’un vote à main levée, le plus simple sera de demander un vote par appel nominal, qui donnera des résultats clairs et sans équivoque. Les sénateurs n’ignorent pas que, en cas d’égalité des voix, la motion sera rejetée.

Y a-t-il des questions? Sinon, nous allons commencer.

[Traduction]

Est-il convenu de procéder à l’étude article par article du projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices?

Des voix : D’accord.

[Français]

Le vice-président : Êtes-vous d’accord pour suspendre l’adoption du titre?

Des voix : D’accord.

Le président : Êtes-vous d’accord pour suspendre l’adoption de l’article 1, qui contient le titre abrégé?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : L’article 2 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : L’article 3 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : L’article 4 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : L’article 5 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le président : L’article 6 est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : L’annexe, qui couvre les pages 3 à 55, est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : L’article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : Le projet de loi, tel qu’amendé, est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : Est-ce que le comité souhaite annexer des observations au rapport?

Des voix : Non.

Le vice-président : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : Cela met fin à notre étude. Merci de votre coopération. Notre prochaine réunion se tiendra la semaine prochaine, comme d’habitude.

(La séance est levée.)

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