Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 27 - Témoignages du 18 octobre 2017
OTTAWA, le mercredi 18 octobre 2017
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 47, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs, ainsi qu’aux membres du public qui suivent les délibérations de cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit ici dans la salle ou sur le Web. J’aimerais souligner, par souci de réconciliation, que nous tenons cette réunion sur des terres traditionnelles et non cédées des peuples algonquins.
Je suis Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et j’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité.
Je vais maintenant inviter mes collègues sénateurs à se présenter, en commençant à ma droite.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Doyle : Normal Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Lovelace Nicholas : La sénatrice Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Merci, honorables sénateurs.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de ce à quoi pourraient ressembler les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous continuons d’examiner l’historique de ce qui a fait l’objet d’études et de discussions sur ce thème.
Nous sommes ravis ce soir d’accueillir notre témoin pour la première heure, M. Howard Sapers, qui, comme nous le savons tous, possède de nombreuses années d’expérience dans le milieu correctionnel et est un expert en la matière.
Monsieur Sapers, la parole est à vous. Vous ferez votre déclaration pendant 5 ou 10 minutes, puis les sénateurs poseront leurs questions. Vous pouvez commencer.
Howard Sapers, à titre personnel : Merci de l’invitation d’être ici, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un privilège d’être de retour dans la salle de ce comité. Je tiens à vous féliciter de mener cette étude.
Je veux commencer par vous rappeler que je suis ici à titre personnel et que je ne représente personne sauf moi-même.
Je vais commencer mes remarques en fournissant un peu de contexte. Je suis très heureux que votre étude soit tournée vers l’avenir. Je vais revenir un peu en arrière, puis j’espère préparer le terrain pour que l’on émette des hypothèses intéressantes à propos de l’avenir.
Je vais débuter en citant des statistiques que j’ai tirées de quelques sources principales, et plus particulièrement d’un document qui est publié chaque année qui s’intitule Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je vais me fier à la plus récente version de ce document et au Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui occupe une place spéciale dans mon cœur. Il produit toujours des renseignements et des statistiques utiles. Ce sont quelques-unes des sources principales auxquelles je vais me fier pour établir le contexte.
Nous connaissons tous bien la surreprésentation. Il est facile de dire à quel point le problème est important et soutenu lorsqu’on ne comprend pas vraiment la situation. Au cours des cinq dernières années, la population des détenus autochtones a augmenté d’un peu plus de 21 p. 100. La bonne nouvelle est que cette hausse a ralenti un peu. La population non autochtone a diminué de 12 p. 100. Il est tout aussi important de comprendre cela que de comprendre la hausse.
Presque tout ce que je m’apprête à dire ce soir est encore pire lorsqu’il est question de femmes qui doivent comparaître devant les tribunaux, qui ont des démêlés avec la justice et qui finissent par être incarcérées dans des établissements provinciaux ou fédéraux. Dans le système fédéral, depuis avril 2012, la population carcérale de femmes autochtones a augmenté de près du tiers, d’environ 32 p. 100.
J’ai été étonné d’apprendre, lorsque j’étais encore l’enquêteur correctionnel du Canada, que le pays est arrivé au point où le quart de sa population carcérale sous responsabilité fédérale était d’origine autochtone, qui s’élève à 27 p. 100 à l’heure actuelle. Pour les femmes, c’est environ 38 p. 100 de toutes les femmes détenues dans des établissements fédéraux.
La situation est également mauvaise dans la collectivité. Depuis avril 2012, la population supervisée d’hommes et de femmes autochtones a augmenté de près de 50 p. 100. Maintenant, la population communautaire supervisée est composée de personnes qui sont sous une forme de mise en liberté sous condition, telle que la libération conditionnelle. Cette population a augmenté également, ce qui n’est pas une mauvaise chose, mais elle a augmenté d’environ 10 p. 100. Par conséquent, elle est environ cinq fois plus élevée pour les hommes et les femmes autochtones. Les délinquants autochtones représentent actuellement 18 p. 100 de la population supervisée totale, mais pour les femmes, c’est près de 26 p. 100.
Le taux d’incarcération élevé a été lié à de nombreux facteurs au fil des ans : discrimination systémique, préjugés raciaux ou culturels, et désavantage économique et social. Mais il n’y a pas que la discrimination systémique. C’est un autre point que je veux soulever. Nous ne pouvons pas simplement dire rapidement « discrimination systémique » sans comprendre l’expression. C’est l’artéfact persistant du colonialisme. C’est le colonialisme perpétuel que subissent les hommes et les femmes autochtones lorsqu’ils ont des démêlés avec la justice.
Les facteurs historiques ont été documentés et reconnus par la Cour suprême, notamment dans l’affaire Gladue en 1999, qui est bien connue, et ont été réaffirmés dans l’arrêt Ipeelee en 2012. La cour a déclaré clairement que les décideurs doivent tenir compte de l’histoire sociale des Autochtones lorsque des droits à la liberté, plus particulièrement, sont en jeu.
Cela vaut pour le système correctionnel également. Ce n’est pas seulement une directive pour les tribunaux; c’est une directive pour l’ensemble du système pénal et l’ensemble du processus.
Les facteurs qui sont généralement acceptés comme facteurs dans l’affaire Gladue sont notamment les répercussions des pensionnats indiens, l’expérience dans les systèmes de protection de l’enfance ou d’adoption, les effets du déplacement ou de la dépossession des gens qui doivent quitter leur terre et des familles qui sont séparées, les antécédents de suicides et de toxicomanie dans les collectivités, la victimisation, surtout des femmes, les traumatismes physiques et sexuels, une perte de la culture ou des difficultés liées à l’identité spirituelle, une piètre réussite scolaire, des mauvaises conditions de vie et, malheureusement pour les jeunes autochtones, la participation à des gangs de rue dans les centres urbains.
Les parlements ont essayé de s’attaquer à ces problèmes non seulement en adoptant des modifications au droit pénal telles que les modifications au Code criminel de 1995, mais aussi en adoptant des lois telles que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La loi a incorporé des articles visant précisément les Autochtones.
Dans l’ancien poste que j’ai occupé, en 2013, en tant qu’enquêteur correctionnel, nous avons enquêté sur deux articles visant précisément les Autochtones de la LSCMLC, notamment les articles 81 et 84. L’article 81 de la loi permet au ministre de conclure des ententes avec les collectivités autochtones pour transférer la responsabilité des soins et de la garde des délinquants autochtones. L’article 84 prévoit la participation des collectivités autochtones dans la planification de la mise en liberté d’un délinquant qui réintègre sa collectivité.
C’est ce que nous avons relevé en 2013, alors cela remonte à quelques années. Seulement quatre ententes prises aux termes de l’article 81 — des articles qui autorisent le transfert de la responsabilité des soins et de la garde des délinquants autochtones aux collectivités autochtones — ont été conclues avec des collectivités autochtones depuis 1992, et 68 places aux termes de l’article 81 ont été créées au Canada, ce qui correspondait à l’époque à environ 2 p. 100 des détenus admissibles. Aucune entente aux termes de l’article 81 n’a été conclue en Colombie-Britannique, en Ontario, dans le Canada atlantique et dans le Nord, et aucune installation prévue par l’article 81 n’a été ajoutée depuis 2001, malgré le fait qu’à l’époque, il y avait une hausse de 40 p. 100 du taux d’incarcération des Autochtones.
D’autres conclusions importantes ont été relevées. Je vous recommande ce rapport. Il s’intitule Une question de spiritualité, et il se trouve sur le site web du Bureau de l’enquêteur correctionnel.
Dans ce rapport, nous avons relevé des faits intéressants à propos de l’article 84, qui est l’article qui autorise la participation des collectivités autochtones dans la libération conditionnelle et la surveillance. Nous avons découvert que cette pratique était sous-utilisée, exagérément complexe et bureaucratique, qu’elle n’était pas bien comprise au sein de Service correctionnel Canada ou dans les collectivités où elle était censée être mise en œuvre, et qu’elle n’était pas appliquée de façon uniforme. En 2003, parmi quelque 19 000 employés de Service correctionnel Canada, seulement 12 étaient des agents de développement auprès de la collectivité autochtone, les employés responsables d’appliquer cet article.
Le bureau a formulé des recommandations pour nommer un sous-commissaire des services correctionnels pour les détenus autochtones, élaborer une stratégie à long terme pour les ententes additionnelles prises aux termes de l’article 81, négocier des niveaux de financement permanents, réalistes et à parité pour les pavillons de ressourcement administrés en vertu de l’article 81, examiner la progression de l’article 84, élargir la formation du personnel et résoudre certains problèmes auxquels sont confrontés les aînés.
Très peu de progrès ont été réalisés pour mettre en œuvre ces recommandations clés. Nous relevons une hausse des mises en liberté en vertu de l’article 84, et des changements ont été apportés à la formation sur la sensibilisation aux différences culturelles.
La bonne nouvelle est que dans un an, entre 2016 et 2017, on a enregistré une hausse de 34 p. 100 du nombre de délinquants autochtones qui sont supervisés au titre de l’article 84. C’est excellent; c’est un progrès. Mais n’oubliez pas que la base de référence est peu élevée, si bien qu’une augmentation de 34 p. 100 représente environ 456 personnes dans l’ensemble de la population autochtone.
En ce qui concerne l’article 81, les progrès sont inexistants. Je vais vous donner un exemple. Le centre de guérison Stan Daniels, qui est un pavillon de ressourcement visé à l’article 81, le premier ou le deuxième à avoir été signé en vertu de cette loi, a une capacité de 30 lits. Il accueille actuellement 17 personnes. C’est difficile à comprendre, malgré la demande, qu’il est presque à moitié vide.
Les scénarios ne sont pas reluisants dans les provinces non plus. Je vais vous donner un aperçu de la situation dans quelques provinces rapidement. En Colombie-Britannique, par exemple, chaque année que j’ai surveillée depuis 2012, le nombre d’hommes et de femmes autochtones qui sont placés en détention a augmenté. Entre 2013 et 2016, ce nombre a augmenté de plus de 1 000. Selon les dernières données, nous avions environ 5 768 hommes et femmes. C’est la sous-population identifiable la plus importante qui connaît la croissance la plus rapide dans le milieu correctionnel provincial en Colombie-Britannique.
Pour ce qui est de l’Ontario, les Autochtones représentent environ 2 p. 100 de la population provinciale. L’an dernier, ils représentaient 13 p. 100 de tous les délinquants qui ont été incarcérés dans des prisons provinciales. Un Autochtone sur trois a été admis dans des établissements correctionnels de l’Ontario l’an dernier, et plus de la moitié des Autochtones qui ont été admis en isolement ont été fichés comme présentant un risque de suicide. Nous commençons à constater les effets de la combinaison de la toxicomanie, des problèmes de santé mentale et des démêlés avec la justice.
Ces deux taux sont plus élevés que chez la population non autochtone. L’an dernier, lorsqu’ils étaient placés en isolement, les hommes autochtones passaient en moyenne deux jours de plus en isolement que les hommes non autochtones. La proportion de détenus qui sont libérés sous probation en Ontario augmente régulièrement chaque année depuis les 15 dernières années au cours desquelles nous avons recensé des données.
Ces données ne devraient pas nous surprendre. Les lacunes du système de justice pénale ont été reconnues, comprises et documentées depuis des décennies.
Le gouvernement de l’Ontario a publié récemment un document intitulé Cheminer ensemble : L’engagement de l’Ontario envers la réconciliation avec les peuples autochtones, qu’il a rendu public à la suite des conclusions de la Commission de vérité et réconciliation. Dans ce document, le gouvernement de l’Ontario a déclaré ce qui suit :
Des liens clairs ont été établis entre la surreprésentation des Autochtones impliqués dans le système de justice et l’expérience des communautés autochtones dans les pensionnats. Comme à l’intérieur des murs des pensionnats, les délinquants autochtones ressentent une profonde aliénation derrière les barreaux des établissements carcéraux. Ce sont des endroits où le racisme est chose courante.
Je pense que je vais terminer mes remarques en prévision de notre discussion, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Tannas : Monsieur Sapers, merci d’être ici. Je veux parler de votre analyse sur la violence, plus précisément des gens qui sont incarcérés pour avoir commis des crimes violents par opposition à des crimes contre les biens, à des crimes liés à la drogue, et cetera, relativement à la proportionnalité des non-Autochtones, aux hommes par rapport aux femmes et à la tendance. Y a-t-il des points positifs et négatifs à souligner à ce sujet?
M. Sapers : Je n’ai pas tout un ensemble de statistiques à ma disposition pour répondre à votre question avec précision. Je peux vous dire de consulter le rapport Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous caution car vous trouverez les réponses précisément dans ce document. Cependant, je peux vous dire que la majorité des gens croient que nous imposons l’incarcération aux pires personnes, aux pires membres de ce groupe, et que nous imposons l’isolement aux pires criminels. C’est une illusion.
À l’échelle provinciale, probablement les deux tiers des hommes et des femmes qui passeront la nuit dans une prison provinciale ou fédérale sont en attente de leur procès ou de leur libération sous caution, et n’ont pas été condamnés ou reconnus coupables. Nous avons constaté que l’utilisation de l’isolement en Ontario était aussi élevée ou plus élevée pour la population en détention provisoire, les innocents pour ainsi dire, que pour la population des détenus condamnés. Nous avons relevé une surreprésentation de personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale qui sont détenues en isolement.
Nous savons qu’il y a une surreprésentation de personnes qui ont des antécédents de toxicomanie et de problèmes de santé mentale qui sont d’origine autochtone et qui se retrouvent dans des conditions de détention les plus pénibles.
Plus de 55 p. 100 de toutes les peines l’an dernier dans tous les tribunaux au Canada étaient d’un mois ou moins, et moins de 5 p. 100 étaient de plus de deux ans. Voilà qui vous donne une certaine mesure de la gravité des infractions.
Le sénateur Tannas : Pourriez-vous parler du syndrome d’alcoolisme fœtal et de la tendance? Y a-t-il de l’espoir, ou la situation empire-t-elle? À votre avis, quelle proportion de détenus en souffre?
M. Sapers : Nous n’avons pas de bons renseignements de base, même si nous savons que la situation s’améliore. Il existe des moyens et des tests de dépistage qui permettent de déceler ce syndrome plus facilement, plus rapidement, à coût moindre et de façon moins envahissante, mais l’élément clé est la consommation d’alcool par la mère. C’est souvent très difficile à déterminer. Les gens commencent maintenant à dire que ce n’est plus l’élément d’information le plus pertinent.
Il y a un mouvement, pour ainsi dire, où l’on examine les troubles cognitifs et les déficiences du fonctionnement et déclare que l’on n’a pas besoin de diagnostic ou d’étiquette. Nous pouvons traiter la personne « comme si » elle souffrait de ces troubles. Autrement dit, on peut ajuster la façon dont on traite avec une personne qui souffre de troubles causés par l’alcoolisation fœtale ou qui se comporte comme si elle en souffre. Donc, pour les gens qui ont du mal à suivre les règles, à apprendre de leurs erreurs, et cetera, il y a toujours des moyens plus significatifs et utiles de leur communiquer ces renseignements.
Certaines études révèlent que la proportion va de 15 à 25 p. 100. Eh bien, c’est une grande marge d’erreur. De plus, l’absence d’un diagnostic est habituellement l’absence de preuve de consommation d’alcool par la mère.
Le Yukon a réalisé une excellente étude sur la prévalence, et le taux d’ETCAF est beaucoup plus élevé dans les faits. Ce que nous savons, c’est que c’est un problème qui empire, mais il y a peu de renseignements de base.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je vais vous poser la question en français. Vous avez dit tantôt que les pavillons de ressources autochtones aident à la réinsertion sociale des délinquants autochtones? Ai-je bien compris?
[Traduction]
M. Sapers : Le Service correctionnel du Canada administre certains pavillons de ressourcement lui-même et d’autres sous contrat en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition que j’ai mentionnée.
L’avantage d’un pavillon de ressourcement est l’environnement spirituel et culturel et le groupe de pairs auquel les gens s’associent. Il est prouvé que ces pavillons améliorent les résultats correctionnels. Il y a un vaste éventail de résultats correctionnels que nous pourrions mesurer.
[Français]
La sénatrice Mégie : Comment expliquez-vous qu’il y a une capacité de 30 lits et que c’est rempli à moitié?
[Traduction]
M. Sapers : Madame la sénatrice, je ne peux pas expliquer cela. J’adorerais entendre une bonne explication à ce sujet. Je serais surpris qu’il y en ait une.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je me demandais si l’article 81 pouvait aider de ce côté.
[Traduction]
M. Sapers : Oui. Lorsque le Bureau de l’enquêteur correctionnel a publié son rapport intitulé Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, c’était un rapport spécial au Parlement. Ce n’était que la deuxième fois qu’un rapport spécial du bureau était déposé au Parlement compte tenu de l’importance de la question examinée. Voici ce que j’ai dit lors de son dépôt le 7 mars 2013. Je vais citer mes propres paroles.
Dans le cadre de mon examen, j’ai constaté qu’en ne respectant pas la volonté du Parlement, le système correctionnel fédéral favorise le maintien de conditions inégales pour les peuples autochtones au Canada.
Rien ne m’indique que la situation a changé.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je m’excuse de mon retard.
Les femmes qui sont incarcérées sont-elles principalement monoparentales? Ont-elles un emploi? Car certaines d’entre elles ne peuvent pas se permettre d’avocats. Est-ce vrai dans certains cas?
M. Sapers : Madame la sénatrice, le profil des femmes détenues, en tant que population carcérale, est déchirant. Leurs récits personnels sont à fendre le cœur, et c’est d’autant plus vrai avec du recul lorsqu’on regroupe ces femmes dans une population carcérale.
La plupart des femmes en détention ont subi un traumatisme sexuel ou physique, elles sont sous-employées ou au chômage, ou ont souffert d’une forme de dépendance. Elles sont nombreuses à avoir séjourné dans un hôpital psychiatrique avant leur incarcération. Elles sont aussi nombreuses à s’être tournées vers le crime à cause de leurs contacts avec d’autres personnes, et beaucoup d’entre elles sont monoparentales ou aidantes familiales. Pourtant, même si nous savons tout cela, nous continuons d’intervenir de façon très inégale pour ce qui est, entre autres choses, de permettre aux jeunes enfants de maintenir un bon contact avec leur mère détenue.
Bien des raisons expliquent pourquoi les questions que vous avez soulevées sont aussi importantes.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Il me semble que cela pourrait découler en partie des services correctionnels, des gouvernements provinciaux et même du gouvernement fédéral qui ferment les yeux. Qu’en pensez-vous?
M. Sapers : Madame la sénatrice, je ne suis pas certain de comprendre ce que vous voulez dire par « fermer les yeux ».
La sénatrice Lovelace Nicholas : Quand un grand nombre d’Autochtones se retrouvent en prison, ils semblent être oubliés par les services correctionnels, les gouvernements provinciaux ou le gouvernement fédéral.
M. Sapers : Je peux parler de mon expérience très récente en Ontario, où l’on est grandement sensibilisé et déterminé à faire les choses différemment, mais peu de choses sont faites différemment. Il est difficile de faire fi du travail d’hommes et de femmes qui essaient de changer et d’apporter des changements, et de faire fi des engagements politiques et organisationnels qui ont été pris pour mettre sur pied la Commission de vérité et réconciliation. Des efforts honnêtes sont déployés, mais nous n’avons manifestement pas bien saisi l’ampleur de la question. Lorsqu’on regarde les résultats, on voit que nous ne sommes pas parvenus à une véritable réconciliation et que nous n’avons pas trouvé le moyen de l’appliquer dans le processus de justice du pays.
Le sénateur Enverga : Vous avez raison. Les chiffres que vous avez donnés sont vraiment désolants.
À ce sujet, j’aimerais vous demander si vous avez des données sur la religion des personnes incarcérées. Ont-ils une religion ou quelque chose du genre?
M. Sapers : Monsieur le sénateur, je n’ai pas de données sur les affiliations religieuses. La foi continue de jouer un rôle important dans le système correctionnel, et les groupes et les bénévoles confessionnels sont les bienvenus dans nos établissements. À nos yeux, les aumôniers de prison occupent une place très importante au sein de la collectivité carcérale, tant pour le personnel que pour les hommes et les femmes en détention. En fait, même la loi fédérale dont j’ai parlé, la LSCMLC, mentionne et met sur un pied d’égalité les aînés et la spiritualité autochtone, mais c’est ici que les choses commencent à se détériorer.
Je vous renvoie encore une fois au rapport Une question de spiritualité. Une section du rapport parle de l’expérience des aînés pour ce qui est d’être en mesure de faire leur travail de guérison tout en étant soutenus. Malheureusement, ils avaient souvent l’impression d’être entravés ou marginalisés.
Je n’ai pas de bonnes données sur les affiliations religieuses. Je peux vous dire que la foi est importante, mais j’ai certaines préoccupations quant à notre façon de soutenir la spiritualité religieuse dans le système correctionnel.
Le sénateur Enverga : Quel est le taux de récidive de l’ensemble des personnes incarcérées?
M. Sapers : Le taux varie. Le terme « récidivisme » est vague et a différents sens selon les personnes. Nous pouvons nous attendre à ce que les gens qui purgent une première peine de prison dans le système provincial soient plus susceptibles de récidiver. Il est possible qu’ils se retrouvent de nouveau devant les tribunaux.
À l’autre extrême, les gens qui terminent avec succès des périodes de semi-liberté supervisée sous condition et ensuite de libération conditionnelle totale dans la collectivité ont habituellement les taux de réussite les plus élevés.
Nous voyons parfois des condamnés à perpétuité — des hommes et des femmes qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité — vivre paisiblement sans présenter de danger pendant des dizaines d’années dans la collectivité après avoir obtenu une libération conditionnelle une fois qu’ils ont purgé la partie carcérale de leur peine à perpétuité.
La question du récidivisme est difficile parce qu’il faut avoir de nombreuses discussions sur ce qu’on entend par là. S’agit-il d’un contact avec les tribunaux, de la réincarcération ou d’une nouvelle violation? Est-il question de la violation d’une condition? Lorsqu’une libération conditionnelle est accordée, il est possible qu’une des conditions soit le respect d’un couvre-feu. Suis-je incarcéré parce que je n’ai pas respecté le couvre-feu ou parce que j’ai commis un autre crime? Il faut avoir de nombreuses petites discussions pour répondre à cette question.
Le sénateur Enverga : Nous avons parlé hier du droit des Autochtones. Pour aider les Autochtones dans le système de justice, serait-il utile d’adopter une partie du droit des Autochtones?
M. Sapers : Je pourrais répondre facilement en disant que cela ne relève pas de mon champ d’expertise, et si j’étais vraiment futé, je m’en tiendrais à cela. Je vais toutefois dire que cela ne ferait pas de mal, mais nous devons repenser le système beaucoup plus en profondeur plutôt que de juste y intégrer les manières de procéder autochtones. L’aide d’un aîné dans le cadre des audiences et de la prise de décisions sur la libération conditionnelle est importante et utile, mais ce n’est pas assez. Cela n’a pas vraiment augmenté le taux de mise en liberté, et il faut donc repenser le système plus en profondeur.
La sénatrice Pate : Monsieur Sapers, c’est un plaisir de vous voir ici. Vous témoignez à titre personnel, mais vous avez néanmoins beaucoup d’expérience et de vastes connaissances.
J’aimerais revenir en arrière pour parler un peu d’un des aspects que vous avez abordés. Vous avez parlé d’un certain nombre d’observations que vous avez formulées dans le rapport intitulé Une question de spiritualité, notamment au sujet du nombre limité d’accords conclus en vertu de l’article 81 et du nombre de places limité. Le Comité sénatorial des droits de la personne examine la question, et de nombreux témoins nous ont parlé de la façon dont la politique était contraignante. Je vous saurais gré d’expliquer un peu de quelle façon elle a entravé la loi et de nous faire part de vos observations à ce sujet.
De plus, vous avez parlé du centre Stan Daniels, mais il y a également l’exemple de ce qui s’est passé lorsque les services correctionnels ont ouvert la Maison de ressourcement Buffalo Sage. Pouvez-vous parler des difficultés que présentaient les démarches nécessaires pour que quelqu’un puisse y séjourner?
Pouvez-vous également parler des nombreuses recommandations concernant la surveillance correctionnelle? Je pense plus précisément aux recommandations de Louise Arbour sur la capacité d’examiner les situations où la mauvaise gestion ou le traitement des prisonniers donne essentiellement lieu à une mauvaise gestion de la peine, à la solution pertinente pour les détenus, notamment les détenus autochtones.
Il serait formidable que vous commenciez par ces questions.
M. Sapers : Madame la sénatrice, j’aurais dû mieux me préparer, mais je vous remercie de poser ces questions.
À propos de la politique, je pense à un exemple qui cristallise selon moi la discussion. Pour avoir une place dans un pavillon de ressourcement, il faut être considéré comme détenu de niveau de sécurité minimale. Or, lorsqu’on regarde le profil de la population carcérale sous responsabilité fédérale, on constate que la majorité des hommes et des femmes sont détenus à un niveau de sécurité moyenne, y compris la plupart des Autochtones. Compte tenu de la politique en place, vous avez créé une non-admissibilité qui n’existe pas dans la loi. Ce n’est pas ce que dit la loi. Nous pouvons donc avoir toute une discussion pour déterminer si les outils d’évaluation du risque qui sont utilisés pour établir ces niveaux de sécurité sont impartiaux et s’ils sont appropriés sur le plan culturel.
Nous avons donc une politique influencée par une autre politique qui fait en sorte que la population cible n’a pas accès à la ressource qui a été créée.
Il y a d’autres exemples, mais je pense que celui-ci cristallise la question que vous avez soulevée.
Je signale pour le comité que la Maison de ressourcement Buffalo Sage est le tout dernier pavillon de ressourcement à avoir ouvert ses portes. Il vient élargir l’accord sur le centre Stan Daniels, qui a été conclu entre le Service correctionnel du Canada et le Native Counselling Services of Alberta. La maison Buffalo Sage est une ressource pour les femmes. Après son ouverture, il était toutefois très difficile sur le plan logistique et d’un point de vue stratégique d’y envoyer des femmes. C’était tout simplement difficile. On disait alors qu’on ne devait peut-être pas dépenser d’argent pour cela et que la population carcérale n’était pas assez importante.
La bonne nouvelle, c’est que je pense que beaucoup de ces problèmes ont été réglés. Parmi les facteurs qui ont permis de résoudre ces problèmes se trouve l’engorgement actuel de la prison pour femmes d’Edmonton, où la très grande majorité des détenues sont autochtones. Je peux maintenant vous dire que la dernière fois que j’ai vérifié, 15 des 16 places disponibles à la maison Buffalo Sage étaient occupées. C’est donc bien, dans la mesure où on peut estimer que c’est une bonne chose que des places disponibles en détention soient occupées. L’établissement sert au moins aux fins pour lesquelles il a été conçu.
Vous avez posé une question sur la surveillance correctionnelle. Au Canada, à l’échelle fédérale, nous avons le Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui est un ombudsman spécialisé. Les provinces et les territoires ont habituellement un bureau d’ombudsman, dont une grande partie des « activités » portent sur le système correctionnel.
Dans la plupart des provinces et des territoires, nous n’avons toutefois pas d’équivalent pour assurer la conformité. À titre d’exemple, pour les services correctionnels, le Royaume-Uni a non seulement un bureau d’ombudsman, mais aussi un bureau d’inspection. Ces bureaux assument des fonctions très différentes. L’un s’occupe des plaintes, tandis que l’autre se charge de la conformité. Si je comprends bien la juge Arbour et d’autres observateurs, il n’y a pas ce genre de processus parallèle, et la création d’un bureau de la conformité renforcerait la surveillance.
Je peux vous dire que j’ai récemment recommandé à la province de l’Ontario de créer un inspectorat des services correctionnels.
La sénatrice Pate : Je veux tirer une chose au clair. Vous avez parlé de la maison Buffalo Sage. Dans les faits, aucune femme autochtone n’y était admissible à son ouverture, n’est-ce pas?
M. Sapers : Madame la sénatrice, vous vous souvenez peut-être mieux que moi, mais je crois que c’était pendant les trois premiers mois.
La sénatrice Pate : Le fait d’avoir pu recourir à une simple reclassification des gens pour pouvoir les déplacer donne une idée de la mesure dans laquelle la classification et la politique étaient arbitraires.
M. Sapers : Bien sûr. On s’est rendu compte des obstacles qu’on avait dressés, à cause d’une politique, et on les a fait disparaître. C’est capricieux et arbitraire; ce n’est pas ainsi que nous sommes censés faire les choses.
La sénatrice Pate : Merci. Je voulais juste être claire. Je ne voulais pas vous donner les mots, mais c’est tout simplement la politique qui a fait entrave aux deux accords et aux reclassifications.
M. Sapers : En effet, ce n’était pas les gens.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup de votre présence et du travail que vous avez fait au fil des ans.
Je m’intéresse à une perspective plus internationale. Dans le cadre de notre étude, le système de justice sera évidemment un des domaines importants pour la communauté autochtone, mais j’aimerais savoir s’il existe d’autres modèles en Australie, en Nouvelle-Zélande et ailleurs que nous pourrions examiner et sur lesquels nous devrions nous renseigner?
M. Sapers : Madame la sénatrice, une fois de plus, ma réponse ne vous sera pas très satisfaisante. S’il y a une chose qui caractérise le colonialisme, c’est qu’il fait des ravages partout. J’ai visité la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Je suis allé à des endroits en Afrique où les populations indigènes sont surreprésentées dans ce qui constitue essentiellement des systèmes de justice coloniaux. En Nouvelle-Zélande, leur taux d’incarcération est plus élevé qu’au Canada. Le même genre d’efforts est déployé.
Il y a des pratiques exemplaires partout, y compris au Canada. Nous pouvons tirer des leçons de toutes ces pratiques et de leur adaptation. Le point commun que j’ai vu dans ces pratiques, c’est lorsque les initiatives reposaient sur l’expérience et les points de vue des Autochtones.
Le sénateur Doyle : Merci d’être ici.
Pouvez-vous en dire plus long sur ce que vous entendez par la phrase « artéfact persistant du colonialisme »? Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous entendez par là ni de quelle façon cela contribue à la forte croissance de la proportion d’Autochtones au sein de la population carcérale.
M. Sapers : Monsieur le sénateur, merci de poser la question. Je vais aborder seulement deux facettes de ce que j’entends par là, et j’espère que cela illustrera bien mon propos dans le cadre plus général de votre étude.
La première facette, c’est qu’il y a quelque chose d’intergénérationnel à l’œuvre. En effet, depuis plusieurs générations, les familles subissent les répercussions des pensionnats, de la rafle des années 1960 et des privations attribuables aux perturbations et au déplacement ainsi qu’à la perte de leur langue et de leur culture. Nous ne pouvons pas sous-estimer ces conséquences, c’est-à-dire la désintégration des familles à cause d’une politique de l’État.
Il y a donc sans aucun doute des effets à long terme attribuable au traumatisme intergénérationnel, mais il y a une autre facette, à savoir ce qui se passe actuellement. Nos politiques continuent de ne pas avoir beaucoup de sens. Nous continuons d’avoir des politiques qui semblent — ce n’est peut-être pas intentionnel, mais le résultat est le même — axées sur la race, ce qui renvoie à la discussion que je viens tout juste d’avoir avec la sénatrice Pate à propos des outils de classification des hommes et des femmes qui continuent d’être partiaux ou discriminatoires.
J’ai discuté avec des gens qui disent que les Canadiens autochtones devraient juste passer à autre chose, que tout cela est dans le passé, mais ce n’est pas le cas. J’ai parlé avec des gens qui ont dit que nous avons tous des droits, et que personne ne devrait avoir des droits qui empiètent sur ceux des autres, mais il n’y a vraiment qu’un seul groupe au pays qui a été colonisé; c’est donc différent. Ces politiques ont tendance à être différentes.
À mon avis, cela cadre avec la définition de racisme systémique, à savoir l’adoption d’une politique autrement inoffensive dont la mise en œuvre, sans intention délibérée, donne un résultat discriminatoire. Cela se poursuit aujourd’hui.
Le sénateur Doyle : Vous avez répondu à mon autre question sur le racisme systémique. Que peut-on faire à ce sujet? Quel genre de programme peut-on créer pour combattre le racisme systémique? N’est-ce pas une question d’éducation au sein non seulement de la population autochtone, mais également de la population non autochtone? Tout cela semble très abstrait. Comment peut-on passer à l’action, cerner le problème et prendre des mesures?
M. Sapers : Je crois qu’il y a plus d’une façon de se réconcilier; de se comprendre; et — sans aucun doute — d’éliminer le racisme et la discrimination. Cependant, un bon point de départ consiste à donner des moyens, à mobiliser les gens et à renforcer les capacités dans les communautés autochtones et auprès d’elles. On peut commencer par s’attaquer à certains des problèmes bien connus qui sont attribuables à la Loi sur les Indiens et aux réserves, à certains des problèmes documentés non seulement par la Commission de vérité et réconciliation, mais aussi auparavant dans beaucoup d’autres observations et études.
Dans le système correctionnel, même la mise en œuvre plus poussée et rigoureuse de notre loi, des articles 81 et 84 de l’ADRC, changerait les choses.
Nous pouvons faire beaucoup de choses sur le plan bureaucratique et organisationnel. Au conseil d’administration de Service correctionnel Canada, il n’y a toujours pas de haut dirigeant dont l’unique responsabilité est de mettre en œuvre et de gérer le Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones et de produire des rapports à ce sujet. Pourquoi n’y en a-t-il pas un?
Nous pouvons donc prendre des mesures, dont certaines dans l’immédiat. Certaines mesures demanderont plus de temps, alors que d’autres pourraient nécessiter des textes législatifs, et elles pourraient être nombreuses à nécessiter des initiatives fédérales, provinciales et territoriales, mais je pense que beaucoup de mesures pourraient avoir des résultats concrets et apporter des changements positifs.
Le sénateur Doyle : Sommes-nous en voie d’atteindre cet objectif? Est-ce un bon début?
M. Sapers : Je crois que cette discussion et les autres discussions de l’ère post-Commission de vérité et réconciliation sont un début.
Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Sapers. Votre commentaire au sujet des accords conclus en vertu de l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous caution m’a surpris. Si mes calculs sont exacts, on parle d’un accord tous les cinq ans depuis l’adoption de la LSCMLC. Selon vous, pourquoi y a-t-il eu si peu d’accords conclus en vertu de l’article 81 au Canada?
M. Sapers : Aucun nouvel établissement n’a été ouvert en vertu de l’article 81 depuis 2001, quoique l’établissement Buffalo Sage a été ouvert en 2001, mais il s’agit en réalité d’un ajout au centre de guérison Stan Daniels. Je pourrais être plus généreux et dire que nous en avons eu un depuis 2001, et c’est un établissement pour les femmes.
Encore une fois, il y a plusieurs raisons à cela, notamment une raison mal comprise, soit que de nombreuses communautés et organisations autochtones hésitent à conclure un accord en vertu de l’article 81, en raison de l’expérience des entrepreneurs qui exploitent ces pavillons.
Je me suis entretenu avec des dirigeants autochtones de partout au pays qui m’ont dit que de conclure un de ces accords serait comme subventionner la Couronne fédérale.
Dans le cadre de son enquête intitulée Une question de spiritualité, le Bureau de l’enquêteur correctionnel a découvert que Service correctionnel Canada finance beaucoup plus adéquatement ses propres pavillons de ressourcement que les pavillons sous contrat avec des communautés autochtones. L’impression des dirigeants autochtones concernant la subvention de la Couronne semble se confirmer.
On nous dit parfois que ces communautés n’ont pas la capacité nécessaire, qu’elles ne sont pas encore prêtes. À mon avis, il y a des influences plus puissantes qui expliquent pourquoi il n’y a pas eu plus d’accords.
Le sénateur Christmas : Je dois admettre qu’avant d’être nommé au Sénat, j’ai été dirigeant des Premières Nations et servi pendant 18 ans au conseil. Au cours de cette période, Service correctionnel Canada a approché ma communauté pour conclure un accord en vertu de l’article 81. Cet accord n’a jamais été conclu. J’ai connu d’autres contrevenants qui ont réintégré avec succès la communauté après avoir purgé leur peine.
Je me demande souvent pourquoi les accords conclus en vertu de l’article 81 n’ont pas été efficaces dans notre communauté, alors que les communautés qui n’ont pas conclu d’accord en vertu de l’article 81 semblent bien se débrouiller. Les articles 81 et 84 sont-ils des prescriptions colonialistes à un problème autochtone?
M. Sapers : Puis-je scinder votre question en deux?
Le sénateur Christmas : Certainement.
M. Sapers : Ma première question serait : Quel impact cela aurait-il sur les contrevenants qui réintègrent la communauté après avoir été libérés d’un établissement correctionnel traditionnel? J’espère que c’est le but du système correctionnel.
Même si je me suis montré très critique à l’égard de Service correctionnel Canada et d’autres systèmes correctionnels, je dois admettre que le système fonctionne; les gens, tant les détenus que le personnel des prisons, accomplissent des choses merveilleuses tous les jours dans ces établissements; des améliorations ont été constatées. Les programmes offerts ont été améliorés. On sollicite davantage la participation des anciens, si ceux-ci sont présents. La spiritualité autochtone est plus présente. Il y a des centres culturels et des terrains pour activités culturelles. Il n’est pas inhabituel de sentir l’odeur de la glycérie septentrionale dans les établissements; il y a des cérémonies de purification. Tout n’est pas négatif. Ceux dont vous avez parlé ont retiré de cette expérience ce qu’ils devaient en retirer.
Toutefois, la deuxième question est de savoir s’il s’agit ou non de prescriptions colonialistes. La réponse est oui. Plusieurs articles d’une loi du Parlement ciblent particulièrement une communauté identifiable. C’est du colonialisme. Par contre, la primauté du droit définit aussi notre pays. Que peut-on faire? Je crois que nous devons nous assurer que la loi reconnaît autant que possible la culture et le droit autochtone ainsi que les processus autochtones.
Derrière les articles 81 et 84, il y a la reconnaissance selon laquelle, à l’intérieur de cette structure coloniale, nous pouvons transférer à ces communautés les pouvoirs et compétences nécessaires pour qu’elle puisse faire les choses à leur façon. Mais, pour cela, il faut la permission de la Couronne.
La sénatrice Pate : J’aurais une question complémentaire à poser. Je remercie le sénateur Christmas d’avoir posé cette question, car l’essentiel de la question concernant les articles 81 et 84, pour ceux qui les ont examinés, c’est que l’intention législative était clairement jumelée à l’article 80 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous caution et visait à permettre aux communautés autochtones de définir à quoi pourrait ressembler des accords conclus en vertu des articles 81 et 84, plutôt que de laisser Service correctionnel Canada procéder à cette superposition coloniale des politiques qu’elle a développées.
Vous me corrigerez si j’ai tort, mais j’ai cru comprendre que les communautés autochtones se sont fait dire par des responsables dans le système correctionnel que le genre d’initiatives qu’elles voulaient lancer ne cadrait pas avec les politiques, et que, par conséquent, elles n’obtiendraient aucun financement. À ma connaissance, cette position n’a jamais été contestée. Lorsque je dis « contestée », je parle d’une contestation juridique, même si l’intention législative était très différente. Elle était ancrée dans la notion d’autogouvernance, selon laquelle les communautés pouvaient accueillir les détenus libérés et les réintégrer dans leur communauté autochtone et décider elles-mêmes de la suite des choses et de la façon d’utiliser les ressources disponibles. C’est ce que j’ai compris. Si j’ai mal compris, n’hésitez pas à me corriger.
M. Sapers : Je ne suis pas en désaccord avec votre analyse, mais je crois que celle-ci peut être poussée un peu plus loin.
Ce que je veux dire, c’est que Service correctionnel Canada fonctionne à l’intérieur d’une bureaucratie fédérale, d’un cadre fédéral. Toutes sortes de mesures de reddition de comptes, d’exigences en matière de rapport et de contraintes en matière d’innovation ont été imposées. Nous pouvons dire autant que nous le voulons que nous habilitons la fonction publique à faire ceci ou à faire cela et que nous reconnaissons et récompensons le risque et l’innovation, en réalité, ce n’est pas le cas.
J’ajouterais que Service correctionnel Canada n’est pas la seule organisation à hésiter à prendre ce qu’elle considère être un risque en matière de reddition de comptes pour les dépenses publiques concernées.
Comme je l’ai dit, je ne suis pas en désaccord avec votre analyse, mais nous devons pousser celle-ci plus loin. Si nous souhaitons bâtir sur la discussion que nous avons et qu’a demandée votre collègue, alors nous devons réaliser que la complexité des politiques nous empêche parfois de faire ce que nous devons faire.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Entre le programme de réadaptation pour les Autochtones et le programme de réadaptation pour les non-Autochtones, lequel offre le plus de programmes dans les établissements?
M. Sapers : Merci pour cette question, sénatrice. Je n’ai pas de réponse statistique à vous donner pour le moment.
La seule statistique encourageante dont j’ai pris connaissance récemment, c’est qu’il y a plus d’hommes autochtones que jamais qui participent et terminent des programmes correctionnels dans les pénitenciers fédéraux. Ce que nous ignorons, c’est la qualité de cette expérience, car Service correctionnel Canada a modifié la prestation de ses programmes.
J’aimerais pouvoir vous donner une réponse plus détaillée. Ce serait bien si vous pouviez poser cette question au commissaire du Service correctionnel, car ce serait des informations très utiles à avoir — non seulement le nombre d’hommes et de femmes autochtones qui participent à ces programmes, mais la capacité générale actuelle des programmes de Service correctionnel Canada.
Le sénateur Enverga : Serait-il utile pour la population autochtone de disposer d’un service correctionnel distinct où les aînés autochtones pourraient s’occuper des leurs?
M. Sapers : Sénateur, c’est en partie l’idée derrière l’article 81, soit transférer aux communautés autochtones les pouvoirs et les responsabilités relatives à la garde et aux soins.
Ce qu’il y a d’intéressant au sujet de l’article 81, c’est qu’il ne requière aucun établissement physique de taille. Il peut aussi s’appliquer à petite échelle, dans une petite communauté, à l’intérieur d’une résidence.
Je crois que ce que vous voulez savoir, c’est ce que le Parlement a examiné à l’époque où la LSCMLC était débattue.
Le sénateur Enverga : C’est ce que vous avancez?
M. Sapers : Oui. Je crois que les inquiétudes soulevées en 2013 par le Bureau de l’enquêteur correctionnel au sujet de la mise en œuvre incomplète de ces articles de la LSCMLC sont toujours justifiées et je crois que le moment est venu d’y répondre.
Le sénateur Enverga : Ce serait bien.
Le sénateur Tannas : Howard, votre point de vue est tellement unique. Nous sommes très heureux que vous ayez accepté notre invitation.
Je vais vous poser une question qui, je l’espère, sera amusante. Vous avez déjà été de ce côté-ci de la table en tant que législateur et politicien et avez eu une place de choix pour constater cette tragédie. Imaginez une époque 20 ou 30 ans dans le futur ou même plus tôt où le nombre de détenus autochtones serait égal au nombre de détenus non autochtones. Vous vous présentez dans un établissement avec tout votre bagage d’expérience et constatez les résultats et quelqu’un vous demande : « Que s’est-il passé pour que ces changements surviennent? » Que citeriez-vous comme étant les deux ou trois principaux changements apportés pour orienter les gens sur la bonne voie plutôt que sur la mauvaise voie?
M. Sapers : Eh bien, sénateur, vous m’avez taquiné en disant que votre question serait amusante.
Deux des principaux problèmes que nous devons aborder si nous souhaitons faire des progrès en ce qui a trait aux services correctionnels sont la santé mentale ainsi que la dépendance et la pauvreté dans nos communautés. Il y a aussi l’hébergement sécuritaire, la formation professionnelle et les possibilités de s’instruire, mais, si nous nous attaquons à la pauvreté et à la santé mentale, nous verrons une baisse du taux d’incarcération. De plus, cela aurait un impact sur toutes les communautés. Je crois que si l’on s’attaque sérieusement à la question de la pauvreté, cela aura un plus grand impact sur la vie des hommes et des femmes autochtones.
La présidente : Monsieur Sapers, au nom du comité, je vous remercie beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Nous examinerons attentivement vos observations dans le cadre de notre étude.
Sénatrices et sénateurs, merci pour ces excellentes questions.
Nous avons maintenant l’honneur d’accueillir comme prochain témoin Scott Serson, ancien sous-ministre de ce qu’on appelait à l’époque Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. M. Serson a comparu devant le comité il y a quelques années dans le cadre d’une étude sur l’éducation postsecondaire. Nous sommes heureux de l’accueillir à nouveau aujourd’hui pour profiter de ses nombreuses années d’expérience et de sa sagesse.
Monsieur Serson, je vous laisse la parole pour nous présenter un bref exposé, après quoi nous passerons aux questions des membres.
Scott Serson, ancien sous-ministre, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier le comité de m’avoir invité à comparaître. Peut-être l’avez-vous déjà fait, mais je tiens à souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur un territoire non cédé du peuple algonquin.
Je sais que le comité étudie les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Comme je l’ai dit à la présidente, je n’ai pas apporté beaucoup d’informations avec moi. Je travaille toujours dans ce domaine, alors je me suis dit que je pourrais vous parler de quelques-unes de mes préoccupations les plus immédiates au sujet de cette relation.
Je travaille à titre de bénévole pour deux organisations : l’Institut sur la gouvernance et une petite organisation appelée Les Canadiens pour un nouveau partenariat. Je suis ici à titre personnel, et non à titre de représentant de ces organisations. Toutefois, je tiens à souligner que ces organisations collaborent à une série de dialogues sur les caractéristiques d’une relation de nation à nation. Évidemment, nous tentons de nous assurer, dans la mesure du possible, que cette relation inclut également une relation de gouvernement à gouvernement et une relation entre les Inuits et la Couronne.
Lors de notre dernière discussion sur la création de richesses, à Halifax, certains se sont dits inquiets de voir que la fenêtre pour adopter une loi avant les prochaines élections se fermait rapidement pour le gouvernement. Je travaille dans ce domaine depuis un certain temps, et je partage cette inquiétude. Selon moi, le gouvernement a pris de nombreux engagements en ce qui a trait à une nouvelle relation, mais il est important qu’au moins quelques-uns de ces engagements soient reflétés dans la loi au cours de ce mandat afin d’éviter qu’ils soient abandonnés sans la tenue d’un débat public important.
Puisque la Commission royale sur les peuples autochtones et la Commission de vérité et réconciliation ont toutes les deux demandé une nouvelle proclamation royale, j’avais espoir qu’une telle proclamation soit reflétée dans la loi pour servir de base à de futurs changements dans la relation entre les peuples autochtones et les peuples non autochtones. Je continue d’espérer qu’une loi sera adoptée pour établir le Conseil national pour la réconciliation, ce qu’a demandé la Commission de vérité et réconciliation dans son appel à l’action no 53.
Selon la commission, un des principaux rôles du conseil serait de « […] s’assurer que le gouvernement continue de s’acquitter, au cours des prochaines années, de sa responsabilité d’établir une bonne relation entre les peuples autochtones et l’État. » Il s’agit d’une citation de la CVR.
Finalement, en l’absence d’une loi, j’aimerais que ce gouvernement, en collaboration avec des représentants des trois groupes autochtones, crée trois plans pour restructurer la relation. Je propose une version modifiée du plan en sept étapes proposé par la Commission royale sur les peuples autochtones. La publication de plans permettrait aux Canadiens comme moi pour qui ces relations tiennent à cœur de pousser le gouvernement fédéral à rendre des comptes sur les progrès quant à la mise en œuvre desdits plans.
Le deuxième aspect sur lequel ce gouvernement devrait se concentrer davantage concerne la collaboration avec les peuples autochtones.
La CRPA, la Commission royale sur les peuples autochtones, a demandé au gouvernement et aux peuples autochtones de travailler en partenariat. Le gouvernement utilise fréquemment ce terme dans ses déclarations, mais je sais, par expérience, que la mise en œuvre de cette idée pose des défis intéressants aux fonctionnaires, notamment en ce qui a trait à l’ouverture et à la transparence. J’aimerais que plus d’efforts soient déployés à ce chapitre.
La relation financière, un autre aspect de la relation avec les Premières Nations, est l’un des principaux aspects sur lesquels je me suis concentré au cours de ma carrière. Comme je l’ai souligné lors de ma dernière comparution devant le comité, en tant que sous-ministre de 1996 à 1997, j’ai imposé ce qui était censé être un plafond temporaire à la croissance des transferts fédéraux aux Premières Nations dans le but de favoriser l’élimination du déficit dans les années 1990. Toutefois, en 2003, après l’élimination du déficit, ce plafond éprouvant a été maintenu jusqu’au budget de 2016. Cela m’a lourdement affecté.
Le gouvernement actuel a éliminé ce plafond, mais il reste encore des travaux urgents à faire, notamment définir et combler les écarts créés par 20 ans de sous-financement et calmer les inquiétudes, comme celles soulevées par le vérificateur général dans son rapport d’état de juin 2011 sur les programmes des Premières Nations dans les réserves. Dans ce rapport, le vérificateur général dit :
À notre avis, bon nombre des problèmes auxquels les Premières Nations se heurtent ont des causes plus profondes que l’inefficience et l’inefficacité des programmes en vigueur. Selon nous, des obstacles structurels nuisent gravement à la mise en œuvre des services publics destinés aux Premières Nations et à l’amélioration de la qualité de vie dans les réserves. Nous avons recensé quatre obstacles structurels de ce genre :
le niveau des services à assurer est mal défini;
il n’y a pas de fondement législatif;
les mécanismes de financement ne sont pas appropriés;
il manque d’organisations capables de veiller à la prestation des services à la clientèle locale.
On peut constater, à tout le moins, que l’Assemblée des Premières Nations et le gouvernement fédéral ont amorcé des travaux bilatéraux sur ces questions. À mon avis, une partie des travaux doit mener à la production de données accessibles au public qui permettraient aux Canadiens intéressés de juger si le financement accordé aux Premières Nations est équitable.
Finalement, peu importe le rythme auquel le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis bâtissent cette nouvelle relation, je tiens à souligner l’importance que j’attache à l’éducation du public en cours de route. La Commission royale et la Commission de vérité et réconciliation ont toutes les deux souligné l’importance de l’éducation du public et je crois que la plupart d’entre nous qui participons à ces processus amorcés il y a 36 ou 37 ans croient encore aujourd’hui que cet aspect revêt une importance capitale. Merci.
La présidente : Merci, monsieur Serson.
Nous passons maintenant aux questions des sénateurs, à commencer par le sénateur Tannas.
Le sénateur Tannas : Quand vous êtes venu la dernière fois, vous nous avez présenté un point de vue très franc sur la façon dont le plafond de 2 p. 100 avait fonctionné et vous avez exprimé du regret d’avoir participé à cela. Votre témoignage m’a marqué, et je pense qu’il a marqué les autres personnes qui étaient présentes. Je vous en remercie. Je suis convaincu qu’il a été difficile pour vous d’en parler.
J’ai une question, et j’espère que vous pourrez y répondre. Quand vous étiez sous-ministre, du début au milieu des années 1990, quel pourcentage de votre budget total les transferts aux gouvernements des Premières Nations représentaient-ils?
M. Serson : La plus grande partie, sénateur. J’oublie quels étaient les coûts de fonctionnement du ministère à cette époque, mais ils ne représentaient probablement pas plus de 10 p. 100, et j’espère que c’était beaucoup moins.
Le sénateur Tannas : Donc, à peu près 90 p. 100 de votre budget était transféré directement, tout simplement.
M. Serson : Oui.
Le sénateur Tannas : Pourquoi faut-il de 4 200 à 4 500 personnes pour transférer 90 p. 100 de l’argent? Pourquoi? C’est une question qui me trotte dans la tête. Je ne comprends tout simplement pas. C’est ma première question.
Ma deuxième est la suivante. Comme vous l’avez dit, la fenêtre est en train de se fermer pour l’actuel gouvernement, et c’est maintenant qu’il a décidé de réorganiser ces 4 500 personnes. Je ne veux pas faire preuve de partisanerie et j’essaie d’éviter cela, mais il me semble que c’est un énorme gaspillage de temps et d’efforts, en ce moment, alors que tout est en place pour que les choses bougent. Tout est là pour que quelque chose se produise, mais on va se retourner et demander aux fonctionnaires de se réorganiser. Combien de temps faudra-t-il pour cela? Est-ce que cela ne va pas condamner, ou gravement entraver le potentiel de progrès, parce que tout le monde sera en train de changer de bureau et de rédiger de nouvelles descriptions de travail?
M. Serson : Pour répondre à votre première question, le ministère applique toujours la Loi sur les Indiens et fait le transfert des fonds aux Premières Nations sous la forme de subventions et de contributions. Si vous êtes un sous-ministre, vous comparaissez devant le comité des comptes publics et vous expliquez le moindre problème qui existe concernant l’application des programmes ou la prestation des services. Cela représente une grande partie du rôle que le ministère joue.
Quand nous parlons de cette relation financière, nous savons que les transferts fédéraux aux provinces et aux territoires se sont transformés en financement global. Je pense que c’est l’orientation que la plupart des gens envisagent pour les transferts aux Premières Nations, mais pour en arriver là, pour être justes envers les Premières Nations, nous avons besoin d’une meilleure base et une meilleure connaissance de cette base.
La dernière fois où j’ai comparu devant vous, j’étais notamment irrité par le manque de transparence, et c’est ce que je demande aujourd’hui — de la transparence concernant la relation de financement. Qu’est-ce qui est dépensé? Qu’est-ce qu’on achète avec cet argent? Il est très difficile de le savoir, et l’essentiel de l’exposé que j’ai présenté à ma dernière comparution était parce que j’avais pu parler d’un exposé que Cindy Blackstock avait réussi à obtenir grâce à l’accès à l’information et qui montrait clairement que le ministère avait présenté les chiffres.
D’après l’exposé, il semble qu’ils ont présenté les chiffres au Cabinet — quelque chose de ce genre —, mais c’était un tableau honnête de la réalité. Je ne vais pas entrer dans les détails à moins que quelqu’un veuille revenir là-dessus, mais c’était un exposé très décevant sur l’état de la situation. Je pourrais revenir là-dessus.
Pour ce qui est de la restructuration, j’ai exprimé des préoccupations au sujet de cette décision. Premièrement, j’ai trouvé qu’il n’était pas juste de dire que c’était la mise en œuvre d’une recommandation de la Commission royale sur les peuples autochtones — la CRPA —, ou du moins de présenter cela négativement ainsi, car comme je l’ai dit, la CRPA a effectivement présenté un plan de restructuration. C’était un plan en sept points, et comme ils l’ont recommandé, je crois, autour de la cinquième étape du plan, ils ont effectivement dit : « Vous feriez bien de suivre nos recommandations sur la restructuration. » Cependant, ce qu’ils voulaient dire, si vous lisez bien la justification — ce que j’ai pris le temps de faire quand j’ai vu cette décision —, c’est qu’ils souhaitaient que le Parlement adopte des mesures législatives qui indiqueraient clairement l’orientation de cette restructuration pour que les fonctionnaires comprennent bien le rôle qu’ils auraient à jouer une fois que la restructuration se ferait. De façon générale, c’est ce qui me préoccupe de cette décision, à ce moment-ci.
J’ai travaillé avec ces gens, au ministère, alors je ne vais pas en dire du mal. Ce sont de bonnes personnes, qui veulent que la situation des Premières Nations change. Mais il ne fait aucun doute que cette restructuration et l’incertitude qui l’accompagne causent du stress et des préoccupations qui vont détourner l’attention de l’objectif premier, en ce moment, soit de restructurer cette relation, de combler l’écart socioéconomique qui sépare les Canadiens autochtones des autres Canadiens.
Le sénateur Tannas : Merci, monsieur.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Vous devez être au courant de la gestion par un séquestre-administrateur.
M. Serson : À peine.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Est-ce que les collectivités des Premières Nations peuvent refuser qu’ils viennent dans leurs collectivités et qu’ils compromettent leur gestion? L’argent qui sert à rémunérer le séquestre-administrateur vient du financement destiné aux Premières Nations, et c’est autour de 60 000 $ par mois.
M. Serson : Je crains fort, sénatrice, de ne plus être au courant de tels détails.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Mais ont-ils le droit de refuser que quelqu’un intervienne? C’est ce qui s’est produit à Attawapiskat.
M. Serson : Oui, je suis au courant de cela. Je ne sais pas, concernant le droit de refus. Je pense que toute Première Nation qui ne va pas passer à la gestion par un séquestre-administrateur quand on lui demande de le faire risque de rencontrer des difficultés, mais encore là, je ne me souviens plus exactement ce qui se passerait, n’étant plus dans ce domaine.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je crois que les chiffres que j’avais étaient supérieurs, mais je les ai diminués.
À l’avenir, pour garantir que les fonds suivent la croissance de la population, quelle serait l’approche à adopter pour le financement?
M. Serson : Le financement des Premières Nations devrait être progressif et tenir compte à la fois de l’inflation et de la croissance de la population, mais je pense que l’examen qu’il faut mener maintenant doit être beaucoup plus profond que cela. Comme je l’ai dit précédemment, 20 ans de financement à 2 p. 100 quand nous savons que l’inflation était de 2 p. 100 et la croissance de la population, de 2 p. 100 aussi, cela donne de très graves écarts qu’il faut cerner et compenser.
Nous continuons de préciser les besoins des Premières Nations. Les capacités et le développement des capacités sont toujours un problème. Le vérificateur général a souligné la nécessité de soutenir les institutions et de financer suffisamment le soutien aux institutions. Tous ces enjeux doivent être présentés d’une façon beaucoup plus transparente, sans les échanges d’arguments sur la justesse du financement, mais de manière à ce que le public puisse examiner les données et juger par lui-même.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Que voulez-vous dire, par « le public »?
M. Serson : Je parle des Canadiens qui sont intéressés — ceux qui se demandent pourquoi il y a un si grand écart socioéconomique.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
La présidente : Avant que nous passions à la sénatrice Pate, je vais poser une question complémentaire à une question de la sénatrice Lovelace Nicholas.
Nous parlons de financement et d’une nouvelle relation de nation à nation pour l’avenir, mais en ce moment, il semble que le financement soit contrôlé par des forces qui se trouvent hors du contrôle des Premières Nations, des Métis ou des Inuits. Qu’est-ce qui serait, d’après vous, un système plus juste, si vous deviez recommander un changement dans la façon dont les niveaux de financement sont déterminés?
M. Serson : Encore là, je ne suis pas un expert de cela, mais en rétrospective, et compte tenu du contexte actuel, je me demande si nous n’avons pas besoin, pour commencer, de l’agence de statistique qui a été créée, puis dissoute par la suite. Je crois que nous avons besoin d’une capacité indépendante ou peut-être d’une capacité supplémentaire à Statistique Canada dans le domaine des peuples autochtones.
Outre cela, avec l’évolution de la relation de financement, je pense que le but est de verser un financement global. Si nous sommes convaincus que la base est adéquate, que les Premières Nations ont atteint le degré de développement voulu, un financement global très semblable aux transferts fédéraux aux provinces et territoires permettrait aux gouvernements autochtones d’établir leurs propres priorités. C’est absolument essentiel.
La sénatrice Pate : Merci, monsieur Serson.
Le 11 septembre, selon le Hill Times, vous auriez fait des commentaires à propos de la séparation au sein du ministère sur laquelle ma collègue vous a interrogé. Vous auriez notamment parlé d’une nouvelle proclamation et d’un encouragement qui pourraient constituer une étape nécessaire aux futures relations de nation à nation. Pourriez-vous nous expliquer en quoi vous trouvez que ce serait utile et bénéfique, pour une relation de nation à nation, nous dire comment vous nous verriez prendre cette direction et nous souligner les changements qu’il faudrait dans les opérations, les procédures et les politiques?
M. Serson : L’idée ne vient pas de moi. C’est une idée de la commission royale, et la Commission de vérité et réconciliation a soulevé cette idée. Leur idée était assez semblable à ce que la ministre de la Justice a accompli, en fait, ce qui a donné lieu à 10 principes.
Le défi, c’est qu’on ne sait pas vraiment si ces principes ont été développés avec la contribution des peuples autochtones. En fait, je pense que la ministre de la Justice a laissé entendre qu’il s’agit de principes devant guider les fonctionnaires dans cette relation. Mais mon interprétation d’une nouvelle proclamation royale était que les dirigeants autochtones se réuniraient avec les représentants du gouvernement pour convenir d’un ensemble de principes servant à guider la relation, ce qui serait assez semblable, peut-être, aux problèmes relatifs à ces 10 principes. Mais il s’agirait de 10 principes comme cela qui établiraient une assise claire pour la nouvelle relation. Ce que j’ai dit au journaliste était simplement lié à cela.
Permettez-moi de vous préciser cela. J’étais aussi sous-ministre quand j’ai reçu le rapport de la CRPA. Je n’entrerai pas dans bien des détails, mais nous y avons répondu par Rassembler nos forces. Avec du recul, j’ai peut-être été naïf. L’intérêt public pour la relation avec les peuples autochtones a été en grande partie suscité par le travail et la publication du rapport de la CRPA, mais tout s’est évaporé très rapidement.
Je me pose la question : plutôt que d’avoir fait porter l’attention sur Rassembler nos forces, qui visait dans une grande mesure les enjeux socioéconomiques parce que ces enjeux étaient considérés comme étant plus urgents et que la restructuration comportait plus d’embûches, ce qui nous a convaincus de la placer au deuxième rang, si j’avais proposé que le ministre et le cabinet rendent public le plan de restructuration en sept étapes, est-ce que cela aurait aidé les dirigeants autochtones? Est-ce que cela aurait aidé le public canadien à voir la progression de la mise en œuvre du plan de restructuration?
Fondamentalement, c’est ce que j’avais à l’esprit — quelque chose qui donne aux Canadiens intéressés et bienveillants une occasion d’aider les dirigeants autochtones à faire progresser cette relation.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de votre exposé, monsieur Serson.
Puisque vous étiez le sous-ministre, vous avez probablement une idée du résultat final que vous souhaitez. Est-ce que l’autosuffisance ou l’autonomie gouvernementale font partie des réalisations ou des choses que vous souhaitez voir se produire?
M. Serson : C’est une question piège, sénateur, car j’ai peut-être des opinions personnelles que je pourrais vous exposer, mais ce qui est important, c’est que quoi qu’il advienne, ce soit le résultat d’un dialogue, d’une négociation entre les peuples autochtones et le Canada.
Je ne peux pas imaginer ce résultat. J’ai peut-être des idées. Je pense que la CRPA nous a donné un très bon modèle de ce que nous devons faire.
Le sénateur Enverga : En ce moment, nous étudions la nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Est-ce qu’essayer d’aider les Premières Nations à devenir autosuffisantes et autonomes est un bon objectif pour le Canada? Est-ce un objectif juste pour tout le monde?
M. Serson : Nous avons rapatrié la Constitution avec l’article 35. Nous avons tenu une série de conférences constitutionnelles en vertu de l’article 37 de la Constitution, de 1984 à 1985. Nous n’avons pas réussi à définir les droits des peuples autochtones, mais s’il est une chose claire qui est ressortie de ces conférences, c’est que les peuples autochtones voulaient la reconnaissance de leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.
C’est au cœur de ce que nous devons accomplir. Comment y arriver dans notre fédération? La Commission royale sur les peuples autochtones nous a en particulier donné beaucoup de conseils très intelligents à utiliser.
En public, les gens diront qu’il ne s’est pas passé grand-chose dans le sillage de la Commission royale sur les peuples autochtones, mais quiconque travaille à un problème, à un aspect à explorer, va avoir comme premier réflexe de revenir au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. C’est du moins ce que je constate.
Le sénateur Enverga : Alors trouvez-vous que la volonté est là, concernant l’autonomie gouvernementale des collectivités autochtones?
M. Serson : Parmi les collectivités autochtones?
Le sénateur Enverga : Oui.
M. Serson : Je le crois, oui. Absolument.
La sénatrice Omidvar : Merci de votre présence, monsieur Serson. Je ne fais normalement pas partie du comité, alors je n’ai pas le même degré de sagesse que mes collègues. Cependant, je suis une Canadienne préoccupée, naturellement. J’espère que vous étiez présent précédemment, quand nous avons eu une conversation vraiment fascinante sur le colonialisme et les effets négatifs à long terme du colonialisme sur les comportements systémiques.
J’ai de la difficulté à faire abstraction de cela pour passer à la situation actuelle, puis à quelque chose de nettement plus souhaitable. Nous parlons de restructurer une relation ou d’établir une nouvelle relation avec les Premières Nations du Canada.
Je vous écoute, et vous continuez de parler de subventions globales, de clauses d’indexation, d’autodétermination, mais n’y a-t-il pas toujours des relents de colonialisme autour de ceux qui donnent et ceux qui prennent? Je me demande s’il est possible que vous preniez plus de risques et que vous soyez plus audacieux, et j’aimerais que vous nous décriviez une approche transformationnelle complètement nouvelle, si c’est possible.
M. Serson : Eh bien, nous vivons au Canada, et certains vous diraient que l’une de nos principales bénédictions, c’est que nous avons appris des premiers peuples de ce pays l’importance de partager, ce qui se reflète dans le programme de transfert de péréquation et dans le programme de transfert pour les services sociaux et les soins de santé. D’après moi, les transferts sont inévitables.
Mais vous soulevez un bon point. Je crois qu’il faut travailler à réparer certains des effets du colonialisme. Pour certains de ces grands enjeux, la Commission royale sur les peuples autochtones avait un message ou une recommandation majeure sur l’importance de rétablir les territoires des collectivités autochtones. Cela dépassait, si je me souviens bien, les revendications territoriales. Cela englobait certainement le juste renouvellement des traités et la mise à jour des traités, mais c’était probablement plus que cela, même. Il s’agissait de donner aux nations autochtones une base économique raisonnable.
Si c’est le partage des revenus tirés des ressources que vous envisagez, absolument, oui.
La sénatrice Omidvar : J’essaie d’en venir à quelque chose d’un peu différent — peut-être le partage des taxes, ou un pouvoir d’imposition.
Nous ne sommes pas le seul pays à devoir relever ce défi. Il y en a d’autres. Pouvons-nous apprendre des leçons de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et des États-Unis?
M. Serson : S’il y a quelque chose d’important, je ne l’ai pas trouvé. Je continue de travailler à chercher des occasions d’apprendre des autres, mais notre pays est unique et je pense que nous devons trouver nos propres solutions à ces enjeux.
La présidente : Nos brillants analystes m’ont demandé de vous poser une question.
M. Serson : Puis-je dire une autre chose?
La présidente : Bien sûr.
M. Serson : J’ai coprésidé le groupe de travail sur les peuples autochtones lors des consultations de Charlottetown et, à ce titre, je veux dire aux sénateurs qu’au moment d’envisager une nouvelle relation, vous devriez regarder les dispositions à l’égard des Autochtones qui se trouvent dans l’accord de Charlottetown, car à cette occasion, le premier ministre, les premiers ministres provinciaux et les dirigeants territoriaux et autochtones se sont entendus sur la restructuration de la relation.
C’est donc là, et je peux dire qu’il y a des dirigeants des Premières Nations, comme Ovide Mercredi, que j’ai entendu parler avec énormément d’éloquence, qui croient toujours que c’était un modèle plutôt raisonnable de restructuration de la relation. Je veux simplement le souligner.
La présidente : Merci pour ces renseignements.
Nos analystes m’ont soufflé une question. Elle fait en quelque sorte suite à ce que vous venez de nous dire au sujet de l’accord de Charlottetown. Je crois que c’est en 2005 que l’Accord de Kelowna a été négocié en consultation avec les principaux groupes autochtones : l’Assemblée des Premières Nations, la nation métisse du Canada, ITK, le Congrès des peuples autochtones et l’Association des femmes autochtones du Canada. C’était l’amorce d’une nouvelle relation financière. Il était question d’un budget distinct dans cinq domaines différents, dont ceux de la santé et de l’éducation. Y a-t-il des enseignements à tirer du processus mis en place à l’époque?
M. Serson : J’ai participé à ce processus. Je travaillais à ce moment-là pour le chef national Phil Fontaine. D’après ce que j’ai pu observer en collaborant avec mes collègues des Premières Nations, quelques aspects de ce processus revêtaient une importance particulière.
Il y a d’abord le fait que le gouvernement fédéral a déployé des efforts considérables pour veiller à ce que l’Assemblée des Premières Nations puisse embaucher son propre personnel, notamment pour les recherches qu’elle souhaitait effectuer. Ce fut un aspect primordial de l’accord.
D’autre part, on a prévu les ressources et le temps nécessaires pour la préservation d’un consensus entre les Premières Nations de tout le pays. À ce sujet, je cite toujours le même exemple que quelqu’un m’a d’ailleurs rappelé récemment. Pas moins de 132 personnes représentant différentes communautés ont participé à un appel conférence organisé pour traiter d’un sujet particulier. Cela témoigne bien des efforts consentis pour assurer le maintien d’un consensus entre les participants des Premières Nations.
Sans vouloir contredire vos analyses, je dirais que, de mon point de vue, l’Accord de Kelowna visait davantage la restructuration des programmes et des politiques afférentes. Une grande partie du travail a été accompli en partenariat, ce qui est en soi une réussite. Les parties à l’accord étaient satisfaites des résultats obtenus, notamment pour ce qui est de la définition des services.
Je dois toutefois vous dire qu’il n’y a pas eu de négociations concernant les aspects financiers. Le gouvernement fédéral a annoncé qu’il allait investir 5 milliards de dollars pour appuyer la mise en œuvre de l’Accord de Kelowna, mais je ne me souviens pas d’échanges qui nous auraient permis — et je parle en tant que collègue des Premières Nations — de discuter de la somme d’argent qui aurait pu être appropriée à cette fin. C’est ce qui a causé problème dans le cas de l’accord de Charlottetown.
Avec le plafond de 2 p. 100 qui est appliqué actuellement, personne ne critiquera le montant octroyé, car les besoins existent bel et bien dans les communautés des Premières Nations. Comme je crois fermement en la valeur du travail en partenariat, j’ai voulu faire ressortir cet élément au sujet duquel le partenariat n’a pas tenu.
La présidente : Pour que les choses soient bien claires, c’est moi, et non nos analystes, qui ai parlé de « négociations ». C’est moi qui me suis mal exprimée.
Comme vous le savez, le comité s’intéresse à la forme que pourrait prendre une nouvelle relation de nation à nation. Je vais vous poser une question dans le style de celles du sénateur Tannas. Si vous pouvez vous imaginer la situation dans 25 ou 50 ans d’ici, à quoi ressemblerait le ministère des Affaires indiennes, version 2.0? Quel serait son rôle? Il est bien évident que ce rôle doit changer. Quelle forme prendrait cette évolution si nous en arrivions à une relation de nation à nation? Y aurait-il encore un ministère des Affaires indiennes?
M. Serson : Si nous en arrivions à avoir ces 50 à 60 nations dont parlait la Commission royale sur les peuples autochtones, je pourrais me reporter à une époque où les relations fédérales-provinciales étaient beaucoup plus soutenues qu’elles peuvent l’être aujourd’hui, une période que j’ai bien connue pour avoir travaillé directement dans le secteur. Il y avait alors le Bureau des relations fédérales-provinciales, un petit secrétariat qui relevait du Bureau du Conseil privé. Une fois que l’on aura bien établi cette relation en ayant clairement précisé et enchâssé dans la loi les compétences de chacun et les dispositions de financement, et qu’on en sera rendu à gérer le tout à partir des statistiques et des données recueillies, c’est le genre de mécanisme qui pourrait permettre au niveau du gouvernement fédéral de régler les problèmes qui pourraient se poser comme dans n’importe quelle relation.
La présidente : Merci.
Le sénateur Christmas : Monsieur Serson, je me réjouis que vous ayez parlé de l’accord de Charlottetown et de l’Accord de Kelowna. J’estime important que notre comité s’intéresse à ces deux accords.
Dans votre vision d’avenir pour le Canada, quel rôle devrait selon vous jouer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones?
M. Serson : J’aimerais vraiment que ces discussions aient lieu, sénateur. J’ai l’impression que si l’on entreprend les pourparlers au sujet de la mise en œuvre de la déclaration des Nations Unies, il pourrait en découler l’adoption de dispositions semblables au Canada sous la forme d’une nouvelle proclamation royale ou d’un document juridique du même ordre.
Le sénateur Christmas : Il ressort clairement de la déclaration une reconnaissance des droits des peuples autochtones à l’égard de leurs terres et des ressources qu’elles renferment ainsi que toute la question du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause relativement à ces terres et ces ressources.
J’essaie de m’imaginer un Canada qui respecterait la déclaration des Nations Unies et cette notion de consentement préalable, libre et éclairé, car j’estime que ces dispositions vont tout à fait dans le sens de l’équité en permettant essentiellement de contrer toute visée de colonisation.
Vous avez travaillé aussi bien pour le gouvernement du Canada que pour l’Assemblée des Premières Nations. À la lumière de votre expérience et de votre connaissance des processus utilisés de part et d’autre, pouvez-vous nous dire quelles mesures doivent être prises à compter de maintenant pour que l’application concrète de la déclaration et du principe du consentement puisse devenir une réalité? Quelles transformations en profondeur doivent survenir au sein de notre fédération pour que cela puisse se produire?
M. Serson : Sans vouloir me montrer trop prudent, sénateur, je dois vous dire que mon expertise a ses limites. La ministre de la Justice a fait part de son intention de revoir les lois et les politiques de notre pays. Je peux vous dire d’expérience que les discussions à ce sujet doivent se tenir au sein du gouvernement du Canada, mais que cela doit se faire parallèlement à un mécanisme actif de dialogue ou de négociation avec les dirigeants autochtones.
Si j’en crois encore une fois mon expérience, je pense qu’il faudrait tout mettre en œuvre pour qu’un tel débat puisse bénéficier d’un apport politico-stratégique de premier plan.
J’aurais quelque chose à vous raconter — et c’est peut-être une primeur — concernant le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. J’ai travaillé aux conférences constitutionnelles de 1985 et 1987, et j’ai été déçu des résultats peu reluisants que nous avons obtenus. Dans toutes les fonctions que j’ai occupées par la suite, j’ai continué d'œuvrer en faveur de ce droit inhérent et à en inciter d’autres à le faire également. Il a toutefois fallu attendre la nomination de M. Clark à titre de ministre des Affaires constitutionnelles pour que les choses commencent à bouger. Dès le jour de son entrée en fonction, il m’a appelé pour me dire de faire mes valises.
Ce sont des souvenirs qui me touchent encore. Nous nous sommes rendus à Iqaluit, Yellowknife et Whitehorse, puis, plus au sud, à Edmonton et Calgary. Dans chacun de ces endroits, nous avons rencontré les aînés avant de parler à n’importe qui d’autre. À chaque occasion, les aînés ont dit au ministre que c’est le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale qui importait à leurs yeux.
Une ou deux semaines après notre retour, M. Clark est venu me voir pour me dire : « Scott, ce droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est important. Nous devons faire quelque chose. » Soudainement, une bonne partie, mais pas la totalité, des obstacles qui avaient entravé mes rapports avec le ministre de la Justice disparaissaient pour faire place à des efforts constructifs de réflexion en vue d’en arriver à une entente au sujet du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.
Je suis persuadé que des défis semblables se posent avec le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et certains autres de ces concepts. Je suis toutefois convaincu que nous parviendrons à une entente quelconque si nous considérons ces enjeux dans une perspective de collaboration stratégique, plutôt qu’en tenant compte uniquement des risques du point de vue juridique.
Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Serson. Je ne vous apprends certes rien, mais je peux vous assurer que le rêve d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale demeure tout à fait réalisable en application des articles 2 et 3 qui prévoient le droit à l’autodétermination. Ce rêve n’est donc pas près de s’évanouir, et je suis optimiste.
M. Serson : Nous y parviendrons.
Le sénateur Christmas : Nous y parviendrons. Vous avez tout à fait raison.
La présidente : Merci.
Nous n’avons plus de questions à poser à notre témoin. Nous terminons sur une bonne note : le rêve peut encore se matérialiser. Je suis persuadée que vous allez poursuivre vos efforts pour qu’il puisse se réaliser. Au nom de tous les sénateurs, je tiens à vous remercier, monsieur Serson, d’avoir accepté de comparaître à nouveau devant notre comité.
(La séance est levée.)