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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 35 - Témoignages du 19 octobre 2017


OTTAWA, le jeudi 19 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 1, afin de poursuivre son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je suis Ghislain Maltais, du Québec, et je suis le président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter à tour de rôle.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le président : Le comité poursuit aujourd’hui son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

[Traduction]

Nous accueillons aujourd’hui M. Barry Smit, professeur émérite au Département de géographie de l’Université de Guelph.

[Français]

Nous accueillons également M. Neal Scott, professeur agrégé, directeur associé, Programmes d’études supérieures en géographie, de l’Université Queen’s

[Traduction]

Merci beaucoup d’avoir accepté de comparaître aujourd’hui.

[Français]

J’invite maintenant les témoins à prendre la parole, et nous allons commencer par M. Scott. La parole est à vous.

[Traduction]

Neal Scott, professeur agrégé, directeur associé, Programmes d’études supérieures en géographie, Université Queen’s, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs, invités et membres du personnel. Merci beaucoup de m’avoir invité à prendre la parole devant le Comité de l’agriculture et des forêts.

Je m’appelle Neal Scott. Je suis professeur agrégé au Département de géographie et de planification de l’Université Queen’s. Mes travaux de recherche visent surtout à comprendre les cycles du carbone et de l’azote, comment le carbone et l’azote se déplacent entre la surface terrestre et l’atmosphère et en quoi l’activité humaine influence le mouvement de ces éléments. Je m’intéresse aussi beaucoup à la façon dont les humains peuvent mieux gérer la surface terrestre pour essayer d’améliorer, dans le cas du carbone, le stockage du carbone à la surface du sol, mais aussi laisser les forêts fournir les matériaux dont la société a besoin.

Lorsque j’ai vécu en Nouvelle-Zélande, j’ai contribué à l’élaboration d’un système national de surveillance du carbone à l’échelle du pays. Cela fait donc partie de mon expérience.

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler du cycle du carbone, principalement du cycle du carbone dans les forêts, et la façon dont il pourrait changer en réaction aux changements climatiques. J’aimerais également vous parler des possibilités qui s’offrent à nous et qui pourraient nous permettre non seulement de réduire les risques pour les forêts, mais aussi d’améliorer leur capacité de fournir certains des matériaux dont nous avons besoin.

Je vous ai remis une série de diapositives PowerPoint. Je vais en sauter quelques-unes au début, car il serait beaucoup trop long de toutes les passer en revue. J’espère que vous arriverez à me suivre au fur et à mesure de mon exposé.

Nous savons que le CO2 atmosphérique augmente depuis qu’on a commencé à le mesurer dans les années 1960, mais lorsqu’on regarde la courbe d’augmentation, on constate que ce n’est pas en ligne droite, mais plutôt en dents de scie. C’est principalement à cause de la surface terrestre. Sachez que la terre joue un rôle énorme dans la quantité de carbone qui se retrouve dans l’atmosphère. Nous savons tous que le dioxyde de carbone est l’un des principaux gaz à effet de serre.

Le problème le plus urgent, en ce qui concerne le dioxyde de carbone atmosphérique, c’est le rythme auquel les choses évoluent. Si on regarde les 600 000 dernières années de données, le rythme de changement est sans précédent. Étant donné l’évolution rapide de la situation, l’adaptation des systèmes aux changements climatiques sera un défi de taille.

À l’heure actuelle, l’activité humaine produit environ 35 gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère, que ce soit par la combustion des combustibles fossiles, les changements d’utilisation des terres et les activités forestières. Heureusement, une grande partie de ce CO2 ne se retrouve pas dans l’atmosphère. En fait, un peu moins de la moitié reste dans l’atmosphère. Environ le quart aboutit dans les océans, et l’autre quart ou un peu plus se retrouve dans la végétation et les sols partout sur la planète. Nous ne savons pas exactement où, et cela fait partie du problème. Par conséquent, ce nombre est calculé selon la différence lorsqu’on examine le bilan global.

Ce que je veux dire, c’est que la surface terrestre joue un rôle important. Si on n’y fait pas attention, le taux de CO2 dans l’atmosphère va continuer d’augmenter, encore plus rapidement que maintenant. Cela dit, la surface terrestre, la végétation et les sols sont très importants.

Je ne vais pas m’attarder sur la gestion des sols. Je crois que mon collègue va aborder cet aspect dans le contexte des systèmes agricoles.

Les changements climatiques ont de nombreux impacts. En fait, depuis la fin des années 1800, on constate une hausse régulière et progressive des températures enregistrées, mais les changements climatiques ne se limitent pas qu’aux variations de température. On remarque également des changements au niveau des précipitations. On a également assisté à une augmentation de l’ampleur des événements extrêmes et de la fréquence des sécheresses qui ont donné lieu à un plus grand nombre de feux de forêt. C’est peut-être l’un des problèmes les plus pressants et intéressants, c’est-à-dire l’importance de la variabilité à laquelle les forêts seront exposées à l’avenir. Par conséquent, il n’y a pas que le changement graduel de la température; il y a également tous ces événements météorologiques extrêmes — ces précipitations et phénomènes climatiques extrêmes — qui peuvent avoir un impact énorme.

Il y a toutes sortes d’impacts liés aux changements climatiques. Je suis sûr que vous en avez entendu parler. Aujourd’hui, je vais surtout me concentrer sur les forêts.

Le Canada est un pays unique. Environ 10 p. 100 des forêts de la planète sont au Canada. Il a une zone forestière totale de 330 millions d’hectares, dont 220 millions d’hectares de forêts aménagées. Vous trouverez d’ailleurs une carte qui illustre la répartition des forêts aménagées et non aménagées.

Les forêts stockent et libèrent le carbone par la photosynthèse et la respiration. Ce sont les deux principaux processus. Lorsqu’il se retrouve dans la forêt, le CO2 est redistribué de différentes façons. Vous trouverez également un petit diagramme qui illustre le mouvement du carbone. Toutefois, ce qu’il faut retenir ici, c’est que tous ces processus du cycle du carbone réagissent à des variations de température et de précipitation.

Compte tenu des changements climatiques, nous savons que tous ces processus vont évoluer. Nous ne savons pas encore exactement dans quelle direction ni à quel rythme, mais nous savons qu’ils vont changer.

Si on regarde les projections pour 2020 des émissions de gaz à effet de serre au Canada, on parle d’environ 735 millions de tonnes d’équivalent CO2, dont seulement 4 p. 100 sont directement attribuables à l’activité humaine, à l’utilisation des terres, au changement d’utilisation des terres et au secteur forestier. C’est donc une très faible proportion, mais dans les diapositives suivantes, je vais vous montrer que les échanges de carbone entre les forêts et l’atmosphère sont beaucoup plus importants que ce minime pourcentage qui est pris en compte dans l’inventaire national des émissions.

Premièrement, j’aimerais discuter des possibilités. Vous trouverez, à la diapositive 11, plusieurs diagrammes à barres et un graphique linéaire. On y souligne quelques faits.

La ligne montre que le stockage net de carbone dans les forêts aménagées a oscillé entre 110 et 26 millions de tonnes de CO2. Il faut garder cela à l’esprit. Les émissions totales du Canada s’élèvent à 735 millions de tonnes. Si l’on remonte aux années 1990, les forêts canadiennes stockaient plus de 100 millions de tonnes de carbone dans leur végétation et leurs sols. Mais ce nombre change. Par conséquent, tout indique que si nous gérons activement nos forêts, celles-ci pourront éliminer le CO2 de l’atmosphère et le stocker à la surface de la terre.

Les perturbations, toutefois, constituent un autre problème. La diapositive suivante examine les répercussions possibles des infestations d’insectes et des feux de forêt, et comment ceux-ci peuvent libérer d’énormes quantités de carbone. Ce nombre est passé de zéro à près de 230 millions de tonnes d’équivalent CO2 libérées dans l’atmosphère en raison de la multiplication des feux de forêt et des infestations d’insectes.

Il faut savoir que la gestion peut jouer un rôle clé et que les perturbations peuvent malheureusement réduire une grande part des effets positifs de la gestion. Lorsque nous réfléchissons à des stratégies de gestion, nous devons songer à la façon dont nous pouvons concevoir ces stratégies, en intégrant toute cette variabilité dans les conditions météorologiques qui se produiront et la plus grande fréquence des épisodes de perturbation.

Quels sont les risques alors? J’ai quelques diapositives ici qui en font état.

Parmi les risques, mentionnons un risque accru de feux de forêt et un risque accru de pathogènes. Ces phénomènes, attribuables aux changements dans les températures et les précipitations, seront de plus en plus fréquents.

Nous avons constaté les effets du dentroctone du pin ponderosa dans les forêts de l’ouest du pays. Il risque d’y avoir des changements dans la composition des espèces. Des communautés entières, des écosystèmes entiers, devront se réorganiser en fonction des changements climatiques auxquels nous assisterons.

Les espèces d’arbre, et les arbres en général, se déplacent vers le Nord au fur et à mesure que les températures se réchauffent. Ils empiètent sur les régions pergélisolées, et les risques sont alors grands que les importants réservoirs de carbone, qui sont stockés dans les sols du Nord, soient libérés dans l’atmosphère. C’est un grave problème. Cela ne concerne pas vraiment les forêts aménagées, mais lorsqu’on songe à la façon dont les forêts contribuent au bilan de carbone, il s’agit d’un enjeu important dont il faut tenir compte.

Nous savons que ces changements dans les précipitations et la température vont influencer le bilan de carbone d’une forêt, puisque tous ces processus sont sensibles aux variations de température et de précipitation. Nous devrons peut-être envisager de meilleures stratégies de gestion, simplement pour maintenir le rôle que les forêts jouent dans le bilan actuel du carbone, c’est-à-dire 25 à 30 p. 100. Nous devrons peut-être prendre des mesures plus concrètes à cet égard.

Comment procède-t-on? Quelles sortes de mesures faut-il prendre à l’égard des forêts? On peut changer les régimes d’exploitation. Il y a tout un éventail de systèmes de récolte différents qui sont mis à l’essai dans le but de modifier la structure des forêts. On pourrait aussi changer la composition des espèces, introduire des espèces à croissance plus rapide, par exemple, des espèces importantes pour les systèmes de bioénergie. On peut en fait manipuler la structure des forêts pour les rendre plus efficaces au chapitre de l’utilisation des ressources. Elles pourraient ainsi gagner en densité plus rapidement dans diverses conditions.

On peut changer la distribution du carbone dans la forêt. L’endroit où réside le carbone a une incidence sur le temps qu’il y passe. S’il se retrouve dans les parties ligneuses des arbres ou dans le sol, il y demeurera beaucoup plus longtemps que s’il était dans le feuillage, par exemple. On doit garder à l’esprit que les sols sont importants. On peut accroître la quantité de carbone stockée dans les sols. C’est un bon endroit où stocker le carbone, car une fois qu’il se retrouve dans le sol, il y reste longtemps.

Enfin, nous pouvons accroître l’utilisation des produits du bois comme autre moyen de stocker le carbone à la surface du sol. J’ai participé à une expérience dans le Maine, aux États-Unis, où nous avons mis à l’essai des systèmes de récolte en vue d’améliorer le stockage du carbone, et nous avons constaté que nous pouvions manipuler l’efficacité de croissance de ces forêts simplement en changeant le système de récolte utilisé. Il existe des moyens de surveiller le bilan de carbone de forêts entières. Cela fait partie de mes activités de recherche.

Pour conclure, quels messages faut-il retenir? Le climat change. Nous allons assister à des changements de température et de précipitations. Certains changements sont graduels et d’autres sont plus épisodiques. Dans certains cas, les perturbations épisodiques, ces événements extrêmes, sont peut-être plus problématiques que certains des changements de température graduels que nous observons.

Nous savons que ces facteurs de changement climatique vont influencer le bilan de carbone des forêts. Nous ne savons pas nécessairement comment dans tous les différents types de forêts. Des recherches sont en cours dans ce domaine.

Les changements climatiques auront un impact majeur sur la fréquence des perturbations, et je pense qu’il est important que toutes les stratégies de gestion que nous mettons au point tiennent compte du fait que les types de perturbations vont changer et que la fréquence augmentera probablement à l’avenir.

Mais il existe des possibilités d’accroître la superficie des forêts aménagées et d’améliorer nos stratégies de gestion pour essayer de renforcer le rôle que les forêts peuvent jouer, tant dans le bilan de carbone du Canada que dans le bilan mondial.

Je pense qu’il est nécessaire d’accroître l’éducation et la recherche. Nous devons former la prochaine génération de forestiers et les amener non seulement à réfléchir à la manière dont nous gérons les forêts pour fournir des produits, mais aussi à gérer le cycle du carbone de ces forêts. Je pense qu’il existe une possibilité. Le nombre d’étudiants est en baisse dans bon nombre des programmes de foresterie. Je pense qu’il y a un réel besoin d’essayer de stimuler et de former ces étudiants, de diverses façons, pour qu’ils comprennent les multiples avantages que les forêts peuvent apporter à la société.

Je pense que les mécanismes de tarification du carbone peuvent servir à créer des incitatifs. Ces incitatifs sont nécessaires à la gestion du changement. La tarification du carbone est donc un outil qui peut être utilisé à cet effet.

Enfin, j’estime qu’il est nécessaire d’avoir un programme de surveillance exhaustif. Si nous ne savons pas ce qui se passe dans les forêts, il est très difficile de savoir comment concevoir de nouvelles stratégies de gestion qui pourraient aider à améliorer la capacité de ces forêts à fournir des produits et à atténuer potentiellement certains des effets des changements climatiques. C’est tout ce que j’ai à dire. Merci.

Barry Smit, professeur émérite, Département de géographie, Université de Guelph, à titre personnel : Bonjour. J’ai un document auquel je vais me reporter durant mon exposé. Les changements climatiques affectent l’agriculture de deux façons. La première est par une réduction des émissions de gaz à effet de serre, que les gens du domaine appellent une « atténuation des changements climatiques. » Cela représente certains défis pour le secteur agricole. Donc ici, on cherche à réduire l’utilisation des combustibles fossiles, possiblement par une tarification du carbone, ce qui aura pour effet d’augmenter les coûts pour certains agriculteurs et de les encourager à être plus efficaces relativement à leur utilisation d’énergie.

Il pourrait y avoir des règlements ou des contrôles visant d’autres émissions d’origine agricole, telles que les émissions d’oxyde de diazote ou de méthane. Par conséquent, les mesures visant à atténuer les changements climatiques pourraient occasionner des difficultés pour les agriculteurs. En revanche, il y a des possibilités qui s’offrent à eux, notamment les crédits de carbone, la séquestration du carbone, les biocarburants et les énergies de remplacement. D’autres témoins aborderont cette question.

Le changement climatique a également des répercussions sur l’agriculture par l’entremise des changements météorologiques qu’il entraîne, et l’agriculture devra s’adapter à ces conditions changeantes. Il faudra employer un type de gestion du risque ou de gestion de l’agriculture qui vise à gérer les conditions météorologiques changeantes. C’est le domaine sur lequel je me concentrerai aujourd’hui.

J’ai participé à certaines des premières études menées sur les effets du changement climatique sur l’agriculture dans les années 1980. Un grand nombre d’études ont été menées sur ce sujet. En effet, d’un bout à l’autre du Canada et partout dans le monde, plusieurs centaines d’études ont été menées sur les effets du changement climatique sur l’agriculture au Canada et sur la façon dont l’adaptation pourrait contribuer à gérer ces effets, à profiter des diverses possibilités et à réduire les risques. J’ai laissé un résumé à votre secrétariat. Dans ce résumé, vous trouverez une indication du type de travaux qui ont été entrepris d’un bout à l’autre du Canada.

Maintenant, si vous vous demandez à quoi l’agriculture doit s’adapter, je vous répondrais qu’au début, nous pensions que c’était au changement graduel de la température. Les premières études menées sur ce sujet dans le monde laissaient croire que le Canada et son secteur agricole profiteraient de ces changements. En effet, nos saisons de croissance seraient plus longues, nous profiterions de températures plus élevées, nous pourrions utiliser des variétés à rendement plus élevé et en général, cela serait avantageux pour notre pays. C’est vrai dans une certaine mesure. De nombreuses cultures pourraient profiter d’une période de croissance plus longue dans de nombreuses régions du pays. Toutefois, comme vous le constaterez, ce n’est probablement pas l’incidence principale du changement climatique sur l’agriculture. En fait, même les températures plus élevées peuvent poser un problème pour certains producteurs. Si vous fabriquez du vin de glace, par exemple — c’est le vin le plus exporté du Canada —, vous pouvez seulement faire la récolte lorsqu’il fait moins 8 degrés Celsius, et la période où il fait moins 8 degrés arrive de plus en plus tard dans l’année. Autrefois, c’était à la mi-décembre, ensuite à la fin décembre et maintenant, c’est à la mi-janvier. La récolte des producteurs diminue donc chaque fois et certains d’entre eux ne seront plus en mesure de produire du vin de glace dans ces régions. Cela peut donc représenter un problème.

Toutefois, l’élément le plus important en ce qui concerne le changement climatique et l’agriculture, c’est probablement l’humidité. Si vous demandez aux agriculteurs ce qu’ils pensent du changement climatique, ils vous diront que cela ne les dérange probablement pas beaucoup pour l’instant, mais que si les sécheresses continuent de s’aggraver, ils feront face à de plus gros défis.

La fréquence et la gravité des sécheresses font partie du changement climatique. Dans le document, vous trouverez un diagramme qui illustre comment la gravité des sécheresses varie d’une année à l’autre. Certaines années sont très sèches, d’autres plus humides. Les agriculteurs organisent leurs activités pour tenir compte des périodes un peu plus sèches ou un peu plus humides. Toutefois, avec le changement climatique, nous constatons que la fréquence et la gravité des sécheresses extrêmes sont à la hausse. En fait, les sécheresses des années 1990 et des années 2000 étaient plus graves sur le plan météorologique que celles qui se sont produites dans les années 1930 dans la région du Dust Bowl. Toutefois, nous nous sommes adaptés à ces sécheresses dans une certaine mesure.

Si on examine les réclamations de l’assurance-récolte et les demandes de secours en cas de catastrophe, on constate que la sécheresse représente un problème grave pour les agriculteurs, car l’aide fournie par l’entremise de l’assurance-récolte, l’aide en cas de sécheresse et les programmes de protection du revenu agricole coûtent beaucoup d’argent aux contribuables canadiens. Nous devons donc nous adapter à l’augmentation des sécheresses.

Il faut également tenir compte des changements dans les rythmes saisonniers. Par exemple, en 2012, les pommiers de l’Ontario ont fleuri très tôt, car il y a eu une période chaude suivie d’une période de gel — la période de gel était normale. Ce gel a détruit 80 p. 100 de la récolte de pommes, ce qui a représenté d’énormes pertes pour les producteurs de pommes de l’Ontario. Cette situation est attribuable aux changements dans les rythmes saisonniers, et ces changements sont causés par le changement climatique.

Il y a aussi les conditions météorologiques extrêmes. J’ai déjà parlé des sécheresses, mais il y a également des pluies extrêmes. Le changement climatique peut aussi accroître l’intensité des tempêtes.

Les agriculteurs ont toujours subi des sécheresses, des tempêtes et des pluies diluviennes, mais le changement climatique fait augmenter la fréquence et la gravité de ces événements. Les agriculteurs devront donc s’adapter. En Ontario, 25 p. 100 des réclamations de l’assurance-récolte sont attribuables aux précipitations excessives.

Il y a également d’autres effets. Par exemple, le manteau neigeux a des effets sur l’agriculture. Et d’autres facteurs, par exemple les organismes nuisibles, les maladies et les incendies, sont causés indirectement par le climat. Dans le secteur forestier, il existe un exemple typique. En effet, les premières études sur l’effet du changement climatique sur les forêts ont conclu que cela provoquerait une amélioration de la productivité des forêts canadiennes.

Mais que s’est-il produit en Colombie-Britannique? Le dendroctone du pin ponderosa, qui a toujours existé dans le sud de la Colombie-Britannique, s’est répandu dans d’autres régions; en raison des conditions météorologiques plus chaudes, il a été en mesure de se répandre dans le Nord. Il a ravagé les pinèdes de la Colombie-Britannique et l’industrie forestière en causant la perte de 80 p. 100 des épinettes. On a dû couper les arbres avant qu’ils deviennent de la bouillie, ce qui a causé une période d’expansion et de déclin. Ce phénomène a eu un impact énorme sur l’industrie forestière qui n’est pas directement attribuable au climat, mais à l’impact du climat sur un organisme nuisible particulier. Cela peut se produire dans le secteur agricole.

La rouille du soja est en mesure de se répandre en raison des hivers plus doux. Le secteur agricole devra aussi composer avec ces effets indirects.

J’aimerais maintenant parler d’adaptation dans le secteur agricole. À quoi cela ressemble-t-il? Que cela signifie-t-il? Il y a plusieurs types d’adaptation : on peut réagir à un impact une fois qu’il s’est produit ou on peut agir de façon proactive avant qu’il se produise. Manifestement, il est logique d’agir de façon proactive. On peut utiliser l’adaptation tactique ou stratégique. Par exemple, un agriculteur des Prairies qui subit une sécheresse peut remédier à la situation cette année-là de façon tactique en achetant davantage de fourrage ou en vendant une partie de son bétail. Ce ne sont pas de bonnes solutions, car le prix du fourrage sera très élevé et il ne pourra pas vendre son bétail à bon prix. Il pourrait également agir de façon stratégique en prévoyant que la même situation pourrait se reproduire durant les prochaines années, et modérer son mélange de bétail ou le fourrage.

Je vous ai fourni un tableau dans lequel vous trouverez un résumé des divers types d’adaptation dans le secteur agricole.

Nous entendons souvent parler des adaptations technologiques. Nous affirmons que nous pourrons mettre au point de nouvelles cultures qui répondront mieux aux nouvelles conditions météorologiques. C’est possible, mais en ce moment, nous avons des douzaines et des douzaines de cultures et d’espèces hybrides différentes et les agriculteurs doivent faire un choix. Ce choix leur revient. Cela dépendra donc des cultures que chaque agriculteur a décidé d’utiliser.

Nous pouvons affirmer que nous réussirons à mieux prévoir les conditions météorologiques ou le climat. Eh bien, oui, nous progresserons dans ce domaine, mais notre capacité à prédire les saisons en avance est toujours très limitée. Nous ne sommes pas très confiants dans ce domaine. Les agriculteurs doivent prendre des décisions un ou deux ans à l’avance. Ils doivent également effectuer de gros investissements; ils devront donc continuer de gérer ces risques.

D’autres personnes suggèrent l’irrigation pour contrer la sécheresse. Toutefois, dans les Prairies, par exemple, la plus grande partie de l’eau disponible est déjà attribuée. En fait, l’eau est attribuée de façon excédentaire. Lorsque la quantité d’eau des rivières en provenance des Rocheuses diminuera en raison de la diminution des glaciers, il y aura moins d’eau et on n’arrivera même pas à remplir les engagements actuels en matière d’irrigation. Ce n’est pas une option viable.

Cela signifie donc que nous devrons examiner les pratiques de production agricole afin d’améliorer les occasions et d’accroître la résilience, et cela peut être fait par l’entremise de choix liés aux cultures utilisées, à l’utilisation des terres et au calendrier des opérations.

Ensuite, il y a la gestion financière des exploitations agricoles. C’est un élément clé. Les agriculteurs gèrent leurs risques par l’entremise de mécanismes financiers. Ils achètent une assurance-récolte. Ils signent des ententes de métayage. Ils participent à des programmes de stabilisation du revenu. Toutes ces choses seront affectées par le changement climatique. L’augmentation des réclamations d’assurance-récolte fera augmenter les primes. En fait, les sociétés d’assurances devront modérer leurs programmes, car les réclamations augmenteront. C’est déjà le cas.

La dernière catégorie englobe les programmes du gouvernement. Quel est le rôle du gouvernement? Eh bien, les agriculteurs et les intervenants du secteur agricole s’occupent généralement des mesures d’adaptation, mais les gouvernements ont un rôle à jouer dans ce processus. Par exemple, les gouvernements jouent un rôle important dans l’assurance-récolte. En effet, les contribuables paient environ 50 p. 100 des coûts liés à cette assurance. Il est donc dans l’intérêt du public de trouver un moyen efficace de faire fonctionner ces systèmes. C’est la même chose avec les programmes de stabilisation du revenu; ils seront touchés par le changement climatique.

Le gouvernement a l’occasion d’intervenir dans ce domaine; peut-être pas avec de gros programmes d’adaptation, mais en apportant des rajustements mineurs sur des éléments qui seront touchés par le changement climatique.

Ensuite, on peut se demander qui s’occupe des mesures d’adaptation. J’ai déjà répondu à cette question. En effet, dans le secteur agricole, ce sont surtout les agriculteurs qui s’occupent des mesures d’adaptation, mais le secteur agrocommercial et les sociétés d’assurances interviennent aussi — ainsi que le gouvernement, comme je l’ai déjà mentionné.

J’ai cerné trois défis qui se posent lorsqu’on tente de prendre des mesures d’adaptation efficaces dans le secteur agricole; j’ai également cerné les moyens de relever ces défis.

Le premier défi concerne le déni des changements climatiques. En effet, de nombreux producteurs n’ont pas accepté la réalité du changement climatique. Ils soutiennent qu’il s’agit tout simplement de variations naturelles. Ils ne souhaitent rien faire à cet égard, et c’est correct.

Certains d’entre eux affirment qu’il y a un changement climatique, mais qu’il n’aura aucune répercussion sur eux et qu’ils n’ont donc pas besoin de prendre des mesures à cet égard. Cette réflexion est attribuable aux déclarations qu’ils ont entendues et selon lesquelles le changement climatique est un réchauffement mondial à long terme et la température moyenne augmentera de 1 ou 2 degrés d’ici 50 ans. Eh bien, un agriculteur se dit qu’il a déjà fait face à des variations de plus de 2 degrés dans la même journée, la même saison ou la même année, et que c’est donc sans importance.

Il nous faut des renseignements sur le changement climatique qui ciblent directement l’agriculture. En effet, la température moyenne n’est pas réellement un élément important pour les producteurs. Ils s’interrogent plutôt sur la probabilité des changements dans la fréquence des sécheresses ou dans la fréquence et la gravité des périodes de sécheresse ou de chaleur extrême ou de tempêtes qui peuvent engendrer des répercussions. Ces éléments sont pertinents dans le secteur agricole et ce sont des renseignements que la communauté scientifique qui étudie le changement climatique doit fournir aux agriculteurs, afin que le secteur soit mieux équipé pour s’adapter.

Le deuxième défi concerne l’influence d’autres conditions. En effet, les agriculteurs ne se lèvent pas le matin en se préoccupant du changement climatique. Ils se lèvent le matin en se préoccupant des coûts liés à la production, du prix de leurs produits, de l’état des marchés et de la technologie qui pourrait leur être utile. Le changement climatique ne fait pas partie de leurs priorités, et c’est normal.

Ce que cela signifie pour l’adaptation, c’est que si l’on cherche des façons d’intégrer l’adaptation au processus de prise de décisions, il faut tenir compte de toutes ces autres décisions. Il faut agir comme dans n’importe quel autre type de gestion du risque. Il ne faut pas établir un programme distinct pour l’adaptation; il faut plutôt l’intégrer à l’ensemble du processus.

Et le dernier…

[Français]

Le président : Étant donné qu’il ne reste que 30 minutes pour les questions des sénateurs, si cela ne vous dérange pas trop, nous allons vous demander de mettre fin à votre présentation. Les sénateurs pourront extrapoler, puisque nous avons tous le document devant nous. Je m’en excuse, mais nous sommes limités dans le temps. Les sénateurs ont beaucoup de questions à vous poser. Nous allons commencer par le sénateur Mercer, vice-président du comité.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : J’aimerais remercier les deux témoins de leurs excellents exposés. Vous avez abordé de nombreux enjeux dans un temps très court.

Monsieur Scott, vous avez suggéré de modifier la composition des forêts. Laissez-vous entendre que dans nos efforts de reboisement, il faut modifier les espèces que nous utilisons afin de mieux gérer le CO2?

M. Scott : C’est une possibilité. Lorsque je travaillais en Nouvelle-Zélande, la plupart des forêts du pays étaient des plantations forestières. Les Néo-Zélandais n’utilisent pas beaucoup leurs forêts naturelles pour leurs produits du bois. Je ne dis pas que nous devrions recouvrir le Canada de plantations forestières, mais il existe des occasions à saisir. De toute façon, le changement climatique fera probablement varier la composition des espèces. On pourrait profiter de cela et favoriser certaines espèces qui tolèrent mieux la sécheresse, par exemple.

Le sénateur Mercer : Savez-vous comment la société Irving, au Nouveau-Brunswick, gère les forêts? Je ne crois pas qu’on appellerait ce processus une plantation, car elle gère la forêt en retirant le sous-bois des espèces qui font obstacle aux arbres producteurs — les arbres producteurs du point de vue économique, et pas nécessairement du point de vue des émissions de carbone. Est-ce que cela aide, car cela produit de grands arbres plus rapidement?

M. Scott : Certainement. Le système avec lequel nous avons travaillé au Maine est un système de coupe progressive. Il s’agit de couper certaines parties des arbres à différents moments du régime de coupe. On ne fait jamais de coupe à blanc, car on veut favoriser la régénération naturelle.

Il faut également être conscient des risques d’incendie. Il semble que la stratégie que vous décrivez, même si je ne sais pas comment elle s’applique dans cette région, pourrait contribuer à réduire les risques d’incendie ou l’ampleur des incendies lorsqu’ils se produisent. C’est un vrai problème aux États-Unis et au Canada, et il faut réfléchir à la façon de gérer les forêts pour que les incendies — étant donné que nous ne réussirons pas à les éliminer — ne deviennent pas énormes comme ceux que nous voyons cette année dans l’ouest des États-Unis.

Le sénateur Mercer : Je vous encourage à examiner le modèle que nous utilisons au Nouveau-Brunswick. Des membres de notre comité ont visité plusieurs forêts gérées selon cette technique, et c’est une opération impressionnante — ce n’est pas nécessairement la solution, mais c’est impressionnant.

Vous avez laissé entendre que nous pourrions utiliser des espèces à croissance plus rapide. Si des représentants des communautés autochtones étaient présents, ils vous demanderaient probablement quels seraient les effets d’une telle initiative sur les autres activités naturelles qui se déroulent dans la forêt, sur les autres espèces et sur les animaux qui vivent dans cette forêt. Ne devrions-nous pas nous préoccuper de cela lorsque nous parlons de reboisement?

M. Scott : Je ne propose pas de recouvrir l’ensemble de la région forestière d’une plantation à espèce unique. Ce n’est pas ce dont je parle. Il y a peut-être, par exemple, des occasions d’utiliser la bioénergie. Cette région offre peut-être ce genre de possibilité.

La composition des espèces changera probablement. Nous ne voulons pas éliminer complètement la biodiversité, mais il existe des façons de favoriser le développement des forêts grâce à certaines espèces qui pourraient devenir plus communes. Ce sont des espèces qui sont peut-être déjà sur place, mais qui ne sont pas nécessairement des espèces dominantes dans ces forêts.

Je n’encourage pas nécessairement un changement à grande échelle qui consisterait à créer des plantations partout, mais il s’agit d’utiliser les espèces déjà sur place et de réfléchir à la structure forestière et à des façons d’utiliser effectivement les caractéristiques de ces espèces, afin d’améliorer la capacité des forêts d’éliminer et d’emmagasiner le carbone de l’atmosphère.

Le sénateur Mercer : Monsieur Smit, vous avez parlé de trois défis. Je suis surpris que le déni représente l’un des défis dans le secteur agricole, car ces gens vivent en plein air tous les jours, beaucoup plus que ceux d’entre nous qui ne travaillent pas dans les champs.

Les changements qui se produisent, vous avez raison, s’étalent sur 50 ans, et ils représentent environ 2 degrés. Est-ce que quelqu’un étudie les occasions que présente le secteur agricole si l’on modifie légèrement les activités actuelles pour maximiser la production en fonction de ces informations?

Je tiens toujours compte du fait que notre planète comptera bientôt 9,5 milliards d’habitants. Si nous ne pouvons pas les nourrir, certains de ces habitants ne seront pas contents, et les gens insatisfaits réagissent à la faim en provoquant des conflits partout dans le monde.

M. Smit : Oui, en effet, de nombreuses personnes étudient les moyens d’améliorer la productivité et la rentabilité du secteur agricole canadien, notamment dans le cadre du changement climatique. De nombreux documents soulignent certaines de ces possibilités. Donc, oui, des gens se penchent sur cette question.

Ma remarque ne portait pas sur l’ensemble du secteur agricole. Il y a des gens, tout comme dans l’ensemble de la population, qui ne sont pas encore convaincus que le changement climatique est réel et aura une incidence sur nos vies et celles de nos enfants.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Scott et a trait aux imprécisions ou aux difficultés des experts quant à l’avenir et dont vous nous avez parlé. Nous savons qu’il va se passer quelque chose, mais nous ne savons pas quoi exactement.

Compte tenu de cet élément, les bases sur lesquelles les politiciens développent des programmes de lutte contre les gaz à effet de serre sont-elles les bonnes? Est-ce qu’ils ne pourraient pas mieux cibler les actions à mettre en place? Si c’est le cas, que pourrait-on leur dire ou leur recommander pour les aider afin de mieux lutter contre les changements climatiques?

[Traduction]

M. Scott : J’aime penser au mot « résilience ». Il est difficile de savoir quelle sera la cible. Nous avons tous les deux parlé du problème des écarts et des conditions extrêmes. Nous ne devons pas l’oublier si nous concevons une politique sur la gestion forestière, par exemple. Nous devons envisager des stratégies qui peuvent composer avec cette variabilité.

Il y a beaucoup d’inconnues et de possibilités de recherche. C’est ce qui me pousse à continuer et qui m’intéresse. Nous devons garder à l’esprit que nous vivrons dans un monde beaucoup plus variable; si nous élaborons des stratégies, nous devons les concevoir en conséquence.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma seconde question s’adresse à M. Smit. Agriculture et Agroalimentaire Canada estime que les températures seront plus élevées dans plusieurs régions du pays, et ce, possiblement sur une période de 60 ans. Est-ce à dire que certaines productions agricoles devront être abandonnées parce qu’elles deviendront peu rentables? Est-ce qu’on ne devrait pas développer, dès aujourd’hui, de nouvelles productions?

[Traduction]

M. Smit : C’est exact; vos deux énoncés sont vrais. Il y aura bel et bien des régions où les cultures qui poussent actuellement ne seront plus viables dans 60 ans — probablement même d’ici 20 ans. Prenons l’exemple des producteurs de vin canadiens. Certains envisagent déjà de changer de variétés cultivées.

Il y aura de nouvelles occasions à saisir. Dans le Canada atlantique, des agriculteurs ont commencé à cultiver du maïs-grain depuis une décennie alors qu’ils ne pouvaient pas le faire auparavant. Il y a donc des occasions et des risques.

Un agriculteur peut attendre de constater que sa récolte se détériore année après année, ou, comme vous le suggérez, il peut se tourner vers l’avenir : « Il est probable que cette culture devienne non viable, de sorte que je vais changer de variété par anticipation et tirer profit des conditions actuelles. »

Le sénateur Pratte : Monsieur Smit, en ce qui concerne le déni du changement climatique, nous avons entendu de nombreux témoins qui représentaient les producteurs et les agriculteurs. Ils nous ont parlé beaucoup plus de leurs préoccupations sur la tarification du carbone ou une taxe sur le carbone que de leur crainte du changement climatique. Je ne dirais pas qu’ils niaient le changement climatique. Je sentais qu’ils avaient très bon espoir de pouvoir s’y adapter, plutôt que de le nier. Est-ce exact?

M. Smit : Oui. Je ne brosse pas un portrait général, mais il y a dans tous les milieux — pas seulement dans l’agriculture, mais aussi dans l’industrie forestière et les collectivités côtières — des personnes qui ne sont pas convaincues que le phénomène est réel. C’est peut-être une infime partie de la population. Chose certaine, ceux qui assistent à votre réunion sont probablement plus réceptifs que d’autres à la question du changement climatique.

En effet, les agriculteurs se soucient probablement davantage de choses comme la tarification du carbone ou le contrôle des émissions d’oxyde nitreux ou de méthane que des changements qui s’opèrent dans le climat. Mais souvent, bien des gens n’établissent aucun lien entre les sécheresses récurrentes et le changement climatique, comme je l’ai indiqué; ils pensent que le changement climatique est essentiellement un changement de température à long terme. Bien sûr qu’ils peuvent s’y adapter. Ce n’est pas un problème du tout; en fait, c’est même un avantage. Or, si nous subissons les écarts et les conditions extrêmes, cela peut devenir un problème. Il est vrai que la plupart des producteurs suivent la situation de près et gèrent bien ces risques. C’est ce qu’on appelle l’adaptation. C’est ainsi que les choses vont se passer. Il y a essentiellement des producteurs qui perçoivent les risques et les occasions, puis qui s’y adaptent. Lorsque cela ne fonctionnera pas, nous nous retrouverons avec des réclamations auprès des assureurs et des programmes de protection de revenu; certaines personnes feront faillite, mais la plupart d’entre elles s’en sortiront probablement très bien.

Le sénateur Pratte : Monsieur Scott, un de vos graphiques montre qu’à l’heure actuelle, l’utilisation des forêts permet d’absorber quelque 25 mégatonnes d’émissions de gaz à effet de serre. Dans les années 1990, c’était plus de 100 mégatonnes. Que s’est-il passé?

M. Scott : C’est une excellente question, en fait. J’ai regardé ces données, et je pense que c’est en partie attribuable…

Le sénateur Pratte : La superficie forestière n’a pas du tout changé.

M. Scott : À peine, effectivement. C’est peut-être attribuable à la fréquence accrue des perturbations, étant donné qu’une partie de cette zone de terre est également perturbée. C’est une explication possible. Mais je me souviens m’être demandé la même chose lorsque j’examinais la question et que je préparais le document.

Le sénateur Pratte : La différence est énorme.

M. Scott : Je le sais, mais je pense que cela met également en lumière une possibilité. Gérer les risques attribuables à la perturbation est vraiment essentiel. Dans l’autre graphique, vous pouvez voir la fréquence des perturbations, des incendies et des infestations d’insectes. On y voit l’importance du dendroctone du pin ponderosa. C’est intéressant : même l’infestation du dendroctone, représenté par la grosse bosse au milieu du graphique, n’a pas augmenté les émissions attribuables aux perturbations autant qu’on l’aurait cru. Elles sont en fait plus élevées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à ce moment. Tout dépend en grande partie de l’intensité des perturbations, qui n’est pas nécessairement représentée lorsqu’on ne comptabilise que la superficie totale.

Encore une fois, cela permet de voir certaines des possibilités relatives à la gestion. De toute évidence, nous avons déjà été en mesure d’emmagasiner et de retirer plus de carbone de l’atmosphère que nous le faisons en ce moment dans cette zone gérée.

Le sénateur Woo : Messieurs Scott et Smit, je vous remercie de vos exposés fort instructifs.

Notre étude s’inscrit bien sûr dans le contexte de l’intention précise du gouvernement d’essayer d’atteindre ses objectifs ambitieux de réduction de gaz à effet de serre, ou GES, conformément à l’accord sur les changements climatiques, de même que dans le contexte de la proposition ou de l’intention du gouvernement de mettre en place une taxe sur le carbone pour nous aider à atteindre ces cibles.

Plus je vous écoute, vos collègues du secteur et vous, plus je me demande si la taxe sur le carbone elle-même créera les incitatifs du marché nécessaires pour réduire suffisamment les émissions de carbone dans votre secteur de façon à nous aider à atteindre cet objectif.

Je soulève cette question en raison des circonstances particulières de la foresterie, et plus généralement de l’agriculture aussi qui ne se prêtent peut-être pas à une taxe sur le carbone dans sa forme la plus pure. Je veux savoir ce que vous en pensez. D’une part, il faut prendre des mesures collectives qu’une taxe carbone n’encouragerait pas. D’autre part, il y a la question des puits, qui est probablement la plus importante. Si les puits ne sont pas reconnus d’une manière ou d’une autre à leur juste valeur, et que les gens qui peuvent produire des choses n’en tirent aucun avantage financier, pourquoi le feraient-ils?

Pouvez-vous nous parler brièvement des politiques et des incitatifs gouvernementaux, des règlements et peut-être même des subventions? Quelle combinaison est nécessaire afin de réduire suffisamment les émissions de GES dans les secteurs agricole et forestier pour nous aider à atteindre nos cibles mondiales? C’est une grande question.

M. Smit : Je comprends la question, y compris en ce qui a trait aux puits et au captage du carbone. Ce n’est malheureusement pas mon domaine de compétence. J’inventerais des choses. Il y a des gens qui examinent ces questions beaucoup plus sérieusement que moi, de sorte que je vais m’abstenir de répondre.

M. Scott : Je ne suis malheureusement pas économiste non plus.

Je pense toutefois qu’il est possible d’analyser la question au moyen de modèles économétriques. Cela ne fait pas partie de mon travail, mais je crois que tenir compte des puits créera un incitatif. Cela revient à vous doter d’un programme de surveillance et à concevoir des programmes qui vous permettront au moins de les quantifier et de les attribuer. C’est une chose de dire que le Canada emmagasine 26 millions de tonnes de CO2. Nous devrons savoir qui en est responsable. Où cela se passe-t-il? La seule façon d’y répondre est de mettre en place une sorte de programme capable de quantifier ces puits, avec un certain degré d’incertitude, puisqu’il aura une incidence considérable sur les prix.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de votre exposé. La plupart des écosystèmes sont dynamiques. Lorsque la résilience d’un système est évaluée, êtes-vous en mesure de déterminer où se situent les seuils critiques ou à quel moment le système pourrait subir une réinitialisation épisodique? C’est la question du prophète de malheur.

M. Scott : Votre question porte-t-elle sur n’importe quel écosystème ou uniquement sur la foresterie ou l’agriculture?

La sénatrice Gagné : Je vous demande de répondre d’abord pour la foresterie, puis pour l’agriculture.

M. Scott : Bien. Nous parlons toujours de seuils critiques, mais je doute que nous sachions vraiment où ils se situent la plupart du temps. Malheureusement, les modèles que nous utilisons pour prédire l’évolution des écosystèmes se basent tous en quelque sorte sur le concept de la stabilité. Or, on peut oublier la stabilité pour envisager l’avenir du climat puisque la variabilité sera à mon avis très grande. C’est un peu comme la fréquence des inondations. Nous basons nos estimations de crues centenaires sur les données antérieures et la fréquence des inondations au cours des 100 dernières années. Eh bien, peut-être que le phénomène se produira désormais tous les 10 ans. Ainsi, l’intensité des perturbations va changer notre façon d’aborder la production de modèles et de prévisions dans le système. Je pense que les seuils critiques existent, mais je doute que nous sachions vraiment où ils se trouvent. Comme je l’ai dit, je pense que des programmes de surveillance pourraient contribuer à nous prévenir lorsque nous en approcherons. Il pourrait s’agir de la durée d’une saison ou de quelque chose de semblable, ou encore de ce qui se produit l’année suivant un événement donné. Mais à moins d’avoir un moyen de surveiller attentivement ce qui se passe à grande échelle dans l’ensemble du pays, nous allons manquer ces signes avant-coureurs.

La sénatrice Gagné : En guise de question complémentaire, de quoi avons-nous besoin pour pouvoir surveiller la situation? Avez-vous des recommandations?

M. Scott : À l’heure actuelle, il existe un programme national de surveillance des forêts. Si j’en ai bien compris le fonctionnement, on vérifie en quelque sorte la récurrence des événements sur cinq ans dans des parcelles d’échantillonnage dispersées un peu partout au pays. Je pense toutefois qu’il faut une évaluation plus poussée sur le plan spatial, et plus fréquente aussi. Nous pouvons le faire avec une combinaison d’outils satellites et d’autres méthodes qui nous permettent de surveiller la surface du sol pratiquement chaque semaine, si nous le voulons. Il y a donc des moyens d’y arriver. Les outils existent et sont déjà dans l’espace. Il suffit de s’organiser et de se coordonner pour le faire. C’est essentiel. Lorsque j’ai mis au point de tels systèmes en Nouvelle-Zélande, j’ai appris l’importance de réunir toutes les parties prenantes. Il y a le secteur forestier, le secteur agricole et le groupe de télédétection au Canada, et tout le monde doit se serrer les coudes pour concevoir un système efficace qui générera les données nécessaires.

M. Smit : L’idée du seuil critique est souvent un peu problématique. Si elle prend une place aussi importante lorsqu’il est question du changement climatique, c’est notamment en raison de la Convention-cadre internationale sur les changements climatiques, que tous les pays sont encore tenus de respecter. La convention oblige les pays à déployer des efforts suffisants pour prévenir les « changements climatiques dangereux ». Or, tout le monde se demande maintenant ce qu’on entend par « dangereux ». Récemment, une variation de 2 degrés a été proposée, ce qui laisse entendre que jusqu’à 2 degrés, tout est parfait, mais qu’après, le chaos régnera. Ce n’est toutefois pas le cas.

Il y a déjà des pays et des gens dans le monde pour qui le changement climatique pose problème, puisqu’il menace leur moyen de subsistance et leur survie. D’autres ne sont pas touchés du tout. Au fil du temps, de plus en plus de gens en subiront toutefois les effets, de sorte que le seuil critique est quelque peu arbitraire.

Nous sommes toutefois tenus de fixer un seuil global en vertu de cette convention. Je ne pense pas que cela compte vraiment dans nos activités au Canada. Des problèmes surgiront et deviendront plus problématiques à mesure que nous aurons des conditions extrêmes, des sécheresses fréquentes ou quoi que ce soit d’autre. Dans une certaine mesure, bien des gens seront en mesure de composer avec la situation sans la moindre difficulté. Pour eux, ce ne sera pas un seuil critique, alors que pour d’autres, le seuil est déjà atteint.

Je doute que ce soit fort utile. Je pense que l’évolution est graduelle et que la situation deviendra plus problématique, mais il y aura aussi des occasions à saisir. Je ne pense toutefois pas qu’il y ait un seuil auquel tout changera.

Le sénateur Oh : Merci beaucoup de l’information que vous nous avez fournie ce matin. J’ai une question qui relève un peu de la science-fiction.

Y a-t-il déjà eu un changement climatique sur la Terre, là où nous vivons? Il y avait des dinosaures il y a un million d’années, mais ils sont maintenant disparus. Qu’en est-il de l’avenir de l’humanité? Allons-nous disparaître à l’instar des dinosaures?

La sénatrice Gagné : Une autre question de prophète de malheur.

M. Smit : Sur l’échelle des temps géologiques, le climat a toujours changé en raison de toutes sortes de forces, comme la rotation de la Terre autour du Soleil et ce genre de choses. De notre point de vue, ces phénomènes sont très lents. Nous les remarquerions à peine.

Au cours des derniers siècles, l’activité humaine a eu des effets en raison de choses dont nous n’avions pas conscience. Le fait que nos ancêtres coupent les forêts et brûlent des combustibles fossiles a changé la composition de l’atmosphère et le climat à un rythme sans précédent, à notre connaissance. Nous changeons l’environnement plus vite que les forces naturelles.

Certaines personnes disent que nous assistons à un refroidissement. En effet, les climatologues ont démontré que sans nos émissions de gaz à effet de serre, la terre se refroidirait progressivement, puisqu’elle se trouve dans une période interglaciaire. La planète se refroidit donc graduellement, mais compte tenu de nos émissions de gaz à effet de serre, nous venons de renverser la tendance et sommes à l’origine des changements que nous observons.

Le changement climatique lui-même se produit naturellement. En revanche, le changement climatique induit par l’homme que nous observons depuis les derniers siècles est un phénomène tout à fait distinct.

M. Scott : J’aimerais ajouter une chose. La quatrième page des diapositives que je vous ai remises montre la concentration en CO2 et sa corrélation avec la température depuis 640 000 ans.

On y voit assez clairement que le taux de variation actuel de la quantité de CO2 dans l’atmosphère est sans précédent. Voilà la grande différence par rapport au passé. Il est vrai que le climat a changé dans l’échelle des temps géologiques, mais nous observons depuis peut-être une centaine d’années des changements qui sont fort différents de ce que nous avions connu dans le passé.

[Français]

Le président : Vous avez parlé dans votre mémoire des plantes hybrides. À quel endroit au Canada avez-vous fait vos études sur la qualité des plantes hybrides et leur croissance, et dans quel type de sol avez-vous fait ces recherches?

[Traduction]

M. Scott : Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous entendez par « hybrides ». Je n’ai pas parlé des plantes hybrides en particulier, mais plutôt de la possibilité de modifier la composition des espèces. Je ne pense pas nécessairement à un programme d’hybridation ou à quelque chose de ce genre.

[Français]

Le président : Êtes-vous au courant que cela se fait depuis 40 ans, en particulier au Nouveau-Brunswick et sur la Côte-Nord du Québec. La société Irving du Nouveau-Brunswick a, vers 1986, produit un arbre hybride entre sapin et épinette, dont les essences provenaient de la Colombie-Britannique. Cet arbre, au lieu de mettre 30 ans pour arriver à la maturité, prend de 22 à 23 ans. Sur la Côte-Nord du Québec, qui est une terre plus aride, ça peut aller jusqu’à 30 ans avant que l’arbre arrive à la maturité. De cette façon, on saute une cueillette de feuillus. Après une coupe de conifères, il arrive automatiquement des feuillus. Il faut attendre encore 60 ans avant que les conifères reviennent. Irving et le gouvernement du Québec ont fait ce travail. Je ne sais pas si cette approche est appliquée ailleurs au Canada. Je ne sais pas si vous avez fait des recherches à ce sujet. Cela permet de sauver du carbone, en grande quantité. À l’avenir, les conifères hybrides devraient-ils être mieux mis en valeur que certains feuillus qu’on juge plus ou moins utiles?

[Traduction]

M. Scott : Je ne connais pas ce programme, mais il semble fantastique. J’ai l’impression que ce genre de programme est nécessaire.

Je suis plus au courant de ce qui se passe en Ontario. Je ne vis au Canada que depuis une douzaine d’années, et je ne fais pas d’expériences moi-même sur la concurrence des espèces. Mais ce que vous avez décrit est le genre de projet qu’il faut intensifier.

J’ai l’impression que l’industrie de la foresterie, en Ontario du moins, n’est plus aussi dynamique qu’elle ne l’était. Je ne suis pas certain que les gens ont la motivation nécessaire pour réaliser des expériences comme celles que vous avez décrites dans des provinces de l’Est.

D’après moi, il faut s’engager plus intensément dans ce genre d’expériences. En Ontario, le réseau de forêts modèles offre l’occasion de les coordonner. C’est essentiel, et plus nous commencerons tôt, mieux ce sera. Si nous attendons de voir des répercussions avant de mettre en œuvre certaines de ces modifications, il faudra beaucoup de temps pour créer ces arbres hybrides ou pour les établir.

[Français]

Le président : Je pense qu’il serait bon que l’Université de Guelph communique avec la compagnie Irving et avec l’Université Dalhousie, qui ont fait ces recherches il y a environ 30 ans. C’est une approche qui devient intéressante et qu’on pourrait mettre à profit un peu partout au Canada.

Quant à la question du sénateur Oh à savoir si on va disparaître un jour, on n’a pas besoin des changements climatiques pour se faire disparaître, on n’a qu’à regarder l’histoire des guerres depuis la création. Regardez ce qui se passe dans le monde, je pense que les kalachnikovs font plus de bruit et de morts que les changements climatiques.

Je vous remercie infiniment de vos témoignages qui étaient très intéressants, et je vous incite à poursuivre vos recherches. Si jamais vous avez d’autres renseignements qui pourraient être utiles à l’élaboration de notre rapport, veuillez les transmettre au greffier du comité. Merci infiniment, et bon retour.

Nous passons maintenant à notre prochain groupe de témoins. Nous recevons ce matin, pour la deuxième partie de la séance du comité, Mme Claudia Wagner-Riddle, professeure, École des sciences de l’environnement, Université de Guelph, ainsi que M. Alfons Weersink, professeur, Collège d’agriculture de l’Ontario, Université de Guelph. Bienvenue à vous deux.

Nous disposons d’un total de 45 minutes pour votre présentation et les questions des sénateurs. Nous allons peut-être vous demander d’accélérer un peu pour donner la chance aux sénateurs de vous poser des questions.

Madame Wagner-Riddle, c’est à vous de commencer. On vous écoute.

[Traduction]

Claudia Wagner-Riddle, professeure, École des sciences de l’environnement, Université de Guelph, à titre personnel : Merci beaucoup pour la présentation. Pour ne pas dépasser mon temps, je lirai une déclaration écrite.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner l’occasion d’influer sur vos délibérations. Je limiterai ma déclaration aux stratégies de réduction des émissions dans le secteur agricole et au rôle éventuel de l’État dans l’atteinte des objectifs de réduction.

En collaboration avec des collègues de partout dans notre pays et avec l’apport de beaucoup d’étudiants, j’ai étudié pendant de nombreuses années les pratiques de réduction dans le secteur agricole. Je suis emballée à l’idée de faire part de mon expérience à votre comité.

J’ai préparé ma déclaration pour répondre à deux questions. Que peuvent faire les agriculteurs pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre? Quel est le rôle de l’État?

D’après mon évaluation, beaucoup de pratiques peuvent, sur l’exploitation agricole, servir à atteindre les objectifs de réduction des émissions, mais, si on ne met pas en place de mécanismes pour en faire la promotion et aider à les appliquer, ils ne seront peut-être pas adoptés.

D’abord, un peu de renseignements pour décrire comment l’agriculture produit des gaz à effet de serre. Ensuite, j’aborderai les conséquences stratégiques de ma recherche.

Au Canada, les exploitations agricoles maîtrisent des chaînons des cycles du carbone et de l’azote pour produire des aliments pour l’espèce humaine et les animaux, des fibres et du combustible pour la consommation au Canada et à l’étranger, comme nous le savons tous. Mais, essentiellement, les agriculteurs sont, dans ce processus, des gestionnaires du carbone et de l’azote.

Les processus biochimiques enclenchés par les micro-organismes, à l’intérieur de ces cycles, sont à l’origine de l’immense majorité des émissions de gaz à effet de serre du secteur, des émissions naturelles, mais dont le débit est augmenté par les activités agricoles comme l’élevage du bétail ou l’emploi d’engrais azotés.

La croissance des cultures fait s’accumuler le carbone dans les champs, mais ce carbone n’y reste pas entièrement. Une fraction importante retourne dans l’atmosphère lorsque les produits des récoltes sont consommés par les êtres humains ou les animaux et quand la biomasse restante est consommée par les micro-organismes du sol. De fait, les terres agricoles peuvent être sources ou puits de carbone, selon l’écart entre l’absorption et la libération.

On peut considérer les émissions de gaz à effet de serre comme un effet secondaire de l’agriculture, mais la gestion des cycles du carbone et de l’azote, par les agriculteurs sur leurs terres, a de profondes répercussions. De fait, il est possible de réduire ces émissions et de stocker plus de carbone tout en continuant de livrer des produits agricoles aux consommateurs.

L’étalon qui permet d’évaluer cette performance rapporte la valeur des émissions à l’unité de produit — lait, viande ou grain —, et on l’appelle aussi l’empreinte carbone. Il s’ensuit que l’augmentation de l’efficacité de l’exploitation peut réduire cette empreinte.

Ces dernières décennies, l’augmentation de la productivité a rétréci l’empreinte carbone au Canada. Cependant, des tendances négatives l’ont accompagnée, comme une plus grande dépendance des intrants agricoles externes comme les engrais, la diversité réduite des rotations culturales, la dégradation des sols et de leur santé. Comme ces tendances auront des conséquences à long terme, il faut les inverser pour nous doter d’agri-écosystèmes résilients au changement climatique tout en réduisant les émissions.

Dans ce contexte, je reviens à la question : que peuvent faire les agriculteurs? Voyons-le plus en longueur, mais, en un mot, ils peuvent changer quelque chose, comme je l’ai dit. Les investissements d’Agriculture Canada dans le Programme de lutte contre les gaz à effet de serre en agriculture, dans le Réseau national de recherche sur les 4B, en partenariat avec Fertilisants Canada, ainsi que d’autres programmes financés par le gouvernement et les producteurs, par exemple, ont permis de quantifier le potentiel de réduction qu’offraient les pratiques prometteuses.

L’amélioration de l’indice de conversion, chez les ruminants, permet de réduire les émissions et de comprimer les coûts pour les agriculteurs. D’après une analyse récente que nous avons faite pour le secteur laitier de l’Ontario, on pourrait réduire l’empreinte carbone de 12 p. 100 et augmenter les profits. L’amélioration de l’indice de transformation des éléments nutritifs dans les cultures, par exemple grâce au programme des 4B de l’industrie des engrais, permet aussi de réduire les émissions. Ce programme préconise la bonne dose, le bon moment, le bon endroit et la bonne source d’engrais : ainsi, outre les économies éventuelles, plus d’éléments nutritifs se retrouvent-ils dans le produit et moins dans l’environnement.

Encore une fois, nos travaux dans la zone nord-américaine de maïsiculture ont révélé que l’emploi d’engrais d’une efficacité améliorée, la bonne source, permet de réduire les émissions dues au maïs de 30 p. 100 en moyenne, sans diminution des rendements.

Parmi d’autres pratiques prometteuses que les producteurs peuvent utiliser, mentionnons la gestion du fumier. Dans les élevages de bétail, on conserve d’ordinaire le fumier une partie de l’année avant de le recycler par épandage sur le sol. Cette période de stockage entraîne des émissions importantes, qu’on peut réduire grâce à de nombreuses pratiques et technologies, par exemple la vidange complète du réservoir de fumier de vaches laitières, qui s’est révélée réduire les émissions de près de la moitié, grâce à l’élimination des micro-organismes ou de l’inoculum qui conduit à la réduction des émissions de méthane. Dans un contexte un peu différent, c’est comme, en viniculture, la conservation d’une partie du vieux vin pour servir d’inoculum et produire un vin meilleur. La digestion anaérobie favorise la production de méthane à partir du fumier et permet de capturer le biogaz; c’est ce qui permet d’éviter les émissions et sert de solution de rechange au carburant fossile.

Dans son rôle de gestionnaire du carbone, l’agriculteur doit cesser de penser à n’alimenter que la culture pour devoir aussi nourrir le sol. À cette fin, il peut diversifier les rotations et introduire des plantes couvre-sol, non pour les récolter, mais pour nourrir les micro-organismes du sol. Ces soins à long terme améliorent la santé du sol et procurent d’autres avantages comme l’augmentation de sa capacité de stockage du carbone et la résilience des cultures aux paroxysmes climatiques comme les sécheresses.

Les agriculteurs innovants montrent la voie à suivre dans l’expérimentation de ces méthodes, mais on est insuffisamment sensibilisés à l’importance de la santé des sols. Cette lacune est encore très répandue.

Voilà des exemples de ce qu’on peut faire. Passons maintenant à l’aide de l’État. D’abord, en partenariat avec l’industrie, il y a la nécessité de continuer à investir dans l’éducation, la formation et la recherche. Un excellent exemple est le réseau des sols de l’Ontario du Rural Ontario Institute, financé par plusieurs organismes, qui visent à former des agriculteurs innovants qui deviendront des adeptes convaincants de la santé des sols dans leur milieu. Les agriculteurs apprennent le mieux de leurs semblables, et ce type de formation est essentiel au passage de la théorie à la pratique.

On a aussi besoin d’investissements constants dans la recherche et la formation du personnel affecté à la réduction des émissions pour assurer l’évaluation des nouvelles pratiques et technologies proposées.

Ensuite, comment passer des acquis de la recherche à la mise en œuvre dans l’exploitation agricole? N’étant pas spécialiste de la politique, je laisse le soin, à ceux qui sont ici présents, de formuler des observations sur ces mécanismes politiques. Cependant, j’exprimerai des avis que vous trouverez utiles, je l’espère, sur les appuis nécessaires.

Certaines pratiques permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en accroissant la productivité ou les profits. Ces situations où on gagne sur tous les tableaux exigent sensibilisation et appui à l’éducation. Par exemple, notre étude qui a révélé, en Ontario, une réduction de 12 p. 100 dans le secteur laitier est vraiment ce qui fait passer les producteurs moins productifs dans le groupe des plus productifs.

Beaucoup d’autres pratiques ne font pas gagner sur tous les tableaux. Elles exigent des investissements de la part des agriculteurs. Un bon exemple est la vidange complète du réservoir de stockage du fumier. Le seul motif de le faire, pour le producteur, est sa volonté de réduire les émissions. À moins de l’en récompenser ou de l’imposer, il est probable qu’on n’y aura jamais recours.

D’autres pratiques, encore, ne procurent d’avantages qu’à long terme, mais exigent des investissements dans l’immédiat. Les soins du sol, par exemple, ne procurent d’avantages manifestes qu’après au moins cinq années de travail. Ils sont hors de prix pour beaucoup de producteurs, qui ne pensent pas vraiment au long terme, particulièrement s’ils exploitent des terres louées, qui constituent une proportion des terres cultivées qui a augmenté.

D’après ces observations, il est clair que le rôle de l’État est extrêmement important. Alfons discutera des avantages et des inconvénients des mécanismes possibles de mise en œuvre. Je me contenterai de dire que la collaboration avec les organisations de producteurs est essentielle. Il est très difficile de pousser à l’action des non-convertis.

En conclusion, plusieurs mesures de réduction sont efficaces contre les émissions agricoles. Le rôle de l’État est crucial dans l’appui à la mise en œuvre de ces mesures, grâce à l’éducation, à la formation ainsi qu’à la recherche-développement sur des mécanismes stratégiques qui tiennent compte de la réalité de l’exploitation. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Alfons Weersink, professeur, Collège d’agriculture de l’Ontario, Université de Guelph, à titre personnel : Je suis très reconnaissant de l’occasion qui m’est offerte de témoigner devant le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts.

Je me nomme Alfons Weersink. Je suis professeur au département d’économie alimentaire, agricole et des ressources de l’Université de Guelph. Ma recherche porte sur les effets des technologies nouvelles et des politiques de l’État sur les actions individuelles des agriculteurs et les effets de leurs décisions sur l’environnement, les marchés et la structure du secteur.

Relativement à votre étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique et des mesures prises pour augmenter l’adaptation aux stratégies de réduction des émissions, je concentrerai mes observations particulièrement sur le rôle que peut jouer l’État dans l’atteinte des objectifs de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et, plus précisément, dans le secteur agricole et non dans celui des forêts.

Avant de discuter des divers rôles de l’État, permettez-moi d’aborder rapidement les complications des processus de production qui sont à l’origine des émissions imputables à l’agriculture. Elles compliquent vraiment la conception de la politique de l’environnement pour ce secteur.

D’abord, le problème est dû à de nombreux facteurs potentiels. Il y a les petits agriculteurs, qui rendent coûteuse la mesure des émissions de chaque exploitation.

Ensuite, il y a le lien indirect entre les actions des agriculteurs et les répercussions subies par l’environnement. Le travail de Claudia permet de mesurer les émissions de gaz à effet de serre attribuables à diverses pratiques. Vous aurez constaté qu’elles varient selon l’endroit, selon un certain nombre de facteurs tels que les pratiques, la qualité du sol, son type, la pente et beaucoup de pratiques inobservables telles que le choix du moment des traitements et d’autres facteurs indépendants de la volonté de l’agriculteur, comme la météo.

Monsieur Smit a parlé de l’intervalle de temps qui sépare les mesures prises maintenant et les émissions. Ce décalage rend difficile la compréhension, par les agriculteurs, des raisons pour lesquelles ils devraient éponger les coûts maintenant alors qu’ils n’en retireront les avantages que dans un avenir lointain.

L’autre complication est que les émissions de gaz ne sont pas observables — l’équipement sophistiqué de Claudia mesure les émissions réelles attribuables à diverses pratiques agricoles. Les agriculteurs changeraient volontiers leurs pratiques s’ils pouvaient observer directement les répercussions de leurs actions sur la qualité de l’environnement. En voici un exemple.

Ils ne pratiquent plus l’épandage hivernal du fumier. Ils le faisaient auparavant, mais ils ont constaté l’écoulement auquel il donnait lieu dans les ruisseaux. Ayant aussi constaté dans le ruissellement des signes d’érosion, ils ont adapté leurs techniques de conservation des sols. Ils agiront de même s’ils constatent les répercussions de leurs actions sur la qualité de l’environnement. C’est plus difficile pour un gaz inobservable.

Enfin, une autre complication est que ces exploitations polluantes sont exploitées par des familles, et non des sociétés anonymes. Cela influe sur nos rapports avec elles, et c’est un groupe qui, par le passé, a recueilli des appuis politiques.

Le résultat net est qu’aucune politique n’offre de solution magique simple à l’État pour réduire ces émissions selon un bon rapport coût/efficacité. Il doit donc choisir entre plusieurs solutions de rechange en se posant trois questions : Qui devrait-on viser par cette politique? Que devrait-on viser? Quel mécanisme peut-on employer?

Comme ces émissions se retrouvent dans l’atmosphère, il conviendrait de viser toutes les exploitations agricoles. La problématique diffère de celle de la réduction des apports d’éléments nutritifs, par exemple les phosphates, dans les Grands Lacs, où on veut viser les producteurs situés très près de ces eaux ou ceux qui contribuent le plus au problème.

Relativement à l’objet, il existe des politiques axées sur le rendement, qui visent les émissions réelles, mais, en raison des coûts de la mesure des émissions de chaque exploitation agricole, la plupart des politiques agroenvironnementales sont dimensionnées aux pratiques selon qu’on peut surveiller facilement et selon leur corrélation à l’objectif environnemental.

En ce qui concerne la politique à employer, il y a deux façons générales d’inciter les agriculteurs à modifier leurs habitudes. On peut d’abord les payer pour qu’ils en adoptent des bénéfiques pour l’environnement. On peut aussi édicter des mesures directes de contrôle ou des règlements qui exigent d’eux la prise de certaines mesures, en prévoyant des sanctions en cas de non-conformité. C’est donc la politique de la carotte et du bâton.

La carotte est plus souvent utilisée dans les pays développés, où beaucoup de gouvernements versent le montant total aux agriculteurs ou concluent avec eux une entente de partage des coûts pour qu’ils améliorent leurs pratiques. Cela va de la plantation de rideaux-abris à la mise de côté de certaines terres en passant par l’installation de réservoirs de stockage du fumier.

Comme exemples de réglementation directe, la deuxième méthode, citons l’interdiction de certains pesticides, l’éloignement exigé de certains bâtiments par rapport aux cours d’eau, la limitation de la charge d’éléments nutritifs. On peut caractériser de façon plus poussée les paiements pour les pratiques de gestion optimales pour l’environnement et la prescription, par voie de règlement, d’une telle pratique en fonction des personnes visées. Est-ce tout le monde ou certains individus? Et qu’est-ce qu’on vise? Les émissions de gaz à effet de serre ou des pratiques?

En plus de la carotte ou du bâton, le gouvernement pourrait prévoir des mesures consultatives pour informer les agriculteurs de l’étendue du problème des gaz à effet de serre et des moyens à prendre pour corriger la situation. Ces efforts de vulgarisation sont efficaces si les agriculteurs ne connaissent pas de pratiques profitables sur tous les tableaux, qui permettent à la fois d’augmenter la rentabilité de l’exploitation et la santé de l’environnement. C’est ce dont Claudia a parlé ainsi que du rôle important d’intervention de l’État auprès des organisations de producteurs pour encourager ces efforts de vulgarisation.

Si les meilleures pratiques de gestion ne sont pas rentables, une quatrième possibilité est l’élaboration d’un système d’exploitation rentable grâce au financement de la recherche-développement stratégique ou la mise en place d’infrastructures pour appuyer les nouveaux systèmes d’exploitation. Le Programme de lutte contre les gaz à effet de serre en agriculture d’Agriculture Canada est un exemple d’options de vulgarisation et de développement technologique pour l’État. Il appuie des projets qui créeront des technologies, des pratiques et des processus que les agriculteurs pourront adopter pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

À noter qu’il existe une cinquième option : l’État n’agit pas. Elle convient si les coûts de la politique, c’est-à-dire la diminution des profits des agriculteurs et l’augmentation des coûts administratifs excèdent les bénéfices résultants ou si des bénéfices sont prévisibles même sans intervention de l’État.

Le choix entre les cinq politiques possibles de l’État dépend d’un certain nombre de considérations politiques et administratives. L’une d’elles est : qui devrait payer? Le principe du bénéficiaire payeur exige que, comme la société profite de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement devrait encourager les agriculteurs à éponger les coûts entraînés par la modification de leurs pratiques. C’est le moyen qu’il a effectivement employé jusqu’ici.

Le principe du « pollueur-payeur » fait peser le fardeau financier sur ceux qui créent le problème environnemental. C’est ce qu’on appelle un incitatif négatif; la tarification sur le carbone en est un exemple.

Il incombe à juste titre au gouvernement de décider qui doit payer. Dans la pratique, le gouvernement préfère souvent les mécanismes de « bénéficiaire-payeur » lorsqu’il essaie de modifier les méthodes agricoles, mais le mécanisme du « pollueur-payeur » ou le bâton lorsqu’il veut éviter que les agriculteurs ne troquent leurs méthodes actuelles pour des méthodes encore pires pour l’environnement.

Le choix entre la carotte et le bâton a des incidences directes sur les dépenses du gouvernement. Si le gouvernement opte pour des paiements, il doit les verser, et le degré d’appui politique à la subvention de bonnes pratiques de gestion diminue quand les budgets seront serrés. Or, sous l’effet des pressions, le gouvernement peut décider d’élaguer son programme soit en diminuant sa part des coûts soit en raccourcissant la durée de son financement, ce qui compromet forcément l’efficacité de l’incitatif.

Par exemple, il est courant de payer les agriculteurs afin qu’ils plantent des vivaces. On leur offrira des fonds de démarrage pour les trois à cinq premières années, mais rien ensuite. Les agriculteurs risquent donc fort de retourner à leurs annuelles par la suite, à moins que les mesures favorisées ne fassent augmenter leurs profits.

Les contrôles directs coûtent moins cher au gouvernement que les paiements, mais ils viennent avec des coûts d’opération. Les autres mécanismes associés au principe du pollueur-payeur peuvent même générer des recettes publiques, ce qui les rend d’autant plus intéressants pour les gouvernements confrontés à des pressions budgétaires. Les taxes sur les émissions sont une source directe de revenu, et les permis peuvent également être lucratifs, à condition que les droits échangeables soient vendus aux enchères plutôt qu’attribués par application de droits acquis.

Outre la question de savoir si c’est le bénéficiaire ou le pollueur qui paiera, il y a plusieurs facteurs de répartition à prendre en considération à l’égard de chaque mécanisme incitatif. Les coûts et avantages peuvent varier selon le type de ferme. Par exemple, la tarification du carbone risque surtout de toucher les serres plutôt que les autres régions du pays, les autres membres de la société ou les autres générations. Les caractéristiques de gestion physique peuvent varier selon le type d’activité, une hétérogénéité qui se répercute sur l’efficacité de mesures uniformes et sur ceux qui doivent absorber les coûts de l’externalité. Le mécanisme privilégié par les autres gouvernements peut également influencer la répartition. L’intérêt croît pour les systèmes de plafonnement et d’échanges dans les États américains, en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique depuis que des permis sont entrés en vigueur en Californie. Cependant, les gouvernements hésitent à imposer une tarification sur le carbone aux secteurs axés sur l’exportation, par peur qu’elle ne nuise à la compétitivité du secteur.

L’évaluation publique de ce qui est juste et équitable justifie l’utilisation des deniers publics pour financer des programmes d’aide agricole et le versement d’incitatifs favorisant la transformation des pratiques de gestion actuelles. Les objectifs d’augmentation du revenu agricole et de performance environnementale ne coïncident pas toujours nécessairement. Les programmes d’aide agricole ont peut-être contribué au problème de l’externalité associé à l’agriculture moderne en favorisant la moyenne et en réduisant la variabilité du rendement associée aux cultures en rangs, plus érosives et nécessitant une plus grande utilisation de produits chimiques. Les pratiques destinées à réduire l’externalité environnementale ciblée d’une politique peuvent également avoir une incidence positive ou négative sur une autre forme d’externalité. Par exemple, les programmes visant à améliorer la santé des sols, que Claudia a mentionnés, peuvent parallèlement contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre, en plus de procurer des avantages aux producteurs.

Je souhaite vous remercier de m’avoir permis de prendre la parole aujourd’hui et j’ai hâte de discuter davantage de ces enjeux avec vous.

[Français]

Le président : Merci infiniment pour vos témoignages. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités.

Monsieur Weersink, des programmes de gestion des risques ont été mis à la disposition des agriculteurs, mais on remarque que plusieurs d’entre eux ne les utilisent pas. Ainsi, pourquoi est-ce qu’on développerait d’autres programmes avant d’avoir obtenu la participation des agriculteurs aux programmes qui existent déjà?

[Traduction]

M. Weersink : Nous avons deux principaux programmes de soutien des cultures, si l’on veut. C’est différent pour la production animale, parce que nous avons l’assurance-récolte et le programme Agri-stabilité, qui est le principal programme. C’est un programme axé sur la marge nette des revenus.

Il n’existe actuellement aucun lien avec des mesures de la performance environnementale. On pourrait peut-être réfléchir à la valeur de l’écoconformité, de sorte que pour bénéficier d’un programme comme Agri-stabilité, il faudrait adopter certains programmes de gestion environnementale.

Il y a quelque chose du genre pour quiconque souhaite construire une nouvelle étable. Pour obtenir un permis de construction, il faut soumettre un plan de gestion des éléments nutritifs prévoyant comment le fumier sera entreposé et épandu, en quelle quantité et quand. C’est sans conséquence après, mais c’est une condition pour l’obtention du permis de construction. Il pourrait y avoir des mesures du genre, des critères de performance environnementale afin d’être admissible au programme Agri-stabilité.

Votre autre question portait sur la popularité décroissante du programme Agri-stabilité. Elle est en partie attribuable à la spécialisation qui s’observe dans le secteur et aux craintes de ne jamais en tirer avantage.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Cela m’amène à ma deuxième question. Certains agriculteurs refuseront peut-être indirectement les méthodes qu’on leur suggère pour réduire les gaz à effet de serre. Y a-t-il une certaine résistance qui serait liée aux coûts de mise en place de ces programmes ou au manque d’information? On sait que les agriculteurs travaillent sept jours par semaine. Ils ont des horaires chargés. Est-ce la raison pour laquelle ils tarderaient à mettre en oeuvre les mesures visant à réduire les gaz à effet de serre?

[Traduction]

M. Weersink : On dit que l’adoption de n’importe quelle mesure de gestion pour réduire les gaz à effet de serre fonctionne si elle peut rapporter des profits à la ferme. Claudia a mentionné les mesures dont tout le monde sort gagnant. Mais il y en a d’autres qui peuvent occasionner des coûts directs.

Pour celles-là, il y a des pertes associées et donc, des raisons financières. Il y a aussi d’autres raisons au refus d’adopter ces méthodes : à quel point sera-t-il difficile de remplacer les méthodes existantes par de nouvelles? Si les coûts de transition sont très élevés, les agriculteurs hésiteront à aller de l’avant. Vous avez mentionné que ce sont des gens occupés, donc l’apprentissage de nouvelles méthodes entre aussi en ligne de compte.

L’une des pratiques de gestion exemplaires avantageuse consiste à réduire les doses d’engrais. On se demande souvent pourquoi les agriculteurs appliquent des doses supérieures aux doses recommandées. Cela semblerait simple. Bien des efforts ont été déployés pour leur montrer qu’ils se protègent des risques en en appliquant plus. Cela fait diminuer l’incertitude. Il y a une réduction du risque associée à des doses supérieures d’engrais.

Du coup, les bonnes années, le rendement augmente beaucoup grâce à l’application de doses supérieures d’engrais. Les autres années, il en coûte relativement peu pour appliquer cette dose supplémentaire d’engrais. C’est un jeu d’équilibre : le rendement accru d’une année compense pour la surfertilisation l’autre année.

Il faut comprendre pourquoi les agriculteurs adoptent certaines méthodes. C’est qu’ils les jugent dans leur intérêt. C’est peut-être en partie par manque d’information, mais il y a d’autres raisons valides à cela, comme la gestion du risque et les coûts de transition élevés associés à un changement.

Mme Wagner-Riddle : J’aimerais ajouter une chose. C’est aussi parce qu’ils se fondent sur un modèle d’affaires qui ne tient pas compte des pertes ni de l’effet environnemental. Si les agriculteurs appliquent trop d’engrais certaines années, où il ne sert à rien, il y a un plus grand risque de pertes et de pollution, mais ils ne sont pas pénalisés pour autant. C’est l’effet de ce genre de modèle d’affaires.

Le sénateur Oh : Je remercie nos témoins. Ma question porte sur le biodiesel. La carinata est une plante oléagineuse cultivée pour produire du biodiesel destiné au transport ferroviaire et terrestre. Cette plante peut croître dans un sol relativement peu fertile. Pensez-vous que sa culture pourrait gagner en popularité chez les agriculteurs? Devrions-nous aller de l’avant avec ce genre de projet?

Mme Wagner-Riddle : Parlez-vous de soya?

Le sénateur Oh : On l’appelle la carinata.

Mme Wagner-Riddle : Où est-elle cultivée?

Le sénateur Oh : En Ontario.

Mme Wagner-Riddle : Savez-vous où?

M. Weersink : Non, je ne connais pas cette plante non plus.

Le sénateur Oh : Pouvez-vous nous parler du biodiesel, alors?

Mme Wagner-Riddle : Est-ce du canola?

Le sénateur Oh : C’est une céréale oléagineuse.

M. Weersink : De manière générale, l’utilisation du biodiesel est encore relativement limitée. La décision d’en produire dépend vraiment de la volonté du producteur de cultiver la plante. Est-ce réaliste comparativement à d’autres options? Il serait peut-être plus rentable de cultiver du maïs, du soya ou du blé (les céréales classiques), puis de les convertir en biodiesel et de trouver un marché pour cela.

Au début, les biocarburants n’étaient pas rentables, mais il y a tellement d’exigences aujourd’hui qu’ils deviennent un carburant de remplacement possible. Le biodiesel n’est pas encore tout à fait au point, pour divers facteurs, mais je ne sais pas ce qu’il en est pour cette plante en particulier.

Le sénateur Oh : Est-ce l’avenir?

Mme Wagner-Riddle : Peut-être. J’évaluerais quel genre de matière organique cette plante produit.

Nous ne devrions pas prioriser une plante en particulier. Les études montrent que la diversification et l’alternance des cultures est préférable, pour plusieurs raisons. C’est mieux pour le sol et cela produit un meilleur rendement qu’une même culture en continu.

Il est toujours bon d’envisager de nouvelles cultures et d’essayer de leur trouver une place parmi les cultures classiques pour nous adapter au changement climatique. Quand on met trop l’accent sur une seule chose, ce n’est pas bon, mais je pense qu’il y a là un potentiel.

Le sénateur Pratte : Pardonnez-moi mon ignorance, mais j’aimerais poser quelques questions sur la tarification du carbone en agriculture.

Est-ce que je me trompe en disant que l’agriculture n’est pas incluse dans le système de plafonnement et d’échange du Québec, de l’Ontario et de la Californie?

M. Weersink : C’est exact.

Le sénateur Pratte : D’accord. Ce système ne vise que les grands producteurs industriels.

M. Weersink : Oui.

Le sénateur Pratte : En Colombie-Britannique, où il y a une taxe sur le carbone, je pense que l’agriculture en est exemptée.

M. Weersink : C’est vrai.

Le sénateur Pratte : Le régime fédéral vient tout juste d’être annoncé, mais nous ne savons pas si ni comment il s’appliquera à l’agriculture. À votre avis, serait-il possible de l’utiliser pour convaincre les agriculteurs d’adopter des mesures de réductions des gaz à effet de serre? L’agriculture devrait-elle faire partie du régime national de tarification du carbone?

Nous avons recueilli le témoignage de producteurs, bien sûr, et beaucoup sont réticents à faire partie de ce genre de système, particulièrement ceux dont les produits sont surtout destinés à l’exportation.

M. Weersink : Pour revenir à ce que je disais au départ, toute politique est difficile à appliquer en agriculture, parce qu’il est difficile de mesurer les émissions dans ce contexte. Il y a tellement de petits producteurs, qui exploitent souvent des fermes familiales recevant un appui politique, et il est difficile de mesurer les gaz qu’ils émettent. Cela coûte cher, et le jeu n’en vaut peut-être pas la chandelle. Il ne vaut peut-être pas la peine de mesurer la contribution de chacun, individuellement.

On voit plutôt que sur le marché du carbone, il y a des agrégateurs qui rassemblent les crédits pour les agriculteurs adoptant certaines pratiques permettant de créer des puits de carbone. Ces crédits seront tous regroupés et vendus sur le marché. Les agriculteurs sont payés pour cela.

Ce qu’on voit en agriculture, qu’on verra probablement encore longtemps pour diverses raisons, c’est qu’on offre des mécanismes de soutien aux agriculteurs afin de les aider à modifier leurs pratiques, et ce soutien peut prendre la forme d’un marché du carbone et d’agrégateurs ou de programmes de partage des coûts avec les gouvernements, comme on en voit déjà.

Le sénateur Pratte : Simplement parce que c’est plus pratique?

M. Weersink : Exactement.

Mme Wagner-Riddle : J’aimerais ajouter une chose. Même si ce n’était pas obligatoire, il y a un mouvement en faveur d’un système volontaire. Je participe à plusieurs comités qui examinent les protocoles sur lesquels pourrait s’appuyer un système volontaire de gestion du carbone qui ciblerait particulièrement la fermentation entérique et la gestion du fumier et des sols grâce aux programmes 4R. Je pense que les organisations de producteurs y sont assez favorables; ils ne veulent tout simplement pas être contraints d’y adhérer.

Le sénateur Pratte : Comment ce programme volontaire fonctionne-t-il?

Mme Wagner-Riddle : Je ne le connais pas en détail. Les gouvernements du Québec comme de l’Ontario ont embauché une entreprise californienne afin de superviser l’élaboration de tous les protocoles que les producteurs devront respecter pour gagner des crédits.

La sénatrice Petitclerc : Ma question est peut-être un peu plus idéologique. Vous me donnez tous deux l’impression, comme les témoins avant vous, que lorsque les agriculteurs doivent effectuer des changements et travailler concrètement à réduire leur empreinte environnementale, ils sont surtout motivés par des soucis d’efficacité ou les contraintes qu’on leur impose — et je ne porte pas de jugement, j’essaie seulement de comprendre. J’essaie de comprendre le rôle de la motivation environnementale. À quel point la motivation vient-elle du désir de faire sa part pour protéger la planète? Je sais que ce sont des entreprises et que les agriculteurs doivent gagner leur vie, mais j’essaie de comprendre.

Mme Wagner-Riddle : Je ne peux vous parler que de mon expérience avec les agriculteurs que j’ai rencontrés. Je rencontre surtout ceux qui participent à des événements comme le sommet sur la santé des sols que nous avons tenu à Guelph et qui avait été organisé par le Conseil de conservation des sols Canada. Beaucoup de producteurs y ont participé. Ce sont les mêmes que ceux que nous voyons à toutes les réunions. Ce sont les plus actifs. Ce sont les innovateurs, et ils s’en soucient vraiment. Ils prennent des mesures sur leurs terres pour améliorer le sol et tout et tout.

Cela dit, je ne sais pas quel pourcentage ils représentent en tout. Ils en sont conscients. Notre tâche consiste à trouver un moyen de faire en sorte que les 80 ou 90 autres p. 100 — quelle qu’en soit la proportion — s’en préoccupent aussi.

M. Weersink : Chaque exploitant a ses propres objectifs et en bout de ligne, chacun doit réussir à survivre. C’est l’un des défis. Ce sont les gardiens de l’environnement. Ils veulent adopter des méthodes dont peuvent directement bénéficier leurs activités. Je suis d’accord avec l’importance de la santé des sols. Plus les sols sont en santé, plus les récoltes sont bonnes et plus les profits sont élevés, donc c’est une motivation. Les mesures visant à améliorer la santé des sols, comme l’intégration de couvre-sols, contribuent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, donc il y a des avantages à en tirer. De manière générale, la gérance de l’environnement entre en ligne de compte, mais plus elle est liée aux résultats, plus c’est un objectif fort.

En aparté, toutefois, je souligne que cela complique l’élaboration de politiques dans le secteur agricole. La propriété est de plus en plus distincte de la gestion. Environ 40 p. 100 des terres cultivées sont louées; elles appartiennent à quelqu’un d’autre. C’est l’agriculteur locataire qui prend les décisions de gestion. Ainsi, les politiques ciblent parfois le propriétaire des terres et parfois, le locataire. Quand il s’agit d’une seule et même personne, comme dans 60 p. 100 des cas, cela n’a pas d’importance. Mais comme les deux fonctions sont de plus en plus séparées, il se peut que la santé des sols n’importe pas autant au locataire qu’au propriétaire, parce que le premier ne sait pas s’il exploitera encore ces terres dans deux ans, après la fin du bail. C’est un obstacle à la gérance de l’environnement, et cela se répercute sur la motivation, qui change relativement vite dans ce secteur.

La sénatrice Bernard : Ma question est très similaire, en fait, mais j’en poserai peut-être une autre pour compléter.

Vous avez évoqué l’image de la carotte et du bâton. Je pense aux petits agriculteurs en particulier. Qu’est-ce qui est le plus efficace, à votre connaissance? Y a-t-il des recherches qui ont été faites à ce sujet? Avez-vous des indices de ce qui aide le plus les petits agriculteurs, en particulier?

M. Weersink : Dans le secteur agricole, en général, c’est la carotte qui aide le plus les agriculteurs à modifier leurs façons de faire : nous voulons que vous adoptiez le système de gestion des éléments nutritifs 4R; nous voulons que vous plantiez des couvre-sols. C’est la carotte qui fonctionne.

S’ils utilisent actuellement une méthode pour le travail du sol, on utilise le bâton pour les empêcher de faire certaines choses. C’est ainsi que la politique environnementale est pensée dans ce secteur depuis toujours. On utilise le bâton en disant, par exemple : « Voici ce qu’il ne faut pas faire. Nous ne voulons pas que vous fassiez ceci, et nous vous frapperons pour vous empêcher de le faire. Nous voulons que vous fassiez cela. » Puis il y a la carotte pour les attirer vers cela.

L’efficacité de n’importe quel programme dépend de son aptitude réelle à faire changer le comportement de la cible. Est-ce lié à la performance environnementale à laquelle vous aspirez? Quels coûts le gouvernement encourt-il pour mettre en œuvre ce genre de politique?

[Français]

Le président : J’aimerais revenir, madame Wagner-Riddle, sur le sujet de la moutarde dont le sénateur Oh a fait mention. Vous savez, l’Alberta est une très grande productrice de moutarde; elle a 60 000 hectares sur lesquels on cultive trois sortes de moutarde : la blanche, la brune et la chinoise. C’était de cette dernière que le sénateur Oh parlait.Le Canada est un grand exportateur de moutarde. Même la moutarde de Dijon, que l’on importe de France, est fabriquée à partir de graines de moutarde qui proviennent du Canada.

Ma question ne concerne pas nécessairement la moutarde. On a entendu plusieurs groupes d’agriculteurs dans le cadre des réunions du comité. Ils font tous beaucoup d’efforts, mais ce qui leur manque, ce sont les technologies. Ils nous le disent.

Dans les universités de recherche comme Guelph, je ne sais pas si les technologies que vous développez peuvent être mises à la disposition des agriculteurs. La taxe sur le carbone devrait servir d’abord à la recherche pour permettre aux agriculteurs d’avoir des moyens à leur disposition pour éliminer le plus de carbone possible. C’est un peu comme le dit la chanson qui dit : « tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir ». Il y a une facture à payer en matière de réduction des GES. Qui va la payer, est-ce l’agriculteur, le consommateur ou l’ensemble de la société? C’est une question qu’on doit se poser. La recherche devient le moteur, mais les fruits de la recherche doivent être mis à la disposition de ceux qui cultivent la terre. C’est là qu’on ne fait pas le lien. Je pense qu’au cours des prochaines années, le lien devrait être fait entre la recherche et le transformateur, celui qui cultive la terre. Qui devra payer la facture? Est-ce les chercheurs, les universités, les agriculteurs, les consommateurs? C’est une autre question pour laquelle nous n’avons certainement pas de réponse ce matin.

J’ai une courte question à vous poser avant de passer la parole à la sénatrice Gagné. Les agriculteurs auront-ils accès aux résultats de vos recherches sous une forme quelconque une fois qu’elles seront publiées?

[Traduction]

Mme Wagner-Riddle : Je vous remercie de votre question et de la précision. Oui, je suis au courant du fait qu’on cultive de la moutarde et du colza. Je n’avais pas bien compris.

Oui, nous travaillons en étroite collaboration avec les organisations de producteurs. J’ai dirigé un vaste projet sur les émissions de gaz à effet de serre en agriculture, avec l’appui des Producteurs laitiers du Canada. Ils ont récemment publié, sur la page web de leur réseau, des feuillets, des fiches d’information simplifiées, sur les mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre conçues expressément pour les agriculteurs qui découlent directement de nos recherches.

Fertilisants Canada organise des webinaires. Ils sont venus récemment tourner une vidéo dans nos champs de recherche afin de transmettre activement l’information aux agriculteurs.

Je connais bien la réalité à la ferme. Encore une fois, je ne me prononcerai pas sur les mécanismes politiques, mais ils doivent être acceptés par les agriculteurs. Il serait vain de dire que chacun doit faire ceci ou cela et que s’il ne le fait pas, il devra payer plus. Toutes les organisations de producteurs nous appuient, mais elles se demandent combien tout cela va leur coûter. Nous irions de l’avant avec un programme à coûts partagés, qui serait assorti d’incitatifs et peut-être même de cibles chiffrées, parce que les programmes déployés jusqu’à maintenant sont excellents. Ce sont des programmes à participation volontaire, comme celui du plan environnemental à la ferme, mais bien souvent, ils ne sont pas assortis de beaucoup de paramètres chiffrés pour mesurer l’amélioration de la qualité de l’environnement. Selon moi, c’est une bonne chose. C’est bon aussi pour le secteur, parce que de grandes améliorations ont été faites, mais il est difficile d’annoncer quoi que ce soit tant qu’on n’a pas de chiffres précis.

[Français]

La sénatrice Gagné : C’était la question que je voulais poser.

[Traduction]

Madame Wagner-Riddle, je sais que vous avez publié une étude qui montre qu’on sous-estime de jusqu’à 28 p. 100 les émissions d’oxyde de diazote en agriculture dans le monde. Vous avez un laboratoire équipé pour mesurer ces émissions. Combien y a-t-il de laboratoires comme le vôtre au Canada et dans le monde? Avez-vous un réseau d’échange de connaissances et de recherche sur les émissions?

Mme Wagner-Riddle : L’étude à laquelle vous faites allusion se fondait sur les données tirées de notre champ de recherche à long terme et de celles provenant du champ de recherche à long terme de l’Université du Manitoba. Nous avons réussi à établir des liens et à faire une extrapolation à l’échelle de la planète pour démontrer cette sous-estimation.

Au Canada, il y a trois laboratoires outillés pour faire ce genre de mesures : le nôtre, celui du Manitoba et celui d’Agriculture Canada, à Ottawa. Il faut disposer d’équipement très spécialisé. Mais nous avons un réseau au Canada, dont le réseau 4R, dans le cadre d’un programme triennal que nous espérons voir renouvelé. Il a été créé dans le cadre de Cultivons l’avenir 2.

Il y a donc un réseau, mais il est un peu morcelé, parce que nous avons reçu du financement pendant trois ans, qui nous a permis de faire du réseautage, mais depuis que ce financement a cessé, nous continuons nos interactions de façon plus informelle. Les mesures de réduction des gaz à effet de serre pourraient donc vraiment gagner en visibilité s’il y avait une structure plus officielle mettant en lien les chercheurs d’Agriculture Canada avec les chercheurs des universités de partout au Canada.

[Français]

Le président : Madame Wagner-Riddle et monsieur Weersink, merci d’être venus témoigner à notre comité ce matin. Vos témoignages nous seront très utiles dans le cadre du dossier dont nous traitons en ce moment. Nous allons probablement communiquer avec vous de nouveau dans un proche avenir, soit avec vous ou avec vos collègues dans le domaine de la recherche et de l’agriculture, car l’Université de Guelph est renommée pour ses recherches agricoles. Vous avez pu constater l’intérêt des sénateurs dans ce dossier. Il est très important pour nous de connaître votre opinion et l’avancement des travaux scientifiques que vous faites pour l’agriculture. Merci infiniment, et bon retour!

(La séance est levée.)

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