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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 66 - Témoignages du 6 juin 2019


OTTAWA, le jeudi 6 juin 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 34, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général (sujet : la situation des droits de la personne au Tibet).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit pour examiner les questions qui peuvent se présenter par moments concernant les relations étrangères et le commerce international en général. Dans le cadre de ce mandat, nous entendrons aujourd’hui trois invités qui nous donneront des renseignements sur le Tibet et sur la situation actuelle des droits de la personne au Tibet.

Avant d’entendre ces témoignages, je demanderais aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk et je suis sénatrice de la Saskatchewan.

Bienvenue au comité. M. Sangay sera le premier à prendre la parole. Nous avons devant nous les notices biographiques des témoins, ce qui permettra d’éviter les présentations formelles et de gagner ainsi du temps précieux pour notre discussion.

Monsieur Sangay, vous avez déjà comparu devant le Sénat. Je vous souhaite la bienvenue au nom du comité. Je vous invite à faire votre déclaration liminaire.

Lobsang Sangay, président, Administration centrale tibétaine : Je vous remercie, madame la présidente Andreychuk, ainsi que les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. C’est pour moi un grand honneur et un privilège d’être ici. Permettez-moi d’abord de prendre une demi-minute pour dire quelques mots en tibétain.

[Note de la rédaction : M. Sangay s’exprime en tibétain.]

Je viens d’exprimer ma solidarité avec les Tibétains qui vivent toujours au Tibet, de les informer de la tenue de cette audience officielle sur le Tibet, parce que cette année est le 60e anniversaire du soulèvement national au Tibet. En effet, en mars 1959, des milliers de Tibétains se sont soulevés pour affirmer que le Tibet appartient aux Tibétains et que l’occupation du Tibet devait cesser. Il a été établi par la suite, selon les documents officiels du gouvernement chinois lui-même, que, entre mars et septembre 1959, 87 000 Tibétains ont été tués. Selon d’autres sources, environ un million de Tibétains ont péri dans diverses circonstances depuis le début de l’occupation du Tibet.

Cette année marque également le 30e anniversaire de la tragédie de la place Tiananmen, où de nombreux Chinois, très courageux, se sont levés pour défendre la cause de la démocratie en Chine et, pour cela, ont payé de leur vie. Le 4 juin, il y a deux jours, on a souligné le 30e anniversaire de cette tragédie. Nous savons tous aussi que plus d’un million d’Ouïghours musulmans sont également en détention dans la région de Qinghai. Je tiens à leur exprimer ma solidarité.

J’aimerais remercier le sénateur Ngo d’avoir proposé une résolution sur le Tibet qui souligne l’importance d’une enquête sur les droits de la personne au Tibet. Pour la première fois, il y a une proposition de dialogue avec le gouvernement chinois. Il s’agit d’une résolution officielle. Nous avons adopté pour politique l’approche de la Voie du milieu, qui repose sur le fait que le Tibet, historiquement, était un pays indépendant. C’est incontestable. Même les historiens chinois le reconnaissent et l’acceptent. Toutefois, ce que nous disons, c’est que la Voie du milieu est une option viable. Nous essayons de trouver un terrain d’entente, alors que le gouvernement chinois affirme que la souveraineté de la Chine, son intégrité territoriale et la politique d’une Chine unique ne peuvent être compromises. À cela, Sa Sainteté le dalaï-lama a répondu que tout cela était acceptable à condition que cesse la répression des Tibétains vivant au Tibet et que leur soit accordée une véritable autonomie. Voilà où se trouve le juste milieu.

Nous ne chercherons pas à nous séparer de la Chine. Nous chercherons à obtenir l’autonomie dans le cadre de la Constitution chinoise. Voilà notre proposition. C’est une proposition où tous y trouvent leur compte, le gouvernement chinois, la Chine elle-même et le peuple tibétain. Qu’une résolution fasse mention de l’approche de la Voie du milieu est, je pense, un fait louable. Je tiens à le souligner.

De plus, ce que nous cherchons à préserver est de la plus haute importance : notre identité, notre religion, notre culture et notre langue. En poursuivant ce but, ce que nous voulons, c’est l’affirmation, entre autres choses, de notre dignité, des droits de la personne et de la démocratie. Le Canada a été un chef de file dans la défense de la démocratie et des droits de la personne. Il est très important que le Canada fasse également preuve de leadership pour ce qui est des droits de la personne au Tibet.

Nous souhaitons que le gouvernement canadien, à la suite de cette audience, adopte une position cohérente et fondée sur des principes en matière de droits de la personne et de démocratie. En terminant, j’aimerais encore une fois remercier tous les sénateurs ici présents d’avoir tenu cette audience officielle sur le Tibet. Je pense n’avoir pas dépassé les cinq ou six minutes de temps de parole qui m’étaient allouées. Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Excellent. Je vous remercie d’avoir bien tenu compte des contraintes de temps. Vous avez néanmoins pu faire valoir vos principaux arguments.

J’ai déjà une longue liste d’intervenants. Je vais donner la parole d’abord au sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être parmi nous ce matin. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je suis sûr, en vous entendant décrire la façon dont vous percevez votre relation avec la Chine, que vous avez dû réfléchir précisément à la manière dont elle serait structurée. Est-ce une fédération que vous recherchez? Comment peut-on obtenir l’autonomie tout en respectant la politique d’une Chine unique? Est-ce un peu comme Taïwan? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous envisagez à ce sujet?

M. Sangay : Il y a de nombreux exemples d’autonomie, y compris au Canada. Le Québec, les Premières Nations du Nunavut, le Tyrol du Sud en Italie, Hong Kong ou Taïwan. Nous pouvons toujours examiner les similitudes, mais il y a aussi de grandes différences. Il est toujours difficile de faire des comparaisons.

Pour peu qu’on s’attarde aux détails, on constate que ce que nous demandons est moins que ce qui est accordé à Hong Kong. Si vous regardez le Memorandum on Genuine Autonomy, il y a 11 points que nous réclamons, qui sont plus ou moins conformes aux dispositions de la Constitution chinoise. Par conséquent, l’autonomie que nous demandons ne déroge pas à la Constitution chinoise.

Prenons l’exemple d’Aceh, en Indonésie, de l’Irlande du Nord, de l’Écosse. Il existe de nombreux exemples dans le monde, qui ont entre eux des similitudes, mais aussi des différences. Ce que nous demandons s’inscrirait dans le cadre de la Constitution chinoise.

Comme je l’ai expliqué, le gouvernement chinois affirme avec insistance que la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine ne peuvent être compromises. La politique d’une Chine unique est intangible. C’est pourquoi Sa Sainteté le dalaï-lama a formulé l’approche de la Voie du milieu, qui a été adoptée à l’unanimité par le Parlement tibétain et qui signifierait une véritable autonomie dans le cadre de la Constitution chinoise.

Le sénateur Massicotte : Comment le gouvernement chinois a-t-il réagi à votre prise de position?

M. Sangay : C’est un peu délicat. Ce que dit le gouvernement chinois, c’est que nous occultons notre objectif réel d’indépendance. En fin de compte, il soupçonne que nous voulons quelque chose de plus que ce que nous demandons. Le manque de confiance pose problème, peu importe ce que nous disons, même si nous disons vouloir travailler dans le cadre de la Constitution chinoise. Il y a une Constitution, adoptée en 1984, qui contient des dispositions qui le permettent. La loi chinoise sur les minorités nationales le prévoit. Nos 11 dispositions, en 5 chapitres, tout cela est plus ou moins conforme à la Constitution chinoise. Voilà ce que nous proposons.

Il dit qu’il y a des intentions cachées derrière nos propositions. La confiance fait défaut. Il arrive, lorsque je parle à des fonctionnaires et à des universitaires chinois, même si je leur dis que Sa Sainteté va se retirer dans la haute montagne et vivre dans une grotte, ou sera en retraite pendant trois ans, qu’ils vont souvent soupçonner quelque chose de louche. C’est la même chose si je dis que Sa Sainteté plonge au fond de l’océan et se tient loin du loup. S’il est annoncé qu’il y aura, dans trois ans ou trois mois, une retraite célèbre dans le bouddhisme, ils soupçonnent toujours quelque intention cachée. Il s’agit d’un manque de confiance. Encore une fois, si je leur dis qu’ils ont eu raison d’appliquer l’interprétation d’une Chine unique dans le cas de Hong Kong, d’accorder l’autonomie à Hong Kong en application de la loi fondamentale et du régime de pays unique... Il en va de même pour Macao. Lorsque nous, Tibétains, demandons pourquoi nous ne pouvons pas jouir d’une autonomie semblable, mais inférieure, à celle de Hong Kong ou de Taïwan, ils disent que nous avons des intentions cachées. Il y a un manque de confiance, mais c’est ainsi que réagit le gouvernement chinois.

Le sénateur Ngo : J’aimerais poursuivre dans la même veine. Vous insistez sur l’importance de l’approche de la Voie du milieu pour y arriver. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les mesures concrètes à prendre pour renouveler le dialogue sino-tibétain dans ce but?

M. Sangay : Nous proposons un dialogue entre les envoyés du dalaï-lama et les représentants du gouvernement chinois. Cela s’est déjà produit. De 2002 à 2010, les envoyés du dalaï-lama ont rencontré officiellement leurs homologues chinois à neuf reprises. Ils ont eu des discussions, mais sans réussir sortir de l’impasse. Nous proposons que les envoyés du dalaï-lama rencontrent... Ou plutôt, que les représentants chinois rencontrent les envoyés du dalaï-lama dans le cadre de ce dialogue afin de discuter de l’approche de la Voie du milieu et de tâcher de trouver une solution au problème du Tibet.

Le sénateur Ngo : À l’heure actuelle, vous avez ce problème parce que le gouvernement chinois ne reconnaît pas la nomination de Gedhun Choekyi Nyima par le dalaï-lama comme représentant officiel du panchen-lama. Qu’en pensez-vous? Quelle difficulté avez-vous à établir un dialogue avec les Chinois?

M. Sangay : Il y a des difficultés, mais aussi, comme je l’ai dit, le Canada devrait avoir une position cohérente, fondée sur des principes, en matière de droits de la personne. De même, le gouvernement chinois devrait adopter une position semblable en matière de dialogue. Le gouvernement chinois, dans la guerre commerciale avec les États-Unis, n’hésite pas à dire qu’il faut régler les différends par le dialogue. Dialoguons, dit-il. Quand nous, Tibétains, avons dit qu’il fallait dialoguer pour régler la question des droits de la personne, il a, jusqu’à maintenant, refusé le dialogue. Il n’est pas très cohérent quand il s’agit de dialoguer.

Vous avez raison; Gedhun Choekyi Nyima, le panchen-lama, a été reconnu ou plutôt confirmé par Sa Sainteté le dalaï-lama comme la véritable réincarnation du panchen-lama. À l’âge de cinq ans, il a disparu. Il a aujourd’hui 30 ans. Nous ne savons pas où il vit. Il a disparu il y a 25 ans. Vous avez raison; le gouvernement chinois n’a pas été cohérent. Il s’agit d’une question religieuse. Sa Sainteté a le droit de confirmer le panchen-lama, mais le gouvernement chinois l’a fait disparaître; certains disent même qu’il a été enlevé.

La sénatrice Coyle : Merci d’être parmi nous, monsieur Sangay. J’ai beaucoup de sympathie pour votre cause. Je pense que nous avons tous, en tant que Canadiens, ce même sentiment devant ce que vous exprimez ici aujourd’hui.

Je suis intriguée. Tout d’abord, vous parlez de l’autonomie des Tibétains vivant au Tibet dans le cadre de la Constitution chinoise, de l’importance de la culture, de la religion et de la langue tibétaines. Vous parlez aussi de dignité, de droits de la personne et de démocratie.

Pourriez-vous d’abord décrire comment le Tibet, dans cette ancienne, mais aussi éventuelle situation d’autonomie, fonctionnerait comme démocratie? J’aurai ensuite une question complémentaire.

M. Sangay : Sur le plan technique, du fait que nous recherchons une véritable autonomie dans le cadre de la Constitution chinoise, la démocratie sera limitée par ce cadre. Si nous avions le choix, nous opterions pour une démocratie intégrale parce que l’administration tibétaine dont je suis le chef politique fonctionne sur une base démocratique. Notre parlement est élu depuis 1960. Mon poste est également électif, soumis au vote direct des Tibétains de partout dans le monde, dans 40 pays, y compris ceux qui vivent au Canada, tout comme l’est votre démocratie, solide, transparente et dynamique. Si on nous laissait le choix, c’est à cela qu’irait notre préférence, à ce que nous pratiquons déjà.

En fait, j’irais un peu plus loin en disant que notre session parlementaire est plus dynamique que celle de nombreux autres pays du monde. Ce n’est pas le cas du Canada. Il y a quelques mois à peine, nous avons tenu une session parlementaire au cours de laquelle j’ai dû répondre à 250 questions pendant deux jours et demi. Je devais donner des réponses sur-le-champ. Je doute qu’il y ait un autre parlement où le chef de l’administration doit se présenter devant les parlementaires pour répondre à leurs questions pendant deux jours et demi, jusqu’à ce qu’elles soient épuisées. S’il y avait eu plus de questions, j’y serais resté trois, quatre ou cinq jours, tout le temps qu’il aurait fallu. Notre système démocratique est solide. Nous avons aussi une magistrature qui s’occupe des affaires civiles. Notre vérificateur général a des pouvoirs étendus, et nous avons une commission électorale. Avec les trois branches de notre appareil gouvernemental en place, ainsi que des commissions indépendantes, je pense que notre démocratie est fonctionnelle et dynamique.

La sénatrice Coyle : Comment conciliez-vous cette démocratie dynamique et fonctionnelle que vous avez décrite avec l’ambition manifeste de rétablir et aussi de créer une situation d’autonomie pour les Tibétains au Tibet, mais également pour les Tibétains à l’extérieur du Tibet? Comment conciliez-vous cela dans le cadre dont nous discutons?

M. Sangay : C’est pourquoi j’ai dit que, si nous avions le choix, notre préférence irait au système démocratique créé par les Tibétains en exil. Nous donnons obligatoirement la priorité aux six millions de Tibétains qui vivent au Tibet. Nous cherchons avant tout à atténuer leurs souffrances et les violations des droits de la personne qu’ils subissent et à améliorer leur situation actuelle. Nous préférons un régime de véritable autonomie dans lequel ils auraient leur propre administration et pourraient parler leur langue, exprimer leur culture et pratiquer leur religion. En deux mots, il s’agit de préserver leur identité. C’est ce qui est menacé et c’est donc notre toute première priorité. Il y a 150 000 Tibétains en exil, ce qui veut dire que nous ne représentons que 5 p. 100 de la population tibétaine, ou encore 2,5 p. 100. Notre priorité va aux 90 p. 100 des Tibétains qui vivent au Tibet. C’est pourquoi nous travaillons en vue de l’instauration d’une véritable autonomie dans le cadre de la Constitution chinoise.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup d’être parmi nous aujourd’hui. Vous nous aidez à bien comprendre et à mieux comprendre. Sur ce point, ma question concerne l’enjeu de contrer la désinformation qui circule à l’endroit du Tibet dans plusieurs pays, y compris au Canada. Au cours des derniers mois, certains groupes pro-Pékin ont fait...

[Traduction]

La traduction vous convient-elle? Je suis francophone, mais je vais essayer de poser ma question en anglais.

Ma question porte sur la désinformation au sujet du Tibet. Cette désinformation, du moins ces derniers mois, provient de quelques groupes pro-Pékin qui ont fait les manchettes pour avoir tenté d’intimider des citoyens chinois, surtout des Tibétains, qui se trouvent au Canada.

En avril dernier, on soupçonnait la Tibetan Association of Canada, un groupe pro-Pékin, d’avoir fait circuler de fausses lettres, prétendant qu’elles venaient du premier ministre et du ministre de l’Immigration. Cette organisation est généralement soupçonnée d’être directement aux ordres des autorités chinoises.

Croyez-vous, premièrement, qu’il y a lieu de craindre une augmentation de ce genre d’activité, de cette désinformation au Canada? Avez-vous des suggestions à nous faire pour contrer ces tentatives de désinformation?

M. Sangay : Voilà une question très importante. L’inscription de la Tibetan Association of Canada et l’appui qu’elle prétendait mensongèrement avoir reçu du cabinet du premier ministre sont des questions graves, surtout qu’il y a des Tibétains en Ontario et ailleurs au Canada qui sont les véritables représentants du peuple tibétain. Cette soi-disant association tibétaine ne représente pas 99 p. 100 des Tibétains au Canada. C’est trompeur. Ce qu’elle fait est frauduleux.

Je pense que nous devons être très vigilants à ce sujet, parce que ces gens ont essayé d’en faire autant aux États-Unis et en Australie. Ils sont issus d’une espèce de groupe fondamentaliste français qui, selon nous, est utilisé par le gouvernement chinois à des fins politiques. Nous devons donc être très prudents et vigilants. Pour la fraude qu’ils ont commise, je pense qu’il faut appliquer les sanctions prévues par la loi. À mon avis, ce n’est que le début. L’inscription de l’association, c’est une chose, après quoi les activités iront bon train. Nous devons être très prudents à cet égard.

La sénatrice Saint-Germain : Connaissez-vous d’autres associations de ce genre qui sont actives au Canada?

M. Sangay : Je suis sûr qu’il en existe officieusement. Il s’agit d’une première tentative d’inscription officielle. Cela a été fait aussi aux États-Unis. Ces gens ne représentent pas 99 p. 100 des Tibétains, de cela nous pouvons en être absolument certains. Il y a quelques Tibétains à Ottawa et des membres de la Tibetan Association of Canada ici. Ils se réunissent, ils élisent leurs dirigeants à Toronto, à Calgary et à Vancouver. Nous élisons les représentants selon un processus démocratique. Ces gens viennent s’inscrire et prétendent représenter les Tibétains au Canada, ce qui n’est nullement le cas.

La sénatrice Bovey : Je tiens à vous remercier, monsieur, d’être parmi nous aujourd’hui. Étant donné que j'ai suivi de très près l’histoire récente et que j'ai invité et reçu le dalaï-lama en Colombie-Britannique il y a une vingtaine d’années ou plus, je sais que vous cherchez, comme vous le dites, un terrain d’entente en matière de culture et de langue. Je me demande si vous pourriez nous en dire davantage sur la question religieuse et nous dire où en sont vos discussions ou quelles sont vos préoccupations à ce sujet. Comme je l’ai dit, j’ai eu le privilège de travailler avec bon nombre de moines du dalaï-lama, originaires de l’Inde et du Canada, pendant de nombreuses années.

M. Sangay : Nous sommes très fiers que Sa Sainteté le dalaï-lama ait été reçu par le Canada à diverses occasions. Il est toujours citoyen honoraire du Canada. Nous en sommes très fiers. Je vous remercie chaleureusement de l’accueil que vous lui avez réservé et de l’aide que vous apportez aux moines tibétains.

Tout ce qui concerne la religion est vital. La civilisation tibétaine est fondée sur des valeurs et des principes bouddhistes. Le Parti communiste chinois le savait bien au moment de l’invasion du Tibet. C’est pourquoi les Chinois se sont employés, en tout premier lieu, à détruire 98 p. 100 des monastères et des couvents tibétains et à interdire le port du vêtement religieux à 99,9 p. 100 des moines et moniales du Tibet. La religion telle que nous la connaissions a tout simplement disparu. La bonne nouvelle, c’est que, 60 ans plus tard, le bouddhisme est de retour au Tibet dans la sphère sociale et privée. Ce qui se passe au Tibet, ce sont les Tibétains qui le font de leur propre mouvement.

En ce qui concerne le gouvernement chinois, il veut systématiquement détruire, diluer le bouddhisme tibétain, faire du Tibet un quartier chinois, faire des Tibétains des Chinois. Il y a beaucoup de restrictions sur les pratiques religieuses au Tibet, mais le bouddhisme est de retour. L’affirmation de l’identité tibétaine est de retour dans l’espace social et privé. Cela montre que, au bout de 60 ans, nous avons triomphé sur le front spirituel ou, plutôt, que nous sommes en train de triompher. Malgré 98 p. 100 de destruction et seulement 2 p. 100 de chances de succès, forts de notre résilience bouddhiste et de notre énergie de montagnards, nous nous sommes battus pour préserver le bouddhisme tibétain. Nous en sommes très fiers. Toutefois, la politique demeure. On entend constamment parler de Serta et de la destruction de Larung Gar. On est en train de démolir ce monastère abritant 20 000 moines et nonnes, de le réduire de moitié. De plus, Yarchen Gar, où vivent 5 000 nonnes, est sous le pic des démolisseurs en ce moment même.

Tout cela se fait malgré tous les défis. La préservation du bouddhisme est très importante pour nous.

La sénatrice Ataullahjan : Merci d’être ici ce matin. Je voulais aussi soulever la question de la religion, comme la sénatrice Bovey.

Je voudrais aller plus loin et dire que, à propos du Tibet, des Ouïghours qui sont dans des camps d’internement, certaines histoires commencent à sortir. Le mois dernier, alors que c’était le ramadan, ils ont été obligés de manger et n’ont pas pu jeûner. La religion semble jouer un rôle important lorsque la Chine refuse le dialogue ou garde les Ouïghours dans des camps en disant qu’elle les reprogramme.

Cependant, vous avez eu gain de cause. Les Tibétains ont triomphé. Étant donné que je viens de cette région du monde, du sous-continent, je peux dire que nous avons grandi en écoutant les histoires à ce sujet, nous avons entendu parler des monastères, de la richesse de l’information, des bibliothèques que vous avez. Dites-moi, à quoi ressemble la vie d’un Tibétain ordinaire en ce moment? A-t-on pu sauvegarder une partie de toute cette richesse? C’est une région très fermée et très difficile d’accès, mais vous continuez de vous épanouir, d’avoir une voix. De plus, y a-t-il des jeunes qui utilisent les médias sociaux pour faire passer leur message?

M. Sangay : Les médias sociaux sont très limités au Tibet. Nous avons ce que nous appelons le Grand Firewall de Chine, qui empêche toute information d’entrer au Tibet. La Chine a une politique appelée 1 et 100, c’est-à-dire qu’elle exporte 100 p. 100 de l’information ou de la propagande vers le monde extérieur, mais ne laisse même pas entrer au Tibet 1 p. 100 de l’information provenant de l’extérieur. C’est la politique. C’est très difficile.

Vous avez raison, car vous venez d’une famille très importante au Pakistan. Les Ouïghours sont dans une situation très difficile; ils n’ont pas le droit de célébrer le ramadan, ils n’ont pas le droit de donner à leurs enfants le nom des saints de la foi musulmane. Même dans les monastères tibétains, s’il y a des écoles où la langue tibétaine est enseignée, les monastères reçoivent l’ordre de les fermer et d’envoyer tous les enfants tibétains de moins de 18 ans dans des écoles du Parti communiste.

Même les efforts privés sont limités. J’ai dit que nous avons réussi avec seulement 2 p. 100 de chances, mais c’est dans ce contexte. Ce qu’ils ont détruit... Ils ont tout détruit sur le plan matériel. Dans les monastères tibétains, 75 p. 100 de nos statues faites d’or et d’argent et de différents types de pierres ont été brûlées, fondues ou ont disparu. Nous en avons seulement récupéré 25 p. 100.

Encore une fois, je veux simplement faire la part des choses lorsque vous dites que nous avons réussi. Je ne dis pas que nous avons réussi à 100 p. 100. Même maintenant, il y a beaucoup de défis à relever.

Le meilleur exemple est le temple de Jokhang. C’est le sanctuaire sacré du monde bouddhiste tibétain, c’est comme la Mecque ou le Vatican pour nous. Si vous allez au temple de Jokhang, à Lhassa, aujourd’hui, il y a des tireurs d’élite sur le toit et des caméras qui vous surveillent. Certains Tibétains ont dit qu’il y a plus de caméras qui vous suivent que les lampes à beurre que nous offrons dans le temple. Il y a plus de fusils qui pointent vers vous que de moines à l’intérieur du temple. C’est un dicton.

De plus, par exemple, les Tibétains et les moines qui veulent aller en Inde pour suivre les enseignements de Sa Sainteté le dalaï-lama se voient non seulement refuser un passeport, mais on le leur reprend, même à ceux qui ont obtenu un passeport. Un blogueur tibétain a dit que les Tibétains ont de meilleures chances d’aller au ciel que d’aller en Inde chercher des enseignements auprès de Sa Sainteté le dalaï-lama. Pas même 1 p. 100 des Tibétains obtiennent un passeport. Telles sont les restrictions qui frappent les pratiques religieuses des Tibétains.

Le sénateur Boehm : Merci beaucoup, monsieur Sangay, d’être parmi nous aujourd’hui.

Vos commentaires sont, bien sûr, très convaincants. Je me demande si, au cours des dernières années, votre action internationale a souffert de quelque façon que ce soit. Je pose la question parce que nous avons vu la Chine s’affirmer davantage sur la scène internationale, qu’il s’agisse des répercussions traditionnelles de l’accueil diplomatique du dalaï-lama dans divers pays ou d’autres situations dans lesquelles des mesures commerciales sont parfois perçues comme des représailles pour avoir trop soulevé la question tibétaine, si je peux m’exprimer ainsi.

Je suis curieux de savoir si vous constatez que les portes vous sont toujours ouvertes lorsque vous voyagez. Évidemment, les portes vous sont ouvertes ici, au Canada, mais qu’en est-il au Conseil des droits de l’homme, à Genève?

M. Sangay : Il n’est pas très courant d’avoir une audience officielle comme celle-ci sur le Tibet. C’est très courageux et honorable de la part du comité, et surtout des sénateurs qui sont présents ici. Le simple fait de se présenter à cette audience a beaucoup de signification parce que vous faites clairement entendre à Pékin, et surtout aux Tibétains qui souffrent au Tibet, que vous vous souciez des droits de la personne et des questions environnementales également.

Freedom House a publié un rapport portant sur les trois dernières années. Au cours de ces trois années, le Tibet a été la région la moins libre après la Syrie. Nous connaissons tous la Syrie, mais la deuxième région la moins libre au monde est le Tibet. Nous voulons le faire savoir au reste du monde, mais le gouvernement chinois est omniprésent et il est très, très puissant.

J’ai passé 36 heures en Lituanie et l’ambassade de Chine a émis un communiqué de presse condamnant ma visite. Je suis allé en Afrique du Sud, l’an dernier, et la Chine a publié un communiqué de presse et envoyé 100 personnes protester contre un discours que je prononçais à la faculté de droit. Ces personnes se sont emparées de l’auditorium et de l’estrade et elles ont chassé tous les étudiants. Quand j’ai donné une conférence à l’Université de Toronto, en novembre dernier, je crois que 50 ou 60 étudiants chinois se sont présentés avec le drapeau national chinois, en chantant l’hymne national chinois. En fait, j’en ai fait venir quelques-uns à l’intérieur pour que nous puissions dialoguer après la conférence.

Je pense que les tentacules du gouvernement chinois sont partout. Ce qui est le plus troublant, c’est la cooptation de l’élite. Quand on voit un ministre après l’autre, je ne dirais pas se faire acheter, mais plutôt passer d’un poste de ministre d’un pays à un poste de consultant d’une entreprise ou du gouvernement chinois, c’est très décevant.

J’ai eu le privilège d’aller en Australie. Il était question que je rencontre le ministre australien des Affaires étrangères. Lorsque je l’ai recontacté, il était devenu consultant pour le gouvernement chinois. Le ministre du Commerce de l’Australie a été payé, je crois, plus de 800 000 $ par année pour être consultant auprès d’une entreprise chinoise. Même un ministre des Affaires étrangères d’un pays européen que je ne nommerai pas est devenu président d’un important forum international — en fait, je vais le nommer — le Forum économique mondial de Davos, appuyé par le gouvernement chinois, et c’est un ancien ministre des Affaires étrangères de la Norvège.

Quand on voit cela, il est très troublant que le gouvernement chinois tente de restructurer l’Organisation des Nations Unies, de redéfinir les droits de la personne pour que les droits politiques et civils tels que nous les connaissons, qui sont inaliénables, fondamentaux et universels, soient relégués au second plan de ce qu’il appelle le développement. Tant que le gouvernement leur fournit du pain, du beurre et un toit, les citoyens devraient se taire.

Il n’y aura alors plus de démocratie, plus de liberté d’expression. C’est ce que signifie le socialisme à la chinoise. Je pense que le monde entier, l’ordre mondial, est menacé et sous pression parce que la Chine redéfinit tout. Ce n’est pas seulement une question tibétaine. Le Tibet est l’épreuve de vérité. Si vous êtes pour la démocratie et les droits de la personne, vous devez être pour le Tibet.

Si vous ne défendez pas le Tibet, vous n’êtes pas pour les droits de la personne ou la démocratie. C’est pourquoi j’applaudis la cohérence et la position de principe du gouvernement canadien et des dirigeants canadiens.

Il faut que cela continue.

Par conséquent, vous avez raison; les uns après les autres, les pays sont soumis aux pressions habituelles du gouvernement chinois.

Cela dit, de nombreux pays résistent de nouveau. Par exemple, la République tchèque a le plus grand groupe de soutien parlementaire tibétain de toute l’Europe. Nous avons 51 députés inscrits. De plus, le Japon a le plus grand groupe au monde; 91 députés et 60 ou 70 p. 100 du parti au pouvoir font partie du groupe de soutien du Parlement tibétain. Nous avons également au Canada le groupe de liaison parlementaire Canada-Tibet. Certains de ses membres sont ici. Ils font du très bon travail.

L’un de ses projets particulièrement intéressants consiste à embaucher des Tibétains comme stagiaires. Certains d’entre eux sont assis à l’arrière. Ils viennent comme stagiaires l’été pour se familiariser avec le Parlement canadien ou le processus gouvernemental. Ils partagent leur expérience tibétaine et ils retournent dans leur pays, où ils deviennent des leaders au sein de la communauté tibétaine. Ce projet unique est maintenant reproduit dans d’autres régions du monde.

À cet égard, je pense que le groupe de soutien parlementaire canadien a fait du très bon travail. J’espère que vous vous y joindrez et que vous en ferez peut-être le plus grand au monde.

Il faudrait donc au moins 92 parlementaires. J’espère que cela se produira. Avec les sénateurs et les députés, cela se fera.

La présidente : Je vais demander au dernier sénateur de poser la dernière question.

Le sénateur Patterson : Nous sommes honorés de vous avoir parmi nous, monsieur le président.

En terminant, vous avez parlé de la position du Canada à l’égard des droits de la personne en des termes approbateurs.

Il incombe aux comités sénatoriaux de faire des recommandations au gouvernement du Canada. Que voudriez-vous que le comité recommande au gouvernement fédéral, au gouvernement du Canada, de faire — qu’il ne fait peut-être pas actuellement — à l’égard de la situation des droits de la personne au Tibet?

M. Sangay : Je crois que le sénateur connaît la solution, qui est proposée au Sénat. Je pense que c’est un bon début. Elle contient toutes les dispositions qui sont importantes pour les questions tibétaines. Plus précisément, j’ai déjà parlé des droits de la personne, de l’approche de la Voie du milieu et du dialogue, qui sont très importants.

Une disposition, numéro D, accorde au Canada un accès diplomatique réciproque au Tibet sans restrictions. C’est très important. Je crois que, depuis 2013, l’ambassadeur ou le consul général du Canada n’a pas visité le Tibet. Cela signifie que le gouvernement chinois refuse délibérément l’accès au Tibet.

Récemment, il y a trois semaines, l’ambassadeur des États-Unis en Chine a été autorisé à se rendre au Tibet, principalement parce que, l’an dernier, le Congrès américain a adopté un projet de loi intitulé Reciprocal Access to Tibet Act of 2018, qui a été signé par le président Trump. Aujourd’hui, c’est une loi qui exige qu’un grand nombre de fonctionnaires, d’universitaires, de journalistes, de chercheurs, d’étudiants et de touristes chinois puissent venir en Amérique. Un accès semblable devrait être accordé aux Américains qui veulent visiter le Tibet. Sinon, le département d’État déterminera quels fonctionnaires et personnes devraient se voir refuser l’entrée aux États-Unis.

Le département d’État est en train de recueillir des données pour savoir si les ambassades et les consulats généraux délivrent des visas aux citoyens américains qui veulent visiter le Tibet. Sinon, le département d’État prendra des mesures.

Je pense que le Sénat devrait recommander une mesure semblable pour cet accès réciproque. Il faut que ce soit juste. Un certain nombre de Chinois peuvent venir, et un nombre semblable de Canadiens devraient être autorisés à aller au Tibet. Sinon, nous prendrons au moins des mesures contre les fonctionnaires qui refusent délibérément de délivrer des visas ou qui punissent ou répriment les Tibétains au Tibet.

Sénateur Patterson, je crois que vous avez été un chef de file dans ce domaine, compte tenu de vos antécédents et de votre expérience. Cela enverra le bon message, à savoir que le gouvernement chinois ne peut pas agir impunément en matière de droits de la personne.

Nous devons défendre un principe et dire : donnez-nous simplement un accès égal. C’est très juste. Je pense qu’il faut le faire.

Le sénateur Patterson : Merci.

La présidente : Monsieur Sangay, nous avons dépassé le temps qui nous était imparti, comme c’est souvent le cas à ce comité. Nous nous attaquons à des problèmes très complexes dans des délais très serrés. Nous faisons de notre mieux. Nous tenons à vous remercier de la façon très éloquente, franche, mesurée et calme dont vous abordez une question très importante qui devrait préoccuper les Canadiens et la communauté internationale. Nous devons connaître les faits et prendre nos propres décisions en conséquence. Vous avez contribué à notre dialogue. Vous avez éclairé notre réflexion et notre besoin de l’approfondir.

Merci, monsieur Sangay, au nom du comité.

M. Sangay : Je remercie la sénatrice Andreychuk et les membres du comité de ce privilège et de cet honneur. Étant donné vos antécédents en droit... J’ai aussi une formation en droit. Je crois que le Tibet a grandement besoin de justice. J’espère que vous allez tous travailler et faire en sorte que cela se fasse le plus tôt possible. Merci beaucoup.

La présidente : Merci.

La présidente : Nous passons maintenant à notre prochain témoin, Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada.

Vous avez comparu devant nous tellement souvent que je ne dirai rien d’autre. Vous comprenez notre approche. Vous avez été très généreux de votre temps. Je suis convaincue que, pendant votre dernière année à titre de secrétaire général, on fera appel à votre sagesse et à votre engagement continu à l’égard des questions liées aux droits de la personne.

Au nom du comité, je tiens à dire que vous avez très bien compris ce dont les parlementaires ont besoin pour prendre les décisions qu’ils doivent prendre au nom des Canadiens.

Je vous en remercie et je vous remercie de comparaître de nouveau devant nous sur cette question. Vous avez la parole.

Alex Neve, secrétaire général, Amnistie internationale Canada : Merci beaucoup pour ces bonnes paroles, madame la présidente. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous au sujet d’une question très importante en matière de droits de la personne.

Je commencerai par reconnaître que je le fais sur le territoire non cédé du peuple algonquin. Il convient de souligner qu’il y a eu une solidarité très impressionnante entre les peuples autochtones et les Tibétains à bien des égards au fil des ans.

Je tiens à dire que c’est un grand honneur de comparaître après M. Lobsang Sangay.

Votre session d’aujourd’hui arrive à point nommé, puisqu’elle a lieu deux jours seulement après le 30e anniversaire du massacre de la place Tiananmen. Bien sûr, c’est aussi dans le sillage des tensions dans les relations entre le Canada et la Chine liées à l’extradition de Meng Wanzhou. Quatre Canadiens emprisonnés et, dans deux cas, condamnés à mort dans des circonstances qui pourraient fort bien être liées à cette affaire d’extradition; Michael Kovrig, Michael Spavor, Robert Schellenberg et Fan Wei. Comme dans d’autres cas tels que celui de l’Ouïghour Canadian Huseyincan Celil, emprisonné pendant 13 ans, ou du Canadien Sun Qian, pratiquant le Falun Gong, emprisonné pendant plus de deux ans, leur sort nous rappelle de façon frappante que le bilan catastrophique de la Chine en matière de droits de la personne a des conséquences directes et très graves pour les Canadiens.

L’appareil étatique chinois, un ensemble de lois et d’institutions qui, ces dernières années, ont centralisé encore davantage le pouvoir du gouvernement et renforcé la surveillance et le contrôle, est la toile de fond d’un contexte croissant de répression et d’intimidation qui viole et sape directement les droits de la personne dans toute la Chine, y compris certainement au Tibet. Cela comprend la campagne qui se poursuit contre les défenseurs et les avocats des droits humains qui ont été menacés, surveillés, arrêtés, détenus, torturés et disparus en raison de leur travail en matière de droits de la personne.

La gamme des violations des droits de la personne en Chine est vaste et comprend certainement des violations systémiques des libertés fondamentales d’expression, de réunion et de religion, en particulier des Tibétains, des Ouïghours, des adeptes du Falun Gong et des habitants de Hong Kong.

On peut comprendre que l’attention internationale ait récemment porté sur la campagne massive de répression dans la région occidentale du Xinjiang, en Chine, où plus d’un million d’Ouïghours et d’autres minorités musulmanes ont été confinés dans des camps de détention et ont été victimes d’autres violations graves des droits de la personne.

La torture et le recours à la peine de mort se poursuivent à des taux alarmants. La peine de mort est entourée d’un tel secret qu’Amnistie internationale n’a pas inclus de statistiques sur les exécutions en Chine dans son rapport sur la peine de mort. Nous sommes toutefois convaincus que la Chine exécute plus de personnes que le reste du monde.

Il y a de plus en plus d’incidents de répression ciblant des dissidents chinois, des défenseurs des droits de la personne, des Tibétains, des adeptes du Falun Gong, des Ouïghours et d’autres personnes vivant à l’étranger, y compris ici au Canada. Ces mesures font rarement l’objet d’enquêtes adéquates de la part des autorités nationales et semblent très souvent émaner de fonctionnaires chinois ou de mandataires liés au gouvernement chinois.

Les efforts déployés par la communauté internationale pour lutter contre les violations des droits de la personne en Chine se sont révélés inadéquats et ont trop souvent manqué de détermination sérieuse. De nombreux gouvernements, y compris le Canada, sont désireux de stimuler le commerce et l’investissement avec la Chine, qui ont trop souvent préséance sur les droits de la personne. Je recommande au comité l’excellent rapport du Comité Canada-Tibet intitulé Commerce et droits humains au Tibet, considérations pour une politique commerciale qui tienne compte des droits humains, qui souligne comment le commerce et l’investissement canadiens peuvent avoir et ont effectivement un effet néfaste sur les droits de la personne au Tibet.

Deux récents examens du bilan de la Chine en matière de droits de la personne menés par l’ONU nous donnent une bonne idée des mesures à prendre pour répondre aux préoccupations relatives aux droits de la personne au Tibet.

Le 6 novembre dernier, la Chine a fait l’objet d’un examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Le Canada a formulé quatre recommandations, notamment de « mettre fin aux poursuites et aux persécutions fondées sur la religion ou les croyances » contre un certain nombre de groupes désignés, notamment contre les bouddhistes tibétains. Le gouvernement chinois a rejeté cette recommandation en faisant valoir que la Chine est un État de droit et que la liberté de religion de ses citoyens est protégée par la loi, mais que ceux qui enfreignent la loi doivent être punis conformément à celle-ci, qu’ils soient croyants ou non.

Cette réponse nous donne une bonne idée des difficultés qui nous attendent.

L’an dernier également, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné le bilan de la Chine en matière de lutte contre le racisme. Il souligne plus particulièrement ses préoccupations concernant le traitement des Tibétains, s’inquiétant d’une définition vague et large du terrorisme, de l’extrémisme et du séparatisme, qui permet la criminalisation de l’expression pacifique, civique et religieuse et le profilage criminel des minorités, dont les Tibétains. Il rappelle la nécessité de procéder à une enquête indépendante sur tous les cas de décès en détention et sur les allégations de torture, de harcèlement et de recours à une force excessive contre les membres de minorités ethniques, dont les Tibétains. Il s’inquiète également des restrictions importantes imposées à la liberté de mouvement des Tibétains, des restrictions imposées à l’enseignement de la langue tibétaine dans les écoles, des sanctions infligées aux défenseurs de la langue tibétaine, de l’absence de traduction en langue tibétaine pendant les procédures judiciaires et de la discrimination subie par les Tibétains à la recherche d’un emploi.

Enfin, il y a un sujet de préoccupation qui, depuis des décennies, est au cœur des recherches et des campagnes d’Amnistie internationale sur les violations des droits de la personne au Tibet : la détention massive de prisonniers d’opinion.

Il y a deux semaines, Human Rights Watch a publié une liste de 80 cas d’arrestation arbitraire de moines tibétains et d’autres critiques pacifiques à la suite des manifestations de mars 2008. Ceux-ci sont toujours en détention 11 ans plus tard.

Le plus souvent, les familles n’ont pas le droit de rendre visite à leurs proches, voire même de savoir où ils sont. L’organisme s’inquiète beaucoup des mauvais traitements que ceux-ci peuvent subir, de leur état de santé et du refus de leur fournir des soins médicaux. Le rapport met en relief la situation de trois moines érudits du monastère Drepung de Lhassa, à savoir Jampel Wangchuk, Konchok Nyima et Ngawang Chonyi, qui ont été arrêtés en avril 2008. Ceux-ci ont été accusés d’avoir omis d’empêcher une manifestation au monastère. Des témoignages indiquent qu’ils n’ont absolument pas participé à cette manifestation. Leur procès, en juin 2010, s’est déroulé derrière des portes closes et a mené, selon les cas, à des peines d’emprisonnement à perpétuité et à des peines de 20 ans et 15 ans d’emprisonnement. Nous ne connaissons pas les accusations pour lesquelles ils ont été condamnés.

Pour terminer, permettez-moi de vous présenter rapidement nos 10 recommandations au gouvernement canadien.

Premièrement, il faut demander la libération de tous les prisonniers détenus à tort ou injustement au Tibet.

Deuxièmement, il faut faire cesser le recours à des infractions criminelles vaguement définies pour criminaliser la liberté d’expression, de réunion et de religion des Tibétains.

Troisièmement, il faut insister pour que la liberté de mouvement, les droits linguistiques, la liberté de religion et, en général, les droits à l’égalité des Tibétains soient respectés.

Quatrièmement, il faut inviter instamment la Chine à mettre en œuvre toutes les recommandations encore en suspens qui découlent des examens des droits de la personne de l’ONU portant sur la situation des Tibétains et d’autres sujets de préoccupation.

Cinquièmement, il faut continuer de demander que les diplomates canadiens, les spécialistes des droits de l’homme des Nations Unies, les organisations internationales de défense des droits de la personne et les journalistes aient accès sans entrave au Tibet.

Sixièmement, il faut donner suite aux importantes recommandations du rapport du Comité Canada-Tibet intitulé Trade and Human Rights in Tibet, notamment en intégrant des mesures de protection des droits de la personne dans tous les aspects de la politique commerciale du Canada avec la Chine.

Septièmement, il faut renforcer les mesures prises sur notre territoire pour enquêter sur l’intimidation et le harcèlement que subissent les membres de la communauté tibétaine au Canada.

Huitièmement, il faut promouvoir les efforts déployés au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour créer une mission exploratoire indépendante sur la crise actuelle des Ouïghours, qui serait un moyen crucial de commencer à s’attaquer à l’impunité flagrante de la Chine en matière de droits de la personne.

Neuvièmement, il faut renforcer la protection des militants et des avocats des droits de la personne en Chine.

Enfin, dixièmement, il faut élaborer une stratégie pangouvernementale exhaustive pour aborder la question des droits de la personne dans les relations entre le Canada et la Chine, en prévoyant notamment une politique canado-tibétaine.

J’ai terminé.

La présidente : Merci. Beaucoup de gens veulent vous poser des questions.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup de votre présentation et des recommandations que vous nous faites, qui m’apparaissent couvrir l’ensemble des enjeux.

Ma question porte sur deux de vos recommandations, notamment la septième — je ferai une traduction libre, alors j’espère que nos interprètes ne m’en voudront pas —, à savoir le besoin de contrer l’intimidation et le harcèlement à l’endroit des ressortissants tibétains au Canada, ainsi qu’une autre recommandation qui vise à permettre aux défenseurs des droits et de la liberté d’expression d’œuvrer avec liberté et sans contrainte.

Compte tenu de ce que l’on sait de la désinformation dont les Canadiens sont victimes à partir de différentes associations, mais surtout du groupe pro-Pékin Tibetan Association of Canada, j’aimerais savoir, dans ce contexte, si votre organisation, Amnistie internationale Canada, a été restreinte dans ses activités par une telle association. De plus, comment entrevoyez-vous concrètement la façon dont les autorités canadiennes pourraient en faire davantage pour contrer l’intimidation et la désinformation?

[Traduction]

M. Neve : Comme j’en ai parlé dans mes recommandations, c’est certainement la preuve que c’est un grave sujet d’inquiétude, et pas seulement pour Amnistie internationale. Il existe une coalition très solide, la Coalition canadienne pour les droits humains en Chine, composée d’une dizaine d’organisations toutes basées au Canada, qui, à divers égards, s’inquiètent de la situation en Chine. Cette coalition s’intéresse notamment aux relations entre le Canada et la Chine du point de vue des droits de la personne. Ce n’est pas une coalition dont le rôle est généralement de défendre les droits de la personne en Chine. Elle s’intéresse surtout à cette interface entre le Canada et la Chine.

C’est à cet égard que, au cours des dernières années, non seulement nos collègues tibétains qui font partie de cette coalition — le Comité Canada-Tibet et la section canadienne d’Étudiants pour un Tibet libre en font partie —, mais aussi d’autres organisations, la Société Ouïghoure-Canadienne, un certain nombre de groupes pro-démocratie, les groupes Falun Gong, ont commencé à témoigner des nombreuses façons dont, eux-mêmes, leurs organisations ou leurs communautés sont visés et mis sous surveillance en ligne, dont leurs activités publiques sont perturbées, dont ils sont très souvent menacés et dont les membres de leur famille restés en Chine sont également menacés en raison de choses qui se passent ici.

Il y a environ deux ans, nous avons commencé à classer ces données. Nous avons présenté un rapport confidentiel au gouvernement canadien au nom de la coalition. Nous ne prétendons pas du tout qu’il s’agisse d’une perspective exhaustive. Ce n’est qu’un ensemble minimal d’exemples, car le problème est beaucoup plus vaste.

Il est, à mon avis, urgent de demander une action concertée, et cela nous ramène, je crois, à votre question sur ce qu’on peut faire. Ce qui nous a troublés quand nous avons commencé à recueillir ces données factuelles, c’est de voir que les gens ne savent vraiment pas quoi faire. Il s’est passé quelque chose : est-ce que je dois m’adresser à la GRC, est-ce que je dois appeler Affaires mondiales, est-ce que cela relève du SCRS, de la police municipale, ou tout cela à la fois? Les gens ont tendance à se tourner vers tous ces organismes, mais ils n’obtiennent pas vraiment de réponse coordonnée et cohérente et, comme on dit, cela glisse entre les mailles du filet.

Nous rappelons — et je pense que le gouvernement canadien est assez réceptif — qu’il y a urgence à répondre au besoin aigu d’une stratégie bien coordonnée de traitement de ces signalements pour garantir que les aspects de ces activités liés à la sécurité publique, au renseignement et au domaine pénal soient compris et qu’il en soit tenu compte de façon cohérente. Parce que non seulement cela préoccupe généralement ceux d’entre nous qui s’intéressent aux relations entre le Canada et la Chine, mais cela a des conséquences réelles pour des gens dans le déroulement ordinaire de leur vie quotidienne.

La sénatrice Ataullahjan : Ce qui se passe avec les Ouïghours me laisse perplexe depuis un certain temps. Étrangement, aucun pays musulman ne s’est prononcé. Est-ce que l’influence croissante de la Chine leur fait craindre de l’offenser? On a observé la même chose — je ne veux pas nommer les pays — avec la question des Rohingyas. Certains pays proches de la Chine ont eu peur d’aborder la question.

M. Neve : Je crois que vous venez de répondre à la question, madame la sénatrice. Premièrement, nous sommes entièrement d’accord pour dire qu’il est pour le moins décevant de constater le silence à peu près général des pays à majorité musulmane devant ce qui arrive au peuple ouïghour. La Turquie a été une rare exception, mais il y a de forts liens ethniques et culturels entre les Turcs et les Ouïghours, et c’est pourquoi la Turquie est plus disposée à s’exprimer.

Amnistie internationale continue d’attirer l’attention sur ce problème dans le cadre de sa campagne. Nous avons, dans certains de ces pays, des membres et même des sections nationales qui font tout ce qu’ils peuvent pour inciter les gouvernements à se prononcer. L’Organisation de la Conférence islamique est plus particulièrement un organisme auquel nous nous sommes adressés et dont nous parlons, comme d’autres, dans nos documents d’information et de sensibilisation.

Vous avez tout à fait raison, et cela traduit une préoccupation que nous constatons plus généralement à l’échelle mondiale à l’égard de la Chine et des droits de la personne. La Chine a maintenant une influence mondiale incroyable et grandissante en raison de ses politiques en matière de commerce et d’investissement et de sa présence musclée dans de nombreuses régions du monde. Je pense que votre observation est tout à fait juste et que ce silence s’explique en grande partie par le fait qu’elle dissuade, implicitement ou explicitement, les gouvernements de s’exprimer.

Le sénateur Massicotte : Merci encore une fois d’être parmi nous. Donc, compte tenu de vos dernières remarques, il n’y a aucune raison de s’attendre à une quelconque entente entre les Tibétains et la Chine dans les circonstances actuelles. Je suppose qu’il faudra des années. Je fais également remarquer qu’aucun autre pays n’a reconnu l’indépendance du Tibet. Qu’est-ce que vous envisagez? Projetons-nous dans 10 ou 15 ans. Peut-on espérer des progrès?

M. Neve : Je devrais commencer par dire qu’Amnistie internationale ne s’intéresse pas tant aux considérations politiques très urgentes liées à l’indépendance et au statut politique, qui sont toutes cruciales et, évidemment, très souvent directement associées à la question des droits de la personne. Nous nous concentrons sur l’évolution de la situation des droits de la personne que nous souhaitons voir advenir, et nous estimons que, dans ce contexte, le Canada a un rôle important à jouer en coordonnant ses actions dans la mesure du possible avec d’autres gouvernements.

Les interventions et les prises de position du Canada à l’égard de certaines des choses que j’ai soulignées au sujet des prisonniers politiques, des droits linguistiques ou de ce genre de préoccupations ne passeront pas toutes seules. Cela doit faire partie d’une stratégie coordonnée à l’échelle du gouvernement canadien, en tirant parti de tous les domaines d’échange et d’influence en partage avec la Chine et pas seulement, par exemple, du rôle de nos diplomates chargés du dossier des droits de la personne.

Il faut aussi, bien sûr — et c’est crucial —, une coordination stratégique très étroite avec d’autres pays, et pas seulement avec les habitués. On peut presque toujours solliciter l’Australie, les États-Unis et l’Europe de l’Ouest. Il faut évidemment continuer d’élargir ce réseau, et cela nous ramène à la question précédente au sujet des difficultés à faire participer d’autres gouvernements à cette stratégie, parce qu’ils sont en quelque sorte redevables à la Chine ou qu’ils craignent de la contrarier. C’est un aspect très important.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Dans une perspective générale, à la suite de l’élection de M. Trump aux États-Unis, des signaux plutôt positifs ont transpiré de certains discours provenant de la Chine et de l’Europe, nous laissant espérer que les échanges internationaux seraient teintés de respect et de responsabilité, ainsi qu’au sein de la société en général. Cependant, depuis quelque temps, nous avons l’impression que cela a dérapé, en quelque sorte. Il me semble que nous sommes revenus à la vieille méthode musclée, en essayant de s’imposer, même au Canada.

Croyez-vous que les gens étaient sincères, au départ, quand on entendait certains personnages importants dire que nous étions des citoyens du monde, grâce entre autres aux accords de libre-échange et à la démocratie? Que pensez-vous de tout cela?

[Traduction]

M. Neve : C’est une question très importante à l’échelle globale. Ce sont en effet des tendances inquiétantes sur la scène mondiale. Le facteur de perturbation Trump est manifestement une source de graves difficultés, par exemple pour le Canada. Je parle des répercussions directes sur nos relations avec la Chine et sur notre positionnement. Je pense que cela nous ramène encore une fois à la dernière recommandation, qui vient d’Amnistie internationale, mais je dois dire que, en fait, c’est celle que la coalition dont j’ai parlé tout à l’heure préconise depuis de nombreuses années, c’est-à-dire la nécessité, si nous voulons progresser, d’une stratégie réfléchie, délibérée et globale à l’échelle du gouvernement canadien.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’être de nouveau parmi nous et merci du travail que vous faites. Vous défendez sans relâche les droits de la personne, et je vous en remercie infiniment.

Certaines de vos remarques ne sont pas une surprise. La Chine exécute plus de gens que tous les autres pays du monde. Le témoin précédent vient tout juste de nous parler de la vie des Tibétains, et pourtant la grande majorité des produits que nous trouvons sur les étagères de nos magasins sont fabriqués en Chine. Vous avez dit que beaucoup de gouvernements sont prêts à négliger le dossier des droits de la personne pour faire commerce avec la Chine.

Comment faire la part des choses? Ce n'est pas seulement au Canada. Dans presque tous les pays, tout ce qu’on trouve sur les étagères des magasins est fait en Chine. Comment concilier tout cela?

M. Neve : Nous avons besoin d’une politique commerciale fondée sur les droits de la personne. Nous avons effectivement besoin d’une politique commerciale fondée sur les droits de la personne en ce qui concerne la Chine, mais, à notre avis, il faudrait une politique de ce genre à l’échelle mondiale, qui ne consisterait pas seulement à insérer quelques mots ambitieux donnant bonne conscience dans les accords commerciaux, mais qui associerait à ces intentions des mesures réelles et concrètes, des évaluations des répercussions sur les droits de la personne, et des processus clairs quand il pourrait être prouvé qu’une approche commerciale mène à des violations des droits de la personne.

Amnistie internationale ne dit pas que le Canada ne devrait pas faire de commerce avec la Chine ou qu’il ne faudrait pas voir de produits fabriqués en Chine sur les étagères des magasins au Canada. Nous devons avoir la garantie que cela se fait dans un contexte où les droits de la personne entrent sérieusement et systématiquement en ligne de compte. En ce qui concerne plus particulièrement le Tibet, je tiens à souligner l’excellent rapport du Comité Canada-Tibet sur l’approche du Canada en matière de commerce avec le Tibet. On y trouve toutes sortes d’exemples concrets et un certain nombre de recommandations très importantes qui aideraient à dissiper l’inquiétude dont vous parliez.

La présidente : Je vais poser une question, monsieur Neve, si vous permettez.

Nous sommes passés de la Commission des droits de l’homme, dont nous connaissions les difficultés, au nouveau Conseil des droits de l’homme, qui est censé être plus petit, plus efficace et plus précis dans le dossier des droits de la personne. Beaucoup d’organismes voués à la promotion des droits de la personne dans le monde font remarquer que notre voix — la voix de l’Occident, si on veut — ou celles qui se sont fait bruyamment entendre à la Commission des droits de l’homme sont moins audibles et qu’il y a moins d’espace qu’auparavant pour traiter ces questions et bâtir des coalitions. Donc, des questions comme celle du Tibet ne se trouvent pas à être entendues de la même façon. D’après vous, est-ce qu’il est plus difficile de travailler au sein du conseil? Est-ce qu’il s’agit d’une évaluation juste de certaines de leurs orientations et priorités?

M. Neve : Je serais très heureux vous faire un exposé d’une heure pour vous répondre, parce qu’il y a beaucoup de choses à dire. Il faut cependant souligner quelques éléments. Premièrement, concernant plus particulièrement la Chine, nous n’avons jamais pu intervenir non plus à la Commission des droits de l’homme. Chaque année, la Chine a réussi, de façon très agressive, à bloquer les efforts déployés par Amnistie internationale et d’autres organismes pour essayer d’encourager l’adoption d’une résolution concernant le bilan de ce pays en matière de droits de la personne.

À certains égards, le passage au Conseil des droits de l’homme a permis d’accorder un peu plus d’attention à la situation en Chine, au sens que, parallèlement au Conseil des droits de l’homme, nous avons ce nouveau système d’examen périodique universel, qui permet, tous les quatre ans et demi, d’examiner la situation des droits de la personne de tous les pays. Cela ne s’est jamais fait à la commission. La commission n’a jamais pris le temps d’examiner le bilan de la Chine en matière de droits de la personne. Cela nous donne donc au moins un espace où, tous les quatre ans et demi, le bilan de la Chine est sous les feux de la rampe et remis en question par d’autres pays. L’an dernier, dans le cadre de l’examen périodique universel de la Chine, 150 pays, dont le Canada, ont posé des questions et formulé des recommandations. C’est donc quelque chose.

En fin de compte, la situation est effectivement encore incroyablement décevante et très souvent dysfonctionnelle au Conseil des droits de l’homme. Je ne crois pas que ce soit nécessairement à cause du passage de la commission au conseil. Cela traduit probablement de façon plus générale les tendances mondiales, la polarisation, le nombre de gouvernements qui se sentent à l’aise d’attaquer directement et de compromettre l’intégrité des processus multilatéraux, y compris dans le domaine des droits de la personne. Le Canada a beaucoup de travail à faire à cet égard.

Je tiens, en passant, à féliciter le gouvernement canadien, comme je le fais de temps en temps. À la dernière séance du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Canada et quelques autres pays ont décidé courageusement de parrainer ce qu’on appelle au Conseil des droits de l’homme un événement parallèle — c’est-à-dire qu’il ne se déroule pas dans la salle principale, mais à l’extérieur de la salle principale —, sur la répression exercée contre la population ouïghoure en Chine. La Chine a été outrée, comme c’est souvent le cas, et elle l’a fait clairement savoir tout en invoquant une campagne de désinformation, ce qui nous ramène à la question précédente sur la désinformation. Nous espérons que le Canada se tiendra à cette décision courageuse et cherchera des moyens de passer à l’étape suivante. Nous ne sommes pas assez naïfs pour imaginer qu’il sera possible d’obtenir une résolution à la prochaine séance du Conseil des droits de l’homme. Nous encourageons cependant le Canada à collaborer avec d’autres États pour, au moins, faire une déclaration publique commune sur la situation des Ouïghours. Ce sont de petits pas en avant. Ce n’est pas directement lié à la situation au Tibet, mais je crois que c’est utile dans le contexte plus large de la responsabilisation et de la surveillance de la Chine. Si on ne la responsabilise pas et si on ne la surveille pas dans le traitement qu’elle réserve aux Ouïghours, nous n’obtiendrons jamais rien pour le Tibet.

La présidente : J’espère que nous terminons sur une note optimiste dans la mesure où, comme vous le dites, nous continuons d’essayer. À la Commission des droits de l’homme, nous n’avions pas de résolutions, mais nous faisions des efforts. Je pense que nous devons constamment faire valoir ce que nous croyons juste et correct dans le domaine des droits de la personne. Merci d’être venu nous rappeler les responsabilités du Canada et nos responsabilités individuelles. Honorables sénateurs, remercions encore une fois M. Neve. Je suis sûre que nous aurons encore l’occasion de vous accueillir. Comme d’habitude, vous nous laissez devant beaucoup de défis, et c’est une bonne chose.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant passer à notre dernier témoin, M. Shawn Steil, directeur général, Direction de la Chine élargie politique et coordination, Affaires mondiales Canada.

Shawn Steil, directeur général, Direction de la Chine élargie politique et coordination, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup de me permettre de témoigner devant le comité.

[Français]

Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis heureux de comparaître devant vous pour vous informer de la situation au Tibet et des récentes interventions du Canada à ce chapitre.

[Traduction]

Je sais que nous disposons d’un temps limité. Je vais être concis dans mes remarques préliminaires pour avoir le temps de répondre aux questions.

[Français]

Permettez-moi de commencer par quelques remarques sur l’importance des droits de la personne dans les relations du Canada avec la Chine en général. La promotion et la protection des droits de la personne font partie intégrante de la politique étrangère du Canada et constituent une priorité qu’a établie notre gouvernement avec la Chine.

[Traduction]

Notre engagement envers les droits de la personne comporte de multiples facettes, et les activités que mène le Canada pour promouvoir les droits de la personne comprennent des visites de haut niveau, des déclarations publiques et la défense des droits dans des forums bilatéraux et multilatéraux.

Tout au cours de nos interactions bilatérales, le Canada a toujours demandé au gouvernement chinois de respecter les libertés fondamentales de tous les citoyens chinois.

[Français]

À de nombreuses reprises, nous avons rappelé au gouvernement chinois que la persécution exercée à l’égard des minorités religieuses et ethniques, y compris au Tibet, est non seulement incompatible avec ses obligations internationales, mais également avec sa propre Constitution.

[Traduction]

Le Canada demeure profondément préoccupé par la situation des droits de la personne qui touche les Tibétains, notamment au chapitre de la protection des droits linguistiques et culturels. La détention de M. Tashi Wangchuk, un homme d’affaires d’origine tibétaine de la province de Qinghai, et sa condamnation, en mai 2018, à cinq ans de prison pour avoir défendu les droits linguistiques et culturels tibétains — comme le permet le droit chinois — ne sont qu’un exemple de récents développements préoccupants concernant la situation des droits de la personne en Chine. Dans ce cas particulier, non seulement avons-nous demandé au gouvernement chinois la libération inconditionnelle de M. Wangchuk, mais nous avons également appuyé une déclaration publique d’experts de l’ONU demandant que les charges retenues contre M. Wangchuk soient retirées.

[Français]

Dans le cadre de nos conversations avec la Chine au sujet des droits de la personne, le Canada a exprimé ses préoccupations aux autorités chinoises aux plus hauts niveaux.

[Traduction]

Je ne vais pas énumérer toutes les occasions où nous avons soulevé la question des droits de la personne. Nous avons intégré ce genre de plaidoyer aux plus hauts niveaux avec la Chine.

Sur le plan multilatéral, le Canada a coparrainé une déclaration lors de la réunion ministérielle visant à promouvoir la liberté de religion qui a eu lieu à Washington en 2018, déclaration dans laquelle il demandait au gouvernement chinois de respecter les droits de toutes les personnes. Dans cette déclaration, nous avons dénoncé la répression sévère que subissent les minorités religieuses, telles que les bouddhistes tibétains en Chine. Ces efforts ont été suivis par les recommandations publiques subséquentes que nous avons faites à la Chine dans le cadre de son examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève en novembre 2018. À cette occasion, le Canada a recommandé à la Chine de mettre fin aux persécutions fondées sur la religion ou les convictions, y compris celles que subissent les bouddhistes tibétains.

[Français]

En conclusion, je dois souligner que la situation des droits de la personne en Chine, y compris au Tibet, demeure une source de préoccupation constante pour le Canada.

[Traduction]

Nous allons donc continuer de faire part aux responsables chinois de nos préoccupations à ce sujet et nous allons continuer d’exhorter la Chine à respecter ses propres lois, de même que ses obligations internationales, chaque fois que nous en avons l’occasion.

Je terminerai par un autre point qui a été mentionné plus tôt au sujet de l’accès. Nous continuons d’exiger que les diplomates et les journalistes canadiens aient accès au Tibet. Malheureusement, la dernière visite d’un haut fonctionnaire au Tibet remonte à 2015. Malgré cela, nous continuons d’exhorter les autorités chinoises à autoriser des visites sans entrave afin que nous puissions mieux comprendre la véritable situation qui existe au Tibet.

Sur ce, je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Steil.

Le sénateur Ngo : Monsieur Steil, merci d’être venu. Pourriez-vous nous dire si des mesures concrètes ont été prises à l’égard de la déclaration de la ministre Freeland sur la position du Canada visant à favoriser le dialogue entre le gouvernement chinois et le dalaï-lama ou son représentant?

M. Steil : En fait, nous avons toujours préconisé le dialogue afin que les revendications légitimes au Tibet puissent être réglées. Pour ce qui est des mesures concrètes à prendre en vue d’atteindre cet objectif, nous n’avons rien vu de la part du gouvernement chinois. Des documents d’orientation ont déjà indiqué une certaine ouverture, assortie de conditions assez sévères, en vue d’un dialogue avec les autorités tibétaines, y compris le dalaï-lama. Dans le plus récent livre blanc que la Chine a publié sur le Tibet à l’occasion du 60e anniversaire de l’exil du dalaï-lama, il n’y avait plus aucune mention de cette ouverture. En fait, même si nous continuons de préconiser le dialogue, il semble y avoir moins d’enthousiasme de la part de la Chine à cet égard.

Le sénateur Dean : Merci, monsieur Steil, d’être ici aujourd’hui, pour ce rapport sur la défense des droits et les efforts du Canada pour améliorer les droits de la personne en Chine et ailleurs. Il est clair que le Canada est l’un des chefs de file internationaux dans ces efforts, surtout à un moment où les relations entre nos deux pays sont pour le moins précaires.

Nous avons entendu plus tôt un appel à une plus grande harmonisation des réflexions et des programmes gouvernementaux. Je remarque que vous travaillez dans le domaine de la coordination des politiques, ce qui me plaît beaucoup. Pourriez-vous nous parler un peu de la façon dont ces politiques sont coordonnées entre les ministères?

M. Steil : Mon domaine de responsabilité est principalement la politique étrangère, mais vous avez souligné à juste titre que mon poste, qui fait partie d’une unité plutôt nouvelle au sein d’Affaires mondiales Canada, englobe en partie la responsabilité de la coordination des politiques. Je pense que c’est un peu en reconnaissance du fait que, comme mon collègue, Alex Neve, l’a souligné, dans des dossiers comme celui de nos relations avec la Chine et la défense des intérêts en Chine, il faut adopter une approche multidimensionnelle et coordonnée.

Nous en sommes au début de ce mandat. Je peux vous dire que je travaille en Chine et relativement à la Chine depuis longtemps. Au cours de la dernière décennie, nous avons adopté une approche beaucoup plus coordonnée en ce qui concerne le genre d’échanges que nous avons en ville et même plus largement avec l’ensemble des Canadiens. Donc, là où l’on observait peut-être auparavant des discussions plus cloisonnées sur des questions comme l’économie et la sécurité, l’on assiste maintenant à une discussion unique — dans le cadre de laquelle on fait valoir de nombreux points de vue, bien sûr, mais la discussion est unique. Je consacre une bonne partie de mon temps à la coordination de cette discussion relativement à un certain nombre de questions.

Si vous me le permettez, j’aimerais commenter la recommandation de M. Neve concernant une meilleure cohérence dans des domaines comme l’influence et l’ingérence étrangères. C’est un domaine particulièrement vaste qui exige un leadership non seulement du côté de la politique étrangère d’Affaires mondiales Canada, mais de bien d’autres. Je peux dire que ce sujet fait de plus en plus partie de nos discussions.

Le sénateur Dean : Merci de dépasser vos limites.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur, d’être parmi nous ce matin.

De mon point de vue, avec l’élection de M. Trump aux États-Unis, il semble y avoir un vide en ce qui a trait au leadership mondial et même dans toutes les institutions, comme la Banque mondiale, l’OTAN, l’OMC et ainsi de suite. Il semble que les Chinois aient dit qu’ils contribueraient à ce leadership et qu’ils essaieraient d’obtenir l’appui des Européens, comme s’ils étaient les bons dans cette histoire.

Plus récemment, au cours des six ou neuf derniers mois, il semble que nous ayons reculé de 10 ans, alors que la Chine a exercé ou a imposé ses intérêts économiques, politiques et militaires musclés pour adopter une position plus ferme.

Comment interprétez-vous cela? Ne faisaient-ils que camoufler leurs intentions réelles il y a deux ans, et voyons-nous maintenant la véritable Chine ressurgir? Pouvez-vous nous aider à y voir plus clair?

M. Steil : Pour ce qui est de la position des États-Unis, je tiens d’abord à souligner que mes collègues américains n’hésitent pas à souligner que les deux partis appuient l’approche adoptée par les États-Unis à l’égard de la Chine.

Ce qui est à l’origine de tout cela pourrait faire l’objet d’un débat ou d’une spéculation, mais c’est probablement en partie à cause des politiques et des approches adoptées par la Chine. Sous la direction de Xi Jinping, il est devenu évident — et il s’est exprimé très clairement — que la Chine adopte un modèle de gouvernement différent, qu’elle rejette le modèle démocratique occidental et qu’elle place le Parti communiste de Chine au centre de ce modèle.

Cette politique, qu’il s’agisse de la politique Fabriqué en Chine 2025 ou d’autres politiques moins connues, a renforcé la notion selon laquelle le Parti communiste devrait participer à de nombreux aspects de la vie chinoise.

Un exemple qui a suscité des préoccupations est l’établissement de cellules de parti au sein de sociétés d’État. Des préoccupations ont été soulevées quant à la façon dont ces cellules fonctionnent dans les coentreprises où ont été investis des fonds étrangers ou auxquelles sont associées des entreprises étrangères. Nombreux sont ceux qui suivent ce dossier de près pour voir quelle forme cela prendra.

On ne sait pas quel genre de rôle ces cellules de parti pourraient jouer au sein des partis. Cela peut varier, mais il est très préoccupant de constater que le parti affirme expressément son intention de jouer un plus grand rôle dans la vie quotidienne, les affaires commerciales et dans la magistrature, et d’être plus dur à l’égard du Tibet. C’est probablement en partie la raison pour laquelle il y a un effort bipartite aux États-Unis pour répliquer à ce mouvement.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Le sénateur Boehm : Monsieur Steil, j’aimerais revenir sur la question du sénateur Massicotte.

D’après mon expérience, nous nous réunissions toujours dans le cadre de rencontres internationales avec des gens aux vues similaires, s’il s’agissait de décider d’une résolution, d’une initiative ou de quelque chose du genre. Nous savions toujours qui étaient les gens qui partageaient les mêmes idées.

Maintenant, cela devient un peu moins clair.

Je sais que vous avez été chef de mission en Asie. En ce qui concerne les questions de droits de la personne, particulièrement en Chine, il est de plus en plus difficile de trouver des pays aux vues similaires en Asie. La réticence habituelle des Européens et des Japonais, plus que d’autres pays, ne se dément pas.

D’après votre expérience, voyez-vous là un changement fondamental? À ce sujet, le Canada devient-il de plus en plus isolé?

M. Steil : Si je prends l’exemple du Conseil des droits de l’homme et de l’examen périodique universel de la Chine, nous avons l’impression, quand nous faisons un dénombrement, que nous faisons partie d’un groupe de plus en plus restreint de pays prêts à prendre la parole et à faire des recommandations assez importantes. On parle d’un chiffre d’environ 155. La majorité des déclarations et des questions étaient essentiellement des questions faciles. En ce sens, donc, nous sommes effectivement de plus en plus isolés.

Sur le plan positif, je pense que nous en sommes à un point dans l’histoire du développement de la Chine où les Chinois sont seulement maintenant confrontés aux véritables contraintes d’un rôle de leadership international. La résistance commence en Asie d’une façon qui a peut-être surpris la Chine à certains égards.

Les manifestations les plus évidentes de cette résistance sont liées à l'initiative de la Nouvelle route de la soie, que la Chine encourage en principe comme moyen de développer les infrastructures, mais aussi pour favoriser les chaînes d’approvisionnement et les liens avec la Chine.

Il y a maintenant des cas où certains pays qui ont une expérience négative avec certains de ces investissements, comme le Sri Lanka, par exemple, commencent à repousser certains secteurs de ces sociétés avec méfiance quant au modèle de gouvernance qui guide ces investissements.

La Chine offre un modèle de gouvernance attrayant en période difficile et chaotique si vous êtes un gouvernement naissant, comme c’est le cas dans beaucoup de pays de la région. J’ai été ambassadeur au Kazakhstan, au Kirghizistan et au Tadjikistan. Après 25 ans de dépendance, on est encore en train de tester les limites, les contraintes et les maux de tête qui viennent avec une réforme démocratique, par exemple.

Lorsque la Chine peut offrir une relation d’État à État où l’autorité de l’État est renforcée, peut-être au détriment des droits de la personne, cela peut être très attrayant pour ceux qui, pour la première fois, font face à la résistance de leurs citoyens qui réclament davantage de droits et ainsi de suite.

Vous avez souligné à juste titre que c’est un aspect qui doit nous préoccuper un peu. Tout indique, même dans ces endroits, que la population se méfie de l’influence qu’elle exerce sur ses propres gouvernements et qu’elle recule même dans certains cas.

J’espère que nos alliés de toujours seront en mesure de trouver des façons de travailler avec d’autres pays qui cherchent un autre modèle et d’autres partenaires au-delà de leurs voisins immédiats en Asie.

La présidente : Comme j’ai interrompu le sénateur Ngo, c’est lui qui posera la dernière question.

Le sénateur Ngo : La Chine viole clairement les droits de la personne des Ouïghours, des Tibétains et des adeptes du Falun Gong. La Chine est le pire de tous les pays du monde au chapitre de la persécution. Pourquoi le Canada n’a-t-il pas établi une sanction visant les autorités chinoises?

M. Steil : Pour ce qui est des sanctions possibles, je dois m’en remettre à mes collègues qui s’occupent directement de cet aspect. Je crois comprendre que ce n’est pas toujours une décision facile à prendre ou que ce n’est pas toujours une décision prise par ceux d’entre nous qui s’occupent des relations bilatérales.

Il m’est difficile de répondre. Je vais parler d’autres mesures stratégiques qui pourraient être prises, dont certaines que nous pourrions envisager.

Certains d’entre vous ont peut-être entendu parler de la Reciprocal Access to Tibet Act, qui a été adoptée aux États-Unis. Les États-Unis ont adopté une loi qui exige la réciprocité en ce qui concerne les visites dans la région tibétaine, avec un certain succès. Peu de temps après l’adoption de cette loi, l’ambassadeur des États-Unis a été autorisé à visiter le Tibet. Je crois savoir qu’il s’agissait d’une visite très scénarisée, mais il a quand même pu s’y rendre.

On examine notammentles mesures que l’on pourrait prendre en ce sens. Notre position à ce sujet est que, en raison de l’accès difficile et des occasions limitées de dialoguer sur ces questions, comme le comité le sait, lorsque les autorités tibétaines nous rendent visite, nous avons une occasion rare de communiquer les positions et les préoccupations du Canada à ceux qui participent directement à l’administration de la région autonome du Tibet.

C’est notre position jusqu’ici.

De mon point de vue — et vous avez vu mon titre de poste, Politique et coordination —, nous examinons toujours les options stratégiques qui existent et ce sur quoi nous pourrions formuler une recommandation. Pour l’instant, nous avons maintenu le cap sur la cohérence, l’accès continu et le dialogue.

Le sénateur Ngo : Merci. Dans ce cas, si vous avez une politique, pensez-vous qu’il est temps que le Canada change sa position concernant la politique d’une Chine unique?

M. Steil : La politique d’une Chine unique est à la base de nos relations bilatérales, de nos relations diplomatiques officielles avec la Chine depuis 1970. Comme vous le savez peut-être, nous prenons note des revendications de la République populaire de Chine à l’égard de Taïwan, sans les endosser ni les contester. Cette politique nous a très bien servi dans le maintien de nos relations avec la République populaire de Chine ainsi que dans un dialogue très actif avec Taïwan.

Je ne vois pas comment on pourrait revoir cette politique.

En ce qui concerne le Tibet, même s’il s’agit d’une région culturelle, linguistique et religieuse très distincte de la Chine, le Canada ne remet pas en question la souveraineté de la République populaire de Chine sur cette région.

Le sénateur Ngo : Merci.

La présidente : Monsieur Steil, merci d’être venu nous rencontrer. Je n’ai qu’une observation à faire au sujet des sanctions.

Je n’ai entendu personne dire que nous devrions, pour l’instant, imposer des sanctions ciblées contre le gouvernement de la Chine. J’espère que cette possibilité fait toujours partie des évaluations. C’est votre travail de déterminer quelles sont les meilleures mesures pour le gouvernement.

L’un des problèmes consiste à retracer l’argent de ceux qui ont constamment violé les droits de la personne dans leur pays. Des sanctions peuvent être imposées en vertu de la loi de Magnitski. Le problème, c’est que, avec la Chine, nous ne pouvons pas assurer le suivi de l’argent ou nous n’avons pas pris les mesures nécessaires pour assurer le suivi du blanchiment d’argent. Il n’y a pas autant de transparence que dans d’autres pays où nous avons pu déterminer ce qui s’est passé, où est allé l’argent et comment le Canada y est associé. C’est un domaine d’étude et d’innovation qu’il y aurait peut-être lieu d’examiner. Le gouvernement a annoncé qu’il allait faire davantage pour lutter contre le blanchiment d’argent et les transferts illégaux d’argent. Je pense que nous devons faire beaucoup plus à ce sujet, et nous aurons peut-être plus d’information.

Votre tâche est très vaste. J’ai peut-être mal cité votre titre, parce qu’il s’agit de la politique et de la coordination pour la Chine élargie. Je ne pourrais imaginer un titre et un poste plus difficiles. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans ces fonctions et nous ferons le suivi de vos réussites et de vos difficultés.

Honorables sénateurs, deux options se présentent à nous. Nous pouvons poursuivre la séance à huis clos ou annuler la partie à huis clos et essayer de vous donner de l’information.

Ce que nous voulons faire, c’est vous donner de l’information à l’avance au sujet d’un rapport qui, comme vous le savez, devrait être déposé sous peu. Nous pouvons le faire par correspondance et vous donner une petite mise à jour sur une éventuelle préparation en vue du nouvel ALENA ou de l’ACEUM, ou peu importe comment on l’appelle, les membres du comité directeur, nous tenons à vous en assurer, ont travaillé fort. Nous vous tiendrons au courant en toute confidentialité, et vous pourriez même en tirer un repas gratuit.

Cela vous incite-t-il à lever la séance?

Des voix : Oui.

La présidente : Merci.

(La séance est levée.)

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