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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 16 - Témoignages du 7 février 2017


OTTAWA, le mardi 7 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 1, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je voudrais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et membres du public qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ici présents dans la salle, ou bien qui sont en train d'écouter sur le Web. Dans l'intérêt de la réconciliation, je voudrais reconnaître que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles des peuples algonquins du Canada.

Je m'appelle Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et j'ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je vais maintenant inviter mes collègues sénateurs à se présenter.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre nouvelle étude de l'aspect que pourraient prendre les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada. Nous allons commencer notre étude par quelques séances portant sur l'histoire et sur ce qui a été étudié et abordé sur le sujet.

Aujourd'hui, nous accueillons Mme Brenda Macdougall, chaire de recherche sur les Métis, Département de géographie, Faculté des arts, Université d'Ottawa.

Bienvenue, madame Macdougall. Nous sommes très heureux d'avoir de vos nouvelles. Comme vous le savez, notre comité a mené il y a plusieurs années une étude sur les Métis; il s'agit d'un sujet que nous n'avons pas souvent la chance d'étudier, et nous sommes heureux de votre présence, vu que vous comptez parmi les principaux érudits et experts dans le domaine.

Pourriez-vous commencer votre déclaration, puis nous allons céder la parole aux sénateurs afin qu'ils vous posent des questions. Il est probable que nous dépasserons la période d'une heure. Nous allons faire une pause de deux ou trois minutes vers 10 heures, puis reprendre nos travaux. Veuillez prendre la parole, madame Macdougall.

Brenda Macdougall, chaire de recherche sur les Métis, Département de géographie, Faculté des arts, Université d'Ottawa : Bonjour, tout le monde, et merci de m'avoir invitée à comparaître. J'étais présente lors de la dernière séance du Sénat sur les Métis, et je suis heureuse de voir des visages familiers.

On m'a demandé de présenter un bref historique de la relation entre les Métis et le gouvernement. Je vais commencer par être très directe : elle n'a pas été très bonne jusqu'à maintenant. Nos droits à la terre et à l'auto-identité ont été, au mieux, niés et, au pire, attaqués violemment. Le Canada s'intéresse très peu à nous; il choisit de nous ignorer à toutes les occasions possibles depuis le milieu du XIXe siècle.

Nous pouvons aborder les problèmes bien connus des années 1869-1870, quand nous avons négocié la création de la province du Manitoba. L'hostilité évidente du gouvernement Macdonald a entraîné l'envoi de la milice contre nous. Nous nous sommes débrouillés pour garantir nos droits territoriaux aux articles 31 et 32 de la Loi sur le Manitoba; pourtant, en 15 ans, les deux tiers de la population métisse ont quitté cette province, et ces personnes se sont retrouvées sans terres. La plupart d'entre elles sont allées vers l'ouest et vers le nord, dans les collectivités métisses qui s'y trouvaient depuis environ le début des années 1800.

De surcroît, notre chef, Louis Riel, a été exilé. Malgré le fait qu'il était un député canadien qui avait été élu dûment et démocratiquement au Parlement à trois occasions, il n'a jamais été en mesure de siéger en tant que député à la Chambre. Au lieu de cela, entre 1875 et 1880, il a été banni de son pays natal.

Nous pouvons ensuite revenir sur l'année 1885, où un autre combat pour nos droits territoriaux s'est soldé par l'envoi contre notre peuple, par le gouvernement fédéral, de la plus grande force militaire de l'histoire du pays. Des dizaines de nos gens sont morts de faim sur le terrain et, plus tard, d'autres ont été victimes de maladies provoquées par cette famine. Les hommes qui restaient ont été arrêtés et emprisonnés, alors que Louis Riel a été exécuté pour trahison.

N'oubliez pas que les peuples autochtones ont beaucoup souffert après 1885 également. Huit hommes ont été pendus lors de la plus importante exécution massive de l'histoire du pays.

Depuis cette époque, l'État nous a punis constamment et méthodiquement pour nos transgressions supposées. Le résultat a été la perte de nos terres et le déni constant de notre identité indigène.

L'argument donné par le Canada, qui figurait dans les manuels scolaires et qui a déjà été enseigné dans beaucoup d'universités et qui l'est parfois encore, c'est que nous étions des traîtres, des auteurs de violence contre un gouvernement pacifique; nous étions les agresseurs. Le résultat a été la perte du territoire et le déni constant de notre identité.

Cette histoire ne tient pas compte des dizaines de requêtes qui ont été rédigées par les Métis pour demander des réserves, pour demander la protection des droits de chasse et de pêche, l'offre de payer des taxes et impôts si seulement on pouvait nous octroyer les terres qui nous appartenaient de droit et qu'on nous permettait d'effectuer la transition vers la propriété foncière. Chacune des tentatives a été balayée du revers de la main, alors d'autres approches ont été essayées.

Nous avons tenté de négocier un traité en tant que nations autochtones. Nous nous sommes débrouillés pour le faire, en 1875, avec le Traité no 3. Deux ans plus tard, nous avons été retirés unilatéralement de ce traité par le gouvernement fédéral.

Ensuite, le certificat des Métis a été instauré, lequel nous attribuait à chacun une propriété foncière qui allait ensuite être convertie en propriété familiale en application de la Loi sur la propriété familiale. Je voudrais souligner que le certificat de Métis n'est pas un traité. Il s'agit de quelque chose qui est offert à une personne. On doit présenter une demande, puis on doit répondre aux exigences relatives au processus de demande. Ce que je peux vous dire, c'est que je ne connais ni n'ai jamais rencontré personne qui vit encore sur les terres octroyées à sa famille au titre de ce certificat vers la période de 1885 à 1923.

Je vais aborder Round Prairie, en Saskatchewan. La collectivité était située juste au sud de la ville de Saskatoon.

Dans un cours que j'ai déjà donné, nous avions effectué des recherches sur son histoire et découvert que, dans les années 1920, les gens de Round Prairie payaient trois ou quatre fois le montant des taxes pour leurs terres comparativement aux colons blancs de Dundurn, agglomération située seulement quelques kilomètres plus loin. En conséquence, la plupart des gens se sont retrouvés sans terre après avoir été incapables de payer les taxes pour ces terres.

Ainsi, l'histoire de notre peuple en est une de déplacement, où on nous a poussés de plus en plus loin vers l'ouest, puis vers le nord, dans les marges de la société canadienne. Pour les gens qui étaient déjà dans le Nord — il y a des histoires bien documentées de collectivités nordiques, comme celles de l'Île-à-la-Crosse, de Green Lake, de Lac la Biche, de Lac Ste. Anne, de Fort Chipewyan... on disait déjà à leurs habitants qu'ils n'étaient pas assez autochtones pour être partie à un traité et pas assez blanc pour être compensé pour les expropriations dont ils avaient fait l'objet lorsque des mines ou des bases militaires s'étaient installées sur leurs terres.

Je comprime et je résume une longue période et beaucoup de moments historiques, mais le résultat final, c'est que l'État canadien a constamment fait valoir que nous n'étions pas des « Indiens » aux fins de la loi et que, par conséquent, nous ne pouvions pas effectuer de revendication territoriale. En conséquence, nous nous sommes battus bec et ongles pour chaque dollar destiné à des programmes. Nous avons comparu devant les tribunaux relativement à toutes les affaires de droits de chasse, et l'une de nos revendications territoriales existe encore. Elle a été présentée en 1999, en Saskatchewan.

Au cours de la dernière décennie, nous avons constamment remporté devant la Cour suprême du Canada les causes relatives à des droits de chasse pour ce qui est de déterminer qui nous sommes, mais je dois poser la question : à quelle fin et à quel prix? Quel prix avons-nous tous dû payer, financièrement — c'est certain —, mais, question plus importante : qu'est-ce que cela a coûté à l'honneur de la Couronne?

Nous avons maintenant l'arrêt Manitoba Metis Federation, où la Cour suprême du Canada a déclaré que la Couronne fédérale canadienne avait « fait preuve d'un manque persistant d'attention et n'a pas agi avec diligence » et qu'elle « pouvait et aurait dû faire mieux » au moment de traiter la Loi sur le Manitoba.

Il y a la décision Daniels rendue pas plus tard qu'il y a quelques mois, où, encore une fois, la Cour suprême du Canada a fait une déclaration positive affirmant que le terme « Indien » figurant dans cette loi incluait bel et bien les Métis ainsi que les Indiens non inscrits, après avoir fait de nous pendant 100 ans une balle que se renvoyaient les gouvernements provinciaux et fédéral relativement à la compétence.

C'était fantastique que le gouvernement fédéral ait commandé la rédaction du rapport Isaac. Ce rapport contient 17 recommandations vraiment révolutionnaires, comme l'établissement d'un financement stable pour les registres, qui sont des registres conformes à l'article 35 créés par et pour les Métis, pas par le gouvernement. Le rapport Isaac proposait la modification ou l'élimination complète du processus actuel de revendications territoriales afin que nous, en tant que Métis, puissions en faire sans passer par le système judiciaire. L'auteur a proposé l'établissement d'un accord-cadre avec la Fédération des Métis du Manitoba dans le but de rétablir l'honneur de la Couronne quant aux enjeux touchant les Métis du Manitoba et leurs droits territoriaux. Il proposait qu'on aide les Métis afin qu'ils puissent se réconcilier avec les Inuits et les Premières Nations, puisqu'on nous avait monté les uns contre les autres, alors que nous nous battions au sujet de sommes d'argent relatives aux territoires. Je n'ai pas une grande foi en la possibilité qu'un grand nombre de ces recommandations soient mises en œuvre dans l'esprit où elles ont été rédigées, mais d'autres pourraient avoir une impression différente.

J'ai prêté attention à tous les rapports qui ont été rédigés et à toutes les enquêtes qui ont été menées depuis les années 1960, et j'ai remarqué qu'ils sont devenus de plus en plus étroits et de plus en plus ciblés, jusqu'à ce que la question des terres ait été complètement retirée de la discussion. Je mets l'accent sur les terres parce que c'est ce que nous étions venus chercher à Ottawa, au dire de nos premiers dirigeants politiques et de mes aînés. Nous sommes venus pour obtenir des terres, et nous n'en avons toujours pas.

La question que je vous adresse est la suivante : les choses vont-elles être différentes dorénavant? Je ne sais pas. J'espère, dans l'esprit de la réconciliation, que nous pourrons voir un réel dialogue sur les questions des droits territoriaux.

Voilà tout ce que j'ai eu à préparer. Je suis certainement ouverte à répondre à des questions.

La présidente : Merci, madame Macdougall. Vous nous avez présenté un très bon aperçu de l'histoire. Nous allons maintenant commencer la série de questions posées par chaque sénateur afin d'examiner le sujet plus en profondeur.

Le sénateur Sinclair : Je pensais que personne d'autre n'avait de l'avance sur moi, alors je serai le premier à intervenir. Bonjour, madame. Comment allez-vous? J'apprécie l'exposé que vous avez présenté, et je vous remercie de comparaître.

Je me demande si vous pourriez nous parler de l'incidence potentielle, à vos yeux, de la récente série de décisions rendues par la Cour suprême, en particulier l'arrêt Daniels. Plus particulièrement, selon vous, quelles conséquences ces décisions auront-elles sur la question de la compétence fédérale, la question de son incidence sur l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867? Dans l'avenir, quelle relation envisagez-vous entre les Métis et le Canada?

Mme Macdougall : Je ne suis pas avocate, alors je ne connais pas les nuances du droit dans les affaires. Dans le cas de l'arrêt Daniels, j'ai vu une confirmation absolue du fait que le tribunal allait effectuer la conciliation avec la constitution du Canada de 1982, alors l'inclusion cette année-là des Métis en tant que catégorie fédérale d'Autochtones est maintenant conciliée avec l'article 91.24 aux fins de la loi, pas aux fins de la culture ou de la société. Nous allons être traités d'une manière qui nous permet d'entretenir une relation avec le gouvernement fédéral, car, jusqu'à présent, nous n'en avons pas vraiment avec lui d'une quelconque manière positive ou significative, car aucune voie ne nous permet d'accéder ouvertement à la Couronne.

Prenez, par exemple, la revendication territoriale dans le nord de la Saskatchewan. Elle a été présentée devant les tribunaux en 1999. L'espoir que me donne l'article 91.24, c'est que nous puissions retirer cette affaire des tribunaux et la transposer dans une arène de négociations, maintenant. Je ne sais pas si cela aura lieu. Je ne sais pas s'il est possible que cela se produise, mais c'est ce que j'espérerais : tenir un dialogue au sujet des droits territoriaux des Métis dans le nord-ouest de la Saskatchewan, au lieu d'une bataille rangée devant les tribunaux.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Les articles que j'ai lus concernant les décisions Daniels, Blais et Powley et toutes les décisions récemment rendues par la Cour suprême finissent tous par poser la question sans vraiment y répondre, c'est-à-dire : qu'est-ce que cela signifie pour ce qui est de déterminer qui va être un Métis dans l'avenir, d'un point de vue juridique et à d'autres égards? Je me demande si vous avez une idée de ce que le comité devrait dire, par exemple, dans l'avenir, au sujet de qui devrait être inclus dans cette compétence fédérale, maintenant que la Cour a affirmé que le gouvernement fédéral a une responsabilité à l'égard des Métis et qu'il entretient une relation spéciale avec eux. Qui pensez-vous que la définition devrait inclure?

Il semblerait qu'un conflit soit en train de prendre de l'ampleur, en ce qui concerne l'affaire Manitoba Métis Federation, du fait que la fédération des Métis fait une distinction très claire entre les Métis de Red River, dont les ancêtres sont français, et ceux qu'on appelle les métissés, qui n'ont pas d'ancêtre français. Voudriez-vous nous faire part de vos réflexions?

Mme Macdougall : Les résultats malheureux du colonialisme sont que nous nous battons et nous disputons les uns avec les autres sur des questions qui ne devraient pas nous concerner autant. Oui, il y a certains conflits entre organisations politiques et entre organismes dirigeants quant à qui est et qui n'est pas métis. Toutefois, je puise du réconfort dans la réalité que les organismes dirigeants des Métis élaborent des registres depuis longtemps et que ces registres sont devenus de plus en plus systématisés au fil du temps. Les questions qu'ils posent sont bien plus uniformes d'une administration à une autre. Il existe au sein de la communauté métisse un processus d'approbation — qui a toujours existé — concernant qui peut fait partie de ces organismes dirigeants.

Je veux souligner qu'ils ne représentent pas nécessairement tous les Métis. Beaucoup de Métis ne se joignent pas aux organisations dirigeantes pour diverses raisons personnelles ou en raison de diverses décisions culturelles. Le fait de ne pas faire partie de cette organisation est un choix; par conséquent, la non-participation à certaines des possibilités offertes par l'article 91.24 ou par l'arrêt Manitoba Metis Federation, en soi, est peut-être un choix.

L'autre résultat positif de cette affaire, c'est qu'en fait, la Fédération des Métis du Manitoba a donné la possibilité à des personnes de l'extérieur de la province de devenir membre. C'est la première fois qu'une organisation fait cela. Actuellement, les organismes dirigeants se situent clairement à l'intérieur des territoires provinciaux; la nation métisse de la Saskatchewan, la Fédération métisse du Manitoba, l'Alberta, l'Ontario. La Fédération métisse du Manitoba a invité des personnes dont la famille avait été dispersée après 1870 à être réadmises dans la famille de la fédération. Ce critère a été étendu davantage à certains égards, et, en même temps, peut-être qu'il est devenu plus étroit à d'autres égards. Voilà les débats que les Métis doivent régler au sein de leur collectivité. Il est malheureux qu'ils le fassent de façon aussi publique.

Le sénateur Sinclair : Je suis curieux au sujet de la question de qui est un Métis. Peut-être que nous pouvons simplement résumer tout cela à cette question. Selon vous, qui finira par correspondre à cette définition? L'information contextuelle que je veux porter à votre attention, encore une fois, c'est que, dans le passé, les organisations qui représentaient les Métis représentaient également les Indiens non inscrits, comme on les appelait. En conséquence, une pratique qui a vu le jour chez de nombreuses organisations métisses consistait à inclure également les Indiens non inscrits. Bien entendu, il y a des années, le Congrès des Peuples Autochtones a assumé la responsabilité à l'égard de ce grand groupe. Toutefois, pensez-vous que cette distinction vaut encore la peine d'être prise en compte?

Mme Macdougall : Vous avez tout à fait raison. Les premiers organismes dirigeants étaient effectivement des organisations composées de Métis et d'Indiens non inscrits. Après 1982, il y a eu une séparation ou un divorce — comme certaines personnes l'ont appelé —, et certainement après l'adoption du projet de loi C-31 et l'idée selon laquelle les personnes non inscrites seraient de nouveau inscrites. Cela s'est produit, bien sûr, mais peut-être pas aussi facilement que de nombreuses personnes l'auraient cru possible. Il reste encore beaucoup de personnes non inscrites au sein des organismes dirigeants des Métis, c'est certain, et je ne pense pas que des mesures particulières soient prises pour les retirer.

Après l'affaire Daniels, il importe que l'on reconnaisse qu'il y a encore des Indiens non inscrits au pays et que cette situation ne va probablement jamais changer. Compte tenu de la façon dont la carte du projet de loi C-31 est dressée, nous savons que de plus en plus de gens deviendront non inscrits au fil du temps, voire rapidement. Cela pourrait à nouveau devenir un problème menaçant.

Les Métis et les personnes non inscrites ont des problèmes différents, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas travailler à l'appui d'espaces, et c'est ce qu'ont fait les premiers organismes dirigeants; c'est ce qui faisait leur force. Ils travaillaient à l'appui les uns des autres, pas en contradiction les uns avec les autres. J'ai les mêmes préoccupations à l'égard de la possibilité qu'une contradiction croissance et menaçante soit en train de couver et qu'il ne soit pas possible de la régler en quelques trimestres.

Quant à savoir qui sont les Métis, ils proviennent des collectivités qui, dans le passé, pratiquaient la traite de fourrure. Il est certain que le gouvernement canadien n'avait aucune difficulté à nous identifier en 1985; pourtant, il semble que nous serions difficiles à identifier aujourd'hui. Nous sommes exactement là où on nous a laissés. Nous sommes encore principalement dans l'ouest du Canada, mais aussi dans des régions de l'Ontario et de la Colombie- Britannique. Au XXe siècle, de nombreuses personnes ont dû déménager à l'extérieur de ces territoires afin de travailler, alors il sera difficile de réunir ce qu'une personne a appelé « les Métis dispersés comme des feuilles au vent » dans tout le pays.

Peut-être qu'une partie de cette difficulté pourrait être atténuée par d'autres organismes dirigeants qui permettraient aux gens qui ont dû quitter leur province et leur maison d'en devenir membres. Il y a des gens de la Saskatchewan qui sont en Colombie-Britannique en raison de l'extraction minière de ressources. Si la Saskatchewan permettait à ces personnes d'être membres afin que leur organisme politique soit de l'endroit d'où elles viennent, peut-être que nous n'aurions pas ces conflits.

Je ne sais pas. Je ne fais pas partie de ces organismes dirigeants. Ils vont devoir régler ces questions. Je pense que la Fédération des Métis du Manitoba a établi un précédent qui est très intéressant.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Bienvenue. Vous avez mentionné les terres visées par le certificat de Métis. S'agit-il de terres qui ne sont accessibles qu'aux Métis et qui ne sont accessibles à aucun Autochtone dans l'ensemble du pays?

Mme Macdougall : Dans le passé, les terres visées par le certificat de Métis ont été octroyées en commençant par le Manitoba, puis dans les trois provinces des Prairies dans leur ensemble — donc, la Saskatchewan, l'Alberta et des parties des Territoires du Nord-Ouest —, entre 1885 et 1923. Une fois qu'elles ont été octroyées, en 1923, c'était des certificats d'argent qui étaient offerts, alors les gens étaient admissibles à demander un paiement en espèces pour l'extinction de ce qui avait été désigné comme leur titre de métissé ou leurs droits de métissé à des terres. Ces certificats n'étaient accessibles que dans ces provinces et territoires. Aucun certificat de Métis n'a été délivré en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick ou en Colombie-Britannique, et ce n'était que durant cette très petite période de peuplement. Le certificat de Métis, qui prescrivait essentiellement votre droit de propriété, a été converti en attribution de propriété familiale sous le régime de la Loi sur la propriété familiale de 1880, alors ils sont simplement devenus des propriétés immobilières au lieu d'un espace appartenant à une collectivité et occupé par cette collectivité.

La sénatrice Lovelace Nicholas : J'ai posé cette question parce que, comme vous et certaines personnes ici présentes le savez, des terres de la Couronne ont été mises de côté pour les Autochtones. N'êtes-vous pas reconnu en tant qu'Autochtone pour accéder à ces terres?

Mme Macdougall : Alors, les certificats de Métis étaient un moyen particulier de régler une revendication territoriale en suspens d'une manière qui n'entraînait pas la création de réserves et de responsabilité fédérale continue à l'égard des personnes qui en faisaient la demande. Il n'était pas nécessaire d'être Métis pour demander le certificat. Nous connaissons des familles autochtones qui en ont demandé, tout comme les Métis qui pouvaient, en fait, signer un traité à titre personnel sous l'égide d'un chef autochtone reconnu. Toutefois, si on faisait cela, on devenait légalement un Autochtone, alors on cessait d'être Métis. Les personnes de culture autochtone, crie, dénée ou quoi que ce soit qui prenaient un certificat de Métis cessaient d'être autochtones au sens de la loi. C'est pourquoi nous sommes sur la corde raide en raison de la terminologie, utilisée en droit canadien.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de votre réponse.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup, et je voudrais poser quelques questions de plus au sujet du certificat de Métis. La définition de son objectif prévoyait-elle clairement l'extinction de tous les droits à demander un titre foncier par la suite? Comment la transition a-t-elle eu lieu pour que ce soit de l'argent qui soit remis au lieu d'une terre — d'un titre de propriété familial — et, durant cette transition, le certificat était-il bien défini? La personne qui concluait cette entente comprenait-elle ce à quoi elle renonçait?

Mme Macdougall : Le certificat de Métis est un système légalisé incroyablement complexe qui a évolué de multiples façons au fil du temps. Il a beaucoup changé entre 1885 et 1906. Je ne suis pas la grande experte au sujet du certificat de Métis parce qu'il est très précis et complexe. Frank Tough est le grand spécialiste du certificat de Métis depuis de nombreuses années, et son travail est probablement le plus précis dans ses tentatives d'en faire le suivi au fil du temps.

Ce que je peux vous en dire, toutefois, c'est que les gens ne savaient pas clairement comment ni quand ils pouvaient le demander. Ils présentaient des demandes dans plusieurs provinces. Les registres du certificat de Métis sont tous réunis à Bibliothèques et Archives Canada. Les documents originaux existent encore tous. Tous les certificats de Métis existent encore. Ils sont tous dans les archives de la bibliothèque. Des registres sont tenus par le commissaire aux traités. Il est aussi le commissaire aux titres. Après 1885, au lendemain de la négociation d'un traité ou quelques jours plus tard, on amorçait le processus de délivrance des certificats, dans le cadre duquel les gens remplissaient les demandes.

Les demandes, en tant que telles, ont changé au fil du temps. Elles n'avaient pas le même aspect en 1885 qu'en 1923. Elles sont devenues plus détaillées et plus axées sur les questions. J'ai utilisé les demandes de certificat provenant d'une source d'information généalogique. Elles sont incroyablement détaillées au sujet de qui sont les gens, de l'endroit où ils se trouvent, du nombre d'enfants qu'ils ont eus et du nom de leurs enfants. Les gens pouvaient présenter une demande pour des enfants décédés. Il s'agit d'éteindre le plus possible l'idée de titre de propriété.

Le certificat a-t-il prescrit légalement le droit de propriété? C'est une question qui est encore devant les tribunaux, car il ne s'agit pas d'un traité. Est-il capable de prescrire le droit de propriété? Selon la proclamation royale, la façon de prescrire le droit de propriété, c'est au moyen d'un traité. Le certificat est l'attribution d'une terre à une personne. Voilà la question, et c'est la question qui se posera dans le cas de la revendication territoriale dans le nord de la Saskatchewan.

Une grande partie des recherches de Frank Tough concernant le certificat de Métis ont été générées dans le but de répondre exactement aux questions que vous posez. Nous n'avons même pas encore les réponses. Les Métis diraient qu'il n'a pas prescrit leur droit de propriété; la Couronne affirme le contraire.

La sénatrice Raine : Simplement pour faire un suivi : quand nous parlons de titre de propriété, bien des Canadiens et des personnes qui écoutent comprennent probablement le titre de propriété en fief simple que vous possédez, sur lequel se trouve votre maison et qui vous est attribué à titre personnel. Ensuite, il y a le titre ancestral, qui est attribué collectivement pour un territoire propre aux Indiens et qui est très difficile à changer.

Mme Macdougall : Exact.

La sénatrice Raine : Je sais que, dans certaines administrations américaines, par exemple, ce système de titre collectif s'est effondré. Toutefois, au Canada, on dirait que de nombreux Autochtones veulent encore posséder un titre collectif.

Alors, ce que nous avons fait, dans ce cas-là, c'est que la personne a dit : « le titre collectif ne m'intéresse pas vraiment, mais je veux signer ce document afin que quelque chose m'appartienne à titre personnel ». Ai-je raison d'affirmer que c'est ce qui lui est passé par la tête? Il est fascinant que vous ayez effectué beaucoup de recherches dans ce domaine. Je veux savoir : les gens pensaient-ils qu'en contrepartie de ce qu'ils obtenaient à la suite de la signature de l'entente, ils ne feraient plus jamais partie d'un titre collectif?

Mme Macdougall : Je ne suis pas certaine que ce soit ce qu'ils comprenaient ou ce qu'ils voulaient. Le contexte du certificat de Métis, c'est la période après 1885, quand les gens venaient tout juste de partie en guerre contre l'État et qu'ils étaient punis pour l'avoir fait.

L'autre aspect de la question, c'est que, jusqu'en 1885, nous avions déjà vu plusieurs autres traités être établis, n'est- ce pas? Les traités 1 jusqu'à 6 ou 7, je crois même jusqu'au traité 8. Ce qu'ils comprenaient des traités, c'est que les traités pouvaient vraiment être utilisés contre les gens. Les gens étaient envoyés dans des réserves, et ce n'était pas des endroits où ils voulaient être, c'était des endroits qu'ils ne s'étaient pas eux-mêmes choisis. Les Métis ont bien vu que le gouvernement fédéral avait adopté une politique visant à affamer les gens qui refusaient d'aller dans une réserve ou, qui, d'une manière ou d'une autre, contrevenaient à la Loi sur les Indiens ou aux directives de l'agent des Indiens. Au XIXe siècle, les traités ne sont pas une bonne chose.

Le fait qu'ils sont devenus un moyen pour vous de conserver vos droits collectifs n'est pas quelque chose que les gens auraient pu prévoir, après 1885, à mon avis. Je ne crois pas que les membres des Premières Nations aient été nombreux à le prédire eux non plus. Cette façon d'envisager les traités est propre au XXe siècle; ce n'est pas ainsi que l'on comprenait ou que l'on voyait les traités, au XIXe siècle.

Les gens qui décidaient d'accepter un certificat le faisaient afin de ne plus se trouver sous le joug de la Loi sur les Indiens, mais c'est tout. Cela ne voulait pas dire qu'ils n'appartenaient plus à une collectivité. Cela ne voulait pas dire qu'ils ne formaient plus une collectivité.

N'oubliez pas que seules les terres situées dans le sud pouvaient être concédées. Ces terres ne se trouvaient que dans des régions déjà prospectées. Les gens de l'Île-à-la-Crosse qui demandaient un certificat, par exemple, ou ceux de Green Lake, ne pouvaient pas obtenir ce certificat et s'établir sur une terre, car les terres n'avaient pas été prospectées. Ils ne peuvent assurer l'unité de leur collectivité, mais ils peuvent obtenir un certificat et le vendre à des spéculateurs pour recevoir au moins un peu d'argent, tout en restant sur place. Je n'ai jamais entendu dire qu'une famille de l'Île-à-la- Crosse aurait quitté la région pour s'établir sur une concession dans le sud du Canada.

La sénatrice Raine : Cette question m'intéresse vraiment beaucoup. Si j'ai bien compris, dès le départ, les habitants du sud du Manitoba et de la Saskatchewan se démenaient afin de participer à la formation du Manitoba et d'être reconnus en tant que citoyens de cette province. « Nous sommes ici. Des colons arrivent. Les terres sont organisées en province, et nous voulons que nos droits soient établis. » Au bout du compte, la guerre a éclaté. C'est après la guerre que le système des certificats a été adopté.

À ce moment-là, dans la population du Manitoba et du sud de la Saskatchewan, quel pourcentage de la population était composé de membres d'une Première Nation signataire d'un traité vivant dans une réserve, pas nécessairement une réserve qu'ils avaient choisie; quel pourcentage était composé de Métis, de collectivités bien établies et quel pourcentage était composé de colons et de nouveaux arrivants?

Mme Macdougall : Nous ne pouvons pas décomposer ainsi les données démographiques. Mais je puis vous dire que, en 1870, au Manitoba, dans la minuscule région du Manitoba d'alors, non pas dans le Manitoba moderne, en 1870 le recensement faisait état de 10 000 habitants. Environ 8 000 étaient des Métis, d'ascendance écossaise ou française, peu importe, ce n'est pas la catégorie qui compte, mais il y en avait 8 000 sur le total de 10 000 habitants. Je ne suis pas très bonne avec les chiffres, et je ne me souviens pas du chiffre exact, mais de 600 à 700 personnes étaient membres d'une Première Nation dans ce qu'on considérait comme le Manitoba à l'époque. Pas au sens actuel. Un très petit pourcentage était composé de nouveaux arrivants de l'Ontario, de plus ou moins fraîche date, et aussi de non- Autochtones toujours attachés à la Compagnie de la Baie d'Hudon.

Winnipeg est un poste de traite des fourrures. C'est une série de postes de traite des fourrures, et c'est pourquoi des non-Autochtones y étaient présents depuis longtemps. Je peux vous dire ça, mais je ne peux vous dire quel pourcentage représentent les Métis et les membres des Premières Nations ailleurs.

Les données du recensement sont relativement peu fiables, au XIXe siècle. Elles sont relativement peu fiables aujourd'hui. Tout dépend de la question qui est posée, mais cela dépend aussi des recenseurs, étant donné que, au XIXe siècle, les recenseurs s'adressaient aux agents des Indiens et aux missionnaires. Ils ne parlaient pas directement aux gens. Un missionnaire peut bien déclarer qu'une personne est un Métis, si celui-ci est catholique en bonne et due forme, mais ne déclarerait pas qu'elle est un Métis ou un Indien si la personne n'est pas en bonne et due forme catholique ou anglican. Les missionnaires comptaient les fidèles de leur Église. Ils ne comptaient pas les gens qu'ils ne connaissaient pas, parce qu'ils n'avaient aucune importance à leurs yeux. C'est pourquoi nous n'avons pas cette information. Le recensement nous en apprend davantage au sujet des recenseurs qu'au sujet des gens recensés, historiquement.

Le sénateur Sinclair : Quelle était la source de ces données?

Mme Macdougall : Les données pour le Manitoba?

Le sénateur Sinclair : Oui.

Mme Macdougall : Il y a eu un recensement en 1870, et c'est donc le premier recensement canadien dans la région du Manitoba.

Le sénateur Sinclair : Donc, ce sont les données du recensement de 1870?

Mme Macdougall : Oui, c'est un recensement canadien, de 1870.

Le sénateur Sinclair : Pour la région qui s'appelait à l'époque le Manitoba?

Mme Macdougall : Oui.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Le sénateur Oh : Merci, madame, de votre exposé. Vendredi dernier, la ministre Bennett a signé avec les Métis de l'Ontario une entente pour l'élaboration du cadre qui s'appliquera à la négociation des droits et revendications, ce qui doit se faire en septembre de l'année en cours.

Mme Macdougall : En effet.

Le sénateur Oh : En vous fondant sur les cas précédents, pourriez-vous dire quelle serait à votre avis l'issue la plus probable de cette entente? Désirez-vous que quelque chose en particulier soit une priorité?

Mme Macdougall : J'ignore de quoi ils ont prévu discuter. Je sais que les consultations vont commencer assez bientôt, dans les collectivités métisses de l'Ontario, au sujet de cette entente-cadre.

Je ne sais pas quelles sont les priorités des gens. J'espère que la priorité ira aux terres puis, dans l'ordre, à tout ce qui est inscrit sur la liste. Mais les collectivités métisses sont des collectivités comme les autres. Elles ont des priorités, elles veulent s'assurer que leurs enfants puissent aller à l'école, que des soins de santé soient accessibles; elles ont le même genre de préoccupations que tout le monde. Sur le plan personnel, les gens seront peut-être nombreux à juger que ces aspects-là sont plus importants que les terres, ce qui est en quelque sorte une abstraction. Je crois qu'il y a bien des gens qui pensent que la question des terres ne sera jamais réglée, n'est-ce pas? C'est pourquoi je crois que les priorités ne seront pas trop grandes. De mon côté, j'espère que nous pourrons entamer un véritable dialogue sur les revendications territoriales, au Canada. Je ne sais pas si cela arrivera un jour.

Le sénateur Oh : Est-ce que les Métis sont très dispersés ou est-ce qu'ils se regroupent en collectivités nombreuses?

Mme Macdougall : Depuis les années 1960, et, dans certains cas, depuis les années 1930, les Métis ont créé des organes directeurs. Ils sont organisés par région. Ensuite, ils sont organisés en conseils communautaires locaux, lesquels représentent une région géographique très bien délimitée, et les gens peuvent vivre dans n'importe quel lieu à proximité.

J'ai peut-être dit qu'ils étaient « dispersés aux quatre vents », mais je voulais seulement dire par là que ces gens ont dû quitter leur maison ou la terre qu'ils considéraient comme leur terre natale, mais ils ont noué d'autres liens avec les Métis vivant ailleurs et ils ont créé des organes directeurs, ailleurs, pour se soutenir. La structure des organes directeurs est assez bien organisée, mais les gens sont plutôt dispersés, sur le plan géographique.

J'aimerais également souligner que, selon les dernières statistiques réunies pour le Canada, les Métis vivent surtout en milieu urbain, dans les villes des provinces des Prairies, mais aussi, parfois, en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. Les emplois se trouvent dans les villes.

Le sénateur Tannas : Justement, vous avez parlé d'organes directeurs ou de gouvernance. Que gouvernent-ils exactement? Peuvent-ils adopter des règlements et les gens doivent-ils respecter ces règlements? Je pense entre autres au déneigement des routes, des choses comme ça, mais ça n'a rien à voir. Qu'est-ce que cela a à voir avec les organes directeurs dont vous parlez?

Mme Macdougall : Les premières organisations politiques métisses avaient créé des conseils locaux dans diverses collectivités. Leurs responsabilités consistaient à traiter avec le gouvernement au nom des gens, à discuter des terres, des droits de chasse et d'éducation. L'éducation, c'est en réalité la première chose pour laquelle les gens ont véritablement commencé à s'organiser, car ils voulaient s'assurer que leurs enfants pourraient aller à l'école. Dans les années 1930, personne ne pensait aux études universitaires, et c'est pourquoi il était si important pour eux de s'assurer que leurs enfants pourraient à tout le moins terminer l'école primaire. Dans les années 1960, les gens se sont organisés au sujet des études universitaires et de l'accès aux écoles. Ce sont des enjeux de ce type.

Le sénateur Tannas : Ces organes s'occupaient donc davantage de défense des droits que de gouvernance à proprement parler? Je veux dire par là que personne n'était lié par une décision? Personne n'était obligé de faire quoi que ce soit, et cetera?

Mme Macdougall : Non.

Le sénateur Tannas : Ils s'occupaient de la défense des droits. Merci.

Mme Macdougall : La gouvernance suppose une bonne part de défense des droits, c'est normal. La façon dont ces organismes sont conçus tient beaucoup à ce que l'on entend par principes démocratiques d'un gouvernement élu, au choix des représentants élus, ce qui s'applique aux réunions d'un conseil qui prend des décisions sur les priorités d'une année donnée et à l'élaboration de documents exposant ces principes. Cette structure correspond à une forme de gouvernance, oui, c'est certain, mais le travail consiste à « défendre les droits d'autres personnes » étant donné que, pour des personnes sans terres, il n'y a pas grand-chose à gouverner.

Le sénateur Tannas : C'est vrai.

Mme Macdougall : Cela dit, les membres des conseils de gestion locaux savent très bien s'exprimer et sont très proactifs, et c'est ainsi depuis de très nombreuses années. Les Métis sont des gens très politisés... Pour de très bonnes raisons, probablement. Toutefois, l'année 1869 n'a pas échappé à la règle. La structure qu'ils ont choisie pour ce modèle de gouvernance, en 1869, les conseils des années 1940 et les plus petits conseils, toutes ces choses existent encore aujourd'hui. Les organes directeurs d'aujourd'hui semblent refléter le conseil provisoire de 1869, et ce conseil provisoire de 1869 s'inspire lui-même beaucoup d'un ancien modèle utilisé pendant la chasse au bison, un vieux modèle qui permettait de réunir des gens pendant de courtes périodes de façon à faire avancer les choses sur les plans économique, politique et social et qui prévoyait aussi la dispersion une fois que cette gouvernance n'était plus nécessaire au quotidien.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Beyak : Merci, madame, de ce magnifique exposé. J'ai une question d'ordre pratique. Nous nous réunissons en comité autour d'une table, ici et dans les salles du gouvernement, et, pendant nos débats, nous utilisons différentes expressions et descriptions; mais les gens qui nous regardent, à la maison, ne connaissent pas toute l'histoire et aimeraient peut-être savoir comment tout cela a commencé. Ils entendent parler des Indiens, des Autochtones, des Métis, des Inuits, des Premières Nations, et ils ne savent pas exactement qui était ici quand nous sommes arrivés et comment les choses ont évolué. Pourriez-vous brosser un rapide tableau de leur histoire pour les gens qui nous regardent?

Mme Macdougall : En parlant spécifiquement des Métis? J'aimerais que ce soit clair.

La sénatrice Beyak : En parlant de tout le monde.

Mme Macdougall : De tout le monde?

Le sénateur Sinclair : Bonne chance.

Mme Macdougall : Il y avait ici des peuples autochtones, lorsque le Canada est né. Ce sont les peuples que nous appelons aujourd'hui les Premières Nations, les Cris, les Sahtu, les Anishinaabe, les Dénés et les Inuits. Le peuple des Métis n'a vu le jour qu'après la colonisation. C'est la manière la plus facile de nous décrire. Nous n'avons aucune histoire avant les premiers contacts avec les Européens. Notre origine, notre ethnogenèse, comme on peut le dire, est le fruit du mariage entre des commerçants de fourrure — pas des colons, des commerçants de fourrure — et des femmes autochtones. Ces commerçants de fourrure étaient surtout des Écossais et des Français, mais pas exclusivement, et les femmes étaient des Cris, des Anishinnaabe et des Dénés, surtout, mais pas exclusivement, ici aussi.

Les Métis ont assuré leur subsistance grâce au commerce des fourrures, mais leur vie familiale reflétait en assez bonne partie les traditions des Premières Nations. Nos familles élargies sont nombreuses. Nous vivons en grands groupes familiaux. Nous fonctionnons, fondamentalement, comme vous vous imaginez que fonctionnaient les bandes, historiquement, mais nous restons attachés au commerce des fourrures, notre principal moteur économique. Les Métis ont toujours travaillé dans toutes les facettes du commerce des fourrures, de l'interprétation à la pêche, par exemple.

Arrivés au XXe siècle, cependant, nous vivions selon un code juridique très complexe que le Canada avait élaboré pour définir qui sont tous ces peuples et quels droits ils ont en conséquence de cet état de choses. En 1982, le Canada a décidé d'utiliser le terme « Autochtones » pour désigner de manière générale trois peuples différents, à savoir les Inuits, les Métis et les Premières Nations, même si le mot utilisé dans la Constitution est le mot « Indiens ». En vérité, il est question des personnes ayant le statut d'Indiens, dans la Constitution.

Le ministère des Affaires indiennes et du Nord tient un registre de toutes les personnes qui ont légalement le statut d'Indien au sein de la population de notre pays. Cela n'a rien à voir avec la culture. Ce n'est pas en raison de sa langue ou de sa famille que l'on se retrouve avec le statut d'Indien inscrit. C'est la structure juridique la plus systématique dont nous disposions pour identifier une population en particulier. Il n'existe aucune structure correspondante, en réalité, pour les Métis et les Inuits.

Il existe également un système de codes juridiques qui remonte à la Constitution, et l'année 1867 marque le début de tout ce processus. Nous avons donc des catégories juridiques, mais nous avons également des catégories culturelles et des catégories linguistiques. Les gens se définissent d'abord par leur famille. Qui est votre famille? Quel est votre nom? Qui sont vos grands-parents? Quels liens entretenez-vous avec les autres membres de la collectivité? Tout part de là. Vivez-vous dans une réserve? Vivez-vous dans le Nord? De quelle région géographique venez-vous? Nous parlons de ce type de choses. Nous discutons entre nous de différentes manières dans le but de nous replacer dans le cadre approprié de notre identité culturelle et linguistique plutôt que de notre identité de personnes inscrites ou de Canadiens.

La sénatrice Beyak : J'aimerais vous remercier de cette réponse très complète. Cela répond à bien des questions que l'on me pose souvent.

Le sénateur Christmas : Merci, madame. J'ai vraiment appris beaucoup de choses, ce matin. J'aimerais bien que vous me disiez si, à votre avis, il y a des Métis originaires des Maritimes, des Métis qui habitent aux Maritimes ou des Métis qui ont un rôle à jouer dans les provinces maritimes.

Mme Macdougall : On en parle de plus en plus. La seule réponse que je puis vous donner, c'est que je ne sais vraiment pas quoi répondre. Je sais qu'il y a dans les Maritimes des organismes qui surgissent tout d'un coup disant qu'ils représentent des Métis. La question que je me pose habituellement est la suivante : est-ce que ce sont des Métis ou est-ce que ce sont des Indiens non inscrits? Je comprends très bien que les gens ne veulent pas être des Indiens non inscrits. Quand le mot qui nous désigne commence par « non », c'est comme si on n'était rien; n'est-ce pas? C'est un mot qui efface. En fait, êtes-vous Micmac? Êtes-vous Malécite? À quelle tradition des Premières Nations appartenez- vous?

Je suis du même avis que la plupart des spécialistes de la question et la plupart des Métis : on ne peut pas nous réduire à la somme de nos sangs mêlés. Je refuse la notion de sang-mêlé. Je ne suis pas de sang-mêlé, je suis une Métisse. J'ai une famille. J'ai une tradition, j'ai une langue. J'occupe une place dans le monde en tant que Métisse et non pas une fraction de place selon les fractions de mon sang. Je ne suis pas d'accord avec les gens qui utilisent le mot « Métis » pour exprimer le fait que leur identité est fractionnée.

La sénatrice Raine : Sénateur Christmas, nous avons mené il y a trois ans une étude très intéressante sur l'identité métisse. Ce que Mme Macdougall est en train de dire, c'est à peu près la conclusion à laquelle nous en sommes venus, au bout de cette étude, c'est-à-dire que seuls les Métis savent réellement s'ils sont des Métis. Comme le dit Mme Macdougall, cela n'a rien à avoir avec le sang. Cela tient plutôt à la culture, aux racines, aux liens familiaux qui remontent loin dans le temps. Je crois que l'on pourrait répondre à cette question en disant qu'il y a peut-être des Métis, dans les Maritimes, dont la famille vient de la région du Manitoba.

Le sénateur Christmas : Oui.

La sénatrice Raine : Le commerce des fourrures s'étendait au Québec aussi bien que dans l'Ouest, alors il y a définitivement un lien. Est-ce exact, madame Macdougall?

Mme Macdougall : Je crois qu'il y a des gens qui sont retournés vers l'est, c'est certain, mais je crois qu'il faut exister dans le contexte d'une collectivité, et je ne parle pas d'un village. Il faut exister au sein d'une famille communautaire élargie, jusqu'à un certain point, pour pouvoir se dire tel, et je crois que cela s'applique encore aujourd'hui.

Il y a une chose que j'aimerais clarifier. Je sais qu'il y a des gens qui pensent que le terme « Métis » désigne tout simplement une personne d'origine mixte, et que n'importe quelle personne d'origine mixte fait nécessairement partie de ce milieu-là, étant donné que c'est ce que le mot « Métis » veut dire. En anglais, c'est un synonyme de « sang-mêlé ». Ces deux termes veulent dire la même chose. Ce ne sont pas des mots magiques. Le terme « Métis » a très clairement changé au cours du XIXe siècle et, aujourd'hui, il désigne un peuple, une nation. Il ne s'applique plus de façon aléatoire à toute personne de sang-mêlé.

Ces gens-là sont peut-être bien des Indiens non inscrits. Il faudrait discuter davantage, au Canada, de l'expression « non inscrit » ou du mot « non », pour savoir pourquoi nous décrivons certaines personnes à l'aide d'un mot négatif, quand il s'agit en fait de Premières Nations, et ces personnes devraient à coup sûr avoir une place ici, à nos côtés, à l'échelle du pays, aussi, et il faudrait discuter ouvertement de ce que cela veut dire, d'être ainsi privé de ses droits. Ces personnes ont elles aussi été privées de leurs droits, un peu comme les Métis, mais pas exactement de la même façon. Nous avons tous subi le colonialisme, mais nous ne l'avons pas subi de la même façon. C'est pourquoi nous devrions discuter plus amplement de cette question.

L'affaire Daniels l'a montré clairement. Il ne s'agit pas des Métis. Il s'agit du fait que les Métis et les Indiens non inscrits devraient légalement être reconnus en tant qu'Indiens aux fins de l'application de la loi.

Le sénateur Christmas : Je remercie la sénatrice Raine de cet éclaircissement. Je ne savais pas que le comité s'était déjà occupé de cette définition.

J'apprécie la distinction faite par Mme Macdougall entre le sang et les liens culturels et linguistiques. Je l'apprécie vraiment beaucoup.

Dans les Maritimes, dans les milieux micmacs, du moins, nous avons toujours ignoré qu'il y avait des Métis parmi nous, mais nous savions qu'il y avait des Acadiens. Cela tient davantage aux traditions culturelles et linguistiques qu'à la composition du sang. Merci de ces définitions et de vos éclaircissements.

La sénatrice McPhedran : Madame Macdougall, merci beaucoup de l'exposé que vous nous avez présenté aujourd'hui. Vous parlez très bien, et vous savez parler clairement — ce qui n'est pas toujours facile pour un enseignant —, et cela favorise énormément l'apprentissage, au Canada et au-delà de nos frontières.

Ma question a davantage trait à l'avenir et à votre rôle de chercheuse. J'ai eu le privilège de devenir sénatrice après avoir été enseignante. Au fil des ans, j'ai eu de nombreux étudiants d'origine autochtone, et, au Manitoba, ils étaient nombreux à se dire Métis. Pourriez-vous nous dire, en tant que spécialiste de la question, ce que seraient à votre avis les changements les plus utiles du système d'éducation, en particulier en ce qui a trait à la transition entre l'école secondaire et les études postsecondaires? Je vous en remercie d'avance.

Mme Macdougall : Nous parlons des étudiants autochtones?

La sénatrice McPhedran : Des étudiants métis.

Mme Macdougall : Ce qu'il faut savoir, quand on parle des Métis, c'est que les Métis n'ont jamais possédé grand- chose, et c'est pourquoi ils ont dû se battre pour se tailler une place. J'ai observé, au sujet des Métis qui fréquentent l'université, qu'ils n'ont pas besoin de grand-chose. Ils ont tout simplement besoin qu'on leur ouvre la porte. Leur famille les a politisés; leur collectivité a fait de même. Ils ont leur franc-parler. Ils prennent très bien soin d'eux-mêmes. S'ils se sentent exclus, ils seront les premiers à le dire et à vouloir être inclus : « On nous a oubliés, vous devez cesser de nous oublier. »

Ce n'est pas tant ça qui m'inquiète à leur propos; ce qui m'inquiète, c'est la façon dont le programme a été conçu. Il reste l'héritage de ce vocabulaire sur le métissage, il n'aide pas, et il est certain qu'il ne clarifie rien, même du point de vue des Premières Nations ou des Inuits. Tout le monde est, jusqu'à un certain point, métissé, n'est-ce pas? Nous devons cesser d'utiliser ce vocabulaire, car il ne reflète pas notre identité.

Je comprends qu'il est impossible d'obliger les enseignants à enseigner les choses de la façon dont vous voulez qu'ils les enseignent. Nous devons jouir d'une certaine liberté d'enseignement, pour faire les choses que nous voulons faire, mais cela ne veut pas dire que nous ne pourrions pas faire davantage d'efforts, au sein des départements, pour créer des structures d'inclusion touchant le vocabulaire et la façon dont l'histoire des Autochtones est enseignée.

J'ai un très grand choc, quand je suis arrivée en Ontario, de l'Ouest, parce que les élèves des écoles secondaires apprenaient toujours que Louis Riel était un traître et qu'il méritait d'être pendu. Je trouve aberrant que cette version fasse toujours partie des programmes des écoles primaires et secondaires. Il n'est pas décrit comme un des fondateurs du Manitoba. Et, même si vous n'êtes pas d'accord avec les principes de la résistance, en 1869 ou en 1885, dans un pays démocratique, on a le droit de critiquer son gouvernement. C'est ça qui s'est passé.

Ces aspects sont problématiques, et je crois qu'ils ont entraîné un certain niveau de discrimination structurelle, laquelle est puissante, et que nous n'avons pas réussi à nous y échapper.

La sénatrice McPhedran : J'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet, pour parler un peu plus de la question des politiques.

Pendant que nous sommes ici, il y a partout des réunions sur l'indigénisation des universités. J'aimerais connaître vos réflexions sur le fait que les universités, non seulement prennent des positions sur le leadership, mais aussi investissent dans l'indigénisation en désignant, comme nous l'avons fait à l'Université de Winnipeg, par exemple — l'Université Lakehead est un autre exemple —, des dirigeants désignés au sein de l'organisation, et qui cernent également au moyen de consultations avec les étudiants et les professeurs les cours qui seront des cours obligatoires. Pourrais-je connaître vos réflexions à ce sujet?

Mme Macdougall : J'ai enseigné des cours obligatoires en études autochtones. Je l'ai fait, bien sûr, à l'Université de la Saskatchewan. Ces cours n'étaient pas obligatoires pour tous les étudiants de l'université, ils étaient obligatoires pour les étudiants de certains programmes. Je crois qu'ils sont désastreux, du point de vue de l'enseignement, à certains égards. Je sais que c'est antithétique. Lorsque des gens sont obligés de suivre un cours qu'ils ne veulent pas suivre, ils n'apprennent pas. Ils entretiennent de la rancune.

Nous devons commencer à nous attaquer au racisme beaucoup plus tôt, parce que les réactions, dans les cours d'études autochtones obligatoires, sont souvent des idées et des pensées racistes : pourquoi devrais-je apprendre cela? Qu'est-ce que cela a apporté au Canada? J'aimerais apprendre des choses concrètes. Je ne veux pas parler de l'héritage du passé. Pourquoi est-ce qu'on ne passe pas à autre chose? Si nous ne nous y attaquons pas dès les études primaires et secondaires, il sera trop tard, à la première année d'université, pour que ce cours obligatoire soit significatif. Je crois fermement que nous pouvons changer les programmes d'éducation menant à l'université de façon à ce que les étudiants soient davantage reliés aux programmes, à l'université.

Cela dit, je ne dis pas que les étudiants sont eux-mêmes personnellement racistes. Je dis qu'ils ont déjà tout un bagage d'idées lorsqu'ils arrivent dans une structure scolaire ou universitaire, qui ne leur a jamais rien appris au sujet des peuples autochtones, et ils pensent, à cause des médias ou à cause des idées populaires qui circulent, que ce sont là tout simplement des gens qui vivent à leurs crochets, à eux, les bons contribuables canadiens. Nous entendons toujours la même chose. Pourquoi est-ce que cela doit être intégré à un programme? Donc, cela commence plus tôt.

Je crois aussi, cependant, qu'il est possible de transformer les universités de façon que les cours proposent de meilleurs outils pour parler de sujets liés aux Autochtones, peu importe le type de cours. Par exemple, la Loi sur les Indiens est la loi la plus importante et la plus générale qui concerne les peuples autochtones. Elle concerne les Canadiens. Elle ne concerne pas seulement les Premières Nations. Elle concerne tous les Canadiens. Pourquoi les Canadiens ignorent-ils son existence? Pourquoi ignorent-ils les dispositions de la Loi sur les Indiens? Les Autochtones les connaissent, eux.

Tout cela doit commencer beaucoup plus tôt. Les gens doivent savoir d'où leur viennent leurs droits territoriaux. Cela ne se résume pas à la signature de traités. Comment peut-on obtenir une terre en fief simple? Quelles responsabilités cela suppose-t-il? Ce sont là des points de départ qui font que, lorsque les jeunes arrivent à l'université, leur vision du monde est déjà transformée par une manière différente de penser à la place qu'ils occupent dans notre pays, et cette pensée inclut les Autochtones dès le départ, non pas comme des accessoires. Nous ne sommes pas des accessoires, dans les cours. Je suis contre l'idée selon laquelle tout ce qu'il faut, c'est ajouter un module sur les Autochtones, et mélanger un peu le tout, pour indigéniser l'université. Cela ne sert à rien. C'est tout simplement une façon de nous considérer comme des accessoires.

La sénatrice McPhedran : Qu'aimeriez-vous voir?

Mme Macdougall : J'aimerais voir d'excellents programmes d'études autochtones. Dans les endroits où existent de très bonnes études autochtones et où elles sont soutenues, elles ont entraîné une transformation. J'aimerais que ces études autochtones soient obligatoires dans le système d'éducation de la maternelle à la 12e année. Encore une fois, lorsqu'elles sont soutenues et qu'elles sont solides sur le plan intellectuel, elles ont permis une transformation. Si nous avons ces espaces concrets de la maternelle à la 12e année et à l'université, nous aurons donc des cours complets qui peuvent soutenir d'autres programmes, par exemple, des programmes de droit, de médecine, d'éducation et de travail social. Selon mon expérience, les études autochtones reflètent une façon d'être autochtone dans une université ou un système scolaire.

La sénatrice McPhedran : Merci.

La sénatrice Pate : Merci de vous joindre à nous, madame Macdougall. J'ai trouvé tous vos commentaires très intéressants et une partie des autres documents que vous avez rédigés très utiles.

Pouvez-vous nous dire où vous avez constaté de bons exemples de programmes, de la maternelle à la 12e année, destinés aux jeunes qui fréquentent le système scolaire, mais aussi certains des meilleurs programmes d'études autochtones partout au pays?

Mme Macdougall : La province de la Saskatchewan offre, depuis le milieu des années 1980, des programmes d'études autochtones de la maternelle à la 12e année. Je n'ai pas suivi ces programmes — parce que j'avais déjà obtenu mon diplôme à ce moment-là —, mais on a travaillé très fort pour élaborer du matériel largement diffusé dans le système scolaire. Les commissions scolaires de la Saskatchewan travaillent en étroite collaboration avec le Bureau du commissaire aux traités afin de concevoir des trousses sur les droits issus de traités, avec le Gabriel Dumont Institute, pour avoir un programme métis, alors ils sont vraiment excellents dans le domaine des Premières Nations et des Métis, de la maternelle à la 12e année.

En Colombie-Britannique, le système d'éducation de la maternelle à la 12e année comportant des études et du contenu autochtones est probablement bien plus avancé que celui de la plupart des provinces à l'heure actuelle. Il est très axé sur la Colombie-Britannique, comme il devrait l'être, mais la Colombie-Britannique offre énormément de possibilités de suivre des cours à tous les niveaux. La province dispose d'un excellent matériel.

À mon avis, en ce qui concerne les meilleurs programmes universitaires en études autochtones, les endroits par excellence au Canada sont sans aucun doute l'Alberta, la Saskatchewan et l'Université Trent en Ontario. C'est là qu'on trouve les enseignants les plus dévoués, mais les programmes présentent certains problèmes. Toutes les universités ont leurs propres particularités, alors je ne m'y attarderai pas, mais elles ont probablement les plus grandes populations étudiantes et les enseignants les plus dévoués. Elles seraient suivies par le Manitoba, avec Winnipeg, pour des raisons évidentes.

Dans une population dense, on constate une richesse extrême de possibilités de programmes de la maternelle à la 12e année, de même que dans les structures universitaires.

Dans les endroits où se trouvent des universités et où les gens croient qu'il n'y a pas d'Autochtones, on observe ce genre d'impression diffuse quant à tout ce qui est autochtone. Les provinces de l'Ontario, du Québec et du Nouveau- Brunswick ne font probablement pas aussi bonne figure parce que ses citoyens ne côtoient pas des Autochtones tous les jours, comme dans les provinces des Prairies et la Colombie-Britannique.

Si vous voulez examiner des modèles internationaux d'études autochtones, l'Université de l'Arizona est de loin un des leaders en études amérindiennes, comme elle les appelle. C'est un merveilleux programme. Il y a l'Université du Minnesota. Il existe d'autres excellents programmes, mais ce sont ceux que j'examine afin de trouver une façon de faire les choses différemment. Ce sont les endroits que j'examinerais d'abord.

Le sénateur Enverga : Merci, et désolé de ne pas avoir été ici lorsque vous avez présenté votre exposé.

Vous avez mentionné plus tôt aujourd'hui la Loi sur les Indiens lorsqu'on vous posait des questions. Y a-t-il autre chose que vous voudriez remplacer ou changer qui aiderait grandement les Métis? Voulez-vous nous suggérer autre chose?

Mme Macdougall : La Loi sur les Indiens concerne les Métis dans la mesure où elle nous définit comme n'étant pas des Indiens. Il existe une disposition sur les Métis dans l'article des définitions. C'est une disposition législative qui est foncièrement coloniale, oppressive et destructrice. Il ne me revient pas vraiment de décider si elle doit exister. Cela revient aux personnes qui doivent composer avec elle.

Mais je crois que la première chose à examiner est que c'est le gouvernement fédéral qui détient le pouvoir et le contrôle sur le registre, non pas les collectivités ni les gens, alors le simple fait que l'existence même de personnes tienne à une loi est un problème au pays. Quelles sont les autres personnes qui sont ainsi définies par une loi?

Mais, encore une fois, il ne me revient pas de décider si ce document continuera d'exister. Cela devrait revenir aux personnes qui doivent composer avec cette loi tous les jours de le faire. Elle devrait néanmoins être reconnue pour ce qu'elle est. Une loi coloniale et oppressive.

Le sénateur Enverga : S'il n'en tenait qu'à vous, que voudriez-vous changer dans la Loi sur les Indiens?

Mme Macdougall : S'il n'en tenait qu'à moi? Je ne veux pas qu'elle existe. Je crois que c'est une loi qui ne devrait pas exister. Je pense qu'il existe de meilleures façons de régler les problèmes visés par la loi. Mais, cela dit, vous ne pouvez pas seulement arracher quelque chose à des personnes. La loi existe depuis 1876; elle est fondée sur une loi préconfédérale. On doit faire beaucoup de travail afin d'établir un cadre différent dans lequel les personnes peuvent vivre de manière saine et efficace en l'absence de la loi.

La sénatrice Raine : Merci encore une fois, et je veux juste aller de l'avant. Vous avez parlé du territoire comme d'un enjeu qui vous préoccupe beaucoup en reconnaissant qu'il y a d'autres mesures de soutien ou choses qui seraient peut- être une plus grande priorité pour les collectivités métisses. S'il existait une façon d'obtenir un territoire pour le peuple métis, quelle serait votre vision?

Mme Macdougall : Je crois, de manière réaliste, que ce ne sera probablement pas un territoire sur lequel la plupart des gens peuvent vivre parce que nous avons déjà déménagé et créé des structures urbaines. Mais le territoire, c'est de l'argent, à un égard. C'est une ressource et une chose que vous pouvez utiliser pour accumuler du capital. C'est un endroit qui devrait être lié à notre culture et à notre histoire. Il peut représenter différentes choses dans différentes administrations. Je ne parle pas d'un territoire, ou peut-être s'agit-il d'un territoire; je ne le sais pas.

En fait, mon propos semble confus parce que je ne peux pas concevoir un monde où nous aurions vraiment un territoire, alors je n'y ai jamais pensé au-delà de ce processus. J'ai grandi dans une ville. Mon père a grandi dans une ville. Ma famille est urbaine depuis plus de 100 ans maintenant. Mais pour une personne qui vient du nord de la Saskatchewan, cette vision serait très différente. Elle se verrait faire du piégeage et cueillir des herbes médicinales et aurait un endroit où ses enfants pourraient vivre sur le territoire et apprendre les choses qu'ils sont censés apprendre de leurs aînés. Cela serait très différent pour eux de ce que j'ai pu concevoir pour moi-même. Il faut parler aux différents types de collectivités pour connaître la nature de ce concept et ce qu'il signifierait pour elles. Comme je suis une personne issue de la ville qui se rend sur le territoire avec ses aînés, je reconnais absolument le caractère spécial de ce besoin.

Alors, je ne sais pas. Je ne peux pas le décrire parce que je n'ai pas vécu ce concept de façon quotidienne. Mais je sais que c'est important pour les personnes qui vivent encore dans ces endroits.

La sénatrice Raine : Les droits des Métis, comme la chasse, le piégeage et la pêche, ce type de droits, croyez-vous qu'ils devraient être restreints à certains territoires propres aux personnes qui sont liées aux collectivités autour de ces territoires ou s'agirait-il de droits transférables selon lesquels un Métis pourrait chasser ou pêcher partout?

Mme Macdougall : Non, je crois que ces droits sont détenus collectivement par les collectivités, et ils doivent être exercés à l'endroit d'où viennent ces collectivités.

La sénatrice Raine : Par la collectivité?

Mme Macdougall : Des gens seront en désaccord avec moi, mais c'est ce qu'on m'a enseigné.

La sénatrice Raine : Enfin, y a-t-il des parcs nationaux qui appartiennent aux Métis, qui sont des endroits spéciaux pour eux et qui célèbrent leur histoire et leur culture? Ces endroits existent-ils? Y a-t-il des endroits spéciaux déjà préservés et gérés par un autre organisme qui pourraient être administrés par le peuple métis?

Mme Macdougall : Je vais revenir à votre première question et parlerai ensuite de la question de Parcs Canada.

Je veux que les choses soient claires. Lorsque je dis « collectivité », je ne parle pas d'un endroit sur une carte. Le village de l'Île-à-la-Crosse est une chose; le territoire traditionnel du peuple de l'Île-à-la-Crosse en est une autre très différente. Je ne m'en tiens certainement pas au site du village ou à 20 kilomètres autour du village. Encore une fois, c'est une conversation continue qui devrait se tenir avec ces collectivités afin de décider l'endroit où se trouve l'espace et la façon dont elles le conçoivent. Je voulais préciser cela. Je ne parle pas d'une région précise.

Oui, des parcs sont importants pour notre peuple. Le lieu historique national de Batoche vient en tête de liste pour de nombreuses personnes. C'est un lieu qui est important non pas uniquement pour les personnes qui y ont combattu. Chaque année, des milliers de personnes assistent au festival Back to Batoche, et il y a un terrain métis de l'autre côté de la route, à environ un kilomètre au nord du site historique national. Mais c'est Batoche lui-même qui est important, non pas ce petit terrain où le festival Back to Batoche se tient.

Il y a eu un certain nombre de familles métisses et de collectivités des Premières Nations qui ont été déplacées à l'extérieur de Jasper. Des familles ont été déplacées à l'extérieur du parc national du Canada de Prince Albert.

Quant aux parcs nationaux, ils se trouvent sur des terres de la Couronne, et ces terres se trouvent sur des terres autochtones. J'imagine que nombre d'entre elles sont très importantes et sacrées à certains égards, mais ce sont des terres auxquelles je penserais tout de suite spontanément.

Le sénateur Sinclair : Je veux revenir à une question que le sénateur Tannas vous a posée plus tôt concernant le territoire propre. Vous avez vous-même parlé du besoin d'un territoire. Il y avait une question à cet égard, et je crois que vous y avez répondu encore une fois d'une manière différente à la suite de la dernière question de la sénatrice Raine.

Cela me frappe de temps en temps que nombre de personnes comparent les droits territoriaux autochtones ou les droits autochtones concernant un territoire au fait de revendiquer un territoire. Par conséquent, si vous ne pouvez pas établir que vous avez un titre autochtone qui touche le titre d'autres personnes, alors vous n'avez pas de territoire propre et, en conséquence, vous n'avez pas le droit de le gouverner. Je me demande pourquoi nous ne pensons pas à la gouvernance autochtone d'une manière différente.

La Ville de Toronto, par exemple, couvre environ 640 kilomètres carrés, pourtant, elle possède probablement moins de 10 p. 100 du territoire de son territoire. La plus grande partie du territoire appartient à des particuliers, pourtant elle en gère 630 kilomètres carrés. C'est vrai pour la plupart des grandes villes et municipalités du pays. Les municipalités ne possèdent pas leur territoire, mais elles le gèrent.

Que pensez-vous de la raison pour laquelle nous ne considérons pas les droits autochtones de la même manière que les droits des Métis, en particulier? Je me demande précisément si vous pouvez commenter la Metis Settlements Act de l'Alberta et la Northern Community Councils Act du Manitoba, et je crois qu'il y a une loi similaire en Saskatchewan qui reconnaît le droit des collectivités nordiques, principalement les collectivités métisses, de s'autogouverner au moyen de dispositions législatives provinciales sans en réalité posséder des terres. Pouvez-vous parler de cela?

Mme Macdougall : Oui. D'abord, vous m'en bouchez un coin avec cette idée. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle.

Le sénateur Sinclair : J'ai tendance à avoir cet effet sur les gens.

Mme Macdougall : Je vais devoir beaucoup réfléchir à ce principe de base. Je ne sais pas pourquoi nous ne pourrions pas y penser autrement.

L'Alberta compte la seule assise territoriale désignée pour les Métis. Son origine remonte aux années 1930, où elle a été créée aux termes de la loi provinciale, et elle comporte huit établissements. Les établissements, depuis les années 1980 je crois, régissent le territoire en tant que conseil d'établissement. Il existe un conseil d'établissement principal. Je ne peux pas dire avec certitude à quel moment cette loi est entrée en vigueur. Les établissements étaient dirigés de manière individuelle et indépendante, et il existe maintenant un conseil d'établissement qui régit les huit établissements.

Il gère tout ce qui peut possiblement concerner ces établissements : la chasse, le trappage, la pêche, l'exploitation forestière et l'appartenance. Il existe un système de registres différent de celui de la Métis Nation of Alberta. Ces Métis considèrent qu'ils sont indépendants de cette organisation; ils entretiennent donc un lien avec elle, mais ils ne se sentent pas régis par elle. Ils constituent un modèle en tant que tel.

Il y avait des colonies semblables en Saskatchewan. Elles n'existent plus. Des colonies agricoles ont été créées dans les années 1940 sous le gouvernement provincial de la CCF. Elles n'existent plus. Elles n'ont pas été créées aux termes de la loi de la même manière, donc elles n'existent plus.

Je pense qu'il est possible que de telles choses existent. Je pense que tout type de modèle réalisable devrait être envisagé. L'idée que vous pouvez régir une assise territoriale que vous ne possédez pas... ce pourrait être très puissant. Je ne sais pas ce que ça signifierait. Oui, vous m'en avez bouché un coin.

Le sénateur Sinclair : Dans un tout autre ordre d'idées, j'ai écouté avec intérêt votre réponse à la question de la sénatrice McPhedran au sujet des cours obligatoires à l'Université de Winnipeg. Vous estimez que les cours obligatoires sont un désastre puisque la majorité des étudiants ne veulent pas y assister. Je parle d'expérience quand je vous dis qu'à peu près tous les cours que j'ai suivis en première et en deuxième année d'université, et en première et deuxième année de droit, étaient des cours obligatoires auxquels je ne voulais pas assister. C'était principalement parce que les professeurs étaient terribles. En y repensant, je reconnais que ces cours m'ont donné une très bonne base pour les études que j'ai faites par la suite et qu'ils m'ont transformé en l'homme merveilleux que je suis maintenant.

Sénateur Tannas est entièrement d'accord avec moi. Je suis un homme remarquable.

Puis, par la suite, vous avez parlé de l'importance de bien sensibiliser les étudiants aux questions autochtones. Pourriez-vous nous en dire davantage quant à la façon d'inculquer de bonnes bases aux étudiants sans en faire un enseignement obligatoire?

Mme Macdougall : En prononçant le mot « désastre », je l'ai immédiatement regretté. Parfois, je parle avant de penser, parfois non. En fait, ce que j'essaie de vous dire, c'est que tout comme vous, j'ai suivi des cours obligatoires que j'ai détestés — comme c'est probablement le cas de chaque personne ici présente —, et certains de ces cours étaient absolument nécessaires.

Le fait que les études sur les Autochtones soient obligatoires me pose problème pour certaines raisons. L'une d'entre elles tient au fait que les gens perçoivent ces cours comme des cours fondés sur l'origine ethnique qui n'ont rien à voir avec eux. Dès l'instant où vous mettez le mot « Autochtone » dans le titre, cela ne signifie plus rien pour leur vie personnelle, alors que c'est tout le contraire. Peut-être s'agit-il d'une façon de leur inculquer ces valeurs sans même qu'ils ne s'en aperçoivent. Il s'agit de tenter d'établir un certain équilibre entre toutes ces tensions naturelles.

Comme j'ai une formation en histoire, je vais m'attacher à ce domaine un peu. Si nous enseignons l'histoire de notre pays de façon différente dès le tout début — c'est-à-dire d'un point de vue qui reflète non pas nécessairement une histoire harmonieuse, mais une histoire commune à partir de je ne sais quel moment où il est approprié de commencer à parler de l'histoire et des études sociales — je pense que les jeunes commenceraient à voir le monde différemment.

Si on présentait des livres dans les salles de classe qui sont écrits par des auteurs autochtones ou qui abordent les questions autochtones bien avant de donner un cours spécialisé sur la littérature autochtone à l'université, je pense que les gens commenceraient à voir le monde d'une autre manière. Le même principe s'applique aux mathématiques ou aux sciences.

Un homme au nord du Manitoba a élaboré un programme qu'il enseigne. Il se rend dans les écoles et donne un cours en parlant d'un genre de panthéon à des fins narratives; c'est une expérience réellement incroyable qui transforme les perceptions. On parle d'un homme au Manitoba qui va dans presque toutes les écoles, et cela ne fait pas partie du programme habituel.

Je pense qu'il y a des façons de rendre cela naturel et de ne pas toujours être si spécifique de sorte que vous arrivez avec ce programme du jour au lendemain. En d'autres termes, nous allons aborder la littérature canadienne aujourd'hui, mais avant, nous allons parler de quelques questions autochtones, puis nous pencher sur la littérature mondiale. Puis on reparlera peut-être un peu de questions autochtones, mais toujours à titre de complément.

Je pense que nous pouvons faire mieux dès le début. Cela requiert la révision du système de la maternelle à la 12e année, pour que les étudiants qui entrent à l'université aient une certaine ouverture. On parle non pas seulement d'étudiants, mais également de futurs enseignants, parce que les futurs enseignants sont un produit du système de la maternelle à la 12e année au pays. On ne peut pas simplement effacer cela. Il s'agit probablement d'un facteur de mécontentement à certains égards.

Je pense qu'il faut que des cours obligatoires soient offerts tout au long des programmes, mais j'aimerais croire qu'il est possible de faire en sorte que les jeunes, avant même d'entrer à l'université, trouvent qu'il est si normal que les Autochtones fassent partie de la discussion et du dialogue que cela n'a rien de spécial. Ainsi, si vous étudiez en droit et qu'il y a un cours particulier sur les structures juridiques autochtones, vous disposez déjà de tous les renseignements généraux dont vous avez besoin parce que cela faisait partie de votre formation. Vous n'êtes pas surpris d'apprendre qu'il y a une tradition orale à l'école de droit. Vous le saviez déjà.

La présidente : Merci. Je vais poursuivre en posant une question supplémentaire à ce sujet. Je suis heureuse que vous ayez soulevé le mot qui commence par « R », « racisme », parce que je pense que c'est un gros obstacle, certainement dans les Prairies.

Une fois que l'enseignement de notre histoire commence à se faire différemment de la maternelle à la 12e année, y aura-t-il des avantages? Les gens sont souvent réticents au changement parce qu'ils croient que le fait d'accorder des droits à l'égalité aux Autochtones signifie qu'on leur enlève quelque chose et ils se montrent très réticents. Est-il possible d'en arriver à un point où nous pouvons envisager un avenir où chacun peut être avantagé? Je pense que le Bureau du commissaire aux traités en Saskatchewan a commencé ce dialogue en déclarant que « nous sommes tous visés par un traité », mais je pense que tout le monde doit y voir un avantage afin que ce soit une solution gagnante pour tous. Comment pouvons-nous en arriver à cette situation gagnant-gagnant?

Mme Macdougall : Je pense que cela vient en partie du leadership. L'une des raisons pour lesquelles nous sommes en opposition les uns aux autres tient au contexte dans lequel nous vivons. Oui, il est colonial, mais nous avons un gouvernement et nous en avons eu d'autres par le passé, et je ne parle pas du gouvernement actuel ni des gouvernements antérieurs en particulier... Nous avons une structure gouvernementale qui établit ces distinctions entre nous. Nous entendons souvent dire « si nous investissons plus d'argent dans les écoles du Nord, cela enlèvera quelque chose aux écoles du Sud, donc ce n'est peut-être pas ce que vous voulez », alors que nous devrions entendre : « l'éducation est importante, peu importe la position géographique. Pour quelle raison accordons-nous un financement adéquat à certaines écoles alors que d'autres sont sous-financées? Quel type de structure de répartition équitable des ressources financières pouvons-nous créer? » Notre structure gouvernementale oppose constamment les peuples.

Lorsque j'étais jeune et que les gens parlaient de division et de conquête dans les films westerns, je croyais que cela ne se produisait que dans les films. C'est quelque chose de réel. Le territoire a telle taille. Le territoire est infini; nous devons simplement décider de la façon dont nous allons créer une parité au lieu d'une division au sein de cette structure. Je suis lasse d'entendre parler des gens et de la part qui leur revient. Pourquoi quelqu'un aurait-il droit à trois quarts alors que j'ai droit à une fraction? Nous devons arrêter de parler ainsi, ce qui crée des divisions. En fait, cela nous permet d'aller dans la bonne voie. Je suis cynique, donc je ne sais pas si c'est ce qui va se produire. Tout ce que je peux dire, c'est que nous devons changer la façon dont nous disons les choses.

Le sénateur Tannas : Nous avons récemment entendu le témoignage d'un de vos collègues historiens qui a dit qu'il croyait qu'il nous faudrait 100 ans pour en arriver au point où nous pourrions cohabiter avec les Autochtones sans que chacun s'inquiète de son sort et où l'harmonie et la parité seraient atteintes, essentiellement. Croyez-vous cela? Êtes- vous à ce point cynique vous aussi?

Mme Macdougall : Je ne pense pas que cela se produira de mon vivant. Faudra-t-il 100 ans? Je ne sais pas. Je sais que les choses ont beaucoup changé, même depuis que j'ai commencé à enseigner à l'université, où je vois que les jeunes sont plus ouverts et qu'ils sont plus enclins à avoir une conversation qu'ils n'auraient pas tenue il y a 20 ans; toutefois, l'ouverture et la volonté ne reviennent pas à transformer les structures. Et c'est ce dont nous parlons. Il faudra du temps pour éliminer la Loi sur les Indiens, si c'est ce qui finit par se produire, et il n'est pas seulement question de se débarrasser de la Loi sur les Indiens. Il s'agit de changer la structure de gouvernance au Canada qui l'a créée en premier lieu. Cela prend du temps. Encore une fois, je ne veux pas dire que la Loi sur les Indiens va disparaître ou que j'ai un mot à dire à ce sujet, mais à titre d'exemple, il ne s'agit pas simplement de la Loi sur les Indiens. Il est question de la structure du gouvernement canadien dans son ensemble. Je ne vois pas le jour où cela arrivera, mais je pense que je pourrais être témoin de changements progressifs.

Le sénateur Tannas : Je sais que cela va au-delà de votre compétence en tant qu'historienne. Au cours de ma vie, je n'ai jamais vu de changement graduel régler de gros problèmes. Par contre, j'ai vu des changements soudains le faire.

Mme Macdougall : Oui, un changement radical.

Le sénateur Tannas : Avez-vous un exemple à nous donner pour nous guider? Nous essayons d'aborder cette étude d'un point de vue historique et bien comprendre ce qui en est, mais en fait, nous cherchons d'importantes réponses. À mes yeux, et je sais que c'est le cas pour nombre d'entre nous, nous sommes venus ici pour tenter de changer réellement les choses. Je ne suis pas prêt à accepter de voir encore pendant 100 ans des enfants qui deviennent adultes, avec toutes les possibilités manquées et les tragédies que cela comporte. Avez-vous une idée de la direction que nous devrions prendre pour trouver des réponses?

Mme Macdougall : Je suis d'accord avec vous, le changement radical fait peur et rend les gens mal à l'aise, mais c'est probablement ce dont nous avons besoin. Il est difficile de se jeter en bas de la falaise, parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a tout au fond. Les gens ne veulent pas souffrir avant de découvrir les bienfaits. Et soyons réalistes, ce sera douloureux.

L'une des questions que j'ai posées à mes étudiants l'année dernière lorsque le rapport de la Commission de vérité et réconciliation a été publié — et je leur ai posée au moins une fois par semaine et je les rencontrais deux fois par semaine —, c'est la suivante : si nous sommes sérieux au sujet de la réconciliation, à quoi sont-ils prêts à renoncer pour rendre meilleure la vie de quelqu'un d'autre? Qu'êtes-vous prêts à sacrifier? Si on commence à réfléchir aux sacrifices qu'on pourrait devoir faire pour permettre à quelqu'un d'autre d'avoir quelque chose, je pense qu'on commence à penser à un changement radical. Mais soyons clairs, les gens doivent céder quelque chose.

Le sénateur Tannas : Amen.

Mme Macdougall : Le Canada doit faire des concessions pour que cela se réalise.

Le sénateur Tannas : C'est juste.

La sénatrice McPhedran : Je souhaite revenir à la discussion, en grande partie parce qu'il est important à la fois pour les personnes qui nous regardent et pour le compte rendu de poursuivre la discussion sur le thème que vous venez d'aborder avec le sénateur Tannas concernant des changements importants.

Je suis reconnaissant que vous soyez revenue sur votre déclaration concernant le fait que les exigences liées à l'indigénisation sont un désastre. Je souhaite vraiment préciser pour le compte rendu que cela ne correspond pas du tout à l'expérience que j'ai vécue comme professeur dans une des premières universités à mettre cela en pratique. Bien sûr, nous avons vu certaines formes de racisme en réaction à cette pratique chez un très petit nombre d'enseignants sein de la faculté. Bien sûr, il y a eu certains commentaires pénibles à entendre pour nombre d'entre nous, y compris pour beaucoup de nos étudiants autochtones.

Je souhaite mentionner que cela ne doit pas être perçu comme deux choses mutuellement exclusives. Soit nous nous concentrons sur la période allant de la maternelle à la douzième année ou bien nous portons notre attention sur la période des études postsecondaires. Il nous faut un vaste ensemble de mesures. Nous devons apporter des changements importants et profonds à ces systèmes, et ces changements doivent être systémiques. Je crois que vous avez abordé la valeur de ces mesures du point de vue historique de façon très utile.

Je souhaite seulement mentionner que, il y a environ deux semaines, j'ai eu l'occasion d'être présent à l'école secondaire Dennis Franklin Cromarty, à Thunder Bay, qui est une école pour les jeunes Autochtones. Au fil de mes discussions avec eux concernant le passage aux études postsecondaires, ils ont notamment souligné la réalité de la vie dans une collectivité racialisée. La plupart d'entre eux ne sont pas issus de centres urbains. Il semble y avoir une différence très importante. Il existe de nombreuses difficultés, et l'une d'entre elles semble être le passage de l'école secondaire à l'université. Les barrières sont systémiques.

Quand j'ai abordé de façon plutôt informelle les mesures d'indigénisation mises en œuvre à l'Université de Winnipeg, cette idée a semblé très encourageante aux yeux de ces élèves. J'ai pu constater au sein de la population étudiante un très grand intérêt chez les étudiants qui ne sont pas Autochtones, en particulier depuis la tenue de la Commission de vérité et de réconciliation. Il n'est même pas nécessaire de la nommer. Vous n'avez qu'à dire « les appels à l'action », et ils savent exactement de quoi il est question.

Comme il s'agit d'outils très importants pour mettre en place des changements systémiques et pour avancer dans la voie de la réconciliation, je souhaite revenir sur le sujet et simplement mentionner que les cours obligatoires sur les questions Autochtones ont vraiment leur raison d'être.

Mme Macdougall : Qu'on me comprenne bien. Je n'ai pas dit que l'indigénisation au niveau universitaire est un désastre. Je parlais simplement des cours obligatoires de première année, qui, d'après mon expérience, ne peuvent être particulièrement qualifiés de réussites. Cela ne signifie pas que ce sera la même chose à l'avenir. Cette situation tient en partie à une question de leadership. Si l'on met en place des cours obligatoires sans offrir beaucoup de soutien et de leadership, assez rapidement, les choses ne se passeront pas très bien. C'est là l'expérience que j'ai vécue en donnant des cours de première année à de grands groupes d'étudiants qui ne souhaitaient pas y assister. Il s'agissait d'une exigence dans le cadre de leur programme d'étude, mais les responsables de leurs programmes ne leur ont pas expliqué pourquoi ils devaient suivre ces cours. Le leadership est important, tant à l'université qu'au sein de la structure gouvernementale, mais je ne veux aucunement sous-entendre que l'indigénisation en soi est un désastre ou une erreur. Toutefois, en parler et la mettre en œuvre sont deux choses différentes. Nous pouvons tous affirmer que nous appuyons l'indigénisation, mais, si nous ne mettons pas en place le leadership, les ressources et les structures de soutien, alors ce sera un échec, parce que ces éléments sont nécessaires. Mon cynisme porte sur ces éléments.

Je regarde les œuvres d'art dans la pièce. Le fait de pouvoir entrer dans un édifice et voir de belles choses est une expérience extraordinaire. Vous traversez l'édifice de la faculté de droit maintenant à l'Université de la Saskatchewan et c'est de toute beauté. C'est un petit geste d'installer des œuvres d'art, mais le fait de voir que l'on a sa place dans la structure parce que l'on voit quelque chose qui nous ressemble sur les murs a un immense effet sur les personnes.

Je souhaite apporter des précisions à propos de ce que j'entendais par désastre. Il ne fait aucun doute que les étudiants doivent sentir qu'ils sont les bienvenus. Ils doivent sentir qu'ils ont leur place. Ils ont besoin, du moins en partie, d'acquérir des aptitudes à la vie quotidienne s'ils viennent de collectivités rurales. J'ai récemment dû apprendre à une étudiante à être attentive aux feux de circulation. J'ai cru qu'elle se ferait renverser à son premier jour sur le campus, parce qu'elle n'avait jamais circulé à un endroit où il y avait des feux de circulation. Une fois cela réglé, elle s'est élancée, littéralement.

Il importe de s'occuper de ce type d'habiletés fondamentales dont on ne voit même plus l'importance tant elles font partie de notre rapport quotidien avec notre environnement. Pour certaines personnes, le fait d'avoir un compte en banque est quelque chose d'extraordinaire. Le fait de se rendre à une épicerie qui n'est pas un magasin Northern et de constater le prix des aliments pour ceux qui habitent dans le Sud est aussi quelque chose de très différent.

Donc il ne s'agit pas uniquement d'éducation. Il s'agit aussi de compétences nécessaires à la vie courante. Il s'agit de beaucoup de choses, mais il doit y avoir du leadership pour que tout cela fonctionne. Des enseignants jusqu'aux présidents des universités, du premier ministre jusqu'aux députés et à leur personnel, chacun doit faire preuve de leadership; tout doit être en place.

La sénatrice Raine : Ma question est très appropriée après ce que vous venez de dire, parce que je suis d'avis que l'éducation ne se limite pas aux classes de la maternelle à la douzième année et aux universités. Cela fait partie de notre quotidien. Nous sommes bombardés de messages de sensibilisation et de reportages médiatiques.

La SRC est notre diffuseur national. Personnellement, j'aime la SRC et j'écoute fréquemment cette chaîne à la radio, mais je suis aussi très conscient du travail remarquable accompli par les responsables d'APTN, le Réseau de télévision des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne la réalisation. Toutefois, ce réseau n'est pas connu parce que l'on croit à tort qu'il s'adresse seulement aux Autochtones. Croyez-vous que les responsables de la SRC pourraient diffuser davantage de ces excellentes émissions à l'intention d'un grand public et utiliser le modèle publicitaire de type de services publics, en particulier cette année, à l'occasion du cent cinquantième anniversaire, pour que nous prenions tous connaissance de ces questions?

Mme Macdougall : Bien sûr. Le Réseau de télévision des peuples autochtones est excellent. Il existe depuis longtemps. Il existait avant qu'il ne s'appelle APTN. Toutes les radiodiffusions autochtones dans le Nord qui se faisaient auparavant font maintenant partie du modèle d'APTN. Les radiodiffuseurs en Arctique étaient épatants dans les années 1970, et ils sont devenus partie intégrante d'APTN de façon vraiment formidable. Donc, bien sûr.

Est-ce que la SRC pourrait le faire ou pourrions-nous commencer à réaliser que la chaîne APTN s'adresse à tous, non pas seulement aux Autochtones? Il serait aussi intéressant d'en discuter. Toutefois, je ne sais pas comment faire pour que les gens soient à l'écoute des médias.

La sénatrice Raine : Merci.

La présidente : Merci. Le temps est écoulé. Nous devons aussi examiner une demande d'autorisation de budget ce matin. J'aimerais remercier notre témoin, madame Brenda Macdougall, d'avoir témoigné devant le comité aujourd'hui et de nous avoir donné d'excellentes informations et d'avoir répondu à toutes les questions des sénateurs. Merci beaucoup.

Nous devons examiner une demande d'autorisation budgétaire, et il s'agit d'une demande visant à faire traduire en inuktitut notre rapport sur les logements dans le Nord. À la suite d'une demande de budget spécial relative à l'étude sur les pratiques exemplaires et les problèmes constants du logement dans les collectivités des Premières Nations et les collectivités inuites du Nunavut, du Nunavik et du Nunatsiavut et des Territoires du Nord-Ouest, nous avons préparé une demande d'autorisation de budget de 16 700 $. La demande a été distribuée. Elle vise l'exercice se terminant le 31 mars 2017. Nous demandons que la demande soit approuvée et présentée au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration après un dernier examen par l'administration du Sénat, sous la supervision du Sous- comité du programme et de la procédure.

Nous devons maintenant adopter une motion. Madame la sénatrice McPhedran. Êtes-vous tous d'accord?

Des sénateurs : D'accord.

La présidente : La motion est adoptée.

C'est tout. La séance est levée. Merci à tous.

(La séance est levée.)

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