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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 62 - Témoignages du 26 février 2019


OTTAWA, le mardi 26 février 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 33, pour examiner, en vue d’en faire rapport, les questions concernant l’agriculture et les forêts en général (sujet : l’appui et l’indemnisation aux secteurs agricoles soumis à la gestion de l’offre dans le cadre de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG).

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir. Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, présidente du comité.

Aujourd’hui, le comité étudie l’appui et l’indemnisation aux secteurs agricoles soumis à la gestion de l’offre dans le cadre de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG.

Avant de céder la parole à nos invités, les témoins, je demanderais aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.

La présidente : Il nous manque quelques personnes. Elles se joindront à nous quand elles le pourront. Nous sommes dans un nouvel édifice, et il faut un peu de temps pour trouver la pièce.

Deux nouveaux sénateurs se joignent à nous à titre de membres permanents du comité. Ils sont ici ce soir pour leur première séance. Je souhaite la bienvenue au sénateur Moodie, de l’Ontario, et au sénateur Kutcher, de la Nouvelle-Écosse, ma province voisine.

Nous recevons aujourd’hui le groupe de témoins suivant : M. Alain Bourbeau, directeur général des Producteurs de lait du Québec, M. Murray Sherk, président des Producteurs laitiers de l’Ontario, ainsi que M. Pierre Lampron, président, M. David Wiens, vice-président, et M. Dykstra, des Producteurs laitiers du Canada. Tous les poids lourds des Producteurs laitiers du Canada et de deux associations provinciales sont ici avec nous.

Avant de céder la parole aux témoins, je précise que deux témoins présenteront une déclaration préliminaire, qui sera suivie des questions des sénateurs. Nous verrons où nous en serons par rapport au temps, mais nous ferons de notre mieux pour respecter l’horaire. M. Lampron parlera en premier; il sera suivi de M. Wiens. La parole est à vous.

[Français]

Pierre Lampron, président, Les Producteurs laitiers du Canada : Merci et bonsoir. Au nom de tous les membres des Producteurs laitiers du Canada, nous sommes heureux d’offrir notre point de vue sur le soutien et l’indemnisation destinés aux secteurs soumis à la gestion de l’offre à la suite des récents accords commerciaux.

Comme plusieurs d’entre vous le savent, le secteur laitier apporte à l’économie canadienne une contribution constante. En 2015, l’apport du secteur au PIB s’élevait à 19,9 milliards de dollars, accompagnés de 3,8 milliards en recettes fiscales. De plus, le secteur laitier compte quelque 221 000 emplois à temps plein tout en fournissant aux Canadiens et aux Canadiennes un approvisionnement stable en produits frais, nutritifs et de haute qualité.

On ne saurait trop insister sur la valeur du secteur laitier pour le Canada rural. En effet, les producteurs et les transformateurs sont des piliers de leurs localités et de la création d’emplois. Le gouvernement fédéral a reconnu cette importance en créant le ministère du Développement économique rural. Le secteur laitier est bien placé pour faire avancer les objectifs du gouvernement, qui veut que les Canadiens tirent profit des énormes opportunités que représentent des économies et des collectivités rurales dynamiques. Notre secteur s’est toujours distingué par sa compétitivité et ses innovations.

Pour ce qui est des prix, je tiens à souligner que, contrairement à ce que certains témoins précédents ont pu soutenir, les consommateurs de nombreux autres pays, y compris les États-Unis et les membres de l’Union européenne, paient leur lait deux fois : une fois en subventions et une autre fois à la caisse. Bien que les marchés d’exportation semblent attrayants, ces mesures de soutien accordés dans d’autres pays font en sorte que les règles du jeu désavantagent nos produits. Au Canada, la gestion de l’offre permet aux producteurs laitiers de tirer des revenus relativement stables du marché intérieur, sans subventions gouvernementales directes.

Notre industrie a, depuis longtemps, fait sienne la cause de l’innovation. Les connaissances et les nouvelles technologies issues de nos recherches ont amélioré la productivité et allégé l’empreinte environnementale de notre secteur. Entre 2011 et 2016, selon une étude récente, la production moyenne d’une vache canadienne a augmenté de 12,8 p. 100. On s’attend à ce que cette productivité continue d’augmenter. Au cours de la même période, l’amélioration de la productivité et des aliments pour animaux a réduit de 7 p. 100 notre empreinte carbone, qui était déjà l’une des plus légères de la planète.

Les producteurs laitiers demeurent profondément attachés à cette culture de l’innovation. Ils s’apprêtent à poursuivre dans cette voie par l’utilisation accrue de nouvelles technologies comme la robotique, les drones et tout ce qui se fait en génétique. Toutefois, l’accès à ces innovations coûte cher et nécessitera le soutien du secteur financier. Les bailleurs de fonds hésitent devant l’incertitude créée par les accords commerciaux récents, conjugués avec la crainte de nouvelles concessions. Somme toute, c’est un système qui fonctionne et qui mérite d’être protégé pour le bien de tous les Canadiens et Canadiennes, mais les concessions cédées dans les récents accords commerciaux ouvrent une large brèche au sein de ce système.

[Traduction]

David Wiens, vice-président, Les Producteurs laitiers du Canada : Depuis 2016, le Canada a négocié trois accords commerciaux internationaux qui comprennent des concessions relatives au secteur laitier : l’AECG, le TPTGP et, plus récemment, l’ACEUM. Bien que l’ACEUM n’a pas encore été ratifié, tous ces accords pourraient entrer en vigueur simultanément, ce qui aurait, bien sûr, de graves répercussions sur le secteur laitier canadien.

Ces ententes empêcheront le secteur non seulement de croître, mais aussi de conserver sa part actuelle du marché, et ce, surtout dans les six premières années. En effet, c’est durant cette période que la majorité des concessions touchant l’accès au marché seront mises en œuvre et qu’on en ressentira l’effet sur la production intérieure et sur les niveaux de revenu attendus. Cette réalité mine la confiance des producteurs laitiers en l’avenir du secteur, particulièrement chez les jeunes agriculteurs; elle a également un effet sur la confiance des prêteurs qui ont investi parce qu’ils croyaient en la croissance du marché.

Selon les estimations des Producteurs laitiers du Canada, l’accès au marché combiné accordé en vertu de l’AECG, du PTPGP et de l’ACEUM représente une perte annuelle équivalente à 8,4 p. 100 de la production laitière au Canada. Cette perte se traduit par une baisse annuelle moyenne des revenus des agriculteurs s’élevant à environ 450 millions de dollars. Avec l’accès accordé actuellement en vertu de l’OMC, on estime que d’ici à 2024, les produits importés en franchise de droits occuperont 18 p. 100 du marché laitier intérieur du Canada.

Les concessions additionnelles faites dans le cadre de l’ACEUM, qui comprennent l’élimination de la classe 7, ainsi que l’imposition d’une surtaxe sur les exportations de poudre de lait écrémé, de concentrés de protéines de lait et de préparations pour nourrissons au-dessus d’un certain seuil, inquiètent beaucoup notre industrie.

Le gouvernement fédéral s’est engagé à verser une indemnisation entière et juste. La survie du secteur laitier à la suite des concessions octroyées dans les derniers accords commerciaux dépendra de cette indemnisation. Les producteurs laitiers avaient pour objectif de maintenir les taux d’importation précédents. L’indemnisation est la réponse du gouvernement aux concessions faites dans les accords commerciaux qui auront une incidence sur le secteur laitier.

Dans le cadre de l’engagement pris par le gouvernement en vue d’indemniser entièrement et justement les producteurs laitiers pour les répercussions des derniers accords commerciaux, Agriculture et Agroalimentaire Canada a annoncé la création d’un groupe de travail d’atténuation pour le secteur laitier. Les discussions portant sur l’inclusion de ce dossier dans le budget de 2019 sont toujours en cours, et les résultats n’ont pas encore été rendus publics.

[Français]

M. Lampron : En ce qui concerne les répercussions des accords commerciaux, nous pouvons faire trois observations. Premièrement, toute indemnisation pour les pertes des agriculteurs doit prendre la forme de paiements directs aux producteurs. Ces paiements doivent être versés dans les six premières années de la mise en œuvre, lorsque les répercussions des nouveaux accords commerciaux seront plus vivement ressenties.

Deuxièmement, dans le cas de l’ACEUM, les impacts supplémentaires de l’abolition de la classe 7 et de l’imposition d’une surtaxe sur certaines exportations sont plus difficiles à évaluer et pourraient être atténués partiellement par d’autres mesures, notamment le développement de marchés, les incitatifs fiscaux, et cetera. Plutôt que de conjecturer sur les pertes potentielles, les agriculteurs préfèrent constituer un nouveau groupe de travail. Celui-ci pourra examiner plus à fond les mesures gouvernementales et la mise en œuvre de mesures commerciales une fois que l’ACEUM aura été ratifié.

Enfin, compte tenu de l’augmentation prévue des importations découlant de ces accords commerciaux, il sera essentiel de donner à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) des ressources suffisantes pour appliquer adéquatement la réglementation et les normes canadiennes relatives aux importations des produits laitiers. En même temps, il sera essentiel que les importations portent une étiquette adéquate pour que les consommateurs canadiens puissent choisir leurs produits laitiers en fonction de leurs attentes.

Merci de votre intérêt. Nous espérons pouvoir compter sur votre appui.

Le sénateur Maltais : Bienvenue, messieurs. Bienvenue, monsieur Lampron. Cela me fait plaisir de vous voir ici. On ne peut pas poser toutes les questions qu’on voudrait, mais je vais me contenter de deux petits paragraphes.

Vous l’avez bien expliqué, les montants des pertes sont difficiles à calculer. Donc, vous aimeriez qu’un comité d’agriculteurs s’occupe de préparer les montants à recevoir en indemnités. Je crois que c’était la troisième de vos recommandations?

M. Lampron : J’aimerais quand même préciser ce que nous demandons. Un comité a été créé et il a fait une recommandation qui a été transmise au ministre de l’Agriculture. Toutefois, ce sont davantage les conséquences liées à la classe 7, soit les plafonds sur l’importation et tous ces détails qu’on ne connaît pas encore. On ne sait pas quels en seront les impacts sur les producteurs. On veut structurer l’industrie pour minimiser les impacts.

Le sénateur Maltais : D’abord. Je vais m’attarder maintenant au Guide alimentaire canadien. Je suis tombé par terre en apprenant que le Guide alimentaire canadien est « accouplé » avec le projet de loi S-228. Cela a été un coup de fusil en plein front pour les producteurs laitiers. Du jour au lendemain, le Guide alimentaire canadien vient nous dire — je suis de la génération qui a grandi en consommant du lait et du fromage, et je me porte assez bien; j’aurai 75 ans bientôt — que ce n’est pas bon et qu’on peut remplacer ces produits par des grains entiers. Mes petits-enfants ont grandi en consommant des produits laitiers. Aujourd’hui, on peut ajouter des yogourts et d’autres produits dérivés à base de lait. Je ne comprends pas pourquoi Santé Canada n’est pas allé plus loin dans ses consultations. Le ministère a sans doute consulté de grands spécialistes. Toutefois, ces spécialistes connaissent-ils la culture canadienne pour ce qui est des produits laitiers? Je me pose des questions. Là où le bât blesse, c’est dans le projet de loi S-228, où on dit que les produits laitiers sont mauvais pour la santé. Il y a quand même des limites. Depuis que la Terre existe, le lait nourrit les êtres humains. Je pense que vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que cela devrait être retiré de l’étiquetage des produits laitiers. Je crois que votre position est très claire. Elle devrait être plus ferme, parce que les Canadiens et les Canadiennes ne sont pas conscients des répercussions que cela entraîne. Si les gens voient la mention « mauvais pour la santé », ils éviteront de consommer des produits laitiers. Il faut être plus agressif pour informer les Canadiens et les Canadiennes sur le fait que le lait et les produits dérivés du lait sont excellents pour la santé. C’est le commentaire que je voulais exprimer. J’attends vos observations à ce sujet.

M. Lampron : Merci beaucoup de votre appui. Pour notre part, on croit évidemment beaucoup en nos produits laitiers. De plus en plus de recherches prouvent les bienfaits des produits laitiers et de ses matières grasses. On poursuivra nos efforts en ce sens. Le guide laisse quand même une place aux protéines laitières. On travaillera le plus possible en ce sens.

Le sénateur Maltais : Fabriquez-vous encore beaucoup de lait en poudre au Québec?

Alain Bourbeau, directeur général, Les Producteurs de lait du Québec : Oui, le Québec produit encore ce qu’on appelle de la poudre de lait écrémé. On en produit également partout au Canada.

Le sénateur Maltais : Le Canada exporte pour 28 millions de dollars de lait en poudre en Algérie. Est-ce uniquement du lait en poudre ou cela comprend-il aussi des produits laitiers dérivés?

M. Lampron : Le principal produit d’exportation du secteur laitier est assurément la poudre de lait écrémé.

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup de l’information.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Vous avez mentionné, durant votre exposé, que les accords commerciaux conclus avec l’Europe, les États-Unis et la région du Pacifique ouvriront environ 18 p. 10 du marché des produits laitiers à la concurrence étrangère. À quel point sera-t-il difficile pour l’industrie de se défendre contre cette triple attaque? Avez-vous un plan à long terme précis? Le Canada prévoit de conclure d’autres accords commerciaux. Qu’arrivera-t-il si la concurrence se fait encore plus grande? Le pourcentage pourrait-il monter jusqu’à 20 ou à 25? Pourriez-vous soutenir une telle concurrence? Quel est votre plan ou votre solution à long terme?

M. Wiens : Tout d’abord, je peux vous dire que l’ouverture attendue de 18 p. 100 du marché aux produits laitiers importés d’ici à 2024 aura des répercussions énormes sur notre industrie. Bien entendu, nous prévoyons toujours une croissance intérieure, mais cette croissance sera limitée par tous les nouveaux produits importés. La question est de savoir jusqu’où on peut aller. C’est ce que nous avons beaucoup de difficulté à déterminer. Bien sûr, le gouvernement s’est engagé à mettre sur pied un groupe de travail tourné vers l’avenir. Ce groupe tentera de trouver les meilleures façons de nous préparer pour l’avenir, en tenant compte de l’accès déjà donné. Nous croyons certainement qu’il serait dangereux d’élargir davantage l’accès accordé dans des négociations commerciales futures. À nos yeux, cela demeure une préoccupation.

Murray Sherk, président, Producteurs laitiers de l’Ontario : Merci de la question. Elle nous pousse à nous demander s’il existe ailleurs dans le monde des systèmes qui fonctionnent bien, mis à part celui de la gestion de l’offre, et sans équivoque, la réponse est non. Aux États-Unis, en Union européenne et partout dans le monde, la surproduction est un problème chronique. Dans la majorité des cas, le système désavantage les producteurs agricoles indépendants, qui obtiennent de faibles rendements. Au cours de la dernière année, je me suis rendu aux États-Unis huit fois pour parler à des producteurs laitiers américains qui voulaient en savoir davantage sur d’autres systèmes.

Le système canadien équilibre l’offre et la demande; il fournit des produits fiables et de qualité aux consommateurs canadiens, à des prix raisonnables; et il permet aux agriculteurs d’obtenir des rendements équitables. À notre avis, c’est un système qui fonctionne bien. C’est certainement très frustrant de voir les accords commerciaux éroder notre marché, parce qu’au bout du compte, comme Pierre l’a déjà dit, les consommateurs paient nos produits une seule fois. L’industrie laitière ne reçoit pas de subventions ou d’autres formes de mesures de stabilisation. C’est pour cette raison que nous sommes d’avis que le système canadien fonctionne bien.

En fait, nous avons un peu réinventé notre système dans les dernières années, au moyen de la stratégie des ingrédients, dans le but d’en améliorer la durabilité. Nous avons réussi à accomplir cela et nous allons continuer à chercher des façons d’évoluer pour répondre aux besoins de la population canadienne.

Le sénateur Doyle : Le gouvernement fédéral a versé environ 250 millions de dollars pour venir en aide aux producteurs laitiers lorsque l’AECG a été conclu. Les producteurs laitiers tirent-ils parti de ces fonds? On a l’impression qu’aux États-Unis, un grand nombre de producteurs agricoles reçoivent des subventions en plus des ententes d’indemnisation liées aux accords de libre-échange. Vous faudrait-il quelque chose comme cela, non seulement des subventions agricoles, mais peut-être aussi quelque chose de plus que l’indemnisation que vous recevez actuellement, dans une faible mesure? Comprenez-vous ce que je veux dire?

Reint-Jan Dykstra, vice-président, Les Producteurs laitiers du Canada : Merci pour votre très bonne question. Le fait est que nous ne voulons pas de subventions; ce que nous voulons, c’est que l’économie soit axée sur le marché. Or, quand le gouvernement fait des concessions d’une telle ampleur, c’est sûr qu’il y a des conséquences.

Je me promène avec cette réponse depuis quelque temps, depuis le début de l’AECG. Les concessions faites dans le cadre de l’AECG équivalent à la production totale du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve. Le TPTGP a suivi peu après, avec l’équivalent de la production combinée de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard. Il y eut ensuite l’ACEUM, qui équivaut à la production de la Saskatchewan. Nous avons perdu l’équivalent de 1 000 producteurs au profit de la concurrence. C’est irremplaçable.

Ce ne sont pas des subventions que nous voulons, ce sont des mesures d’atténuation. C’est de cela que nous parlons tous. Nous ne voulons pas de subventions à long terme; nous cherchons des mesures à court terme qui nous aideront à atténuer les répercussions des ententes qui nous ont été imposées.

[Français]

M. Bourbeau : J’aimerais souligner que l’approche par subventions aux États-Unis est vraiment le mode de fonctionnement qu’ils ont choisi. Il faut comprendre que tous les pays développés ont des politiques agricoles différentes. Les États-Unis interviennent dans le secteur de l’agriculture par le Farm Bill, l’Union européenne le fait par sa politique agricole commune, le Canada le fait par la gestion de l’offre et d’autres politiques. Les Américains ont choisi d’y aller avec des subventions. Or, ce n’est pas ce que nous voulons. Les subventions qui ont été octroyées pour les projets sont en lien direct avec une concession que notre pays a choisi de faire à sa politique agricole. De manière globale, cette politique agricole demeure viable dans les circonstances que l’on connaît.

J’aimerais revenir à votre question sur le plan B, car on se la fait souvent poser. Qu’arriverait-il au secteur laitier sans la gestion de l’offre? Il faut comprendre que l’agriculture est un choix de société. Nous avons besoin de toutes les agricultures du monde pour nourrir la planète. La gestion de l’offre est une politique pertinente dans le contexte canadien. Au Canada, nous avons un climat qui nous est propre, une population et des valeurs canadiennes. Cette politique est cohérente avec les choix qui ont été faits au fil des ans. Si on choisissait de l’abolir, un autre choix de société s’imposerait : accepte-t-on d’être nourris par une autre agriculture que celle du Canada ou non? Les autres pays ont des politiques agricoles. Si leurs produits se rendent ici, c’est parce que leurs politiques agricoles sont plus compétitives que la nôtre. C’est un choix de société qu’on devra faire si on est confronté à ce plan B.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, messieurs, d’être ici aujourd’hui. Je vais vous poser des questions plus précises. Je suis curieuse de savoir ce que contiendrait un éventuel accord avec le gouvernement fédéral. Vous parlez de 450 millions de dollars de pertes par année pour l’industrie laitière. Est-ce ce que vous demandez par année en paiements directs aux producteurs? Comment voulez-vous que ces paiements soient effectués? Parle-t-on de paiements proportionnels à l’importance de la ferme et aux quotas de lait? J’imagine que vous avez déjà dû diviser ce chiffre par province, selon l’importance de l’industrie. J’aimerais avoir plus de détails sur ce que vous demandez.

M. Bourbeau : Vous posez deux questions. La première concerne les 450 millions de dollars. Ce n’est pas de ce chiffre dont on parle. Comme on l’a mentionné, il y a plus de nuances dans la demande. Pour ce qui est de la première question sur les chiffres, on n’ira pas dans cette direction ce soir. Par contre, la modalité de versement est évoquée dans notre présentation. Pour que cette compensation rejoigne tous les producteurs canadiens, la base la plus équitable est d’y aller en fonction des parts de production qu’ils détiennent — et ils le font déjà. Il y aurait alors une équité à travers tout le pays et pour tous les producteurs en vue d’exécuter d’éventuelles mesures de paiements directs.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce serait donc une mesure plus équitable que celle de l’investissement. J’aimerais savoir si vous avez une série de principes qui devraient guider cette question de compensations. On a entendu les producteurs d’œufs, de poulet, de dindon. Ils avaient des principes de base sur la direction qu’ils souhaitent prendre. Une de leurs demandes d’aide concernait le développement des marchés.

J’aimerais savoir si, au-delà de cette compensation directe aux producteurs, vous avez émis une série de critères ou de principes qui devraient guider le gouvernement dans l’octroi de ce qu’on a appelé une compensation juste, telle que promise par le premier ministre.

M. Lampron : L’aide se divise en deux parties. Nous maintenons qu’une partie devra se faire sous la forme de compensations directes aux producteurs. On ne veut pas de programme d’investissement ou autre. Les producteurs ont investi au cours des dernières années et certains s’apprêtent à le faire. Les producteurs savent quoi faire avec l’argent et sauront comment bien le dépenser. Certains choisiront de réduire leurs dettes. Chaque producteur au Canada doit être compensé équitablement. On a mentionné un autre groupe de travail où on parlera des mesures d’atténuation. Vous savez, nous avons une grosse industrie laitière au Canada et il est question de gros montants. On veut trouver des moyens.

On a un peu parlé de crédits d’impôt. On a besoin également de renforcer nos frontières et de personnel. Il y a un tas de sujets dont on veut traiter dans ce groupe de travail.

La sénatrice Miville-Dechêne : Le sénateur Maltais parlait du Guide alimentaire canadien. Ma réaction a été un peu différente, dans la mesure où j’ai trouvé adéquat et bienvenu le fait que vous avez eu une réaction modérée, plutôt que de vous déchirer la chemise en public. Il y avait un pot de yogourt et, oui, c’était moins qu’avant, mais j’ai trouvé que votre réaction correspondait au fait que la société change. Les protéines animales et végétales doivent se partager l’assiette.

J’aimerais vous entendre sur la façon dont vous avez évalué votre façon de réagir. J’aimerais aussi entendre vos commentaires sur les indications à l’effet que, pour les personnes âgées, la protéine animale, aux dires de certains diététistes, est plus importante que pour les autres. Voilà peut-être une voie à suivre pour les producteurs laitiers.

M. Lampron : Je vais commencer par répondre, et mes collègues pourront se joindre à moi, au sujet du guide alimentaire. Nous avons notre produit et notre production. On y croit et on travaille fort pour offrir des produits de qualité. On devrait donc laisser parler les spécialistes. On a fait de la recherche et l’approche qu’on a décidé d’adopter est de laisser parler les spécialistes. Toutefois, on est un peu juge et partie. Bien sûr, j’ai un parti pris pour notre production, car j’y crois. Les études prouvent de plus en plus ce que vous avez mentionné en ce qui a trait aux personnes âgées. C’est vraiment la science qui fera valoir ces arguments. On doit de plus en plus faire connaître ces études aux consommateurs. Notre travail sera de valoriser notre produit.

M. Bourbeau : Effectivement, il y a une disponibilité de nutriments avec le mariage des différentes cultures alimentaires qui nous rejoignent. L’éducation et la compréhension quant à ce qu’on mange sont très importantes. Les protéines ne sont pas toutes similaires. Par exemple, les protéines laitières sont beaucoup plus complètes en termes d’acides aminés nécessaires au renouvellement des tissus humains. C’est le genre d’élément qui est un peu pointu, mais il est important de le faire comprendre également à la population. Il y a de la place pour d’autres éléments, mais les protéines laitières notamment se distinguent à maints égards.

Le lait est un aliment que la vie a conçu pour nourrir la vie. On y retrouve plein de nutriments qui, quand ils agissent les uns avec les autres, ont également des effets. On ne doit pas regarder l’alimentation avec trois paires de lunettes et dire qu’il y a du gras, du sel et du sucre. C’est là une vision très réductrice de la nutrition. Il y a des éléments synergiques à prendre en compte. Dans l’approche préconisée actuellement, avec les mises en garde, ce regard global a été beaucoup trop mis de côté. Il doit y avoir un resserrement par rapport à cet aspect.

[Traduction]

M. Sherk : Pour le dire simplement, je pense que notre société essaie de simplifier des choses très complexes. L’étiquetage en est un exemple; on transforme certains aliments en produits malsains, alors qu’ils ne le sont pas nécessairement. Le lait contient une grande quantité de nutriments qui s’unissent pour former un tout très nutritif, dans un format dense facile à consommer. C’est un défi qui ne touche pas seulement le guide alimentaire, mais l’ensemble de la société. Nous avons accès à tellement d’information, et en tentant de tout simplifier, nous perdons parfois des détails comme les qualités nutritives des produits laitiers.

La présidente : Merci.

Le sénateur C. Deacon : Merci de votre exposé. Je pense que je mange encore plus de produits laitiers que le sénateur Maltais. J’aime beaucoup les produits laitiers, et il n’y a pas une journée où je n’en consomme pas sous plusieurs différentes formes.

Je tiens à préciser que le projet de loi S-228 ne vise pas à étiqueter des produits comme étant malsains, mais bien à limiter la publicité. C’est important de le rappeler. Le projet de loi est souvent mal compris, et il y a beaucoup de désinformation à son sujet.

Nous en avons beaucoup à apprendre sur la sécurité alimentaire — je pense que M. Dykstra le sait autant que les autres —; nous pouvons tirer de nombreuses leçons des Néerlandais. C’est important d’en tenir compte dans le contexte des accords commerciaux.

Comme ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, je m’intéresse aux types d’indemnisation. Vous avez dit que l’indemnisation devait prendre la forme de paiements directs aux producteurs. Je viens du milieu des entreprises de technologie en démarrage. Dans ce milieu, l’innovation a transformé notre façon de faire; elle a transformé notre efficacité et notre rentabilité, ainsi que tout ce que nous faisons. Je crois fermement aux investissements et à l’innovation. Je veux donc vous entendre à ce sujet. Je veux aussi comprendre le problème posé par l’élimination de la classe 7 relativement aux nouveaux produits et à l’innovation. Peut-être pouvez-vous nous aider à comprendre. C’est une question très précise.

Je veux regarder au-delà de la possibilité de verser simplement des paiements aux producteurs, pour voir comment nous pouvons renforcer l’industrie. Les producteurs agricoles canadiens doivent être heureux et en santé; notre vitalité en dépend. Je veux donc examiner la question sous cet angle. Y a-t-il des secteurs dans lesquels nous pourrions gagner de nouvelles parts du marché, au moyen de nouveaux produits ou autres? Je veux me pencher sur les investissements et sur la durabilité de l’industrie. Il ne suffit pas d’indemniser les agriculteurs pour leurs pertes de parts du marché; cela me semble une stratégie à court terme. C’est comme donner un chèque de 1 000 $ aux citoyens de sa province au lieu d’investir dans un projet qui pourrait rapporter des bénéfices sur de nombreuses années.

Pouvez-vous nous parler un peu de cela? J’ai des préoccupations à ce sujet, et j’aimerais aussi comprendre la situation entourant la classe 7 et l’innovation et les nouveaux produits.

[Français]

M. Lampron : Bien sûr, nous avons des compensations, mais ce n’est pas tout ce que veulent les producteurs. Après trois accords, un après l’autre, à un certain moment les producteurs en ont assez. Je suis d’accord avec vous. En tant que président, je veux donner de l’espoir et dynamiser les gens. Il y a eu beaucoup d’innovation en production laitière et beaucoup d’investissements, au cours des dernières années, pour répondre à la demande et au bien-être animal.

[Traduction]

M. Sherk : Je vais parler de l’innovation et je vais demander à Alain de donner de l’information sur la classe 7. Je tiens à préciser encore une fois que la stabilité de notre système permet aux producteurs d’innover. Lorsqu’ils veulent obtenir un prêt et la banque leur demande leurs prévisions de flux de trésorerie ou leur budget, ils peuvent recevoir le prêt demandé grâce à la certitude qui entoure leur budget. Le prêt ainsi obtenu leur permet de faire des investissements. Tout cela est possible grâce à notre système. À de nombreux endroits ailleurs dans le monde, les prix fluctuent énormément; l’incertitude liée aux flux de trésorerie cause beaucoup de gaspillage et freine l’innovation. C’est le fondement de notre système, en quelque sorte.

Par exemple, si vous comparez le Canada et les États-Unis, en pourcentage, le Canada a installé beaucoup plus de systèmes de traite automatisés que les États-Unis. C’est dû en partie au fait que la certitude entourant les rendements nous permet de faire des investissements.

M. Wiens : Évidemment, l’innovation est très importante. Elle se fait dans les exploitations agricoles partout au pays. La classe 7 favorisait aussi l’innovation dans le secteur de la transformation.

Sur le plan de la production de matière grasse butyrique, tout pays qui répond aux besoins du marché en produits laitiers produit un surplus de SNG ou de protéine. L’endroit où vous êtes n’a aucune importance; les producteurs laitiers partout au pays se trouvent dans une situation semblable.

La classe 7 créait des possibilités et elle encourageait les transformateurs à cibler certains de ces marchés. Or, cela voulait aussi dire que les transformateurs allaient investir, et ils le faisaient. Maintenant, on attend de voir comment le nouveau régime va fonctionner.

Toutefois, il y a certainement de l’innovation, et ce, dans de nombreux secteurs. Dans le domaine de la génétique, par exemple, les 10 meilleurs géniteurs viennent du Canada. Cela vous en dit long sur ce que l’industrie canadienne accomplit depuis de nombreuses années.

C’est en partie grâce au fait que nous partions sur des bases solides. Les agriculteurs étaient en mesure de se pencher sur la génétique et de créer ce genre d’industrie. C’était en quelque sorte une industrie secondaire, mais nos deux industries se complètent. Nous espérons que la même chose se produira aussi dans d’autres secteurs.

Comme on l’a déjà dit, les investissements qui ont été faits dans les exploitations agricoles... On parle souvent du système de traite automatisé. Dans ma province, par exemple, au Manitoba, ce système est déjà installé dans plus de 30 p. 100 des exploitations. Il existe de pareils exemples partout au Canada, dans diverses parties des exploitations agricoles. Nous aimerions maintenant voir davantage d’exemples d’innovation dans le domaine de la transformation.

Une des difficultés, c’est que toutes les exploitations agricoles se trouvent à différentes étapes de leur cycle de vie. Il y a de jeunes agriculteurs qui ne font que commencer; ils ont de la difficulté à lancer leur exploitation, et il leur faudra quelques années pour y arriver. D’autres agriculteurs viennent d’investir des sommes importantes dans leur exploitation et ils doivent maintenant tenir compte de leurs dettes. D’autres encore songent à faire de tels investissements. On ne peut donc pas traiter tous les agriculteurs exactement de la même façon en raison des différentes étapes du cycle de vie auxquelles se trouvent les exploitations partout au pays.

Le sénateur C. Deacon : J’aimerais savoir ce qui sera permis, d’après vous. Je suis très fier des produits laitiers canadiens et de la qualité de notre industrie. J’adore les publicités que vous avez en ce moment qui abordent le sujet avec humour. Je me demande s’il est possible d’utiliser l’étiquetage pour bien différencier les produits du Canada des produits provenant d’autres pays. À mon avis, les Canadiens trouvent très important de savoir que le produit laitier qu’ils achètent est canadien. Ils veulent que ce soit très clair. S’ils achètent un produit laitier américain, c’est important que ce soit évident et qu’ils le sachent. Avez-vous des préoccupations à ce sujet? La distinction est-elle suffisamment facile à faire?

[Français]

M. Bourbeau : Il y a certaines mesures en matière d’étiquetage. En ce moment, il n’y a pas de mesures obligatoires pour indiquer la provenance des ingrédients laitiers. Il n’y a pas de réglementation qui force à indiquer la provenance des ingrédients dans un produit. Lorsqu’un produit est importé, il y a une obligation d’informer le consommateur. Lorsque des produits contiennent des ingrédients importés, le consommateur n’en est pas obligatoirement informé. Nous souhaitons que le consommateur puisse être informé de la provenance des ingrédients et dans quelles conditions ils sont produits, afin qu’il puisse prendre une décision éclairée. Ce n’est pas une mesure de protection. C’est une mesure d’information. Si un consommateur décide de choisir un produit qui est conçu avec des ingrédients d’ici parce que le système de production correspond à ses valeurs, c’est un atout pour le secteur de l’agriculture.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup de la précision.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Monsieur Lampron, selon un témoin qui a comparu devant notre comité la semaine dernière, certains éléments de la gestion de l’offre en vigueur au Canada ont des effets négatifs sur l’industrie agricole et nuisent à la compétitivité nécessaire à une industrie qui souhaite innover. J’aimerais entendre vos observations à ce sujet. Avez-vous une réflexion à partager sur cette affirmation?

M. Lampron : C’est sûrement quelqu’un qui ne vit pas à la campagne. Il y a beaucoup de nouveaux produits d’innovation. La nouvelle classe 7 est une belle innovation qui encourage les industriels à trouver de nouveaux produits. Les producteurs sur le terrain, dans le champ, doivent pouvoir compter sur la gestion de l’offre. M. Sherk l’a expliqué plus tôt. C’est avec la stabilité qu’on peut innover. Il y a plein d’exemples. Alain, je pense que tu as examiné cette question. Il y a eu beaucoup d’innovation dans l’industrie laitière au cours des dernières années. On veut continuer sur cette lancée, avec la robotique, notamment.

M. Bourbeau : J’ai eu l’occasion de partager une tribune avec le témoin en question et d’avoir certains échanges d’idées. Lorsqu’on lui demande d’aller plus loin pour démontrer ses affirmations, malheureusement, il est incapable de les appuyer par des exemples concrets. Si notre industrie n’était pas capable d’innover, on ne se retrouverait pas parmi les leaders mondiaux dans plusieurs domaines. Par exemple, le Canada produit de 1 à 2 p. 100 de la production laitière mondiale. On détient environ 20 p. 100 du marché mondial de la génétique, et ce n’est pas par hasard. On fait de la sélection génétique plus rapidement avec de meilleures stratégies. On a de meilleures équipes. Si nos producteurs sont capables d’améliorer de façon continue leurs résultats en génétique, c’est parce qu’ils ont un horizon de prévisibilité en termes de revenus et de stabilité. Cela permet de faire une meilleure planification et d’investir dans des technologies à plus long terme. Cet exemple de la génétique montre à quel point notre industrie est capable de faire des progrès. Quand on donne ce genre d’exemples, le témoin en question ne montre pas beaucoup d’écoute.

Le sénateur Dagenais : Si cela peut vous sécuriser, il n’est pas agriculteur.

Maintenant, parlons de l’ouverture au marché des États-Unis dans le cadre de l’ACEUM. M. Trump dit que c’est un bon accord. M. Trudeau prétend qu’on n’a rien perdu. Je n’en suis pas sûr. Pouvez-vous donner des exemples des principaux produits américains qui seront offerts aux consommateurs canadiens, et pourquoi les consommateurs canadiens les achèteraient-ils par rapport aux produits canadiens similaires, si cela devait arriver?

M. Lampron : Comme vous l’avez dit, selon M. Trudeau, c’est une bonne entente, mais un secteur a été sacrifié et c’est celui des produits laitiers. Il y a beaucoup de produits américains qui sont entrés dans différentes classes, et c’est pour cette raison qu’on demande que l’étiquetage soit clair et qu’on veut faire la promotion du petit logo de la vache bleue. Plus tôt, on a fait référence aux promotions. On veut que le consommateur soit capable de l’identifier. Cela fait partie des prochains travaux de notre comité. On ne peut pas être sûr que le consommateur veut des produits américains, mais il doit être capable de bien les identifier. Cela fait partie des mesures d’atténuation. Si le consommateur n’est pas en mesure de trouver ces informations et qu’elles sont camouflées un peu partout, cela nous affectera davantage.

M. Bourbeau : Selon certaines dispositions contenues dans l’accord, une grande partie de ces importations — une quinzaine de produits laitiers sont prévus dans l’accord — peuvent être utilisées pour la transformation secondaire. Donc, ils ne seront pas vendus directement sur les tablettes, mais par l’intermédiaire de la fabrication d’autres produits alimentaires, d’où l’importance de ma remarque précédente. Si on veut que les consommateurs canadiens puissent choisir leurs produits en toute connaissance de cause, il est important qu’ils soient au courant de la provenance des ingrédients qui se trouvent dans les aliments.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Lampron, au début de votre intervention, vous avez affirmé que le secteur des produits laitiers a été sacrifié par rapport à d’autres secteurs. Est-ce que je dois comprendre que c’est par rapport au secteur de l’automobile?

M. Lampron : Je ne veux pas me mêler de ce débat.

Le sénateur Dagenais : C’était juste une suggestion que je vous faisais.

M. Lampron : Tout ce que je comprends, c’est que nous avons été affectés. Les autres domaines sont en mesure de se défendre.

Le sénateur Dagenais : Remarquez que c’est moi qui l’ai dit.

M. Bourbeau : C’est l’ensemble de l’économie canadienne.

[Traduction]

M. Dykstra : J’aimerais revenir sur une des questions concernant l’étiquetage. C’est lié à une des recommandations que Pierre et Dave ont faites dans leur déclaration préliminaire : l’ACIA et l’ASFC ont besoin de financement adéquat. Durant des années, nous nous sommes battus — l’ACIA et l’ASFC —, pendant que des produits traversaient la frontière ni vu ni connu. Quand je vais aux États-Unis, je dois jeter ma pomme ou mon orange cultivée aux États-Unis, et je dois la jeter du côté canadien parce qu’ils ne veulent pas que le fruit retourne dans le pays. Or, nous ne faisons rien lorsque les produits voyagent dans l’autre direction. C’est pour cette raison qu’il faut financer adéquatement l’ACIA. De plus, l’ASFC doit être habilitée à vérifier les chargements qui franchissent la frontière.

Le sénateur Mercer : En ce qui a trait à la question de l’ACIA dont nous venons de discuter, on n’a qu’à songer à la volaille de réforme. Les Américains ont réussi à exporter 125 ou 135 p. 100 de leur production de volaille de réforme. Ils ont fait une bonne affaire.

Je suis un ardent défenseur de la gestion de l’offre depuis toujours et je me suis fait entendre clairement à ce sujet. Je crains que nous en soyons rendus à une étape où ces accords ont scindé une partie de votre marché.

Cependant, je veux parler des possibilités. Nous nous plaignons de ce qui s’est passé, mais il faut aussi parler des possibilités. Ces accords n’ont-ils pas créé des occasions au sein du marché ouvert? Les Néo-Zélandais vivent bien depuis des années; ils ne consomment pas tout le lait qu’ils produisent, mais exportent la poudre de lait. Ne devrions-nous pas travailler à cela?

Je crois que certains agriculteurs américains songent au succès de la gestion de l’offre et à la surproduction dans certaines parties des États-Unis, où l’on jette le lait parce qu’on en produit trop et qu’on n’arrive pas à le vendre, et qu’ils aimeraient beaucoup qu’on mette en place un système de gestion de l’offre. Comme nous le savons, les Américains ne nous disent pas nécessairement la vérité en ce qui a trait aux subventions agricoles. Comme je le dis toujours, l’équipement le plus important des fermes américaines, c’est la boîte aux lettres. C’est par là qu’arrivent les chèques du gouvernement.

Récemment, nous avons entendu deux témoins qui ont parlé de la Commission européenne. Ils nous ont dit que plus de 30 p. 100 du budget de l’Union européenne était consacré aux subventions agricoles... Trente pour cent et plus. Ce n’est pas seulement pour l’industrie laitière. Cela comprend tout, jusqu’au verre de vin que vous boirez ce soir. S’il est français ou italien, il est subventionné par l’entremise de la Commission européenne.

Tous ces éléments jouent contre nous, mais nos agriculteurs sont aussi parmi les meilleurs au monde. Ils sont résilients et ont réussi à développer un système qui fonctionne pour nous et qui permet aux producteurs laitiers de réussir.

Quelles sont les possibilités? Est-ce qu’il y en a? Si oui, y a-t-il des mesures que le gouvernement doit prendre pour aider à commercialiser ces possibilités ou doit-il se tasser du chemin? Nous avons parlé de la capacité de l’ACIA à ne pas exercer un trop grand contrôle sur le système. Si nous renonçons à un pourcentage de notre marché, je me demande qui en prendra la mesure. Si l’on n’arrive pas à savoir que les Américains vendent 125 p. 100 de leur volaille de réforme, comment saura-t-on qu’ils n’expédient pas plus de produits laitiers au Canada que ce que permet l’accord?

M. Wiens : Je vais commencer par placer le commerce mondial des produits laitiers en contexte. Au total, 8 p. 100 de la production laitière du monde est exportée; c’est donc une question internationale. La plupart des pays exportent les 7, 8 ou 10 p. 100 restants de leur production. La Nouvelle-Zélande est le seul pays au monde à faire le contraire. Je crois que c’est l’un des problèmes avec le marché de l’exportation, parce que certains joueurs comme les États-Unis et l’Union européenne ont de nombreux programmes visent à appuyer les prix. Le prix mondial ne reflète pas réellement le coût de production. La situation demeurera extrêmement difficile tant que cela ne changera pas.

Ce que nous avons constaté avec l’exportation des protéines et les catégories de protéine concurrentielles, c’est que les transformateurs trouvaient des occasions dans d’autres marchés. Je crois qu’à l’avenir nous verrons plus de composants du lait très spécialisés, peut-être pas les produits laitiers tels que nous les connaissons aujourd’hui, mais plutôt des composants du lait. Je crois que c’est là que se trouveront les possibilités.

M. Sherk : Je suis d’accord avec une bonne partie de ce que vous avez dit, mais en ce qui a trait aux mesures à prendre, les accords commerciaux sont ce qu’ils sont. Les gouvernements peuvent aider et nous pouvons établir des partenariats avec les transformateurs, les producteurs et gouvernements pour tenter de créer des produits novateurs et d’assurer la transformation et la production dans l’ensemble du pays. Il n’est peut-être même pas question de financement, mais bien de coordination de l’innovation; il faut prendre ces idées et les amener jusqu’au marché. Il se passe beaucoup de choses et je crois qu’il faut avoir une vision positive de l’avenir et découvrir les possibilités qui s’offrent à nous.

[Français]

M. Bourbeau : J’aimerais rappeler que nous sommes des producteurs de lait. Nous ne transformons pas notre produit. Par contre, avec le lait que l’on produit, on est capable de répondre à des cahiers de charge. Il y a du lait avec un cahier de charge sur les pratiques biologiques, à l’herbe, pour faire différents profils laitiers. Là aussi, il y a un potentiel d’innovation. S’il y a une demande, on est tout à fait capable de s’ajuster et de répondre. On le fait déjà. Là aussi, il y a un potentiel. Nous sommes des producteurs des laits, et non des transformateurs laitiers. Le groupe que vous allez rencontrer tout à l’heure pourra sûrement discuter de ces enjeux-là.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Nous vous remercions pour vos déclarations claires et réfléchies. Je comprends que vous souhaitez miser sur les réussites et passer à une nouvelle dimension.

J’aimerais vous poser deux questions, très rapidement, sur les commentaires faits par M. Lampron et auxquels M. Sherk a répondu en partie. Quels sont les facteurs — et je ne parle pas des détails, mais bien des facteurs — qui ont orienté les innovations faites par l’industrie au cours des 10 dernières années? Je crois que la stabilité est un facteur important. Quels sont les autres facteurs qui favorisent l’innovation?

M. Sherk : C’est là que l’onconstate qu’il est bon d’avoir nos partenaires de la transformation derrière nous. La collaboration au sein de l’industrie est le moteur de l’initiative relative à la classe 7, qu’on appelle la stratégie sur les ingrédients. Les transformateurs et les producteurs se sont réunis et se sont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour améliorer l’industrie. Nous devons faire cela jusqu’à la base de consommateurs également.

M. Dykstra : Ce qu’on oublie souvent aussi dans la gestion de l’offre, c’est la concurrence. La concurrence est très forte parmi les producteurs. Nous ne sommes pas là à ne rien faire en espérant le meilleur. Non, nous nous battons bec et ongles, nous nous rendons dans les cafés, puis nous nous battons encore ailleurs. On l’oublie souvent. On pense toujours que les contingents sont coulés dans le béton. Ce n’est pas le cas. Si je peux vendre mon produit 5 cents moins cher que mon voisin, ce sera tant mieux pour moi. C’est ainsi que l’industrie survit et qu’elle innove.

[Français]

M. Bourbeau : Comme producteurs laitiers, nous sommes des milliers de très petites entreprises. Dans l’industrie, une entreprise aura des fonctions de recherche et développement, de mise à l’échelle, de commercialisation et ainsi de suite. Nos fermes individuelles n’ont pas la taille requise pour se doter de ces outils. Le facteur qui a facilité l’innovation est la capacité que l’État nous a donnée pour favoriser le transfert technologique et la recherche. La recherche est une fonction à très haut risque. Il y a un risque de trouver ou ne pas trouver.

Or, au cours de la dernière décennie, la recherche des équilibres budgétaires a beaucoup affaibli les capacités de recherche fondamentale et de transfert technologique à l’échelle des fermes. Les centres d’expertise comme ceux qui se trouvent au Québec et la vulgarisation par des professionnels neutres qui ne sont pas des vendeurs d’intrants sont des facteurs qui favorisent l’innovation et l’amélioration de la productivité. Ce sont des axes très importants : le soutien à la recherche, le soutien au transfert technologique, la formation et l’éducation.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Merci. Je comprends.

La sénatrice Moodie : Nous vous remercions de nous avoir présenté des exposés très clairs et de nous faire réfléchir.

Ma question est un peu plus poussée et porte sur la recherche: sur la divulgation complète. Je suis pédiatre; je sais qu’un corps de recherche soulève des questions sur les produits laitiers chez les jeunes enfants. C’est bien réel et la recherche est de plus en plus importante à ce sujet.

Aussi, comme vous l’avez dit, il y a un changement dans les préférences de la société, auquel vous faites face. Non seulement y a-t-il des défis externes — associés aux parts du marché, aux accords internationaux et ainsi de suite — qui entraîne certaines conséquences, mais la population change ses habitudes également. Les fournisseurs de soins de santé disent que ce ne sont pas nécessairement les meilleurs aliments et il y a aussi le Guide alimentaire canadien. Vous devez donc faire face à ce défi.

À vous entendre parler des défis et des possibilités, je comprends que l’innovation est peut-être la solution. Alors que nous parlons de solutions — de subventions et autres —, je me demande quels sont les efforts déployés par l’industrie pour appuyer la recherche. Le soutien financier dont vous parlez diminue. Est-ce que l’industrie a songé à faire du lobbying et de la sensibilisation? Est-ce que cela fait partie de votre demande? Certains des défis systémiques auxquels vous devez faire face dépassent la simple concurrence entre les fournisseurs et les divers intervenants de l’industrie.

[Français]

M. Lampron : On va évidemment miser sur la recherche et l’innovation. On le fait déjà beaucoup. Il faut comprendre que beaucoup de travail se fait dans toutes les grappes laitières, tant nationales que provinciales. Comme groupe de gestion de l’offre, on essaie de coordonner tout cela.

[Traduction]

La sénatrice Moodie : Pourriez-vous répéter? Nous n’avons pas bien entendu.

M. Lampron : Je peux demander à mon collègue, David, de vous en parler.

M. Wiens : Oui, merci. Nous investissons déjà des millions de dollars dans la recherche chaque année, tant en ce qui a trait à la santé et à la nutrition qu’en ce qui a trait à la production laitière sur la ferme. Nous continuerons de le faire. Nous comprenons que la recherche est très importante pour notre avenir. Elle se fait aux échelons national et provincial.

L’innovation est propulsée par la recherche. Il faut d’abord nous demander comment nous pouvons faire mieux sur la ferme ou pour la production des vaches, sur le plan de l’alimentation et de la génétique. En ce qui a trait aux équipements, il faut se demander comment améliorer le confort des vaches, par exemple. Tout cela améliore la production

On se centre beaucoup sur la santé humaine également. La recherche est prometteuse. Nous ne nous limitons pas à la recherche faite au Canada: nous étudions aussi ce qui se passe ailleurs dans le monde. Nous ne voulons pas seulement reproduire ce qui se fait ailleurs. Nous voulons aller plus loin. C’est très important pour nous, et nous allons approfondir la recherche parce que les choses évoluent maintenant plus rapidement que jamais.

La sénatrice Moodie : Est-ce que vous vous centrez sur la recherche associée à l’innovation, aux nouveaux produits et aux nouvelles méthodes? Je sais que vous n’êtes pas des transformateurs. Vous le serez peut-être un jour. J’aimerais comprendre quelle est votre façon de penser.

M. Sherk : Récemment, la recherche visait surtout les comportements et les tendances des consommateurs, leurs besoins et leurs souhaits. Je crois qu’il faut faire plus que cela.

L’un des avantages du système laitier canadien est que, comme nous commercialisons le marché de façon collective, nous recueillons des contributions aux fins de la recherche pour chaque litre de lait produit et vendu. Ainsi, nous pouvons investir dans la recherche, alors que dans bon nombre d’autres pays, tout est fragmenté et il est difficile de recueillir des fonds pour la recherche.

Le sénateur C. Deacon : Est-ce que je peux poser une question qui devra peut-être faire l’objet d’un suivi?

La présidente : D’accord.

Le sénateur C. Deacon : Merci. Est-il possible de nous fournir une estimation de la valeur des quotas qui ont été éliminés dans le cadre de ces accords commerciaux? Pas du tout suite, parce que nous n’avons pas le temps, mais vous pourriez transmettre ces renseignements à Kevin, le greffier? J’aimerais savoir quels sont vos arguments, comment vous avez procédé et quelle était la logique derrière tout cela.

La présidente : Merci. Nous n’avons plus de temps. J’avais une excellente question, mais le sénateur Mercer l’a posée avant moi, alors nous allons vous laisser partir.

Je remercie les témoins de leur présence. La discussion a été très intéressante. Comme vous pouvez le constater, nous aurions pu continuer longtemps.

Je souhaite la bienvenue à nos invités pour la deuxième partie de notre réunion. Nous recevons les représentants de l’Association des transformateurs laitiers du Canada: Dominique Benoit, membre du conseil exécutif et trésorier, et Mathieu Frigon, président et chef de la direction. Nous recevons également les représentants de Parmalat Canada: Mark Taylor, chef de la direction et Anita Jarjour, directrice des relations gouvernementales et industrielles. Enfin, nous recevons Chad Mann, qui est chef de la direction d’Amalgamated Dairies Limited, qui se joint à nous par vidéoconférence à partir de l’Île-du-Prince-Édouard.

Nous allons d’abord entendre M. Benoit.

[Français]

Dominique Benoit, membre du conseil exécutif et trésorier, Association des transformateurs laitiers du Canada : Bonsoir. Je vais commencer mes commentaires en français et, avec mon collègue, nous allons alterner entre l’anglais et le français.

Bonsoir, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Au nom de l’Association des transformateurs laitiers du Canada, j’aimerais vous remercier encore une fois de l’invitation à comparaître ce soir pour discuter des impacts causés par les accords commerciaux internationaux que sont l’ACEUM et le PTPGP sur l’industrie de la transformation laitière.

Comme vous vous en souviendrez, notre association a abordé ce sujet lors de notre passage ici en octobre dernier. Cependant, maintenant que nous connaissons davantage les détails de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, nous pourrons donner une analyse plus approfondie des impacts des trois accords que sont l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne sur le secteur laitier du Canada. Nous avons également une meilleure idée des mesures nécessaires pour atténuer les impacts de ces trois accords sur notre industrie.

[Traduction]

Mathieu Frigon, président et chef de la direction, Association des transformateurs laitiers du Canada : Je vais d’abord vous donner un aperçu de l’industrie de la transformation des produits laitiers. Le secteur de la transformation laitière, qui occupe le deuxième rang des plus importantes industries de transformation des aliments au Canada, contribue chaque année à hauteur de plus de 18 milliards de dollars à l’économie nationale canadienne. Les transformateurs laitiers emploient directement 24 000 Canadiens dans 471 usines à travers le pays, ce qui représente une masse salariale annuelle de 1,2 milliard de dollars.

Notre industrie est un employeur important dans les collectivités rurales et offre de bons emplois aux Canadiens de la classe moyenne. La rémunération totale par heure travaillée dans la fabrication de produits laitiers est de 45 $ l’heure. Ce montant est supérieur de 35 p. 100 à la rémunération de l’ensemble de l’industrie alimentaire et de 22 p. 100 supérieur à celui de l’ensemble du secteur manufacturier.

Les transformateurs laitiers ont investi 7,5 milliards de dollars dans leurs entreprises au cours des 10 dernières années. Cela comprend des investissements en immobilisations pour agrandir et moderniser les installations existantes et en construire de nouvelles afin de soutenir une production accrue, ainsi que des activités de recherche et développement pour stimuler l’innovation et commercialiser de nouveaux produits. Au cours des cinq dernières années, ces investissements ont augmenté la productivité de la main-d’œuvre de l’industrie de 38 p. 100 et contribué à une croissance de 12,7 p. 100 de son PIB réel. Sur les deux plans, la transformation laitière a dépassé les secteurs de la fabrication des aliments et de la fabrication générale au Canada.

Ces améliorations ont permis aux transformateurs laitiers d’augmenter leurs achats de lait canadien de plus de 1,2 milliard de litres ces cinq dernières années. Cette augmentation de 15 p. 100 a considérablement profité aux 11 000 producteurs laitiers du Canada. Au cours des cinq dernières années, les consommateurs ont également constaté des avantages, les prix de détail des produits laitiers ayant diminué de 1,7 p. 100, tandis que les prix de détail généraux des aliments ont augmenté de 7,9 p. 100.

Comme nous l’avons déjà indiqué au comité, les transformateurs laitiers ont été motivés à poursuivre le modèle de croissance et à faire progresser l’industrie et le Canada. Toutefois, les accords commerciaux conclus récemment menacent de freiner cette croissance et de réduire la compétitivité à long terme de l’industrie canadienne de la transformation laitière.

En ce qui a trait aux conséquences des accords commerciaux, une fois la mise en œuvre complétée, l’accès accordé en vertu de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG s’élèvera à près de 10 p. 100 du marché canadien, qui s’ajoute au 8 p. 100 déjà consenti dans le contexte des ententes précédentes. Une fois la mise en œuvre complétée, nous estimons que cet accès concédé sous l’AECG, le PTPGP et le l’ACEUM aura une incidence annuelle de 320 millions de dollars sur les marges nettes. À cela s’ajouteront des pertes annuelles supplémentaires de 60 millions de dollars attribuables aux restrictions à l’exportation imposées aux produits laitiers dans le cadre de l’ACEUM. Cette pression dissuadera fortement les investissements et ralentira considérablement le taux de croissance actuel.

Cela soulève la question suivante: comment pouvons-nous appuyer adéquatement notre industrie de la transformation laitière, ses investissements et ses emplois pour lui permettre de poursuivre son développement?

[Français]

M. Benoit : Pour ce faire, notre association propose une approche en trois volets : d’abord, l’attribution de licences d’importation de produits laitiers aux transformateurs laitiers; ensuite, un programme de mesures d’atténuation; et enfin, le développement d’une vision et d’une stratégie à long terme pour le secteur laitier.

Notre association préconise depuis longtemps que toutes les licences d’importation appelées contingents tarifaires soient attribuées aux transformateurs laitiers comme solution clé pour atténuer les impacts négatifs des accords commerciaux. L’attribution des quotas d’importation aux transformateurs laitiers est une mesure d’atténuation responsable sur le plan financier, car elle n’entraîne aucun coût pour le gouvernement fédéral. Nous pouvons imaginer qu’il s’agit là d’une mesure attrayante pour les personnes qui travaillent au nom des contribuables canadiens.

Toutefois, au-delà de la responsabilité financière, il y a une raison pratique d’envisager l’attribution de quotas d’importation aux transformateurs laitiers. En fait, nous possédons le savoir-faire nécessaire pour importer une grande variété de produits laitiers en nuisant le moins possible au marché laitier canadien.

Pour illustrer notre pensée, revenons, si vous le voulez bien, sur la décision prise par le gouvernement en 2017 d’allouer moins de la moitié des quotas d’importation de fromages en vertu de l’accord Canada-Europe (AECG) aux transformateurs laitiers. Les autres parties prenantes qui ont reçu des quotas d’importation n’avaient pas le même intérêt à importer des fromages qui réduiraient au minimum l’impact sur les chaînes de production et les plateformes de fabrication existantes au Canada. Nous sommes tombés dans la substitution de fromages canadiens. L’automne dernier, la grande majorité des quotas d’importation étaient utilisés pour importer des produits qui sont déjà fabriqués ici, au Canada : du parmesan, du cheddar, de la feta. Cela n’a en rien contribué à réduire les impacts sur les produits existantes ou sur les emplois dans le secteur de la transformation laitière au Canada, et cela n’a apporté que peu d’avantages aux consommateurs canadiens, qui ont constaté une augmentation minimale de la variété de produits au niveau de la vente au détail. Malheureusement, il semble que les seuls bénéficiaires de la décision du gouvernement aient été les détaillants, les transformateurs secondaires et les courtiers, qui, dans les faits, ont reçu une compensation sans être affectés négativement par l’AECG.

Notre association est fermement convaincue que, en attribuant les quotas d’importation à d’autres parties prenantes, le gouvernement ne reconnaît pas la contribution des transformateurs laitiers au renforcement et à la croissance du marché laitier canadien. Cela mine également nos modèles commerciaux, décourage les futurs investissements dans la capacité de fabrication et entraîne la perte d’emplois bien rémunérés chez nous.

À ce titre, nous avons accueilli favorablement l’annonce faite par le gouvernement en novembre dernier d’allouer de 80 à 85 p. 100 des quotas d’importation prévus par l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) pour les produits laitiers qui seraient disponibles exclusivement aux transformateurs laitiers sur une base intérimaire. C’est une bonne décision. Dans le cadre de cette annonce, le gouvernement s’est également engagé à examiner l’attribution des quotas d’importation de l’OMC, de l’AECG du PTPGP et de l’ACEUM au cours de la prochaine année. Nous attendons de plus amples renseignements sur la manière dont le gouvernement choisira d’attribuer les quotas d’importation prévus dans l’ACEUM.

Cependant, nous espérons que l’annonce, dans le cadre de l’accord du Partenariat transpacifique, est un signe que le gouvernement comprend maintenant l’importance d’attribuer des quotas d’importation de produits laitiers aux fabricants. Toutefois, nous devons faire preuve de prudence, car une approche universelle ne fonctionnera pas en matière d’atténuation. L’industrie de la transformation laitière est composée d’organisations de différentes tailles et combinaisons de produits qui subiront tous les impacts de ces accords commerciaux de manière différente. Bien que l’attribution des quotas d’importation puisse faire le principal travail d’atténuation pour certains transformateurs, elle ne procurera peut-être pas un grand soulagement à d’autres. Pour les transformateurs qui ne reçoivent pas de licence d’importation, un programme de financement adapté à leurs besoins devrait être utilisé pour compenser les impacts majeurs.

Notre association recommande de compenser les impacts de l’AECG, du PTPGP et de l’ACEUM en demandant au gouvernement de créer un programme qui comporte un éventail de composantes visant à atténuer les impacts et à stimuler la création d’emplois. Ce programme pourrait comprendre des prêts sans intérêt, des garanties d’emprunt, des crédits d’impôt remboursables, des contributions non remboursables et des programmes gouvernementaux visant à soutenir les investissements que nous faisons en innovation, en automatisation, en robotique, en intelligence artificielle, ainsi que des initiatives de marketing visant la diversification des marchés. Cela pourrait également inclure le financement d’établissements d’enseignement pour soutenir et développer les compétences en matière de transformation laitière.

La série de mesures d’atténuation de l’AECG annoncées à l’automne 2016 comprenait un programme d’investissement de 100 millions de dollars destiné aux transformateurs laitiers. Ce montant ne représentait pas un soutien à long terme pour les transformateurs laitiers, car il ne couvrait que deux années de pertes provoquées par l’AECG.

Par conséquent, nous voudrions recommander que les programmes d’atténuation de l’AECG, du PTPGP et de l’ACEUM soient regroupés en un programme largement disponible pour tous les transformateurs laitiers, et qu’il soit rétroactif pour une période de 6 à 12 mois.

Le gouvernement devrait s’efforcer de réduire les formalités administratives et donner des informations claires et transparentes sur l’affectation des fonds. Ce financement doit tenir compte de la taille, de la gamme de produits et des attributions de contingents tarifaires de chaque transformateur. Parallèlement à l’attribution de ces quotas d’importation, ces programmes aideront l’industrie de la transformation laitière au cours des années à venir.

Cependant, nous devons également regarder au-delà des prochaines années pour mieux positionner le secteur canadien à long terme. Cela nous amène au troisième et dernier volet de notre approche en matière d’atténuation. Avec la mise en œuvre imminente du PTPGP et de l’ACEUM, ainsi que d’autres initiatives du gouvernement du Canada qui menacent de saper la consommation de produits laitiers canadiens au pays, les prochaines années s’annoncent difficiles pour notre secteur.

Il est temps que le gouvernement développe avec nous, le secteur laitier, une vision à long terme pour l’industrie qui identifie les objectifs et plans d’action possibles. Ainsi, nous nous sommes réjouis de la décision du gouvernement de créer ce groupe de travail stratégique parallèlement au groupe de travail sur l’atténuation des impacts à la suite de la conclusion des négociations de l’ACEUM. Nous espérons que ce groupe de travail pourra commencer ses travaux sans tarder.

[Traduction]

La présidente : Nous allons maintenant entendre M. Taylor.

M. Frigon : Nous n’avons pas terminé.

La présidente : Vous n’avez pas terminé? Que pouvez-vous nous dire en une minute? Pouvez-vous vous en tenir à une minute, le temps maximal, s’il vous plaît?

M. Benoit : Je vais passer à la conclusion et espérer que vous nous poserez des questions sur le Guide alimentaire canadien et d’autres sujets que nous voulions aborder.

La présidente : Nous recevons deux autres témoins, mais nous passerons ensuite aux questions et vous aurez peut-être la chance de passer votre message.

[Français]

M. Benoit : En octobre dernier, la ministre Freeland a déclaré que la compensation pour le secteur laitier soumis à la gestion de l’offre est juste et justifiée. Il y aura une pleine compensation. Ce que nous avons décrit aujourd’hui — l’attribution de quotas d’importation aux transformateurs laitiers, un programme de mesures d’atténuation et une stratégie à long terme pour le secteur laitier —, voilà ce que notre association considère comme une pleine compensation pour l’industrie de la transformation laitière canadienne. En faisant cela ensemble, nous devrions être en mesure de protéger de manière adéquate les investissements, les emplois et la croissance de l’industrie de la transformation laitière canadienne des impacts négatifs des accords commerciaux. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci. Je sais qu’il est difficile de résumer un tel sujet, mais je vous remercie pour votre déclaration.

Monsieur Taylor, vous avez la parole.

Mark Taylor, chef de la direction, Parmalat Canada : Bonjour à tous. Merci de m’avoir invité à témoigner devant vous ce soir. Je suis heureux d’être ici à titre de représentant de Parmalat Canada et de sa société mère, le Groupe Lactalis.

L’histoire de Parmalat Canada est riche. L’entreprise a été fondée il y a 138 ans. Vous connaissez probablement plusieurs de nos marques comme Balderson, Lactantia, Beatrice, Black Diamond et Astro. Ce sont les marques préférées des familles, qui sont en tête de l’industrie. La catégorie des produits laitiers est la plus importante de secteur de l’épicerie, puisque les consommateurs en achètent tous les jours, et que ce sont des produits de base dans les maisons, les restaurants et les institutions du pays.

Comme je le disais, Parmalat Canada fait partie du Groupe Lactalis, une entreprise familiale privée qui compte plus de 83 000 employés dans 250 sites de production répartis dans 50 pays du monde.

Au Canada, nous employons près de 3 000 personnes dans diverses collectivités, 16 usines de transformation et diverses autres installations. De plus, nous avons un centre de recherche et développement et des centres de distribution. Nous sommes le troisième plus important transformateur laitier du pays.

Comme vous le savez peut-être, nous sommes en train d’acquérir la division du fromage naturel de Kraft Heinz au Canada. Il s’agit d’une transaction de 1,62 milliard de dollars, qui représente un énorme vote de confiance à l’égard du Canada et du secteur laitier canadien. Si la transaction est approuvée, la gérance de marques reconnues comme Cracker Barrel, P’tit Québec et aMOOza! passera dans les mains de Parmalat Canada. Il s’agit d’une excellente occasion pour notre entreprise et d’une très bonne nouvelle pour les consommateurs, nos employés, les agriculteurs, les détaillants et divers autres clients dans les collectivités où nous travaillons. Elle nous permettra de croître et d’investir davantage au Canada,et nous avons hâte d’accueillir les quelque 400 nouveaux employés qui travaillent pour l’entreprise.

Je vous demanderais tout d’abord d’aborder les enjeux commerciaux auxquels fait face l’industrie laitière. Parmalat Canada félicite le gouvernement du Canada pour avoir conclu avec succès des négociations avec les États-Unis, notre plus important partenaire commercial, et avec le Mexique, dans le cadre du nouvel accord commercial entre nos pays. Comme vous le savez sans doute, les accords commerciaux récemment signés par le Canada — l’AECG, le PTPGP et l’ACEUM — auront une grande incidence sur l’industrie laitière canadienne, notamment sur le secteur de la transformation, au cours des prochaines années. On estime qu’après leur période de mise en œuvre de six ans, ces accords entraîneront des pertes de plus de 1 milliard de dollars par année pour les transformateurs laitiers. Le coût annuel des restrictions en matière d’exportation pour le secteur laitier pourrait se situer à près de 60 millions de dollars. Ces accords ébranlent les piliers de la gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien que sont la prévisibilité et la stabilité.

Pour aborder ces défis, le gouvernement canadien doit maintenir l’engagement de la ministre Freeland visant à indemniser pleinement et équitablement le secteur laitier, notamment les transformateurs, pour les pertes émanant de ces accords commerciaux. Il s’agit d’une mesure de transition essentielle pour permettre à notre secteur d’être concurrentiel dans ce nouveau marché.

Nous comprenons qu’Affaires mondiales Canada procédera à un examen exhaustif du contingent tarifaire du lait et de l’attribution en 2019. Dans ce contexte, Parmalat Canada tient à réitérer que les contingents tarifaires devraient être attribués à ceux qui sont les plus touchés par ces accords commerciaux, les transformateurs laitiers, et non les détaillants, les distributeurs ou les courtiers, qui n’ont rien à perdre.

Les divers types d’accès qu’auront les autres pays aux marchés canadiens du lait exercent une importante pression à la baisse sur les marges de l’industrie canadienne de la transformation laitière, ce qui nuit grandement à l’investissement dans le secteur. Au même titre que l’Association des transformateurs laitiers du Canada, Parmalat Canada demande une indemnisation annuelle pour pallier les effets des trois accords commerciaux sur les transformateurs laitiers au cours des six prochaines années, sous la forme de contributions non remboursables, de crédits d’impôt, de mesures d’incitation à l’investissement ou d’une association de ces solutions dans le but d’améliorer la compétitivité du secteur de la transformation laitière.

De plus, il faudrait mettre sur pied des programmes de paiement conformes aux règles commerciales pour compenser pleinement les conséquences négatives de l’accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique : l’ACEUM. Il faudrait aussi songer à imposer des restrictions relatives à l’exportation de la poudre de lait écrémé et du concentré de protéine de lait.

Parmalat Canada continue d’assurer un rôle de leadership en vue de faire croître l’industrie laitière canadienne, notamment par l’entremise de sa participation au groupe de travail d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Nous participerons également de façon active au groupe de travail stratégique du ministère en vue d’ouvrir la voie pour l’avenir de l’industrie laitière.

J’aimerais profiter de cette discussion sur l’incidence du commerce sur le secteur pour vous faire part de nos préoccupations relatives au secteur de l’alimentation au détail. En effet, les pressions que subiront les transformateurs — en plus des pressions associées aux nouveaux accords commerciaux — auront une incidence négative sur les consommateurs et sur la santé à long terme de l’industrie laitière canadienne. Au Canada, les cinq plus grands détaillants se partageront plus de 80 p. 100 des ventes d’épicerie totales, et ce taux continue d’augmenter. Cette concentration des ventes parmi un petit groupe permet à quelques joueurs d’accroître leur pouvoir sur le marché, au détriment de notre industrie. Par souci d’équité pour les consommateurs et l’industrie, nous exhortons le gouvernement à songer à des mesures de surveillance accrue de l’industrie de l’épicerie afin d’éviter le recours à certaines pratiques qui exercent une pression indue sur les transformateurs, forcent les regroupements, nuisent à l’investissement dans les infrastructures, la recherche et le développement et d’autres domaines qui favorisent la capacité concurrentielle du Canada, réduisent l’innovation et le choix des consommateurs, et augmentent le prix des produits pour les Canadiens.

Au bout du compte, les pratiques non concurrentielles de l’industrie de l’épicerie ne feront que réduire la concurrence et le nombre de transformateurs, et augmenter les coûts du secteur de la transformation laitière. La concurrence est un élément essentiel d’une industrie en santé. Le gouvernement doit saisir l’occasion d’assurer la surveillance et la gouvernance de l’industrie, d’exercer une influence modératrice qui favorise l’efficacité et le développement de la chaîne d’approvisionnement de bout en bout plutôt que de permettre que les pratiques actuelles s’accentuent, ce qui ne fera que nuire à la capacité de l’industrie d’accroître sa compétitivité pour réduire les coûts totaux de la ferme à l’assiette et accroître l’investissement pour assurer l’avenir de l’industrie.

À cette fin, nous aimerions attirer l’attention du comité sur certains exemples comme celui du Royaume-Uni, où le code de pratique en matière d’approvisionnement des produits alimentaires établit des lignes directrices qui assurent la responsabilisation des transformateurs et des détaillants. L’arbitre nommé en vertu de ce code s’est vu octroyer par le gouvernement du Royaume-Uni un pouvoir d’exécution afin de veiller à ce que les consommateurs y trouvent leur compte grâce à une concurrence saine qui favorise la qualité et la baisse des coûts. Depuis sa mise en œuvre en 2013, le code a donné lieu à un investissement accru dans le secteur de l’épicerie du Royaume-Uni, au renforcement de la confiance des transformateurs et à des gains d’efficacité dans la chaîne d’approvisionnement de bout en bout, qui ont donné lieu à une augmentation des investissements. Les profits des détaillants n’ont pas été touchés et les prix à la consommation sont à la baisse.

En guise de conclusion, je tiens à vous remercier de m’avoir invité et de m’avoir écouté. Nous sommes heureux de pouvoir vous faire part de notre point de vue sur la façon dont le Canada peut aider l’industrie laitière à rester forte et concurrentielle. Merci.

La présidente : Nous vous remercions de votre exposé. Avant d’entendre le troisième témoin, je tiens à dire aux sénateurs qu’il y aura un vote à 21 heures. Le timbre retentit pendant une heure, alors il n’y a pas d’urgence.

Chad Mann, chef de la direction, Amalgamated Dairies Limited (ADL) : Bonjour. Au nom d’Amalgamated Dairies Limited et de son conseil d’administration, je vous remercie de nous donner l’occasion de discuter des conséquences des récents accords commerciaux annoncés par le gouvernement canadien. Je suis heureux de vous donner le point de vue de la côte Est sur les conséquences de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG sur l’industrie laitière canadienne, surtout pour les petits et moyens producteurs de fromage comme ADL.

ADL appartient à 165 fermes laitières de l’Île-du-Prince-Édouard et est le plus grand transformateur laitier indépendant du Canada atlantique. Nous sommes très fiers d’être reconnus à l’échelle nationale à titre de fabricant de produits fromagers fins et de spécialité, de concentré et de produits laitiers traditionnels, de beurre et même de crème glacée. En 2018, ADL a transformé 120 litres de lait, dont 70 p. 100 ont servi à la production de fromage. Nous avons des clients d’un bout à l’autre du Canada, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, et nous servons une certaine clientèle internationale. ADL exploite cinq usines de transformation des produits laitiers sur l’Île-du-Prince-Édouard et offre une grande variété de produits pour une petite entreprise régionale.

ADL et l’industrie laitière canadienne ont profité de la grande consommation de fromage et de beurre des Canadiens au cours des 5 à 10 dernières années. Nous devons miser là-dessus parce que nous occupons une bonne place au sein du marché canadien depuis quelques années, surtout en ce qui a trait aux tendances relatives au beurre et aux ventes connexes. En associant les ventes du beurre à celles des fromages de spécialité et autres, on constate une croissance de 1 à 3 p. 100 par année, ce qui est important.

Les transformateurs laitiers comme ADL ont investi plus de 7,5 milliards de dollars dans de nouvelles usines, dans la capacité de transformation et dans l’innovation au cours des 10 dernières années. ADL vient de terminer le plus grand agrandissement de l’histoire de l’entreprise. En 2018, nous avons augmenté la capacité de notre fromagerie de Summerside de 35 p. 100. Nous avons aussi investi dans les fermes de l’Île-du-Prince-Édouard. En effet, nous avons investi près de 100 millions de dollars au cours des cinq dernières années dans la production: nous avons investi dans l’équipement agricole, les terres et l’augmentation de la taille des troupeaux. Ces investissements ont permis à des entreprises comme ADL de transformer plus de lait des fermes canadiennes, ce qui entraîne une augmentation du nombre d’emplois dans les fermes, dans les usines, dans le domaine de la distribution et dans le domaine de la transformation agroalimentaire du Canada.

L’ACEUM, le PTPGP et l’AECG mettent en péril cette tendance positive des dernières années dans le secteur de l’agroalimentaire et de la transformation laitière du Canada. Ces accords seront mis en œuvre selon un calendrier restreint au cours des cinq ou six prochaines années. L’accès combiné au marché en vertu de ces trois nouveaux accords représente environ 10 p. 100. Si l’on ajoute cela aux engagements de l’OMS, nous arrivons à une cession de 18 p. 100 du marché national aux concurrents étrangers.

Les petits et moyens transformateurs comme ADL s’inquiètent grandement de l’incidence de ces accords sur les importations de fromage. Ces accords — et surtout l’AECG — se concentrent sur les fromages raffinés et autres fromages que fabrique ADL. En vertu de l’ACEUM et du PTPGP, d’autres fromages seront importés. Pour les petits et moyens transformateurs comme ADL qui occupent principalement les marchés nationaux, c’est une menace importante.

En vertu de l’ACEUM, certaines restrictions supplémentaires relatives à l’exportation des produits laitiers nuiront aux transformateurs canadiens. L’ACEUM est d’autant plus préoccupant en raison des restrictions qui seront imposées aux futures importations et exportations possibles.

ADL et d’autres transformateurs laitiers du Canada font partie d’une économie de la transformation agroalimentaire en croissance qui se veut un pilier des collectivités rurales et du développement des 10 dernières années. Nous devons trouver de nouvelles façons de maintenir la croissance et de réduire les perturbations associées à ces nouveaux accords. Je vais vous parler de certaines de ces mesures d’atténuation que nous avons désignées, à commencer par une mesure dont on vous a déjà parlé aujourd’hui : les permis d’exportation pour les transformateurs laitiers.

ADL milite activement pour l’élaboration de méthodes d’affectation des permis centrées sur les mesures d’atténuation pour le marché, c’est-à-dire pour les transformateurs les plus touchés. Ce modèle serait le moins coûteux pour les contribuables et permettrait une mesure compensatoire efficace pour les transformateurs. Elle serait aussi la moins susceptible de perturber le marché.

Le Canada met en œuvre trois nouveaux accords commerciaux qui auront une grande incidence sur l’industrie laitière canadienne. Des politiques d’allocation des quotas tarifaires efficaces permettraient de réduire les perturbations possibles du marché. Une politique déficiente entraînera des perturbations importantes, ce qui causera des préjudices indus, surtout aux petits et moyens transformateurs comme ADL. Le modèle d’allocation des quotas tarifaires de l’AECG est un échec total pour les entreprises comme ADL. L’allocation des quotas tarifaires en vertu de l’AECG a nui aux entreprises du fromage de spécialité et profité à des organisations qui n’ont rien à voir avec l’industrie laitière canadienne. Une allocation efficace des quotas tarifaires peut être un outil utile pour favoriser les relations entre les transformateurs et le commerce réciproque que veut encourager le gouvernement.

L’annonce récente relative à la méthode d’allocation des quotas tarifaires du PTPGP était un pas dans la bonne direction pour l’industrie. Cette méthode devrait s’appliquer aux nouveaux accords commerciaux et à l’AECG de façon rétroactive. ADL recommande au gouvernement de créer un programme axé sur la transformation laitière et associé à diverses initiatives en vue d’appuyer l’industrie laitière du Canada. Ce programme pourrait comprendre des prêts sans intérêt, des crédits d’impôt remboursables, des contributions non remboursables, des mesures de soutien à la commercialisation, de la formation et des mises à niveau de l’équipement. De plus, ADL recommande que les fonds soient associés à une réciprocité afin de veiller à ce que l’Île-du-Prince-Édouard et le Canada atlantique reçoivent un financement proportionnel pour encourager la transformation du lait dans la région.

Le financement du programme devrait couvrir tous les éléments de l’AECG, du PTPGP et de l’ACEUM. Le financement doit tenir compte de l’incidence de l’ouverture de l’accès au marché et d’autres concessions imposées à l’industrie laitière dans le but de conclure les récents accords commerciaux. Nous serons heureux de prendre part au groupe de travail stratégique en vue d’établir une vision commune de la façon dont l’industrie peut faire face à ces défis et à d’autres initiatives nationales récentes qui menacent l’avenir de la consommation des produits laitiers au Canada.

J’aimerais, tandis que j’en ai le temps, vous parler de quelques enjeux récents qui préoccupent l’industrie. Le premier est le Guide alimentaire canadien. L’annonce récente de ce guide représentait une nouvelle mesure préjudiciable pour l’industrie laitière canadienne. Le gouvernement doit mettre en place des politiques pour accroître la consommation de produits laitiers au Canada. Nous avons réussi, au cours des 10 dernières années, à créer des avantages économiques dans les collectivités rurales du Canada. Il faut continuer. Nous nous démarquons grandement en ce qui a trait aux extrants économiques émanant de la transformation des aliments et de la transformation laitière à la ferme.

Nous ne pouvons pas être restreints par les accords commerciaux et encore plus restreints par certaines initiatives comme le Guide alimentaire canadien de Santé Canada et l’étiquetage sur le devant de l’emballage, qui représente un risque important pour les transformateurs alimentaires canadiens de façon générale et, de façon particulière, pour les transformateurs laitiers. Le concept de l’étiquetage sur le devant de l’emballage tel qu’il nous a été présenté entraînerait une augmentation drastique des coûts d’emballage, limiterait nos activités de commercialisation et entraînerait d’importantes pertes en matière de consommation puisqu’il brouillerait les cartes pour les consommateurs.

En 2017, le gouvernement a demandé aux transformateurs laitiers d’accroître le taux de vitamine D dans leurs produits, puisque Santé Canada avait constaté des carences chez certains groupes de consommateurs. Ces mêmes produits qui sont utilisés à titre de source de nutriments pourraient présenter des avertissements sur leur emballage. La confusion que cela créerait dans le marché et les messages contradictoires en matière de santé représenteraient un cauchemar de commercialisation pour notre industrie.

Ensemble, les nouveaux accords commerciaux, le Guide alimentaire et l’étiquetage sur le devant de l’emballage détruisent notre secteur. Il faut mettre sur pied des programmes pour accroître la consommation nationale et compenser pour les niveaux accrus d’importation au lieu de trouver de façon de réduire la consommation.

Chez ADL, nous sommes déterminés à continuer à investir et à innover pour que le secteur laitier reste vigoureux dans l’Île-du-Prince-Édouard et dans le Canada atlantique. La collaboration avec le partenaire fédéral sera de la plus grande importance dans les années à venir. Nous avons une chance historique pour appuyer, par des programmes et des politiques, de petits et moyens transformateurs, parmi lesquels beaucoup de coopératives et d’entreprises appartenant à des agriculteurs, comme Amalgamated Dairies Limited. Nous avons une chance de rectifier la situation. Nous avons pris récemment de mauvaises décisions, mais la chance se présente de revigorer cette industrie. Ce serait dommage de tout perdre à cause d’autres erreurs dans la politique laitière canadienne.

Je vous remercie de votre temps et de votre considération. Merci d’avoir permis à la côte Est de participer et de présenter son exposé ce soir.

La présidente : Je vous remercie tous de vos exposés.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de vos exposés. Chad, vous et Summerside gagnez un prix pour ne pas avoir confondu le projet de loi S-228 et l’étiquetage sur le devant des emballages. Ce sont des questions distinctes. Bravo!

Je tiens vraiment à examiner les différences dans les conditions auxquelles sont soumis les producteurs qui vendent leur lait à de grandes multinationales qui le transforment et les producteurs membres d’une coopérative détenue par des agriculteurs, comme ADL. J’y tiens vraiment. Parlons-en un peu.

Parlons aussi de l’idée d’employer le contingent tarifaire alloué au produit brut étranger transformé au Canada. Ce produit serait-il présenté, sur l’emballage, comme produit étranger transformé au Canada? Pour en revenir à nos discussions avec le groupe précédent de témoins, je pense que les Canadiens veulent savoir que leurs produits laitiers viennent du Canada et qu’ils apprécient les producteurs laitiers canadiens. Personnellement, j’apprécie le besoin d’aider nos agriculteurs à créer et à livrer autant de valeur possible aux consommateurs et à en conserver sur leur exploitation.

Voilà les deux sujets dont je voudrais discuter.

M. Mann : Je vous remercie pour la question. Voyons d’abord les coopératives laitières détenues par des agriculteurs. Notre pays compte environ 11 000 producteurs laitiers, et un bon nombre, de 4 000 à 5 000, en seraient membres.

Chez ADL, je réponds à 165 producteurs laitiers d’ici, à l’Île-du-Prince-Édouard. Leur principal sujet de préoccupation, au quotidien, est que leur lait soit transformé efficacement en produits de valeur, qu’il soit acheminé sur le marché et qu’ils en tirent un profit. Je soupçonne nos collègues d’Agropur de partager à peu près les mêmes soucis. Je laisserai Parmalat répondre pour le secteur privé.

M. Taylor : Je suppose que la question vise les principales différences entre le modèle de coopérative et les diverses autres formes possibles d’entreprises, privées ou cotées en bourse. Je pense qu’elles sont toutes mues par le même impératif, c’est-à-dire faire des profits suffisants pour continuer à investir dans l’entreprise et dans ses infrastructures, ses marques et dans l’innovation pour augmenter la valeur. Nous devrions tous être guidés par le consommateur. Un autre acteur important dans cette relation est l’agriculteur. Nous devons pouvoir produire des profits soutenables pour lui permettre de continuer à investir. Sinon, tout s’effondre. Ce ne sont que des modèles différents. Aucun n’est meilleur ni pire que l’autre. J’ai travaillé avec tous ces modèles pendant mes 35 années de carrière, comme agriculteur au début et, maintenant, comme dirigeant d’une entreprise de transformation.

M. Benoit : Je suis tout à fait d’accord avec mes deux collègues. Au Canada, nous, les transformateurs, nous payons tous le lait le même prix. Il n’y a pas de concurrence dans notre pays pour le prix versé aux producteurs. La grande différence, pour les coopératives, est que leurs profits appartiennent aux membres. Je prends ma casquette de représentant d’Agropur et celle de représentant de l’Association des transformateurs laitiers du Canada. Chez Agropur, nous partageons nos profits avec nos membres, les 3 000 producteurs laitiers de l’Ontario, de l’Est du Canada, dans les Maritimes, et du Québec. De toute évidence, nos membres voient qu’il est avantageux de faire partie d’une grande organisation comme la nôtre.

Pour répondre à votre deuxième question, je pense que, jusqu’ici, sur le marché, il a toujours été visible, sur l’emballage, que, le cas échéant, les produits laitiers étaient importés. C’est une obligation à laquelle l’industrie, aujourd’hui, ne peut pas échapper. Je pense qu’il en sera de même dans l’avenir. La question des ingrédients peut différer un peu, mais nous devons indéniablement nous soumettre aux règles actuellement en vigueur à l’échelle mondiale.

Le sénateur C. Deacon : Les produits de nos transformateurs laitiers dont la marge soit la plus grosse et la valeur ajoutée la plus grande semblent les fromages. C’est ce que je retiens de la discussion.

M. Taylor : Cela dépend de ce dont on parle. En général, l’innovation produit plus de valeur ajoutée. Toutefois, il est sûr que, seulement à cause de la densité du produit, la quantité de lait qui entre dans la composition du fromage par unité de poids le range dans cette catégorie.

Le sénateur C. Deacon : Est-ce que le fait d’en accorder davantage à l’Union européenne dans l’Accord économique et commercial global a eu un effet relatif peut-être plus grand?

M. Taylor : Je pense que la supposition serait juste.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je serai très bref. J’aimerais soulever deux points. Monsieur Benoit, au début de votre mémoire, vous avez évalué les pertes à 320 millions de dollars, plus 60 millions de dollars pour autre chose. Est-ce par année ou est-ce un incident isolé et après cela, l’industrie se stabilisera? Ces pertes seront-elles récurrentes année après année?

M. Benoit : Merci de la question. L’évaluation qui a été faite par l’Association des transformateurs laitiers du Canada est que les pertes annuelles seront de l’ordre de 320 millions de dollars. Elles résultent du fait que les importations seront permanentes. Ces activités de transformation dans nos usines sont perdues à jamais. Le montant de 60 millions de dollars a trait à la classe 7 et aux réductions sur les exportations, qui seront également des pertes permanentes.

Le sénateur Maltais : Je veux revenir rapidement sur les licences d’importation. Je ne comprends pas qu’on puisse les donner à d’autres personnes que des transformateurs. Si j’ai une fenêtre à remplacer chez moi, je ne vais pas faire venir un mécanicien; je vais faire venir un menuisier. Qui sont ces gens et que font-ils dans votre industrie? Achètent-ils des produits laitiers des agriculteurs ou sont-ils simplement des courtiers qui jouent à la bourse avec vos produits?

M. Benoit : Je pense que nous sommes à la même place et que nous sommes aussi surpris que vous. En tant que transformateurs, nous ne comprenons pas cette situation. C’est pour cela que la position des transformateurs est que les quotas d’importation devraient être alloués à l’industrie de la transformation qui, elle, va subir les impacts des accords commerciaux.

Le sénateur Maltais : Oui, parce que vous transformez les produits laitiers canadiens et vous les vendez au Canada et à l’étranger. S’ils doivent faire entrer des produits laitiers, à mon avis, vous êtes les seuls capables de savoir comment cela devrait se faire, en quelle quantité et dans quelle qualité. On ne connaît pas ces gens. Où peut-on trouver leur traçabilité? Achètent-ils des produits laitiers des agriculteurs canadiens ou sont-ils simplement des courtiers?

M. Benoit : Nous ne voulons pas les nommer, mais il est évident que, lorsque nous analysons froidement de la situation, ces gens ne subissent aucune perte liée aux accords commerciaux. Les transformateurs et les producteurs de produits laitiers sont ceux qui vont perdre au change à cause de l’accord. Le fait d’allouer des quotas d’importation aux transformateurs est une façon de réduire les pertes que nous subirons en raison de la conclusion des accords commerciaux.

Le sénateur Maltais : Ma dernière question touche les 10 provinces. Faites-vous affaire avec les petits transformateurs familiaux, ceux qui produisent de petits fromages de brebis et d’autres produits semblables en très petite quantité? Sont-ils touchés par cette situation? Comment est-ce que cela fonctionne? Est-ce que vous achetez ou distribuez leurs produits?

M. Benoit : Nous travaillons avec les petits joueurs. Il y a de petits joueurs avec qui nous avons de bonnes relations d’affaires. Maintenant, la réalité des petits joueurs n’est pas celle des grands. Nous le reconnaissons dans le mémoire. Pour les plus petits joueurs qui ont, par exemple, peu de capacité pour gérer des quotas d’importation, nous disons qu’ils ont besoin de programmes adaptés à leur situation. C’est le point que nous avons fait valoir dans le mémoire. L’ensemble de l’industrie reconnaît que nous avons de très beaux produits fabriqués par de petits fabricants artisanaux. Il faut appuyer ces gens.

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup. Madame la présidente, on laisse du temps aux autres.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous évaluez les pertes à environ 380 millions par année, d’après ce que je comprends? Vous avez de nombreuses mesures d’atténuation. Est-ce que vous demandez que ces mesures soient à hauteur de 380 millions de dollars par année?

Je comprends que vos pertes ne sont pas seulement pour un an. Est-ce que vous demandez cela sur 5, 10, 15 ans? Que demandez-vous précisément en matière de montant et de nombre d’années?

M. Frigon : Le montant de 320 millions est par année, c’est lors de la pleine mise en œuvre de l’accord. La mise en œuvre se fait sur 19 ans, mais la pleine mise en œuvre se fera à la sixième année environ. Pour répondre à votre question, l’allocation des contingents tarifaires est une des mesures d’atténuation. Cette mesure va dépendre du montant que nous demandons et de la décision du gouvernement à cet égard. Comme mon collègue l’a dit, il est vrai qu’on donne des exemples de programmes, mais ce n’est pas « one size fits all ». Par exemple, une composante du programme pourrait s’adresser spécifiquement aux besoins des petits producteurs artisanaux qui n’auraient pas de contingent tarifaire parce qu’ils n’ont pas la capacité de gérer cela.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question sur ces quotas d’importation. Je vous avoue que je n’arrive pas à comprendre la logique. Dans la mesure où vous donnez l’exclusivité des quotas d’importation de fromage, par exemple, vous seuls allez choisir quels fromages entreront ou n’entreront pas au Canada selon un seul critère : la concurrence avec vos propres fromages. Cela ne vient-il pas renforcer une situation de monopole? Je comprends ce que vous dites par rapport à la mesure d’atténuation, mais la perception d’avoir quelques gros joueurs — vous n’êtes pas tout seuls — qui contrôlent quel fromage sera importé et son prix... Je comprends, par exemple, que vous ne voulez pas faire entrer le camembert à un euro, parce que vous vous dites que cela va faire compétition aux fromages canadiens, mais il ne faut pas oublier le consommateur. Je veux que vous m’expliquiez cela, parce que ce n’est pas particulièrement clair pour moi.

M. Benoit : Je vais me permettre de retourner dans le temps. Je pense que l’historique est de notre côté. Les transformateurs ont possédé une part significative des quotas d’importation de l’OMC. La gestion de ces importations a été faite en complémentarité avec la production canadienne. Regardez comment la production canadienne a explosé en matière de qualité et d’offre de produits canadiens différenciés, tant chez les fabricants artisanaux que chez les grands joueurs comme Agropur et Parmalat. L’histoire est de notre côté. Nous comptons beaucoup sur notre expérience pour continuer d’offrir aux consommateurs canadiens une gamme élargie de fromages qui vont répondre à leurs besoins. En fin de compte, nous sommes des fabricants et notre but est de répondre aux besoins des consommateurs, mais de manière intelligente et en complémentarité avec ce que nous faisons ici, au Canada.

[Traduction]

M. Taylor : Je suis d’accord. Je pense qu’il est vraiment important de nous faire guider par le consommateur et de le suivre. Je reviens à ce que je disais plus tôt. Nous avons aussi un important portier, dans cette relation, dans plus de 80 p. 100 du marché. Des pratiques comme les frais de référencement n’entraînent pas toujours, selon moi, des décisions uniquement commandées par le consommateur. Je pense que ça m’inquiéterait. À part cela, je pense que nous sommes au diapason.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Y a-t-il des fromages que vous avez dû abandonner à cause de la concurrence? Sommes-nous déjà rendus là? Y a-t-il des types de produits que vous ne pouvez plus produire à cause de la concurrence étrangère?

M. Benoit : Nous avons vraiment vécu une première année complète avec des quotas d’importation européenne. L’année 2018 a été la première année complète d’importations, et nous en voyons vraiment les impacts. On ne peut pas dire aujourd’hui qu’on a cessé de fabriquer certains produits, mais je peux vous dire qu’il y a des impacts sur la fabrication canadienne. Certains produits sont abandonnés, car les volumes canadiens ont été réduits.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comme quoi?

M. Benoit : Comme des produits fabriqués au Canada, ici. Je veux me garder une petite réserve de nature commerciale, mais je pense que tous les transformateurs ont ressenti cette année les premiers effets concrets. Cette année, on devait introduire 5 800 tonnes de fromages européens dans le marché canadien. Quand je dis « on », je veux dire l’industrie et les détaillants. Cela ne se fait pas sans impacts sur les produits existants, parce que le marché des fromages fins est relativement petit au Canada. Importer 5 000, 6 000 tonnes de fromage en 2018 a eu des impacts importants sur nos ventes, nos prix et nos produits domestiques.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Mesdames, messieurs, nous avons un rendez-vous à respecter, dans 10 à 12 minutes, un vote au Sénat à 21 h 1. Il faudra écourter les questions comme les réponses.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. Mes questions restent dans la même veine. Selon certaines sources, le Canada, à la faveur du récent accord économique et commercial global et les deux autres accords, ouvrira en tout 18 p. 100 du marché à la concurrence étrangère. Quelle est votre réaction? Vous avez seulement mentionné le fromage et d’autres produits. Pouvons-nous concurrencer les produits qui arrivent? Sont-ils généreusement subventionnés par leurs pays d’origine? Est-ce une concurrence loyale?

M. Taylor : Nous sommes profondément préoccupés. Potentiellement, c’est un problème énorme pour nous. Pour ne rien vous cacher, je suis au Canada depuis relativement peu de temps, mais j’ai travaillé longtemps dans l’industrie laitière. Ici, le prix de base est sensiblement plus élevé que dans d’autres pays où j’ai travaillé. Beaucoup de pays reluquent ce marché notamment à cause de ce qu’ils peuvent empocher par la vente de leurs produits. Ça pose pour nous un risque important, qui nous inquiète.

M. Benoit : Je suis absolument d’accord. De plus, notre industrie laitière n’est pas subventionnée. Le consommateur débourse donc ce que coûte la fabrication du produit ici, au Canada. Les témoins qui nous ont précédés ont dit — et c’est vrai — que l’industrie américaine est subventionnée grâce à la loi agricole américaine. Les producteurs européens le sont aussi, grâce à la Politique agricole commune, le Farm Bill. Le prix des produits qui nous arrivent est assez inférieur à celui des produits canadiens.

Le sénateur Oh : Cette part de 18 p. 100, actuellement, aura-t-elle augmenté à la fin de l’année? Comment les régions rurales du Canada sont-elles touchées?

M. Benoit : Ces importations entreront sûrement, comme le prévoient les lois de l’économie. Elles toucheront toutes nos régions rurales. Voilà pourquoi nous réclamons de l’aide. Nous comprenons pourquoi le Canada a signé des accords commerciaux, mais nous en faisons les frais, et nous avons besoin d’aide pour amortir ces effets.

Le sénateur Oh : Qu’en pense l’Île-du-Prince-Édouard?

M. Mann : Je rejoins la position de M. Benoit et de Parmalat. Ici, chez ADL, qui est un petit transformateur, notre structure de coûts ne permet pas de concurrencer, par la taille et l’échelle, les entreprises européennes et, particulièrement celles des États-Unis. L’Europe produit de l’excellente qualité, à un coût est très inférieur à celui du Canada. C’est donc de la bonne qualité à un coût raisonnable. Les États-Unis fabriquent un produit de bonne qualité. La seule pensée qu’ils sont notre voisin immédiat, au sud, fait peur.

Un délai d’une année, c’est un obstacle dérisoire, mais la taille de l’industrie américaine... Deux ou trois des plus grandes usines de fromage aux États-Unis produisent autant que tout le Canada. Quand on pense aux économies d’échelle et qu’on compare un marché, le marché canadien, adapté à 37 millions de consommateurs, à un marché de 350 millions de consommateurs et, en Europe, de 550 millions de consommateurs, c’est simplement deux mondes différents.

On nous demande de rivaliser à l’intérieur d’un échéancier très court, et, indéniablement, des joueurs succomberont. Nous sommes ici pour discuter de façons d’atténuer ces pertes et nous tracer un avenir.

Il se présente des chances à saisir. Dans mon exposé, j’ai parlé d’éventuels marchés internationaux, mais de la crème de la crème. La nécessité de développer les échanges commerciaux et la réciprocité commerciale vont de pair avec les contingents tarifaires. La meilleure façon pour moi de rivaliser avec mes concurrents — en vendant du fromage à l’étranger — est d’obtenir un contingent tarifaire pour l’importation de fromage ici. C’est ainsi que je peux nouer des relations de transformateur à transformateur, mais la concurrence sur les prix sera difficile. Je n’en dirai pas plus. Elle sera difficile.

Le sénateur Oh : Merci.

La présidente : Sénateur Duffy, est-ce que vous aviez une question complémentaire?

Le sénateur Duffy : Oui.

La présidente : Allez-y.

Le sénateur Duffy : Monsieur Mann, Tous les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard sont extrêmement fiers des réalisations d’ADL, vous le savez. Parlant d’exportation, je me rappelle que, à notre adhésion au libre-échange, il y a bien des années, on prédisait qu’une seule brasserie de Dayton pouvait désaltérer tout le Canada. Nous voyons maintenant que les goûts du public ont changé et que les microbrasseries et la commercialisation de niche se sont multipliées. Il est sûr qu’ADL, grâce à ses produits fabuleux, prendra pied dans ces marchés avec notre fantastique fromage.

M. Mann : Nous y sommes maintenant présents, avec certains produits fromagers, mais, en raison des volumes et de la structure des prix, nous grignotons un créneau très étroit. Nous devons être très prudents pour ne pas être happés dans ce marché d’exportation séduisant et nous apercevoir qu’il n’est pas aussi grand et aussi profitable qu’on nous l’a dit.

L’Union européenne a déréglementé la production après avoir succombé au chant des sirènes qui faisait croire que l’Asie ouvrirait ses portes à la plus grande partie de sa production laitière. Les États-Unis ont une fixation à la croissance de leurs exportations de lait et de produits laitiers, mais ce sont des produits subventionnés. Les contribuables en font les frais.

Je ne veux pas donner à votre comité l’impression que nous pouvons conquérir les marchés d’exportation et ne pas finir par devenir une annexe des États-Unis. Actuellement, ça va bien dans l’industrie laitière canadienne. Si nous commençons à poursuivre ces marchés séduisants qui ont leurré d’autres secteurs pour déréglementer l’offre, je vous le prédis, nous pourrions nous retrouver dans une situation très chaotique, semblable à ce que nous avons vu ailleurs dans le monde, en ce qui concerne le secteur laitier.

La présidente : Nous avons au plus trois minutes pour le sénateur Dagenais. J’en suis désolée pour vous. Vous avez la parole.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Frigon, dans le panel précédent, M. Bourbeau, des Producteurs de lait du Québec, indiquait que la majorité des produits laitiers américains qui vont arriver au Canada serviront à la transformation. Qui sont les transformateurs canadiens qui sont susceptibles d’utiliser ces produits?

M. Frigon : Cela dépend. Il y a un lien avec l’allocation des contingents d’importation. On souhaite que ces contingents soient alloués aux transformateurs laitiers. C’est une mesure d’atténuation qui vise aussi à minimiser l’impact sur l’économie rurale pour ce qui est des lignes de production nationale. Les transformateurs laitiers ont tout intérêt à importer différentes sortes de fromages qui compléteront l’offre actuelle sur le marché national plutôt que d’entrer en compétition avec cette offre.

Le sénateur Dagenais : Le gouvernement canadien a mis sur pied des comités pour établir des programmes de compensation. Est-ce qu’on parle seulement d’argent ou si vous avez eu la chance d’aborder le problème de l’étiquetage? En ce qui a trait à l’étiquetage, avez-vous l’impression d’être écouté? J’imagine que les produits qui arriveront des États-Unis seront étiquetés différemment. Il faudra peut-être aviser les consommateurs.

M. Frigon : Deux groupes de travail ont été créés : un groupe sur l’atténuation et un autre groupe sur la stratégie à long terme. On compte examiner tous les éléments qui ont un impact sur la demande des consommateurs à long terme, y compris le Guide alimentaire canadien. On parlait plus tôt du projet de loi et de l’étiquetage sur les emballages.

Le sénateur Dagenais : Aux États-Unis, le drapeau américain figure sur leurs produits laitiers. Si on les retrouve ici, les consommateurs choisiront peut-être le produit canadien, qui est meilleur. L’étiquetage a son importance.

M. Frigon : Assurément.

Le sénateur Dagenais : Je comprends que, si vous voulez gagner le vote, nous devrons aller voter.

[Traduction]

Le sénateur Duffy : Monsieur Mann, le gouvernement a créé des groupes de travail de l’industrie. Savez-vous qui y représente l’Île-du-Prince-Édouard?

M. Mann : Oui. Ken Smith, dans deux groupes de travail. Je ferai partie du groupe de travail stratégique.

Le sénateur Duffy : Merci.

La présidente : Je remercie les témoins. Nous sommes désolés de partir si vite, mais il faut aller voter.

(La séance est levée.)

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