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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 53 - Témoignages du 30 avril 2019


OTTAWA, le mardi 30 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 8 h 2, pour étudier la teneur du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

[Traduction]

Mireille Aubé, greffière du comité : À titre de greffière du comité, il est de mon devoir de vous informer de l’absence inévitable de la présidente et du vice-président, et il m’incombe de diriger la nomination d’un président suppléant.

Je suis prête à recevoir une motion à cet égard. Y a-t-il des propositions?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je propose la candidature du sénateur Christmas.

Mme Aubé : Y a-t-il d’autres propositions?

Je propose que le sénateur Christmas occupe le fauteuil durant la présente réunion du comité.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Mme Aubé : Je déclare la motion adoptée.

Le sénateur Dan Christmas (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Je tiens à souhaiter la bienvenue aux sénateurs et membres du public qui regardent la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ici, dans la salle, à la télévision ou sur le Web.

Je tiens à souligner, par souci de réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées du peuple algonquin.

Je m’appelle Dan Christmas. Je viens de la Nouvelle-Écosse et j’ai le privilège de présider la réunion d’aujourd’hui.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude préalable du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Avant de commencer, j’invite mes collègues sénateurs à se présenter.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Patterson : Ulaakut. Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, de la région visée par le Traité no 10, au Manitoba.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

Le sénateur Francis : Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, de la région visée par le Traité no 6, en Alberta.

Le président suppléant : Je tiens à accueillir devant le comité ce matin l’honorable Elisapee Sheutiapik, ministre des Services à la famille et leader parlementaire du gouvernement de l’Assemblée législative du Nunavut.

Madame la ministre, je vous remercie beaucoup d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer.

Elisapee Sheutiapik, ministre des Services à la famille et leader parlementaire du gouvernement, gouvernement du Nunavut : Merci.

[Note de la rédaction : Mme Sheutiapik s’exprime dans sa langue autochtone.]

Bonjour. Je tiens pour commencer à dire bonjour à vous tous, à tous les gens d’Iqaluit, du Nunavut, qui nous regardent et, bien sûr, à mes homologues et collègues ministres de partout au Canada, parce que je sais qu’ils regardent aussi.

Je tiens à profiter de l’occasion pour rappeler que le gouvernement du Nunavut est favorable à une réforme significative permettant d’éliminer les problèmes systémiques auxquels les Inuits sont confrontés partout au Canada.

Comme nous le savons, les enfants inuits continuent d’afficher des taux plus élevés de pauvreté, de violence et d’insécurité alimentaire que les autres enfants du Canada. Cette inégalité sociale continue d’être un des facteurs principaux menant à la prise en charge des enfants inuits.

Le projet de loi C-92 constitue un pas dans la bonne direction afin d’éliminer la surreprésentation de tous les enfants autochtones pris en charge à l’échelle canadienne. Cependant, je suis ici aujourd’hui pour souligner les importantes préoccupations du gouvernement du Nunavut à l’égard du projet de loi tel qu’il est rédigé actuellement et de ses répercussions potentielles sur la loi et la prestation des services au Nunavut.

Avant que je ne présente mes préoccupations, il est important de comprendre la position unique du gouvernement du Nunavut au sein de la fédération. Le gouvernement du Nunavut est le seul gouvernement public où tous les ministres sont des Inuits. Dix-neuf des 21 membres de son assemblée législative sont des Inuits. C’est un gouvernement élu par les Inuits qui est au service des Inuits. De plus, aucun autre gouvernement public n’a autant d’obligations réglementaires à l’égard des intervenants autochtones que le gouvernement du Nunavut en vertu de l’Accord du Nunavut.

Le gouvernement du Nunavut est responsable de l’administration et de la prestation des services sociaux sur son territoire. Par conséquent, il a une expérience et des connaissances directes des difficultés auxquelles sont confrontés les enfants et les jeunes inuits pris en charge ainsi que des nombreux défis associés à la prestation de services dans les collectivités nordiques et éloignées.

Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d’avoir invité le gouvernement du Nunavut ici aujourd’hui et d’écouter nos préoccupations au sujet des répercussions qu’aura le projet de loi C-92 sur le Nunavut.

L’une de nos principales préoccupations, c’est que le projet de loi C-92 constitue un échec du gouvernement du Canada pour ce qui est de respecter ses obligations en vertu de l’article 32 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

En tant que signataire de l’Accord du Nunavut, le gouvernement du Canada doit permettre la participation significative des Inuits du Nunavut dans le cadre de l’élaboration de ses politiques et programmes sociaux et culturels. Il ne fait aucun doute que l’élaboration d’une législation sur les services à l’enfance et à la famille appartient à la catégorie des politiques et programmes sociaux et culturels.

Par conséquent, pour le gouvernement du Canada, un certain nombre d’intervenants autochtones ont participé aux premières étapes d’élaboration du projet de loi. Le gouvernement s’est beaucoup fié à la participation de l’Inuit Tapiriit Kanatami, appelé l’ITK, pour dissiper toutes les préoccupations au sujet de ses obligations de consultation des Inuits. L’ITK est une organisation de défense des droits pancanadienne qui représente les Inuits des Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut, du Québec et du Labrador.

Même si le gouvernement du Nunavut reconnaît le rôle important que joue et que continuera de jouer l’ITK, luttant pour la sécurité et le bien-être des enfants et des familles inuites, l’ITK n’est pas partie à l’Accord du Nunavut. Ce n’est pas un conseil, un gouvernement ou une entité quelconque qui est autorisée à agir au nom des Inuits du Nunavut. Je sais aussi que l’ITK n’est pas un fournisseur de services.

Le gouvernement du Nunavut a rappelé que le gouvernement du Canada doit nous consulter adéquatement dans le cadre de l’élaboration du projet de loi. En tant que principal fournisseur de services à l’enfance et à la famille, nous aurions pu communiquer les réalités de la prestation des services dans le Nord ainsi que les défis importants auxquels nous sommes confrontés au moment d’offrir nos services.

Si l’intention réelle du projet de loi C-92 est de permettre un changement de système, pour passer de l’appréhension à la prévention, en mettant l’accent sur les soins préventifs et le soutien pour les familles, il faut tenir compte de l’importante inégalité sociale dans le Nord et de la façon dont cette situation influe sur les familles et la prestation des services. Cela inclut s’attaquer à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, aux défis en matière de logement et à l’absence d’infrastructures dans le territoire pour soutenir les enfants et les jeunes qui ont des besoins élevés.

Cela m’amène à notre deuxième préoccupation liée au financement. Nous comprenons que le projet de loi vise à affirmer la compétence et appliquer les principes et les normes à l’échelle des provinces et des territoires. Nous comprenons aussi que l’intention du projet de loi est de faciliter un changement au sein du système, pour passer de l’appréhension à la prévention. De quelle façon pouvons-nous vraiment passer aux soins de prévention alors que les familles et les collectivités du Nunavut continuent d’être profondément touchées par la pauvreté, qui découle des torts historiques du gouvernement fédéral : les répercussions de la colonisation?

Parallèlement, de quelle façon pouvons-nous vraiment soutenir nos enfants et nos familles lorsque le Nunavut ne possède pas l’infrastructure sociale nécessaire pour fournir les services essentiels qui soutiennent le bien-être des familles. Par exemple, les enfants et les jeunes qui ont des besoins élevés continuent d’être envoyés à l’extérieur du territoire parce que nous n’avons pas l’infrastructure voulue pour les soutenir. Par conséquent, nous espérons que le libellé du projet de loi C-92 n’empêchera pas la tenue de discussions sur les besoins plus généraux des familles au Nunavut.

Il faut reconnaître que les soins préventifs au Nunavut ne se limitent pas seulement aux services à l’enfance et à la famille et qu’il faut aussi tenir compte de la crise du logement, de l’insécurité alimentaire et de l’absence d’infrastructures sociales dans notre territoire et s’engager à bien comprendre toutes ces choses.

J’aimerais me faire l’écho des préoccupations soulevées par Cindy Blackstock, durant sa comparution devant le Comité permanent au sujet du projet de loi C-92, concernant la définition étroite des « services à l’enfance et à la famille ». L’un des principaux défis que nous constatons au Nunavut est le manque de services de soutien pour les jeunes au terme de leur prise en charge. Il faudrait réfléchir à la façon dont le projet de loi peut renforcer la législation provinciale et territoriale actuelle afin de mieux soutenir les adultes qui quittent la prise en charge, un groupe que nous savons mal servi.

Une autre préoccupation est liée au fait que le projet de loi C-92 aurait pour effet de miner les travaux qu’on a entrepris pour préparer une législation propre au Nunavut. Le Canada a signé l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut avec les Inuits de la région du Nunavut en 1993. Il s’agit du plus important accord sur des revendications territoriales autochtones de l’histoire canadienne. L’un des objectifs de l’entente était d’encourager la résilience ainsi que le bien-être culturel et social des Inuits. La résilience a été atteinte en partie grâce à la création d’un gouvernement public en vertu de l’article 4 de l’Accord du Nunavut. Notre gouvernement établi par traité doit s’acquitter non seulement des mêmes activités quotidiennes que tous les autres gouvernements publics à l’échelle du Canada, mais il doit de plus maintenir les obligations fondamentales de l’Accord du Nunavut.

La Loi sur les services à l’enfance et à la famille du Nunavut a été importée des Territoires du Nord-Ouest en 1999. Depuis, la loi a été modifiée de façon importante grâce à la participation des Inuits du Nunavut. Le gouvernement du Nunavut doit, en vertu de l’article 32 de l’Accord du Nunavut, faire participer les Inuits du Nunavut dans le cadre de l’élaboration de ces modifications apportées à la loi. Le résultat a été un texte législatif qui maintient le bien-être social et culturel des Inuits tout en protégeant aussi nos enfants. Par exemple, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille du Nunavut exige d’utiliser des accords de service et de soutien avec les familles, les accords qui sont de nature préventive, et encourage les familles et les collectivités à trouver des façons de soutenir les enfants.

Selon le libellé actuel du projet de loi, lorsqu’il y a un conflit entre la Loi sur les services à l’enfance et à la famille du Nunavut et le projet de loi — même si le conflit découle du fait que les dispositions territoriales respectent ou dépassent ce qu’exige le projet de loi —, les dispositions de la loi du Nunavut seront remplacées par le projet de loi C-92. En effet, même si, dans le titre de l’article 4 du projet de loi, il est question de « normes minimales », le libellé de l’article 4 en tant que tel — une disposition qui a force exécutoire — n’en parle pas.

Je vais vous donner un exemple pour illustrer à quel point tout ça est problématique. Pensons au recours à des accords de planification des soins en vertu de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille. Ce sont des accords axés sur la collaboration entre les familles et le gouvernement qui visent à assurer la sécurité et le bien-être des enfants. Les dispositions de ces accords pourraient être en conflit avec la liste de priorités strictes en matière de placement du paragraphe 16(1) du projet de loi C-92. On pourrait faire valoir que l’approche axée sur la collaboration des accords de planification des soins est une bonne ou une meilleure méthode pour assurer l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, même si cette méthode respecte ou dépasse les normes minimales du projet de loi C-92, au bout du compte, les dispositions de placement du projet de loi C-92 pourraient l’emporter sur les accords de planification des soins prévus dans la Loi sur les services à l’enfance et à la famille.

Pour terminer, il est essentiel de souligner que le libellé du projet de loi C-92 est très général. Cela pourrait mener à une interprétation à même de rendre le projet de loi inapplicable au Nunavut. L’expression « corps dirigeant autochtone » est définie dans le projet de loi comme un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisée à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle.

Le gouvernement du Nunavut est autorisé, en vertu de l’Accord du Nunavut, à adopter des règlements administratifs et des politiques permettant d’assurer le respect des droits des Inuits et de promouvoir le bien-être social et culturel des Inuits. Toutes les mesures prises par le gouvernement du Nunavut visent à intégrer les qaujimajatuqangit inuits, les valeurs sociales fondamentales du peuple inuit.

Les dirigeants du gouvernement du Nunavut sont tous des Inuits. Ces dirigeants sont élus et sont comptables aux électeurs qui sont, en grande majorité, eux-mêmes des Inuits. En gardant ces faits à l’esprit, on pourrait très certainement faire valoir que le gouvernement du Nunavut est considéré comme un « corps dirigeant autochtone ».

Si c’est le cas, alors la Loi sur les services à l’enfance et à la famille peut représenter une loi adoptée par un corps dirigeant autochtone et, conformément à l’article 3 du projet de loi, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille l’emporterait en cas de conflit ou de contradiction avec le projet de loi, rendant essentiellement le projet de loi inapplicable au Nunavut.

Je tiens à conclure en rappelant que tous les gouvernements provinciaux et territoriaux, toutes les organisations autochtones et le gouvernement du Canada ont le même objectif : réduire le nombre d’enfants et de jeunes autochtones sous garde et améliorer les résultats de ceux qui ont été pris en charge.

Cependant, il faut bien faire les choses. Nous ne pouvons pas créer plus de problèmes en adoptant rapidement une loi au terme de consultations inadéquates. Les Inuits du Nunavut et plus précisément les enfants et les jeunes inuits du Nunavut méritent mieux que ça.

[Note de la rédaction : Mme Sheutiapik s’exprime dans sa langue autochtone.]

Je tiens à remercier le Sénat de m’avoir donné l’occasion de comparaître ici ce matin pour présenter un exposé. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président suppléant : Merci, madame Sheutiapik. Nous allons maintenant passer à la période de questions.

La sénatrice McPhedran : Merci de vous être déplacés jusqu’ici. C’est merveilleux de vous revoir.

Parmi les témoins présents que nous avons entendus, nous avons accueilli le grand chef de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Il a soulevé des préoccupations très graves au sujet du projet de loi. Cela a suscité une discussion, qui se poursuit toujours, et j’aimerais vous parler d’une solution possible. La sénatrice McCallum et moi avons travaillé avec l’Assemblée des chefs du Manitoba et leur protecteur de l’enfant pour essayer de définir certaines options qui pourraient être plus efficaces compte tenu de ce que le Manitoba a déjà fait.

L’une des choses que nous envisageons, c’est une disposition de retrait de la loi. L’idée est que cela permettrait aux provinces et territoires qui ont déjà mis en place des façons d’aider leurs enfants et qui estiment que la structure de ce projet de loi comporte des lacunes de continuer sur la bonne voie. Il devrait plutôt y avoir une option de retrait.

Je me demande si c’est une chose à laquelle votre gouvernement réfléchit?

Mme Sheutiapik : Pour être honnête avec vous, ce n’est pas une chose à laquelle nous avons pensé. Nous avons tout simplement examiné le projet de loi et la façon dont il entre en conflit avec nos lois.

Depuis que nous sommes devenus le Nunavut, nous avons modifié notre loi huit fois afin de mieux refléter la réalité de notre territoire. Nous tentons de retrouver des façons de présenter les choses... Tout simplement appliquer la loi au Nunavut ne règle pas le problème. Par exemple, l’âge où la prise en charge se termine, selon le projet de loi, c’est 18 ans, tandis que, pour nous, c’est 26 ans.

Je crois que c’est aussi très important de fournir un exemple. Malheureusement, ici, en Ontario, il n’y a pas si longtemps, nous avons connu une situation très médiatisée dans le cadre de laquelle un jeune adulte pris en charge a assassiné une bibliothécaire. C’est un exemple concret de la façon dont notre loi nous permet de procéder à la transition à 26 ans. La personne était en Ontario, alors il y a eu conflit, et nous tentons de tendre la main.

Ce sont de réels défis. C’est la raison pour laquelle nous avons beaucoup parlé de ce projet de loi en raison du fait que nous estimions que nous n’avions pas été consultés comme il le fallait afin de pouvoir expliquer en quoi tout ça entre en conflit avec notre loi.

La sénatrice McPhedran : Si vous me le permettez, j’ai une question complémentaire.

Nous sommes dans la capitale du Canada, là où siège le gouvernement national canadien, et c’est aussi l’endroit où il y a le plus d’Inuits à l’extérieur du territoire, voire l’endroit où il y en a le plus. Selon moi, il manque de services adéquats pour soutenir bon nombre des Inuits qui vivent à Ottawa.

En ce qui a trait au fait que la prise en charge se termine dans votre cas à 26 ans, y a-t-il des services qui peuvent aussi être offerts à l’extérieur du territoire, par exemple, dans un endroit où il y a une forte concentration de jeunes Inuits, que ce soit à Ottawa, à Montréal ou à d’autres endroits, ou est-ce que les services se limitent aux limites géographiques du territoire?

Mme Sheutiapik : Vendredi et hier, j’ai visité nos jeunes et nos adultes pris en charge en Ontario, à Ottawa. Les dispositions sont là. Nous essayons de travailler avec les fournisseurs de services.

Malheureusement, comme je l’ai dit, trop souvent, nous mettons fin à la prise en charge des enfants parce que nous n’avons pas les installations ou les capacités pour fournir le soutien. Nous faisons de notre mieux pour les aider ici, à Ottawa. Ce n’est pas seulement l’Ontario; il y a d’autres provinces qui offrent ce service pour nous.

La sénatrice McPhedran : Je veux être sûre de comprendre : les services que vous venez de décrire sont des services financés par le gouvernement du Nunavut, mais ils sont fournis à des Inuits qui vivent à l’extérieur du territoire?

Mme Sheutiapik : Oui. D’après ce que j’ai compris, le service fourni à l’échelon provincial est peut-être déjà offert à pleine capacité. Nous devons trouver une façon d’offrir ce service à forfait.

La sénatrice McPhedran : Merci.

Le sénateur Patterson : Je tiens à remercier la témoin, qui, elle-même, possède une grande expérience des enjeux de droit de la famille et aussi des enjeux liés aux femmes et aux enfants.

Madame la ministre, merci de nous avoir expliqué si clairement la situation unique du gouvernement du Nunavut découlant de l’article 4 de l’Accord sur les revendications territoriales. Essentiellement, nous avons là un gouvernement inuit et une ministre inuite, un premier ministre inuit qui ont élaboré minutieusement, en collaboration avec les Inuits du Nunavut, comme l’exige l’article 32 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, une loi sur les services à l’enfance et à la famille créée par le Nunavut et pour le Nunavut dont la prestation est aussi assurée par des Inuits. Puis là, il y a le gouvernement fédéral qui, peut-être après avoir consulté les provinces, a créé un projet de loi qui permettra aux organisations autochtones de s’acquitter des fonctions de protection de l’enfance des gouvernements provinciaux qui n’ont pas toujours fait du bon travail.

Ce n’est pas le cas au Nunavut. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème, mais, au Nunavut, les Inuits relèvent le défi difficile de prendre soin de leurs propres enfants. Je crois qu’ils font le meilleur travail possible vu les problèmes sociaux au Nunavut, y compris la forte pénurie de logements, qui est un problème au sujet duquel le gouvernement fédéral n’a rien fait.

Monsieur le président, pardonnez-moi ce long préambule. Je crois qu’il est important que le comité ait bien en tête la situation unique du Nunavut.

Le problème, c’est que le projet de loi n’en tient pas compte, particulièrement à l’article 4, madame la ministre. Je crois savoir, à la suite d’une réunion avec vous et vos fonctionnaires, que vous craignez que l’article 4 de la loi ne crée un conflit lorsqu’une loi ou un règlement provincial ou territorial peut, en effet, respecter ou dépasser les normes minimales établies dans le projet de loi.

Je crois aussi savoir que vous recommandez de modifier l’article 4 de façon à reconnaître que, dans votre cas, le gouvernement territorial peut avoir adopté une norme en matière de protection de l’enfance qui dépasse les normes minimales établies dans le projet de loi. Dois-je comprendre que vous voulez qu’on modifie l’article 4 afin de tenir compte de ce potentiel et de permettre à la loi du gouvernement du Nunavut d’être maintenue même si elle s’oppose à la loi fédérale?

Mme Sheutiapik : C’est exact. Je dois dire, lorsqu’il est question de tous les défis auxquels nous sommes confrontés au Nunavut... Je reviens de Saskatoon où s’est tenue notre réunion des ministres fédéral et territoriaux. C’est la première fois en deux ans que je peux dire, en tant que ministre, que nous sommes en avance par rapport au gouvernement fédéral pour ce qui est de notre loi sur les services à l’enfance et à la famille.

Le sénateur Patterson : Puis-je aussi vous poser une question au sujet du libellé du paragraphe 21(1) du projet de loi, qui précise que les lois autochtones ont force exécutoire comme la loi fédérale. Je crois savoir que, pour votre gouvernement, cela crée beaucoup de confusion, parce qu’on ne sait pas exactement si le gouvernement du Canada veut que les lois autochtones puissent l’emporter sur les lois du Nunavut grâce au projet de loi. Ai-je bien compris que votre gouvernement et votre ministère de la Justice sont préoccupés quant au fait que l’intention du libellé du projet de loi C-92 pourrait être précisée pour reconnaître le droit du gouvernement du Nunavut de légiférer dans des dossiers de cette nature au Nunavut conformément à la Loi du Nunavut et à l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut? Il y a là une confusion qu’il faut préciser. C’est exact?

Mme Sheutiapik : C’est exact.

Le sénateur Patterson : Pour terminer, je tiens à vous remercier, madame la ministre, d’avoir précisé que l’ITK — organisation qui est bien connue à Ottawa parce que c’est très facile pour les ministres fédéraux de traverser la rue et de consulter les représentants de l’ITK —, eh bien, que l’ITK n’est pas un organisme assurant la prestation de programmes et de services. C’est une organisation de défense des droits. Ce n’est pas une entité désignée que le gouvernement fédéral doit consulter lorsqu’il adopte des lois relativement au Nunavut. L’article 32 précise que ce doit être le Nunavut Tunngavik, pas l’ITK. Dois-je comprendre, madame la ministre, que votre gouvernement veut préciser que les consultations avec l’ITK n’étaient pas des consultations réalisées auprès des Inuits du Nunavut, comme l’exige l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut?

Mme Sheutiapik : C’est exact. L’anglais est ma deuxième langue, mais j’ai une assez bonne idée de ce en quoi consistent des consultations et, en tant que représentante du gouvernement territorial, je dois dire que nous n’avons pas été consultés de façon appropriée en tant que fournisseurs de services.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le sénateur Doyle : Merci d’être des nôtres. Je veux revenir sur la question de mon collègue. Votre ministère de la Justice a indiqué qu’il n’y a pas eu vraiment beaucoup de collaboration avec votre gouvernement dans le cadre de l’élaboration du projet de loi, lequel compte d’importantes lacunes juridiques ayant une incidence sur son applicabilité et la possibilité de le mettre en œuvre. Le gouvernement du Canada a présenté une première ébauche du projet de loi aux représentants de votre gouvernement dans le cadre d’un court processus d’information de deux jours. C’était la toute première fois que vous pouviez voir quoi que ce soit au sujet du projet de loi. C’était à la fin de janvier, et le gouvernement du Canada a indiqué à ce moment-là que le projet de loi devait être adopté avant les prochaines élections fédérales. Le travail devait être fait très rapidement.

Selon vous, s’agit-il d’une façon appropriée de présenter un projet de loi aussi important? Auriez-vous aimé avoir plus de temps pour travailler sur le projet de loi avec les vôtres et le gouvernement fédéral et être consultés de façon appropriée? Puis-je me permettre de vous poser une telle question? Aurais-je raison de dire que, en ce qui concerne le projet de loi, vous auriez probablement eu besoin d’un peu plus de temps pour en faire exactement ce que vous espériez?

Mme Sheutiapik : Bien sûr, parce que nous n’estimons pas avoir vraiment participé au processus. C’est crucial, parce qu’il y a des Inuits pris en charge dans notre territoire. Nous devons nous assurer que, au besoin, comme dans le cas du dernier incident dont j’ai parlé, eh bien, nous ne voulons pas que nos lois entrent en conflit avec les lois fédérales. Nous sommes ici pour nous assurer que les gens sont en sécurité. Malheureusement, le système a failli dans l’exemple que j’ai donné en raison du conflit entre notre compétence et celle d’une autre administration. J’aimerais avoir plus de temps pour déterminer la meilleure façon de mettre en œuvre ce projet de loi.

Le sénateur Doyle : Le peu de consultations qu’il y a eu n’étaient pas adéquates. Est-ce que certaines de ces préoccupations ont été adéquatement prises en considération dans la version finale du projet de loi?

Mme Sheutiapik : Si vous me permettez de dire les choses crûment, il s’agissait plus de séances d’information que de consultation.

Le sénateur Doyle : D’accord. Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, madame la ministre, de votre exposé. Je dois admettre que j’en sais un peu plus au sujet des services provinciaux à l’enfance, et très peu au sujet de la Loi sur le Nunavut. Si mes questions semblent trahir mon ignorance, je suis désolée.

En ce qui concerne le projet de loi, vous avez souvent parlé de l’article 4 sur les normes minimales. Je suis un peu confuse. L’article 5 va comme suit :

Sous réserve de l’article 4, la présente loi ne porte pas atteinte à la compétence législative de la Législature du Nunavut visée à l’article 23 de la Loi sur le Nunavut.

Je me demande si cette disposition ne dissipe pas vos préoccupations concernant le fait que les pouvoirs du Nunavut en vertu de la Loi sur le Nunavut ne seront pas touchés par la loi. Je vous ai entendue dire que le projet de loi pourrait très bien être inutile au Nunavut. Selon moi, il est plutôt là le problème : en raison de l’article 5, le pouvoir qu’a votre gouvernement de faire ce qu’il doit faire reste intact. Est-ce que je me trompe?

Mme Sheutiapik : C’est aussi parce que nous avons des Inuits pris en charge en Ontario. Vous n’avez pas le genre d’accord de service que nous avons au Nunavut. Le projet de loi ne le prévoit pas.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Oui. Je connais bien les problèmes que posent les relations interprovinciales lorsqu’il est question des services à l’enfance. Je viens de l’Alberta. Je sais très bien à quel point il est difficile de faire quoi que ce soit à l’échelon interprovincial. Je le comprends.

L’article 5 ne règle-t-il pas la question de votre capacité de faire le travail que vous devez faire dans votre propre territoire?

Mme Sheutiapik : Je vais rencontrer notre ministère de la Justice régulièrement pour procéder à une étude article par article. Malheureusement, je n’ai pas toute ma documentation liée à tous les enjeux que nous jugeons problématiques. Je pourrais assurément vous la faire parvenir.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Et votre exposé, allez-vous nous en fournir une copie?

Mme Sheutiapik : Je crois vous en avoir fourni une.

La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé. J’aimerais parler du préambule.

Le projet de loi porte que :

[...] le Parlement reconnaît les bouleversements subis par les femmes et les filles autochtones en lien avec les systèmes de services à l’enfance et à la famille et l’importance de les aider à surmonter les désavantages historiques auxquels elles sont confrontées.

Il faut comprendre que ce n’est pas un problème qui est récent. De nombreux gouvernements ont continuellement fait fi de la situation. Une partie du problème auquel nous sommes confrontés tient au fait que nous avons une occasion limitée de régler le problème, selon qui formera le prochain gouvernement, parce que certains gouvernements n’ont pas soutenu ces enjeux et n’y ont pas réfléchi sérieusement.

Lorsque je pense au besoin de surmonter les désavantages historiques, on pense aux compétences parentales et liées à la vie quotidienne que ces enfants n’ont pas acquises. Je compare tout cela à mon expérience en pensionnat, dont on sort sans vraiment connaître sa collectivité autant qu’on devrait la connaître parce qu’on en a été retiré de force.

Le projet de loi dit que c’est ce qu’on veut faire. Il est question des soins de prévention, de l’accent qui sera maintenant mis sur la prévention. Nous n’avons même pas tenu compte de l’histoire qui nous a menés à la situation actuelle, et nous voulons maintenant passer en mode prévention?

Lorsque j’ai lu les documents, hier, j’ai constaté qu’il y avait une seule mention des Inuits, et elle concernait l’ITK, toutes les consultations qui ont été menées. Là, là, on s’attend à ce que vous fournissiez des soins de prévention alors qu’une bonne partie des facteurs échappent au projet de loi. Je parle ici des déterminants sociaux de la santé que vous avez mentionnés.

C’est un grand défi pour les collectivités. Je crois que c’est impossible, mais nous devons faire quelque chose pour aller de l’avant.

Par où commencer? Quelle partie du projet de loi nous recommandez-vous d’examiner de façon à ce qu’on puisse dire que le processus fonctionnera si telle ou telle chose est réglée, et nous pourrons poursuivre à partir de là? Est-ce possible?

Mme Sheutiapik : Je crois bien. Tout le processus que nous entreprenons vise à ce que vous écoutiez les gens comme moi, qui voient des problèmes et des défis liés au libellé du projet de loi. Nous espérons que, grâce à ce processus, vous apprendrez quelles sont nos recommandations. Si ces changements sont apportés, je crois que c’est possible.

La sénatrice McCallum : Quelle serait la partie la plus cruciale?

Mme Sheutiapik : Il y a l’étude article par article que nous avons réalisée lorsque nous avons rencontré les responsables du ministère de la Justice. Nous allons assurément vous fournir le document par voie électronique.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le président suppléant : Merci, madame la ministre. Dans votre déclaration, vous avez mentionné la préoccupation de Cindy Blackstock au sujet de la définition pointue de « services à l’enfance et à la famille ». La définition inclut les services de prévention, les services d’intervention précoce et les services de protection des enfants. Vous avez mentionné dans votre déclaration qu’on ne tient pas compte de ceux qui quittent le système de protection de l’enfance.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces remarques et préciser de quelle façon vous élargiriez la définition de « services à l’enfance et à la famille » dans la loi?

Mme Sheutiapik : J’ai dit plus tôt que, malheureusement, il y a beaucoup trop d’enfants pris en charge. Actuellement, les enfants quittent le système de protection de l’enfance à 18 ans. Nous le comprenons. Certains des problèmes sont liés au fait qu’il n’y a pas assez de soutien pour ceux qui quittent le système. C’est la raison pour laquelle notre législation prévoit la fin des services à 26 ans, parce que nous en sommes conscients. Nous reconnaissons que les jeunes quittent le système de protection, mais nous voulons les soutenir afin qu’ils réussissent. C’est pour cette raison que nous avons fait passer l’âge à 26 ans.

Le président suppléant : Au sein de votre gouvernement, vous avez prolongé la prestation des services jusqu’à 26 ans. Pouvez-vous nous expliquer l’incidence que cela a eue sur les jeunes qui ont recours aux services de protection de l’enfance? Pouvez-vous nous décrire de quelle façon cette décision a influé sur les jeunes dans ces catégories?

Mme Sheutiapik : Je vais vous donner l’exemple d’un cas précis dont on m’a parlé. Un enfant, en fait, un jeune de 20 ans, quittait le système de protection de l’enfance et refusait tout soutien pour obtenir une aide au logement et un revenu, mais il a appris rapidement qu’on ne peut pas quitter le service de protection de l’enfance par soi-même sans emploi ni logement. Il est revenu. Nous avons signé un accord, même s’il avait refusé initialement. Grâce à notre travailleur social — parce que nous savions que c’était une possibilité —, nous avons signé un accord avec cette personne.

Le président suppléant : Merci. Voilà qui conclut toutes nos questions. Je tiens à vous remercier, madame la ministre Sheutiapik, d’avoir comparu aujourd’hui. Nous avons bien pris note de vos commentaires.

Pour ce qui est de notre prochain groupe de témoins, le Comité sénatorial des peuples autochtones est heureux d’accueillir le chef Paul Prosper, de la nation Paqtnkek Mi’kmaw, Jennifer Cox, avocate et responsable de projet, Enhanced Child Family Initiative de la Mi’kmaq Rights Initiative, et Paul Morris, avocat-conseil principal des Mi’kmaw Family and Children Services of Nova Scotia.

Merci de comparaître devant nous aujourd’hui. Nous allons commencer les déclarations préliminaires par celles du chef Prosper, suivi de Me Cox et de Me Morris.

Paul Prosper, chef, nation Paqtnkek Mi’kmaw : Merci.

[Note de la rédaction : Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.]

Mesdames et messieurs les membres du comité, c’est un honneur pour moi d’être ici sur le territoire traditionnel du peuple algonquin. Je suis le chef de la nation Paqtnkek Mi’kmaw. Je suis ici au nom de l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse, une institution de gouvernance des Micmacs de la Nouvelle-Écosse. Au cours des quatre dernières années, je me suis occupé du portefeuille de la justice de l’Assemblée et j’en suis venu à très bien connaître les enjeux liés à la protection de l’enfance du point de vue provincial.

Les Micmacs occupent en gros cinq provinces dans la région atlantique. Nous avons notre propre récit de la création. Nous avons des légendes qui parlent d’une époque où la glace a commencé à s’avancer sur la terre. Nous avons un gouvernement traditionnel, Santé Mawi’omi, le Grand conseil Mi’kmaq. Nous avons des droits, ancestraux et issus de traités. Nous avons des traités préalables à la Confédération qui ont été reconnus par les plus hauts tribunaux du pays.

Tout au long de notre histoire, depuis les proclamations sur le scalp jusqu’aux lois préalables et postérieures à la Confédération, y compris la Loi sur les Indiens, nous avons résisté, malgré les bonnes intentions défaillantes du gouvernement fédéral. Non seulement nous avons survécu, mais nous nous sommes épanouis.

Avant l’arrivée des Européens, nous existions en tant que nations indépendantes, régies par nos propres coutumes, valeurs et traditions. Les directives initiales de Nisgam ou Kisulkw, le Créateur, nous donnaient un fondement à partir duquel mener notre vie. Nous avons un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, et ce, indépendamment de toute reconnaissance législative. C’est enchâssé dans le cadre constitutionnel du pays, à l’article 35.

En ce qui a trait à notre position relativement au projet de loi C-92, nous soutenons le projet de loi dans la mesure où il reconnaît les droits inhérents des Autochtones en ce qui concerne les enfants, les familles et les collectivités. C’est malheureux que le projet de loi ne contienne aucune disposition importante liée au financement.

Nous aimerions vous faire part rapidement de notre expérience — nous tous, ici — quant à ce que nous avons entrepris en Nouvelle-Écosse en vous mettant en contexte. En 2014, la province de la Nouvelle-Écosse a tenté de modifier une loi qui avait environ 27 ans, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille. Telle qu’elle était appliquée au sein de la nation micmaque relativement aux enfants, il y avait pas mal de controverse liée aux enfants, et aux soins et à la protection des enfants, à l’interne. Cependant, nous avons décidé de mettre nos enfants au centre de nos préoccupations et de laisser nos différences de côté pour travailler en collaboration et créer une voie à suivre. Notre voie et notre approche incluaient une mesure provisoire qui consistait à apporter des amendements positifs à la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, mais aussi une approche à long terme visant à faire appliquer les lois micmaques à l’égard des enfants micmacs. Il s’agissait, et il s’agit toujours, d’une approche axée sur la collaboration qui faisait intervenir nos partenaires, la province de la Nouvelle-Écosse et de nombreux intervenants du système de justice néo-écossais. Le processus a mené à 25 modifications liées précisément aux Micmacs de la Nouvelle-Écosse, dans une loi, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, qui ne contenait précédemment aucune disposition liée au peuple micmac. Ces modifications ont été apportées en 2017.

Grâce à cette expérience, nous avons pu comprendre les avantages de ce changement. Nous savons qu’il y a moins de prise en charge et plus de jeunes qui bénéficient de soins structurés conformes aux traditions. Nous offrons du counseling familial en groupe, ce qu’on appelle Wikimanej Kikmanaq, qui prévoit une approche préventive avant la prise en charge des enfants en mettant l’accent sur une intervention précoce. Cette approche reflète les enseignements de nos aînés, selon lesquels il faut réparer les choses avant qu’elles brisent, comme quelqu’un l’a dit.

Les avantages dont nous avons bénéficié et que nous avons gagnés en Nouvelle-Écosse... Nous ne voulons pas que ce projet de loi fédéral vienne freiner notre élan.

Nous en avons assez de voir nos enfants, nos familles et nos collectivités déchirés par un système qui, franchement, ne fonctionne tout simplement pas. Au tout début, en Nouvelle-Écosse, j’étais souvent curieux et j’avais des discussions avec le ministre Bernard, qui était en poste à l’époque, quant à mon rôle de chef au sein de ma collectivité et, plus précisément, le rôle de la collectivité.

Nous nous sommes rendu compte qu’il y a des éléments de base dont nos enfants doivent bénéficier en ce qui a trait à l’identité, la culture, la langue, la tradition, l’esprit des gens et la nation. Cette idée de lien et d’appartenance est la pierre angulaire d’une collectivité saine.

Nous avons compris que les solutions à nos problèmes liés à la protection de l’enfance doivent venir de l’intérieur, où on doit mettre en place un certain environnement afin que le changement prenne racine. Les lois et les politiques provinciales ne reflètent souvent pas les réalités au sein de nos collectivités. L’autonomie gouvernementale offre un mécanisme et une façon de mettre en place des mesures traditionnelles et pratiques nous permettant de prendre soin de nos enfants et de nos familles.

Nous le savons grâce à certaines expériences que nous menons. Par exemple, en Nouvelle-Écosse, si on pense aux aînés et au fait de leur donner des cadeaux ou de l’argent pour leurs services, il faut obtenir une approbation provinciale, ce qui crée des formalités administratives et des pertes de temps.

En ce qui a trait aux soins structurés conformes aux traditions, il y a des dispositions prohibitives faisant en sorte que si une personne a commis une infraction au Code criminel au cours des cinq dernières années — et il pourrait s’agir d’une infraction mineure —, elle ne peut pas être prise en considération pour la prestation de tels soins.

C’est assurément quelque chose qu’il faut changer.

J’aimerais formuler quelques commentaires sur le financement et la transition. À la lumière de notre expérience en Nouvelle-Écosse, grâce aux modifications apportées à la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, on a constaté qu’une loi, seule, ne permet pas d’apporter de réels changements. Il faut adopter une approche coordonnée. Il faut de l’éducation, le renforcement des capacités, des structures de gouvernance, des infrastructures, un financement stable et une stratégie holistique en matière de justice.

En ce qui concerne les gens et les cultures autochtones, il y a une certaine sagesse et certains soins et nous avons certaines préoccupations. Évidemment, au fil du temps, nous avons acquis une certaine clairvoyance et prévoyance en tant que peuple et nation.

Tout au long de notre histoire, les nôtres ont bénéficié des instructions originales fournies par le Créateur, Kisulkw ou Niskam. C’est au cours de l’histoire que ces enseignements originaux ont été un peu compromis.

Selon ces enseignements, chaque vie humaine est importante, peu importe le rôle, le poste ou les accréditations de la personne. Tout cela découle de la naissance. Selon nous, c’est cela qui nous fournira une vision en vertu de laquelle nous commencerons à redéfinir ce que signifie être un humain dans le cadre de ce processus que nous réalisons au profit de nos collectivités et pour les générations à venir. Wela’lin.

Merci.

Jennifer Cox, avocate, responsable de projet, Enhanced Child Family Initiative, Mi’kmaq Rights Initiative : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci beaucoup de m’avoir invitée aujourd’hui. Je suis l’une des avocates micmaques de la Nouvelle-Écosse, et je possède une grande expérience dans le domaine des services à l’enfance et à la famille. Le point de vue que j’adopte aujourd’hui est celui d’une avocate qui, j’ai fait le calcul hier soir, pratique le droit depuis presque 24 ans, dont les 10 dernières années dans le domaine des services à l’enfance et à la famille. J’ai aussi beaucoup d’expérience relativement au processus dont le chef a parlé en ce qui concerne les modifications législatives qui ont été apportées en Nouvelle-Écosse. Je travaillais pour la Commission de l’aide juridique de la Nouvelle-Écosse à ce moment-là, et nous avons travaillé pour apporter ces changements.

Nous avons présenté un bref mémoire, mais il n’a pas été traduit à temps. Les sénateurs en ont une copie. Nous avons des suggestions précises relativement au projet de loi C-92. Les aspects techniques sont dans le mémoire. Je ne veux pas les lire mot à mot. J’aimerais cependant passer en revue certains des commentaires formulés dans le mémoire en tant que tel.

C’est important, pour commencer, que tout le monde comprenne que nous et les chefs n’avons pas coélaboré le projet de loi C-92. Il y a eu une séance de mobilisation dont j’ai eu vent à l’Île-du-Prince-Édouard, en octobre 2018. C’est tout. Nous n’avons pas eu l’occasion de participer à la coélaboration du projet de loi et nous ne sommes pas d’accord avec le fait qu’on décrive le processus ainsi.

Je crois aussi qu’il convient de souligner, comme le chef l’a dit, que nous sommes en faveur du projet de loi C-92, parce qu’il prévoit cette disposition sur la reconnaissance des droits. Nous sommes évidemment préoccupés par le fait qu’il n’y a pas de financement. Nos mémoires écrits à votre intention présentent quelques suggestions pour extraire le libellé du préambule et l’insérer dans le corps des articles 18 et 20 du projet de loi lui-même.

Comme le chef l’a aussi dit, je crois, vous devez également reconnaître que les changements positifs que nous avons observés en Nouvelle-Écosse ne sont pas le seul fait de la législation. Même si des changements qui ont été apportés à la loi ont un effet positif sur nos collectivités, ce n’est pas la seule législation qui a permis le changement. C’est le groupe de personnes qui travaillent maintenant ensemble. Nous nous sommes tous réunis en équipe. Me Morris, le chef Prosper et un certain nombre d’autres personnes, y compris Angelina Amaral, Heather McNeill et Philippa Pictou, une directrice de la santé, ont tous donné de leur temps pour travailler ensemble sur les modifications législatives, car nous ne disposions que de très peu de temps. Le gouvernement nous a donné moins de trois mois pour étudier le projet de loi qu’il déposait et apporter quelques suggestions.

À mesure que nous avons formé cette équipe, nous avons élaboré cette infrastructure et ce modèle de gouvernance qui était informel et se retrouvait sur un coin de notre bureau. Nous avons travaillé sur les modifications législatives, puis nous avons continué à examiner des changements à apporter à la politique, l’élaboration de Winimanej Kikmanaq, le modèle de conférences de concertation familiale que nous utilisons maintenant. Bien franchement, je crois que la province de la Nouvelle-Écosse commence maintenant à emprunter la mise en œuvre des arrangements en matière de soins structurés conformes aux traditions. On a récemment apporté quelques changements à la politique dans la province de la Nouvelle-Écosse, et ceux-ci sont maintenant financés. Nous avons beaucoup plus d’arrangements en matière de soins structurés conformes aux traditions. Je crois que, dans une certaine mesure, la province de la Nouvelle-Écosse embrasse maintenant la suggestion selon laquelle les soins structurés conformes aux traditions sont une bonne idée, pas seulement pour nos collectivités, mais pour les leurs aussi.

Je crois qu’il importe que vous compreniez que, même si la législation, les changements qui y ont été apportés et, assurément, la disposition sur la reconnaissance des droits dans le projet de loi C-92 comptent pour nous à mesure que nous faisons avancer la vision des chefs, nous devons également tenir compte du fait que des gens et des ressources sont nécessaires pour que nous puissions tous accomplir ces tâches. Nous ne pouvons pas faire des choses avec un seul texte de loi.

Il est très clair pour nous que le financement est le gros morceau qui manque au projet de loi C-92. Je garde à l’esprit que le Sénat a des limites relativement à ce qu’il peut prescrire concernant les dispositions sur le financement. Aux fins du compte rendu, c’est important que cela soit inclus.

Le mémoire que nous avons présenté a aussi été préparé selon un ordre de priorité. Il y a un certain nombre d’amendements suggérés. Le premier porte sur le financement. C’est notre principale priorité en matière d’amendements.

Le deuxième est l’enrichissement de la disposition sur la compétence. La disposition sur la compétence à l’article 18 ne fait pas mention de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous demandons que cela soit inséré.

Il importe aussi que vous compreniez que, quand nous examinons ce projet de loi, nous ne l’avons pas complètement passé au peigne fin. Nous n’avons pas eu le temps de le faire. Nous nous rendons bien compte qu’il pourrait se retrouver en perte de vitesse si nous nous empêtrons dans un trop grand nombre d’amendements. Nous avons abordé de façon stratégique les mémoires que nous vous présenterons à vous et à la Chambre des communes plus tard aujourd’hui.

L’alinéa 9(3)e) du projet de loi concerne essentiellement le principe de Jordan, mais mentionnons-le. Le principe de Jordan a été un énorme soulagement pour nos collectivités et a grandement changé les choses pour ce qui est de la mise sur pied de services, la capacité d’offrir des services de prévention et de placement. C’est une grosse affaire. On devrait le mentionner précisément, et pas juste y faire allusion. Cela devrait être mentionné expressément.

Dans la section qui porte sur l’intérêt de l’enfant, le paragraphe 10(3), nous proposons quelques suggestions par rapport à la première disposition; nous demandons également l’observation des normes juridiques et communautaires inhérentes aux Autochtones, en plus de la liste. Nous faisons de la place pour que cela soit inclus immédiatement, de sorte que les tribunaux et d’autres instances puissent réfléchir aux normes juridiques et communautaires touchant les Autochtones. C’est ce qui est frustrant lorsque vous pratiquez dans le domaine de la protection de l’enfance. On n’écoute pas les collectivités et le leadership dans le système. C’est important que nous en tenions compte.

Nous suggérons aussi qu’il soit fait mention de l’article 9 à l’article 10, pour que les principes de la continuité culturelle et de l’égalité réelle fassent l’objet d’un renvoi à l’article 10, l’article sur l’intérêt, parce que la disposition semble être une considération passablement importante dans le projet de loi. Si vous ne faites pas de renvois à ces articles, je crois que les principes n’ont pas autant de poids que l’intérêt de l’enfant.

Pour ce qui est de l’alinéa 10(3)g), la disposition sur la violence familiale, nous demandons qu’elle soit complètement éliminée. Quand vous travaillez dans le domaine de la protection de l’enfance, la violence familiale est habituellement considérée comme un motif de protection, une raison justifiant le retrait. Ce n’est habituellement pas quelque chose que vous voyez dans le contexte de l’intérêt de l’enfant. Comme je l’ai laissé entendre dans le mémoire, cela n’a pas sa place. Je crois que cette disposition pourrait créer de la confusion et accroître les appréhensions.

Nous avons suggéré que la définition de « fournisseur de soins » exclue les parents d’adoption dont l’unique lien avec un enfant autochtone est le placement en vue de la protection d’un enfant. Je crois que, par inadvertance, cette définition permet à des parents d’une famille d’accueil d’avoir qualité pour agir dans des procédures juridiques. Ce ne sera pas nécessairement utile au projet de loi.

Nous envisageons un examen triennal, et non pas quinquennal. Nous aimerions voir une certaine mention des tribunaux au chapitre de l’application, dans les articles 8 à 17, pour des affaires permanentes touchant la protection des enfants, de sorte que les tribunaux qui entendent habituellement des affaires sur la protection des enfants puissent continuer d’appliquer le projet de loi C-92. Nous chercherions aussi à insérer quelques dispositions qui permettraient peut-être à la Cour fédérale de jouer un rôle s’il y avait des enjeux liés à des aspects mécaniques — les accords de coordination ou d’autres éléments qui retardent la mise en œuvre du projet de loi.

À l’article 12, nous formulons des suggestions et proposons quelques dispositions, certains documents de la Nouvelle-Écosse. Je crois que c’est un bon exemple. Vous trouverez en annexe du mémoire — une fois que vous le verrez — l’avis qui est envoyé à nos collectivités ainsi que le document utilisé pour que les collectivités puissent y répondre. C’est un bon exemple d’élaboration conjointe. Nous avons travaillé avec la Nouvelle-Écosse et les tribunaux de la province pour élaborer ces formulaires. Je crois qu’ils pourraient être utiles si vous observez le paragraphe 12(2), parce que nous obtenons quelques renseignements dans ces documents. Je crois que cela témoigne aussi de l’intention qui sous-tend probablement l’article 12.

Enfin, nous envisageons quelques idées transitoires comme le commissaire à l’enfance des Premières Nations et un organisme de protection de l’enfance indépendant. Certaines infrastructures doivent être en place à l’échelon national pour nous aider dans le cadre de cette réforme. Nous ne pouvons pas juste changer la législation et nous attendre à ce que cela règle le problème.

Pour terminer, j’ai souligné dans le mémoire que nous avons mis sur YouTube une vidéo d’une conférence d’aînés qui s’est tenue en décembre 2018. Je vous ai fourni le lien. On explique un peu l’initiative sur laquelle nous travaillons, les espoirs et les rêves de nos collectivités et, assurément, qui sont les aînés et quelle est leur vision. Je crois qu’il serait utile pour vous de comprendre le travail que nous effectuons en ce moment en Nouvelle-Écosse, juste parce que je n’ai pas eu le temps d’en parler. C’étaient mes commentaires. Merci.

Le président suppléant : Merci, maître Cox. Je veux confirmer que nous avons reçu votre mémoire. Il est en cours de traduction. Il sera transmis à tous les membres du comité le plus tôt possible.

Je vais maintenant demander à Me Paul Morris de présenter ses commentaires.

Paul Morris, avocat-conseil principal, Mi’kmaw Family & Children Services of Nova Scotia : Merci, mesdames et messieurs.

J’ai été invité à venir vous parler de l’histoire de Mi’kmaw Family en Nouvelle-Écosse et de certains des progrès réalisés, tant avant la législation modifiée qu’après les changements qui se sont produits depuis que je fais partie de l’agence.

Je vais me présenter rapidement. Je m’occupe de litiges concernant la protection de l’enfance pour le ministère provincial des Services communautaires ainsi que pour Mi’kmaw Family depuis la fin des années 1990, et c’est devenu presque exclusivement ma pratique au cours des 15 dernières années. Il y a trois ans, j’ai été embauché pour travailler à temps plein à Mi’kmaw Family. Nous avons maintenant quatre avocats qui s’occupent de tout le travail juridique dans la province de la Nouvelle-Écosse, et qui œuvrent pour Mi’kmaw Family plutôt que comme avocats du secteur privé. Cela tient en partie à la stratégie globale de l’agence, qui est de ramener le plus grand nombre de ces choses sous un même toit.

L’agence a été créée au milieu des années 1980 dans le cadre d’un accord tripartite entre le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les 13 chefs. C’est une agence dont le conseil est formé des 13 chefs, ainsi que d’une représentante de la Nova Scotia Native Women’s Association.

Même s’il s’agit d’une agence distincte, elle exerce tout de même ses activités sous les auspices de la loi sur les services à l’enfance et à la famille, la Children and Family Services Act, de la Nouvelle-Écosse. Elle est tout de même régie par les politiques qui sont créées par la province de la Nouvelle-Écosse, plutôt que par un ensemble distinct de politiques. Par conséquent, même s’il s’agit d’une agence distincte qui fait tout le travail lié à la protection de l’enfance par rapport aux 13 Premières Nations qui se retrouvent géographiquement au sein de la Nouvelle-Écosse, elle n’est pas complètement autonome pour ce qui est de son approche à l’égard de la protection de l’enfance.

Je le mentionne juste pour souligner, assurément à titre d’avocat qui a agi pour le ministère des Services communautaires ainsi que pour Mi’kmaw Family and Children’s Services, que, même si elle exerce des activités en vertu des mêmes politiques, son fonctionnement est différent. Ce changement d’approche quant à la protection de l’enfance s’est certainement accentué au cours des 10 dernières années.

Quand j’ai commencé à travailler avec certains des autres avocats qui œuvraient dans ce domaine et auprès de Mi’kmaw Family, c’était une petite organisation, et les travailleurs avaient une charge de travail énorme par rapport à leurs homologues provinciaux. Je crois que, en soi, cela a mené à une approche à l’égard de la protection de l’enfance qui n’était peut-être pas toujours axée sur les options les moins intrusives qui étaient nécessaires; on se focalisait plutôt sur l’achèvement du travail le plus rapidement possible, afin de garder le rythme.

De plus, dans cette optique, je crois que beaucoup des politiques qui ont été appliquées l’ont été avec un regard moins critique. Quand j’ai commencé, de 75 à 80 p. 100 de mes dossiers probablement concernaient des enfants pris en charge ou placés sous garde temporairement. Pour les enfants, on cernait les préoccupations en matière de protection, l’agence intervenait et retirait les enfants, en essayant de remédier à la situation avant de les y remettre.

C’était avant la législation modifiée en Nouvelle-Écosse, dont a parlé aujourd’hui le chef, qui est entrée en vigueur le 1er mars 2017. Vers 2010 ou 2011 probablement, l’agence a réussi, grâce à une approche coopérative avec certains représentants de la province, à convaincre le gouvernement fédéral qu’elle était sous-financée. Je crois que c’est une des personnes de Mi’kmaw Family qui a fini par se retrouver à témoigner devant le Tribunal canadien des droits de la personne pour justifier ce qui avait été proposé. Nous avons réussi à obtenir plus de financement, à embaucher plus de travailleurs et, à ce moment-là, il semble qu’il y avait une meilleure capacité d’adopter une approche moins intrusive pour régler des questions.

La loi et les politiques provinciales n’ont pas changé. En tant que travailleur dans le domaine, je crois qu’il y a eu un changement au regard de l’orientation qui était fournie. Lorsque vous arrivez là-bas, prenez le temps de vous asseoir avec le membre de la famille. Si la mère ou le père n’est pas en mesure de s’occuper de l’enfant, prenez le temps de d’engager une discussion. Faites quelques appels téléphoniques, retrouvez des membres de la famille élargie.

Encore une fois, étant donné les politiques qui sont en place, on doit souvent effectuer des vérifications du relevé judiciaire, s’assurer qu’il n’y a pas d’antécédents en matière de protection de l’enfance et qu’ils n’ont pas de casier judiciaire.

Je crois que c’était durant les sept dernières années, pas juste les cinq dernières. Quand vous avez une heure ou deux pour effectuer ces vérifications, dès que quelque chose est signalé ou attire l’attention, les enfants sont placés sous garde plutôt qu’un travailleur continue de faire des appels, afin de retracer des membres de la famille.

Maintenant, il est très rare que l’on place un enfant sous garde, plutôt que de lui offrir des soins structurés conformes aux traditions ou de le placer sous surveillance auprès d’un certain membre de la famille élargie ou de la collectivité. Je dis cela uniquement, parce que je crois que cela revêt une certaine importance. La loi est une chose, mais l’interprétation qu’on en fait et les mesures que l’on prend sur le terrain ont probablement plus d’importance que la loi elle-même. Tant et aussi longtemps que la législation permet de faire avancer les choses, je crois que c’est une bonne chose de faire en sorte qu’une initiative entreprise en Nouvelle-Écosse puisse peut-être se concrétiser en loi pour les Micmacs. Nous avons également l’avantage d’avoir en place une agence qui incorpore les politiques.

Je sais que, par l’entremise de mon employeur, nous avons collaboré avec l’Assemblée des chefs de la Nouvelle-Écosse pour veiller à trouver le juste milieu entre assurer la sécurité des enfants et faire tout notre possible pour les garder auprès de leur famille et de leur collectivité.

Dans le cadre de ce processus, j’ai comptabilisé mes dossiers l’an dernier — je crois que c’était en mai — et parmi ceux de l’an dernier, 46 p. 100 représentaient des ordonnances relatives à la surveillance; 29 p. 100 concernaient des ordonnances relatives à la surveillance pour des soins structurés conformes aux traditions, ce qui veut dire que l’enfant avait été retiré des soins de sa mère ou de son père, mais placé auprès d’une autre famille ou d’un autre membre de la collectivité; 12 p. 100 étaient des prises en charge temporaires et des placements sous garde temporaires, où l’enfant avait été retiré des soins de sa mère ou de son père, mais parmi ces 12 p. 100, il y avait des placements auprès des membres de la famille. Pour une raison ou une autre, probablement pour des questions de financement, la famille a choisi cette voie même si l’enfant continuait d’être placé auprès d’une tante, d’un oncle ou d’une grand-mère.

Au total, 13 p. 100 des dossiers concernaient des placements dans une famille d’accueil qui ne faisait pas partie de la famille. Il s’agit presque d’un revirement total par rapport à il y a 20 ans, quand j’ai commencé, où l’on avait entre 75 et 80 p. 100 de prises en charge et de placements sous garde temporaires et 20 à 25 p. 100 d’ordonnances relatives à la surveillance; il s’agit presque d’un revirement total. Quatre-vingt-sept pour cent des dossiers qui étaient devant les tribunaux concernaient des enfants toujours placés dans une famille à diverses fins, pour faire l’objet de surveillance, de soins structurés conformes aux traditions ou d’une prise en charge et d’un placement sous garde temporaires.

Il convient aussi de parler du volet du financement. Je sais que j’ai dépassé mon temps de quelques minutes, mais l’avis donné aux membres de la bande est quelque chose qui faisait partie de la législation modifiée qui a été adoptée, en mars 2017. Il n’y a pas de financement ni de soutien fédéral connexe. C’est un amendement provincial. Chacune des Premières Nations interprète à sa façon ce que cela signifie. Certaines collectivités envoient devant le tribunal quelqu’un faisant office de représentant de la bande. D’autres collectivités ne le feront pas. Il n’y a pas de financement officiel des infrastructures, de sensibilisation, ces types d’éléments. Encore une fois, la loi est une chose, mais la fourniture de financement de sorte que le service réel puisse être offert à la collectivité est aussi extrêmement importante.

Pour terminer, je vais mentionner les placements dans des foyers fournissant des soins structurés conformes aux traditions. Cela faisait partie des amendements législatifs qui offrent cette possibilité de placements pour les enfants micmacs. Lorsque l’amendement a été adopté, il n’y avait pas de financement connexe. Une partie de l’objectif, lorsqu’on a cherché à obtenir ces amendements, visait à garantir une autre option à ce moment-là, si un enfant était placé auprès d’un membre de la famille élargie en vertu d’une ordonnance relative à la surveillance et qu’il n’y avait pas d’aide financière fournie par l’agence. Vous deviez encore dépendre de la bande ou d’autres sources pour obtenir de l’aide.

On espérait qu’il y aurait du financement. Il a fallu attendre environ un an et demi, mais il a fallu que la province mette en place un autre plan de financement d’aide aux familles pour les ordonnances relatives à la surveillance de tiers où, lorsque la famille obtenait un placement plutôt qu’une famille d’accueil, cela s’assortissait de fonds. Une fois que ces fonds étaient fournis, le gouvernement fédéral accordait une contrepartie équivalente. Nous sommes encore dans cette situation où on examine... La province le fait-elle? Si elle le fait, les fonds sont versés. Si elle ne le fait pas, c’est une négociation beaucoup plus difficile pour ce qui est de mettre des services en place.

Nous disposons de choses que la province n’a pas en ce qui concerne des services de prévention, des cas où nous avons réussi à négocier et à obtenir des fonds. Encore une fois, l’aspect législatif est une chose, puis les politiques réelles et le financement qui en découlent seront l’élément plus important pour ce qui est d’apporter un changement réel.

Merci. Voilà ce que je souhaitais vous dire.

Le président suppléant : Merci beaucoup à vous trois. J’aimerais passer à la période de questions.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup d’être venue nous rencontrer en chair et en os. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je suis frappée par le commentaire que vous avez formulé, maître Cox, au sujet de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et du fait que vous aimeriez qu’elle soit insérée dans le corps du projet de loi. Pourrais-je vous demander ceci : qu’est-ce qui n’est pas suffisant dans le fait que le préambule renvoie à la déclaration? Pourriez-vous nous aider à comprendre un peu plus votre raisonnement concernant une insertion précise dans le projet de loi séparément du renvoi fait dans le préambule à l’application de la déclaration?

Mme Cox : Bien sûr. J’aimerais voir l’insertion à l’article 18. Si nous jetons un coup d’œil au paragraphe 18(1), tout juste après le renvoi à la Loi constitutionnelle de 1982, nous demandons d’inclure : « et la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones ». Du point de vue juridique, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones représente pour nous une assise juridique plus forte que la Loi constitutionnelle.

C’est juste un renforcement et une reconnaissance. Comme vous le savez, nous recommandons depuis un certain temps la reconnaissance de la déclaration des Nations Unies.

La sénatrice McPhedran : J’ai une question supplémentaire. Vous connaissez bien le projet de loi C-262 qui a été présenté par Romeo Saganash et qui est parrainé au Sénat par le sénateur Sinclair.

Vous connaissez peut-être aussi la réalité malheureuse, où des retards tactiques partisans ont fait en sorte qu’il est jusqu’ici impossible pour nous de faire notre travail, soit étudier à fond le projet de loi C-262.

Sur une note plus optimiste, je vais poser une question hypothétique. Advenant que, avant l’ajournement du Parlement en vue des élections, le projet de loi C-262 soit bel et bien adopté au Canada, croyez-vous qu’il viendrait régler votre préoccupation? Souhaitez-vous tout de même voir un renvoi précis à l’article 18?

Mme Cox : En tant qu’avocate et en tant que personne qui travaille dans le système, je crois que, quand vous faites preuve de clarté dans le document sur lequel vous travaillez, alors les règles sont claires.

Cela ne règle pas nécessairement le problème. Si le projet de loi C-262 est adopté, les choses seraient un peu facilitées pour nous. Il n’y a pas de raison pour laquelle on ne devrait pas mentionner la déclaration dans le projet de loi C-92, parce que nous parlons d’une compétence inhérente.

Il n’y a pas de raison qui justifie que l’on ne soit pas clair lorsqu’on rédige un document. Ce n’est pas utile de ne pas inclure le plus de détails possible.

La sénatrice McPhedran : Merci. C’est vraiment utile.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Tout d’abord, je tiens à vous remercier, chef Prosper, de votre exposé et d’avoir rappelé que la capacité d’élever nos enfants est la pierre angulaire de notre humanité. C’était une affirmation très puissante.

Vous avez aussi fait allusion aux conférences de concertation familiale. Dans ma vie antérieure, j’ai participé à la formation d’animateurs de conférences de concertation familiale comme pratique restauratrice. À mon agence, nous appelions cela [la sénatrice s’exprime dans une langue autochtone], un mot en cri, [la sénatrice s’exprime dans une langue autochtone], un processus de réconciliation familiale. Merci de l’avoir soulevé.

Maître Morris, je vous remercie de l’information pratique concernant le travail au quotidien sur le terrain et son importance. En Alberta, il est beaucoup question de ralentir ce processus d’arrestation, de ne pas prendre de décisions hâtives, d’y réfléchir, d’en parler et d’essayer de placer les enfants au sein de leur propre famille. Les statistiques que vous avez citées sont incroyables : 87 p. 100 des enfants sont placés au sein de leur propre famille. Je salue cela. C’est important.

Ma question s’adresse à Me Cox. Je crois que les amendements que vous avez proposés sont mesurés et raisonnables. J’aimerais vous parler un peu plus de la qualité pour agir. C’était une question que j’ai vue dans le document. Tout particulièrement en Alberta, les parents adoptifs qui ne sont pas des Autochtones n’ont actuellement aucune capacité pour agir. Selon la façon dont se présente la législation, elle élèverait les parents adoptifs qui ne sont pas des Autochtones au rang de personnes ayant capacité pour agir dans le cadre du processus judiciaire. Pourriez-vous expliquer cela un peu plus?

Mme Cox : Il ne fait aucun doute — et je crois que Me Morris et moi-même pourrions en parler de manière équivalente — qu’il n’est pas clair que les parents adoptifs qui ne sont pas des Autochtones ne pourraient pas avoir de capacité pour agir. La définition du fournisseur de soins n’exclut pas ce groupe de personnes. Elles pourraient avoir qualité pour agir au sein d’une procédure. Les gens doivent comprendre que, plus vous avez besoin de temps en cour, parce que la voix de tout le monde doit être entendue, plus le délai est long pour les enfants placés. Bien qu’ils soient animés de bonnes intentions, les parents adoptifs non autochtones peuvent parfois, bien franchement, dire des choses inappropriées sur le plan culturel dans certaines des observations qu’ils formulent et ne pas être renseignés sur les traumatismes. Cela peut occasionner des retards. Dans la province du Manitoba, puisqu’ils ont cette capacité pour agir dans une procédure, nous pouvons apprendre de cet exemple que ce n’est pas une bonne idée de le faire.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Une autre des choses auxquelles j’ai réfléchi dans le projet de loi, c’est le cas des enfants qui sont actuellement sous garde et la nécessité d’une ordonnance d’accès légal. Si nous parlons vraiment de l’importance des liens familiaux, j’aimerais savoir ce que vous pensez du fait d’avoir quelque chose de plus officiel pour que les familles puissent avoir accès à une qualité juridique et dire : « J’aimerais avoir accès à mes enfants. » Nous avons, en Alberta, beaucoup de grand-parents par exemple, qui auraient aimé avoir la garde et n’ont pas été autorisés à l’obtenir pour les raisons dont vous avez parlé. Ils n’ont aucune façon d’accéder à leurs petits-enfants afin de passer du temps avec eux. Je me demande si nous ne pourrions pas insérer quelque chose concernant les ordonnances d’accès légal. Qu’en pensez-vous?

Mme Cox : Beaucoup d’aspects techniques entrent en jeu. En Nouvelle-Écosse, si le projet de loi C-92 est adopté, nous pourrions formuler nos propres lois et tenir compte de bon nombre de ces choses. En ce moment, nous sommes liés par la législation de la Nouvelle-Écosse, qui interdit le contact après une prise en charge permanente. Si vous êtes pris en charge de façon permanente par le ministre de la province de la Nouvelle-Écosse, les juges ne sont pas autorisés à rendre des ordonnances d’accès. Le seul moyen pour nous de le faire, c’est de nous occuper de plans sur les liens culturels qui permettent un échange entre les collectivités, ou bien nous examinerons le placement familial. Nous chercherons à communiquer avec l’agence, ou celle-ci approchera peut-être le membre de la famille. Peut-être que, durant la procédure initiale, la mère et le père ne désigneront pas de membre de la famille, mais nous avons maintenant un membre de la famille qui est intéressé par un placement. Nous chercherons à mettre fin à cette ordonnance et à placer l’enfant auprès du membre de la famille. Les Wikimanej Kikmanaq, les conférences de concertation familiale, sont un des outils que nous utilisons pour le faire. Cet outil nous sert à rassembler des gens afin qu’ils puissent établir le plan et parler des processus juridiques et de toutes ces choses. Il y a des options, mais elles ne se trouvent pas dans la législation. Nous devons contourner le système. À moins que le projet de loi C-92 soit adopté ou que nos lois autochtones soient reconnues par la province de la Nouvelle-Écosse, nous ne pourrions rien faire qui nous autoriserait à avoir une ordonnance d’accès légal particulière. Nous devons contourner cela.

M. Morris : L’autre élément, en Nouvelle-Écosse assurément, si un membre de la famille élargie se présente devant les tribunaux, il a le droit de comparaître devant le tribunal et de ne pas être exclu du processus. D’après mon expérience en Nouvelle-Écosse, ce n’est certainement pas un problème. La seule fois que cela devient vraiment un problème, c’est si l’agence n’est pas d’accord avec ce placement dans la famille élargie. Elle devrait donc présenter une demande de capacité pour agir afin de participer aux procédures à ce moment-là. Ce n’est pas dans la loi, mais en pratique, les juges sont beaucoup plus ouverts à la famille élargie et, dans certaines de mes procédures, à des membres de la collectivité qui sont invités par les parents.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

Le président suppléant : J’aimerais prendre un moment pour souligner la présence des enseignants et des élèves de l’école secondaire du district de Centre Wellington, située à Fergus, en Ontario, la ville natale de notre collègue, Rob Black. Les élèves étudient les peuples autochtones au Canada, et l’objet du voyage est d’en apprendre davantage au sujet des Premières Nations, des Métis et des Inuits au Canada, ainsi que du système parlementaire canadien. Bienvenue au Comité sénatorial des peuples autochtones.

La sénatrice Coyle : Merci de ces exposés vraiment utiles, ce matin. Chef Prosper, mon voisin, maître Cox et maître Morris. C’était un exposé vraiment bien ficelé. Je crois qu’il a été très utile pour nous tous. J’ai jugé important d’entendre parler des progrès qui ont été réalisés en Nouvelle-Écosse, en ce qui concerne tant les répercussions concrètes des changements qui ont été apportés que les processus mis en place qui vous ont aidés à vous rendre là où vous vous situez maintenant avec la loi en Nouvelle-Écosse, mais également de la façon dont les services à l’enfance et à la famille sont pratiqués de manière collaborative. J’en suis très heureuse. J’aurais souhaité que nous ayons sous les yeux votre exposé écrit, maître Cox, parce que je suis impatiente d’examiner les menus détails.

Chef Prosper, je crois que je vous ai entendu dire que vous appuyez le projet de loi C-92. On nous a dit que personne ici ne va prétendre qu’il a été élaboré de manière collaborative. Nous comprenons cela, et c’est une lacune. Nous espérons que ce qui suivra sera élaboré en collaboration. Je crois que c’est ce que nous vous entendons dire et que c’est quelque chose par rapport à quoi nous pouvons présenter des recommandations. On nous dit que la législation est une chose, mais que le financement est vraiment essentiel. L’éducation, le renforcement des capacités, la gouvernance, les diverses choses qui doivent se produire par la suite sont très importantes.

Une chose que vous avez dite, chef Prosper, m’a vraiment frappée. Vous ne voulez pas que le projet de loi interrompe les progrès qui ont été réalisés. J’ai deux questions, et la première porte sur ce sujet. Regardons les deux côtés de la médaille. Quelle est la préoccupation? Qu’y a-t-il dans ce projet de loi qui pourrait, à votre avis, interrompre les projets fructueux que nous constatons en Nouvelle-Écosse? Par ailleurs, comment ce projet de loi faciliterait-il, de façon positive, la poursuite des progrès d’une manière qui ne serait peut-être pas possible sans lui? Je suis curieuse de connaître votre point de vue.

M. Prosper : Essentiellement, quand j’ai dit que le projet de loi n’avait pas entravé les progrès que nous avons réalisés en Nouvelle-Écosse, il y a eu toute une histoire avec la province. Je dois avouer que le ministère des Services communautaires, du ministre jusqu’au bas de la hiérarchie, a été très coopératif et a cherché à collaborer avec les Micmacs de la Nouvelle-Écosse. C’est une attitude et un esprit qui auront permis la réalisation de ces progrès. En ce qui concerne la façon dont le projet de loi pourrait entraver certains des progrès, comme je l’ai mentionné plus tôt, et je crois que Me Morris est peut-être mieux placé que moi pour répondre à cette question. Par exemple, il pourrait y avoir certains problèmes relativement à l’avis. Nous avons un avis selon lequel chacune des bandes doit faire adopter les amendements de la Children and Family Services Act. C’est un des 25 amendements, mais tout cela n’est pas clair. Je crois — et je me tourne vers Me Morris à ce sujet — que les dispositions sur l’avis qui figurent dans la loi provinciale... Je crois que le projet de loi offre une certaine incertitude quant à leur application.

De façon plus générale, pour ce qui est des aspects habilitants du projet de loi, je crois qu’ils sont les bienvenus. Je crois que le projet de loi procure un type de contribution nécessaire au dialogue sur le droit inhérent des Micmacs et des Autochtones envers les enfants, les familles et les jeunes. Ce projet de loi peut certainement y contribuer.

Nous recherchons une approche coordonnée. Nous avons fait des gains à l’échelle de la province que nous nous efforçons de mettre en œuvre. Voici le fond de l’affaire : la législation est dans tout. Nous avons besoin de cette capacité et de ce soutien pour mettre en œuvre ces changements, particulièrement à l’échelon communautaire. Le projet de loi appuierait nos gains faits dans la province.

Je vais peut-être me tourner vers Me Morris ou Me Cox pour ce qui est des dispositions sur l’avis et la façon dont tout ça est interrelié.

M. Morris : Lorsque nous lisons le projet de loi C-92, une des choses qu’a effleurées dans son exposé Me Cox, je crois, figure à l’article 12. Il semble limiter le nombre de renseignements identifiables qui peuvent être fournis au moment d’aviser la bande de la participation.

Un des objectifs liés à l’adoption de cet amendement dans la Children and Family Services Act pour la Nouvelle-Écosse était de faire en sorte que la bande ait une possibilité, particulièrement en cas de problème de logement — une pénurie de logements, un logement inapproprié ou le piètre état du logement — d’être avisée et de communiquer avec les parents pour intervenir et commencer à s’en occuper immédiatement afin de réduire les délais.

Cela dépend de ce que l’article 12 entend par « renseignement personnel ». Selon la lecture que vous en faites, on dirait presque que vous ne pouvez même pas identifier la personne. Peut-être que je l’ai mal lu, mais cela va limiter la quantité de renseignements qui peuvent être communiqués pour faire en sorte que la bande puisse intervenir et peut-être aider.

Un autre — et ce n’est pas un gain obtenu grâce aux amendements — tient à la mention des parents adoptifs qui satisfont peut-être à la définition de fournisseur de soins en vertu de la législation habilitante. D’après le libellé actuel de la loi de la Nouvelle-Écosse, les parents adoptifs ne sont pas des parties. Il est précisément dit qu’ils ne sont pas des parents adoptifs. C’est parce qu’ils sont des fournisseurs de soins temporaires, jusqu’à ce que la famille ait réglé ses problèmes et que les enfants soient retournés chez eux. La dernière chose dont le processus a besoin, c’est une autre partie qui se débat contre le retour des enfants chez eux une fois que ces préoccupations auront été dissipées. Leurs droits ont été créés comme résultat du retrait des enfants et de leur placement auprès d’eux dans le cadre d’un arrangement contractuel; il ne s’agit pas de liens familiaux ou communautaires. C’est une chose d’être un parent adoptif et qu’il s’agit d’un placement auprès de la parenté; c’est différent. C’est une des préoccupations : cela pourrait ouvrir cette porte. Selon ce que d’autres administrations nous ont dit, parfois, les parents adoptifs viennent à participer activement à ces procédures afin de faire valoir que les enfants ne devraient pas tout de suite retourner chez eux. Au final, le but des procédures est de remédier aux enjeux et d’assurer la transition des enfants qui retournent chez eux.

La sénatrice Coyle : Merci. Je serai très brève pour la prochaine question.

Chef Prosper, l’autre chose que je vous ai entendu dire — et tout le monde est invité à se prononcer — concerne les progrès qui ont été réalisés pour ce qui est de régler les choses avant qu’elles soient brisées, l’aspect d’intervention précoce, et cetera. Voyez-vous quelque chose dans le projet de loi — nous ne voyons pas encore de financement connexe —, un plus grand soutien possible dans ce domaine, pour que vous puissiez aider les familles et les enfants, comme vous l’avez dit? Nous voulons tous redéfinir ce que veut dire être humain, comme vous l’avez dit à la fin de votre exposé... Cette humanité est renforcée plus tôt au cours du processus. Croyez-vous que ce soit possible dans le cadre cette législation? Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui vous donne plus de latitude à cet égard?

M. Prosper : Un aîné d’Eskasoni qui s’appelle Tom Christmas a mentionné un mot micmac pour cette pratique traditionnelle qui consiste à régler ou à réparer des choses avant qu’elles ne brisent. Je ne l’ai pas oublié. Comme l’a mentionné plus tôt Me Cox, nous avons eu un rassemblement d’aînés, que vous trouverez sur YouTube, et le lien est fourni. Durant ces rassemblements, on vous informe de la façon dont le changement peut être apporté, de la façon dont il existe et dont il se produit au sein de la collectivité.

Quand je réfléchis à ce projet de loi et à des choses comme le counselling auprès de groupes familiaux qui est assurément intégré dans la législation provinciale, je crois que nous pouvons amener ça un peu plus loin et l’élever dans le cadre du projet de loi. Ce projet de loi peut agir comme mécanisme pour institutionnaliser nos pratiques, un moyen de rassembler des familles et de réparer des choses qui sont brisées ou sur le point de se briser. Je vois cela comme un avantage.

Mme Cox : Le projet de loi C-92 nous donne l’espace nécessaire pour élaborer nos propres lois et politiques, qui serviront ensuite à l’élaboration de techniques préventives. Je donne l’exemple des soins structurés conformes aux traditions. Nous voudrons toujours qu’ils existent, mais nous ne serons pas en mesure de dicter les politiques relativement à qui peut être un fournisseur de tels soins, la quantité de fonds que les familles devraient recevoir et à quel moment ceux-ci devraient être offerts. En ce moment, nous devons suivre le modèle provincial.

En reconnaissant le droit inhérent, le projet de loi C-92 nous donnera cet espace pour établir ces règles et élaborer ces outils préventifs. Nous les connaissons; nous n’avons juste pas été en mesure de faire quoi que ce soit avec eux.

Le sénateur Francis : Merci d’être venus. C’est une question qui s’adresse directement au groupe de témoins. Si on devait choisir entre ce projet de loi ou pas de projet de loi, en comprenant qu’un tel projet de loi pourrait ne pas revenir avant un certain temps, que conseilleriez-vous? Le gouvernement a dit qu’il était ouvert à quelques amendements, mais le temps presse.

M. Prosper : Je vais peut-être commencer. Nous nous rendons bien compte qu’aucun projet de loi n’est parfait. Je crois que je l’ai entendu dire dans des témoignages précédents que j’ai écoutés.

Il y aura toujours des problèmes d’adaptation. Selon ma compréhension des choses, c’est la première fois qu’une législation fédérale est étudiée au regard de la protection de l’enfance.

Les suggestions que nous avons proposées pour la législation sont stratégiques. Nous reconnaissons que, si on nous donne un ultimatum : choisir entre un projet de loi ou pas de projet de loi, nous sommes en faveur du projet de loi, sous réserve des mises en garde relativement au financement, à la transition et aux points que nous avons soulevés, car nous croyons qu’il fournit une base sur laquelle nous pouvons nous appuyer, certainement dans le contexte de la Nouvelle-Écosse. C’est ce que j’ajouterais.

Mme Cox : La question que vous posez serait mieux indiquée pour les dirigeants, plutôt que des gens comme moi, qui ont des points de vue techniques. Le message que nous avons reçu, c’est qu’il importe vraiment que nous reconnaissions les droits qu’offre le projet de loi C-92. Nous sommes assez heureux de cela. Nous aimerions aussi bien sûr recevoir un certain financement.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Je tiens à vous féliciter tous du travail acharné que vous avez accompli. De plus, votre province semble beaucoup plus avancée que d’autres provinces. Je crois que c’est surtout grâce au travail que le gouvernement provincial accompli à vos côtés. Je viens du Manitoba. Le gouvernement provincial ne travaille pas avec l’Assemblée des chefs du Manitoba. Il a vraiment beaucoup de mal à composer avec le projet de loi.

Les peuples autochtones ont dû être inventifs et contourner la législation pour aller de l’avant. C’est assurément ce que vous avez fait.

J’aimerais examiner vos progrès, voir vos statistiques et savoir comment elles ont changé maintenant que vous avez une nouvelle dynamique en place et que vous progressez. Combien y avait-il d’enfants sous garde auparavant et combien y en a-t-il aujourd’hui? Cela a-t-il diminué?

M. Morris : Leur nombre a certainement diminué. Je n’aurais pas les chiffres, car si je me reporte à il y a 20 ans, j’étais l’un des associés à mon cabinet. Je travaillais avec un avocat responsable de la protection de l’enfance. Je n’analysais pas ces données sous cet angle. C’est plus anecdotique; je le sais parce que la plupart des dossiers dans lesquels j’intervenais devant le tribunal à l’époque concernaient la garde provisoire. Je n’ai pas la date exacte, mais je sais que c’est au cours de ces 10 années, vers 2010. Je suppose que c’est à peu près à la même époque que celle où le financement a changé pour que l’on puisse s’assurer que les responsables disposaient de la main-d’œuvre adéquate pour faire le travail. C’est à ce moment-là que j’ai vu le changement, encore une fois, en tant qu’avocat, en ce qui concerne les directives que je recevais de l’agence lorsque nous allions au tribunal. On était plus centré sur la famille, moins envahissant.

Je m’en rappelle parce que je passais mon temps à poser des questions. En tant qu’avocat, je m’efforce de respecter les règles et les directives qui me sont données. Je demande pourquoi nous ne le faisons pas comme nous l’avons toujours fait. J’ai commencé à obtenir des explications. C’est là que le changement a eu lieu. Lorsque j’en ai parlé aux gens — j’ai présenté des exposés à divers endroits et je suis allé au Manitoba également —, cela fait partie de ce dont je parle. Ce qui semble être un changement lent, trop lent pour beaucoup de gens — quand j’ai commencé à regarder ces chiffres et certains des changements dans la façon dont l’agence abordait ces choses —, est un changement important que je n’ai pas vu se produire d’un jour à l’autre. Lorsque vous regardez où nous en étions il y a 15 ans et où nous en sommes maintenant... Le changement est énorme.

Je pense que cela change d’un travailleur à l’autre, d’un superviseur à l’autre, en ce qui concerne la façon de penser et, en tant qu’avocat au dossier, la façon dont je réfléchis et pose des questions à ces travailleurs, au fur et à mesure qu’ils arrivent. L’avocat n’a pas la responsabilité de faire du travail social. Comme le savent tous ceux qui ont rencontré un avocat, nous aimons poser des questions.

Mme Cox : Nous pouvons avoir, de part et d’autre, des avocats qui nous empoisonnent l’existence.

M. Morris : C’est l’ironie de la situation. Me Cox avait l’habitude de se trouver du côté opposé dans bon nombre de mes dossiers et elle était l’une de ces personnes qui ont commencé à faire pression sur l’agence il y a 10 ans. C’est l’une des situations dans lesquelles, si les avocats posent des questions, les juges posent des questions... En ma qualité d’avocat pour l’agence, je veux des réponses. Je ne veux pas comparaître devant un juge en disant : « Je ne sais pas pourquoi nous faisons ce que nous faisons. C’est ce que nous avons toujours fait. » Je veux expliquer pourquoi l’approche met l’accent sur les besoins de la famille et des enfants, sur la façon dont ils sont protégés et sur leur intérêt.

Vous ne pouvez pas protéger les enfants à 100 p. 100 contre tout, tout le temps. De nombreux travailleurs sociaux ont du mal à savoir quel est le juste risque de laisser les enfants dans des situations difficiles. C’est la question à un million de dollars. Je digresse. Je n’ai pas de statistiques.

La sénatrice McCallum : Cela m’amène à ma deuxième question. Au fait, je ne suis pas d’accord. Je pense que les avocats devraient être des travailleurs sociaux. Le monde serait un bien meilleur endroit. Merci pour ce changement. J’ai vécu la même chose lorsque je suis sortie de l’école de médecine dentaire et que j’ai constaté à quel point ma pensée était occidentalisée. Il m’a fallu de 10 à 15 ans pour me décoloniser, revenir à mon mode de communication spirituel traditionnel avec les patients.

Avec ce changement et quand nous examinons les soins préventifs, en particulier lorsque certains des déterminants incluent les déterminants sociaux de la santé, notamment le logement, la sécurité alimentaire, les pratiques parentales et les soins prénataux, ils ne relèvent pas de ce projet de loi. Aussi, beaucoup de choses dépendent de la guérison des membres de la communauté, pour qu’ils puissent récupérer leurs enfants. Comment vous y êtes-vous pris au cœur de tout cela?

M. Prosper : Je formulerai peut-être quelques commentaires connexes. Je pense que le comité comprend mieux comment nous avons abordé les problèmes avec le gouvernement et la relation qui existe, mais également à l’interne. Nous avons deux avocats qui sont généralement du côté opposé d’une question. Lorsque vous élargissez ce champ d’intervention pour inclure les acteurs communautaires, vous avez l’agence, l’association réunissant des femmes micmaques et les directeurs de la santé. Vous avez ici de très bons joueurs qui ont des idées bien arrêtées sur ce qui est dans l’intérêt des enfants, sur les pratiques actuelles, entre autres.

Certaines de nos discussions ont été assez dynamiques et fortes. Comme je l’ai déjà mentionné, nous avons pu placer nos enfants au cœur de la démarche, au centre. Il y avait cette reconnaissance : oui, nous sommes ici en tant que représentants de différentes entités et choses du genre, mais nous pouvons laisser certaines choses de côté dans l’intérêt de nos enfants. C’est ce genre de reconnaissance qui a semblé imprégner tout ce processus et qui a permis que cela se produise.

En ce qui concerne la guérison, j’y ai souvent pensé. Nous avons eu un cercle sur la violence familiale dans notre communauté. L’une des choses que j’ai comprises, l’une des choses qui ont été partagées, c’est que, lorsque la guérison survient, elle a presque un effet d’entraînement sur les familles, les communautés et éventuellement la nation. Dans divers aspects de cette initiative, on peut en quelque sorte faire l’expérience de ce qui se passe, le constater. Voilà ce que je pense, ce qui ne répond probablement pas tout à fait à votre question.

M. Morris : Si je peux ajouter quelque chose et revenir aux changements qui se sont produits, cela nécessite des actions extérieures à la dimension de la protection des enfants. L’une des raisons pour lesquelles nous avons commencé à être un peu plus motivés, c’est que les centres de santé des communautés ont commencé à recevoir des fonds afin d’offrir plus de services. À mesure qu’ils prenaient de l’essor, sur le plan de la prestation de services, l’agence a dû changer son approche; plutôt que d’aller consulter un conseiller dans cette ville là-bas, on a dit : « D’accord, vous pouvez aller voir un conseiller au centre de santé local. » Le service est devenu non seulement plus accessible, mais peut-être aussi moins embarrassant pour les parents, qui étaient donc plus disposés à accéder à ces services.

Les travailleurs ont eu beaucoup de mal à s’habituer au fait que nous n’allons pas recourir aux personnes auxquelles nous faisions appel habituellement. Nous allons commencer à travailler avec de nouvelles personnes. Les difficultés se sont estompées au point où, maintenant, ce n’est qu’un automatisme; si la famille veut voir quelqu’un au centre de santé, c’est un oui par opposition à une discussion : au début, il fallait discuter. Sans cet organisme, nous ne pourrions pas offrir ces services d’une façon plus adaptée à la culture. Nous n’aurions pas ces options.

Je pense qu’il est important que d’autres domaines se manifestent et s’efforcent de parvenir à cette croissance afin que l’on acquière cette capacité, avec l’infrastructure en arrière-plan, de fournir ce service à l’interne.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le président suppléant : Notre temps est écoulé, mais je ne peux m’empêcher de poser une question au chef Prosper. Dans vos observations, vous avez mentionné que l’une des raisons pour lesquelles vous avez appuyé le projet de loi C-92, c’est qu’il défend les droits inhérents des peuples autochtones.

Je pense que vous faisiez référence à l’alinéa 8a). Simplement pour votre information, je vais le lire :

La présente loi a pour objet :

a) d’affirmer les droits et la compétence des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille [...]

Chef Prosper, ce qui semble manquer à cette disposition, c’est le mot « inhérents ». Les mots « droits inhérents » figurent dans le préambule, mais pas dans cet alinéa en particulier. Seriez-vous en faveur de l’insertion du mot « inhérents » dans cet alinéa afin qu’il se lise de la façon suivante?

[...] d’affirmer les droits inhérents et la compétence des peuples autochtones [...]

J’espère entendre votre commentaire.

M. Prosper : Je suis d’accord avec l’inclusion de l’affirmation des droits inhérents des peuples autochtones et des Autochtones dans cet alinéa en particulier. Je pense que cela insuffle plus de vie dans la nature du droit, même si la nature de ce droit ne dépend pas de la reconnaissance législative.

Je pense que ce serait un changement positif à cet égard.

Le président suppléant : Merci, chef.

C’est tout le temps que nous avions. Merci beaucoup d’avoir comparu. Je suis d’accord avec les propos de la sénatrice McCallum : vos témoignages aujourd’hui étaient des plus convaincants.

Nous sommes maintenant prêts à recevoir le prochain groupe de témoins. J’aimerais vous souhaiter de nouveau la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pendant que nous poursuivons nos travaux sur l’étude préalable du projet de loi C-92. Le comité a le plaisir d’accueillir Richard Gray, gestionnaire, Services sociaux, de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. M. Gray est un frère micmac de Listuguj.

Nous accueillons Jason LeBlanc, directeur exécutif, de Tungasuvvingat Inuit, et Billie Schibler, chef de la direction, de la Métis Child and Family Services Authority.

Merci à tous de prendre le temps de comparaître devant nous ce matin.

Richard Gray, gestionnaire, Services sociaux, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador : Merci de votre invitation, mesdames et messieurs. Tout d’abord, je tiens à rendre hommage à nos frères et sœurs Anishnabe sur leur territoire traditionnel.

Ensuite, je transmets les regrets du chef régional Picard. Il ne pouvait pas être des nôtres aujourd’hui et vous transmet de nombreuses bénédictions.

[Note de la rédaction : M. Gray s’exprime dans sa langue autochtone.]

Toutes mes relations, mesdames et messieurs.

Je m’appelle Richard Gray, gestionnaire, Services sociaux, de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador.

Dans ma vie antérieure, j’ai été directeur des services sociaux dans ma communauté de Listuguj, où j’ai exercé les fonctions de directeur des services de protection pendant de nombreuses années. J’ai également eu le privilège et l’occasion de négocier un accord de délégation avec le gouvernement du Québec à cette époque, dans le cadre de la politique de services à l’enfance et à la famille qui inclut la Directive 20-1.

De même, je suis actuellement membre du groupe de travail sur la législation chargé de superviser le travail avec Services aux Autochtones Canada, SAC, sur ces mesures législatives, ainsi que membre remplaçant du Comité consultatif national pour l’APN, l’Assemblée des Premières Nations, et j’ai pour tâche d’examiner la mise en œuvre de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne, TCDP, avec toutes les parties.

Le présent mémoire expose le point de vue conjoint de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et de notre organisation, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador.

Ces deux organisations militent ensemble depuis longtemps pour que les services à l’enfance et à la famille au Québec soient exercés de manière à respecter les droits et la culture des enfants et pour qu’ils puissent ultimement relever de l’autorité même des Premières Nations. Ce mémoire présente brièvement nos organisations et expose le contexte institutionnel et législatif dans lequel évoluent les services à l’enfance et à la famille pour les Premières Nations au Québec. Je vais vous parler un peu du contexte québécois.

Il propose également quelques améliorations sur le plan législatif qui sont le fruit des nombreuses démarches menées par les Premières Nations auprès du gouvernement du Québec. On y commente aussi les gains supplémentaires qui pourraient être faits si le projet de loi C-92 est adopté.

Tout d’abord, voici une brève description de notre organisation. L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, L’APNQL, a été créée en 1985. Elle est le lieu de rencontres périodiques des chefs de 43 collectivités. Sa mission et ses objectifs sont l’affirmation et le respect des droits des Premières Nations, la reconnaissance des gouvernements des Premières Nations et une plus grande autonomie financière pour les gouvernements des Premières Nations. La Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador est un organisme à but non lucratif, et nous sommes responsables d’appuyer les efforts des communautés des Premières Nations au Québec pour, entre autres, planifier et offrir des programmes de santé et de services sociaux culturellement adaptés et préventifs.

Notre mission consiste à accompagner les Premières Nations au Québec dans l’atteinte de leurs objectifs en matière de santé, de mieux-être, de culture et d’autodétermination.

Voici le contexte des services à l’enfance et à la famille au Québec. Dans la province, nous comptons 15 agences de services à l’enfance et à la famille offrant des services de protection de la jeunesse à 19 communautés des Premières Nations par l’intermédiaire d’accords de délégation provinciaux. Ils disposent d’accords de financement conclus avec SAC. Nous avons également trois établissements provinciaux, anciennement appelés centres des jeunes et maintenant appelés Centres intégrés de santé et de services sociaux, qui offrent des services de protection de la jeunesse et qui desservent huit communautés. Au total, 27 collectivités de Premières Nations offrent également des services de prévention à leur population par l’intermédiaire d’accords de financement conclus avec SAC. En 2009 et 2010, nous étions l’une des régions choisies pour mettre en œuvre des services de prévention, après l’Alberta, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse, je crois. Toutes les communautés des Premières Nations au Québec disposent de services de prévention.

La plupart des communautés desservies par les établissements provinciaux que j’ai mentionnés plus tôt sont en pourparlers avec le Québec pour prendre en charge la prestation de ces services de protection de la jeunesse. Au Québec, à l’exception des communautés visées par une convention — quand je dis une convention, je veux dire la Convention de la Baie James et du Nord québécois — des comités des traités modernes, des Cris, des Inuits et des Naskapis. Les dépenses annuelles consacrées aux services à l’enfance et à la famille sont de l’ordre de 100 à 104 millions de dollars, la moitié de cette somme étant consacrée aux placements d’enfants au Québec.

La mise en œuvre forcée des services provinciaux de protection de l’enfance, en vertu de politiques coloniales, n’a fait qu’exacerber les problèmes socioéconomiques et perpétuer la perte d’identité dans notre région. En effet, selon plusieurs études, les enfants autochtones sont surreprésentés à tous les stades du processus d’intervention en matière de protection de la jeunesse. D’après les travaux les plus récents sur le sujet, cette surreprésentation commence dès l’étape d’évaluation de la situation de l’enfant, où, pour 1 000 enfants, le taux d’enfants des Premières Nations est 4,4 fois plus élevé que celui des enfants allochtones.

Cette disparité s’accentue au fil du processus à l’étape du placement, où le taux est de 7,9 fois plus élevé chez les Autochtones par rapport aux non-Autochtones, ou dans les cas de récurrence. Il y a récurrence lorsqu’un dossier est officiellement fermé puis rouvert. Ce taux est 9,4 fois plus élevé pour les enfants des Premières Nations. Comme vous pouvez le constater, l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse présente des disparités importantes entre les Autochtones et les non-Autochtones.

La négligence et le risque de négligence sont les principales causes d’entrée dans le système de protection de la jeunesse.

J’aimerais aborder les actions spécifiques en faveur de la reconnaissance de la compétence des Premières Nations dans les services à l’enfance et à la famille.

Voilà maintenant plus de 30 ans que la spécificité de la réalité des Premières Nations est fréquemment soulignée dans le cadre de diverses consultations avec le gouvernement du Québec. En 1992, nous avons collaboré avec celui-ci à la préparation d’un rapport connu, le rapport Jasmin, qui portait sur l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec, 12 ans après son entrée en vigueur, vers 1980.

À l’époque, le rapport rappelait à tous que le noyau du système est la famille. C’est la cellule première entourant et protégeant l’enfant. Cette cellule se greffe à la famille élargie, à la communauté et à la nation et compte énormément sur la culture.

À l’époque, nous disions aux autorités provinciales : « Regardez, nos familles sont la solution à nos problèmes. » Les familles et les communautés sont au cœur de notre identité. Nous avons par la suite participé à un autre rapport, que nous avons rédigé nous-mêmes avec les gouvernements fédéral et provinciaux en 1998 et intitulé Dire les choses comme elles sont. Nous recommandions alors que les gouvernements fédéral et provinciaux reconnaissent la juridiction et la compétence des conseils des Premières Nations de gérer et de contrôler leurs services sociaux et de développer leur propre système d’aide et de protection de l’enfance et de la jeunesse.

Ces services sont au centre du champ de compétence des gouvernements autochtones autonomes. Comme vous pouvez le constater, nous parlons de faire en sorte que les Premières Nations assument la responsabilité des services à l’enfance et à la famille depuis de nombreuses décennies.

L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, l’APNQL, considère que le projet de loi C-92, qui reconnaît la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, notamment la compétence législative, est une grande avancée pour les Premières Nations.

En ce qui concerne la section suivante du mémoire, c’est-à-dire le contexte de la protection de la jeunesse au Québec et les relations avec les Premières Nations, vous pouvez voir que le Québec a essentiellement utilisé son modèle, le modèle de protection de la jeunesse au Québec comme le mode d’application universel. Les responsables n’ont jamais vraiment consacré beaucoup de temps et d’énergie à faire progresser les droits inhérents des Premières Nations à l’autonomie et à l’autodétermination. Depuis toujours, vous devez utiliser le modèle québécois pour les services délégués.

Récemment, le Québec a apporté des modifications intéressantes et importantes à ses lois pour tenter d’améliorer l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse auprès des Premières Nations et des Inuits. Aucun des changements apportés ne va aussi loin que ce que propose le projet de loi C-92, ce qui est très positif.

Parmi les changements récents, une des modifications de la toute récente Loi sur la protection de la jeunesse du Québec, a été le projet de loi no 99, qui insistait sur l’importance de la culture et de la préservation des coutumes et traditions ancestrales, ainsi que sur la volonté des organismes des Premières Nations offrant des services à l’enfance et à la famille de participer à toutes les étapes de la prestation des services à l’enfance et à la famille.

Certaines dispositions de ces lois sont le fruit d’une collaboration entre Nations, sous forme de groupes de travail dans le cadre desquels nous collaborons très étroitement avec le gouvernement provincial.

Une autre modification importante reconnaissait les effets de l’adoption coutumière. Je mets l’accent sur les effets de l’adoption coutumière. Nous ne demandions pas au Québec de reconnaître l’adoption coutumière. En ce qui nous concerne, il s’agit d’un droit inhérent. Nous ne demandons pas à la province de la reconnaître, mais nous lui demandions d’en reconnaître les effets. Si une adoption coutumière se produit, quels changements nécessaires faudra-t-il apporter dans le droit québécois afin que l’on tienne compte de cette adoption coutumière?

L’APNQL estime que le projet de loi C-92 et les principes de l’intérêt de l’enfant, de continuité culturelle et de placement des enfants autochtones s’ajoutent aux travaux déjà amorcés avec le Québec. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous avons beaucoup travaillé avec le gouvernement du Québec afin de l’inciter à apporter des changements fondamentaux nécessaires pour améliorer la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec par rapport au projet de loi no 99.

Il convient de noter que, en général, les communautés des Premières Nations au Québec misent déjà sur les services de prévention en priorité, avant d’envisager l’intervention des services de protection. Le projet de loi C-92 contribuera à ce que cet aspect soit pris en compte lors de la période de transition.

L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, l’APNQL, voit dans le projet de loi C-92 une occasion de s’attaquer aux enjeux liés aux frontières provinciales. Vous le savez, les Premières Nations ne sont pas à l’origine de ces frontières provinciales. Beaucoup des communautés de nos frères et sœurs se trouvent de l’autre côté des frontières provinciales. Si vous examinez un problème d’adoption coutumière entre nations, les frontières provinciales et les compétences conflictuelles pourraient causer beaucoup de chagrin et de frustration à toutes les personnes concernées. Nous considérons le projet de loi C-92 comme un élément important qui pourrait résoudre ce problème fondamental. L’APNQL entend organiser des réunions avec les chefs des Premières Nations et ses organisations régionales pour élaborer des plans de transition qui régleront ces questions une fois que le projet de loi C-92 aura reçu la sanction royale.

L’APNQL continuera à travailler avec les gouvernements provinciaux et fédéral pour promouvoir la conclusion d’accords de coordination en vertu du projet de loi C-92, plus particulièrement au niveau de la planification et de la transition. Les Premières Nations au Québec ont mis en œuvre un processus de gouvernance en matière de santé et de services sociaux. Ce processus est appuyé par un comité tripartite dont le mandat prévoit notamment le suivi de dossiers prioritaires comme le projet de loi C-92, de sorte que les questions de compétence soient analysées et que les changements nécessaires soient apportés en temps requis et pour qu’à terme, les réalités des Premières Nations au Québec soient prises en considération.

Pour ce qui est des améliorations à apporter au projet de loi, un principe de financement doit être ajouté au texte de l’accord. Je pense que de nombreuses autres personnes ont dit qu’il fallait inclure un principe de financement plutôt que de le mentionner dans le préambule.

Un autre élément tient à l’égalité réelle et au principe de Jordan. Si on examine la Loi sur la protection de la jeunesse dans le contexte québécois, celle-ci n’offre aucun équivalent du principe de Jordan. Il s’agit d’un domaine dans lequel le projet de loi C-92 pourrait forcer la province à changer ses pratiques. Le directeur de la protection de la jeunesse serait soumis aux exigences de l’alinéa 9(3)e) dans le cadre du projet de loi C-92 ou de son action auprès des enfants et des jeunes des communautés autochtones.

En ce qui concerne un commissaire à l’enfance et à la jeunesse pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, nous estimons, en conséquence, qu’il est important de prévoir dans le projet de loi C-92, la création d’une instance nationale indépendante ayant notamment pour fonction de soutenir la mise en œuvre de la loi. Cette instance pourrait prendre la forme d’un commissariat à l’enfance et à la jeunesse des Premières Nations, des Inuits et des Métis, dont le rôle serait notamment de suivre l’évolution de la mise en œuvre de la loi dans les provinces et d’en faire rapport annuellement au Parlement.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est un autre domaine à l’égard duquel nous souhaiterions voir une amélioration potentielle du projet de loi. Pour donner pleinement effet à la déclaration des Nations Unies, le projet de loi C-92 devrait renvoyer directement à celle-ci dans le corps du projet de loi, et pas seulement dans le préambule. C’est là un autre domaine.

Pour conclure, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador accueillent favorablement le projet de loi C-92 et reconnaissent qu’il s’agit d’un jalon important dans la relation entre le Canada et les Premières Nations.

Merci beaucoup. Cela conclut mon exposé. Vous avez le mémoire sous les yeux en français et en anglais. Il est accessible sur support électronique.

Le président suppléant : Merci, monsieur Gray. Monsieur LeBlanc, allez-y.

Jason LeBlanc, directeur exécutif, Tungasuvvingat Inuit :  

[Note de la rédaction : Le témoin s’exprime en langue autochtone.]

Je suis originaire du Nunatsiavut au Labrador. « Tungasuvvingat Inuit » est « un lieu d’accueil pour les Inuits », dans sa traduction littérale de l’inuktitut.

Je tiens d’abord à reconnaître le territoire non cédé de la Première Nation des Algonquins et à la remercier de son hospitalité. Je remercie aussi sincèrement le Sénat de l’intérêt qu’il porte à nos points de vue uniques dont je peux vous faire part aujourd’hui. C’est un honneur et un privilège d’être le porte-parole des Inuits loin de chez eux dans ce contexte.

Au sujet de TI, Tungasuvvingat Inuit, un bref aperçu est justifié. J’aimerais également commencer mes observations en m’excusant. Le mémoire et les documents vous ont été soumis, mais, malheureusement, ils ne vous ont pas été remis pour la séance. Ils vous seront transmis plus tard aux fins d’examen.

Tungasuvvingat Inuit est une organisation communautaire dirigée par des Inuits qui fournit un soutien et des services tout au long de la vie d’une personne. Notre travail est guidé par les valeurs et les principes inuits — Qaujimajatuqangit — et vise à créer l’autodétermination et à faire naître la résilience chez les Inuits.

Nous sommes une organisation provinciale avec des services directs à Ottawa et à Toronto. Toutefois, en ce qui concerne les présentes mesures législatives fédérales, nous soutenons un réseau d’Inuits qui tentent d’apporter des changements positifs dans leurs communautés respectives partout au pays, dans les nombreuses villes d’entrée de nos terres traditionnelles : Yellowknife, Edmonton, Winnipeg, Toronto, Montréal, Halifax et St. John’s.

C’est cette expérience et cette voix que nous souhaitons partager aujourd’hui, car nous avons un rôle à jouer pour appuyer ce message. Deux rapports ont été mis à votre disposition. Ceux-ci datent de 2005, un rapport, Une voix, dans le cadre duquel nous avons réuni des Inuits de toutes ces villes, ainsi que des employés du gouvernement fédéral et nos organisations politiques nationales, Inuit Tapiriit Kanatami et la Pauktuutit Inuit Women’s Association, afin de dresser un portrait de la situation des Inuits loin de chez eux.

Un autre rapport a suivi. Vous devez l’avoir sous les yeux. Il s’intitule National Urban Inuit Community Dialogue: Supporting Urban Champions, produit en 2016. Ce rapport a bénéficié du soutien financier que nous avons pu obtenir au titre de la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain; il vise à expliquer pourquoi les Inuits ne sont pas prospères, ne réussissent pas et n’obtiennent pas le même accès aux soutiens et aux services dans les villes que certains de nos compatriotes autochtones et métis.

Ces rapports décrivent les lacunes historiques et actuelles, ainsi que les besoins des Inuits éloignés des communautés traditionnelles; des lacunes et des besoins qui, selon nous, seront exacerbés par le projet de loi proposé.

J’ai aussi inclus un récent article de presse sur le Nunatsiavut dans votre trousse. C’est en quelque sorte une rétrospective de 20 ans sur le territoire et la création du Nunavut. On y trouve quelques points de référence sur les tendances de migration de la population, la nécessité de soutenir les Inuits à l’extérieur du territoire et ceux qui y reviennent, et le rôle qu’a joué Tungasuvvingat Inuit au cours de ces 20 années, même si l’organisation exerce ses activités depuis plus de 30 ans.

Pour comprendre les effets des systèmes de protection de l’enfance sur les Inuits, il faut d’abord comprendre l’histoire des Inuits et du gouvernement canadien. Avant l’arrivée du gouvernement canadien et, comme nous le savons, son intervention, les Inuits étaient indépendants, autosuffisants et arrivaient à prospérer dans les environnements les plus durs de la planète. Nous avions mis en place des systèmes et des lois naturelles qui régissaient tous les comportements. Nous cohabitons de façon harmonieuse pour assurer notre survie. L’harmonie est véritablement une valeur inuite fondamentale. Elle va de pair avec les qaujimajatuqangit inuits.

Les aînés inuits du Nunavut ont défini un cadre pour l’IQ, les qaujimajatuqangit inuits, que les Inuits ont toujours reconnus comme étant vrais. Ils sont fondés sur quatre grandes lois ou maligait. Toutes les croyances et les valeurs culturelles sont associées à la mise en œuvre de ce maligait, dans le but ultime de vivre une bonne vie ou d’être un bon Inuit, ce qui est décrit comme l’objectif de vie.

Dans les documents — encore une fois, je suis désolé que vous ne les ayez pas devant vous —, nous présentons ce qui est maintenant documenté comme un graphique historique sur la perte de maîtrise de soi, d’autodétermination et d’autorité au cours des 100 dernières années. Puis, une tendance à la hausse s’est installée dans les années 1960 avec la formation de certaines structures inuites, comme l’Inuit Tapiriit du Canada, qu’on appelait l’ITK à l’origine, et nous sommes revenus, d’une certaine manière, à notre façon de mener notre propre vie.

J’y fais allusion, car cela est unique pour les Inuits contrairement à certaines de nos populations autochtones et métisses, qui ont pris plus de temps à se remettre des répercussions tout aussi atroces de la colonisation et des politiques canadiennes. Pour ce qui est du temps et du cadre, en ce qui concerne notre position en tant que collectivité pour aborder le projet de loi proposé et y prendre part, c’est très pertinent.

Malgré le fait que nous avons graduellement remonté la pente et créé certains gouvernements — dans mon cas, le dernier traité des temps modernes négocié à Nunatsiavut a mené à une autonomie gouvernementale —, il y a tout de même un écart à combler, et un obstacle considérable se dresse toujours pour les Inuits à l’extérieur de l’Inuit Nunangat qui est notre mère patrie. Le champ de compétences relativement à la protection de l’enfance sera particulièrement mis en évidence à cet égard.

Ces quatre traités des temps modernes ont mené à la création d’organismes, dont l’Inuit Tapiriit Kanatami, l’ITK. C’est la direction qu’a pris l’engagement du gouvernement fédéral dans ce monde fondé sur la distinction et cette nouvelle optique pour la négociation de manière indépendante et distincte avec chacune des trois nations.

Je pense qu’on a simplifié les choses de manière exagérée en adoptant cette approche pour répondre aux besoins de tous les Inuits.

Je vais aussi parler d’une cinquième région, ce qui soulèvera peut-être la colère de certaines personnes. Je pense que l’objectif des Comités sénatoriaux est de discuter de vraies choses, même s’il ne s’agit pas de connaissances historiques. À l’heure actuelle, il existe une cinquième région inuite non officielle : la région inuite n’appartenant pas au Nunangat. Il y a des Inuits qui ne vivent plus sur leur terre natale, et bien souvent, ce n’est pas par choix. Certains ont choisi de partir. Malheureusement, de nombreux Inuits n’ont jamais choisi de partir et la plupart d’entre eux souhaitent revenir, mais cela leur est impossible.

D’après les données du recensement de 2016, si nous examinons les personnes qui ont dit appartenir à un groupe d’ascendance inuite, pas moins de 40 p. 100 des Inuits résident maintenant à l’extérieur de l’Inuit Nunangat. Il existe un nombre croissant d’Inuits qui n’ont pas de lien avec l’une des quatre régions visées par les revendications territoriales. En plus de cette répartition démographique, nous n’avons plus accès à l’un des quatre registres, qui sont le seul moyen de conférer le statut d’Inuit à ceux qui ont peut-être été pris en charge par le système ou envoyés loin de leurs terres traditionnelles contre leur gré.

La cinquième région n’est pas reconnue par les dirigeants inuits ni par les organismes de revendications territoriales. Toutefois, les habitants de cette région se considèrent des Inuits à part entière, avec toutes les traditions culturelles et tous les droits inhérents à cette identité. L’approche de relation fondée sur la distinction qu’emploie actuellement le gouvernement fédéral avec les Inuits repose sur la fausse croyance selon laquelle les Inuits sont tous pareils. Il y a une grande diversité au sein de nos quatre régions traditionnelles et aussi dans toutes nos villes canadiennes du Sud.

À cette fin, nous avons présenté un document qui présente les divers avantages accordés aux Inuits en fonction des revendications territoriales qui s’appliquent à eux. Bien sûr, pour de nombreux Inuits qui n’ont pas de lien avec l’un des quatre organismes inuits, d’autres obstacles les empêchent d’obtenir de l’aide. Comme le précise l’autre document que vous avez dans votre dossier, si on regarde à l’échelle de l’Inuit Nunangat, nous avons des actionnaires à la Inuvialuit Regional Corporation. Cette dernière décrit littéralement ses bénéficiaires comme des actionnaires, un peu partout à l’est. Notre autonomie gouvernementale représente en fait des entités, des employés de bureau de circonscription canadiens qui participent à nos réunions législatives et qui représentent les besoins des Inuits loin de chez eux. Il s’agit d’une approche plus progressiste pour aborder la question.

Notre composition est très variée. La singularité des Inuits loin de chez eux est un grand mythe. J’ai aussi quelques diagrammes — il vous sera difficile de les voir —, mais vous les examinerez lorsque vous en aurez la chance. Ils soulignent vraiment l’importance d’examiner comment les gens s’identifient eux-mêmes. Les politiques identitaires en 2019 sont alambiquées pour tout le monde, sans égard au patrimoine autochtone. Dans notre cas, cela a soulevé de nombreuses préoccupations.

Si on se penche sur l’identité singulière, presque tous les habitants du Nunavut déclarent leur identité singulière. Ce n’est pas un exemple très concret, donc je vais faire de mon mieux pour l’expliquer. La proportion d’Inuits qui s’identifient comme étant d’ascendance inuite augmente considérablement lorsqu’on quitte les collectivités d’origine. Si vous êtes inuit par lien génétique, le degré de sang — même si on ne le mesure pas au sein de notre population — est sans importance. Dans quelle mesure êtes-vous à l’aise de dire que vous êtes inuit si vous n’avez jamais vécu dans le Nord, si vous ne parlez pas l’inuktitut, si vous ne connaissez pas votre culture? Pourtant, vous êtes tout à fait inuit. C’est un phénomène qu’on voit beaucoup plus chez les gens loin de chez eux.

En fait, en Ontario, d’après les données du recensement — qui contiennent beaucoup de lacunes et qui ne tiennent pas compte de tout notre peuple, c’est certain —, il y a plus d’Inuits qui vivent en Ontario que dans ma région natale du Nunatsiavut, et les revendications territoriales de l’Inuvialuit Regional Corporation totalisent près de 7 000 sur les 70 000 qu’il y a dans tout le Canada. Nous savons qu’il y a des populations considérables dans ces villes carrefours dont j’ai parlé.

J’ai aussi avec moi un diagramme qui montre la tendance de 2002 jusqu’à 2016. La tendance est à la hausse et continue de progresser. Malheureusement, il n’existe aucun signe de ralentissement de cette tendance pour le moment. Comme nos travaux se font principalement en Ontario, mais que nous appuyons les travaux qui se font dans tout le pays, nous avons observé les réalités des membres de notre collectivité. Nous croyons que les identités autochtones ou les doubles identités représentent une estimation plus réaliste du nombre d’habitants en raison des pressions liées aux politiques identitaires.

Depuis plusieurs générations, de nombreux Inuits ont été renvoyés de leur terre natale contre leur gré en raison des lacunes en matière de services dans nos collectivités natales. Le projet de loi propose qu’il y ait une identification dans le cadre d’un processus communautaire. C’est en soi un défi pour une population dont les liens avec les organes directeurs et la reconnaissance de ceux-ci varient grandement, sans compter le processus d’identification supplémentaire auprès d’un fournisseur de services comme Tungasuvvingat Inuit. Il ne s’agit pas d’un organisme représentatif dans une question relative à la gouvernance. Nous offrons des services. Je suis ici pour défendre des droits. Nous ne représentons pas les Inuits comme le feraient nos quatre organismes autochtones ou l’ITK. Au cours des 20 dernières années, la population a continué d’augmenter, comme je l’ai mentionné. Le recensement de 2016 montre non seulement une augmentation du nombre d’Inuits aux endroits où ils se trouvent, mais également une augmentation considérable du taux de croissance de la population, qui est trois fois plus élevé chez les Inuits qui ont quitté leurs terres natales que ceux qui vivent dans les collectivités de l’Inuit Nunangat.

Ce projet de loi fédéral, qui a principalement été négocié avec l’Inuit Tapiriit Kanatami dans l’optique de l’Inuit Nunangat, présente une lacune pour une grande partie de notre population qui va influer sur cette population loin de chez elle.

Il y a d’importants enjeux relatifs aux compétences; une proportion élevée de la population de passage utilise les services. Toutefois, vous trouverez un rapport dans vos documents sur lequel j’ai travaillé avec les responsables de l’Hôpital St. Michael’s, intitulé Our Health Counts Urban Indigenous Health Database Project. Nous avons interrogé plus de 500 Inuits à Ottawa. Une majorité d’Inuits, 56 p. 100, ont déclaré qu’Ottawa était leur lieu de résidence principal, leur foyer. L’allégation selon laquelle de nombreux Inuits se trouvent ici, mais vont et viennent constamment et obtiennent des services, puis reviennent à la maison est fausse. Bien des gens reviennent. La majorité des gens veulent revenir. Beaucoup de personnes finissent par rester. Cela exerce des pressions liées aux services sur les organismes comme le nôtre et de nombreux autres organismes inuits qui essaient de faire du bon travail dans le Sud.

De plus, dans ce rapport, vous verrez des statistiques concernant les déterminants sociaux globaux des aspects de la santé, dont je vous ai déjà entendu parler, et je suis heureux d’entendre que vous établissez un lien avec le projet de loi. Selon un des aspects entourant le bien-être, y compris la croisée des services de protection de l’enfance, une majorité d’Inuits, 56 p. 100, ont désigné Ottawa comme leur foyer, et 38 p. 100 d’entre eux font affaire avec les services de protection de l’enfance. En tout, 38 p. 100 de notre population vit ici à Ottawa. C’est astronomique, ce sont des chiffres inacceptables. C’est un nombre scandaleusement élevé.

Grâce au dialogue avec notre Société d’aide à l’enfance, nous savons qu’il continue d’y avoir un nombre disproportionnellement élevé de familles et d’enfants inuits qui font appel aux sociétés de services sociaux comparativement aux autres Ontariens. J’ai quelques statistiques que nos partenaires à la Société d’aide à l’enfance nous ont transmises. Ces chiffres sont tout aussi choquants. Seulement 30 p. 100 des organismes qui font partie du système en Ontario recueillent ce genre de données. À l’heure actuelle, nous avons 130 enfants inuits qui sont pris en charge par la Société d’aide à l’enfance. On ne sait pas ce qu’il advient des autres. Dans 10 organismes autochtones sur 12, nous ne savons pas combien d’enfants inuits obtiennent des services. Pour 11 des 37 sociétés d’aide à l’enfance générales, nous n’avons pas ces données. Avec aussi peu que 30 p. 100 des organismes qui font partie du système, nous savons déjà qu’il y a 130 Inuits.

Cela n’aide pas à surmonter les obstacles.

Le président suppléant : Je vais devoir vous arrêter afin de laisser suffisamment de temps pour la période de questions. Voulez-vous conclure?

M. LeBlanc : Oui. J’aimerais rapidement revenir au commentaire à la fin au sujet des recommandations issues du rapport, qui montrent comment on peut améliorer les choses. Dans ce rapport, nous parlons d’offrir les ressources adéquates pour élargir la portée des programmes propres aux Inuits de manière à aborder les répercussions néfastes des pensionnats, du déplacement forcé et des bouleversements familiaux disproportionnés causés par des organismes de protection de l’enfance aux Inuits à Ottawa et dans tout l’Ontario. Pour finir, la recommandation 14 propose que les organismes locaux de protection de l’enfance travaillent avec les services inuits communautaires concernés pour élaborer des services et des protocoles de protection de l’enfance adaptés aux Inuits et dirigés par la collectivité inuite, ce qui est en lien avec le projet de loi. Je m’excuse d’avoir pris plus de temps, sénateur.

Le président suppléant : Merci. Je vais maintenant céder la parole à Billie Schibler, chef de la direction de la Métis Child and Family Services Authority.

Billie Schibler, chef de la direction, Metis Child and Family Services Authority : Bonjour.

[Note de la rédaction : Mme Schibler s’exprime dans une langue autochtone.]

J’aimerais reconnaître le territoire traditionnel et les terres ancestrales sur lesquels nous sommes rassemblés. Je suis une Métisse du Manitoba. Je respecte également les modes de vie traditionnels de mes peuples ojibwé et lakota. Je veux commencer par vous en dire un peu à mon sujet, car je pense que cette information mettra mon exposé en contexte. Je pense que vous en avez tous reçu une copie.

Je suppose que, de bien des manières, j’ai eu de la chance de pouvoir vivre avec ma mère.

Elle avait 13 ans quand elle m’a eue, et c’était à une époque où très peu de soutien était offert aux jeunes mères célibataires. J’ai été en mesure d’envisager ma vie et ma carrière dans ce contexte, en adoptant le point de vue de ce qu’elles auraient été si je n’avais pas eu cette possibilité. J’accueille très favorablement les modifications des lois à l’échelon fédéral.

J’ai de l’expérience en tant que travailleuse sociale. Je suis parent d’accueil depuis plus de 30 ans. Plus de 48 enfants sont passés par chez moi. Je m’occupe actuellement de l’un de mes petits-enfants, qui a maintenant 10 ans. Je l’ai depuis qu’il a huit mois. J’ai perdu un de mes frères au début de la rafle des années 1960. Nous n’avons renoué que dans la trentaine. Nous avons beaucoup appris en échangeant sur nos expériences, sur notre compréhension du système d’aide sociale à l’enfance et sur son incidence dans l’histoire de nos familles et de notre peuple.

Je compte parmi les membres fondateurs du conseil Gaa Na Da Maa Waad Abinoojiiak, qui est l’association Grandmothers Protecting our Children du Manitoba. J’ai également été la première femme autochtone au Canada à être nommée protectrice des enfants par une assemblée législative.

En Ontario, j’ai aussi dirigé un organisme du système d’aide sociale à l’enfance situé à la baie James. Je sais ce que c’est que de travailler à l’extérieur et à l’intérieur des réserves. Je connais les obstacles auxquels nous faisons face dans notre travail.

Au Manitoba, pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, notre histoire est très profonde et marquée par beaucoup de souffrance. Dans cette province, nous sommes visés par les Traités no 1 à 5. Nous avons également une longue histoire de luttes qui n’ont pas fait l’objet de revendications, en tant que Métis. Nous avons maintenant un chef métis fort qui a amené cette histoire à l’avant-plan dans le cadre de beaucoup des négociations menées à l’échelon fédéral. Nous sommes très heureux de cette situation.

Le Manitoba est la province avec le plus grand nombre d’enfants pris en charge par personne. Notre système d’aide sociale à l’enfance métis fait partie d’un système dont la responsabilité nous a été transférée en 2004. Je vous en pris, si vous savez tout cela, faites-le-moi savoir afin que je ne gaspille pas mes sept minutes. Ce système nous a été transféré en 2004 en conséquence de l’Enquête publique sur l’administration de la justice et les peuples autochtones et des recommandations voulant que l’on envisage un type de service autorisé entièrement différent qui reconnaissait trois autorités autochtones et l’autorité générale dominante.

Ce qui a fini par se produire, comme je l’ai souligné dans mon mémoire, c’est que la population inuite du Manitoba, vu sa petite taille, n’a pas reçu sa propre autorité. Elle a été jumelée aux Métis. Nous avons accueilli favorablement ce système, car il était très beau, mais nous ne sommes pas des experts dans cette culture, alors ce n’était pas logique. À certains égards, je considère qu’il a causé du tort à la distinction culturelle.

Actuellement, je suis la chef de direction de l’une des quatre autorités, soit celle des Métis. Nous avons deux organismes qui assurent les services dans la province du Manitoba en entier. Nous ne faisons pas que fournir des services aux enfants et familles métis et inuits; nous fournissons des services à quiconque nous choisit. Les seules situations où des gens retournent à l’autorité propre à leur culture, c’est si on fait de leurs enfants des pupilles permanents. En passant, il importe de savoir qu’actuellement, 1 275 enfants sont à la charge de notre système métis. Ils n’ont pas tous été déclarés pupilles permanents sous le régime de notre système. Ils sont venus à nous à un moment où ce sont les tribunaux qui faisaient d’eux des pupilles permanents. Nous avons accepté la responsabilité en tant qu’autorité culturellement appropriée pour eux.

En partant, il est très difficile de remédier aux conséquences d’un passé où les services d’aide sociale à l’enfance n’étaient pas appropriés sur le plan culturel. Quand nous recevons ces enfants, la séparation d’avec leur famille a déjà eu lieu, et elle est sanctionnée par l’intermédiaire des tribunaux au moyen d’une ordonnance permanente.

Voilà qui m’amène à mon exposé. Je tenterai de le rendre aussi bref que possible. Il ne s’agit pas d’un exposé universitaire. Je tiens d’abord à souligner le dur travail accompli par le gouvernement fédéral et nos leaders autochtones pour la préparation de ce projet de loi, parce qu’il est historique. C’est formidable. Nous avons attendu longtemps. Nous voulons nous assurer que, une fois qu’il aura été accepté, les choses seront bien faites. Je pense que l’un des principaux éléments que j’aimerais également souligner, c’est que nous, en tant qu’Autochtones, attendions ces mesures depuis longtemps.

Je n’ai pas besoin de passer en revue certains des détails sordides de l’histoire de notre peuple en ce qui a trait à l’aide sociale à l’enfance. Vous voyez les chiffres. Vous constatez la situation partout au pays.

J’aimerais également faire l’éloge du préambule qui figure dans le projet de loi C-92. Il définit et reconnaît clairement notre histoire et les véritables enjeux qui existent pour nos peuples. Qui plus est, il reconnaît l’importance de travailler ensemble pour accepter les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appliquer.

Je vais poser plusieurs questions sur lesquelles j’espère que le Comité sénatorial se penchera au moment d’examiner la nécessité du projet de loi. Nous connaissons l’histoire de nos peuples autochtones. Nous savons à quoi elle ressemble : les pensionnats, les externats, la rafle des années 1960, les femmes autochtones assassinées et disparues et le nombre croissant d’enfants autochtones pris en charge partout au pays. Nous connaissons les effets de ces tragédies qui existent depuis des décennies et des siècles.

Comment pouvons-nous annuler ces effets et combien de temps cela prendra-t-il, compte tenu des traumatismes et de l’incidence du racisme, des dépendances, de la santé mentale, du taux élevé de suicides, de l’itinérance, de la non-durabilité des réserves et des terres traditionnelles, de la violence familiale et communautaire, de l’appartenance à des gangs et de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale, des unités familiales fragmentées et de la rupture des liens avec la terre, la culture et l’identité qui continuent de faire souffrir notre peuple?

La santé mentale actuelle des Autochtones et la crise de la toxicomanie qui s’aggrave, problèmes que l’on observe partout, sont d’autres symptômes de la douleur et des traumatismes qui sont transmis de génération en génération. Nous vivons encore ces effets. Comment le système d’aide sociale à l’enfance peut-il délaisser une approche et une pratique axées sur la protection? Si nous reconnaissons que la vérité ouvre la voie à la réconciliation, qu’est-ce qui nous y amènera au-delà de cette première étape consistant à raconter notre vérité? Si nous disons que nous ne voulons plus de solutions symboliques et que nous voulons révéler la vérité pour guérir, il faut que les récits intergénérationnels liés aux politiques gouvernementales et aux erreurs historiques soient reconnus. Comment pouvons-nous passer à la réconciliation sans nous concentrer sur la guérison, et à quoi ressemble la guérison?

Selon les valeurs propres à chacun, elle pourrait prendre un aspect très différent. S’agit-il d’excuses? Est-ce le paiement d’un dédommagement pour les pensionnats? S’agit-il de modifications apportées aux lois? Pouvons-nous convenir du fait que la guérison est le processus à suivre pour atteindre la santé? Il ne s’agit pas d’une solution universelle, comme nous avons entendu d’autres témoins l’affirmer aujourd’hui, être en bonne santé, c’est être exempt de maladies et de blessures, et c’est ce que sont les traumatismes. La guérison, c’est la purge de la douleur émotionnelle causée par ce traumatisme qui s’étend sur des générations. La guérison et la transformation prévue doivent être vues comme un cheminement. Les gens doivent se sentir en sécurité pour pouvoir révéler leur vérité et s’en libérer. Cela ne se produit pas du jour au lendemain.

Nous pouvons y arriver par l’entremise d’options de solutions positives planifiées qui favorisent la guérison. Conformément au principe de Jordan, ces services doivent être accessibles dans toutes les administrations, et chaque ordre de gouvernement doit prendre ses responsabilités et offrir du soutien en ce qui concerne le financement et la prestation des services.

Il faut établir une distinction claire et convenir d’une interprétation quant à ce qui constitue l’intérêt de l’enfant.

Qui détermine cela? C’est mentionné dans le projet de loi. Quel poids est accordé à l’identité, à la culture et à l’appartenance au moment de déterminer ce qui constitue l’intérêt supérieur? Au Manitoba, c’est inscrit dans nos lois, mais l’interprétation diffère grandement. Des tribunaux et des juges se penchent sur ces affaires d’une manière très différente de ce que font nos services autochtones.

Nous devons vivre avec ces résultats. Toutefois, cela ne changera pas l’histoire.

Quels seront les effets de cette nouvelle loi sur les services de prise en charge qui sont offerts dans chaque province parallèlement à des services non autochtones? Comment nos familles seront-elles présélectionnées aux fins de ces services? Comment les Services à l’enfance et à la famille autochtones seront-ils avisés de l’entrée de nos familles dans le système? Il n’y a actuellement aucune notification. Au Manitoba, cela dépend de l’autorité, quelle qu’elle soit, auprès de laquelle la famille choisit de recevoir ses services. Parfois, c’est celle qui est la plus proche, géographiquement. Parfois, c’est celle dont la famille fait partie depuis des générations, alors elle la connaît. Mieux vaut un mal qu’on connaît.

Au Manitoba, au sein de notre Métis Child and Family Services Authority, nous avons commencé ce cheminement vers la guérison avec un grand nombre des familles que nous desservons. Nous offrons des services uniques qui sont conçus pour préserver les familles, les aider à se débarrasser de leurs douleurs et de leurs traumatismes en toute sécurité et à guérir ainsi qu’à rester ensemble tout au long du processus de guérison, grâce à de solides services de soutien. Nous offrons actuellement notre programme Live-In Family Enhancement, qui est fondé sur une philosophie et des pratiques voulant que la famille soit hébergée ensemble chez nous. Les enfants ne sont pas séparés de leur famille. Il m’est impossible de décrire à quoi ressemble la situation quand on voit le traumatisme que vivent des enfants et des parents qu’on a séparés. Il faudra des décennies pour surmonter ce traumatisme. Parfois, on n’y arrive jamais, et il est transmis à une autre génération.

Nous avons établi notre programme d’établissement de liens à vie pour les Métis, qui permet de réintégrer les enfants que nous avons pris en charge dans leur famille grâce à la réunification et à la préservation. Nous cherchons un peu partout et nous nous rendons dans d’autres provinces et territoires pour trouver des membres de la famille en santé qui pourraient avoir un lien avec ces enfants afin qu’ils puissent connaître leur identité. Ils ne peuvent peut-être pas s’en occuper. Au moins, ils prennent un engagement. Nous tenons des cérémonies pour ce faire, afin que ces enfants sachent qu’ils ont leur place quelque part, intrinsèquement.

Nous travaillons sur un service global pour les toxicomanes qui prévient la séparation des familles pendant qu’elles guérissent ensemble. La majorité des prises en charge qui ont lieu actuellement au Manitoba sont liées aux dépendances, à la violence familiale et à des problèmes de santé mentale qui sont tous liés à la toxicomanie. La solution employée depuis des décennies pour régler ce problème consistait à séparer les enfants, à les garder en lieu sûr et à envoyer les parents suivre un traitement. On ne peut pas rendre une famille saine et la guérir si on la déchire. Nous devons tenter de trouver des solutions sûres pour garder les familles ensemble et les aider tout au long de ce cheminement.

Nous savons que le fait d’élever les enfants dans le système d’aide sociale à l’enfance n’est pas la réponse. Nous connaissons les résultats. Ils ne sont pas fructueux, et ce ne sont pas des fins heureuses. L’aide sociale à l’enfance n’est qu’un service. Il doit servir de pont et constituer un soutien, mais cela doit s’assortir de modifications législatives semblables dans les domaines de la santé, de la justice, de l’éducation et de la santé mentale. Ces autres services ne pourront pas continuer à s’occuper des mêmes problèmes avec les mêmes chiffres qui augmentent et peu de preuve de réussite. Aucun de ces services ne peut fonctionner efficacement de façon cloisonnée et indépendante.

Qui plus est, aucun de ces autres services ne peut être efficace auprès de nos familles si les intervenants qui les fournissent ne reconnaissent pas notre histoire, la vérité, le traumatisme et le cheminement vers la guérison et la réconciliation. Nous devons tous changer ensemble, collectivement, si nous souhaitons envisager un avenir différent pour les générations à venir. Nous devons nous demander si ce que nous faisons est bon pour les enfants. Meegwetch pour le temps que vous m’accordez.

Le président suppléant : Je vous remercie, madame Schibler. Il ne reste que cinq minutes avant la fin de notre séance. Je prendrai l’initiative de demander à la porte-parole et marraine du projet de loi de poser des questions en premier.

La sénatrice LaBoucane-Benson : J’ai une question à poser à chacune des personnes. Je vous suis très reconnaissante des exposés que vous avez présentés aujourd’hui. Je vais poser une question, parce que je crois comprendre qu’il ne nous reste plus beaucoup de temps.

Madame Schibler, il y a 10 ans, j’ai fait un doctorat sur le traumatisme historique, la guérison et le renforcement de la résilience. Beaucoup des propos que vous tenez correspondent à mon expérience. Nous venons tout juste de terminer une vidéo sur ce dont ont besoin les enfants pris en charge pour guérir. Je suis heureuse d’entendre parler des programmes de guérison des traumatismes historiques que vous offrez actuellement. Prévoyez-vous que le projet de loi C-92 améliorera votre capacité de fournir aux familles — il ne s’agit pas seulement d’enfants, mais aussi de familles entières — des services qui leur permettront de guérir de leurs traumatismes historiques, ou bien considérez-vous qu’il vous nuira? Selon vous, quelles seront les conséquences du projet de loi sur ce genre de travail? Ce n’est pas seulement une question de protection; il s’agit en réalité de guérison.

Mme Schibler : Je conviens du fait que ce n’est pas sorcier et que ce n’est pas nouveau; ces connaissances existent depuis longtemps. Ce que j’espère qui arrivera grâce au projet de loi, c’est que des modifications seront apportées à certaines lois afin de prévoir que tous les services fournis à nos familles et enfants doivent fonctionner de façon concertée et que nous ne pouvons pas simplement nous fier aux services d’aide sociale à l’enfance pour améliorer la santé et le sort des familles. On ne peut pas aider les enfants sans leurs parents; et vice-versa.

La raison pour laquelle j’ai présenté mon exposé de cette manière et posé ces questions, c’est que, encore une fois, il ne s’agit pas que d’un texte de loi. Il ne répondra pas à ce qui, nous le savons, existe. Nous devons vraiment examiner la situation stratégiquement et nous demander : « Quels seront les effets du projet de loi? Que fournira-t-il? Qu’offrira-t-il pour nous permettre de faire les choses très différemment? » Voilà l’intention.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Affirmez-vous non seulement que les ententes de coordination mentionnées pourraient être conclues entre les services à l’enfance et les Premières Nations qui veulent occuper le terrain, mais qu’elles pourraient également inclure la justice et l’éducation, de façon à réellement permettre cette prévention et cette intervention, du point de vue de la guérison?

Mme Schibler : Il le faut. Nous savons que les établissements correctionnels détiennent actuellement beaucoup de nos fils et de nos pères. La situation est la même dans le cas des services de traitement de la santé mentale et de la toxicomanie. Si les intervenants ne travaillent pas de façon coordonnée sous le régime de lois semblables, nous n’y arriverons pas. Nous ne pouvons pas seulement guérir une partie. Il faut que ce soit une approche holistique.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je comprends ce que vous affirmez. Merci.

Le sénateur Patterson : Je remercie tous les témoins. Vous avez manifestement acquis une expérience exceptionnelle et êtes grandement dévoués à ce que vous faites.

Je veux adresser ma question à M. LeBlanc. Elle porte sur les Inuits dans le Sud. Puis-je simplement préciser ce que je crois comprendre, c’est-à-dire qu’ITK a demandé à Tungasuvvingat Inuit d’assumer la responsabilité à l’égard de la prise en charge des enfants inuits à l’extérieur de l’Inuit Nunangat, dans le Sud, en Ontario et ailleurs? Est-ce exact?

M. LeBlanc : C’est sous le régime de la Loi sur les services à l'enfance, à la jeunesse et à la famille (LSEJF), la nouvelle loi. Comme il s’agit d’une affaire de compétence, une entité représentative doit être nommée. Comme nous sommes une organisation de services, c’est ITK qui est nommée dans la loi pour représenter la collectivité. Cette entité a désigné Tungasuvvingat Inuit pour agir en son nom sous le régime de la loi ontarienne.

Le sénateur Patterson : D’accord.

Le projet de loi fédéral que nous étudions aujourd’hui prévoit un rôle pour un « corps dirigeant autochtone », qu’il définit ainsi :

[...] un conseil, gouvernement ou autre entité autorisé à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Vous avez déclaré clairement que vous êtes une organisation de défense des droits, pas un titulaire de droits. Vous avez critiqué le projet de loi parce qu’il prévoit une définition universelle de l’identité inuite; vous l’avez qualifiée de singulière. Dois-je comprendre, dans ce cas, que le projet de loi C-92 ne reconnaît pas vraiment le rôle qu’on vous a demandé de jouer en Ontario sous le régime de la loi provinciale et que, par conséquent, la définition qui figure dans le projet de loi C-92 est indûment limitée?

M. LeBlanc : Je comprends votre consternation concernant le libellé employé. Je pense qu’il y a une lacune. Selon moi, elle tient en partie au fait que, par exemple, nous avons passé cinq ans à élaborer la LSEJF en collaboration avec d’autres organisations inuites et les Premières Nations et les Métis.

Ce processus nous a amenés à mobiliser ITK afin qu’elle prenne part avec nous à ces dialogues avec les représentants du ministère et la ministre de l’heure.

Au cours de ces années, nous en sommes arrivés à pouvoir agir comme intermédiaire dans cette relation et à dire : « Nous pouvons jouer ce rôle pour vous. »

En toute équité, il y a beaucoup plus d’éléments qui sous-tendent cette reconnaissance, et nous tentons encore de les décortiquer. De fait, selon notre rôle prévu dans la LSEJF, nous sommes un peu comme un canari dans une mine de charbon, en ce qui concerne le projet de loi C-92, vu ces situations auxquelles nous faisons face actuellement où nous devons tenter de faire entrer une cheville carrée dans un trou rond. Comment pouvons-nous agir efficacement au nom d’ITK, alors qu’elle est tenue de représenter quatre groupes uniques provenant de quatre territoires et ayant chacun son gouvernement autonome? L’environnement dans lequel nous travaillons, en Ontario... Nous ne sommes pas une Première Nation. Nous ne sommes pas un gouvernement autonome métis. Nous ne sommes pas admissibles au financement des services aux bandes, qui est octroyé à d’autres par le Tribunal des droits de la personne. Nous tentons constamment de comprendre ce que cela signifie. Nous nous frayons un passage. Tous les jours, nous battons les sentiers pour tenter de faire fonctionner les choses.

Nous l’avons fait pendant de nombreuses années dans un environnement de collaboration. J’estime qu’une partie de la lacune du projet de loi C-92 tient à ces consultations, principalement du point de vue d’un partenariat entre les Inuits et la Couronne qui n’est pas aussi riche qu’il aurait pu l’être si on y avait ajouté la voix des Inuits qui sont loin de chez eux, qui travaillent dans ces administrations et qui peuvent communiquer leur réalité et parler de la rupture du lien qui les unissait à leurs propres organisations.

En guise d’exemple rapide, si un Inuk doit s’identifier à la communauté, voudra-t-il s’identifier à ITK ou même à TI? Ou bien voudra-t-il s’identifier à l’une de ses quatre organisations des droits acquis à la naissance? En Ontario, il n’a aucun lien avec ces organismes, au quotidien. C’est bien pire dans les autres provinces et territoires.

L’Ontario mène le bal. Le gouvernement de cette province a fait du bon travail pour ce qui est de collaborer avec nous. Dans les autres provinces et territoires, où le projet de loi dépasse les dispositions actuellement en vigueur, il y a beaucoup moins de capacité, et le chemin est beaucoup moins tracé.

Le sénateur Patterson : Il me paraît incroyable que vous ayez relevé le pourcentage élevé de prise en charge par des Inuits vivant à l’extérieur des régions inuites, du moins, dans cette province, pour ce qui est d’accéder aux services de protection de l’enfance. Ces chiffres augmentent. La demande à l’égard de ces services est également très élevée. Comme vous l’avez dit, vous ne connaissez même pas les chiffres, mais ce que vous avez montre une proportion consternante de la population.

Pour critiquer le projet de loi — et c’est mon travail de le faire, je suppose —, je répète les propos qu’ont tenus Mme Schibler et M. Gray, c’est-à-dire qu’en principe, la bonne façon de procéder est de faire la lumière sur ces enjeux. Il me semble que des changements sont nécessaires afin que l’on puisse répondre aux besoins des Inuits dans le Sud.

Monsieur LeBlanc, que recommandez-vous au comité pour améliorer la situation et combler certaines de ces lacunes? Vous avez parlé d’un protocole avec les organismes de protection de l’enfance. Il n’est pas nécessaire que ce soit fait par le truchement de la loi, je suppose. Il pourrait s’agir, peut-être, d’une observation. Vous avez également mentionné le financement. Pourriez-vous aussi clarifier cette recommandation concernant le financement et préciser si vous recommanderiez que d’autres corrections soient apportées au projet de loi? Je sais que vous ne comparaissez pas en tant que rédacteur législatif. Il me semble qu’il manque quelque chose dans la définition, ou bien qu’elle est restreinte au point qu’elle ne tient pas compte du travail que vous faites depuis cinq ans.

Comment pouvons-nous dissiper vos préoccupations dans notre rapport ou peut-être grâce à un amendement au projet de loi?

M. LeBlanc : Les Inuits sont marginalisés au sein de la population autochtone la plus marginalisée au Canada. Nous sommes vulnérables à un tout autre niveau. Mes critiques sont propres aux Inuits, mais je pense qu’elles peuvent être étendues aux Premières Nations et aux Métis. Je répète la préoccupation relative à la principale mesure consistant à définir l’intérêt des enfants autochtones. Cette définition doit être fortement liée à la culture et à la famille. Ce lien ne peut pas être secondaire, être un luxe, être considéré comme ce qui est important pour eux, mais pas au sens de la loi. Il faut que ce soit une force motrice première de l’établissement du mieux-être chez nos enfants.

La notion de financement tient compte du fait que nous nous attendons à ce que les systèmes changent. Malheureusement, ils tendent à changer lorsque l’argent est déplacé. Je pense que, si nous voulons que le projet de loi dure au-delà du mandat d’un gouvernement, cela n’a pas d’importance qu’il s’agisse du même gouvernement ou d’un autre. Nous devons commencer à changer la façon dont l’argent est versé à la collectivité, pour l’envoyer aux endroits où on mènera ce processus de détermination du point de vue des Inuits, des Premières Nations ou des Métis. L’autre problème, qui a été soulevé par Mme Blackstock relativement à l’enchevêtrement des compétences, est très évident dans notre travail avec le territoire et se voit au fait que les provinces du Sud sont souvent considérées comme un fournisseur de services pour nos territoires et nos provinces du Nord, où les services sont lacunaires.

J’ai entendu une question, plus tôt, visant à savoir si nous étions mieux avec ce projet de loi ou avec rien du tout. Ma réflexion a été que nous savons tous que les rénovations coûtent plus cher qu’une reconstruction ou une nouvelle construction. Je me demande aussi, si le gouvernement fait les choses autrement et veut être différent, pourquoi nous sommes assis là à affirmer que c’est mieux que rien. Je pense que l’objet du projet de loi est d’offrir à nos enfants et familles les meilleures chances de réussir et d’abroger ces très nombreuses privations historiques et actuelles des droits et ces très nombreux aspects négatifs de la colonisation que nous tentons de surmonter.

Le projet de loi doit avoir du mordant. Je l’ai entendu être qualifié de loi-cadre et j’ai entendu dire qu’il apportait le changement, mais c’est en supposant qu’on aura la volonté d’apporter ce changement. Dans toutes les provinces et tous les territoires, nous observons des degrés très différents de volonté de réaliser ces changements.

Je pense que, si vous rendez certains fonds définitifs, les systèmes s’adapteront et changeront. Si on s’en remet à l’opinion d’une personne ou à sa volonté d’écouter l’esprit de la loi au lieu de la suivre à la lettre, nous serons assis là à examiner les résultats négatifs pour tous les enfants du Canada, pas seulement les Autochtones. L’autre question est la suivante : pourquoi ces dispositions ne sont-elles pas applicables à toutes les populations qui reçoivent des services d’aide sociale à l’enfance? Les statistiques le prouvent. Ces systèmes ne sont pas efficaces pour tous les jeunes et toutes les familles.

Il devrait y avoir un certain moyen d’unification. L’idée d’une unification des provinces et des territoires grâce à des normes minimales me plaît bien. Nous devons trouver des moyens de ne pas nuire aux progrès réalisés dans certaines provinces et certains territoires, tout en créant l’espace nécessaire pour que d’autres emboîtent le pas. Si on modifie les affectations de financement et qu’on attribue de l’argent à cette fin, on pourrait y arriver.

Le président suppléant : Chers collègues, le temps dont nous disposions est écoulé. Merci beaucoup à nos trois témoins. Vous avez ajouté trois points de vue distincts et uniques à notre séance.

Je remercie nos collègues.

(La séance est levée.)

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