Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 30 - Témoignages du 5 décembre 2017
OTTAWA, le mardi 5 décembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 1, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, tansi et good morning.
Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, dans cette salle ou sur le Web.
J’aimerais dire, dans l’esprit de la réconciliation, que nous tenons cette réunion sur des terres ancestrales non cédées des peuples algonquins.
Je m’appelle Lillian Dyck, je suis une sénatrice de la Saskatchewan, et j’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité. J’invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant par le vice-président, qui est assis à ma droite.
Le sénateur Tannas : Bonjour. Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Doyle : Bonjour. Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, du Québec.
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.
La présidente : Merci, sénateurs et sénatrices.
Nous continuons aujourd’hui notre étude de ce que pourrait être la nouvelle relation du gouvernement du Canada avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous sommes très heureux et honorés d’accueillir des représentants de la Coalition de grands projets des Premières Nations, soit Sharleen Gale, présidente, Première Nation de Fort Nelson; Niilo Edwards, directeur exécutif; M. Willie Blackwater, administrateur, Conseil de bande Gitsegukla; Jackie Thomas, membre de la Première Nation Saik’uz; et Harold Calla, président exécutif du Conseil de gestion financière des Premières Nations.
Je vous remercie tous et toutes d’être ici ce matin. Je crois comprendre que vous avez des déclarations liminaires, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Nous entamons aujourd’hui la deuxième phase de notre étude, durant laquelle nous vous demanderons de réfléchir surtout de manière générale à ce que pourrait être la relation de nation à nation. Nous distribuons en ce moment une liste de questions générales aux membres du comité.
Veuillez commencer.
Sharleen Gale, présidente de la Première Nation de Fort Nelson, Coalition de grands projets des Premières Nations : Merci, madame la présidente. Bonjour, honorables sénateurs. J’ai le privilège de présider la Coalition de grands projets des Premières Nations.
Je tiens à souligner notre présence sur le territoire traditionnel des peuples algonquins.
Je suis accompagnée aujourd’hui de deux membres de la coalition, le chef Willie Blackwater, de la Première Nation Gitsegukla, qui est également un administrateur de la coalition, et la chef Jackie Thomas de la Première Nation Saik’uz. Je partagerai mon temps de parole avec le chef Blackwater et la chef Thomas, afin qu’ils puissent présenter notre travail du point de vue de leurs communautés.
Nous avons aussi avec nous le directeur exécutif de la coalition, Niilo Edwards. M. Edwards supervise le travail technique de la coalition et pourra vous donner des détails, si vous en voulez.
Vous voyez derrière nous les principaux membres de notre équipe technique. Ils sont membres de leurs Premières Nations respectives. Ils ont fait des études dans leurs diverses spécialités et sont essentiels au succès de la coalition.
Avant de commencer, je tiens à souligner l’appui que la coalition a reçu du Conseil de gestion financière des Premières Nations, qui guide et appuie notre travail pour en assurer le succès.
La coalition peut dispenser son appui à 37 Premières Nations de la Colombie-Britannique parce qu’elle œuvre conformément à la mission énoncée dans la Loi sur la gestion financière des Premières Nations.
En qualité de dirigeante d’une Première Nation, je tiens à remercier le Sénat et votre comité d’avoir apporté un soutien historique pour assurer l’adoption de ce projet de loi en 2005. Je peux vous assurer que la mission énoncée dans la Loi sur la gestion financière des Premières Nations permet vraiment de changer les choses dans les collectivités qui se prévalent de ces services.
L’existence de la coalition en est un exemple. Les efforts déployés par la coalition pour le développement des capacités contribuent à doter les Premières Nations des connaissances et des outils nécessaires pour prendre des décisions éclairées en matière de gestion des richesses se trouvant sur leurs territoires traditionnels.
Du point de vue des politiques générales, ce travail représente une action pilotée par les Premières Nations pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en ce qui concerne la réalisation de grands projets de développement. L’article 4 de la déclaration est lié au droit à l’autodétermination et aux moyens par lesquels nous finançons nos activités autonomes. Or, nous ne pouvons avoir l’autodétermination sans les moyens nécessaires pour financer notre gouvernement ainsi que les services et programmes destinés à nos membres, et bâtir les économies locales requises pour combler nos énormes déficits infrastructurels. Nous devons donc engager un sérieux débat sur l’accès au capital et l’octroi de garanties de prêts gouvernementales aux Premières Nations, pour leur permettre de participer à de grands projets.
Ma communauté sait que les transferts d’AINC ne lui permettront jamais, à eux seuls, de combler son retard socioéconomique et ses déficits d’infrastructures. Nos communautés savent que leurs moteurs économiques viendront de l’exploitation à leur avantage des richesses qui se trouvent sur leurs territoires. L’article 29 de la déclaration, qui est directement lié au développement économique nécessaire à l’autodétermination, expose en détail le droit et le devoir des peuples autochtones d’assurer la conservation et la protection de l’environnement.
Ces deux articles sont reliés. On ne peut avoir une économie robuste si l’on ne protège pas l’environnement. Il faut donc modifier les lois environnementales du Canada pour intégrer les Premières Nations dans le processus de décision.
La coalition s’emploie à donner aux Premières Nations les outils nécessaires pour prendre leurs propres décisions au sujet des projets d’exploitation des ressources de leurs territoires, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il faut que l’importance de ce travail soit reconnue ici même à Ottawa, et que des politiques innovatrices soient élaborées en incluant les peuples autochtones.
Nous estimons que la ministre Wilson-Raybould, dans ses récentes déclarations publiques, a bien fait la promotion de l’innovation au niveau politique, de diverses manières. Cela comprend les 10 principes établis par son gouvernement au sujet de la relation du Canada avec les peuples autochtones, ainsi que son travail antérieur, à titre de chef régionale pour la Colombie-Britannique, ici même au Sénat, pour faire avancer des initiatives comme le projet de loi S-212, qui transcendent la Loi sur les Indiens. Ce projet de loi avait été déposé à plusieurs reprises devant le Sénat par l’ex-sénateur Gerry St. Germain, qui continue aujourd’hui, à 80 ans, à aider bénévolement la coalition dans son travail.
Pour conclure, je tiens à mentionner les ressources que le Canada a fournies à la coalition dans le cadre de l’Initiative des partenariats stratégiques, ainsi que le soutien que nous avons reçu de la ministre Bennett, de la ministre Philpott et du ministre Carr.
Il faut que le Canada continue d'investir dans des initiatives de développement des capacités pilotées par les Premières Nations, comme c’est le cas de notre coalition, afin d’arriver à une étape où la prise de décision partagée pourra se faire d’une manière vraiment respectueuse des principes du consentement préalable libre et éclairé. C’est précisément ce qui fonde tout le travail de la coalition.
Merci. J’aimerais laisser la parole au chef Blackwater.
Willie Blackwater, administrateur, conseil de bande Gitsegukla, Coalition de grands projets des Premières Nations : Amahilu. Merci et bonjour, honorables sénateurs. Je suis le chef Willie Blackwater de la Première Nation Gitsegukla. Je suis le chef élu de la bande, mais je porte aussi le nom héréditaire de Sim’ogit Djiiwuus. Je suis membre du Clan du Loup de la maison Tsa Bux au sein de la nation Gitxsan. J’ai le privilège de servir comme administrateur de la Coalition de grands projets des Premières Nations. Je continuerai sur le même sujet que la conseillère Gale.
Grâce au travail de la coalition, nos collectivités acquièrent les connaissances nécessaires pour avoir accès au capital requis pour réaliser de grands projets et atteindre l’autosuffisance et l’autodétermination. Nous discutons des meilleures pratiques pour partager les bénéfices, gérer les richesses et développer les compétences financières.
Nous élaborons peu à peu une approche commune de la gouvernance environnementale et mettons au point un ensemble de mesures et de normes que les Premières Nations pourront utiliser pour évaluer les retombées des projets et concevoir des mesures d’atténuation reflétant leurs intérêts et leurs valeurs.
En plus de mettre en œuvre la déclaration de l’ONU, nous faisons avancer le principe de la réconciliation, dont je parlerai un peu plus dans un instant.
Ma communauté de Gitsegukla a fait l’objet d’un certain nombre d’interventions au cours des dernières décennies. J’ai été élu chef pour la première fois en 2015. Depuis lors, mon conseil et moi avons décidé de travailler ensemble pour redresser notre situation financière, dans l’intérêt de notre communauté. Nous avons fait cela en acceptant de considérer notre tiers administrateur et AINC comme des partenaires et non comme des adversaires.
C’est à ce moment que Gitsegukla s’est jointe à la Coalition de grands projets des Premières Nations, et c’est par le biais de ma participation à la coalition que j’ai rencontré Harold Calla et le Conseil de gestion financière.
Le Conseil de gestion financière est devenu un partenaire du succès de Gitsegukla, aux côtés d’AINC et de notre tiers administrateur. Gitsegukla a su utiliser les outils supplémentaires mis à disposition par la Loi sur la gestion financière des Premières Nations pour ne plus avoir besoin du tiers administrateur, et nous faisons tout maintenant pour en être libérés définitivement, notamment en élaborant notre propre loi d’administration financière.
Il n’y aura de vraie réconciliation que lorsque des partenariats auront été forgés avec nos Premières Nations afin d’améliorer notre situation économique et financière.
À mon avis, le travail de la Coalition de grands projets des Premières Nations est un exemple de partenariat pouvant être établi avec le Canada pour faire avancer la réconciliation, pour nous permettre d’acquérir les capacités nécessaires au développement de nos économies. Je parle d’expérience et avec une certaine autorité en matière de réconciliation, car je suis le plaignant qui a déposé la plainte Blackwater devant les tribunaux au nom de ceux qui, comme moi, ont souffert des atrocités des pensionnats indiens, se sont battus contre le gouvernement et ont obtenu gain de cause.
Aujourd’hui, nos anciens adversaires peuvent devenir nos partenaires. Honorables sénateurs, voilà la vraie définition de la réconciliation.
Je vous remercie de votre attention et je cède maintenant la parole à la chef Thomas qui aura le dernier mot.
Jackie Thomas, membre, Première Nation Saik’uz , Coalition de grands projets des Premières Nations : Merci, chef Blackwater.
Merci, honorables sénateurs, de m’avoir invitée à témoigner.
[Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.]
Je suis la chef Jackie Thomas de la Première Nation Saik’us. Notre territoire se trouve à l’ouest de Prince George, en Colombie-Britannique.
La conseillère Gale et le chef Blackwater ont déjà expliqué comment l’action pilotée par la coalition et les Premières Nations permet de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et comment ce travail fait avancer l’éthique de la réconciliation.
Je vais surtout parler des aspects pratiques de ce travail, du point de vue de la dirigeante d’une communauté qui reçoit le soutien de la coalition pour faire une étude de faisabilité du grand projet de lâcher l’eau du barrage Kenney.
La Première Nation Saik’uz, avec trois de ses voisines qui sont touchées par le projet, Stellat’en, Nadleh Whut’en et Cheslatta Carrier, a écrit au conseil d’administration de la coalition pour solliciter les outils et le soutien nécessaires pour étudier la faisabilité du projet.
Nous sommes les premières à mettre à l’épreuve le processus établi par la coalition pour le soutien des capacités et l’identification d’un grand projet. Ce processus, élaboré et adopté par les membres de la coalition, applique les critères nécessaires pour évaluer un grand projet en fonction de facteurs sociaux et économiques déterminés et conçus par des Premières Nations. Dans le cadre de ce processus, nos communautés et la coalition ont signé un énoncé de modalités définissant notre relation pour cette étude de faisabilité.
En tant que représentants des communautés, nous défendons nos intérêts à l’égard de ce projet d’un point de vue à la fois politique et économique. La coalition nous donne le soutien nécessaire pour prendre des décisions éclairées sur les retombées économiques et environnementales de ce projet.
Nous avons accès gratuitement aux services de la coalition grâce aux ressources fournies par le gouvernement. Si nous devions financer nous-mêmes ce niveau de services, nous n’en aurions probablement pas les moyens.
Le projet aura de nombreuses retombées positives pour nos communautés, bien au-delà des aspects économiques. Le système de lâcher d’eau qui est proposé permettra de réparer d’importants dégâts environnementaux causés à un tronçon de la rivière Nechako qui avait été asséchée par l’impact d’activités industrielles entreprises dans les années 1950, sans consultations ni mesures d’atténuation.
Du fait de la construction du barrage Kenney, il arrive encore aujourd’hui que des sépultures de la nation Cheslatta Carrier soient inondées lorsque le niveau de l’eau est élevé, ce qui ne cesse de causer des problèmes sociaux dans la communauté. En ce qui concerne les Premières Nations Saik’uz, Stellat’en et Nadleh Whut’en, la construction du barrage a décimé leurs stocks de saumon et a transformé leurs modes de vie.
Nous voulons avoir la possibilité de renforcer nos économies locales afin que nos membres puissent se payer un logement et que nous puissions améliorer nos infrastructures et répondre aux autres besoins de nos membres. Ce projet fait l’objet de nombreux débats dans nos communautés depuis des années.
En conclusion, je dois vous dire qu’il n’est pas fréquent que plusieurs Premières Nations parviennent à surmonter leurs différences pour travailler ensemble afin d’atteindre des objectifs économiques. Il faut surtout en donner le crédit aux ressources commerciales et non politiques que la coalition a mises à la disposition de ces Premières Nations pour leur permettre de collaborer. Mon rôle au sein de la coalition a été significatif et nous a permis d’atteindre rapidement nos objectifs.
En tant que Premières Nations, nous avons besoin des mêmes capacités que celles qu’utilisent quotidiennement les autres ordres de gouvernement. La Coalition de grands projets des Premières Nations représente un vecteur de capacités dont nous avons besoin si nous voulons instaurer une nouvelle façon de stimuler le développement de nos communautés, fondée sur la collaboration et l’inclusion. Nous partageons tous la même responsabilité à l’égard du monde de demain et nous sommes tous dans le même bateau.
Je vous remercie de m’avoir écoutée et de m’avoir permis de m’exprimer devant le comité.
Harold Calla, président exécutif, Conseil de gestion financière des Premières Nations : Honorables sénateurs, c’est un plaisir pour moi de m’adresser une nouvelle fois à votre comité. Je suis très heureux de constater la présence du sénateur Watt. Je me suis rappelé en venant ici qu’il y a 20 ans que je suis venu pour la première fois à Ottawa, à l’invitation du sénateur Watt, pour comparaître devant le comité sénatorial au sujet de la Commission royale sur les peuples autochtones. J’étais loin de m’imaginer alors tout ce qui allait découler de cette invitation.
On entend souvent dire que le gouvernement veut rétablir avec les peuples autochtones une relation de nation à nation. Qu’est-ce que cela veut dire? Par quoi commence-t-on? À mon avis, une relation de nation à nation doit commencer par la reconnaissance, et ce n’est qu’après qu’on pourra penser à la réconciliation. Il faut d’abord reconnaître les arrêts pertinents de la Cour suprême du Canada. Il faut également, ce qui est tout aussi important, reconnaître que les Premières Nations doivent avoir accès à des capacités administratives et à des structures idoines pour pouvoir transiger avec le Canada sur un pied d’égalité. On progressera vers la réconciliation quand on commencera à développer les capacités de gouvernance des Premières Nations et à faire les investissements nécessaires pour cela.
Il est dans l’intérêt des Canadiens que les Premières Nations aient les connaissances voulues pour tirer parti des occasions d’affaires présentées par le gouvernement et qu’elles aient assez confiance en elles-mêmes pour le faire. Combler les déficits socioéconomiques, accroître l’autosuffisance, assurer l’accès au capital et créer les institutions autochtones dont les communautés ont besoin, au moment où le ministère des Services aux Autochtones commence à se retirer de certains programmes, sont les raisons pour lesquelles il importe d’étoffer les capacités administratives des Premières Nations et de les doter des structures nécessaires pour répondre aux recommandations de la CVR et aux principes de la DNUDPA récemment énoncés par le gouvernement du Canada.
La Coalition de grands projets des Premières Nations est un exemple parfait du type de soutien dans lequel le Canada doit investir pour mettre en application la Déclaration de l’ONU, établir une nouvelle relation financière et instaurer une vraie relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance des droits autochtones et issus des traités. Un engagement ferme du gouvernement de reconnaître et de ne pas éteindre les droits autochtones et issus des traités contribuera à la réconciliation et à l’expansion de l’économie canadienne d’une manière qui permettra un juste partage des fruits de la croissance économique.
J’aimerais parler maintenant des relations financières, parce que les efforts déployés par le gouvernement pour établir une nouvelle relation de nation à nation reposent sur la reconnaissance qu’une nouvelle relation financière est nécessaire. Je crois pouvoir dire que les mécanismes de financement, bien qu’ils constituent un aspect important de la mise en œuvre de nouvelles relations financières, ne sauraient être en soi le fondement d’une nouvelle relation financière de nation à nation. Laisser les Premières Nations exercer leurs pouvoirs légitimes sur le plan financier est conforme aux principes guidant la nouvelle relation financière entre le Canada et les provinces et favorisera la réconciliation.
Le gouvernement a entamé une série de discussions avec l’APN sur une nouvelle relation financière. On a dit qu’il s’agissait de rencontres exploratoires, et je me suis laissé dire qu’un rapport préliminaire sera présenté aux chefs dans quelques jours à l’occasion des prochaines réunions de l’APN.
Les dirigeants autochtones de Colombie-Britannique ont invité les institutions financières, c’est-à-dire le Conseil de gestion financière des Premières Nations, la commission fiscale et l’administration financière, à appuyer un processus régional pour discuter des relations financières. Ces discussions ont débouché sur une résolution énonçant, pour la Colombie-Britannique, les principes d’une nouvelle relation financière basée sur la reconnaissance des pouvoirs de gouvernance des Premières Nations. Parmi ces principes figurait la nécessité de partager l’espace fiscal et de reconnaître la compétence des Premières Nations pour ce qui est de la teneur et des critères d’admissibilité des programmes et services, ainsi que la nécessité d’inclure les provinces dans la prise des décisions financières.
Il y a eu des conversations entre le ministère et les institutions financières créées en vertu de la Loi sur la gestion financière, au sujet de la façon de tirer parti du système de transfert existant et d’utiliser les outils de la Loi sur la gestion financière pour envisager de nouveaux accords de financement qui pourraient déboucher sur des résultats plus conséquents.
Les dirigeants des Premières Nations de Colombie-Britannique appuient un processus régional et l’établissement d’une table nationale, mais il faut aussi reconnaître que la politique traditionnelle selon laquelle les Indiens sont un programme fédéral doit changer. Si nous sommes des gouvernements, alors nous devons posséder les mêmes pouvoirs que les autres ordres de gouvernement. Ce que nous devons bâtir pour réussir, ce sont des institutions autochtones assurant un soutien équivalent à celui que le gouvernement du Canada et vous obtenez dans ce ministère.
La seule chose dont nous soyons sûrs à l’heure actuelle, c’est que le montant des ressources qui seront nécessaires pour combler les écarts socioéconomiques sera élevé, et que nous aurons besoin de multiples sources de revenus pour atteindre ce but.
Je vais maintenant vous parler des infrastructures.
Le Sénat a étudié le retard auquel les Premières Nations sont confrontées dans ce domaine, et il y avait dans votre rapport certaines observations sur ce qui permettrait de corriger cette situation. Les institutions relevant de la Loi sur la gestion financière des Premières Nations ont proposé la création d’un institut des Premières Nations qui assumerait la responsabilité de tout ce qui a trait à la construction, à l’exploitation et à la maintenance des infrastructures. Cela permettrait de monétiser les ressources existantes, notamment les sources de revenus de chaque communauté, et d’examiner de nouvelles méthodes d’approvisionnement, comme le regroupement des projets et l’établissement de partenariats public-privé.
Cette initiative tirerait parti des démarches régionales qui se sont développées ces dernières années. Le système de prestation régionale des services pourrait être en mesure de fournir les capacités administratives qui manquent actuellement et garantir une meilleure gestion des coûts et du risque. Un institut des Premières Nations pourrait établir des normes nationales et appuyer les structures locales nécessaires pour les mettre en œuvre.
Si l’on veut assurer le succès de la transition vers une nouvelle relation de nation à nation, basée sur une nouvelle relation financière, on ne peut pas faire fi des nombreuses difficultés auxquelles font face de nombreuses communautés qui sont quasiment au bord de la faillite.
Peu après l’élection du gouvernement, la ministre Bennett s’est adressée au Conseil de gestion financière des Premières Nations et nous a demandé de chercher des solutions pour améliorer le programme de gestion des manquements qu’utilise son ministère. En vertu de ce programme, de nombreuses communautés restent très longtemps en situation de gestion des manquements, parfois pendant des décennies, sans qu’on leur offre la possibilité de corriger leurs problèmes ou qu’on les encourage à le faire, afin de sortir de ce programme.
De l’avis du Conseil de gestion financière, il faudrait investir dans ces communautés pour les doter des capacités nécessaires au développement d’une bonne gouvernance, à l’élaboration de bonnes politiques de gestion de leurs finances et de leurs ressources humaines, et à l’établissement des procédures qui leur permettront de dresser des plans communautaires axés sur les besoins de leurs membres, pour leur redonner espoir. Permettez-moi de dire quelques mots au sujet de cet espoir. Nous devons fournir aux communautés les outils, les opportunités et le soutien qui leur permettront d’espérer un avenir différent. Je pense que la vieille méthode pénalisait les communautés, en les privant de leur financement discrétionnaire et en n’investissant pas dans le développement de leurs capacités.
Un projet pilote a été mis sur pied en coopération avec le ministère et la ministre, réunissant une communauté de Colombie-Britannique, la communauté de Willy, et quatre communautés du Manitoba. Le but était d’utiliser les processus de certification du Conseil de gestion financière pour essayer d’aller au-delà du statu quo.
Nous sommes en train de mettre en place les outils et les capacités qui permettront de gérer les affaires de la communauté et de travailler avec elle, sur le terrain. C’est piloté par le chef et le conseil et c’est facultatif. Quand nous jugerons que ces communautés auront les capacités voulues, elles seront en mesure de tirer parti des nombreuses opportunités qui s’offriront à elles.
Ce projet marche bien. J’ai reçu un appel du chef d’une communauté du Manitoba, qui était très ému. C’était apparemment la première fois depuis deux décennies que sa communauté n’avait plus besoin d’être gérée par un tiers administrateur, parce qu’elle avait pris l’engagement de suivre le processus et qu’elle s’y tenait.
Il y a quand même des problèmes qui se posent, comme toujours. Je ne dis pas cela pour critiquer le ministère ou qui que ce soit. C’est simplement parce que, dès qu’on se met à creuser, on trouve quelque chose. Il faut revoir le rôle des bureaux régionaux d’AINC et leurs relations avec l’administration centrale. On est sur le point de dépasser l’étape du projet pilote. Il devient évident que des soutiens autochtones et une entité autochtone de services de soutien permettront de réaliser des économies d’échelle et de fournir des services auxquels toutes les communautés pourront avoir accès, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Ce que nous avons appris ces dernières années avec la Coalition de grands projets, c’est qu’il y a un avantage à offrir à de multiples Premières Nations la possibilité d’avoir accès à des capacités dont elles ne pourraient pas bénéficier autrement. Je pense qu’il faut maintenant étendre ce concept afin de fournir les services aux communautés. Évidemment, certaines d’entre elles n’auront pas besoin de ce genre de services, mais il y a beaucoup de petites communautés au Canada qui pourraient absolument bénéficier des capacités et de l’expertise disponibles, tout comme celles qui ont bénéficié des retombées des grands projets.
Je pense que le regroupement des services aux Autochtones dans un seul ministère était une bonne décision, mais il faudra que la transition se fasse rapidement afin d’harmoniser la mise en œuvre et les politiques entre les différents ministères. Cela est devenu évident lorsqu’on a constaté les difficultés auxquelles ont fait face les communautés participant au projet pilote, car elles devaient transiger avec plusieurs ministères différents, comme Santé et Affaires indiennes. Tous ces problèmes ont été bien identifiés, et nous commençons à chercher des solutions.
Je crois que cela touche tout le monde, que tous les Canadiens sont touchés par le dossier autochtone, et qu’il faut admettre que le statu quo n’est plus acceptable et qu’il est temps que les choses changent. Mais le changement doit commencer par la reconnaissance et doit être fondé sur les principes de la DNUDPA et les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation. Il faut accepter le fait que des investissements devront être consentis pour la gouvernance et pour le développement économique. Il faut reconnaître les pouvoirs légitimes des Premières Nations et leur droit de participer à la prise des décisions concernant les grands projets proposés dans notre pays.
Il faut également que nous nous retrouvions dans une situation où nous disposons de sources de revenu fiables et permanentes pour que nos collectivités puissent planifier leurs investissements, comme le font les autres ordres de gouvernement, et pour qu’elles ne dépendent d’un financement de trésorerie annuel, comme c’est le cas avec les ententes de contribution actuelles. Une nouvelle relation financière exige de nouvelles ententes en matière de transfert, j’en conviens, mais il faut que ces ententes de transfert prévoient une source différente et non pas seulement des crédits parlementaires accordés au ministère des Affaires autochtones. Nous devons élargir nos pouvoirs pour être en mesure de percevoir des recettes à la source sur nos territoires traditionnels. Si nous réussissons à faire tout cela, nous pourrons alors réussir.
Il y a quelque chose que je vous demande instamment d’examiner, à savoir que tout cela est urgent. Ce ne sont pas des questions simples et il serait tentant de les étudier indéfiniment. Il faut agir. Il est urgent pour nos collectivités que nous agissions. Nous devons accepter que la mise en œuvre de cette nouvelle stratégie posera un certain nombre de défis. Il ne faut pas exiger davantage de cette initiative qu’on en exige habituellement des autres initiatives du gouvernement. J’essaie de dire poliment qu’il se commettra peut-être quelques erreurs. Il y aura peut-être certaines choses à modifier. Mais à la moindre alerte de ce genre, il ne faudrait pas renoncer à tout cela et dire : « Regardez, je vous l’avais dit, ils ne sont pas capables de gérer ces aspects .»
Les Premières Nations doivent pouvoir prendre en main leur propre destinée au moyen d’institutions et c’est l’approche qu’il faut adopter pour la mise en œuvre de la nouvelle relation de nation à nation visant à concrétiser la DDPA ainsi que les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Je remercie les témoins. Nous allons maintenant commencer notre première série de questions, en donnant la parole à notre vice-président, le sénateur Tannas.
Le sénateur Tannas : Je me souviens du moment où j’ai appris l’existence de la Coalition de grands projets. Cela remonte à peu près à deux ans. Si je me souviens bien, il y avait deux choses qui ressortaient très vivement de l’exposé à ce moment. La première était le fait qu’une Première Nation avait manqué l’occasion de participer à un grand projet d’oléoduc, parce qu’il n’existait pas de programme permettant de financer sa participation et qu’elle a donc ainsi perdu cette possibilité. À mon avis, cette leçon a été particulièrement évidente et éclairante.
La deuxième est l’idée que les collectivités sont déjà capables d’avoir accès, de façon indépendante sans avoir besoin de l’aide du promoteur, au projet pour préparer les discussions et les négociations, et le reste, et de décider si le projet est avantageux pour la communauté et de quelle façon, ou de préciser les questions que le projet soulève. Si je me souviens bien de cette époque, lorsque j’ai lu les documents d’information concernant la déclaration de l’ONU, en particulier l’article relatif au consentement, on disait que c’était un aspect essentiel de cette déclaration, à savoir l’idée qu’il faut d’abord renforcer les capacités des collectivités pour qu’elles puissent fournir un consentement éclairé.
Nous nous retrouvons deux ans plus tard. Vous nous avez fourni quelques exemples de ce qu’a fait la coalition et de l’aide qu’elle a apportée aux collectivités du côté du renforcement des capacités. Il me semble que tout cela va dans le bon sens et que l’on consacre des efforts et des ressources dans ce domaine. Que se passe-t-il de l’autre côté, du côté des partenariats, du développement économique qui pourrait faciliter la conclusion de partenariats avec les collectivités? Comment cela s’est-il développé ces dernières années?
M. Calla : Si je puis commencer, j’ai travaillé avec ce groupe pendant tout ce temps; je crois que le Canada s’est retrouvé dans une situation très difficile il y a deux ans parce que le prix des matières premières a lourdement chuté. Je dirais que nous avons manqué une possibilité parce que nous n’avons pas réussi à nous organiser suffisamment rapidement. Pour ce qui est des grandes initiatives qu’on envisageait de lancer à cette époque, les promoteurs ne les ont pas complètement abandonnées, mais ils ont fait une pause pour attendre que la situation des gouvernements provinciaux et celle du gouvernement fédéral se stabilisent et qu’il existe des indicateurs économiques clairs démontrant que ces projets seraient rentables.
Nous sommes en train de rétablir la situation à l’heure actuelle et il semble exister de l’intérêt pour la reprise de ces initiatives. Nous sommes maintenant dans une situation où les gens connaissent l’existence de la Coalition de grands projets, où cet organisme fonctionne bien et où ils peuvent s’adresser à lui pour mieux savoir quelles sont les possibilités qui s’offrent à ce moment.
On a lancé une initiative qui concerne une installation de déversement d’eau pour le barrage Kenney, un projet de 350 millions de dollars, qui va constituer un test pour tous ces aspects : comment la financer, comment aborder les évaluations environnementales, et tout le reste.
Le fait que les Premières Nations n’aient pas un bilan très solide, comme je le dis, parce qu’elles ne sont pas en mesure d’obtenir des revenus à partir de leurs territoires traditionnels est une réalité qui ne changera que lorsque nous aurons accès aux ressources qui se trouvent sur nos territoires traditionnels et que nous pourrons finalement consolider notre bilan. Il va donc falloir continuer à appuyer les Premières Nations pour qu’elles soient en mesure de participer sur le plan économique à la plupart de ces initiatives. Nous ne connaissons toujours pas la place qu’occupera le Canada dans la nouvelle relation de nation à nation établie avec les Premières Nations.
Il existe de nombreux exemples au Canada, et j’en ai déjà parlé, avec la SCHL, et d’autres projets, qui pour certains ont donné de bons résultats et pour d’autres non, dans lesquels le Canada a reconnu qu’il était important qu’il intervienne en tant que gouvernement pour fournir un soutien financier et mettre sur pied un programme économique et l’appuyer. C’est peut-être ce qui se passera ici, puisque les Premières Nations sont à la recherche de possibilités de participation avec des capitaux propres dans les Premières Nations.
Je crois que le monde des affaires est intéressé à inclure les Premières Nations dans ses projets, mais ces dernières doivent avoir les moyens d’apporter des capitaux propres pour être en mesure de négocier ces relations, et la situation n’a pas encore changé, sénateur.
Mme Gale : Sénateur, j’aimerais vous répondre en vous expliquant le travail qu’effectue la Coalition et en vous disant comment elle a regroupé les collectivités des Premières Nations dans des partenariats, pour ensuite examiner l’ensemble de la situation et la réalité à laquelle font face nos nations sur une base quotidienne.
Nous avons beaucoup de chance de vivre sur nos terres et d’avoir des aînés pour nous guider, mais au cours des années, il s’est livré de nombreuses luttes sur les territoires traditionnels et ce genre de choses. Grâce à ce regroupement, il a été très satisfaisant de voir des collectivités se regrouper avec leurs nations pour trouver un projet, pour y travailler et pour apporter la prospérité à leurs collectivités au-delà de la simple création de quelques emplois.
Cet espoir est toujours très vivant. Je suis convaincue de l’utilité du travail qu’effectuent la coalition et son conseil d’administration. J’ai beaucoup d’espoir pour l’avenir. Cette coalition regroupe des membres très divers qui viennent de toute la province, et elle nous a permis de partager nos expériences et des cas concrets et d’en tirer des leçons. Elle nous a également ouvert les yeux sur le fait qu’il est positif de travailler avec les autres, en particulier lorsqu’il s’agit de votre collectivité locale. La collaboration peut avoir des effets positifs très nombreux pour les collectivités. Il est important de ne pas oublier que, quelle que soit notre région d’origine, nous devons tous travailler ensemble. Le rêve est toujours vivant et nous sommes très optimistes. Je pense qu’il y a un avenir pour les générations futures grâce au travail qu’effectue la coalition.
Le sénateur Patterson : Je suis très heureux que vous comparaissiez devant le comité. Il est temps, à mon avis, que le Canada parle de la nouvelle relation de nation à nation et comme vous le savez, notre comité est en train d’étudier cette question. Les relations financières sont un élément essentiel de la discussion, cela est évident.
Nous devons remettre un rapport dans environ un an et je pense à la durée de ce gouvernement. Nous devons présenter des recommandations concrètes qui vont renforcer le processus très stimulant dont vous parlez. Je pense que nous sommes en mesure d’exercer quelque influence. J’espère que nous réussirons à influencer les choses.
Vous avez parlé d’idées très intéressantes. Il s’agit pour l’essentiel de renforcer les capacités à mesure qu’AANC disparaît, c’est, je crois, ce que vous avez dit. C’est la façon de nous débarrasser de la Loi sur les Indiens.
Vous avez parlé d’une institution axée sur les infrastructures qui serait mieux en mesure de gérer les projets d’immobilisation. Nous nous sommes rendus sur place. Nous avons constaté directement que des projets d’immobilisation avaient été bâclés à cause de retards et faute d’une bonne communication avec les bureaux régionaux.
Vous avez parlé d’ententes financières à long terme pour vous procurer des fonds qui seront attribués, nous le savons, sur une base autre qu’annuelle, et pour ensuite vous en servir pour vous permettre d’obtenir vos propres recettes.
Vous avez dit que l’APN avait élaboré les grandes lignes de la nouvelle relation financière. Je crois que nous devrions rapidement laisser de côté les généralités. Comme vous le dites, il ne faut pas étudier ces aspects indéfiniment.
Je vais vous poser une question difficile : quelle recommandation concrète pouvons-nous présenter, et dans quel domaine, pour faire avancer tout ceci? Je sais que vous avez des rapports très étroits avec le gouvernement et j’apprécie énormément ce que vous faites. Quels sont les domaines sur lesquels nous devrions concentrer notre action? Que devrions-nous recommander dans notre rapport pour faire avancer cette relation et faciliter la concrétisation de votre programme? Quels sont les secteurs clés où l’on peut faire quelque chose?
M. Calla : J’ai l’impression d’être en train d’écrire ma lettre au père Noël. C’est une excellente question, sénateur.
J’estime que le travail qu’effectue l’APN en vue de créer un financement stable et prévisible débouchera sur un progrès immédiat à court terme; il convient donc de l’encourager. À l’heure actuelle, il est important de mettre sur pied des ententes de financement à long terme et de monétiser ces ententes de financement à certaines conditions constitue une étape importante pour l’avenir de cette opération. Ces mesures pourraient avoir un effet immédiat sur les Premières Nations si elles étaient prises au cours du prochain ou des deux prochains exercices financiers.
Il est important de commencer à planifier les choses et de continuer à offrir un soutien, comme celui que nous obtenons du gouvernement depuis 2007 avec les institutions créées par la Loi sur la gestion financière, dans le but de renforcer les capacités. Je pense que nous avons démontré — avec les quelque 220 Premières Nations qui figurent dans l’annexe à la Loi, avec la centaine que nous avons certifiées et l’autre centaine avec lesquelles nous travaillons ainsi qu’avec la possibilité de lancer un emprunt de plus de 400 millions de dollars en mettant en vente des obligations à New York en vue d’appuyer les demandes de prêt des Premières Nations — qu’une approche élaborée par les Premières Nations et dirigée par elles est la clé de la réussite dans ce domaine. Je pense que c’est là l’aspect essentiel des approches qui sont mises en œuvre. Je vous invite très respectueusement à faire en sorte que vos recommandations reflètent cet aspect. Il sera absolument essentiel de renforcer les institutions des Premières Nations, de les autoriser à gérer les possibilités qui s’offrent à elles et d’avoir des institutions dirigées par les Premières Nations.
Ce rapport vous offre également la possibilité de parler de la nécessité de reconnaître les droits ancestraux et issus de traités. Je crois qu’il arrive parfois que la question de la portée de ces droits est tellement vaste qu’elle va même jusqu’à empêcher les gens d’aborder la question, mais nous devons dépasser ce blocage. Les Premières Nations n’auront pas le pouvoir de déposer un projet de loi et de vous en faire assumer les coûts de mise en œuvre. Il ne s’agit pas d’argent. Il est impossible d’obtenir avec de l’argent ce que nous devons obtenir sur le plan de la reconnaissance des droits et des titres ancestraux et de notre capacité à obtenir ces pouvoirs.
Cela veut dire que tous les ministères fédéraux — depuis RNCan jusqu’à Environnement, jusqu’aux Finances, au Conseil du Trésor, aux Affaires autochtones et au procureur général — il faut que tous ces ministères interviennent. Il faut introduire entre ces ministères une harmonie qui ne semble pas exister à l’heure actuelle.
Si vous aviez pu écouter les commentaires du vérificateur général présentés à la réunion qu’a tenue l’Institut sur la gouvernance la semaine dernière en ville, vous sauriez qu’il disait ceci : politiquement, les gouvernements sont capables d’élaborer des politiques et ils peuvent intervenir beaucoup plus rapidement que la bureaucratie l’a montré. Notre plus gros défi sera exactement celui-ci, d’après moi : comment faire évoluer une structure qui existe depuis la Confédération et qui a entretenu une relation paternaliste avec les Indiens du Canada? Comment cet organisme va-t-il adopter la notion d’autonomie gouvernementale et accepter le transfert, non seulement, de pouvoirs, mais d’activités à des institutions dirigées par les Premières Nations? S’il y a une chose à laquelle vous allez devoir être particulièrement sensibles, c’est la nécessité de faire respecter et surveiller cette transition.
M. Blackwater : Pour répondre à votre question, je dirais qu’un des aspects essentiels est que, du point de vue des Gitsegukla, les initiatives comme les Grands Projets nous donnent de l’espoir. Nous pensions, et nos dirigeants antérieurs l’ont toujours pensé, que nous serions bloqués dans la pauvreté, sans ressources, et que nous serions à jamais des otages dans un environnement étranger. Mais la possibilité d’avoir accès gratuitement à des ressources fera progresser notre peuple.
Je vis dans ma propre collectivité. Vivre dans une collectivité où il y a deux ou trois familles dans chaque maison, parce qu’il n’y a pas d’argent pour construire des maisons et ce genre de choses est une chose terrible — même pire que les pensionnats. J’ai survécu aux pensionnats.
Lorsque nous regardons les Grands Projets, nous constatons qu’il ne s’agit pas simplement de financer un projet; il s’agit d’accès gratuit à des ressources, et de libre partage de ces ressources. Voilà les choses qui nous sont utiles.
Dans notre collectivité, plus de 85 p. 100 de la population dépend de l’aide sociale.
Nous avons un permis pour le chanvre, je crois que c’est l’un des rares qui a été attribué en Colombie-Britannique. Lorsque nous examinons la situation et essayons de planifier l’avenir, nous constatons que nous serons autonomes avec ce permis de chanvre; nous avons également une carrière et d’autres projets de développement économique qui peuvent être réalisés.
Lorsque vous parlez de la suppression de la Loi sur les Indiens, nous devons nous y préparer. Nous devons atteindre l’autonomie. Je sais que les brèves années pendant lesquelles j’ai été chef m’ont permis de constater que nous étions capables de le faire, parce que nous avons oublié nos différences et que nous avons travaillé ensemble comme partenaires.
Je vous remercie donc d’avoir posé cette question. J’y pensais depuis longtemps. C’est la passion qui m’anime comme chef, comme dirigeant des Gitsegukla. Je veux les aider à construire des choses et à se développer. Pour le faire, nous devons avoir accès à notre propre source de revenus, ce qui améliorera grandement la vie dans notre collectivité et celle de nos enfants. Merci.
Mme Gale : Pour la plupart d’entre nous et pour les aînés qui nous ont précédés, ainsi que pour les chefs de ma collectivité, nous constatons qu’il y a eu beaucoup de possibilités, mais faute d’accès à des capitaux ou à des garanties de prêt fédérales, ces possibilités ne se sont jamais concrétisées. C’est là que se trouve, je crois, le plus gros avantage de cette situation. Si les Premières Nations pouvaient être propriétaires d’infrastructures, d’infrastructures importantes, cela aurait une influence considérable pour le Canada et pour notre économie. C’est ce qui pourrait nous arriver de mieux.
J’ai parlé du fait qu’il ne suffisait pas de donner des emplois. La Première Nation de Fort Nelson est un des principaux employeurs de notre collectivité et nous en sommes très fiers, parce que nous faisons travailler de nombreuses personnes et de nombreuses familles, pas simplement nos propres membres. Il y a beaucoup de gens qui ont traversé le Canada pour venir travailler pour nous.
Nous encourageons fortement nos membres à être autonomes, fiers, en bonne santé et forts et nous voulons qu’ils soient capables de prendre soin d’eux et de leurs familles ainsi que des générations futures. C’est une belle chose que de voir une jeune famille obtenir une hypothèque pour sa propre maison sur la réserve. C’est une chose réconfortante de pouvoir se promener en voiture dans une collectivité sur des chemins pavés et passer devant un beau centre de soins de santé où l’on peut tenir des réunions.
C’est le genre de choses que j’aimerais retrouver dans toutes les collectivités des Premières Nations, d’un bout à l’autre du pays. Je ne peux qu’imaginer comment se sentent leurs dirigeants lorsqu’ils n’ont rien de tout cela, lorsqu’ils vivent dans la pauvreté et n’ont même pas l’eau courante.
Grâce au travail qu’effectue la coalition, nous voyons la lumière au bout du tunnel. Nous allons continuer à progresser dans ce tunnel.
Je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui. Ce n’est pas tous les jours que nous avons cette possibilité et j’ai beaucoup apprécié le temps que vous avez pris pour nous inviter.
Mme Thomas : Merci d’être aussi enthousiaste. Il est vraiment très agréable pour moi et pour ma collectivité de savoir que nous avons l’appui de votre institution pour introduire les changements dont nos peuples ont besoin. En réalité, il faut modifier la façon dont la société canadienne perçoit les peuples autochtones. Les jours où ils étaient l’ennemi sont, je l’espère, bien loin, le fait de disposer d’un veto et toutes ces relations publiques n’a pas vraiment aidé l’ensemble de la société. Lorsque les Premières Nations sont prospères, cela profite à toute la région. J’aimerais que nous ayons des discussions et que nous réfléchissions à la façon de modifier la situation.
Je n’appelle généralement pas à la prudence, mais je me demande si nous ne nous sentons pas coupables de ce que nous avons fait dans le passé et si nous essayons vraiment d’améliorer les choses parce qu’il faut arrêter l’hémorragie. Lorsque l’on fournit les premiers soins, on vérifie toujours la respiration et le cœur. Il faut faire tout ceci consciemment et non pas rapidement dans l’intention, bonne au départ, de changer rapidement les choses. Nous essayons de réparer un système qui existe depuis plus d’un siècle, c’est pourquoi je crois que nous devions y aller progressivement.
Il y a, bien évidemment, des mesures faciles à prendre. Sharleen parle des garanties de prêt. C’est une mesure simple qui ne devrait pas soulever de difficultés. Nous avons prévu d’assister à des réunions avec divers intéressés dans les jours qui viennent. Nous essayons d’introduire nous-mêmes ce changement. Cela nous aiderait que le Canada nous aide à le faire.
J’en ai assez d’être vue comme quelqu’un qu’il faut secourir et dont il faut avoir pitié. Je suis une Autochtone forte; je vous demande de me considérer de cette façon. C’est le message que j’aimerais que vous transmettiez au Canada, à la société. Merci.
Le sénateur Patterson : J’ai bien aimé vos réponses. J’ai une autre brève question qui vise le court terme et qui est très concrète.
La Coalition de grands projets a vu, je crois, le nombre de ses membres augmenter considérablement. Vous souhaitez continuer à acquérir des capacités. Disposez-vous de ressources suffisantes pour répondre aux besoins de vos membres? Avez-vous de la difficulté à trouver les ressources susceptibles d’appuyer votre travail?
Mme Gale : Comme vous le savez peut-être, notre financement va prendre fin le 31 mars 2018, et pour que nous puissions continuer à faire ce que nous faisons, nous allons avoir besoin d’un appui supplémentaire, mais il faudra que cet appui ne provienne pas seulement d’un programme. C’est un aspect qu’il faudrait que les Canadiens prennent sérieusement, parce que ce travail pourrait être utile à toutes les nations du pays et non seulement à la province de la Colombie-Britannique.
Lorsque nous avons préparé notre plan de travail initial — nous l’avons présenté il y a bientôt trois ans — nous n’avons jamais pensé que notre organisation se développerait autant ni que nous allions connaître une telle évolution. Mais depuis notre création, le nombre de membres de la coalition a été, comme vous l’avez dit, multiplié par trois, il y a 37 membres, et ce chiffre augmente constamment. Nous commençons à intéresser les nations qui résident en Alberta et en Ontario. Nous constatons que notre travail a des répercussions considérables et que nos activités suscitent beaucoup d’intérêt.
Jusqu’ici, nous avons eu recours au financement de programme fourni par l’initiative de partenariat stratégique, et ce financement de programme a posé de nombreux problèmes sur le plan de sa mise en œuvre — les lignes directrices étaient très strictes, le processus décisionnel très compliqué, combiné à des obligations déclaratives très lourdes. Cela exigeait un gros travail administratif. Nous voulons dépasser tout cela. Pour y parvenir, nous aurons besoin d’un financement et d’un appui pluriannuel pour faire ce travail.
Comme vous l’avez entendu dire par le chef Blackwater, la suppression d’un système basé sur l’aide de tiers et un accès gratuit aux ressources pour la collectivité pourrait améliorer de nombreuses vies au Canada et aider de nombreux dirigeants des collectivités des Premières Nations.
La sénatrice Raine : C’est toujours un plaisir de vous accueillir, M. Calla, et d’entendre la Coalition de grands projets des Premières Nations, qui offre autant de possibilités. Je conviens avec vous qu’elle obtient d’excellents résultats et qu’il faut agir rapidement pour en profiter.
Je comprends personnellement que la structure actuelle — et corrigez-moi, si je me trompe — vous permettra en tant que Premières Nations de profiter des possibilités qui s’offrent, sans être laissées derrière, pour ainsi dire, comme cela s’est produit avec certains projets dans le passé.
Je sais que vous allez avoir besoin de la collaboration totale non seulement des contribuables canadiens, par l’intermédiaire du gouvernement fédéral, grâce à des garanties de prêt, ce qui me paraît une excellente chose, mais aussi celle des gouvernements provinciaux et des résidents de votre région qui risquent de subir l’influence d’intérêts extérieurs qui souhaitent vous empêcher de vous développer. Je sais que pour y parvenir, vous allez devoir travailler ensemble, mais il y a toujours des gens qui, pour une raison ou une autre, veulent créer des obstacles tout à fait inutiles. Comment la coalition réagit-elle à ces influences négatives?
Mme Gale : La coalition n’est pas un organisme qui s’attache à des projets particuliers, de sorte que nous ne sommes ni favorables ni défavorables aux projets proposés. C’est aux collectivités de travailler ensemble et de présenter à la coalition une demande si elles sont intéressées à ce qu’un projet soit examiné. Nous fournissons en réalité des données. Nous fournissons de l’information. Nous fournissons un appui technique pour que ces collectivités puissent prendre une décision éclairée et savoir si un projet sera utile pour leur groupe et si elles veulent participer à l’élaboration de l’infrastructure, mais c’est aux collectivités d’en décider.
La sénatrice Raine : On a parlé de la nécessité de créer une institution nationale pour les Premières Nations et je dois dire que je ne voyais pas d’un très bon œil la création d’une autre bureaucratie, mais je comprends maintenant. Votre organisme a pour but d’offrir un soutien, mais le pouvoir de décision appartient à la Première Nation concernée par un projet particulier.
Mme Gale : Oui.
La sénatrice Raine : Merci.
Le sénateur Christmas : Je voulais simplement vous transmettre mes félicitations et vous dire que j’appréciais le travail que vous effectuez, en particulier, le Conseil de gestion financière des Premières Nations, pour tout le travail que vous avez accompli. Je suis très impressionné par ce que fait la Coalition de grands projets des Premières Nations.
Je partage tout à fait votre façon de voir les choses, M. Calla, notamment la nécessité de mettre sur pied des institutions des Premières Nations qui soient dirigées par les Premières Nations. Je crois que je peux transmettre ce commentaire à tous les membres du comité; je crois que vous nous avez donné une petite idée de ce que peut être une relation de nation à nation sur le terrain. Je vous en remercie donc. Je trouve cela très inspirant et je suis très heureux que vous soyez en mesure de nous en parler.
Ma question s’adresse au chef Blackwater et peut-être, à M. Calla. L’histoire de votre collectivité qui a abandonné la gestion par un tiers avec l’aide du Conseil de gestion financière des Premières Nations m’a beaucoup inspiré. J’ai aimé vous entendre dire que vous aviez redonné de l’espoir non seulement à ces collectivités, mais également à la plupart des personnes qui ont participé à ce processus. J’ai beaucoup aimé votre commentaire selon lequel il faut abandonner l’ancienne méthode. Je connais très bien la façon dont le gouvernement actuel ou le gouvernement précédent traite les Premières Nations en faisant gérer ces choses par un tiers. Cela vous a presque stigmatisés. Vous n’êtes personne; vous n’êtes rien. C’est une approche horrible.
Comparer cette approche avec ce que vous avez vécu, chef, avec l’aide du Conseil de gestion financière des Premières Nations, à savoir investir dans les collectivités et fournir ce service — je crois que cela a été mentionné — gratuitement. Chef, pourriez-vous nous parler davantage de la façon dont le Conseil de gestion financière des Premières Nations, une institution des Premières Nations, a pu redonner de l’espoir en investissant dans votre collectivité et lui a donné les moyens de prospérer? Pourriez-vous nous parler davantage de votre expérience?
M. Blackwater : Très bien. J’espère que j’ai beaucoup de temps.
Lorsque je suis arrivé au conseil, cela remonte à 1998, pour un mandat de deux ans et ensuite, quand j’ai entendu qu’il y avait des difficultés et des choses de ce genre, j’ai abandonné carrément ma collectivité et je suis revenu lorsque je me suis porté candidat au conseil, comme chef et conseiller, en 2013. J’ai obtenu un siège au conseil et j’ai perdu le poste de chef par deux voix. Pendant cette période, c’est la même vieille histoire qui continuait. Le conseil parlait encore des mêmes choses et nous ne faisions aucun progrès.
J’ai commencé par m’adresser aux gens de la communauté et je leur ai dit : « Nous ne pouvons pas rester bloqués ici éternellement. Nous devons changer, mais pour changer, il faut du courage. » Par conséquent, j’ai beaucoup fait campagne pendant deux ans pour faire connaître le type d’approche que j’avais l’intention d’utiliser. Aux élections suivantes, en 2015, j’ai été élu chef. Ce fut un véritable raz-de-marée, parce que les gens ont voté pour le changement.
Le 1er octobre 2014, alors que je siégeais au conseil, nous sommes passés de la cogestion à la gestion par le conseil.
Quand je suis devenu chef, ayant entendu parler du Conseil de gestion financière des Premières Nations, j’ai communiqué avec Harold Calla. Je lui ai dit : « Il faut changer notre façon de faire. Quelles sont les autres possibilités? »
Entretemps, nous avons signé une lettre de coopération et nous avons parlé de la Loi sur l’administration financière, de la Loi sur la gestion financière des Premières Nations et tout le reste. Nous avons dit à notre conseil, ainsi qu’à AANC, que nous voulions faire les choses différemment. Nous avons donc réuni tout le monde et nous en avons discuté en conseil.
À ce moment-là, nous avons dit à notre conseil chargé de la gestion que nous devions aller plus loin. Nous avons les compétences, nous avons la formation ainsi que les ressources internes pour assurer nous-mêmes la gestion. Il nous suffit d’apprendre comment bien faire les choses. Je leur ai dit, en présence des représentants d’AANC, que l’on ne pourrait pas le faire si la façon de procéder n’était pas différente de celle d’AANC. AANC nous dit quoi faire et comment le faire ou le fait à notre place. Ce n’est pas ce que nous voulons. Comment pouvons-nous gérer nous-mêmes nos finances si nous n’apprenons pas à le faire?
Avant la réunion, le conseil de bande a adopté une motion proposant un partenariat avec nos gestionnaires du conseil et AANC. La transparence est possible depuis cette réunion et grâce à toutes les nouvelles réunions que nous avons convoquées chaque mois. Nous avons dit à AANC : « Quand vous siégez à nos côtés, vous n’êtes pas un organisme de financement, vous êtes un partenaire. Vous êtes témoins, mais vous ne voyez pas toujours ce que nous faisons en matière de gestion et, si vous notez que nous faisons mal les choses, veuillez nous le dire et nous guider. » Aux gestionnaires du conseil, nous avons dit : « Nous ne voulons pas dépendre de vous tout le temps. Comment pouvons-nous nous libérer de la cogestion si nous vous payons des sommes astronomiques? » Nous leur avons fait comprendre notre point de vue.
Ensuite, sur ma demande, le conseil s’est réuni à huis clos. Le conseil comprend huit conseillers en plus de moi, le chef. Je leur ai dit que la première chose à faire était de vider notre sac et d’exprimer nos ressentiments les uns à l’égard des autres et d’apprendre à collaborer. Sinon, on perd de vue ce que nous devons faire pour le mieux-être de notre communauté. Par conséquent, nous avons commencé par régler nos propres problèmes, si bien que l’atmosphère n’était plus du tout la même lorsque nous nous sommes réunis à nouveau pour travailler ensemble.
Nous avons appelé le directeur général régional — à l’époque, c’était Eric Magnuson — pour l’inviter à venir visiter notre communauté et lui montrer où nous vivons. Nous lui avons montré nos maisons, nos cinq maisons, et je lui ai dit : « Est-ce que vous aimeriez vivre dans un tel environnement? Je vous défie de venir ici avec votre famille et de vivre dans cette maison pour voir si vous parviendrez à survivre. »
Ensuite, nous l’avons fait revenir à la table. Nous lui avons dit que notre intention n’était pas de contester ni de demander quoi que ce soit. Nous lui avons simplement demandé de s’engager à investir dans un projet de rénovation pour nous offrir des conditions de vie sécuritaires, à l’abri du froid et de l’humidité. Pour faire cet investissement, nous avons besoin d’assistance et de ressources financières supplémentaires pour mettre en œuvre un projet d’habitation afin que les investissements soient en sécurité au cours des décennies à venir. Par conséquent, nous sommes la nation gestionnaire la plus riche de Colombie-Britannique. Qui d’autre peut se vanter d’avoir un engagement de 1,3 million de dollars sur cinq ans pour la construction de maisons sécuritaires et confortables? Nous terminons notre troisième année, nous négocions notre quatrième année et il nous reste encore deux autres années.
Mais, notre approche est différente. Plutôt que de choisir des maisons avant d’effectuer des rénovations, nous avons fait appel à une société — je crois qu’elle s’appelle Stantec — qui a fait l’évaluation de 134 maisons, soit toutes les habitations de notre communauté, et a produit un rapport de 1 600 pages. Ensuite, nous avons demandé à nos gestionnaires d’éplucher ce rapport de 1 600 pages; comme ils sont grassement payés de toute façon, aussi bien les mettre au travail. Ils ont donc lu ce rapport.
Puis, nous avons appelé AANC pour leur dire quels étaient nos besoins annuels en matière de rénovation des habitations, car nous avions l’intention d’améliorer toutes les habitations de notre communauté, sans exception. Nous avons commencé par nous attaquer aux problèmes les plus urgents, c’est-à-dire les toits. Vous auriez dû voir nos toits! Ils étaient dans un état pitoyable. Nous avons remplacé tous les toits des habitations de la communauté. Ensuite, nous nous sommes attaqués aux systèmes de chauffage. Enfin, nous nous sommes occupés des personnes handicapées et des personnes âgées, afin de nous assurer qu’elles aient tout ce dont elles ont besoin. Tout cela s’est fait en plusieurs étapes.
Les gens de notre communauté sont en sécurité, bien au chaud et au sec. C’est un début. Nous avons rappelé Allyson Rowe et Catherine Lappe, notre nouvelle directrice générale régionale, pour leur faire remarquer l’utilisation que nous avions faite de leur investissement. Nous leur avons dit que les membres de notre communauté étaient transformés, au lieu d’être fâchés, mécontents et désorientés, les gens de notre communauté sont désormais de bonne humeur. Il a suffi d’un petit projet de rénovation domiciliaire.
J’ai entendu dire que beaucoup de chefs de Colombie-Britannique reçoivent un salaire. Ce n’est pas notre cas. Chaque mois, je reçois des honoraires de 750 $, mais je passe de six à huit heures par jour au bureau, y compris les fins de semaine, pour veiller à la bonne marche des affaires. C’est le travail des chefs. C’est un engagement profond. Les gens s’impliquent pour une raison particulière, une seule raison, c’est parce qu’ils veulent du changement.
À propos du champ de compétence, il y a une autre approche que nous examinons avec la nation Gitxsan. Avec AANC, l’approche part du sommet pour arriver jusqu’à nous. Par contre, l’approche de la nation Gitxsan et de la communauté de Gitsegukla repose sur une conception communautaire qui part de la base et qui est régie par la communauté. En effet, ce sont les membres de notre communauté qui connaissent le mieux leurs besoins et qui savent comment y répondre.
Voilà donc comment nous procédons à Gitsegukla et nous sommes fiers de dire que nous avons conçu et mis en œuvre une nouvelle approche d’autosuffisance et de croissance. C’est une des choses que j’ai pu constater à la table du conseil. Nous avons dû adopter une approche différente, car les réclamations et les contestations n’aboutissaient nulle part. Voilà ce que nous avons fait. Je crois — ou plutôt, je suis convaincu — que le bureau régional d’AANC en Colombie-Britannique, mais aussi le bureau national du ministère apprécie beaucoup ce que nous faisons, car Catherine Lappe et Allyson Rowe, avant qu’elle soit mutée aux services au public, se sont adressées à moi pour me dire : « Nous aimerions que vous fassiez partie de notre programme de mentorat afin que vous puissiez exposer aux autres Premières Nations de Colombie-Britannique et de tout le Canada l’approche de Gitsegukla, car c’est une approche complètement différente de celle que nous connaissions jusque-là. Et elle donne d’excellents résultats. »
Nous recevons désormais un conseil consultatif désigné et notre but est d’accéder à l’autogestion d’ici deux ans.
Le sénateur Christmas : Félicitations, chef Blackwater; votre témoignage était intéressant.
Monsieur Calla, vous avez dit dans vos commentaires que vous souhaitiez que les bureaux régionaux d’AANC adoptent une relation différente avec le bureau central qui est, je suppose, celui des Premières Nations. Pourriez-vous expliquer pourquoi un tel changement est nécessaire?
M. Calla : Nous nous habituons tous à ce que j’appellerais « notre domaine ». À mesure que nous adoptons des approches différentes, ceux qui ont l’impression de maîtriser leur domaine doivent être prêts à changer. Parallèlement, ceux qui sont actuellement responsables de ce domaine doivent être libérés de ces responsabilités.
Nous adoptons un programme de gestion par défaut, un programme de remplacement qui est fondamentalement différent. Le programme, tel qu’il existe, propose une initiative visant à équilibrer les ratios financiers. C’est l’objectif premier. Notre approche consiste à développer la capacité pour Gitsegukla d’adopter une loi d’administration financière et de commencer à travailler sur un certificat de gestion financière. Par conséquent, la bande élabore des politiques, des procédures et des règles qui s’appliquent à la gestion des affaires. Cela encourage les partenaires à appuyer les initiatives en cours. C’est une approche différente.
Nous espérons que, au fil de ce processus, les ratios financiers seront pris en compte. Notre cadre est conforme à une norme internationale appelée cadre du COSO. Notre cote nous convient très bien. L’ensemble de notre travail a été approuvé par des cabinets comptables. Les organismes de cotation et les banques d’investissement se sont penchés sur notre travail et sur notre approche en matière de certificat et ont donné à l’Administration financière des Premières Nations une cote de crédit de catégorie investissement et sa cote ne cesse d’augmenter.
Notre travail inspire confiance, mais notre façon de procéder est fondamentalement différente. Nous reconnaissons que les bandes ont actuellement des problèmes financiers et que nous devons les résoudre, mais ce n’est pas un bon procédé de gestion que de supprimer les fonds discrétionnaires et de les garder à la banque jusqu’à ce que les ratios s’améliorent; on remédie aux problèmes des bandes en investissant dans leur capacité à prendre leurs propres décisions et à gérer leurs propres affaires. Le Conseil de gestion financière les appuie dans leur travail et les conseille dès le départ. C’est son rôle. Nous ne prenons pas la direction des opérations; les bandes vont s’en occuper, mais nous sommes là pour les aider.
La sénatrice Hartling : Bonjour et merci d’être venus témoigner. C’est un plaisir d’entendre votre histoire et votre message d’espoir. C’est très inspirant et positif pour l’ensemble des Canadiens.
Mes questions s’adressent à la chef Thomas et à la conseillère Gale : est-ce qu’il est difficile parfois d’assumer votre rôle de dirigeantes au sein de votre communauté, avec ce message d’espoir que vous proposez, et comment vous y prenez-vous pour accroître la confiance et l’espoir, en particulier quand on connaît les relations qu’a entretenues par le passé notre gouvernement avec les peuples autochtones? Je sais que cela doit être parfois difficile. Que faites-vous? Que pouvons-nous faire, ici, au Sénat, et dans nos collectivités, pour vous appuyer et vous encourager?
Mme Thomas : J’en suis à mon quatrième mandat comme chef. En fait, à Saik’uz, j’ai un conseil entièrement féminin. J’en suis extrêmement fière. Nous avons donné la priorité à nos enfants et à leur retour à la maison. Je ne sais pas combien d’entre vous ont lu le rapport de John sur la réunification des familles et le retour de nos enfants. Plus de 40 enfants de Saik’uz sont sous la garde de la province.
Avant mon départ, samedi, nous avons demandé au ministère et aux organismes sociaux de ramener les enfants dans notre communauté, car nous avons remarqué que le régime de soins pour les enfants ne prévoyait pas qu’ils puissent rentrer chez eux quand ils le demandaient. Nous avons des protocoles d’entente avec les organismes. Tous les enfants n’étaient pas là, mais il y en avait beaucoup et le bonheur des parents, l’espoir qu’ils ressentaient, démontre bien que notre conseil tient parole. L’intégrité est une de nos valeurs. Nous tenons nos promesses et nous soutenons notre communauté, car notre but est de réussir un jour à ramener tous ces enfants à la maison. Nous n’avons pas à nous plaindre par rapport à d’autres communautés qui ont vu partir un grand nombre de leurs enfants.
Nous n’avons pas réussi à obtenir ce financement par capitaux propres proposé plus tôt et que nous avions demandé il y a deux ans. La prochaine fois, nous espérons ne pas manquer le bateau. Nous sommes en train de réaliser une étude de faisabilité financière à propos de l’ouvrage de déversement d’eau du barrage Kenney. Si cette possibilité s’avère profitable, nous irons de l’avant avec cette décision. Cela donnera de l’espoir à notre peuple, et pas seulement à notre communauté, mais à toutes les municipalités situées en aval et qui sont tributaires de ce réseau d’alimentation en eau.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières. L’économie et les enfants sont les deux exemples que je peux vous donner.
Mme Gale : Nous avons vraiment un chef extraordinaire. Il s’appelle Harrison Dickie. Je suis très fière de lui et de mon conseil et je suis très honorée d’être ici.
Chaque jour, quand je me réveille, je remercie le ciel d’être vivante et d’appartenir au peuple déné. Je siège au conseil depuis neuf ans. Je suis une ancienne chef et je suis très fière de nos ex-dirigeants, les chefs et les conseils du passé. Je suis très fière aussi de voir que nos membres continuent chaque jour à relever les défis qui se présentent à eux. Cela nous aide à ne pas perdre espoir dans nos tâches quotidiennes. Nous devons rester concentrés.
Je dois signaler que, récemment, notre communauté a ratifié un vote destiné à obtenir des fonds pour les générations futures et à les placer en fiducie pendant 100 ans pour que nous puissions continuer à œuvrer sur le terrain. Nous espérons qu’un jour cet argent ne sera plus nécessaire, car nous sommes devenus des partenaires commerciaux. Nous sommes associés à des investisseurs. Nous collaborons avec des promoteurs. Nous collaborons avec nos gouvernements locaux, avec la province et le Canada.
Je ne peux imaginer pour nous autre chose qu’un avenir prometteur. C’est la seule chose que je puisse imaginer, car il n’est pas question de revenir en arrière. Nous espérons tout simplement que grâce aux efforts que nous faisons actuellement, nos enfants et nos petits-enfants ne seront pas encore assis à une table comme celle-ci pour vous parler de ce que nous espérons devenir.
Grâce au travail de la coalition, aux exposés, aux compétences que nous ont offertes les professionnels, nous avons pu acquérir beaucoup de connaissances et nous savons mieux comment procéder. Notre communauté a récemment fondé une société afin de séparer les affaires et la politique et de rester centrée sur ses objectifs. Par ailleurs, nous travaillons à la création d’un bureau central des finances. C’est un autre de nos objectifs. Ce bureau prendra en charge tous nos processus commerciaux et administratifs et rassemblera nos données qui seront ainsi disponibles en tout temps.
Il y a aussi le travail quotidien dans la communauté où vivent nos membres. Nos artisans continuent à produire des œuvres magnifiques et à garder nos traditions vivantes. On peut constater qu’il se passe beaucoup de choses dans notre communauté et que cela continue à nous donner espoir et à alimenter la fierté de notre peuple.
Chaque jour, il faut relever ces défis. Comme je l’ai dit, on ne peut pas revenir en arrière. Nous continuerons à faire en sorte que nos droits soient respectés et nous continuerons à collaborer avec vous en tant que partenaires. Mais je crois qu’à l’avenir, la meilleure chose pour nous tous sera de pouvoir disposer des outils, de la capacité et du financement nécessaires pour collaborer avec vous et prendre conjointement des décisions dans ce pays. C’est la seule voie d’avenir.
Le sénateur Doyle : Merci beaucoup d’être venus. Lorsque nous sommes réunis en comité et que nous parlons des Premières Nations, de vos espoirs, de vos rêves, de vos aspirations et de vos problèmes, je pense automatiquement au Labrador. Je sais qu’au Labrador, la création d’une infrastructure n’a pas nécessairement entraîné la diminution des problèmes sociaux ou leur élimination pure et simple, car, malgré la mise en place d’une infrastructure, il y avait très peu de développement économique dans la région.
Quand vous prévoyez la mise en œuvre d’un projet d’infrastructure, est-ce que le plan comprend automatiquement aussi une série d’opportunités économiques dans un certain domaine? Je sais que dans une région du Labrador, on a créé une ville nouvelle et on y a installé des gens. Malheureusement, il y avait peu ou pas de débouchés économiques dans cette ville, si bien que les mêmes problèmes sont réapparus. Cela m’amène à espérer que lorsque vous proposez un plan d’infrastructure, vous prévoyez aussi nécessairement un plan de développement économique à long terme. Est-ce que c’est le cas?
M. Calla : En effet, monsieur le sénateur. En fait, une des normes du système de gestion financière prévoit la mise en œuvre d’un plan communautaire qui comprendra nécessairement un plan économique. Les deux sont intégrés. Un des défis auquel nous faisons face aujourd’hui, c’est que trop souvent les lignes directrices du programme d’infrastructure ne permettent pas d’investir dans une infrastructure de développement économique. Cela doit forcément changer. L’infrastructure, telle qu’on la définit, ne doit pas se limiter à l’installation d’égouts et de canalisations d’eau. Il faut penser à la technologie, à la large bande, aux logiciels, aux ordinateurs et à la formation. Il faut changer notre définition de l’infrastructure nécessaire.
Nous ignorons ce que nous réserve l’avenir. Au cours d’une conférence internationale de l’AFOA à laquelle j’ai assisté à Vancouver, un aborigène de Nouvelle-Zélande a déclaré : « De nos jours, nous scolarisons nos enfants pour qu’ils puissent trouver du travail, mais nous ne savons pas à quoi ressemblera la profession qu’ils exerceront ». L’infrastructure et l’investissement dont nous avons besoin pour notre peuple servent à l’outiller afin qu’il dispose des capacités nécessaires pour saisir les occasions qui se présenteront à l’avenir.
Il est absolument indispensable de mettre en place une infrastructure qui encourage le développement économique. Les types d’outils que nous devons mettre en place sont par exemple des régimes fiscaux sur les propriétés commerciales et encourager la mise en place d’une infrastructure, initiative fondamentale possible grâce à la Loi sur la gestion financière.
Pour le moment, le défi du secteur privé est de se rendre dans les réserves pour proposer des projets et aussi prendre en charge la mise en place de l’infrastructure de façon générale, alors que les entreprises du secteur privé ne sont pas tenues de le faire si elles ne sont pas dans une réserve. Nous pensons que la mise en place d’une infrastructure peut contribuer à rendre les règles du jeu plus égales pour tous, comme cela devrait être le cas, si l’on fait du bon travail. Et je peux affirmer qu’en ce moment il se fait d’excellentes choses dans les régions.
Vous avez tout à fait raison. Mais là encore, quand nous parlons d’une institution nationale, nous pensons à une approche dirigée par les Premières Nations et faisant appel à la participation des régions, à des consultations et à une gestion efficace. Nous avons au pays de très bons exemples de ce type d’approche. La Régie de la santé des Premières Nations de Colombie-Britannique est un excellent exemple qui montre bien qu’il est profitable pour nos communautés de prendre en charge la prestation des soins de santé dans la province.
Le sénateur Doyle : Merci.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à tous et félicitations pour vos efforts et surtout pour ce que vous avez déjà accompli.
Monsieur Calla, le Globe and Mail a rapporté, en 2015, je crois, vos commentaires concernant les mécanismes de la dépendance ainsi que l’initiative prise par le passé par la ministre Wilson-Raybould, et les possibilités qui nous sont offertes aujourd’hui. Je serais curieuse de savoir si certaines options que vous examinez en ce moment se rapportent à certains des mécanismes envisagés par les provinces et le gouvernement fédéral. Je pense par exemple que la ministre Wilson-Raybould, ainsi que le ministre de la Sécurité publique, se sont engagés à mettre en œuvre les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation concernant la décarcération et l’investissement dans les communautés.
Cela va dans la même direction que les efforts déployés par la chef Thomas concernant le retour des enfants à la maison, les fonds consacrés aux foyers d’accueil et aux services d’adoption plutôt que de confier les enfants aux soins de membres de la parenté, ce qui permettrait de les garder dans leurs communautés, ainsi que certaines discussions actuellement en cours au sujet des projets de revenu de subsistance garanti, par opposition au régime d’assistance sociale.
J’aimerais savoir si vous avez participé à certaines de ces discussions, de quelle manière et quels sont les appuis que vous souhaiteriez privilégier pour le développement de cette infrastructure. Je pense en particulier aux dispositions déjà existantes qui permettent aux communautés de sortir certaines personnes de prison, de soustraire les enfants aux services de garde et de remplacer un régime d’assistance sociale par un régime de revenu de subsistance garanti. Certaines de ces options ont-elles été examinées et dans quelle mesure les recommandations présentées par notre comité pourraient-elles encourager de tels processus?
M. Calla : Si je peux commencer, je dirais que l’on a besoin d’installations. L’infrastructure, ce sont les installations. Je pense que l’appui financier et la mise en place d’une infrastructure doivent aboutir à la création accélérée d’installations. Nous devons utiliser de manière intelligente le transfert de fonds qui se prépare. Nous devons être en mesure de le monétiser.
La Régie de la santé des Premières Nations doit mettre sur pied des postes de soins infirmiers en Colombie-Britannique. Devons-nous attendre 10 ans pour que les contributions annuelles découlant de l’entente de financement leur permettent d’établir un poste de soins infirmiers par an, ou bien décidons-nous de créer immédiatement ces postes infirmiers? Ce concept s’applique dans tous les domaines.
La semaine dernière, je me trouvais à Fisher River, au Manitoba, pour délivrer un certificat en gestion financière. Si vous en avez l’occasion, je vous invite à aller visiter la nation de Fisher River. Elle se trouve à deux heures et demie à l’extérieur de Winnipeg, au bord du lac Manitoba. Selon le chef David Crate, la nation de Fisher River utilise à son avantage les outils que lui confère la Loi sur la gestion financière. Les Autochtones de cette nation construisent de nouvelles écoles et de nouveaux centres de loisirs et disposent d’un moteur économique qui leur permet de combler le déficit économique qui sévissait autrefois.
Il n’existe pas de réponse simple à tous ces défis. Il faut disposer d’une économie et de possibilités d’emploi. En soi, ce n’est pas une solution que de ramener les gens chez eux dans l’état actuel des choses. Il faut leur offrir des communautés plus dynamiques pour les inciter à revenir chez eux. Il y a beaucoup de choses à faire en même temps, mais on peut dire que le message qu’il faut retenir, c’est que l’on doit investir dans le développement de la capacité de gouvernance et le développement économique et améliorer la mise en œuvre dans les réserves d’une infrastructure qui servira de multiples objectifs, l’un d’entre eux étant le développement économique.
J’aime toujours rappeler aux gens qu’il est extrêmement difficile de bâtir une communauté saine ou un programme de logement sans autre financement que les allocations sociales et les allocations de logement. Nous devons bâtir les économies et créer des possibilités d’emploi pour nos communautés, dans nos communautés. Nous conserverons nos cultures si nous pouvons demeurer dans les régions dont nous sommes issus. Il n’y a aucune raison que ce ne soit pas possible.
Fisher River est un excellent exemple de ce que l’on peut faire et nous montre comment cela est possible. J’ai visité un atelier de l’école secondaire. Je crois que Fisher River affiche le plus haut taux de diplomation des élèves autochtones au Manitoba. J’y ai rencontré trois jeunes hommes qui m’ont dit qu’ils figuraient tous les trois parmi ces diplômés. Ils font l’apprentissage d’un métier et acquièrent des compétences professionnelles. Cela va de pair avec la vision que nous avons pour restaurer les valeurs de nos communautés et ramener les membres de la communauté à la maison. Pour qu’ils reviennent, il faut que la communauté leur offre autre chose que les maigres possibilités qu’on y trouve aujourd’hui.
M. Blackwater : Du point de vue des chefs et de la communauté de la nation Gitxsan, c’est une des priorités. Nous nous sommes associés à des jeunes des Premières Nations.
Il y a quelques semaines, j’étais à Prince George où nous avons présenté un exposé de principe sur les champs de compétence. C’est la clé pour la vie des Premières Nations et c’est la clé pour nous. Nos enfants sont nos enfants. Ils n’appartiennent à personne d’autre. Les enfants de la nation Gitxsan appartiennent à la nation Gitxsan et relèvent des différentes communautés à l’intérieur de la nation. Les enfants de Gitsegukla appartiennent à la communauté de Gitsegukla. Nous en sommes responsables et personne d’autre ne l’est à notre place.
Nous avons présenté un exposé de principe à la Régie de la santé des Premières Nations et nous lui avons bien précisé que nous ne voulons pas qu’elle s’immisce dans le secteur des services à l’enfance et à la famille, dans le secteur de l’éducation ni ailleurs, car cela ne relève pas de ses compétences. Chaque nation, chaque communauté doit prendre en charge les déterminants sociaux des enfants : santé, éducation, services à l’enfance et à la famille, développement économique, et cetera. C’est notre responsabilité et c’est un des domaines dans lesquels nous nous investissons.
Notre conseil collabore avec les Gitxsan Child & Family Services afin de concevoir et mettre en place un comité de bien-être de l’enfance pour que nous soyons les premiers et les seuls à prendre une décision concernant nos enfants. En plus d’exercer mes fonctions de chef et de membre du conseil d’administration, je travaille également comme spécialiste de la valorisation de la famille auprès des Gitxsan Child & Family Services. J’aime travailler avec ces enfants qui sont sans voix et qui doivent se débrouiller seuls. Nous avons accueilli une adolescente de 14 ou 15 ans que les Gitxsan Child & Family Services ont laissé revenir au bercail. Elle n’arrêtait pas de pleurer, car c’était la première fois qu’elle avait un contact avec sa famille ou sa nation. Ces retrouvailles ont eu un impact extraordinaire.
Pour terminer, sachez que je suis un survivant des pensionnats indiens. Je suis l’un des demandeurs cités dans les recours contre les atrocités commises dans les pensionnats indiens. Celles-ci ont eu des effets dévastateurs sur ma vie d’être humain. Tous mes frères et sœurs sont allés dans les pensionnats indiens, que ce soit à Alberni ou à Edmonton. Aucun d’entre nous n’est jamais retourné dans notre communauté. C’est une rupture qui nous affecte encore aujourd’hui. Aucun d’entre nous n’entretient de relations avec le reste de notre fratrie. Ces pensionnats ont détruit notre famille, mais, plus important encore, ils ont détruit notre communauté. Il se peut que je constitue une exception à ce phénomène dans notre famille parce que je joue du tambour dans notre groupe de danse Gitxsan Gitsegukla. Notre fille et notre petite-fille y dansent. Nous faisons notre possible parce que, à mes yeux, la réconciliation commence avec moi avant de s’étendre aux autres. Je vous remercie de votre attention.
La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre témoignage. J’ai été ravie quand je vous ai entendu commencer par nous parler des besoins en infrastructures et en installations. Le commentaire que j’ai souvent entendu ensuite est que le gouvernement veut vous financer pour que vous gériez vos propres prisons, ce qu’aucun d’entre vous n’a repris. Cela m’a fait plaisir. Une partie de la réussite enregistrée dans certaines des communautés maories de Nouvelle-Zélande tient au fait qu’elles ont su tirer parti des ressources qui étaient autrefois consacrées à des types d’interventions plus oppressifs pour se doter d’écoles et d’établissements de soins. Je tiens à vous en remercier et, s’il y a quelque chose que nous pourrions faire pour venir en aide, n’hésitez pas à nous le dire.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir communiqué des renseignements aussi détaillés et utiles pour nous aider à faire notre travail.
J’ai une question à vous poser sur le leadership des jeunes dans la perspective du développement économique et de son importance cruciale pour celui-ci. Je pense ici aux nombreuses entreprises lancées par de jeunes entrepreneurs, comme le groupe de Pontiac, et à la proposition récente de livraisons au moyen de drones dans les collectivités isolées. À vos yeux, de quelles ressources précises de tels projets ont-ils besoin? Pouvez-vous nous donner des exemples précis de la façon dont vos collectivités ou vos organismes s’efforcent de soutenir et de galvaniser le leadership des jeunes dans le domaine du développement économique?
Mme Thomas : Nous comptons parmi nous une jeune femme, ma cousine, qui est la plus jeune à siéger à notre conseil. Nous l’avons impliquée très rapidement dans tous les domaines sur lesquels nous travaillons. Pour vous donner une idée du contexte qui est le nôtre, sachez que nous n’avons pas signé de traité. Nous en avons négocié un jusqu’en 2007. Nous avons ensuite décidé de prendre la voie de cette réconciliation. Tout le monde se vante maintenant d’œuvrer à la réconciliation. La jeune femme dont je vous parle nous inspire tous par l’énergie dont elle fait preuve. Nous avons pris sa formation en main.
Nous négocions une entente avec l’un des promoteurs d’activités forestières de notre territoire. Comme nous n’avons cédé ni abandonné aucun droit ni titre, nous avons conclu une entente d’une durée de 20 ans avec une entreprise forestière de notre région. Elle doit être renouvelée sous peu. J’ai donc impliqué cette jeune femme dans ces négociations parce que nous tenons à nous assurer que, à l’avenir, les gens qui vont nous succéder seront en mesure de mener à bien de telles négociations. C’est notre peuple qui continuera à vivre sur notre terre.
Le dendroctone du pin ponderosa a dévasté les forêts de notre territoire. Elle se déplace en direction du nord et de l’Alberta. Nous accordons maintenant la priorité au secteur minier. Nous négocions avec les entreprises de ce secteur un accord de participation économique. Nous ne demandons pas uniquement des emplois, nous voulons voir des petites entreprises autochtones participer aux activités de ce secteur d’activité. Nous voulons conclure avec les grandes entreprises du secteur des contrats commerciaux garantis aux retombées bénéfiques pour notre communauté. Nous avons la chance de pouvoir négocier ce genre de contrats parce que si nous nous trouvions à un autre endroit et n’avions pas les connaissances pour faire tout ce travail, nous ne serions pas en mesure de faire bénéficier nos jeunes de ces retombées.
Plus de la moitié de la population de Saik’uz a moins de 30 ans. Mon travail consiste pour l’essentiel à mettre en place des conditions propices à leur avenir. C’est la raison pour laquelle nous abordons maintenant les choses différemment et nous nous efforçons d’offrir aux membres de notre Première Nation de nouvelles possibilités. Ensuite, c’est à eux qu’il incombera d’en tirer parti.
La situation au sein de notre communauté est complexe. Nous faisons face à une crise du fentanyl. Sur notre groupe de cinq personnes, quatre ont suivi une formation pour administrer la naloxone parce que nous avons évité de justesse 12 accidents à Saik’uz. Fort heureusement, nous n’avons perdu personne. Nous essayons de sauver nos jeunes pour qu’ils aient un avenir.
Lorsque nous parlons de réconciliation, cela revient à reconstruire une famille avec toutes les familles de la communauté, toutes les communautés de la nation des Carriers de Cheslatta, tous les gens de la Colombie-Britannique, pour ensuite passer au niveau du pays. En termes de gouvernance, la tâche qui nous incombe est de mettre en place ce nouveau monde et de modifier le paradigme.
L’amélioration de la situation économique est la seule chose qui va permettre d’offrir de bonnes conditions de vie aux générations à venir, mais nous ne pouvons pas nous contenter d’entreprises, de mines et d’exploitations forestières. Il faut que nous disposions également de la terre dont certains d’entre nous ont besoin pour exercer leurs droits, de lacs pour pêcher et de terres pour chasser. Lorsque nous prenons ces décisions, l’arrêt Tsilhqot’in de la Cour suprême nous interdit d’entraver les droits de nos générations à venir.
Je ne sais pas si ma réponse à votre question vous sera utile. Je vous fais simplement part du point de vue réel de ma communauté. Vous avez posé une question intéressante. Je vous remercie d’avoir écouté ma réponse.
Mme Gale : Je viens de la Première Nation de Fort Nelson. Notre communauté a eu énormément de chance d’avoir un chef qui était convaincu des bienfaits de l’éducation. En 1980, il siégeait à l’arrondissement scolaire n° 81 de la ville de Fort Nelson, et il a ouvert une école primaire pour notre nation, sous la forme d’une unité modulaire. C’est ainsi que nous avons commencé. Aujourd’hui, je suis fière de vous dire que nous avons une école, la Chalo School, qui est considérée au Canada comme l’une des meilleures écoles des Premières Nations.
Je suis convaincue que l’éducation est la clé de notre avenir et nous permettra de nous assurer que notre peuple pourra fonctionner dans cette société. Nous voulons non seulement que ceux qui ont éprouvé des difficultés ou qui sont partis parce qu’il ne parvenait pas à guérir dans leur propre communauté reviennent chez eux; nous voulons que ceux qui vont à l’université, qui suivent un enseignement postsecondaire, qui apprennent des métiers aient de bonnes raisons de revenir fièrement chez eux.
La semaine dernière, nous avons eu la chance de fêter nos aînés lors d’un déjeuner organisé avec notre communauté. Celle-ci en compte 65 qui nous offrent beaucoup de conseils et suscitent de nombreuses attentes. Lorsque je vois nos jeunes relever des défis, se tenir debout et s’exprimer, cela me rend très fière. Quand nous organisons une élection générale et que les plus jeunes posent leur candidature, vous savez que vous avez fait œuvre utile. C’est incroyable.
Il est très important, pour les générations à venir, de parvenir à un équilibre entre la prospérité économique et la protection de notre environnement. Les communautés doivent pouvoir collaborer avec des investisseurs, avec des promoteurs, avec les administrations locales et avec les municipalités pour discuter des infrastructures qu’il va falloir réaliser sur nos terres en s’impliquant dans de tels projets à plus grande échelle qu’en visant uniquement la création d’emplois.
L’une des réalisations de notre communauté est la mise en place de zones interdites d’accès, parce que personne n’est mieux positionné que nous pour dire à quel endroit il est possible de construire, ou de ne pas construire. Il y a des sites à caractère spirituel, des lieux de rassemblement, des lieux de mise bas, et quantité d’autres éléments importants dont il faut tenir compte lorsqu’on veut réaliser un projet important. Il serait aberrant que des gens viennent faire ceci ou cela sur nos terres sans que nous soyons impliqués dans des décisions lourdes de conséquences sur nos vies alors que nous y vivons depuis des milliers d’années et allons continuer à le faire encore pendant des milliers d’années. Nous voyons d’un bon œil les possibilités de développement économique pourvu que les choses soient faites correctement et répondent aux besoins de notre peuple. Nous ne pouvons pas assécher nos lacs ni construire des routes dont les tracés nous heurtent. C’est pourquoi il faut absolument que nous soyons impliqués.
L’endroit qui convient le mieux pour accueillir les membres de notre nation désireux de se guérir est sur notre terre, là où ils pourront rencontrer nos aînés. Si nous n’avons pas d’endroit où aller, alors nous n’avons rien. Nos aînés nous ont toujours dit que si nous prenons soin de notre terre, notre terre prendra soin de nous. Lorsque nous devons décider de la réalisation d’un projet, si les évaluations environnementales et les modalités de la prise de décision sont importantes, l’écoute des anciens et la prise en compte des connaissances traditionnelles, qui échappent à la science, sont aussi très importantes pour nous. C’est une chose incroyable que de se trouver sur notre terre et de parler aux anciens qui cueillent les plantes et préparent leur pharmacopée et d’entendre ce qu’ils ont à nous dire sur les variations saisonnières.
C’est ainsi que, cette année, nous avons beaucoup de neige au sol, nous en avons des tonnes, et l’hiver est arrivé un peu plus tôt que d’habitude et est un peu plus froid. Le bon côté des choses est que nous allons avoir un Noël blanc et que nous allons pouvoir utiliser nos motoneiges pour nous déplacer sur la terre ferme. Les anciens nous annoncent ce qui va se passer à l’automne. Ils nous préviennent du genre d’hiver que nous aurons. Vous êtes dubitatifs? C’est qu’ils sont en relation étroite avec la terre et qu’ils observent ce qui se passe dans leur environnement. Ils remarquent que les abeilles ont construit leur nid dans le haut d’un arbre et non pas dans un trou en dessous d’une bûche. Ce genre de choses permet de comprendre les interconnexions entre divers éléments et leur confère de la valeur. C’est pourquoi il est si important que les peuples des Premières Nations de toutes les régions de ce pays puissent contribuer à la réalisation de ces projets et y participer afin de nous permettre de collaborer avec leurs promoteurs et de décider avec eux comment les choses vont se passer.
Quant aux jeunes, j’invite bien volontiers ceux qui le souhaitent à se joindre à moi, non seulement dans l’exercice du leadership, mais tout simplement dans la vie quotidienne. Il y a beaucoup de choses à faire, beaucoup de choses à apprendre. Je continue moi-même à apprendre. Une des choses que j’aimerais voir changer, et pas uniquement pour ma communauté, serait de voir des jeunes siéger à côté de vous. J’aimerais, lorsque je me rends à des réunions de leaders, vous voir vous aussi, mesdames et messieurs, accompagnés de jeunes, parce que nous savons tous que ces jeunes sont pleins de possibilités et nous connaissons ceux qui ont du cœur à l’ouvrage. C’est une chose que j’aimerais voir évoluer au sein des institutions et des organismes du gouvernement.
La présidente : Je vous remercie. Pour votre information, j’aimerais vous dire que nous avons déjà invité des jeunes aux réunions de ce comité du Sénat au cours des quatre ou cinq dernières années, et nous avons bien l’intention de faire appel à des jeunes qui auront un rôle réel à jouer lorsque nous passerons à la phase 2 de notre étude. Merci beaucoup.
Le sénateur Watt : Je vous souhaite la bienvenue à tous. Monsieur Calla, cela fait maintenant de nombreuses années que nous nous connaissons et j’ai toujours apprécié les bonnes relations que nous avons eues par le passé. Je crois même avoir un homonyme dans votre famille. Laissons cela de côté un instant. Certaines des choses que vous nous avez dites sur les questions financières sont très importantes si nous voulons réussir sur la voie de l’autonomie et elles ne doivent pas être écartées.
C’est ainsi que vous nous avez dit que le gouvernement devrait reconnaître plus ouvertement un certain nombre de choses. Dans certains domaines, l’objectif n’est peut-être pas directement de nous doter nous-mêmes des moyens de commercialiser nos produits à l’étranger et de participer au libre-échange en instaurant des liens avec les autres peuples autochtones du Canada, et pas uniquement avec ceux d’autres pays, mais plutôt, en règle générale, de développer notre économie à notre propre rythme. Quels sont les domaines dans lesquels, à votre avis, nous aurions besoin d’une reconnaissance accrue pour nous permettre de prendre les choses en main afin de disposer des moyens de nous rapprocher de la communauté internationale et d’essayer de nous en sortir en cherchant d’éventuels investisseurs, tout en sachant que le problème de nos titres de propriété n’est toujours pas résolu? C’est une question qui reste en suspens. Je compte plus de 40 ans d’expérience dans l’étude de la mise en œuvre des ententes, aussi bien au sein des organismes autochtones qu’à l’extérieur de ceux-ci, et nous avons fait plusieurs tentatives, dans certains cas, en particulier dans ma région, pour parvenir à une entente avec les assemblées législatives provinciales et avec le gouvernement fédéral. Il me semble maintenant que, à moins que nous disposions d’une base législative précise, nous n’irons pas très loin, au moins avec ce gouvernement comme ce fût probablement le cas avec celui qui l’a précédé. En tenant compte de ces considérations, pourriez-vous m’éclairer sur les droits additionnels précis qui devraient nous être reconnus au Canada?
Ensuite, quels sont les droits additionnels qui ne nous sont pas encore reconnus, même si nous avons des droits constitutionnels et une déclaration des Nations Unies qui devraient nous libérer des entraves que notre propre système nous impose et nous permettre de tendre la main à des communautés étrangères? Ce sont là les deux questions auxquelles j’aimerais que vous répondiez. Je suis convaincu que vous avez déjà eu l’occasion d’y réfléchir.
M. Calla : Monsieur le sénateur, j’ai commencé par vous parler de reconnaissance. Nous avons parlé de la nécessité de nous impliquer dans les processus. Je crois qu’il faut maintenant reconnaître qu’il y a en Colombie-Britannique un titre ancestral non éteint, ayant en particulier des effets sur les revendications territoriales, et que nous avons effectivement des droits de surface et tréfonciers et que, dans une économie où le secteur de l’extraction joue un rôle important, ce qui est effectivement le cas du Canada, les Premières Nations doivent intégrer les processus décisionnels.
La communauté internationale est perplexe devant l’incapacité du Canada à régler cette question, comme l’a déclaré l’ambassadeur du Japon au Canada dans une réunion qui s’est tenue à Prince-Rupert, à l’époque où nous étions en plein débat sur les corridors de transport du gaz naturel liquéfié et du pétrole dans le Nord. La communauté internationale ne parvient pas à comprendre pourquoi le Canada ne réussit pas à régler cette question.
Vous pouvez faire des hypothèses sur les raisons de cette incapacité, mais je crois que la difficulté fondamentale est de reconnaître que l’exploitation par les Premières Nations de leurs droits et de leurs titres ancestraux générerait des richesses. Sommes-nous vraiment prêts à accepter de considérer les Premières Nations comme un élément de notre économie en évolution? Je crois que c’est une condition sine qua non et que le gouvernement du Canada et ceux des provinces doivent prendre les devants, parce que les contraintes imposées par les articles 91.24 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 sont de votre fait et non pas du nôtre. Les Premières Nations doivent donc participer au débat et contribuer à l’élaboration de la solution.
Si nous y parvenons, la communauté internationale ne sera alors pas confrontée aux risques allant de pair avec les questions en suspens. Le principal défi auquel nous allons devoir faire face aujourd’hui est que nous ne sommes pas le seul endroit dans le monde qui dispose de ressources. Si nous voulons faire partie de cette évolution, nous devons non seulement le faire de façon responsable, mais également de façon opportune, en mettant en place les conditions permettant d’abaisser le niveau perçu des risques. Si nous y parvenons tout en agissant pour le bien de notre économie, nous nous donnerons la possibilité de venir en aide au Canada, à nous-mêmes et à la communauté internationale.
Il faut toutefois commencer par le sommet. Le Canada doit d’abord reconnaître que nous avons des droits. Cela fait, il faudra décider si, à chaque fois que la Cour suprême du Canada rend une décision, nous allons obliger les parties à retourner devant les tribunaux pour obtenir davantage de précisions. Pour moi, je crois que la Cour suprême nous a déjà dit d’entamer des négociations et de tirer les choses au clair. Nous n’avons pas l’air vraiment prêts à suivre cette voie, et je crois que c’est là que les choses achoppent. C’est ce que ce comité, les gouvernements et les partis politiques de ce pays devraient s’attacher à faire.
Nous sommes en bien meilleure posture quand nous collaborons, comme l’a déjà rappelé la conseillère Gale, et nous avons nettement avantage à éliminer la perception du risque et à convenir que, dans les communautés des Premières Nations, il y a des manques de capacités à combler. Il s’agit aussi bien de lacunes en administration que de manques d’expérience, de moyens financiers et de capitaux.
Si nous parvenons à combler ces lacunes, nous viendrons alors en aide à cette économie canadienne. Elle a besoin de main-d’œuvre. Nous pouvons alimenter cette main-d’œuvre parce que notre population est celle qui enregistre la plus forte croissance. Si nous parvenons à combler ces lacunes, je crois qu’alors nous parviendrons à atteindre les résultats dont vous parlez. Dans le cas contraire, je crois que nous serons coincés dans ce processus avec le statu quo, que la perception des risques perdurera et que des possibilités ne se concrétiseront pas.
La présidente : Il nous reste quelques minutes et s’il vous reste des questions pressantes à poser, c’est le moment.
Le sénateur Tannas : J’en ai une très rapide à poser à M. Calla.
Vous avez évoqué les institutions qu’il faut développer et je sais que vous êtes quelqu’un de concret. Pourriez-vous nous fournir une liste des institutions qui, à votre avis, doivent être mises en place? Auriez-vous, par exemple, un beau tableau que vous pourriez nous remettre? Avez-vous déjà brossé un portrait de la façon dont les choses devraient se passer en vous disant : « C’est peut-être ainsi que tout cela devrait fonctionner! » Accepteriez-vous, si c’est le cas, de nous le remettre pour étayer nos recherches?
M. Calla : C’est curieux que vous nous posiez cette question parce que nous y travaillons actuellement.
Nous savons qu’il nous faut absolument une institution consacrée aux infrastructures. Nous savons qu’il nous faut des institutions calquées sur certaines de celles qui sont impliquées dans les développements importants de ressources. Nous savons qu’il nous faut des institutions permettant aux Premières Nations de disposer des moyens indispensables pour s’impliquer avec le gouvernement. Nous avons besoin d’une bureaucratie. C’est la réalité.
Maintenant, mes compétences ne me permettent pas d’en saisir toutes les répercussions, mais nous avons accès à un groupe de personnes qui peut nous aider à le faire. C’est le défi que ce gouvernement et la ministre Wilson-Raybould nous ont posé : « Dites-nous ce dont vous pensez avoir besoin, mais faites attention à ce que vous allez nous demander. » Nous nous trouvons actuellement dans une situation dans laquelle nombre d’entre nous commencent à réfléchir à toutes ces questions. Je n’ai rien que je puisse vous remettre aujourd’hui, mais je devrais l’avoir d’ici la fin du mois de mars.
La sénatrice Raine : Je suis allée sur le site web de la coalition, qui s’avère excellent pour obtenir plus de détails sur la gouvernance, la structure et la façon dont les nations s’y prennent pour collaborer. C’est un site très instructif. Je crois que nous devrions tous examiner attentivement son contenu lorsque nous progresserons dans nos travaux. Je vous remercie du travail que vous faites.
La présidente : Je tiens, au nom du comité, à remercier notre groupe de témoins aujourd’hui : M. Niilo Edwards, le chef Thomas, la conseillère Gale, le chef Blackwater et M. Calla. Vos témoignages de ce matin ont été remarquables.
Je crois que l’un des autres sujets que nous avons abordés, mais pas de façon aussi explicite, est que si le Canada et les Canadiens doivent reconnaître les droits des Premières Nations, ils doivent aussi admettre les dégâts causés dans les communautés des Premières Nations par les pensionnats indiens et par la Loi sur les Indiens. Je me dois aussi d’ajouter à cette liste les meurtres et les disparitions de nombre de nos femmes autochtones. Par conséquent, il y a des lacunes importantes, et nous voulons tous aller de l’avant ensemble à partir de ces constatations.
Aujourd’hui, vous avez réuni tous les éléments devant permettre la reconstruction de familles saines, de nos enfants et de nos femmes, qui vivent sur notre terre, et tous les éléments qui vont de pair pour créer des communautés saines visant non seulement l’amélioration de leur situation, mais également celle des municipalités environnantes. Je vous en remercie.
(La séance est levée.)